Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (1999-2000)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 27

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 23 février 2000
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Gérard Gouzes, vice-président

SOMMAIRE

 

pages

- Projet de loi, adopté par le Sénat, portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relatif à la signature électronique (n° 2158) (rapport)

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- Information relative à la Commission

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Christian Paul, le projet de loi, adopté par le Sénat, portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relatif à la signature électronique (n° 2158).

Soulignant que le projet de loi était le premier texte qui proposait d'adapter le droit français aux exigences juridiques de la société de l'information et qui tirait les conséquences du développement des échanges sur les réseaux numériques, M. Christian Paul, rapporteur, a observé que la confiance nécessaire au développement des échanges électroniques exigeait une sécurité juridique accrue pour tous ses acteurs. Indiquant que le projet de loi avait été présenté devant le Conseil des ministres le 1er septembre 1999, avant l'adoption de la directive européenne du 19 décembre 1999 relative à la signature électronique, il a cependant rappelé que son vote unanime par le Sénat en première lecture le 8 février dernier était postérieur. Puis il a précisé que le secteur des technologies de l'information représentait en France 5 % du PIB et que le nombre des internautes était passé de 3,7 millions en 1998 à plus de 5 millions en 1999. Observant que 80 % du commerce électronique était le fait des entreprises, le rapporteur a souligné les craintes ressenties par les consommateurs quant à la diffusion de données personnelles sur les réseaux numériques, la fiabilité du paiement en ligne et les incertitudes relatives à la reconnaissance de l'écrit numérique comme mode de preuve. Faisant ressortir que le projet de loi participait d'une stratégie globale d'entrée dans la société de l'information, il a insisté sur l'importance pour l'Europe de se doter d'un avantage concurrentiel par rapport aux Etats-Unis grâce à une sécurité juridique renforcée des échanges commerciaux sur les réseaux numériques.

Présentant le dispositif du projet de loi, le rapporteur a indiqué qu'il comportait deux volets. Il a souligné qu'il proposait d'abord une adaptation fondamentale, bien que limitée à quelques articles, du droit de la preuve au développement des écrits numériques. A cet égard, il a relevé que la définition de l'écrit serait désormais neutre du point de vue des techniques employées, la valeur probante du document numérique étant égale à celle de l'écrit papier, précisant qu'en l'absence de dispositions particulières, le conflit de preuve serait réglé par le juge. Il a ajouté qu'il approuvait l'ajout proposé par le Sénat permettant aux actes authentiques d'être dressés sous forme numérique, sous réserve de l'intervention de décrets en Conseil d'Etat qui préciseraient les modalités pratiques de cette innovation juridique.

Le rapporteur a indiqué que le projet de loi reconnaissait, par ailleurs, la validité des procédés de signature électronique qui doivent identifier la personne et garantir le lien de la signature avec l'acte auquel elle s'attache, le Sénat ayant précisé, en outre, que lorsqu'elle est apposée par les officiers publics, la signature électronique confère l'authenticité à l'acte. Enfin, le rapporteur a approuvé le choix du Gouvernement de proposer une définition neutre de la signature électronique quant aux techniques employées, les modalités techniques relatives à la certification étant renvoyées au décret d'application. Observant que les technologies utilisées pour la signature électronique et la certification étaient changeantes et instables, il a considéré que cela justifiait que l'on n'inscrive pas dans la loi de telles précisions techniques. En conclusion, il a souligné que, même s'il modifiait des articles essentiels du code civil, le projet de loi prenait cependant en compte des technologies déjà utilisées aujourd'hui dans le monde des affaires.

