Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (2000-2001)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 50

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 6 juin 2001
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de Mme Nicole Feidt, vice-présidente

SOMMAIRE

 

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- Information relative à la Commission

- Proposition de loi constitutionnelle de M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés tendant à modifier l'article 68 de la Constitution (n° 3091)

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La Commission a désigné M. Bernard Roman rapporteur pour la proposition de loi constitutionnelle de M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés tendant à modifier l'article 68 de la Constitution (n° 3091), puis procédé à l'examen de ce texte.

M. Bernard Roman, rapporteur, a considéré que, au-delà des controverses circonstancielles, qui mettent en lumière les problématiques traversant notre société, mais empêchent aussi d'aborder les sujets dans la sérénité, la question de la responsabilité pénale du Président était le point de rencontre de toutes les tensions agitant notre République. Il s'est interrogé sur les voies qui permettraient de rompre avec la sacralité des institutions, tout en maintenant un nécessaire respect à leur égard, mais aussi de reconnaître au Président de la République une forte légitimité, tout en le considérant comme un citoyen, soumis, à ce titre, aux lois ordinaires du pays. Il s'est également demandé comment assurer l'égalité devant la loi, tout en évitant une immixtion excessive de l'autorité judiciaire dans le fonctionnement du pouvoir exécutif, soulignant que les affaires récentes avaient mis en évidence ces questions, auxquelles il est difficile d'apporter une réponse simple.

Constatant que, longtemps, le problème de la responsabilité pénale du chef de l'Etat était apparu comme anecdotique, il a observé que les événements intervenus depuis une dizaine d'années avaient permis à cette question d'affleurer. Rappelant que l'article 68 de la Constitution fixe les conditions dans lesquelles la responsabilité du Président de la République peut être engagée devant la Haute Cour de justice, il a noté que ce dispositif n'avait soulevé que peu de controverses, jusqu'à ce que, en l'interprétant, au détour de sa décision du 22 janvier 1999 relative à la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel lui donne une portée nouvelle. Il a estimé que, dans le contexte actuel, la polémique ouverte par le Conseil constitutionnel imposait au pouvoir constituant d'intervenir, la proposition de loi constitutionnelle, soumise aujourd'hui à l'Assemblée nationale, s'inscrivant dans cette logique.

Rappelant que l'article 68 de la Constitution définit les conditions dans lesquelles la responsabilité du Président de la République peut être mise en cause, le rapporteur a souligné que ce texte, à première vue très clair, établissait un principe d'immunité partielle : le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison ; sa responsabilité ne peut être mise en cause pour les autres actes accomplis en sa qualité de chef de l'Etat. Il a ajouté que l'article 68 décrivait la procédure applicable en cas de haute trahison, la mise en accusation relevant de la compétence exclusive des deux assemblées et la Haute Cour de justice étant seule compétente pour juger le Président de la République.

Le rapporteur a observé, a contrario, puisque la Constitution ne contient aucune disposition écartant explicitement l'engagement de poursuites pénales contre le Président de la République pour des actes commis en dehors de l'exercice de ses fonctions, que le chef de l'Etat avait pu être considéré passible des tribunaux de droit commun,, comme tout citoyen lorsqu'il commet des actes réprimés par le droit. Il a rappelé, à l'appui de cette thèse, l'interprétation du président Jean Foyer, selon laquelle le Président de la République ne bénéficie d'aucun privilège de juridiction pour le jugement des infractions détachables de l'exercice de ses fonctions.

Notant que la doctrine semblait avoir massivement retenu cette lecture scrupuleuse de l'article 68 de la Constitution, il a indiqué que la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, avait profondément surpris les observateurs. Il a rappelé que le Conseil constitutionnel avait, en effet, étendu, pendant toute la durée de son mandat, le privilège de juridiction prévu par l'article 68 pour le cas de haute trahison à tous les actes commis par le chef de l'Etat, en dehors de l'exercice de ses fonctions, ajoutant que cette extension résultait d'une incidente, sans lien réel avec l'objet de la décision. Il a, par ailleurs, insisté sur le fait que la décision n'était pas interprétée comme reconnaissant une immunité pénale au Président de la République, mais seulement comme imposant l'obligation de le traduire devant la Haute Cour de justice, pendant son mandat, pour tout crime ou délit.

