Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (1999-2000)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 42

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 avril 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Bernard Roman, président

SOMMAIRE

 

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Audition de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur le projet de loi d'orientation relatif aux départements d'outre-mer


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La Commission a procédé à l'audition de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur le projet de loi d'orientation relatif aux départements d'outre-mer.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a tout d'abord rappelé que les départements d'outre-mer occupaient, dans la République, une situation particulière qui leur est reconnue par l'article 73 de la Constitution. Il a précisé qu'ils étaient régis par le principe d'identité législative, selon lequel les normes applicables en métropole le sont également dans les départements d'outre-mer, sauf adaptation particulière et ajouté que ce principe se distinguait de celui de la spécialité législative qui, pour les territoires d'outre-mer, ne prévoit l'application des lois que lorsqu'elles comportent une mention expresse à cet effet. Il a indiqué que le projet de loi soumis à l'Assemblée nationale concernait également Saint-Pierre-et-Miquelon, collectivité d'outre-mer relevant, quant à elle, de l'article 72 de la Constitution, mais dont l'organisation en matière économique et sociale est très proche de celle des départements d'outre-mer. Revenant sur les conditions historiques qui avaient présidé à la création de ces départements en 1946, il a rappelé que le texte qui les avait créés était rapporté par Aimé Césaire et que, dans sa discussion, de grandes figures de l'outre-mer s'étaient exprimées, tels Raymond Vergès et Gaston Monnerville. Il a ajouté que la transformation des « quatre vieilles colonies » en départements d'outre-mer avait été l'expression de la volonté de rattrapage à laquelle aspirait les élus de ces collectivités. Il a noté cependant que, dès 1958 et l'introduction dans la Constitution de l'actuel article 73, ces élus avaient insisté sur la nécessité d'adapter la législation aux spécificités ultramarines, rappelant, à cet effet, les conversations d'André Malraux avec Aimé Césaire, dans lesquelles ce dernier évoquait son attachement aux « franchises » accordées à l'outre-mer.

Le ministre a fait savoir que le projet de loi soumis au Parlement était l'aboutissement d'une longue concertation avec les élus et les acteurs économiques et sociaux des quatre départements et de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il a indiqué que ces discussions avaient suivi la présentation de plusieurs rapports remis au secrétaire d'Etat, afin de préparer le présent projet de loi : le rapport présenté par MM. Claude Lise, sénateur de la Martinique, et Michel Tamaya, député de la Réunion, portant en particulier sur le bilan de la départementalisation et de la décentralisation outre-mer, le rapport de M. Bertrand Fragonard sur les politiques de l'emploi et de lutte contre le chômage et l'exclusion, le rapport de Mme Eliane Mossé sur le développement économique, le rapport de M. François Seners sur Saint-Martin et Saint-Barthélémy et, enfin, le rapport de M. le préfet Rémi Thuau sur la situation de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le ministre a noté que l'objectif prioritaire du projet de loi d'orientation était, comme l'affirme son article premier, de permettre aux départements d'outre-mer de s'inscrire dans une logique de développement durable et de création d'emplois et a indiqué qu'à cet effet, le projet de loi visait notamment à abaisser fortement le coût du travail pour pallier les handicaps de compétitivité des entreprises dans ces départements. Il a précisé que, pour certains secteurs, le projet de loi proposait ainsi une mesure générale d'allégement des cotisations sociales patronales de sécurité sociale, soit une exonération totale de ces cotisations dans la limite de 1,3 fois le SMIC pour tous les salariés des entreprises concernées. Il a souligné qu'au total seraient ainsi couverts, par l'ensemble du dispositif d'allègement des charges sociales, 100 000 salariés pour un coût budgétaire estimé à 3,5 milliards de francs, l'ampleur de cette mesure étant bien plus large que le dispositif « Perben », qui ne couvre actuellement que 36 000 salariés pour un montant total de 800 millions de francs. Observant que seraient ainsi concernés l'ensemble des travailleurs indépendants, mais aussi toutes les entreprises de moins de onze salariés, quel que soit leur secteur d'activité, ainsi que toutes les entreprises des secteurs exposés à la concurrence extérieure, sans condition d'effectifs, il a ajouté que bénéficieraient également de ce dispositif les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics selon des conditions particulières. Il a indiqué que, par ailleurs, les entreprises seraient encouragées à la recherche de marchés extérieurs par l'octroi de primes à la création d'emplois, le dispositif du présent projet de loi améliorant substantiellement celui actuellement applicable, puisque seraient concernées les entreprises dont 20 % de l'activité est tournée vers l'extérieur et non plus 75 % comme c'est le cas aujourd'hui. Il a noté également qu'une incitation spécifique à la mise en _uvre d'accords portant sur la réduction du temps de travail, soit 9 000 F par an et par salarié, était prévue.

