Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (2000-2001)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 26

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 30 janvier 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Bernard Roman, président

SOMMAIRE

 

page

- Audition de Mme Marylise Lebranchu, garde des Sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi modifiant la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires à la liquidation des entreprises et experts en diagnostic d'entreprise (n° 2544), le projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce (n° 2545) et le projet de loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature et instituant le recrutement de conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire (n° 2546)






2

La Commission a procédé à l'audition de Mme Marylise Lebranchu, garde des Sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi modifiant la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises et experts en diagnostic d'entreprise, le projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce et le projet de loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature et instituant le recrutement de conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire.

Soulignant que les trois projets de loi présentés à l'Assemblée nationale par le Gouvernement faisaient suite aux travaux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les tribunaux de commerce, M. Bernard Roman, président, a indiqué que les membres de la commission des Lois étaient très attachés à ce que ces trois textes puissent être promulgués avant la fin de la législature et souhaité que le Gouvernement prenne les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif, notamment en déclarant l'urgence.

Mme Marylise Lebranchu, garde des Sceaux, s'est tout d'abord déclarée consciente de l'importance que revêtait pour l'institution judiciaire ce premier pan de la réforme globale de la justice commerciale, cette réforme étant attendue, après les conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale et celles de la mission d'inspection commune diligentée par les inspections générales des finances et des services judiciaires. Elle a rappelé que les rapports établis par ces missions avaient mis en lumière les dysfonctionnements des tribunaux de commerce ainsi que ceux relatifs à l'intervention des administrateurs et mandataires judiciaires, citant notamment la grande diversité dans la pratique des procédures, le caractère lacunaire des connaissances juridiques et de la formation des juges consulaires, une disponibilité insuffisante pour piloter les procédures et contrôler les mandataires de justice, ainsi que l'apparition de risques de conflits d'intérêts liés à une trop grande proximité avec les justiciables. Elle a également souligné qu'au-delà du constat qu'elle avait dressé, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale avait su aussi formuler de nombreuses propositions, dans lesquelles les trois projets de loi présentés aujourd'hui puisaient leur inspiration, même s'ils ne les reprenaient pas dans leur intégralité.

Observant que la réforme, qui suscitait tant de protestations il y a un an encore - au point de nuire au fonctionnement même des juridictions consulaires et aux intérêts des justiciables - était maintenant acceptée dans son principe, la ministre a constaté qu'elle était même souhaitée désormais par certains de ceux qui en contestaient naguère l'idée. Elle a ajouté que le dépôt des projets de loi sur le bureau de l'Assemblée nationale au mois de juillet avait été le signal d'un apaisement réel, les juges consulaires, les professionnels des procédures collectives, ayant clairement ressenti et pris conscience qu'une nouvelle étape s'ouvrait, la confrontation démocratique des idées devant désormais l'emporter sur les affrontements stériles. Elle a également affirmé que cette réforme était nécessaire, d'une part, parce que le cadre juridique de la vie économique était l'un des éléments clés de la compétitivité de notre pays et, d'autre part, parce qu'un pays moderne avait besoin d'une justice impartiale, rapide et soucieuse de répondre aux attentes des citoyens. La ministre a indiqué que les trois projets de loi s'articulaient autour de trois principes : impartialité, transparence et qualité, soulignant que les citoyens attendaient de la justice, en général, et de la justice commerciale trop souvent mise en cause, qu'elles respectent ces principes.

