Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de
l’ADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 11

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 4 novembre 1998
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente

M. Gérard Gouzes, vice-président

et Mme Christine Lazerges, vice-présidente

SOMMAIRE

 

pages

– Projet de loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes (n° 1079) (auditions)

2

– Projet de loi relatif au mode d’élection des conseillers régionaux et des conseillers à l’Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux (n° 1142) (nouvelle lecture)


29

La Commission a procédé à l’audition de M. Noël Copin, journaliste au Journal La Croix, président de Reporters sans frontières ; Mme Anne d’Hauteville, professeur à la Faculté de droit d’Avignon ; M. Jean-Louis Pelletier, président de l’Association des avocats pénalistes ; M. Serge Portelli et Mme Sophie Clément-Mazetier, juges d’instruction au Tribunal de grande instance de Créteil et de M. Daniel Soulez-Larivière, avocat, sur le projet de loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes (n° 1079) (Mme Christine Lazerges, rapporteur).

Mme Christine Lazerges, rapporteur : Avant que nous ne donnions la parole à nos invités, je voudrais rappeler les grands axes du projet de loi renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes.

Le point de départ réside dans l’article 9-1 du code civil selon lequel : « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence » ; or, ce respect ne nous paraît pas suffisamment préservé. Il est indispensable que le code de procédure pénale comporte la liste des principes généraux qui fondent la présomption d’innocence, et nous comptons procéder à un énoncé précis et pédagogique. Je note d’ailleurs qu’il est relativement curieux que cet énoncé se trouve actuellement dans le code civil et non dans le code pénal.

Il est également nécessaire qu’en amont du déclenchement des poursuites, la garde à vue soit revue. La situation de la législation française n’est pas, à cet égard, satisfaisante au regard des exigences de la Convention européenne des droits de l’homme.

Par ailleurs, il convient de revoir la situation du témoin assisté, qui n’est ni un témoin ni un mis en examen, mais appartient à une nouvelle catégorie d’acteurs sur la scène pénale, qui doivent pouvoir échapper, au moins provisoirement, à l’infamie de la mise en examen. Dans cette perspective, la communication sur le procès pénal doit être mieux encadrée, ce qui se traduit par la définition d’infractions nouvelles en la matière.

Enfin, bien entendu, la place de la victime dans le procès pénal est confortée.

Je n’ai pas encore évoqué l’institution d’un juge de la détention qui est souvent présenté comme l’aspect le plus novateur du projet de loi. Bien sûr, la question de la détention provisoire doit susciter un débat, mais je crois que c’est loin d’être le seul problème que soulève le projet de loi soumis à notre examen.

Je remercie nos invités de s’être déplacés, souvent de loin, pour venir nous faire partager leurs réflexions et leurs questions. Nous avons le souci de consulter tous ceux qui peuvent éclairer nos travaux. J’ai déjà procédé à de très nombreuses auditions, mais au-delà de ce travail personnel du rapporteur, il me semblait nécessaire que la commission des Lois procède à une large audition publique.

M. Noël Copin : C’est un redoutable honneur que d’être le premier à intervenir. Je précise d’abord que, si je ne pense pas être très original, je m’exprime, en tout cas, en mon nom personnel. Je suis ancien directeur de la rédaction de La Croix, président de Reporters sans frontières, mais notre association ne s’occupe pas directement de questions de cette nature. J’interviens donc surtout en tant qu’ancien membre de la Commission de réflexion sur la justice, couramment désignée du nom prestigieux de son président, M. Pierre Truche.

D’abord, je voudrais dire que je suis très fortement attaché au principe de la présomption d’innocence et je ne pense pas, en cela, être original au sein de ma profession. Je le précise parce que, lorsqu’il est question de présomption d’innocence, on a peut-être un peu trop tendance à présumer tout journaliste coupable de vouloir y porter atteinte.

J’observe que c’est lorsque quelqu’un commence à être présumé coupable, que l’on déclare qu’il a droit à la présomption d’innocence. Je sais que le terme « présomption » se trouve dans les grands textes sacrés, qui remontent à 1789, mais il vaudrait peut-être mieux dire que l’on traite comme innocent celui qui est présumé coupable, aussi longtemps que cette culpabilité n’a pas été reconnue et sanctionnée.

Je suis satisfait de constater que, dans le même esprit que les travaux de la Commission Truche, le projet de loi ne donne pas la priorité au débat présomption d’innocence-liberté d’expression. La Commission Truche avait souhaité, en effet, commencer par aborder les atteintes à la présomption d’innocence qui découlent de la procédure pénale et de sa mise en œuvre, affirmant qu’elle était d’abord l’affaire du magistrat.

Sur cet aspect-là, j’interviendrai rapidement car je ne suis pas juriste de formation. Je donnerai mon accord aux travaux de la Commission Truche et au contenu de ce projet de loi, notamment en ce qui concerne les droits de la défense ; je suis favorable à la présence de l’avocat dès la première heure de la garde à vue. J’ai un petit regret qui tient au fait que l’idée de l’obligation d’enregistrement de l’interrogatoire n’ait pas été conservée. Si je me réjouis que le lien soit coupé entre l’enquête et la décision de mise en détention, je regrette également que le principe de la collégialité n’ait pas été retenu, pour des questions essentiellement budgétaires.

J’en arrive à l’aspect qui me concerne le plus en tant que journaliste, c’est-à-dire les rapports entre présomption d’innocence et liberté d’expression. Il me semble qu’il ne faut pas en faire une querelle de principe, encore moins un affrontement entre des personnes qui appartiennent aux professions judiciaires et à celle de journaliste. Me permettrai-je de critiquer ici les travaux d’une Commission parlementaire sénatoriale qui s’est penchée sur le sujet il y a quelques années ; affirmant l’égale importance des principes de la présomption d’innocence et de la liberté d’expression, elle suggérait néanmoins qu’il soit prévu que « la liberté d’expression s’exerce dans le respect de la présomption d’innocence », ce qui serait une manière de reconnaître que l’un de ces principes est plus égal que l’autre, si je peux me permettre cette plaisanterie.

En fait, il me semble que ces deux principes, que l’on oppose parfois, relèvent l’un et l’autre des droits de la personne, le premier définissant le droit d’être respecté dans sa vie privée et son honneur, le second le droit de tout citoyen de disposer des informations qui doivent lui permettre d’agir en tant que tel. Je n’ai pas de solution toute faite pour déterminer où il convient de tracer la ligne jaune. La question centrale est de savoir s’il est possible de distinguer, dans l’intention du journaliste de divulguer une nouvelle, non le désir de réaliser un scoop, ce qui est légitime, mais la volonté de provoquer un scandale ou de nuire à quelqu’un, du souhait d’informer le citoyen, ce qui est conforme à son rôle dans une société démocratique.

A ce sujet, même si globalement mon appréciation est très positive, je voudrais formuler une critique sur une des dispositions du projet de loi. J’étais de ceux qui, au sein de la Commission Truche, souhaitaient que l’on interdise la diffusion de documents filmés ou photographiés de personnes menottées ou entravées, car je considère que c’est contraire à la dignité de la personne et que cela constitue donc une atteinte aux droits de l’homme. Mais, en choisissant de condamner les journaux ou les organes médiatiques qui vont diffuser de tels documents, on prend le fait pour la cause.

La Commission Truche avait surtout insisté sur la nécessité de faire une application stricte de l’article 803 du code de procédure pénale, qui prévoit que nul ne peut être menotté ou entravé que s’il présente un danger pour autrui ou pour lui-même ou s’il est susceptible de tenter de prendre la fuite. Ce n’est que subsidiairement qu’elle évoquait la question de la diffusion des images. Or l’exposé des motifs du projet de loi mentionne d’abord le rôle des médias et n’envisage que deux pages et demie plus loin un aménagement de l’article 803 du code de procédure pénale incitant à prendre toutes mesures utiles pour éviter qu’une personne menottée ou entravée ne soit photographiée ou filmée.

Je comprends, bien sûr, la raison de ce choix ; j’ai entendu de nombreuses personnes s’exprimer sur ce sujet et, assez récemment, dans un colloque, Mme Elisabeth Guigou : il est vrai qu’actuellement la responsabilité de tout incident retombe sur ceux qui sont chargés d’escorter le présumé innocent ou coupable, c’est-à-dire sur les policiers ou les gendarmes. Je crois cependant que l’on devrait être beaucoup plus strict et dire une fois pour toutes qu’il n’est pas permis de montrer en public une personne menottée ou entravée. Ce n’est qu’ensuite que l’on pourrait se prononcer sur la responsabilité des journaux et des organes de presse ou des médias qui publient de tels documents. A cet égard, j’approuve le choix qui est fait de ne pas mettre en cause le photographe ou le cameraman qui prendrait de telles images - parce qu’il ne peut dans l’instant vérifier qu’une personne est ou non menottée - mais de faire assumer la responsabilité au rédacteur en chef ou au directeur du journal qui prendrait la décision de diffuser ces images.

M. Serge Portelli : Mme Sophie Clément-Mazetier et moi-même sommes juges d’instruction à Créteil, donc des praticiens depuis respectivement cinq et vingt-cinq ans. Nous souhaitons mettre notre expérience à votre disposition, en ayant pour objectif le service des libertés. C’est l’esprit qui nous a guidés dans la rédaction d’un certain nombre d’articles que nous avons publiés et envoyés aux membres de la Commission.

Notre point de départ est la Convention européenne des droits de l’homme. Nous pensons que le code de procédure pénale français est très en retard par rapport aux principes posés par ce texte, qu’il viole même sur certains points. Il serait temps d’appliquer ce texte fondamental, de même que d’autres aussi fondamentaux que la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Nous pensons qu’il est difficile de faire confiance actuellement aux magistrats et d’attendre de la pratique que les grands principes soient réellement respectés. Nous sommes de farouches partisans de la loi, d’une loi beaucoup plus impérative, stricte, contraignante que celle qui existe actuellement, aussi bien en matière de garde à vue que de détention provisoire ou de mise en examen, voire de statut de la victime. Nous souhaitons que la justice, que nous vivons au quotidien, soit beaucoup plus humaine et c’est aussi à la loi qu’il appartient de l’humaniser.

Pour autant, nous ne sommes pas de doux utopistes et si nous sommes partisans des libertés, nous considérons que la première d’entre elle est la sûreté. Chaque citoyen a le droit de vivre en sécurité, à l’abri des atteintes de la criminalité, mais il doit aussi être protégé d’une répression excessive.

Nous souhaiterions vous présenter nos propositions, que nous avons déjà formulées par voie de presse et que nous vous avons transmises sous forme d’amendements.

Le problème de la garde à vue nous paraît essentiel, parce c’est celui qui concerne le plus grand nombre de citoyens : 380.000 personnes environ ont été placées en garde à vue en 1997, dont 70.000 pour plus de 24 heures. Notre souci est de la rejudiciariser. Elle doit être effectuée par des officiers de police judiciaire. Lorsque cette procédure, déjà développée dans la pratique, a été créée en 1958, le code de procédure pénale en a subordonné l’exercice à une stricte condition d’équilibre. Si l’avocat était absent à ce moment capital qu’est l’arrestation, le juge, en revanche, devait être présent pour contrôler très étroitement la garde à vue. C’est ainsi qu’au bout de 24 heures, la personne gardée à vue doit, sauf circonstances exceptionnelles, être présentée au magistrat.

Déjà en 1958, ces dispositions étaient en retrait sur la Convention européenne des droits de l’homme, qui venait d’être adoptée, et qui prévoit que toute personne arrêtée, privée de sa liberté, doit être aussitôt présentée au magistrat. Il serait donc au moins nécessaire que la loi soit appliquée et qu’au bout de 24 heures, 99 % des personnes soient présentées à un magistrat, pour qu’il contrôle les conditions de la garde à vue et, en même temps, dirige l’enquête. Or, en réalité, le gardé à vue n’est presque jamais présenté au magistrat qui est seulement consulté par téléphone. Il nous semble donc souhaitable que des dispositions plus contraignantes soient adoptées, qui auront inévitablement pour effet de faire diminuer le nombre de gardes à vue. Lorsque, en 1993, une loi a introduit l’avocat à la vingtième heure, le nombre de gardes à vue se prolongeant au-delà de ce délai a chuté en une année de 15.000.

La sécurité ne souffrira en rien d’une baisse du nombre de gardés à vue. Il faut se garder de considérer la garde à vue comme une mesure ordinaire, alors que c’est une mesure terrible, particulièrement attentatoire à la liberté. C’est pourquoi il faut absolument éviter que les officiers de police judiciaire soient notés, comme ils le sont aujourd’hui, en fonction du nombre de gardes à vue qu’ils réalisent au cours d’une année. S’il est indispensable que l’avocat soit présent, notre idée aussi est de rejudiciariser la garde à vue en revenant à ce qui a été prévu par le législateur en 1958 et qui a été trahi par la pratique.

S’agissant de la mise en examen, nous souhaitons qu’elle fasse l’objet d’une ordonnance motivée et susceptible de recours. Nous pensons qu’actuellement, la violation la plus grave du principe de la présomption d’innocence tient à la procédure de mise en examen, qui est l’une des mesures les plus attentatoires à la liberté et à l’honneur des personnes. Elle est, en effet, vécue, aussi bien par les personnes qui en font l’objet que par l’opinion publique, comme une véritable condamnation.

Actuellement, si le juge d’instruction décide de mettre en examen n’importe qui, voire le président de la République, son seul souci est de prendre une date dans son agenda et d’envoyer une convocation. Cela ne nous semble pas compatible avec le niveau de protection des libertés que l’on peut attendre d’un pays comme la France. Obliger le juge à dire pourquoi il met en examen, c’est respecter la présomption d’innocence, qui suppose que celui qui accuse fasse le premier pas et non que la personne mise en examen ait à chercher désespérément pendant des mois et des années ce que le juge d’instruction a bien pu avoir en tête quand il l’a convoquée. Nous avons des exemples assez frappants de ce type de dérives dans l’actualité très récente.

Actuellement, le juge d’instruction n’explicite ses motivations qu’au moment de l’ordonnance de non-lieu – il y a 7.000 à 8.000 non-lieux par an qui font suite à une mise en examen – ou de l’ordonnance de renvoi, qui intervient en moyenne dix-sept mois après la mise en examen. Or la loi interdit de faire appel de cette ordonnance de renvoi.

