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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES, de la LÉGISLATION
et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 12

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 29 novembre 2000
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Bernard Roman, président,

puis de Mme Nicole Feidt, vice-présidente

SOMMAIRE

 

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- Propositions de loi de MM. Bernard Accoyer, Jean-Louis Debré et Patrick Delnatte relative à la conduite automobile sous l'emprise de stupéfiants (n° 2148) et de M. Jean-Pierre Foucher et plusieurs de ses collègues visant à réprimer la conduite automobile sous l'empire de produits stupéfiants (n° 367) (rapport)

- Projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en _uvre certaines dispositions du droit communautaire (n° 2691) (rapport)




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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Patrick Delnatte, les propositions de loi de MM. Bernard Accoyer, Jean-Louis Debré et Patrick Delnatte relative à la conduite automobile sous l'emprise de stupéfiants (n° 2148) et de M. Jean-Pierre Foucher et plusieurs de ses collègues visant à réprimer la conduite automobile sous l'empire de produits stupéfiants (n° 367).

M. Patrick Delnatte, rapporteur, a, tout d'abord, rappelé que, au cours de l'année 1999, plus de 8 000 personnes avaient été tuées dans un accident de la route en France et a ajouté que la drogue était présente dans 10 à 15 % de ces accidents mortels. Tout en reconnaissant que sanctionner la conduite sous l'empire de drogues est indéniablement complexe, notamment parce que ces substances peuvent être associées à l'alcool ou se renouvellent rapidement, il a souligné que, depuis l'adoption de la loi du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseaux de transports publics de voyageurs, à l'occasion de laquelle cette question avait été abordée pour la dernière fois par le Parlement, les connaissances scientifiques avaient progressé. Après avoir évoquées les différentes propositions de loi successivement déposées sur la conduite sous l'empire de stupéfiants, il a rappelé que la loi du 18 juin 1999 précitée s'était contenté de poser, dans l'article L. 3-1 du code de la route, le principe d'un dépistage systématique des substances stupéfiantes chez les conducteurs impliqués dans un accident mortel, l'objectif étant de réaliser, sur cette base, une étude épidémiologique afin d'améliorer l'état des connaissances sur les drogues et la conduite. Il a précisé que le décret d'application relatif à cette disposition ne serait sans doute pas publié avant le début de l'année 2001.

Puis, rappelant que l'article L. 628 du code de la santé publique permettait de sanctionner une personne ayant fait un usage illicite d'une substance ou plante classée comme stupéfiant, il a observé que des poursuites pouvaient être engagées contre des personnes conduisant sous l'emprise de drogues sur le fondement du délit de mise en danger de la vie d'autrui, l'application par les tribunaux de cette incrimination restant, cependant, exceptionnelle. Il a, ensuite, indiqué que, si certains parquets, notamment à Nanterre, procédaient, d'ores et déjà, au dépistage des stupéfiants chez les conducteurs impliqués dans un accident grave, aucune information n'était disponible sur les suites judiciaires données en cas de dépistage positif. Faisant observer que les officiers ou agents de police administrative ou judiciaire ne disposaient d'aucun moyen d'action lorsqu'ils se trouvaient confrontés à des conducteurs dont le comportement faisait apparaître un état d'ivresse, sans que les tests n'établissent l'existence d'un état alcoolique, il a jugé insuffisants les moyens existant aujourd'hui pour lutter contre l'insécurité routière résultant de la conduite sous l'empire de stupéfiants.

Après avoir constaté que de nombreux pays avaient déjà adopté des dispositions relatives à la conduite sous l'empire de stupéfiants, il a évoqué les différentes initiatives communautaires qui, depuis l'adoption de la directive du 29 juillet 1991 relative au permis de conduire, jusqu'à une étude réalisée dans huit pays et portant sur 2 968 personnes, ont été prises en la matière et estimé que ces expériences venaient souligner la nécessité de renforcer la législation française sur la conduite automobile sous l'empire de stupéfiants