M. Olivier de Chazeaux a estimé que le projet de loi allait dans le bon sens en permettant l'adaptation du droit de la preuve à la nouvelle économie qui émerge grâce au développement de nouveaux modes de communication. Il a néanmoins appelé à une grande vigilance, lors de la rédaction des textes tirant les conséquences de ces nouvelles technologies, en raison du phénomène du piratage. Il a souligné que, en l'état, la législation française ne permettait pas d'utiliser en toute sécurité juridique le support électronique, notamment comme mode de preuve, et que les entreprises appelaient de leurs v_ux une sécurisation juridique et technique qui, loin d'entraver les échanges commerciaux devrait au contraire favoriser leur développement. Tout en souhaitant que les actes authentiques ne restent pas à l'écart de cette modernisation, il a rappelé que, aux termes de l'article 1317, ces actes étaient reçus « avec les solennités requises », ce qui suppose notamment la présence de l'officier public. Il s'est interrogé sur le contenu du décret en Conseil d'Etat chargé de préciser les conditions dans lesquelles serait établi et conservé un acte authentique dressé sur support électronique et a jugé indispensable que la garde des sceaux apporte des précisions à ce sujet lors du débat en séance. Par ailleurs, il a souhaité que la dématérialisation de ces actes ne se traduise pas, à terme, par une suppression de la fonction d'officier public.

M. Alain Vidalies a observé que la nécessité d'une réforme du droit de la preuve était largement admise, le code civil ayant été rédigé à une époque où le seul support des actes juridiques était le papier. Faisant référence à un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 2 décembre 1997, il a souligné que le projet de loi tirait les conséquences d'une évolution jurisprudentielle sur l'admissibilité de l'écrit en preuve. Il a rappelé que, si le projet répondait certes à une exigence européenne, la France, avant même l'adoption de la directive du 13 décembre 1999 sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques, avait souhaité reconnaître dans le code civil la validité de la signature électronique. Concernant les actes authentiques, il s'est interrogé sur l'introduction dans le code civil d'une disposition s'apparentant à un effet d'annonce, dont les délais de mise en _uvre restent incertains, la rédaction des décrets présentant d'autant plus de difficulté que les actes authentiques ne se résument pas aux actes notariés. Il a donc souhaité que l'introduction dans le code civil de la possibilité de dresser un acte authentique sur support électronique s'accompagne de davantage de précisions, une simple pétition de principe ne pouvant satisfaire le législateur.

M. Claude Goasguen a souligné que la reconnaissance de l'écrit électronique et de la signature électronique était attendue de longue date par les milieux d'affaires. Il s'est inquiété des délais de publication du décret en Conseil d'Etat chargé de fixer les conditions de fiabilité de la signature électronique et s'est interrogé sur la compatibilité des normes européennes avec celles reconnues aux Etats-Unis et dans les pays asiatiques. Il a estimé qu'un équilibre devait être trouvé entre la nécessaire sécurité des transactions et la liberté des échanges, afin que les entreprises françaises ne soient pas handicapées par rapport à leurs concurrents internationaux. Enfin, il a considéré que la possibilité de dresser des actes authentiques sur support électronique devrait conduire à supprimer la référence aux « solennités requises » mentionnées par l'article 1317 du code civil. Après avoir souligné le travail remarquable accompli par le Conseil d'Etat sur les questions d'ordre juridique posées par le développement d'Internet, M. Martin-Lalande a souhaité que le développement des téléprocédures dans les collectivités territoriales et plus généralement dans l'administration soit encouragé, notamment pour les décisions des autorités délibérantes et les procédures de marchés publics. Enfin, il a insisté sur la sécurité en matière de datation des actes électroniques.

M. Gérard Gouzes a souligné combien il était nécessaire de clarifier la situation juridique de l'écrit électronique, la doctrine comme la jurisprudence n'apportant pas aujourd'hui de réponse univoque.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes.

-  Il serait inexact d'affirmer que la France est en retard dans la course contre le temps qui est imposée à tous les Etats par le développement de la société de l'information. Il est d'ailleurs significatif que le texte du projet de loi relatif au droit de la preuve et à la signature électronique ait été examiné par le Conseil des ministres avant même que la directive du 13 décembre 1999 n'ait été adoptée par le Conseil de l'Union européenne.

