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ASSEMBLÉE NATIONALE COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES, de la LÉGISLATION et de lADMINISTRATION GÉNÉRALE de la RÉPUBLIQUE COMPTE RENDU N° 53 (Application de l'article 46 du Règlement) Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente SOMMAIRE
La Commission a procédé à laudition de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de lIntérieur, sur lévolution des moyens, les résultats et les perspectives de laction des services de lEtat pour assurer le respect de lEtat de droit en Corse. Après avoir remercié le ministre de lIntérieur de sa venue à la commission des Lois, Mme Catherine Tasca, présidente a indiqué que la Commission suivait avec attention, tout au long de lannée, les activités de son département ministériel et que, dans ce cadre, elle avait déjà eu loccasion de lentendre à plusieurs reprises lors de lexamen de projets de loi. Elle a rappelé quune commission denquête avait été créée à lAssemblée nationale sur le fonctionnement des forces de sécurité en Corse et au Sénat sur la conduite de la politique de sécurité menée par lEtat en Corse et que, par ailleurs, une procédure judiciaire était en cours sur laffaire dite de la paillote. Elle a souligné quil ne sagissait aucunement pour la commission des Lois de se substituer à la commission denquête, mais quil était utile dentendre le ministre de lIntérieur sur laction menée en Corse par ses services ainsi que sur les résultats et les perspectives de cette action, sagissant notamment des mesures prises pour que le fonctionnement des services en Corse demeurent à labri de critiques. M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de lIntérieur, a tout dabord indiqué que tout le Gouvernement était impliqué dans laction de salut public conduite en Corse pour assurer le respect de la loi. Il a reconnu que le Parlement avait apporté une importante contribution avec le rapport de la commission denquête de lAssemblée nationale sur lutilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse. Puis, il a indiqué que son intervention serait principalement consacrée aux domaines de sa compétence, la sécurité publique, lordre public et le contrôle de légalité, mais quil aborderait également dautres aspects de létablissement de lEtat de droit. Le ministre a rappelé, en premier lieu, que la collectivité territoriale de Corse disposait dun statut sui generis depuis 1991, ce texte réglant son organisation, son financement et ses rapports avec lEtat. Sagissant de la sécurité, il a constaté que, en dehors même du caractère particulier de la criminalité sévissant dans lîle, la Corse se trouvait dans une situation originale puisque, depuis 1983, elle avait été dotée dun préfet adjoint à la sécurité assistant, non pas un, mais deux préfets. Reconnaissant quil en résultait inévitablement certaines difficultés, il a rappelé quune circulaire interministérielle du 31 octobre 1994 avait précisé les responsabilités et les pouvoirs du préfet délégué pour la sécurité en Corse, celui-ci bénéficiant actuellement dune simple délégation de signature. Puis, évoquant la lutte anti-terroriste, qui fait appel à un dispositif judiciaire et policier particulier, il a rappelé que la France, après avoir supprimé la cour de sûreté de lEtat en 1981, sétait dotée dune législation anti-terroriste en 1986, complétée en 1994 par ladoption du nouveau code pénal puis par deux lois en 1995 et 1996. Il a précisé que cette législation qualifiait les faits terroristes, jusqualors poursuivis sous des qualifications de droit commun, leur appliquait des procédures particulières et centralisait le traitement des dossiers dans une section spécialisée du parquet de Paris, leur instruction étant également confiée à des juges spécialisés. Puis, il a indiqué que la police judiciaire avait créé en son sein une unité spécialement affectée à la lutte anti-terroriste, appelée Division nationale anti-terroriste. Il a souligné que les juges anti-terroristes faisaient souvent appel à ces policiers mais quils pouvaient aussi recourir aux enquêteurs du service régional de la police judiciaire dAjaccio ou à des militaires de la gendarmerie, notamment la section de recherche de Corse. Concernant le renforcement des moyens de la sécurité en Corse, le ministre a fait savoir que les personnels de la police nationale effectivement disponibles à ce jour sélevaient à 1 164 soit une augmentation de 16,1 % depuis 1993 contre 991 en 1998. Il a précisé quen 1999, la principale augmentation deffectifs avait touché les compagnies républicaines de sécurité (360 personnes présentes contre 180 en moyenne en 1998) et, dans une moindre mesure, les effectifs des renseignements généraux et de la police judiciaire. Quant aux gendarmes, il a indiqué que leur effectif permanent était passé de 993 en 1993 à 1 042 en 1999 et que cest parmi ces personnels quavait été créé le groupe