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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 45

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 29 mai 2001
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Bernard Roman, président

SOMMAIRE

 

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- Audition, en présence de la presse, de M. Pierre Mauroy, ancien président de la Commission pour l'avenir de la décentralisation, sur le projet de loi relatif à la démocratie de proximité (n° 3089) (M. Bernard Derosier, rapporteur)


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Audition, en présence de la presse, de M. Pierre Mauroy, ancien président de la Commission pour l'avenir de la décentralisation, sur le projet de loi relatif à la démocratie de proximité (n° 3089) (M. Bernard Derosier, rapporteur).

Après avoir remercié M. Pierre Mauroy de venir s'exprimer devant la Commission, M. Bernard Roman, président, a rappelé qu'il avait présidé la commission pour l'avenir de la décentralisation, qui a récemment remis au Premier ministre un rapport dense contenant de très nombreuses propositions. Il a observé que nombre de ces propositions étaient reprises par le Gouvernement dans le projet de loi relatif à la démocratie de proximité. Puis il a ajouté qu'il était heureux d'accueillir, au-delà du président de cette commission, un ancien Premier ministre qui, avec son ministre de l'intérieur, Gaston Deferre, avait mis en _uvre les premières lois de décentralisation. Observant qu'une nouvelle étape en matière de démocratie locale était souhaitée par l'ensemble des élus, même s'ils peuvent avoir quelques divergences sur le contenu des réformes souhaitables, il s'est félicité de la réflexion engagée sur ce thème.

M. Pierre Mauroy a tenu, tout d'abord, à rappeler qu'il avait mis en _uvre les premières lois de décentralisation à Lille avec le président de la commission des Lois et le rapporteur du projet de loi sur la démocratie de proximité. Observant que son rapport contenait douze orientations générales et cent cinquante-quatre propositions, il a considéré que l'adoption d'une grande réforme de la décentralisation inspirée de ces propositions permettrait de donner un nouveau visage aux collectivités locales et de susciter ainsi l'adhésion d'une majorité de Français actuellement éloignés de la politique.

Evoquant le renforcement de la coopération intercommunale, il a souligné que les réticences des élus, lors des premiers mois d'application de la loi du 12 juillet 1999, étaient désormais surmontées, ajoutant que le développement de ce mode de gestion communale devrait permettre, à terme, de modifier le paysage français, même si les communes demeurent la structure de référence. Il a souhaité, à cet égard, que les représentants des communes au sein des structures intercommunales soient élus au suffrage universel, faisant valoir que ce mode de scrutin constituerait la meilleure garantie possible pour favoriser le développement de l'intercommunalité.

Abordant la démocratie de proximité, objet du projet de loi, il a observé que les citoyens la pratiquaient souvent sans en avoir conscience, évoquant, en la matière, les revendications concernant le logement social, aujourd'hui disparues. Il s'est félicité de la création, par le projet de loi, de conseils de quartier, composés d'élus et de représentants de la société civile, qui devraient relayer utilement les aspirations des habitants et permettre de répondre aux mouvements revendicatifs, avant de rappeler que ces conseils existaient depuis près de vingt-cinq ans à Lille. Il a insisté sur l'importance de l'articulation entre les conseils de quartier et le conseil municipal, considérant, à cet égard, que la création de postes supplémentaires d'adjoints chargés exclusivement de suivre la vie des quartiers était indispensable. Il a également souligné l'intérêt des mairies de quartier, qui pourraient dans les villes de plus de 100 000 habitants, regrouper, au plus près des habitants, des services municipaux et estimé souhaitable que les services de police s'associent à cette démarche de proximité.

Il s'est ensuite félicité de l'amélioration de l'information des élus d'opposition au sein des assemblées locales. Evoquant les conseils économiques et sociaux régionaux, il a estimé que des propositions seraient sans doute présentées pour aligner le statut de leurs membres sur celui des conseillers régionaux. Il s'est réjoui de ce que le projet de loi, tout en préservant la spécificité de la capitale, ait prévu pour Paris une extension des dispositions organisant la démocratie de proximité. Il a également approuvé l'application du dispositif à l'outre-mer.

