Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (2000-2001)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 2

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 4 octobre 2000
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Bernard Roman, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, sur le plan du Gouvernement pour la Corse

2

La Commission a procédé à l'audition de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, sur le plan du Gouvernement pour la Corse.

Souhaitant la bienvenue au ministre pour sa première audition par la commission des Lois, M. Bernard Roman, président, a indiqué qu'il avait tenu à ce que la commission l'entende dès l'ouverture de la session au sujet du plan du Gouvernement pour la Corse, sans attendre que celui-ci ne se concrétise sous la forme d'un projet de loi, observant que, ça et là, on avait entendu dire qu'il était regrettable que le Parlement n'ait pas été associé aux réflexions conduites sur l'avenir de la Corse. Il a considéré que cette critique n'était pas vraiment fondée, la Corse faisant, en effet, depuis plusieurs années l'objet d'une attention soutenue de la représentation nationale. Il a rappelé, à cet égard, qu'après la mission d'information commune, créée en octobre 1996, qui n'avait pu conclure ses travaux du fait de la dissolution, sous la présente législature deux commissions d'enquête s'étaient penchées, à l'Assemblée nationale, sur la situation corse, la première portant sur l'utilisation des fonds publics et la gestion des services publics, la seconde, qui a achevé ses travaux à la fin de l'année dernière, sur le fonctionnement des forces de sécurité en Corse. Il a ajouté qu'une commission d'enquête portant sur ce dernier sujet avait, parallèlement, fonctionné au Sénat. Il a observé qu'il ressortait de tous ces travaux parlementaires que la succession de différentes politiques, souvent contradictoires, n'avait pas permis de sortir la Corse de la crise qu'elle connaît depuis de trop nombreuses années.

Jugeant donc logique que le Gouvernement recherche une solution pour sortir d'une situation de blocage dont personne, ni en Corse, ni dans le reste de la France, ne peut se satisfaire, M. Bernard Roman a souligné que le Gouvernement l'avait fait dans la transparence, en engageant des négociations publiques avec les forces politiques de l'île, dont la légitimité résulte du suffrage universel. Il a estimé qu'une telle démarche était parfaitement républicaine. Ajoutant que, devant l'Assemblée nationale, dès le 30 novembre 1999, le Premier ministre avait indiqué à l'Assemblée nationale son intention d'engager, le plus rapidement possible, un dialogue avec l'ensemble des élus de Corse, il a rappelé qu'après cette première intervention, le chef du Gouvernement s'était exprimé à cinq reprises devant la représentation nationale, en réponse à des questions de députés de la majorité ou de l'opposition, pour faire le point des négociations qu'il avait engagées. Constatant que seuls les hasards du calendrier, qui avaient conduit les discussions en cours à se conclure dans le courant du mois de juillet, expliquaient que l'Assemblée nationale n'en ait pas été plus tôt informée, il a souhaité qu'on ne fasse pas, sur ce sujet, de procès d'intention au Gouvernement.

Après avoir rappelé que le relevé de conclusions approuvé à une très large majorité par l'assemblée de Corse le 28 juillet dernier avait donné lieu à des discussions longues et approfondies avec les élus de Corse, le ministre a annoncé que le Parlement serait étroitement associé à l'élaboration du projet de loi à venir, soulignant que la délibération de l'assemblée de Corse ne constituait qu'un simple avis.

Evoquant le contexte historique et politique de l'île, il a fait état des lourdes pertes humaines subies par la Corse lors de la première guerre mondiale et a constaté que la saignée ainsi infligée à ses forces vives s'était ajoutée aux handicaps naturels de cette région que sont l'insularité, le relief et le cloisonnement des territoires. Il a rappelé que les erreurs commises dans les années 60, lors d'une importante opération de mise en valeur de l'île, avaient conduit au drame d'Aléria d'août 1975, événement qui lui-même avait entraîné la fin du dialogue, le recours à des moyens d'exception et l'alternance des périodes d'affrontement et des tentatives d'apaisement. Faisant référence aux statuts particuliers de 1982 et 1991, qui ont permis à la Corse d'avoir un cadre institutionnel différent de celui des autres régions du continent, il a estimé que les orientations contenues dans ces statuts devaient s'enrichir des expériences acquises en conservant, toutefois, l'objectif d'un enracinement de la Corse dans la République qui reconnaisse la spécificité de cette collectivité, et d'un avenir bâti sur une paix retrouvée et un développement maîtrisé.

Rappelant les conclusions du rapport de la commission d'enquête sur le fonctionnement des services publics en Corse, il a observé qu'il mettait en lumière le fait que l'économie corse restait fragile malgré des dépenses publiques abondantes, et trouvait les causes des dérives observées dans l'inconstance des gouvernements, les défaillances des pouvoirs publics locaux et la puissance des réseaux d'intérêts. Après avoir indiqué que ce rapport, avec les autres missions et inspections qui ont suivies, avait servi de feuille de route aux services de l'Etat, il a considéré que l'action menée sur cette base devait s'inscrire dans la durée, tout en s'enrichissant des évolutions constatées.

Dressant un bilan actualisé de la situation en Corse, il a estimé que celle-ci était en voie d'amélioration avec un flux de passagers, tant maritime qu'aérien, en hausse régulière, un recul des défaillances d'entreprises conjugué à une amélioration structurelle de leur bilan, une augmentation des crédits aux entreprises et une hausse du tourisme. Il a néanmoins reconnu que l'île souffrait d'un certain nombre de handicaps structurels comme le taux de chômage, qui, malgré une baisse récente, reste supérieur à la moyenne nationale, ou des infrastructures trop souvent inadaptées.

