Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 42

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 mars 1999
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente

SOMMAIRE

 

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– Proposition de résolution de M. Jacques Myard visant à la création d’une commission d’enquête tendant à établir une analyse des phénomènes de la délinquance juvénile, un bilan de l’application de l’ordonnance de 1945 et à proposer des mesures de nature à répondre et corriger cette dérive dangereuse pour notre société (n° 1337) (M. Raymond Forni, rapporteur) (rapport)

– Proposition de loi de M. Pierre Cardo relative à l’enfance en danger et aux mineurs délinquants (n° 1403) (M. Pierre Cardo, rapporteur) (rapport)



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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Raymond Forni, la proposition de résolution de M. Jacques Myard visant à la création d’une commission d’enquête tendant à établir une analyse des phénomènes de la délinquance juvénile, un bilan de l’application de l’ordonnance de 1945 et à proposer des mesures de nature à répondre et corriger cette dérive dangereuse pour notre société (n° 1337).

M. René Dosière, suppléant M. Raymond Forni, rapporteur, a rappelé que la commission devait d’abord examiner la recevabilité de cette proposition de résolution avant de se prononcer sur son éventuelle opportunité. En ce qui concerne sa recevabilité, il a estimé que celle-ci pouvait être admise sans difficulté puisque les faits donnant lieu à enquête étaient déterminés avec un degré de précision suffisante et que ces mêmes faits ne faisaient l’objet d’aucune procédure judiciaire en cours.

Abordant la question de l’opportunité de la proposition, il a tout d’abord observé que, entre 1973 et 1998, le nombre de mineurs mis en cause pour crime ou délit par la police et la gendarmerie était passé de 72 742 à 171 787 tandis que leur proportion au sein de la population délinquante globale s’était spectaculairement accrue, passant de 9,7 % à 21,7 %. Tout en notant que l’analyse sur longue période montrait que l’on ne pouvait parler d’explosion continue de la délinquance des mineurs, il a néanmoins reconnu que les statistiques disponibles faisaient ressortir trois tendances récentes significatives, à savoir une croissance continue et forte de la part des mineurs mis en cause depuis 1994, le nombre des moins de dix-huit ans impliqués ayant augmenté de 57 % depuis cette dernière année, un rajeunissement des mineurs incriminés et une violence accrue de la délinquance, le nombre des mineurs auteurs de vols à main armée et de vols avec violences augmentant de manière très alarmante au cours de ces deux dernières décennies. Jugeant que ces tendances soulignaient l’acuité du problème, il a observé que les problèmes les plus graves étaient imputables à un petit groupe d’individus souvent récidivistes, dont la mise à l’écart contribuerait sans doute à ramener le calme. Il a observé cependant que, si le traitement pénal des meneurs était indispensable, il revenait à la prévention d’apporter une solution durable aux cas de nombreux jeunes confrontés aux aléas de l’insertion scolaire et professionnelle, à l’absence de structures familiales et de responsabilité parentale, qui s’installent, de ce fait, dans un parcours personnel où la délinquance, le plus souvent heureusement occasionnelle, permet de répondre artificiellement à une situation de détresse.

Le rapporteur suppléant a considéré que la constitution d’une commission d’enquête n’était pas la procédure la plus appropriée, l’analyse du phénomène et la nature des réponses à y apporter ayant déjà fait l’objet d’une multitude de rapports, dont celui rédigé par Mme Christine Lazerges et M. Jean-Pierre Balduyck, les statistiques officielles donnant, aussi finement que possible, la mesure des comportements délictueux imputables aux mineurs et le Parlement ayant déjà eu l’occasion de débattre fréquemment de cette question, comme l’Assemblée doit le faire à l’occasion du prochain examen de la proposition de loi tendant à modifier l’ordonnance de 1945, présentée par M. Pierre Cardo. Il a par ailleurs fait valoir que le gouvernement avait adopté rapidement un certain nombre de mesures, regroupées dans un plan d’action gouvernemental arrêté par le conseil de sécurité intérieure le 8 juin 1998 ; il a évoqué la circulaire du 15 juillet 1998 signée par la garde des sceaux relative à la politique pénale en matière de délinquance juvénile, celle que le Premier ministre a publié le 6 novembre dernier et, enfin, les décisions prises par le conseil de sécurité intérieur le 27 janvier dernier tendant à l’affectation de 7 000 policiers et gendarmes dans les quartiers sensibles sur trois ans, à la création de 30 nouvelles maisons de justice et du droit, au renforcement de la présence policière dans les gares de l’Ile-de-France, au lancement d’expérimentations globales de police de proximité dans les départements sensibles, au renforcement de l’action éducative au sein du dispositif carcéral propre aux mineurs, à la création, d’ici 2001, de 50 centres de placement immédiat, dont 15 en 1999 et au développement des centres éducatifs renforcés pour la mise en place de séjours « de rupture » de plusieurs mois, conduisant à un total de 100 unités pour la fin de l’année 2000, à la création d’internats urbains et au recrutement de 10 000 aides-éducateurs. Soulignant qu’il fallait être de mauvaise foi pour prétendre que le Gouvernement restait inactif, il fait observer qu’il convenait de laisser le temps à ces mesures concrètes de produire leurs effets.