Nous pensons également, et c’est indissociable, qu’il faut complètement revoir le statut du témoin assisté, non comme le fait le projet du gouvernement, mais d’une manière suffisamment attractive pour que le juge d’instruction change ses priorités et choisisse de recourir à cette procédure plutôt qu’à celle de la mise en examen. Il faudrait parvenir à changer les flux, de telle sorte qu’au lieu de 60.000 mises en examen par an, il n’y en ait plus que 30.000, tandis que les 30.000 personnes seraient placées en position de témoins assistés, ce qui protégerait réellement leur présomption d’innocence.

J’en viens à la détention provisoire et, là aussi, je voudrais dire que nous n’avons confiance ni en nous-mêmes, ni dans nos collègues. C’est pourquoi nous souhaitons que la loi soit très contraignante.

Le projet de loi prévoit d’instituer un juge des libertés qui répondrait à l’appellation peu gratifiante de juge de la détention. Je crains que ce ne soit pas en changeant de salle d’audience que l’on change de pratique. Il y a actuellement dans les prisons 15.000 personnes placés en détention provisoire sur ordre du juge d’instruction et 30.000 mises en détention provisoire sont décidées chaque année. Nous souhaitons nous aligner sur nos partenaires européens en faisant baisser sensiblement ces chiffres, qui devraient pouvoir être respectivement ramenés à 10.000 et 20.000, sans que la sécurité n’en souffre.

Pour cela, il convient d’élever les seuils de détention encourus pour que les infractions les moins graves échappent à la détention provisoire. C’est la seule mesure efficace, alors que celle qui nous est proposée s’inspire de la loi de 1993, dont vous savez parfaitement qu’elle n’a rien changé. J’ajoute que, d’un point de vue budgétaire, il est dommage de mobiliser 70 postes de magistrats pour exercer les fonctions de juge de la détention, alors qu’ils seraient plus utiles ailleurs, pour sauvegarder les libertés.

Outre l’élévation des seuils de détention encourus, il nous semble indispensable de limiter la durée de la détention provisoire à un an en matière en matière correctionnelle et deux ans en matière criminelle. On ne peut, en effet, au-delà parler de délai raisonnable.

Il faut enfin que le projet de loi apporte une réelle amélioration au statut de la victime, point sur lequel il nous a le plus déçus parce qu’il ne comporte pratiquement aucune disposition significative. Nous souhaitons d’abord que la victime soit réellement informée afin qu’elle puisse faire valoir ses droits.

Ainsi, lorsqu’une information est ouverte, le juge d’instruction doit prévenir la victime pour qu’elle puisse se constituer partie civile. Il faut aussi, quand un tribunal correctionnel ou une cour d’assises alloue des dommages et intérêts à une victime, que celle-ci sache qu’elle peut immédiatement en demander le versement à la commission d’indemnisation des victimes d’infractions. Beaucoup d’avocats ignorent cette procédure et même certains magistrats.

Il importe aussi de faire savoir que la procédure de l’enquête de personnalité, qui existe déjà pour les personnes mises en examen et n’est d’ailleurs pas assez souvent mise en œuvre, peut également concerner les victimes. Il est anormal que, devant une cour d’assises, une personne décédée ne soit connue qu’au travers d’une photographie d’autopsie, alors qu’il s’agit d’une personne qui a eu une histoire, un passé.

J’ai présenté l’essentiel des améliorations que nous souhaiterions voir apporter au projet de loi. Avec Mme Sophie Clément-Mazetier, nous pourrons aller au-delà lors de la discussion.

Mme Anne d’Hauteville : Mon intervention se relie au dernier point évoqué par M. Serge Portelli. Je ne m’exprimerai pas tant, en effet, en qualité de professeur de droit pénal, qu’en tant que militante du mouvement associatif d’aide aux victimes. Je représente une association départementale et j’ai été présidente de l’Institution nationale d’aide aux victimes, dont je suis encore vice-présidente. J’ai évidemment consulté mes collègues pour pouvoir aussi m’exprimer en leur nom.

Il est vrai que l’exigence d’information est essentielle, mais j’aimerais replacer la victime dans un cadre plus général et vous donner mon sentiment sur le projet de réforme, d’abord en me félicitant qu’à nouveau le législateur se penche sur la place de la victime dans le procès pénal.

Lorsque celle-ci choisit de se constituer partie civile, c’est-à-dire d’être partie au procès pénal, elle le fait avec une double motivation. Si elle choisit la procédure pénale, alors qu’elle pourrait demander des dommages et intérêts dans le cadre d’une procédure civile, c’est d’abord parce qu’elle souhaite être présente au procès. Ensuite, elle le fait, bien sûr, pour demander réparation des dommages qu’elle a subis du fait de l’infraction. J’évoquerai successivement ces deux points en vous indiquant les modifications ou ajouts qu’il me semblerait souhaitable d’apporter au projet.

S’agissant de la présence au procès pénal, elle ne sert pas à grand-chose si la victime n’est pas au courant de ses droits. L’objectif essentiel est donc qu’elle soit informée de l’existence des associations d’aide aux victimes, que le projet reconnaît comme partenaires de la justice, et des droits qu’elle peut exercer à tous les stades de la procédure judiciaire et même, en amont, de la procédure policière.

Ce projet de loi – je m’en félicite – prévoit la possibilité pour la victime de présenter une demande de réparation aux services de police ou de gendarmerie lors d’une enquête de police. C’est une très bonne chose. Mais il est impératif – je suis favorable à une loi contraignante – que les services de police ou de gendarmerie informent les victimes, non seulement de leur droit de se constituer partie civile, mais aussi de l’existence de la commission d’indemnisation et d’associations d’aide aux victimes conventionnées par la justice, dont elles sont vraiment les partenaires.

Il faut donc que les officiers de police judiciaire soient formés à cet effet. Nous y participons, mais laisser cela à des initiatives individuelles me paraît dommageable. Il serait nécessaire qu’il y ait une obligation d’information, qui pourrait peut-être revêtir la forme d’une lettre d’explications préparée par la Chancellerie, dont la remise à la victime serait mentionnée dans le procès-verbal de police.

Il importe également – et le projet de loi devrait être précisé sur ce point – que, pour toute procédure, et non pas seulement dans le cadre de la troisième voie, le procureur de la République puisse s’appuyer sur les associations d’aide aux victimes et informer celles-ci qu’elles sont à leur disposition. Le service qu’elles rendent est totalement gratuit et reconnu par l’institution judiciaire.

Il faut en outre que l’information des victimes se fasse à tous les stades de la procédure. Cette obligation incombe au juge d’instruction lorsqu’il reçoit une plainte avec constitution de partie civile, mais aussi lorsqu’il rencontre d’autres victimes qui n’ont pas déclenché l’instruction par constitution de parties civiles. L’information doit également avoir lieu au stade du jugement, et de plus en plus compte tenu de l’accélération des procédures, de la multiplication des comparutions immédiates, qui pose d’ailleurs des problèmes dont le projet fait état.

Sans doute la prise en compte du droit des victimes ne doit-elle pas paralyser le cours de la justice pénale pour l’action publique, mais il est nécessaire que les victimes soient avisées du choix d’une procédure rapide. S’il n’est pas possible que l’action civile soit examinée en même temps que l’action publique, il faut prévoir un renvoi pour les intérêts civils, afin de donner à la victime la possibilité de présenter un dossier sérieux.

Je voudrais aussi mettre l’accent sur la nécessité d’un accompagnement et d’un soutien psychologique. Une infraction pénale peut causer un traumatisme extrêmement fort, lourd pour la victime, tout comme le fait de se trouver confrontée à l’institution judiciaire. Bien sûr, les victimes sont soutenues par leurs avocats, mais nos services d’aide aux victimes proposent un accompagnement plus global, qui prend du temps, exige des explications, un soutien psychologique. A tous les stades de la procédure, il faut que cet accompagnement soit organisé.

Enfin, toujours dans l’idée de donner toute sa portée à la présence de la victime dans le procès pénal, je crois qu’il faut insister sur le respect du principe de l’égalité des armes, issu de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Deux arrêts récents de la Cour de cassation rendus en 1997 ont affirmé ce principe à propos de l’article 546 du code de procédure pénale relatif aux voies de recours en matière de contraventions. La Cour a annulé l’ensemble d’une procédure, parce que seul le procureur général avait le droit de former un recours, ce droit n’étant reconnu ni à l’auteur de l’infraction, ni à la partie civile.

Je pense que cette jurisprudence va s’étendre à d’autres textes du code de procédure pénale. Le principe de l’égalité des armes a été retenu par la Commission et par la Cour européenne. A mon avis, il va s’imposer à nos juridictions et au législateur. Il importe donc de revoir les dispositions du code de procédure pénale, tout au long de la procédure, à la lumière de ce principe.

Je prendrai l’exemple de la réouverture d’une information sur charge nouvelle, sachant que c’est une question difficile et controversée. Actuellement, seul le procureur de la République dispose de ce droit, que la victime n’a pas. Je sais que de nombreuses constitutions de partie civile sont dilatoires et que les juges, au contact avec la réalité, ont du mal à contenir les actions vindicatives et dilatoires des victimes. Cependant, lorsqu’il y a véritablement des charges nouvelles, je ne vois pas pourquoi on ne reconnaîtrait pas à la victime le droit de demander au juge d’instruction de rouvrir l’information, de reprendre le dossier, quitte à consigner les frais du procès, comme pour la constitution de partie civile initiale devant le juge d’instruction, et à prévoir des sanctions en cas d’abus.

J’en viens à la seconde raison qui conduit la victime à choisir la voie pénale, c’est-à-dire la volonté d’obtenir réparation. La Commission Delmas-Marty avait déjà affirmé comme principe fondamental, le droit d’obtenir effectivement réparation.

Bien sûr, la réparation doit être recherchée d’abord auprès de l’auteur des dommages. La politique pénale, telle qu’elle est définie par la législation et mise en œuvre par les tribunaux depuis ces dernières années, n’oppose pas la réinsertion de l’auteur et la réparation demandée. Au contraire, dès lors qu’elle est supportable pour l’auteur, la réparation apportée à la victime peut participer à l’individualisation de la sanction et à la réinsertion du délinquant. Donc je pense que c’est une bonne chose et le projet de loi va dans ce sens.

L’autorité compétente en la matière est évidemment le juge d’application des peines. La circulaire du ministère de la Justice de juillet 98 comprend un volet très intéressant sur ce point, qui insiste sur le développement des relations avec l’administration pénitentiaire, l’information du délinquant sur l’existence d’une victime, celle de la victime sur la situation du détenu, tout cela sous l’autorité du juge d’application des peines.

Lorsque l’auteur n’est pas détenu, s’il bénéficie d’un sursis avec mise à l’épreuve, le juge d’application des peines se sent bien sûr encore compétent, mais ce n’est plus le cas lorsqu’il n’y a pas de mise à l’épreuve, parce qu’il ne souhaite pas être un agent de recouvrement des dommages et intérêts. Je le regrette parce que cela reste de sa compétence puisqu’il s’agit de l’application d’une peine. Si la victime est obligée de faire exécuter la décision de justice par elle-même, compte tenu du monopole, elle doit s’adresser à un huissier pour l’exécution forcée de la décision. Cela me semble une injustice fondamentale qu’il faut absolument réparer. Certes, les frais d’exécution des décisions de justice sont à la charge du condamné, mais la victime doit en faire l’avance, ce qui est insupportable, puisque la plupart du temps elle risque de les perdre, l’auteur étant insolvable. J’observe que la victime n’a pas à faire l’avance des expertises lorsqu’elle choisit la voie pénale. Il faudrait qu’il en aille de même pour les frais d’huissier, qui sont normalement à la charge de l’auteur et devraient entrer dans les dépens de justice si celui-ci est insolvable.

Enfin, je voudrais évoquer la Commission d’indemnisation des victimes sur laquelle une réflexion est conduite par un groupe de travail institué au ministère de Justice. Je pense que lorsqu’une victime a tout fait pour faire exécuter les décisions de justice lui octroyant réparation, mais a laissé passer le délai de prescription d’un an prévu pour saisir la Commission, il faudrait reconnaître que c’est un motif légitime pour présenter sa requête.

M. Daniel Soulez-Larivière : Je vais être très direct : je pense que ce texte est complètement sous-dimensionné ; c’est un cautère sur une jambe de bois, il court après l’événement. Il était déjà sous-dimensionné dans sa version première ; or il a réduit sa voile du fait de certaines vicissitudes, notamment des journées d’action d’associations et de syndicats de magistrats, dont la nature de l’activité me semble d’ailleurs mal définie du point de vue déontologique. En effet, autant on peut être satisfait, intéressé, passionné – ce qui est mon cas – par les travaux de M. Serge Portelli et de Mme Sophie Clément-Mazetier, autant on peut être surpris par les pressions exercées, qui ont abouti, au terme de discussions qui n’ont pas été menées au grand jour, au document insuffisant qui est proposé à l’examen du Parlement.

Le projet de loi n’est pas satisfaisant parce que, d’une part, il ne tient pas compte d’une caractéristique essentielle de notre procédure, qui est la confusion des tâches juridictionnelles et de celles d’investigation et d’accusation, et d’autre part, il témoigne d’une méconnaissance de ce qu’est la défense.

En ce qui concerne la confusion des tâches, elle s’illustre d’abord par la situation même du juge d’instruction, qui est à la fois investigateur et juge, comme le disait Robert Badinter, à la fois Maigret et Salomon. C’est le vice rédhibitoire de notre justice qui manifeste également son archaïsme par la confusion des tâches de l’accusation. En effet, le juge d’instruction est un accusateur, de même que le juge du siège qui, au cours du procès, passe son temps à exercer une contrainte psychique et verbale sur la personne qu’il interroge, alors qu’il va se retirer ensuite pour la juger. C’est une situation complètement aberrante et archaïque ; toute personne qui n’a jamais eu affaire à la justice et assiste à une audience, qui voit le résultat d’une instruction pénale, en ressort généralement épouvantée.

Or, ce problème n’est pas traité par le projet de loi, qui se contente de redonner vie à l’ersatz de réforme résultant de la loi de janvier 1993, qui reprenait, sous forme homéopathique, certaines conclusions de la Commission Delmas-Marty, et avait suscité des menaces de grève du zèle des juges d’instruction. J’ai conservé quelques tracts qui, en substance, suggéraient aux magistrats de mettre en détention leurs « patients » pour montrer que le système ne marchait pas et bloquer l’institution du juge délégué. Je rappelle que ces réactions ont été efficaces, puisque la nouvelle majorité qui a succédé au gouvernement socialiste a abrogé la loi de janvier 1993, qui n’apportait pourtant qu’une réforme limitée par rapport à l’objectif qui aurait dû être atteint.

