Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (2001-2002)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 19

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 16 janvier 2002
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Bernard Roman, président

SOMMAIRE

 

pages

- Proposition de loi complétant la loi du 15 juin 2000 (n° 3530) (rapport)

2

- Informations relatives à la Commission

12

La Commission a désigné M. Julien Dray, rapporteur pour la proposition de loi complétant la loi du 15 juin 2000 (n° 3530), puis procédé à l'examen de ce texte.

Le rapporteur a rappelé, à titre liminaire, que personne n'avait contesté l'opportunité de procéder à une évaluation de la loi du 15 juin 2000, chacun s'accordant à reconnaître qu'il existait certaines difficultés d'application, notamment pour les services de police et de gendarmerie. Il a indiqué que son rapport, remis au Premier ministre à la fin du mois de décembre, constituait un bilan très circonstancié des obstacles rencontrés par la police judiciaire dans l'exercice de ses missions et ne proposait que des ajustements à la marge du texte voté en juin 2000. Observant que les réformes mises en _uvre par la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence répondaient notamment aux exigences résultant de l'évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, il a estimé que le législateur portait une part de responsabilité dans la remise en cause actuelle de cette loi, parce qu'il n'avait pas suffisamment expliqué ses objectifs. Il a souligné que ce texte préservait « l'exception culturelle » française, en conservant le système inquisitoire, tout en renforçant, à chaque étape de la procédure, les droits de la personne mise en cause.

Le rapporteur a ensuite expliqué que l'objet de son rapport était d'identifier, à partir de réalités concrètes, les difficultés qui affectent l'efficacité de l'enquête, soulignant que celles-ci risquaient de pénaliser les victimes, alors même que le législateur avait voulu renforcer leurs droits tout au long du procès pénal.

Puis, présentant les conclusions de son rapport au Premier ministre, il a indiqué qu'il avait proposé un certain nombre de mesures destinées à améliorer les conditions de la garde à vue. Il a d'abord évoqué la suppression de l'obligation faite au procureur de la République de visiter une fois par trimestre les locaux de garde à vue, impossible à mettre en _uvre dans un certain nombre de tribunaux. Il a également insisté sur la réfection desdits locaux, dont certains sont indignes d'une République comme la nôtre, et l'équipement en matériels, notamment informatiques, des officiers de police judiciaire. Toujours en raison de l'insuffisance des moyens dont ils disposent, il a regretté que de nombreux policiers soient obligés de prélever sur leurs deniers personnels l'argent destiné à acheter de la nourriture aux personnes placées en garde à vue.

Il a ensuite indiqué que son rapport proposait des clarifications pratiques destinées à mettre fin à certaines incertitudes juridiques actuelles, dues notamment aux divergences qui existent entre les parquets. Il a observé, à ce propos, que certains d'entre eux avaient pris le temps de préparer l'entrée en vigueur de la loi, alors que d'autres, notamment dans le sud-ouest, avaient attendu la dernière minute pour réfléchir aux modalités de sa mise en _uvre. Evoquant les dispositions soulevant des difficultés d'application, il a expliqué que des modifications législatives étaient nécessaires pour éviter les contestations que pourrait susciter le recours à une simple circulaire, ajoutant qu'il appartenait, en tout état de cause, au législateur de faire la loi. Il a souligné que les ajustements législatifs proposés ne remettaient pas en cause les grands principes posés par la loi du 15 juin 2000, mais au contraire, en en facilitant l'application, permettraient à cette dernière d'être mieux comprise et donc moins contestée. Il a estimé que le législateur devait tenir compte des réalités, observant qu'il courrait de grands risques à vouloir se retrancher uniquement derrière des grands principes.

Le rapporteur a ensuite présenté à la Commission les différents articles de sa proposition de loi.

Il a indiqué que l'article premier tendait à clarifier la définition du « suspect », qui, à la différence du « témoin », peut être placé en garde à vue, en alignant les termes figurant dans le code de procédure pénale sur ceux de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il a justifié cette mesure par l'imprécision et le caractère excessivement restrictif du droit en vigueur, faisant valoir que les policiers et les gendarmes ne savent plus aujourd'hui dans quelles situations ils sont autorisés à placer les personnes en garde à vue, notamment en matière de violences urbaines.