Evoquant ensuite l'action de l'Etat, le ministre a fait état de l'amélioration de la gestion des moyens disponibles, régulièrement soulignée par les instances de contrôle. Il a également donné des exemples trop souvent ignorés d'application satisfaisante de la loi républicaine, mentionnant notamment le contrôle des listes électorales, la récupération des armes illégalement détenues, le contrôle de la légalité, qui place la Corse dans le haut du classement des départements ou l'amélioration du taux de recouvrement de l'impôt direct. Il a observé, par ailleurs, que la coordination des services de l'Etat avait été renforcée, conformément aux recommandations de la commission d'enquête sur la sécurité en Corse.

Tout en reconnaissant que la Corse se caractérise encore par un nombre important de destructions et de dégradations par explosifs, armes à feu et incendies, il a insisté sur le fait que ces actes avaient diminué sur les huit premiers mois de l'année 2000, tout comme d'ailleurs les faits de nature politique. Après avoir indiqué que le nombre d'homicides et de vols à main armée restait stable, il a fait valoir que la multiplication des arrestations observée actuellement aurait à terme une influence positive sur ces chiffres. Il a également noté qu'en matière de délinquance financière, le nombre d'infractions constatées sur les six premiers mois de l'année était bien inférieur à celui des années précédentes, ce constat s'appliquant également à la petite et moyenne délinquance. A cet égard, il a cité l'exemple d'Ajaccio, où les cambriolages, les vols de véhicules et les vols à la roulotte sont en forte baisse grâce à la mise en place de la police de proximité. Rappelant que le taux d'élucidation des crimes et des délits commis en Corse est de dix points supérieur à celui observé au plan national, il a tenu à rendre hommage à l'action des deux préfets de Corse et du préfet adjoint pour la sécurité ainsi que de l'ensemble des fonctionnaires et agents de l'Etat.

Evoquant le dialogue engagé par le Premier ministre avec les élus corses, M. Daniel Vaillant a souligné qu'il s'agissait d'une démarche transparente, le problème de la Corse, qui est avant tout politique, supposant une démarche démocratique. Il a affirmé que la violence continuerait à être combattue, même si la cessation des actions nationalistes n'a pas été considérée comme un préalable, afin de faciliter le dialogue. Il a néanmoins affirmé que si cette violence persistait durablement, elle serait de nature à compromettre le dispositif proposé par le Gouvernement. Il a observé, à cet égard, que le message semblait avoir été compris, puisque la violence, déjà nettement en recul, avait fait l'objet de condamnations unanimes. Il a fait valoir que le projet du Gouvernement ne se réduisait pas à quelques propositions ponctuelles, mais opérait une réforme en profondeur destinée à combler les retards d'équipements, à favoriser le développement économique et social de l'île, à reconnaître l'identité culturelle des Corses et à entreprendre des réformes statutaires permettant à cette région de maîtriser son avenir. Il a enfin observé que la démarche du Gouvernement était une démarche de responsabilité, tant de la part de l'Etat que des élus locaux et des Corses, qui devront apporter la preuve de leurs capacités à faire le meilleur usage possible des compétences qui leur seront confiées.

Le ministre a ensuite présenté le projet du Gouvernement, qui reprend le relevé de conclusions du 20 juillet et s'analyse en plusieurs chapitres. S'agissant de la question de l'organisation administrative de la Corse, il a indiqué que le Gouvernement prenait acte de la volonté majoritaire des élus locaux de supprimer les deux départements au bénéfice d'une collectivité unique, observant cependant qu'une telle évolution impliquait une révision constitutionnelle qui n'interviendrait pas avant 2004. Evoquant ensuite le transfert éventuel de nouvelles compétences à la Corse, il a estimé qu'il pourrait concerner l'aménagement de l'espace, le développement économique, l'éducation, la formation professionnelle, les sports, le tourisme, la protection de l'environnent, la gestion des infrastructures et de services de proximité et les transports, tout en soulignant que l'Etat devrait, dans tous les cas, conserver sa capacité de mettre en _uvre les politiques nationales et d'exercer ses missions de contrôle.

Puis le ministre a présenté les dispositions envisagées pour permettre à la Corse d'adapter les normes nationales, après avoir rappelé que le statut de 1991 autorisait déjà l'assemblée de Corse à présenter des propositions tendant à adapter des dispositions législatives ou réglementaires - ce dispositif qui a mal fonctionné devant être amélioré - et souligné que l'application de lois particulières pour des situations particulières n'était pas une innovation en droit français, évoquant, à cet égard, le cas de l'Alsace-Moselle, des DOM et des TOM. Il a précisé qu'il s'agissait d'abord de permettre à la collectivité territoriale de Corse d'adapter les textes réglementaires nationaux par délibération de son assemblée, dans le seul champ de ses compétences, selon les conditions déterminées par la loi et sous le contrôle du juge administratif. Concernant l'adaptation des dispositions législatives, il a souligné qu'il s'agissait, dans l'immédiat et jusqu'en 2004, de mettre en _uvre une phase d'expérimentation dont le Parlement garderait la maîtrise totale. Il a expliqué, en effet, que le dispositif envisagé permettrait au Parlement, de sa propre initiative ou lorsque l'assemblée de Corse l'estimerait nécessaire pour tenir compte des spécificités de l'île, de l'autoriser à prendre, par délibération, des mesures d'adaptation dans les conditions qu'il fixerait. Évoquant enfin le dispositif qui pourrait être introduit après 2004, par révision constitutionnelle, pour permettre, cette fois de manière permanente, à la collectivité territoriale de Corse d'adapter par ses délibérations des dispositions législatives, dans certains domaines, précisément déterminés et dans les conditions fixées par le Parlement, il a insisté sur le fait que les délibérations ainsi adoptées auraient valeur réglementaire, seraient donc soumises au contrôle de la juridiction administrative et susceptibles, en tout état de cause, d'être modifiées par le Parlement.

