Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (1999-2000)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 33

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 14 mars 2000
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur les polices de proximité

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La Commission a procédé à l'audition de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, sur les polices de proximité.

Le ministre a rappelé, à titre liminaire, que la lutte contre toutes les formes d'insécurité était une priorité de l'action gouvernementale, qui figurait dans le discours du Premier ministre du 17 octobre 1997 et avait été développée lors du colloque de Villepinte. Il a souligné que les efforts déployés avaient d'ores et déjà permis, en 1999, de stabiliser les chiffres de la délinquance, même si le sentiment d'insécurité restait profond, comme le démontrent les différentes enquêtes de victimation, par ailleurs sujettes à caution. Tout en reconnaissant que le développement de la police de proximité figurait déjà dans la loi d'orientation et de programme relative à la sécurité du 21 janvier 1995, il a fait valoir que ce principe avait reçu jusqu'à présent peu d'application concrète. Présentant les deux axes principaux qui ont guidé l'action de son ministère, il a indiqué que le renforcement des politiques partenariales de sécurité était largement engagé au travers de la signature de 345 contrats locaux de sécurité et la préparation de près de 400 autres et a annoncé que la mise en _uvre de la police de proximité, déjà effective à Paris depuis le 18 avril 1999, était expérimentée en province depuis l'an dernier. Après avoir observé que la réforme de la police de proximité présentée devant le Conseil des ministres le 1er mars dernier ne constituait en rien un désaveu de l'action de la police nationale, qui obtient de très bons résultats, il a précisé que l'objectif était de substituer à une police réactive, mobilisée sur des missions de maintien de l'ordre et de protection des institutions, une police plus anticipatrice et proche du terrain.

Abordant la doctrine d'emploi qui sous-tend la réforme, M. Jean-Pierre Chevènement a indiqué qu'elle reposait sur cinq principes ayant pour objectif commun de lutter contre le sentiment d'insécurité. Il a expliqué que l'action policière serait ordonnée autour de territoires, secteurs et quartiers, permettant à la police d'exercer ses missions au plus près des habitants, ajoutant que chaque secteur et quartier aurait à sa tête un responsable policier bien identifié, chef d'une équipe compétente agissant en fonction d'objectifs précis définis pour répondre aux besoins exprimés sur le terrain. Il a ensuite évoqué le partenariat avec tous les acteurs de sécurité dans le cadre des contrats locaux de sécurité, soulignant que la relation avec le public devait être fondée sur l'écoute, le dialogue et le recueil des attentes de la population. Evoquant le principe de la polyvalence, il a déclaré que le policier de proximité ne devait pas être un simple îlotier, mais exercer sur son territoire la plénitude des missions de police, y compris celles de la police judiciaire. Il a enfin observé que l'amélioration du service rendu à la population guidait l'ensemble de la réforme, une attention particulière étant portée aux victimes et aux personnes fragilisées ou en difficulté.

Présentant la méthode suivie pour mener à bien cette réforme, le ministre a rappelé que cette dernière avait fait l'objet d'expérimentations en avril 1999 dans 5 circonscriptions pilotes, avant d'être étendue en septembre de la même année à 62 sites supplémentaires répartis dans 37 départements, ce qui représente au total plus de quatre millions d'habitants, si l'on ajoute ceux concernés par la réforme de la préfecture de police, effective depuis le 18 avril 1999. Il a annoncé que la réforme avait fait l'objet d'une concertation approfondie au sein des instances paritaires nationales, ainsi qu'au niveau local, dans chaque département et circonscription concernés, les représentants des personnels étant étroitement associés à l'approfondissement de la doctrine d'emploi et à la mise au point de nouveaux projets. Après avoir indiqué qu'une mission d'évaluation des expérimentations de la police de proximité, confiée à l'Inspection générale de la police nationale, avait effectué une première étude au dernier trimestre 1999 sur vingt-quatre sites et qu'une seconde évaluation portant sur une trentaine d'autres sites expérimentaux s'était achevée à la mi-février, il a précisé que les conclusions de ces travaux avaient d'ores et déjà permis de procéder à un certain nombre d'adaptations, notamment sur les modalités de la généralisation. Il a ajouté qu'un groupe de travail, associant le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur, examinait les liens entre police judiciaire, police de proximité et autorités judiciaires, et estimé qu'il serait souhaitable, à terme, d'aboutir à une territorialisation des activités du Parquet. Il a ensuite rappelé que des assises nationales de la police de proximité, destinées à tirer les enseignements de cette phase d'expérimentation, se dérouleraient le 30 mars prochain simultanément à Paris, à la Cité des Sciences de la Villette, et dans six sites décentralisés, reliés entre eux grâce au procédé de la vidéo-transmission. Après avoir indiqué que ces assises, tenues en présence du Premier ministre, réuniraient environ 4 000 policiers, des élus locaux, des magistrats, des chefs d'établissements scolaires et les principaux partenaires impliqués dans les politiques de sécurité urbaine, il a souligné qu'elles marqueraient le point de départ de la généralisation de la police de proximité et permettraient de définir des politiques d'accompagnement, notamment en matière de communication et de concertation avec les personnels.

