ASSEMBLÉE NATIONALE
COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES
COMPTE RENDU N° 50
(Application de l'article 46 du Règlement)
Mercredi 17 juin 1998
(Séance de 16 heures 15)
Présidence de M. André Lajoinie, Président
SOMMAIRE
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Suite des auditions dans le cadre de lexamen du projet de loi dorientation agricole (n° 977) :
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· M. Jean-François HERVIEU, Président de lAssemblée permanente des Chambres dagriculture (APCA) ;
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· M. Marc BUÉ, Président de la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricole (CNMCCA) ;
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· M. Joseph BALLÉ, Président de la Confédération française de la coopération agricole (CFCA) ;
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· M. François DUFOUR, Porte parole de la Confédération paysanne.
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Information relative à la commission
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La commission a poursuivi ses auditions dans le cadre de lexamen du projet de loi dorientation agricole (n° 977) et a entendu M. Jean-François Hervieu, président de lAssemblée permanente des chambres dagriculture (APCA).
M. Jean-François Hervieu a estimé que le projet de loi était un véritable texte dorientation sappuyant sur les premières orientations proposées par le ministre de lagriculture dès octobre 1997, qui visaient à mettre le territoire au coeur du projet de loi. Il aurait pourtant souhaité que le texte prenne en compte deux dimensions indissociables : une meilleure insertion de lagriculture dans léconomie, car la situation a bien changé depuis la loi dorientation agricole du 5 juillet 1960 et une meilleure réponse de lagriculture aux attentes de la société.
Il a estimé que le texte était déséquilibré entre deux logiques qui coexistent, celle du marché et de la compétitivité des exploitations quil est absolument indispensable de respecter, mais qui est absente, et celle du territoire qui devient prioritaire dans le projet de loi. Tout en étant daccord pour que la notion de territoire soit prise en compte, il a observé que le projet de loi dorientation penchait trop en ce sens.
Parmi les points daccord avec le texte du projet de loi, il a relevé :
une approche multifonctionnelle de lagriculture ;
les diverses missions assignées à lagriculture ; il a toutefois exprimé le souhait que la priorité soit accordée à la fonction de production, car même si les préoccupations doccupation du territoire ou environnementales sont importantes, elles ne doivent pas reléguer au second plan la fonction économique de lagriculture. Or le projet a une approche plus patrimoniale de lagriculture, il ne faudrait pas réduire lactivité agricole à un état, alors que cest un métier. Il convient donc de respecter un équilibre entre la fonction économique et les autres fonctions de lagriculture.
Les objectifs du projet de loi dorientation et des propositions « Agenda 2000 » de la Commission européenne peuvent paraître a priori différents, mais ils ont en fait de nombreux points communs. On note ainsi une orientation de plus en plus affirmée vers une politique de revenus en agriculture, cest-à-dire une politique qui nest plus fondée sur une approche de régulation du marché. On peut donc craindre que lactivité de production agricole ne devienne secondaire. Or, cest une évolution dangereuse.
Dautres points daccord avec le texte du projet de loi peuvent être relevés :
le principe de contractualisation ;
léquilibre entre les formes dexploitations individuelles et sociétaires au regard du contrôle des structures ;
lengagement de mettre en place une assurance récolte ;
le nouveau statut de conjoint collaborateur ;
certaines dispositions concernant les interprofessions ;
la création de zones agricoles protégées ;
les missions de lenseignement agricole ;
les dispositions concernant la recherche et le développement.
Parmi les points du projet de loi qui mériteraient dêtre complétés, figurent :
labsence dorientations claires en matière économique ;
labsence de prise en compte de lévolution de lentreprise agricole, alors quil serait souhaitable que celle-ci soit reconnue et que soient adoptées des dispositions fiscales tendant à faciliter les transmissions et la gestion des exploitations. Une définition de lexploitant agricole est également attendue ainsi quune réforme du statut du fermage ;
la certification des exploitations ;
le caractère trop contraignant du contrôle des structures ;
linadaptation du dispositif de qualité relatif à lindication géographique protégée (IGP) ;
linsuffisance des dispositions dérogatoires au droit de la concurrence ;
le rôle de lEtat dans le développement agricole.
M. Jean-François Hervieu a estimé souhaitable quune bonne contractualisation respecte linitiative des agriculteurs car leurs projets doivent avoir une base économique forte pour avoir toute leur valeur.