Sur la question du défaut d'impartialité, en observant qu'il s'agissait là du principal reproche fait aux tribunaux consulaires, la ministre a rappelé que le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale en donnait des exemples, tout en relevant aussi que les juges consulaires exerçaient leurs fonctions bénévolement et, dans leur très grande majorité, avec dévouement. Considérant qu'il fallait, cependant, en finir avec l'ère du soupçon, les juges consulaires en convenant les premiers, elle a indiqué que la voie choisie pour assurer l'impartialité était la mixité, c'est-à-dire l'association de juges élus et professionnels dans une même formation de jugement, avec pour objectif d'assurer une justice plus rigoureuse, en réunissant la connaissance des règles de fond et de procédure et la perception pour chaque affaire, de sa dimension économique. Elle a insisté sur le fait que cette réforme équilibrée reposait sur une logique claire - faire intervenir chaque catégorie de juges dans les domaines où leurs qualités sont les plus utiles - qui conduisait à mobiliser des magistrats professionnels, aux côtés de juges élus, sur les contentieux dans lesquels l'ordre public économique est en jeu et pour lesquels les garanties d'impartialité et de respect de la procédure sont les plus nécessaires, c'est-à-dire les procédures collectives, le contentieux relatif au contrat de société commerciale et celui relevant de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Elle a précisé que ces juges siégeraient dans des chambres mixtes, le reste du contentieux restant de la compétence de formations constituées uniquement de juges consulaires élus. Considérant que l'impartialité devait être garantie pour exister véritablement et ne pas demeurer formelle, la ministre a indiqué que des règles nouvelles de déontologie étaient également prévues, les juges consulaires se voyant ainsi soumis à une obligation de déclaration de leurs intérêts, le manquement à cette obligation étant constitutif d'une faute disciplinaire. Puis elle a ajouté qu'en matière disciplinaire des dispositions, elles aussi nouvelles, permettraient de garantir l'effectivité de la sanction de comportements répréhensibles, la démission des juges consulaires étant actuellement un obstacle à de réelles sanctions, la privation de l'honorariat étant alors la seule mesure pouvant être prise à leur encontre.

S'agissant des administrateurs et mandataires judiciaires, la garde des Sceaux a souligné que le projet de loi s'articulait autour de la notion de « mandat de justice » qui garantit l'indépendance et la neutralité des professionnels à l'égard du dirigeant défaillant comme des créanciers. Rappelant que la réforme prévoyait le maintien des deux professions d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire, les statuts de ces deux professions étant profondément rénovés, elle a observé qu'elle renforçait, cependant, l'encadrement de l'exercice de ces deux professions, en complétant, sur ce point, les premières mesures prises dès 1998. A titre d'exemples, elle a évoqué l'édiction de nouvelles incompatibilités, l'interdiction pour ces professionnels de déléguer à des tiers leurs missions propres, le renforcement du régime disciplinaire ainsi que l'interdiction de traiter des dossiers après cessation de leurs fonctions. Elle a souligné que l'ensemble de ces mesures visaient à obtenir des mandataires de justice la délivrance de prestations de qualité, dans des délais raisonnables et moyennant un coût acceptable.

La ministre a ensuite présenté les dispositions relatives au renforcement de la transparence de la justice commerciale, notant que son opacité avait également nourri les soupçons et qu'il convenait de s'en détacher.

Pour les juges consulaires, elle a indiqué qu'il s'agissait essentiellement de changer leur mode d'élection, ce qui constituait une véritable révolution, et précisé que seraient désormais électeurs aux tribunaux de commerce, par un scrutin à un seul degré, l'ensemble des justiciables de ces juridictions, y compris les artisans. Observant que certains s'interrogeaient sur les effets du dispositif retenu, qui privilégie la démocratie directe et l'égalité des droits en mettant tous les électeurs en situation d'être élus, elle a estimé qu'il pourrait être amélioré au cours des débats parlementaires à condition de ne pas ressusciter, sous quelque forme que ce soit, les vieilles pratiques de la cooptation réduite à quelques cercles étroits.

S'agissant des administrateurs et mandataires judiciaires, la garde des Sceaux a indiqué que les juridictions auraient désormais la possibilité de faire un véritable choix entre les professionnels pour mettre fin aux situations de monopole constitutives d'opacité. Ainsi, elle a souligné que les mandataires judiciaires auraient désormais une compétence nationale et non plus régionale et que les tribunaux pourraient désigner, sous certaines conditions, des professionnels non inscrits sur ses listes.

