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Session ordinaire de 2001-2002

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES, de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE

RÉUNION DU MARDI 30 OCTOBRE 2001

Projet de loi de finances pour 2002

Audition de Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice
sur les crédits de son ministère

Présidence de M. Bernard Roman
président de la commission

La séance est ouverte à neuf heures.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - Madame la Garde des Sceaux, nous sommes heureux de vous accueillir au sein de cette commission élargie, où votre présence sera toujours appréciée.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - C'est avec plaisir que je vous présente aujourd'hui ce budget de la justice, le premier dont j'aie assuré entièrement la préparation. On peut affirmer sans exagération qu'il s'agit d'un très bon budget. La justice constituant une priorité pour le Gouvernement, les crédits augmentent de 5,7 %, ce qui est supérieur à la hausse moyenne des dépenses de l'Etat, qui s'établit à 2 %.

Au total, mon ministère disposera de 30,7 milliards de francs : pour la première fois, le seuil symbolique des 30 milliards est donc franchi. Votre objectif dans l'avenir sera sans doute de dépasser un nouveau seuil symbolique, celui des 5 milliards d'euros.

En termes d'effectifs, 2 792 emplois sont créés, contre 1 750 en 2001, ce qui était déjà considérable.

Les autorisations de programme représentent 2,4 milliards de francs : il s'agit de financer un grand programme de rénovation et de construction dans le monde judiciaire comme dans l'administration pénitentiaire.

C'est donc un budget cohérent avec la politique du Gouvernement.

Sur les 2 792 emplois nouveaux, 1 525 iront à l'administration pénitentiaire : c'est trois fois plus qu'en 2001. Il s'agit en majorité de postes de surveillants - un peu plus de 1 200 - mais nous allons aussi augmenter les effectifs des personnels d'insertion, des personnels administratifs et techniques, qui sont en nombre insuffisant. Ce recrutement témoigne de notre volonté d'améliorer la sécurité et les conditions de travail dans les établissements. Notre choix d'avoir des prisons à la fois sûres et humaines exige bien entendu des moyens.

En outre, ces créations d'emplois, complétées par d'autres recrutements ultérieurs, permettront de mettre en _uvre la réduction du temps de travail au 1er janvier 2002.

845 emplois seront créés dans les juridictions judiciaires, dont 320 magistrats et 525 fonctionnaires, greffiers, greffiers en chef et contractuels. Nous pourrons ainsi achever la mise en _uvre des réformes récentes, notamment de la loi sur la présomption d'innocence. En quatre ans, 880 emplois ont été créés, dont 427 de magistrats. Nous pourrons aussi continuer à améliorer la qualité de la justice. De ce point de vue, les résultats sont déjà tangibles : la durée moyenne des affaires terminées dans les tribunaux de grande instance au civil est passée de 9,3 mois en 1998 à 8,9 mois en 2000 ; le taux de réponse pénale, c'est-à-dire le pourcentage d'affaires susceptibles d'être poursuivies et qui le sont vraiment ou donnent lieu à une mesure alternative est passé de 64 % en 1997 à 67,9 % en 2000.

Dans le cadre du plan de lutte contre la délinquance des mineurs, la protection judiciaire de la jeunesse bénéficiera de 300 créations d'emplois d'éducateurs, de psychologues, d'enseignants et de personnels administratifs.

Enfin, ce budget comporte 32 créations d'emplois à l'administration centrale, 4 à la CNIL, et 86 dans les juridictions administratives, les cours administratives d'appel en particulier étant très encombrées.

Par ailleurs, pour répondre à l'exigence de transparence qui inspire la nouvelle loi organique relative aux lois de finances, nous réalisons la première tranche d'un plan pluriannuel de résorption des mises à disposition internes. La Cour des comptes avait d'ailleurs critiqué ce dispositif par lequel des magistrats et fonctionnaires affectés pour ordre dans des juridictions et des services déconcentrés sont en réalité à la disposition des administrations centrales ou d'organismes extérieurs.

Un effort, nécessaire et légitime est également fait pour prendre en compte les compétences, les responsabilités et surtout la difficulté de certains métiers, en particulier les surveillants d'administration pénitentiaire et les éducateurs de la police judiciaire de la jeunesse. Ce budget y consacre près de 450 millions de francs.

Les crédits de fonctionnement courants augmenteront de 3,4 % et même de 5,6 % pour les crédits informatiques, la modernisation des méthodes de travail restant une priorité. Nous sommes parvenus au taux de 1,7 agent par ordinateur qui est correct même s'il faut encore l'améliorer dans certains secteurs. Fin 2001, 21000 agents seront connectés à l'intranet justice alors qu'il n'y en avait aucun fin 1998. A terme, l'impact sur le fonctionnement du ministère sera considérable.

S'agissant des crédits d'intervention, je souligne d'abord la très forte hausse de 18 % des crédits d'aide juridictionnelle qui atteindront 1,8 milliard de francs en raison notamment de la hausse de la rétribution des avocats décidée à la fin de l'année dernière. L'aide juridictionnelle sera étendue aux procédures disciplinaires concernant les détenus. Le plafond de ressources ouvrant droit à l'aide a été relevé en 2001. Cette année il sera simplement revalorisé comme le seuil de la tranche la plus basse de l'impôt sur le revenu. Au vu des conclusions de la commission Bouchet, je préfère en effet m'orienter vers une réforme globale de l'aide juridictionnelle et de l'accès au droit. Je présenterai donc un projet de loi avant la fin de l'année ; sa mise en oeuvre exigera, au-delà de 2002, d'importants moyens budgétaires.

D'autre part, nous poursuivons notre effort en faveur de l'aide aux victimes. Les associations qui sont nos partenaires bénéficieront de mesures nouvelles, 7,5 millions de francs, en partie pour financer le nouveau numéro national d'aide aux victimes. L'engagement que nous avions pris de doubler en trois ans les crédits dans ce domaine sera tenu.

S'agissant de l'équipement, notre programme se poursuit à un rythme soutenu. Les 550 millions de francs d'autorisations de programme ouvertes dans le domaine judiciaire permettront de poursuivre ou d'engager des opérations dont les plus importantes concernent les palais de justice de Chartres, Rouen, Fort-de-France et Laon, l'extension de l'école nationale des greffes à Dijon et de gros travaux de sécurité au Palais de justice de Paris.

L'effort sera encore plus marqué dans le domaine pénitentiaire avec 1,7 milliard de francs d'autorisations de programme. 250 millions seront consacrés à des travaux de rénovation et de sécurité et notamment aux mesures d'urgence destinées à lutter contre les évasions par hélicoptère. Dans le cadre du programme de 10 milliards annoncé par le Premier ministre en novembre 2000, 1,45 milliard seront consacrés à la rénovation des établissements existants et notamment des cinq grandes centrales.

Pour ce qui est des constructions neuves, une douzaine d'opérations sont en cours, dont celles de Toulouse et Avignon seront achevées en 2002, et j'ai présenté le vaste programme de 35 établissements neufs qui va être engagé. Il ne s'agit pas d'accroître le nombre de places de détention, mais d'appliquer la norme d'encellulement individuel et de fermer plus de 25 établissements vétustes ou inadaptés. Ce programme sera conduit à un rythme soutenu et la concertation locale va s'engager dès la fin de cette année pour définir les localisations des établissements. Grâce à la nouvelle agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la justice créée par décret du 31 août 2001, et qui disposera d'effectifs plus importants que l'actuelle délégation générale au programme pluriannuel d'équipement, les grandes opérations immobilières pourront être conduites de façon plus efficace.

Ce budget, très favorable, n'a rien d'un effet d'annonce. Le Gouvernement agit dans la durée pour renforcer les moyens de la justice, qui était bien « pauvre » en France. Il y a cinq ans, ce budget était à un niveau inacceptable. Malgré l'augmentation du contentieux, la difficulté croissante d'exercer le métier pénitentiaire, le changement de nature de la délinquance, aucun effort sérieux n'avait été accompli, l'institution judiciaire n'était pas prioritaire. Plus grave encore, la loi de programme votée en 1995 n'était pas appliquée et c'est finalement Elisabeth Guigou qui l'a mise en _uvre.

Le Gouvernement a fait de la Justice une vraie priorité, avec une augmentation de 29 % du budget en cinq ans. 7300 emplois ont été créés, dont 1212 de magistrats. 280 élèves sont entrés à l'École nationale de la magistrature en 2002 contre 148 en 1997 ; les crédits de l'aide juridictionnelle ont augmenté de moitié sur la même période.

Certes, nous sommes encore loin de disposer des moyens nécesaires à une justice totalement efficace, et les usagers ne percevront que progressivement ces améliorations du service public. L'effort doit donc se poursuivre. Le Gouvernement a pris des engagements pluriannuels et les tiendra. Ainsi, dans le cadre du plan de création de 1200 emplois de magistrats sur quatre ans présenté en mars dernier, nous en créerons 320 en 2002, soit plus que prévu.

Beaucoup reste à faire, les usagers et les personnels sont les premiers à nous le rappeler. Mais le budget 2002 marque une étape importante dans notre action en faveur de la Justice.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial de la commission des finances - Si l'on est de bonne foi, on doit reconnaître que l'effort quantitatif accompli dans ce budget 2002 est important. Je n'en disconviens pas, mais j'émettrais trois réserves.

D'abord, si les moyens augmentent, les besoins augmentent aussi considérablement, par exemple pour appliquer la loi sur la présomption d'innocence. Ensuite, le passage aux 35 heures aura aussi des conséquences importantes pour les effectifs. De ce fait, les créations que vous annoncez ne permettent pas une véritable mise à niveau : le déficit subsiste. Enfin, malgré cet effort budgétaire indiscutable, le taux de consommation des crédits continue à diminuer. C'est préoccupant. Ne voulant pas être polémique, je ne dirai pas que le Gouvernement peut bien afficher des chiffres en forte progression, sans que cela l'engage vraiment puisque les crédits ne seront pas consommés. En réalité, c'est la structure du ministère de la justice qui ne permet pas de consommer les crédits votés.

En 2000, les crédits d'équipement n'ont été consommés qu'à 45,7 %, ce qui a laissé 1,4 milliard sans utilisation. Dans le secteur pénitentiaire, objet de votre souci, la situation est encore pire : le taux de consommation n'a été que de 38,3 % et près d'un milliard est ainsi resté inutilisé. Or, cette année, l'amélioration a été à peine sensible puisqu'en août, le taux atteignait à peine 50 %.

