ASSEMBLÉE NATIONALE
COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de
lADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE
COMPTE RENDU N° 14
(Application de l'article 46 du Règlement)
Mercredi 18 novembre 1998
(Séance de 9 heures)
Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente
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Projet de loi constitutionnelle relatif à légalité entre les femmes et les hommes (n° 985) (auditions)
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La Commission a procédé à laudition de M. Guy CARCASSONNE, professeur à luniversité Paris X-Nanterre, M. Louis FAVOREU, professeur à luniversité dAix-Marseille, directeur de la Revue française de droit constitutionnel, Mme Geneviève FRAISSE, déléguée interministérielle aux droits des femmes, Mme Gisèle HALIMI, présidente de la commission vie politique de lObservatoire de la parité, Mme Danièle LOCHAK, professeur à luniversité Paris X-Nanterre et Mme Monique PELLETIER, avocate, ancien ministre chargé de la condition féminine, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à légalité entre les femmes et les hommes (n° 985) (Mme Catherine Tasca, rapporteur).
Mme la Présidente : Comme vous le savez, le Gouvernement a déposé, au mois de juin dernier, un projet de loi constitutionnelle relatif à légalité entre les femmes et les hommes. Celui-ci comporte un article unique qui ajoute à larticle 3 de notre Constitution un alinéa ainsi rédigé : la loi favorise légal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions.
Comme lexposé des motifs, assez bref dailleurs, de ce texte le souligne, il sagit de faire progresser la parité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines. Toutefois, pour atteindre cet objectif dans la vie politique, il a été jugé nécessaire de réviser la Constitution, la jurisprudence bien connue du Conseil constitutionnel de 1982 interdisant dintroduire en la matière des mesures législatives tendant à la parité.
Pour éclairer ses travaux, la commission des Lois a souhaité organiser une table ronde qui réunit certaines des personnalités les plus éminentes qui ont uvré dans ce sens. Je vais les présenter rapidement, même si je doute quelles ne soient connues et reconnues par les parlementaires présents : Mme Monique Pelletier, avocate, ancien ministre qui fut chargée de la condition féminine ; Mme Geneviève Fraisse qui était jusquà présent déléguée interministérielle aux droits des femmes mais jai appris hier en fin de journée que le Gouvernement confiait désormais cette mission à un membre du Gouvernement, Mme Nicole Péry, sous lautorité de Mme Aubry, et je pense, pour ma part, que cest là un des nombreux résultats du travail engagé par Mme Geneviève Fraisse en sa qualité de déléguée interministérielle et qui nous parlera non seulement de la mission quelle a assumée pendant un an, mais aussi, et joserai dire surtout, en qualité de philosophe et historienne dont les ouvrages font autorité sur ce sujet ; Mme Gisèle Halimi, présidente de la commission Vie politique de lObservatoire de la parité, une des institutions de notre vie publique en matière de droits des femmes ; Mme Danièle Lochak, professeur à lUniversité Paris XNanterre, dont les travaux ont beaucoup contribué à éclairer le débat, notamment à loccasion de la jurisprudence de 1982 du Conseil constitutionnel ; M. Louis Favoreu, professeur à lUniversité dAix-Marseille, directeur de la Revue française de droit constitutionnel, et M. Guy Carcassonne, professeur à lUniversité Paris XNanterre.
Je nignore pas que beaucoup dautres personnalités auraient souhaité être présentes et auraient eu qualité pour lêtre. A ce propos, jinforme la Commission quen tant que rapporteur, je procéderai prochainement à des auditions, évidemment ouvertes aux membres de la Commission, au cours desquelles je recevrai notamment un collectif dassociations militantes de la cause des femmes.
A titre liminaire, je voudrais savoir comment nos invités appréhendent cette initiative de révision constitutionnelle au sein de lensemble du débat sur la parité : pensent-ils, comme la fait le Gouvernement, quune révision constitutionnelle était indispensable et comment la situent-ils par rapport à la jurisprudence de 1982 ? Jaimerais également que nous réfléchissions à la question de savoir comment, dans les faits, traduire légal accès des femmes non seulement aux fonctions politiques mandats et fonctions mais aussi aux autres activités professionnelles et sociales.
Mme Geneviève Fraisse : Permettez-moi de dire, puisque le changement subit de ma situation men fournit loccasion, quil me paraît possible de tenir les mêmes propos sur la réforme constitutionnelle comme déléguée interministérielle et comme directrice de recherches au C.N.R.S. : il vous est donc loisible de mécouter dans lune ou lautre qualité, puisque cela reviendra à peu près au même en ce qui concerne le dossier que nous avons à traiter ce matin !
Le débat sur la parité, lancé depuis le début des années 1990 par un certain nombre de femmes politiques et de parlementaires, a toujours eu pour moi une seule signification qui me fournira mon entrée en matière : javais, pour résumer mon opinion, écrit, en inversant une célèbre formule kantienne, que la parité était vraie en pratique et fausse en théorie .
Elle est vraie en pratique puisque le débat sur la parité déclenche une formidable prise de conscience, attendue par des gens comme moi. Je rappelle que je travaille depuis une bonne vingtaine dannées sur ce sujet, à un moment où la question de légalité des sexes dormait un peu. Cette expérience me permet de dire que la parité mest apparue défendable, non pas comme un nouveau principe à inscrire dans la Constitution ou comme un principe politique général dans lhistoire de la démocratie, mais comme ce que jappellerai un habit de légalité ou un instrument pour faire de légalité.
Il ny a pas dautres principes que celui de légalité des sexes, légalité étant un moyen, un instrument, un déclencheur, pas seulement dailleurs mais jy reviendrai pour assurer la présence des femmes dans les lieux de pouvoir, et notamment dans le domaine politique, mais aussi pour traiter lensemble de la question des rapports hommes-femmes dans la société, cest-à-dire dans lespace professionnel et social.
A cet égard, souvenez-vous que la proposition initiale du Gouvernement, avant que le Conseil dEtat ne lexamine, mentionnait un égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques économiques et sociales . Le terme responsabilités a été critiqué, ainsi à juste titre quà mes yeux lénumération politiques économiques et sociales avec ses trois composantes mises sur le même plan. Ces réserves ont conduit le Gouvernement à dissocier le professionnel et le social du politique et à proposer dinscrire, à larticle 3 relatif à la souveraineté, la question de la parité ou plus exactement de légal accès, puisque le mot parité ne figure pas dans le texte du projet de loi.
Ces observations préliminaires me paraissent bien cadrer les deux commentaires que je souhaiterais faire, une fois posée ce qui est ma propre perception du combat pour la parité depuis le début des années 1990.
Premièrement, le préambule de la Constitution comporte bien laffirmation de légalité entre les hommes et les femmes. Par ailleurs, nous avons et quand je dis nous je fais référence à lespèce humaine multiplié, à partir de 1945, les textes où est évoquée légalité entre les hommes et les femmes ; il sagit, en 1945, de la charte des Nations unies ; en 1948, de la Déclaration universelle des droits de lhomme dont nous célébrons le cinquantenaire aujourdhui et, en 1950, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme.
Vous me permettrez de rappeler ces trois textes même si seule la Déclaration universelle des droits de lhomme de 1948 comme le préambule de la Constitution de 1946 fait état de légalité entre les hommes et les femmes. En revanche, la déclaration de lO.N.U. et la déclaration européenne mentionnent ce qui figure également dans larticle premier de la Constitution actuelle, à savoir ce que jappelle le sans distinction de , cest-à-dire le principe de labsence de distinction de race, de sexe, de religion, de langue, dorigine etc. Vous trouverez dans les textes publiés depuis cinquante ans, de nombreuses versions de lénumération de tout ce qui ferait des catégories de luniversel. La différence de sexe y est parfois évoquée mais pas toujours, comme le montre notre constitution nationale.
En fait, la modification de larticle 3 proposée dans le projet de loi suscite un commentaire par rapport au préambule de la Constitution et par rapport à son article premier.
Le préambule affirme légalité, dans le domaine professionnel et social, ainsi que la précisé le rapport du Conseil dEtat sous la plume de Nicole Questiaux. Nous devons donc isoler la question économique et sociale qui peut être régie par le préambule du politique.
Dans ces conditions, pourquoi faut-il que la Constitution comporte une mention expresse ? Il sagit, en fait, dune inscription dans le symbolique dont il restera à mesurer les effets dans le réel. Je ne suis donc pas choquée quil y ait à la fois laffirmation du principe de légalité des hommes et des femmes dans le préambule et le rappel quil faut favoriser je pense que lon reviendra dans le cours de la discussion sur les termes favoriser ou garantir leur égal accès aux mandats et fonctions politiques dans le corps même de la Constitution.
Cest ce que les textes européens et onusiens, sefforcent de démontrer depuis cinq décennies. Je nai pas le temps de vous le prouver puisque les minutes me sont comptées, mais je pourrais le faire en soulignant comment chaque convention est là pour dire : Oui, linscription symbolique existe mais maintenant il faut avancer ; oui, légalité de traitement est affirmée dans le traité de Rome mais cela ne suffit pas et il faut désormais inverser la charge de la preuve comme le fait la directive du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans le cas de discrimination fondée sur le sexe . Il y a donc une logique à vouloir inscrire dans le symbolique, non pas pour les répéter mais pour les repérer, les obstacles à la réalisation du principe dégalité entre les sexes et le fait quil faut les lever ; cest lobjet de la nouvelle rédaction de larticle 3 qui consiste, dabord et avant tout, à reconnaître quon ne peut pas aller assez loin avec le préambule, en raison des obstacles qui existent et qui doivent être surmontés.
Avant de savoir comment, concrètement, nous pourrons mettre en uvre cette exigence dégal accès aux mandats et fonctions, permettez-moi dévoquer maintenant une éventuelle modification de larticle premier de la Constitution.
Si nous avions ajouté sans distinction de sexe nous serions retombés dans lénumération du catégoriel. En revanche, ce qui est proposé avec ladjonction à larticle 3, cest une redéfinition de la souveraineté, qui a un double intérêt.
Tout dabord, il y a là une déliaison extrêmement rare dans lhistoire de la pensée occidentale. Permettez-moi de rappeler que, depuis la pensée de lAntiquité, depuis Aristote, les femmes ne sont, comme je lai écrit dans lun de mes articles, jamais pensées seules , mais avec les serviteurs, les enfants, les fous, les Juifs , les artistes, les colonisés ou les handicapés, comme dans le quatrième pilier du plan national daction pour lemploi. Par ailleurs, elles sont encore et toujours pensées, depuis vingt-cinq siècles, soit dans le langage de loppression, soit dans celui de lémancipation.
La déliaison ainsi opérée permet de dire que le rapport hommes-femmes dans la société doit être inscrit dans la Constitution. Pour la philosophe que je suis, cette inscription symbolique ne se limite pas à un gadget : tout le monde sait en effet que le symbolique peut avoir des effets dans le réel !
Linscription du principe à larticle 3 qui traite des conditions dexercice de la souveraineté plutôt quà larticle premier nous rappelle que nous sommes en train, aussi, de repenser la souveraineté nationale. Quest-ce que la souveraineté dans une démocratie ? Quest-ce que la souveraineté dans une République ? En fait, tout au long de lhistoire, la souveraineté doit sincarner. Or, dans notre République, quelle que soit la formule utilisée, les deux sexes sont évoqués. Pour ceux qui le craindraient, je précise cependant quil nest pas question de fonder la souveraineté sur le biologique.
La proposition qui est faite aujourdhui par le Gouvernement ne comporte dailleurs pas linscription de la parité en tant que telle je sais que certaines de mes amies féministes vont être extrêmement fâchées que je parle en ces termes et cest précisément pourquoi elle est particulièrement intéressante. Il me semble que nous avons à redéfinir la souveraineté sachant que le biologique ne peut être utilisé pour refonder le politique mais que la souveraineté doit nécessairement être incarnée dans un peuple souverain ! Il existait bien jadis deux corps du roi et, aujourdhui, sils ont disparu, il reste, en revanche, des hommes et des femmes qui doivent exercer leur pouvoir de souveraineté.
Mme Danièle Lochak : Je suis heureuse davoir entendu Mme Geneviève Fraisse car cela va me permettre dalimenter mon intervention.