La ministre a ensuite indiqué que le troisième objectif poursuivi par les projets de loi - la qualité de la justice rendue aux citoyens - passait par l'introduction de la mixité dans les juridictions consulaires. Soulignant que l'instauration de la mixité n'était pas inspirée par une question de pouvoir ou de sanction mais par la recherche d'un meilleur service aux justiciables grâce à l'association de compétences diversifiées, elle a précisé qu'il y aurait ainsi réciprocité dans la mixité, celle-ci étant également introduite dans les chambres commerciales des cours d'appel qui devraient bénéficier de la participation de praticiens des entreprises à égalité de voix avec les magistrats professionnels. Reconnaissant que la réforme proposée mettait fin à l'exception française que constituaient les tribunaux de commerce, elle a estimé qu'elle en respectait aussi les spécificités et qu'elle renouait avec l'essence même des juridictions commerciales : un commerçant jugeant un autre commerçant dans des affaires ne mettant pas en cause l'ordre public économique. Elle a précisé, en effet, que les litiges pour lesquels la règle de droit doit être éclairée par les usages et les pratiques continueraient de relever de formations composées exclusivement de juges élus. Par ailleurs, elle a ajouté que, dans le même esprit, le président du tribunal de commerce resterait un juge élu doté de pouvoirs juridictionnels attachés à sa fonction afin de garantir aux justiciables et aux auxiliaires de justice le bénéfice d'un juge parfaitement au fait des techniques et des usages de leur environnement professionnel.

S'agissant des administrateurs et des mandataires judiciaires, la ministre a ensuite souligné que la possibilité donnée aux juridictions de désigner à de telles fonctions des personnes non inscrites sur les listes professionnelles devrait permettre aux tribunaux de choisir des personnes disposant d'un savoir-faire particulier, tout en incitant les professionnels à se renouveler et à se restructurer pour gagner en efficacité et en performance. Par ailleurs, elle a ajouté que la formation de ces auxiliaires de justice serait mieux encadrée et que l'instauration d'une limite d'âge à l'exercice de la profession permettrait d'assurer le traitement des dossiers par des professionnels en phase avec un environnement économique en mutation constante.

En conclusion, elle a rappelé que les réformes proposées n'étaient qu'une partie d'un ensemble beaucoup plus vaste dont le second volet serait constitué par la modification de la loi du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises et la loi du 25 janvier 1985 relative au règlement et à la liquidation judiciaire des entreprises. Après avoir indiqué qu'un projet de révision de ces trois lois était en cours d'examen par les milieux juridiques et professionnels intéressés et souhaité qu'il puisse rapidement déboucher sur un projet de loi, la ministre a estimé que l'adoption de l'ensemble des projets en cours permettrait d'opérer une réforme majeure du système judiciaire pour accroître son efficacité tout en respectant les équilibres sociaux économiques et les personnes.

M. François Colcombet a considéré, comme la ministre, que la question du juge impartial était centrale et concernait, aujourd'hui, l'ensemble des domaines du droit, ainsi que les magistrats chargés de l'appliquer, faisant notamment état de la jurisprudence audacieuse de la Cour européenne des droits de l'homme en cette matière. Il a observé que les dispositions du projet de loi réformant les tribunaux de commerce, qui interdisent à un juge élu de participer à la formation de jugement dans une affaire pour laquelle il a déjà agi en qualité de juge-commissaire, traduisaient la mise en _uvre du principe d'impartialité, ajoutant qu'elles ne devaient donc pas être perçues comme la marque d'une méfiance particulière à l'égard des juges consulaires mais, bien au contraire, comme la concrétisation d'une exigence générale, qui concerne tous les juges, qu'ils soient élus ou professionnels. Puis, évoquant les conséquences des travaux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce, il s'est réjoui de la disparition de certaines des pratiques abusives qu'elle avait dénoncées, rappelant, à cet égard, qu'un certain nombre de mandataires de justice, ainsi que des juges élus, étaient, aujourd'hui, mis en examen.