Présentant la proposition de loi, le rapporteur a indiqué qu'elle tendait, d'abord, à modifier l'article L. 3-1 du code de la route afin d'étendre les mesures de dépistage systématique qu'il comporte aux accidents ayant causé des dommages corporels et d'améliorer la qualité de l'étude épidémiologique, en prenant notamment en compte les conducteurs qui ont été impliqués dans des accidents dont les victimes décèdent peu de temps après. Il a ajouté qu'elle avait également pour objet de punir de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 30 000 francs toute personne qui aurait conduit après avoir fait usage de manière illicite de plantes ou substances classées comme stupéfiants, les peines prévues étant portées au double si le conducteur est à l'origine d'un homicide ou de blessures involontaires. Précisant que ce délit, contrairement à ce que prévoyait la proposition de loi déposée par M. Jean-Pierre Foucher, ne visait pas la consommation de médicaments, le rapporteur a estimé nécessaire de poursuivre encore la réflexion sur ce point. Il a, par ailleurs, souligné que la proposition ne prévoyait pas de seuil en dessous duquel la présence de stupéfiants pourrait ne pas être sanctionnée, pour ne pas contrevenir à l'interdiction générale de consommation de stupéfiants et risquer de rouvrir le débat sur la dépénalisation de l'usage de certaines drogues. S'agissant des peines prévues, il a jugé légitime que la répression de la conduite sous l'empire de stupéfiants soit plus sévère que le simple usage de ces substances, dès lors que le consommateur qui prend le volant ne met pas seulement en danger sa personne, mais également la vie d'autrui.

Soulignant que, par le passé, l'argument de la non-fiabilité des tests de dépistage avait été avancé pour refuser de légiférer sur la drogue au volant, il a indiqué que la marge d'erreur de ces tests ne semblait pas aujourd'hui plus grande que celle de l'alcootest. Reconnaissant que le dépistage à partir de la sueur ou de la salive ne pouvait actuellement être valablement réalisé sur le bord de la route, il a précisé que l'étude épidémiologique se ferait à partir de tests urinaires. Il a, en outre, fait état de l'intérêt que suscitent les tests comportementaux, qui permettraient de ne pas sanctionner des conducteurs ayant consommé un produit, encore présent dans les tissus, mais n'ayant plus d'effet sur leur aptitude à conduire. Observant que les tests devaient être réalisés en milieu médical, il a considéré que c'était moins leur fiabilité que leur commodité d'usage par les forces de l'ordre qui soulevait aujourd'hui un problème. Il s'est, cependant, déclaré persuadé que des progrès scientifiques pourraient rapidement être accomplis, afin de mettre à disposition des tests plus pratiques. Quant aux coûts occasionnés par le dépistage des substances stupéfiantes, il a considéré qu'il pourrait être rapidement réduit.

Après avoir rappelé que le principe d'une répression de l'alcool au volant avait été établi, avant que ne soient précisés les moyens et les conditions de son dépistage, le rapporteur a souligné que l'unanimité s'était faite autour de l'objectif de lutte contre l'insécurité routière résultant de la conduite sous l'empire de stupéfiants. Il a donc jugé nécessaire que le législateur affiche désormais sa volonté de sanctionner la conduite sous l'empire de stupéfiants, tout en considérant que les dispositions adoptées pourraient être modifiées au cours de la navette, pour tenir compte des premiers résultats de l'étude épidémiologique réalisée à partir des analyses faites sur la base de l'article L. 3-1 du code de la route.

Reconnaissant que la proposition de loi rapportée par M. Patrick Delnatte soulevait de vraies questions, M. Jacques Floch a rappelé que l'intérêt de la représentation nationale pour ce problème n'était pas nouveau puisqu'un grand débat parlementaire sur la consommation de stupéfiants avait déjà été demandé sous les précédentes législatures. Il a ajouté qu'il conviendrait, dans le cadre d'un tel débat, de réfléchir également aux effets de la prise de médicaments, de psychotropes ou de tous produits qui dénaturent les capacités physiques et intellectuelles. Considérant que les débats actuels sur la consommation de stupéfiants rejoignaient ceux menés, il y a cinquante ans, sur la consommation d'alcool, il a rappelé qu'à l'époque, il était apparu impossible d'interdire l'alcool et donc préférable de faire appel à la raison et au civisme. Evoquant les situations douloureuses dans lesquelles il s'était trouvé lorsqu'il avait dû, en sa qualité d'élu local, avertir les familles du décès de proches dans des accidents de la route causés par l'alcool, il a constaté avec amertume les échecs de cette politique.

