Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de
l’ADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 12

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 12 novembre 1998
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente

SOMMAIRE

 

pages

– Proposition de loi de M. Laurent Fabius instituant un Médiateur des enfants (n° 1144) et proposition de loi organique de M. Laurent Fabius relative à l’inéligibilité du Médiateur des enfants (rapport)


2

– Proposition de loi organique de M. Nicolas Sarkozy modifiant l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique aux lois de finances (n° 1151) (rapport)

4

La Commission a examiné, sur le rapport de Mme Claudine Ledoux, la proposition de loi de M. Laurent Fabius instituant un Médiateur des enfants (n° 1144) et la proposition de loi organique de M. Laurent Fabius relative à l’inéligibilité du Médiateur des enfants (n° 1145).

Après avoir rappelé que la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les droits de l’enfant, dont le président était M. Laurent Fabius et le rapporteur M. Jean-Paul Bret, avait proposé l’institution d’un Médiateur des enfants, destiné à permettre aux enfants de mieux défendre leurs droits, Mme Claudine Ledoux, rapporteuse, a souligné que les deux propositions de loi soumises à la Commission avaient pour objet de mettre en place cette nouvelle structure. Elle a indiqué, par ailleurs, que cette démarche était inspirée par les dispositions de la Convention de New-York du 20 décembre 1989 relative aux droits de l’enfant qui, non seulement accordait à celui-ci une protection spécifique, mais en faisait véritablement un sujet de droit. Faisant valoir les similitudes de statut entre le Médiateur des enfants et le Médiateur de la République, notamment au regard des règles d’inéligibilité, Mme Claudine Ledoux a précisé que le Médiateur des enfants pourrait être saisi directement par les enfants ou leurs représentants légaux, tant de dysfonctionnements dans leurs rapports avec des autorités administratives que de méconnaissances de droits de l’enfant, consacrés par la loi ou par un engagement international ayant un effet direct en droit interne. Elle a, par ailleurs, fait observer que le dispositif proposé sur les pouvoirs de recommandation et de proposition du Médiateur des enfants, ne se limitait pas à transposer à celui-ci les compétences du Médiateur de la République, mais anticipait sur l’adoption du projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, la proposition de loi précisant notamment que la nouvelle institution pourrait s’appuyer sur un réseau de délégués départementaux.

Intervenant en application de l’article 38 du Règlement, M. Jean-Paul Bret, co-signataire de la proposition de loi, s’est félicité qu’une des principales propositions de la commission d’enquête sur les droits de l’enfant trouve une concrétisation législative aussi rapide. Il a estimé que la création du Médiateur des enfants permettrait de renforcer le respect des textes en vigueur et en particulier de la Convention de New York.

La Commission a ensuite examiné les articles de la proposition de loi n° 1144.

Article premier : Compétences du Médiateur des enfants :

La Commission a adopté un amendement de la rapporteuse, simplifiant la définition du champ des autorités administratives pouvant être mises en cause par l’enfant mineur ou son représentant légal et prévoyant que le Médiateur des enfants pourrait être saisi, tant d’une méconnaissance par une autorité administrative des droits de l’enfant, consacrés par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé, ayant un effet direct en droit interne, que d’un dysfonctionnement d’une administration avec laquelle l’enfant aurait été en rapport. Puis la Commission a adopté l’article premier ainsi modifié.

La Commission a adopté l’article 2 : Durée du mandat du Médiateur des enfants sans modification.

Article 3 : Pouvoirs de recommandation et de proposition du Médiateur des enfants :

La Commission a adopté un amendement de M. François Colcombet conférant au Médiateur des enfants le droit de porter à la connaissance de l’autorité judiciaire les affaires susceptibles de donner lieu à une mesure d’assistance éducative ou toute information que celui-ci aurait recueillie à l’occasion de sa saisine par un mineur impliqué dans une procédure en cours, la rapporteuse soulignant que les affaires visées par cet amendement touchaient au fonctionnement du service public de la justice. Puis la Commission a adopté l’article 3 ainsi modifié.

Article 4 : Actions d’information du Médiateur des enfants :

La Commission a adopté un amendement de la rapporteuse confiant au Médiateur des enfants un rôle de promotion des droits de l’enfant. Puis elle a adopté l’article 4 ainsi modifié.

