Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de
l’ADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 14

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 18 novembre 1998
(Séance de 9 heures)

Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente

SOMMAIRE

 

pages

– Projet de loi constitutionnelle relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes (n° 985) (auditions)


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La Commission a procédé à l’audition de M. Guy CARCASSONNE, professeur à l’université Paris X-Nanterre, M. Louis FAVOREU, professeur à l’université d’Aix-Marseille, directeur de la Revue française de droit constitutionnel, Mme Geneviève FRAISSE, déléguée interministérielle aux droits des femmes, Mme Gisèle HALIMI, présidente de la commission “ vie politique ” de l’Observatoire de la parité, Mme Danièle LOCHAK, professeur à l’université Paris X-Nanterre et Mme Monique PELLETIER, avocate, ancien ministre chargé de la condition féminine, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes (n° 985) (Mme Catherine Tasca, rapporteur).

Mme la Présidente : Comme vous le savez, le Gouvernement a déposé, au mois de juin dernier, un projet de loi constitutionnelle relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes. Celui-ci comporte un article unique qui ajoute à l’article 3 de notre Constitution un alinéa ainsi rédigé : “ la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. ”

Comme l’exposé des motifs, assez bref d’ailleurs, de ce texte le souligne, il s’agit de faire progresser la parité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines. Toutefois, pour atteindre cet objectif dans la vie politique, il a été jugé nécessaire de réviser la Constitution, la jurisprudence bien connue du Conseil constitutionnel de 1982 interdisant d’introduire en la matière des mesures législatives tendant à la parité.

Pour éclairer ses travaux, la commission des Lois a souhaité organiser une table ronde qui réunit certaines des personnalités les plus éminentes qui ont œuvré dans ce sens. Je vais les présenter rapidement, même si je doute qu’elles ne soient connues et reconnues par les parlementaires présents : Mme Monique Pelletier, avocate, ancien ministre qui fut chargée de la condition féminine ; Mme Geneviève Fraisse qui était jusqu’à présent déléguée interministérielle aux droits des femmes – mais j’ai appris hier en fin de journée que le Gouvernement confiait désormais cette mission à un membre du Gouvernement, Mme Nicole Péry, sous l’autorité de Mme Aubry, et je pense, pour ma part, que c’est là un des nombreux résultats du travail engagé par Mme Geneviève Fraisse en sa qualité de déléguée interministérielle – et qui nous parlera non seulement de la mission qu’elle a assumée pendant un an, mais aussi, et j’oserai dire surtout, en qualité de philosophe et historienne dont les ouvrages font autorité sur ce sujet ; Mme Gisèle Halimi, présidente de la commission “ Vie politique ” de l’Observatoire de la parité, une des institutions de notre vie publique en matière de droits des femmes ; Mme Danièle Lochak, professeur à l’Université Paris X–Nanterre, dont les travaux ont beaucoup contribué à éclairer le débat, notamment à l’occasion de la jurisprudence de 1982 du Conseil constitutionnel ; M. Louis Favoreu, professeur à l’Université d’Aix-Marseille, directeur de la Revue française de droit constitutionnel, et M. Guy Carcassonne, professeur à l’Université Paris X–Nanterre.

Je n’ignore pas que beaucoup d’autres personnalités auraient souhaité être présentes et auraient eu qualité pour l’être. A ce propos, j’informe la Commission qu’en tant que rapporteur, je procéderai prochainement à des auditions, évidemment ouvertes aux membres de la Commission, au cours desquelles je recevrai notamment un collectif d’associations militantes de la cause des femmes.

A titre liminaire, je voudrais savoir comment nos invités appréhendent cette initiative de révision constitutionnelle au sein de l’ensemble du débat sur la parité : pensent-ils, comme l’a fait le Gouvernement, qu’une révision constitutionnelle était indispensable et comment la situent-ils par rapport à la jurisprudence de 1982 ? J’aimerais également que nous réfléchissions à la question de savoir comment, dans les faits, traduire l’égal accès des femmes non seulement aux fonctions politiques – mandats et fonctions – mais aussi aux autres activités professionnelles et sociales.

Mme Geneviève Fraisse : Permettez-moi de dire, puisque le changement subit de ma situation m’en fournit l’occasion, qu’il me paraît possible de tenir les mêmes propos sur la réforme constitutionnelle comme déléguée interministérielle et comme directrice de recherches au C.N.R.S. : il vous est donc loisible de m’écouter dans l’une ou l’autre qualité, puisque cela reviendra à peu près au même en ce qui concerne le dossier que nous avons à traiter ce matin !

Le débat sur la parité, lancé depuis le début des années 1990 par un certain nombre de femmes politiques et de parlementaires, a toujours eu pour moi une seule signification qui me fournira mon entrée en matière : j’avais, pour résumer mon opinion, écrit, en inversant une célèbre formule kantienne, que la parité “ était vraie en pratique et fausse en théorie ”.

Elle est vraie en pratique puisque le débat sur la parité déclenche une formidable prise de conscience, attendue par des gens comme moi. Je rappelle que je travaille depuis une bonne vingtaine d’années sur ce sujet, à un moment où la question de l’égalité des sexes dormait un peu. Cette expérience me permet de dire que la parité m’est apparue défendable, non pas comme un nouveau principe à inscrire dans la Constitution ou comme un principe politique général dans l’histoire de la démocratie, mais comme ce que j’appellerai “ un habit ” de l’égalité ou un instrument pour “ faire ” de l’égalité.

Il n’y a pas d’autres principes que celui de l’égalité des sexes, l’égalité étant un moyen, un instrument, un déclencheur, pas seulement d’ailleurs – mais j’y reviendrai – pour assurer la présence des femmes dans les lieux de pouvoir, et notamment dans le domaine politique, mais aussi pour traiter l’ensemble de la question des rapports hommes-femmes dans la société, c’est-à-dire dans l’espace professionnel et social.

A cet égard, souvenez-vous que la proposition initiale du Gouvernement, avant que le Conseil d’Etat ne l’examine, mentionnait “ un égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques économiques et sociales ”. Le terme “ responsabilités ” a été critiqué, ainsi – à juste titre – qu’à mes yeux l’énumération “ politiques économiques et sociales ” avec ses trois composantes mises sur le même plan. Ces réserves ont conduit le Gouvernement à dissocier le professionnel et le social du politique et à proposer d’inscrire, à l’article 3 relatif à la souveraineté, la question de la parité ou plus exactement de l’égal accès, puisque le mot parité ne figure pas dans le texte du projet de loi.

Ces observations préliminaires me paraissent bien cadrer les deux commentaires que je souhaiterais faire, une fois posée ce qui est ma propre perception du combat pour la parité depuis le début des années 1990.

Premièrement, le préambule de la Constitution comporte bien l’affirmation de l’égalité entre les hommes et les femmes. Par ailleurs, nous avons – et quand je dis “ nous ” je fais référence à l’espèce humaine – multiplié, à partir de 1945, les textes où est évoquée l’égalité entre les hommes et les femmes ; il s’agit, en 1945, de la charte des Nations unies ; en 1948, de la Déclaration universelle des droits de l’homme dont nous célébrons le cinquantenaire aujourd’hui et, en 1950, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Vous me permettrez de rappeler ces trois textes même si seule la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 – comme le préambule de la Constitution de 1946 – fait état de l’égalité entre les hommes et les femmes. En revanche, la déclaration de l’O.N.U. et la déclaration européenne mentionnent ce qui figure également dans l’article premier de la Constitution actuelle, à savoir ce que j’appelle le “ sans distinction de ”, c’est-à-dire le principe de l’absence de distinction de race, de sexe, de religion, de langue, d’origine etc. Vous trouverez dans les textes publiés depuis cinquante ans, de nombreuses versions de l’énumération de tout ce qui ferait des catégories de l’universel. La différence de sexe y est parfois évoquée mais pas toujours, comme le montre notre constitution nationale.

En fait, la modification de l’article 3 proposée dans le projet de loi suscite un commentaire par rapport au préambule de la Constitution et par rapport à son article premier.

Le préambule affirme l’égalité, dans le domaine professionnel et social, ainsi que l’a précisé le rapport du Conseil d’Etat sous la plume de Nicole Questiaux. Nous devons donc isoler la question économique et sociale – qui peut être régie par le préambule – du politique.

Dans ces conditions, pourquoi faut-il que la Constitution comporte une mention expresse ? Il s’agit, en fait, d’une inscription dans le symbolique dont il restera à mesurer les effets dans le réel. Je ne suis donc pas choquée qu’il y ait à la fois l’affirmation du principe de l’égalité des hommes et des femmes dans le préambule et le rappel qu’il faut favoriser – je pense que l’on reviendra dans le cours de la discussion sur les termes “ favoriser ” ou “ garantir ” – leur égal accès aux mandats et fonctions politiques dans le corps même de la Constitution.

C’est ce que les textes européens et onusiens, s’efforcent de démontrer depuis cinq décennies. Je n’ai pas le temps de vous le prouver puisque les minutes me sont comptées, mais je pourrais le faire en soulignant comment chaque convention est là pour dire : “ Oui, l’inscription symbolique existe mais maintenant il faut avancer ; oui, l’égalité de traitement est affirmée dans le traité de Rome mais cela ne suffit pas et il faut désormais inverser la charge de la preuve comme le fait la directive du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans le cas de discrimination fondée sur le sexe ”. Il y a donc une logique à vouloir inscrire dans le symbolique, non pas pour les répéter mais pour les repérer, les obstacles à la réalisation du principe d’égalité entre les sexes et le fait qu’il faut les lever ; c’est l’objet de la nouvelle rédaction de l’article 3 qui consiste, d’abord et avant tout, à reconnaître qu’on ne peut pas aller assez loin avec le préambule, en raison des obstacles qui existent et qui doivent être surmontés.

Avant de savoir comment, concrètement, nous pourrons mettre en œuvre cette exigence d’égal accès aux mandats et fonctions, permettez-moi d’évoquer maintenant une éventuelle modification de l’article premier de la Constitution.

Si nous avions ajouté “ sans distinction de sexe ” nous serions retombés dans l’énumération du catégoriel. En revanche, ce qui est proposé avec l’adjonction à l’article 3, c’est une redéfinition de la souveraineté, qui a un double intérêt.

Tout d’abord, il y a là une “ déliaison ” extrêmement rare dans l’histoire de la pensée occidentale. Permettez-moi de rappeler que, depuis la pensée de l’Antiquité, depuis Aristote, les femmes ne sont, comme je l’ai écrit dans l’un de mes articles, “ jamais pensées seules ”, mais avec les serviteurs, les enfants, les fous, les Juifs , les artistes, les colonisés ou les handicapés, comme dans le quatrième pilier du plan national d’action pour l’emploi. Par ailleurs, elles sont encore et toujours pensées, depuis vingt-cinq siècles, soit dans le langage de l’oppression, soit dans celui de l’émancipation.

La “ déliaison ” ainsi opérée permet de dire que le rapport hommes-femmes dans la société doit être inscrit dans la Constitution. Pour la philosophe que je suis, cette inscription symbolique ne se limite pas à un gadget : tout le monde sait en effet que le symbolique peut avoir des effets dans le réel !

L’inscription du principe à l’article 3 qui traite des conditions d’exercice de la souveraineté plutôt qu’à l’article premier nous rappelle que nous sommes en train, aussi, de repenser la souveraineté nationale. Qu’est-ce que la souveraineté dans une démocratie ? Qu’est-ce que la souveraineté dans une République ? En fait, tout au long de l’histoire, la souveraineté doit s’incarner. Or, dans notre République, quelle que soit la formule utilisée, les deux sexes sont évoqués. Pour ceux qui le craindraient, je précise cependant qu’il n’est pas question de fonder la souveraineté sur le biologique.

La proposition qui est faite aujourd’hui par le Gouvernement ne comporte d’ailleurs pas l’inscription de la parité en tant que telle – je sais que certaines de mes amies féministes vont être extrêmement fâchées que je parle en ces termes – et c’est précisément pourquoi elle est particulièrement intéressante. Il me semble que nous avons à redéfinir la souveraineté sachant que le biologique ne peut être utilisé pour refonder le politique mais que la souveraineté doit nécessairement être incarnée dans un peuple souverain ! Il existait bien jadis deux corps du roi et, aujourd’hui, s’ils ont disparu, il reste, en revanche, des hommes et des femmes qui doivent exercer leur pouvoir de souveraineté.

Mme Danièle Lochak : Je suis heureuse d’avoir entendu Mme Geneviève Fraisse car cela va me permettre d’alimenter mon intervention.