de pelotons de sécurité, aujourdhui dissout. Il a rappelé que, si la décision de créer cette unité avait été portée à la connaissance de la direction générale de la police nationale le 3 juin 1998, la directive émanant du commandement organique de la gendarmerie, qui fixait les structures et le détail de ses missions, était restée une note interne à la gendarmerie. Constatant que, pour la gendarmerie comme pour la police, les personnels déplacés étaient ceux qui avaient connu la plus forte croissance, il a précisé que les escadrons de gendarmerie mobile étaient passés de 3 en 1993 à 6 en 1998 et 8 en 1999. Il a indiqué que les effectifs des forces de sécurité en Corse sétablissaient, au 31 mars 1999, à 1 833 pour les effectifs permanents (806 pour la police nationale et 1 027 pour la gendarmerie) et à 1 206 pour les renforts, soit au total 3 039 personnes. Concernant les investissements immobiliers, le ministre a souligné que serait engagée, dès 1999, la construction dun nouveau cantonnement de passage pour les CRS à Furiani, équipé dun stand de tir pouvant être utilisé par les policiers de la circonscription de Bastia. Il a rappelé que lhôtel de police de Bastia avait été ouvert à ses occupants en décembre 1997, la réhabilitation de lancien hôtel, commencée à la fin de 1998, sachevant en août prochain. Puis, il a observé que le taux déquipement de la police nationale en Corse était supérieur à la moyenne nationale pour les véhicules, leur renouvellement étant aussi plus rapide que sur le continent. Ajoutant que la police corse serait progressivement dotée, dici à la fin de lan 2000, du réseau de transmissions sécurisées ACROPOL, il a constaté que, de façon générale, elle était mieux équipée, notamment en moyens informatiques, que ne létait la police dans dautres circonscriptions comparables de la France. Considérant quil était utile de revenir sur le passé si lon voulait comprendre le sens et apprécier la portée de laction du Gouvernement en Corse, le ministre a fait observer quil avait toujours eu le souci de le faire en dehors de toute polémique. Estimant que la question corse touche au cur de lidée que lon se fait de la Nation et de la République, il a considéré que cest sans doute parce que cette idée avait été parfois incertaine que la politique des gouvernements avait été hésitante. Il a souligné que le Gouvernement de M. Edouard Balladur avait cru devoir composer avec une assemblée de Corse comprenant treize élus nationalistes nayant nullement renoncé à la violence. Il a observé que, si en juin 1993 le FLNC-Canal historique avait annoncé la suspension de ses interventions armées, en mars de lannée suivante la trêve avait été rompue et plusieurs militants arrêtés dans une tentative dattentat à Sperone, avant dêtre élargis quelques mois plus tard. Il a rappelé que de nouveaux avantages fiscaux avaient été concédés par la loi du 28 décembre 1994 portant statut fiscal de la Corse, après le vote par lassemblée régionale dune motion demandant la suppression de la TVA pour lîle. Il a constaté que les attentats par explosifs sétaient néanmoins maintenus à un niveau élevé (399 en 1992, 365 en 1993, 361 en 1994) et que le nombre des attentats revendiqués était en augmentation par rapport aux quatre années précédentes. Concernant la période où M. Alain Juppé dirigeait le Gouvernement, il a souligné que, dans un premier temps, le Premier ministre avait suivi la ligne de son prédécesseur. Il a ainsi rappelé quen septembre 1995 le FLNC avait proclamé un « cessez-le-feu », le nombre des attentats par explosif restant pourtant élevé (350 en 1995 et 336 en 1996), tandis que les attentats revendiqués augmentaient en 1995 puis diminuaient très légèrement en 1996. Il a indiqué que parallèlement le Gouvernement avait accordé, en décembre 1995, un nouveau plan de consolidation de la dette agricole certes moins laxiste que les plans précédents et, au début de 1996, un moratoire sur les dettes fiscales et sociales des hôteliers. Il a rappelé quen janvier 1996 avaient été révélées les tractations entre le ministère de lIntérieur et le FLNC, à loccasion de la visite en Corse de M. Jean-Louis Debré, précédée la veille dune conférence de presse du FLNC à Tralonca réunissant six cents hommes cagoulés et armés. Il a ajouté que, cinq mois plus tard, les discussions étaient interrompues et les attentats reprenaient, celui commis le 5 octobre 1996 contre la mairie de Bordeaux provoquant un important changement, puisque le ministère de lIntérieur était dessaisi de la responsabilité principale de la gestion du dossier corse au profit du Premier ministre, ce dernier affirmant par ailleurs sa détermination à combattre le terrorisme. Il a rappelé que deux importants dirigeants du FLNC avaient été arrêtés à la fin de 1996 et au début de 1997 et quune mission dinformation commune sur la Corse avait aussitôt été créée par lAssemblée nationale. Il a noté enfin