En conclusion, il a jugé que la constitution d’une commission d’enquête parlementaire ne serait de nature, ni à alimenter utilement le débat, ni à faire émerger des orientations réalistes et viables.

Approuvant le constat dressé par le rapporteur, M. Thierry Mariani a néanmoins indiqué qu’il ne formulait pas les mêmes conclusions, insistant sur le rajeunissement de la délinquance juvénile et sur sa diffusion croissante sur l’ensemble du territoire. Après avoir fait observer que les mesures prises par le gouvernement ne produisaient pas d’effets sur le terrain, il a évoqué la révolution intellectuelle opérée en Grande-Bretagne vis-à-vis de la délinquance juvénile et a jugé que la mise en place d’un commission d’enquête permettrait de porter un regard neuf sur ce phénomène.

M. Bruno Le Roux a insisté sur le fait que le traitement de la délinquance des mineurs appelait davantage des actes concrets que la création d’une commission d’enquête. Evoquant les rencontres nationales des acteurs de la prévention de la délinquance se tenant à Montpellier, il a mis l’accent sur la nécessité de mettre en oeuvre des politiques transversales.

M. Pierre Cardo, s’exprimant à titre personnel, a déploré le décalage entre le nombre important d’acteurs intervenant sur le terrain et l’impact limité des interventions. A cet égard, il a estimé qu’une enquête parlementaire permettrait de procéder à une évaluation des institutions en prise avec l’enfance en danger et la délinquance juvénile et, dont le mode de fonctionnement apparaît largement inadapté, qu’il s’agisse de la police, de la justice, de l’éducation nationale ou des services sociaux. Evoquant la mise en œuvre des procédures de médiation pénale, il a, par ailleurs, observé que de nombreuses décisions n’étaient pas appliquées du fait de l’inadaptation ou de la mauvaise volonté des acteurs concernés.

M. Jérôme Lambert a souligné l’impact désastreux de la violence à la télévision sur les jeunes, estimant que beaucoup trop de mineurs n’étaient plus en état de se référer à un bon exemple.

Mme Nicole Feidt a considéré que la plupart des réponses aux questions posées figuraient dans le rapport de Mme Christine Lazerges et M. Jean-Pierre Balduick, ce qui rendait inutile la constitution d’une commission d’enquête. Elle a, en outre, précisé que les premières évaluations des mesures mises en oeuvre par le gouvernement faisaient état d’effets positifs.

M. Jean-Antoine Léonetti a estimé nécessaire de procéder à une évaluation des interventions des différents acteurs de terrain, trop souvent axées sur la déresponsabilisation et l’éducation, soulignant qu’elles avaient conduit à une situation d’échec patent. Il a considéré que les mesures préconisées par le gouvernement n’étaient pas à la hauteur de l’enjeu et qu’elles n’avaient aucun impact.

M. Pascal Clément a indiqué qu’une commission d’enquête serait opportune dès lors qu’elle permettrait de dépasser un certain nombre de faux débats et de gagner du temps pour mettre en oeuvre des réponses novatrices.

Approuvant ces propos, M. Michel Hunault a fait valoir qu’en réalité, le phénomène de la délinquance juvénile était mal connu et qu’une évaluation sérieuse des dispositifs existants permettrait de déboucher sur des réponses adaptées.