En ce qui concerne l’option d’une réforme constitutionnelle, je pense personnellement qu’elle est judicieuse. Les suggestions et les propositions qui avaient pour objet d’éviter la réforme constitutionnelle en se fondant sur la convention pour l’élimination de toutes les discriminations ne me semblaient pas satisfaisantes, car je considère qu’à partir du moment où l’on peut faire quelque chose, qu’on le veut politiquement et qu’il existe un consensus, il faut choisir la voie de la révision constitutionnelle, qui est aussi la seule permettant de contourner les obstacles dressés par le Conseil constitutionnel. Même l’organisation d’un référendum ne me paraissait pas une proposition judicieuse : il est préférable d’affronter carrément l’obstacle, comme j’aurais également souhaité qu’on le fasse pour le droit de vote des étrangers, autre problème qui est hors sujet aujourd’hui ...

Pourtant, et même après avoir entendu Geneviève Fraisse, je me pose quand même quelques questions, notamment sur la portée de la rédaction de cet article au regard de l’article du préambule, qui dispose “ la loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l’homme ”. Il est vrai qu’on ajoute quelque chose, d’abord parce que l’on intervient sur un article concernant spécifiquement la souveraineté, mais ensuite – et surtout – parce que l’article du préambule proclame simplement l’égalité juridique. De fait, en matière politique, il est incontestable que les femmes ont juridiquement des droits égaux à ceux des hommes. Avec le projet de loi, on va donc un tout petit peu plus loin, puisqu’il est question de “ favoriser l’égal accès ”, c’est-à-dire que l’on vise un objectif et que l’on tend vers l’égalité de fait.

Cela étant, et ce sera mon dernier mot, je reste tout de même un peu sceptique sur la portée de cet article. Il présente l’avantage, parce qu’il est finalement symbolique – il n’est à mon sens que symbolique – de pouvoir rallier les suffrages de tous ceux et de toutes celles, dont bon nombre de mes amis, qui, au nom de l’universalité, critiquent la parité. En effet, cet article mentionne simplement que “ la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ” et je ne vois vraiment pas qui pourrait s’opposer à cette formule qui respecte parfaitement l’objectif d’universalité. Mais, du coup, je me demande – j’ignore si je ne fais pas ici un peu de provocation – si le jour où la loi inscrira dans les textes une disposition qui, non pas “ favorise ” mais “ assure ” l’égal accès des hommes et des femmes, autrement dit, le jour où une loi inscrira la parité dans les textes, cette disposition sera susceptible de faire fléchir le Conseil constitutionnel dans la mesure où, entre la formulation retenue et la parité, il y a une grande marge !

Je suis d’autant plus à l’aise pour le dire que je ne suis, ni tout à fait pour, ni tout à fait contre la parité. A priori, la parité me gêne quelque peu mais que j’estime qu’il faut parfois savoir ce pourquoi on se bat : si, depuis cinquante ans, l’on n’est pas parvenu à assurer l’égalité des hommes et des femmes en politique, il faut quand même effectivement s’y résoudre !

Mme la Présidente : Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez en disant que vous n’êtes pas “ tout à fait pour ” la parité et qu’elle vous “ gêne quelque peu ” ?

Mme Danièle Lochak : Je pense qu’il y a deux façons de justifier la parité. La première est purement pragmatique et j’y adhère volontiers. La seconde, défendue par des personnes pour qui j’ai, par ailleurs, beaucoup d’estime, me gêne un petit peu : elle consiste notamment à dire que les catégories hommes-femmes ne sont pas réductibles aux autres formes de classement en catégorie puisque, finalement, les hommes et les femmes constituant les deux moitiés de l’humanité, les femmes ne sont pas une catégorie comme les autres.

Je pense que le fait de considérer que la “ catégorisation ” hommes-femmes n’est justifiée que par la biologie – parce que c’est bien ce qui nous est proposé – est dangereux. Si, en revanche, elle s’explique par la culture, l’aliénation étant une réalité, l’oppression n’est alors que temporaire et n’est pas liée à l’essence des femmes. Dans ce cas, il n’y a pas lieu de prendre des dispositions qui s’inscriraient dans la durée.

Je pense que l’on peut transiger avec l’universalisme abstrait lorsque c’est nécessaire et si le remède n’est pas pire que le mal. J’admets que l’universalisme a pendant longtemps été un alibi, qu’il a fait le jeu des hommes et je serais donc prête à y déroger, mais à condition, encore une fois, que la parité inscrite dans les textes soit justifiée par une argumentation pragmatique, montrant que c’est la seule façon d’y parvenir en instaurant – bien que je n’aime pas le mot – une sorte de “ discrimination ” positive. J’exclus cependant toute argumentation fondée sur la nature ou sur la culture, étant entendu que je ne considère pas que l’objectif soit d’avoir strictement autant de femmes que d’hommes au Parlement : ce qu’il faut, c’est instaurer une réelle égalité des chances et s’il n’y a pas d’autre moyen d’y parvenir que la parité, allons-y pour la parité ...

Pour me résumer, j’estime que les fondements idéologiques, symboliques et philosophiques de la parité sont fragiles, mais je l’admets si la situation ne peut pas être débloquée autrement !

Mme Gisèle Halimi : Je voudrais présenter, en les résumant, les conclusions du rapport de la commission pour la parité en politique de l’Observatoire de la parité, mis en place, par le décret du 18 octobre 1995, pour trois ans et qui vient d’être renouvelé par un nouveau décret. En outre, je souhaiterais vous livrer mon sentiment personnel, qui est postérieur à la publication dudit rapport.

En ce qui concerne la commission, je dois d’abord dire que nous y avons travaillé trois ans sous la direction de Mme Roselyne Bachelot-Narquin dans une parfaite communauté de vue – je parlerai même de symbiose – tant pour ce qui était des personnalités à auditionner que de la rédaction du rapport et j’ajouterai, de l’amitié. Nous nous sommes d’abord attachées à trouver, en quelque sorte, les racines du mal – sans jeu de mots – de la discrimination à l’égard des femmes. Nous avons ainsi auditionné une cinquantaine de personnalités de tous les horizons, à commencer par les personnalités religieuses – puisque la culture judéo-chrétienne imprègne notre société dite “ laïque ” – puis les sociologues, les historiens, les philosophes, les dirigeants politiques des grandes formations, les associations, certaines femmes qui nous ont fait part de leur expérience, notamment celles qui avaient occupé des responsabilités importantes, comme Edith Cresson, Michèle Barsach ou Simone Veil et, enfin, des représentants des médias et des constitutionnalistes.

Quelles ont été les conclusions de ce rapport ?

La révision constitutionnelle, pour reprendre le plan que vous avez proposé, est évidemment nécessaire en raison de l’annulation par le Conseil constitutionnel, le 18 novembre 1982, d’un amendement que j’avais soutenu sur le projet de loi relatif à l’élection des conseillers municipaux, qui reprenait les travaux de Monique Pelletier qui, lorsqu’elle était ministre de la condition féminine, avait eu l’excellente initiative de soumettre un projet de loi à l’examen du Sénat en emboîtant le pas à un article du doyen Vedel sur la question. L’amendement avait été voté à la quasi unanimité, même au Sénat, ce qui est assez remarquable pour qu’on le souligne. J’indique qu’en l’occurrence, le Conseil constitutionnel s’était en quelque sorte auto-saisi puisqu’aucun député ni sénateur n’avait invoqué l’inconstitutionnalité de cet amendement et demandé son annulation au Conseil. Pourquoi cette décision ? Il serait trop long de l’expliquer ici, mais je crois que Danièle Lochak a fait une critique de la décision tellement convaincante et éblouissante que j’ai tenu à la rapporter dans notre rapport de la commission en soulignant que cela revenait à ranger les femmes, comme les hommes d’ailleurs, dans des catégories.

La révision constitutionnelle a donc été jugée nécessaire mais je tiens à préciser que la chose n’allait pas de soi et que nous avons été divisés : certains, opposés à une révision, réclamaient un vote, arguant que personne ne saisirait le Conseil constitutionnel et que, si c’était le cas, il suffirait de faire du lobbying auprès de la haute juridiction pour qu’il n’y ait pas de nouvelle décision d’annulation, ce qui ne me paraissait pas très sérieux !

Notre rapport concluait à la modification de l’article 3 dans des termes qui ne sont ceux du projet de loi qui nous est soumis. Nous proposions le texte suivant : “ l’accès égal aux mandats et aux fonctions est assuré par la parité ”. Cette rédaction était claire : elle mentionnait la “ parité ”, l’“ accès égal ” et elle retenait le terme “ assurer ”. De là vient, je crois – mais c’est mon sentiment personnel – la principale critique que l’on peut adresser au projet de loi. En retenant le verbe “ favorise ” – de ce point de vue, je ne me situe pas tout à fait sur la même longueur d’ondes que Danièle Lochak – il constitue un pas, bien sûr, mais il n’apporte aucune garantie.

Pour ce qui me concerne, j’avais également proposé, pensant que c’était là un toilettage envisageable dans la foulée, la modification de l’article premier de la Constitution, puisque vous avez peut-être noté que celui-ci assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion, mais qu’il ne mentionne pas les distinctions de sexe.

Pour ce qui a trait maintenant à la procédure, tous les constitutionnalistes interrogés qui, à l’exception peut-être de M. le doyen Favoreu, étaient farouchement opposés au principe même de la parité – je pense notamment au Doyen Vedel – étaient favorables à une révision par référendum.

Je pense très franchement que nous avons perdu une grande occasion de faire du problème de la parité un véritable débat national, ce qui nous ramène à la troisième question à laquelle vous souhaitiez que nous répondions car, pour traduire dans les faits la parité, encore faut-il qu’il y ait un débat ! Or, nous savons que les procédures à l’Assemblée, au Sénat et au Congrès, ne permettent pas un débat qui impliquerait tous les citoyens et les citoyennes. Ceux-ci auraient pu être interrogés sur une question d’ailleurs très simple – souhaitez-vous qu’il y ait autant de femmes que d’hommes dans les assemblées élues ? – à laquelle ils étaient tout à fait à même de répondre, dès lors qu’ils ont répondu à une question aussi complexe que celle de la ratification du traité de Maastricht.

La voie du référendum de l’article 11 n’a pas été retenue alors qu’elle aurait été parfaitement adaptée. Le Doyen Vedel, ainsi que je le souligne dans notre rapport, l’a dit d’une manière parfaitement claire lorsqu’il présidait le comité consultatif pour la révision de la Constitution ; il avait conclu que l’on ne pouvait plus utiliser l’article 89 parce que cela donnait, ce qui est une évidence, un droit de veto à l’une des deux assemblées dans la mesure où le texte doit être adopté dans les mêmes termes.

Finalement, c’est le recours à l’article 89 qui a prévalu, ce qui implique le vote identique des deux assemblées et la ratification par le Congrès à la majorité qualifiée des trois cinquièmes. En tout état de cause, je souhaite que l’Assemblée manifeste un intérêt suffisamment marqué pour que, même en l’absence de référendum, un véritable débat national puisse avoir lieu. Je crois que ce n’est pas une question que l’on peut traiter de manière purement technique car, si elle est indéniablement technique puisqu’elle concerne une révision de la Constitution, elle doit avoir des échos profondément populaires, c’est-à-dire que tous les citoyens et citoyennes doivent pouvoir se prononcer.

J’en arrive au point de mon exposé qui traite de la façon de traduire la parité non seulement dans la vie politique, mais aussi dans d’autres domaines.

Dans la vie politique, cela paraît presque simple et je voudrais préciser à cet égard que, dans notre rapport, nous avions conclu à la nécessité de mesures transitoires dont on ne parle plus et de mesures d’accompagnement qui restent nécessaires.

Quelles sont-elles ? Le non-cumul des mandats – selon les sondages 84 % des citoyens se déclarent hostiles au cumul – une limite d’âge pour les carrières politiques
– certains partis l’ont prévu de manière interne même si je crois que la règle n’a pas été respectée – un statut de l’élu – c’est à l’unanimité que nous avons adopté cette proposition qui me paraît très importante, non seulement pour les femmes mais également pour les hommes – et, enfin, une éventuelle modification du mode de scrutin, proposition sur laquelle des divergences sont apparues étant entendu qu’une des difficultés techniques que présentera la mise en œuvre de la parité sera de définir la façon de procéder pour un scrutin uninominal à deux tours ...

Le parti communiste s’est exprimé sur ce point, sans pour autant en faire une condition préalable – ce qui était tout de même un très grand progrès – puisque Robert Hue est venu dire qu’il faudrait un scrutin proportionnel. Le parti socialiste également, Lionel Jospin qui le représentait s’étant lui aussi, déclaré favorable à une modification du mode de scrutin, de même que l’U.D.F. qui, par la voix de Gilles de Robien, a fait savoir qu’il désirait maintenir le scrutin uninomimal mais en corrigeant ses effets négatifs.

Je terminerai cet exposé en parlant de tous les autres domaines. A ce sujet, je souhaite qu’il y ait une clarification car j’avoue être quelque peu agacée en entendant parler de “ parité dans la vie domestique ”. Qu’est-ce que cela veut dire en termes de Constitution et en termes de loi ? Il faut tout de même ne pas galvauder le langage et je crois qu’en utilisant des termes totalement inappropriés, on complique le débat. Je reconnais que je me livre là à une autocritique puisque cette tendance est plutôt le fait des mouvements féministes.