En ce qui concerne loption dune réforme constitutionnelle, je pense personnellement quelle est judicieuse. Les suggestions et les propositions qui avaient pour objet déviter la réforme constitutionnelle en se fondant sur la convention pour lélimination de toutes les discriminations ne me semblaient pas satisfaisantes, car je considère quà partir du moment où lon peut faire quelque chose, quon le veut politiquement et quil existe un consensus, il faut choisir la voie de la révision constitutionnelle, qui est aussi la seule permettant de contourner les obstacles dressés par le Conseil constitutionnel. Même lorganisation dun référendum ne me paraissait pas une proposition judicieuse : il est préférable daffronter carrément lobstacle, comme jaurais également souhaité quon le fasse pour le droit de vote des étrangers, autre problème qui est hors sujet aujourdhui ...
Pourtant, et même après avoir entendu Geneviève Fraisse, je me pose quand même quelques questions, notamment sur la portée de la rédaction de cet article au regard de larticle du préambule, qui dispose la loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de lhomme . Il est vrai quon ajoute quelque chose, dabord parce que lon intervient sur un article concernant spécifiquement la souveraineté, mais ensuite et surtout parce que larticle du préambule proclame simplement légalité juridique. De fait, en matière politique, il est incontestable que les femmes ont juridiquement des droits égaux à ceux des hommes. Avec le projet de loi, on va donc un tout petit peu plus loin, puisquil est question de favoriser légal accès , cest-à-dire que lon vise un objectif et que lon tend vers légalité de fait.
Cela étant, et ce sera mon dernier mot, je reste tout de même un peu sceptique sur la portée de cet article. Il présente lavantage, parce quil est finalement symbolique il nest à mon sens que symbolique de pouvoir rallier les suffrages de tous ceux et de toutes celles, dont bon nombre de mes amis, qui, au nom de luniversalité, critiquent la parité. En effet, cet article mentionne simplement que la loi favorise légal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions et je ne vois vraiment pas qui pourrait sopposer à cette formule qui respecte parfaitement lobjectif duniversalité. Mais, du coup, je me demande jignore si je ne fais pas ici un peu de provocation si le jour où la loi inscrira dans les textes une disposition qui, non pas favorise mais assure légal accès des hommes et des femmes, autrement dit, le jour où une loi inscrira la parité dans les textes, cette disposition sera susceptible de faire fléchir le Conseil constitutionnel dans la mesure où, entre la formulation retenue et la parité, il y a une grande marge !
Je suis dautant plus à laise pour le dire que je ne suis, ni tout à fait pour, ni tout à fait contre la parité. A priori, la parité me gêne quelque peu mais que jestime quil faut parfois savoir ce pourquoi on se bat : si, depuis cinquante ans, lon nest pas parvenu à assurer légalité des hommes et des femmes en politique, il faut quand même effectivement sy résoudre !
Mme la Présidente : Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez en disant que vous nêtes pas tout à fait pour la parité et quelle vous gêne quelque peu ?
Mme Danièle Lochak : Je pense quil y a deux façons de justifier la parité. La première est purement pragmatique et jy adhère volontiers. La seconde, défendue par des personnes pour qui jai, par ailleurs, beaucoup destime, me gêne un petit peu : elle consiste notamment à dire que les catégories hommes-femmes ne sont pas réductibles aux autres formes de classement en catégorie puisque, finalement, les hommes et les femmes constituant les deux moitiés de lhumanité, les femmes ne sont pas une catégorie comme les autres.
Je pense que le fait de considérer que la catégorisation hommes-femmes nest justifiée que par la biologie parce que cest bien ce qui nous est proposé est dangereux. Si, en revanche, elle sexplique par la culture, laliénation étant une réalité, loppression nest alors que temporaire et nest pas liée à lessence des femmes. Dans ce cas, il ny a pas lieu de prendre des dispositions qui sinscriraient dans la durée.
Je pense que lon peut transiger avec luniversalisme abstrait lorsque cest nécessaire et si le remède nest pas pire que le mal. Jadmets que luniversalisme a pendant longtemps été un alibi, quil a fait le jeu des hommes et je serais donc prête à y déroger, mais à condition, encore une fois, que la parité inscrite dans les textes soit justifiée par une argumentation pragmatique, montrant que cest la seule façon dy parvenir en instaurant bien que je naime pas le mot une sorte de discrimination positive. Jexclus cependant toute argumentation fondée sur la nature ou sur la culture, étant entendu que je ne considère pas que lobjectif soit davoir strictement autant de femmes que dhommes au Parlement : ce quil faut, cest instaurer une réelle égalité des chances et sil ny a pas dautre moyen dy parvenir que la parité, allons-y pour la parité ...
Pour me résumer, jestime que les fondements idéologiques, symboliques et philosophiques de la parité sont fragiles, mais je ladmets si la situation ne peut pas être débloquée autrement !
Mme Gisèle Halimi : Je voudrais présenter, en les résumant, les conclusions du rapport de la commission pour la parité en politique de lObservatoire de la parité, mis en place, par le décret du 18 octobre 1995, pour trois ans et qui vient dêtre renouvelé par un nouveau décret. En outre, je souhaiterais vous livrer mon sentiment personnel, qui est postérieur à la publication dudit rapport.
En ce qui concerne la commission, je dois dabord dire que nous y avons travaillé trois ans sous la direction de Mme Roselyne Bachelot-Narquin dans une parfaite communauté de vue je parlerai même de symbiose tant pour ce qui était des personnalités à auditionner que de la rédaction du rapport et jajouterai, de lamitié. Nous nous sommes dabord attachées à trouver, en quelque sorte, les racines du mal sans jeu de mots de la discrimination à légard des femmes. Nous avons ainsi auditionné une cinquantaine de personnalités de tous les horizons, à commencer par les personnalités religieuses puisque la culture judéo-chrétienne imprègne notre société dite laïque puis les sociologues, les historiens, les philosophes, les dirigeants politiques des grandes formations, les associations, certaines femmes qui nous ont fait part de leur expérience, notamment celles qui avaient occupé des responsabilités importantes, comme Edith Cresson, Michèle Barsach ou Simone Veil et, enfin, des représentants des médias et des constitutionnalistes.
Quelles ont été les conclusions de ce rapport ?
La révision constitutionnelle, pour reprendre le plan que vous avez proposé, est évidemment nécessaire en raison de lannulation par le Conseil constitutionnel, le 18 novembre 1982, dun amendement que javais soutenu sur le projet de loi relatif à lélection des conseillers municipaux, qui reprenait les travaux de Monique Pelletier qui, lorsquelle était ministre de la condition féminine, avait eu lexcellente initiative de soumettre un projet de loi à lexamen du Sénat en emboîtant le pas à un article du doyen Vedel sur la question. Lamendement avait été voté à la quasi unanimité, même au Sénat, ce qui est assez remarquable pour quon le souligne. Jindique quen loccurrence, le Conseil constitutionnel sétait en quelque sorte auto-saisi puisquaucun député ni sénateur navait invoqué linconstitutionnalité de cet amendement et demandé son annulation au Conseil. Pourquoi cette décision ? Il serait trop long de lexpliquer ici, mais je crois que Danièle Lochak a fait une critique de la décision tellement convaincante et éblouissante que jai tenu à la rapporter dans notre rapport de la commission en soulignant que cela revenait à ranger les femmes, comme les hommes dailleurs, dans des catégories.
La révision constitutionnelle a donc été jugée nécessaire mais je tiens à préciser que la chose nallait pas de soi et que nous avons été divisés : certains, opposés à une révision, réclamaient un vote, arguant que personne ne saisirait le Conseil constitutionnel et que, si cétait le cas, il suffirait de faire du lobbying auprès de la haute juridiction pour quil ny ait pas de nouvelle décision dannulation, ce qui ne me paraissait pas très sérieux !
Notre rapport concluait à la modification de larticle 3 dans des termes qui ne sont ceux du projet de loi qui nous est soumis. Nous proposions le texte suivant : laccès égal aux mandats et aux fonctions est assuré par la parité . Cette rédaction était claire : elle mentionnait la parité , l accès égal et elle retenait le terme assurer . De là vient, je crois mais cest mon sentiment personnel la principale critique que lon peut adresser au projet de loi. En retenant le verbe favorise de ce point de vue, je ne me situe pas tout à fait sur la même longueur dondes que Danièle Lochak il constitue un pas, bien sûr, mais il napporte aucune garantie.
Pour ce qui me concerne, javais également proposé, pensant que cétait là un toilettage envisageable dans la foulée, la modification de larticle premier de la Constitution, puisque vous avez peut-être noté que celui-ci assure légalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction dorigine, de race ou de religion, mais quil ne mentionne pas les distinctions de sexe.
Pour ce qui a trait maintenant à la procédure, tous les constitutionnalistes interrogés qui, à lexception peut-être de M. le doyen Favoreu, étaient farouchement opposés au principe même de la parité je pense notamment au Doyen Vedel étaient favorables à une révision par référendum.
Je pense très franchement que nous avons perdu une grande occasion de faire du problème de la parité un véritable débat national, ce qui nous ramène à la troisième question à laquelle vous souhaitiez que nous répondions car, pour traduire dans les faits la parité, encore faut-il quil y ait un débat ! Or, nous savons que les procédures à lAssemblée, au Sénat et au Congrès, ne permettent pas un débat qui impliquerait tous les citoyens et les citoyennes. Ceux-ci auraient pu être interrogés sur une question dailleurs très simple souhaitez-vous quil y ait autant de femmes que dhommes dans les assemblées élues ? à laquelle ils étaient tout à fait à même de répondre, dès lors quils ont répondu à une question aussi complexe que celle de la ratification du traité de Maastricht.
La voie du référendum de larticle 11 na pas été retenue alors quelle aurait été parfaitement adaptée. Le Doyen Vedel, ainsi que je le souligne dans notre rapport, la dit dune manière parfaitement claire lorsquil présidait le comité consultatif pour la révision de la Constitution ; il avait conclu que lon ne pouvait plus utiliser larticle 89 parce que cela donnait, ce qui est une évidence, un droit de veto à lune des deux assemblées dans la mesure où le texte doit être adopté dans les mêmes termes.
Finalement, cest le recours à larticle 89 qui a prévalu, ce qui implique le vote identique des deux assemblées et la ratification par le Congrès à la majorité qualifiée des trois cinquièmes. En tout état de cause, je souhaite que lAssemblée manifeste un intérêt suffisamment marqué pour que, même en labsence de référendum, un véritable débat national puisse avoir lieu. Je crois que ce nest pas une question que lon peut traiter de manière purement technique car, si elle est indéniablement technique puisquelle concerne une révision de la Constitution, elle doit avoir des échos profondément populaires, cest-à-dire que tous les citoyens et citoyennes doivent pouvoir se prononcer.
Jen arrive au point de mon exposé qui traite de la façon de traduire la parité non seulement dans la vie politique, mais aussi dans dautres domaines.
Dans la vie politique, cela paraît presque simple et je voudrais préciser à cet égard que, dans notre rapport, nous avions conclu à la nécessité de mesures transitoires dont on ne parle plus et de mesures daccompagnement qui restent nécessaires.
Quelles sont-elles ? Le non-cumul des mandats selon les sondages 84 % des citoyens se déclarent hostiles au cumul une limite dâge pour les carrières politiques
certains partis lont prévu de manière interne même si je crois que la règle na pas été respectée un statut de lélu cest à lunanimité que nous avons adopté cette proposition qui me paraît très importante, non seulement pour les femmes mais également pour les hommes et, enfin, une éventuelle modification du mode de scrutin, proposition sur laquelle des divergences sont apparues étant entendu quune des difficultés techniques que présentera la mise en uvre de la parité sera de définir la façon de procéder pour un scrutin uninominal à deux tours ...
Le parti communiste sest exprimé sur ce point, sans pour autant en faire une condition préalable ce qui était tout de même un très grand progrès puisque Robert Hue est venu dire quil faudrait un scrutin proportionnel. Le parti socialiste également, Lionel Jospin qui le représentait sétant lui aussi, déclaré favorable à une modification du mode de scrutin, de même que lU.D.F. qui, par la voix de Gilles de Robien, a fait savoir quil désirait maintenir le scrutin uninomimal mais en corrigeant ses effets négatifs.
Je terminerai cet exposé en parlant de tous les autres domaines. A ce sujet, je souhaite quil y ait une clarification car javoue être quelque peu agacée en entendant parler de parité dans la vie domestique . Quest-ce que cela veut dire en termes de Constitution et en termes de loi ? Il faut tout de même ne pas galvauder le langage et je crois quen utilisant des termes totalement inappropriés, on complique le débat. Je reconnais que je me livre là à une autocritique puisque cette tendance est plutôt le fait des mouvements féministes.
