ASSEMBLÉE NATIONALE
COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de lADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE
COMPTE RENDU N° 62
(Application de l'article 46 du Règlement)
Mardi 9 juin 1998
(Séance de 16 heures 15)
Présidence de Mme Christine Lazerges, vice-présidente
SOMMAIRE
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Examen du projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie (n° 937) (rapport)
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Examen des pétitions
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La Commission a examiné, sur le rapport de Mme Catherine Tasca, le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie (937).
Mme Catherine Tasca, rapporteur, a tout dabord indiqué que le projet de loi constitutionnelle avait pour objet de permettre la mise en uvre de l'accord de Nouméa, signé le 5 mai dernier par les principaux dirigeants du R.P.C.R. et du F.L.N.K.S. et, au nom de l'Etat, par le Premier ministre, qui apporte une solution profondément originale au problème de l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie.
Rappelant que la loi référendaire du 9 novembre 1988, faisant suite aux accords Matignon, prévoyait l'organisation, avant la fin de l'année 1998, d'une consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie sur l'autodétermination du territoire, elle a souligné quil était apparu, dès 1991, qu'une telle consultation ne pourrait aboutir qu'à la constatation d'un désaccord fondamental sur l'avenir du territoire et, donc, à la séparation des électeurs en deux camps hostiles, de force à peu près équivalente. Elle a précisé que de nouvelles négociations sétaient donc engagées pour sortir de cette impasse qui, après le règlement du préalable minier posé par le F.L.N.K.S., avait pu aboutir à un accord le 21 avril dernier, accord signé à Nouméa le 5 mai. Elle a insisté sur le fait que le statut dont la Nouvelle-Calédonie devait être dotée ne serait pas ainsi un statut octroyé, mais un statut négocié.
Présentant le texte de laccord, Mme Catherine Tasca a observé que son préambule représentait la partie la plus originale. Constatant quil comportait une reconnaissance du fait colonial, elle a considéré quil ne constituait pas, cependant, une simple déclaration de repentance, mais bien davantage l'affirmation d'un peuple en devenir, qui tire sa réalité d'un passé multiforme, sur la base duquel il entend construire son avenir. Elle a souligné que tout en exprimant la nécessité de faire mémoire des souffrances endurées par le peuple kanak et de lui restituer son identité confisquée, le préambule ne faisait pas abstraction des autres communautés vivant sur le territoire, reconnaissant qu'elles avaient acquis, par leur participation à l'édification de la Nouvelle-Calédonie, une légitimité à y vivre.
Evoquant ensuite le document dorientation, qui constitue la deuxième partie de laccord, elle a indiqué quil définissait les grandes lignes de l'organisation politique qui doit être donnée au territoire. Elle a noté quil prévoyait que lidentité kanake devrait être mieux prise en compte, le statut civil de droit particulier pouvant ainsi être revendiqué par ceux qui l'ont perdu, par dérogation aux dispositions de larticle 75 de la Constitution, tandis que la coutume se verrait reconnaître une plus grande place dans la société calédonienne.
S'agissant des institutions, elle a observé que la fonction exécutive serait désormais exercée par un Gouvernement, élu par le Congrès, à la représentation proportionnelle des groupes, et responsable devant lui. Relevant que certaines délibérations du Congrès auraient le caractère de lois du pays, c'est-à-dire qu'elles échapperont au contrôle a posteriori de la juridiction administrative pour n'être soumises qu'au contrôle du Conseil constitutionnel, avant leur publication, dans des conditions comparables à celles prévues par l'article 61 de la Constitution pour les lois votées par le Parlement, elle a également souligné que des limitations seraient apportées à la définition du corps électoral, de manière différenciée selon qu'il s'agira des consultations sur l'avenir du territoire ou des élections aux assemblées de province et au Congrès.
Mme le rapporteur a, par ailleurs, indiqué que l'accord prévoyait une nouvelle répartition des compétences, distinguant celles qui seront transférées de l'Etat au territoire, celles qui seront partagées et les compétences régaliennes qui resteront de la compétence exclusive de l'Etat jusqu'au terme de la période dapplication de laccord. S'agissant des compétences transférées, elle a remarqué que laccord témoignait d'un grand pragmatisme, puisqu'il prévoit que le transfert sera progressif et n'en détermine pas d'emblée l'échéancier précis. Elle a en revanche insisté sur le fait que les transferts seraient irréversibles, afin d'éviter les allers et retours qui ont trop souvent marqué l'histoire institutionnelle du territoire.