S'agissant du chapitre relatif à la démocratisation des mandats locaux, M. Pierre Mauroy a fait état du débat, déjà ancien, sur la reconnaissance d'un « statut » des élus, pour constater que, si le projet de loi n'utilisait pas expressément ce terme, force était néanmoins de reconnaître qu'il en organisait les principaux aspects, tels que les garanties de reclassement ou d'indemnisation à l'issue du mandat ou le renforcement de la formation professionnelle.

Évoquant ensuite les propos du ministre de l'Intérieur, lors de l'examen du projet de loi relatif à la Corse, il a rappelé qu'il avait annoncé que de nouveaux transferts de compétence seraient proposés, dans le cadre du présent projet de loi. Se félicitant que, à l'occasion d'un sujet incident, le débat sur la décentralisation ait pu être relancé de manière plus générale, il a observé que le contenu des transferts de compétence envisagés n'était pas encore connu à ce jour ; cependant, partant de l'analyse des compétences nouvelles attribuées à la collectivité territoriale de Corse et distinguant celles spécifiques à l'île de celles qui pourraient être étendues à l'ensemble du territoire, il a estimé possible de prévoir ce que devraient être les transferts. Il a rappelé que le rapport de la commission qu'il présidait avait proposé des transferts de compétence en matière d'enseignement supérieur, de formation professionnelle et de logement, effectivement retenus pour la Corse, constatant, en revanche, que ceux concernant les équipements sanitaires, ainsi que les infrastructures routières, également préconisés par le rapport, n'avaient pas été effectués dans ce cadre.

S'agissant de l'organisation administrative et territoriale, il a jugé souhaitable que les préfets de région deviennent des préfets de plein exercice, qui ne cumulent plus leurs fonctions avec celle de préfet d'un département. Estimant que cette réforme permettrait de donner une véritable impulsion aux actions interrégionales, il a également noté qu'elle serait une première réponse aux attentes de plus en plus fortes en matière de coopération transfrontalière.

Il a ensuite évoqué l'annonce faite par le Gouvernement de procéder à une réforme des finances locales avant la fin de l'année ; rappelant les principales propositions faites par la commission sur le sujet, il a plaidé pour l'instauration d'impôts nationaux dont le produit servirait à financer la région et le département. Faisant état de la réticence du ministère des Finances à l'annonce d'une telle proposition, notamment en raison de difficultés techniques, il a rappelé l'échec de la réforme de la taxe d'habitation, qui a eu pour conséquence de pérenniser un impôt de plus en plus contesté. Il a indiqué également que la commission qu'il avait présidée avait constaté une grande unanimité des élus locaux pour limiter autant que possible l'évolution vers un financement des collectivités locales au travers de dotations globales, au détriment de l'impôt local. Sans proposer pour autant la suppression de ces dotations, il a estimé que le vote de l'impôt représentait pour un élu local une responsabilité majeure, indissociable du mandat confié par les électeurs.

Il a conclu son propos en faisant état de la proposition de loi constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale autorisant, au niveau local, dans des conditions bien définies, le droit à l'expérimentation. Il s'est félicité qu'une telle proposition s'inscrive dans le cadre d'une relance des principes de décentralisation, tout en constatant que le régime actuel n'interdisait pas localement des initiatives originales. Il a évoqué, à cet égard, le schéma régional des transports qu'il était parvenu à mettre en place, bien avant qu'un texte n'encadre de telles initiatives.

