Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 62

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 9 juin 1998
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de Mme Christine Lazerges, vice-présidente

SOMMAIRE

 

pages

– Examen du projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie (n° 937) (rapport)

2

– Examen des pétitions

10

La Commission a examiné, sur le rapport de Mme Catherine Tasca, le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie (937).

Mme Catherine Tasca, rapporteur, a tout d’abord indiqué que le projet de loi constitutionnelle avait pour objet de permettre la mise en œuvre de l'accord de Nouméa, signé le 5 mai dernier par les principaux dirigeants du R.P.C.R. et du F.L.N.K.S. et, au nom de l'Etat, par le Premier ministre, qui apporte une solution profondément originale au problème de l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie.

Rappelant que la loi référendaire du 9 novembre 1988, faisant suite aux accords Matignon, prévoyait l'organisation, avant la fin de l'année 1998, d'une consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie sur l'autodétermination du territoire, elle a souligné qu’il était apparu, dès 1991, qu'une telle consultation ne pourrait aboutir qu'à la constatation d'un désaccord fondamental sur l'avenir du territoire et, donc, à la séparation des électeurs en deux camps hostiles, de force à peu près équivalente. Elle a précisé que de nouvelles négociations s’étaient donc engagées pour sortir de cette impasse qui, après le règlement du préalable minier posé par le F.L.N.K.S., avait pu aboutir à un accord le 21 avril dernier, accord signé à Nouméa le 5 mai. Elle a insisté sur le fait que le statut dont la Nouvelle-Calédonie devait être dotée ne serait pas ainsi un statut octroyé, mais un statut négocié.

Présentant le texte de l’accord, Mme Catherine Tasca a observé que son préambule représentait la partie la plus originale. Constatant qu’il comportait une reconnaissance du fait colonial, elle a considéré qu’il ne constituait pas, cependant, une simple déclaration de repentance, mais bien davantage l'affirmation d'un peuple en devenir, qui tire sa réalité d'un passé multiforme, sur la base duquel il entend construire son avenir. Elle a souligné que tout en exprimant la nécessité de faire mémoire des souffrances endurées par le peuple kanak et de lui restituer son identité confisquée, le préambule ne faisait pas abstraction des autres communautés vivant sur le territoire, reconnaissant qu'elles avaient acquis, par leur participation à l'édification de la Nouvelle-Calédonie, une légitimité à y vivre.

Evoquant ensuite le document d’orientation, qui constitue la deuxième partie de l’accord, elle a indiqué qu’il définissait les grandes lignes de l'organisation politique qui doit être donnée au territoire. Elle a noté qu’il prévoyait que l’identité kanake devrait être mieux prise en compte, le statut civil de droit particulier pouvant ainsi être revendiqué par ceux qui l'ont perdu, par dérogation aux dispositions de l’article 75 de la Constitution, tandis que la coutume se verrait reconnaître une plus grande place dans la société calédonienne.

S'agissant des institutions, elle a observé que la fonction exécutive serait désormais exercée par un Gouvernement, élu par le Congrès, à la représentation proportionnelle des groupes, et responsable devant lui. Relevant que certaines délibérations du Congrès auraient le caractère de lois du pays, c'est-à-dire qu'elles échapperont au contrôle a posteriori de la juridiction administrative pour n'être soumises qu'au contrôle du Conseil constitutionnel, avant leur publication, dans des conditions comparables à celles prévues par l'article 61 de la Constitution pour les lois votées par le Parlement, elle a également souligné que des limitations seraient apportées à la définition du corps électoral, de manière différenciée selon qu'il s'agira des consultations sur l'avenir du territoire ou des élections aux assemblées de province et au Congrès.

Mme le rapporteur a, par ailleurs, indiqué que l'accord prévoyait une nouvelle répartition des compétences, distinguant celles qui seront transférées de l'Etat au territoire, celles qui seront partagées et les compétences régaliennes qui resteront de la compétence exclusive de l'Etat jusqu'au terme de la période d’application de l’accord. S'agissant des compétences transférées, elle a remarqué que l’accord témoignait d'un grand pragmatisme, puisqu'il prévoit que le transfert sera progressif et n'en détermine pas d'emblée l'échéancier précis. Elle a en revanche insisté sur le fait que les transferts seraient irréversibles, afin d'éviter les allers et retours qui ont trop souvent marqué l'histoire institutionnelle du territoire.