Ce qui est particulièrement préoccupant, c'est que ce pourcentage reste stable d'une année sur l'autre, quel que soit le niveau du budget. Il n'est certes pas négligeable d'avoir créé une agence de la maîtrise d'ouvrage. Elle peut contribuer à améliorer le taux de consommation. Mais il faudra quelque temps pour qu'elle « monte en puissance » et opère une révolution culturelle, d'autant que, si j'ai bien compris, 25 de ses agents, sur 40, proviendront de l'ancienne DGPPE. Un effort supplémentaire serait donc souhaitable.

La création de la mission d'évaluation et de contrôle, la MEC, a représenté une innovation pour l'Assemblée. En effet, des représentants de la commission des finances et de la Cour des comptes ont, pour la première fois, travaillé conjointement en son sein. Le rapport rendu par cette mission contenait nombre d'observations utiles pour le Gouvernement : qu'en avez-vous tiré ? Je ne reviendrai pas sur le problème de la consommation des crédits votés, mais j'aimerais avoir votre réponse, que je crois d'ailleurs connaître, à la question lancinante de la carte judiciaire. Sur ce point, la situation n'a guère évolué depuis cinq ans. En dépit de tous les discours et engagements, on s'est borné à supprimer 30 tribunaux de commerce dans un premier temps, puis la moitié d'un autre. J'ai cependant cru comprendre qu'une dizaine d'autres étaient sur la sellette, mais qu'en est-il réellement ?

Les services de l'administration régionale, les SAR, constituent un outil de qualité pour la modernisation de la justice. Encore faut-il perfectionner cet instrument. Or, depuis plusieurs mois, aucun progrès n'a été enregistré. Les SAR n'ont pas de statut, ils ne figurent pas dans le code de l'organisation judiciaire... Va-t-on enfin avancer sur ce point ?

L'effectif de l'inspection judiciaire est passé de 1 à 19 inspecteurs mais c'est encore largement insuffisant. Pourtant, vous ne créez aucun poste dans ce budget. Surtout, cette inspection est détournée de sa vocation normale, qui consiste à évaluer et à contrôler le fonctionnement judiciaire. En 2000, plus de la moitié des tâches qui lui ont été confiées étaient étrangères à cette mission ! Voudrait-on l'asphyxier ?

Si les choses continuent à ce rythme, il faudra encore 10 ans avant qu'on ne construise à Paris le nouveau tribunal de grande instance, pourtant indispensable. Mon souci sur ce point n'est pas celui d'un élu de la région parisienne : il se trouve simplement que 25 % de la matière judiciaire sont traités dans la capitale et que, par conséquent, sans ces nouveaux locaux, le fonctionnement de la justice ne pourra s'améliorer sensiblement en France. Actuellement, plus de 200 magistrats sont invités à rester chez eux quand ils n'ont pas d'audience, parce qu'on manque de bureaux. A quoi sert dès lors d'en recruter d'autres ? Que devient la « productivité »  ?

Le problème est identique pour la Cour de cassation : les conseillers de province ne disposent pas de bureau à Paris.

Pour cette Cour, la mise en place d'un filtre contribuera à réduire progressivement le nombre des pourvois. Mais le stock des affaires en attente se monte à 40 000. Les magistrats ont donc demandé la mise à disposition d'un certain nombre de conseillers référendaires, pour une durée de cinq ans. On a envisagé de leur en accorder 18 : qu'en est-il réellement ? Par ailleurs, la Cour manque de locaux : va-t-elle pouvoir occuper les 2 500 m2 de bureaux qu'il était question de lui donner au carrefour du boulevard Saint-Michel et du boulevard Saint-Germain ? Enfin, l'écart de rémunération entre ses conseillers et les magistrats de la Cour d'appel s'est réduit depuis quelques années, de sorte qu'on ne recherche plus une nomination à la Cour de cassation que pour l'honneur. Ses membres sont même de 10 à 15 % moins bien payés que les conseillers d'Etat ou les conseillers à la Cour des comptes. L'effort consenti dans ce budget en faveur des personnels leur bénéficiera-t-il ?

D'autre part, avez-vous une idée du supplément d'effectifs qui sera consommé par le passage aux 35 heures ?

Le point est sans doute mineur mais j'ai entendu dire que des magistrats instructeurs avaient lancé une pétition pour protester contre le rendu d'appels. Si l'information est exacte, comment va réagir la Chancellerie ?

Enfin, je veux sans malice aucune revenir sur une question d'actualité, celle de la prison de Borgo. Comment se fait-il que ce soit le ministre de l'intérieur qui ait annoncé cette décision de justice ? La méthode me paraît mauvaise et il semble d'ailleurs qu'elle ait suscité un certain trouble au sein du Gouvernement. Pour m'en tenir au fond, je dirai que je partage totalement votre jugement sur la situation de nos prisons : elle est déshonorante pour notre démocratie. M. Chalandon avait lancé un programme de 15 000 places que M. Rocard a réduit à 13 000, mais il semble maintenant que tout le monde s'accorde sur la nécessité de construire en quantité. Cependant, combien de temps faudra-t-il pour réaliser les 35 établissements annoncés aujourd'hui ? Le coût d'un seul oscille entre 300 et 500 millions de francs et votre ministère ne consomme en moyenne que 450 millions par an pour le secteur pénitentiaire. A ce rythme, il faudrait donc 35 ans. Peut-être la création de l'Agence de la maîtrise d'ouvrage permettra-t-elle de réduire le délai de moitié. Mais quand l'établissement de Borgo ou son annexe pourront-ils ouvrir ? Par ailleurs, le jeu en vaut-il la chandelle pour 8 condamnés ? C'est en effet à ce jour l'effectif qui serait concerné.

S'agissant des objectifs de cette politique de rapprochement, je préfère vous consulter, vous, plutôt que M. Vaillant, car vous me semblez plus compétente.

J'ai cru comprendre que la politique de rapprochement serait destinée uniquement aux condamnés en fin de peine, ceux qui font l'objet d'une procédure d'instruction dans une autre affaire devant toutefois rester à demeure. Mais comment ce rapprochement, qui ne devrait pas concerner uniquement la Corse, peut-il être compatible avec l'article D 74 du code de procédure pénale aux termes duquel la procédure d'orientation consiste à réunir tous les éléments relatifs à la personnalité du condamné, son sexe, son âge, ses antécédents, sa catégorie pénale, son état de santé physique et mental, ses aptitudes, ses possibilités de réinsertion sociale et, d'une manière générale, tous renseignements susceptibles d'éclairer l'autorité compétente pour décider de l'affectation la plus adéquate ? Après toute une batterie de tests effectués à Fresnes, les condamnés sont orientés vers l'établissement le plus propice à leur réinsertion. Telle est la procédure expressément prévue par la loi, entendez-vous revenir sur cette disposition ?

Mme Nicole Feidt, rapporteure pour avis pour l'administration centrale et les services judiciaires - En progression pour la cinquième année consécutive, ce bon budget marque la volonté du Gouvernement de faire de la justice une priorité de sa politique.

Les services judiciaires, les juridictions administratives et l'administration centrale profitent largement de ce mouvement puisque leurs crédits progressent respectivement de 4,2, 5,2 et 6,5 %.

Conformément à l'engagement pris par le Gouvernement en mars 2001, les services judiciaires profitent de 963 créations d'emplois, en partie consacrées à la mise en _uvre de toutes les réformes engagées depuis la loi du 15 juin 2000. Les critiques adressées au bugdet 2001 étaient sans fondement, puisque ces réformes ne l'ont nullement déséquilibré.

Toutefois, la plupart des syndicats s'inquiètent de l'application, au 1er janvier, de la réduction du temps de travail. C'est normal, car les créations annoncées ne suffiront pas à couvrir les besoins. En outre, elles n'entraîneront pas l'arrivée des nouveaux agents dès l'année prochaine, en raison des délais de formation. Pourtant, l'Ecole nationale du greffe fonctionne au maximum de ses capacités et l'Ecole nationale de la magistrature a augmenté le nombre d'élèves dans ses promotions. Il paraît indispensable d'améliorer la formation en créant un tronc commun à tous les professionnels du droit. On en parle depuis des années et je m'étonne que cette réforme n'ait pas encore abouti, alors qu'elle permettrait d'améliorer la qualité de l'enseignement et de rationaliser la formation.

Sur les modalités d'application de la réduction du temps de travail, les syndicats regrettent l'absence de dialogue social. Je sais que ce sujet retient toute votre attention, mais j'insiste sur le fait que seul le dialogue peut emporter l'adhésion indispensable au succès de la réforme.

Je me réjouis de l'effort important fait en faveur de la justice et je souhaite qu'il se prolonge car la qualité de ce service passe par ces crédits, que je voterai sans réserve en raison de leur volume et de leur constance.

Je remercie les services du ministère pour la qualité des réponses qu'ils m'ont apportées, mais je souhaite toutefois vous poser quelques questions de plus, afin d'éclairer nos collègues.

En premier lieu une provision de 1,2 million d'euros est inscrite pour « engager les réformes statuaires des greffiers en chef et des greffiers ». Pouvez-vous donner des indications plus précises sur le contenu de ces réformes et sur leur coût final ?

Ensuite, de nombreux textes prévoient la présence de conseillers de tribunal administratif et de cour administrative d'appel au sein de diverses commissions administratives. Pouvez-vous préciser le nombre de ces commissions et indiquer si le Gouvernement envisage de réduire la participation des magistrats administratifs ?

Par ailleurs, le projet de loi relatif aux droits des malades a prévu de confier à des magistrats la présidence des chambres disciplinaires des ordres professionnels et des commissions régionales d'indemnisation et de conciliation. Le Gouvernement envisage-t-il de procéder à des recrutements pour faire face à ces nouvelles missions ?

La Chancellerie a annoncé la création prochaine de pôles de santé chargés de poursuivre et d'instruire les infractions en matière de santé. Cette spécialisation me paraît excellente. Ne pourrait-elle être étendue à la gestion des catastrophes ? En effet, la justice ne dispose pas des moyens suffisants pour gérer les suites judiciaires de catastrophes comme l'incendie du tunnel du Mont-Blanc, le naufrage de l'Erika ou l'explosion de Toulouse.