Après avoir regretté que les dispositions de l'article 40 de la Constitution ne permettent pas aux parlementaires de prendre sur le projet de loi aujourd'hui soumis à l'Assemblée toutes les initiatives qu'ils jugent nécessaires par voie d'amendements, M. Bernard Derosier, rapporteur, a souligné la qualité du rapport de M. Pierre Mauroy, observant qu'il constituait la référence de toute réflexion actuelle sur la décentralisation. Evoquant la disposition du projet de loi créant des conseils de quartier dans les communes de plus de 20 000 habitants, il a jugé séduisante cette idée, inspirée précisément de ce rapport. Il s'est cependant interrogé sur la pertinence du seuil retenu, se demandant s'il n'était pas trop bas, certaines communes dépassant de peu ce seuil pouvant rencontrer des difficultés pour créer de telles structures. Relevant que les dispositions du projet de loi, qui reprennent sur ce point également une proposition de M. Pierre Mauroy, permettraient aux ressortissants étrangers, habitant la commune, de siéger dans les conseils de quartier, il a rappelé que l'Assemblée nationale avait adopté une proposition de loi constitutionnelle ouvrant le droit de vote aux étrangers pour les élections municipales et a invité le Sénat à adopter ce texte, afin que ce qui sera désormais possible pour les conseils de quartier le soit aussi pour les conseils municipaux. Soulignant que les droits des élus et leur statut étaient abordés dans le projet de loi, il a souhaité connaître l'appréciation de l'ancien Premier ministre sur l'opportunité d'approfondir et d'étendre le dispositif gouvernemental. Enfin, après avoir observé que le projet de loi allait moins loin que le rapport Mauroy, qui propose l'étatisation des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), il a suggéré que les communes soient exonérées de l'obligation de financer ces services, afin que la logique du projet de loi, qui donne aux conseils généraux la responsabilité de ces établissements, soit poursuivie jusqu'à son terme. Il a souhaité que cette clarification soit opérée à l'occasion de l'examen de ce texte.

Observant que le mouvement de décentralisation n'avait pas débuté en 1982 et évoquant, à cet égard, les initiatives prises par le général de Gaulle en la matière ainsi que le rapport Guichard qui, en 1976, formulait des propositions novatrices, M. François Fillon a néanmoins considéré que l'année 1982 avec la loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions et 1999, avec la loi relative à la coopération intercommunale, avaient constitué des étapes majeures dans l'histoire de la décentralisation. S'interrogeant sur la nécessité de franchir une nouvelle étape, il a jugé que l'alternative était, aujourd'hui, soit d'étendre le champ des compétences des collectivités territoriales, tout en maintenant un encadrement réglementaire national, soit de reconnaître à ces collectivités un pouvoir réglementaire propre, dans le cadre d'un meilleur partage du pouvoir normatif entre l'Etat et les collectivités locales. Il a ensuite souhaité connaître l'appréciation de M. Pierre Mauroy sur l'opportunité d'adopter une grande loi de décentralisation, plutôt que de transférer de nouvelles compétences aux collectivités territoriales, par voie d'amendements, dans le cadre du présent projet de loi. Il a jugé, pour sa part, que la méthode retenue témoignait d'un manque de préparation, notamment sur les conséquences sociales et financières des transferts envisagés. Il a insisté sur l'importance de la concertation avec les personnels susceptibles d'être transférés de l'Etat aux collectivités locales. Enfin, il a souhaité connaître l'opinion de l'ancien Premier ministre sur la question de l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, s'interrogeant notamment sur le champ de la circonscription électorale, communal ou intercommunal, qu'il serait préférable de retenir.