Elle a noté qu’il était, en outre, prévu que les efforts engagés depuis dix ans, à la suite des accords Matignon, en matière de développement économique et social du territoire et de formation des habitants, prenant en compte la nécessité du rééquilibrage entre les différentes régions, seraient poursuivis.

Soulignant que l'accord de Nouméa ne réglait pas de manière définitive l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, elle a observé qu’il instituait, en fait, une nouvelle période transitoire d’une durée de quinze à vingt ans avant qu'un choix définitif ne soit proposé aux habitants du territoire. Elle a précisé qu'en tout état de cause, au cas où la consultation aboutirait au rejet de l'indépendance, l’organisation politique résultant de l’accord de Nouméa resterait en place à son dernier stade d’évolution, ajoutant que les partenaires politiques seraient appelés à se réunir pour examiner la situation.

Mme Catherine Tasca a remarqué qu’il subsistait entre les signataires de l'accord une approche radicalement différente en ce qui concerne l'avenir du territoire. Elle a cependant considéré que l'existence même de ce désaccord était porteur d'espoir, observant d’abord que c’était sa prise en compte, la volonté de ne pas figer des positions antagonistes dans un référendum couperet, qui avait conduit les forces politiques à rechercher une solution de compromis. En outre, elle a estimé que dès lors que les divergences étaient connues, et avaient été clairement exprimées lors même de la signature de l'accord par M. Jacques Lafleur comme par M. Roch Wamytan, il était finalement rassurant de constater que les acteurs calédoniens étaient néanmoins disposés à construire ensemble l'avenir du territoire. Elle a jugé que cela témoignait de leur maturité politique, de leur souci prioritaire de l'intérêt commun, de leur confiance dans l'avenir.

Dans le même sens, elle s’est félicitée de l'évolution de l'opinion publique. Rappelant que, lors du référendum qui a suivi l'accord Matignon, la majorité de la population de Nouméa s'était prononcé en faveur du non, elle a indiqué que tous les interlocuteurs de la délégation de la Commission qui s’était rendue en Nouvelle-Calédonie avaient souligné que l'accord de Nouméa suscitait, au contraire, un consensus et répondait à l'attente de la population. Elle a précisé que, selon M. Jacques Lafleur, cette évolution des mentalités résultait des dix années passées, qui ont permis à tout les Calédoniens d'apprendre à se connaître, en travaillant ensemble dans les institutions provinciales et territoriales.

Evoquant les raisons qui rendent la révision constitutionnelle nécessaire, Mme le rapporteur a d’abord noté que l’accord de Nouméa prévoyait la création d’une entité juridique de nature nouvelle, soulignant que le caractère irréversible du transfert de compétences consenti à la Nouvelle-Calédonie, conduisait à déroger au principe d’indivisibilité de la République, puisque le législateur ne pourra plus intervenir dans les domaines de compétences reconnus au territoire et que certaines délibérations du Congrès auront le caractère de lois du pays, échappant ainsi à tout autre contrôle que celui du Conseil constitutionnel, avant leur publication.

Elle a ajouté que certaines orientations de l’accord de Nouméa entraient en contradiction avec des principes de valeur constitutionnelle, évoquant la reconnaissance d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, qui fonde des restrictions apportées au corps électoral, les mesures autorisées pour préserver l’emploi local permettant aux citoyens de Nouvelle-Calédonie de bénéficier d’une forme de priorité à l’embauche, la possibilité donnée aux personnes qui ont perdu le statut civil de droit particulier – qu’il est d’ailleurs proposé de qualifier de statut coutumier – de le récupérer, par dérogation aux dispositions de l’article 75 de la Constitution et enfin l’organisation d’une consultation sur l’approbation de l’accord de Nouméa qui n’entre dans aucun des cadres prévus par la Constitution pour la tenue d’un référendum.

Mme le rapporteur a indiqué que, compte tenu du caractère circonscrit du texte dans le temps comme dans l’espace – il s’agit en effet d’un texte transitoire qui ne concerne que la Nouvelle-Calédonie –, le Gouvernement avait choisi de présenter le projet de loi sous la forme d’un texte autonome qui ne s’insérerait pas dans le corps de la Constitution. Elle a considéré qu’il serait préférable de retenir une autre solution consistant à intégrer le projet de loi dans la Constitution, en rétablissant le titre XIII, abrogé en 1995, qui serait désormais intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ».