que, conformément à la doctrine économique de la majorité dalors, une zone franche avait été instituée à léchelle de lîle toute entière. Puis, le ministre a estimé que le gouvernement de Lionel Jospin avait, à linverse, fixé demblée un cap clair puisque dans son discours de politique générale, le 19 juin 1997, le Premier ministre avait déclaré qu« en Corse comme partout ailleurs sur le territoire national le Gouvernement veillera au respect de la loi républicaine auquel la population aspire et sans lequel il ny a pas dessor possible », et que « parallèlement, il fera en sorte que la solidarité nationale sexerce pour rattraper le retard de développement dû à linsularité ». Il a souligné que le dossier corse continuait de relever de la responsabilité du Gouvernement tout entier, chaque ministre étant responsable dans son domaine de compétence. En charge de lordre public et de ladministration générale, le ministre a expliqué quà loccasion de son voyage en Corse les 17 et 18 juillet 1997, il avait clairement indiqué quil ny avait pas de « Monsieur Corse » au sein du Gouvernement et que celui-ci sattacherait à « lapplication ferme et sereine de la loi ». Il a insisté sur le fait quil souhaitait dialoguer avec les élus, représentants légitimes des citoyens, mais quil ne saurait, en revanche, y avoir ni discussion, ni négociation officieuse avec les partisans de la violence, aucun dentre eux nayant dailleurs franchi les grilles de la place Beauvau depuis quil était ministre de lIntérieur. Estimant que lassassinat du préfet Claude Erignac avait évidemment renforcé la mobilisation du Gouvernement pour instaurer lEtat de droit, il a ajouté que tout lappareil de lEtat sétait profondément rénové en Corse, tandis que la justice était renforcée dans ses moyens et réactivée dans son action. Il a jugé que lheure nétait plus à la « circonspection », selon le terme utilisé par le procureur général près la cour dappel de Bastia en 1996, mais bien à linitiative et à la rigueur. Il a relevé que les inspections générales des administrations centrales avaient été dépêchées pour effectuer de multiples enquêtes, débouchant toujours sur des remises en ordre et, le plus souvent, sur la saisine du parquet. Abordant le bilan de laction gouvernementale en Corse, le ministre a remarqué que, dans le domaine de la sécurité, lannée 1998 se caractérisait par une augmentation de 12 % des faits de délinquance constatés par rapport à lannée 1997. Il a relevé néanmoins que le niveau de la délinquance globale ne classait les deux départements corses quaux trente-sixième et trentième rangs des départements français, ce phénomène sexpliquant par une intensification du travail des enquêteurs, notamment pour les infractions économiques et financières : 2 016 en 1998, contre 1 500 environ en 1994 et 1996. Il sest félicité que le taux délucidation des crimes et délits ait dailleurs été porté en Corse à 43 %, ce qui le situe largement au-dessus de la moyenne nationale qui nest que de 30 %, le résultat le plus spectaculaire étant lélucidation de lassassinat du préfet Claude Erignac, grâce au travail effectué par la DNAT sous le contrôle des juges anti-terroristes de la 14e section et avec lappui de la direction centrale des renseignements généraux. Il a tenu à rendre hommage au travail des commissaires Marion et Squarcini et de leurs équipes, à la compétence des policiers, à leur professionnalisme, à leur opiniâtreté et à leur courage. Le ministre a souligné quune baisse spectaculaire des attentats par explosifs avait été enregistrée, 316 en 1997 contre 98 en 1998 et 51 pour lannée en cours, ce qui constitue le chiffre de très loin le plus faible depuis 1975. Sagissant de la criminalité, le ministre a fait part dune chute de 62 % des vols à main armée, qui passent de 160 en 1997 à 61 en 1998, le nombre des homicides et tentatives dhomicides demeurant, quant à lui, stable. Il a affirmé quaujourdhui, contrairement à une tradition ancienne, la plupart des auteurs de meurtres en Corse étaient identifiés et que vingt-neuf affaires avaient été élucidées en 1998, ce qui ne sétait jamais vu depuis vingt ans. Pour ce qui concerne la police administrative, il a indiqué que les procédures avaient été rigoureusement appliquées. Il a précisé que les armes autorisées pour le tir sportif avaient été effectivement réservées aux seuls pratiquants, que la police municipale dAjaccio avait été désarmée après de graves dysfonctionnements et que les activités de lentreprise de transports de fonds Bastia Securita, dont chacun sait quelle sert de support logistique aux hommes du FLNC, avaient été suspendues. Il a également relevé que toutes les armureries de lîle avaient été contrôlées, la principale dentre elles étant fermée et 300 armes placées sous la garde de lautorité militaire, et quil avait été procédé à un examen exhaustif des registres de vingt-trois dépôts dexplosifs, plusieurs dentre eux ayant