Abordant les dispositions fiscales, le ministre a souligné que les mesures relatives à l'incitation à l'investissement et à la fiscalité indirecte seraient tournées vers l'investissement productif, s'éloignant ainsi des mesures actuelles sans être d'un coût supérieur. Il a précisé, par ailleurs, s'agissant de la fiscalité sur les successions, que le Gouvernement soutenait le maintien de l'exonération, dont l'enjeu financier est relativement minime, puisque son montant est évalué à 50 millions de francs par an, mais souhaitait introduire l'obligation de déclaration des successions et la reconstitution des titres de propriété pour sortir de l'indivision et permettre l'émergence d'un marché de l'immobilier et l'entretien d'un patrimoine trop souvent en déshérence. Insistant sur le caractère global du projet du Gouvernement, il a fait état, bien qu'elles ne soient pas appelées à avoir des traductions législatives, des actions envisagées pour le financement de l'économie corse, tels que le développement du capital-risque, du crédit-bail ou d'un dispositif régional de garantie, qui ont pour objet d'optimiser les dispositifs nationaux et locaux existants afin de renforcer une offre bancaire insuffisante.

Abordant ensuite les mesures relatives à l'enseignement de la langue corse, qui devront respecter la diversité culturelle sans menacer l'école de la République et l'avenir du français, le ministre a précisé qu'il ne s'agissait pas d'instaurer un apprentissage obligatoire et contraint du Corse, mais de généraliser l'offre d'enseignement dans le premier degré, l'apprentissage du Corse étant déjà chose courante, puisque près de 80 % des enfants inscrits dans le premier degré peuvent bénéficier d'une initiation d'une à trois heures par semaine, dans le cadre de l'horaire normal. Il a précisé que la généralisation de l'offre s'accompagnerait d'un développement de la formation initiale et continue en langue corse des enseignants du premier degré, avec l'organisation de deux concours, dont l'un comporterait des épreuves en langue corse.

Enfin, il a présenté le programme exceptionnel d'investissements prévu pour combler le retard de la Corse en matière de grands équipements collectifs structurants, dont les principes et les modalités seront fixés par le projet de loi, en soulignant que l'Etat devrait pouvoir s'assurer de la qualité des projets qui seront financés, et de l'utilisation rigoureuse des fonds publics.

En conclusion, estimant que le projet du Gouvernement permettrait d'enraciner durablement la Corse dans la République, dans l'intérêt de la France mais aussi de la Corse et des Corses, le ministre a précisé que l'assemblée de Corse serait saisie d'un projet de loi avant la fin novembre afin de permettre son dépôt devant le Parlement au cours du premier semestre 2001.

M. Bernard Roman, président, a souligné que l'audition du ministre de l'intérieur était la première occasion pour le Parlement d'entendre une présentation détaillée du plan du Gouvernement pour la Corse.

Plusieurs commissaires sont ensuite intervenus.

M. Robert Pandraud a remercié le ministre d'avoir présenté à la Commission les propositions élaborées par le Gouvernement en juillet dernier qui, jusqu'à ce jour, n'avaient été portées à la connaissance du public que par la presse et développées de manière plus ou moins tronquées. Estimant que les malentendus et les contresens tenaient pour une large part à l'absence de communication, orale ou écrite, avec les parlementaires, il a considéré que le Premier ministre aurait pu consulter les présidents de groupe après la délibération de l'assemblée de Corse. Convenant que le problème corse était délicat et que le Gouvernement s'attachait à le régler, il a estimé qu'un accord devait pouvoir être trouvé si la nécessaire intégrité de la République était maintenue. Il a souligné que les gouvernements successifs avaient essayé, envers et contre tout, de maintenir l'ordre républicain dans les actions de prévention comme de répression. Il a considéré qu'une unanimité devrait se dégager sur le volet économique et financier, à condition que le plan du Gouvernement soit effectivement réalisé et suivi d'effets bénéfiques. Tout en soulignant que la suppression des deux départements corses était une démarche inverse de celle retenue sous le septennat de M. Valéry Giscard d'Estaing, il s'est déclaré favorable à cette proposition, au demeurant source d'économies, comme l'est toute suppression de collectivité locale. Toutefois, il s'est interrogé sur les modalités d'élection de la nouvelle assemblée corse et sur le moyen d'assurer un juste équilibre entre les populations et le sol, sans surreprésentation des villes. A propos de l'adaptation des textes aux spécificités corses, tout en qualifiant la procédure « d'usine à gaz », il a déclaré ne pas être hostile au principe, après avoir rappelé qu'il réclamait depuis de longues années, de concert avec M. Pierre Mazeaud alors président de la commission des Lois, une stricte application des articles 34 et 37 de la Constitution relatifs aux domaines respectifs de la loi et du règlement. Dès lors que seul le pouvoir réglementaire serait délégué, il a jugé que son exercice à Ajaccio plutôt que dans les bureaux parisiens ne soulèverait pas de problèmes. En revanche, évoquant l'école de la IIIème République, il s'est déclaré opposé à l'apprentissage des dialectes locaux, estimant qu'il fallait les laisser à l'Histoire et aux cartes postales, et jugeant préférable d'apprendre aux enfants une véritable langue vivante. En outre, il a estimé que la contrainte de la langue corse aurait nécessairement pour conséquence une « corsisation » des emplois, tentation existant déjà à travers des man_uvres plus ou moins directes. Se déclarant toutefois prêt à accepter, éventuellement, l'apprentissage facultatif du corse, il a insisté pour que les enseignants ne soient pas obligés de faire leurs cours dans cette langue.