Je voudrais ajouter, en conclusion, que j’ai publié un article que vous avez peut-être eu l’occasion de lire dans le journal Le Monde sur un fait divers et où je soulignais qu’une femme mourrait tous les dix jours de violences conjugales en Espagne ... A cette violence dans la vie domestique, dans la vie privée, il y a beaucoup de solutions en amont. Cependant, si nous imaginons une Assemblée nationale composée d’autant de femmes que d’hommes dans une démocratie, qu’elle soit de droite ou de gauche, j’aimerais savoir quelle serait la femme de droite ou de gauche qui pourrait accepter un tel état de fait et qui ne chercherait pas des solutions légales, y compris par des lois répressives si besoin en était ... Voilà donc un problème qui est d’ordre domestique et privé épouvantable et auquel des solutions pourraient être apportées par la parité en politique.

M. Guy Carcassone : Je suis, j’imagine comme tout le monde, consterné qu’il soit nécessaire de passer par une révision de la Constitution, mais cependant sans le moindre état d’âme sur sa justification dès lors que, d’un point de vue pragmatique, elle apparaît indispensable !

Cette précision étant posée, je m’en tiendrai à un seul aspect : la révision constitutionnelle est nécessaire, avant tout, pour permettre de revenir, de manière publique et totalement assumée, sur la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982. J’observe, au passage, que l’on fait porter au Conseil constitutionnel une responsabilité indue à mon sens : le Conseil aurait pu interpréter la Constitution de manière différente, mais son interprétation de 1982 est tout sauf scandaleuse ...

Il faut donc modifier la Constitution. Reste à s’interroger sur le contenu du projet de loi soumis à notre examen, que je crois à certains égards critiquable pour des raisons à la fois techniques et parlementaires.

En effet, sur le plan parlementaire, pour évacuer ce point rapidement, il est clair que la nécessité d’un vote conforme par les deux assemblées est une contrainte puisque l’on peut craindre une forte réticence, au moins au palais du Luxembourg et sans doute nettement moindre au Palais Bourbon. Or, à partir du moment où on la prévoit, il n’est pas forcément sot d’essayer d’anticiper.

Techniquement, je suis réservé sur le fait d’inscrire dans la Constitution des obligations positives de faire, qui s’imposent au législateur. En d’autres termes, il va de soi que la révision constitutionnelle qui est nécessaire n’est pas suffisante et qu’il faudra, en tout état de cause, que le Parlement intervienne pour aménager les textes, notamment de droit électoral, pour donner son sens à l’obligation qui lui serait, par hypothèse, imposée.

Ce qui me préoccupe un peu, c’est la rédaction même du projet dont vous êtes saisis. En effet, à partir du moment où l’on écrit que “ la loi favorise l’égal accès ” – je sais que déjà on regrette que ce soit simplement “ favorise ” plutôt que “ garantit ” – cela signifie qu’il va y avoir un nid à contentieux constitutionnels qui, contrairement à ce que l’on peut croire, va jouer dans les deux sens. Je veux dire par là que, techniquement, il sera possible à tout saisissant grincheux du Conseil constitutionnel, sur pratiquement absolument n’importe quel texte, même totalement hors du champ institutionnel, de dire : “ ce texte sur la législation des baux ruraux, est contraire à la Constitution parce qu’il n’a pris aucune disposition favorisant l’égal accès des femmes en qualité de titulaires de baux ruraux ”. J’exagère évidemment, mais à peine, car je sais bien, ne serait-ce que par expérience, ce que sont les tentations de ceux qui ont à rédiger des saisines. En fait, je crains beaucoup la situation dans laquelle, finalement, pratiquement tout le contentieux constitutionnel fera de manière quasiment rituelle l’invocation d’un moyen fondé sur le dernier alinéa de l’article 3, au point de le galvauder.

En sens inverse, on court le risque, presque plus grave, que le juge constitutionnel
– je ne vise pas du tout la composition actuelle du Conseil constitutionnel ou sa composition future que, par définition, j’ignore – ne devienne finalement plus “ paritariste que les paritaristes ” et que, compte tenu de la rédaction retenue, il soit en mesure, en 2010, de censurer des textes qui iraient effectivement dans le sens de la parité, non plus, comme en 1982, parce qu’ils vont trop loin, mais parce qu’ils n’iraient pas assez loin !

Or, à partir du moment où l’égal accès deviendrait le critère unique, un juge constitutionnel mal disposé pourrait toujours trouver à redire, y compris vis-à-vis de dispositions que le législateur aurait été obligé de prendre pour des raisons techniques ou politiques d’évidence. Je souligne, à cet égard, que parvenir à une répartition exacte à cinquante-cinquante dans les scrutins uninominaux est un défi auquel il est possible intellectuellement, mais beaucoup plus difficile politiquement, d’imaginer des réponses.

Bref, tout cela m’amène à considérer qu’il serait peut-être possible de parvenir au but recherché en recourant à des moyens techniques plus adéquats. La proposition de rédaction que je vous suggère consiste, en quelque sorte, à inverser la logique de la phrase qui pourrait se lire à peu près de la façon suivante : “ l’accès équilibré (ou l’égal accès) des femmes et des hommes aux mandats et fonctions est recherché dans les conditions déterminées par la loi... ”, de sorte qu’il soit bien clair, d’abord, que la loi peut faire désormais ce qui lui a été interdit en 1982, ensuite que ce n’est pas une obligation absolue qui lui est imposée, dont le non-respect entraînerait la censure. En effet, ne nous voilons pas la face : soit le législateur est décidé à aller dans ce sens et il le fera, soit il n’y est pas décidé et rien ni personne ne pourra l’y contraindre ; il me semble sage d’anticiper une telle option.

J’ajoute que ce type de rédaction qui, j’en suis convaincu, ne serait pas de moindre portée que celle qui est proposée, susciterait sans doute moins d’hostilité chez vos collègues du Sénat.

Mme Monique Pelletier : Mon propos sera sans doute beaucoup plus pragmatique mais je réfléchirai à la proposition présentée par Guy Carcassonne qui me paraît fort intéressante, compte tenu des obstacles, j’espère imaginaires, qu’il a évoqués.

J’interviens ici parce que j’ai été chargée, au sein d’un gouvernement, de la défense des droits des femmes et qu’après d’autres et avant bien d’autres, je me suis efforcée de faire progresser ces droits.

J’interviens aussi, non pas que je sois mandatée, mais parce que je fais partie du Groupe des Dix pour la parité, qui rassemble dix femmes, toutes anciens ministres d’opposition et de la majorité à part égale, qui se réunissent régulièrement pour évoquer tous les problèmes de la vie des femmes et les injustices ou anomalies que la situation leur réserve encore. Nous avons publié, il y a maintenant trois ans, un manifeste des Dix pour la parité, publié dans l’Express, qui, à l’époque, a eu un retentissement important et se voulait une proposition destinée à faire avancer plus vite la marche vers la parité.

Personnellement, je suis tout à fait désireuse que l’Assemblée, et les parlementaires qui sont de la famille dont je me réclame, s’associent à ce projet de loi qui m’apparaît tout à fait important – la vie m’a appris qu’on n’avait jamais tout, tout de suite, qu’il fallait accepter une voie pragmatique et progressive – et marque une avancée significative. Cependant, comme Guy Carcassonne l’a souligné, il ne constituera un réel progrès que si suivent des lois qui mettront en place les moyens réels de favoriser cette égalité de chances que nous demandons pour les femmes dans les assemblées représentatives.

Bien sûr, je ne ferai pas le constat que nous connaissons tous, bien sûr je ne rappellerai pas que, désormais, les droits théoriques à l’égalité sont reconnus aux femmes, qu’ils soient inscrits dans la déclaration des droits de l’homme, dans la Constitution ou dans les lois. Les femmes bénéficient donc d’un droit théorique à l’égalité mais il existe un immense fossé entre ce droit théorique et les droits concrets, pratiques, qui leur permettent d’accéder à une représentation plus normale, moins choquante, moins dérisoire dans la vie publique.

C’est le premier effet que va avoir ce texte puisqu’il reconnaît le droit aux assemblées de favoriser ou de rechercher, peut-être demain par les textes qui suivront, les moyens de favoriser cette meilleure représentation. Il y a, bien sûr, la modification évoquée du scrutin majoritaire – lequel constitue un lourd handicap pour les femmes – qui consiste à y ajouter une dose de proportionnelle ; c’est en tout cas mon souhait personnel. Il y a également l’attitude des partis politiques qui devraient, dans les instances d’investiture, mettre autour de la table suffisamment de femmes, et elles sont nombreuses à pouvoir y prétendre. Il devra y avoir enfin des projets de loi concrets qui mettront en œuvre ce que certains appellent “ une discrimination positive ” en faveur des femmes et que je préfère appeler “ une action positive ”, c’est-à-dire qu’à compétence égale, une préférence serait donnée, pendant un temps, pour un poste, une fonction, un mandat, à une femme.

Nous avons à remédier à un important déséquilibre et il faudra beaucoup de temps pour y parvenir : nous ne disons pas aujourd’hui, et je crois que personne parmi nous ne le prétend, que la parité est un objectif pour demain ! Yvette Roudy a parlé de dix ans pour réussir ; je pense, quant à moi, que les résultats ne seront pas immédiats mais qu’il faut que les pas vers cette parité se fassent de manière ininterrompue.

J’évoquerai deux objections sur la parité que l’on entend ici ou là, mais qui m’apparaissent réellement non fondées.

Premièrement, certains prétendent que nous allons, avec ce texte, faire surgir des demandes de catégories diverses, dont la liste est archiconnue parce qu’elle est archirépétée, et contrevenir ainsi au principe d’égalité des citoyens devant la loi. Je réponds, et je pense qu’on ne peut pas ne pas répondre, que les femmes ne sont pas une catégorie, qu’il y a des femmes comme des hommes chez les beurs, chez les aveugles, chez les handicapés, que nous sommes la moitié de l’humanité, que nous sommes la partie féminine de l’humanité avec, je l’ajoute, les différences que pour ma part je revendique !

Deuxièmement, argument qui m’apparaît également mal fondé : certains arguent en outre qu’il n’est pas nécessaire de légiférer puisque cette égalité est déjà inscrite dans tous les textes fondamentaux. A cette assertion, je rétorque que le principe de l’égalité est inscrit mais qu’il n’est pas transformé en actes concrets et qu’il faut donc remédier à cette distorsion entre principe et réalité.

J’approuve le recours à la modification constitutionnelle dans la mesure où, dans sa décision du 18 novembre 1982, le Conseil constitutionnel garant de la Constitution – et je partage l’avis de Guy Carcassonne qui disait qu’il n’avait pas tort en droit même s’il avait tort, à mon avis, en opportunité – a dénoncé l’atteinte au principe de l’égalité des citoyens devant la loi.

Pour ce qui me concerne, je souhaite, tout comme Gisèle Halimi, qu’un vrai débat public s’instaure sur cette question. Je vous rappelle, à ce propos, que le dernier sondage demandé par le Groupe des Dix avant de publier son manifeste, montrait que 86 % des hommes et des femmes et que 91 % des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans souhaitaient cette marche vers la parité. Il me semble que les assemblées devraient tenir compte de ce changement d’opinion pour accepter que les femmes jouissent d’une réelle égalité de droit en leur sein.

Je terminerai par un propos qui est très personnel : je souligne que ce ne sont pas des féministes enragées qui souhaitent ce progrès mais des femmes qui – c’est en tout cas mon cas et celui de nombreuses femmes – se reconnaissent comme différentes et complémentaires et qui ont donc leur part à prendre dans les décisions, qui s’enrichiront de cette complémentarité.

La famille est aujourd’hui et depuis toujours mixte, la vie sociale et professionnelle le devient, pourquoi seule la vie politique resterait-elle à l’écart de ces évolutions ? Je pense et j’espère que les assemblées s’intéresseront à ce débat puis qu’ensuite, elles prendront par leur vote la décision qui est souhaitée par une très grande majorité des citoyens de ce pays parce qu’elle est juste d’une part, et qu’elle permettra la prise de meilleures décisions d’autre part.

Mme la Présidente : Je vais vous demander, Monsieur le doyen, de bien vouloir clore ce tour de table. C’est un rôle qui vous revient de par l’originalité de votre position puisque vous êtes ici le seul à avoir pris, depuis longtemps déjà, une position sensiblement différente de celles qui viennent d’être exprimées, même si elles comportaient déjà un certain nombre de nuances.

M. Louis Favoreu : Je suis en effet de ceux qui, sur ce sujet de la parité, ont élevé des objections d’ordre juridique, mais non d’ordre personnel. J’observe, par ailleurs, que ce matin, la parité n’est pas tout à fait respectée puisque nous ne sommes que deux hommes sur les six invités, ce dont je ne me plaindrai pas du tout, jugeant au contraire cette répartition tout à fait souhaitable !