cessé dexister. Pour ce qui est de la révision des listes électorales, il a souligné quelle avait été conduite avec le plus grand souci dauthenticité et que des consignes avaient été données aux maires et aux délégués de ladministration pour reconsidérer le cas des électeurs déjà inscrits. Il a ajouté que les procédures dannulation engagées contre des opérations irrégulières auprès du tribunal administratif avaient abouti. Il a constaté que cette campagne menée en 1998 et en 1999 avait porté ses fruits puisque le nombre des électeurs avait baissé de 1,4 %, soit 1 100 de moins, alors quil avait augmenté de 2 % par an en moyenne depuis la refonte générale de 1991 et de 5 % en 1997. Il a également insisté sur le renforcement du contrôle de légalité, soulignant que le principe qui sappliquait désormais était le recours systématique au juge, dès lors que le dialogue préalable avec la collectivité navait pas abouti. Il a précisé que le nombre des déférés au tribunal administratif était passé de 47 en 1997 à 130 en 1998, que les délais de saisine du tribunal administratif avaient été réduits et que lemploi du sursis à exécution était devenu courant. Concernant les marchés publics, il a indiqué quun pôle de contrôle avait été créé et quune collaboration avec le trésorier-payeur général avait été organisée pour dépister les illégalités et veiller à leffectivité des décisions de justice. Enfin, il a noté que le contrôle budgétaire sétait également intensifié, avec 17 transmissions à la chambre régionale des comptes et 57 mandatements doffice en 1998. Pour les autres secteurs de laction de lEtat, il a insisté sur le vaste programme dinspections diligentées auprès des services déconcentrés de lEtat, des chambres consulaires et des institutions financières. Il a constaté quil sen était suivi dimportantes réorganisations dans le domaine agricole, notamment à la caisse régionale du Crédit agricole, à la Mutualité sociale agricole et à la chambre dagriculture de Haute-Corse, ainsi que dans le domaine de lemploi et de la solidarité, quil sagisse de la gestion du RMI, du fonctionnement de la COTOREP ou du financement de la formation professionnelle. En matière fiscale, il a souligné que le plan daction pour le rétablissement de la loi fiscale, lancé en octobre 1997 par le préfet Erignac, avait été très largement exécuté et que lobjectif consistant à parvenir à des taux de déclaration et de recouvrement analogues aux moyennes nationales était en passe dêtre atteint. Il a noté que dores et déjà le pourcentage des entreprises ne déposant pas de déclaration de TVA était passé de 16 % en 1996 à 9 % en 1997 et 7 % en 1998 et que les pourcentages dimpositions non payées à léchéance étaient en nette diminution. Il a ajouté que les contrôles fiscaux, accompagnés le cas échéant de visites domiciliaires, sétaient multipliés, notamment en direction des milieux mêlés au grand banditisme. Le ministre a également souligné que les règles durbanisme étaient désormais mieux respectées, le ministère de lEquipement ayant affecté des moyens nouveaux, en même temps quun dispositif dappui de ladministration centrale. Il a indiqué que des crédits avaient été dégagés pour que la direction régionale de lEquipement puisse relancer lélaboration des documents durbanisme et que, dans lattente de lélaboration du schéma régional daménagement de la Corse, des dispositions avaient été prises pour veiller à lexécution des décisions de justice rendues en application de la loi « littoral ». Il a souligné que les sursis à exécution prononcés par le préfet de Corse à la demande de la majorité de lassemblée de Corse ne sauraient donc valoir au-delà de la durée consentie. Enfin, le ministre a considéré que la regrettable affaire dite de la paillote était aujourdhui entre les mains de la justice, qui procède librement et avec diligence, et quelle ne devait pas faire oublier les résultats acquis dans lentreprise nécessaire dinstauration de lEtat de droit en Corse. Il a insisté aussi sur le fait quelle ne devait surtout pas servir de prétexte à tous ceux, nombreux, que cette entreprise gêne et qui souhaitent y voir mis un terme. Il a conclu en indiquant que cette affaire nentamait pas la volonté du Gouvernement de poursuivre sa politique en Corse et que la condition de sa réussite était la détermination dans la durée, détermination qui restait entière. Après lexposé du ministre, plusieurs commissaires sont intervenus. Après sêtre félicité de la détermination du Gouvernement à rétablir la sécurité en Corse, M. Louis Mermaz a jugé illusoire linvocation dune spécificité corse, rappelant que toutes les provinces françaises de lancien régime, dont la Corse, avaient leur particularité mais avaient été définitivement intégrées dans la Nation française à la Révolution. Il a, par ailleurs, souligné que lhistoire de lile était intimement liée à celle du continent, de nombreux Corses ayant occupé de hautes