M. Bruno Le Roux a estimé qu'il était de bonne méthode d'évoquer, dès l'ouverture de la session, la question corse, cette démarche venant compléter les actions conduites, dès cet été, par le Gouvernement et s'inscrivant dans un processus de longue haleine. Il a souhaité qu'un travail constructif s'engage à partir des données précises fournies aujourd'hui à la Commission et a considéré qu'il ne fallait ni accepter l'impuissance de l'Etat ou sa prétendue incapacité à mettre fin à la violence, ni se résigner sous l'effet de la lassitude, mais _uvrer pour le développement et la paix dans une région française ancrée dans la République. Il a estimé que le plan du Gouvernement ne pouvait être porté que par un Etat fort et s'inscrivait dans un processus courageux et un contexte sain, les négociations ayant eu lieu dans la transparence, sans confusion ni concession inacceptable, et sous le contrôle démocratique des élus. Soulignant que toutes les sensibilités avaient été associées à l'élaboration de ce plan, sans que quiconque ne soit l'otage d'un processus de violence, il a souhaité rendre hommage à l'action du préfet Erignac, qui a payé de sa vie la mise en place d'un processus de retour à un Etat fort sur l'île. Il a jugé indispensable d'accompagner ce processus dans le temps, en dégageant des moyens de nature à assurer le développement économique de la Corse et de son identité. Tout en convenant qu'un enseignement optionnel du corse accompagné du dégagement des moyens nécessaires pour répondre à toutes les demandes aurait peut-être été mieux compris, il a déclaré ne pas être choqué par les mesures linguistiques prévues dans le plan du Gouvernement. Après avoir salué le sens des responsabilités dont avait fait preuve l'ensemble des élus corses pour accompagner les propositions du Gouvernement, il a souhaité que les semaines à venir soient mises à profit pour débattre des améliorations à apporter au plan gouvernemental et pour approfondir le dialogue avec les élus corses.

Intervenant en application de l'article 38 du Règlement, M. Roland Francisci a tout d'abord remercié le ministre d'avoir évoqué le lourd sacrifice consenti par les Corses durant la seconde guerre mondiale. Puis, abordant la question de l'enseignement de la langue corse, il a considéré que, en le rendant obligatoire pendant les horaires réglementaires de scolarisation, le projet du Gouvernement ne prenait pas en compte la situation des parents qui, souhaitant en dispenser leurs enfants, n'oseraient cependant pas procéder à une telle démarche de crainte de subir certaines intimidations. Aussi, a-t-il invité le Gouvernement à inverser la logique de son projet en rendant facultatif l'enseignement de la langue corse, afin que seuls ceux qui le souhaitent réellement puissent en bénéficier. Se déclarant en accord avec la position exprimée par son collègue M. Robert Pandraud, il a indiqué qu'il n'avait pas d'opposition de principe au projet du Gouvernement, notamment sur ses dispositions économiques et fiscales. Il a ensuite rappelé, qu'à l'occasion de son déplacement en Corse le 6 septembre 1999, le Premier ministre avait déclaré, à la grande satisfaction de la majorité des Corses, que le problème de l'île ne provenait pas de son statut institutionnel mais de la violence qui s'y exerçait. C'est pourquoi, il a regretté que, à la suite des attentats commis en Corse au mois de novembre 1999, le Premier ministre soit revenu sur le préalable qu'il avait lui même fixé de la renonciation à la violence par les mouvements nationalistes avant tout processus de dialogue sur l'avenir de l'île. A cet égard, il a remarqué que les indépendantistes n'avaient, à ce jour, toujours pas renoncé officiellement à la violence.

Présentant ensuite la chronologie du processus ayant abouti aux « accords de Matignon », il a souligné que la majorité des élus de la Corse avaient été tenus à l'écart de ces discussions, puisque seuls les élus de l'assemblée territoriale de Corse avaient pu y participer. Faisant état de la décision 290 DC du Conseil constitutionnel du 9 mai 1991, qui qualifie l'assemblée de Corse « d'organisation spécifique à caractère administratif », il a estimé que le vote du 28 juillet dernier, approuvant le texte présenté par le Gouvernement, devait être considéré comme nul et non avenu. Observant qu'aucune des listes aujourd'hui représentée à l'assemblée territoriale de Corse n'avait fait des questions institutionnelles un élément essentiel de leurs programmes lors des élections, M. Roland Francisci a jugé contestable que ce soient précisément leurs élus qui en discutent avec le Gouvernement. Aussi a-t-il demandé au ministre de l'intérieur de procéder à la dissolution de l'assemblée territoriale afin de redonner la parole au peuple corse. Évoquant les récents résultats de l'élection municipale d'Ajaccio, il a considéré que la majorité des électeurs s'étaient clairement exprimés, à cette occasion, contre les « accords de Matignon », et notamment leur volet institutionnel.