S'agissant de la question des stupéfiants, il a estimé que le problème était plus complexe encore ; observant qu'il était rare que les tribunaux prononcent des condamnations du seul chef d'usage de stupéfiants, il a relevé que la majorité des procureurs se contentaient d'une admonestation ou d'une demande de suivi de soins.

Considérant comme le rapporteur qu'au-delà des mesures d'affichage, il convenait désormais de conduire une véritable politique pour que les 5 millions de consommateurs de stupéfiants estimés réalisent qu'ils nuisent non seulement à eux-mêmes, mais également aux autres, il a néanmoins douté de la pertinence du dispositif proposé, fondé uniquement sur la sanction. Il a préconisé plutôt un ensemble de mesures qui s'attacherait davantage à la mise en _uvre de moyens permettant la désintoxication des consommateurs. Evoquant les travaux de la commission d'enquête sur la situation dans les prisons françaises, il a rappelé qu'une des conclusions du rapport, adopté à l'unanimité par tous les groupes de l'Assemblée, concernait la situation déplorable des toxicomanes en prison, les carences des traitements et l'existence de trafics de drogue importants mettant en péril la sécurité des établissements.

Soulignant les incertitudes qui continuaient de peser sur la question, et notamment la distinction entre drogue dure ou drogue douce ou l'extension nécessaire de la réflexion à l'usage des médicaments psychotropes, il a estimé qu'il serait prématuré d'adopter une proposition de loi limitée à un dispositif de sanction et a suggéré qu'un groupe de travail puisse être constitué sur le sujet, qui pourrait également s'intéresser à la question du trafic de drogues, des politiques de blanchiment ainsi qu'au phénomène de consommation chez les jeunes. Il a donc souhaité que la Commission ne conclue pas sur la proposition de loi présentée par le rapporteur.

Rappelant que la proposition de loi présentée par M. Bernard Accoyer avait été cosignée par l'ensemble des groupes de l'opposition, M. Dominique Bussereau a rejoint les propos de M. Jacques Floch sur l'utilité d'un débat sur les stupéfiants et déploré qu'il n'y ait eu, jusqu'à présent, aucune réponse satisfaisante du Gouvernement sur le sujet. Il a, par ailleurs, regretté que, systématiquement, les initiatives parlementaires provenant de l'opposition ne donnent lieu qu'à un simple débat, qui se termine par l'absence de conclusions de la Commission. Il a estimé que de telles pratiques dénaturaient, en fait, les séances consacrées à un ordre du jour d'initiative parlementaire, devenues désormais des lieux d'expression davantage que des lieux de votation.

Exprimant sa réticence à l'égard de tout dispositif qui contribuerait à présenter le conducteur automobile comme un véritable délinquant, M. André Gerin a rappelé, en préambule, son opposition à la loi récemment adoptée à l'initiative du ministre des transports et de l'équipement, donnant au grand excès de vitesse le caractère d'un délit. Considérant que la proposition de loi présentée aujourd'hui participait de la même logique, il s'est, en revanche, déclaré favorable à un dispositif qui reprendrait les conclusions de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie présidée par M. Roger Henrion et évoquerait plus largement tous les aspects relatifs à l'usage de stupéfiants. Rappelant qu'il avait déposé il y a deux ans une proposition de loi relative à la lutte contre la toxicomanie et la géopolitique des stupéfiants, il a émis le souhait que la représentation nationale se penche davantage sur les questions de fond, telle que l'étude des comportements déviants ou l'établissement de données épidémiologiques sur le sujet. Il a constaté, sur ce dernier point, les carences statistiques concernant l'usage des stupéfiants, soulignant que les seules statistiques connues, établies par le ministère de la défense, à partir du cas des appelés au service militaire, qui évaluent à un tiers le nombre de jeunes gens ayant déjà une fois consommé de la drogue, laissaient entrevoir une réalité effrayante.