Après que le rapporteur suppléant eut insisté sur l’amélioration des interventions sur le terrain et eut fait valoir la nécessité de laisser aux mesures adoptées par le gouvernement il y a moins d’un an le temps de produire leurs effets, la commission a rejeté la proposition de résolution.

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Pierre Cardo, la proposition de loi de M. Pierre Cardo relative à l’enfance en danger et aux mineurs délinquants (n° 1403).

Evoquant le premier thème abordé par la proposition de loi, celui de l’enfance en danger, le rapporteur a constaté que l’on assistait à un rajeunissement de la délinquance, doublé d’un phénomène de « massification ». Il a observé que les mesures répressives n’étaient pas suffisantes pour combattre les noyaux durs de la délinquance dans les quartiers, ceux-ci se reconstituant rapidement malgré la mise à l’écart des principaux éléments perturbateurs, mettant ainsi en lumière l’inadaptation des mesures préventives. Tout en rappelant que la délinquance avait toujours existé, il a estimé que ses causes avaient évolué, malgré certaines constantes, citant le chômage de longue durée comme l’une des explications de la situation actuelle. Il a indiqué que, même si les personnes qu’il avait entendues dans le cadre de la préparation de son rapport avaient souvent une approche différente, elles concluaient toutes à l’inadaptation des réponses actuelles aux phénomènes de violence collective.

Rappelant que la prévention suppose une détection de la délinquance le plus en amont possible, il a considéré que le système mis en place depuis 1945 était défaillant, parce que les travailleurs sociaux, qui devraient être théoriquement les premiers à intervenir, n’étaient pas en mesure de remplir correctement leur rôle. Il a en effet affirmé qu’ils n’étaient pas suffisamment présents dans les quartiers, en raison notamment du nombre de postes vacants, et regretté la trop grande mobilité de ces fonctionnaires, qui conduit à rendre plus difficile une analyse à long terme des phénomènes locaux de délinquance. Il a également fait valoir que ces acteurs sociaux habitaient de plus en plus rarement sur leur lieu de travail. Il a alors donné l’exemple des clubs de prévention spécialisés, observant qu’ils fonctionnaient dans l’anonymat et n’étaient pas assez proches de la population locale. Il a ajouté que l’accroissement considérable des tâches confiées aux travailleurs sociaux conduisait l’Etat à recruter de plus en plus de jeunes sans expérience, qui s’intègrent difficilement dans les quartiers. Il a indiqué qu’il proposerait de résoudre ces difficultés en imposant un travail en réseau à travers les « pôles d’accueil des jeunes en difficulté », regroupant les différents acteurs chargés de traiter en amont les problèmes de délinquance dès l’apparition des premiers symptômes.

Le rapporteur a ensuite évoqué l’errance nocturne des mineurs de moins de 13 ans, observant que dans certains quartiers ils n’étaient plus appréhendés par la police, puisque les parents, lorsqu’ils étaient prévenus, souvent ne se déplaçaient pas. Il a, par ailleurs, rappelé que l’enregistrement par le parquet des faits délictueux ne faisant pas l’objet de poursuites n’avait été mis en place que depuis deux ans ; puis, il a souligné que sa proposition de loi permettrait de mieux responsabiliser les parents en permettant d’interdire aux mineurs de moins de 13 ans de circuler entre 22 heures et six heures du matin sans être accompagnés d’un adulte. Il a indiqué qu’en cas de non-respect de cette interdiction, les parents seraient convoqués pour un rappel à la loi et, éventuellement, une amende, ajoutant qu’en cas de récidive, le juge pourrait proposer de suspendre les allocations familiales pour six mois. Répondant aux critiques qu’avait suscitées cette proposition, il a observé que l’article 227-17 du code pénal sanctionnait le délaissement de mineur de deux ans d’emprisonnement et 200 000 F d’amende. Il a également rappelé qu’en cas de déscolarisation, une loi de 1954 autorisait la suppression des allocations familiales, sans qu’aucune enquête sociale n’ait été réalisée et sans que la justice n’intervienne. Quant à la mise sous tutelle des allocations familiales, il a rappelé qu’il s’agissait d’une tutelle budgétaire destinée à orienter les dépenses dans l’intérêt de l’enfant, ce qui n’allait pas dans le sens d’une responsabilisation des parents. Après avoir estimé que les emplois de médiation étaient nécessaires pour favoriser l’implication des habitants dans la vie des quartiers, il a regretté que ceux-ci soient principalement confiés à des jeunes dans le cadre de la loi Aubry, alors que la présence de médiateurs plus âgés faciliterait sans doute le dialogue avec les parents.