Le rapporteur a ensuite présenté l'article 2 en indiquant que celui-ci procédait, tout d'abord, à une réécriture du « droit au silence » consacré par la loi du 15 juin 2000. Il a rappelé que ce droit avait toujours existé mais a considéré que la formalisation explicite de ce qui n'était auparavant qu'implicite avait perturbé le bon déroulement des interrogatoires et suscité beaucoup d'incompréhension dans les milieux policiers, y compris pour des raisons d'ordre psychologique. Il a jugé nécessaire, sans revenir sur la reconnaissance législative de cette prérogative des gardés à vue, de modifier sa formulation, en s'inspirant de celle qui figure à l'article 116 du code de procédure pénale, qui précise que la personne a le choix « soit de se taire, soit de faire des déclarations, soit d'être interrogée », et en signifiant plus clairement que son usage par une personne à l'encontre de laquelle il existe, par hypothèse puisqu'elle est gardée à vue, une ou des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction peut être de nature à se retourner contre elle. Il a considéré que cette mesure conforterait la position des enquêteurs, tout en respectant le droit des personnes gardées à vue, qui pourront toujours, de surcroît, demander conseil, dès la première heure, à leur avocat sur l'opportunité ou non de répondre aux questions qui leur sont posées.

Puis le rapporteur a indiqué que l'article 2 avait également pour objet d'alléger certaines contraintes procédurales pesant sur les enquêteurs lors du placement d'un suspect en garde à vue, en leur reconnaissant un délai de trois heures pour aviser le parquet de leur décision et, le cas échéant, contacter un médecin et prévenir la famille ou un proche de la personne concernée. A cet égard, il a souligné que les officiers de police judiciaire supportaient mal le cumul de ces obligations, dont la mise en _uvre a été enserrée, de façon arbitraire, dans un délai d'une heure qui ne figure pas dans la loi et s'apparente parfois, sur le terrain, à une véritable gageure. Il a précisé que le délai de trois heures qu'il proposait prenait en compte la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a récemment validé une procédure dans le cadre de laquelle un procureur de la République n'avait été informé d'une décision de placement en garde à vue qu'au terme d'une durée de 2 heures 30 et annulé, a contrario, une autre procédure dans le cadre de laquelle cette information n'avait été effectuée qu'au bout de 3 heures 30. Il a estimé que cette mesure redonnerait un peu de souplesse aux enquêteurs, qui ont parfois le sentiment de consacrer l'essentiel de leur temps à accomplir des obligations formelles, et mettrait fin à une situation d'insécurité juridique susceptible de les inciter à retarder de façon arbitraire le prononcé effectif des décisions de placement en garde à vue. Il a admis que le fait de revenir sur le caractère immédiat de l'information du parquet suscitait un débat mais a rappelé que le délai de trois heures qu'il proposait ne constituerait qu'une limite à ne pas dépasser. Il a ajouté que la plupart des officiers de police judiciaire étaient conscients qu'ils garderaient intérêt à informer le procureur de la République le plus rapidement possible, celui-ci étant chargé de contrôler leur procédure, le fait de disposer d'un délai de trois heures leur permettant, cependant, de procéder à cette information de façon plus complète, alors qu'ils ne s'acquittent souvent de cette obligation que par l'envoi d'un simple fax, ce qui la rend purement formelle et pourrait éventuellement être contesté par l'autorité judiciaire.

S'agissant de l'article 3, le rapporteur a indiqué qu'il autorisait le placement en détention provisoire des personnes mises en examen auxquelles il est reproché plusieurs délits punis d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à deux ans, afin de répondre au désarroi de certaines victimes, voire de la population dans son ensemble, qui ne comprennent pas qu'un délinquant interpellé à plusieurs reprises pour des infractions successives puisse rester libre et continuer à agir de façon coupable en toute impunité. Il a précisé que cette disposition n'affectait pas l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante, qui interdit, en tout état de cause, le placement en détention provisoire des mineurs de 16 ans.

Il a ensuite indiqué que l'article 4 clarifiait les dispositions de la loi du 15 juin 2000 relative à la détention provisoire des parents d'enfants mineurs. Il a jugé nécessaire de limiter le caractère obligatoire du recours à une enquête sociale avant tout placement en détention provisoire au cas des personnes exerçant « de façon exclusive » cette autorité parentale afin de contrecarrer les usages abusifs de cette procédure constatés sur le terrain. Il a précisé que le caractère apparemment restrictif de cette mesure était tempéré par le fait que, concomitamment, l'obligation d'enquête sociale serait étendue aux parents d'enfants mineurs jusqu'à l'âge de seize ans, alors qu'actuellement elle ne concerne que les parents d'enfants de moins de dix ans.

Le rapporteur a enfin présenté l'article 5, qui donne au parquet la possibilité de faire appel des décisions d'acquittement rendues par les cours d'assises, en cas d'appel de la condamnation d'un co-accusé.