Evoquant les mesures d'action directes sur le niveau du chômage, en particulier chez les jeunes, proposées par le projet de loi, le ministre a fait savoir que le texte prévoyait la mise en _uvre de deux dispositifs innovants et adaptés à la structure spécifique du marché du travail dans les départements d'outre-mer. En premier lieu, il a évoqué le projet « initiative-jeune » qui consiste à apporter une aide financière, en complément des dispositifs existants, à tous les jeunes de dix-huit à trente ans qui créeraient ou reprendraient une entreprise, ou qui poursuivraient, hors de leur département d'origine, une formation professionnelle. A cet égard, il a insisté sur le fait que ces départements étaient confrontés à une croissance démographique soutenue qu'une économie même dynamique ne pouvait absorber. Il a décrit, ensuite, le dispositif tendant à créer un titre de travail simplifié, adaptation outre-mer du chèque emploi-service soulignant qu'il permettrait une simplification radicale des formalités pour les emplois chez les particuliers ainsi que pour les emplois de courte durée dans les petites entreprises, alors que la trop grande complexité des formalités de déclaration de travail est souvent évoquée comme l'un des principaux obstacles au respect des règles applicables en ce domaine. Il a ajouté que le projet de loi prévoyait également un plan d'apurement des dettes sociales et fiscales des entreprises, cette remise à niveau devant notamment leur permettre de pouvoir à nouveau accéder à la commande publique.

Le ministre a indiqué que le projet de loi entendait aussi réaffirmer les politiques de solidarité dans ces départements, en conciliant l'objectif de développement économique avec l'achèvement de l'égalité sociale par rapport à la métropole. A cet égard, il a évoqué la question de l'alignement du revenu minimum d'insertion sur les montants métropolitains, tout en insistant sur le fait que cette mise à niveau se déroulerait progressivement sur une période de cinq ans, délai nécessaire pour renforcer parallèlement les dispositifs d'insertion. Il a indiqué que le projet de loi d'orientation proposait ainsi la création d'une allocation de retour à l'activité (ARA), cumulable avec les revenus tirés des activités déclarées. Il a souhaité également que cette période transitoire soit mise à profit pour renforcer les agences départementales d'insertion avec pour objectif de mieux lutter contre le travail dissimulé. Il a ajouté que l'alignement du revenu minimum d'insertion entraînerait la suppression de la créance de proratisation, dont les ressources actuelles - 600 millions de francs - étaient jusqu'ici affectées au logement social et à l'insertion, précisant cependant que l'Etat maintiendrait l'effort budgétaire nécessaire au financement de ces deux politiques. Il a souligné enfin que le droit au logement serait, en outre, renforcé par l'unification des barèmes de l'allocation-logement et par la création d'un fonds régional d'aménagement foncier urbain (FRAFU).

Le ministre a indiqué que le projet de loi tendait aussi à conforter et valoriser les cultures et les identités de chaque département d'outre-mer, ce qui suppose la reconnaissance des langues qui y sont parlées - le créole et les langues amérindiennes en Guyane - comme partie du patrimoine linguistique de la nation. Il a également fait savoir que l'égalité du prix du livre serait mise en _uvre dans les départements d'outre-mer, de même qu'un fonds destiné à promouvoir les échanges. Evoquant la question de la coopération régionale, il a considéré que celle-ci s'insérait dans une problématique différente de celle qui existe en métropole puisque les régions d'outre-mer ne sont pas amenées à coopérer avec d'autres régions mais avec des Etats. Il a donc estimé qu'il était nécessaire d'autoriser les régions d'outre-mer à passer des accords avec les Etats de la zone, en recevant, à ce titre, des délégations de la part de l'Etat français, ajoutant qu'il fallait aussi leur permettre de s'associer à des organisations internationales dans la zone, de telles mesures étant particulièrement attendues dans ces collectivités d'outre-mer.