responsabilités au sein de lEtat, puis, a insisté sur le fait que la reconnaissance des spécificités locales navait guère de sens à lheure de la construction européenne. Il a, enfin, interrogé le ministre pour savoir quelles mesures comptait prendre le Gouvernement pour affirmer que la Corse fait partie intégrante de la France. M. Robert Pandraud a, tout dabord, souhaité savoir si les services du ministre de lintérieur avaient donné des instructions sur les mesures que les autorités administratives pouvaient prendre pour faire respecter une décision de justice, en particulier sagissant de la destruction dédifices illégalement bâtis. Evoquant lincendie de la paillote, il a estimé dommageable, pour lautorité de lEtat, quun préfet soit placé en détention provisoire pour ce quil a appelé un « petit détail dune opération de justice ». Il a ensuite demandé au ministre si, compte tenu de limpression de flottement quavait donnée le Gouvernement dans cette affaire, il ne devenait pas nécessaire de créer une inspection générale de caractère interministériel, placée sous lautorité du Premier ministre, composée de sept ou huit très hauts fonctionnaires et compétente sur lensemble des administrations civiles et militaires, afin que le Gouvernement puisse être informé de la façon la plus exacte et la plus rapide possible des dysfonctionnements éventuels. Rappelant les raisons pour lesquelles avait été créé un préfet délégué à la sécurité à Lyon, M. Robert Pandraud sest demandé sil ne fallait pas mettre fin à cette institution qui, en Corse, exerce, en matière de police, les compétences des deux préfets, jugeant préférable de réunir les pouvoirs de police entre les mains du préfet de région, sur le modèle applicable à Paris, quitte pour celui-ci à déléguer certaines de ses compétences à un directeur de cabinet ayant rang de préfet. Après avoir observé que le ratio entre les forces de sécurité et les habitants était nettement plus élevé en Corse que la moyenne observée dans les autres départements, il a souhaité savoir si le Gouvernement avait une doctrine en matière de répartition et de mutation des effectifs afin de privilégier soit les continentaux, soit les insulaires, soulignant que les pratiques avaient été divergentes selon les époques et faisant valoir que la situation actuelle en Corse pouvait décourager les continentaux à demander leur affectation en Corse. Il a enfin souligné quil partageait les préoccupations du Gouvernement en matière de rétablissement de lordre public et se réjouissait de la mise en examen des assassins du préfet Erignac. Après avoir exprimé son désaccord avec lanalyse historique faite par M. Louis Mermaz mais approuvé les propositions de M. Robert Pandraud, M. Claude Goasguen a évoqué linquiétude des parlementaires face aux dysfonctionnements constatés dans la circulation de linformation entre les services placés sous lautorité directe du ministre et ceux du ministère, rappelant que des événements navaient été ni connus ni, a fortiori, sanctionnés en temps utile. A cet égard, il a souhaité savoir à quel moment était apparue une sorte de « déconnexion » entre le ministre de lintérieur et la préfecture de région et si, en sens inverse, le ministre connaissait à lavance le nom des personnes finalement mises en examen pour lassassinat du préfet Erignac, sachant que ces mêmes noms étaient, semble-t-il, connus par les services de la préfecture depuis un certain temps. M. Christian Paul a évoqué son expérience de rapporteur de la commission denquête sur lutilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse pour souligner leffort accompli depuis juin 1997 dans le cadre du rétablissement de lEtat de droit dans cette région. Il a ensuite interrogé le ministre, dune part, sur la difficulté à assurer les fonctions régaliennes de lEtat en Corse dans un contexte de violence terroriste, de pressions de notables et de délinquance de droit commun confinant au système mafieux, dautre part, sur lorganisation territoriale et administrative de lîle. A cet égard, il a estimé, quhormis M. José Rossi, personne ne souhaitait linstauration dun nouveau statut pour la Corse, mais quil convenait toutefois de sinterroger sur la pertinence du maintien de deux départements, ainsi que sur les possibilités de rationalisation de lorganisation de lEtat dans cette collectivité. M. José Rossi a expliqué quau-delà du champ dinvestigation temporel limité retenu pour les travaux de la future commission denquête, lessentiel des problèmes constatés en Corse sexpliquait par le manque de continuité des politiques publiques, souhaitant que le Gouvernement mette en uvre une politique de « fermeté tranquille » sur le long terme, contrastant avec la fermeté ostentatoire mise en uvre par la préfecture de région depuis 1998, conforme à laspiration des Corses à une démocratie paisible. Pour sa part, il a indiqué quil soutiendrait, à linstar de tous les Corses, le