Considérant, en préambule, que la loi du 15 juin 2000 ne portait pas seule la responsabilité de l'explosion de l'insécurité, M. Christian Estrosi a jugé, en conséquence, que la décision du Gouvernement et des parlementaires de la majorité de modifier ce texte, dans l'affolement et sous la pression de l'opinion publique, ne saurait à elle seule résoudre les problèmes de fond ; il a estimé néanmoins que la loi renforçant la présomption d'innocence avait indubitablement joué un rôle d'accélérateur dans la situation d'insécurité actuelle qui, combinée à l'absence de politique pénale claire, avait encouragé chez les délinquants le sentiment d'impunité et contribué, plus encore, à décrédibiliser l'institution judiciaire.

Il a regretté, face à cette situation, le décalage existant entre les attentes de la population, des policiers et des magistrats et la modestie des propositions formulées, à la fois par Mme Christine Lazerges et M. Julien Dray ; il a ainsi estimé que les cinq articles de la proposition de loi ne permettraient en rien de remédier au nombre excessif de classements sans suite, estimé à 80 %, ni à celui des décisions de justice non exécutées, qui est de l'ordre de 30 % ; s'il a néanmoins reconnu que les propositions émises se traduiraient par une légère amélioration des conditions de travail des officiers de police judiciaire, il a déploré que rien n'ait été prévu pour la justice et émis des craintes que les modifications apportées ne se traduisent finalement par un report de la charge de travail sur les magistrats.

Il a ensuite observé que la proposition de loi n'apportait aucune réponse à la difficile question des rapports entre le magistrat instructeur et le juge des libertés et de la détention, qui siègent au sein du même tribunal, ni à celle de l'encadrement des enquêtes dans des délais trop restrictifs, compte tenu de la survenance d'infractions de plus en plus complexes comportant souvent des ramifications à l'échelle européenne. Il a également manifesté son inquiétude sur l'absence de toute réflexion relative à l'application des peines, rappelant par ailleurs que 80 % des plaintes n'entraînaient pas de suites judiciaires, 32 % d'entre elles en raison de la faible gravité des faits les ayant motivées ; il s'est élevé à ce propos contre une tendance, qui semble tenir lieu de politique pénale, à dépénaliser certaines infractions par la voie de circulaires du garde des Sceaux, observant que le Parlement avait seul compétence en la matière en vertu de l'article 34 de la Constitution. Dénonçant toujours l'absence de politique pénale, il a déploré que, face au malaise croissant des Français, la seule réponse du Gouvernement consiste à accorder des rallonges budgétaires à certaines catégories de personnels, sans entamer de réflexion de fond. Il a estimé, en conclusion, que le « rafistolage » proposé aujourd'hui par M. Julien Dray ne saurait empêcher que des récidivistes ne soient relâchés, ni que des policiers ne se fassent agresser et a jugé déplorable que l'on tolère, dans le même temps, les propos d'un syndicat de magistrats invitant les juges à ne pas appliquer la loi, faisant notamment référence à l'article 23 de la loi relative à la sécurité quotidienne, adoptée récemment concernant la fouille des véhicules.

Faisant référence à un article paru récemment dans le journal La Marseillaise, M. Alain Tourret s'est élevé contre la démagogie et la surenchère de certains propos diabolisant la loi du 15 juin 2000 en la rendant responsable de tous les maux, contribuant ainsi à créer une véritable psychose collective en matière d'insécurité. Il a relevé que les explications du développement de ce sentiment d'insécurité, lié indubitablement à une montée de la délinquance, étaient diverses puisque M. Arnaud Montebourg l'impute notamment à l'attitude qu'il juge peu éthique du Président de la République, tandis que M. Jean-Pierre Chevènement voit dans la suppression du service national la cause principale de la rupture entre la population et la Nation, cette rupture étant elle-même à l'origine de la délinquance. Pour sa part, il a considéré que le système actuel de l'action publique, qui se caractérise par une indépendance du parquet sans dispositif de mise en jeu de la responsabilité des juges, pouvait également expliquer en partie le malaise actuel. Quelles que soient les causes de cette situation, il s'est élevé contre l'attitude du Gouvernement consistant à rendre la loi du 15 juin 2000 responsable, alors que celle-ci, grâce à un dispositif équilibré, a indubitablement ouvert un nouvel espace de liberté et de dignité, conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme. Il a d'ailleurs rappelé que l'opposition n'avait nullement, à l'époque, dénoncé le caractère laxiste de ce texte, M. Patrick Devedjian ayant, à l'inverse, dénoncé son manque de souffle et d'ambition et son caractère trop conservateur.