Puis le ministre a précisé que la généralisation de la police de proximité s'effectuerait en trois phases concernant chacune une dizaine de millions d'habitants, d'avril à décembre 2000, d'octobre 2000 à octobre 2001 et de juin 2001 au premier semestre 2002, l'ensemble du territoire national devant être définitivement couvert en 2002. Evoquant les critères retenus pour le choix des 63 circonscriptions de la première phase de généralisation, il a indiqué que la priorité avait été donnée aux 26 départements très sensibles, aux circonscriptions qui font actuellement l'objet d'une expérimentation partielle et aux circonscriptions faisant preuve d'une politique partenariale de sécurité dynamique au travers de l'existence d'un contrat local de sécurité. Il a expliqué que les préfets seraient chargés de l'élaboration des projets de police de proximité en étroite concertation avec les personnels concernés, la mise en _uvre effective de ces projets intervenant à compter du 1er juin 2000. Evoquant la deuxième phase, il a annoncé que l'appel à projets se ferait à partir d'octobre 2000, la réalisation pouvant intervenir dès le 1er janvier 2001.

Présentant, enfin, les mesures d'accompagnement nécessaires à la réussite de la réforme, il a observé qu'au titre de la formation continue, des stages d'intégration à la police de proximité concerneraient, cette année, 14 000 fonctionnaires de police et adjoints de proximité et 40 000 d'ici trois ans, avant de rappeler que la formation initiale des fonctionnaires de la police intégrait depuis le mois de janvier 2000 les orientations relatives à la police de proximité fixées dans le schéma directeur de formation de la police nationale. Jugeant qu'une politique de communication adaptée était essentielle pour accompagner le changement de mentalité nécessaire, il a indiqué qu'une plaquette d'information sur la police de proximité à usage interne et externe était diffusée à près de 100 000 exemplaires, qu'un guide pratique de la police de proximité avait été réalisé pour les principaux responsables, ainsi qu'un livret du gardien de la paix sur la police de proximité et une charte de la police de proximité ; il a ajouté que des réunions interrégionales d'information étaient organisées depuis le mois de février 2000 pour tous les fonctionnaires concernés par la première vague de généralisation. Evoquant la question des effectifs, il a rappelé que dans le prolongement des décisions du Conseil de sécurité intérieure du 27 janvier dernier, 1 200 policiers avaient été redéployés en 1999 et 2000 dans les 26 départements les plus sensibles, qu'un recrutement massif de fonctionnaires de police du corps de maîtrise et d'application avait été effectué, avec plus de 6 000 élèves gardiens en 1999, et que 4 150 adjoints de sécurité supplémentaires étaient prévus en l'an 2000, ce qui portera leur nombre total à 20 000. Il a précisé que cette mobilisation des effectifs serait complétée par des redéploiements internes aux services de sécurité publics, consécutifs aux modifications de l'organisation des circonscriptions et à la fidélisation d'unités de forces mobiles. Il a enfin rappelé que les crédits de fonctionnement pour 2000 de la police nationale avaient progressé de 8 %, la police de proximité étant prioritaire pour la répartition de ces crédits, puisque 100 millions de francs supplémentaires ont été spécifiquement affectés pour renforcer les moyens de fonctionnement des 63 circonscriptions retenues pour la première phase de généralisation.