Il serait donc nécessaire de remettre en cause la confusion des tâches entre l’accusation, l’investigation et le juridictionnel, et de reconstruire notre procédure pénale d’une manière plus fondamentale pour éviter l’écueil mis en lumière par la Commission Delmas-Marty dans ses conclusions : « Les membres de la Commission ont la conviction que le malaise actuel de la justice pénale tient moins à l’indifférence du législateur qu’à l’accumulation de réformes ponctuelles, partielles, ajoutant toujours de nouvelles formalités, de nouvelles règles techniques qui ne s’accompagnent ni des moyens matériels adéquats, ni d’une réflexion d’ensemble sur la cohérence du système pénal. »

Le projet de loi méconnaît, par ailleurs, les réalités de la défense. Dans notre culture, le policier, le juge lui-même, bénéficient d’une certaine image de fonctionnaire public impartial. Dans ce système la défense n’a pas grand-chose à faire et constitue une espèce de pièce rapportée. Sous l’Ancien Régime, d’ailleurs, il n’y avait pas d’avocats, mais seulement des personnes qui développaient des mémoires écrits. La défense n’existait, ni à l’instruction, ni pratiquement à l’audience. Nous sommes encore dans cette logique. Lorsque l’on envisage la présence de l’avocat au cours de la garde à vue, on entend les mêmes critiques que celles qui étaient formulées en 1897 lorsqu’il a été introduit dans le cabinet du juge d’instruction : il s’agirait de désarmer l’Etat, d’assurer aux riches une défense dont les pauvres ne pourraient bénéficier, toute une série de sornettes répétées au cours des siècles. La réalité, c’est que le concept de défense individuelle n’est pas dans notre culture. Il en résulte une confusion dont je voudrais donner un exemple : le projet de loi prévoit que le procureur de la République est chargé de préparer les droits de réponse pour les personnes mises en cause. Pourquoi ne pas le commettre d’office pour les défendre ? Cela n’a aucun sens !

S’agissant de la garde à vue, sans doute est-il bon de faire venir un avocat dès la première heure. Mais il est tout aussi important de dire à la personne interrogée de quoi il s’agit. Car la garde à vue aujourd’hui est un jeu du chat et de la souris. La personne entendue ne sait pas vraiment ce qu’on lui veut. Il faudrait que les questions posées soient inscrites explicitement au procès-verbal et que celui-ci ne sorte pas, après 24 heures de garde à vue, sous la forme de deux pages complètement malaxées, qui ne restituent aucunement la vérité de ce qui s’est passé pendant un interrogatoire destiné à secouer le suspect et à lui extraire des aveux. Plutôt que de rassembler des preuves permettant de mettre en cause un suspect, il est hélas dans notre culture judiciaire de lui extorquer la vérité qu’on souhaite lui entendre dire.

Au stade de l’instruction, je pense qu’il faut effectivement que l’ordonnance de mise en examen soit motivée. Cela me semble un scandale permanent que le juge d’instruction puisse garder pour lui les faits qui justifient la mise en examen jusqu’à ce qu’il prenne une ordonnance de renvoi. Il m’arrive encore aujourd’hui de faire des demandes de non-lieu, en m’interrogeant sur ce que le juge reproche vraiment à la personne que je défends.

Je suis, par ailleurs, très perplexe sur l’article 116 du code de procédure pénale, qui permet à la personne mise en examen de faire des déclarations spontanées. Je sais ce que cela veut dire trop souvent. Quoi qu’il en soit, je pense qu’il faut renforcer le rôle de la défense dans l’instruction pénale et obliger le magistrat instructeur à faire mention dans les procès-verbaux des incidents et des déclarations de l’avocat au cours des interrogatoires. Je pense qu’il faudrait également que la défense puisse exiger des audiences spéciales pour poser ses questions indépendamment de celles de l’instruction, plus de dix minutes avant le départ du greffier.

S’agissant du juge délégué, il a été transformé en « croupion » dans le projet de loi qui vous est soumis. Au départ, il devait être un juge des libertés dont les pouvoirs se rapprochaient de ceux envisagés dans le rapport Delmas-Marty. Si politiquement il paraît impossible – je ne sais d’ailleurs pas pourquoi – de mettre en œuvre ce rapport, qui est le plus complet et le plus remarquable établi depuis 1988 sur le sujet, il faut au moins redimensionner le juge des libertés et le charger de tout ce qui est juridictionnel, c’est-à-dire de la mise en détention, des perquisitions … C’est également à lui qu’il appartiendrait de décider, en cas de divergence, s’il convient de mettre une personne en examen ou de la placer en position de témoin assisté.

Je voudrais aussi évoquer, même si c’est un petit détail, l’article 802 du code de procédure pénal, qui dispose que toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d’une demande d’annulation ou qui relève d’office une telle irrégularité, ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne. Une telle disposition fait appel à la subjectivité du juge. Il devient inutile d’invoquer une nullité parce que, dans la plupart du temps, les magistrats considéreront qu’elle n’a pas porté atteinte à la défense. Les décisions relatives à la garde à vue l’ont montré après l’introduction de ce texte.

En ce qui concerne l’audience, je pense qu’il est indispensable de distribuer les rôles différemment. Il n’est pas possible de maintenir cette procédure de l’interrogatoire par le président, qui le transforme en acteur. Vous ne pouvez pas être juge et partie, accusateur et juge, interroger une personne dans le box des accusés pendant une journée ou deux et, ensuite, prétendre vous retirer pour délibérer. C’est au procureur qu’il appartient d’accuser, de poser ses questions, de traquer la personne prévenue ou accusée, d’exiger d’elle des réponses. Les juges doivent se taire ou, éventuellement, pour ne pas tomber dans les absurdités des systèmes accusatoires trop rigides, poser des questions. Il arrive qu’aux assises, les avocats généraux et les présidents décident de se répartir ainsi les rôles ; la justice a alors une autre allure.

En France, elle ne souffre pas seulement de rendre des décisions injustes, comme dans toutes les sociétés, mais aussi de ce vice supplémentaire, qui est de rendre parfois des décisions justes qui paraissent injustes. C’est l’atteinte la plus catastrophique à la fonction judiciaire. Il n’est pas une seule affaire criminelle qui ne pose de problème aujourd’hui, qui ne suscite une sorte de mini ou de gros scandale, parce que les personnes qui assistent aux audiences ne comprennent pas que la justice se rende dans de telles conditions.

Dans le cadre de la protection des victimes, il faut mettre fin à certains abus. Je voudrais évoquer celui qui permet aux parties civiles de citer directement à l’audience des personnes qui, soit ont été mises hors de cause pendant l’instruction, soit même n’ont pas été entendues. Je me réfère, par exemple, à l’affaire de Furiani dans laquelle le préfet de Haute-Corse, mis expressément hors de cause par la chambre d’accusation, a été cité directement devant le tribunal et s’est trouvé dans une situation tellement ambiguë sur le plan juridique que le président a précisé qu’il s’agissait d’un prévenu sous conditions suspensives, ce qui fera sourire les juristes.

La jurisprudence de la Cour de cassation est totalement insuffisante. Lorsque le juge termine son instruction, il doit demander aux parties civiles si elles souhaitent d’autres mises en examen et, en cas de divergences, la chambre d’accusation doit pouvoir trancher définitivement. Sinon, ce n’est même pas la peine de maintenir une instruction. Au prochain accident de chemin de fer, toute la hiérarchie de la S.N.C.F. sera dans le box des accusés et la justice ne pourra pas être rendue. Si l’instruction ne sert à rien, il faut le dire et procéder par voie de citations directes à l’audience.

S’agissant des droits des victimes, je crois – mais cette question n’est pas traitée par le projet de loi – qu’il faut revenir sur la confusion résultant de la jurisprudence de l’entre-deux guerres entre faute civile et faute pénale. La loi du 13 mai 1996 a tenté d’aborder ce sujet par un détour en précisant que pour être constituées, les infractions non intentionnelles doivent être le fait de personnes répondant à certains critères de pouvoir, de compétence, etc. Or la première décision rendue sur la base de cette loi par le tribunal de Rennes a montré que ce texte ne servait à rien. D’ailleurs, le président de la commission des Lois avait souligné, lors de sa discussion, que c’était une loi pédagogique, d’interprétation. Dans la deuxième affaire, celle des thermes Barbotan, le tribunal a considéré que le maire, qui avait le profil exact de ceux pour lesquels le Parlement avait souhaité écarter toute condamnation, à défaut de pouvoir agir, aurait dû démissionner. Cette loi est donc inefficace et il faut reprendre la définition de la faute civile et de la faute pénale.

Si l’on souhaite éviter une inflation des procédures pénales, il convient d’offrir aux victimes une procédure qui puisse leur donner, au civil, les mêmes satisfactions légitimes. Un procès civil aujourd’hui, ce n’est rien pour une victime ; c’est essentiellement une procédure écrite, les avocats plaidant une demi-heure sans témoins. Or, pour l’application de la loi du 29 juillet 1881, la Cour de cassation a transposé les règles de la procédure pénale au civil. Dans le cadre d’un procès en diffamation au civil, il faut respecter toutes les règles de signification de preuves, de citation de témoins, etc ... Cette pratique semble parfaitement transposable dans les affaires d’infractions non intentionnelles redéfinies.

Je termine en vous disant le bonheur que j’ai d’être entendu ici, entre un journaliste, dont j’approuve les propos et la conception qu’il exprime de la liberté d’expression, exercée conformément à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, c’est-à-dire dans le respect des nécessités propres à une société démocratique, et des juges d’instruction qui, même s’ils ne partagent pas le même avis que moi sur la nécessité de séparer les tâches d’investigation et d’accusation des tâches juridictionnelles, développent néanmoins des arguments intéressants et proposent des textes absolument remarquables. Si vous ne pouviez ou ne vouliez pas prendre la direction proposée par la commission Delmas-Marty, je crois qu’il n’y a rien à rejeter dans ce qu’ils suggèrent, sauf le fait qu’ils souhaitent le maintien du juge d’instruction.

M. Jean-Louis Pelletier : Mon propos ne sera pas aussi tranché que celui de mon confrère Me Soulez-Larivière. En fait, je ne parle pas en mon nom personnel, mais en celui d’une association, celle des avocats pénalistes, laquelle est constituée de praticiens du droit pénal. Ce projet a fait de notre part l’objet d’une réflexion collective. Nous nous sommes voulus avant tout pragmatiques et nous considérons qu’il constitue une avancée remarquable, parce qu’il va dans le sens d’une plus grande protection des droits des prévenus et des présumés innocents, mais également d’une garantie renforcée des droits des victimes.

Cela étant, après ce satisfecit nuancé, je me dois d’exprimer quelques réserves. La première tient au fait que nous trouvons ce projet un peu frileux. Nous aurions souhaité qu’il s’inscrive dans une réflexion plus générale et qu’il conduise à une refonte totale du code de procédure pénale. Par référence aux travaux remarquables de la Commission Delmas-Marty, nous aurions aimé qu’une plus grande place soit faite au contradictoire, au niveau policier bien sûr, mais aussi et surtout au niveau judiciaire. Nous nous rapprocherions ainsi beaucoup plus d’un régime accusatoire ou para-accusatoire. Ce n’est pas que nous voulions nécessairement instaurer une justice de type anglo-saxon, mais nous souhaiterions que la présence de l’avocat, du défenseur, soit davantage confirmée.

Par ailleurs, un problème crucial est laissé de côté, celui de l’institution d’une juridiction d’appel pour les décisions des cours d’assises. Il est regrettable que cette question, qui a suscité des débats sous plusieurs législatures, ne soit pas réglée, alors qu’elle se pose de manière aiguë à tous les praticiens du droit pénal.

Quelques problèmes ont été éludés ou ne sont pas évoqués, notamment celui, qui pourrait faire bondir les juges d’instruction, de la responsabilité des magistrats, qui doit évidemment être de nature civile. Lorsque nous, qui sommes praticiens du droit pénal, nous oublions un délai, nous sommes considérés comme responsables et nous pouvons légitimement être attaqués et amenés, par compagnies d’assurances interposées, à supporter les conséquences pécuniaires de nos erreurs ou de nos fautes. Il nous paraît donc anormal que certains juges qui commettent des fautes n’aient, en fait de sanctions, qu’à subir un retard d’avancement.

Une autre question n’est pas abordée, celle de la redéfinition du rôle exact de la chambre d’accusation. S’il est théoriquement très important, nous savons qu’en pratique elle ne le joue pas, faute de moyens peut-être et d’un excès de travail. Quoi qu’il en soit, il est constant que les juges ne sont pas censurés, bien au contraire, notamment en matière de détention. Des statistiques privées réalisées sur les décisions rendues par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, toutes sections confondues, montrent que sur 100 recours en matière de détention, il n’y a, chaque année, que 10 % des décisions des juges d’instruction qui sont réformées. Il serait essentiel pour la défense de la liberté de se pencher sur la composition des chambres d’accusation et sur leur rôle exact.

Il existe un autre problème qui n’est pas traité par le projet de loi, c’est celui du filtre théorique qui n’existe qu’en matière criminelle. Lorsque l’instruction est terminée, le dossier fait l’objet d’une transmission au procureur général, qui le remet à la chambre d’accusation. Celle-ci met du temps à se réunir et rend finalement un arrêt de renvoi, dont nous savons tous que, s’il a remplacé l’acte d’accusation, il revêt exactement la même nature. Cet arrêt de renvoi peut être frappé de pourvoi. C’est ainsi qu’à Paris, lorsque le dossier d’instruction est terminé, des personnes en état d’être jugées attendent parfois 18 ou 24 mois avant de comparaître effectivement devant la cour d’assises. Ces délais nous semblent anormaux et devraient pouvoir être supprimés. S’il est légitime que la chambre d’accusation joue le rôle d’un filtre éventuel par rapport aux juges d’instruction, elle ne devrait pas être appelée à statuer quand on soulève des nullités de procédure ; ce n’est pas théoriquement son rôle.

Voilà les quelques regrets que nous exprimons sur les points qui n’ont pas été abordés. J’en viens maintenant au projet lui-même. Dans sa globalité, il nous donne satisfaction. Nous n’avons notamment pas de réserve particulière sur l’appellation de juge de la détention. C’est une question de terminologie subsidiaire et, en tout état de cause, nous préférons que les avocats soient compétents en matière de liberté. Nous regrettons en revanche que le juge de la détention soit seul. Nous aurions préféré qu’il s’inscrive dans une collégialité, dont très naturellement le juge d’instruction actuel aurait été radicalement exclu.