Il a également appelé l'attention des membres de la Commission sur le fait que l'interprétation donnée de cette décision, dans une revue juridique, par le secrétaire général du Conseil constitutionnel, méconnaissait gravement les prérogatives du pouvoir constituant. Il a relevé que celui-ci considérait, en effet, que le pouvoir d'interprétation du Conseil constitutionnel lui permettait de concilier des principes constitutionnels, à l'encontre même du texte explicite de la Constitution. Il s'est interrogé sur la portée de l'interprétation de l'article 68 donnée par le Conseil constitutionnel, observant qu'elle ne relevait ni du dispositif de la décision, ni de ses motifs. Rappelant que l'article 62 de la Constitution fondait l'autorité des décisions du Conseil à l'égard des juridictions, il s'est demandé s'il trouvait lieu de s'appliquer en l'occurrence, relevant que, si des juges d'instruction s'étaient déjà déclarés incompétents sur ce fondement, la Cour de cassation n'avait, cependant, pas encore eu l'occasion de statuer en la matière.

Puis le rapporteur a mis en évidence les questions que la décision du Conseil constitutionnel ne résolvait pas, comme celle de la suite à donner à une procédure ayant débuté devant la Haute Cour de justice, alors que le mandat du Président de la République s'est achevé. Dans ces conditions, l'état du droit semblant trop mouvant, il a considéré que le pouvoir constituant ne pouvait laisser en suspens la question de la responsabilité pénale du Président de la République, qui prend des proportions de plus en plus difficiles à maîtriser. Il a jugé que la proposition de loi constitutionnelle présentée par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste répondait à la nécessité de clarifier le droit. Soulignant la volonté de ses auteurs de faire du chef de l'Etat un véritable président-citoyen ouvrait ainsi la voie à une nouvelle manière de concevoir la fonction présidentielle, il a indiqué que la proposition de loi maintenait la compétence de la Haute Cour de justice pour la haute trahison, préservant ainsi le principe d'irresponsabilité du Président de la République pour tous les actes commis dans l'exercice de ses fonctions non susceptibles d'être qualifiés de haute trahison. Il a ajouté que la proposition de loi constitutionnelle avait donc pour principal mérite de fonder la compétence des juridictions de droit commun pour les délits et crimes commis par le Président de la République en dehors de ses fonctions. Il a estimé, en effet, que si le Président est, en cette qualité, irresponsable, il semblait légitime qu'en tant que citoyen il soit responsable des actes qu'il commet en dehors de ses fonctions, le principe de justice l'exigeant.

Le rapporteur a alors indiqué que la proposition de loi constitutionnelle définissait les conditions de mise en _uvre de ce principe, dans le second alinéa de son article premier, moyennant une adaptation inspirée du dispositif prévu par l'article 68-2 de la Constitution pour les membres du Gouvernement, puisque les poursuites ne pourraient être engagées contre le Président de la République que sur décision d'une commission des requêtes, saisie par le parquet ou la partie qui se prétend lésée. Il a précisé que ce dispositif avait pour objet d'éviter des procédures abusives. Enfin, il a souligné que la proposition de loi reportait l'entrée en vigueur du dispositif en 2002, à l'issue des prochaines élections présidentielles, afin d'écarter tout risque d'interférence avec la consultation à venir.

Contestant la présentation faite par le rapporteur de la proposition de loi, dont les objectifs ne sont pas, comme il a tenté de le faire accroire, désintéressés et d'ordre juridique, M. Claude Goasguen a estimé que le débat actuel ne devait pas être limité à la seule question de la responsabilité pénale du Président de la République, mais porter sur l'ensemble des relations entre le pouvoir politique, la justice et les médias. Il a jugé indispensable, dans ce cadre, que soit engagée une réflexion approfondie sur la justice, et plus précisément sur les conditions dans lesquelles se déroule l'instruction ; constatant, notamment, que les mises en cause d'hommes politiques, par la voie des médias, dans des affaires en cours d'instruction, étaient désormais quotidiennes, il s'est interrogé sur le maintien du principe du secret de ces instructions. Jugeant que l'attitude des parlementaires socialistes sur la question de la responsabilité pénale du Président de la République n'avait fait que contribuer à détériorer encore ce climat politique, il a observé, néanmoins, que cette querelle juridique ne suscitait finalement de la part de l'opinion publique qu'une indifférence blasée. Constatant, en effet, que la mise en cause d'hommes politiques dans des affaires récentes n'avait pas empêché leur réélection ultérieure, il a mis en garde les parlementaires contre la tentation de faire trancher par le peuple les conflits entre justice et pouvoir politique.