S’agissant de l’article premier qui prévoit que le projet de loi constitutionnelle a pour objet d’assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie selon les orientations de l’accord signé à Nouméa le 5 mai, elle a indiqué qu’elle proposerait d’en harmoniser le contenu avec celui de l’article 3.

Evoquant l’article 2 qui porte sur l’organisation du référendum local, qui devra se tenir avant le 31 décembre 1998, à l’occasion duquel la population de Nouvelle-Calédonie se prononcera sur l’accord de Nouméa, elle a indiqué qu’il reprenait les restrictions apportées à la définition du corps électoral par l’article 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1988, soulignant qu’elles constituaient l’un des points-clés des négociations de 1988, puisque les indépendantistes craignaient alors qu’une politique d’immigration ne vienne modifier substantiellement les rapports de force démographiques. Elle a précisé que sur 112.000 électeurs, ce n’est environ que 8.000 personnes qui se verraient ainsi retirer le droit de participer au scrutin.

Abordant enfin l’article 3, elle a indiqué qu’il déterminait le champ de la loi organique, qui suivra le vote de la loi constitutionnelle, ce que seule la Constitution peut faire, disposant qu’elle devra fixer le statut de la Nouvelle-Calédonie pour les vingt ans qui viennent, c’est-à-dire les compétences des institutions locales, leur mode d’organisation ainsi que la nature des actes qu’elles prendront, les modalités selon lesquelles les populations intéressées de Nouvelle-Calédonie se prononceront sur l’accession à la souveraineté et enfin les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l’emploi et au statut civil coutumier, qui pourront déroger à un certain nombre de principes constitutionnels.

Pour conclure, Mme Catherine Tasca a d’abord souhaité souligner qu’elle avait été frappée, en Nouvelle-Calédonie, par le soulagement que ressent la population et par la volonté évidente que manifestent tous les acteurs locaux de continuer à travailler ensemble pour construire l’avenir du territoire. Elle a, par ailleurs, tenu à dire sa fierté que la Nouvelle-Calédonie ait su trouver des hommes, tels que Jean-Marie Tjibaou et ceux qui lui succèdent, Jacques Lafleur et ceux qui l’entourent, soulignant que leur vision politique et leur sens des responsabilités avaient permis de rapprocher des points de vue opposés dans un projet commun. Elle a également exprimé sa fierté d’avoir vu l’Etat capable de s’incarner, depuis 1988, dans des figures de paix et de dialogue, Michel Rocard et Louis Le Pensec, d’abord, Lionel Jospin et Jean-Jack Queyranne, depuis, et tous ceux qui ont oeuvré sous leur impulsion. Constatant qu’il revenait maintenant au Parlement d’accompagner leur démarche et d’inscrire leurs engagements dans nos institutions, elle a proposé à la Commission d’adopter le projet de loi constitutionnelle, sous réserve des quelques amendements qu’elle présente.

Après avoir évoqué les excellentes conditions dans lesquelles s’était effectué le déplacement de la délégation de la commission des Lois, conduite par sa présidente, en Nouvelle-Calédonie, M. Dominique Bussereau a insisté sur le fait que les accords de Nouméa reflétaient une profonde évolution des esprits, notamment au regard de la situation qui existait dans le territoire à la fin des années soixante-dix ou au milieu des années quatre-vingt.

Il a ensuite fait part de la position du groupe Démocratie libérale, soulignant que certains de ses membres, tout en approuvant l’esprit des accords de Nouméa et le principe du projet de loi constitutionnelle, avaient exprimé un certain nombre de réticences. A cet égard, il a d’abord évoqué certaines formules du préambule, dont il a cependant reconnu qu’il constituait un ensemble indissociable. Il a également mentionné les dispositions destinées à favoriser l’emploi local, soulignant que certains considéraient qu’elles s’apparentaient indirectement à une forme de préférence nationale, qu’ils condamnaient par ailleurs, et, enfin, la pérennisation des restrictions apportées au corps électoral par les accords de Matignon. Il a conclu en précisant qu’en dépit de ces réserves formulées par certains de ses membres, le groupe Démocratie libérale voterait le projet de loi constitutionnelle.