S’agissant de la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue, il est probable que, dans le cours de vos travaux, vous serez amenés à affiner les dispositions du projet de loi, éventuellement à les clarifier. Il convient, en effet, de préciser comment, sur un plan matériel, cette mesure sera conciliée avec les nécessités immédiates de l’enquête. Il faut savoir que les policiers ont fait contre mauvaise fortune bon cœur en nous voyant arriver dans les locaux de la garde à vue à la vingtième heure. Mais tout se passe très bien désormais ; notre présence est entrée dans les mœurs, nous sommes normalement prévenus et nous ne sommes pas mal accueillis.

Mais comment concilier la nécessité de prévenir l’avocat qu’il doit se déplacer avec le fait qu’il doit intervenir à la première heure ? Il faudrait qu’un délai lui soit accordé pour qu’il se présente effectivement. Nous savons que le placement en garde à vue comporte un certain nombre de formalités : la fouille réglementaire, les relevés anthropométriques, la notification des droits. Le temps nécessaire à l’accomplissement de ces formalités pourrait être mis à profit pour prévenir l’avocat désigné ou commis et lui permettre d’arriver. Je livre cette réflexion à votre appréciation.

Dans le cadre de la garde à vue elle-même, il est regrettable que nous n’ayons pas accès au dossier, et que nous soyons, surtout à la première heure, confrontés à un client qui ignore ce qui lui est reproché.

De ce regret, j’en viens à une véritable critique : il n’est pas normal que soit instaurée une sorte de justice à deux vitesses, qu’il y ait, au départ, deux catégories de délinquants potentiels. Pourquoi réserverait-on l’assistance de l’avocat à ceux qui en ont peut-être le moins besoin, tout en l’écartant pour les trafiquants de stupéfiants et les criminels en bande organisée. Les avocats connaissent parfaitement leurs droits, mais aussi leurs devoirs. D’ailleurs, dans le cadre de notre association, nous mettons en garde contre les dangers qu’il peut y avoir à outrepasser ses droits, contre les risques qu’il peut y avoir à donner, dans le cadre de la garde à vue, des renseignements qui ne devraient pas être évoqués.

Par ailleurs, nous déplorons une autre forme de justice à deux vitesses – et c’est peut-être encore plus important – au sujet du sacro-saint principe du secret de l’instruction. Le projet de loi prévoit que le débat sur la détention pourra être rendu public, ce qui est une très bonne chose, mais apporte immédiatement un correctif en spécifiant que la décision appartient à la juridiction saisie. Or depuis qu’une première brèche a été ouverte sur le secret de l’instruction par la loi de 1993, qui permet que le débat sur la détention devant la chambre d’accusation soit également public, je ne connais qu’un seul cas où une telle décision a été prise : c’était à Lyon, à la demande du prévenu, dans une affaire concernant un parlementaire depuis déchu de son mandat et cette mesure ne l’a pas servi. Chaque fois que j’ai sollicité de la chambre d’accusation que le débat soit public, elle m’a opposé un refus catégorique.

C’est regrettable, car tout prévenu a le droit à la publicité, sous réserve que soient respectés les droits des autres personnes mises en examen. Ce n’est pas, en effet, parce qu’un prévenu souhaite que la presse assiste au débat le concernant qu’il faut nécessairement violer le secret de l’instruction pour les autres prévenus impliqués dans l’affaire, ou alors ce serait consternant.

Toujours pour regretter l’existence d’une forme de justice à deux vitesses
– mais je veux rester nuancé –, je voudrais évoquer une catégorie de justiciables qui nous paraît avoir des droits restreints, celle du témoin assisté. Je suis favorable à ce nouveau statut et je serais très heureux si son institution se traduisait par une diminution du nombre des mises en examen, même si je ne suis pas aussi optimiste que Monsieur Serge Portelli et Madame Sophie Clément-Mazetier. Mais pourquoi empêcher ce témoin assisté de prêter serment ? Pourquoi en faire une espèce de sous-témoin ? Ou bien il est témoin assisté dans les conditions que prévoit la loi et il prête serment, ou bien il est d’ores et déjà mis en examen et il ne prête pas serment.

Voilà les quelques réserves que nous souhaitons émettre. Vous allez débattre maintenant de certaines propositions ou amendements. D’ici à ce que le projet soit effectivement discuté devant le Parlement, s’il y a d’autres concertations, nous souhaiterions y participer, si vous le jugez possible.

En résumé, ce projet de loi paraît constituer une avancée notable que nous approuvons dans son principe, comme tous les textes qui vont dans le sens d’un renforcement des garanties données aux justiciables. Notre regret majeur tient à l’absence de procédure d’appel en matière criminelle. Il nous semble qu’il serait possible de beaucoup simplifier le projet présenté par M. Jacques Toubon. Pourquoi restreindre le nombre des jurés au premier échelon ? Il suffirait, selon nous, que la voie de l’appel fonctionne, comme c’est trop rarement le cas, au travers de la cassation, qu’une nouvelle cour d’assises soit saisie, à condition, bien entendu, que celle-ci ne siège pas dans le ressort de la même cour d’appel que la première, pour éviter que les mêmes conseillers ne soient désignés.

M. Jacques Floch : Ce n’est pas la première fois que je participe à un débat sur la présomption d’innocence, la réforme du code de procédure pénale ou du code pénal.

J’en suis toujours sorti avec un sentiment d’insatisfaction et une certaine amertume. Nous sommes, chaque fois, soumis à d’énormes pressions venant de toute part, de nos organisations politiques, de tous les professionnels du droit, avocats, magistrats eux-mêmes, policiers, et très rarement, il faut le dire, des victimes. En outre, il y a évidemment tous les organes de presse. A chaque fois, nous avons essayé de résister à ces pressions.

Toutes les propositions faites, susceptibles de conférer de nouveaux droits à ceux qui sont accusés, ne doivent pas leur en donner trop, pour ne pas paraître laxistes aux yeux de l’opinion publique. En même temps, il ne faut pas porter atteinte à certaines prérogatives, notamment à celles des policiers qui ont dans la garde à vue une responsabilité majeure. S’agissant des pouvoirs du juge, toute volonté de les modifier pour les rendre plus conformes au droit s’est heurtée aux juges eux-mêmes, aux professionnels du droit, à l’opinion publique, qui nous mettaient en garde sur le fait que le juge risquait d’être « désarmé » face aux personnes mises en accusation.

Aujourd’hui, ces mêmes pressions s’exercent, mais je crois que le moment est venu de faire de la résistance. Si nous ne parvenons pas à adopter un texte qui marque quelques progrès, rien ne pourra plus être fait pendant un grand nombre d’années.

Je pense que nous pourrions apporter au projet de loi une première modification en inversant son titre pour mentionner les droits des victimes avant le renforcement de la protection de la présomption d’innocence. Sans doute pourrions-nous également améliorer le contenu du texte qui, sorti de la Chancellerie, a une conception mineure des droits des victimes.

En ce qui concerne la présomption d’innocence, il est nécessaire de conduire sur un sujet aussi grave une réflexion sérieuse. Cette semaine, dans un hebdomadaire, L’Evénement du Jeudi, un éditorialiste écrit au sujet de l’affaire Elf-Dumas : « heureusement que la présomption d’innocence et le secret de l’instruction ont été bafoués, sinon on n’aurait eu aucune information sur le sujet. » Le public accepte cela puisque L’Evénement du Jeudi se vend et a des lecteurs. D’autres journaux se sont, au contraire, fixé des règles déontologiques s’agissant de la présomption d’innocence et du secret de l’instruction. C’est le cas, dans ma région, d’un grand quotidien, Ouest France.

Sans doute la question de la présomption d’innocence ne se résume-t-elle pas aux rapports avec les médias. Mais je crois nécessaire de préciser les rapports entre la justice et le droit à l’information. Dans le rapport de la Commission de réforme de la justice, présidée par M. Pierre Truche, et dans les autres travaux préparatoires au projet qui nous est soumis, on retrouve des propositions intéressantes à ce sujet.

J’ai entendu avec beaucoup d’intérêt tous les intervenants. Le concours qu’ils apportent à ce débat nous sera très utile. Ce n’est pas en exerçant des pressions corporatistes, sans doute honorables, mais éloignées des préoccupations de défense des droits de l’homme, de la sécurité, de la sûreté de nos concitoyens, que l’on peut aider le législateur à faire son travail.

Je ne voudrais pas, une nouvelle fois, être obligé de constater que nous ne parvenons pas à réaliser une réforme qui renforce la protection de la présomption d’innocence. C’est un sujet sur lequel nous devons pouvoir trouver une solution. Cela nous conduira certainement à bousculer certaines règles en matière, non seulement de garde à vue, mais aussi de mise en détention provisoire. Il suffirait pour changer totalement les choses de prévoir qu’une personne ne peut être placée en détention provisoire si les conditions prévues par le code de procédure pénale ne sont pas respectées. Avec un taux d’occupation de 120 % dans les prisons, il est impossible d’assurer aux prévenus une cellule individuelle et d’éviter de les mélanger avec des détenus qui subissent une peine. Pour avoir été rapporteur du budget des services pénitentiaires pendant quatre ans, j’ai visité de nombreuses prisons et je suis obligé de constater que la place y manque et que le droit n’y est pas respecté. Je crois que c’est une contrainte que les magistrats devraient prendre en compte avant de décider d’un placement en détention provisoire.

Je conclurai en affirmant qu’il est temps de réaliser une réforme suffisamment profonde pour que notre pays puisse encore être considéré comme celui des droits de l’homme.

M. Michel Hunault : Je voudrais d’abord préciser que nous sommes un certain nombre de parlementaires dans les rangs de l’opposition à approuver la philosophie de ce texte qui renforce les libertés essentielles, notamment la présomption d’innocence.

Je reviens sur une disposition importante, celle de la création du juge de la détention provisoire. Je me souviens d’un article récent de mon confrère Pelletier dans le Figaro, assez injurieux d’ailleurs pour les juges d’instruction. Nous savons tous aujourd’hui que la détention provisoire est un moyen de pression. Le projet de loi qui nous est soumis ne va pas aussi loin que la proposition de loi présentée par Alain Tourret, adoptée en première lecture par l’Assemblée, qui tendait à réserver le recours à la détention provisoire aux poursuites engagées pour les crimes ou les délits les plus graves. Je souhaiterais savoir si nos invités ont le sentiment et la conviction que le juge de la détention n’utilisera plus la détention provisoire comme un moyen de pression. La solution proposée leur semble-t-elle préserver les libertés essentielles de tout individu ?

Me Daniel Soulez-Larivière : Comme vous avez pu le constater, l’objection faite par l’Association des juges d’instruction à l’institution du juge délégué tient au fait qu’il ne connaît pas le dossier. C’est toute une philosophie, car connaître le dossier et manier la détention provisoire signifie qu’on ne traite pas le problème sur le terrain de la représentation du justiciable, mais sur celui de la liaison avec l’information elle-même. Dans ces conditions, je pense que retirer le pouvoir de mise en détention des mains du juge d’instruction, qui fait les investigations, marque déjà un petit progrès.

Mais on ne peut pas indéfiniment empiler les juges les uns sur les autres. C’est pourquoi les propositions du rapport Delmas-Marty présentaient un intérêt, parce qu’elles tendaient à une redistribution des tâches entre le Parquet, chargé des investigations, et les juges du siège, chargés de l’instruction véritable. La solution apportée par le projet de loi n’est donc qu’une demi-mesure. Une véritable réforme de fond impliquerait une redistribution des tâches entre le parquet, la défense et les juges du siège.

Mme Sophie Clément-Mazetier : Nous n’avons pas le sentiment que le juge de la détention aura une optique différente de celle du juge d’instruction. Nous craignons que sa mise en place ne soit insuffisante pour limiter vraiment le recours à la détention provisoire, dont le caractère excessif constitue un problème très grave et spécifiquement français. Nous considérons qu’un juge d’instruction ne doit pas statuer sur la détention provisoire, lorsque c’est lui qui, en fait, a mené l’enquête, par l’intermédiaire des policiers agissant sur commission rogatoire. Lorsqu’il découvre l’affaire parce que la personne lui est présentée par le procureur de la République, nous ne voyons pas pourquoi son appréciation différerait de celle de son collègue, qui a la même sensibilité, la même formation, a peut-être été un jour juge d’instruction ou le sera plus tard. Pendant les quelques mois au cours desquels l’institution du juge délégué a été en place, en 1993, la politique en matière de détention provisoire n’a pas varié.

Nous proposons donc des mesures très différentes. Sans doute faut-il instituer un juge délégué ou juge de la détention lorsque l’enquête a été menée par le juge d’instruction et non pas par le Parquet, mais surtout la loi doit interdire le placement en détention provisoire pour motif d’ordre public en matière correctionnelle, fixer des délais butoirs infranchissables – d’un an en matière correctionnelle et de deux ans en matière criminelle – et élever les seuils de peines encourues à partir desquels le placement en détention provisoire est possible.

En réponse aux propos de M. Jacques Floch, je voudrais souligner qu’il est paradoxal, lorsque le débat porte sur la détention provisoire, d’entendre parler de laxisme, comme si la détention provisoire était une peine. Il faut bien distinguer la détention provisoire, qui est une mise à l’écart rendue nécessaire pour les besoins de l’information, de la peine qui sera, le cas échéant, prononcée.

Il est tristement vrai que la détention provisoire est actuellement un moyen de pression, mais il ne sert à rien de dénoncer cette réalité si l’on ne fait pas ce qu’il faut pour y mettre fin. Bien sûr, en matière criminelle notamment, il peut y avoir d’autres motifs de placement en détention provisoire que les nécessités de l’information, la dangerosité par exemple. Il est certain que, si l’on a vraiment des indices graves et concordants laissant supposer qu’une personne a commis des crimes en série, elle ne doit pas être relâchée avant d’être jugée. Mais il faut éviter le discours démagogique qui consiste à faire croire que toute personne qui a volé un œuf a troublé l’ordre public.

M. Pierre Albertini : Je voudrais d’abord formuler une remarque de caractère général. Je crois que ce texte est d’inspiration cosmétique. Nous sommes très loin de l’ambition des propositions de la Commission Delmas-Marty, nous restons au milieu du gué, et l’insatisfaction que suscitent généralement les textes « mi-chèvre mi-chou » risque d’être d’autant plus aiguë qu’il y aura une addition de mécontentements. Il serait peut-être plus sage de renoncer à un texte qui n’apporte pas grand-chose, même s’il présente quelques aspects positifs, et de poursuivre une réflexion de plus grande ampleur, d’autant plus qu’il s’inscrit dans le cadre d’une réforme de la justice, annoncée et attendue, mais dont il reste difficile d’apprécier la cohérence d’ensemble parce qu’elle est tronçonnée.