Enfin, à la suite de la publication du rapport de la commission de réforme de l'accès au droit et à la justice, présidée par Paul Bouchet, le Gouvernement a annoncé le dépôt, à l'automne, d'un projet sur l'aide juridictionnelle et l'accès au droit. Vous en avez tracé les grandes lignes ; pouvez-vous nous donner plus de détails ?

M. André Gerin, rapporteur pour avis pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse - Les crédits du ministère de la justice sont en augmentation de 5,7 %, ce qui profite principalement à l'administration pénitentiaire dont l'enveloppe, de 1,4 milliard d'euros, progresse de 9,7 % et qui bénéficie de plus de la moitié des créations d'emplois, tandis que les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse stagnent, avec un montant de 539,6 millions d'euros.

Cette augmentation relative est insuffisante pour faire face aux besoins d'administrations qui souffrent des retards accumulés depuis trente ans. Les difficultés sont en outre aggravées par le décalage de plus en plus important entre l'annonce d'une mesure et sa réalisation effective, qui provoque l'incompréhension des personnels, qui réduit à néant l'effet de l'annonce initiale et qui motive l'avis critique que j'émets ce matin. Ainsi, les effets du plan de 10 milliards de francs annoncé par le Premier ministre en novembre 2000 tardent à se faire sentir. Cela vaut aussi dans le domaine législatif où un certain nombre de réformes, comme le suivi socio-judiciaire ou le placement sous surveillance électronique, sont encore au stade expérimental, plusieurs années après leur adoption par le Parlement.

Le projet de loi pénitentiaire n'échappe hélas pas à cette règle. Alors que son annonce avait suscité de nombreux espoirs, le document de présentation générale de l'avant-projet, rendu public par la Chancellerie en juillet dernier, a provoqué de fortes déceptions chez les détenus comme chez les personnels, car il ne comporte aucune avancée significative pour les droits de l'homme et il ne met pas assez en valeur les missions des personnels. Le Gouvernement doit donc réexaminer ses propositions, afin de représenter rapidement au Parlement un texte plus complet et mieux équilibré.

Le malaise des personnels est accentué par l'incertitude sur les modalités d'application de la réduction du temps de travail. Tous les syndicats m'ont fait part de leurs craintes que cette réforme ne remette en cause les avantages liés à la pénibilité des emplois au lieu d'entraîner une réelle diminution du temps de travail. Ils critiquent aussi le manque de recrutement, la faible capacité d'anticipation de l'administration et l'absence de dialogue social. Or la remise à niveau des services ne pourra se faire sans le soutien des personnels. Il paraît donc indispensable de restaurer le dialogue social, préalable à la réussite des réformes.

Mon avis est critique car le fossé se creuse entre les sommes engagées et les aspirations qu'il faudrait satisfaire. Je ne néglige pas pour autant les efforts sans précédent engagés depuis 1997. Je ne laisserai pas non plus l'opposition remettre en cause les principes et les fondements de l'ordonnance de 1945.

Je ne la laisserai pas plus remettre en cause cette avancée de civilisation qu'est la présomption d'innocence. (M. Leonetti s'exclame !) Il est vrai que cette question souffre d'un certain discrédit car on n'a pas dégagé les moyens nécessaires.

M. Jean-Luc Warsmann - Ah !

M. le Rapporteur pour avis - Notre système pénal est dépassé par l'évolution de la délinquance et le poids des attentes qui pèsent sur lui. Il est vrai que la longueur des procédures est aberrante ...

M. Jean-Luc Warsmann - Absolument !

M. le Rapporteur pour avis - ...et renforce le sentiment d'impunité et le discrédit des autorités publiques. Je ne prendrai que deux exemples : dans ma ville, une altercation a causé la mort de M. Gueneley et le procès n'a eu lieu que 36 mois plus tard ; quant au pompier qui a eu la jambe arrachée par l'explosion d'un véhicule au GPL le 31 janvier 1999, le procès a eu lieu 33 mois plus tard. Les principales victimes de la violence et de la délinquance sont, contrairement à ce qu'on entend dans le discours sécuritaire, les enfants et les adolescents. Ainsi, le remarquable rapport de Mme Lazerges et de M. Balduyck préconisait la création de 500 postes d'éducateurs, d'assistants sociaux et de psychologues par an pendant 6 ans. La commission parlementaire, elle, évoquait « l'éternelle pénurie » d'effectifs pénitentiaires. Aujourd'hui, la réduction du temps de travail nous conduit à la limite de la crise de confiance. Quand décidera-t-on de créer suffisamment d'emplois pour appliquer réellement les 35 heures aux salariés qui sont en première ligne ?

Cet avis non favorable exprimé est un cri d'alarme que je lance. J'en viens à quelques questions précises. D'abord, l'aménagement du temps de travail dans l'administration pénitentiaire suscite des inquiétudes. Quelles en seront les modalités pour le personnel autre que de surveillance et quels sont les recrutements prévus dans les trois prochaines années ? Le corps du personnel administratif souffre de nombreuses vacances de postes, qui se montaient à 147 au 1er juillet. Comment expliquez-vous ce déficit structurel et comptez-vous y remédier ? Une réflexion a été engagée sur le statut des travailleurs sociaux, mais qui ne se traduit par aucune provision dans le projet de budget. Quel est le calendrier envisagé pour la réforme ? Quand la revalorisation de l'indemnité pour charges pénitentiaires sera-t-elle effective ? Enfin, le projet de loi de finances comporte une nouvelle mesure de transformation d'emplois d'agents de protection judiciaire de la jeunesse en emplois administratifs. Envisagez-vous d'appliquer cette mesure à l'ensemble du corps ?

M. Jean-Pierre Michel - Je voudrais d'abord dire que le groupe RCV voit dans ce projet un bon budget, comme les rapporteurs d'ailleurs, même si certains ont teinté leurs propos personnels d'une certaine acidité. Les crédits sont en augmentation constante depuis plusieurs années et nous apprécions, Madame la ministre, la façon dont vous avez traité les dysfonctionnements et les problèmes délicats qui sont survenus depuis votre entrée place Vendôme : avec modestie et pragmatisme. J'ai toutefois quelques réflexions à vous livrer.

Comment, d'abord, la réduction du temps de travail pourrait-elle s'appliquer aux magistrats ? Il s'agit d'une atteinte claire à leur indépendance. Il ne serait guère possible d'évaluer le temps imparti à chaque tâche, mais il ne faut surtout pas le dire car les 35 heures sont l'alpha et l'oméga de la politique du Gouvernement.

M. Patrick Devedjian - L'acidité n'est pas réservée à l'opposition !

M. Jean-Pierre Michel - Ensuite, pourquoi le Gouvernement a-t-il cédé à la pression des tribunaux de commerce et renoncé à faire voter les trois textes qui avaient été examinés en procédure d'urgence et qui résultaient des travaux de la commission parlementaire créée en 1997 ? Quant à la loi pénitentiaire, je ne cache pas ma satisfaction qu'elle n'aboutisse pas. Je crois en effet que le Parlement s'est emballé, comme s'il découvrait, à la suite d'un pamphlet écrit par un médecin proche de l'opposition, une situation qu'il n'aurait pas dû méconnaître. Dès les années 1970, un rapport du juge d'application des peines avait clairement décrit la situation dans la prison de Clairvaux. La réflexion doit être plus longue et plus profonde. Il faut savoir qui doit aller en prison, et surtout quel but la société assigne à la prison. Personne n'a d'idée claire à ce sujet et le projet de loi ne satisfaisait ni le personnel pénitentiaire, ni les prisonniers.

En ce qui concerne la lenteur des procédures, je ne cache pas mon agacement. Le Gouvernement a, par exemple, critiqué une décision de justice dans une affaire récente. Sur le principe je ne suis nullement opposé à de telles critiques, mais, en l'occurrence, si la procédure a été si longue, c'est bien que depuis des années nous n'avons cessé de développer les droits de la défense. Cela est bon mais ne doit pas amener les avocats à multiplier les recours et contre-expertises afin de procéder à ce qu'on pourrait qualifier d'obstruction judiciaire. Alors, la Chambre d'accusation aurait certes pu mieux apprécier la personnalité du prévenu en question, mais elle applique strictement les textes en sanctionnant la lenteur de la procédure !

Deux réflexions de fond doivent aussi être engagées, même si la période actuelle n'est guère propice aux réformes. La révision du statut des magistrats d'abord, abordée de façon brouillonne par votre prédécesseur, n'a heureusement pas abouti. Il faut mettre sur le tapis la question de la séparation totale du siège et du Parquet. Nos concitoyens, qui ne font parfois guère la différence entre un avocat et un juge, sont peu à même de la faire entre un juge et un procureur ! Cette réforme permettrait de donner une indépendance totale aux juges. Quant au Parquet, même s'il faut assurer sa liberté de pensée, il ne doit rien être d'autre que le porte-parole de la politique gouvernementale.

Il faudra ensuite remettre à plat l'ordonnance de 1945. Qu'on le veuille ou non, elle est inadaptée à la situation actuelle. Elle s'adressait à la population d'après-guerre et sans aller vers la répression à tout prix, des ajustements sont indispensables. Les élus locaux le savent bien : ils sont en première ligne.

Quand, il y a plusieurs dizaines d'années, l'administration pénitentiaire a été détachée du ministère de l'intérieur pour être rattachée à celui de la justice, tout le monde y a vu un progrès. J'ai donc été étonné que le ministre de l'intérieur s'exprime comme si la prison de Borgo était encore sous sa tutelle. Quelles catégories de détenus veut-on regrouper ? Au nom de quoi devrait-on être emprisonné dans sa région d'origine, comme certains se font enterrer dans leur village natal ? (Sourires). C'est contraire au principe de l'universalité de la République. Chacun sait, en outre, que cet établissement est une passoire. Des travaux seront donc nécessaires. Quel en sera le montant ? Et à quelle échéance ce regroupement interviendra-t-il ?

Le groupe RCV votera ce budget.

M. Jean-Luc Warsmann - Quel gâchis ! Incontestablement, ce budget est en augmentation. Les crédits de la justice progressent depuis le début de la législature ; depuis plus longtemps même, puisqu'ils avaient augmenté de 6 % en 1996. Pourtant, avez-vous amélioré le fonctionnement de la justice ? Vous nous annoncez « un petit frémissement à la baisse » des délais de jugement dans les tribunaux d'instance. Mais, devant les tribunaux de grande instance, le stock d'affaires a encore augmenté de 8 128 dossiers, soit 582 828 affaires pendantes. Devant les cours d'appel, le délai moyen a augmenté de 0,3 mois. Comment expliquer ces évolutions avec un budget en constante augmentation ?