M. François Colcombet a tout d’abord fait part du soutien du groupe socialiste à l’ensemble du projet de loi constitutionnelle. Il a ensuite mis en exergue l’histoire chaotique de la Nouvelle-Calédonie, observant qu’elle avait connu une alternance de périodes de développement et de fortes tensions. Rappelant que ce territoire avait connu huit statuts jusqu’à la signature des accords de Matignon, il a souligné que, par leur conclusion, les parties en présence avaient fait le pari de la vie en commun et de la paix. Il a cependant fait valoir qu’en dépit de ces accords, la situation avait semblé incertaine au début de l’année 1998, incitant les différents acteurs, notamment à l’initiative de M. Jacques Lafleur, à reprendre les discussions.

Evoquant le contenu de l’accord de Nouméa signé par le R.P.C.R., le F.L.N.K.S. et l’Etat, il a indiqué que celui-ci prévoyait un transfert progressif de la souveraineté au cours d’une période de vingt ans au maximum, à l’issue de laquelle les populations intéressées auraient à se prononcer sur la question de l’accession à l’indépendance. Après avoir considéré que cet accord, a priori irréversible, permettrait à une génération de vivre en paix, il a insisté sur le fait que toutes les parties prenantes souhaitaient que la France reste très présente pour accompagner le développement de la Nouvelle-Calédonie.

Il a ensuite fait le point sur les principales novations juridiques, observant qu’elles se traduisaient par l’institution de lois du pays, par la possibilité de revenir au statut coutumier et par la pérennisation des restrictions apportées au corps électoral par les accords de Matignon. S’agissant de la question de l’emploi local, il a considéré que le risque d’extension des dispositions proposées ne concernait que les autres collectivités d’outre-mer.

M. François Colcombet a enfin insisté sur le contenu culturel des accords, évoquant notamment l’inauguration du centre Jean-Marie Tjibaou. Soulignant que la culture kanake était bien vivante, il a cependant considéré qu’elle ne demandait qu’à se mêler aux autres cultures présentes sur le territoire, notamment par le vecteur de la langue française. En conclusion, il a estimé que le projet de loi constitutionnelle traduisait la nécessité de tenir compte de la spécificité de chacune des collectivités d’outre-mer et constituait une illustration concrète du souci de privilégier la recherche de la paix.

Rappelant qu’une des raisons d’être du groupe communiste était la lutte contre le colonialisme, M. Jacques Brunhes a tout d’abord fait part de son soutien à un texte, dont il a considéré qu’il représentait un pari sur l’intelligence. Estimant que le préambule des accords de Nouméa avait une forte charge symbolique, il a jugé que l’émergence d’une citoyenneté calédonienne constituait une nouvelle étape par rapport aux accords de Matignon, la France acceptant désormais de conduire la Nouvelle-Calédonie vers l’indépendance. Après avoir rappelé le climat des années 1984-1988, il a rendu hommage aux négociateurs des accords de Nouméa, précisant que leur discussion avait duré plus de deux cents heures.

Soulignant l’assentiment de toutes les formations politiques locales au contenu des accords, il a estimé que le Parlement devait être attentif à ne pas apporter au projet de loi constitutionnelle des modifications qui en remettraient en cause l’équilibre. Il a enfin indiqué que le groupe communiste soutiendrait les amendements du rapporteur tendant à réinsérer le projet de loi dans le corps de la Constitution.

M. Dominique Perben a tenu à rendre hommage aux responsables politiques du territoire qui ont su instituer le climat de consensus qui règne en Nouvelle-Calédonie depuis 1990, soulignant que la démarche était d’autant plus méritoire pour ceux qui ont accepté de négocier alors qu’ils savaient qu’ils représentaient la majorité. Déclarant souscrire au contenu du préambule de l’accord de Nouméa, il a estimé qu’il était remarquablement équilibré. Faisant notamment référence à deux phrases de ce texte, la première qui affirme que les communautés vivant sur le territoire ont acquis par leur participation à son édification une légitimité à y vivre et la seconde, qui insiste sur la nécessité de poser les bases d’une nouvelle citoyenneté, permettant au peuple d’origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun, il a observé que de telles déclarations auraient été inimaginables en 1987.