En conclusion, le ministre a estimé que cette réforme sans précédent allait profondément modifier le visage de la police nationale. Après avoir souligné qu'elle était bien perçue tant par la population que par les policiers et que les premiers résultats dans les sites expérimentaux étaient encourageants, il a considéré qu'elle constituait la réponse la mieux adaptée pour faire reculer la délinquance et les incivilités au quotidien. Il a observé qu'en plaçant les besoins de sécurité exprimés par nos concitoyens au c_ur de ses préoccupations, la police de proximité renforcerait le pacte républicain et rendrait à la police nationale sa véritable vocation et sa légitimité.

Soulignant combien il était difficile de transformer les grandes institutions de l'Etat, M. Bruno Le Roux a jugé que la réforme impulsée par le ministre de l'intérieur pour mettre en place une police de proximité constituait un projet de grande envergure exigeant un large débat public entre les élus, les citoyens et les policiers. Il a considéré que l'expérimentation conduite dans quelques départements était une réussite ; observant qu'elle avait reçu l'approbation des habitants, il a relevé qu'elle avait permis d'augmenter la présence et la mobilité des forces de police sur le terrain. En outre, il a estimé que cette réforme permettait de revaloriser le métier de policier en remédiant à la segmentation du travail et en apportant des réponses concrètes aux questions que se posent les policiers sur leur métier. Il a toutefois jugé qu'une évaluation des expérimentations en cours était nécessaire avant leur généralisation à l'ensemble du territoire. Par ailleurs, il a remarqué que les statistiques de la délinquance étaient imparfaites dans la mesure où elles ne prennent pas en compte l'appréciation qualitative de phénomènes complexes engendrant un sentiment de « mal-vivre » dans la population. Evoquant l'exemple de la présence des bandes et des chiens dangereux ainsi que les nuisances sonores, il a fait remarquer que ces phénomènes n'étaient pas pris en compte dans les statistiques, alors même qu'ils nourrissent le sentiment d'insécurité. Sur ce point, il a souhaité savoir si les renseignements généraux dans le cadre de leurs missions avaient développé la surveillance des bandes. Face à ce type d'insécurité, il a considéré qu'en tout état de cause la réponse policière n'était pas suffisante, insistant sur la nécessité de développer les partenariats avec les collectivités locales, les bailleurs sociaux et les sociétés de transport public, et exprimant le souhait que les assises de la proximité soient l'occasion de débattre de l'intérêt de ces partenariats en complément de l'action des forces de polices. Enfin, il a relevé que la création des antennes de proximité demandait des effectifs supplémentaires et s'est demandé si les redéploiements suffiraient à y pourvoir ou s'il serait nécessaire d'obtenir des moyens nouveaux pour permettre la mise en _uvre de la réforme.

M. André Gerin a estimé que les expérimentations en cours en matière de police de proximité étaient concluantes. Jugeant que la réforme proposée par le ministre devrait permettre d'assurer la présence de la République dans les cités, il a considéré qu'elle serait un moyen de renforcer le lien entre les citoyens et les institutions républicaines. Il a, par ailleurs, souhaité savoir si le calendrier proposé pour l'entrée en vigueur de la réforme était compatible avec les moyens prévus, soulignant le risque que les seuls redéploiements ne suffisent pas à pallier les carences en effectifs. Après avoir souligné que les services de l'Etat avaient, en matière de sécurité, une obligation de résultat, il s'est inquiété de possibles inégalités de traitement entre les villes de l'agglomération lyonnaise après la généralisation des antennes de proximité. Il a souhaité obtenir, sur ce point, des réponses précises et concrètes.