Je voudrais ajouter, en conclusion, que jai publié un article que vous avez peut-être eu loccasion de lire dans le journal Le Monde sur un fait divers et où je soulignais quune femme mourrait tous les dix jours de violences conjugales en Espagne ... A cette violence dans la vie domestique, dans la vie privée, il y a beaucoup de solutions en amont. Cependant, si nous imaginons une Assemblée nationale composée dautant de femmes que dhommes dans une démocratie, quelle soit de droite ou de gauche, jaimerais savoir quelle serait la femme de droite ou de gauche qui pourrait accepter un tel état de fait et qui ne chercherait pas des solutions légales, y compris par des lois répressives si besoin en était ... Voilà donc un problème qui est dordre domestique et privé épouvantable et auquel des solutions pourraient être apportées par la parité en politique.
M. Guy Carcassone : Je suis, jimagine comme tout le monde, consterné quil soit nécessaire de passer par une révision de la Constitution, mais cependant sans le moindre état dâme sur sa justification dès lors que, dun point de vue pragmatique, elle apparaît indispensable !
Cette précision étant posée, je men tiendrai à un seul aspect : la révision constitutionnelle est nécessaire, avant tout, pour permettre de revenir, de manière publique et totalement assumée, sur la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982. Jobserve, au passage, que lon fait porter au Conseil constitutionnel une responsabilité indue à mon sens : le Conseil aurait pu interpréter la Constitution de manière différente, mais son interprétation de 1982 est tout sauf scandaleuse ...
Il faut donc modifier la Constitution. Reste à sinterroger sur le contenu du projet de loi soumis à notre examen, que je crois à certains égards critiquable pour des raisons à la fois techniques et parlementaires.
En effet, sur le plan parlementaire, pour évacuer ce point rapidement, il est clair que la nécessité dun vote conforme par les deux assemblées est une contrainte puisque lon peut craindre une forte réticence, au moins au palais du Luxembourg et sans doute nettement moindre au Palais Bourbon. Or, à partir du moment où on la prévoit, il nest pas forcément sot dessayer danticiper.
Techniquement, je suis réservé sur le fait dinscrire dans la Constitution des obligations positives de faire, qui simposent au législateur. En dautres termes, il va de soi que la révision constitutionnelle qui est nécessaire nest pas suffisante et quil faudra, en tout état de cause, que le Parlement intervienne pour aménager les textes, notamment de droit électoral, pour donner son sens à lobligation qui lui serait, par hypothèse, imposée.
Ce qui me préoccupe un peu, cest la rédaction même du projet dont vous êtes saisis. En effet, à partir du moment où lon écrit que la loi favorise légal accès je sais que déjà on regrette que ce soit simplement favorise plutôt que garantit cela signifie quil va y avoir un nid à contentieux constitutionnels qui, contrairement à ce que lon peut croire, va jouer dans les deux sens. Je veux dire par là que, techniquement, il sera possible à tout saisissant grincheux du Conseil constitutionnel, sur pratiquement absolument nimporte quel texte, même totalement hors du champ institutionnel, de dire : ce texte sur la législation des baux ruraux, est contraire à la Constitution parce quil na pris aucune disposition favorisant légal accès des femmes en qualité de titulaires de baux ruraux . Jexagère évidemment, mais à peine, car je sais bien, ne serait-ce que par expérience, ce que sont les tentations de ceux qui ont à rédiger des saisines. En fait, je crains beaucoup la situation dans laquelle, finalement, pratiquement tout le contentieux constitutionnel fera de manière quasiment rituelle linvocation dun moyen fondé sur le dernier alinéa de larticle 3, au point de le galvauder.
En sens inverse, on court le risque, presque plus grave, que le juge constitutionnel
je ne vise pas du tout la composition actuelle du Conseil constitutionnel ou sa composition future que, par définition, jignore ne devienne finalement plus paritariste que les paritaristes et que, compte tenu de la rédaction retenue, il soit en mesure, en 2010, de censurer des textes qui iraient effectivement dans le sens de la parité, non plus, comme en 1982, parce quils vont trop loin, mais parce quils niraient pas assez loin !
Or, à partir du moment où légal accès deviendrait le critère unique, un juge constitutionnel mal disposé pourrait toujours trouver à redire, y compris vis-à-vis de dispositions que le législateur aurait été obligé de prendre pour des raisons techniques ou politiques dévidence. Je souligne, à cet égard, que parvenir à une répartition exacte à cinquante-cinquante dans les scrutins uninominaux est un défi auquel il est possible intellectuellement, mais beaucoup plus difficile politiquement, dimaginer des réponses.
Bref, tout cela mamène à considérer quil serait peut-être possible de parvenir au but recherché en recourant à des moyens techniques plus adéquats. La proposition de rédaction que je vous suggère consiste, en quelque sorte, à inverser la logique de la phrase qui pourrait se lire à peu près de la façon suivante : laccès équilibré (ou légal accès) des femmes et des hommes aux mandats et fonctions est recherché dans les conditions déterminées par la loi... , de sorte quil soit bien clair, dabord, que la loi peut faire désormais ce qui lui a été interdit en 1982, ensuite que ce nest pas une obligation absolue qui lui est imposée, dont le non-respect entraînerait la censure. En effet, ne nous voilons pas la face : soit le législateur est décidé à aller dans ce sens et il le fera, soit il ny est pas décidé et rien ni personne ne pourra ly contraindre ; il me semble sage danticiper une telle option.
Jajoute que ce type de rédaction qui, jen suis convaincu, ne serait pas de moindre portée que celle qui est proposée, susciterait sans doute moins dhostilité chez vos collègues du Sénat.
Mme Monique Pelletier : Mon propos sera sans doute beaucoup plus pragmatique mais je réfléchirai à la proposition présentée par Guy Carcassonne qui me paraît fort intéressante, compte tenu des obstacles, jespère imaginaires, quil a évoqués.
Jinterviens ici parce que jai été chargée, au sein dun gouvernement, de la défense des droits des femmes et quaprès dautres et avant bien dautres, je me suis efforcée de faire progresser ces droits.
Jinterviens aussi, non pas que je sois mandatée, mais parce que je fais partie du Groupe des Dix pour la parité, qui rassemble dix femmes, toutes anciens ministres dopposition et de la majorité à part égale, qui se réunissent régulièrement pour évoquer tous les problèmes de la vie des femmes et les injustices ou anomalies que la situation leur réserve encore. Nous avons publié, il y a maintenant trois ans, un manifeste des Dix pour la parité, publié dans lExpress, qui, à lépoque, a eu un retentissement important et se voulait une proposition destinée à faire avancer plus vite la marche vers la parité.
Personnellement, je suis tout à fait désireuse que lAssemblée, et les parlementaires qui sont de la famille dont je me réclame, sassocient à ce projet de loi qui mapparaît tout à fait important la vie ma appris quon navait jamais tout, tout de suite, quil fallait accepter une voie pragmatique et progressive et marque une avancée significative. Cependant, comme Guy Carcassonne la souligné, il ne constituera un réel progrès que si suivent des lois qui mettront en place les moyens réels de favoriser cette égalité de chances que nous demandons pour les femmes dans les assemblées représentatives.
Bien sûr, je ne ferai pas le constat que nous connaissons tous, bien sûr je ne rappellerai pas que, désormais, les droits théoriques à légalité sont reconnus aux femmes, quils soient inscrits dans la déclaration des droits de lhomme, dans la Constitution ou dans les lois. Les femmes bénéficient donc dun droit théorique à légalité mais il existe un immense fossé entre ce droit théorique et les droits concrets, pratiques, qui leur permettent daccéder à une représentation plus normale, moins choquante, moins dérisoire dans la vie publique.
Cest le premier effet que va avoir ce texte puisquil reconnaît le droit aux assemblées de favoriser ou de rechercher, peut-être demain par les textes qui suivront, les moyens de favoriser cette meilleure représentation. Il y a, bien sûr, la modification évoquée du scrutin majoritaire lequel constitue un lourd handicap pour les femmes qui consiste à y ajouter une dose de proportionnelle ; cest en tout cas mon souhait personnel. Il y a également lattitude des partis politiques qui devraient, dans les instances dinvestiture, mettre autour de la table suffisamment de femmes, et elles sont nombreuses à pouvoir y prétendre. Il devra y avoir enfin des projets de loi concrets qui mettront en uvre ce que certains appellent une discrimination positive en faveur des femmes et que je préfère appeler une action positive , cest-à-dire quà compétence égale, une préférence serait donnée, pendant un temps, pour un poste, une fonction, un mandat, à une femme.
Nous avons à remédier à un important déséquilibre et il faudra beaucoup de temps pour y parvenir : nous ne disons pas aujourdhui, et je crois que personne parmi nous ne le prétend, que la parité est un objectif pour demain ! Yvette Roudy a parlé de dix ans pour réussir ; je pense, quant à moi, que les résultats ne seront pas immédiats mais quil faut que les pas vers cette parité se fassent de manière ininterrompue.
Jévoquerai deux objections sur la parité que lon entend ici ou là, mais qui mapparaissent réellement non fondées.
Premièrement, certains prétendent que nous allons, avec ce texte, faire surgir des demandes de catégories diverses, dont la liste est archiconnue parce quelle est archirépétée, et contrevenir ainsi au principe dégalité des citoyens devant la loi. Je réponds, et je pense quon ne peut pas ne pas répondre, que les femmes ne sont pas une catégorie, quil y a des femmes comme des hommes chez les beurs, chez les aveugles, chez les handicapés, que nous sommes la moitié de lhumanité, que nous sommes la partie féminine de lhumanité avec, je lajoute, les différences que pour ma part je revendique !
Deuxièmement, argument qui mapparaît également mal fondé : certains arguent en outre quil nest pas nécessaire de légiférer puisque cette égalité est déjà inscrite dans tous les textes fondamentaux. A cette assertion, je rétorque que le principe de légalité est inscrit mais quil nest pas transformé en actes concrets et quil faut donc remédier à cette distorsion entre principe et réalité.
Japprouve le recours à la modification constitutionnelle dans la mesure où, dans sa décision du 18 novembre 1982, le Conseil constitutionnel garant de la Constitution et je partage lavis de Guy Carcassonne qui disait quil navait pas tort en droit même sil avait tort, à mon avis, en opportunité a dénoncé latteinte au principe de légalité des citoyens devant la loi.
Pour ce qui me concerne, je souhaite, tout comme Gisèle Halimi, quun vrai débat public sinstaure sur cette question. Je vous rappelle, à ce propos, que le dernier sondage demandé par le Groupe des Dix avant de publier son manifeste, montrait que 86 % des hommes et des femmes et que 91 % des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans souhaitaient cette marche vers la parité. Il me semble que les assemblées devraient tenir compte de ce changement dopinion pour accepter que les femmes jouissent dune réelle égalité de droit en leur sein.
Je terminerai par un propos qui est très personnel : je souligne que ce ne sont pas des féministes enragées qui souhaitent ce progrès mais des femmes qui cest en tout cas mon cas et celui de nombreuses femmes se reconnaissent comme différentes et complémentaires et qui ont donc leur part à prendre dans les décisions, qui senrichiront de cette complémentarité.
La famille est aujourdhui et depuis toujours mixte, la vie sociale et professionnelle le devient, pourquoi seule la vie politique resterait-elle à lécart de ces évolutions ? Je pense et jespère que les assemblées sintéresseront à ce débat puis quensuite, elles prendront par leur vote la décision qui est souhaitée par une très grande majorité des citoyens de ce pays parce quelle est juste dune part, et quelle permettra la prise de meilleures décisions dautre part.
Mme la Présidente : Je vais vous demander, Monsieur le doyen, de bien vouloir clore ce tour de table. Cest un rôle qui vous revient de par loriginalité de votre position puisque vous êtes ici le seul à avoir pris, depuis longtemps déjà, une position sensiblement différente de celles qui viennent dêtre exprimées, même si elles comportaient déjà un certain nombre de nuances.
M. Louis Favoreu : Je suis en effet de ceux qui, sur ce sujet de la parité, ont élevé des objections dordre juridique, mais non dordre personnel. Jobserve, par ailleurs, que ce matin, la parité nest pas tout à fait respectée puisque nous ne sommes que deux hommes sur les six invités, ce dont je ne me plaindrai pas du tout, jugeant au contraire cette répartition tout à fait souhaitable !