Je répondrai aux questions que vous avez posées et j’aborderai rapidement quatre points : l’opportunité d’une révision, un tableau du droit comparé qui me semble important, l’historique et l’examen de la proposition.

Sur la question de savoir s’il faut une révision, je dirai que je suis de ceux qui la souhaitaient. D’ailleurs, avec Danièle Lochak, nous sommes arrivés à un accord total, l’année dernière, lors des journées socialistes de La Rochelle puisque, alors que nous pensions débattre de nos propositions respectives, nous nous sommes aperçus qu’elles ne divergeaient pratiquement pas. A cet égard, je soulignerai que je pourrais abréger mon exposé dans la mesure où j’ai écrit sur ce point un petit texte que je tiens éventuellement à votre disposition et qu’en outre, nous avons organisé, l’année dernière, un colloque international sur le sujet des “ discriminations positives ” qui a donné lieu à la publication de quelques centaines de pages dans l’annuaire international de justice constitutionnelle et où vous trouverez les positions d’une quinzaine de pays et énormément d’informations sur la question qui nous intéresse ce matin.

Je suis favorable à la révision mais, par rapport au petit texte publié dans le rapport du Conseil d’Etat, je voudrais apporter une précision concernant le doyen Vedel. J’ignorais alors en effet la position qu’il avait prise en 1982, à savoir qu’il s’était récusé, déporté, et qu’il n’avait donc pas participé à la décision. Je tenais à apporter cette rectification puisque je lui prêtais une présence qu’il n’avait pas.

Vous me permettrez d’apporter une seconde précision concernant, cette fois, le comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par le doyen Vedel : en réalité
– et Guy Carcassonne peut en témoigner – il y a eu une proposition de révision conjointe de l’article 89 et de l’article 11 qui avait pour objet de faire sauter le verrou de l’article 89, tout en évitant que la révision puisse se faire par le biais de l’article 11. C’était donc une sorte de compromis qui avait été proposé dans le cadre du Comité Vedel dans le rapport de février 1993.

La révision me semble donc s’imposer. A La différence de Guy Carcassonne, je ne le déplore pas dans la mesure où je considère que nous sommes maintenant, comme les autres grands pays, engagés dans un processus d’adaptation régulier de la Constitution. Si en revanche, Guy Carcassonne veut mettre l’accent sur le risque que comporte une inscription dans la Constitution au-delà même du problème de la révision, je reconnais que c’est un point qui mérite discussion. Il n’en reste pas moins que, sur le fait de réviser la Constitution, contrairement à une opinion largement répandue, je constate qu’en France, on traite enfin la Constitution comme elle devrait l’être et qu’on n’en change pas par des coups d’état et des révolutions mais bien par le biais de révisions. De ce point de vue, j’ai le sentiment que les révisions sont nécessaires et que le Conseil constitutionnel est précisément là pour les provoquer. En réalité s’il est là, c’est bien parce que la Constitution est respectée : lorsqu’il n’y avait pas de juges constitutionnels on pouvait la violer sans qu’il soit nécessaire de la réviser.

Pour ce qui concerne le droit comparé, je voudrais répéter ce que j’ai déjà dit, à savoir que si la réforme envisagée est adoptée, nous serons les seuls à nous être engagés dans la voie d’une révision constitutionnelle en la matière. En effet, contrairement à ce qui a été dit souvent, les Etats-Unis n’ont rien fait de tel et l’affirmative action américaine se différencie sur deux points de ce qui est envisagé en France : d’une part, c’est une mesure temporaire de rattrapage d’une situation passée, ce qui n’est pas le cas des mesures qui sont aujourd’hui envisagées en France ; d’autre part, on ne touche jamais la zone suspecte puisqu’il n’y a jamais de “ discrimination positive ” en matière politique ; d’ailleurs, les femmes ne le réclament pas, à l’exception des organisations les plus extrêmes qui vont jusqu’à revendiquer des collèges séparés !

Du côté des pays scandinaves, il en va de même : les Suédois et les Norvégiens ont des textes qui s’appliquent uniquement dans la sphère administrative, encore que lorsque cette dernière touche au problème de l’élection, il n’y a plus de “ discriminations positives ” qui tiennent !

En Europe, seule l’Italie s’est lancée dans une démarche comparable à celle de la proposition “ Pelletier-Halimi ” de 1982, mais il y a eu une décision de la cour constitutionnelle qui l’a interrompue. J’assistai à un colloque à Pise quand la formation bicamérale qui devait proposer la révision a été dissoute et n’a donc pu mener à bien le projet qui se proposait, comme c’est le cas en France, de prendre par la loi constitutionnelle ce que la cour constitutionnelle n’avait pas autorisé, c’est-à-dire une inscription privilégiée des femmes sur les listes de candidatures aux élections municipales. En Belgique, enfin, il y a une mesure beaucoup moins contraignante que celle qui avait été prévue en France, puisqu’elle n’assure pas une égalité de résultats mais simplement une égalité de chances.

Au total, en droit comparé, je dirai que, d’une manière générale, la formule de la parité est écartée. Dans ces conditions, comment les Scandinaves sont-ils parvenus quand même à obtenir qu’au Parlement, il y ait 40 % de femmes ? Par des mesures incitatives à l’intérieur des partis politiques, ce qui me permet de vous dire que s’il est très difficile, à mon sens, de satisfaire juridiquement les demandes de Mmes Pelletier et Halimi, le fait de les avoir formulées et largement diffusées a fait progresser les mentalités. Je sais que Mme Halimi n’est pas favorable à la voie scandinave, mais je note qu’elle a permis de réaliser des progrès puisque les femmes représentent non seulement 40 % des élus, mais aussi la moitié du Gouvernement et que le Premier ministre est une femme ; je n’en dirai pas plus puisqu’il s’agit d’une situation bien connue !

Les réflexions auxquelles on peut se livrer sur l’égalité et la parité, me permettent de glisser très rapidement à l’historique et de signaler que l’on est passé, en France, d’une revendication qui était celle de quotas sur les listes de candidatures, à celle de la parité, c’est-à-dire l’égalité des résultats. Autrement dit, on est passé, en seize ans, d’un point de vue à un autre diamétralement opposé !

Par rapport aux revendications présentées à l’étranger, cela représente donc un pas considérable : nous étions peut-être initialement en retard en matière de revendications, mais maintenant nous avons largement dépassé nos voisins avec la parité et cette exigence d’égalité dans les résultats, telle qu’elle apparaît dans la loi sur l’élection des conseils régionaux.

J’en arrive maintenant aux questions théoriques qui peuvent se poser. Tout d’abord l’égalité est incontestablement différente de la parité. En réalité, la parité fait que désormais l’égalité est envisagée à l’intérieur de chaque sexe, ce qui veut dire qu’il y a un déplacement de l’égalité. Ensuite, sur le plan théorique, juridique, l’égalité est déjà inscrite dans notre Constitution sous la forme de la non-discrimination. Ce que l’on veut désormais inscrire, c’est la discrimination positive, ce qui représente un pas qui n’a été franchi nulle part ailleurs, notamment au niveau de la Constitution.

Les risques de la parité – je raisonne sur ces risques et non pas sur le problème précis qui nous est soumis et sur lequel je reviendrai plus tard – sont connus : c’est le fractionnement en catégories dont on a parlé, car la décision du 18 novembre 1982 est moins fondée sur l’égalité que sur l’indivisibilité du peuple français. Il faut bien voir que cette décision de 1982, que nous hésitons d’ailleurs à faire figurer dans nos grandes décisions, alors que, rétrospectivement, c’en est une, en a fondé une autre assez différente : l’interdiction de toute référence à la notion de peuple corse tire directement sa source de la décision de 1982, laquelle protège l’indivisibilité du peuple et de la République !

J’ajoute que le fractionnement est un risque d’autant plus grand que vient s’y ajouter l’idée que l’on privilégie le groupe par rapport à l’individu. C’est donc la conception individualiste de notre droit qui risque de changer, dans la mesure où c’est l’appartenance au groupe qui va définir les droits et non plus la qualité de l’individu. On rejoint ainsi une réflexion philosophique qui peut être faite sur la diversité et l’universalité !

J’en viens au dernier point de mon exposé : la proposition elle-même. Elle est évidemment très différente de celle qui avait été faite, notamment par Mme Halimi, sur la parité ainsi qu’elle l’a dit elle-même. Par ailleurs, on peut se demander si la formule du préambule de 1946 “ la loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l’homme ” n’est pas plus forte, mais c’est peut-être un geste politique qui, comme l’a dit un expert, Guy Carcassonne, peut avoir sa signification. Ce qui a été dit par Georges Vedel, lors d’un entretien avec le garde des Sceaux, c’est que la modification – et Guy Carcassonne l’a également évoqué – transférera la responsabilité du pouvoir constituant au pouvoir constitutionnel, ce qui est une solution envisageable qui s’est appliquée dans d’autres pays qui ont une Constitution moderne. Par exemple, les constituants espagnols, qui n’ont pas voulu prendre position sur le problème de l’avortement, ont trouvé une formule sibylline qui laissait la responsabilité de l’interprétation au tribunal constitutionnel !

De même, la portée des dispositions constitutionnelles qui vous sont soumises va très certainement largement dépendre de l’interprétation qu’en fera le Conseil constitutionnel. Dans le cadre du projet de loi sur les élections régionales, qui est en cours de discussion, est inscrit le système des quotas pour les listes de candidatures ...

Mme la Présidente : et de la parité !

M. Louis Favoreu : ... et de la parité, ce qui est encore plus fort !

Les dispositions qui seront adoptées pourront donc, le cas échéant, être confrontées à la formule retenue par le projet de loi constitutionnelle : “ la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes ... ”. Si l’on avait choisi d’écrire “ la loi favorise l’égal accès des femmes ”, c’eût été clairement une discrimination positive, mais faire figurer les femmes avant les hommes suppose une intention marquée par la rédaction, sachant que la formule du préambule de la Constitution de 1946 est tout aussi claire et affirme la même volonté de rattraper le retard ...

L’idée de transférer au Conseil constitutionnel une marge d’appréciation n’est donc pas invraisemblable : on peut, comme l’a dit Guy Carcassonne, la déplorer ou s’en réjouir ; on peut également regretter que le pouvoir constituant ne prenne pas ses responsabilités et qu’il les délègue au Conseil constitutionnel, à qui “ il renvoie la balle ”, comme l’a dit le doyen Vedel ; on peut aussi estimer, malgré le risque qu’énonçait Guy Carcassonne, qu’il n’est pas absurde de laisser le Conseil faire évoluer les choses au fur et à mesure. En tout état de cause, je crois que, ainsi que chacun le voit, il y a là bien des commentaires possibles !

Mme la Présidente : Au point où en est parvenue notre discussion, je relèverai, pour ma part, deux éléments qui nous seront certainement fort utiles pour le débat que nous allons mener en commission.

D’abord, j’ai noté qu’en ce qui concerne la nécessité d’une réforme constitutionnelle, on voit bien qu’elle donne lieu à plusieurs interprétations différentes ou, en tout cas, qu’elle comporte plusieurs étages d’explications, dont la toute première, sur laquelle je pense que tout le monde se rejoint, est la nécessité de s’opposer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982. Je crois que c’est là le soubassement du projet de loi constitutionnelle.

Ensuite, j’ai noté deux apports tout à fait intéressants dans les interventions en ce qui concerne le nécessité de la révision. Le premier est la référence à l’inscription symbolique : sur ce point, je ne pense pas qu’il y ait accord de tous les intervenants mais je considère qu’elle constitue un élément essentiel puisque cette révision représente non seulement une mesure technique d’ajustement de notre texte constitutionnel, mais aussi, dans l’histoire des idées de la société française, une étape qui passe forcément par le symbolique. Le second est la demande d’instauration d’un débat national, public, actualisé, sur une question qui est éminemment une question de société, avec des approches différentes selon que l’on plaide pour le référendum – voie qui, à ce jour, n’a pas été retenue par le Gouvernement – ou pour la procédure parlementaire, avec les interrogations qu’elle soulève et les contraintes qu’elle suppose. Pour ce qui me concerne, mais c’est sans doute parce que je ne suis pas parlementaire depuis longtemps, je veux croire que le Parlement peut être le lieu d’un grand débat public national.

Il est un autre point qui ressort clairement des six interventions : l’interrogation sur l’adéquation entre la rédaction actuelle du texte et l’objectif recherché ; cela ressort du débat que vous avez déjà largement engagé les uns et les autres sur le terme “ favorise ”, avec les interprétations politiques, mais aussi – et Guy Carcassonne y a insisté – juridiques, auxquelles il peut donner lieu.