D'une part, un certain nombre de lois ont été votées sans que vous ayez évalué leurs incidences financières ni prévu les moyens nécessaires. Je suis heureux que tous les orateurs l'aient souligné. Vous avez vous-même affirmé, Madame la Garde des Sceaux, que « Le Gouvernement continuait de mettre en place les moyens nécessaires pour appliquer la loi du 15 janvier 2000 ». Merci de reconnaître qu'elle n'était pas financée. Ainsi, les moyens nouveaux sont déjà plus que consommés par les nouvelles dispositions législatives. C'est dans ce contexte qu'il faudra encore mettre en place les 35 heures.

D'autre part, le Premier ministre a commis une faute lourde en considérant que la baisse du chômage se traduirait par un recul de l'insécurité. Chacun mesure la gravité de cette forme de jugement.

Aujourd'hui, vous nous annoncez des crédits pour les années à venir. C'est très simple, à quelques mois d'échéances majeures, de promettre des autorisations de programme et des créations de postes... D'ailleurs, Patrick Devedjian a été très clair sur ce point, vos crédits d'investissement ne sont pas consommés. L'année dernière, vous aviez déposé un amendement pour les augmenter, tout en reconnaissant que vous ne pourriez pas consommer ce complément : il s'agissait « d'envoyer un signal ». Mais nous avons à améliorer le fonctionnement de la justice et non à envoyer des signaux.

Le principal dysfonctionnement de la justice réside dans le traitement de la délinquance des mineurs. Le groupe RPR avait déposé une proposition que vous avez repoussée. Vous refusez d'adapter l'ordonnance de 1945 à la situation actuelle. Je constate en outre l'indigence des moyens sur le terrain. Dans mon département, un haut magistrat a expliqué à la population qu'il fallait un an pour qu'un délinquant comparaisse devant le juge des enfants. « Mais ne vous plaignez pas, ajoutait-il, le délai est de 18 mois dans la Marne ! »

Quand vous déclarez que tout acte de délinquance doit avoir une suite judiciaire, je vous approuve. Mais je dois constater un décalage important entre ces bonnes intentions et la réalité.

Quel gâchis, encore une fois. Le groupe RPR ne votera pas ce budget.

M. Patrick Braouezec - Avec 4,7 milliards d'euros, les crédits alloués à la Chancellerie progressent de 5,7 %. Depuis 1997, les moyens dévolus à la justice ont augmenté de 25 %.

Toutefois, le niveau de départ était très bas. On peut donc raisonnablement s'interroger sur les conditions qui permettraient à cette institution d'occuper la place qui devrait être la sienne. La mise en _uvre de la réduction du temps de travail constitue une autre interrogation.

Le budget de la justice ne représente encore que 1,75 % des dépenses de la nation, contre 1,72 % en 2001. C'est peu, si on considère les retards à rattraper ainsi que les besoins croissants de nos concitoyens.

La continuité des efforts consentis depuis plus de quatre ans montre l'importance des réformes engagées pour offrir aux Français une justice de qualité, accessible et impartiale. Mais la mise en application de la loi du 15 juin 2000 mobilise à elle seule un tiers des créations d'emplois et 13 % des crédits ouverts depuis 1999. La création d'un juge de la détention et l'introduction de l'appel en matière criminelle représentent certes des avancées, mais ces réformes limitent les moyens alloués au désengorgement des juridictions.

Avec ce que le Premier ministre a qualifié « d'erreur tragique d'appréciation », c'est-à-dire la mise en liberté de Jean-Claude Bonnal, l'actualité nous rappelle que l'appareil judiciaire ne fonctionne pas comme il le devrait. Mais l'opposition se trompe en exploitant le sentiment d'insécurité pour stigmatiser un prétendu laxisme de l'autorité judiciaire.

Les députés communistes préfèrent rechercher les moyens de garantir la libre et sereine appréciation des juges. Pour cela, nos tribunaux ont besoin de magistrats et de greffiers supplémentaires. Ce budget prévoit la création de 931 emplois dans les juridictions judiciaire et administrative, contre 878 en 2001. Un tiers de cet effort porte sur les effectifs de magistrats. Pour le reste, ce sont essentiellement des postes de greffiers qui sont créés. Tout justiciable sait que ces personnels, débordés aujourd'hui, apportent un concours essentiel au bon fonctionnement de la justice.

Je souhaite que Mme la Garde des Sceaux nous indique les moyens nécessaires pour mettre en place une réelle justice de proximité. En effet, malgré la création de 65 nouvelles maisons de la justice et du droit depuis 1997, seulement 50 conseils départementaux d'accès au droit ont été constitués au lieu des 60 prévus pour 2001 et un département sur deux n'en est pas doté.

En outre, la mission d'évaluation et de contrôle vient de remettre un rapport dans lequel est demandée une réforme de notre carte judiciaire. Il existe en effet de grandes disparités dans l'étendue des ressorts juridictionnels : ceux des cours d'appel recouvrent des zones allant de 250 000 à 7 millions d'habitants.

L'augmentation de 18 % des crédits de l'aide juridictionnelle permettra de financer le doublement de l'unité de valeur des avocats. Contrairement aux préconisations du rapport Bouchet cependant, vous ne relevez pas le plafond de ressources, si bien que ce budget n'aura pas d'effet sur le nombre d'ayants droit. Il aurait fallu engager ce relèvement dans un cadre pluriannuel. Trop de personnes modestes sont encore dans l'impossibilité de jouir de leurs droits.

S'agissant de l'administration pénitentiaire, les dysfonctionnements qui ont été dénoncés provoquent de nombreux mouvements sociaux. L'augmentation de 9,7 % des crédits permettra la création de 1 522 emplois, soit l'équivalent de ce qui a été fait depuis le début de la législature. Pendant cette même période, les effectifs de surveillants ont progressé de plus de 10 %. C'est dire le retard accumulé ! Mais il reste à chiffrer précisément les effectifs nécessaires pour mettre en _uvre la réduction du temps de travail au 1er janvier 2002.

Pour ce qui est de l'équipement, un nouvel établissement public sera chargé de la maîtrise d'ouvrage et 221 millions d'euros d'autorisations de programme seront consacrés à la réhabilitation et à la construction d'équipements pénitentiaires. 1076 millions d'euros y ont déjà été affectés depuis 1998, et le taux de surpopulation carcérale est passé de 122 % à cette date à 104 % en 2001. Continuer à améliorer les conditions d'hébergement des détenus, c'est aussi assurer une meilleure sécurité pour le personnel.

Enfin, je considère que la prévention de la délinquance juvénile ne bénéficie pas d'une priorité suffisamment marquée. Avec 295 emplois supplémentaires contre 380 en 2001, les effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse augmentent moins que lors des deux précédents exercices et nous restons largement en deçà des 3 000 postes sur six ans - soit 500 postes par an - proposés par le rapport parlementaire de Mme Lazerges et de M. Balduyck. Il faudrait étendre à l'ensemble des secteurs la logique pluriannuelle adoptée pour la création de postes de magistrats et la construction d'établissements.

Au total, ce budget ne répond pas complètement aux questions que pose la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail et l'effort consenti en faveur de l'administration pénitentiaire, qui était indispensable, conduit malheureusement à marquer le pas en ce qui concerne la justice de proximité et l'accès au droit.

M. Jean-Antoine Leonetti - Comment réussir à faire moins bien avec plus de moyens ? C'est la question que pose ce budget, en augmentation de 5,7 % et qui dépasse les 30 milliards de francs, mais laisse la justice paralysée et incapable de consommer ses crédits d'investissement. Elle serait moins lente ; mais en cinq ans la durée des affaires au civil est passée de 14,7 mois à 18,3 mois, le taux d'affaires sans suite est passé de 78 % à 83 % et 33 % des peines de prison ne sont pas exécutées.

Vous n'avez pas voulu ou pas su engager une réforme de fond. Ce Gouvernement a fait voter des lois qui consomment beaucoup de crédits - un tiers des créations d'emplois pour appliquer la loi sur la présomption d'innocence, 150 magistrats pour la réforme des tribunaux de commerce. En outre, les dotations budgétaires sont insuffisantes cette année pour le passage aux 35 heures. L'augmentation du budget sert donc essentiellement à appliquer vos réformes et non à alléger le travail de la justice. Alors que vous consacrez 100 milliards aux 35 heures, 35 milliards aux emplois-jeunes, la justice dispose de 30 milliards : à l'évidence ce n'est pas votre priorité.

Le recours de plus en plus fréquent à la justice est un fait de société. Dans ce budget vous restez timide sur le développement de la troisième voie que constitue la médiation pénale. Actuellement, elle est prise en charge par les collectivités grâce à des emplois-jeunes, des bénévoles et des vacataires. Envisagez-vous d'améliorer la rémunération de ces derniers afin de recruter des agents compétents ?

Nos concitoyens ont une mauvaise opinion de la justice. Ils étaient 15 % à l'estimer dépendante du pouvoir en 1995 ; ils sont 33 % aujourd'hui. Le renforcement de moyens d'intervention et d'information du Garde des Sceaux a contribué à rendre la politique pénale peu lisible et a nourri cette crise de confiance.

Deux événements d'actualité ont porté un coup grave à notre justice. Il s'agit d'abord de ce que le Premier ministre a appelé une dramatique erreur d'appréciation, ce qui laisse supposer que le juge est seul responsable. Si un médecin avait été en cause, il y aurait eu des poursuites. Avez-vous l'intention, de demander des sanctions contre ce juge qui a fait « une erreur dramatique d'appréciation « ? On se tromperait en croyant pouvoir faire des juges les boucs émissaires. Ils doivent pouvoir continuer à juger de façon indépendante et responsable.

En second lieu, même si rapprocher les détenus de leur famille est une bonne chose, pensez-vous vraiment que certaines catégories de prisonniers doivent être rapprochées de leur terre natale parce qu'ils sont des détenus politiques ? C'est bien la façon dont le ministre de l'intérieur a présenté les choses pour certains détenus corses.

Vous nous présentez donc un budget d'ajustement plutôt que de progrès. Au quotidien, nos concitoyens continuent à trouver la justice lente et lointaine. Le groupe UDF ne votera pas ce budget.