Faisant référence à la démission de juges élus, à la suite de la présentation par le Gouvernement de ses projets de réforme de la justice commerciale, M. François Colcombet a interrogé la ministre sur la situation des tribunaux de grande instance qui avaient dû reprendre l'examen des affaires relevant de la compétence initiale des tribunaux de commerce n'étant plus, en conséquence, à même de statuer. S'agissant de l'instauration de la mixité au sein des tribunaux de commerce, il a observé qu'elle se rapprochait de l'échevinage en vigueur dans les départements d'Alsace-Moselle, soulignant que, de l'avis de tous, elle fonctionnait de façon satisfaisante. Il a donc considéré qu'elle constituait une proposition équilibrée et raisonnable, rappelant, par ailleurs, que l'Assemblée nationale avait adopté, en première lecture, au cours d'une précédente législature, une solution identique pour la composition des formations de jugement des tribunaux correctionnels. Evoquant ensuite le rôle du ministère public devant les juridictions consulaires, il a regretté que ses interventions ne soient pas toujours à la mesure des circonstances et des enjeux que peuvent représenter les contentieux commerciaux et ne s'inscrivent pas dans le cadre des directives de politique générale définies par le Gouvernement. Enfin, il a estimé que l'accroissement des prérogatives des premiers présidents de cour d'appel constituait un élément positif, compte tenu de l'expérience et de la neutralité reconnues de ces chefs de juridiction et, faisant état des nombreuses auditions auxquelles il a procédé en qualité de rapporteur du projet de loi réformant les tribunaux de commerce, a indiqué qu'il semblait bien accepté par les juges consulaires.

Soulignant que la réforme de la justice commerciale était particulièrement attendue par de nombreux justiciables, M. Arnaud Montebourg s'est réjoui que la ministre ait réaffirmé, devant la commission, la volonté du Gouvernement de la faire aboutir. Evoquant ensuite le climat tumultueux dans lequel s'étaient déroulées les investigations de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, il a observé, qu'aujourd'hui, les conditions du débat semblaient plus sereines, grâce à la restauration du dialogue entre la représentation nationale et les principaux acteurs de la justice consulaire, relevant que certains d'entre eux, notamment les jeunes mandataires judiciaires, s'étaient clairement prononcés en faveur de la réforme de leur profession. Il a considéré que la réforme de la justice commerciale proposée par le Gouvernement constituait un compromis satisfaisant, remarquant que de nombreux parlementaires, qui avaient participé aux travaux de la commission d'enquête, auraient vraisemblablement souhaité aller au-delà du dispositif proposé. Il a également rappelé que, à la suite des travaux de la commission d'enquête, les justiciables des tribunaux de commerce s'étaient organisés afin de soutenir les propositions de réforme de la justice consulaire, fortement attendue par un grand nombre de créanciers, d'artisans ou de salariés, qui s'étaient trop longtemps sentis abandonnés par la justice, et a jugé qu'ils devaient être entendus par les représentants de la Nation, quelle que soit leur appartenance partisane. Soulignant que le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale avait été rendu public en 1998, il a donc estimé qu'il y avait urgence à réformer l'ensemble de la justice commerciale, alors même que le terme de la législature en cours se rapprochait, et a insisté sur la nécessité d'accélérer le calendrier d'examen des trois projets de loi par le Parlement.

Evoquant ensuite les amendements qu'il entendait proposer à la Commission sur le projet de loi relatif aux professions de mandataires de justice, il a indiqué qu'ils porteraient d'abord sur la rémunération de ces professions. Jugeant que le barème en vigueur n'était pas satisfaisant, il a précisé qu'il souhaitait établir des critères objectifs, prenant, notamment, en considération les diligences accomplies, les réalisations d'actifs obtenues ainsi que le nombre des emplois préservés par l'action des mandataires, laissant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer leurs modalités techniques de mise en _uvre. Il a également fait part de sa volonté de modifier la législation en vigueur sur la question du rang privilégié des créances détenues par les établissements bancaires par rapport à celles des créanciers ordinaires lors d'une liquidation d'entreprise, afin de répondre aux difficultés les plus immédiates, dans l'attente d'une réforme plus globale de la loi du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires des entreprises, qu'il a appelée de ses v_ux.