Je répondrai aux questions que vous avez posées et jaborderai rapidement quatre points : lopportunité dune révision, un tableau du droit comparé qui me semble important, lhistorique et lexamen de la proposition.
Sur la question de savoir sil faut une révision, je dirai que je suis de ceux qui la souhaitaient. Dailleurs, avec Danièle Lochak, nous sommes arrivés à un accord total, lannée dernière, lors des journées socialistes de La Rochelle puisque, alors que nous pensions débattre de nos propositions respectives, nous nous sommes aperçus quelles ne divergeaient pratiquement pas. A cet égard, je soulignerai que je pourrais abréger mon exposé dans la mesure où jai écrit sur ce point un petit texte que je tiens éventuellement à votre disposition et quen outre, nous avons organisé, lannée dernière, un colloque international sur le sujet des discriminations positives qui a donné lieu à la publication de quelques centaines de pages dans lannuaire international de justice constitutionnelle et où vous trouverez les positions dune quinzaine de pays et énormément dinformations sur la question qui nous intéresse ce matin.
Je suis favorable à la révision mais, par rapport au petit texte publié dans le rapport du Conseil dEtat, je voudrais apporter une précision concernant le doyen Vedel. Jignorais alors en effet la position quil avait prise en 1982, à savoir quil sétait récusé, déporté, et quil navait donc pas participé à la décision. Je tenais à apporter cette rectification puisque je lui prêtais une présence quil navait pas.
Vous me permettrez dapporter une seconde précision concernant, cette fois, le comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par le doyen Vedel : en réalité
et Guy Carcassonne peut en témoigner il y a eu une proposition de révision conjointe de larticle 89 et de larticle 11 qui avait pour objet de faire sauter le verrou de larticle 89, tout en évitant que la révision puisse se faire par le biais de larticle 11. Cétait donc une sorte de compromis qui avait été proposé dans le cadre du Comité Vedel dans le rapport de février 1993.
La révision me semble donc simposer. A La différence de Guy Carcassonne, je ne le déplore pas dans la mesure où je considère que nous sommes maintenant, comme les autres grands pays, engagés dans un processus dadaptation régulier de la Constitution. Si en revanche, Guy Carcassonne veut mettre laccent sur le risque que comporte une inscription dans la Constitution au-delà même du problème de la révision, je reconnais que cest un point qui mérite discussion. Il nen reste pas moins que, sur le fait de réviser la Constitution, contrairement à une opinion largement répandue, je constate quen France, on traite enfin la Constitution comme elle devrait lêtre et quon nen change pas par des coups détat et des révolutions mais bien par le biais de révisions. De ce point de vue, jai le sentiment que les révisions sont nécessaires et que le Conseil constitutionnel est précisément là pour les provoquer. En réalité sil est là, cest bien parce que la Constitution est respectée : lorsquil ny avait pas de juges constitutionnels on pouvait la violer sans quil soit nécessaire de la réviser.
Pour ce qui concerne le droit comparé, je voudrais répéter ce que jai déjà dit, à savoir que si la réforme envisagée est adoptée, nous serons les seuls à nous être engagés dans la voie dune révision constitutionnelle en la matière. En effet, contrairement à ce qui a été dit souvent, les Etats-Unis nont rien fait de tel et laffirmative action américaine se différencie sur deux points de ce qui est envisagé en France : dune part, cest une mesure temporaire de rattrapage dune situation passée, ce qui nest pas le cas des mesures qui sont aujourdhui envisagées en France ; dautre part, on ne touche jamais la zone suspecte puisquil ny a jamais de discrimination positive en matière politique ; dailleurs, les femmes ne le réclament pas, à lexception des organisations les plus extrêmes qui vont jusquà revendiquer des collèges séparés !
Du côté des pays scandinaves, il en va de même : les Suédois et les Norvégiens ont des textes qui sappliquent uniquement dans la sphère administrative, encore que lorsque cette dernière touche au problème de lélection, il ny a plus de discriminations positives qui tiennent !
En Europe, seule lItalie sest lancée dans une démarche comparable à celle de la proposition Pelletier-Halimi de 1982, mais il y a eu une décision de la cour constitutionnelle qui la interrompue. Jassistai à un colloque à Pise quand la formation bicamérale qui devait proposer la révision a été dissoute et na donc pu mener à bien le projet qui se proposait, comme cest le cas en France, de prendre par la loi constitutionnelle ce que la cour constitutionnelle navait pas autorisé, cest-à-dire une inscription privilégiée des femmes sur les listes de candidatures aux élections municipales. En Belgique, enfin, il y a une mesure beaucoup moins contraignante que celle qui avait été prévue en France, puisquelle nassure pas une égalité de résultats mais simplement une égalité de chances.
Au total, en droit comparé, je dirai que, dune manière générale, la formule de la parité est écartée. Dans ces conditions, comment les Scandinaves sont-ils parvenus quand même à obtenir quau Parlement, il y ait 40 % de femmes ? Par des mesures incitatives à lintérieur des partis politiques, ce qui me permet de vous dire que sil est très difficile, à mon sens, de satisfaire juridiquement les demandes de Mmes Pelletier et Halimi, le fait de les avoir formulées et largement diffusées a fait progresser les mentalités. Je sais que Mme Halimi nest pas favorable à la voie scandinave, mais je note quelle a permis de réaliser des progrès puisque les femmes représentent non seulement 40 % des élus, mais aussi la moitié du Gouvernement et que le Premier ministre est une femme ; je nen dirai pas plus puisquil sagit dune situation bien connue !
Les réflexions auxquelles on peut se livrer sur légalité et la parité, me permettent de glisser très rapidement à lhistorique et de signaler que lon est passé, en France, dune revendication qui était celle de quotas sur les listes de candidatures, à celle de la parité, cest-à-dire légalité des résultats. Autrement dit, on est passé, en seize ans, dun point de vue à un autre diamétralement opposé !
Par rapport aux revendications présentées à létranger, cela représente donc un pas considérable : nous étions peut-être initialement en retard en matière de revendications, mais maintenant nous avons largement dépassé nos voisins avec la parité et cette exigence dégalité dans les résultats, telle quelle apparaît dans la loi sur lélection des conseils régionaux.
Jen arrive maintenant aux questions théoriques qui peuvent se poser. Tout dabord légalité est incontestablement différente de la parité. En réalité, la parité fait que désormais légalité est envisagée à lintérieur de chaque sexe, ce qui veut dire quil y a un déplacement de légalité. Ensuite, sur le plan théorique, juridique, légalité est déjà inscrite dans notre Constitution sous la forme de la non-discrimination. Ce que lon veut désormais inscrire, cest la discrimination positive, ce qui représente un pas qui na été franchi nulle part ailleurs, notamment au niveau de la Constitution.
Les risques de la parité je raisonne sur ces risques et non pas sur le problème précis qui nous est soumis et sur lequel je reviendrai plus tard sont connus : cest le fractionnement en catégories dont on a parlé, car la décision du 18 novembre 1982 est moins fondée sur légalité que sur lindivisibilité du peuple français. Il faut bien voir que cette décision de 1982, que nous hésitons dailleurs à faire figurer dans nos grandes décisions, alors que, rétrospectivement, cen est une, en a fondé une autre assez différente : linterdiction de toute référence à la notion de peuple corse tire directement sa source de la décision de 1982, laquelle protège lindivisibilité du peuple et de la République !
Jajoute que le fractionnement est un risque dautant plus grand que vient sy ajouter lidée que lon privilégie le groupe par rapport à lindividu. Cest donc la conception individualiste de notre droit qui risque de changer, dans la mesure où cest lappartenance au groupe qui va définir les droits et non plus la qualité de lindividu. On rejoint ainsi une réflexion philosophique qui peut être faite sur la diversité et luniversalité !
Jen viens au dernier point de mon exposé : la proposition elle-même. Elle est évidemment très différente de celle qui avait été faite, notamment par Mme Halimi, sur la parité ainsi quelle la dit elle-même. Par ailleurs, on peut se demander si la formule du préambule de 1946 la loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de lhomme nest pas plus forte, mais cest peut-être un geste politique qui, comme la dit un expert, Guy Carcassonne, peut avoir sa signification. Ce qui a été dit par Georges Vedel, lors dun entretien avec le garde des Sceaux, cest que la modification et Guy Carcassonne la également évoqué transférera la responsabilité du pouvoir constituant au pouvoir constitutionnel, ce qui est une solution envisageable qui sest appliquée dans dautres pays qui ont une Constitution moderne. Par exemple, les constituants espagnols, qui nont pas voulu prendre position sur le problème de lavortement, ont trouvé une formule sibylline qui laissait la responsabilité de linterprétation au tribunal constitutionnel !
De même, la portée des dispositions constitutionnelles qui vous sont soumises va très certainement largement dépendre de linterprétation quen fera le Conseil constitutionnel. Dans le cadre du projet de loi sur les élections régionales, qui est en cours de discussion, est inscrit le système des quotas pour les listes de candidatures ...
Mme la Présidente : et de la parité !
M. Louis Favoreu : ... et de la parité, ce qui est encore plus fort !
Les dispositions qui seront adoptées pourront donc, le cas échéant, être confrontées à la formule retenue par le projet de loi constitutionnelle : la loi favorise légal accès des femmes et des hommes ... . Si lon avait choisi décrire la loi favorise légal accès des femmes , ceût été clairement une discrimination positive, mais faire figurer les femmes avant les hommes suppose une intention marquée par la rédaction, sachant que la formule du préambule de la Constitution de 1946 est tout aussi claire et affirme la même volonté de rattraper le retard ...
Lidée de transférer au Conseil constitutionnel une marge dappréciation nest donc pas invraisemblable : on peut, comme la dit Guy Carcassonne, la déplorer ou sen réjouir ; on peut également regretter que le pouvoir constituant ne prenne pas ses responsabilités et quil les délègue au Conseil constitutionnel, à qui il renvoie la balle , comme la dit le doyen Vedel ; on peut aussi estimer, malgré le risque quénonçait Guy Carcassonne, quil nest pas absurde de laisser le Conseil faire évoluer les choses au fur et à mesure. En tout état de cause, je crois que, ainsi que chacun le voit, il y a là bien des commentaires possibles !
Mme la Présidente : Au point où en est parvenue notre discussion, je relèverai, pour ma part, deux éléments qui nous seront certainement fort utiles pour le débat que nous allons mener en commission.
Dabord, jai noté quen ce qui concerne la nécessité dune réforme constitutionnelle, on voit bien quelle donne lieu à plusieurs interprétations différentes ou, en tout cas, quelle comporte plusieurs étages dexplications, dont la toute première, sur laquelle je pense que tout le monde se rejoint, est la nécessité de sopposer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982. Je crois que cest là le soubassement du projet de loi constitutionnelle.
Ensuite, jai noté deux apports tout à fait intéressants dans les interventions en ce qui concerne le nécessité de la révision. Le premier est la référence à linscription symbolique : sur ce point, je ne pense pas quil y ait accord de tous les intervenants mais je considère quelle constitue un élément essentiel puisque cette révision représente non seulement une mesure technique dajustement de notre texte constitutionnel, mais aussi, dans lhistoire des idées de la société française, une étape qui passe forcément par le symbolique. Le second est la demande dinstauration dun débat national, public, actualisé, sur une question qui est éminemment une question de société, avec des approches différentes selon que lon plaide pour le référendum voie qui, à ce jour, na pas été retenue par le Gouvernement ou pour la procédure parlementaire, avec les interrogations quelle soulève et les contraintes quelle suppose. Pour ce qui me concerne, mais cest sans doute parce que je ne suis pas parlementaire depuis longtemps, je veux croire que le Parlement peut être le lieu dun grand débat public national.
Il est un autre point qui ressort clairement des six interventions : linterrogation sur ladéquation entre la rédaction actuelle du texte et lobjectif recherché ; cela ressort du débat que vous avez déjà largement engagé les uns et les autres sur le terme favorise , avec les interprétations politiques, mais aussi et Guy Carcassonne y a insisté juridiques, auxquelles il peut donner lieu.