Evoquant les prétendus fantasmes alimentés par le sentiment d'insécurité, M. Jean-Antoine Léonetti a noté avec satisfaction que le ministre avait reconnu qu'ils étaient fondés sur des faits réels. Considérant qu'il était difficile d'annoncer, au vu des statistiques du ministère de l'intérieur, un reflux de la délinquance de rues ou de la délinquance avec violence, il a émis le souhait que les assises nationales de la police de proximité ne se réduisent pas à une nouvelle grand-messe dépourvue d'effets concrets sur le terrain. Il a regretté que de trop nombreux policiers soient mobilisés par des missions annexes, telles que des missions de surveillance ou d'accompagnement. Saluant l'ambition de la réforme et approuvant ses objectifs, il s'est toutefois interrogé sur le réalisme des propositions avancées, dès lors qu'elles ne seraient pas assorties de moyens supplémentaires. Après avoir insisté sur l'importance qui s'attache à mieux former les policiers, M. Jean-Antoine Léonetti a plaidé pour le développement d'actions de formations massives et accélérées qui permettraient aux policiers de mieux s'acquitter de leurs nouvelles missions. Il a également émis le souhait de voir développée, à côté d'une police de proximité, une police d'investigation capable de faire face aux actes de délinquance dans les quartiers. Estimant que la mise en place de la police de proximité permettrait de réformer en profondeur un corps qui déserte trop souvent les quartiers, il a exprimé sa crainte que les moyens accordés ne suivent pas. Prenant l'exemple d'Antibes-Vallauris qui ne compte actuellement qu'un ilôt pour 100 000 habitants, il a considéré qu'un simple redéploiement des forces de police ne suffirait pas à endiguer la montée de l'insécurité.

Indiquant en préambule que le développement de la police de proximité recevait un écho très favorable de la part des policiers et de la population, M. Jacques Brunhes a constaté néanmoins que l'organisation des forces de police se heurtait à d'importantes difficultés liées au problème des effectifs et de l'encadrement. S'appuyant sur l'exemple de la commune de Genevilliers, il a indiqué que, compte tenu des demandes de mutation en province, de nombreux professionnels avaient dû être remplacés par des adjoints de sécurité. Déplorant les lacunes en matière de formation et d'encadrement, ainsi que les importants mouvements de personnel qui ont conduit, en un an, au renouvellement du tiers des forces de police dans cette commune, il a constaté qu'il en résultait une méconnaissance des quartiers par les policiers, ainsi qu'une méfiance de la population envers les forces de police. Evoquant les difficultés de la lutte contre le trafic de stupéfiants, il a exprimé sa crainte que la mission de la police de proximité ne trouve rapidement ses limites en la matière. Observant que les problèmes de délinquance sont indissociablement liés à la toxicomanie et au trafic de drogue, il a plaidé pour que la police d'investigation dispose de moyens accrus qui lui permettraient de travailler en coordination avec la police de proximité. Il a donc souhaité connaître les moyens susceptibles d'être mis en _uvre pour développer cette coordination entre polices, en insistant également sur la nécessaire mise en cohérence des actions avec les autres intervenants de la sécurité publique, tels que les antennes de justices ou les substituts.

Se déclarant en accord avec la politique définie par le ministre de l'intérieur et souhaitant qu'il dispose des moyens lui permettant de la développer pleinement, M. Robert Pandraud a fait remarquer que les députés qui venaient de s'exprimer représentaient les zones géographiques dans lesquelles on rencontrait le plus de troubles à la sécurité publique. Approuvant les propos de M. Jacques Brunhes, il a fait état de l'impression ressentie par de nombreux élus urbains que leur circonscription servait de « stages écoles » pour les nouvelles recrues de la police et a regretté tant l'insuffisance de l'encadrement que la fréquence de rotation des effectifs. En outre, il a souligné que la lourdeur des procédures de remplacement des commissaires de police pouvait conduire à des vacances de postes durant plusieurs mois, ajoutant que, dans de nombreux cas, le nouveau commissaire modifiait les pratiques de ses services ce qui pouvait parfois annihiler les efforts engagés par son prédécesseur. Observant que la réussite de la réforme exigeait un personnel motivé, donc un équipement renforcé, il a exprimé la crainte qu'une partie des crédits supplémentaires du ministère de l'intérieur ne soit consommée par la mise en _uvre de l'enregistrement sonore des gardes à vue prévu dans le texte adopté par l'Assemblée nationale relatif à la présomption d'innocence et aux droits des victimes. Regrettant cette initiative, il a considéré que ses initiateurs étaient peu conscients des réalités concrètes du fonctionnement des services de police, soulignant, de surcroît, qu'elle risquait d'entraîner un important développement du contentieux. Evoquant la nécessité d'obtenir une fidélisation des forces mobiles, il a admis, en cette matière, les limites du pouvoir du ministre, qui ne saurait être tenu pour responsable de toutes les manifestations se déroulant sur la voie publique, qui mobilisent ces forces de police.