M. Claude Goasguen a, ensuite, rappelé la genèse de l'article 68 de la Constitution, conçu par les constituants, à l'origine, comme une protection utile contre les tentations autoritaires prêtées au Général de Gaulle et comme un contrepoids à l'article 16. Il a précisé que la référence à la haute trahison avait été introduite dans la loi fondamentale bien avant la Constitution de la Cinquième République, dès 1815, sans qu'une définition précise de cette incrimination ne soit jamais donnée. Il a estimé que l'interprétation faite par le Conseil constitutionnel de l'article 68, compte tenu de son ambiguïté, ne pouvait être ni infirmée, ni confirmée. Il a jugé que la démarche entreprise par M. Montebourg avait, par rapport à celle des auteurs de la proposition de loi, le mérité de la clarté, et était, juridiquement, moins contestable, puisque, en donnant une interprétation extensive de la haute trahison, elle s'inscrivait dans le cadre d'une responsabilité liant le juridique et le politique. Evoquant la procédure d'impeachment existant dans la Constitution américaine, M. Claude Goasguen a, en effet, plaidé pour un dispositif qui permettrait véritablement, comme aux Etats-Unis, une fusion de la responsabilité pénale et de la responsabilité politique ; considérant que l'article 68 de la Constitution, dans sa rédaction actuelle, constituait une première ébauche de cette responsabilité politico-judiciaire, il a contesté le bien-fondé du dispositif proposé, qui s'éloigne de cet objectif, sans aller, pour autant, jusqu'à une responsabilité entièrement pénale. Il s'est ainsi interrogé sur la pertinence d'un dispositif, qui prévoit une sanction sans préciser la nature de la peine, jugeant inconcevable le maintien en fonction d'un Président de la République qui aurait fait l'objet d'une condamnation pénale. Reconnaissant néanmoins qu'une réflexion s'imposait sur le sujet de la responsabilité pénale de l'exécutif, il a suggéré qu'elle soit conduite par un conseil d'experts qui serait chargé de proposer une réforme en la matière.

M. Jean-Pierre Michel a observé qu'avant la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, l'interprétation de l'article 68 ne soulevait aucune difficulté, puisqu'un consensus se dégageait pour considérer que le privilège de juridiction ne s'appliquait que dans les cas de haute trahison. Il a indiqué que si cette notion n'était pas clairement définie, il était généralement admis qu'elle recouvrait les manquements commis par le Président de la République aux devoirs de sa charge, manquements pouvant se traduire notamment par des délits de droit commun. Après avoir souligné que l'interprétation contestée du Conseil constitutionnel était une simple incise dans une décision portant sur un tout autre sujet, il a relevé que le secrétaire général de la haute juridiction avait ajouté à la confusion en donnant son analyse personnelle de cette interprétation dans une revue juridique. Il a jugé, à cet égard, nécessaire que le législateur réfléchisse à l'adoption d'un dispositif définissant plus strictement le statut du secrétaire général de cette institution afin, notamment, de lui imposer le respect du devoir de réserve qui s'applique à tous les fonctionnaires. Après avoir considéré que l'interprétation faite le 22 janvier 1999 de l'article 68 avait pour seul objectif de prendre en compte la situation du Président de la République en exercice, il a indiqué que les procureurs généraux et les procureurs de la République n'avaient eu d'autre choix que de suivre cette interprétation, les juges d'instruction se déclarant, dès lors, incompétents. Observant que les chambres de l'instruction étaient actuellement saisies des ordonnances des juges d'instruction, il a souligné que la Cour de cassation ne s'était pas encore prononcée sur cette question, ajoutant qu'il était difficile de préjuger de sa décision, puisque cette juridiction n'a pas lieu de se considérer liée par une simple incise figurant dans une décision du Conseil constitutionnel. Faisant valoir qu'il n'y aurait plus d'ambiguïté sur l'interprétation de l'article 68 si la Cour de cassation confirmait la doctrine prévalant avant la décision du 22 janvier 1999, il a considéré que la proposition de loi était un peu prématurée, tout en reconnaissant que le dispositif proposé réglait la question de la responsabilité pénale du Président de la République de façon démocratique, en respectant le principe d'égalité devant la justice.