Je suis extrêmement sceptique sur l’efficacité probable du dispositif envisagé, même s’il témoigne de bonnes intentions. J’observe d’ailleurs deux lacunes essentielles. La première tient à l’absence de toute référence à la responsabilité disciplinaire des magistrats, qu’il faudra pourtant, un jour ou l’autre, évoquer en toute sérénité. La seconde repose sur le défaut de supervision de la police judiciaire par les magistrats. La France n’est pas une terre de libertés concrètes, mais de libertés abstraites, je l’ai souvent dit, et je crains que ce projet de loi ne m’apporte pas de démenti, parce qu’il ne me semble pas de nature à faire progresser la mécanique judiciaire.

J’en viens à ma première question qui s’adresse à M. Noël Copin. J’ai l’impression qu’il y a dans ce texte une tentative inconsciente de créer un antagonisme entre la liberté d’information et la présomption d’innocence. Or je persiste à penser que la liberté d’information est aussi une garantie contre l’arbitraire, le fruit d’une conquête très lente de nos sociétés qui sont parvenues à donner un statut à l’information. Personnellement, je verrais assez volontiers disparaître les dispositions du projet de loi relatives aux médias parce que, à mon avis, elles ne constituent pas le meilleur moyen de forger une déontologie, qu’il appartient davantage aux hommes d’information qu’au législateur lui-même de définir.

Ma deuxième question s’adresse plutôt aux avocats. Elle concerne les correctifs introduits à dose homéopathique dans notre procédure inquisitoire. Sans en être un partisan farouche, je ne crois pas que nous ayons les moyens de réaliser brutalement une révolution judiciaire. N’y aurait-il pas cependant des techniques qui permettraient d’améliorer sensiblement la procédure actuelle, assez largement archaïque et qui me paraît assez mal préserver les droits de la défense ?

M. Alain Tourret : Le projet de loi soumis à l’Assemblée nationale marque incontestablement une avancée importante, qui me semble pourtant insuffisante. Je me demande s’il est réellement à la hauteur des problèmes que soulève le nécessaire respect de la présomption d’innocence.

Compte tenu de la situation actuelle, il est indispensable, je crois, d’adresser à l’opinion publique autant qu’au monde judiciaire des messages forts. Or je ne suis pas sûr que la disposition centrale du projet de loi – la création d’un juge de la détention qui, par ailleurs, semble utile – soit, à cet égard, tout à fait convaincante. Il me semble que les dispositions votées par l’Assemblée nationale le 4 avril dernier réservant la détention provisoire aux crimes et délits les plus importants représentaient un message fort. Je regrette qu’elles soient gommées par le projet de loi.

Je souhaiterais savoir ce que pensent nos invités de la suggestion que j’avais faite d’écarter la détention provisoire lorsque la peine encourue est inférieure à trois ans pour les délits contre les personnes et cinq ans pour les délits contre les biens et des contre-propositions de la Chancellerie qui abaissent respectivement les seuils à deux et trois ans. J’observe que l’absence de statistiques sérieuses permet difficilement d’apprécier l’effet qu’aurait cette baisse des seuils. L’abaissement des seuils par rapport au texte voté par l’Assemblée nationale, qui est proposé par la Chancellerie, est-il réellement nécessaire pour faciliter la manifestation de la vérité, pour préserver l’ordre public, pour protéger la société ?

Je voudrais également aborder un problème plus technique, celui de l’égalité des différentes parties au procès. Je constate que la situation stratégique du parquet dans la salle d’audience marque l’imagination des personnes qui assistent au procès. En la modifiant, nous pourrions donner un signal fort au prix de simples travaux de menuiserie.

J’observe également que, dans les grands procès, la multiplication des parties civiles fausse l’égalité. Dans le procès Papon, par exemple, 200 avocats des parties civiles se sont succédés, alors que l’accusé n’en avait qu’un ou deux. Cela ne me semble pas totalement satisfaisant, dès lors que les avocats des parties civiles jouent le rôle de procureurs bis. Le Président Truche, auquel je me suis ouvert de cette question, m’a dit qu’il ne voyait pas de solution à ce problème et que j’encourrai de violentes critiques en le soulevant. Avez-vous une autre réponse à m’apporter ? Pourrait-on envisager de regrouper certaines plaidoiries dans ces grands procès qui sont les plus médiatiques, sur lesquels l’opinion publique forge son appréciation de la justice ?

Je souhaiterais savoir, par ailleurs, s’il vous semble possible de fixer un délai raisonnable pour la détention provisoire, au-delà duquel la remise en liberté serait obligatoire. Est-ce envisageable en matière criminelle ? On me dit qu’actuellement à Paris, il s’écoule, en moyenne, dix-huit mois entre la clôture de l’instruction et le passage devant la Cour d’assises. Ne faudrait-il pas fixer le délai maximum à six ou douze mois ?

Dans les procès complexes, lorsqu’il y a quinze personnes mises en examen, les pourvois formés par les uns, les incidents de procédure soulevés par d’autres, retardent l’instruction et la difficulté de disjoindre les instances font qu’il est impossible d’obtenir un non-lieu avant la fin du procès. Cela me semble une grave atteinte au droit des personnes et à la présomption d’innocence.

M. Robert Pandraud : En matière de justice, la réflexion doit être objective et dépasser les clivages politiques. Même si le texte qui nous est soumis ne règle pas tous les problèmes, il constitue quand même une légère avancée, et nous ne pouvons aller que de légère avancée en légère avancée ; j’y suis donc favorable.

Nous nous plaignons toujours de l’insuffisance des droits et des prérogatives du Parlement. Je vous lance donc un appel, Madame le Rapporteur. N’êtes-vous pas la mieux placée pour modifier et compléter ce projet en tenant compte de toutes les objections qui sont soulevées ? La Chancellerie s’efforce de synthétiser les suggestions des divers lobbies, les propositions de telle ou telle catégorie de fonctionnaires, ou de ce que l’on appelle les professionnels du droit. Elle ne veut mécontenter personne. Mais vous disposez, à tous égards, d’une plus grande indépendance. Je souhaiterais que le reste de la législature soit mis à profit pour élaborer un projet à l’abri des pressions des lobbies.

Pensez-vous, réellement, que le juge délégué sera utile ? Soit, il accédera aux requêtes du juge d’instruction, parce que ce sera son ami ou qu’il sera sensible au corporatisme que l’on rencontre dans toutes les professions, soit, au contraire, il les rejettera parce qu’il aura des difficultés personnelles, professionnelles, d’inscription au tableau d’avancement ou pour le simple plaisir d’ennuyer son collègue. Ne serait-il pas préférable que la chambre d’accusation soit obligatoirement saisie, même si cela implique qu’elle soit modifiée ? Une autorité collégiale offre toujours plus de garantie qu’un juge unique.

S’agissant de la présence de l’avocat au début de la garde à vue, M. Jean-Louis Pelletier a souligné les difficultés qu’elle soulèvera. En province, les locaux de garde de vue peuvent se trouver dans une brigade de gendarmerie à 80 km du premier avocat. Il me semble cependant que quelqu’un peut être mis en garde à vue dans son bureau ou à son domicile. Avant la première heure, pendant que s’accomplissent les formalités substantielles à la garde à vue, il peut se poser des problèmes de traduction, pour un étranger qui ne parle pas le français ou qui feint de ne pas le parler. Ne pourrait-il pas y avoir une certaine période de neutralisation pendant laquelle la police effectuerait les formalités, laissant ainsi un délai raisonnable pour qu’un défenseur puisse arriver ? Il me semble nécessaire d’envisager une solution si l’on souhaite éviter que toutes les procédures soient annulées pour défaut d’avocat dès la première heure.

Ce sont ces problèmes concrets qu’il convient de régler plutôt que de multiplier des réformes qui ne sont ni appliquées, ni applicables. Chaque garde des Sceaux, d’ailleurs, se croit dans l’obligation de déposer son propre projet. Et, comme nous vivons dans une période d’instabilité ministérielle plus grande que sous n’importe quel régime, l’instabilité législative, et donc l’incertitude juridique, n’a jamais été plus grande qu’aujourd’hui. Cela donne à la magistrature une marge de manœuvre considérable, d’où il résulte un équilibre difficile à tenir avec les médias. Bien sûr, on ne peut supprimer la liberté de la presse, mais il est quand même regrettable que les journaux soient quelquefois transformés en auxiliaires de justice, et que des articles inspirés puissent être, pour certains magistrats instructeurs, plus importants que des auditions ou des enquêtes menées normalement.

Quant au problème qui n’est pas abordé par le projet de loi, celui de l’autorité des magistrats sur la police judiciaire – là aussi on est confronté aux pressions de lobbies divers – il ne pourra jamais être réglé, puisqu’en France, tous les policiers et les gendarmes font de la police judiciaire. Je ne suis pas sûr qu’un gouvernement ait un jour l’autorité nécessaire pour mener une réforme en la matière.

Mme Frédérique Bredin : Chacun s’accorde à reconnaître que les intentions du texte sont bonnes. Les réserves exprimées concernent les mesures concrètes. Est-il possible d’aller plus loin ? Le texte n’est-il pas trop timide ou trop frileux sur certains points ? Je voudrais rapidement revenir sur quelques sujets précis.

S’agissant de la détention provisoire, je voudrais savoir ce que vous pensez très concrètement des limitations prévues par le texte : trois ans pour les délits contre les biens, deux ans pour les délits contre les personnes. Que suggérez-vous, que proposez-vous en la matière ? Par ailleurs, le maintien du motif de l’ordre public pour le placement en détention vous paraît-il opportun ? Enfin, les délais butoirs proposés dans le texte pour limiter la durée de la détention vous semblent-ils cohérents ou faut-il les modifier ?

En ce qui concerne l’instruction, la notion de délai raisonnable est retenue par le texte. Est-ce que l’institution d’un calendrier prévisionnel, qui serait notifié au début de la procédure par le juge d’instruction, vous paraît répondre aux problèmes qui se posent ?

Il me semble, enfin, que l’on ne peut parler de la légitimité des juges sans évoquer leur responsabilité. C’est la condition de l’indépendance de la justice et de la magistrature et cela lui donne toute sa valeur. Pourrait-on connaître les mesures concrètes que vous proposez en la matière ?

Mme le rapporteur : J’ajouterai deux ou trois questions à celles nombreuses qui viennent d’être posées.

Sur la garde à vue, plusieurs idées ont été émises. Ne serait-il pas finalement plus protecteur que l’avocat intervienne avant la dixième heure, pour tenir compte des difficultés pratiques que soulève sa présence dans la première heure, puis à nouveau après la vingtième heure ? L’objectif est, d’une part, que les droits du gardé à vue soient énoncés très rapidement et, d’autre part, que la garde à vue soit aussi courte que possible. On a pu constater qu’avec l’intervention de l’avocat à partir de la vingtième heure, beaucoup de gardes à vue ne duraient plus que 19 heures.

Que pensez-vous de l’enregistrement des interrogatoires au cours de la garde à vue, qui est déjà pratiqué en Grande-Bretagne et auquel le syndicat des commissaires de police nous a dit être favorable ? Nous souhaitons, par ailleurs, renforcer le contrôle des gardes à vue par le parquet, mais, en la matière, il est difficile de le faire autrement que par une incitation car, en instituant une obligation sanctionnée, nous entrerions dans le champ de la responsabilité disciplinaire des magistrats.

Concernant le témoin assisté, M. Jean-Louis Pelletier a estimé qu’il était tout à fait contradictoire – et je le pense aussi – qu’il ne prête pas serment. Que perdrait-il à le faire ? L’institution de ce nouveau statut est l’un des points forts du projet que nous souhaitons conforter. Ferions-nous perdre au statut de témoin assisté une partie de son intérêt en lui demandant de prêter serment ?

Je reviens peu sur la détention provisoire, parce que les questions essentielles ont déjà été posées. Vous paraît-il possible d’enserrer l’instruction elle-même dans des délais butoirs, qu’il y ait ou non détention provisoire ? La proposition qui pourrait être faite serait de deux ans en matière correctionnelle et de trois ans en matière criminelle, avec la possibilité d’une prolongation demandée par une ordonnance motivée bien sûr et octroyée uniquement par la chambre d’accusation.

S’agissant des relations avec la presse, vous semble-t-il opportun de conférer au procureur de la République la possibilité d’exercer le droit de réponse à la place de quelqu’un d’autre ? Je n’en suis pas tout à fait persuadée personnellement.

Concernant les victimes, Mme Anne d’Hauteville a évoqué les obligations du juge de l’application des peines. Pouvons-nous prévoir dans la loi qu’il se doit de veiller à l’exécution de la réparation, en liaison avec la victime et le directeur de la maison d’arrêt si le délinquant est détenu, et d’organiser les modalités de l’indemnisation ?

Comment pourrions-nous mieux articuler l’obligation de réparation qui s’impose au délinquant lui-même à la suite de sa condamnation à des dommages et intérêts avec le rôle des commissions d’indemnisation des victimes d’infractions pénales. Il existe une sorte de confusion, dans l’esprit à la fois du délinquant et de la victime, sur ce double système d’indemnisation.

M. Jean-Louis Pelletier : Comment améliorer les droits de la défense et assurer l’égalité entre les parties ? Il faut d’abord que les mentalités changent. Il n’est pas possible de généraliser. Au cours de l’instruction, dans la tenue des débats, en correctionnelle ou en cour d’assises, la situation est tout à fait différente selon la personnalité de celui qui dirige les débats. Devant une égalité apparente il y a, en fait, une inégalité totale. C’est pourquoi il faudrait affirmer très solennellement que celui qui dirige les débats, le juge d’instruction, le président du tribunal, doit être totalement impartial et instruire à charge et à décharge, sinon rien ne changera, malgré toutes les lois.

Après 1993, des tentatives de changement se sont manifestées, sans que le code de procédure de pénale ne soit modifié. On a vu, notamment à Paris, dans la chambre compétente en matière de saisine directe, qu’une approche accusatoire pouvait être mise en œuvre. Le substitut présentait les moyens de l’accusation, le président restait un véritable arbitre, tout en remplissant ses fonctions, et la défense se comportait d’une façon tout à fait normale. Je n’ai pas constaté ce type de fonctionnement dans les tribunaux correctionnels, mais dans certains procès d’assises où, sans que ce soit le régime anglo-saxon, il y avait une avancée par rapport à la pratique habituelle.