Le contrat territorial dexploitation est un outil intéressant qui ne peut pas se substituer à certaines politiques (politiques des marchés ou politiques structurelles notamment) ; cest un outil complémentaire pour le développement de lagriculture qui doit sinsérer dans une approche partagée entre ladministration et les organisations professionnelles ainsi que dans une approche collective. Il faut mettre laccent sur des orientations fortes, déterminées en tenant compte des besoins au niveau des départements et des territoires et dans une cohérence régionale. Les contrats territoriaux dexploitation doivent être fondés sur une stratégie ascendante, partant de lexploitant.
Les modifications proposées par lAssemblée permanente des chambres dagriculture au titre I du texte du projet de loi sont relatives aux objectifs à donner aux contrats territoriaux dexploitation car le projet de loi nen parle pas et ne prévoit que leurs conditions de mise en place ; ils tendent également à préciser lapproche économique de ces contrats et le rôle des commissions départementales dorientation agricole.
Les améliorations proposées au titre II portent sur la définition de lactivité agricole. La rédaction du texte du projet est jugée trop restrictive car elle relègue au titre dactivités accessoires les activités développées par les agriculteurs en complément de leur activité de production. Cest le problème des activités touristiques (restauration) qui se trouve posé. Il serait souhaitable que le terme « dactivité accessoire » ne soit pas appliqué aux activités de restauration.
Il est également proposé que, dans un délai dun an, un rapport soit réalisé comportant des propositions sur lentreprise agricole. Si le texte traite effectivement de lassurance récolte, il conviendrait également que soient pris en compte le mode de transmission, la fiscalité, léquilibre fermier-bailleur et quune définition de lexploitant agricole soit donnée.
Les modifications proposées au titre III relatif à lorganisation économique portent sur le rôle de lorganisation collective des producteurs, qui doit être adapté à la concentration de la distribution, sur la participation de la distribution aux interprofessions, qui ne doit pas être systématique, mais effectuée à la demande, et sur lobligation de mise en place dune instance de concertation.
Sagissant du titre IV, lAPCA propose de préciser les objectifs de la politique de qualité et de supprimer lidentification géographique protégée (IGP) en tant que signe didentification autonome.
Les modifications proposées au titre V relatif à la gestion de lespace agricole et forestier ont pour objet de coordonner la future loi dorientation et daménagement du territoire et le texte du projet de loi dorientation agricole, de manière quun lien soit établi entre espace forestier et agricole et espace rural.
Il serait également souhaitable de réintroduire des dispositions sur la réciprocité dans le domaine péri-urbain telles quinitialement prévu.
Au titre VI devrait être précisé le rôle de la recherche pour que lapproche économique soit mieux prise en compte, il faudrait également insérer les chambres dagriculture parmi les organismes effectuant de la recherche appliquée.
En conclusion, le projet de loi a un caractère novateur mais lAssemblée permanente des chambres dagriculture souhaite que soient apportés quelques compléments pour assurer un meilleur équilibre entre économie et territoires.
M. François Patriat, rapporteur, relevant les nombreux points daccord de lAssemblée permanente des chambres dagriculture (APCA) avec le projet de loi dorientation, a souligné que le schéma des structures quil proposait, visait à assurer une plus grande transparence lors des mutations, afin de favoriser linstallation des jeunes et de réorienter lattribution des terres dans une logique daménagement du territoire, en empêchant une concentration à outrance des propriétés. Il a en outre relevé que lAPCA navait pas formulé de proposition sur ce point malgré les critiques exprimées.
Il a indiqué quil était courant dentendre des critiques sur une éventuelle faiblesse du volet économique du projet de loi et a estimé que les propositions de lAPCA à ce sujet conduiraient à renforcer les regroupements de producteurs et les coopératives, ce qui pourrait être envisagé mais à condition dadmettre quil ne faut pas augmenter les subventions accordées à des filières qui auraient démontré leur inefficacité.
Il a estimé quil convenait dopérer une hiérarchisation entre les indications géographiques protégées (IGP) et les appellations dorigine contrôlées (AOC). Si la Commission européenne a admis que lAOC a fait la preuve en France de ses résultats, lIGP correspond aussi à une réalité, 432 indications ayant été retenues, tandis que 700 autres étaient rejetées. Il ne serait pas souhaitable que la France se retrouve isolée sur ce dossier et il faut considérer de façon positive les démarches communautaires qui confortent le succès des AOC, dautant que les pays du sud sinspirent de notre exemple dans ce domaine.