M. Jean Codognès, rapporteur pour avis du projet de loi organique n° 2546, a souligné combien l'évolution des structures de l'économie française et de son environnement rendait nécessaire une remise à plat de sa justice commerciale, observant, en particulier, que les compétences des tribunaux de commerce s'étaient accrues de façon excessive au fil du temps. Dans ce contexte, il a salué l'inscription à l'ordre du jour du Parlement de cette réforme, qu'il a jugé non seulement équilibrée, mais plus généralement harmonieuse, grâce à la concertation qui s'est poursuivie avec les magistrats. A cet égard, il a salué le fait que le Gouvernement ait manifesté sa confiance aux juges consulaires, en leur permettant, à l'issue de leur mandat et sous réserve d'une certaine ancienneté, d'exercer la fonction de conseiller auprès des cours d'appel, à titre temporaire et en matière de contentieux commercial. Il a finalement approuvé l'ensemble des orientations retenues et, après avoir rappelé que la réforme avait été réclamée, à l'origine, par les professionnels eux-mêmes, a souhaité qu'elle fasse l'objet d'un certain consensus.

M. René Dosière s'est dit sensible au fait que la ministre ait salué les travaux de la commission d'enquête parlementaire sur les tribunaux de commerce, et s'est joint à son hommage. Il a également relevé qu'elle avait considéré la présence de magistrats professionnels comme un gage d'amélioration du service rendu aux justiciables, en matière de justice commerciale, et s'est demandé si cette orientation ne devrait pas être étendue à d'autres juridictions. Observant que le Sénat démontrait actuellement combien il lui était possible de ralentir le rythme des travaux parlementaires, il a souhaité que la réforme de la justice commerciale soit examinée selon la procédure d'urgence, afin qu'elle puisse aboutir avant la fin de la onzième législature. Enfin, après avoir rappelé certaines critiques formulées à l'encontre de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, tendant à dénoncer l'inadéquation des moyens par rapport aux besoins induits par les réformes, il a souhaité qu'une telle expérience ne se renouvelle pas, et a interrogé la ministre sur sa capacité à mettre en _uvre dans de bonnes conditions la refonte des tribunaux de commerce.

M. Jean-Paul Charié s'est joint au souhait de la ministre qu'une certaine sérénité revienne enfin sur la justice commerciale, mais a jugé que les turbulences passées tenaient plus aux propos polémiques de certains qu'aux tribunaux de commerce eux-mêmes. Sans contester le bien-fondé de toutes les accusations portées contre des juges et auxiliaires de justice commerciale, il a observé, d'ailleurs, que les tribunaux de commerce n'avaient pas le monopole du mal et qu'il conviendrait également d'examiner, parfois, le fonctionnement des tribunaux de grande instance. Il a réaffirmé que la très grande majorité des juges consulaires était au-dessus de tout soupçon. Il a néanmoins approuvé l'introduction d'une certaine forme de « mixité », en première instance comme en appel, tout en estimant qu'il n'était pas bon que les présidents de chambre soient systématiquement des magistrats professionnels en matière de procédure collective. Il a souhaité, enfin, que le parquet soit également davantage présent, considérant qu'il s'agissait d'une condition nécessaire à l'amélioration du fonctionnement de la justice commerciale. Il s'est aussi déclaré profondément choqué par le fait que des recrutements de magistrats aient été engagés, pour renforcer la justice commerciale, avant même le dépôt des trois projets de loi sur le bureau des assemblées, jugeant inacceptable que le Gouvernement se permette d'anticiper sur le vote des parlementaires. Il a, par ailleurs, souhaité savoir pourquoi la généralisation de l'élection des juges consulaires dans le secteur artisanal n'était pas appliquée au secteur agricole, et pourquoi la compétence des tribunaux de commerce n'était pas également étendue à certaines associations. De façon plus générale, il a mis en garde les Français contre une certaine forme d'angélisme, en soulignant que, quelle que soit la qualité des juges commerciaux, voire les améliorations qui pourraient être apportées aux procédures collectives, il ne serait jamais possible de faire renaître de ses cendres une entreprise qui dépose son bilan. Il a finalement espéré que le travail parlementaire permette de parfaire la réforme, en particulier en ce qui concerne les mandataires judiciaires.