Mme Yvette Roudy : Tout dabord, je voudrais remercier Geneviève Fraisse au moment où elle quitte les fonctions quelle occupe depuis un an, dabord pour toute la réflexion dont nous avons bénéficié à travers les travaux et ouvrages quelle a pu publier depuis un bon nombre dannées, ensuite parce que je suis convaincue quelle va continuer à nous aider par une réflexion désormais enrichie par cette année qui lui a permis de comprendre comment fonctionnait, de lautre côté, lappareil dEtat et les affaires ministérielles. Je pense que cette expérience va constituer une richesse pour elle, quelle va pouvoir en tirer de très bonnes conclusions et je souhaite que nous puissions continuer à profiter de sa présence à nos côtés, que ce soit sous une forme ou une autre.
Pour ce qui concerne laffaire qui nous réunit aujourdhui, et sagissant du texte qui nous est présenté et dont nous avions entendu parler depuis quelque temps, je dois avouer que je pensais quil serait différent au moment de sa présentation au Parlement car, très franchement, je dois dire que je reste sur ma faim : on a parlé dinsuffisances, déventuelles améliorations mais, pour ce qui me concerne, je dirai que cest presque de la dérision !
Dans lexposé des motifs, on voit bien quau paragraphe 3 et pourtant je ne suis pas juriste on insiste lourdement sur le fait quil est déjà inscrit dans la Constitution que la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de lhomme . On comprend donc bien que la Constitution, telle quelle est rédigée, ne sopposerait pas à ce que des moyens permettent de réaliser légalité puisque la loi garantit des droits égaux . Il est clair quil devient dès lors nécessaire de définir les modalités pour réaliser cette intention : la Constitution donne une direction, mais après, il faut naturellement des mesures dapplication.
Or, il y a eu cette décision du 18 novembre 1982, sur laquelle tout le monde aujourdhui se bloque, prise par neuf messieurs au nom de leur grande autorité, laquelle donne presque limpression de relever de linfaillibilité. Gisèle Halimi a rappelé la vérité sur ce point et lon sait parfaitement que les choses ont été compliquées, puisque la demande que javais présentée au Gouvernement et qui faisait suite à celle de Mme Pelletier a été reprise par le groupe socialiste ; Gisèle Halimi a joué un rôle important dans cette affaire ! Alors que lensemble de la représentation nationale avait jugé bon de prendre une mesure, le Conseil constitutionnel a quand même décidé quelle était inconstitutionnelle, au motif que les femmes seraient une catégorie et quon ne peut pas séparer la société française en catégories, même si on ne se gêne pas pour le faire en certaines circonstances ; je nai pas le temps de développer mais on pourrait citer bien des exemples !
Lexposé des motifs du projet de loi qui nous est proposé est tout à fait insuffisant et mériterait dêtre un peu fortifié et rédigé dune manière plus sérieuse, car il donne limpression davoir été fait à la va vite .
Pour ce qui a trait à larticle unique, je dirai que, franchement, je ne vois pas ce quil apporte. Tout le monde a reconnu que le terme favorise était trop faible, plus faible en tous cas que celui de garantit . Encore une fois, jestime cela a été dit sous une forme ou sous une autre que cela ne va rien changer en létat. Si on se déplace en grande pompe à Versailles, pour ajouter seulement cette ligne et demie à ce qui est déjà inscrit dans nos textes fondamentaux, je considère que cest vraiment dérisoire. Sans sous-estimer la force du symbolique qui est très importante, je prétends que lon ne peut pas accepter que ce texte reste en létat. Si tel devait être le cas, ce serait un leurre et ce serait extrêmement grave !
Je souhaite donc que la commission et les parlementaires réagissent, fassent des propositions, travaillent, sentourent davis pour faire en sorte que la rédaction actuelle, dont tout le monde dit quelle ne peut pas perdurer, évolue. Chacun saccorde à reconnaître que nous sommes, en France, dans une situation honteuse et un certain nombre de partis ont pris des dispositions pour la modifier. On veut ouvrir un débat public sur la parité, mais il est déjà très largement ouvert depuis quen 1992, les institutions européennes, avec la charte dAthènes, ont lancé des injonctions que nous connaissons. Nous avons toutes participé à des colloques ; il y a eu le manifeste des Dix quévoquait Monique Pelletier ; le mouvement des femmes a réalisé un énorme travail. Par conséquent, le débat a déjà eu lieu et lopinion française est favorable à cette évolution !
Il semble quen France, nous avons besoin dune loi, ce qui nest pas nécessaire dans les pays scandinaves. Javais recommandé, à une certaine époque, la stratégie norvégienne qui consiste à demander à tous les partis de réaliser, graduellement, un progrès à chaque élection. Cest un peu le mouvement quavait amorcé Lionel Jospin je me souviens que nous en avions discuté longuement en affirmant sa volonté de faire en sorte quil y ait 30 % de femmes candidates. Le groupe socialiste en dénombre actuellement 18 % et il faudrait que ce chiffre soit doublé jusquà lobtention de la parité !
Pour ce faire, nous avons donc besoin de discriminations positives, d affirmative actions ! Elles se pratiquent couramment dans toute lEurope ; il ny a quen France où lon dit que la discrimination positive ou laction positive sagissant des femmes, serait contraire à la Constitution ! Or, si tel est le cas, cela revient à dire quil est impossible de réduire les inégalités. En effet, comment réduire des inégalités sans discrimination positive ? Je lignore mais peut-être quelquun est-il en mesure de me lexpliquer ...
Je terminerai en disant que sil faut à tout prix avoir une loi, soit ! Mais je ne suis pas sûre peut-être faudrait-il engager sur ce point une discussion avec le Gouvernement quil faille absolument passer par une révision de la Constitution car, ce faisant, nous donnons raison à ceux qui prétendent quune telle orientation est inconstitutionnelle, alors que de grands juristes et constitutionnalistes mont dit que nous ne devions pas nous laisser impressionner par cet argument et que notre démarche nétait pas forcément contraire à la Constitution !
En tout état de cause, il faut compléter le texte proposé sous une forme ou sous une autre. Pour ce qui me concerne, jai élaboré une proposition de loi, dans laquelle je partais du principe que cette affaire concernait les partis et quil fallait trouver une formule pour que ceux-ci prennent des engagements, puisque ce sont eux qui désignent les candidats.
En effet, depuis quelques années, lEtat distribue une manne aux partis pour les aider à faire élire des représentants. Or cette manne est constituée dargent public auquel les femmes apportent une large contribution. Dans ces conditions, je ne serais pas choquée si nous prévoyions que la contribution versée par lEtat aux partis est calculée proportionnellement à la représentation féminine !
M. Guy Carcassonne : Je ne vous présenterai que quelques remarques rapides, avant tout pour dissiper une équivoque possible à la suite des propos de mon collègue et ami, Louis Favoreu. En effet, si jai regretté la nécessité dune révision constitutionnelle, ce nest pas parce que je suis hostile par principe à des modifications de la Constitution : je trouve quil ne faut pas sacraliser ce texte ; en outre, les révisions étant loccasion pour les constitutionnalistes de donner leur point de vue, elles ne présentent que des avantages ! Plus sérieusement, si je trouve une telle révision consternante, cest parce que, normalement, les partis politiques auraient dû faire leur travail et nous dispenser davoir à adopter des dispositions de caractère juridique.
Cette ambiguïté étant levée, je poursuivrai en réagissant, notamment, aux propos quYvette Roudy tenait à linstant. Je passe sur lexposé des motifs puisque, le projet étant déposé, on ne peut plus en modifier le texte. Sur le fond, je ne crois absolument pas quil sagisse dune mesure sans portée et sans signification. En vérité, une fois encore, lobjet essentiel nest pas de réviser pour réviser, mais de réviser pour rendre possibles les mesures que le Parlement sera amené à prendre ensuite pour aller dans le sens souhaité. A partir de là, la seule question qui nous importe est celle de savoir quelle est la rédaction la plus appropriée pour permettre au Parlement dexercer ses compétences.
On juge que lactuelle rédaction est insuffisante mais, en vérité, il y a des précédents similaires : ainsi, lorsque, à la suite dune décision du Conseil constitutionnel du 15 août 1993, la Constitution a été révisée sur le droit dasile, le nouvel article 53-1 était un texte très imparfait sur le plan juridique sans aucun sens ni aucune portée, qui najoutait rigoureusement rien à la Constitution ; cela na pas empêché le Conseil constitutionnel, saisi aussitôt après, de prendre acte du fait que la Constitution avait été révisée pour lever lobstacle quil avait lui-même dressé auparavant et de sincliner.
Dans le cas qui nous intéresse, il en irait évidemment de même. En dautres termes, je serais tenté de dire que, pratiquement, quelle que soit la rédaction retenue, elle permettra de ne plus risquer les mésaventures de 1982.
Reste que, quitte à travailler, autant le faire bien et que le faire bien, selon moi, consiste à adopter la rédaction la plus appropriée ; sur ce point, je me permets dinsister vraiment sur ce que je crois être un danger, que Louis Favoreu soulignait également tout à lheure sans toutefois le qualifier comme tel, lidée de transférer la capacité et la compétence au Conseil constitutionnel. Je crois que cest une idée inappropriée, voire indigne : ce transfert est inapproprié, parce que ce nest pas le rôle du Conseil constitutionnel que de se substituer, en quelque sorte, au constituant lui-même, et il nest pas digne parce quil est dans la nature de la Constitution et de la démocratie que le Parlement assume pleinement ses responsabilités.
Dans ces conditions, je crois que toute rédaction qui marquera extrêmement clairement que cest au Parlement quil appartient de mettre en uvre ce qui deviendrait un objectif de valeur constitutionnelle sera bienvenu. Moins le Conseil constitutionnel aura de marge dappréciation et mieux ce sera. Je dis cela par principe, et nullement par défiance à légard du Conseil constitutionnel. Cest le Parlement qui, normalement, exprime la volonté générale. Il ne le fait valablement que dans le respect de la Constitution, mais cest quand même à lui de le faire.
Dès lors, il me paraît sage dindiquer extrêmement clairement lobjectif : d égal accès ou d accès équilibré , cette dernière expression ayant ma préférence sans que jen fasse une question essentielle. Mais je renonce à ce terme au profit dun renforcement du verbe qui deviendrait assurer au lieu de favoriser . Cela donnerait légal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats est assuré dans les conditions déterminées par la loi .
La formule actuelle incite le juge constitutionnel et pourrait même éventuellement lobliger à se prononcer en disant : Non, je considère que cette loi ne favorise pas vraiment ou je considère que cette loi ne favorise pas assez ! Finalement, cest donc lui, en dernier recours, qui, dans des conditions de surcroît assez embarrassantes pour lui, serait lautorité ultime qui jugerait de ce qui serait bon ou non. Il me semble, en revanche, quen renversant la phrase, cela aboutit à autoriser le Parlement à déroger aux exigences habituelles du principe dégalité, les modalités de ces dérogations étant ensuite déterminées par la loi. Bien entendu, comme dans tous les cas, extrêmement nombreux, notamment dans la déclaration de 1789, où il est fait mention de ce qui est déterminé discrétionnairement par la loi, ces modalités devront respecter les principes constitutionnels.
Les scrutins de listes ne posent pas de problèmes particuliers : une fois levé lobstacle constaté en 1982, on pourra parvenir aisément à la parité absolue. jy suis personnellement favorable, mais cest au Parlement den décider.
Tout le problème, chacun le sait, réside dans les scrutins uninominaux. Pour ma part, javais avancé, il y a déjà un certain temps, une proposition dont je pense quelle conserve sa pertinence. En matière de scrutins uninominaux, vous serez conduits à bricoler quelque chose. Nous ne parviendrons en effet vraisemblablement pas et il nest même pas certain quil soit souhaitable dy parvenir à une parité absolue, automatique et impérative en tout état de cause. Dans la catégorie des ces bricolages, je crois effectivement beaucoup à lefficacité dune incitation financière, dans le respect de la Constitution, cest-à-dire à un mécanisme dans lequel tous les partis continueraient à bénéficier du financement public, y compris un éventuel parti mâle chauvin présentant 100 % de candidats hommes, mais dans lequel le montant de la participation publique serait en quelque sorte gelé, par exemple au niveau atteint dans la loi de finances pour 1999, la répartition de toutes les évolutions ultérieures étant limitée aux seuls partis qui feront les efforts objectifs prévus par la loi en matière de scrutins uninominaux.