Abordant la question du renforcement de la décentralisation, il a indiqué que les départements d'outre-mer bénéficieraient du transfert de nouvelles compétences en matière de routes, de gestion et de conservation des ressources biologiques de la mer et de gestion de l'eau et a souligné que la DGF des communes serait augmentée de 40 millions de francs, tandis que les conseils généraux pourraient percevoir des droits accrus sur les tabacs, cette mesure représentant, par exemple, 100 millions de francs de recettes disponibles pour la Réunion. Il a également évoqué les mesures spécifiques dont bénéficieraient Saint-Martin et Saint-Barthélémy pour tenir compte des particularismes locaux, ces collectivités pouvant notamment bénéficier de nouvelles taxes locales.

Le ministre a évoqué ensuite la question de la création d'un deuxième département à la Réunion, soulignant qu'elle avait pour objet de mieux prendre en compte les préoccupations d'aménagement du territoire dans l'île. Il a fait savoir que, selon des modalités fixées par une loi ultérieure, la région de la Réunion serait ainsi constituée de deux départements de population sensiblement égale, au plus tard le 1er janvier 2002. Il a indiqué, en revanche, que pour les départements français d'Amérique, continueraient de coexister, sur le même territoire, deux assemblées élues au suffrage universel, le conseil général et le conseil régional. Rappelant le double objectif de transparence et de démocratie, il a ajouté que ces deux assemblées pourraient se réunir en congrès, à l'initiative de l'une ou de l'autre pour débattre ensemble des propositions d'évolution statutaire. Il a insisté sur le fait que ce congrès n'avait aucunement vocation à devenir une troisième assemblée ou à se substituer aux conseils général et régional, évoquant, à ce titre, les termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982. Soulignant que le Gouvernement entendait créer un processus permettant de faire avancer des suggestions en matière statutaire dans le respect des deux assemblées existantes, il a indiqué que les propositions du congrès seraient soumises à la délibération des assemblées départementales et régionales, sachant qu'il appartiendrait au Gouvernement de constater les convergences qui se feraient jour et, si nécessaire, dans le cas de modifications statutaires substantielles, de s'assurer du consentement des populations intéressées.

Le ministre a enfin abordé la partie du projet de loi applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon en indiquant que les adaptations statutaires qui y sont contenues visent principalement à l'accroissement des responsabilités communales, notamment en matière d'urbanisme, Miquelon et Saint-Pierre pouvant désormais voter des centimes additionnels à l'impôt sur le revenu. Il a ajouté que serait créée dans l'archipel une conférence des finances locales, tandis que, par ailleurs, le fonctionnement du conseil général serait aligné sur le droit commun, notamment pour ce qui concerne la désignation de son bureau. En conclusion, il a indiqué que le projet de loi prévoyait la création d'une commission des comptes économiques et sociaux, indépendante, qui serait chargée de suivre l'application de cette loi tout en permettant de disposer de données plus précises sur la réalité économique dans les départements d'outre-mer.

Après l'exposé du ministre, plusieurs commissaires sont intervenus.

Soulignant que de nombreux parlementaires avaient été associés très en amont à la préparation de cet important projet, M. Bernard Roman, président, a rappelé qu'il serait examiné en séance publique dans trois semaines. Indiquant que les commissions des Affaires culturelles et de la Production semblaient devoir se saisir pour avis des parties du texte les concernant plus particulièrement, il a estimé qu'un partage intelligent du travail pourrait en résulter, la commission des Lois étant disposée à examiner avec le plus grand intérêt les propositions formulées par ces deux commissions.