Estimant, contrairement à M. Jean-Pierre Michel, que l'interprétation de l'article 68 par la doctrine reconnaissait au Président de la République une immunité totale pour tous ses actes, hors le cas de haute trahison, M. Jacques Brunhes a considéré que les difficultés actuelles provenaient de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 et surtout de son communiqué de presse d'octobre 2000, qui fait disparaître l'immunité pénale au profit d'un privilège de juridiction pendant toute la durée du mandat du Président de la République. Jugeant ce privilège de juridiction inacceptable, il a souhaité une adoption rapide de la proposition de loi, afin de mettre fin à une particularité contestable de la vie politique française. Tout en soulignant le bien fondé de cette révision constitutionnelle, il a émis des réserves sur la multiplication des modifications ponctuelles de la Constitution, estimant qu'il serait souhaitable d'avoir une vue d'ensemble sur la réforme des institutions.

Evoquant les propos liminaires du rapporteur affirmant sa volonté d'aborder avec sérénité la question du régime de la responsabilité pénale du chef de l'Etat, M. Philippe Houillon a regretté qu'il n'ait pas respecté cette attitude dans la présentation de son rapport, constatant que, derrière un discours en apparence juridique, se dissimulait, en fait, un objectif politicien. Considérant qu'il n'était pas possible, à moins d'un an du premier tour de la prochaine élection présidentielle, d'engager de manière apaisée une réforme de cette nature, il a dénoncé la multiplication des initiatives de la majorité qui, par crainte de la sanction électorale, recourt à tous les artifices imaginables. Il a évoqué, à cet égard, l'inversion du calendrier électoral, mais également la demande de mise en accusation de l'actuel chef d'Etat devant la Haute Cour de justice, résultant d'une initiative d'un certain nombre de députés de la majorité plurielle, qu'il a jugée « téléguidée ». Il a estimé que la présente proposition de loi s'inscrivait dans la même logique de manipulation, observant que, déposée le 29 mai dernier, elle était inscrite à l'ordre du jour du 12 juin, tandis que son rapporteur, désigné aujourd'hui même, semblait avoir déjà beaucoup avancé dans la préparation de son rapport. Il a ajouté que, compte tenu de l'actuelle configuration politique du Sénat, les auteurs de la proposition ne pouvaient espérer qu'elle soit adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Regrettant que le rapporteur n'ait pas fait mention dans son exposé des exemples étrangers, qui font ressortir que les procédures de mise en cause de la responsabilité pénale des membres de l'exécutif sont toujours dérogatoires au droit commun, il a contesté la référence, faite par le rapporteur, à un président citoyen. Il a, en effet, souligné que, dès lors qu'un citoyen accédait à la fonction présidentielle, il ne pouvait plus être considéré comme un citoyen ordinaire, en raison du principe de la séparation des pouvoirs, mais aussi parce qu'il devenait, aux termes mêmes de la Constitution, chef de l'exécutif, chef des armées et président du Conseil supérieur de la magistrature. Tout en reconnaissant que certaines difficultés juridiques concernant la responsabilité du Président de la République étaient apparues récemment, il a conclu son propos en invitant les auteurs de la proposition à la retirer pour qu'une réflexion sereine puisse être conduite sur cette question après les prochaines échéances électorales.