Cela créera une émulation extrêmement saine car, même si les sommes en jeu sont au départ peu importantes, elles gonfleront avec le temps et par la suite, chaque parti, même sil nest pas motivé par lintérêt financier, sera de toute façon extrêmement désireux que ce ne soit pas le voisin qui en profite. Je pense donc que ce type de bricolages peut avoir des effets extrêmement positifs et finalement aboutir en quelques années je ne crois pas que cela prenne très longtemps à la représentation équilibrée que nous souhaitons tous !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Je ne reviendrai pas sur lanomalie que constitue la sous-représentation des femmes dans la vie politique française : il suffirait, pour sen convaincre, de se référer à notre débat du mois de mars 1997, qui pourrait dailleurs être utilement versé aux travaux de notre commission puisque tous les partis politiques avaient eu loccasion de sexprimer et que ce débat avait été extrêmement instructif tant au niveau du constat que des solutions proposées.
Je voudrais revenir sur quelques points qui ont été évoqués ce matin.
Je marrêterai dabord sur les mesures incitatives car, nen doutons pas, parmi ceux qui combattront la révision constitutionnelle, nombreux sont ceux qui reviendront sur ces mesures.
Elles sont au nombre de trois : le statut de lélu, le scrutin proportionnel et la limitation du cumul des mandats. Je suis favorable à ces trois types de mesures, mais je ne pense pas quelles soient en elles-mêmes de nature à favoriser un meilleur accès des femmes à la vie publique : le statut de lélu est utile, mais on a du mal à en constater les effets ; la référence au scrutin proportionnel me conduit à souligner quen 1986 un scrutin proportionnel avait succédé au scrutin majoritaire de 1981, avant dêtre remplacé en 1988 à nouveau par un scrutin majoritaire le pourcentage de femmes parlementaires navait pas dépassé les 5,8 %. Cet exemple prouve bien que ce nest pas le scrutin proportionnel qui permet une meilleure participation des femmes à la vie publique. Sagissant du durcissement de la loi sur le cumul des mandats, jy suis extrêmement favorable, mais je rappelle quen décembre 1985, la première loi visant à limiter ce cumul na eu aucun effet sur la participation des femmes à la vie publique.
Nous sommes donc contraints à des mesures volontaristes qui sont de trois sortes.
Nous navons pas beaucoup parlé des quotas ce matin, mais il est impossible de ne pas les évoquer à partir de moment où ils font partie des mesures volontaristes prônées par certains. Pour ma part, je préfère dailleurs au terme de quotas le terme de coefficients de mixité ; lidée de 30 % ou 40 % de femmes nest en effet plus avancée par personne, tout le monde privilégiant lexpression de pas plus de 60 % ou 70 % de candidats dun même sexe , afin déviter tout aspect discriminatoire. Je tiens à dire ici que je suis formellement opposée au système des quotas discriminatoires ou différenciés, même lorsquils sont présentés comme des mesures transitoires permettant à des femmes qui ne seraient pas encore capables de participer à la vie politique dy entrer tout doucement. Le verbe favoriser qui figure dans le projet de loi que nous examinons ce matin me paraît extrêmement dangereux, car il ouvre directement la porte à ces mesures transitoires et à ces mesures de quotas.
Jen arrive au deuxième type de mesures volontaristes que sont les sanctions financières. Elles me paraissent absolument indispensables. Les partis politiques dans notre pays, en application dune législation dont la discussion nentre pas dans le cadre de notre débat de ce matin, bénéficient de deux parts : la première part dépend du nombre de candidats présentés, la seconde du nombre délus, cest-à-dire des intentions et des résultats. Cest, bien sûr, sur ces deux composantes quil faut jouer, en consacrant une part, non pas majoritaire, mais importante de ce financement à une sorte de bourse qui tiendrait compte du coefficient de mixité des partis politiques : sils présentent 50 % dhommes et 50 % de femmes, ils toucheront la totalité de lallocation et plus ils sen éloigneront, y compris dailleurs sils présentent 100 % de femmes, la parité marchant dans les deux sens, plus la part dallocation quils percevront sera faible. Je signale que cette disposition, selon les constitutionnalistes que nous avions interrogés à lObservatoire de la parité, ne nécessite pas de révision préalable de la Constitution. Cest une mesure qui pourrait être prise dès maintenant !
La troisième mesure volontariste est la parité, qui me paraît, en létat actuel de maturité politique de notre société, la seule mesure quil soit moralement possible de défendre.
Je voudrais en venir maintenant à la réforme qui nous est proposée, à la fois sur sa place dans la Constitution et sur sa rédaction.
Placer cette réforme constitutionnelle à larticle 34, comme il en avait été question, était effectivement une stratégie profondément condamnable. Comme nous lavions conclu à lObservatoire de la parité, la bonne place est évidemment à larticle 3 ! Pour autant, je pense malgré tout quil faut également modifier larticle premier afin que, ainsi que cela a été avancé auparavant, une non-discrimination en fonction du sexe y apparaisse ; nous serons sans doute plusieurs à proposer un amendement en ce sens à larticle premier.
Sagissant de la rédaction, il convient de nous demander quel est le but que nous poursuivons.
Le premier est dautoriser clairement le Parlement à faire des lois qui ne soient pas censurées par le Conseil constitutionnel. Le texte qui nous est proposé assure cet objectif de manière indéniable !
Le deuxième objectif est déviter les effets pervers dont nous parlions tout à lheure, effets pervers qui seraient engendrés par des mesures de quotas ou des mesures temporaires : je rappelle que nous avions auditionné Olivier Duhamel qui proposait dinstaurer la parité pendant dix ans afin de concilier le souci duniversalisme et la nécessité de mesures volontaristes. Je dis clairement que le terme favorise est générateur de tels effets pervers. Est-ce le terme établit , garantit ou assure qui convient le mieux ? Pour ma part, je penche pour le troisième, mais je nen fais pas une affaire.
Le troisième but de cette rédaction est de déterminer un champ dapplication à la fois suffisamment clair et suffisamment restreint : suffisamment clair pour bien indiquer que lon sadresse à la sphère politique et suffisamment restreint pour éviter ce quévoquait Guy Carcassonne à linstant, à savoir des dérapages sur toutes sortes de sujets de société il parlait des baux ruraux mais on peut imaginer quil y en ait dautres et faire en sorte que le constituant noutrepasse pas ses droits. Pour atteindre ce troisième objectif, il me paraît indispensable que le terme de parité apparaisse à un moment ou à un autre dans le texte. Pour que le champ dapplication du principe dégal accès soit suffisamment restreint de manière à éviter les dérapages, il convient sans doute de modifier la dernière partie de la phrase aux mandats et aux fonctions afin dadopter une rédaction indiquant clairement que la réforme ne concerne que à la sphère politique.
M. Claude Goasguen : Tout dabord, je voudrais savoir ce quon entend exactement par mandats et fonctions , car cette formule peut donner lieu à une interprétation très large, dautant que je ny vois figurer ni ladjectif publics , ni ladjectif électifs . La notion de mandat existe en droit privé ; quant à celle de fonction , elle peut relever aussi bien du droit public que du droit privé. En conséquence, je voudrais connaître lavis de nos experts concernant linterprétation de ces deux termes et leur demander si, daventure, il ne conviendrait pas de proposer des amendements pour éviter les éventuels recours devant le Conseil constitutionnel.
Ma deuxième question porte sur un problème pratique précis. Nous allons voter dans quelques jours une loi qui instaure la parité pour les élections régionales. Imaginons quil y ait un recours devant le Conseil constitutionnel après le vote de la révision constitutionnelle : je me pose la question de savoir ce que dira le Conseil constitutionnel face à deux textes dont le premier prévoit la parité et le deuxième se contente de favoriser légal accès des femmes et des hommes , que fera le juge constitutionnel devant cette contradiction de termes ?
Enfin, ma troisième et dernière question est inspirée par un mot employé par M. Guy Carcassonne à propos du scrutin majoritaire, qui ma un peu surpris, celui de bricolage . Après avoir analysé le texte, je ne parlerai peut-être pas de bricolage , mais je crois, en effet, quil faudrait avoir beaucoup dimagination pour trouver une application concrète du principe dégal accès au scrutin majoritaire. Il y a eu quelques pistes qui ont été évoquées et jai bien entendu ce qui a été dit sur les partis politiques et sur la réforme de leur financement. Je pense dailleurs quil sagit dun sujet extrêmement grave et jestime que la loi sur le financement des partis politiques mériterait vraiment dêtre examinée en toute sérénité. Je voudrais néanmoins savoir si nos intervenants ont dautres idées sur la question que la seule approche par le financement des partis politiques. En tout état de cause, je ne voudrais pas quune position favorable puisse laisser penser que nous nous résignons à ce que le scrutin majoritaire soit bricolé .
M. Christian Paul : Nous aurons, à lévidence, un vrai débat en commission sur ce projet de réforme constitutionnelle et je crois que, ce matin, cest avant tout à nos invités que nous devons adresser nos questions, même si je pense que les développements de Mme Bachelot-Narquin ont ouvert des perspectives tout à fait intéressantes, qui navaient pas été évoquées jusque là.
Je voudrais dabord poser une question dordre juridique qui porte sur la rédaction même de ce texte : on voit bien, et cela a été dit à plusieurs reprises, comment ce texte permet de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel. On peut, néanmoins, sinterroger sur le point de savoir si sa précision est suffisante. Lorsque lon parle dégal accès , est-ce que lon entend une égalité des chances ou une égalité des résultats, selon la distinction quétablissait M. Favoreu tout à lheure ? Cest tout à fait différent et lorsque nous devrons, par la suite, passer aux travaux pratiques, selon la voie choisie par le constituant, il est clair que nous adopterons des dispositions tout à fait différentes.
Le second registre dinterrogations que je voudrais soulever relève davantage de la pratique politique et du travail parlementaire. Jaimerais savoir quels sont, pour vous, les textes sur lesquels il convient de faire porter en priorité leffort de déclinaison de ce principe que nous allons adopter. Ce sont à lévidence les textes électoraux. Nous avons dailleurs commencé les travaux pratiques puisque lobligation de parité figure dans la réforme du mode de scrutin régional. Mais au-delà de ce projet de loi, sur quels autres textes vous paraît-il nécessaire que le législateur fasse porter son effort ?
On a évoqué un amendement précisant que légal accès concernant les mandats électifs et les responsabilités politiques : doit-on strictement se limiter à ce champ dapplication et sinterdire ainsi légal accès dans le cadre de la représentation syndicale ?
Je suis, en outre, très défavorable à tous les dispositifs dincitation financière. Jestime que nous entrons là dans un registre qui est tout à fait étranger au principe que nous essayons de mettre en place. Je sais bien que les partis politiques sont rarement animés par de purs esprits, mais je pense que si nous en étions réduits à recourir à des incitations financières pour régler le problème de légal accès aux fonctions politiques, ce serait une démission du législateur qui naurait pas pris les dispositions nécessaires pour y parvenir par dautres voies !
M. Renaud Donnedieu de Vabres : Je poserai plusieurs questions qui font écho aux remarques initiales formulées par Mme Halimi.
Bien évidemment, ce texte est un préalable à des décisions concrètes. Jen approuve lobjectif qui est détablir des discriminations au service dune égalité future, puisquil ny a pas dautres méthodes pour parvenir à légalité et à la parité. Mais, il ne faut pas que cet objectif légitime conduise à de mauvaises décisions. Je considère, à cet égard, que lintroduction de la proportionnelle pour les élections législatives poserait trop de problèmes par rapport à lobjectif fixé.
Par ailleurs, jaurais aimé recueillir votre sentiment sur le projet actuel concernant le cumul des mandats, qui est totalement entre deux eaux , puisquil ne va pas jusquau principe d un homme, un mandat . Je pense en outre que, sagissant du statut de lélu, il constitue un non-sens politique absolu alors que lopinion publique considère que les élus doivent se trouver dans une situation précaire, rester à leur disposition, être les gens dun moment, dun suffrage qui sest exprimé. Dans ce contexte, il ne faudrait surtout pas que les élus puissent paraître bénéficier dune quelconque garantie de stabilité. Dans la période actuelle, où les esprits sont troublés, la sémantique est évidemment très importante.
Cest sur ces points concrets, dont jai parfaitement conscience quils sont nécessaires pour parvenir à la parité, que je souhaitais vous interroger.