Ce que nous critiquons, en effet, c’est l’omnipotence du président. Tout le monde sait – il serait hypocrite de ne pas l’affirmer – qu’aux assises, un président peut arriver pratiquement à ce qu’il veut, que l’accusé soit coupable ou innocent et malgré la multiplication du nombre des jurés. Si l’on n’exige pas que le président ne soit qu’un arbitre, non seulement à l’audience, mais surtout dans le cadre du délibéré, rien ne pourra changer, quelles que soient les lois promulguées.

Les présidents de cour d’assises sont désignés par les premiers présidents de cour d’appel. Dans certaines d’entre elles, rompant catégoriquement avec des usages plus anciens, les premiers présidents ont choisi de désigner une nouvelle génération de présidents, pas nécessairement jeunes, qui ont eu à cœur – c’est encore le cas à Paris, mais aussi en province – de mener les débats de façon équilibrée. La justice s’en porte beaucoup mieux, aussi bien pour les accusés que pour les victimes.

Me Daniel Soulez-Larivière : Je voudrais proposer une modification majeure : il faut que notre pays achève sa révolution judiciaire et finisse enfin par séparer les tâches qui concourent à l’exercice de la justice : investigation, accusation, défense, jugement. Il existe actuellement une trop grande confusion, à la fois dans les procédures et dans les corps.

La première décision qui me semble s’imposer est la séparation des fonctions de parquetier et de juge, pour qu’il n’y ait plus de confusion, dans le corps même des magistrats, entre les avocats de la République et les juges. Le Président de la République a évoqué cette solution devant la Cour de cassation ; les premiers présidents de cour d’appel se sont prononcés en sa faveur, à l’unanimité ; d’autres l’ont fait également, et je m’honore d’en faire partie. Il faut confier les tâches d’investigation au parquet, tandis que les fonctions juridictionnelles appartiendraient aux juges ; il faut créer un juge de l’instruction qui en soit vraiment un. C’est ce que suggérait l’excellent rapport de Mme Delmas-Marty, le plus complet rédigé depuis dix ans sur ce sujet.

Enfin, il faut réhabiliter la notion de défense, qui passe par des expressions concrètes comme l’intervention de l’avocat en garde à vue. Celui-ci n’est pas un ennemi de l’ordre public. Au contraire, en facilitant l’adhésion de la collectivité à la décision judiciaire, il participe d’un processus nécessaire à l’ordre public. Même si l’appellation d’« auxiliaire de justice » est imparfaite, elle témoigne du fait que l’avocat fait partie du processus judiciaire, qu’il est une pièce du moteur, qu’il doit intervenir à tous les stades de la procédure, à commencer naturellement par sa phase policière.

Ce sont, pour moi, les points essentiels qui ne sont malheureusement pas abordés dans le projet de loi, qui semblent exclus de la réflexion. On tourne autour depuis cinquante ans et rien ne change réellement.

Mme Anne d’Hauteville : Je voudrais dire, d’abord, que je suis très favorable à la suggestion de M. Jacques Floch d’inverser l’ordre de la présentation du projet pour mettre en tête les droits des victimes. Cela ne signifie pas, bien sûr, que je ne suis pas sensible à la protection des droits de la défense. Des progrès ont été réalisés en ce domaine, mais il est possible d’aller beaucoup plus loin.

S’agissant des grands procès qui se tiennent en matière de catastrophes collectives, de crimes contre l’humanité, que M. Alain Tourret a évoqués, j’admets que la réponse judiciaire n’est peut-être pas totalement satisfaisante. Sans doute, le principe d’égalité des armes n’est-il pas parfaitement respecté dans ce type de situation et il faut certainement conduire sur ce point une réflexion. Mais je ne crois pas que l’on puisse en tirer des conséquences sur le droit des victimes de participer au procès. Quelles que soient les circonstances, elles restent seules face à l’auteur de l’infraction et à la justice.

Une question a été posée sur le rôle du juge d’application des peines dans le processus de réparation. De plus en plus – et c’est positif – pour les petits dommages, la réparation fait partie de l’aménagement des peines. C’est un outil de responsabilisation du délinquant qui peut contribuer à sa réinsertion. Dans ce cas de figure, cela doit être une obligation pour le juge d’application des peines de concilier les objectifs de sanction et de réparation, dans un sens qui soit favorable à la société et acceptable pour la victime. Quand la réparation est indépendante de la sanction, notamment lorsque des dommages et intérêts importants doivent être versés à la victime, ce qui implique que des procédures civiles d’exécution soient mises en œuvre, je répète que la gratuité devrait être accordée à la victime, qui ne devrait pas avoir à faire l’avance des frais.

La mise en place depuis 1983 et surtout 1990, d’un système parallèle d’indemnisation des victimes, qui passe par le recours à la commission d’indemnisation et le paiement par le Fonds de garantie, n’est pas toujours bien compris et peut même être ressenti par les auteurs d’infractions comme une sorte de « dédouanement » de l’obligation de verser des dommages et intérêts à la victime.

Ce système est bien sûr favorable aux victimes, qui n’ont pas à supporter les nécessités de la réinsertion du délinquant et peuvent être indemnisées correctement dans un délai raisonnable, notamment en cas de dommages corporels graves. Il faut néanmoins tenter de concilier ce système avec l’obligation qui doit être faite à l’auteur de l’infraction de supporter le paiement des dommages et intérêts. Je crois qu’il faudrait favoriser les recours du Fonds de garantie qui sont aujourd’hui peu nombreux. Il me semble que l’administration pénitentiaire, le Fonds de garantie et les services judiciaires doivent travailler à une meilleure coordination. Il peut, en effet, y avoir un intérêt pédagogique à associer l’auteur à la réparation, même s’il ne peut pas tout rembourser ; une part peut être prélevée sur son pécule ou sur ses biens pour le paiement des dommages et intérêts.

M. Robert Pandraud : Ne pensez-vous pas qu’il faudrait prévoir, dans un souci d’équilibre, une indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires, qui serait du ressort des juridictions administratives, le système judiciaire étant un peu autoprotecteur ?

Mme Anne d’Hauteville : La victime d’une erreur judiciaire n’est pas une victime d’infraction pénale. C’est donc un autre sujet. Mais je vous rejoins, il faudrait mener sur ce point une réflexion qui devrait déboucher sur une réforme.

Mme le rapporteur : Le projet prévoit une meilleure indemnisation des personnes mises en examen, ayant fait l’objet d’un placement en détention provisoire et qui bénéficient ensuite d’un non-lieu. J’ajoute que le système judiciaire, s’il reste encore autoprotecteur, l’est de moins en moins.

M. Alain Tourret : En 1989, il y a eu 2.000 cas d’indemnisations de personnes qui avaient été placées à tort en détention provisoire.

Me Daniel Soulez-Larivière : Les indemnisations versées actuellement sont dérisoires.

Mme le rapporteur : Mais le projet de loi et les amendements éventuels permettront d’aller plus loin. Aujourd’hui, les décisions de la commission d’indemnisation ne sont pas motivées ; elles le seront désormais, ce qui constitue un progrès considérable.

Mme Sophie Clément-Mazetier : M. Serge Portelli et moi-même vous avons adressé des propositions d’amendements qui reprennent l’essentiel de ce que je vais vous dire.

S’agissant de la détention provisoire, en réponse à Mme Frédérique Bredin, je crains que les seuils proposés par le Gouvernement, de deux et trois ans, ne changent rien à la situation actuelle. Nous souhaitons donc qu’ils soient fixés à trois ans pour les délits contre les personnes et cinq ans pour les infractions contre les biens, ce qui inclurait les infractions financières, contrairement aux craintes exprimées par certains parlementaires lors du débat qui s’est tenu à l’Assemblée nationale l’année dernière. La détention ne serait pas possible si la peine encourue était inférieure à ces seuils.

Nous considérons, par ailleurs, que l’ordre public ne doit pas pouvoir être invoqué en matière correctionnelle et qu’une durée maximum de détention provisoire d’un an en matière correctionnelle et de deux ans en matière criminelle est tout à fait suffisante, d’autant que rien n’interdit, dans les affaires complexes, de juger une personne en cour d’assises pour un fait et de poursuivre l’instruction sur les autres aspects de l’affaire, alors que la personne est détenue, non plus à titre provisoire, mais en qualité de condamnée, ce qui est totalement différent.

Nous pensons également qu’il est dommage que ce projet de loi, qui a pour objet de renforcer « la protection de la présomption d’innocence », ne traite que de l’instruction. Je rappelle, en effet, que les affaires donnant lieu à instruction ne représentent que 7 % de la totalité. Toutes les autres personnes sont jugées directement devant le tribunal correctionnel. Il est sans doute bon de prévoir de nombreuses garanties devant le juge d’instruction, mais ne pas les étendre à l’immense majorité des procédures nous semble très regrettable.

Nous proposons que les seuils retenus soient étendus à la comparution immédiate, puisque c’est souvent dans cette formation que sont prononcés les mandats de dépôt. Il n’y a pas de raison que le choix procédural d’un procureur de renvoyer une personne devant un juge d’instruction ou un tribunal correctionnel emporte des conséquences différentes quant à la possibilité de la placer ou non en détention provisoire.

La durée de la détention provisoire résultant d’une ordonnance de prise de corps, dans le cadre d’un renvoi devant la cour d’assises, devrait également être limitée. Il serait inutile de l’encadrer lors de l’instruction, si une personne doit ensuite attendre 18 mois au fond d’une prison avant d’être jugée. Je rappelle d’ailleurs que, pour des délits, la détention préalable au jugement n’est possible que pendant deux mois. En matière criminelle M. Alain Tourret proposait de la limiter à 12 mois. Il nous semble que l’on pourrait s’en tenir à 6 mois, mais sans doute faut-il poursuivre la discussion pour parvenir à un délai raisonnable et réaliste. En tout cas, faire l’impasse sur une réflexion relative à ce délai reviendrait à s’en tenir à des effets d’annonce sur la détention provisoire sans s’attaquer à sa réalité.

S’agissant de l’intervention du procureur de la République dans les médias pour rectifier des informations sur une personne mise en examen, on voit mal comment celui qui l’a poursuivie pourra faire une mise au point à la presse sur la réalité de cette poursuite. Cela nous paraît un peu malsain. Par ailleurs, institutionnaliser des relations entre le procureur de la République et les journalistes nous semble dangereux. Il faut rappeler que la liberté de la presse est un principe essentiel, que la presse constitue un contre-pouvoir. Il serait périlleux que le procureur puisse apparaître exercer sur elle une pression.

Pour garantir le respect de la présomption d’innocence par la presse, c’est à la procédure qu’il faut réfléchir. Car la presse ne fait que refléter ce qui se passe. C’est en ce sens que la motivation de la mise en examen nous paraît une réforme tout à fait fondamentale. Il est évident qu’une personne placée en situation de témoin assisté n’éveillera pas autant la curiosité des lecteurs, puisque son statut montrera que le juge n’a pas estimé qu’il y avait des indices graves et concordants permettant de prendre à son encontre une ordonnance motivée. On peut espérer que la presse attendra la mise en examen avant de mettre en cause la réputation d’une personne, comme elle peut le faire actuellement.

La question de savoir si le témoin assisté doit prêter serment nous semble secondaire. Concrètement, il est évident que sa situation est préférable à celle du mis en examen, puisqu’il ne peut pas être soumis à un contrôle judiciaire ou placé en détention provisoire, qu’aucune ordonnance n’a établi qu’il existait contre lui des indices graves et concordants.

Mme le rapporteur : Quel serait l’inconvénient de lui faire prêter serment ?

Me Daniel Soulez-Larivière : Il n’aurait pas le droit de mentir.

Mme Sophie Clément-Mazetier : Si un témoin assisté est ensuite mis en examen, ne risque-t-il pas d’être poursuivi pour faux témoignage s’il a menti ?

M. Jean-Louis Pelletier : Le faux témoignage n’est constitué qu’à l’audience.

Mme Sophie Clément-Mazetier : En ce qui concerne la garde à vue, la présence de l’avocat à la première heure, puis son absence, nous paraissent dangereuses. Son intervention initiale pourrait n’être qu’un alibi pour prétendre que les droits de la défense sont garantis. Il importe donc qu’il puisse revenir ensuite.

Son rôle est différent de celui du juge d’instruction ou du procureur de la République, auquel il est indispensable que le gardé à vue soit, par ailleurs, présenté. Même si l’avocat est présent, ce n’est pas lui qui pourra ordonner aux policiers de procéder à des investigations à décharge ; seul un magistrat pourra s’en préoccuper et diriger l’enquête en ce sens.

Enfin, nous pensons que l’avocat n’est pas suffisamment présent à l’instruction. Actuellement, nous sommes dans une procédure inquisitoire. L’avocat, très légitimement, attend que le juge d’instruction ait fini ses investigations pour s’interroger sur la nécessité de demander des actes. Selon nous, il devrait être associé, dès le départ, à l’instruction, pour éviter les retards ultérieurs de la procédure. Nous souhaiterions qu’il y ait un débat d’orientation de l’information en début de procédure, qui responsabilise les avocats. Ce serait une mesure technique incitative, qui n’empêcherait pas les avocats de demander ultérieurement tout acte qui leur paraîtrait nécessaire. Elle permettrait cependant de leur faire prendre conscience que leurs demandes peuvent être formulées rapidement s’ils souhaitent accélérer la procédure.

M. Noël Copin : Je me réjouis, peut-être de façon un peu paradoxale, du fait qu’il a été assez peu question ce matin des médias. En même temps, je pense qu’il y aurait beaucoup de choses à dire. Je m’en réjouis, parce que cela montre que maintenant on dépasse cet antagonisme, évoqué tout à l’heure, entre justice et médias, au sujet de la présomption d’innocence. Il y a beaucoup d’autres questions à régler avant de « s’attaquer » aux médias. Je ferai, cependant, une petite parenthèse. Je me méfie d’un autre danger, celui de la connivence qui peut parfois apparaître, de l’instrumentalisation éventuelle des médias par des hommes de la justice.

Si j’ai exprimé tout à l’heure une certaine satisfaction sur le contenu du texte qui vous est soumis, c’était par référence à d’autres débats. Je pense, par exemple, aux dangers qui semblaient peser sur les médias au travers d’initiatives comme l’amendement présenté par M. Alain Marsaud, il y a quelques années. Tant qu’il y aura des personnes arrêtées, qu’il s’agisse de garde à vue ou de détention provisoire, on ne fera pas croire à l’opinion publique, et difficilement aux médias, même aux journalistes qui ont fait du droit, qu’elles sont innocentes.