S'agissant du rapport remis par M. Julien Dray au Premier ministre, M. Alain Tourret en a d'abord contesté la méthode, jugeant qu'il ne convenait pas de partir des faits pour élaborer des propositions législatives ; il a expliqué que cette manière de faire, propre à la common law britannique, était très éloignée de sa propre conception du rôle du législateur, puisqu'il considérait que celui-ci devait, à l'inverse, être guidé par des principes pour élaborer la loi ; il a également remis en cause les conclusions auxquelles était parvenu M. Julien Dray, estimant que, sous couvert de simples ajustements, il proposait, en fait, de « saborder » l'esprit même de la loi du 15 juin 2000. Jugeant que le débat sur le texte mettait en lumière l'antagonisme insurmontable entre la gauche sécuritaire et la gauche morale, il a considéré que cette divergence de fond justifiait que, pour la première fois, un membre de son parti dépose une motion de procédure.

Il a contesté notamment, dans la proposition de loi présentée par le rapporteur, la disposition permettant de n'informer le Procureur de la République qu'au terme de trois heures de garde à vue, jugeant qu'elle était contraire au principe de valeur constitutionnelle qui fait de l'autorité judiciaire la gardienne des libertés publiques et, à ce titre, du procureur l'autorité tutélaire de l'officier de police judiciaire.

Il a également dénoncé la disposition autorisant le placement en détention provisoire d'une personne à laquelle il est reproché plusieurs délits ; évoquant son combat, lors de l'examen de la loi sur la présomption d'innocence, pour limiter les cas de placements en détention provisoire, il a rappelé que chacun s'accordait, à l'époque, pour reconnaître le caractère criminogène de ces mesures ; il a également insisté sur le fait que, dans de nombreux cas, de l'ordre de 2 000 par an, la détention provisoire se conclut par un non-lieu ou un acquittement. Il a, enfin, contesté la rédaction même de l'article, qui ne définit pas précisément les critères et les délais de réitération des délits.

En conclusion, il a exprimé son profond malaise face à la remise en cause, sous la pression et dans les derniers jours de la législature, d'une loi essentielle pour les libertés.

Contestant la distinction schématique faite par M. Alain Tourret entre les défenseurs de la liberté et les défenseurs de la sécurité, M. Jean Antoine Leonetti a salué, en premier lieu, la pédagogie, non exempte parfois de démagogie, avec laquelle M. Julien Dray présente ce qui apparaît, un an après, comme un reniement de la part de la majorité. Faisant état des témoignages des magistrats et des policiers qui contestent, de façon quasi-unanime, la complexité et les lourdeurs de la loi du 15 juin 2000, il a estimé que celle-ci avait finalement contribué à protéger les délinquants ainsi que leurs défenseurs. Il a jugé que ce dispositif législatif était en décalage total avec les attentes de la population, les Français n'acceptant plus qu'un délinquant ne soit pas immédiatement déféré devant la justice ou puisse être relâché pour de simples vices de procédure. Reconnaissant que les propositions émises par M. Julien Dray allaient dans le bon sens, même si, destinées avant tout à rassurer l'électorat, elles ont peu de chances de trouver application avant les élections, il a annoncé que, dans l'objectif de faciliter l'adoption rapide du texte, son groupe ne déposerait que peu d'amendements. Il a émis le souhait, néanmoins, que ces amendements, portant sur des points essentiels de la procédure pénale, puissent faire l'objet d'un véritable débat de fond, afin de permettre une réflexion sérieuse sur la justice.

M. André Gerin a tout d'abord indiqué que le groupe communiste ne voterait pas en faveur de la proposition de loi. Regrettant qu'un dispositif qui constitue un recul pour les libertés publiques ne soit proposé que pour masquer l'insuffisance des moyens mis à la disposition de la police et de la justice, il a, tout autant, déploré le probable abandon par le Gouvernement du projet de loi pénitentiaire, également justifié par des considérations d'ordre matériel. Evoquant ensuite le développement de la délinquance en France, il a observé que ce phénomène avait débuté bien avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000, qui ne saurait donc en être tenue pour responsable. Prenant l'exemple de la multiplication des incendies de voitures dans l'agglomération lyonnaise, il s'est étonné de n'avoir jamais pu obtenir le placement, dans les lieux les plus exposés, de caméras infrarouges et a, d'une façon générale, dénoncé les moyens notoirement insuffisants des services d'investigation, qu'il s'agisse de la police générale ou de la police financière, douanière ou fiscale. Il a considéré que la France souffrait, dans le domaine de la police mais aussi de la justice, de retards d'équipement considérables, précisant qu'ils n'étaient pas imputables au seul Gouvernement actuel puisqu'ils remontaient à plus de vingt ans. Puis, jugeant qu'il aurait été préférable que la loi du 15 juin 2000 fasse l'objet d'une évaluation plus approfondie, il a insisté sur la nécessité de garantir une certaine continuité des règles applicables en matière pénale, ajoutant que, dans ce domaine, les débats gagneraient à être plus sereins. Il a conclu son propos en réaffirmant son profond désaccord sur la démarche retenue, tout en convenant que certaines dispositions de la proposition de loi constituaient des ajustements techniques acceptables sur le fond.