M. Jacky Darne a observé que ce qui était en cause était moins l'impartialité des juges consulaires que la perception qu'en ont les justiciables. A cet égard, il a constaté que la confiance n'existait plus, en raison de la trop grande proximité entre les activités desdits juges consulaires et les décisions qu'ils sont appelés à rendre. Il a ensuite encouragé la ministre à poursuivre dans la voie de la suppression des petits tribunaux de commerce, considérant que la refonte de la carte judiciaire était indispensable pour une bonne allocation des moyens disponibles. Après avoir relevé que la loi créait deux statuts de mandataires judiciaires, occasionnels et réguliers, il s'est demandé si cette orientation ne constituait qu'une première étape pour la profession et a interrogé la ministre sur la façon dont elle appréhende, à plus long terme, son évolution. Il a ensuite salué l'amélioration des relations entre les greffiers et les tribunaux de commerce, tout en se demandant s'il ne conviendrait pas, en fait, de remettre en question le principe même des greffes privés au sein de ceux-ci. Il a finalement jugé indispensable qu'un projet de loi sur les procédures collectives soit soumis au Parlement et, à cet égard, a interrogé la ministre sur les perspectives d'harmonisation desdites procédures au niveau européen.

M. Emile Blessig s'est tout d'abord réjoui que le système de l'échevinage, actuellement en vigueur dans les départements d'Alsace-Moselle, soit généralisé sur l'ensemble du territoire. Après avoir indiqué qu'il souhaitait que le fonctionnement de la justice économique soit amélioré, il a toutefois regretté que le dispositif proposé fasse coexister, selon les matières, des chambres composées exclusivement de juges élus et d'autres composées d'une formation de jugement mixte. Il a estimé que cette complexité était préjudiciable à la lisibilité de la réforme et qu'elle ne contribuerait pas au rapprochement des justiciables et de la justice commerciale. Il s'est, par ailleurs, interrogé sur les conséquences du nouveau régime électoral des juges consulaires, soulignant que le passage d'un système de cooptation à un système d'élection démocratique fondé sur un corps électoral d'environ deux millions de personnes impliquait la mise en place de procédures lourdes et coûteuses. Citant l'exemple de la justice commerciale belge, il a ensuite fait part de son souhait que les procédures d'alerte soient améliorées et a déclaré qu'il déposerait des amendements en ce sens. Il a enfin considéré que la mise en place d'un régime différencié applicable aux mandataires de justice selon le caractère permanent ou occasionnel de leur fonction, ainsi que les nouvelles règles relatives à leurs activités annexes, risquaient de remettre en cause les droits acquis de cette profession et d'accroître les inégalités en son sein.

En réponse aux différents intervenants, la garde des Sceaux a apporté les éléments d'informations suivants :

-  A la suite de la présentation de la réforme de la justice commerciale par le Gouvernement, six cent juges consulaires ont démissionné dans un mouvement de présentation ; cinq tribunaux de grande instance, Laon, Blois, Sens, Pau et Laval, exercent encore actuellement la compétence des contentieux commerciaux à la suite de ces démissions. Les tribunaux de grande instance qui ont été amenés à suppléer, parfois dans l'urgence, les tribunaux de commerce pour faire face aux démissions massives des juges consulaires ont montré dans ces moments une compétence et un dévouement tout à fait remarquables.

-  Malgré les termes de la circulaire de la précédente ministre de la justice en octobre 1997, qui incitait les procureurs à s'investir davantage dans le contentieux commercial, il faut reconnaître que le Parquet manque de moyens pour mener à bien sa mission. Il serait souhaitable, à ce titre, de se fixer comme objectif d'affecter la moitié des postes de magistrats créés dans la loi des finances dans des postes relevant du Parquet.