Indiquant qu'il partageait l'objectif défendu par la proposition de loi dont est saisie la Commission, M. Jérome Lambert a toutefois observé que les tests tendant au dépistage de l'usage de stupéfiants étaient, aujourd'hui, à ce point performants qu'ils permettaient de révéler une consommation datant de plusieurs semaines. C'est pourquoi il a estimé que le dispositif de l'article premier de la proposition de loi, qui vise les personnes ayant conduit « après avoir fait usage » de stupéfiants, et non celles qui se trouvent « sous l'emprise » de ces substances illicites au moment de l'accident, pourrait aboutir à sanctionner pénalement un conducteur dont la consommation de stupéfiants datait, pourtant, de plusieurs semaines.

Rappelant que 15 % des accidents de la route mortels étaient liés à la consommation de substances illicites, M. Michel Hunault a estimé qu'il était de la responsabilité du législateur d'apporter rapidement une réponse adéquate à cette situation. Il a considéré que l'examen de cette proposition de loi, constituant une première étape dans la lutte contre l'usage des stupéfiants, permettrait d'adresser un message politique fort en direction de l'opinion publique. Jugeant que ces questions de société devraient pouvoir faire l'objet d'un accord dépassant les clivages politiques habituels, il a rappelé, à cet égard, que l'opposition avait accueilli favorablement les mesures annoncées par le ministre des transports dans le cadre de l'opération faisant de l'année 2000, celle de la sécurité routière. Réagissant aux propos tenus par M. André Gerin, il a estimé que les personnes conduisant sous l'emprise de stupéfiants devaient être considérées comme des délinquants, regrettant, par ailleurs, que les juridictions ne soient pas plus sévères dans la répression des comportements de certains chauffards récidivistes conduisant en état d'imprégnation alcoolique. S'agissant de l'organisation d'un débat sur la question de l'usage des stupéfiants suggérée par M. Jacques Floch, il a souligné qu'il serait nécessaire qu'il permette à toutes les composantes politiques de l'Assemblée de présenter, en toute clarté, leurs positions respectives. Puis, appelant l'attention des députés de la majorité sur les conséquences négatives que pourrait avoir, dans l'opinion publique, le rejet de la cette proposition de loi, il a conclu son propos en exprimant le souhait que les groupes politiques parviennent à se concerter pour que sa discussion se déroule dans des conditions satisfaisantes.

Réagissant aux propos de M. Michel Hunault, M. Jacques Floch a considéré que la majorité n'était nullement coupable de laxisme en matière de lutte contre les stupéfiants. Il a insisté sur le fait que, pour traiter de manière satisfaisante cette importante question de société, le meilleur moyen serait de convaincre le Gouvernement d'organiser sur ce sujet un débat dans l'hémicycle au cours des prochains mois.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  Il paraît important de sanctionner la conduite sous l'emprise de stupéfiants, dès lors que ce comportement met en danger la vie d'autrui, même si, par ailleurs, la consommation de drogue reste faiblement réprimée par les juridictions ;

-  Les méthodes de dépistage sont aujourd'hui parvenues à un degré de performances satisfaisant ; la seule difficulté qui subsiste tient à leur condition d'emploi, qui ne permet pas d'obtenir des résultats incontestables immédiatement après l'interpellation des personnes. Quant au fait que les tests pourraient révéler une consommation ancienne de stupéfiants par l'automobiliste, il faut souligner qu'il ne pourra y avoir de sanction pénale que si l'existence d'un lien de causalité entre la consommation et l'accident est établie ;

-  De nombreux pays membres de l'Union européenne ont, plus systématiquement que la France, recours à des dépistages massifs, mais également à des actions de prévention, par exemple à la sortie des boîtes de nuit ;

-  Les victimes d'accidents de la route ainsi que leurs familles exigent, à juste titre, que les responsables de ces accidents soient sanctionnés. C'est pourquoi il est nécessaire de prendre des mesures pénales, seules à même d'apporter une réponse au sentiment d'injustice que ressentent les victimes de conducteurs ayant provoqué des accidents sous l'emprise de stupéfiants ;

-  La discussion dans l'hémicycle de cette proposition de loi doit offrir à la représentation nationale l'occasion d'aborder publiquement une question qui représente un enjeu majeur pour notre société, à laquelle l'initiative de l'opposition tente d'apporter une première réponse.