Il a insisté sur le fait que le législateur devait montrer sa volonté de placer les parents des enfants délinquants face à leurs responsabilités, jugeant qu’il était nécessaire de régler ce problème avant de résoudre les questions relatives au logement ou au travail.

Abordant le second volet de sa proposition de loi, le rapporteur a estimé nécessaire de modifier l’ordonnance de 1945 afin d’accélérer la réponse des institutions aux agissements des mineurs délinquants et aux demandes de sécurité émanant des habitants des quartiers en difficulté. A cet égard, il a jugé que l’application de la garde à vue aux mineurs délinquants et la mise en place d’un système d’incarcération qui leur soit adapté étaient indispensables. Pour illustrer son propos, il a fait observer qu’actuellement les magistrats hésitaient à incarcérer les mineurs délinquants parce que le système pénitentiaire est totalement inadapté. Il a en outre exprimé la crainte que les mesures annoncées par le conseil de sécurité intérieure en vue de créer des établissements fermés, mais non carcéraux, spécialisés dans l’accueil des mineurs délinquants ne soient inefficaces, et jugeant qu’il serait préférable d’adapter le système carcéral aux mineurs délinquants. Tirant les conclusions de l’échec des maisons de correction, il a estimé qu’il ne fallait pas confier le rôle d’éducateur et de surveillant aux mêmes personnes et qu’il convenait de limiter les effectifs des mineurs incarcérés en-deçà de quinze. En conclusion, il a indiqué qu’il convenait de mettre en place un traitement continu et gradué de la délinquance des mineurs en intégrant à la fois des objectifs de prévention et de répression.

M. Jean-Antoine Léonetti a fait observer que la délinquance des mineurs concernait des personnes de plus en plus jeunes et de plus en plus violentes, alors même que se développe un sentiment d’impunité dans les quartiers en difficulté. Indiquant qu’un mineur délinquant sur deux était arrêté par la police et qu’un sur dix seulement recevait une sanction effective, il a considéré qu’il revenait avant tout à la famille, et non à la société, de prendre ses responsabilités. Exprimant son accord avec la démarche de M. Pierre Cardo consistant à renforcer le volet répressif de l’ordonnance de 1945, sans pour autant la modifier totalement, il a estimé que le système de prévention avait montré ses limites. Il a ainsi déclaré que les travailleurs sociaux n’étaient pas présents dans les quartiers difficiles, que les juges pour enfants exerçaient davantage une fonction d’assistance sociale que de répression et que la police ne pouvait entrer dans les quartiers difficiles, qui vivaient de manière autonome et fermée, fonctionnant sur le mode clanique. Il a par ailleurs observé que les mineurs étaient utilisés par les adultes afin de commettre des délits, jugeant qu’il serait nécessaire de responsabiliser leur famille et de les écarter momentanément de la société pour préparer leur réinsertion. Il a, en outre, considéré que la suppression des allocations familiales pour les familles dont les mineurs sont délinquants pourrait contribuer à leur responsabilisation. Il a indiqué que, s’il s’était abstenu sur la proposition de résolution de M. Jacques Myard tendant à créer une commission d’enquête sur la délinquance juvénile, c’est parce qu’il estimait préférable l’adoption de mesures concrètes à la création d’une nouvelle structure de réflexion. Pour cette même raison, il a fait part de son soutien à la proposition de loi de M. Pierre Cardo, en précisant que, si elle constituait une réponse incomplète au problème de la délinquance des mineurs, elle permettait cependant d’envoyer un message clair et pragmatique aux habitants des quartiers difficiles.