Qualifiant le projet de global et d'ambitieux, M. Jérôme Lambert, rapporteur, a considéré qu'il innovait dans de nombreux domaines en proposant des politiques adaptées aux situations particulières des départements d'outre-mer. Confirmant que les orientations principales du projet étaient connues depuis un certain temps déjà, il a indiqué que, en sa qualité de rapporteur, il entendait engager un travail de fond et de concertation avec les deux rapporteurs pour avis en espérant que des positions communes pourraient ainsi être arrêtées. Evoquant la proportion très élevée de bénéficiaires du RMI outre-mer, il a souhaité que, à la faveur de ce projet de loi, l'accent soit mis sur l'insertion - et notamment sur les formes nouvelles qu'elle pourrait prendre - et pas seulement sur les sommes allouées à la créance de proratisation. Soulignant que le ministre avait présenté un dispositif ambitieux d'aide aux entreprises dans différents secteurs, il a estimé que les seuils avaient toutefois un « effet couperet », observant que la référence, par exemple, à la masse salariale moyenne représentée par onze salariés, plutôt qu'au seuil de onze salariés, serait plus appropriée comme critère pour bénéficier d'aides de l'Etat.

Considérant que le texte comportait un nombre particulièrement élevé de dispositions réglementaires, M. Dominique Bussereau a suggéré qu'elles soient extraites du projet de loi afin d'accélérer son examen. Soulignant l'importance des dispositions d'ordre institutionnel, il s'est étonné qu'elles soient placées à la fin du projet et que le Gouvernement n'ait pas renoncé à faire référence à la future scission de la Réunion en deux départements pourtant problématique. Enfin, il a regretté que la préparation de ce texte n'ait pas donné lieu à une réflexion d'ensemble sur la politique des transports.

M. Claude Hoarau a souligné l'importance des dispositions du projet de loi tendant à créer un deuxième département à la Réunion. Il a indiqué que la population réunionnaise, qui était de 600 000 habitants en 1986, comptait aujourd'hui 700 000 habitants et dépasserait sans doute le cap du million dans 25 ans. Il a estimé que cette évolution démographique, ainsi que des considérations économiques et géographiques, plaidaient en faveur de ce projet. Il a rappelé qu'il s'agissait d'une revendication ancienne, relayée par l'ensemble des forces politiques de l'île. Il a insisté, en particulier, sur le soutien des élus socialistes et communistes, ces derniers ayant d'ailleurs déposé une proposition de loi dans ce sens sous la précédente et sous l'actuelle législature. Il a admis que les modalités de cette réforme étaient plus controversées, notamment en ce qui concerne le découpage territorial et le calendrier proposés, mais a jugé que les désaccords tendaient aujourd'hui à s'apaiser et qu'en toute hypothèse, l'opportunité du projet n'avait jamais été remise en cause.

Abordant la question du développement des territoires d'outre-mer, M. Camille Darsières a souhaité que le Gouvernement manifeste clairement sa volonté de préparer une loi d'incitation fiscale à l'investissement, notamment en Martinique. Il a jugé qu'il était indispensable que les projets réellement prometteurs bénéficient d'un soutien particulier de la part des pouvoirs publics, et a suggéré que l'agrément préalable, qui conditionnerait l'octroi de cette incitation, puisse être accordé de façon conjointe par le ministère de l'économie et des finances et par la collectivité territoriale concernée. En ce qui concerne la démarche engagée par le Gouvernement dans le sens d'un alignement progressif du niveau du RMI par rapport à celui en vigueur en métropole, il a déclaré qu'il respectait cette demande d'origine réunionnaise, tout en observant qu'elle ne faisait pas l'unanimité en Martinique. Il s'est interrogé, en particulier, sur le devenir de la « créance de proratisation », dont il a jugé la pérennisation indispensable pour le financement du logement social dans les départements d'outre-mer, rappelant que l'idée d'instituer un prélèvement sur les jeux, pour compenser sa diminution, avait été évoquée. S'agissant précisément du logement, M. Camille Darsières a souligné l'importance des besoins existants dans les départements d'outre-mer. En revanche, il s'est déclaré en désaccord avec la proposition du Gouvernement de confier la présidence du conseil départemental de l'habitat, de façon conjointe, au préfet et au président du conseil général, considérant que cette fonction revenait de droit au seul président du conseil général.