Sur la proposition de Mme Nicole Feidt, présidente, la Commission a décidé de ne pas procéder à l'examen des articles et, en conséquence, de ne pas formuler de conclusions.

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La Commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Jacques Floch, le projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en _uvre certaines dispositions du droit communautaire (n° 2691).

Le rapporteur a admis que le projet de loi d'habilitation soumis au Parlement lui posait un cas de conscience, parce que le retard accumulé en matière de transposition des directives nécessitait la mise en _uvre d'une procédure rapide, laquelle, engagée dans le cadre de l'article 38 de la Constitution, aboutissait à priver le Parlement d'un débat approfondi sur de nombreuses matières essentielles. S'interrogeant sur les raisons du retard accumulé par la France en matière de transposition des directives communautaires, il a estimé qu'il était principalement imputable à l'inertie des gouvernements successifs et des différentes administrations concernées. Par ailleurs, il a regretté que les procédures d'élaboration et de transposition du droit communautaire ne permettent pas au Parlement d'intervenir de manière satisfaisante, soulignant que les instances communautaires, qui sont fondées à adopter des mesures de nature législative, ne comprennent pourtant que des représentants de l'exécutif. Il a ajouté que le rôle d'information actuellement dévolu aux délégations parlementaires pour l'Union européenne était insuffisant, jugeant qu'il conviendrait de procéder à une révision de la Constitution pour créer une commission permanente aux affaires européennes dans chaque assemblée et donner ainsi au Parlement la possibilité de contrôler vraiment l'action gouvernementale dans la phase préparatoire à l'adoption des actes communautaires.

Exprimant son opposition de principe au dessaisissement du Parlement par le biais des ordonnances, le rapporteur a observé qu'il avait été expressément prévu par les rédacteurs de la Constitution, après de longs débats au sein du comité consultatif constitutionnel. Il a toutefois rappelé, qu'à la différence des décrets-lois de la IIIe République ou des délégations permanentes de compétence consenties par le législateur sous la IVe République, la procédure d'habilitation était encadrée, puisqu'elle doit viser un nombre précis et limité de matières et qu'elle fait obligation au Gouvernement de déposer des projets de loi de ratification.

Soulignant que certaines des directives visées dans le projet de loi avaient été adoptées il y a plus de vingt ans, il a observé que l'absence de transposition de ces actes par la France constituait un facteur d'insécurité juridique, une partie d'entre eux pouvant être invoquée directement devant les juridictions. Rappelant que la mauvaise application du droit communautaire exposait notre pays au paiement d'astreintes prononcées par la Cour de justice des communautés européennes, il a ajouté qu'il y allait de la crédibilité de la France, au moment où elle exerce la présidence de l'Union, qu'elle améliore rapidement sa situation en matière de transposition des directives communautaires.

Puis, examinant la conformité du projet de loi aux dispositions de l'article 38 de la Constitution, il a constaté qu'il énumérait de manière précise les matières donnant lieu à l'habilitation législative, qu'il définissait la durée de cette habilitation, ainsi que les délais de dépôt des projets de loi de ratification. Sur ce point, il a indiqué qu'il était favorable à la diminution des délais introduite par le Sénat, qui tendent à imposer le dépôt de la totalité des projets de loi de ratification dans les dix mois suivant la promulgation de la loi d'habilitation. Considérant que la Commission ne saurait procéder à un examen du fond des différentes dispositions entrant dans le champ de l'habilitation, il a néanmoins fait observer que, dans le domaine social, la directive relative à la protection des femmes enceintes et celle définissant un âge minimal pour le travail des enfants ne remettaient pas en cause la norme nationale plus favorable. Il a, par ailleurs, indiqué qu'il souscrivait aux amendements du Gouvernement tendant à réintroduire dans le champ de l'habilitation la directive relative aux services postaux ainsi que celles couramment dénommées « Natura 2000 », jugeant, cependant, sur ce dernier point, qu'il convenait de mieux préciser les conditions de l'habilitation en rendant obligatoire la consultation des conseils municipaux des communes susceptibles d'être intégrées dans les zones protégées et en y autorisant expressément les activités cynégétiques.