Mme Yvette Roudy : Tout d’abord, je voudrais remercier Geneviève Fraisse au moment où elle quitte les fonctions qu’elle occupe depuis un an, d’abord pour toute la réflexion dont nous avons bénéficié à travers les travaux et ouvrages qu’elle a pu publier depuis un bon nombre d’années, ensuite parce que je suis convaincue qu’elle va continuer à nous aider par une réflexion désormais enrichie par cette année qui lui a permis de comprendre comment fonctionnait, de l’autre côté, l’appareil d’Etat et les affaires ministérielles. Je pense que cette expérience va constituer une richesse pour elle, qu’elle va pouvoir en tirer de très bonnes conclusions et je souhaite que nous puissions continuer à profiter de sa présence à nos côtés, que ce soit sous une forme ou une autre.

Pour ce qui concerne l’affaire qui nous réunit aujourd’hui, et s’agissant du texte qui nous est présenté et dont nous avions entendu parler depuis quelque temps, je dois avouer que je pensais qu’il serait différent au moment de sa présentation au Parlement car, très franchement, je dois dire que je reste sur ma faim : on a parlé d’insuffisances, d’éventuelles améliorations mais, pour ce qui me concerne, je dirai que c’est presque de la dérision !

Dans l’exposé des motifs, on voit bien qu’au paragraphe 3 – et pourtant je ne suis pas juriste – on insiste lourdement sur le fait qu’il est déjà inscrit dans la Constitution que “ la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ”. On comprend donc bien que la Constitution, telle qu’elle est rédigée, ne s’opposerait pas à ce que des moyens permettent de réaliser l’égalité puisque la loi garantit “ des droits égaux ”. Il est clair qu’il devient dès lors nécessaire de définir les modalités pour réaliser cette intention : la Constitution donne une direction, mais après, il faut naturellement des mesures d’application.

Or, il y a eu cette décision du 18 novembre 1982, sur laquelle tout le monde aujourd’hui se bloque, prise par neuf messieurs au nom de leur grande autorité, laquelle donne presque l’impression de relever de l’infaillibilité. Gisèle Halimi a rappelé la vérité sur ce point et l’on sait parfaitement que les choses ont été compliquées, puisque la demande que j’avais présentée au Gouvernement et qui faisait suite à celle de Mme Pelletier a été reprise par le groupe socialiste ; Gisèle Halimi a joué un rôle important dans cette affaire ! Alors que l’ensemble de la représentation nationale avait jugé bon de prendre une mesure, le Conseil constitutionnel a quand même décidé qu’elle était inconstitutionnelle, au motif que les femmes seraient une catégorie et qu’on ne peut pas séparer la société française en catégories, même si on ne se gêne pas pour le faire en certaines circonstances ; je n’ai pas le temps de développer mais on pourrait citer bien des exemples !

L’exposé des motifs du projet de loi qui nous est proposé est tout à fait insuffisant et mériterait d’être un peu fortifié et rédigé d’une manière plus sérieuse, car il donne l’impression d’avoir été fait à la “ va vite ”.

Pour ce qui a trait à l’article unique, je dirai que, franchement, je ne vois pas ce qu’il apporte. Tout le monde a reconnu que le terme “ favorise ” était trop faible, plus faible en tous cas que celui de “ garantit ”. Encore une fois, j’estime – cela a été dit sous une forme ou sous une autre – que cela ne va rien changer en l’état. Si on se déplace en grande pompe à Versailles, pour ajouter seulement cette ligne et demie à ce qui est déjà inscrit dans nos textes fondamentaux, je considère que c’est vraiment dérisoire. Sans sous-estimer la force du symbolique qui est très importante, je prétends que l’on ne peut pas accepter que ce texte reste en l’état. Si tel devait être le cas, ce serait un leurre et ce serait extrêmement grave !

Je souhaite donc que la commission et les parlementaires réagissent, fassent des propositions, travaillent, s’entourent d’avis pour faire en sorte que la rédaction actuelle, dont tout le monde dit qu’elle ne peut pas perdurer, évolue. Chacun s’accorde à reconnaître que nous sommes, en France, dans une situation honteuse et un certain nombre de partis ont pris des dispositions pour la modifier. On veut ouvrir un débat public sur la parité, mais il est déjà très largement ouvert depuis qu’en 1992, les institutions européennes, avec la charte d’Athènes, ont lancé des injonctions que nous connaissons. Nous avons toutes participé à des colloques ; il y a eu le manifeste des Dix qu’évoquait Monique Pelletier ; le mouvement des femmes a réalisé un énorme travail. Par conséquent, le débat a déjà eu lieu et l’opinion française est favorable à cette évolution !

Il semble qu’en France, nous avons besoin d’une loi, ce qui n’est pas nécessaire dans les pays scandinaves. J’avais recommandé, à une certaine époque, la stratégie norvégienne qui consiste à demander à tous les partis de réaliser, graduellement, un progrès à chaque élection. C’est un peu le mouvement qu’avait amorcé Lionel Jospin – je me souviens que nous en avions discuté longuement – en affirmant sa volonté de faire en sorte qu’il y ait 30 % de femmes candidates. Le groupe socialiste en dénombre actuellement 18 % et il faudrait que ce chiffre soit doublé jusqu’à l’obtention de la parité !

Pour ce faire, nous avons donc besoin de discriminations positives, d’ “affirmative actions ” ! Elles se pratiquent couramment dans toute l’Europe ; il n’y a qu’en France où l’on dit que la discrimination positive ou l’action positive s’agissant des femmes, serait contraire à la Constitution ! Or, si tel est le cas, cela revient à dire qu’il est impossible de réduire les inégalités. En effet, comment réduire des inégalités sans discrimination positive ? Je l’ignore mais peut-être quelqu’un est-il en mesure de me l’expliquer ...

Je terminerai en disant que s’il faut à tout prix avoir une loi, soit ! Mais je ne suis pas sûre – peut-être faudrait-il engager sur ce point une discussion avec le Gouvernement – qu’il faille absolument passer par une révision de la Constitution car, ce faisant, nous donnons raison à ceux qui prétendent qu’une telle orientation est inconstitutionnelle, alors que de grands juristes et constitutionnalistes m’ont dit que nous ne devions pas nous laisser impressionner par cet argument et que notre démarche n’était pas forcément contraire à la Constitution !

En tout état de cause, il faut compléter le texte proposé sous une forme ou sous une autre. Pour ce qui me concerne, j’ai élaboré une proposition de loi, dans laquelle je partais du principe que cette affaire concernait les partis et qu’il fallait trouver une formule pour que ceux-ci prennent des engagements, puisque ce sont eux qui désignent les candidats.

En effet, depuis quelques années, l’Etat distribue une manne aux partis pour les aider à faire élire des représentants. Or cette manne est constituée d’argent public auquel les femmes apportent une large contribution. Dans ces conditions, je ne serais pas choquée si nous prévoyions que la contribution versée par l’Etat aux partis est calculée proportionnellement à la représentation féminine !

M. Guy Carcassonne : Je ne vous présenterai que quelques remarques rapides, avant tout pour dissiper une équivoque possible à la suite des propos de mon collègue et ami, Louis Favoreu. En effet, si j’ai regretté la nécessité d’une révision constitutionnelle, ce n’est pas parce que je suis hostile par principe à des modifications de la Constitution : je trouve qu’il ne faut pas sacraliser ce texte ; en outre, les révisions étant l’occasion pour les constitutionnalistes de donner leur point de vue, elles ne présentent que des avantages ! Plus sérieusement, si je trouve une telle révision consternante, c’est parce que, normalement, les partis politiques auraient dû faire leur travail et nous dispenser d’avoir à adopter des dispositions de caractère juridique.

Cette ambiguïté étant levée, je poursuivrai en réagissant, notamment, aux propos qu’Yvette Roudy tenait à l’instant. Je passe sur l’exposé des motifs puisque, le projet étant déposé, on ne peut plus en modifier le texte. Sur le fond, je ne crois absolument pas qu’il s’agisse d’une mesure sans portée et sans signification. En vérité, une fois encore, l’objet essentiel n’est pas de réviser pour réviser, mais de réviser pour rendre possibles les mesures que le Parlement sera amené à prendre ensuite pour aller dans le sens souhaité. A partir de là, la seule question qui nous importe est celle de savoir quelle est la rédaction la plus appropriée pour permettre au Parlement d’exercer ses compétences.

On juge que l’actuelle rédaction est insuffisante mais, en vérité, il y a des précédents similaires : ainsi, lorsque, à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel du 15 août 1993, la Constitution a été révisée sur le droit d’asile, le nouvel article 53-1 était un texte très imparfait sur le plan juridique sans aucun sens ni aucune portée, qui n’ajoutait rigoureusement rien à la Constitution ; cela n’a pas empêché le Conseil constitutionnel, saisi aussitôt après, de prendre acte du fait que la Constitution avait été révisée pour lever l’obstacle qu’il avait lui-même dressé auparavant et de s’incliner.

Dans le cas qui nous intéresse, il en irait évidemment de même. En d’autres termes, je serais tenté de dire que, pratiquement, quelle que soit la rédaction retenue, elle permettra de ne plus risquer les mésaventures de 1982.

Reste que, quitte à travailler, autant le faire bien et que le faire bien, selon moi, consiste à adopter la rédaction la plus appropriée ; sur ce point, je me permets d’insister vraiment sur ce que je crois être un danger, que Louis Favoreu soulignait également tout à l’heure sans toutefois le qualifier comme tel, l’idée de transférer la capacité et la compétence au Conseil constitutionnel. Je crois que c’est une idée inappropriée, voire indigne : ce transfert est inapproprié, parce que ce n’est pas le rôle du Conseil constitutionnel que de se substituer, en quelque sorte, au constituant lui-même, et il n’est pas digne parce qu’il est dans la nature de la Constitution et de la démocratie que le Parlement assume pleinement ses responsabilités.

Dans ces conditions, je crois que toute rédaction qui marquera extrêmement clairement que c’est au Parlement qu’il appartient de mettre en œuvre ce qui deviendrait un objectif de valeur constitutionnelle sera bienvenu. Moins le Conseil constitutionnel aura de marge d’appréciation et mieux ce sera. Je dis cela par principe, et nullement par défiance à l’égard du Conseil constitutionnel. C’est le Parlement qui, normalement, exprime la volonté générale. Il ne le fait valablement que dans le respect de la Constitution, mais c’est quand même à lui de le faire.

Dès lors, il me paraît sage d’indiquer extrêmement clairement l’objectif : d’“ égal accès ” ou d’“ accès équilibré ”, cette dernière expression ayant ma préférence sans que j’en fasse une question essentielle. Mais je renonce à ce terme au profit d’un renforcement du verbe qui deviendrait “ assurer ” au lieu de “ favoriser ”. Cela donnerait “ l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats est assuré dans les conditions déterminées par la loi ”.

La formule actuelle incite le juge constitutionnel et pourrait même éventuellement l’obliger à se prononcer en disant : “ Non, je considère que cette loi ne favorise pas vraiment ” ou “ je considère que cette loi ne favorise pas assez ”! Finalement, c’est donc lui, en dernier recours, qui, dans des conditions de surcroît assez embarrassantes pour lui, serait l’autorité ultime qui jugerait de ce qui serait bon ou non. Il me semble, en revanche, qu’en renversant la phrase, cela aboutit à autoriser le Parlement à déroger aux exigences habituelles du principe d’égalité, les modalités de ces dérogations étant ensuite déterminées par la loi. Bien entendu, comme dans tous les cas, extrêmement nombreux, notamment dans la déclaration de 1789, où il est fait mention de ce qui est déterminé discrétionnairement par la loi, ces modalités devront respecter les principes constitutionnels.

Les scrutins de listes ne posent pas de problèmes particuliers : une fois levé l’obstacle constaté en 1982, on pourra parvenir aisément à la parité absolue. j’y suis personnellement favorable, mais c’est au Parlement d’en décider.

Tout le problème, chacun le sait, réside dans les scrutins uninominaux. Pour ma part, j’avais avancé, il y a déjà un certain temps, une proposition dont je pense qu’elle conserve sa pertinence. En matière de scrutins uninominaux, vous serez conduits à “ bricoler ” quelque chose. Nous ne parviendrons en effet vraisemblablement pas – et il n’est même pas certain qu’il soit souhaitable d’y parvenir – à une parité absolue, automatique et impérative en tout état de cause. Dans la catégorie des ces bricolages, je crois effectivement beaucoup à l’efficacité d’une incitation financière, dans le respect de la Constitution, c’est-à-dire à un mécanisme dans lequel tous les partis continueraient à bénéficier du financement public, y compris un éventuel parti mâle chauvin présentant 100 % de candidats hommes, mais dans lequel le montant de la participation publique serait en quelque sorte gelé, par exemple au niveau atteint dans la loi de finances pour 1999, la répartition de toutes les évolutions ultérieures étant limitée aux seuls partis qui feront les efforts objectifs prévus par la loi en matière de scrutins uninominaux.