Mme Muguette Jacquaint : Je voudrais, moi aussi, à loccasion de cette discussion, en souligner limportance et mettre laccent sur le rôle qua joué Mme Geneviève Fraisse dans le débat daujourdhui comme celui quelle jouera dans les débats futurs. Pendant un an et demi, elle a pris bien des initiatives et, même avant doccuper la fonction de déléguée interministérielle, elle a beaucoup travaillé avec nous pour faire évoluer les réflexions sur les questions qui nous occupent, en particulier la parité.
Personnellement, je trouve important, dobliger le Conseil constitutionnel à modifier sa position sur cette question. Jaurais souhaité, moi aussi, que la notion de parité figure dans les textes. La révision de la Constitution me semble essentielle, parce quelle sera encore appelée à évoluer dans le futur pour prendre en compte les avancées de notre société.
On a beaucoup parlé de souveraineté, mais on pourrait aussi parler de la démocratie : je ne conçois pas un pays démocratique qui noffre pas aux femmes la possibilité de jouer leur rôle dans tous les domaines et, en particulier, dans la vie publique et politique La révision constitutionnelle débouchera inéluctablement sur dautres projets de loi, les textes existant suscitant malheureusement des difficultés dans leur application quotidienne.
Je plaide vigoureusement, en ce qui me concerne, en faveur dun statut de lélu ainsi quen faveur de la modernisation des scrutins et du non-cumul des mandats. Ce sont, selon moi, des idées fortes à retenir.
Dans la mesure où cette demande est exprimée par des hommes et des femmes de ce pays, je ne suis pas opposée à ce que souvre, à lAssemblée nationale, un débat sur la question de la souveraineté, de la démocratie et de la place des femmes. Tout en refusant les catégories, je défends les spécificités des femmes dans la vie publique où elles doivent continuer à jouer leur rôle.
M. Pierre Albertini : Je voudrais à la fois faire part de mon accord sur lobjectif recherché par le projet de loi constitutionnelle, mais aussi de mon doute sur la technique utilisée pour y parvenir.
Sur lobjectif, tout ce qui peut concourir à une représentation plus équilibrée du personnel politique, non seulement sur le plan des sexes, mais aussi sur celui de lorigine sociale et professionnelle, doit être encouragé. Je dois dire dailleurs que lon pourrait presque parler de la nécessité dencourager une forme de biodiversité politique , tant la classe politique est aujourdhui une caricature de la société civile : je pense notamment à la place excessive et je parle aussi pour moi puisque jen suis que les fonctionnaires occupent au Parlement et notamment à lAssemblée nationale.
Cest donc dans un débat de caractère général que sinscrit la question de la place que les femmes veulent occuper et que les hommes acceptent de leur laisser dans la vie politique, notamment à travers les investitures : le point de blocage se situe là et non pas dans lattitude du corps électoral qui est beaucoup plus ouvert quon ne le pense à une évolution et à une modernisation de la vie politique, qui la souhaite même ardemment et qui regrette que nous ne la réalisions pas depuis des dizaines dannées.
Mon doute sur la méthode employée vient du fait quil sagit dune technique à effet juridique différé. On ne connaît pas le contenu des lois futures et on ignore tout du calendrier. On sait, en revanche, que lon risque de buter sur la question des quotas. Je nai donc pas limpression que, juridiquement, ce projet de loi apporte grand chose par rapport aux textes de valeur constitutionnelle antérieurs, relatifs au principe de légalité des droits entre les hommes et les femmes, à la déclaration de 1789 ou au préambule de 1946.
Jen viens à mes deux questions. Le danger de cette technique, cest le face-à-face quon est en train dorganiser entre le Conseil constitutionnel et le Parlement. Je suis de ceux qui pensent que le Conseil constitutionnel est nécessaire à la protection de la démocratie. Mais ce nest pas à lui de faire la loi ; il a dailleurs pris la précaution de le dire ! Il lui appartient simplement de vérifier si les lois qui lui sont déférées respectent ou non des principes qui doivent prévaloir sur ce quune majorité du moment peut tenter dimposer. Je suis, personnellement, extrêmement attaché à cette protection démocratique. Mais la jurisprudence de 1982, que lon invoque très souvent, na été que la réaction à une mauvaise technique juridique. Le Conseil constitutionnel a dit : cette technique juridique nest pas bonne pour telle et telle raison . Je pense, pour ma part, que le débat ne sera que différé et dépendra du contenu des lois futures, car le Conseil constitutionnel na pas fermé la porte à la recherche dune forme de parité : il sest limité à porter un jugement sur la technique retenue.
Je crois donc très franchement quà travers ce débat sur léquilibre hommes-femmes ou sur la parité hommes-femmes, cest aussi la question du rôle du Conseil constitutionnel qui est posée. A cet égard, je considère quil est tout de même assez paradoxal que le Parlement réaffirme aujourdhui quil lui appartient de faire la loi : cest dire dans quel état de dégradation il se trouve pour que, quarante ans après ladoption de la constitution de 1958, il en soit réduit à cela !
Il faut aborder ce débat sans complexe : cest au Conseil constitutionnel quil appartiendra ensuite de dire si telle ou telle loi respecte les principes de valeur constitutionnelle qui dépassent les coalitions ou les rivalités du moment, quelles quelles soient ! Ma première question porte donc sur ce face-à-face entre le Parlement et le Conseil constitutionnel et sur leurs rôles respectifs.
Ma seconde question est plus simple : elle porte sur les discriminations financières. Je crois quil ne faut pas se méprendre : il est facile de prévoir tous les effets pervers que pourrait engendrer une distribution sélective des crédits en fonction du nombre de candidates. Vous pourriez parfaitement imaginer que tous les partis politiques suscitent eux-mêmes des listes exclusivement féminines pour rafler la mise. Je crois, sil fallait sorienter dans cette direction, quil faudrait octroyer une prime aux partis qui pratiquent la parité et rien de plus.
Mme Yvette Roudy : Et diminuer la prime actuelle, ils ont assez dargent !
Mme Odette Casanova : Je vais essayer dêtre très brève puisque beaucoup de choses ont déjà été dites. M. Albertini parle dor quand il dit que le problème est celui de la place que les femmes veulent occuper et que les hommes veulent leur laisser : cest là le vrai problème quil faut résoudre !
Je voudrais simplement formuler quelques remarques, en tant quélue de base dans une circonscription difficile. Tout dabord, je peux vous certifier que le débat politique sur la parité est lancé depuis 1982 : les électeurs, hommes et femmes, parlent aux candidats de cette question, font des comparaisons, évoquent la nécessité dun meilleur équilibre au sein du pouvoir, dans le but, peut-être, je sais que je vais très loin de rééquilibrer la morale politique.
Par ailleurs, le non-cumul des mandats, la limitation de lâge maximum, le statut de lélu ne sont pas des mesures de discrimination positive vis-à-vis des femmes ; il est en effet normal dy penser et de les mettre en application pour les hommes comme pour les femmes.
Je ferai une simple remarque à propos de la parité dans la vie domestique, dont Mme Halimi disait que les féministes la réclamaient. En fait, il sagit dintroduire la parité dans les cercles de pouvoir, dans la vie publique et politique, mais pas dans la vie domestique, car cette démarche appartient au passé.
Jajouterai que le terme favorise ma immédiatement heurtée, parce quil débouche, selon moi, sur des mesures incitatives dont on sait très bien et je lai vécu de 1981 à 1986, lorsque jétais chargée de mission dans le Var pour le ministère dYvette Roudy quelles sont difficiles à mettre en uvre. Il faut donc que ce terme favorise , soit disparaisse, soit devienne beaucoup plus explicite.
Je terminerai en disant enfin que je suis tout à fait favorable aux mesures dincitations financières, de stimulation, et que, sur ce point, japprouve totalement les propos tenus par M. Guy Carcassonne.
Mme Nicole Feidt : Au cours du travail de groupe que nous avons mené, nous nous sommes posé la question de lopportunité dune révision constitutionnelle. Ce point étant désormais réglé, je voudrais néanmoins poser la question suivante : le fait de justifier la révision constitutionnelle par la nécessité de contourner la décision de 1982 du Conseil constitutionnel signifie-t-il que la jurisprudence serait intangible et définitivement supérieure à la loi !
Par ailleurs, je considère le texte qui nous est proposé comme un socle pour des propositions futures ! Il ne me convient pas, tant au niveau de lexposé des motifs que du dispositif, mais je crois quil sera possible daméliorer ce dernier par voie damendements. Pour ma part, je suis tout à fait daccord pour proposer légal accès des femmes et des hommes aux fonctions politiques ... ... assuré dans les conditions déterminées par la loi . On ne peut pas, en effet, laisser le Conseil constitutionnel décider pour le législateur.
Mme la Présidente : Dans le très court temps qui nous reste, je vais redonner la parole à nos invités, en commençant par Mme Fraisse dont je souhaiterais quelle nous éclaire sur ce qui a amené le Gouvernement à choisir le terme favorise .
Mme Geneviève Fraisse : Cest laccord conclu dans le cadre de la cohabitation qui est à lorigine du terme retenu. Contrairement à dautres projets de loi constitutionnelle, nous avons là un accord droite-gauche, qui porte également sur dautres points aussi précis.
Je voudrais brièvement souligner les quelques éléments terminologiques que je retiens de cette discussion.
Je pense, tout dabord que nous pourrions nous mettre daccord sur le fait que ce qui se passe aujourdhui est une redéfinition de la souveraineté. Cest pourquoi, selon moi, le choix du terme favorise ou celui de garantit nest pas fondamental. Ce qui est intéressant, cest quil faut redéfinir la souveraineté et ce quon appelle lincarnation du peuple souverain.
Sagissant de laspect financier, la discussion porte sur la question de savoir si la réglementation doit être incitative ou pénalisante. Je tiens tout de même à vous faire remarquer quen choisissant la voie incitative, on met, en quelque sorte, les femmes sur le marché. On a lhabitude dire que les femmes sont un objet ou une monnaie déchange. Noublions pas que les femmes peuvent être un objet déchange, y compris en politique. Je pense que lobjectif de parité sera plus facilement atteint si on laborde cette question en privilégiant laspect pénalisation plutôt que laspect incitatif, qui a une connotation commerciale.
Enfin, je considère que lobjectif de parité nous renvoie au fait que nous avons à séparer deux choses, ce qui relève du principe quil soit décliné sous la forme dégalité des chances ou sous celle de parité , ce qui est pour moi secondaire et ce qui relève des instruments. Sur ce dernier point, je suis en désaccord avec Roselyne Bachelot-Narquin : nous devons examiner des mesures techniques éventuellement temporaires, ce qui fait que nous ne nous situons pas dans une logique dégalité mais dans une logique de mixité. A ce propos, je suis amusée de constater que les hommes et les femmes ici présents ne se sont pas mélangés ce matin.
M. Claude Goasguen : Il y a cohabitation !
Mme Geneviève Fraisse : Sûrement, je vous le concède !
Je me permettrai, en terminant, dindiquer que la parité, contrairement à ce qui a été dit aujourdhui, est quelque chose qui se décline différemment en fonction du pouvoir en jeu et que la parité peut être assortie de qualificatifs : ainsi, on peut parler de parité domestique comme on parle de parité linguistique. Je préciserai à Gisèle Halimi que, si je parle de parité domestique, ce qui va dans le sens de ce que le Gouvernement a voulu faire avec la conférence sur la famille, cest parce que jestime que la famille nest pas seulement un lieu de partage comme le prétendait la sociologie des années soixante, mais aussi un lieu de décision politique. Nous avons à repenser lespace politique et lespace privé, et pas uniquement au niveau des droits propres, de la violence et de la contraception qui se rattachent à la sphère privée ou au niveau du partage des tâches qui relèvent de la sphère publique. Ainsi, lA.G.E.D. ne visait pas simplement à ce quune femme en aide une autre à travailler, mais permettait de faire en sorte quun homme et une femme décident lun et lautre davoir une activité professionnelle : cest là ce que jappelle la parité domestique.
Mme Danièle Lochak : Je voudrais dabord souligner que larticle 3 ne traite que de la souveraineté et, par conséquent, ce nest certainement pas à partir de la modification qui va lui être apportée que lon va greffer des mesures dégalité ou de parité dans dautres secteurs de la vie économique et sociale. On na pas besoin de cela et, à mon avis, Yvette Roudy a tort, sur ce point, lorsquelle évoque les autres mesures, puisque le Conseil constitutionnel ne sest opposé quà légalité politique .