Mme Véronique Neiertz a indiqué qu’elle avait écouté le rapporteur avec d’autant plus d’intérêt qu’il était un homme de terrain, ayant une grande expérience du sujet qu’il évoquait. Tout en soulignant que le problème de la délinquance des mineurs constituait une préoccupation constante pour les élus, elle a considéré que légiférer dans ce domaine revenait toujours à avancer sur un terrain miné. Elle a rappelé que l’Assemblée nationale avait déjà débattu de cette question à l’occasion du vote de la loi du 1er juillet 1996 portant modification de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Elle a fait état de sa propre expérience dans ce domaine, indiquant qu’elle avait contribué à mettre en application des dispositions de la loi concernant les procédures de prise en charge en temps réel des mineurs délinquants. Estimant que tout le débat se jouait autour du délicat équilibre entre la prévention et la répression, elle a jugé que la proposition de loi de M. Pierre Cardo était trop axée sur le volet répressif. Elle a considéré, en effet, que la politique du tout répressif avait montré ses limites aux Etats-Unis. Affirmant que le véritable objectif à atteindre était celui de la rééducation des mineurs confrontés à un environnement difficile, elle a jugé que la politique des moyens menée par le Gouvernement était la plus viable. Elle a exprimé la crainte que certaines des dispositions de la proposition de loi, notamment celles relatives à l’interdiction de sortie des mineurs de treize ans la nuit, ne soient de nature à susciter des comportements violents dans les quartiers difficiles et que, sur le plan politique, elle ne tende à favoriser les discours les plus extrémistes. Elle a ajouté que la loi du 1er juillet 1996 n’avait pu encore produire tous ses effets et s’est déclarée favorable à une application des dispositions existantes sur la mise sous tutelle des allocations familiales. Elle a considéré qu’une véritable politique des moyens devait porter à la fois sur les acteurs sociaux et institutionnels ainsi que sur le logement social, jugeant que ce dernier ne répondait plus à l’accroissement des demandes et aux moyens des plus défavorisés. Estimant que la proposition de M. Pierre Cardo avait pour seul objectif de permettre qu’un débat s’engage à l’Assemblée nationale, elle a proposé que la Commission ne formule pas de conclusions.

Evoquant l’expérience qu’il avait en la matière en sa qualité d’élu local, M. Pascal Clément a constaté que la France ne savait pas traiter le problème des mineurs délinquants. Contestant les propos de Mme Véronique Neiertz, il a affirmé que le principe de la « tolérance zéro » pratiqué aux Etats-Unis avait conduit à une baisse des délits. Il a déploré que le discours sociologique sur les déterminismes environnementaux n’imprègne désormais celui des politiques et jugé qu’il alimentait le ressentiment des électeurs, victimes de ce type de délinquance. Indiquant qu’il n’était pas favorable à une politique du tout répressif, il a néanmoins souligné les limites de la prévention, prenant l’exemple des événements survenus à Strasbourg lors de la Saint-Sylvestre. Il a remarqué que M. Jean-Marie Bockel, maire de Mulhouse, avait également proposé la suppression des allocations familiales des parents de mineurs délinquants récidivistes, soulignant, par ailleurs, que les dispositions existantes n’étaient guère appliquées. Il s’est interrogé ensuite sur l’efficacité des foyers particuliers accueillant les jeunes délinquants et qui n’imposent pas de réelles obligations en matière de travail et de rééducation. Déplorant les coûts de fonctionnement de ces établissements, il a, par ailleurs, constaté que le nouveau président de S.O.S. Racisme s’était déclaré favorable à la responsabilisation des mineurs et très critique à l’égard de la logique d’assistance qui prédomine actuellement. Il a, cependant, observé que seule une politique globale serait à même de répondre aux problèmes d’insécurité. Rappelant que la présence de l’Etat et de ses acteurs était nécessaire dans les quartiers difficiles, il a ajouté que les choix faits en matière d’urbanisme après la guerre pesaient lourd dans le développement du sentiment de mal-être dans ces quartiers. Il a déclaré que la reconstruction de la ville devait constituer un véritable projet national. Il a annoncé qu’il voterait en faveur de la proposition, considérant que l’Assemblée nationale devait s’en saisir afin de rassurer l’opinion sur ces questions.

Mme Catherine Tasca, présidente, a estimé qu’il était essentiel de mener de front une réflexion de fond sur le problème de la délinquance des mineurs et la mise en place de mesures concrètes et rapides. Soulignant l’intérêt du débat sur cette proposition de loi, elle a considéré qu’il faisait ressortir trois points principaux : l’errance des jeunes dans les villes, la responsabilité des familles et l’insuffisance des effectifs et des moyens des travailleurs sociaux. Elle a, par ailleurs, estimé qu’il était totalement injustifié de reprocher au Gouvernement l’absence d’action dans ce domaine, ajoutant qu’il convient d’éviter d’aborder cette question uniquement sous un angle punitif.