Cela créera une émulation extrêmement saine car, même si les sommes en jeu sont au départ peu importantes, elles gonfleront avec le temps et par la suite, chaque parti, même s’il n’est pas motivé par l’intérêt financier, sera de toute façon extrêmement désireux que ce ne soit pas le voisin qui en profite. Je pense donc que ce type de bricolages peut avoir des effets extrêmement positifs et finalement aboutir en quelques années – je ne crois pas que cela prenne très longtemps – à la représentation équilibrée que nous souhaitons tous !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Je ne reviendrai pas sur l’anomalie que constitue la sous-représentation des femmes dans la vie politique française : il suffirait, pour s’en convaincre, de se référer à notre débat du mois de mars 1997, qui pourrait d’ailleurs être utilement versé aux travaux de notre commission puisque tous les partis politiques avaient eu l’occasion de s’exprimer et que ce débat avait été extrêmement instructif tant au niveau du constat que des solutions proposées.

Je voudrais revenir sur quelques points qui ont été évoqués ce matin.

Je m’arrêterai d’abord sur les mesures incitatives car, n’en doutons pas, parmi ceux qui combattront la révision constitutionnelle, nombreux sont ceux qui reviendront sur ces mesures.

Elles sont au nombre de trois : le statut de l’élu, le scrutin proportionnel et la limitation du cumul des mandats. Je suis favorable à ces trois types de mesures, mais je ne pense pas qu’elles soient en elles-mêmes de nature à favoriser un meilleur accès des femmes à la vie publique : le statut de l’élu est utile, mais on a du mal à en constater les effets ; la référence au scrutin proportionnel me conduit à souligner qu’en 1986 – un scrutin proportionnel avait succédé au scrutin majoritaire de 1981, avant d’être remplacé en 1988 à nouveau par un scrutin majoritaire – le pourcentage de femmes parlementaires n’avait pas dépassé les 5,8 %. Cet exemple prouve bien que ce n’est pas le scrutin proportionnel qui permet une meilleure participation des femmes à la vie publique. S’agissant du durcissement de la loi sur le cumul des mandats, j’y suis extrêmement favorable, mais je rappelle qu’en décembre 1985, la première loi visant à limiter ce cumul n’a eu aucun effet sur la participation des femmes à la vie publique.

Nous sommes donc contraints à des mesures volontaristes qui sont de trois sortes.

Nous n’avons pas beaucoup parlé des quotas ce matin, mais il est impossible de ne pas les évoquer à partir de moment où ils font partie des mesures volontaristes prônées par certains. Pour ma part, je préfère d’ailleurs au terme de “ quotas ” le terme de “ coefficients de mixité ” ; l’idée de 30 % ou 40 % de femmes n’est en effet plus avancée par personne, tout le monde privilégiant l’expression de “ pas plus de 60 % ou 70 % de candidats d’un même sexe ”, afin d’éviter tout aspect discriminatoire. Je tiens à dire ici que je suis formellement opposée au système des quotas discriminatoires ou différenciés, même lorsqu’ils sont présentés comme des mesures transitoires permettant à des femmes qui ne seraient pas encore capables de participer à la vie politique d’y entrer tout doucement. Le verbe “ favoriser ” qui figure dans le projet de loi que nous examinons ce matin me paraît extrêmement dangereux, car il ouvre directement la porte à ces mesures transitoires et à ces mesures de quotas.

J’en arrive au deuxième type de mesures volontaristes que sont les sanctions financières. Elles me paraissent absolument indispensables. Les partis politiques dans notre pays, en application d’une législation dont la discussion n’entre pas dans le cadre de notre débat de ce matin, bénéficient de deux parts : la première part dépend du nombre de candidats présentés, la seconde du nombre d’élus, c’est-à-dire des intentions et des résultats. C’est, bien sûr, sur ces deux composantes qu’il faut jouer, en consacrant une part, non pas majoritaire, mais importante de ce financement à une sorte de bourse qui tiendrait compte du coefficient de mixité des partis politiques : s’ils présentent 50 % d’hommes et 50 % de femmes, ils toucheront la totalité de l’allocation et plus ils s’en éloigneront, y compris d’ailleurs s’ils présentent 100 % de femmes, la parité marchant dans les deux sens, plus la part d’allocation qu’ils percevront sera faible. Je signale que cette disposition, selon les constitutionnalistes que nous avions interrogés à l’Observatoire de la parité, ne nécessite pas de révision préalable de la Constitution. C’est une mesure qui pourrait être prise dès maintenant !

La troisième mesure volontariste est la parité, qui me paraît, en l’état actuel de maturité politique de notre société, la seule mesure qu’il soit moralement possible de défendre.

Je voudrais en venir maintenant à la réforme qui nous est proposée, à la fois sur sa place dans la Constitution et sur sa rédaction.

Placer cette réforme constitutionnelle à l’article 34, comme il en avait été question, était effectivement une stratégie profondément condamnable. Comme nous l’avions conclu à l’Observatoire de la parité, la bonne place est évidemment à l’article 3 ! Pour autant, je pense malgré tout qu’il faut également modifier l’article premier afin que, ainsi que cela a été avancé auparavant, une non-discrimination en fonction du sexe y apparaisse ; nous serons sans doute plusieurs à proposer un amendement en ce sens à l’article premier.

S’agissant de la rédaction, il convient de nous demander quel est le but que nous poursuivons.

Le premier est d’autoriser clairement le Parlement à faire des lois qui ne soient pas censurées par le Conseil constitutionnel. Le texte qui nous est proposé assure cet objectif de manière indéniable !

Le deuxième objectif est d’éviter les effets pervers dont nous parlions tout à l’heure, effets pervers qui seraient engendrés par des mesures de quotas ou des mesures temporaires : je rappelle que nous avions auditionné Olivier Duhamel qui proposait d’instaurer la parité pendant dix ans afin de concilier le souci d’universalisme et la nécessité de mesures volontaristes. Je dis clairement que le terme “ favorise ” est générateur de tels effets pervers. Est-ce le terme “ établit ”, “ garantit ” ou “ assure ” qui convient le mieux ? Pour ma part, je penche pour le troisième, mais je n’en fais pas une affaire.

Le troisième but de cette rédaction est de déterminer un champ d’application à la fois suffisamment clair et suffisamment restreint : suffisamment clair pour bien indiquer que l’on s’adresse à la sphère politique et suffisamment restreint pour éviter ce qu’évoquait Guy Carcassonne à l’instant, à savoir des dérapages sur toutes sortes de sujets de société – il parlait des baux ruraux mais on peut imaginer qu’il y en ait d’autres – et faire en sorte que le constituant n’outrepasse pas ses droits. Pour atteindre ce troisième objectif, il me paraît indispensable que le terme de “ parité ” apparaisse à un moment ou à un autre dans le texte. Pour que le champ d’application du principe d’égal accès soit suffisamment restreint de manière à éviter les dérapages, il convient sans doute de modifier la dernière partie de la phrase “ aux mandats et aux fonctions ” afin d’adopter une rédaction indiquant clairement que la réforme ne concerne que à la sphère politique.

M. Claude Goasguen : Tout d’abord, je voudrais savoir ce qu’on entend exactement par “ mandats et fonctions ”, car cette formule peut donner lieu à une interprétation très large, d’autant que je n’y vois figurer ni l’adjectif “ publics ”, ni l’adjectif “ électifs ”. La notion de “ mandat ” existe en droit privé ; quant à celle de “ fonction ”, elle peut relever aussi bien du droit public que du droit privé. En conséquence, je voudrais connaître l’avis de nos experts concernant l’interprétation de ces deux termes et leur demander si, d’aventure, il ne conviendrait pas de proposer des amendements pour éviter les éventuels recours devant le Conseil constitutionnel.

Ma deuxième question porte sur un problème pratique précis. Nous allons voter dans quelques jours une loi qui instaure la parité pour les élections régionales. Imaginons qu’il y ait un recours devant le Conseil constitutionnel après le vote de la révision constitutionnelle : je me pose la question de savoir ce que dira le Conseil constitutionnel face à deux textes dont le premier prévoit la parité et le deuxième se contente de “ favoriser l’égal accès des femmes et des hommes ”, que fera le juge constitutionnel devant cette contradiction de termes ?

Enfin, ma troisième et dernière question est inspirée par un mot employé par M. Guy Carcassonne à propos du scrutin majoritaire, qui m’a un peu surpris, celui de “ bricolage ”. Après avoir analysé le texte, je ne parlerai peut-être pas de “ bricolage ”, mais je crois, en effet, qu’il faudrait avoir beaucoup d’imagination pour trouver une application concrète du principe d’égal accès au scrutin majoritaire. Il y a eu quelques pistes qui ont été évoquées et j’ai bien entendu ce qui a été dit sur les partis politiques et sur la réforme de leur financement. Je pense d’ailleurs qu’il s’agit d’un sujet extrêmement grave et j’estime que la loi sur le financement des partis politiques mériterait vraiment d’être examinée en toute sérénité. Je voudrais néanmoins savoir si nos intervenants ont d’autres idées sur la question que la seule approche par le financement des partis politiques. En tout état de cause, je ne voudrais pas qu’une position favorable puisse laisser penser que nous nous résignons à ce que le scrutin majoritaire soit “ bricolé ”.

M. Christian Paul : Nous aurons, à l’évidence, un vrai débat en commission sur ce projet de réforme constitutionnelle et je crois que, ce matin, c’est avant tout à nos invités que nous devons adresser nos questions, même si je pense que les développements de Mme Bachelot-Narquin ont ouvert des perspectives tout à fait intéressantes, qui n’avaient pas été évoquées jusque là.

Je voudrais d’abord poser une question d’ordre juridique qui porte sur la rédaction même de ce texte : on voit bien, et cela a été dit à plusieurs reprises, comment ce texte permet de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel. On peut, néanmoins, s’interroger sur le point de savoir si sa précision est suffisante. Lorsque l’on parle “ d’égal accès ”, est-ce que l’on entend une égalité des chances ou une égalité des résultats, selon la distinction qu’établissait M. Favoreu tout à l’heure ? C’est tout à fait différent et lorsque nous devrons, par la suite, passer aux travaux pratiques, selon la voie choisie par le constituant, il est clair que nous adopterons des dispositions tout à fait différentes.

Le second registre d’interrogations que je voudrais soulever relève davantage de la pratique politique et du travail parlementaire. J’aimerais savoir quels sont, pour vous, les textes sur lesquels il convient de faire porter en priorité l’effort de déclinaison de ce principe que nous allons adopter. Ce sont à l’évidence les textes électoraux. Nous avons d’ailleurs commencé les travaux pratiques puisque l’obligation de parité figure dans la réforme du mode de scrutin régional. Mais au-delà de ce projet de loi, sur quels autres textes vous paraît-il nécessaire que le législateur fasse porter son effort ?

On a évoqué un amendement précisant que l’égal accès concernant les mandats électifs et les responsabilités politiques : doit-on strictement se limiter à ce champ d’application et s’interdire ainsi l’égal accès dans le cadre de la représentation syndicale ?

Je suis, en outre, très défavorable à tous les dispositifs d’incitation financière. J’estime que nous entrons là dans un registre qui est tout à fait étranger au principe que nous essayons de mettre en place. Je sais bien que les partis politiques sont rarement animés par de purs esprits, mais je pense que si nous en étions réduits à recourir à des incitations financières pour régler le problème de l’égal accès aux fonctions politiques, ce serait une démission du législateur qui n’aurait pas pris les dispositions nécessaires pour y parvenir par d’autres voies !

M. Renaud Donnedieu de Vabres : Je poserai plusieurs questions qui font écho aux remarques initiales formulées par Mme Halimi.

Bien évidemment, ce texte est un préalable à des décisions concrètes. J’en approuve l’objectif qui est d’établir des discriminations au service d’une égalité future, puisqu’il n’y a pas d’autres méthodes pour parvenir à l’égalité et à la parité. Mais, il ne faut pas que cet objectif légitime conduise à de mauvaises décisions. Je considère, à cet égard, que l’introduction de la proportionnelle pour les élections législatives poserait trop de problèmes par rapport à l’objectif fixé.

Par ailleurs, j’aurais aimé recueillir votre sentiment sur le projet actuel concernant le cumul des mandats, qui est totalement “ entre deux eaux ”, puisqu’il ne va pas jusqu’au principe d’“ un homme, un mandat ”. Je pense en outre que, s’agissant du statut de l’élu, il constitue un non-sens politique absolu alors que l’opinion publique considère que les élus doivent se trouver dans une situation précaire, rester à leur disposition, être les gens d’un moment, d’un suffrage qui s’est exprimé. Dans ce contexte, il ne faudrait surtout pas que les élus puissent paraître bénéficier d’une quelconque garantie de stabilité. Dans la période actuelle, où les esprits sont troublés, la sémantique est évidemment très importante.

C’est sur ces points concrets, dont j’ai parfaitement conscience qu’ils sont nécessaires pour parvenir à la parité, que je souhaitais vous interroger.