M. Jean-Pierre Michel a regretté que, comme par le passé, des responsables du parti socialiste s'évertuent à défendre l'indéfendable. Il a considéré, en effet, que ce projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnances certaines directives et dispositions d'origine communautaire constituait une véritable infamie contre le Parlement. Il a récusé l'argument selon lequel le retard pris par la France pour la transposition de ces normes justifierait cette procédure, observant qu'en la matière, le Gouvernement ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Il a estimé que le recours aux ordonnances, déjà critiquable en soi, l'était d'autant plus dans le cas d'espèce, dès lors que les textes visés, dont le nombre est proche de la cinquantaine, ont été élaborés hors du cadre national, et, souvent, négociés, non pas avec des élus du suffrage universel, mais avec les groupes d'intérêt.

Il a observé, de surcroît, que certaines directives ou normes communautaires couvertes par l'habilitation étaient particulièrement importantes, et a cité, notamment : la directive instituant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux, qu'il s'agit, en fait, d'ouvrir à la concurrence ; les mesures envisagées en ce qui concerne le réseau autoroutier et les sociétés concessionnaires, qui passent également sous le joug de la « loi libérale », indépendamment de toute préoccupation d'aménagement du territoire ; la refonte du code de la mutualité. Il a jugé que cette pratique discréditait le discours convenu sur le renforcement des droits du Parlement, pourtant officiellement défendu par l'ensemble des composantes de la majorité plurielle et, au premier chef, par le Président de l'Assemblée nationale. Il a annoncé que les députés membres du Mouvement des citoyens utiliseraient tous les moyens à leur disposition pour s'opposer à l'adoption de ce texte. Il a rappelé, également, qu'en d'autres temps, le Président de la République avait su s'opposer à la pratique des ordonnances et a regretté que, pour le moment, M. Jacques Chirac ne fasse pas preuve du même courage que François Mitterrand en 1986.

Après avoir remercié le rapporteur pour sa franchise, M. André Gerin a annoncé que le groupe communiste défendrait sur ce texte une question préalable. Il a fait part, en effet, de son opposition de principe à l'usage des ordonnances. Il a regretté que cette pratique discrédite de nouveau le Parlement, alors que le niveau record de l'abstention constaté à l'occasion des dernières consultations devrait, au contraire, inciter les responsables politiques à _uvrer pour la réconciliation des citoyens et de leurs représentants. Sur le fond, il a observé que nombre des directives européennes qu'il est proposé de transposer par ordonnances contiennent des normes qui se situent en deçà du niveau de protection prévu par le droit du travail français, et malmènent la notion de service public. Il a regretté que le Gouvernement n'ait pas privilégié l'usage de la procédure d'examen simplifié, qui aurait également permis de répondre à la contrainte de l'urgence. Il a souhaité savoir si la majorité était prête à demander, au minimum, le retrait du champ de l'habilitation d'un certain nombre de directives, en précisant qu'une quinzaine d'entre elles étaient inacceptables pour le groupe communiste.

M. Dominique Bussereau a déclaré qu'il partageait la préoccupation de la plupart des intervenants précédents. Il a observé que le Gouvernement aurait du mal à réunir une majorité sur ce texte, les députés de son groupe étant déterminés, en toute hypothèse, à ne pas être complices d'une initiative qui bafoue les droits du Parlement. Il a observé, de manière générale, qu'il était pour le moins étrange d'inviter le Parlement à consacrer une part importante de son activité à légiférer dans le domaine réglementaire et de prétendre, consécutivement, que l'ordre du jour chargé de ses travaux ne lui permet plus de faire la loi sur des sujets qui rentrent dans le champ couvert par l'article 34 de la Constitution et intéressent la vie quotidienne des Français. Il a également considéré que les amendements annoncés par le rapporteur à propos de la directive sur la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune, de la flore et des oiseaux sauvages, arrivaient trop tard, dès lors que les zones de protection ont déjà été largement notifiées par les préfets à la Commission européenne, sans que les maires des communes concernées ne soient consultés.