Elle a noté quil était, en outre, prévu que les efforts engagés depuis dix ans, à la suite des accords Matignon, en matière de développement économique et social du territoire et de formation des habitants, prenant en compte la nécessité du rééquilibrage entre les différentes régions, seraient poursuivis.
Soulignant que l'accord de Nouméa ne réglait pas de manière définitive l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, elle a observé quil instituait, en fait, une nouvelle période transitoire dune durée de quinze à vingt ans avant qu'un choix définitif ne soit proposé aux habitants du territoire. Elle a précisé qu'en tout état de cause, au cas où la consultation aboutirait au rejet de l'indépendance, lorganisation politique résultant de laccord de Nouméa resterait en place à son dernier stade dévolution, ajoutant que les partenaires politiques seraient appelés à se réunir pour examiner la situation.
Mme Catherine Tasca a remarqué quil subsistait entre les signataires de l'accord une approche radicalement différente en ce qui concerne l'avenir du territoire. Elle a cependant considéré que l'existence même de ce désaccord était porteur d'espoir, observant dabord que cétait sa prise en compte, la volonté de ne pas figer des positions antagonistes dans un référendum couperet, qui avait conduit les forces politiques à rechercher une solution de compromis. En outre, elle a estimé que dès lors que les divergences étaient connues, et avaient été clairement exprimées lors même de la signature de l'accord par M. Jacques Lafleur comme par M. Roch Wamytan, il était finalement rassurant de constater que les acteurs calédoniens étaient néanmoins disposés à construire ensemble l'avenir du territoire. Elle a jugé que cela témoignait de leur maturité politique, de leur souci prioritaire de l'intérêt commun, de leur confiance dans l'avenir.
Dans le même sens, elle sest félicitée de l'évolution de l'opinion publique. Rappelant que, lors du référendum qui a suivi l'accord Matignon, la majorité de la population de Nouméa s'était prononcé en faveur du non, elle a indiqué que tous les interlocuteurs de la délégation de la Commission qui sétait rendue en Nouvelle-Calédonie avaient souligné que l'accord de Nouméa suscitait, au contraire, un consensus et répondait à l'attente de la population. Elle a précisé que, selon M. Jacques Lafleur, cette évolution des mentalités résultait des dix années passées, qui ont permis à tout les Calédoniens d'apprendre à se connaître, en travaillant ensemble dans les institutions provinciales et territoriales.
Evoquant les raisons qui rendent la révision constitutionnelle nécessaire, Mme le rapporteur a dabord noté que laccord de Nouméa prévoyait la création dune entité juridique de nature nouvelle, soulignant que le caractère irréversible du transfert de compétences consenti à la Nouvelle-Calédonie, conduisait à déroger au principe dindivisibilité de la République, puisque le législateur ne pourra plus intervenir dans les domaines de compétences reconnus au territoire et que certaines délibérations du Congrès auront le caractère de lois du pays, échappant ainsi à tout autre contrôle que celui du Conseil constitutionnel, avant leur publication.
Elle a ajouté que certaines orientations de laccord de Nouméa entraient en contradiction avec des principes de valeur constitutionnelle, évoquant la reconnaissance dune citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, qui fonde des restrictions apportées au corps électoral, les mesures autorisées pour préserver lemploi local permettant aux citoyens de Nouvelle-Calédonie de bénéficier dune forme de priorité à lembauche, la possibilité donnée aux personnes qui ont perdu le statut civil de droit particulier quil est dailleurs proposé de qualifier de statut coutumier de le récupérer, par dérogation aux dispositions de larticle 75 de la Constitution et enfin lorganisation dune consultation sur lapprobation de laccord de Nouméa qui nentre dans aucun des cadres prévus par la Constitution pour la tenue dun référendum.