M. Gérard Gouzes a salué en M. Pierre Mauroy le Premier ministre de la décentralisation. Il a estimé, en effet, que les grandes lois des années 1982-1983 resteraient les textes fondateurs qui avaient ouverts toutes les perspectives nouvelles débattues depuis lors. Il a cité, à cet égard, les réformes subséquentes intervenues au travers des lois du 6 février 1992, du 25 juin et du 12 juillet 1999, considérant que le projet de loi relatif à la démocratie de proximité s'inscrivait dans leur prolongement. Il s'est félicité qu'il soit, aujourd'hui, proposé de formaliser des expériences qui, à l'image des conseils de quartier, n'ont pu se développer, jusqu'à présent, que de façon empirique. Il s'est interrogé, toutefois, sur la cohérence d'une démarche tendant à approfondir la décentralisation en laissant subsister, à travers les quartiers, les communes, les syndicats de districts, les communautés de communes, les départements et les régions, une multiplicité d'échelons de compétences, qui nuit à l'efficacité et à la transparence des décisions. Il a jugé cette situation inquiétante et a considéré qu'il faudrait faire preuve de courage en la matière, de sorte que la décentralisation puisse effectivement faire rêver les Français. Il a approuvé l'éventualité d'une suppression des cantons mais s'est également prononcé en faveur d'une transformation des départements, estimant que la France avait surtout besoin de régions fortes et de pays agglomérés.

M. Jean-Antoine Léonetti a salué les propos de M. Pierre Mauroy, mais s'est demandé si son discours ne contenait pas une critique à peine voilée du projet de loi présenté par le Gouvernement. Il a observé que les dispositions réunies dans le titre premier de ce projet, en matière de démocratie de proximité, étaient particulièrement timides. Jugeant qu'il n'était pas davantage proposé de mettre en place un véritable statut des élus, ni de réorganiser les différents niveaux de compétences, il a estimé que ce texte n'était pas une grande loi de décentralisation. Il a considéré, au contraire, que le Gouvernement ne proposait que de timides avancées, sans d'ailleurs assumer réellement leur contenu. Il a jugé nécessaire, pour sa part, de conforter la place des communes, qu'il a présentées comme l'échelon pertinent pour une démocratie de proximité épanouie. Il a exprimé la crainte qu'elles ne soient, au contraire, écartelées entre les structures intercommunales, dont la légitimité pourrait d'ailleurs être encore renforcée par une élection au suffrage universel de leurs représentants, et les quartiers, que le projet de loi tend à conforter. Il a appelé de ses v_ux des mesures fortes contre la stratification des niveaux de décision, jugeant inutile le maintien des cantons et urgent, a contrario, un renforcement des régions. Il a souhaité, enfin, une clarification d'ensemble des compétences et des responsabilités, afin que toute initiative ne fasse plus intervenir une multiplicité de cofinancements, qui ne permet pas d'identifier réellement les maîtres d'_uvre.

M. Jean-Pierre Dufau a salué les travaux de la commission présidée par M. Pierre Mauroy et a estimé que, si les propositions du Gouvernement restaient effectivement en deçà de ses conclusions, il convenait cependant de se féliciter de tout progrès réalisé en matière de décentralisation. Observant que la décentralisation avait été mise en _uvre, en 1982, sur le fondement du principe d'équivalence entre les ressources transférées et les charges dévolues, il a jugé utile de rappeler l'actualité de cette règle, qui est une condition de l'adhésion effective de l'ensemble des collectivités françaises au grand mouvement de la décentralisation. Il s'est félicité que la possibilité de participer aux conseils de quartiers ne soit pas liée à une condition de nationalité et a souhaité que cette reconnaissance de leur contribution à la vie locale soit un premier pas vers le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales. Il a également approuvé le principe d'un renforcement des droits des élus de l'opposition au sein des assemblées locales, tout en s'inquiétant du risque que des mesures excessives n'aboutissent à entretenir un climat permanent de campagne électorale, préjudiciable à leur bon fonctionnement. Il a souhaité que ne soient pas éludées les questions de l'existence des cantons et de l'élection au suffrage universel des structures intercommunales. Abordant, enfin, le fonctionnement des services départementaux d'incendie et de secours, il a observé que les situations locales étaient d'une grande diversité et que, dans ce domaine, l'évaluation devrait précéder la réforme.