M. Jérôme Lambert a invité ses collègues à ne pas faire de l'usage des ordonnances une question de principe. Il a rappelé qu'il avait déjà rapporté, par le passé, deux lois d'habilitation portant sur des dispositions relatives à l'outre-mer, dans l'indifférence générale. Il a considéré que le débat actuel était davantage une question de circonstances politiques que de convictions. Il a également contesté l'argument selon lequel cette procédure annihilerait tout débat, les parlementaires ayant parfaitement le droit de s'exprimer sur le fond. Il a conclu son intervention en rappelant que la France était, en tout état de cause, dans l'obligation de transposer, rapidement de surcroît, lesdites ordonnances.

M. Didier Quentin s'est associé aux critiques des précédents intervenants, jugeant que la référence à l'esprit des institutions mises en place par le Général de Gaulle était particulièrement malvenue à l'appui d'une procédure totalement irrecevable. Il a relevé que ce projet de loi constituait une atteinte aux droits du Parlement, s'étonnant d'ailleurs que le Président de l'Assemblée nationale ne se soit pas opposé à son examen. Il a estimé que ce texte portait, en outre, un mauvais coup à l'Europe, dont il donne une image déplorable, s'opposant ainsi à la réconciliation des Français avec l'idée européenne. Soulignant que le projet de loi concernait des sujets aussi divers que les services postaux, le régime des autoroutes ou les retraites, il a jugé que, au-delà même de la question de la chasse, il portait atteinte aux conditions de vie quotidienne de nos concitoyens habitant les zones rurales, en maintenant, notamment, des réglementations vagues et confuses. A titre d'exemple, il a fait état de situations aberrantes induites par certaines directives, évoquant l'une des communes de sa circonscription dont le territoire est entièrement classé dans la catégorie créée par la directive « Natura 2000 ». En conséquence, il a informé la Commission que le groupe RPR défendrait des motions de procédures pour dénoncer ce coup de force.

En réponse aux questions des différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  Le terme d'infamie employé par M. Jean-Pierre Michel est évidemment exagéré. En cohérence avec une telle expression, il conviendrait de proposer purement et simplement l'abrogation de l'article 38 de la Constitution.

-  La proposition de M. André Gerin, de retirer du projet de loi un certain nombre de directives soulevant des difficultés particulières peut être examinée, sous réserve qu'une liste précise en soit établie.

-  Il convient de souligner que le Sénat a adopté ce texte, ce qui prouve qu'il n'est pas aussi inacceptable que certains le soutiennent. On remarquera, d'ailleurs, que, pour l'heure, le Président de la République qui assume actuellement la présidence de l'Union européenne, a accepté cette procédure et ne s'est pas exprimé contre sa mise en _uvre.

A l'issue de la discussion générale, la Commission a rejeté les exceptions d'irrecevabilité n° 1 présentée par M. Jean-Louis Debré et les membres du groupe RPR et n° 2 présentée par M. Georges Sarre. Elle a ensuite également rejeté les questions préalables n° 1 présentée par M. Jean-Louis Debré et les membres du groupe RPR, n° 2 présentée par M. Georges Sarre et n° 3 présentée par M. Alain Bocquet et les membres du groupe communiste.

Puis elle a examiné les articles du projet de loi.

Article 1er : Habilitation à transposer par voie d'ordonnances des directives ou parties de directives communautaires  :

La Commission a rejeté huit amendements présentés par M. Claude Goasguen visant à retirer du champ du projet de loi les directives intervenant dans les domaines suivants : la mise en _uvre des mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité de la santé sur le lieu de travail, la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement, l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, les dispositifs médicaux de diagnostics in vitro, le contrôle des denrées alimentaires et de l'alimentation animale, l'interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d'assurer un service universel et l'interopérabilité par l'application des principes de fourniture d'un réseau ouvert, l'établissement d'un service universel de télécommunications dans un environnement concurrentiel ainsi que la protection des intérêts des consommateurs. En revanche, la Commission a adopté l'amendement n° 1 du Gouvernement réintégrant dans le champ du projet la directive relative aux règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux, celle-ci ayant été retirée par le Sénat en première lecture. Elle a ensuite adopté cet article ainsi modifié.