En matière de transports, reconnaissant l'importance des efforts consentis pour le financement des routes, M. Camille Darsières a néanmoins réaffirmé son souci de favoriser surtout le développement des transports en commun, le cas échéant à travers une utilisation accrue du fonds d'investissement route et transport (FIRT). En ce qui concerne la valorisation des identités de l'outre-mer et la promotion culturelle, il a souhaité que les élus en charge de ces questions soient davantage associés à l'élaboration de cette politique et a considéré que leur participation au financement des manuels scolaires devait nécessairement conduire à leur accorder un droit de regard minimum sur l'élaboration des programmes. A propos des accords de coopération régionale, il a estimé qu'il était normal que l'Etat conserve ses prérogatives dans ses domaines de compétence. En revanche, il s'est étonné que, dans leur propre domaine de compétence, les élus régionaux soient tenus de demander des autorisations ou des instructions au pouvoir central. Il a jugé que cette orientation n'était pas, en effet, conforme à l'esprit de la décentralisation.

Sur le plan des institutions, il a vivement dénoncé la position du Conseil d'Etat, qui s'est opposé à la possibilité de réunir le conseil général et le conseil régional afin que ces collectivités élaborent en commun un projet d'évolution institutionnelle. Il a estimé que cette réforme était nécessaire, tout en admettant que le projet ainsi élaboré puisse ne prendre la forme que d'un simple avis sur le fondement duquel les populations concernées pourraient être consultées, une majorité qualifiée étant alors nécessaire pour que leur opinion prévale.

Exprimant son accord avec M. Camille Darsières sur le fait qu'un nouveau dispositif devrait se substituer au régime juridique actuel des investissements dans les territoires d'outre-mer, M. Gérard Grignon s'est, par ailleurs, réjoui de l'application à Saint-Pierre-et-Miquelon des mesures du projet de loi relatives au développement économique. Citant l'exemple d'une entreprise locale qui avait bénéficié du dispositif d'exonération de charges sociales prévu par la loi Perben de 1994 sans créer aucun emploi, il a souligné la nécessité de prévoir des mécanismes encadrant davantage de telles mesures trop favorables aux intérêts des employeurs. En outre, il s'est interrogé sur les conséquences de ces exonérations de charges sociales sur l'équilibre financier de la caisse de prévoyance sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon. Faisant remarquer que toutes les mesures d'exonération de charges sociales prévues en métropole étaient intégralement compensées par le budget de l'Etat, il a souhaité que ce principe soit également appliqué à la caisse de prévoyance sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon.

S'agissant du volet institutionnel du projet de loi rappelant les dernières élections au conseil général ayant conduit à un changement de majorité, il a jugé qu'il convenait de s'interroger sur le maintien de la disposition du projet de loi prévoyant l'élection du bureau de cette assemblée à la proportionnelle qui répond à une revendication de l'ancienne opposition devenue aujourd'hui majoritaire. Enfin, il a jugé nécessaire que Saint-Pierre-et-Miquelon puisse bénéficier des dispositions de l'article 45 du projet de loi qui prévoient la création d'un fonds de promotion des échanges à but éducatif, culturel et sportif.

Observant que l'article 1er du projet de loi affirme des objectifs ambitieux, tels que le droit à l'emploi ou la formation, et considérant que la jeunesse est une richesse pour les départements d'outre-mer comme pour la France métropolitaine, M. Emile Blessig a cependant souligné que la croissance démographique outre-mer exigeait une politique de formation plus volontariste que celle prévue par le projet de loi. S'agissant des difficultés structurelles que rencontrent les départements d'outre-mer, il a regretté que le projet de loi n'apporte pas de réponse satisfaisante à la crise financière que connaissent les collectivités locales. En outre, il s'est interrogé sur le poids excessif de la fonction publique dans les départements d'outre-mer que cette situation limitait l'efficacité des mesures prises en faveur du développement du secteur privé de ces économies, quel que soit le Gouvernement dont elles émanent.