Article additionnel après l’article 4 : Relations entre le Médiateur des enfants et le Médiateur de la République :

La Commission a adopté deux amendements de la rapporteuse : l’un, qui impose au Médiateur des enfants, d’une part, de transmettre au Médiateur de la République les réclamations relevant de sa compétence et, d’autre part, d’informer ce dernier tous les trimestres des dysfonctionnements des autorités administratives visées à l’article premier ; l’autre, qui fait obligation au Médiateur de la République de transmettre au Médiateur des enfants les réclamations entrant dans son champ de compétences.

Article 5 : Délégués départementaux :

La Commission a adopté un amendement de la rapporteuse renvoyant à un décret simple le soin de définir le statut de ces délégués. Puis elle a adopté, l’article 5 ainsi modifié.

Article additionnel après l’article 5 : Saisine directe du Médiateur des enfants :

La Commission a adopté un amendement de la rapporteuse précisant que le Médiateur des enfants serait saisi directement par le mineur ou par son représentant légal, sans démarche préalable auprès des autorités administratives concernées, cette saisine n’interrompant pas, pour autant, les délais de recours devant les juridictions compétentes.

Les articles 6 (art. L. 194-1 du code électoral) : Règles d’inéligibilité avec le mandat de conseiller général ; 7 (art. L. 230-1 du code électoral) : Règles d’inéligibilité avec le mandat de conseiller municipal et 8 (art. L. 340 du code électoral) : Règles d’inéligibilité avec le mandat de conseiller régional ont été adoptés sans modification.

Article 9 : Transposition de dispositions de la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur de la République :

La Commission a adopté un amendement de coordination de la rapporteuse, puis l’article 9 ainsi modifié.

Article additionnel après l’article 9 : Evaluation de la loi :

La Commission a adopté un amendement de la rapporteuse confiant à l’Office parlementaire d’évaluation de la législation le soin d’évaluer les effets de la présente loi, trois ans après sa promulgation.

La Commission a adopté la proposition de loi n° 1144 dans le texte proposé par la rapporteuse ainsi que la proposition de loi organique n° 1145 relative à l’inéligibilité du Médiateur des enfants sans modification.

*

* *

La Commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Jean-Luc Warsmann, la proposition de loi organique de M. Nicolas Sarkozy modifiant l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances (n° 1151).

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur, a indiqué que le thème de la non-rétroactivité des lois, notamment en matière fiscale, avait donné lieu à de nombreux débats juridiques. Il a rappelé que l’article 2 du code civil, aux termes duquel la loi ne dispose que pour l’avenir, n’avait qu’une valeur législative, même si les différentes juridictions veillent à son application scrupuleuse, la Cour de cassation s’étant ainsi considérée autorisée à apprécier le caractère véritablement interprétatif d’une disposition législative, tandis que le Conseil d’Etat a reconnu que la non rétroactivité avait valeur de principe général du droit. Il a souligné que même le juge constitutionnel, tout en admettant que, sauf en matière répressive, la loi peut comporter des dispositions rétroactives, avait tenu à leur assigner des limites, précisant qu’elles ne peuvent comporter des sanctions à caractère fiscal, doivent respecter l’autorité des décisions de justice passées en force de chose jugée, ne doivent pas priver de garantie légale les exigences constitutionnelles comme le droit de propriété, et, s’agissant des mesures de validation, doivent être justifiées par un motif d’intérêt général. Il a indiqué à la Commission que ces jurisprudences rejoignaient sur de nombreux points celle de la Cour européenne des droits de l’homme, soulignant que les diverses atteintes portées par le législateur au principe de non-rétroactivité provoquaient l’exaspération de nombreux commentateurs et des membres des juridictions, l’un d’entre eux s’étant par exemple exprimé en ces termes : « Qu’est-ce qui est facile, ne coûte pas cher, et peut rapporter gros aux finances publiques ? Une loi fiscale rétroactive. » Le rapporteur a ensuite expliqué que trois types de rétroactivité pouvaient être distingués. Il a d’abord évoqué les lois interprétatives, visant à répondre à des jurisprudences qui seraient contraires à l’intention du législateur, et qui paraissent généralement justifiées, en dépit de quelques excès. Puis il a mentionné la technique de fixation du barème de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu, qui se fonde traditionnellement sur un fait générateur fixé au 31 décembre, de sorte que les contribuables sont tenus dans l’ignorance du statut fiscal qui s’appliquera à leurs décisions, observant que la remise en cause de cette pratique relèverait d’un autre débat. Il a considéré que la remise en cause des dispositions fiscales avantageuses était l’aspect le plus choquant, puisque l’Etat, après avoir incité les agents économiques à un comportement donné, modifiait les règles du jeu fiscal qui justifiaient ce comportement.