Mme le rapporteur a indiqué que, compte tenu du caractère circonscrit du texte dans le temps comme dans lespace il sagit en effet dun texte transitoire qui ne concerne que la Nouvelle-Calédonie , le Gouvernement avait choisi de présenter le projet de loi sous la forme dun texte autonome qui ne sinsérerait pas dans le corps de la Constitution. Elle a considéré quil serait préférable de retenir une autre solution consistant à intégrer le projet de loi dans la Constitution, en rétablissant le titre XIII, abrogé en 1995, qui serait désormais intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ».
Sagissant de larticle premier qui prévoit que le projet de loi constitutionnelle a pour objet dassurer lévolution de la Nouvelle-Calédonie selon les orientations de laccord signé à Nouméa le 5 mai, elle a indiqué quelle proposerait den harmoniser le contenu avec celui de larticle 3.
Evoquant larticle 2 qui porte sur lorganisation du référendum local, qui devra se tenir avant le 31 décembre 1998, à loccasion duquel la population de Nouvelle-Calédonie se prononcera sur laccord de Nouméa, elle a indiqué quil reprenait les restrictions apportées à la définition du corps électoral par larticle 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1988, soulignant quelles constituaient lun des points-clés des négociations de 1988, puisque les indépendantistes craignaient alors quune politique dimmigration ne vienne modifier substantiellement les rapports de force démographiques. Elle a précisé que sur 112.000 électeurs, ce nest environ que 8.000 personnes qui se verraient ainsi retirer le droit de participer au scrutin.
Abordant enfin larticle 3, elle a indiqué quil déterminait le champ de la loi organique, qui suivra le vote de la loi constitutionnelle, ce que seule la Constitution peut faire, disposant quelle devra fixer le statut de la Nouvelle-Calédonie pour les vingt ans qui viennent, cest-à-dire les compétences des institutions locales, leur mode dorganisation ainsi que la nature des actes quelles prendront, les modalités selon lesquelles les populations intéressées de Nouvelle-Calédonie se prononceront sur laccession à la souveraineté et enfin les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à lemploi et au statut civil coutumier, qui pourront déroger à un certain nombre de principes constitutionnels.
Pour conclure, Mme Catherine Tasca a dabord souhaité souligner quelle avait été frappée, en Nouvelle-Calédonie, par le soulagement que ressent la population et par la volonté évidente que manifestent tous les acteurs locaux de continuer à travailler ensemble pour construire lavenir du territoire. Elle a, par ailleurs, tenu à dire sa fierté que la Nouvelle-Calédonie ait su trouver des hommes, tels que Jean-Marie Tjibaou et ceux qui lui succèdent, Jacques Lafleur et ceux qui lentourent, soulignant que leur vision politique et leur sens des responsabilités avaient permis de rapprocher des points de vue opposés dans un projet commun. Elle a également exprimé sa fierté davoir vu lEtat capable de sincarner, depuis 1988, dans des figures de paix et de dialogue, Michel Rocard et Louis Le Pensec, dabord, Lionel Jospin et Jean-Jack Queyranne, depuis, et tous ceux qui ont oeuvré sous leur impulsion. Constatant quil revenait maintenant au Parlement daccompagner leur démarche et dinscrire leurs engagements dans nos institutions, elle a proposé à la Commission dadopter le projet de loi constitutionnelle, sous réserve des quelques amendements quelle présente.
Après avoir évoqué les excellentes conditions dans lesquelles sétait effectué le déplacement de la délégation de la commission des Lois, conduite par sa présidente, en Nouvelle-Calédonie, M. Dominique Bussereau a insisté sur le fait que les accords de Nouméa reflétaient une profonde évolution des esprits, notamment au regard de la situation qui existait dans le territoire à la fin des années soixante-dix ou au milieu des années quatre-vingt.
Il a ensuite fait part de la position du groupe Démocratie libérale, soulignant que certains de ses membres, tout en approuvant lesprit des accords de Nouméa et le principe du projet de loi constitutionnelle, avaient exprimé un certain nombre de réticences. A cet égard, il a dabord évoqué certaines formules du préambule, dont il a cependant reconnu quil constituait un ensemble indissociable. Il a également mentionné les dispositions destinées à favoriser lemploi local, soulignant que certains considéraient quelles sapparentaient indirectement à une forme de préférence nationale, quils condamnaient par ailleurs, et, enfin, la pérennisation des restrictions apportées au corps électoral par les accords de Matignon. Il a conclu en précisant quen dépit de ces réserves formulées par certains de ses membres, le groupe Démocratie libérale voterait le projet de loi constitutionnelle.