Observant que la qualité des interventions montrait qu'il n'était pas nécessaire de recourir à un collège d'experts pour légiférer sur cette question, M. Jacques Floch a insisté sur l'importance de certains événements historiques pour comprendre la genèse de l'article 68 de la Constitution. Il a évoqué notamment le contexte trouble de la guerre d'Algérie et la tentative de coup d'Etat perpétrée par certains militaires, le 13 mai 1958, qui avaient renforcé les appréhensions nourries par de nombreux hommes politiques à l'égard de la personnalité du général de Gaulle. Il a insisté sur les obstacles s'opposant au vote d'une mise en accusation du Président de la République devant la Haute Cour de justice, la procédure impliquant un scrutin public, un vote à la majorité absolue et une adoption du texte par les deux assemblées. Enfin, s'agissant du motif il a relevé que la notion de haute trahison n'avait pas été définie par les rédacteurs de la Constitution, le code militaire étant le seul texte normatif en vigueur faisant mention de trahison et la réprimant.

M. Arnaud Montebourg a remercié le rapporteur d'avoir initié ce débat, jugeant effectivement nécessaire de modifier l'article 68 de la Constitution. Il a considéré, comme M. Jacques Brunhes, qu'il serait tout à fait opportun de profiter de cette occasion pour corriger d'autres aspects de notre loi fondamentale, qui confère une place excessive au pouvoir exécutif et ne prévoit pas suffisamment de contre-pouvoirs, notamment au profit du Parlement. Il a jugé légitime et cohérente la position de certains parlementaires de l'opposition, qui refusent l'idée d'un président citoyen, susceptible de faire l'objet d'enquêtes judiciaires, qui, il est vrai, peuvent parfois apparaître comme abusives, tout en précisant qu'évidemment il ne partageait pas ce point de vue. Il a observé que, dans cette optique, il serait plus cohérent de défendre le statu quo juridique, plutôt que de réclamer la mise en place d'une commission d'experts, une telle initiative équivalant à admettre, implicitement, la nécessité de modifier le statut pénal actuel du Président de la République.

Estimant que le Conseil constitutionnel était une curieuse institution, de surcroît à la dérive, il a, cependant, constaté que ses décisions s'imposaient aux parlementaires, aussi bien qu'aux magistrats de l'ordre judiciaire et au Président de la République lui-même. Il a donc considéré que, compte tenu de son interprétation de l'article 68 de la Constitution, les députés n'avaient d'autre choix, aujourd'hui, pour répondre aux attentes des citoyens, qui exigent « que la justice passe », que d'engager des poursuites devant la Haute Cour de justice, en signant la proposition de résolution qu'il a rédigée à cet effet. Il a admis que cette procédure n'était pas satisfaisante, mais a souligné qu'elle permettait au moins de garantir la continuité des poursuites, satisfaisant ainsi une exigence démocratique et offrant, le cas échéant, à une personne soupçonnée à tort, la possibilité d'être innocentée des accusations portées à son encontre. Il a rappelé, à cet égard, qu'un ancien Premier ministre avait été contraint de demander sa propre mise en accusation pour pouvoir, enfin, être jugé d'un acte dont il se savait innocent. Il s'est donc réjoui qu'une alternative soit, aujourd'hui, offerte aux députés, consistant à s'engager, comme les y invitent MM. Jean-Marc Ayrault et Bernard Roman au nom de l'ensemble des membres du groupe socialiste, en faveur d'une modification de la Constitution. Ce faisant, il a appelé les parlementaires à mettre fin à une intolérable impunité judiciaire, qui profite à un justiciable placé, de facto, au-dessus des lois.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a jugé ce débat choquant et lamentable. Il a considéré que tous les démocrates et les républicains devraient contribuer à restaurer la place de l'autorité politique, plutôt que de participer à son affaiblissement, au profit de comité d'experts ou d'autorités plus ou moins indépendantes, dont l'ancien Président de la République, François Mitterrand, avait dénoncé, en son temps, le poids excessif. Il a estimé que le principe d'une distinction entre la responsabilité politique et la responsabilité pénale était essentiel. Tout en admettant qu'il pourrait être utile d'entamer une réflexion de fond sur la façon de traiter des fautes susceptibles d'être commises par un Président de la République, il a considéré que cette proposition de loi constitutionnelle était, en réalité, un texte de circonstance. Il a ajouté que les affaires visées par le groupe socialiste avaient essentiellement trait à d'éventuelles infractions aux règles qui encadrent le financement des campagnes électorales, alors même que cette législation n'est pas satisfaisante. Il a considéré, en effet, qu'il ne serait pas possible aux candidats à la prochaine élection présidentielle, à l'exception du Président de la République en fonction et du Premier ministre, de mener une campagne à la hauteur de leurs ambitions sans y contrevenir. De façon plus générale, il a estimé, qu'une évolution vers une présidence totalement citoyenne ne pourrait être envisagée, tant que le code de procédure pénale permettrait d'obtenir la mise en examen d'un responsable politique pour des motifs contestables ou futiles. Il a jugé urgent d'entamer le travail préparatoire nécessaire à l'élaboration d'un projet de plus vaste ampleur. Précisant que, pour cette raison, l'UDF demanderait le renvoi en commission de cette proposition de loi constitutionnelle, il a regretté, dans l'attente, que le débat initié par le groupe socialiste ne soit qu'une étape misérable d'une campagne électorale, d'ores et déjà engagée.