Il a considéré qu’après dix ans d’absence de conflit, cet accord dessinait la perspective de vingt ans de paix supplémentaire, ajoutant qu’il souhaitait que la population au terme de ce délai opte pour le maintien du territoire dans la République. Tout en ne négligeant pas les problèmes juridiques que soulevait ce document qui heurte nos traditions, il a fait observer que la cristallisation du corps électoral sur la base de celui de 1988 était consubstantielle à cet accord. S’agissant de l’institution de lois du pays, il a considéré que l’on ne pouvait envisager de solution pérenne dans les territoires du Pacifique sans recourir à de telles formules. Il a également estimé que les discriminations opérées dans l’accès à l’emploi en faveur des habitants du territoire pouvaient se justifier, si l’on prenait en compte le sentiment de fragilité et de faiblesse démographique des ressortissants des territoires du Pacifique qui, n’étant que 200.000 en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie, se considéraient, sans doute à tort, menacés par la masse des 300 millions d’Européens. Se réjouissant de l’issue des négociations et considérant que leur aboutissement suscitait un sentiment de fierté, tant à l’égard de la Nouvelle-Calédonie que de la métropole, M. Dominique Perben a conclu son propos en déclarant que le groupe R.P.R. voterait le projet de loi constitutionnelle.

Après avoir également rendu hommage aux négociateurs de l’accord, Mme Nicole Catala a cependant fait part des réserves, tant politiques que juridiques, qu’il lui inspirait. Evoquant le cas de la Polynésie et de la Guyane, elle a exprimé la crainte qu’il ne constitue un précédent pour d’autres territoires, qui pourraient être tentés de bénéficier de dispositions comparables. Elle s’est également interrogée sur le risque de transposition en métropole du statut coutumier à certaines communautés. Elle a reconnu que les restrictions apportées à la définition du corps électoral avaient été admises dès 1988. S’agissant des discriminations susceptibles d’être apportées dans l’accès à l’emploi aux ressortissants français et étrangers, elle a jugé qu’elles seraient contraires aux conventions de l’O.I.T. ratifiées par la France, qui prohibent toute différence de traitement entre un Français et un étranger en situation régulière. Elle s’est également interrogé sur leur compatibilité avec nos engagements européens.

M. Pierre Albertini a fait observer que ce texte pouvait être perçu par les uns comme une fantaisie juridique, par d’autres comme une innovation constitutionnelle. Considérant que s’il n’appelait pas de certitude, il suscitait néanmoins un espoir, il a souligné que l’objectif poursuivi par l’accord de Nouméa et le projet de loi constitutionnelle devait l’emporter sur toute considération juridique, le délai de quinze à vingt ans prévu par l’accord pour l’accession à l’indépendance devant être mis à profit pour approfondir le processus engagé. Il a conclu en indiquant que le projet de loi constitutionnelle recevrait l’approbation du groupe U.D.F.

Après s’être félicité de ce que l’ensemble des orateurs considèrent, comme les Calédoniens eux-mêmes, que l’accord de Nouméa était la seule voie possible vers la paix, Mme le Rapporteur a rappelé que ce texte se fondait sur l’expérience du travail en commun acquise au cours des dix dernières années.

Tout en reconnaissant qu’il était difficile, faute de précédents, d’appréhender avec certitude les conséquences des innovations juridiques contenues dans l’accord, elle a estimé que les risques d’extension à la métropole étaient limités, les populations susceptibles de revendiquer de telles innovations n’ayant pas la même histoire et donc pas la même légitimité. Elle a ajouté que le statut coutumier ne s’appliquait qu’au peuple d’origine sur son propre territoire.

Elle a en revanche considéré que l’accord de Nouméa constituerait sans doute une référence pour l’évolution de l’outre-mer dans les années à venir, soulignant que la situation de ces territoires au regard de l’emploi, notamment en termes démographiques, n’avait rien de comparable avec celle qui existe en métropole.

Elle a rappelé que la limitation du corps électoral figurait déjà dans les accords de 1988, et insisté sur la nécessité de maintenir le contrat de confiance entre les différentes communautés, qui ont fait, de part et d’autre, des concessions. Après avoir indiqué que la loi statutaire et les lois du pays devront tenir compte de l’environnement international sur la question de l’accès à l’emploi, elle a considéré que les réalités du territoire justifiaient les restrictions envisagées : elle a notamment cité la tradition d’immigration massive, qui a suscité la méfiance des populations kanakes, ainsi que le retard historique dans la formation des cadres et rappelé que l’objet de l’accord était le rééquilibrage économique et humain du territoire.