Revenant ensuite au contenu du document présenté par le Gouvernement le 20 juillet dernier, et constatant qu'il différait notablement du projet initial, il a regretté que le document final ait été rédigé en prenant en considération les souhaits des mouvements nationalistes. Il a souligné que la première version du plan du Gouvernement prévoyait la fusion des deux départements corses en un seul, et non pas la création d'une collectivité territoriale unique, et qu'elle limitait la dévolution d'un pouvoir d'adaptation au seul domaine réglementaire, en le subordonnant au contrôle a posteriori du Parlement. S'interrogeant sur le caractère réglementaire ou législatif des mesures d'adaptation susceptibles d'être prises par la future assemblée territoriale, il a précisé qu'en tout état de cause les Corses demeuraient hostiles au transfert d'un pouvoir d'adaptation dans les domaines de la loi. Concluant son propos, il a déclaré qu'il ne serait pas hostile à une réforme dès lors qu'elle s'inscrirait dans le cadre de la République et qu'elle serait conforme à la volonté de la majorité des Corses.

Approuvant également l'hommage rendu par le ministre au comportement des Corses pendant la dernière guerre mondiale, M. Louis Mermaz s'est réjoui du caractère évolutif des propositions gouvernementales, qui devraient laisser au Parlement une grande latitude afin, le cas échéant, d'amender le texte du futur projet de loi. Evoquant d'abord Maximilien Robespierre qui saluait le peuple corse et ses efforts pour se libérer, puis les déclarations d'un ancien Premier ministre invitant les Corses à prendre leur indépendance s'ils la souhaitaient, mais également la pétition organisée à l'initiative de Georges Clemenceau en faveur de la séparation de la Corse et de la République, il a souligné que la question des liens entre la Corse et la France n'était pas nouvelle et insisté sur le devoir des élus de se préoccuper plutôt de l'avenir de cette île. Il s'est, ensuite, félicité du peu de suffrages que les listes conduites par les mouvements nationalistes avaient remporté lors de la récente élection municipale d'Ajaccio. Rappelant que la République consentait, aux cotés de l'Union européenne, d'importants efforts financiers en faveur de la Corse, il a considéré que l'utilisation de ces fonds pouvait sembler parfois discutable et mériterait, à tout le moins, une clarification. Puis, abordant le contenu du futur projet de loi du Gouvernement, il a estimé que, si la prise en considération de la spécificité insulaire était acceptable, elle ne devait, cependant, pas permettre, au travers de mesures fiscales dérogatoires, le triomphe de l'affairisme.

M. José Rossi a contesté l'analyse faite par certains des résultats du récent scrutin municipal d'Ajaccio. Tout en admettant que l'accord conclu sur la Corse avait peut-être été mal expliqué par ceux qui avaient contribué à son élaboration, il a insisté sur l'influence de l'intervention, par voie de presse, du précédent ministre de l'intérieur dans la campagne municipale, 48 heures seulement avant le scrutin, précisant qu'il avait, sur ce fondement, déposé un recours tendant à l'annulation du scrutin devant le juge administratif. Par ailleurs, il a observé que les deux listes opposées à « l'accord de Matignon » n'avaient obtenu que 34 % des suffrages. Après avoir exprimé sa totale approbation de la présentation faite par le ministre de la réalité politique et économique corse, il a considéré que l'actuelle assemblée territoriale était parfaitement représentative de l'opinion politique insulaire. Rappelant qu'aux termes de l'article 27 de la Constitution, tout mandat impératif est nul, il s'est félicité que ses élus exprimant une volonté commune de réforme aient pris, en conscience, leurs responsabilités. Il a jugé que la dissolution de l'assemblée territoriale ne serait pas légalement justifiée, dès lors que son fonctionnement n'était pas compromis. Constatant que l'anarchie la plus complète avait régné en Corse pendant les trente dernières années, M. José Rossi a estimé que le rétablissement durable de la paix civile ne pouvait résulter du seul renforcement des moyens d'ordre public dont disposent la police et la gendarmerie. Il a ajouté que l'unique solution résidait dans l'instauration d'un dialogue entre les pouvoirs publics d'une part, et toutes les tendances politiques d'autre part, qui débouche sur une dynamique de réforme. Jugeant qu'il n'existait pas d'alternative à la démarche conduite par le Gouvernement, il a estimé que les responsables politiques qui refuseraient d'y souscrire, porteraient une lourde responsabilité historique en cas d'échec du processus engagé.

S'agissant du contenu même de l'accord, il a approuvé la présentation qu'en avait fait le ministre, tout en soulignant qu'il ne lui paraissait pas souhaitable de dissocier la discussion du volet économique et fiscal de celle des questions institutionnelles. Rappelant que le document présenté le 20 juillet dernier était l'aboutissement du dialogue entre le Gouvernement et les élus corses, il a souhaité que le Parlement n'en altère pas l'esprit lors de la discussion du futur projet de loi. Dans cette perspective, il a jugé que tous les groupes parlementaires devraient débattre sereinement du plan pour la Corse et présenter leurs positions au Gouvernement avant le dépôt du projet de loi. Constatant que le processus engagé s'inscrivait dans une démarche de long terme qui devait aboutir à une révision constitutionnelle, il a considéré que, si le cas de la Corse pouvait offrir l'occasion de mener une réflexion d'ensemble sur la décentralisation, il ne saurait, cependant, constituer un modèle susceptible d'être suivi de manière uniforme. Il a observé que, dans tous les pays de l'Union européenne, les îles bénéficiaient d'un statut juridique spécifique. Puis, il a exprimé sa satisfaction qu'aucun des membres de l'assemblée territoriale corse s'étant prononcé en faveur de l'accord du 20 juillet ne se soit ultérieurement rétracté. Rappelant l'image forte qu'avait constituée l'unité affichée par le Président de la République et le Premier ministre lors des obsèques du Préfet Claude Erignac, il a conclu son intervention en soulignant que, pour défendre la République, il importait que les républicains surmontent leurs divergences secondaires pour s'unir sur l'essentiel.