Mme Christine Lazerges - Ce budget est intéressant et les crédits de la justice ont augmenté de 29 % en cinq ans. C'était indispensable, mais la hausse aurait pu être moindre. S'agissant de justice, comme d'ailleurs de santé, on constate une véritable boulimie, effet pervers de la société de consommation. La judiciarisation croissante rend plus difficile le bon fonctionnement du service public de la justice.

Comme Mme Guigou avant vous, vous avez mis en _uvre quantité de moyens pour le moderniser. Je pense en particulier au développement formidable qu'ont connu les maisons de justice et de droit, qui sont l'un des instruments, mais pas le seul, de la justice de proximité. Quelles mesures envisagez-vous pour que le magistrat soit plus présent dans ces maisons ? Pour l'instant leur action en ce qui concerne l'accès au droit et l'aide aux victimes est une réussite, grâce aux associations. Mais il importe que les substituts y viennent régulièrement opérer les rappels à la loi indispensables pour limiter les infractions mineures.

Le fonctionnement de la justice au quotidien a été amélioré. A votre demande, un effort énorme a été accompli en ce qui concerne l'accueil du public dans les tribunaux d'instance et de grande instance. Je rends hommage aux présidents des tribunaux de grande instance qui ont su, de façon dynamique, s'entourer d'une équipe de conciliateurs et comprennent que leur fonction ne se limite pas au seul examen juridique des dossiers. Les crédits d'aide juridictionnelle augmentent cette année de 18,4 % et l'aide aux victimes connaît une nette progression. A ce propos d'ailleurs je suis un peu exaspérée d'entendre critiquer comme on le fait la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence. On oublie de parler du volet d'aide aux victimes ; on ne rappelle pas que c'est cette loi qui a consacré le rôle des associations d'information et d'aide aux victimes que Robert Badinter avait mises en place en 1983 ; on omet de relever que la ligne budgétaire consacrée à l'aide aux victimes a doublé depuis trois ans et que le réseau national des associations d'aide a confiance dans ce Gouvernement car il se sent de plus en plus reconnu.

Nous ne parviendrons sans doute jamais à rendre le droit parfaitement accessible à tous, mais ce qui a été fait va indéniablement dans le bon sens, d'autant que la loi du 15 juin 2000 a aussi institué un fonds qui a amélioré l'indemnisation des victimes d'infractions contre les biens. Nous devrions donc faire un effort de pédagogie afin de combattre un certain nombre de déformations ou d'omissions.

Le règlement alternatif des conflits a également bénéficié de progrès très importants. J'entends dire ici que l'on n'emprunterait pas suffisamment la troisième voie : c'est faux, nous y recourons autant que possible, en matière pénale comme en matière civile, mais nous voulons le faire dans les meilleures conditions possibles. La médiation a été introduite dans le projet relatif à l'autorité parentale et dans le projet sur la réforme du divorce ; elle a été développée en matière pénale grâce à la loi de juin 1998 et nous avons cette nécessité présente à l'esprit chaque fois que nous nous préoccupons du droit des mineurs. Nous nous efforçons ainsi de conforter les activités de réparation prévues par l'article 12-1 de l'ordonnance du 2 février 1945...

S'agissant de la délinquance des mineurs, ne prenons pas les Français pour des imbéciles. Ils savent que cette ordonnance de février 1945 offre une gamme de réponses sans équivalent dans aucun autre pays européen, puisqu'elle va de l'admonestation à la réclusion criminelle à perpétuité - celle-ci restant applicable, et sans doute faut-il le regretter, aux mineurs de 16 ans et plus. Ce texte est donc suffisant. Toutefois, nous reconnaissons qu'il conviendrait de l'appliquer de façon plus complète, pour mieux prévenir, mieux punir. Or, malgré la volonté du Gouvernement et des parlementaires, il existe encore trop peu de centres d'éducation renforcée et de centres de placement immédiat - une cinquantaine de chaque sorte. La faute en revient pour une bonne part aux élus locaux...

M. André Gerin - Je proteste !

Mme Christine Lazerges - Il y a sans doute d'excellents élus, qui ont demandé qu'un de ces centres soit implanté dans leur commune, mais beaucoup d'autres se comportent tout autrement et les directeurs régionaux de la PJJ doivent souvent monter quinze dossiers avant de trouver un site. Il conviendrait donc de conforter les conseils communaux de prévention de la délinquance, au sein desquels on peut parvenir à une entente sur les dispositifs utiles. Dans les commissions locales de sécurité, il faudrait que le procureur puisse s'appuyer sur un large partenariat, sans lequel rien ne sera possible. Vous qui connaissez parfaitement le terrain, Madame la Garde des Sceaux, vous savez aussi que les éducateurs de la PJJ ne peuvent travailler efficacement qu'en liaison étroite avec les associations habilitées.

Mais ce travail collectif doit bénéficier de moyens. Ce budget les offre, notamment en ce qui concerne les investissements. Certes, ces crédits ne sont pas tous consommés mais, là encore, les freins se trouvent sur le terrain et il conviendrait que les parlementaires réagissent. La mise en place de l'agence de la maîtrise d'ouvrage, le 1er janvier prochain, permettra sans doute d'autres améliorations. C'est en tout cas indispensable car, pour réduire une délinquance des mineurs préoccupante, il faut que la réalisation des travaux prévus, suive d'aussi près que possible l'attribution des crédits.

C'est une évidence de dire que notre justice a besoin de davantage de magistrats, mais on ne peut raisonnablement soutenir que rien n'a été fait. Il a été créé plus de postes en quatre ans que pendant les quinze années précédentes. De même en ce qui concerne les éducateurs de la PJJ. Cette politique va être poursuivie et, je l'espère, renforcée : la justice est pour nous une priorité, nous l'avons prouvé et nous continuerons de le prouver.

M. Philippe Houillon - Je serai bref car je m'associe à ce qu'ont déjà dit, et fort bien, MM. Devedjian, Warsmann, Leonetti et même M. Gerin ! Comme eux je me félicite de la progression de 5,7 % des crédits, mais je note que, par une sorte de paradoxe, à mesure que les budgets croissent, les moyens de la justice diminuent. La raison en est simple : vous créez des besoins nouveaux sans mettre en face les financements correspondants, de sorte qu'il faut faire davantage avec moins.

D'où proviennent ces besoins nouveaux aujourd'hui ? D'abord de la loi sur la présomption d'innocence. Chacun ne peut que se réjouir de l'accroissement des garanties qui en résulte - sauf peut-être M. Michel, qui semble demander la suppression des avocats ! (Exclamations de députés du groupe socialiste) Il les a en tout cas accusés de faire de l'obstruction judiciaire...

Pour concrétiser ces garanties nouvelles, vous n'avez pas dégagé les moyens nécessaires, de sorte que l'explosion du contentieux n'a toujours pas été jugulée. A cela s'ajoute la grande affaire des 35 heures qui, dans la justice comme dans les hôpitaux, « met le bazar », comme tout le monde semble maintenant en convenir.

A ce propos, que Mme Lazerges se rassure : les Français ne sont certainement pas des imbéciles : chaque fois qu'on les consulte sur le sujet, ils répondent que la justice marche mal. Ils sont donc parfaitement conscients de la situation.

J'ai lu, Madame la Garde des Sceaux, que vous considériez comme un effort historique celui que vous avez consenti pour la création d'emplois. Cependant, si on y regarde de plus près, on s'aperçoit que sur les 700 créations annoncées, une cinquantaine seulement correspond à des emplois réellement nouveaux (Exclamations de députés du groupe socialiste). Les autres serviront en effet à compenser le passage aux 35 heures ou à doter les nouveaux établissements. Dans ces conditions, vous ne pourrez maintenir qu'un service minimum de la justice. Songez par exemple que notre taux d'encadrement des détenus est un des plus mauvais d'Europe : on compte en effet 2,7 détenus pour un surveillant, contre 1,3 en Grèce. Et, pour ce qui est des magistrats, ils ne sont aujourd'hui que 6 500, contre 5 930 pendant la première guerre mondiale. Le présent budget n'améliorera guère la situation puisque sur 320 postes créés, 169 seulement viendront renforcer les juridictions.

La justice subit donc une situation de plus en plus contrainte.

Je m'associe à la question qui vous a été posée sur l'aide juridictionnelle. Je suis persuadé qu'il faut passer d'une logique d'indemnisation à une logique de rémunération car on voit bien à quel point le service se dégrade parce qu'il n'est pas rémunéré à sa juste valeur.

Je rejoins de même la question sur la modernisation de l'équipement : la présentation des crédits est un peu faussée par les reports et la sous-consommation ne permet pas un contrôle précis par le Parlement.

Enfin, comme l'a souligné M. Devedjian, on ne voit toujours rien venir sur la carte judiciaire. La création des SAR est une bonne mesure mais il est regrettable que les crédits stagnent au moment où une rationalisation permettrait de remédier à un certain gâchis et de faire progresser l'efficacité de la justice.

En l'état, le groupe Démocratie libérale ne votera bien sûr pas ce budget.

Mme la Garde des Sceaux - Les questions ont été nombreuses et intéressantes.

M. Devedjian a souligné l'effort constant et significatif que traduit ce budget, je le remercie pour sa bonne foi. Ses réserves ont porté surtout sur l'application des réformes. Pourtant, j'ai tenu à faire figurer dans le fascicule qui a été publié sur le plan d'action pour la justice l'ensemble des moyens nécessaires à son application.

Ainsi, l'application de la loi sur la présomption d'innocence et les droits des victimes a fait l'objet d'un chiffrage extrêmement précis. Sur quatre ans, 875 emplois, dont 427 de magistrats seront créés pour faire face aux besoins liés à la création des juges de la liberté et de la détention, à la juridictionnalisation, à la mise en _uvre de l'appel criminel et au respect des délais d'audiencement. Pour la plupart des juridictions, les prévisions sont tenues. S'il a fallu repousser de six mois la juridictionnalisation, cela a tenu essentiellement au manque de fonctionnaires et de greffiers plutôt qu'à celui de magistrats. Ces difficultés sont rares, en dehors de quelques petits tribunaux. Elles portent surtout sur l'organisation des astreintes pour les parquets et sur le délai entre la fin de la première audience par le juge d'instruction et le rendu de la décision par le JLD. Nous examinons concrètement, avec les chefs de juridiction et avec l'association des magistrats instructeurs, ces modalités d'application de la loi.