Elle a conclu en observant que l’intégration du dispositif proposé dans la Constitution écarterait toute contestation sur sa valeur juridique et ferait tomber les objections présentées par certains juristes qui s’interrogeaient sur la nature exacte d’une loi constitutionnelle sui generis.

La Commission est ensuite passée à l’examen des articles du projet de loi constitutionnelle.

Article premier :

La Commission a tout d’abord rejeté l’amendement n° 4 de M. Lionnel Luca tendant à la suppression de cet article. Elle a ensuite été saisie d’un amendement du rapporteur visant à rétablir le titre XIII de la Constitution et à l’intituler : « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ». M. Dominique Bussereau s’est interrogé sur la notion de « rétablissement » du titre et s’est demandé s’il ne serait pas plus approprié d’utiliser le terme de « création ». Mme Nicole Catala a, quant à elle, exprimé ses doutes sur la possibilité d’introduire dans la Constitution des dispositions d’ordre transitoire. Elle s’est ensuite demandé si les dispositions du titre XII de la Constitution, relatives à l’administration des collectivités territoriales, continueraient à s’appliquer à la Nouvelle-Calédonie, jugeant qu’il serait regrettable qu’il en aille autrement. M. Pierre Frogier s’est également inquiété de la référence au caractère transitoire des dispositions introduites dans la Constitution, soulignant qu’au terme de la période de quinze à vingt ans qui s’ouvre aujourd’hui, si la consultation prévue ne débouchait pas sur l’indépendance du territoire, le statut actuel deviendrait de ce fait même définitif. Il a par ailleurs souhaité que soit précisée la nature juridique du territoire de Nouvelle-Calédonie à l’issue de la révision constitutionnelle, se demandant notamment s’il demeurerait un territoire d’outre-mer, au sens de l’article 74 de la Constitution. M. Pierre Albertini a estimé que la nature de l’accord de Nouméa, et donc des dispositions constitutionnelles qui en découlent, était évidemment transitoire, puisqu’à l’issue de la période considérée un vote interviendrait dont le résultat ne peut être présagé aujourd’hui. Il a ajouté que toutes les constitutions contenaient des dispositions transitoires, soulignant que, dans sa rédaction initiale, le titre XIII de la Constitution concernant la Communauté, était de fait très rapidement devenu sans objet mais était néanmoins resté dans le corps de la Constitution jusqu’en 1995. Il a par ailleurs souligné que, dès que la révision constitutionnelle aurait été adoptée par le Congrès, la Nouvelle-Calédonie ne serait plus un territoire d’outre-mer mais une collectivité répondant à sa propre logique juridique. M. Jacques Brunhes a estimé, pour sa part, que l’utilisation du terme « transitoire » dans le titre XIII ne changeait rien au texte négocié entre les principales forces politiques néo-calédoniennes, observant que ce terme était d’ailleurs repris dans l’exposé des motifs.

En réponse à ces interrogations, Mme le rapporteur a d’abord indiqué que l’accord de Nouméa prévoyait, au cas où la consultation sur l’indépendance aboutirait à un rejet, à l’issue de la période de quinze à vingt ans, que les acteurs politiques néo-calédoniens auraient à se réunir pour examiner la situation ainsi créée. Elle a donc considéré que le statut dont la Nouvelle-Calédonie allait être dotée pour cette période n’était pas définitif. Elle a ajouté qu’en tout état de cause, le texte introduit dans la Constitution était transitoire dans la mesure où il mentionnait, par exemple, le principe de la consultation référendaire locale qui doit être organisée à la fin de 1998. Elle a également rappelé que, dans sa rédaction initiale, la Constitution du 4 octobre 1958 comportait un titre XV regroupant des dispositions transitoires, qui n’avait été abrogé qu’en 1995. Elle a, par ailleurs, indiqué qu’après le vote de la loi constitutionnelle, la Nouvelle-Calédonie ne serait plus un territoire d’outre-mer, sa nature juridique étant tout à fait particulière, précisant cependant que, si les dispositions constitutionnelles propres à la Nouvelle-Calédonie s’appliquaient en priorité, les autres dispositions contenues dans la loi fondamentale, lorsqu’elles n’étaient pas contradictoires avec le nouveau titre XIII, s’appliqueraient également.