Jugeant que les perspectives ouvertes par la réforme présentée par le ministre étaient positives, M. Jacky Darne s'est interrogé sur la question de la sécurité dans les transports en commun. Soulignant que, par définition, les usagers traversaient différents territoires, les véhicules constituant, en eux-mêmes, un lieu d'intervention spécifique, il a observé que les services de police manquaient des outils nécessaires à la perception précise des besoins d'intervention tout au long du trajet. Par ailleurs, constatant la réalité des problèmes liés à la mobilité excessive des fonctionnaires de police ainsi que la difficulté de procéder à une affectation adaptée aux besoins locaux de sécurité, il s'est interrogé sur la nécessité de modifier la réglementation en matière de gestion du personnel et de recrutement. Après s'être interrogé sur la différence entre la notion de police de proximité présentée par le ministre et le traditionnel îlotage, il a souhaité savoir si la réforme entreprise pour les services de police s'appliquerait également à la gendarmerie nationale.

M. Christian Estrosi a remarqué que, le jour même où l'opportunité était donnée aux députés de dialoguer avec le ministre de l'intérieur sur la question de la police de proximité, un grand journal du sud-est de la France titrait « Nice : la police s'éloigne de la rue ». Il a estimé, en effet, que, contrairement aux propos tenus par le ministre, les Français n'étaient pas satisfaits de la manière dont étaient traitées les questions de sécurité auxquelles ils sont confrontés quotidiennement. Il a insisté sur le fait que des milliers de gens souffraient en France du sentiment de ne plus vivre en liberté, faute d'être en sécurité. Il a ainsi déploré que des zones de non-droit existent, cette situation conduisant à des mouvements de grève, par exemple dans les établissements scolaires ou dans les transports publics. Dénonçant ce climat insupportable, il a jugé qu'il était nécessaire de pratiquer la proximité en matière de sécurité et non simplement de la décréter. A cet égard, il a considéré que la proximité supposait une véritable concertation avec les élus ainsi qu'avec les autres acteurs locaux, regrettant que, malgré des demandes réitérées, il n'ait jamais lui-même été associé à la moindre réunion avec les services de l'Etat sur ces questions. Il a également critiqué le fait qu'aucun renfort en effectifs n'ait pu être obtenu à la fin de l'année dernière dans sa circonscription, alors même qu'il avait alerté le ministre de l'intérieur, en séance publique, sur les risques d'insécurité à l'approche des fêtes de fin d'année. Il a, en outre, jugé inacceptable que, par exemple, cinq compagnies de CRS soient mobilisées pour le festival de Cannes, tandis qu'il est impossible d'obtenir le moindre îlotier pour renforcer la sécurité dans les quartiers difficiles. Il a considéré que le ministre de l'intérieur n'apportait aucune réponse à la question des effectifs et du remplacement des fonctionnaires de police partis en retraite, ni au problème de la coordination des actions de la police nationale avec les polices municipales - dont le Gouvernement a affaibli le statut récemment - et la gendarmerie. Rendant hommage au courage des policiers, il a souligné que ces derniers étaient souvent désespérés de voir relâchés, par la justice, des délinquants qu'ils venaient d'appréhender, délinquants qui souvent terrorisent des quartiers entiers. Il a souhaité que le ministre de l'intérieur engage une coordination avec la garde des sceaux sur ce sujet ainsi que sur l'abaissement de l'âge de la majorité pénale ou la responsabilisation des parents d'enfants délinquants. Il a souhaité, enfin, que les collectivités territoriales aient à assumer leurs responsabilités en matière de sécurité, citant notamment les régions et leurs compétences dans le domaine des transports.

Constatant une certaine adéquation médiatique entre le terme de « police de proximité » et les attentes des Français, M. Claude Goasguen a cependant considéré que la méthode du Gouvernement ne saurait aboutir au succès, dès lors que la mise en _uvre de la police de proximité n'était pas compatible avec la politique centralisée pratiquée aujourd'hui. Il a estimé que la police devait agir plus près du terrain, ce qui imposait des actions déconcentrées et décentralisées. Il s'est déclaré également sceptique sur les méthodes de chiffrage utilisées par le ministère de l'intérieur pour déterminer l'évolution de la délinquance, observant, par exemple, que bon nombre d'atteintes à la sécurité n'étaient pas inscrites dans les mains courantes, faute de déclarations. En conséquence, il a appelé de ses v_ux le croisement des statistiques pour obtenir une vue plus juste des questions de sécurité en France. Il a ensuite abordé le sujet de la police à Paris, critiquant le gigantisme de la préfecture de police. Il a dénoncé le choix idéologique qui conduisait à écarter toute participation de la ville de Paris, pourtant prête à mettre en _uvre des moyens financiers pour contribuer à une véritable politique de sécurité. Constatant une concentration excessive dans la capitale d'effectifs de police, affectés notamment à des missions d'ordre public, il a estimé que les autres régions françaises pouvaient à bon droit s'irriter de cette situation. Enfin, il s'est interrogé sur le rôle et l'utilité de l'institution des CRS, notamment dans le cadre de la police de proximité.