Réagissant aux propos tenus par M. Jean Antoine Leonetti, M. Camille Darsières a estimé qu'il ne convenait pas d'évaluer la pertinence d'une réforme en se fondant exclusivement sur l'appréciation des professionnels concernés, enclins, le plus souvent, à un certain conservatisme, comme les syndicats de policiers qui ont critiqué avec vigueur la loi du 15 juin 2000. S'agissant des difficultés que rencontreraient les procureurs de la République pour respecter leur obligation de visite trimestrielle des locaux de garde à vue, il a rappelé que ces magistrats étaient secondés par des substituts susceptibles de les aider à accomplir cette très opportune mission de contrôle. Quant aux éventuelles difficultés, évoquées par M. Christian Estrosi, qui pourraient résulter de désaccords entre le juge d'instruction et le juge des libertés et de la détention, il a rappelé que les magistrats avaient coutume et obligation de dialoguer, évoquant, à cet égard, les relations entre le procureur de la République et le juge d'instruction et soulignant que l'existence de divergences d'appréciation entre magistrats ne faisait aucunement obstacle au bon fonctionnement de la justice.

S'agissant des dispositions modifiant le régime de la garde à vue, M. Camille Darsières a exprimé son accord avec les propos tenus par M. Alain Tourret et ajouté que la nouvelle rédaction proposée sur le droit au silence du suspect risquait d'avoir l'effet inverse de celui recherché en incitant, en fait, les personnes gardées à vue à se taire. A cet égard, il a contesté la pertinence de la comparaison faite par le rapporteur avec les dispositions applicables aux personnes mises en examen qui comparaissent pour la première fois devant le juge d'instruction, en soulignant que, contrairement à celles-ci, les personnes gardées à vue ne bénéficient pas de l'assistance d'un avocat. S'étonnant d'ailleurs que l'intervention de l'avocat lors de la garde à vue soit considérée par les policiers comme une preuve de suspicion à leur égard, alors qu'elle est acquise dans les cabinets d'instruction depuis 1897, il a rappelé qu'il était logique qu'un texte ayant pour objet de renforcer la protection de la présomption d'innocence encadre davantage l'ensemble des mesures privatives de libertés, et donc la garde à vue. Faisant référence aux écrits d'un ancien commissaire de police qui reconnaît que, si la torture physique est prohibée, la torture morale, provoquée par des interrogatoires nocturnes interminables, reste pour le policier un moyen légal d'obtenir des aveux, il a jugé indispensable de ne pas remettre en cause les nouvelles garanties résultant de la loi du 15 juin 2000. Il a d'ailleurs souligné que la France avait été, par le passé, condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne de justice pour des traitements « inhumains et dégradants » infligés au cours d'une garde à vue. Il a enfin rappelé qu'il avait proposé, lors de la discussion de la loi du 15 juin 2000, d'interdire tout interrogatoire entre 19 heures et 7 heures, avant de conclure son propos en appelant ses collègues à la vigilance pour éviter que les libertés publiques ne fassent l'objet de restrictions inconsidérées et précipitées.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a tout d'abord jugé souhaitable que les responsables politiques aient le courage d'affirmer publiquement que les dispositions de la loi du 15 juin 2000 ne sont pas à l'origine de l'ensemble des dysfonctionnements de l'institution judiciaire, insistant d'ailleurs sur leur fréquence et leur gravité, qui ont récemment conduit le Premier ministre et la garde des Sceaux à critiquer, pour la première fois, des décisions de justice dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Il s'est, à cet égard, interrogé sur la nature de la justice, pouvoir ou autorité, et sur ses relations avec l'exécutif et le législatif, tout en jugeant inopportun de rouvrir le débat sur les liens entre le parquet et la Chancellerie. Rappelant que son groupe politique s'était abstenu lors de l'ultime vote sur la loi du 15 juin 2000 parce qu'il jugeait insuffisants les moyens mis en _uvre pour son application, il a considéré que cette situation expliquait en grande partie les difficultés de la police et de la justice, qui ne parviennent pas à obtenir des résultats satisfaisants dans la lutte contre la délinquance. Evoquant, en particulier, le développement des violences urbaines, il a regretté qu'une commission d'enquête sur cette question n'ait pas été créée comme il le demandait, estimant qu'elle aurait pu, à l'image de la commission d'enquête sur la situation dans les prisons, réaliser un véritable travail d'investigation et proposer des solutions consensuelles.