La Commission a adopté l’amendement du rapporteur et l’article premier ainsi modifié.

Article 2 :

La Commission a adopté trois amendements de Mme le rapporteur : le premier faisant de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle un nouvel article 76 de la Constitution ouvrant le titre XIII nouveau ; le deuxième apportant à cet article une amélioration d’ordre rédactionnel ; le troisième, conséquence de la modification apportée à l’article premier, introduisant dans l’article 76 nouveau de la Constitution la référence à l’accord de Nouméa signé le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française.

La Commission a ensuite adopté l’article 2 ainsi modifié.

Article 3 :

La Commission a adopté trois amendements présentés par Mme le rapporteur : le premier rétablissant un article 77 de la Constitution ; le deuxième de conséquence ; le troisième visant à préciser de manière plus explicite le fait que l’accord de Nouméa est à la fois le cadre dans lequel la loi organique s’appliquera et l’objectif vers lequel elle doit tendre. Soulignant que les signataires de l’accord de Nouméa avaient exprimé leur souci que le texte de loi organique prise en application de la Constitution respecte les dispositions de l’accord, le rapporteur a indiqué que l’objet de son amendement était de garantir que la loi organique puisse effectivement comporter les dérogations à certains principes de valeur constitutionnelle exigées pour l’application de l’accord.

Puis la Commission a rejeté trois amendements nos 1, 2 et 3 présentés par M. Lionnel Luca.

Enfin, elle a adopté un amendement de conséquence présenté par le rapporteur.

M. Pierre Frogier s’est interrogé sur ce qu’il a considéré comme une incertitude du texte constitutionnel pour ce qui est de la compensation financière des transferts de compétences à la Nouvelle-Calédonie. Il a observé que la rédaction de l’article 3 du projet de loi constitutionnelle s’écartait sur ce point du texte même de l’accord de Nouméa. En réponse à cette inquiétude, Mme Catherine Tasca a indiqué que l’amendement qu’elle avait proposé à la Commission et que celle-ci venait d’adopter, visant à préciser le lien entre la loi organique et l’accord de Nouméa devait être de nature à répondre à l’interrogation exprimée par M. Pierre Frogier. Elle a ajouté que la discussion en séance publique serait l’occasion d’insister sur l’importance de l’accord de Nouméa y compris dans ses aspects financiers.

La Commission a adopté l’article 3 ainsi modifié.

Elle a ensuite adopté l’ensemble du projet de loi constitutionnelle ainsi modifié.

*

* *

Sur le rapport de M. Camille Darsières, la Commission a procédé à l’examen des pétitions.

Le rapporteur a tout d’abord rappelé les conditions d’exercice du droit de pétition, soulignant qu’il était désormais peu utilisé, compte tenu, sans doute, de l’existence d’autres procédures plus efficaces pour permettre aux citoyens de faire valoir leurs droits.

La Commission a classé trois pétitions relevant du pouvoir judiciaire et une concernant le fonctionnement des services de l’Assemblée nationale, au motif qu’il n’appartient pas à la Commission de se prononcer sur les litiges individuels.

Trois autres pétitions traitant de questions fiscales, jugées inopportunes ou relevant d’autres institutions, ont été classées.

En réponse à une pétition contestant les conditions d’attribution du revenu minimum d’insertion, le rapporteur a précisé le dispositif en vigueur et les perspectives ouvertes par le projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions ; de même, il a fait état des moyens de contrôle du Parlement dans le cadre d’une pétition réclamant une meilleure prise en compte des conclusions du rapport annuel de la Cour des comptes. Ces deux pétitions ont donc été classées.

Enfin, deux pétitions, l’une demandant le strict respect du principe de laïcité, l’autre suggérant l’instauration de la parité hommes-femmes pour les fonctions électives, ont été classées, après que le rapporteur eut rappelé la vigilance des élus sur la question complexe de la laïcité et les initiatives récentes prises concernant la parité.

Les décisions prises par la Commission seront publiées dans un prochain feuilleton des pétitions, conformément à l’article 149, alinéa premier du Règlement.

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