Mme Catherine Tasca, présidente, s'est demandée si la mise en place de la police de proximité induirait une nouvelle répartition des commissariats sur le territoire. Elle a également souhaité connaître le lien qui serait établi entre ces commissariats et les unités de proximité. Elle a fait savoir, par ailleurs, que la commission des Lois allait envoyer une délégation en mission au Royaume-Uni pour évaluer le dispositif d'enregistrement des gardes à vue - sachant que ce pays avait la pratique la plus ancienne en ce domaine - pour permettre à l'Assemblée nationale de se prononcer en connaissance de cause sur ce sujet. Elle s'est enfin déclarée attachée à ce que les moyens matériels nécessaires soient mis en _uvre pour assurer le succès de la réforme présentée par le ministre de l'intérieur.

En réponse aux différents intervenants, le ministre a considéré que le débat qui s'est développé au sein de la Commission des lois était encourageant, les questions légitimes, et les critiques nécessaires, bien que parfois excessives. Après avoir rappelé que l'année dernière, plus de 8 000 policiers ont été blessés en service, et près de vingt d'entre eux tués, il a tenu à rendre hommage à la police nationale, qui effectue un travail souvent ingrat, dans des conditions extrêmement difficiles. Il a estimé, néanmoins, que cette force éminemment républicaine devait évoluer, car les problèmes d'insécurité et les attentes de la société ne sont plus les mêmes aujourd'hui qu'hier. Dans ce contexte, il a souligné le rôle des polices de proximité, dont la mise en place constitue la plus importante réforme qu'ait connu la police nationale depuis le début des années cinquante. Il a considéré qu'il s'agissait d'un défi de grande ampleur, qui soulève des problèmes incontestables, mais auxquels des réponses adaptées pourront être apportées, sous réserve d'une volonté réelle, forte et pérenne.

Puis il a apporté les précisions suivantes.

-  La question des effectifs des forces de police représente évidemment un enjeu essentiel pour le succès de cette nouvelle démarche. Il paraît tout à fait possible de procéder, au moins dans un premier temps, à des redéploiements internes, ce qui suppose de mieux utiliser les moyens d'ores et déjà disponibles. Toutefois, il n'est pas exclu, in fine, que des effectifs supplémentaires soient nécessaires. La formation des agents constitue également une priorité du ministère de l'intérieur, qui a récemment publié les lignes directrices de la politique qu'il poursuit en ce domaine, dans le cadre de la mise en place des polices de proximité.

-  La nécessité de procéder à un remodelage de la répartition des forces de police et de gendarmerie sur le territoire national, mise en exergue par la mission parlementaire conduite par MM. Roland Carraz et Jean-Jacques Hyest qui a rendu ses conclusions en avril 1998, reste d'actualité, car le schéma de leur implantation ne correspond plus aux nouvelles données démographiques et socio-économiques. Toutefois, il est désormais acquis que ce travail doit s'effectuer au cas par cas, à un rythme modéré, et dans la plus grande concertation possible avec les élus et les personnels concernés.

- Il existe, de surcroît, un problème de fidélisation des forces de police à Paris et en Ile-de-France, et il n'est pas question que les adjoints de sécurité se substituent progressivement à des policiers titulaires. Si la mobilité est une règle importante pour les agents de l'Etat, la permanence de la présence des forces de police est également nécessaire : il conviendra de faire prévaloir, davantage que jusqu'à présent, ce second impératif de service public. La question des mutations des commissaires de police en général et du délai qui sépare, trop souvent, les départs et les arrivées, est sans doute plus délicate à traiter : il s'agit d'un défi auquel ont été confrontés tous les ministres de l'intérieur qui se sont succédés jusqu'à présent.