ministre et le représentant de lEtat dans leur volonté de rétablir la légalité républicaine, notion préférable à celle quelque peu galvaudée dEtat de droit. Approuvant lobjectif assigné aux services de lEtat en matière de contrôle de légalité, il a jugé que ceux-ci devaient également se renforcer afin de jouer un rôle de conseil utile et déviter le blocage des décisions des administrations et des collectivités locales. Evoquant les propos tenus par le Premier ministre lors du débat relatif à la motion de censure déposée par lopposition sur la politique de lEtat en Corse, il a souscrit à la priorité donnée au développement économique, estimant que celui-ci ne devait pas passer par la perpétuation dune société dassistance fondée sur des transferts massifs dargent public parfois source de dérives. Reconnaissant labondance des aides publiques mais admettant la nécessité den améliorer lutilisation, il a cependant considéré que le développement économique devait être stimulé par des outils incitatifs tels que le statut fiscal ou le dispositif de la continuité territoriale, mettant en garde contre dune part, une suspicion généralisée à lencontre de ces aides et, dautre part, une rigueur tatillonne dans la mise en uvre des procédures administratives qui conduit à freiner toute initiative. Abordant ensuite les aspects institutionnels, M. José Rossi a considéré que les statuts élaborés successivement par MM. Gaston Defferre et Pierre Joxe lavaient été par le pouvoir central sans tenir compte de laspiration des Corses. Après avoir rappelé que la précédente assemblée de Corse avait été gérée par une majorité associant RPR et radicaux de gauche, à lexclusion de tout nationaliste, il a souligné le caractère nuancé des propos du Premier ministre sur la question institutionnelle, insistant sur le fait quil ny avait pas, dans limmédiat, de demande locale forte en faveur dun statut dautonomie et que toute remise en cause de lexistence des deux départements de lîle provoquerait un grand déballage institutionnel. Sagissant de la vie politique corse, il a considéré que le Gouvernement avait besoin dune majorité régionale de rassemblement reflétant les aspirations de la population et que le pouvoir central devait sortir dune représentation caricaturale tenant tous les élus corses pour des suspects par nature. Il a, en conséquence, plaidé pour un rapprochement progressif des énergies permettant de dégager une volonté unanime, associé à un rétablissement durable de la sécurité. Contestant les propos du ministre, il a indiqué que ni le président du conseil exécutif, ni le président de lassemblée de Corse navaient été élus avec les voix des nationalistes, ajoutant que le projet de budget avait dailleurs été rejeté par la majorité de lassemblée par 21 voix contre 20. En ce qui concerne le rôle des nationalistes, il a fait part à la Commission de son souhait, en tant que président de lassemblée de Corse, dassocier lopposition, composée de la gauche et des nationalistes, au contrôle de lexécutif régional en leur confiant la présidence de deux commissions, regrettant toutefois que les formations de la gauche plurielle aient refusé cette proposition constructive. Par ailleurs, M. José Rossi a estimé que si la politique de sécurité conduite en Corse par le Gouvernement portait ses fruits, une pression morale sexercerait sur les nationalistes siégeant à lassemblée de Corse pour condamner la violence. Enfin, il a attiré lattention sur la nécessité de tout faire pour réduire la fracture qui est apparue entre la Corse et le continent, sappuyant sur un sondage indiquant quune majorité relative de Français du continent concevait lindépendance de la Corse, alors quune écrasante majorité de Corses y étaient opposés. Après avoir observé que tous les gouvernements successifs sétaient heurtés à des difficultés pour exécuter des opérations de police sur lîle en raison de la multiplication des attentats et des relations parfois tendues entre les différents services de police et de gendarmerie, M. Christophe Caresche a souhaité connaître les mesures envisagées par le Gouvernement pour remédier aux insuffisances des services locaux de sécurité. Reprenant à son compte la position adoptée à lunanimité par la précédente commission denquête, il a estimé que le problème du statut de lîle nétait pas prioritaire, afin de ne pas occulter les autres difficultés, tout en reconnaissant que certaines questions institutionnelles, tels que la double départementalisation ou les régimes des offices dépendant du conseil exécutif de lassemblée de Corse, nécessitaient un débat de fond. Rapportant les propos entendus dans sa circonscription, M. Philippe Houillon a indiqué que ses électeurs se félicitaient de larrestation des assassins du préfet Erignac et noté que certains dentre eux nétaient pas choqués par les méthodes utilisées par les gendarmes, tout en soulignant quil ne partageait pas ce