Observant que les parlementaires sont fréquemment interpellés, de toute part, dans leur circonscription sur les difficultés que suscite l'application de nombreuses dispositions législatives, il a jugé légitime de procéder à des ajustements de la loi, en prenant en compte ces réalités concrètes, dès lors que les réformes proposées respectent les principes fondamentaux de l'Etat de droit. S'agissant du climat dans lequel se déroule le débat sur la présente proposition de loi, il a considéré que, au-delà des enjeux électoraux, la vigueur de certains échanges tenait au développement, au sein de la population française, d'un sentiment d'impunité des auteurs d'infractions, conforté par quelques décisions de justice contestables et incomprises. Enfin, il a jugé nécessaires que, sur les principes fondateurs du « pacte républicain », qui doit concilier la défense des libertés et le droit à la sécurité, il soit procédé à une consultation référendaire.

M. Pascal Clément a tout d'abord souligné que le texte proposé, qui tente de réparer les dégâts occasionnés par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, marquait la fin de l'angélisme prévalant depuis trente ans, qui conduisait à considérer les délinquants comme des victimes. Considérant que le législateur avait fait une interprétation littérale et sotte de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il a estimé que la proposition de loi n'allait pas assez loin, regrettant notamment qu'elle ne revienne pas sur le principe d'une durée maximum de la détention provisoire, au-delà de laquelle les prévenus sont automatiquement libérés. Il a conclu son propos en précisant que son groupe déposerait peu d'amendements, pour s'en tenir aux points essentiels, ajoutant que toute l'opposition serait unie sur ce texte, alors que de fortes dissensions semblent exister à l'intérieur de la majorité.

Soulignant que la question des dysfonctionnements de la justice avait peu été abordée lors des entretiens de Vendôme, les magistrats étant surtout absorbés par la question de la mise en _uvre des trente-cinq heures, M. François Colcombet a estimé qu'il était préférable d'être plus à l'écoute des justiciables que des professionnels. Il a observé que l'opinion se plaignait essentiellement du développement d'une délinquance voyante, de provocation, en milieu urbain. Après avoir souligné que ce problème était ancien, même si les médias lui donnaient plus d'écho aujourd'hui, il a estimé que la réponse apportée par la justice depuis une dizaine d'années, théorisée par les magistrats de Bobigny et consistant à intervenir en temps réel, était inadéquate. Il a insisté sur la nécessité de rechercher les causes de la délinquance et de proposer aux jeunes délinquants des actions d'éducation et des travaux d'intérêt général, au lieu de les mettre en prison, regrettant, à cet égard, la faible implication des élus locaux dans la mise en place des centres d'éducation renforcée. Il a ajouté que la délinquance de provocation était le fait de jeunes gens « mal élevés », séduits par la violence et attirés par les milieux intégristes, qu'il convenait d'éduquer et d'occuper afin qu'ils évitent de récidiver.

Il a ensuite estimé qu'il fallait développer la lutte contre les réseaux qui recourent à ces jeunes délinquants, observant que, bien souvent, ces jeunes étaient précisément utilisés pour monopoliser l'attention des policiers.

Tout en précisant qu'il n'était pas hostile à ce que la loi du 15 juin 2000 fasse l'objet d'ajustements, il a considéré que le texte proposé soulevait quelques difficultés. Il a, en effet, estimé que l'article 2, qui prévoit que le procureur sera avisé du placement en garde à vue d'une personne dans un délai de trois heures, et non dès le début de cette mesure, alors que les avocats continueront d'en être informés immédiatement, favoriserait les grands délinquants, susceptibles de joindre un avocat, et pourrait profiter aux membres des réseaux, les procureurs de coordination ne pouvant intervenir immédiatement. Il a indiqué qu'il aurait préféré un retour aux dispositions antérieures à la loi du 15 juin 2000, qui imposaient que le procureur soit averti « dans les meilleurs délais », ce qui pouvait aller jusqu'à 2 h 30, selon la Cour de cassation.