Constatant qu'il était possible soit de feindre d'ignorer la question de la responsabilité pénale du Président de la République, soit d'essayer d'y répondre, M. François Colcombet a volontiers admis que le dépôt de la proposition de loi constitutionnelle, tout comme la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 22 janvier 1999, ne pouvaient être totalement détachés de considérations conjoncturelles. Estimant que les constituants n'avaient certainement pas envisagé, en rédigeant l'article 68 de la Constitution, l'hypothèse de poursuites judiciaires à l'encontre du général de Gaulle, il a souligné que de nombreuses voix s'étaient élevées pour juger imprudente l'interprétation de ces dispositions donnée par le Conseil constitutionnel. Il a considéré que, dans ce contexte, quatre solutions pouvaient être retenues par la Cour de cassation : elle pourrait s'estimer liée par les décisions du Conseil constitutionnel, ne pas se juger tenue mais prendre, de fait, la même position, considérer que les faits antérieurs à l'élection ou détachables de l'exercice des fonctions présidentielles doivent être poursuivis et jugés selon les règles de droit commun, ou estimer que, si le droit commun s'applique, il ne revient pas à une juridiction ordinaire de statuer.

Jugeant peu souhaitable que ces incertitudes juridiques demeurent, M. François Colcombet a, par ailleurs, observé qu'aujourd'hui la tendance était plutôt à ramener le personnel politique vers un régime de droit commun. A cet égard, il a rappelé que, sous réserve de quelques garanties procédurales, les parlementaires y étaient désormais soumis et a souligné que, récemment encore, une ministre avait été poursuivie devant la Cour de justice de la République sans, pour autant, cesser d'exercer ses fonctions. Considérant que les hommes politiques devraient être soumis au droit commun, sous la seule réserve d'une procédure protectrice, adaptée à leurs fonctions, il a souligné que la mise en place d'une commission des requêtes prévue par la proposition de loi répondait à cet objectif, en instaurant un filtre susceptible de protéger efficacement le Président contre les actions abusives, tout en lui laissant le temps de réagir.

M. Pascal Clément a d'abord regretté que les débats sur la question de fond ne s'engagent qu'à l'occasion d'événements conjoncturels. Il a souligné les paradoxes de l'attitude des membres de la majorité qui, après avoir longtemps dénoncé l'exercice personnel du pouvoir, avaient défendu la prééminence de l'élection du Président de la République pour inverser le calendrier électoral et insistaient aujourd'hui sur la nécessité de traiter le chef de l'Etat comme un citoyen ordinaire, ce que la lecture de la Constitution ne justifie aucunement. Sans contester la compétence du Conseil constitutionnel pour interpréter la Constitution, il s'est déclaré « abasourdi » par sa décision du 22 janvier 1999, s'étonnant qu'il ait pu poser le principe de sa responsabilité pénale, alors que le texte même de la Constitution indique explicitement qu'il n'est responsable qu'en cas de haute trahison. Par ailleurs, il a considéré que la Cour de cassation n'avait pas compétence pour interpréter la Constitution, son rôle étant seulement d'appliquer la loi.