point de vue. Il a ensuite constaté que beaucoup sinterrogeaient sur laccumulation déléments jugés surprenants, même si chacun de ceux-ci, pris isolément, pouvait trouver une explication satisfaisante, évoquant le fait que des gendarmes haut-gradés commettent des actes criminels en laissant des indices sur place, que le préfet de région navertisse pas sa hiérarchie puis envoie un chronopost juste avant son arrestation, que lépouse de ce préfet informe la presse de lexistence dun document entreposé dans un coffre en Suisse, information démentie quelques heures plus tard par lavocat du préfet qui est un ancien ministre de gauche, que la fille du préfet confirme les propos tenus par sa mère, et, enfin, que des arrestations massives soient effectuées concomitamment à laudition du préfet par le juge dinstruction, alors même que les noms des suspects circulent depuis le mois de juillet 1998. Il a alors fait part dune opinion très répandue selon laquelle laffaire corse était en fait bien plus complexe que le Gouvernement voulait bien ladmettre, puis, a conclu en faisant observer que les Français acceptaient de ne connaître lentière vérité quà lissue de la procédure judiciaire, mais quils souhaitaient avoir confiance en leurs dirigeants. M. Jean-Yves Caullet, après avoir estimé que les électeurs avaient le sentiment que la justice pouvait enfin travailler en toute indépendance, sest interrogé sur les conditions de rétablissement de la légalité républicaine, soulignant que les hommes chargés de cette mission se trouvaient face à une contradiction entre la nécessité de bien connaître le pays et lindépendance qu'ils doivent garder dans leur action. Tout en reconnaissant que cette difficulté nétait pas spécifique à la Corse, il a jugé que les particularismes insulaires justifiaient que lEtat prenne des mesures adaptées pour en limiter la portée. Approuvant la priorité donnée au développement économique, il a jugé que le rétablissement de la légalité républicaine et léradication de la violence étaient des préalables indispensables pour que les efforts en matière économique portent leurs fruits. M. Franck Dhersin a souhaité savoir qui avait demandé la création du GPS. En réponse aux différents intervenants, le Ministre a apporté les précisions suivantes. û Sagissant déventuelles modifications dans la structure des services de sécurité opérant en Corse, le rapport de linspection générale de ladministration rédigé par M. Daniel Limodin préconise soit le renforcement des prérogatives du préfet délégué à la sécurité, soit sa suppression au profit de la concentration de lensemble de ses pouvoirs dans les mains du seul préfet de région. En tout état de cause, linstitution du préfet délégué à la sécurité apparaît utile, et même si des améliorations sont envisageables, la transposition du modèle en vigueur à Paris apparaît totalement inadaptée. Enfin, il convient dinsister sur le fait que le fonctionnement harmonieux des services de sécurité est avant tout une question dhommes, le Gouvernement accordant, à cet égard, une totale confiance au préfet Lacroix. û La création du GPS a répondu au souci de renforcer les moyens de la gendarmerie, conformément à un projet élaboré par cette dernière au début des années 90 et visant à remplacer lescadron de gendarmerie mobile dAjaccio par une unité mieux adaptée aux besoins rencontrés dans lîle. û Lintégration de la Corse à la Nation française est patente, comme en atteste la place occupée par de nombreux natifs de lîle dans lhistoire de notre pays. A cet égard, il convient de mettre laccent sur loriginalité et la modernité de la conception française de la Nation qui na aucun caractère ethnique mais qui repose sur une communauté de citoyens dont les Corses font évidemment partie intégrante, étant entendu que la solidarité nationale à leur égard ne pourra jamais être remplacée par une quelconque solidarité européenne. û Assurer la légalité républicaine est un préalable indispensable à toute autre action en faveur de la Corse, sachant que cette priorité sinscrit dans la durée et quelle devra probablement être soutenue par plusieurs gouvernements successifs. û Contrairement à un sentiment répandu, la décision dincendier la paillote ne peut être assimilée, ni de près ni de loin, à une forme dexécution de justice, dans la mesure où les magistrats compétents avaient accordé un sursis à exécution qui simposait à tous, y compris au préfet de région. û Dans la mesure où la décision de recourir à une détention provisoire doit être proportionnée à la gravité de linfraction, les faits reprochés au préfet Bonnet ne peuvent être considérés comme anodins. û La mise en place dune inspection générale interministérielle ne semble pas souhaitable car, pour être efficace, la mise en uvre du pouvoir exécutif suppose, dune part, lexistence de délégations de signature et de pouvoirs et, dautre part, une marge dappréciation confiée aux