Intervenant en application de l'article 38, alinéa 1, du règlement, M. Marc-Philippe Daubresse, tout en approuvant le fait que le projet de loi prévoie la création de comités de quartier, a regretté que les dispositions relatives aux modalités de création et de fonctionnement de ces structures ne soient pas plus souples, afin de prendre en compte l'extrême diversité susceptible d'exister en la matière. Observant qu'il n'était pas encore possible de savoir si les transferts de compétences au profit des collectivités territoriales seraient substantiels ou, à l'inverse, réduits, il a demandé à M. Pierre Mauroy si, lors de l'examen du projet de loi par le Sénat, il présenterait des amendements reprenant les propositions faites sur ce point dans son rapport. Puis, relevant que le projet de loi n'abordait pas la question des droits de l'opposition au sein des structures intercommunales, il a souhaité connaître sa position sur ce point ainsi que sur l'élection au suffrage universel des présidents de structures intercommunales.

Soulignant l'incontestable autorité morale de M. Pierre Mauroy en matière de décentralisation, M. Pascal Clément a observé que, en sa qualité de sénateur, il pourrait contribuer à l'enrichissement du texte aujourd'hui soumis à l'examen du Parlement. Il a fait observer, en prenant l'exemple des contrats de plan et du financement de la construction des autoroutes, que l'Etat n'avait plus les moyens d'assumer ses compétences et en faisait porter la charge sur les collectivités locales, sans pour autant leur en transférer la responsabilité. Evoquant ensuite l'élection au suffrage universel des présidents de structures intercommunales, il a considéré que, pour être plus démocratique, ce mode de désignation ne semblait pas cependant souhaité par les élus locaux, surtout soucieux d'assurer le pluralisme des exécutifs. Constatant, par ailleurs, que la Commission européenne avait tendance à faire des régions ses interlocuteurs privilégiés, il s'est interrogé sur les conséquences de cette évolution, observant qu'elle allait à l'encontre d'une tradition française de centralisation remontant à Louis XI et remettait à terme en cause la légitimité de l'échelon départemental. Enfin, observant que, sauf le préfet de région, compétent pour gérer les fonds structurels communautaires, les services déconcentrés de l'Etat avaient perdu une bonne part de leur raison d'être, il a regretté qu'ils n'aient pas été substantiellement réduits, et corrélativement la pression fiscale de l'Etat, alors que l'augmentation de leurs compétences avaient contraint les collectivités locales à augmenter leurs personnels, et donc leurs impôts.

Intervenant en application de l'article 38, alinéa 1, du règlement, M. Bernard Birsinger s'est demandé si le projet de loi, qui a pour objectif l'accroissement de la participation des citoyens à la vie politique locale, parviendrait à y intéresser certaines catégories de la population, notamment les jeunes, dont l'abstention est croissante, comme le montrent les résultats des élections municipales de mars 2001. Regrettant que les étrangers, à l'exception des ressortissants européens, ne possèdent pas le droit de vote aux élections locales, il a exprimé la crainte que le projet de loi ne constitue pas la réponse la mieux adaptée pour permettre une réelle participation à la vie politique locale de ceux qui, par choix ou du fait de la loi, ne s'y font pas entendre aujourd'hui. Puis après avoir indiqué qu'aux termes de « démocratie de proximité » il préférait ceux de « démocratie participative », qui mettent mieux en valeur la nécessité de renforcer la participation des citoyens aux affaires de la cité, il a exprimé la crainte que la création de conseils de quartiers ne se traduise, en fait, par le développement d'un « poujadisme de proximité ». Tout en précisant qu'il partageait le souhait d'améliorer la représentation des citoyens et leur contrôle sur les élus, il a cependant jugé souhaitable qu'un équilibre soit trouvé entre le développement de la démocratie directe dans le cadre des quartiers et le respect du principe de la démocratie représentative. Puis, après avoir considéré que les dispositions du projet relatives au statut de l'élu constituaient une avancée notable, il a conclu en déplorant que les amendements relatifs à l'extension des compétences accordées aux régions, dont le Gouvernement a annoncé le dépôt, ne soient pas encore à la disposition de la représentation nationale.