Faisant savoir que le projet de loi suscitait un vaste débat en Guadeloupe, M. Ernest Moutoussamy a indiqué qu'il souhaitait tout particulièrement interroger le ministre sur les mesures susceptibles d'être prises pour la lutte contre les emplois précaires qui ne figurent malheureusement pas dans le texte soumis à l'Assemblée nationale. Soulignant que le total des individus bénéficiant de contrats de travail précaires et des demandeurs d'emplois correspondant à des personnes sans emploi stable, atteignait à la Guadeloupe un taux de 40 %, il s'est interrogé sur les mesures envisagées pour faire progresser l'emploi. Faisant valoir que les collectivités locales agissaient activement contre le chômage et pour l'insertion, il a considéré qu'elles devaient bénéficier de moyens financiers supplémentaires. Observant que les questions institutionnelles dominaient le débat politique en Guadeloupe, et rappelant que le Président de la République, à la différence du ministre, avait qualifié le congrès d' « institution », il s'est demandé quelle serait la valeur juridique des textes issus du congrès. Concernant les dispositions du projet de loi instituant une exonération de charges sociales, il a exprimé quelques réserves tenant aux effets de seuils qu'elles pourraient provoquer. Il a suggéré d'exclure certains secteurs du bénéfice du dispositif d'exonération de charges sociales afin d'en renforcer l'efficacité économique, tout en regrettant que ces exonérations soient sans contrepartie en terme de création d'emplois.

Intervenant en application de l'article 38, alinéa premier, du Règlement, M. Michel Tamaya a souligné que le projet de loi arrivait devant l'Assemblée nationale, au moment où les populations des départements d'outre-mer étaient confrontées à une situation difficile. Il a indiqué qu'il souscrivait au principe d'une évolution différenciée de chaque département d'outre-mer, instaurant deux départements à la Réunion et créant un congrès dans les régions monodépartementales d'outre-mer. Rappelant que le débat sur la bi-départementalisation avait fait l'objet d'un accord au niveau local, il a précisé que seules demeuraient en discussion les questions du découpage et du calendrier d'application. Il a, par ailleurs, souhaité qu'au nom de l'égalité sociale l'alignement du RMI sur celui versé en métropole intervienne le plus rapidement possible, sans remettre en cause le mécanisme de financement du logement social par le biais de la créance de proratisation, ajoutant que l'échéance de 2004 pour l'alignement du RMI serait inacceptable. Il a ensuite considéré qu'il convenait d'encourager les démarches expérimentales et innovantes pour favoriser le développement, citant en exemple l'allocation revenu d'activité. Il a, par ailleurs, jugé souhaitable qu'un moratoire sur les dettes et diverses mesures dérogatoires de nature à favoriser le développement des DOM soient mises en _uvre pour les dix années à venir. Enfin, il a souligné l'importance de la commande publique pour l'économie locale, faisant observer que nombre de petites entreprises basées dans les DOM ne pouvaient emporter des marchés publics du fait de la lourdeur de la procédure d'appel d'offres.

Mme Christiane Taubira-Delannon a jugé, en préambule, que cette loi était bienvenue dans un contexte tourmenté ; elle a souligné l'importance d'un dispositif qui permet à la fois de répondre à des problèmes urgents et de s'inscrire dans une perspective à long terme ; s'agissant de l'actuel titre VII qui concerne l'évolution des départements d'outre-mer, elle a fait état d'une précédente version du projet qui aurait permis une procédure au sein de l'institution du congrès plus structurée et organisée. Regrettant que la rédaction du projet de loi ait été édulcorée, elle a émis le souhait que le débat parlementaire apporte davantage de substance à cette innovation juridique que constitue le congrès.

M. Philippe Chaulet a jugé souhaitable que le projet de loi soit l'occasion d'annoncer les principales orientations de la réforme de la défiscalisation outre-mer. Faisant état de l'importance primordiale que constitue le tourisme pour les économies domiennes, il a précisé que les équipements hôteliers connaissaient actuellement un taux de remplissage à hauteur de 70 %. Il a émis le souhait que les efforts soient portés essentiellement vers le développement de ce secteur économique, notamment par une relance de la construction des infrastructures touristiques. Complétant les propos de M. Camille Darsières sur les difficultés des transports dans les Antilles, il s'est félicité de la publication prochaine d'une ordonnance à ce sujet ; il a néanmoins exprimé sa préférence pour un dispositif spécifique à chaque département d'outre-mer, faisant observer que la carte des transports en Guadeloupe était mieux organisée qu'en Martinique.