Il a également jugé que les dispositions de l'article 3 relatif au placement en détention provisoire des personnes ayant commis plusieurs délits n'étaient pas suffisamment précises, le texte n'indiquant pas, par exemple, si les délits doivent être de même nature et ne spécifiant pas les délais dans lesquels ils doivent avoir été commis.

M. Gérard Gouzes a estimé que les propos de l'opposition sur l'insécurité et la lutte contre la délinquance étaient sans lien avec le sujet et a rappelé que certains de ceux qui dénoncent aujourd'hui le laxisme de la justice n'avaient eu de cesse, au cours des débats sur la loi du 15 juin 2000, que de renforcer la protection des personnes mises en cause. Il a considéré que les principes fondamentaux de la loi relative à la protection et au renforcement de la présomption d'innocence n'étaient pas remis en cause par la proposition de loi, puisque celle-ci visait avant tout à résoudre des problèmes pratiques. Il s'est insurgé contre les propos établissant un lien de causalité entre la loi du 15 juin 2000 et la hausse de la délinquance, rappelant que celle-ci était un phénomène complexe et de longue durée.

Il a ensuite interrogé le rapporteur sur les conséquences de l'allongement à trois heures de la période prévue pour la mise en _uvre de certaines procédures relatives à la garde à vue, en soulignant qu'il pouvait soulever des difficultés d'articulation avec la présence de l'avocat. Il a, par ailleurs, souhaité savoir ce que recouvrait la notion de « circonstances insurmontables » pouvant justifier la prolongation de cette période de trois heures. Puis il a fait part de ses interrogations sur la possibilité de placer en détention provisoire une personne à laquelle il est reproché plusieurs délits passibles d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à deux ans, alors que la loi du 15 juin 2000 n'ouvrait cette possibilité que pour les délits punis de peines de plus de trois ans. Enfin, il a considéré que la principale difficulté en matière de présomption d'innocence tenait aux violations du secret de l'instruction par les médias et s'est donc demandé s'il ne serait pas préférable de le supprimer, sauf décision expresse du juge d'instruction sur demande de la personne mise en cause.

M. Dominique Raimbourg a réfuté l'existence d'un lien entre l'insécurité et l'entrée en vigueur de la loi renforçant la présomption d'innocence. Il a, par ailleurs, considéré que la procédure ne pouvait pas tout régler, soulignant qu'il fallait également tenir compte des pratiques existantes et des moyens disponibles. Il a estimé que la proposition de loi, qui n'était qu'un texte d'ajustement, ne justifiait pas qu'un large débat sur la justice et l'insécurité soit ouvert. Il s'est ensuite demandé si les dispositions permettant le placement en détention provisoire des personnes mises en cause dans plusieurs affaires ne risquaient pas de donner lieu à des interprétations non conformes aux intentions du législateur qui pourraient, le cas échéant, aboutir à une rupture d'égalité entre les justiciables. Il a, enfin, regretté que la faculté reconnue au procureur d'interjeter appel des décisions de la cour d'assises soit limitée au seul cas où il existe des coaccusés, jugeant qu'il serait préférable que le parquet puisse faire appel dans tous les cas.

M. André Vallini s'est félicité de la méthode suivie, rendant à cet égard hommage à l'initiative du président Bernard Roman qui a décidé de faire procéder à une évaluation a posteriori des textes législatifs les plus importants examinés par la commission des Lois. Il a, par ailleurs, dénoncé les arrières pensées électoralistes de l'opposition et estimé que les grands principes humanistes avancés par certains membres de la majorité étaient excessifs. Il a considéré qu'il fallait éviter les caricatures à l'égard de l'action des policiers et a jugé que la question la plus importante était celle des moyens mis en _uvre sur le terrain, rappelant, sur ce point, que le Gouvernement avait dégagé d'importants crédits tant pour les services judiciaires que pour la police et la gendarmerie. Après avoir indiqué que les socialistes étaient fiers de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, il a jugé que la proposition de loi était, avant tout, un texte de précision et ne constituait nullement une remise en cause de la loi du 15 juin 2000.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  La proposition de loi est volontairement circonscrite et n'a pas pour objectif de revenir sur les grands principes posés par la loi du 15 juin 2000, contrairement à ce que craignaient certains, comme le syndicat de la magistrature par exemple. Elle ne remet pas en cause les limitations apportées aux mesures de placement en détention provisoire, qui doivent conserver un caractère exceptionnel.