-  Le débat sur la réforme de la justice commerciale paraît désormais se dérouler dans un climat apaisé ; la réforme des lois de 1985 reste cependant indispensable et constitue, notamment pour les petites et moyennes entreprises, un vrai débat. S'agissant de la réforme des tribunaux de commerce, le dialogue semble rétabli avec les juges consulaires, comme l'a prouvé la rentrée solennelle de la Conférence générale des tribunaux de commerce, à laquelle la ministre a assisté. Il est évident que les juges consulaires ont désormais intégré cette réforme et souhaitent se tourner vers l'avenir.

-  La répartition des contentieux entre les chambres mixtes et les chambres composées uniquement de juges consulaires repose essentiellement sur la notion d'ordre public économique ; dès lors qu'il ne s'agit pas seulement d'un contentieux entre deux personnes et que des tiers sont impliqués, notamment les salariés dans les procédures collectives, la compétence de la chambre mixte se justifie.

-  L'introduction dans la compétence des tribunaux de commerce du contentieux relatif aux activités agricoles et aux associations, qui relèvent actuellement du tribunal de grande instance, ne répond à l'heure actuelle à aucune demande exprimée par le monde agricole ou associatif. Le contentieux relatif aux industries agro-alimentaires relève, bien entendu, de la compétence des tribunaux de commerce.

-  La réforme de la carte judiciaire suscite de nombreuses interrogations et inquiétudes, notamment de la part des élus locaux. Il est nécessaire de bien comprendre, et les parlementaires le comprennent généralement bien, les motivations qui président à cette réforme. Un véritable travail de pédagogie doit être mené, afin que ne soient pas confondues la question de la qualité du service rendu au public et des considérations d'ordre purement géographique. La pression des bâtonniers sur cette question ne rend pas la tâche facile et il faut souhaiter que puisse s'instaurer un véritable débat citoyen.

-  Le statut des greffes des tribunaux de commerce est un véritable sujet mais très difficile à traiter.

-  La question de la rémunération des mandataires de justice doit être abordée de façon globale ; certaines affaires traitées aujourd'hui par les mandataires demandent beaucoup d'investissement et de travail et leur règlement ne dégage pas suffisamment d'actifs pour les rémunérer à l'issue de la procédure. Une réforme qui s'appuierait à la fois sur les diligences accomplies et les résultats obtenus par les mandataires serait, sans doute, de nature à garantir un système équitable.

-  Il est possible de réformer par petites touches les lois de 1984 et 1985 relatives à la prévention, au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ; les amendements parlementaires permettront certainement de poser au moins les bases d'une réforme ; il faut souligner que la prévention des difficultés des entreprises dépend en premier lieu de la capacité de réaction des partenaires de l'entreprise, et notamment des banques et de leur faculté à donner l'alerte en cas de difficultés ; s'agissant de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, il serait erroné de prétendre qu'une entreprise qui a connu une fois un état de cessation de paiements ne sera plus jamais viable.

-  Même si beaucoup de mandataires partagent l'objectif du projet de loi, il existe une anxiété réelle à l'égard du projet réformant leur profession ; il ne faudrait pas, en effet, qu'un tel texte, qui autorise l'ouverture des mandats de justice à des personnes non inscrites sur les listes, nuise aux mandataires de justice exerçant cette profession à temps plein. C'est la raison pour laquelle sont instaurées des garanties permettant d'encadrer la désignation par le tribunal de mandataires hors listes.

-  Les instances communautaires ont mis au point un texte prévoyant la reconnaissance mutuelle des décisions de justice à l'encontre des entreprises ainsi qu'un texte commun sur la reconnaissance des créances ; l'élaboration d'un texte communautaire plus général sur l'entreprise est en cours.

-  La déclaration d'urgence sur l'ensemble des textes réformant la justice commerciale est à l'étude. Les créations de postes des magistrats à l'appui de ces réformes sont prévues et se concrétiseront en 2002 ; la discussion des amendements parlementaires exigera peut-être d'accroître ce nombre de magistrats ; il serait cependant difficile de répondre sur le terrain à ces besoins si les textes faisaient l'objet d'une déclaration d'urgence.


© Assemblée nationale