M. François Colcombet a tout dabord fait part du soutien du groupe socialiste à lensemble du projet de loi constitutionnelle. Il a ensuite mis en exergue lhistoire chaotique de la Nouvelle-Calédonie, observant quelle avait connu une alternance de périodes de développement et de fortes tensions. Rappelant que ce territoire avait connu huit statuts jusquà la signature des accords de Matignon, il a souligné que, par leur conclusion, les parties en présence avaient fait le pari de la vie en commun et de la paix. Il a cependant fait valoir quen dépit de ces accords, la situation avait semblé incertaine au début de lannée 1998, incitant les différents acteurs, notamment à linitiative de M. Jacques Lafleur, à reprendre les discussions.
Evoquant le contenu de laccord de Nouméa signé par le R.P.C.R., le F.L.N.K.S. et lEtat, il a indiqué que celui-ci prévoyait un transfert progressif de la souveraineté au cours dune période de vingt ans au maximum, à lissue de laquelle les populations intéressées auraient à se prononcer sur la question de laccession à lindépendance. Après avoir considéré que cet accord, a priori irréversible, permettrait à une génération de vivre en paix, il a insisté sur le fait que toutes les parties prenantes souhaitaient que la France reste très présente pour accompagner le développement de la Nouvelle-Calédonie.
Il a ensuite fait le point sur les principales novations juridiques, observant quelles se traduisaient par linstitution de lois du pays, par la possibilité de revenir au statut coutumier et par la pérennisation des restrictions apportées au corps électoral par les accords de Matignon. Sagissant de la question de lemploi local, il a considéré que le risque dextension des dispositions proposées ne concernait que les autres collectivités doutre-mer.
M. François Colcombet a enfin insisté sur le contenu culturel des accords, évoquant notamment linauguration du centre Jean-Marie Tjibaou. Soulignant que la culture kanake était bien vivante, il a cependant considéré quelle ne demandait quà se mêler aux autres cultures présentes sur le territoire, notamment par le vecteur de la langue française. En conclusion, il a estimé que le projet de loi constitutionnelle traduisait la nécessité de tenir compte de la spécificité de chacune des collectivités doutre-mer et constituait une illustration concrète du souci de privilégier la recherche de la paix.
Rappelant quune des raisons dêtre du groupe communiste était la lutte contre le colonialisme, M. Jacques Brunhes a tout dabord fait part de son soutien à un texte, dont il a considéré quil représentait un pari sur lintelligence. Estimant que le préambule des accords de Nouméa avait une forte charge symbolique, il a jugé que lémergence dune citoyenneté calédonienne constituait une nouvelle étape par rapport aux accords de Matignon, la France acceptant désormais de conduire la Nouvelle-Calédonie vers lindépendance. Après avoir rappelé le climat des années 1984-1988, il a rendu hommage aux négociateurs des accords de Nouméa, précisant que leur discussion avait duré plus de deux cents heures.
Soulignant lassentiment de toutes les formations politiques locales au contenu des accords, il a estimé que le Parlement devait être attentif à ne pas apporter au projet de loi constitutionnelle des modifications qui en remettraient en cause léquilibre. Il a enfin indiqué que le groupe communiste soutiendrait les amendements du rapporteur tendant à réinsérer le projet de loi dans le corps de la Constitution.
M. Dominique Perben a tenu à rendre hommage aux responsables politiques du territoire qui ont su instituer le climat de consensus qui règne en Nouvelle-Calédonie depuis 1990, soulignant que la démarche était dautant plus méritoire pour ceux qui ont accepté de négocier alors quils savaient quils représentaient la majorité. Déclarant souscrire au contenu du préambule de laccord de Nouméa, il a estimé quil était remarquablement équilibré. Faisant notamment référence à deux phrases de ce texte, la première qui affirme que les communautés vivant sur le territoire ont acquis par leur participation à son édification une légitimité à y vivre et la seconde, qui insiste sur la nécessité de poser les bases dune nouvelle citoyenneté, permettant au peuple dorigine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun, il a observé que de telles déclarations auraient été inimaginables en 1987.