M. Jacques Brunhes a souligné combien la commission des Lois attendait cette audition du ministre de l'intérieur, afin d'être mieux informée du contenu exact des « accords de Matignon » et de l'évolution du dossier corse. Il a souhaité que le ministre lui confirme que le Gouvernement n'avait fait qu'émettre des propositions, auxquelles des améliorations pourraient être apportées au cours du débat parlementaire. Il l'a également interrogé quant à l'intention du Gouvernement de consulter, à terme, les Corses eux-mêmes, afin qu'ils puissent donner leur avis sur le contenu de ces accords. Abordant, précisément, le fond des propositions du Gouvernement, il s'est déclaré réservé, à titre personnel, à l'égard du caractère obligatoire de l'apprentissage de la langue corse. En toute hypothèse, il a reproché au Gouvernement de faire parfois référence à la charte des langues régionales pour justifier ses choix. Rappelant que la France ne s'était pas engagée sur tous les articles de la charte, il a observé que son contenu allait bien au-delà de l'apprentissage des langues régionales, puisqu'il est également question de leur usage dans l'administration et la Justice. Il a considéré que cette perspective était inacceptable dans notre pays et a recommandé davantage de clarté en ce qui concerne la portée de la réforme voulue par le Gouvernement.

M. Pascal Clément a précisé qu'il n'entendait pas reprocher au Gouvernement d'avoir voulu entamer un dialogue avec les représentants élus de la Corse. Il a estimé, au contraire, que cette méthode était inhérente à la démocratie. Il s'est indigné, en revanche, que des personnes de mauvaise foi, qui jugent infamant d'être Français et rejettent les emblèmes de notre pays, à l'image de la Marseillaise, aient été conviées à ce dialogue. Il a également contesté le choix de l'assemblée de Corse comme interlocuteur du Gouvernement, en lieu et place des deux conseils généraux de ce territoire. Il a fait valoir, en effet, que le scrutin proportionnel intégral, sur la base duquel les membres de cette assemblée sont élus, avait entraîné une sur-représentation des indépendantistes, qui porte atteinte au crédit de ses décisions. Il a jugé que la conjonction de ces deux phénomènes ébranlait la légitimité même du processus entamé par le Gouvernement. Abordant le contenu de ses propositions, il s'est demandé si la suppression des deux départements qui constituent actuellement la région Corse ne préfigurait pas une nouvelle évolution institutionnelle, que certains pourraient être tentés d'étendre à la France dans son ensemble. S'agissant du pouvoir d'adaptation des normes qui serait conféré à la nouvelle assemblée, il a observé que la dévolution d'une telle compétence risquait de susciter des demandes reconventionnelles de la part de l'ensemble des régions françaises. A cet égard, il a souhaité que le ministre indique de façon précise quels seraient les domaines dans lesquels les élus de l'assemblée de Corse disposeraient d'un pouvoir d'adaptation des normes. Il s'est demandé, en particulier, si la protection du littoral et des zones montagneuses ne risquerait pas de souffrir d'un éventuel transfert de compétences nouvelles en matière de construction. S'agissant de l'enseignement de la langue corse, il a rappelé que l'usage obligatoire du français était une des conquêtes majeures de la République et a estimé que l'apprentissage d'une langue régionale ne pouvait être que facultatif. Il a considéré, en conclusion, que le problème de la Corse ne serait pas réglé de façon isolée, et qu'il serait de meilleure méthode de l'aborder dans le cadre plus global d'une avancée nouvelle en matière de décentralisation, dont notre pays a besoin pour prendre davantage en considération les spécificités locales.

Regrettant que le Gouvernement n'ait pas toujours adopté une démarche transparente dans la gestion de la question corse, M. Jean-Antoine Léonetti a constaté que la présentation qu'il avait faite, dans un premier temps, de son plan pour la Corse avaient réveillé dans les partis et l'opinion publique un réflexe jacobin, qu'il a jugé salutaire. Après avoir rappelé que l'adoption des réformes envisagées pour la Corse relevait, en tout état de cause, de la compétence du Parlement, il a précisé que le groupe UDF était, d'une manière générale, favorable au mouvement de décentralisation, dans le cadre d'une République indivisible sans, pour autant, être uniforme. Exprimant le souhait que l'attitude du Premier ministre n'accrédite plus l'idée d'un dialogue direct avec les représentants nationalistes, il a considéré que le Gouvernement devait clarifier, au plus vite, la nature du processus engagé, en indiquant si le statut envisagé était une fin en soi ou une étape vers l'indépendance de l'île, s'il relevait d'une logique de décentralisation spécifique ou s'il s'agissait d'un processus de paix impliquant inévitablement une amnistie, à laquelle son groupe ne saurait souscrire. Il a également jugé nécessaire que soit précisé pendant combien de temps la persistance de la violence dans l'île pourrait être tolérée sans que soit mis un terme au processus engagé. Rappelant que les nationalistes réclamaient l'indépendance de l'île et une amnistie générale, M. Jean-Antoine Léonetti s'est inquiété, si ces attentes étaient déçues, du risque d'une recrudescence de la violence, exprimant la crainte que les indépendantistes ne soient pas en mesure de contrôler les éléments terroristes, qu'il conviendrait, en fait, de réprimer.