M. Christian Jacob a déclaré partager au nom de son groupe le regret exprimé par lAPCA à propos de labsence dun volet économique dans le projet de loi dorientation. Celui-ci se trouve ainsi déséquilibré, alors quil aurait dû prendre en compte la fonction de production et les évolutions de lentreprise agricole.
Relevant que lAPCA considérait que les contrats territoriaux dexploitation manquaient à la fois dobjectifs et de moyens de financement, il a demandé des éclaircissements sur le fait que lAPCA jugeait pourtant favorablement cette technique.
M. Joseph Parrenin, relevant que la fonction économique de lagriculture navait jamais été remise en cause, a estimé que cette notion était dès lors sous-jacente dans le projet de loi, lexposé des motifs reconnaissant par ailleurs sa plurifonctionnalité.
Il a également estimé que la position de lAPCA vis-à-vis des indications géographiques protégées risquait de pénaliser lagriculture française.
M. Léonce Deprez sest déclaré convaincu que le projet de loi dorientation constituait un progrès, dès lors quil confie aux agriculteurs le soin dentretenir cette matière précieuse quest le territoire. Il a par ailleurs souhaité que lAPCA exprime ses critiques, de manière plus claire et plus directe sagissant notamment de la faiblesse du volet économique du projet.
Il a également demandé que soient précisées les propositions de lAssemblée permanente des chambres dagriculture pour assurer une meilleure organisation des producteurs face à des marchés qui se concentrent et se mondialisent.
M. Jean Auclair, rappelant que le ministre de lagriculture avait annoncé devant la commission que les contrats territoriaux dexploitation seraient financés en partie sur la part nationale de la politique agricole commune, a considéré que cette affectation amputerait ces crédits au profit de quelques « écologistes de lagriculture » et favoriserait la mise en herbe au détriment de la mission de production du secteur.
Estimant que les commissions départementales dorientation de lagriculture sérigeaient de fait aujourdhui en censeurs des installations et des agrandissements dexploitation, il a craint que cette tendance ne saggrave du fait de la représentation en leur sein des consommateurs et des associations de défense de lenvironnement.
Il a conclu en déclarant son opposition à un projet qui manquait de sérieux en favorisant les petites exploitations de 20 ou 30 hectares, confiées à des « baba-cools » assistés.
M. Jacques Rebillard a souligné que les chambres dagriculture accompagnent depuis longtemps les exploitants en leur fournissant lassistance de techniciens expérimentés. Laction des chambres dagriculture a évolué au cours des ans, en fonction des nouvelles attentes de la société et des consommateurs, en faveur dune agriculture plus durable et mieux soucieuse de la préservation de son environnement. Elles ont par exemple fourni des expertises en matière de gestion des émissions dazote et de protection des nappes phréatiques.
Il a demandé si les chambres dagriculture étaient candidates à la mise en place des contrats territoriaux dexploitation, indiquant que les techniciens de celles-ci étaient pleinement en mesure dassumer cette responsabilité.
En réponse aux intervenants, M. Jean-François Hervieu a apporté les précisions suivantes :
les critiques de lAPCA vis-à-vis du projet de loi dorientation sont émises avec le même esprit constructif que celui qui avait présidé à lanalyse du projet de loi présenté par le précédent ministre de lagriculture, M. Philippe Vasseur ;
les contrats territoriaux dexploitation visent à rééquilibrer lagriculture par lintermédiaire des aides publiques. Cependant, si les objectifs sont clairement définis, les modalités de leur application restent à préciser. Des expérimentations sont prévues avant la généralisation du dispositif. Il faut en tout état de cause ne pas perdre de vue que les contrats territoriaux dexploitation ne peuvent régler seuls lensemble des problèmes de lagriculture. En outre, les modalités de leur financement ne relèvent pas de la loi dorientation. Les commissions départementales dorientation agricole peuvent jouer un rôle important, au niveau des départements, pour harmoniser les objectifs fixés dans les contrats territoriaux dexploitation ;
lAssemblée permanente des chambres dagriculture a souhaité, sagissant des schémas de structures, que les entreprises sous forme sociétaire soient contrôlées de la même façon que les entreprises individuelles. Sur ce point, la situation ne peut pas être comparée entre les départements. LAPCA propose délever les limites des unités de référence, actuellement fixées entre 0,8 et 1,5 pour les élargir de 0,8 à 2 ;
lAPCA propose que le délai de préavis de 3 ans fixé dans le projet de loi pour le départ en retraite soit réduit à 2 ans ;
il est souhaitable que le statut de lexploitant soit mentionné dans le registre des exploitations agricoles ;
les problèmes auxquels viennent dêtre récemment confrontés les producteurs de fruits et légumes proviennent, pour une part, de leur faible organisation. Ces productions sont peu aidées au plan européen ; les agriculteurs concernés devraient se doter dinstruments plus efficaces pour réguler la production et sorganiser pour un meilleur accès au marché. Une meilleure responsabilisation, un système adapté dassurance récolte, serait préférable à lexpression dactes de désespoir. Cest pourquoi les pouvoirs publics devraient réorienter leurs interventions et leurs aides dans le but de favoriser une meilleure organisation de la mise en marché.