On a dit que le projet était frileux. On avait formulé la même critique à l’égard du rapport Truche. On s’est référé, en revanche, au rapport extrêmement important de Mme Delmas-Marty. Tout ce qui va dans le sens de la limitation de la détention provisoire, d’une réglementation plus rigoureuse de la garde à vue, me semble positif.

S’agissant des médias – et ce n’est pas une réaction corporatiste – je dirai que moins on légifère, moins on réglemente, mieux les choses vont. On responsabilise ainsi davantage les journalistes, qui prennent conscience de leur responsabilité et l’exercent au travers des chartes, des codes de déontologie, etc. L’important, pour nous, journalistes, et pour ceux qui nous regardent et nous jugent, c’est de nous demander si nous agissons vraiment conformément à notre mission qui est d’informer les citoyens. Si un journaliste ne respecte pas la loi – je pense que dans un pays démocratique, il doit savoir qu’il n’est, pas plus qu’un autre citoyen, au-dessus des lois – si, en conscience, il estime nécessaire de donner une information, il prend ses risques. C’est ce qu’avait fait Zola avec le fameux « J’accuse » ...

Je terminerai sur l’affaire des menottes. Elle est concrète et très symbolique aussi. Même si je suis contre la publication dans les médias, sous quelque forme que ce soit, de documents montrant des personnes menottées, je souhaite cependant que les dispositions qui prévoient des peines d’amendes à l’encontre des médias soient supprimées. Il me semble préférable de donner la priorité au paragraphe VII de l’article 25, qui modifie l’article 803 du Code de procédure pénale pour limiter plus rigoureusement la présentation de personnes menottées. Je crois que c’est en amont et non pas en aval qu’il faut tenter de mettre fin à la publication de documents montrant des personnes menottées.

Mme le rapporteur : Telle est bien mon intention, en effet. Je remercie tous nos invités pour l’ensemble des propositions qu’ils ont formulées. En conclusion, je dirai qu’il est vrai que le gouvernement n’a pas fait le choix de la révolution, mais de la réforme. Il appartient maintenant de lui donner toute sa portée.

Je ne crois pas qu’il faille laisser entendre – ce serait une erreur majeure – que le texte ne porte que sur l’instruction. Il va bien au-delà, puisqu’il a pour objet, comme le montre son intitulé, de renforcer « la protection de la présomption d’innocence ». Il commence par l’énoncé des principes fondamentaux du procès pénal – ce qui n’avait jamais été fait – qui figureront enfin dans le code de procédure pénale. Il traite également de la garde à vue. En outre – c’est tout à fait significatif et presque révolutionnaire – ce même texte se préoccupe aussi des droits des victimes, alors que, jusqu’à présent, en droit pénal fondamental comme en procédure pénale, on a toujours traité séparément le délinquant et la victime.

A cet égard, ce projet me paraît être un texte de politique criminelle au sens plein, parce qu’il essaie de conjuguer des dispositifs qui doivent protéger le délinquant, d’une part, et protéger la victime, d’autre part.

La commission des Lois s’efforcera d’en faire, sinon une réforme définitive – il serait ridicule de l’envisager – du moins une grande réforme. Nous y serons aidés par l’ensemble des observations et des propositions formulées par nos invités, qui sont toutes extrêmement intéressantes. Nous ne souhaitons pas seulement modifier les textes, mais aussi les pratiques et l’organisation de la justice. A cet égard, il est une question qui n’a pas été évoquée ce matin, celle de la révision de la carte des juridictions d’instruction. C’est pourtant une des clés de la réussite de la réforme, notamment de l’institution du juge de la détention. J’estime qu’il est indispensable de modifier la carte des juridictions d’instruction, pour qu’avec 70 magistrats, nous puissions véritablement donner au juge de la détention tout le poids qu’il doit avoir et permettre qu’il ait cet autre regard distancié par rapport à celui du juge d’instruction, qui reste investigateur et juge. Ce sera peut-être l’objet d’une réforme ultérieure.

*

* *

La Commission a examiné, en nouvelle lecture, sur le rapport de M. René Dosière, le projet de loi relatif au mode d’élection des conseillers régionaux et des conseillers à l’Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux (n° 1142).

Déplorant la charge de travail de la Commission et le faible temps imparti pour l’examen en nouvelle lecture du projet relatif aux conseils régionaux, M. Michel Hunault a demandé son report à une date ultérieure. Considérant que le débat ne devait pas être bâclé, il a précisé qu’il était prêt à demander une suspension de séance pour éviter que la discussion ne s’engage en cette fin de matinée.

Après avoir rappelé que l’ordre du jour de la Commission avait été fixé de longue date, M. René Dosière, rapporteur, a indiqué que les contraintes du calendrier effectivement chargé de la Commission ne permettaient pas le report de l’examen du projet de loi.

En réponse à la demande de plusieurs commissaires de l’opposition, Mme Christine Lazerges, présidente, a accepté de suspendre la séance de la Commission jusqu’à 16 heures.

A la reprise de la séance, M. René Dosière, rapporteur, a rappelé que, le Sénat ayant adopté sur le projet de loi une question préalable, la commission mixte paritaire réunie le 28 octobre dernier n’avait pu parvenir à l’adoption d’un texte, de sorte que l’Assemblée nationale était appelée à se prononcer en nouvelle lecture sur la base du texte qu’elle avait adopté en première lecture. Il a précisé que le texte devrait entrer en vigueur au début de l’année prochaine. Concernant le mode d’élection des conseillers régionaux, il a indiqué que deux amendements identiques présentés par MM. Christian Paul et Jacques Brunhes tendaient à abaisser, de 5 à 3 % des suffrages exprimés, le seuil requis pour qu’une liste soit admise à la répartition des sièges, deux amendements des mêmes auteurs ayant, par ailleurs, pour objet de réduire de 10 à 5 % des suffrages exprimés, le seuil requis pour qu’une liste puisse se représenter au second tour. Concernant le fonctionnement des conseils régionaux, le rapporteur a fait savoir qu’il présenterait plusieurs amendements tendant à distinguer l’emploi de la procédure du vote bloqué selon que le conseil régional examine le budget primitif ou le budget modificatif et à préciser que cette procédure peut, au cours d’un exercice, s’appliquer une fois pour l’examen du budget primitif et deux fois pour celui des budgets modificatifs, que le nom du candidat à la présidence est accompagné d’une déclaration écrite présentant ses grandes orientations politiques, l’adoption de la motion de renvoi emportant l’élection d’un nouveau président, et que le vote sur cette motion a lieu au scrutin secret. Par ailleurs, il a indiqué qu’il présenterait un amendement visant à rendre obligatoire la constitution d’un bureau dans les assemblées régionales dont seraient membres de droit les vice-présidents, même s’ils ne sont pas détenteurs d’une délégation et, le cas échéant, les membres de la commission permanente bénéficiant d’une délégation. Enfin, le rapporteur a souligné que les dispositions relatives à l’adoption du budget cesseraient d’être applicables à compter du renouvellement de l’ensemble des conseils régionaux selon les nouvelles règles électorales.

M. Robert Pandraud a considéré que les dispositions du projet de loi présentaient un caractère contradictoire puisque, dans sa première partie, il organise un régime électoral définitif tandis que, dans un second temps, il met en place une procédure qui doit permettre aux actuels conseils régionaux de continuer de fonctionner. Il a jugé qu’il serait plus simple que ces conseils soient dissous et que le Parlement n’ait à se prononcer que sur la première partie du projet de loi. Il a mis en avant les difficultés qui naîtraient de l’application du projet, notamment dans le cadre des discussions sur les prochains contrats de plan. Par ailleurs, pour ce qui concerne le point particulier du vote du budget, il a rappelé que le Conseil d’Etat avait jugé à la fin des années 40 que le vote de chaque article d’un budget municipal valait approbation de l’ensemble de ce budget.

M. Renaud Donnedieu de Vabres s’est opposé très solennellement à la disposition visant à abaisser à 5 % des suffrages exprimés le seuil permettant l’accès au second tour. Il a jugé qu’il s’agissait là d’une institutionnalisation déguisée des triangulaires. Il en a pris acte mais a enjoint à la majorité de tirer les conséquences d’une telle mesure, en cessant d’interpeller l’opposition sur ses relations avec le Front national. Soulignant que le système mis en place aurait pour effet d’ancrer, dans toutes les régions, le problème de la présence du Front national, il a estimé que la majorité, à l’origine d’une telle situation, n’aurait pas de leçons de morale à donner à l’opposition. Il a fait part de sa préférence pour un système calqué sur celui de l’élection présidentielle ne permettant pas, au second tour, le maintien de plus de deux listes et garantissant ainsi un débat bipolaire, clair et démocratique. Concédant que l’absence de réforme du mode de scrutin par les gouvernements précédents avait été effectivement une erreur, il a souligné que c’est la question du rôle respectif des départements et des régions qui avait conduit à retarder cette réforme. Il a, en effet, observé qu’à travers le débat sur le mode de scrutin régional, c’est la future architecture des collectivités locales qui était en cause, rappelant que le précédent président de la République était plutôt de tradition départementaliste comme de nombreux autres hommes politiques français. Evoquant le cas de la région Centre, il a souligné les difficultés de la mise en œuvre de l’adoption sans vote dans l’hypothèse où chacun des chapitres était voté sans que le budget n’ait fait l’objet d’un vote d’ensemble.

Après avoir exprimé le regret que le Sénat n’ait pas souhaité débattre de ce projet de loi, prenant ainsi la responsabilité de créer un vide démocratique, M. Christian Paul a considéré que la nécessité de légiférer apparaissait mieux encore que lors de la première lecture, compte tenu des difficultés de fonctionnement de quatre conseils régionaux dépourvus de majorité. Il a fait valoir que, pendant quatre ans, l’opposition actuelle, alors au pouvoir, avait cherché en vain un consensus sur le mode de scrutin régional, son échec ayant eu sa part dans la montée récente de forces politiques extrêmes au sein des conseils régionaux. Il a estimé que le texte proposé, très attendu, représentait un bon compromis entre deux exigences : mettre en place un dispositif transitoire de nature à assurer l’adoption des budgets des régions et élaborer un dispositif durable de stabilisation des majorités. Observant qu’une lecture malveillante était toujours possible en matière de lois électorales, il a fait valoir que les amendements du groupe socialiste tentaient en fait d’améliorer encore les conditions d’une réelle expression démocratique. Il a conclu en estimant que le texte proposé constituait, à défaut d’un régime idéal, un progrès sur la voie de la stabilisation du fonctionnement des conseils régionaux.

Intervenant en application de l’article 38 du Règlement, M. Christian Estrosi a estimé que les membres de la majorité jouaient aux apprentis sorciers, en soumettant au Parlement un projet de loi qui risquait de supprimer tout débat démocratique dans les conseils régionaux. Il a rappelé le contexte, marqué par la récente décision du tribunal administratif d’Orléans relative à la procédure d’adoption du budget de la région Centre et par la décision attendue sur l’adoption du budget de la région Ile-de-France, qu’il a considérées révélatrices de l’impasse actuelle. Il a mis en cause la démarche consistant, afin d’accorder des facilités à six présidents de conseil régional amis, à instaurer une procédure de vote bloqué qui apportera les moyens de se maintenir à trois présidents de région à qui la majorité parlementaire reproche pourtant leur accession à la présidence grâce au soutien des élus du Front national. Il a enfin demandé au rapporteur des précisions sur les modalités de mise en œuvre par le président du vote bloqué dans le cas où tous les chapitres et les articles seraient votés moyennant des modifications non conformes à l’équilibre global voulu par l’exécutif régional.

M. Pascal Clément a considéré que le présent projet de loi présentait le vice fondamental de reposer sur un mode de scrutin, la proportionnelle à deux tours, constituant un piège à la fois électoral et moral qui ne pouvait mener qu’à l’échec ou à la compromission. Il a souligné que la tradition française n’admettait que deux modes de scrutin, le scrutin majoritaire à deux tours ou la représentation proportionnelle, le scrutin municipal étant d’institution trop récente pour être pris en compte, sa justification étant en outre, à l’échelon local, de permettre de s’affranchir de la gestion majoritaire. Il a témoigné de la vivacité des passions politiques dans la région Rhône-Alpes, évoquant les manifestations de haine qui s’étaient exprimées lors de la visite de M. Charles Millon, président du conseil régional, à l’occasion de la signature d’un simple contrat d’objectif de son département avec la région. Il a considéré que le mode de scrutin proposé par le projet de loi était incendiaire, alors que l’urgence était de rendre la vie publique plus sereine et a jugé le comportement de la majorité d’un cynisme sans précédent. Ayant interrogé le rapporteur sur les vraies raisons du choix d’un mode de scrutin proportionnel à deux tours, alors qu’apparemment la représentation proportionnelle à un tour recueillait le consensus le plus large, il a conclu en insistant sur le fait que l’évolution de la vie politique française était le véritable enjeu du texte.

M. André Vallini a considéré que l’on ne pouvait plus soutenir qu’il n’existait d’autre alternative que le scrutin majoritaire à deux tours et la représentation proportionnelle, le mode de scrutin municipal donnant très largement satisfaction.

M. Jérôme Lambert a observé que l’opposition n’était pas en mesure de proposer une alternative cohérente et unifiée pour le mode de scrutin régional. Considérant que la majorité pouvait légitimement changer un mode de scrutin, dès lors qu’elle respectait le cadre démocratique, il a souligné que tel était le cas de la réforme proposée.

Mme Nicole Catala a déploré que les conseils régionaux soient le siège de manifestations de violence et de haine qu’elle a jugé fort éloignées de la tradition républicaine. Faisant part de son adhésion totale aux propos tenus par ses collègues de l’opposition, elle a considéré que le projet de loi n’aurait d’autre effet que de susciter de nouveaux affrontements dans les assemblées régionales. Elle a enfin exprimé la crainte que ce texte ne conduise à des situations inextricables.

Mme la Présidente Catherine Tasca a souhaité que les débats de la commission puissent se dérouler dans un climat de sérénité en dehors de toute polémique inutile. Elle a rappelé les contraintes d’organisation qui s’imposaient à la commission du fait d’un ordre du jour chargé. Elle a souhaité que le débat de fond puisse se poursuivre de manière pleine et entière dans un esprit démocratique.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes.