Sans vouloir polémiquer, je rappelle que s'il a fallu six mois de plus pour disposer des greffiers nécessaires, c'est essentiellement parce qu'il n'y avait eu aucun élève à l'Ecole des greffes en 1997. Ce sont donc 200 greffiers qui manquaient à la fin de 1998, ce qui a obligé ensuite à faire passer les effectifs de l'école de 200 à 500 élèves par an, avec tous les problèmes d'accueil, de logement et de conditions d'études que cela a entraîné. Il a fallu attendre de disposer de 298 greffiers de plus pour commencer à appliquer cette loi, qui a aussi fait apparaître le besoin de 150 personnels pénitentiaires de plus. Ces chiffres ne sont contestés par aucune organisation professionnelle.

Nous avions estimé le nombre d'appels en cour d'assises à 30 à 35 % des affaires, il n'y en a que 25 % et les magistrats s'en étonnent tout autant que nous. Un vaste échange avec toutes les cours d'appel a permis de régler le problème de la désignation des cours concernées. Si l'application du texte ne pose donc aucun problème de poste, en revanche nous continuons à réfléchir à la possibilité d'appel par le parquet.

Nous avions estimé à 630 millions de francs le coût de ces mesures en frais de fonctionnement des services judiciaires. Nous sommes pour l'instant en dessous, mais le système ne tourne pas à plein régime.

M. Devedjian m'a interrogée aussi sur la réduction du temps de travail. Je réponds également à M. Michel qu'il est difficile de raisonner, pour les magistrats comme pour les cadres de la fonction publique, en termes de durée hebdomadaire. Une enquête auprès des magistrats nous a montré la réalité de leurs pratiques et ils ne revendiquent pas, contrairement à ce que peuvent laisser penser certains tracts, une stricte application des 35 heures. Mais je le leur ai dit, ce n'est pas parce qu'il s'agit des magistrats qu'il ne faut pas parler de rémunération des astreintes, de la prise en compte effective du temps de travail, de son adaptation sur l'ensemble de l'année.

Les 739 postes déjà créés tiennent bien compte des départs en retraite et ce sont 650 magistrats de plus qui seront effectivement sur le terrain. De même, quand j'annonce 1 200 magistrats de plus, je tiens compte des départs en retraite. N'oublions pas toutefois qu'il faut 31 mois pour former un magistrat et que les départs en retraite seront particulièrement importants à partir de 2005. Il faudra donc être vigilants à partir de 2003 et sans doute envisager de prolonger le plan d'action. Les organisations professionnelles elles-mêmes avaient estimé à 1 000 créations de postes les besoins liés à l'application de la loi sur la présomption d'innocence et à la RTT, nous sommes donc au dessus. Il est vrai toutefois qu'il y a un délai entre l'annonce du plan d'action et l'arrivée des magistrats dans les tribunaux. Pour autant, il n'est pas envisagé de réduire la durée de la formation à l'ENM.

J'ai aussi programmé des concours supplémentaires. Cette possibilité a été inscrite dans la loi sur le statut des magistrats et je vous rappelle, Monsieur Michel, que celle-ci est bel et bien votée. Les magistrats issus de ce recrutement ne sont pas de moins bonne qualité que les autres mais le nombre des candidats admis est difficile à prédéterminer.

Vous avez évoqué l'impact de la RTT sur l'administration pénitentiaire, qui est en grande difficulté. Sur 1500 emplois nouveaux, 700 sont consacrés aux 35 heures. Une deuxième tranche sera engagée en 2003 et l'ajustement se fera en 2004 en fonction des résultats de 2003. Des heures supplémentaires sont donc prévues jusqu'en 2003, mais l'idéal serait qu'elles disparaissent en 2004. Les négociations continuent sur ce thème avec les organisations professionnelles et le ministère du budget. Je souligne à ce sujet que vous êtes nombreux à demander une programmation pluriannuelle, mais que vous nous reprochez en même temps d'engager les finances futures ! Je vous rappelle qu'il n'est pas possible de faire autrement, compte tenu du temps que requiert la formation. Il est hors de question de réduire celle-ci et le personnel de surveillance, très conscient de cette nécessité, réclame au contraire davantage de formation, notamment continue. Quoi qu'il en soit, nous sommes aujourd'hui au niveau, mais le recrutement doit se poursuivre.

Le protocole établi en 2000 programmait des recrutements anticipés : 251 surveillants, 50 emplois administratifs et 30 techniques. Il prévoyait aussi la revalorisation de trois primes. Tout cela est inscrit dans le budget. Pour le reste des mesures envisagées, les textes seront publiés avant la fin de l'année. Je sais que le personnel trouve le temps long, mais il sait que la discussion budgétaire et la rédaction des textes réglementaires prennent du temps.

En ce qui concerne le taux de consommation des crédits, les critiques sont justifiées. La création de l'Agence, qui sera effective au 1er janvier 2002, permettra de mieux régler les problèmes, avec un nouvel état d'esprit. C'est principalement dans la recherche des terrains que nous perdons du temps. Si au Mans les choses sont allées vite, elles ont été beaucoup plus difficiles à Lyon où la pression foncière est très forte. On connaît par ailleurs l'attachement des élus à garder des terrains au centre ville. Or, nous ne voulons pas d'établissements en pleine campagne, à l'américaine, coupés de tout. Cela oblige les familles à disposer d'une voiture, pose des problèmes d'escorte, sans compter le cadre de vie des surveillants. Les directions régionales et les préfets sont donc chargés parfois de négocier avec les élus pour gagner du temps.

Je prépare également des mandats afin de confier certains dossiers à la CDC, qui les mènera au plus vite. Quant aux crédits d'équipement, je dois rappeler à M. Warsmann que les autorisations de programme ne sont pas comptabilisées en fin d'année, mais que je ne peux ouvrir aucun chantier en leur absence. Toutefois, il est vrai que l'engagement des crédits de paiement pose problème. Trois appels d'offre sont en cours et restent infructueux car les réponses dépassent de 30 % le plafond. Cela devient un véritable problème pour les dépenses publiques.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial - C'est quand ils sont déconcentrés auprès des DDE que c'est le pire !

Mme la Ministre - Il est vrai qu'elles sont souvent débordées. Leur seul défaut est d'accepter un travail qu'elles n'ont pas les moyens d'exécuter.

M. le Rapporteur spécial - C'est de l'incompétence !

Mme la Ministre - Nous avons donc prévu de donner des mandats à la CDC, pour décharger les DDE.

Vous avez insisté sur les SAR. Il s'agit aujourd'hui d'un des principaux sujets des discussions qui ont lieu. On parle de dyarchie, de triarchie, mais personne ne sait qui est responsable de quoi. Les greffiers en chef craignent que l'administration de gestion ne se retrouve en marge de l'organisation des juridictions, comme c'est le cas dans le système hospitalier. Le mouvement de déconcentration s'est arrêté face à ce problème, qui est posé par tous les syndicats. Je ne dispose pas encore de réponse. Elle se trouvera dans les résultats des entretiens de Vendôme qui seront publiés fin novembre.

Vous avez évoqué le manque de moyens humains de l'inspection générale. Depuis 1997 pourtant, les effectifs ont doublé. Vous dénoncez le fait qu'on lui demande d'aller au-delà de ses missions principales : l'évaluation et le contrôle des juridictions et les études thématiques. Il est vrai que la loi sur la présomption d'innocence lui demande d'évaluer les problèmes spécifiques qu'elle rencontre sur le terrain et qu'elle nous a très utilement aidés lors des entretiens de Vendôme. Mais on ne sort en rien de son domaine de compétences. En revanche, vous avez raison de demander le regroupement des inspections, puisqu'il y en a quatre indépendantes. Il est nécessaire d'améliorer cette organisation et la réflexion est en cours.

S'agissant du tribunal de grande instance de Paris, j'ai demandé des crédits supplémentaires pour l'acquisition du terrain dans la loi de finances rectificative. Je ne sais pas si je les obtiendrai. C'est un dossier difficile, ouvert depuis dix ans. Je rencontre bientôt M. Delanoë. Nous avons trouvé une solution, mais elle ne donnera pas satisfaction à tout le monde.

M. le Rapporteur spécial - Est-ce l'hypothèse de l'Hôtel-Dieu qui est retenue ?

Mme la Garde des Sceaux - Non. En tout état de cause, les travaux vont durer longtemps. Il faudra donc prendre des mesures pour les installations actuelles.

Pour la Cour de cassation, nous allons chercher des surfaces à louer. Dans les locaux actuels, des travaux de sécurité seront nécessaires. En outre, nous manquons de salles d'audience. Il n'est pas possible d'attendre sans rien faire la construction des nouveaux locaux.

M. Canivet est d'accord pour mettre à la disposition les personnels en surnombre afin de résorber les stocks. J'ai, quant à moi, accepté que des primes variables soient versées aux magistrats.

Si une pétition a bien circulé, dans l'émotion générale, je crois que l'effervescence est en train de retomber.

M. le Rapporteur spécial - Il ne faudrait pas que des gens aussi émotifs soient magistrats du siège...

Mme la Garde des Sceaux - J'ai trouvé moi aussi qu'il y avait beaucoup trop d'émotion dans cette affaire.

Ce qui a été dit à propos de Borgo s'appuie sur un article de presse sans rapport avec la réalité. Voici ce que le ministre de l'intérieur a réellement déclaré : « La ministre de la justice examine avec attention les demandes de rapprochement concernant les détenus condamnés à des peines définitives. Il s'agit de trois personnes. Des solutions ont pu être trouvées dans le sud-est de la France. Les décisions de libération conditionnelle sont de la seule compétence des juges. » Toutefois, a-t-il reconnu, les difficultés causées aux familles par l'insularité « posent un problème d'équité ». C'est pourquoi il a envisagé la création d'un centre de détention en Corse.

Nous en avions parlé jeudi dernier. La veille, j'avais estimé qu'il fallait revoir l'ensemble de la carte pénitentiaire, ce qui nécessiterait la création de nouveaux centres de détention. Au Mans, j'avais aussi indiqué qu'un même établissement ne pouvait servir à la fois de maison d'arrêt et de centre de détention. Mais on peut imaginer des cités pénitentiaires composées de plusieurs bâtiments : cela permettrait aussi d'améliorer la détention des mineurs ou des femmes.