Mme Muguette Jacquaint : Je voudrais, moi aussi, à l’occasion de cette discussion, en souligner l’importance et mettre l’accent sur le rôle qu’a joué Mme Geneviève Fraisse dans le débat d’aujourd’hui comme celui qu’elle jouera dans les débats futurs. Pendant un an et demi, elle a pris bien des initiatives et, même avant d’occuper la fonction de déléguée interministérielle, elle a beaucoup travaillé avec nous pour faire évoluer les réflexions sur les questions qui nous occupent, en particulier la parité.

Personnellement, je trouve important, d’obliger le Conseil constitutionnel à modifier sa position sur cette question. J’aurais souhaité, moi aussi, que la notion de parité figure dans les textes. La révision de la Constitution me semble essentielle, parce qu’elle sera encore appelée à évoluer dans le futur pour prendre en compte les avancées de notre société.

On a beaucoup parlé de souveraineté, mais on pourrait aussi parler de la démocratie : je ne conçois pas un pays démocratique qui n’offre pas aux femmes la possibilité de jouer leur rôle dans tous les domaines et, en particulier, dans la vie publique et politique La révision constitutionnelle débouchera inéluctablement sur d’autres projets de loi, les textes existant suscitant malheureusement des difficultés dans leur application quotidienne.

Je plaide vigoureusement, en ce qui me concerne, en faveur d’un statut de l’élu ainsi qu’en faveur de la modernisation des scrutins et du non-cumul des mandats. Ce sont, selon moi, des idées fortes à retenir.

Dans la mesure où cette demande est exprimée par des hommes et des femmes de ce pays, je ne suis pas opposée à ce que s’ouvre, à l’Assemblée nationale, un débat sur la question de la souveraineté, de la démocratie et de la place des femmes. Tout en refusant les catégories, je défends les spécificités des femmes dans la vie publique où elles doivent continuer à jouer leur rôle.

M. Pierre Albertini : Je voudrais à la fois faire part de mon accord sur l’objectif recherché par le projet de loi constitutionnelle, mais aussi de mon doute sur la technique utilisée pour y parvenir.

Sur l’objectif, tout ce qui peut concourir à une représentation plus équilibrée du personnel politique, non seulement sur le plan des sexes, mais aussi sur celui de l’origine sociale et professionnelle, doit être encouragé. Je dois dire d’ailleurs que l’on pourrait presque parler de la nécessité d’encourager une forme de “ biodiversité politique ”, tant la classe politique est aujourd’hui une caricature de la société civile : je pense notamment à la place excessive – et je parle aussi pour moi puisque j’en suis – que les fonctionnaires occupent au Parlement et notamment à l’Assemblée nationale.

C’est donc dans un débat de caractère général que s’inscrit la question de la place que les femmes veulent occuper et que les hommes acceptent de leur laisser dans la vie politique, notamment à travers les investitures : le point de blocage se situe là et non pas dans l’attitude du corps électoral qui est beaucoup plus ouvert qu’on ne le pense à une évolution et à une modernisation de la vie politique, qui la souhaite même ardemment et qui regrette que nous ne la réalisions pas depuis des dizaines d’années.

Mon doute sur la méthode employée vient du fait qu’il s’agit d’une technique à effet juridique différé. On ne connaît pas le contenu des lois futures et on ignore tout du calendrier. On sait, en revanche, que l’on risque de buter sur la question des quotas. Je n’ai donc pas l’impression que, juridiquement, ce projet de loi apporte grand chose par rapport aux textes de valeur constitutionnelle antérieurs, relatifs au principe de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, à la déclaration de 1789 ou au préambule de 1946.

J’en viens à mes deux questions. Le danger de cette technique, c’est le face-à-face qu’on est en train d’organiser entre le Conseil constitutionnel et le Parlement. Je suis de ceux qui pensent que le Conseil constitutionnel est nécessaire à la protection de la démocratie. Mais ce n’est pas à lui de faire la loi ; il a d’ailleurs pris la précaution de le dire ! Il lui appartient simplement de vérifier si les lois qui lui sont déférées respectent ou non des principes qui doivent prévaloir sur ce qu’une majorité du moment peut tenter d’imposer. Je suis, personnellement, extrêmement attaché à cette protection démocratique. Mais la jurisprudence de 1982, que l’on invoque très souvent, n’a été que la réaction à une mauvaise technique juridique. Le Conseil constitutionnel a dit : “ cette technique juridique n’est pas bonne pour telle et telle raison ”. Je pense, pour ma part, que le débat ne sera que différé et dépendra du contenu des lois futures, car le Conseil constitutionnel n’a pas fermé la porte à la recherche d’une forme de parité : il s’est limité à porter un jugement sur la technique retenue.

Je crois donc très franchement qu’à travers ce débat sur l’équilibre hommes-femmes ou sur la parité hommes-femmes, c’est aussi la question du rôle du Conseil constitutionnel qui est posée. A cet égard, je considère qu’il est tout de même assez paradoxal que le Parlement réaffirme aujourd’hui qu’il lui appartient de faire la loi : c’est dire dans quel état de dégradation il se trouve pour que, quarante ans après l’adoption de la constitution de 1958, il en soit réduit à cela !

Il faut aborder ce débat sans complexe : c’est au Conseil constitutionnel qu’il appartiendra ensuite de dire si telle ou telle loi respecte les principes de valeur constitutionnelle qui dépassent les coalitions ou les rivalités du moment, quelles qu’elles soient ! Ma première question porte donc sur ce face-à-face entre le Parlement et le Conseil constitutionnel et sur leurs rôles respectifs.

Ma seconde question est plus simple : elle porte sur les discriminations financières. Je crois qu’il ne faut pas se méprendre : il est facile de prévoir tous les effets pervers que pourrait engendrer une distribution sélective des crédits en fonction du nombre de candidates. Vous pourriez parfaitement imaginer que tous les partis politiques suscitent eux-mêmes des listes exclusivement féminines pour rafler la mise. Je crois, s’il fallait s’orienter dans cette direction, qu’il faudrait octroyer une prime aux partis qui pratiquent la parité et rien de plus.

Mme Yvette Roudy : Et diminuer la prime actuelle, ils ont assez d’argent !

Mme Odette Casanova : Je vais essayer d’être très brève puisque beaucoup de choses ont déjà été dites. M. Albertini parle d’or quand il dit que le problème est celui de la place que les femmes veulent occuper et que les hommes veulent leur laisser : c’est là le vrai problème qu’il faut résoudre !

Je voudrais simplement formuler quelques remarques, en tant qu’élue de base dans une circonscription difficile. Tout d’abord, je peux vous certifier que le débat politique sur la parité est lancé depuis 1982 : les électeurs, hommes et femmes, parlent aux candidats de cette question, font des comparaisons, évoquent la nécessité d’un meilleur équilibre au sein du pouvoir, dans le but, peut-être, – je sais que je vais très loin – de rééquilibrer la morale politique.

Par ailleurs, le non-cumul des mandats, la limitation de l’âge maximum, le statut de l’élu ne sont pas des mesures de discrimination positive vis-à-vis des femmes ; il est en effet normal d’y penser et de les mettre en application pour les hommes comme pour les femmes.

Je ferai une simple remarque à propos de la parité dans la vie domestique, dont Mme Halimi disait que les féministes la réclamaient. En fait, il s’agit d’introduire la parité dans les cercles de pouvoir, dans la vie publique et politique, mais pas dans la vie domestique, car cette démarche appartient au passé.

J’ajouterai que le terme “ favorise ” m’a immédiatement heurtée, parce qu’il débouche, selon moi, sur des mesures incitatives dont on sait très bien – et je l’ai vécu de 1981 à 1986, lorsque j’étais chargée de mission dans le Var pour le ministère d’Yvette Roudy – qu’elles sont difficiles à mettre en œuvre. Il faut donc que ce terme “ favorise ”, soit disparaisse, soit devienne beaucoup plus explicite.

Je terminerai en disant enfin que je suis tout à fait favorable aux mesures d’incitations financières, de stimulation, et que, sur ce point, j’approuve totalement les propos tenus par M. Guy Carcassonne.

Mme Nicole Feidt : Au cours du travail de groupe que nous avons mené, nous nous sommes posé la question de l’opportunité d’une révision constitutionnelle. Ce point étant désormais réglé, je voudrais néanmoins poser la question suivante : le fait de justifier la révision constitutionnelle par la nécessité de contourner la décision de 1982 du Conseil constitutionnel signifie-t-il que la jurisprudence serait intangible et définitivement supérieure à la loi !

Par ailleurs, je considère le texte qui nous est proposé comme un socle pour des propositions futures ! Il ne me convient pas, tant au niveau de l’exposé des motifs que du dispositif, mais je crois qu’il sera possible d’améliorer ce dernier par voie d’amendements. Pour ma part, je suis tout à fait d’accord pour proposer “ l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions politiques ... ” “ ... assuré dans les conditions déterminées par la loi ”. On ne peut pas, en effet, laisser le Conseil constitutionnel décider pour le législateur.

Mme la Présidente : Dans le très court temps qui nous reste, je vais redonner la parole à nos invités, en commençant par Mme Fraisse dont je souhaiterais qu’elle nous éclaire sur ce qui a amené le Gouvernement à choisir le terme “ favorise ”.

Mme Geneviève Fraisse : C’est l’accord conclu dans le cadre de la cohabitation qui est à l’origine du terme retenu. Contrairement à d’autres projets de loi constitutionnelle, nous avons là un accord droite-gauche, qui porte également sur d’autres points aussi précis.

Je voudrais brièvement souligner les quelques éléments terminologiques que je retiens de cette discussion.

Je pense, tout d’abord que nous pourrions nous mettre d’accord sur le fait que ce qui se passe aujourd’hui est une redéfinition de la souveraineté. C’est pourquoi, selon moi, le choix du terme “ favorise ” ou celui de “ garantit ” n’est pas fondamental. Ce qui est intéressant, c’est qu’il faut redéfinir la souveraineté et ce qu’on appelle l’incarnation du peuple souverain.

S’agissant de l’aspect financier, la discussion porte sur la question de savoir si la réglementation doit être incitative ou pénalisante. Je tiens tout de même à vous faire remarquer qu’en choisissant la voie incitative, on met, en quelque sorte, les femmes sur le marché. On a l’habitude dire que les femmes sont un objet ou une monnaie d’échange. N’oublions pas que les femmes peuvent être un objet d’échange, y compris en politique. Je pense que l’objectif de parité sera plus facilement atteint si on l’aborde cette question en privilégiant l’aspect “ pénalisation ” plutôt que l’aspect incitatif, qui a une connotation commerciale.

Enfin, je considère que l’objectif de parité nous renvoie au fait que nous avons à séparer deux choses, ce qui relève du principe – qu’il soit décliné sous la forme “ d’égalité ” des chances ou sous celle de “ parité ”, ce qui est pour moi secondaire – et ce qui relève des instruments. Sur ce dernier point, je suis en désaccord avec Roselyne Bachelot-Narquin : nous devons examiner des mesures techniques éventuellement temporaires, ce qui fait que nous ne nous situons pas dans une logique d’égalité mais dans une logique de mixité. A ce propos, je suis amusée de constater que les hommes et les femmes ici présents ne se sont pas mélangés ce matin.

M. Claude Goasguen : Il y a cohabitation !

Mme Geneviève Fraisse : Sûrement, je vous le concède !

Je me permettrai, en terminant, d’indiquer que la parité, contrairement à ce qui a été dit aujourd’hui, est quelque chose qui se décline différemment en fonction du pouvoir en jeu et que la parité peut être assortie de qualificatifs : ainsi, on peut parler de parité domestique comme on parle de parité linguistique. Je préciserai à Gisèle Halimi que, si je parle de parité domestique, ce qui va dans le sens de ce que le Gouvernement a voulu faire avec la conférence sur la famille, c’est parce que j’estime que la famille n’est pas seulement un lieu de partage comme le prétendait la sociologie des années soixante, mais aussi un lieu de décision politique. Nous avons à repenser l’espace politique et l’espace privé, et pas uniquement au niveau des droits propres, de la violence et de la contraception qui se rattachent à la sphère privée ou au niveau du partage des tâches qui relèvent de la sphère publique. Ainsi, l’A.G.E.D. ne visait pas simplement à ce qu’une femme en aide une autre à travailler, mais permettait de faire en sorte qu’un homme et une femme décident l’un et l’autre d’avoir une activité professionnelle : c’est là ce que j’appelle la parité domestique.

Mme Danièle Lochak : Je voudrais d’abord souligner que l’article 3 ne traite que de la souveraineté et, par conséquent, ce n’est certainement pas à partir de la modification qui va lui être apportée que l’on va greffer des mesures d’égalité ou de parité dans d’autres secteurs de la vie économique et sociale. On n’a pas besoin de cela et, à mon avis, Yvette Roudy a tort, sur ce point, lorsqu’elle évoque les autres mesures, puisque le Conseil constitutionnel ne s’est opposé qu’à l’égalité “ politique ”.

