Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (1999-2000)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 60

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 29 juin 2000
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Bernard Roman, président

SOMMAIRE

 

pages

- Proposition de loi, adoptée avec modifications par le Sénat en deuxième lecture, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels (deuxième lecture)


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La Commission a examiné, en deuxième lecture, sur le rapport de M. René Dosière, la proposition de loi, adoptée avec modifications par le Sénat en deuxième lecture, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.

M. René Dosière, rapporteur, a rappelé que, après la décision de l'opposition à l'Assemblée nationale de s'abstenir sur le vote de la proposition de loi qu'elle avait pourtant approuvé quelques jours auparavant en Commission, le Gouvernement avait finalement décidé de ne pas inscrire ce texte à l'ordre du jour du Sénat, afin d'engager une concertation avec les parlementaires et les associations de victimes qui s'opposaient à son adoption. Il a ajouté que le Sénat n'avait pas tenu compte de ce souci du Gouvernement de poursuivre la réflexion et avait inscrit la proposition de loi à son ordre du jour réservé. Après avoir précisé que le Gouvernement avait alors utilisé la procédure du vote bloqué prévue par l'article 44, alinéa 3 de la Constitution, afin de lier l'adoption du texte au vote de ses trois amendements élaborés en concertation avec les associations de victimes, il a ensuite rappelé que le Sénat avait en conséquence retiré la proposition de loi de son ordre du jour. Il a souligné que le texte avait été réinscrit à l'ordre du jour par le Gouvernement lui-même, après que celui-ci eut obtenu un accord entre les différents intervenants sur les corrections susceptibles d'y être apportées. Il a constaté que sur les trois amendements adoptés la veille par le Sénat, deux reprenaient les amendements qui faisaient l'objet du vote bloqué, le dernier étant légèrement modifié afin de tenir compte des observations formulées par les rapporteurs des deux assemblées. Il a donc proposé à la Commission d'adopter sans modification la proposition de loi issue des travaux du Sénat, soulignant qu'elle constituait un texte d'équilibre entre les préoccupations des décideurs publics et les inquiétudes, sinon toujours justifiées, du moins compréhensibles et respectables, des représentants des victimes. Il a estimé que la modification législative proposée permettrait de rompre avec la confusion des fautes pénale et civile consacrée par la Cour de cassation dans sa décision du 12 décembre 1912 et de séparer les causalités directes et indirectes en matière de délits non intentionnels, une faute caractérisée étant désormais exigée dans cette seconde hypothèse, dans le but de mettre un terme à la pénalisation excessive de notre société.

Après avoir également regretté que, contrairement à la majorité sénatoriale, l'opposition à l'Assemblée nationale n'ait pas, en première lecture, adopté la proposition de loi, M. Gérard Gouzes a tenu à préciser la portée des nouvelles dispositions qu'elle introduit dans notre droit pénal. Il a souligné, tout d'abord, que ce texte tendait à clarifier la définition de la faute non intentionnelle, dans le respect du principe d'égalité devant la loi, qui implique qu'aucune catégorie particulière de justiciables, y compris les élus locaux ou les décideurs publics, ne puisse échapper à sa responsabilité pénale lorsqu'elle est évidemment engagée. Puis il a relevé que la proposition de loi distinguait les fautes directes et indirectes, permettant ainsi de faire prévaloir la théorie de « la causalité adéquate », qui devra être interprétée par le juge. Il a estimé que, aux termes de cette proposition de loi, pourra être reconnu pénalement responsable celui qui aura commis la faute ou créé la situation sans laquelle le dommage n'aurait pas eu lieu. Réfutant l'idée selon laquelle ce texte supprimerait le délit non intentionnel en cas de faute indirecte, il a observé qu'il se bornait à préciser dans quels cas il sera possible de poursuivre pénalement une personne qui n'aurait pas eu l'intention de commettre un délit. Souhaitant que les travaux préparatoires à l'adoption de cette proposition de loi puissent utilement éclairer le juge judiciaire, il a indiqué que, exception faite de l'hypothèse d'une violation manifestement délibérée d'une obligation de prudence ou de sécurité, il était apparu opportun, au stade de la deuxième lecture, de modifier la définition de la faute, afin de lever toute ambiguïté et d'éviter de laisser accroire que la responsabilité pénale d'une personne ne pourra plus être engagée que de façon exceptionnelle en cas de lien indirect entre la faute et le dommage. M. Gérard Gouzes a précisé que les auteurs indirects pourront donc être responsables s'ils ont « commis une faute caractérisée », d'une part, « et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'ils ne pouvaient ignorer », d'autre part ; il a insisté sur ce second point, faisant observer que la responsabilité pénale de l'auteur de la faute ne pourra être engagée que si celui-ci était dans l'impossibilité d'ignorer l'existence du danger. Enfin, il a souhaité qu'il soit mis fin à une socialisation du risque qui aboutit, trop souvent, à la recherche de « boucs émissaires ».

Estimant qu'un long travail parlementaire permettait aujourd'hui l'adoption d'un texte satisfaisant dont elle a souligné le caractère révolutionnaire, Mme Christine Lazerges a indiqué que cette proposition de loi rétablissait opportunément la distinction entre les fautes d'imprudences civile et pénale, confondues depuis un arrêt rendu par la Cour de cassation en 1912. Précisant que la notion de faute « caractérisée » devrait permettre de distinguer ces deux types de fautes, elle a indiqué qu'il reviendrait au juge de préciser son contenu en prenant en compte l'intention du législateur, qui doit être exprimée assez clairement pour faciliter l'uniformisation de la jurisprudence sur ce point. Rappelant que la précédente modification de l'article 121-3 du code pénal, qui ne remonte qu'à 1996, n'avait pas suscité d'évolution notable de la jurisprudence et que, de la même façon, certaines dispositions du nouveau code pénal étaient restées lettre morte faute d'avoir été prises en compte par les magistrats, Mme Christine Lazerges a souhaité qu'il soit, cette fois, tenu compte de la volonté du législateur d'imprimer une orientation nouvelle au droit pénal français. Elle a insisté, enfin, sur la nécessité de modifier certains aspects de la procédure civile, afin de garantir une application effective des dispositions de la nouvelle loi et d'éviter que les victimes qui choisiraient cette voie d'action n'y rencontrent davantage de difficultés procédurales que devant le juge pénal.

M. Bernard Roman, président, a souligné, à son tour, l'importance des travaux préparatoires parlementaires, qui doivent permettre une application et une interprétation de la loi par les juridictions qui soient réellement conformes à l'intention du législateur. Réagissant aux propos des commissaires intervenus dans la discussion, il a émis le souhait qu'il soit fait état, en séance publique, de leurs analyses sur la portée juridique du texte que s'apprête à adopter le Parlement.

Le rapporteur s'est engagé à renouveler, dans son discours en séance publique, le souhait unanime de la Commission d'obtenir, de la part des différentes juridictions, une application de cette proposition de loi qui soit conforme à la lettre et l'esprit que le législateur a entendu lui donner.

La Commission a ensuite adopté les articles premier et premier bis et l'ensemble de la proposition de loi sans modification.

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