Intervenant en application de l'article 38 du Règlement, M. Michel Vaxès a souligné les malentendus et les manipulations que risquaient de susciter le plan du Gouvernement pour la Corse, aussi longtemps que le projet de loi ne serait pas connu. Tout en reconnaissant les difficultés constitutionnelles que soulèverait une consultation des Corses sur l'avenir de l'île et sans vouloir minimiser le rôle que doivent jouer les représentants des pouvoirs publics locaux, il a insisté sur la nécessité d'associer étroitement la population corse aux débats sur les réformes envisagées.

Soulignant que la situation locale extrêmement complexe l'avait personnellement incité à garder jusqu'à présent une certaine réserve, M. Claude Goasguen a regretté l'attitude de l'ancien ministre de l'intérieur, jugeant qu'elle n'avait pas contribué à apaiser le débat ni à clarifier la situation. Tout en exprimant sa satisfaction de la démarche de transparence engagée par le gouvernement jusqu'à maintenant, il a regretté les nombreuses évolutions ou nuances apparues, depuis l'accord du 20 juillet, dans le discours du Premier ministre. Observant que le texte adopté à la suite des rencontres de Matignon se limitait à une déclaration d'intention sans portée juridique, il a estimé que de nombreux points devraient être éclaircis d'ici l'examen du projet de loi par le Parlement, et notamment la question des pouvoirs législatifs susceptibles d'être concédés à l'assemblée territoriale de Corse ; tout en notant qu'il était symptomatique que l'expression de « délégation législative » ait quasiment disparu du débat, il a exprimé la crainte que le dialogue espéré entre le Parlement et l'assemblée territoriale ne tourne finalement à un véritable face-à-face qui, à terme, exacerberait les revendications de l'assemblée territoriale. Exprimant sa préférence pour un dispositif qui se limiterait à une dévolution du pouvoir réglementaire, il a fait valoir que la proposition faite en l'état semblait difficilement acceptable.

Il a ajouté que la résolution du problème corse exigeait également que l'accent soit porté sur la question du respect de l'ordre public. Il a constaté, à cet égard, que les nombreux discours du Gouvernement sur le sujet ne se traduisaient pas, dans les faits, par des résultats tangibles. Il a ainsi regretté qu'aucune réaction officielle n'ait suivi la parution d'un article de presse publié cet été, évoquant le lieu, qui serait connu de tous les Corses, où se cache l'assassin du préfet Erignac. Il a estimé que cette absence de réaction était révélatrice du climat délétère régnant sur l'île, qui contribue à faire accroire aux Français que le respect de l'ordre public ne peut être qu'illusoire en Corse. Affirmant la primauté de cette question d'ordre public, préalable indispensable à la pacification du climat politique corse, il a plaidé pour une recrudescence des moyens accordés à la police pour poursuivre ses investigations.

Exprimant sa satisfaction que l'audition du ministre de l'intérieur intervienne rapidement dans un processus destiné à s'inscrire dans la durée, M. André Vallini a estimé que la levée de la condition préalable de l'arrêt des violences était une solution pragmatique qui avait enfin permis d'engager des négociations avec les élus corses. Rappelant les éléments actuels du débat sur la décentralisation, et notamment sur la multiplication des échelons qui caractérise le système administratif français, il a observé que les propositions faites pour la Corse s'inscrivaient dans une démarche innovante de simplification, avec la création d'une assemblée unique. Abordant la question des pouvoirs délégués à cette institution, il a, en premier lieu, rappelé que ces nouvelles compétences restaient en deça de ce qui existe déjà pour les régions ultra-périphériques d'Espagne ou d'Italie. Déplorant le dévoiement actuel de l'article 34 de la Constitution, qui se traduit par l'adoption de lois toujours plus nombreuses et plus détaillées, il s'est déclaré favorable au processus original engagé pour la Corse, jugeant que la question de son extension à d'autres régions mériterait d'être posée. Rappelant en conclusion que, si la République était une et indivisible, elle ne devait pas pour autant être uniforme, il a émis le souhait que le processus engagé conduise à une réflexion permettant de recentrer le pouvoir législatif sur la norme générale et impersonnelle, qui laisserait un pouvoir d'appréciation tenant compte des particularités régionales.

En réponse aux différents intervenants, le ministre a apporté les précisions suivantes :

-  Malgré les critiques exprimées à l'encontre du processus de Matignon et des propositions concrètes figurant dans le relevé de décision soumis par le Gouvernement à l'assemblée de Corse, aucune solution alternative crédible n'a été, à ce jour, avancée pour régler les problèmes que rencontre l'île.

-  La suppression des deux départements insulaires et le transfert de leurs compétences à une collectivité territoriale unique ne figurera pas dans le projet de loi qui sera examiné par le Parlement à compter du premier semestre 2001 ; cette disposition relève en effet de l'étape suivante du processus, qui nécessite une révision de la Constitution. Celle-ci devrait avoir lieu, selon les termes de l'accord, à compter de 2004. Une telle réforme nécessite bien évidemment l'assentiment du Président de la République. En conséquence, le mode de scrutin applicable à la future assemblée territoriale de l'île n'a pas encore été déterminé et il reviendra au législateur de le définir en temps utile. En tout état de cause, le mode de scrutin inspiré de celui en vigueur pour les communes de plus de 3 500 habitants semble le plus adapté, car il permet à la fois de dégager des majorités stables et d'assurer la représentation des minorités.