Il a considéré quaprès dix ans dabsence de conflit, cet accord dessinait la perspective de vingt ans de paix supplémentaire, ajoutant quil souhaitait que la population au terme de ce délai opte pour le maintien du territoire dans la République. Tout en ne négligeant pas les problèmes juridiques que soulevait ce document qui heurte nos traditions, il a fait observer que la cristallisation du corps électoral sur la base de celui de 1988 était consubstantielle à cet accord. Sagissant de linstitution de lois du pays, il a considéré que lon ne pouvait envisager de solution pérenne dans les territoires du Pacifique sans recourir à de telles formules. Il a également estimé que les discriminations opérées dans laccès à lemploi en faveur des habitants du territoire pouvaient se justifier, si lon prenait en compte le sentiment de fragilité et de faiblesse démographique des ressortissants des territoires du Pacifique qui, nétant que 200.000 en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie, se considéraient, sans doute à tort, menacés par la masse des 300 millions dEuropéens. Se réjouissant de lissue des négociations et considérant que leur aboutissement suscitait un sentiment de fierté, tant à légard de la Nouvelle-Calédonie que de la métropole, M. Dominique Perben a conclu son propos en déclarant que le groupe R.P.R. voterait le projet de loi constitutionnelle.
Après avoir également rendu hommage aux négociateurs de laccord, Mme Nicole Catala a cependant fait part des réserves, tant politiques que juridiques, quil lui inspirait. Evoquant le cas de la Polynésie et de la Guyane, elle a exprimé la crainte quil ne constitue un précédent pour dautres territoires, qui pourraient être tentés de bénéficier de dispositions comparables. Elle sest également interrogée sur le risque de transposition en métropole du statut coutumier à certaines communautés. Elle a reconnu que les restrictions apportées à la définition du corps électoral avaient été admises dès 1988. Sagissant des discriminations susceptibles dêtre apportées dans laccès à lemploi aux ressortissants français et étrangers, elle a jugé quelles seraient contraires aux conventions de lO.I.T. ratifiées par la France, qui prohibent toute différence de traitement entre un Français et un étranger en situation régulière. Elle sest également interrogé sur leur compatibilité avec nos engagements européens.
M. Pierre Albertini a fait observer que ce texte pouvait être perçu par les uns comme une fantaisie juridique, par dautres comme une innovation constitutionnelle. Considérant que sil nappelait pas de certitude, il suscitait néanmoins un espoir, il a souligné que lobjectif poursuivi par laccord de Nouméa et le projet de loi constitutionnelle devait lemporter sur toute considération juridique, le délai de quinze à vingt ans prévu par laccord pour laccession à lindépendance devant être mis à profit pour approfondir le processus engagé. Il a conclu en indiquant que le projet de loi constitutionnelle recevrait lapprobation du groupe U.D.F.
Après sêtre félicité de ce que lensemble des orateurs considèrent, comme les Calédoniens eux-mêmes, que laccord de Nouméa était la seule voie possible vers la paix, Mme le Rapporteur a rappelé que ce texte se fondait sur lexpérience du travail en commun acquise au cours des dix dernières années.
Tout en reconnaissant quil était difficile, faute de précédents, dappréhender avec certitude les conséquences des innovations juridiques contenues dans laccord, elle a estimé que les risques dextension à la métropole étaient limités, les populations susceptibles de revendiquer de telles innovations nayant pas la même histoire et donc pas la même légitimité. Elle a ajouté que le statut coutumier ne sappliquait quau peuple dorigine sur son propre territoire.
Elle a en revanche considéré que laccord de Nouméa constituerait sans doute une référence pour lévolution de loutre-mer dans les années à venir, soulignant que la situation de ces territoires au regard de lemploi, notamment en termes démographiques, navait rien de comparable avec celle qui existe en métropole.
Elle a rappelé que la limitation du corps électoral figurait déjà dans les accords de 1988, et insisté sur la nécessité de maintenir le contrat de confiance entre les différentes communautés, qui ont fait, de part et dautre, des concessions. Après avoir indiqué que la loi statutaire et les lois du pays devront tenir compte de lenvironnement international sur la question de laccès à lemploi, elle a considéré que les réalités du territoire justifiaient les restrictions envisagées : elle a notamment cité la tradition dimmigration massive, qui a suscité la méfiance des populations kanakes, ainsi que le retard historique dans la formation des cadres et rappelé que lobjet de laccord était le rééquilibrage économique et humain du territoire.