Je note également que larticle 3 ne concerne pas le niveau local : cela a été dit implicitement dans la décision sur Maastricht et à propos du droit de vote des étrangers et cela a dailleurs été repris par le Doyen Vedel à lépoque. Néanmoins, je pense que si on le modifie pour y inscrire la parité ou quelque chose qui y ressemble au niveau national, a fortiori, cette modification sappliquera au niveau local.
Pour ce qui concerne le Conseil constitutionnel, on a entendu dire que tout ce qui remontait à 1982 était déjà ancien. Oui, certes, mais le problème cest que, même si jai fait une note dhumeur dans la revue Droit social pour dire que cette décision mapparaissait tirée par les cheveux , les constitutionnalistes lont trouvée géniale. Même si personne navait demandé au Conseil de censurer ces dispositions, il nen reste pas moins que lobstacle constitutionnel étant constamment invoqué pendant le débat parlementaire, il a trouvé des justifications à sa décision et na donc aucune raison de la remettre en cause.
A linverse, je suis, personnellement, beaucoup moins sûre que Guy Carcassonne, de la constitutionnalité dune incitation financière : on parle en effet d atteinte à la liberté des partis politiques et ce nest pas parce que lincitation apporterait un plus, et non un moins, que cela ne modifierait pas la situation actuelle.
Cela étant, encore une fois, mon avis a moins dimportance que celui des constitutionnalistes, car si ces derniers considèrent quil ny a pas de problème, cela métonnerait fort que le Conseil constitutionnel vienne sinscrire en faux contre cette position.
Mme Yvette Roudy : Et notre contrôle à nous, alors, il nexiste pas ?
M. Louis Favoreu : Je ne suis pas constitutionnaliste, mais Danièle Lochak vient de soulever le problème exactement comme il fallait le faire en insistant sur un point que je voulais moi-même souligner, à savoir quen passant de larticle 34 à larticle 3, vous avez peut-être gagné en dignité mais vous avez perdu en liberté. Je veux dire par là quil est désormais inutile de préciser quil sagit des mandats électoraux et des fonctions électives , cette précision étant implicite puisque le dispositif proposé figure dans un article relatif à la souveraineté.
Je ne suis pas du tout daccord avec Guy Carcassonne quand il prétend que la disposition proposée pourrait sappliquer en matière de baux agricoles ou dans dautres domaines. Ne sont en jeu que les fonctions électives, y compris les fonctions électives locales, puisque le Conseil, en 1982, les a liées aux autres. Il sagit ici du citoyen dans sa globalité, cest-à-dire de lhomme abstrait et non pas de lhomme situé. En conséquence, toute élection mettant en cause lhomme abstrait rentre dans larticle 3.
En revanche, sil sagit délections syndicales, par exemple, il en va tout autrement parce quelles ne relèvent plus du même article de la Constitution. Si vous aviez inscrit la modification à larticle 34, vous auriez pu, alors, par des lois létendre aux fonctions syndicales, domestiques et autres. En modifiant larticle 3, vous avez renforcé votre position, mais vous avez diminué votre liberté daction : il y a là, à mon avis, un problème, car parfois le mieux est lennemi du bien.
Je répète quil ny a pas de dispositions imposant la parité, ni même des quotas, sauf en Belgique où la formule a dailleurs donné des résultats catastrophiques, puisque les femmes, qui devaient représenter au maximum 70 % des candidats sur des listes non bloquées et où les hommes venaient en tête, nont pas été élues. Donc la loi a été tournée.
Je remercie maintenant M. Claude Goasguen et M. Pierre Albertini pour la question quils ont posée. Je leur répondrai en disant que si la loi relative aux conseils régionaux venait devant le Conseil constitutionnel, en létat actuel, elle serait certainement déclarée contraire à la Constitution ; si la réforme constitutionnelle passait, je ne suis pas même sûr que cette loi serait déclarée constitutionnelle, ce qui me permet de revenir sur le rôle de cette instance. On a fait du Conseil constitutionnel un bouc émissaire. On lui impute la jurisprudence de 1982, alors quen réalité la classe politique a fait preuve dune formidable hypocrisie, puisque après avoir voté la loi, elle la saisi sur un article qui était lié à la disposition censurée, lobligeant ce faisant à statuer.
Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier quà partir de là, le Conseil constitutionnel a bâti toute une jurisprudence avec le soutien, non seulement de la doctrine, mais aussi du Président Badinter, qui sest appuyé dessus pour la décision concernant le peuple corse. Cet édifice nest donc plus un édifice qui ne concerne que les élections, mais un édifice complet : une révision est donc nécessaire.
Sagissant du face-à-face entre le Conseil constitutionnel et le Parlement, il convient de rappeler que le rôle du Conseil nest nullement dêtre un empêcheur de tourner en rond , mais dindiquer ce qui peut être adopté par décret, par la loi ordinaire, par la loi organique ou par la loi constitutionnelle. Cest un aiguilleur dont la mission est de dire quil y a des mesures qui ne peuvent pas être prises par une simple majorité et qui nécessitent un consensus. Or, ces mesures-là sont capitales et cest simplement, dans le cas qui nous intéresse, ce quil a voulu souligner.
Guy Carcassonne a parlé du précédent de 1993 ; mais le président Mitterrand avait proposé, en 1992, au comité consultatif présidé par le Doyen Vedel, de suggérer une révision de la Constitution qui permettrait de tourner la loi sur lassemblée unique dans les départements doutre-mer.
La jurisprudence nest, en principe, pas intangible, mais comme le Conseil a bâti tout un édifice sur celle quil a élaborée en 1982, il lui est difficile de faire marche arrière. Le meilleur moyen de faire évoluer les choses, cest que le pouvoir constituant reprenne la parole. Je ne suis pas tout à fait daccord avec Mme Catherine Tasca lorsquelle parle de la nécessité de sopposer au Conseil constitutionnel, alors que ce dernier souhaite au contraire un dialogue avec un constituant qui lui dirait clairement les choses.
Pour terminer, je dirai que ce projet de loi est un texte de compromis : dun côté, il nest pas satisfaisant, parce quil va donner la parole au Conseil constitutionnel, qui sera amené à interpréter le texte, mais dun autre côté, il faut peut-être en passer par là pour obtenir un consensus. Si tel est le cas, il représentera un pas vers une amélioration de la situation des femmes. Cest à vous de choisir, au risque de faire un pas trop grand et de tout casser, en sachant quaucun pays na osé le faire.
Mme Gisèle Halimi : Cest un problème de culture !
M. Louis Favoreu : Il ny a pas de problème de culture : les Allemands, les Italiens et les Espagnols ont la même culture juridique que nous et personne na osé le faire. Je vous mets en garde : si aucun pays na osé franchir ce pas, cest quil y a un problème. Finalement, le compromis peut être la meilleure des choses !
Mme Gisèle Halimi : Pour clore dun mot le chapitre des comparaisons avec les autres pays, je dirai quils nont pas la même culture politique. Je veux dire par là que si la représentativité des femmes sest améliorée dans dautres pays, sans quil y ait de modification de la constitution ou de nouvelles dispositions législatives, cest que les partis politiques ont eu très tôt lintelligence, de promouvoir des femmes, de façon à parvenir pratiquement à la parité, grâce à un dialogue constant avec les mouvements de femmes et sans bouleverser le droit, ni avoir recours à ce qui fait fonction de Conseil constitutionnel chez eux.
Il me semble que nous avons perdu un peu de temps à parler dincitations ou de sanctions financières. Si une loi est votée conformément à la modification constitutionnelle, nous naurons pas besoin dincitation puisque la loi simposera aux partis : sils ne la respectent pas, ils se verront appliquer la sanction prévue, comme en Belgique, par exemple, où la sanction consiste en la nullité des candidatures. Nous avons prévu dans notre rapport des mesures incitatives, mais nous avons bien spécifié quelles sappliqueraient dans le cas où il ny aurait pas de mesures volontaristes allant jusquà la modification de la Constitution et de la loi. Je crois donc quil y a une confusion ; sil faut prendre des sanctions, il me semble que celles-ci ne devraient pas être dordre financier mais résider dans la nullité de la liste présentée par le parti qui ne respecterait pas la loi.
Par ailleurs, comme la dit Mme Odette Casanova, les mesures daccompagnement qui ne sont donc pas des mesures incitatives, sont des mesures déthique générale. Pour autant, la limitation du cumul des mandats nentraînera pas automatiquement larrivée des femmes dans la vie politique, les jeunes loups masculins se bousculent au portillon des partis, tandis que les femmes ne prennent que les places laissées vacantes !
Je voudrais répondre à M. Claude Goasguen sur un point : japprouve tout à fait son propos sur le bricolage et si il a, comme je lespère, le rapport de la commission politique de lObservatoire de la parité, il verra que jai moi-même fait figurer le mot bricolage sagissant des élections législatives au scrutin uninominal. Le bricolage qui a été proposé consistait à joindre deux circonscriptions, car il nest pas possible de les multiplier, et à proposer pour cette nouvelle circonscription double, un couple si je puis dire, cest-à-dire un député et une députée. Il reste que le scrutin proportionnel supprimerait toute confusion et éviterait de se demander si la parité concerne les candidatures ou les résultats, puisque sil y a une parité dans les candidatures, il y en aura forcément une dans les résultats ...
M. Louis Favoreu : Sauf lexemple belge !
Mme Gisèle Halimi : En Belgique, contrairement à la proposition de loi qui a été annulée par le Conseil constitutionnel, on navait pas pris la précaution dimposer lalternance dune femme et dun homme et toutes les femmes se sont trouvées en fin de liste.
Je dirai à M. Renaud Donnedieu de Vabres que je suis tout à fait daccord avec lui pour reconnaître limportance de la sémantique. Il est évident que le statut de lélu semble dater. Parmi les partis que nous avons auditionnés à la commission politique de lObservatoire de la parité, cest le parti communiste qui a été le plus audacieux : dans la proposition de loi quil a déposée, il y a deux ou trois ans, il a consacré quatre ou cinq articles à ce sujet et vous verrez à leur lecture que le statut nest pas une sacralisation des droits des parlementaires, mais au contraire un moyen pour les femmes dexercer le mieux possible, dans la formation, dans le temps ou même les équipements collectifs, les responsabilités qui sont les leurs : en Suède, le Parlement est doté dune crèche, parce que la moitié des députés sont des femmes.
Jen terminerai en vous informant que le Doyen Vedel, que nous avons interrogé par écrit sur la procédure de révision constitutionnelle la plus adaptée, nous a fait connaître que les réponses quil pouvait apporter en qualité de citoyen étaient parfaitement opposées à celles quil formulait en tant que juriste. Etant farouchement hostile au principe de la parité, il nous a ainsi répondu que, comme citoyen, il souhaitait que la procédure choisie soit celle qui limite les chances du succès de la révision et que, dans cette perspective, le recours à larticle 89 paraissait la plus indiquée puisquelle nécessite une majorité dans les deux chambres, puis une majorité au Congrès ou un référendum. Il a ajouté que tout changement politique suscitant lhostilité de lune des deux chambres interdisait le recours à cette procédure, puisque le référendum lui-même ne peut être utilisé que sur un texte adopté à la fois par lAssemblée nationale et par le Sénat. Il a conclu à la nécessité de recourir, en lespèce, à larticle 11.
Mme Monique Pelletier : Bien évidemment, lobjectif de parité suppose des lois pour être atteint. Je minscris en faux contre les propos de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, parce que jestime quil faut tout oser, y compris les quotas dans les scrutins de liste, même si cest absurde, parce que nous sommes dans une situation absurde dont il nous faut tirer les conséquences. Il en va de même du statut de lélu, de la limitation du cumul des mandats, de la limite de lâge et de la limitation du nombre de mandats successifs auxquels il est possible de postuler, trois mandats me semblant, à cet égard, un chiffre satisfaisant.
Il vous faudra donc mettre en place ces modalités pratiques. Je voudrais néanmoins terminer en disant quau sein de partis politiques, il faut demander aussi aux femmes de se battre pour figurer dans les instances dinvestiture des candidats, de ne pas rester dans un rôle de soumission, mais dexiger la place qui leur est due. Je pense, en effet, que tout dépendra de la politique menée au niveau des partis et, dune part, de la capacité des femmes à se faire entendre, dautre part, de celle des hommes à les écouter et à tenir compte de leurs revendications.
fpfp
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