S'agissant des finances des collectivités locales, il a déploré le dispositif actuel fondé sur un préfinancement, par les collectivités locales, des projets ayant fait l'objet d'une convention avec le FEDER. Il a plaidé pour un système, semblable au dispositif existant pour les entreprises privées en matière d'exonérations de cotisations patronales, qui permettrait aux collectivités locales de constituer des fonds propres leur permettant de répondre à cette exigence de pré-financement pour les projets du FEDER.

En réponse aux différents intervenants, le ministre a apporté les précisions suivantes.

-  L'avis du Conseil d'Etat a conduit le Gouvernement à retrancher du projet de loi les dispositions de nature déclarative ou réglementaire ; il a toutefois maintenu dans son texte la mesure d'alignement du RMI versé dans les DOM qui aurait pu cependant être mise en place par décret.

-  Le nombre d'allocataires du RMI pour l'ensemble des DOM s'élève à 125 000, ce qui représente, pour chaque département, des moyennes trois à cinq fois supérieures à celles connues en métropole. Des efforts importants doivent être menés afin d'inscrire les habitants des DOM dans un processus de retour à l'emploi ; l'égalité sociale avec la métropole, traduite par un alignement du RMI, doit cependant être menée conjointement avec une politique de promotion du travail déclaré. Il est nécessaire que les parlementaires s'engagent fermement en faveur de ce double processus ; à défaut, les risques de désorganisation économique résultant de l'augmentation du RMI, sont à craindre. La mise en place des titres de travail simplifiés participe également de cette logique de lutte contre le travail dissimulé ou clandestin.

-  L'exonération de charges patronales pour les entreprises de moins de onze salariés soulève la question des effets de seuil ; il est toutefois inenvisageable de mettre en place une procédure qui s'appliquerait à l'ensemble des entreprises ; le choix a été fait de porter l'essentiel des efforts sur les petites entreprises ou les entreprises exerçant leur activité dans des secteurs innovants et créateurs d'emplois, ou dans des secteurs, tels que le tourisme, particulièrement exposés à la concurrence.

-  Le soutien aux entreprises exerçant dans le secteur des nouvelles technologies est éminemment souhaitable ; l'exonération des cotisations patronales spécifiquement réservée à ces entreprises se heurte néanmoins à l'inexistence du critère d'entreprises innovantes dans les catégories retenues par l'INSEE. Son inscription en temps que telle dans la loi se heurterait à d'importantes difficultés d'interprétation par la suite.

-  Les inconvénients tenant à l'existence d'un seuil seront, en tout état de cause, limités par l'existence d'un dispositif dégressif pour les entreprises ayant dépassé le seuil de dix salariés.

-  Le projet de loi a pour objectif d'aider les entreprises créatrices d'emploi ; il est cependant très difficile de prévoir des mesures de sanction pour les entreprises qui ne procéderaient pas à des embauches, à la suite de la mise en place du dispositif d'exonérations ; au-delà de la création nette d'emplois, il semble légitime de prendre également en compte la préservation d'emplois qui auraient été supprimés en l'absence de tout dispositif.

-  La question du remplacement du dispositif de défiscalisation a fait l'objet d'un groupe de travail, rassemblant notamment les représentants des organisations patronales. Le dispositif actuel, dit « loi Pons », a été prolongé jusqu'en 2002 ; la réflexion sur son remplacement se poursuit et pourrait être achevée pour l'examen du projet de loi d'orientation ; les orientations retenues privilégieraient les mesures de financement des entreprises davantage que l'aide aux investissements matériels.