Elle a conclu en observant que lintégration du dispositif proposé dans la Constitution écarterait toute contestation sur sa valeur juridique et ferait tomber les objections présentées par certains juristes qui sinterrogeaient sur la nature exacte dune loi constitutionnelle sui generis.
La Commission est ensuite passée à lexamen des articles du projet de loi constitutionnelle.
Article premier :
La Commission a tout dabord rejeté lamendement n° 4 de M. Lionnel Luca tendant à la suppression de cet article. Elle a ensuite été saisie dun amendement du rapporteur visant à rétablir le titre XIII de la Constitution et à lintituler : « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ». M. Dominique Bussereau sest interrogé sur la notion de « rétablissement » du titre et sest demandé sil ne serait pas plus approprié dutiliser le terme de « création ». Mme Nicole Catala a, quant à elle, exprimé ses doutes sur la possibilité dintroduire dans la Constitution des dispositions dordre transitoire. Elle sest ensuite demandé si les dispositions du titre XII de la Constitution, relatives à ladministration des collectivités territoriales, continueraient à sappliquer à la Nouvelle-Calédonie, jugeant quil serait regrettable quil en aille autrement. M. Pierre Frogier sest également inquiété de la référence au caractère transitoire des dispositions introduites dans la Constitution, soulignant quau terme de la période de quinze à vingt ans qui souvre aujourdhui, si la consultation prévue ne débouchait pas sur lindépendance du territoire, le statut actuel deviendrait de ce fait même définitif. Il a par ailleurs souhaité que soit précisée la nature juridique du territoire de Nouvelle-Calédonie à lissue de la révision constitutionnelle, se demandant notamment sil demeurerait un territoire doutre-mer, au sens de larticle 74 de la Constitution. M. Pierre Albertini a estimé que la nature de laccord de Nouméa, et donc des dispositions constitutionnelles qui en découlent, était évidemment transitoire, puisquà lissue de la période considérée un vote interviendrait dont le résultat ne peut être présagé aujourdhui. Il a ajouté que toutes les constitutions contenaient des dispositions transitoires, soulignant que, dans sa rédaction initiale, le titre XIII de la Constitution concernant la Communauté, était de fait très rapidement devenu sans objet mais était néanmoins resté dans le corps de la Constitution jusquen 1995. Il a par ailleurs souligné que, dès que la révision constitutionnelle aurait été adoptée par le Congrès, la Nouvelle-Calédonie ne serait plus un territoire doutre-mer mais une collectivité répondant à sa propre logique juridique. M. Jacques Brunhes a estimé, pour sa part, que lutilisation du terme « transitoire » dans le titre XIII ne changeait rien au texte négocié entre les principales forces politiques néo-calédoniennes, observant que ce terme était dailleurs repris dans lexposé des motifs.
En réponse à ces interrogations, Mme le rapporteur a dabord indiqué que laccord de Nouméa prévoyait, au cas où la consultation sur lindépendance aboutirait à un rejet, à lissue de la période de quinze à vingt ans, que les acteurs politiques néo-calédoniens auraient à se réunir pour examiner la situation ainsi créée. Elle a donc considéré que le statut dont la Nouvelle-Calédonie allait être dotée pour cette période nétait pas définitif. Elle a ajouté quen tout état de cause, le texte introduit dans la Constitution était transitoire dans la mesure où il mentionnait, par exemple, le principe de la consultation référendaire locale qui doit être organisée à la fin de 1998. Elle a également rappelé que, dans sa rédaction initiale, la Constitution du 4 octobre 1958 comportait un titre XV regroupant des dispositions transitoires, qui navait été abrogé quen 1995. Elle a, par ailleurs, indiqué quaprès le vote de la loi constitutionnelle, la Nouvelle-Calédonie ne serait plus un territoire doutre-mer, sa nature juridique étant tout à fait particulière, précisant cependant que, si les dispositions constitutionnelles propres à la Nouvelle-Calédonie sappliquaient en priorité, les autres dispositions contenues dans la loi fondamentale, lorsquelles nétaient pas contradictoires avec le nouveau titre XIII, sappliqueraient également.