Je note également que l’article 3 ne concerne pas le niveau local : cela a été dit implicitement dans la décision sur Maastricht et à propos du droit de vote des étrangers et cela a d’ailleurs été repris par le Doyen Vedel à l’époque. Néanmoins, je pense que si on le modifie pour y inscrire la parité ou quelque chose qui y ressemble au niveau national, a fortiori, cette modification s’appliquera au niveau local.

Pour ce qui concerne le Conseil constitutionnel, on a entendu dire que tout ce qui remontait à 1982 était déjà ancien. Oui, certes, mais le problème c’est que, même si j’ai fait une note d’humeur dans la revue Droit social pour dire que cette décision m’apparaissait “ tirée par les cheveux ”, les constitutionnalistes l’ont trouvée géniale. Même si personne n’avait demandé au Conseil de censurer ces dispositions, il n’en reste pas moins que l’obstacle constitutionnel étant constamment invoqué pendant le débat parlementaire, il a trouvé des justifications à sa décision et n’a donc aucune raison de la remettre en cause.

A l’inverse, je suis, personnellement, beaucoup moins sûre que Guy Carcassonne, de la constitutionnalité d’une incitation financière : on parle en effet d’“ atteinte ” à la liberté des partis politiques et ce n’est pas parce que l’incitation apporterait un plus, et non un moins, que cela ne modifierait pas la situation actuelle.

Cela étant, encore une fois, mon avis a moins d’importance que celui des constitutionnalistes, car si ces derniers considèrent qu’il n’y a pas de problème, cela m’étonnerait fort que le Conseil constitutionnel vienne s’inscrire en faux contre cette position.

Mme Yvette Roudy : Et notre contrôle à nous, alors, il n’existe pas ?

M. Louis Favoreu : Je ne suis pas constitutionnaliste, mais Danièle Lochak vient de soulever le problème exactement comme il fallait le faire en insistant sur un point que je voulais moi-même souligner, à savoir qu’en passant de l’article 34 à l’article 3, vous avez peut-être gagné en dignité mais vous avez perdu en liberté. Je veux dire par là qu’il est désormais inutile de préciser qu’il s’agit des mandats “ électoraux ” et des fonctions “ électives ”, cette précision étant implicite puisque le dispositif proposé figure dans un article relatif à la souveraineté.

Je ne suis pas du tout d’accord avec Guy Carcassonne quand il prétend que la disposition proposée pourrait s’appliquer en matière de baux agricoles ou dans d’autres domaines. Ne sont en jeu que les fonctions électives, y compris les fonctions électives locales, puisque le Conseil, en 1982, les a liées aux autres. Il s’agit ici du citoyen dans sa globalité, c’est-à-dire de l’homme abstrait et non pas de l’homme situé. En conséquence, toute élection mettant en cause l’homme abstrait rentre dans l’article 3.

En revanche, s’il s’agit d’élections syndicales, par exemple, il en va tout autrement parce qu’elles ne relèvent plus du même article de la Constitution. Si vous aviez inscrit la modification à l’article 34, vous auriez pu, alors, par des lois l’étendre aux fonctions syndicales, domestiques et autres. En modifiant l’article 3, vous avez renforcé votre position, mais vous avez diminué votre liberté d’action : il y a là, à mon avis, un problème, car parfois le mieux est l’ennemi du bien.

Je répète qu’il n’y a pas de dispositions imposant la parité, ni même des quotas, sauf en Belgique où la formule a d’ailleurs donné des résultats catastrophiques, puisque les femmes, qui devaient représenter au maximum 70 % des candidats sur des listes non bloquées et où les hommes venaient en tête, n’ont pas été élues. Donc la loi a été tournée.

Je remercie maintenant M. Claude Goasguen et M. Pierre Albertini pour la question qu’ils ont posée. Je leur répondrai en disant que si la loi relative aux conseils régionaux venait devant le Conseil constitutionnel, en l’état actuel, elle serait certainement déclarée contraire à la Constitution ; si la réforme constitutionnelle passait, je ne suis pas même sûr que cette loi serait déclarée constitutionnelle, ce qui me permet de revenir sur le rôle de cette instance. On a fait du Conseil constitutionnel un bouc émissaire. On lui impute la jurisprudence de 1982, alors qu’en réalité la classe politique a fait preuve d’une formidable hypocrisie, puisque après avoir voté la loi, elle l’a saisi sur un article qui était lié à la disposition censurée, l’obligeant ce faisant à statuer.

Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier qu’à partir de là, le Conseil constitutionnel a bâti toute une jurisprudence avec le soutien, non seulement de la doctrine, mais aussi du Président Badinter, qui s’est appuyé dessus pour la décision concernant le peuple corse. Cet édifice n’est donc plus un édifice qui ne concerne que les élections, mais un édifice complet : une révision est donc nécessaire.

S’agissant du face-à-face entre le Conseil constitutionnel et le Parlement, il convient de rappeler que le rôle du Conseil n’est nullement d’être un “ empêcheur de tourner en rond ”, mais d’indiquer ce qui peut être adopté par décret, par la loi ordinaire, par la loi organique ou par la loi constitutionnelle. C’est un aiguilleur dont la mission est de dire qu’il y a des mesures qui ne peuvent pas être prises par une simple majorité et qui nécessitent un consensus. Or, ces mesures-là sont capitales et c’est simplement, dans le cas qui nous intéresse, ce qu’il a voulu souligner.

Guy Carcassonne a parlé du précédent de 1993 ; mais le président Mitterrand avait proposé, en 1992, au comité consultatif présidé par le Doyen Vedel, de suggérer une révision de la Constitution qui permettrait de tourner la loi sur l’assemblée unique dans les départements d’outre-mer.

La jurisprudence n’est, en principe, pas intangible, mais comme le Conseil a bâti tout un édifice sur celle qu’il a élaborée en 1982, il lui est difficile de faire marche arrière. Le meilleur moyen de faire évoluer les choses, c’est que le pouvoir constituant reprenne la parole. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec Mme Catherine Tasca lorsqu’elle parle de la nécessité de “ s’opposer ” au Conseil constitutionnel, alors que ce dernier souhaite au contraire un dialogue avec un constituant qui lui dirait clairement les choses.

Pour terminer, je dirai que ce projet de loi est un texte de compromis : d’un côté, il n’est pas satisfaisant, parce qu’il va donner la parole au Conseil constitutionnel, qui sera amené à interpréter le texte, mais d’un autre côté, il faut peut-être en passer par là pour obtenir un consensus. Si tel est le cas, il représentera un pas vers une amélioration de la situation des femmes. C’est à vous de choisir, au risque de faire un pas trop grand et de tout casser, en sachant qu’aucun pays n’a osé le faire.

Mme Gisèle Halimi : C’est un problème de culture !

M. Louis Favoreu : Il n’y a pas de problème de culture : les Allemands, les Italiens et les Espagnols ont la même culture juridique que nous et personne n’a osé le faire. Je vous mets en garde : si aucun pays n’a osé franchir ce pas, c’est qu’il y a un problème. Finalement, le compromis peut être la meilleure des choses !

Mme Gisèle Halimi : Pour clore d’un mot le chapitre des comparaisons avec les autres pays, je dirai qu’ils n’ont pas la même culture politique. Je veux dire par là que si la représentativité des femmes s’est améliorée dans d’autres pays, sans qu’il y ait de modification de la constitution ou de nouvelles dispositions législatives, c’est que les partis politiques ont eu très tôt l’intelligence, de promouvoir des femmes, de façon à parvenir pratiquement à la parité, grâce à un dialogue constant avec les mouvements de femmes et sans bouleverser le droit, ni avoir recours à ce qui fait fonction de Conseil constitutionnel chez eux.

Il me semble que nous avons perdu un peu de temps à parler d’incitations ou de sanctions financières. Si une loi est votée conformément à la modification constitutionnelle, nous n’aurons pas besoin d’incitation puisque la loi s’imposera aux partis : s’ils ne la respectent pas, ils se verront appliquer la sanction prévue, comme en Belgique, par exemple, où la sanction consiste en la nullité des candidatures. Nous avons prévu dans notre rapport des mesures incitatives, mais nous avons bien spécifié qu’elles s’appliqueraient dans le cas où il n’y aurait pas de mesures volontaristes allant jusqu’à la modification de la Constitution et de la loi. Je crois donc qu’il y a une confusion ; s’il faut prendre des sanctions, il me semble que celles-ci ne devraient pas être d’ordre financier mais résider dans la nullité de la liste présentée par le parti qui ne respecterait pas la loi.

Par ailleurs, comme l’a dit Mme Odette Casanova, les mesures d’accompagnement qui ne sont donc pas des mesures incitatives, sont des mesures d’éthique générale. Pour autant, la limitation du cumul des mandats n’entraînera pas automatiquement l’arrivée des femmes dans la vie politique, les jeunes loups masculins “ se bousculent au portillon ” des partis, tandis que les femmes ne prennent que les places laissées vacantes !

Je voudrais répondre à M. Claude Goasguen sur un point : j’approuve tout à fait son propos sur le bricolage et si il a, comme je l’espère, le rapport de la commission politique de l’Observatoire de la parité, il verra que j’ai moi-même fait figurer le mot “ bricolage ” s’agissant des élections législatives au scrutin uninominal. Le “ bricolage ” qui a été proposé consistait à joindre deux circonscriptions, car il n’est pas possible de les multiplier, et à proposer pour cette nouvelle circonscription double, un couple si je puis dire, c’est-à-dire un député et une députée. Il reste que le scrutin proportionnel supprimerait toute confusion et éviterait de se demander si la parité concerne les candidatures ou les résultats, puisque s’il y a une parité dans les candidatures, il y en aura forcément une dans les résultats ...

M. Louis Favoreu : Sauf l’exemple belge !

Mme Gisèle Halimi : En Belgique, contrairement à la proposition de loi qui a été annulée par le Conseil constitutionnel, on n’avait pas pris la précaution d’imposer l’alternance d’une femme et d’un homme et toutes les femmes se sont trouvées en fin de liste.

Je dirai à M. Renaud Donnedieu de Vabres que je suis tout à fait d’accord avec lui pour reconnaître l’importance de la sémantique. Il est évident que le statut de l’élu semble dater. Parmi les partis que nous avons auditionnés à la commission politique de l’Observatoire de la parité, c’est le parti communiste qui a été le plus audacieux : dans la proposition de loi qu’il a déposée, il y a deux ou trois ans, il a consacré quatre ou cinq articles à ce sujet et vous verrez à leur lecture que le statut n’est pas une sacralisation des droits des parlementaires, mais au contraire un moyen pour les femmes d’exercer le mieux possible, dans la formation, dans le temps ou même les équipements collectifs, les responsabilités qui sont les leurs : en Suède, le Parlement est doté d’une crèche, parce que la moitié des députés sont des femmes.

J’en terminerai en vous informant que le Doyen Vedel, que nous avons interrogé par écrit sur la procédure de révision constitutionnelle la plus adaptée, nous a fait connaître que les réponses qu’il pouvait apporter en qualité de citoyen étaient parfaitement opposées à celles qu’il formulait en tant que juriste. Etant farouchement hostile au principe de la parité, il nous a ainsi répondu que, comme citoyen, il souhaitait que la procédure choisie soit celle qui limite les chances du succès de la révision et que, dans cette perspective, le recours à l’article 89 paraissait la plus indiquée puisqu’elle nécessite une majorité dans les deux chambres, puis une majorité au Congrès ou un référendum. Il a ajouté que tout changement politique suscitant l’hostilité de l’une des deux chambres interdisait le recours à cette procédure, puisque le référendum lui-même ne peut être utilisé que sur un texte adopté à la fois par l’Assemblée nationale et par le Sénat. Il a conclu à la nécessité de recourir, en l’espèce, à l’article 11.

Mme Monique Pelletier : Bien évidemment, l’objectif de parité suppose des lois pour être atteint. Je m’inscris en faux contre les propos de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, parce que j’estime qu’il faut tout oser, y compris les quotas dans les scrutins de liste, même si c’est absurde, parce que nous sommes dans une situation absurde dont il nous faut tirer les conséquences. Il en va de même du statut de l’élu, de la limitation du cumul des mandats, de la limite de l’âge et de la limitation du nombre de mandats successifs auxquels il est possible de postuler, trois mandats me semblant, à cet égard, un chiffre satisfaisant.

Il vous faudra donc mettre en place ces modalités pratiques. Je voudrais néanmoins terminer en disant qu’au sein de partis politiques, il faut demander aussi aux femmes de se battre pour figurer dans les instances d’investiture des candidats, de ne pas rester dans un rôle de soumission, mais d’exiger la place qui leur est due. Je pense, en effet, que tout dépendra de la politique menée au niveau des partis et, d’une part, de la capacité des femmes à se faire entendre, d’autre part, de celle des hommes à les écouter et à tenir compte de leurs revendications.

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