Intervenant en application de l'article 38, alinéa 1 du règlement, M. Patrice Martin-Lalande a souligné que la création de conseils de quartiers, présidés par un élu municipal, pourrait mettre en difficulté le maire, qui doit demeurer seul responsable de la gestion des affaires de la commune dans son ensemble.

Intervenant en application de l'article 87, alinéa 2, du Règlement, M. Pierre Cohen, rapporteur pour avis de la commission de la Production et des échanges, a tenu tout d'abord à rendre hommage au travail accompli par la commission présidée par M. Pierre Mauroy. Considérant que le projet de loi ne devait pas être analysé au travers des dispositions qui n'y figurent pas, il a insisté sur le fait qu'il constituait, en fait, la première étape de la réforme de la décentralisation et a approuvé la volonté du Gouvernement de modifier le champ des compétences accordées aux régions, à l'occasion de son examen par le Parlement. Constatant que le projet n'abordait pas la question du mode de désignation des conseillers communautaires, il a jugé qu'il convenait de s'interroger sur ce que souhaitent les citoyens en la matière et considéré qu'il était désormais possible d'envisager leur élection au suffrage universel direct, comme l'a proposé M. Bernard Roman lors de l'examen de la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, afin que ce nouveau mode de désignation, dont les modalités précises restent à définir, entre en vigueur en 2007, après les prochaines élections municipales. Evoquant la création de conseils de quartiers, il a émis le souhait qu'ils centrent leur action sur les préoccupations quotidiennes des habitants, précisant qu'il était favorable à une certaine souplesse dans la mise en place de ces nouvelles compétences afin que les communes les moins préparées ne soient pas soudainement contraintes de reproduire à l'identique les pratiques de communes plus expérimentées en la matière.

M. Bernard Roman, Président, a estimé que la création de conseils de quartiers dans les communes de 20 000 habitants au moins, proposée par le projet de loi, était une excellente mesure puisqu'elle permettrait de rapprocher les institutions des citoyens, ce qui constitue le vrai sens de la décentralisation. S'agissant des établissements publics de coopération intercommunale, il a indiqué qu'il était favorable à l'élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct ainsi qu'à l'instauration d'un véritable contrôle sur ces structures. Il a ensuite estimé que le titre II du projet de loi, consacré à la démocratisation de l'exercice des mandats locaux, comportait de nombreuses avancées, soulignant en particulier qu'il offrirait aux élus les moyens de mieux concilier leur activité professionnelle avec l'exercice de leur mandat tout en renforçant leur droit à la formation ainsi que les garanties liées à la fin de leur mandat.

Après avoir rappelé que la loi du 5 avril 2000 relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives et à leurs conditions d'exercice avait augmenté le montant des indemnités maximales des maires en laissant en suspens la question des indemnités des adjoints, il a jugé que les mesures de revalorisation prévues par le projet de loi étaient insuffisantes. Il a contesté le principe de la création d'un barème spécifique pour les adjoints et s'est montré favorable à la proposition formulée par le Sénat, qui consiste à déterminer ces indemnités par référence aux indemnités maximales prévues par la loi du 5 avril 2000 pour les maires. Il a, par ailleurs, souligné que les conditions d'exercice des fonctions de responsables des structures intercommunales devraient être améliorées. Il a, enfin, conclu son propos en regrettant que, pour les élus qui poursuivent leur activité professionnelle et perçoivent une indemnité de fonction, le projet de loi retienne le principe de la constitution d'une retraite par rente dans une logique de capitalisation et non de répartition.