-  L'ordonnance relative à l'organisation des transports dans les DOM devrait être publiée fin avril. Il a été cependant difficile de réserver une situation spécifique à chaque DOM ; les problèmes des transports aux Antilles tiennent notamment à l'inapplicabilité de la loi Sapin et à l'existence des taxis collectifs gérés par des personnes privées. Des mesures transitoires doivent être envisagées pour garantir la sécurité des personnes et le maintien d'une carte de transport cohérente. La ratification prochaine de l'ordonnance pourra être l'occasion d'améliorer le dispositif proposé, en insistant notamment sur le développement du volet transport dans le cadre du FIRT.

-  La créance de proratisation, calculée sur la différence entre le niveau du RMI en métropole et dans les DOM, est vouée en tant que telle à disparaître du fait de l'alignement du RMI sur le niveau métropolitain. L'abondement des fonds destinés à soutenir le logement social par l'intermédiaire de la ligne budgétaire unique, sera néanmoins maintenu.

-  La coprésidence du conseil départemental de l'habitat par le préfet et le président du conseil général permettra, par ailleurs, de déconcentrer davantage la politique du logement social.

-  La dimension culturelle est déjà prise en compte spécifiquement pour les DOM par l'existence des conseils de la culture, de l'éducation et de l'environnement. Un effort particulier en direction des programmes scolaires était initialement inscrit dans le projet de loi, avant que le Conseil d'Etat ne conteste son caractère réglementaire.

-  La mise en place d'un prélèvement sur les jeux de hasard au profit des collectivités locales est effectivement souvent évoquée ; les conséquences d'une telle mesure sur l'abondement du fonds national de développement du sport doivent être étudiées.

-  Le projet de bi-départementalisation de la Réunion semble soulever d'importantes oppositions auprès de certains groupes politiques, alors même qu'il répond à un souci d'amélioration de l'aménagement du territoire de l'île et à un maillage territorial plus équilibré.

-  La coopération entre les départements d'outre-mer et les Etats voisins n'exigera pas systématiquement une intervention de l'Etat, celle-ci demeurant cependant obligatoire pour la signature d'accords portant sur des matières qui ne relèveraient pas des compétences des collectivités territoriales concernées.

-  Le congrès, que le projet de loi institue dans les régions mono-départementales d'outre-mer, ne constitue pas une troisième assemblée locale et n'a pas de caractère permanent, cette solution ayant été retenue pour éviter une éventuelle censure du Conseil constitutionnel sur le fondement des articles 72 et 73 de la Constitution.

-  A Saint-Pierre et Miquelon, par souci d'harmonisation avec le régime des autres départements, le bureau du conseil général doit être élu sur la base d'une représentation proportionnelle. Par ailleurs, l'extension des dispositions relatives au partenariat entre l'Etat et les collectivités territoriales des DOM en matière éducative, culturelle et sportive pourrait être envisagée.

-  Les collectivités locales des départements d'outre-mer souffrent de graves difficultés financières, qui tiennent notamment à la charge qu'y représente la fonction publique territoriale, de dix points supérieure à la moyenne nationale. Il n'est en conséquence pas possible de solliciter des financements spécifiques aux DOM au titre de la solidarité nationale, alors même qu'une grande partie de ces financements est absorbée par la surrémunération des fonctionnaires locaux. Le comité des finances locales a ainsi refusé que les 40 millions de francs alloués aux collectivités des départements d'outre-mer par le présent projet de loi soient prélevés sur l'enveloppe de la dotation globale de fonctionnement. Au problème des finances communales, s'ajoute, en outre, le poids que représentent les dépenses sociales pour les conseils généraux. La question de la surrémunération des fonctionnaires de l'Etat, de nature réglementaire, demeure par ailleurs toujours posée.

-  En matière de marchés publics, une réflexion pourrait être envisagée sur les dérogations susceptibles de simplifier les procédures et de faciliter l'accès des entreprises locales à la commande publique ; mais de telles dispositions devraient respecter le droit communautaire, qui est extrêmement précis dans ce domaine.

-  La consultation des populations envisagée par le projet de loi exigera une autorisation législative ultérieure spécifique pour des raisons de constitutionnalité. Il n'est sur ce point pas possible que les départements organisent d'eux-mêmes des consultations électorales et il est indispensable qu'un consensus local émerge avant toute évolution institutionnelle de nature législative ou constitutionnelle.

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