Linterprofession devrait, en liaison avec la filière de transformation et la distribution, permettre également aux agriculteurs de mieux sorganiser pour faire face aux problèmes quils rencontrent ;
la position de lAPCA vis-à-vis des indications géographiques protégées (IGP) a peut-être été mal comprise, parce que mal exprimée. Lobjectif des chambres dagriculture est de ne pas banaliser un signe de qualité, source de plus-value pour le producteur. Cest pourquoi, afin que lindication géographique protégée ne puisse pas troubler la lisibilité de la référence pour le consommateur, elle ne peut pas être un signe de qualité en tant que tel mais doit être adossée à un label ou à une certification de conformité ;
sil est vrai que nul na remis en cause le caractère économique de lactivité agricole, la référence à cette donnée nen a pas moins sa place de manière explicite dans la loi dorientation. Le maintien dun territoire vivant ne se réalisera quen conservant des bassins de production également vivants. En conséquence, les hommes, les produits et les territoires sont intimement associés. Cette globalité ne se définit pas par opposition à dautres objectifs. Cest pourquoi lAPCA insiste pour quil soit fait référence, dans le projet de loi, à la notion dactivité économique ;
on ne peut pas responsabiliser les agriculteurs si lapproche entrepreneuriale est négligée. Celle-ci inclut notamment la connaissance des marchés, des techniques et de la gestion. Dans cette optique, lEtat doit mettre en place des structures pour favoriser cette orientation, mais ne doit pas se substituer à la responsabilité de lentrepreneur. Ainsi, le statut actuel du fermage ne répond plus à lexercice dune multifonctionnalité de lagriculture.
En conclusion, le président André Lajoinie a indiqué que le message de lAPCA avait été entendu par la commission, notamment sur la place de la production agricole. Dautres missions, aujourdhui assignées par la société aux agriculteurs, doivent aussi être compensées par une rémunération.
La commission a ensuite procédé à laudition de M. Marc Bué, président de la confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricole (CNMCCA) et de M. Joseph Ballé président de la confédération française de la coopération agricole (CFCA).
M. Marc Bué a estimé tout dabord que le projet de loi dorientation agricole adopté par le conseil des ministres le 10 juin dernier procède dobjectifs précis :
la reconnaissance du rôle et de la contribution de lagriculture dans lactivité économique et lemploi en milieu rural et dans loccupation équilibrée du territoire ;
la prise en compte des préoccupations environnementales et la promotion de formes dagriculture plus soucieuses de la préservation des ressources naturelles et des espaces naturels ;
la réappropriation du produit par le producteur au travers des politiques de qualité et de rattachement des produits aux terroirs ;
la volonté détablir plus déquité entre productions, entre régions et entre producteurs.
M. Marc Bué a indiqué que ces objectifs suscitaient laccord de son organisation. Mais il a regretté quils ne permettent pas de répondre à lensemble des problèmes susceptibles de se poser à notre agriculture dans les prochaines années. Le projet de loi, en se limitant à ces objectifs, apparaît en fait comme un peu réducteur.
Lagriculture française est devenue une puissance exportatrice en Europe et dans le monde pour ses matières premières comme pour ses produits transformés ; cette réussite a permis la création dune industrie agro-alimentaire compétitive et créatrice demplois, notamment en milieu rural. Or, a poursuivi M. Marc Bué, ces acquis ne sont pas définitifs et les prochaines négociations internationales seront rudes. Le démantèlement des barrières tarifaires et non tarifaires va en effet se poursuivre, facilitant laccès tant en France que sur nos marchés habituels de produits agricoles concurrents. Quant à la politique de qualité préconisée par le projet de loi et à laquelle la CNMCCA adhère, elle ne nous évitera pas davoir à affronter la compétition internationale.