-  S'agissant de la préfecture de police de Paris et des effectifs qu'elle mobilise, il convient de rappeler que plus de trois millions de Franciliens rejoignent chaque jour la capitale, que vingt-cinq millions de touristes la visitent chaque année, que vingt manifestations y sont organisées quotidiennement, et qu'il s'agit d'une ville particulièrement dense, dont l'architecture ne facilite pas les opérations de maintien de l'ordre. Dans ce contexte, l'existence d'une autorité centralisée demeure nécessaire. Toutefois, la police de proximité sera également appelée à se développer au sein de la capitale.

-  Du point de vue territorial toujours, la police de proximité combine, précisément, de façon pertinente, une organisation au plus près du terrain, qui s'accompagne d'une visibilité accrue aux yeux de la population, et une autorité centralisée, gage indispensable d'efficacité. L'opposition entre la décentralisation girondine et la centralisation jacobine ne se vérifie pas en l'occurrence, mais il demeure que la solution allemande d'une police décentralisée au niveau des différents länders n'est pas un modèle à suivre. Il convient de rester, sinon jacobin, du moins républicain.

-  Les institutions de la République devraient être davantage respectées qu'elles ne le sont. Sans doute, l'autorité ne s'impose plus aujourd'hui de la même façon qu'hier et le maniement de la force devient de plus en plus délicat. Mais son usage demeure parfois nécessaire. Les agents en charge du maintien de l'ordre sont trop souvent défiés et provoqués par des petits groupes de manifestants professionnels qui contestent certaines lois, pourtant humaines et votées par le Parlement.

-  Dans ces conditions, les compagnies républicaines de sécurité ne sont évidemment pas en cause. Elles représentent une institution solide et essentielle au sein de la République et assurent des missions nécessaires de maintien de l'ordre et de sécurisation.

-  En ce qui concerne le problème de l'insécurité dans les transports en commun, il est sans doute souhaitable d'innover et de développer des réponses adaptées, comme par exemple la généralisation des téléphones portables, qui peuvent permettre aux contrôleurs de prévenir les forces de police lorsque des faits répréhensibles sont commis ou risquent de l'être. Le développement d'unités spécialisées dans les grandes villes est en cours. Les effectifs de la police de l'air et des frontières ont également été renforcés.

-  Il convient, cependant, de se garder des discours alarmistes qui sont parfois tenus en matière d'insécurité. De ce point de vue, l'utilisation des enquêtes de victimation, et leur comparaison avec les statistiques de la criminalité et de la délinquance constatées par les services de police et de gendarmerie, sont des exercices plus délicats qu'il n'y paraît. Le sentiment d'insécurité s'appuie parfois sur des fantasmes, parfois sur des réalités, mais même la perception de ces dernières est subjective, en particulier dans une société vieillissante. De manière générale, ces enquêtes de victimation n'ont de sens que si elles sont ciblées, et non pas réalisées à l'échelle du territoire national dans son ensemble. Au demeurant, les écarts par rapport aux statistiques de la police ne sont pas aussi importants que certains le prétendent.

-  Il convient, cependant, de continuer à chercher des réponses aux problèmes qui se posent. La publication des textes d'application de la loi sur les polices municipales est heureusement imminente, et l'on peut regretter que les délais de leur élaboration aient sans doute été excessifs. Un projet de loi sur les forces de sécurité privées sera présenté prochainement au Parlement. Quant à l'obligation d'enregistrer les gardes à vue, elle a sans doute été approuvée imprudemment dans la précipitation. Une telle disposition serait extrêmement onéreuse, alors qu'il existe d'autres priorités beaucoup plus importantes. De surcroît, la réponse n'est pas adaptée car l'enregistrement sonore est une preuve insuffisante et controversée : il risque fort de nourrir un contentieux important. Enfin, cette mesure est très mal perçue : la police a le sentiment d'être suspectée d'avoir recours à des méthodes proches de celles utilisées, dans le passé, par l'Inquisition, ce qui est évidemment très regrettable.

-  Les assises nationales de la police de proximité qui seront organisées le 30 mars prochain ne constitueront pas une grand-messe supplémentaire : il s'agira d'un moment d'échange, attendu et nécessaire.

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