Le rapporteur a ensuite indiqué qu’à la différence d’une proposition de loi constitutionnelle de 1991, qui posait un principe général de non-rétroactivité, la présente proposition de loi organique ne visait qu’à légiférer sur un point précis, inséré dans l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, en mettant en place une nouvelle dérogation, facultative, au principe de l’annualité budgétaire. Il a précisé que le législateur aurait la possibilité d’accorder à des avantages fiscaux un caractère pluriannuel, pour une durée expressément fixée, au cours de laquelle ils seraient préservés de toute modification. Il a considéré que cet outil supplémentaire mis à la disposition du Gouvernement et du Parlement permettrait de conférer plus d’efficacité à l’action publique et plus de crédibilité à la parole de l’Etat. Il a d’ailleurs estimé que certaines mesures fiscales rétroactives étaient moralement si choquantes que l’Etat était soumis à une très forte pression lorsqu’il les proposait au Parlement, comme l’avait montré l’exemple de la remise en cause de certains avantages de l’assurance-vie, envisagée dans le cadre du projet de loi de finances pour 1999. Il a fait valoir que le régime proposé permettrait de conforter des dispositifs comme les avantages fiscaux en faveur des travaux dans l’habitation principale, qui contribuent à l’amélioration du parc et au soutien de l’activité de l’artisanat. Afin de répondre, par avance, à d’éventuelles objections tenant à la crainte que ce régime ne fasse l’objet d’une utilisation abusive par une majorité irresponsable, il a d’abord insisté sur le coût très limité des mesures fiscales concernées et il a annoncé son intention de préciser la rédaction du texte, afin de limiter dans le temps la durée maximale du dispositif.

M. Christophe Caresche s’est étonné que les principaux responsables de l’opposition, et en particulier un ancien ministre du budget, puissent défendre cette proposition de loi, alors même qu’ils s’étaient accommodés, lorsqu’ils étaient au pouvoir, du principe d’annualité budgétaire. Il a considéré que cette démarche était à la fois opportuniste, sans fondement constitutionnel et dangereuse pour le principe d’alternance. S’agissant du caractère opportuniste de la proposition de loi, il a rappelé qu’elle avait été déposée en réaction aux dispositions du projet de loi de finances pour 1999 relatives au régime fiscal de l’assurance-vie, supprimant l’exonération des droits de succession dont bénéficient les patrimoines d’une valeur supérieure à 1 million de francs. Evoquant la décision, prise par l’Assemblée nationale en première lecture, excluant du champ d’application de cette disposition les contrats antérieurs au 13 octobre 1998, il a jugé que l’objectif principal de la proposition de loi était de capitaliser le mécontentement, aujourd’hui sans objet, apparu lors de la discussion de la loi de finances. S’agissant du fondement constitutionnel du texte, il a estimé qu’aucun principe ne justifiait l’inscription dans le bloc de constitutionnalité de la non-rétroactivité fiscale. Sur ce point, il a déclaré que ceux qui ne bénéficiaient pas d’un avantage fiscal pouvaient à bon droit en réclamer la suppression. Il a par ailleurs considéré que l’objet du bloc de constitutionnalité n’était pas de préserver les avantages fiscaux accordés à certaines catégories sociales par une majorité politique donnée. Il a ainsi remarqué que ce dispositif empêcherait toute majorité nouvelle de mettre en œuvre les orientations pour lesquelles elle a été élue. Pour cette raison, il a estimé que l’opposition cherchait à régler par les principes constitutionnels un problème relevant de la seule responsabilité politique de la majorité en place. Enfin, s’agissant de la remise en cause du principe d’alternance, il a fait observer que l’adoption de la proposition de loi permettrait à une majorité sortante d’imposer à une majorité nouvellement élue la continuité de certains avantages fiscaux. S’interrogeant sur la légitimité d’un tel dispositif, il a indiqué qu’il contribuerait à réduire encore davantage les capacités de décision de la représentation nationale, déjà fortement diminuées du fait de l’internationalisation des marchés. Faisant remarquer que la majorité actuelle rendait un service à l’opposition qui, lorsqu’elle reviendrait aux affaires, ne serait pas ainsi limitée dans son action, il a déclaré que le groupe socialiste s’opposerait à cette proposition de loi en séance publique, précisant qu’il ne prendrait pas part au vote en commission, afin que le débat puisse avoir lieu en séance.