En réponse aux différents intervenants, M. Pierre Mauroy a apporté les précisions suivantes :

-  Alors que la décentralisation a été combattue par l'opposition au début des années quatre-vingt, force est de constater qu'aujourd'hui l'ensemble des forces politiques se rejoignent sur la nécessité de poursuivre cette réforme institutionnelle. Parmi les 154 propositions avancées par la Commission pour l'avenir de la décentralisation, environ 130 ont fait l'objet d'un consensus et le départ des membres de la Commission appartenant à l'opposition s'explique davantage par des considérations de stratégie politique que par des raisons de fond.

-  Les travaux de la Commission pour l'avenir de la décentralisation ont montré l'existence d'un large accord pour mettre en _uvre une seconde étape de la décentralisation. Elle devra porter sur les compétences comme sur les financements et faire l'objet d'un texte d'ensemble. Le texte soumis à l'Assemblée nationale ne poursuit pas cet objectif, car toute réforme d'ampleur est conditionnée par les prochaines échéances électorales. Il n'en demeure pas moins que les dispositions du projet de loi relatif à la démocratie de proximité s'inspirent des propositions du rapport de la Commission pour l'avenir de la décentralisation et constituent une avancée appréciable.

-  La création de conseils de quartier et la possibilité pour les conseils municipaux d'élire des adjoints de quartier constituent un progrès de nature à conforter la démocratie participative. Cette disposition nouvelle devrait, en outre, permettre d'associer les résidents étrangers à la prise de décision à l'échelon local.

-  La loi du 3 mai 1996 relative aux services départementaux d'incendie et de secours soulève d'importants problèmes et doit être réformée. Il n'est pas logique que les collectivités soient tenues de financer ces services, alors même que l'Etat exerce leur conduite opérationnelle. Il serait souhaitable que l'Etat mette en place un service de protection civile à l'échelon national, car la situation actuelle est caractérisée par de graves insuffisances en la matière. Il est nécessaire d'augmenter le nombre de représentants des conseils généraux au sein des conseils d'administration des services départementaux d'incendie et de secours et il est indispensable de clarifier les modalités de financement de ces établissements publics.

-  La réforme de l'intercommunalité constitue un succès incontestable. Elle permet la mise en place d'espaces cohérents fondés sur le principe de la solidarité fiscale, sans remettre en cause la légitimité démocratique de l'échelon communal, qui constitue une spécificité française héritée de la Révolution. Compte tenu des responsabilités croissantes exercées dans le cadre intercommunal, l'élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct devient une nécessité. Le mode de scrutin retenu pourrait utilement s'inspirer de celui en vigueur à Paris, Lyon et Marseille en prenant la commune comme circonscription de base.

-  Les compétences du conseil général devront, à terme, être recentrées pour tirer les conséquences du nouveau maillage territorial résultant de la montée en puissance de l'intercommunalité. L'échelon cantonal n'est plus pertinent et doit être supprimé pour tenir compte de la nouvelle organisation institutionnelle du territoire.

-  Les régions doivent être renforcées pour permettre à la France d'évoluer vers une organisation institutionnelle comparable à celle des autres pays membres de l'Union européenne. A cette fin, la modification de la carte des circonscriptions régionales est nécessaire, mais elle ne pourra avoir lieu qu'après le développement d'une coopération interrégionale fondée sur la volonté des conseils régionaux existants. Les régions devront, par ailleurs, bénéficier de nouveaux transferts de compétence.

-  La réforme des finances locales est nécessaire. Elle doit permettre d'améliorer la péréquation entre les collectivités par le biais des concours financiers de l'Etat, tout en laissant aux collectivités locales la possibilité de se financer par la fiscalité, condition essentielle de leur autonomie.

-  L'Etat doit être réformé parallèlement à la mise en place de la nouvelle étape de la décentralisation. Un nouvel équilibre entre l'administration centrale, les services déconcentrés et les collectivités territoriales doit être défini.

-  Alors que les élus sont contestés, que le système représentatif est attaqué, la décentralisation constitue une réforme essentielle car elle permet de donner un nouveau souffle aux institutions républicaines.

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