—  Le Gouvernement précédent n’a pas mis en œuvre de réforme du mode de scrutin régional et aucun accord n’a pu être trouvé par le Gouvernement actuel dans l’année précédant les élections. En conséquence, il est urgent de mettre un terme à la paralysie des conseils régionaux – ce que le nouveau régime électoral doit permettre, grâce au système de la prime majoritaire – et de concilier la représentation de sensibilités politiques diversifiées avec l’existence d’une majorité stable.

—  Les dispositions relatives au fonctionnement des conseils régionaux s’appliqueront à toutes les régions, quelle que soit la couleur politique de leur président, et seront abrogées à compter de leur renouvellement qui s’effectuera selon le nouveau mode de scrutin.

—  L’institution d’un vote bloqué doit permettre de répondre aux insuffisances de la loi du 7 mars 1998 relative au fonctionnement des conseils régionaux. Celles-ci ont été mises en lumière par la jurisprudence du tribunal administratif d’Orléans qui a conduit à l’annulation du budget de la région Centre. Cette nouvelle procédure permettra, en effet, d’éviter que le projet de budget soit adopté en étant dénaturé par des majorités de circonstance et donne au président du conseil régional la possibilité de faire adopter sans vote ce projet en mettant en œuvre le « 49-3 régional ».

—  L’instauration d’un scrutin à deux tours permet aux formations politiques de se compter au premier tour et de se regrouper au second. Elle s’inscrit d’ailleurs dans logique du droit applicable aux élections municipales.

—  La nécessité de réformer l’institution régionale ne passe pas par l’élection du président au suffrage universel direct qui aboutirait à la multiplication des centres de pouvoir. La réforme proposée, pour limitée qu’elle soit, est équilibrée et constitue un préalable à l’amélioration du fonctionnement des conseils régionaux.

La Commission a ensuite procédé à l’examen des articles.

TITRE PREMIER

DISPOSITIONS RELATIVES AU MODE D’ÉLECTION DES CONSEILLERS RÉGIONAUX
ET DES CONSEILLERS À L’ASSEMBLÉE DE CORSE

Article premier (art. L. 336 du code électoral) : Durée du mandat des conseillers régionaux :

La Commission a rejeté un amendement de M. Pascal Clément tendant à la suppression de cet article qu’elle a adopté sans modification.

Article 2 (art. L. 337 du code électoral) : Effectif des conseils régionaux :

La Commission a rejeté un amendement de suppression de l’article présenté par M. Pascal Clément. Puis, elle a adopté cet article sans modification.

Article 3 (art. L. 338 du code électoral) : Mode de scrutin des conseillers régionaux :

La Commission a été saisie d’un amendement de M. Pascal Clément tendant à instituer un scrutin uninominal majoritaire à deux tours dans le cadre de circonscriptions découpées à l’intérieur des circonscriptions législatives. Il a fait part à la Commission de son souhait de rapprocher les conseillers régionaux de leurs électeurs. Constatant qu’aujourd’hui, à la différence des membres du conseil général, les membres du conseil régional souffrent d’un déficit de notoriété, il a estimé qu’il fallait éviter l’existence de représentants « éthérés ». M. Robert Pandraud a suggéré que les suppléants des députés deviennent membres de droit des conseils régionaux. La Commission a rejeté cet amendement ainsi qu’un amendement de M. Claude Goasguen tendant à instituer un scrutin de liste à un tour avec prime majoritaire dans le cadre d’une unique circonscription régionale. Elle a ensuite examiné un amendement de M. Pascal Clément tendant à relever à un tiers la prime majoritaire attribuée à la liste ayant obtenu la majorité absolue des suffrages au premier tour ou la majorité relative au deuxième tour. Soulignant que cet amendement reprenait une disposition adoptée par la Commission et rejetée en séance publique au cours de la première lecture, le rapporteur a indiqué qu’il restait ouvert sur cette question. M. Renaud Donnedieu de Vabres a considéré qu’il était peu probable que la majorité adopte un tel amendement, alors même que les négociations conduites avec le groupe communiste ont abaissé à 5 % le seuil requis pour qu’une liste puisse se présenter au second tour. La Commission a rejeté cet amendement. Puis, elle a été saisie de deux amendements identiques de M. Christian Paul et de M. Jacques Brunhes tendant à abaisser de 5 à 3 % le seuil requis pour qu’une liste soit admise à la répartition des sièges. M. Christian Paul a fait observer que l’abaissement de ce seuil devrait permettre de renforcer la diversité de la représentation politique au sein des conseils régionaux, alors même que la prime majoritaire suffirait à garantir leur stabilité politique. Le rapporteur a annoncé que cette disposition était le résultat de négociations internes à la majorité et devrait permettre l’adoption du projet de loi dans son ensemble. Louant la franchise du rapporteur, M. Pascal Clément a remarqué que ce seuil était contraire aux traditions du droit électoral, qu’il nuirait à l’équilibre politique des conseils régionaux et qu’il conduirait à paralyser les assemblées régionales élues selon ce nouveau mode de scrutin. Suivant son rapporteur, la Commission a adopté ces amendements.

Puis elle a adopté l’article ainsi modifié.

Article 4 (art. L. 346 du code électoral) : Obligation d’effectuer une déclaration de candidature :

La Commission a été saisie de deux amendements identiques de M. Christian Paul et de M. Jacques Brunhes tendant à abaisser de 10 à 5 % des suffrages exprimés le seuil requis pour qu’une liste puisse se représenter au deuxième tour. M. Christian Paul a déclaré que cet amendement, complétant l’abaissement du seuil requis pour qu’une liste soit admise à la répartition des sièges, visait à permettre aux formations politiques de définir avec plus de souplesse leur stratégie d’alliance pour le second tour. M. Renaud Donnedieu de Vabres, ayant exprimé son attachement à la notion de démocratie directe fondée sur l’existence d’un programme précis et d’un temps suffisant pour le mettre en œuvre, a jugé que le système des alliances induit par le scrutin à deux tours impliquait une parcellisation de la responsabilité politique et conduisait au détournement du choix de l’électeur. S’opposant à ce propos, le rapporteur a considéré que le système de scrutin à deux tours permettait aux alliances de se conclure dans la clarté et sous le regard des électeurs. Suivant son rapporteur, la Commission a adopté ces amendements. Puis elle a été saisie d’un amendement de M. Pascal Clément tendant à porter de 3 à 5 % des suffrages exprimés, le seuil requis pour qu’une liste puisse fusionner avec une autre liste au deuxième tour, son auteur ayant indiqué que cette disposition devrait empêcher la multiplication des listes fantaisistes et l’élection de candidats atypiques. La Commission a rejeté cet amendement.

Elle a adopté l’article 4 ainsi modifié.

Articles 5 (art. L. 347 du code électoral) : Modalité de la déclaration de candidature et (art. L. 350 du code électoral) : Dépôt de la déclaration de candidature :

La Commission a adopté ces articles sans modification.

Après l’article 6 :

La Commission a été saisie d’un amendement de M. Michel Hunault tendant à instituer une inéligibilité pour les personnes ne pouvant présenter un casier judiciaire vierge. Soulignant que cet amendement visait à éviter que des personnes condamnées ne briguent des mandats électifs, M. Michel Hunault a souhaité un assainissement du monde politique. Le rapporteur a observé qu’il n’était pas logique de faire porter une nouvelle condition d’inéligibilité sur les seuls conseillers régionaux. Considérant que cet amendement était trop extensif puisque les contraventions de cinquième catégorie figurent au casier judiciaire, il a jugé qu’il serait en outre préférable de l’examiner dans le cadre des projets de loi relatifs au cumul des mandats. Prenant acte des remarques du rapporteur, M. Michel Hunault a retiré son amendement.

Articles 7 (art. L. 351 du code électoral) : Contentieux de refus d’enregistrement d’une déclaration de candidature, 8 (art. L. 352 du code électoral) : Retrait de candidat ou de liste, (art. L. 353 du code électoral) : Campagne électorale, 10 (art. L. 359 du code électoral) : Recensement des votes, 11 (art. L. 360 du code électoral) : Remplacement des conseillers régionaux, 12 (art. L.361 du code électoral) : Contentieux des élections au conseil régional, 13 (art. L.363 du code électoral) : Annulation des opérations électorales et 14 : Abrogation :

La Commission a adopté ces articles sans modification.

Article 15 (art. L.364 du code électoral) : Durée du mandat des conseillers à l’Assemblée de Corse :

La Commission a rejeté un amendement de suppression de M. Pascal Clément, puis a adopté cet article sans modification.

Articles 16 (art. L. 366 du code électoral) : Mode de scrutin pour l’élection de l’Assemblée de Corse, 16 bis : Parité des listes pour l’élection de l’Assemblée de Corse, 17 : Abrogation et 18 (art. L. 380 du code électoral) : Remplacement des conseillers à l’Assemblée de Corse :

La Commission a adopté ces articles sans modification.

TITRE II

DISPOSITIONS RELATIVES À LA COMPOSITION DU COLLÈGE ÉLECTORAL ÉLISANT LES SÉNATEURS

Articles 19 (art. L.280 du code électoral) : Détermination du collège électoral des sénateurs et 20 (art. L. 293-1 à L.293-3 [nouveaux] du code électoral) : Désignation des délégués des conseils régionaux et des délégués de l’Assemblée de Corse :

La Commission a adopté ces articles sans modification.

TITRE III

DISPOSITIONS RELATIVES AU FONCTIONNEMENT DES CONSEILS RÉGIONAUX

Article 21 (art. 4311-1 du code général des collectivités territoriales) : Modalités de vote du budget de la région :

La Commission a rejeté un amendement de M. Pascal Clément tendant à la suppression de cet article. Elle a ensuite adopté quatre amendements du rapporteur visant à préciser les conditions de mise en œuvre de la procédure dite du « vote bloqué ». Puis, elle a adopté cet article ainsi modifié.

Article 22 (art. L. 4311-11-1 du code général des collectivités territoriales) : Procédure particulière d’adoption des budgets régionaux :

La Commission a été saisie d’un amendement présenté par le rapporteur tendant à conditionner le recours à la procédure d’adoption sans vote du projet de budget au rejet de ce projet par l’assemblée régionale. Le rapporteur a indiqué qu’il entendait ainsi éviter que le président du conseil régional n’utilise la procédure du « 49-3 régional » sans avoir au préalable déposé de projet de budget, ou sans l’avoir soumis dans les délais impartis à un vote d’ensemble. La Commission a adopté cet amendement ainsi que deux amendements de précision rédactionnelle du même auteur. Elle a également adopté un amendement du rapporteur visant à assortir la motion de renvoi d’une déclaration de politique générale écrite présentée par le candidat aux fonctions de président. Elle a ensuite été saisie d’un amendement du rapporteur précisant que l’adoption de la motion de renvoi doit avoir lieu au scrutin secret. M. Pascal Clément a regretté que l’adoption de cette motion ne donne pas lieu à débat, empêchant ainsi toute discussion sur les nouvelles orientations budgétaires défendues par les opposants de l’exécutif régional. En réponse à cette intervention, le rapporteur a rejeté l’argument des carences démocratiques de la nouvelle procédure, en soulignant qu’elle entendait limiter les cas de règlement d’office du budget régional par le préfet. Faisant observer que l’adoption de la motion de renvoi avait pour conséquence la désignation d’un nouveau président de région, il a par ailleurs rappelé l’usage constant au Parlement comme dans les assemblées locales d’écarter tout débat au moment de l’élection du président. La Commission a ensuite adopté trois amendements de coordination du rapporteur. Puis elle a adopté cet article ainsi modifié

Article 22 bis : Publicité des réunions de la commission permanente :

S’interrogeant sur l’absence d’obligation de publicité des réunions de la commission permanente pour les conseils généraux, M. Pascal Clément a soutenu un amendement de suppression de cet article. M. Robert Pandraud a indiqué qu’une jurisprudence du tribunal administratif d’Orléans, infirmée par un arrêt du Conseil d’Etat, avait conclu à l’obligation de publicité pour les réunions de la commission permanente du conseil régional. Considérant que cette règle de publicité était un facteur de démocratie, il a souhaité que cette disposition précédemment rejetée par l’Assemblée nationale soit adoptée. Ayant rappelé qu’une majorité de circonstance avait écarté ce dispositif lors de l’examen du précédent projet de loi sur le fonctionnement des conseils régionaux, le rapporteur a considéré qu’il constituait un gage de transparence pour l’institution régionale et souligné qu’il faudrait l’étendre aux conseils généraux dès que possible. Suivant son rapporteur, la Commission a rejeté l’amendement de M. Pascal Clément et adopté cet article sans modification.

Article 22 ter : Composition du bureau :

La Commission a rejeté un amendement de M. Pascal Clément tendant à la suppression de cet article, puis elle a adopté un amendement du rapporteur rendant obligatoire la constitution d’un bureau dans les assemblées régionales. Le rapporteur a expliqué que la rédaction retenue en première lecture par l’Assemblée nationale réservait la qualité de membre du bureau aux seuls détenteurs d’une délégation du président du conseil régional. Il a considéré qu’il était préférable, compte tenu du caractère discrétionnaire de la délégation, de conférer à tous les vice-présidents, qu’ils soient ou non détenteurs d’une délégation, la qualité de membre du bureau. Suivant son rapporteur, la Commission a adopté l’article ainsi rédigé.

Article 22 quater : Délégation des fonctions du président du conseil régional :

La Commission a été saisie de deux amendements identiques du rapporteur et de M. Pascal Clément tendant à la suppression de cet article. Le rapporteur a considéré que le président du conseil régional étant maître du contenu et de la durée de la délégation de fonctions, l’obligation qui lui avait été faite de procéder à ces délégations n’avait pas de portée contraignante véritable. La Commission a adopté ces amendements.

TITRE IV

DISPOSITIONS FINALES

Article 23 (tableau n° 7 annexé au code électoral) : Coordination :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 24 : Entrée en vigueur de la loi :

La Commission a été saisie d’un amendement du rapporteur précisant les conditions d’entrée en vigueur de la loi ainsi que la durée d’application des dispositions relatives au fonctionnement des conseils régionaux. M. Robert Pandraud a indiqué qu’il souhaitait la dissolution des conseils régionaux dès l’entrée en vigueur du nouveau régime électoral et qu’il défendait l’idée de la diminution de moitié du nombre des conseillers régionaux. Suivant son rapporteur, la Commission a adopté cet amendement et a, en conséquence, adopté l’article ainsi rédigé.

La Commission a ensuite adopté l’ensemble du projet de loi ainsi modifié.

——fpfp——


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