Observant que les auteurs de la proposition de loi justifiaient son dépôt par l'impossibilité qu'il y aurait à mettre en _uvre les dispositions de l'article 68, M. Pascal Clément a contesté cette affirmation. Il a considéré qu'il était parfaitement envisageable que les parlementaires votent une résolution portant mise en accusation du Président de la République en cas de forfaiture ou de haute trahison, soulignant qu'ils n'étaient pas prêts à le faire, en revanche, pour une affaire de droit commun, liée au financement des partis, alors même que tous les partis se trouvent, à cet égard, dans la même situation et qu'il n'y a donc nulle raison de pointer uniquement le délit d'un seul. Evoquant le dispositif de la proposition de loi, il a considéré que la possibilité donnée aux procureurs et aux parties de saisir une commission des requêtes pourrait se traduire par un harcèlement judiciaire du Président de la République, dont la presse ne manquerait pas de se faire l'écho, ce qui mettrait inévitablement en cause l'autorité que constitue le chef de l'Etat et fragiliserait, à travers lui, les institutions. Insistant sur les mérites de la Ve République, qui a fait la preuve de sa longévité et de sa capacité à s'adapter à des situations différentes - qu'il s'agisse de l'alternance ou de la cohabitation -, il a plaidé pour que le fonctionnement des institutions actuelles ne soit pas compromis par une multiplication de révisions constitutionnelles, qui devraient être conduites dans la sérénité et avec prudence.

M. André Vallini a indiqué que le dépôt de la proposition de loi constitutionnelle par le groupe socialiste était justifié par la volonté de mettre fin aux incertitudes juridiques résultant de l'actuelle rédaction de l'article 68 de la Constitution, auxquelles la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 n'a pas apporté de réponse adéquate, et de tenir compte de l'évolution de l'opinion publique et des juges, qui acceptent de plus en plus mal que le Président de la République échappe à la juridiction de droit commun pour les actes détachables de l'exercice de ses fonctions. Soulignant que cette proposition ne visait pas à atteindre l'actuel chef de l'Etat, il a estimé, toutefois, que l'impossibilité de faire aboutir les procédures en cours mettait en évidence la nécessité de régler la question de la responsabilité pénale du Président de la République.

Il a ajouté que la proposition de loi permettrait de faire du Chef de l'Etat un véritable « président-citoyen », soumis aux lois de la République, comme chacun de nos concitoyens, tout en évitant qu'il ne soit soumis à une quelconque forme de « harcèlement judiciaire », nuisible à la stabilité des institutions, grâce à l'instauration d'un filtre permettant d'écarter des poursuites manifestement dénuées de fondements sérieux

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  L'argument qui consiste à soutenir que la proposition de loi est motivée par le souci de mettre en accusation M. Jacques Chirac est erroné. En permettant au Président de la République de répondre des actes détachables de l'exercice de ses fonctions devant la justice ordinaire, la proposition de loi lui donnera également la possibilité de répondre aux attaques dont il est objet ; la justice n'a pas pour seule fonction de punir, mais peut, tout autant, innocenter.

-  La question de savoir si un Président de la République qui fait l'objet d'une condamnation pénale doit être destitué est distincte de l'objet de la proposition de loi.

-  Il n'est pas nécessaire d'attendre une décision de la Cour de cassation sur l'interprétation de l'article 68 pour éclaircir et fonder durablement le droit de la responsabilité pénale du Président de la République, ni d'ailleurs une réforme constitutionnelle plus large portant sur l'ensemble des institutions.

-  Il ressort des exemples étrangers, que seules les monarchies, telles que l'Espagne ou le Royaume-Uni, retiennent le principe de l'immunité juridictionnelle du chef de l'Etat. Dans les autres Etats, la pratique est différente. Dans certains pays, tels que l'Allemagne ou l'Autriche, le Président de la République peut être poursuivi pénalement pour les actes accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions devant les juridictions ordinaires pendant son mandat, tandis que dans d'autres, comme le Portugal ou la Grèce, il est nécessaire d'attendre la fin de son mandat pour engager d'éventuelles poursuites, ce qui ne semble pas une solution entièrement satisfaisante.

-  Le choix est simple : si l'on accepte l'interprétation du Conseil constitutionnel, il faut alors saisir la Haute Cour de Justice, comme le propose actuellement M. Arnaud Montebourg, pour poursuivre le président de la République, ce qui n'est pas sans inconvénient tant sur le plan institutionnel que politique ; sinon, il faut modifier la Constitution afin de fonder clairement la responsabilité pénale du Président de la République en remettant en cause l'interprétation discutable du Conseil constitutionnel.