-  Cette avance ne saurait être annihilée par une quelconque lenteur dans l'élaboration des textes d'application de la nouvelle loi. Le Gouvernement devra veiller à la célérité du travail de l'administration. En particulier, le décret en Conseil d'Etat relatif à la certification devra être publié dans les plus brefs délais, afin que le développement de ce nouveau procédé technologique ne soit pas entravé par des pesanteurs administratives : le Conseil d'Etat possède toutes les compétences et les capacités d'expertise nécessaires pour mener à bien ce travail, s'agissant d'un domaine où il a prouvé, en 1998, à travers son rapport sur « Internet et les réseaux numériques », qu'il n'était nullement en retard. En ce qui concerne le décret sur les actes authentiques sur support numérique, il serait certainement utile que le Gouvernement fournisse au Parlement un certain nombre de précisions relatives aux orientations qu'il entend privilégier. Ainsi, les textes réglementaires devront avoir une portée « prospective », de façon à prendre en compte le développement potentiel de procédés expérimentaux nouveaux permettant de s'assurer du consentement des parties, tels que les vidéoconférences et les technologies de biométrie.

-  S'agissant de la dimension internationale, il faut souligner que le projet de loi n'est pas le résultat d'un travail « franco-français ». Il s'inscrit dans le cadre d'une directive européenne et il n'est pas sans lien avec les réflexions menées, en matière de signature électronique, au sein de la commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI).

- Les dispositions qu'il tend à mettre en _uvre sont de nature à satisfaire les consommateurs, qui réclament plus de sécurité et de confiance pour utiliser en confiance les procédés informatiques à des fins commerciales. C'est pourquoi, dans ce domaine, il n'est pas pertinent d'opposer la liberté et la sécurité des échanges, bien qu'il s'agisse d'un débat ancien entre la majorité et l'opposition parlementaire : la sécurisation de la signature électronique supprimera une entrave majeure au développement du marché électronique et pourrait conférer à la France en particulier, et à l'Europe en général, un avantage déterminant dans la compétition qui les oppose aux Etats-Unis.

-  En matière de sécurité, le projet de loi réalise une avancée décisive en conférant à l'écrit électronique une force probante équivalente à celle de l'écrit papier, alors qu'il ne constituait jusqu'à présent, au mieux, qu'un commencement de preuve. S'agissant des actes authentiques, ce caractère probatoire est absolu : il s'appliquera à tous les actes authentiques, qu'ils soient accomplis par les notaires, les officiers d'état civil, les préfets ou les huissiers.

-  L'application des dispositions nouvelles du projet de loi aux actes authentiques réalisés par les officiers d'état civil montre, d'ailleurs, que bien que ce texte ne concerne, en principe, que les relations entre les parties privées, il contient néanmoins un certain nombre d'éléments qui vont dans le sens d'une modernisation des relations qui unissent l'Etat et les citoyens. A cet égard, des expérimentations importantes, qui concourent à la dématérialisation des procédures publiques, sont également en cours, y compris en matière d'urbanisme, voire de contrôle de légalité. Dès le début de l'année 2001, les entreprises pourront utiliser la voie électronique pour transmettre à l'administration leurs déclarations d'échanges de biens ou pour s'acquitter de la TVA. La réflexion n'est donc pas abstraite et ses applications se manifesteront de façon croissante dans la pratique quotidienne des usagers.

-  Le succès de cette démarche suppose le développement concomitant d'un certain nombre de procédés technologiques. Ainsi, il conviendra d'améliorer les systèmes de cryptologie, mais aussi de datation numérique. Des techniques équivalentes au « cachet de la poste » sont sur le point d'être mises au point.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Jérôme Lambert, rapporteur pour la proposition de résolution de M. Pierre Lellouche, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une _uvre d'art originale (COM(96)97 Final/E 641) (n° 1970).

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