Article additionnel après l'article 2 : Habilitation à transposer par voie d'ordonnances les directives « Natura 2000 » :

La Commission a été saisie d'un amendement n° 2 du Gouvernement précisant le cadre de l'habilitation concernant la transposition des directives « Natura 2000 ». Elle a procédé à l'examen de deux sous-amendements identiques, le premier n° 4 présenté par M. Jean-Paul Chanteguet et le second par le rapporteur ; ce dernier a précisé qu'il s'agissait de permettre aux conseils municipaux d'être consultés sur le classement des sites en zones spéciales « Natura 2000 ». A la suite d'une interrogation de M. Jérôme Lambert concernant l'application du dispositif de consultation aux zones existantes ou en voie d'être créées, le rapporteur a indiqué que les communes concernées par des sites déjà créés seraient effectivement consultées, toute autre solution se traduisant par une rupture d'égalité que le Conseil d'Etat ne manquerait pas de relever. Il a ajouté que le cas de ces communes serait précisé dans l'ordonnance. Au vu de ces observations, la Commission a adopté les deux sous-amendements identiques. Puis elle a ensuite procédé à l'examen de deux autres sous-amendements identiques, le premier, n° 5, de M. Jean-Paul Chanteguet et le second du rapporteur, précisant que la transposition des directives « Natura 2000 » devrait réaliser la conciliation entre les objectifs de conservation et le maintien d'activités humaines non perturbantes. Le rapporteur a indiqué qu'il présenterait une rectification à son sous-amendement permettant d'inclure dans la définition des activités considérées comme non perturbantes, outre la chasse, toutes les autres activités cynégétiques. M. Didier Quentin s'est demandé s'il ne serait pas opportun d'inclure, plus généralement, l'ensemble des activités de loisirs. M. Jean-Yves Caullet s'est interrogé sur la formulation retenue qui consisterait à poser le principe que la chasse, les autres activités cynégétiques et, éventuellement, les autres activités de loisirs sont considérées comme des activités non perturbantes a priori. Le rapporteur a observé que la rédaction proposée, inscrivant l'exercice de ces activités dans le cadre des lois et règlements en vigueur, permettrait de définir au cas par cas la nature des activités. Il a estimé que la proposition de M. Didier Quentin concernant les activités de loisirs permettrait d'apporter une précision utile. Indiquant qu'il avait été créé, dans le cadre du comité national sur la mise en _uvre de « Natura 2000 », un groupe de travail consacré aux activités perturbantes, M. Jean-Paul Chanteguet a précisé que la chasse n'avait pas été classée par ce groupe de travail dans le champ des activités perturbantes, à l'exception de celle concernant trois espèces précisément déterminées, que sont le mouflon corse, l'ours brun et le phoque veau marin. S'agissant de la proposition du rapporteur consistant à ajouter à la chasse les autres activités cynégétiques, il a estimé qu'une rédaction regroupant l'ensemble des activités cynégétiques serait préférable. Le rapporteur a souhaité revoir la rédaction proposée dans son sous-amendement d'ici la prochaine réunion de la Commission et suggéré que les deux sous-amendements soient adoptés en l'état, sans rectification. La Commission a en conséquence adopté les deux sous-amendements puis l'amendement n° 2 du Gouvernement ainsi modifié.

Article 3 : Habilitation du gouvernement à procéder par ordonnance à la refonte du code de la mutualité :

La Commission a rejeté un amendement de suppression de l'article présenté par M. Claude Goasguen. Elle a ensuite adopté cet article sans modification.

Article 4 : Habilitation du Gouvernement à prendre certaines mesures législatives relatives aux infrastructures autoroutières :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 5 : Délais de l'habilitation et du dépôt des projets de loi de ratification :

La Commission a adopté l'amendement n° 3 présenté par le Gouvernement en coordination avec la rédaction adoptée après l'article 2 pour la transposition des directives Natura 2000, prévoyant cette transposition dans un délai de quatre mois suivant la promulgation de la loi d'habilitation. Elle a ensuite adopté cet article ainsi modifié.

La Commission a adopté l'ensemble du projet de loi ainsi modifié.

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