Cela vaut pour l'ensemble de la République française. Il n'y a donc aucune raison d'en exclure la Corse. En revanche, je n'imagine pas qu'on transforme la maison d'arrêt de Borgo en centre de détention. Il faut un autre bâtiment. Je donnerai mandat à mon administration ainsi qu'au préfet pour étudier si une telle construction est possible.

Il y a 200 condamnés originaires de Corse dans les établissements français, dont certains sont déjà en Corse : on peut en effet purger des petites peines en maison d'arrêt. Rapprocher les détenus de leur domicile permet de mieux gérer les sorties, les fins de peine et les semi-libertés. Le problème n'est en rien de regrouper les huit détenus nationalistes. Ce n'est pas le sujet.

Actuellement, nous ne disposons que d'un centre national pour gérer toutes les détentions. S'il n'y a aucune raison de privilégier les personnes originaires d'une région en particulier, il ne faut pas non plus pénaliser certaines familles. En outre, notre objectif n'est pas de rassembler dans un centre de détention tous les détenus originaires d'une même région. Il arrive d'ailleurs que des détenus, après avoir été rapprochés de leur domicile, soient éloignés de nouveau, pour des raisons de comportement. L'administration pénitentiaire continuera de fonctionner comme cela. Etre détenu dans sa région d'origine ne constituera en rien un droit. Ne caricaturons pas.

Je tiendrai compte aussi de ce que dit le personnel pénitentiaire à propos des menaces qui sont proférées dans certains établissements.

Quant aux délais, personne n'imagine qu'on puisse construire un centre de détention en un an. C'est dans le cadre d'un plan général que le problème se posera.

Voilà ce que j'avais à vous dire sur ce dossier, qui est de ma seule compétence, en priant le président de m'excuser d'avoir répondu si longuement.

M. le Président de la commission - Vous répondez parfaitement. D'ailleurs M. Devedjian est ravi.

M. le Rapporteur spécial - M. Vaillant l'est sans doute moins.

Mme la Garde des Sceaux - Je ne crois pas. Je vous ferai transmettre sa déclaration.

Tout en soulignant qu'il s'agit d'un bon budget, Mme Feidt a posé un certain nombre de questions pertinentes. Il faut effectivement insister sur la formation du personnel. A ce propos je souligne que de nombreux pays voisins ont demandé à l'Ecole nationale de la magistrature d'organiser des formations chez eux. Elle a déjà répondu à sept ou huit appels d'offre et doit maintenant ralentir un peu son activité dans ce domaine. J'ai prévu des moyens supplémentaires pour l'École car l'augmentation des effectifs de chaque promotion ne doit pas nuire à la qualité. Nous travaillerons également avec le directeur à la création de nouveaux modules. Certains ont souhaité que le conseil d'administration soit ouvert à des personnalités extérieures. Je n'y suis pas hostile et j'ai demandé au président du conseil d'administration d'examiner avec nous ce qu'il était possible de faire.

L'Ecole des greffes répond à marche forcée à la demande de formation. Je ne peux pas vous répondre tout de suite en ce qui concerne le tronc commun mais je prends note de ce que vous m'avez indiqué. J'estime en tout cas qu'il faut rapprocher les formations de la PJJ et des autres secteurs qui sont actuellement trop cloisonnées. Ce cloisonnement est particulièrement regrettable entre l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire et les autres formations et de ce point de vue les demandes du personnel seront prises en compte. Ainsi il n'est pas normal que l'administration pénitentiaire ne soit pas représentée lorsqu'il y a une réunion des autres services.

Nous n'avons affecté que 8 millions à titre provisoire pour appliquer la réforme du statut des greffiers en chef. Il est inutile en effet de prévoir des crédits plus importants qui ne seraient pas consommés, puisqu'en raison des délais nécessaires pour élaborer les décrets, les mesures d'avancement s'étaleront dans l'année. Mais il faudra être très attentif à l'exécution du budget 2002 pour préparer la montée en charge au budget 2003. Les greffiers ont bien eu satisfaction comme le prévoyait l'accord, même si la procédure en Conseil d'Etat est effectivement lourde.

La présence des magistrats dans les commissions locales de sécurité a effectivement été un point fort des entretiens de Vendôme. Nous allons poursuivre le travail avec les autres ministères en matière réglementaire sur l'ensemble des commissions.

Suite aux récentes catastrophes, nous avons créé des comités de pilotage de l'aide aux victimes et - il est malheureux de le dire - celui de Toulouse a tiré les leçons de l'expérience du Mont-Blanc. Il regroupe des représentants de la justice, de la préfecture, de la mairie et des assureurs, qui sont très présents, de Total Fina Elf et des associations d'aide aux victimes. En deux semaines a été élaborée une convention qui a permis l'indemnisation rapide des victimes, même si celle-ci n'est pas terminée. Les tribunaux sont un peu débordés. J'ai donc accordé quatre postes supplémentaires au ressort de la Cour d'appel réservés à Toulouse ; ces postes ne seront pas pérennisés.

Le dossier de l'Erika m'est moins connu. J'ai rencontré les représentants des cinq tribunaux de grande instance concernés, car outre la recherche des responsabilités, l'un des problèmes est que des plaintes ont été déposées auprès de plusieurs tribunaux de grande instance. Malgré certaines déclarations tonitruantes comme celles de ces comités de pêcheurs bretons disant ne savoir à quelle juridiction s'adresser, on a trouvé une solution et les plaignants ont généralement accepté de se regrouper. De tout cela nous tirons la leçon qu'il faut mettre au point un protocole utilisable pour toute catastrophe.

J'ai été un peu surprise des réactions à mes propos sur les pôles santé. Ils sont aussi nécessaires que les pôles financiers et j'ai donc proposé cette disposition dans la loi actuellement à l'examen en première lecture. Je parle bien de plusieurs pôles. Bien entendu le premier sera constitué à Paris où des magistrats gèrent déjà ce genre de dossiers, mais ultérieurement cela ne suffira pas et d'ailleurs la centralisation à Paris est également un problème pour les prévenus. Accroître le nombre de magistrats dans un domaine spécialisé n'est pas toujours la solution, contrairement à ce que l'on pourrait croire. Ainsi pour la lutte anti-terroriste j'ai créé un poste supplémentaire au Parquet mais les magistrats du siège m'ont dit que cela n'était pas nécessaire pour eux et qu'ils préféraient travailler en réseau comme ils le font actuellement.

Suite au rapport Bouchet qui est de grande qualité et qui a été très apprécié, je proposerai un projet de loi global sur l'accès au droit. Néanmoins nous y avons déjà consacré 350 millions en deux ans pour répondre aux demandes. Plutôt que de relever les plafonds, je préfère permettre à un plus grand nombre de gens d'accéder à l'aide juridictionnelle. Cela se révèlera utile avec la simplification des procédures de divorce et la composition pénale. Ce que nous voulons c'est permettre l'accès au droit plus qu'accroître l'activité des tribunaux.

M. Gerin n'était pas content ; c'est dommage. C'est quand même un bon budget. Certes les difficultés qu'il souligne sont réelles. Mais sauf à être hostile au principe de la réduction du temps de travail, il ne faut pas présenter sa mise en place comme une mauvaise nouvelle. L'application n'en sera pas parfaite, des discussions sont en cours, mais tout devra être terminé pour la fin de l'année. Il manquera du personnel pour appliquer totalement la réforme au 1er janvier 2002, je l'ai toujours dit.

Il faudra donc recourir à un volant d'heures supplémentaires, tout en s'efforçant d'aboutir le plus vite possible - ce à quoi je vais m'employer avec les organisations professionnelles.

Cela étant, j'ai fait un choix : celui d'accorder le plus à ceux qui ont les conditions de travail les plus difficiles. L'occasion s'offrait de remettre à plat l'ensemble des conditions de travail de tous les personnels, et il fallait en profiter. Certains travaillent beaucoup plus que d'autres et sont soumis à de lourdes contraintes : je pense en particulier aux surveillants pénitentiaires et aux personnels de la PJJ qui ont à surveiller des jeunes difficiles 24 heures sur 24, ou qui doivent faire face à la violence. De plus, ces personnels travaillent souvent dans des établissements vétustes, sous-équipés et à la sécurité insuffisante. Pour eux, pour ces gardiens de la démocratie et ces garants de la bonne exécution des décisions pénales, j'ai décidé de descendre largement en-dessous des 1 600 heures prévues par la loi pour la fonction publique et le fait que d'autres n'obtiennent pas les mêmes avantages n'a pour moi rien de choquant. Toutefois, nous veillerons aussi à prendre en compte les contraintes horaires, par exemple celles des greffiers qui accepteront de travailler le samedi ou le soir pour que le guichet unique soit plus longtemps ouvert.

Cet effort privilégié en faveur du personnel pénitentiaire consommera sans doute au moins 700 postes en 2002, mais j'essaierai d'obtenir d'autres créations en 2003 pour réduire encore le manque de personnel. Vous estimez, Monsieur Gerin, que je n'ai pas assez fait cette année : c'est votre droit mais je voulais éviter tout effet d'annonce, qui n'aurait pu que décevoir les intéressés.

Nul ne peut regretter l'adoption de la loi sur la présomption d'innocence et les droits des victimes. Quoi qu'on dise, les moyens ont suivi même s'il subsiste deux ou trois problèmes que nous nous employons d'ailleurs à résorber. Ainsi, en ce qui concerne la garde à vue, nous travaillons à resserrer les liens entre la police ou la gendarmerie et le Parquet, nous nous attachons à améliorer les méthodes de travail et à redéfinir le type de documents à produire.

Dénonçant la longueur des procédures, vous avez fait état d'une durée de 31 et de 33 mois pour deux affaires précises. Mais celles-ci étaient lourdes et je ne pense pas qu'on puisse sans dommage descendre en-dessous de ces délais : l'élucidation, l'instruction, la mise en état du dossier et l'organisation de l'audience exigent du temps. On peut certes donner la priorité aux personnes en détention provisoire, mais sera-ce juste pour les autres ? N'entretenons donc pas trop d'illusions en la matière.

Pour conforter l'autorité du Parquet sur la police judiciaire et pour améliorer leur travail en commun, M. Vaillant et moi nous employons à définir une organisation et une méthode. Trop souvent, les OPJ mis sur une affaire importante doivent l'abandonner pour une autre, de sorte que les choses traînent. Il faut y remédier.

J'ai enregistré avec déception votre décision de ne pas voter ce budget, Monsieur Gerin. Puis-je espérer vous faire changer d'avis d'ici à la séance publique ?