-  S'agissant de la langue corse, elle n'est pas assimilable à un dialecte, car elle a été reconnue par le législateur et figure dans les programmes officiels de l'éducation nationale. La loi du 13 mai 1995 portant statut de la Corse a ainsi, d'ores et déjà, confié à la collectivité territoriale insulaire une compétence relative à la définition d'un plan de développement de la langue corse. L'Etat a, pour sa part, accompli un effort important en faveur de l'enseignement de la langue corse, puisque 80 % des établissements insulaires proposent actuellement un enseignement optionnel dans cette matière et que l'île compte deux collèges bilingues. Sur ce point, le relevé de décision résultant du processus de Matignon prévoit de généraliser l'offre d'enseignement de la langue corse, afin de permettre à tous les élèves de suivre un tel enseignement, sauf opposition expresse de leurs parents. L'enseignement des autres matières sera intégralement dispensé en français et aucune restriction ne sera apportée aux demandes d'affectation des enseignants continentaux sur l'île.

-  La langue corse ne sera néanmoins pas considérée comme une langue coofficielle, et les actes administratifs ou judiciaires demeureront rédigés en français. A cet égard, les articles de la charte européenne des langues régionales ratifiés par la France n'imposent pas aux pouvoirs publics d'octroyer le statut de coofficialité à des langues autres que le français. Il convient d'ailleurs de rappeler que cette charte avait été négociée par le gouvernement précédent.

-  La volonté de concertation et de transparence du Gouvernement sur le dossier corse est réelle et il souhaite associer le plus largement possible le Parlement à son élaboration, celui-ci ayant, en tout état de cause, le dernier mot en la matière. Une réunion des différents présidents de groupe de l'Assemblée nationale et du Sénat avec le ministre de l'intérieur en amont de la discussion du projet de loi serait d'ailleurs tout à fait bienvenue s'agissant d'une question aussi importante.

-  Le Gouvernement n'a pas compétence pour dissoudre l'assemblée de Corse sans motif valable, dans le seul but de provoquer des élections avant l'expiration normale de ses pouvoirs. L'assemblée fonctionnant actuellement sans blocage, sa dissolution serait illégale.

-  En matière d'ordre public dans l'île, le Gouvernement a donné des consignes strictes aux services de l'Etat compétents pour assurer la prévention et la répression des crimes et délits. Il n'entend céder à aucune intimidation et souhaite intensifier la lutte contre l'affairisme. Des résultats sensibles ont, d'ores et déjà, été enregistrés : le taux d'élucidation moyen a augmenté de 10 % depuis le début de l'année ; cinq homicides sur les sept perpétrés au cours de cette période ont été résolus ; les auteurs présumés des attentats récents contre les bâtiments de l'URSSAF et de la DDE ont été arrêtés et ont reconnu leur participation à ces actes.

-  Les critiques relatives à l'absence de légitimité de l'assemblée de Corse pour statuer sur les propositions résultant des discussions qui se sont déroulées à Matignon ne sont pas recevables. Cette assemblée est en effet élue au suffrage universel et le législateur lui a reconnu en 1991 une compétence générale pour proposer des modifications des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration, dès lors qu'elles concernent les institutions de l'île ou son développement économique et social. Il convient d'ailleurs de rappeler que sur les 51 élus de l'assemblée, 44 ont approuvé les propositions du Gouvernement, 5 se sont abstenus et 2 ont voté contre.

-  L'organisation d'une consultation de la population à l'échelon local n'a pas été exclue a priori par le Gouvernement, mais elle pose un problème de constitutionnalité, puisqu'elle n'est actuellement admise qu'au niveau communal et dans les collectivités territoriales d'outre-mer. Une modification de la Constitution permettant l'organisation d'une telle consultation est envisageable à l'occasion de la révision prévue pour 2004 dans le but d'instituer une collectivité unique dans l'île. En tout état de cause, il reviendra au Président de la République de décider si une telle révision doit être approuvée par le Congrès ou par référendum.

-  L'extension des compétences de l'assemblée de Corse, telle qu'elle a été envisagée dans le relevé de décision du Gouvernement, ne constitue pas un dessaisissement des compétences du législateur. Celui-ci devra en effet autoriser les transferts de compétence, et les actes pris par l'assemblée de Corse dans ce cadre pourront être contestés devant la juridiction administrative, à l'instar de tous les actes réglementaires. La loi aura donc une valeur supérieure aux actes pris par la collectivité territoriale de Corse dans le cadre de l'élargissement temporaire de ses compétences.

-  Le Gouvernement ne souhaite pas faire de la Corse un laboratoire de la décentralisation. Les solutions mises en _uvre pour cette région visent à répondre à une situation spécifique et elles ne sont pas transposables aux autres régions françaises, quelles qu'elles soient. C'est la nécessité de résoudre rapidement les problèmes auxquels est confrontée la Corse, qui justifie la mise en place d'une démarche propre à cette seule région. Une telle démarche ne préjuge en rien des propositions qui seront faites ultérieurement pour approfondir la décentralisation sur le reste du territoire national. Il est toutefois indispensable de sortir de l'impasse actuelle en reconnaissant la spécificité de la Corse dans le cadre de la République une et indivisible.

Après avoir remercié le Ministre pour la précision des réponses apportées au cours de la discussion, M. Bernard Roman, président, a souligné les incidences sur la paix civile en Corse que pourrait avoir la teneur du débat qui se déroulera au sein de la représentation nationale au sujet du projet gouvernemental. Il a jugé que le climat de violence qui existe aujourd'hui dans l'île ne devait pas prendre le pas sur l'engagement républicain de chacun, insistant sur la nécessité de ne pas faire le jeu des indépendantistes.

--____--


© Assemblée nationale