M. Olivier de Chazeaux a rejeté l’idée suivant laquelle la proposition de loi relevait d’une démarche opportuniste, en indiquant qu’il était courageux pour un ancien ministre du budget de limiter la rétroactivité en matière fiscale. Il a considéré que cette proposition entendait défendre la visibilité et la prévisibilité de l’action gouvernementale pour l’ensemble des agents économiques. A cet égard il a souligné l’importance que les contribuables attachent à la parole de l’Etat, alors même que celle-ci est souvent remise en cause. Citant les exemples de l’assurance-vie et de l’allocation de garde d’enfants à domicile (A.G.E.D.), il a déclaré qu’il était indispensable que les citoyens connaissent à l’avance le programme des majorités qu’ils choisissent.

M. Robert Pandraud a estimé que la proposition de loi soumise à la commission était sérieuse et qu’elle méritait un débat de fond. Constatant que M. Nicolas Sarkozy, ancien ministre du budget, faisait à travers ce texte son autocritique, il a apporté son soutien à cette démarche dont l’objectif est de promouvoir la stabilité des investissements des entreprises et la prévisibilité des budgets des ménages. Soulignant la faible marge de manœuvre du ministre des finances, en raison du poids des milieux économiques, des politiques mises en œuvre par les directeurs des banques centrales et de la puissance de la direction générale des impôts, il a jugé que ce texte, utilement amendé par le rapporteur, contribuerait à lutter contre le poids de la technostructure.

Mme Catherine Tasca, présidente, a souligné que, même s’il s’agissait d’un objectif respectable, la sécurité souhaitée par les contribuables n’était qu’un des paramètres de la politique fiscale, qui devait également prendre en compte des évolutions économiques de plus en plus rapides, ayant souvent leur source dans la conjoncture internationale. Elle a estimé qu’il était de l’intérêt général que le Gouvernement et le Parlement puissent rester maîtres de leurs décisions face à un certain nombre de nécessités, qui ne peuvent pas être considérées comme secondaires par rapport à la stabilité fiscale.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a souligné que seuls des arguments d’opportunité avaient été mis en avant pour contester l’intérêt de la proposition, tels son coût ou le fait qu’elle risque de lier une nouvelle majorité en cas d’alternance. Il a considéré que son coût financier serait en fait extrêmement limité, alors que le coût politique de l’instabilité fiscale était désastreux, les Français étant profondément choqués par le comportement désinvolte de la puissance publique. Il a estimé que la réforme proposée inciterait le Gouvernement à avoir une vision politique à moyen terme lorsqu’il met en place un avantage fiscal ajoutant qu’elle marquerait une progression de l’Etat de droit par la limitation de la rétroactivité des décisions de l’autorité publique.

La Commission est ensuite passée à l’examen du texte proposé par le rapporteur.

Le rapporteur a indiqué qu’il proposait une nouvelle rédaction de l’article unique de la proposition dans un souci de clarification. Il a ainsi précisé que seule une loi de finances pourrait conférer un caractère pluriannuel à des avantages fiscaux, sans qu’une loi ultérieure puisse les modifier avant l’échéance prévue, la durée de ce dispositif protecteur ne pouvant excéder cinq ans. Il a souligné que cette durée maximale, qui le cas échéant pourrait être renouvelée pour une nouvelle tranche de cinq années, donnerait une sécurité fiscale minimum aux contribuables et le temps nécessaire pour évaluer la pertinence du dispositif fiscal mis en place.

M. Christophe Caresche ayant rappelé que les membres du groupe socialiste ne prenaient pas part au vote, la Commission a adopté la proposition de loi dans le texte proposé par le rapporteur.

——fpfp——


© Assemblée nationale