M. André Gerin - J'ai en fait laissé la décision à la sagesse de la commission.

Mme la Garde des Sceaux - Très bien !

En ce qui concerne la délinquance des mineurs, vous avez bien fait de rappeler le rapport de Mme Lazerges et de M. Balduyck. L'ordonnance de 1945 était un texte excellent dans son principe, mais elle a été révisée 18 fois de sorte qu'il n'en reste plus que le triptyque prévention, éducation, sanction. Pour autant, on ne peut raisonnablement soutenir que notre pays serait plus laxiste que ses voisins européens. Ceux-ci refusent même toute extradition de mineurs vers la France en faisant valoir que notre législation est trop sévère. De fait, en Espagne par exemple, les mineurs ne peuvent être incarcérés, et ils ne peuvent être envoyés dans des centres d'éducation renforcée que pour cinq ans au plus, alors que chez nous, un mineur de 13 ans peut être condamné à vingt ans de prison et un mineur de 16 ans à la prison à perpétuité.

Ce qu'il faut améliorer en revanche, plutôt que notre législation, c'est sa mise en _uvre. Notre taux d'élucidation est trop faible et les délais d'exécution des peines trop importants, ce qui nourrit en effet le sentiment d'impunité. Grâce à M. Balduyck, on a pris une initiative intéressante à Tourcoing : le public est informé de la date fixée pour l'audience dès que l'intéressé a été entendu. Avec de telles mesures, ceux qui voient un jeune revenir dans son quartier dès le lendemain de son interpellation cesseraient de penser que la justice en a fini avec lui.

Je pense que la comparution immédiate peut être utile mais, décidée systématiquement, elle risque de mettre à mal les droits de la défense et même ceux des victimes, qui se sentent souvent perdues dans les tribunaux. La meilleure réponse me semble donc être le « temps réel », qui porte le délai à 8 ou 15 jours seulement.

Certains magistrats font valoir que la pression actuelle, concentrée sur la délinquance des mineurs, profite regrettablement aux majeurs, dont certains sont parfois condamnés moins lourdement pour des délits équivalents. Il faut sans doute sanctionner les jeunes délinquants, y compris pour respecter leur dignité, mais il ne faut pas oublier que certains les utilisent, qu'il s'agisse de familles receleuses, de petits malfrats ou de grands mafieux. Trois jeunes ont ainsi récemment volé 700 voitures dans le Sud, mais ce ne sont certainement pas eux qui se sont chargés de leur faire quitter le territoire. La délinquance des mineurs n'est souvent qu'un écran pour des réseaux bien organisés...

Sur le statut des travailleurs sociaux, des négociations sont en cours et je répondrai donc aux questions sur ce sujet par écrit. Je n'ai pas le sentiment que les syndicats aient demandé la mesure à laquelle vous avez fait allusion mais j'entends bien boucler le dossier des indemnités avant la fin de l'année.

Monsieur Michel, je pense vous avoir répondu en ce qui concerne la réduction du temps de travail. Pour ce qui est des tribunaux de commerce, je mène actuellement des discussions avec les élus, y compris les élus consulaires, sur la dizaine de tribunaux de commerce qui posent encore problème. Je souhaite vivement que la loi soit adoptée car il s'agit d'une grande modernisation, mais la commission des lois du Sénat est débordée et il faut faire des choix difficiles.

La carte judiciaire des TGI est un sujet de débats avec les parquetiers, en particulier sur l'organisation des astreintes. La suppression des tout petits TGI ne permettrait de récupérer qu'une quarantaine de postes, cela ne vaudrait pas le coup ! Il est vrai en revanche que ces tribunaux ont des problèmes de fonctionnement et il faudrait sans doute aller plus loin vers la mutualisation des ressources. On voit bien, par ailleurs, à quel point l'annonce de certaines fermetures entraîne une véritable montée au créneau des barreaux, qui excellent dans le lobbying.

Pourtant, il ne faut pas confondre proximité géographique du tribunal et proximité de la justice, on peut très bien organiser cette dernière à partir des maisons de la justice et du droit et des tribunaux d'instance. J'ajoute que l'on serait parfois étonné, y compris dans les grands tribunaux, si l'on appliquait strictement un critère de nombre de dossiers par magistrat... Il serait toutefois inacceptable qu'il n'y ait plus du tout de tribunaux dans certains départements, la population aurait le sentiment d'être abandonnée par la justice qui est la garante de la démocratie.

Vous le voyez, je suis sans doute moins allante sur ce sujet que vous l'auriez espéré.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial - En tout cas moins que Mme Guigou quand elle est arrivée au Gouvernement...

Mme la Garde des Sceaux - Telle est mon approche.

Sur la loi pénitentiaire, je me demande si l'on peut progresser sans se poser la question de la gestion des établissements, du personnel et de son statut, de la sécurité - contrairement à ce que disent certains journaux, j'y tiens et je crois que l'administration pénitentiaire doit à la société que ceux qu'on lui confie ne puissent s'en aller en utilisant un fax ou un hélicoptère -, des relations des détenus avec les surveillants et entre eux. Il faut tenir compte de tout cela au moment des constructions. Il me semble aussi, Monsieur Devedjian, que la procédure prévue à l'article D 74 n'empêche pas de prendre des décisions sur l'affectation des détenus. En outre, il n'apparaît pas normal que des détenus subissent des conditions lourdes de détention au motif qu'un seul d'entre eux est très dangereux.

Cette réflexion est bien sûr indissociable de celles, qui se poursuivent, sur la sanction, sur la peine, sur le sens de la peine. Il faut arrêter de dire que toute sanction autre que la prison est une alternative à l'emprisonnement. Peut-on vraiment conclure du fait que personne n'est content que le projet n'est pas bon ? Cela ne signifie-t-il pas plutôt que l'on est au milieu du gué et que l'on peut avancer ?

Comme toujours, M. Warsmann s'est contenté de répéter « Quel gâchis ! Quel gâchis ! »

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial - Vous êtes bien sévère, il me disait précisément que vous ressemblez à Alain Juppé qui trouvait que c'était bon signe quand tout le monde était mécontent. (Sourires)

Mme la Garde des Sceaux - Pour un peu, je me laisserais démoraliser...

Le Premier ministre n'a pas dit que la baisse du chômage signifiait la fin de la délinquance, mais - et c'est une belle phrase, que je reprends souvent - que la fin de la crise économique, que le fait que le pays aille mieux, n'effaçait pas les stigmates de la crise sociale. Cette crise est bien une réalité. On a construit des ensembles d'habitat dit social, avec 4000 logements, parce que des entreprises employaient 3000 personnes à un kilomètre de là et, quand ces entreprises ont disparu, il est normal qu'il y ait eu des problèmes dans ces quartiers. Aujourd'hui, la production de masse est derrière nous, et c'est tant mieux, mais on n'a pas adapté l'habitat à la nouvelle donne et on est incapable de donner du travail aux enfants de ceux que l'on a obligés à habiter là.

Je m'étonne par ailleurs, Monsieur Warsmann, que vous me reprochiez la programmation pluriannuelle que vous avez appelée de vos v_ux. Oui, annoncer la création de 1200 postes de magistrats suppose bien un effort pluriannuel. C'est ainsi que l'on parviendra à passer, d'ici 2005, de 6000 à 8000 magistrats, certains d'entre eux commençant même à trouver que cela fait beaucoup...

J'aimerais aussi que vous cessiez de confondre autorisations de programme et crédits de paiement. Mais, quoi que je dise, vous continuerez à répéter « Quel gâchis ! Quel gâchis ! ».

J'ai déjà répondu sur l'ordonnance de 1945 en indiquant que je souhaite surtout que l'on applique les textes existants. Mais je sais que je ne pourrai vous convaincre.

Peut-être aurai-je plus de chance avec M. Braouezec (Sourires). Il a raison sur les moyens. J'ai déjà répondu également sur la rémunération des avocats et sur l'aide juridictionnelle.

M. Leonetti a parlé à juste titre de la composition pénale de la troisième voie et des non-magistrats. L'aide aux victimes est en grand progrès. Il faudra tenir compte aussi des nouvelles formes que sont la conciliation et la médiation pénales.

Je remercie Mme Lazerges pour sa position courageuse sur l'ordonnance de 1945. Elle a bien fait également d'évoquer les problèmes de la construction des CER, de la recherche des terrains et de la position des élus locaux.

M. André Gerin, rapporteur pour avis - C'est parce qu'elle a parlé des élus locaux en général que j'ai réagi : les positions sont diverses au sein de l'agglomération lyonnaise.

Mme la Garde des Sceaux - J'ai du mal à comprendre pourquoi, pour M. Houillon, plus le budget augmente moins nous sommes bons... A moins qu'il ait voulu dire que les magistrats ne travaillaient pas assez et que c'était là que l'on pouvait réaliser des gains de productivité...

Voilà, je crois avoir répondu à vos questions, en étant trop longue sans doute.

M. le Président de la commission des lois - N'en soyez pas désolée : on reproche si souvent à ces réunions d'être un exercice imposé, que je vous suis reconnaissant d'avoir, pendant une heure vingt-cinq, répondu dans le détail à chacun, tout en replaçant les problèmes dans les perspectives globales de la justice.

La séance est suspendue quelques instants.

M. le Président de la commission - Nous allons passer au vote sur les crédits.

Mme Nicole Feidt, rapporteure pour avis - Mme la Garde des Sceaux a répondu dans le détail sur tous les sujets abordés. Même si des critiques peuvent être formulées, elles ne peuvent pas faire oublier que les budgets de la justice sont, depuis le début de la législature, en progression constante. Je ne vois donc aucune raison de repousser ce projet et vous propose de lui donner un avis favorable.

M. André Gerin, rapporteur pour avis - Je ne participerai pas au vote et m'en remets à la sagesse de la commission, dont je défendrai bien sûr le point de vue en séance publique.

La commission, consultée, donne un avis favorable à l'adoption des crédits de l'administration centrale et des services judiciaires puis des crédits des services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse.

M. le Président de la commission - Je vous remercie de votre participation à cette séance.

La séance est levée à 12 heures 35.

Le Directeur du service
des comptes rendus analytiques,

Jacques BOUFFIER

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Mardi 30 octobre 2001
(Séance de 9 heures)

Projet de loi de finances pour 2002 :
Audition de Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, sur les crédits de son ministère.


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