La Commission a rejeté l'exception d'irrecevabilité n° 1 et la question préalable n° 1 respectivement présentées par M. Jean-Louis Debré et M. Jean-François Mattei.

La Commission est ensuite passée à l'examen des articles de la proposition de loi constitutionnelle.

Article premier : Modification de l'article 68 de la Constitution :

La Commission a été saisie d'un amendement de M. Jean-Pierre Michel tendant à permettre que le témoignage du Président de la République puisse être recueilli dans le cadre d'une enquête préliminaire ou par un juge d'instruction lorsqu'une information est ouverte. M. Jean-Pierre Michel a souhaité que ce dispositif soit introduit dans la proposition de loi, afin de régler un problème dont on a pu mesurer récemment la portée, l'obligation pour le Président de la République de témoigner n'étant pas ici soumise au filtre de la commission des requêtes instituée par la proposition de loi. M. Pascal Clément a souhaité savoir s'il serait possible à un juge de signer un mandat d'amener contre le Président de la République, tandis que M. Renaud Donnedieu de Vabres s'interrogeait sur l'opportunité de faire intervenir la commission des requêtes lorsque le Président est appelé en qualité de témoin. Le rapporteur a précisé qu'il proposait un amendement soumettant à l'autorisation de cette commission toute mesure privative ou restrictive de liberté à l'encontre du chef de l'Etat, soulignant, par ailleurs, que, si la proposition de loi constitutionnelle prévoyait des règles spécifiques pour la mise en cause de la responsabilité pénale du Président de la République destinées à éviter qu'il ne soit l'objet d'un harcèlement judiciaire, tous les actes de procédure sortant de ce cadre strictement défini relevaient, en revanche, du droit commun. Il a donc considéré que le Président de la République devrait normalement témoigner dans les conditions du droit commun. A l'issue de ce débat, la Commission a rejeté l'amendement de M. Jean-Pierre Michel.

Puis elle a été saisie d'un amendement de M. Pascal Clément supprimant la possibilité pour une partie se prétendant lésée de saisir la commission des requêtes, cette faculté étant réservée au parquet général près la Cour de cassation, lui-même saisi par des magistrats du siège ou du parquet. Après que son auteur eut insisté sur le risque de voir le Président de la République harcelé par des requêtes abusives, Monsieur André Vallini a exprimé son intérêt pour cet amendement. Faisant référence à la commission des requêtes placée auprès de la Cour de justice de la République qui est saisie de manière assez fréquente, M. François Colcombet a observé qu'aucune publicité excessive n'était donnée à ces saisines. Il a considéré, par ailleurs, que les magistrats du parquet n'offraient pas une garantie absolue contre les procédures abusives, s'interrogeant, en outre, sur l'opportunité d'inscrire tous les détails de la procédure dans la loi constitutionnelle, alors qu'ils pourraient l'être dans la loi organique. Le rapporteur ayant souhaité que le dispositif de cet amendement, qu'il a jugé d'un grand intérêt, soit précisé, M. Pascal Clément a préféré le retirer pour en revoir la rédaction.

Après que le rapporteur eut rappelé que les parlementaires bénéficiaient d'une protection équivalente aux termes de l'article 26 de la Constitution, la Commission a adopté un amendement qu'il a présenté pour prévoir que le Président de la République ne pourrait faire l'objet d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation de la commission des requêtes, celle-ci n'étant pas, cependant, requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

La Commission a ensuite adopté cet article ainsi modifié.

Article additionnel après l'article premier : Intitulé du titre IX de la Constitution :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur modifiant l'intitulé du titre IX de la Constitution, qui serait désormais libellé : « De la responsabilité du Président de la République ».

Article 2 : Entrée en application de la réforme :

La Commission a adopté deux amendements du rapporteur, l'un de coordination et l'autre précisant que la proposition de loi constitutionnelle entrera en vigueur à l'expiration du mandat présidentiel ayant débuté en 1995, la référence à l'élection présidentielle de 2002, contenue dans le texte soumis à la Commission, ne permettant pas d'établir une date d'entrée en vigueur précise. La Commission a adopté cet article ainsi modifié.

La Commission a ensuite adopté l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.

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