-  Il est normal qu'un rapport d'évaluation se traduise par l'adoption de modifications législatives, l'absence de suites données à un tel rapport étant contraire à la conception qu'on peut avoir de la politique. Le maintien des dispositions actuelles risquerait de conduire à contestation, voire une remise en cause de l'ensemble de la loi, celle-ci devenant inapplicable.

-  On ne peut que se réjouir que plusieurs membres de l'opposition reconnaissent que la loi du 15 juin 2000 n'est pas responsable de l'augmentation de la délinquance.

-  La rédaction des dispositions sur le placement en détention provisoire des délinquants réitérants pourrait, peut-être, être utilement précisée pour éviter tout risque d'interprétation.

-  Les gardes à vue en matière de stupéfiants et de terrorisme obéissent à des règles particulières, qui prévoient, notamment, l'intervention de l'avocat à la soixante-douzième heure.

-  L'information du parquet est actuellement souvent purement théorique, puisque l'avis prévu est envoyé par télécopie dans des bureaux qui sont, la plupart du temps, vides. Le vrai risque juridique ne réside pas dans le délai de trois heures prévu par la proposition de loi, mais plutôt dans l'absence actuelle d'information effective. Le délai proposé permettra aux officiers de police judiciaire d'arriver à joindre un membre du parquet, ce qui était souvent difficile à réaliser en une heure. L'intervention de l'avocat à la première heure, qui n'est pas remise en cause par la proposition de loi, permettra un contrôle de la garde à vue. Cette intervention suppose une organisation des barreaux, que ceux-ci sont en train de mettre en place.

-  La formulation retenue pour l'appel des décisions d'acquittement de cour d'assises est effectivement assez restrictive et mériterait sans doute d'être revue.

La Commission a rejeté l'exception d'irrecevabilité n° 1 de M. Alain Tourret et la question préalable n° 1 de M. Philippe Douste-Blasy et des membres du groupe UDF.

Elle est ensuite passée à l'examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er (art. 62, 63, 77, 78, 153, 154 et 706-57 du code de procédure pénale) : Définition des critères permettant le placement d'une personne en garde à vue :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 2 (art. 63-1 et 63-2 du code de procédure pénale) : Notification et exercice des droits dont disposent les personnes placées en garde à vue :

M. Camille Darsières s'est interrogé sur l'opportunité de préciser, à l'article 63-1 du code de procédure pénale, que l'exercice du droit au silence est susceptible de porter préjudice à la personne qui en fait usage dès lors qu'il existe une ou des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Il a estimé que l'ambiguïté de cette formule pourrait, paradoxalement, avoir pour effet d'inciter certaines personnes à ne pas répondre aux questions des enquêteurs, afin de signifier qu'elles ne considèrent pas qu'il existe à leur encontre des soupçons justifiés. M. Gérard Gouzes s'est demandé si, de surcroît, cette précision n'était pas redondante, l'existence de soupçons étant une condition du placement en garde à vue. Le rapporteur a contesté le caractère ambigu de la formule proposée, précisant que le fait de dire que le silence peut porter préjudice aux gardés à vue « dès lors qu'il existe des raisons de soupçonner qu'ils ont commis ou tenté de commettre une infraction » tend, au contraire, à leur signifier explicitement que ces raisons existent et qu'il est dans leur intérêt de se défendre. Il a ajouté que cette reformulation du droit au silence conforterait le travail des enquêteurs et pourrait même s'avérer protectrice pour les personnes gardées à vue, car il est utile qu'elles sachent que le silence peut leur porter préjudice.

La Commission a ensuite adopté l'article 2 sans modification.

Articles 3 (art. 143-1 du code de procédure pénale) : Détention provisoire des personnes ayant commis plusieurs délits, 4 (art. 145-5 du code de procédure pénale) : Détention provisoire des parents élevant seuls leurs enfants, 5 (art. 380-2 du code de procédure pénale) : Appel des arrêts d'acquittement, et 6 : Application de la loi outre-mer :

La Commission a adopté ces articles sans modification

Puis elle a adopté l'ensemble de la proposition de loi.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

-  M. Julien Dray, rapporteur pour la proposition de loi complétant la loi du 15 juin 2000 (n° 3530) ;

-  M. Bernard Derosier, rapporteur pour le projet de loi relatif aux sondages ;

-  Mme Christine Lazerges, rapporteur pour la proposition de loi renforçant la lutte contre les différentes formes d'esclavage (n° 3522) ;

-  M. Armand Jung rapporteur pour la proposition de loi adoptée par le Sénat, portant réforme de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, dans ses dispositions relatives à la publicité foncière (n° 3467).

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