autorités déconcentrées. Par ailleurs, il est difficile denvisager quun corps unique puisse à la fois être compétent en matière dadministration, de police, de justice et darmée. û Lexistence de deux départements en Corse, qui remonte à 1969, correspond à une réalité géographique, mais si, daventure, la majorité des élus de lîle souhaitait dans le futur revenir sur cette organisation territoriale, une telle réforme pouvait être discutée. û En ce qui concerne les effectifs de police et de gendarmerie stationnés en Corse, limportance des forces de sécurité rapportée au nombre dhabitants sexplique notamment par les spécificités géographiques insulaires que lon ne retrouve dans aucun autre département. Par ailleurs, la proportion de fonctionnaires de police originaires de Corse qui y sont affectés, est comparable à ce que lon observe dans dautres départements et sexplique par le souci légitime des fonctionnaires natifs dune région dy retourner. Dans ce domaine, il convient dinsister sur le fait quaucune instruction particulière na été donnée, étant entendu que la très grande majorité des fonctionnaires de police natifs de Corse est totalement loyale. û En dépit des allégations formulées ici et là, le Gouvernement ne disposait daucune information de nature à laisser penser quune affaire du type de celle de lincendie de la paillote était envisageable. Dune manière générale, tous les événements qui se sont succédés depuis lors peuvent être facilement expliqués sans quil soit besoin de recourir à des interprétations douteuses, leur télescopage chronologique ne devant pas, en outre, donner lieu à des rapprochements plus ou moins hasardeux. û Lélucidation de lassassinat du préfet Erignac est un événement particulièrement heureux pour la Corse car la longueur des investigations créait un climat peu propice à létablissement de lEtat de droit. A cet égard, si les services de police disposaient de certaines informations nominatives depuis quelque temps, celles-ci ne constituaient aucunement des preuves, mais ont permis, en revanche, de déclencher des investigations permettant dimpliquer progressivement un certain nombre de personnes jusque-là inconnues des enquêteurs. û Lévocation de la lettre du préfet Bonnet devant la représentation nationale répondait uniquement au souci dinformer cette dernière aussi complètement et rapidement que possible. û Indépendamment des événements récents, force est de constater que laction conjuguée des préfets Erignac et Bonnet a donné des résultats encourageants, notamment en matière de délinquance violente, pour laquelle les indicateurs les plus préoccupants sont désormais orientés à la baisse. û Il convient de souligner les conditions de travail difficiles rencontrées par les fonctionnaires exerçant leur mission en Corse compte tenu de laffairisme et dun climat pré-mafieux. û Historiquement, le développement économique de la Corse a été en phase avec celui du continent, notamment jusquau début des années 60, les difficultés napparaissant en réalité quavec la décolonisation. Pour autant, lîle dispose datouts extrêmement importants qui devraient lui permettre de connaître un fort développement pour peu que la paix civile et la légalité républicaine soient durablement rétablies. û La renonciation de laction violente par les leaders nationalistes est la condition sine qua non de lengagement de toute discussion, y compris entre ces derniers et les élus insulaires républicains. De ce point de vue, linitiative de lAssemblée de Corse visant à confier la présidence dune commission à un élu nationaliste qui continue à cautionner la violence laisse perplexe. Bien entendu, une fois que ce cap décisif aura été franchi, toutes les questions pourront être, le cas échéant, abordées, y compris celle du statut. û Il est évident que la politique de rétablissement de lEtat de droit sest accompagnée dun certain nombre dinterpellations. A cet égard, on peut regretter que la campagne des élections régionales de mars dernier ait laissé penser que cette politique avait été payée très cher, alors que lélucidation de lassassinat du préfet Erignac a manifestement prouvé le contraire. Madame la Présidente a demandé au ministre de bien vouloir transmettre les félicitations des membres de la Commission aux fonctionnaires de police ayant contribué au succès de lenquête sur lassassinat du préfet Erignac. Tout en évoquant la spécificité et lacuité des problèmes de sécurité en Corse, elle a appelé de ses vux le retour à la paix civile en Corse, indispensable pour la sécurité des personnes et pour son développement économique, mais aussi pour la crédibilité de lEtat. Enfin, elle a exprimé le souhait que la commission denquête sur la Corse, qui sera prochainement constituée, soit loccasion pour les parlementaires de la majorité et de lopposition de contribuer à la réflexion sur les moyens de restaurer lEtat de droit en Corse. fpfp © Assemblée nationale |