Mme Nicole Feidt a indiqué que, dans beaucoup de régions, la situation n’était pas aussi dramatique qu’en Ile-de-France. Citant le cas de sa circonscription, elle a précisé que les problèmes des mineurs étaient heureusement limités à des faits de petite délinquance. Elle a par ailleurs considéré que les établissements de placement effectuaient le plus souvent un travail de qualité, ajoutant qu’ils souffraient principalement d’un manque de moyens. Soulignant qu’il était difficile de distinguer ce qui relève de la responsabilité directe des familles de ce qui provient de leurs difficultés économiques, elle a exprimé son accord sur le diagnostic établi par M. Pierre Cardo, tout en s’opposant cependant aux dispositions de sa proposition de loi.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

—  Il est indispensable que le législateur exprime clairement sa volonté en matière de délinquance des mineurs ; la pire des réponses serait l’immobilisme ; il convient, au contraire, de ne pas hésiter à s’engager dans la voie de l’expérimentation.

—  S’il est exact que l’équilibre entre répression et prévention est délicat à trouver, il serait néanmoins erroné d’analyser les dispositions de la proposition de loi comme étant uniquement de nature répressive. Il importe avant tout de définir ce qui relève du répressif et ce qui est préventif : l’exemple de la police de proximité, par nature répressive, mais exerçant des missions préventives, démontre la difficulté de définir une frontière claire entre les deux concepts. Ainsi, pour reprendre les dispositions de la proposition de loi, la suspension des allocations familiales en cas d’errance répétée de l’enfant peut apparaître comme une mesure répressive, alors qu’elle institue pourtant une procédure beaucoup plus souple que les dispositions existantes du code pénal, qui prévoient peine de prison et amende en cas de désengagement des parents vis-à-vis de l’enfant.

—  Il est urgent de responsabiliser davantage les parents. Les dispositions de la proposition de loi n’imposent pas aux parents une obligation de résultat, mais une obligation de moyens : il n’est pas demandé aux parents de faire de leurs enfants des citoyens modèles, mais de leur donner au moins la possibilité de le devenir. La proposition de loi permettrait ainsi de recréer un lien entre les diverses allocations et revenus sociaux attribués par la collectivité aux parents et le devenir des enfants. La suspension des allocations familiales serait ainsi perçue comme un signal fort par les parents, et semblerait, dès lors, beaucoup plus adaptée que les dispositions existantes.

—  Il est exact que la situation ne connaît pas la même gravité sur l’ensemble du territoire, mais, compte tenu du taux élevé du chômage et du caractère inadapté de la politique de prévention, le risque d’une augmentation de la violence et de la délinquance partout en France existe véritablement. Actuellement, le problème qui se pose est celui d’une répartition des moyens ; l’Etat pratique une politique égalitaire, qui se traduit dans les faits par une politique égalitariste, insuffisante pour certains départements et inutile pour d’autres.

—  Le problème du logement des personnes habitant les quartiers en difficulté a souvent été évoqué pour expliquer l’errance des enfants. Il est évident qu’il est important de comprendre le phénomène, mais cela ne doit pas conduire à l’excuser, ni, bien évidemment, à le condamner. L’errance des enfants a pour conséquence d’amener les grands adolescents, qui font la loi dans les cités et vivent de petits trafics, à faire l’éducation des plus petits. L’avenir qui se prépare, si le législateur ou les pouvoirs publics ne réagissent pas, s’il n’y a pas une volonté de mieux connaître les quartiers difficiles, apparaît, dès lors, bien compromis.

Mme Catherine Tasca, présidente, a insisté sur l’importance de la proposition de loi qui a permis, au-delà du dispositif proposé, qu’un véritable débat s’engage au sein de la Commission sur la question de la délinquance des mineurs.

A l’issue de la discussion générale, la Commission a décidé de ne pas procéder à l’examen des articles et, en conséquence, de ne pas formuler de conclusion.

——fpfp——


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