La Commission a adopté lamendement du rapporteur et larticle premier ainsi modifié.
Article 2 :
La Commission a adopté trois amendements de Mme le rapporteur : le premier faisant de larticle 2 du projet de loi constitutionnelle un nouvel article 76 de la Constitution ouvrant le titre XIII nouveau ; le deuxième apportant à cet article une amélioration dordre rédactionnel ; le troisième, conséquence de la modification apportée à larticle premier, introduisant dans larticle 76 nouveau de la Constitution la référence à laccord de Nouméa signé le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française.
La Commission a ensuite adopté larticle 2 ainsi modifié.
Article 3 :
La Commission a adopté trois amendements présentés par Mme le rapporteur : le premier rétablissant un article 77 de la Constitution ; le deuxième de conséquence ; le troisième visant à préciser de manière plus explicite le fait que laccord de Nouméa est à la fois le cadre dans lequel la loi organique sappliquera et lobjectif vers lequel elle doit tendre. Soulignant que les signataires de laccord de Nouméa avaient exprimé leur souci que le texte de loi organique prise en application de la Constitution respecte les dispositions de laccord, le rapporteur a indiqué que lobjet de son amendement était de garantir que la loi organique puisse effectivement comporter les dérogations à certains principes de valeur constitutionnelle exigées pour lapplication de laccord.
Puis la Commission a rejeté trois amendements nos 1, 2 et 3 présentés par M. Lionnel Luca.
Enfin, elle a adopté un amendement de conséquence présenté par le rapporteur.
M. Pierre Frogier sest interrogé sur ce quil a considéré comme une incertitude du texte constitutionnel pour ce qui est de la compensation financière des transferts de compétences à la Nouvelle-Calédonie. Il a observé que la rédaction de larticle 3 du projet de loi constitutionnelle sécartait sur ce point du texte même de laccord de Nouméa. En réponse à cette inquiétude, Mme Catherine Tasca a indiqué que lamendement quelle avait proposé à la Commission et que celle-ci venait dadopter, visant à préciser le lien entre la loi organique et laccord de Nouméa devait être de nature à répondre à linterrogation exprimée par M. Pierre Frogier. Elle a ajouté que la discussion en séance publique serait loccasion dinsister sur limportance de laccord de Nouméa y compris dans ses aspects financiers.
La Commission a adopté larticle 3 ainsi modifié.
Elle a ensuite adopté lensemble du projet de loi constitutionnelle ainsi modifié.
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Sur le rapport de M. Camille Darsières, la Commission a procédé à lexamen des pétitions.
Le rapporteur a tout dabord rappelé les conditions dexercice du droit de pétition, soulignant quil était désormais peu utilisé, compte tenu, sans doute, de lexistence dautres procédures plus efficaces pour permettre aux citoyens de faire valoir leurs droits.
La Commission a classé trois pétitions relevant du pouvoir judiciaire et une concernant le fonctionnement des services de lAssemblée nationale, au motif quil nappartient pas à la Commission de se prononcer sur les litiges individuels.
Trois autres pétitions traitant de questions fiscales, jugées inopportunes ou relevant dautres institutions, ont été classées.
En réponse à une pétition contestant les conditions dattribution du revenu minimum dinsertion, le rapporteur a précisé le dispositif en vigueur et les perspectives ouvertes par le projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions ; de même, il a fait état des moyens de contrôle du Parlement dans le cadre dune pétition réclamant une meilleure prise en compte des conclusions du rapport annuel de la Cour des comptes. Ces deux pétitions ont donc été classées.
Enfin, deux pétitions, lune demandant le strict respect du principe de laïcité, lautre suggérant linstauration de la parité hommes-femmes pour les fonctions électives, ont été classées, après que le rapporteur eut rappelé la vigilance des élus sur la question complexe de la laïcité et les initiatives récentes prises concernant la parité.
Les décisions prises par la Commission seront publiées dans un prochain feuilleton des pétitions, conformément à larticle 149, alinéa premier du Règlement.
fpfp
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