Sauf à accepter son déclin ou à mettre en place une agriculture assistée ne trouvant sa rémunération que dans les concours publics combien de temps le corps social pourrait-il accepter cela ? il convient de sinterroger sur les mesures à mettre en uvre pour permettre à notre agriculture de rester compétitive. Or, cette notion de maintien de la compétitivité napparaît pas, a indiqué M. Marc Bué, dans les priorités définies à larticle premier du projet de loi. Ce mot napparaît en fait quà larticle 64 du texte sagissant du rôle de la recherche agronomique et vétérinaire. Linsuffisante prise en compte de la dimension économique de lagriculture apparaît tout à fait regrettable et il faudrait quil en soit explicitement question dans le dispositif même du contrat territorial dexploitation.
M. Marc Bué a jugé au moins prématuré que la loi prévoie dans un premier temps que ladaptation du système dexploitation aux exigences économiques, environnementales et sociales se fasse principalement dans le cadre des contrats territoriaux dexploitation. Ladverbe « notamment » finalement retenu lui paraît mieux adapté. Tout dabord, parce que le financement de ces derniers nest en effet pas encore clairement établi, le ministre de lagriculture et de la pêche ayant lui-même admis que sa montée en puissance serait progressive. En outre, parce que cela est plus cohérent avec laffirmation du caractère volontaire de ladhésion au contrat territorial dexploitation. Enfin, parce que nombre de productions ne bénéficient daucun système daides européennes et quelles développent leurs activités sur des marchés banalisés. Cette insuffisante prise en considération de lefficacité économique se retrouve également dans labsence de mesures fiscales, alors même que beaucoup reste à faire dans ce domaine, notamment en matière de transmission, y compris dans le cadre familial. Faciliter le maintien dans les exploitations des fonds familiaux permettrait assurément déviter à de nombreux jeunes qui sinstallent lobligation de payer des soultes. Etant donné limportance du capital que mobilise aujourdhui lexploitation, il sagit là dune question au moins aussi importante que celle de la transmission des PME du secteur industriel. M. Marc Bué a estimé ensuite que le projet de loi ne tenait pas suffisamment compte de la nécessité dorganiser économiquement la production. Il a indiqué que la CNMCCA et la CFCA avaient plusieurs propositions à présenter en matière dorganisation des producteurs, déquité entre coopérateurs et non coopérateurs, dinterprofession, de gestion des crises conjoncturelles et de politique des signes de qualité. Il a signalé quil laisserait à M. Joseph Ballé le soin de les détailler.
Le souci defficacité économique impose également de prévoir des outils nécessaires à lagriculture française de demain. M. Marc Bué sest félicité quun article du projet de loi prévoie la présentation au Parlement dun rapport relatif à lassurance récolte, mais il a estimé que le délai envisagé dune année à compter de la promulgation de la loi était trop long. Un délai de six mois constituerait à cet égard un maximum, dautant que ceci nest quun début et quil sera nécessaire de sinterroger dans lavenir sur la mise en uvre de formules généralement qualifiées dassurance revenu, comme il en existe déjà chez certains de nos concurrents. Sagissant du volet social du projet de loi, M. Marc Bué a approuvé la mise en place dun statut du conjoint collaborateur, mesure satisfaisante. Il a estimé toutefois que la définition de ce statut méritait encore de nombreuses réflexions.
M. Marc Bué a considéré ensuite que la loi ne réglait pas tout et que de nombreuses mesures devraient être prévues dans les décrets dapplication. Ainsi de la procédure de mise en oeuvre des contrats territoriaux dexploitation, pour laquelle il est toutefois prévu un groupe de travail associant la profession.
Sagissant du registre de lagriculture, il sest demandé quel sens les textes dapplication donneraient à la notion de « consistance de lexploitation agricole » et sil serait nécessaire de modifier sa déclaration à chaque vente de petites parcelles et à chaque opération déchange. Il paraît souhaitable, par ailleurs, que pour la mise en uvre de ce registre, ne soit pas refait ce qui existe déjà dans les caisses de mutualité sociale agricole et dans les directions départementales de lagriculture et de la forêt.
Enfin, M. Marc Bué a fait part de sa perplexité sur lextension des attributions des commissions départementales dorientation de lagriculture, étant donné que ces organismes ont déjà de multiples tâches à remplir.
M. Joseph Ballé a fait remarquer en préambule quà sa connaissance la présente audition était la première de la CFCA devant la commission de la production et des échanges. Il a indiqué, pour présenter la coopération agricole, quelle regroupait 3 800 entreprises coopératives et 13 000 coopératives dutilisation de matériel agricole, quelle représentait un chiffre daffaires annuel supérieur à 400 milliards de francs et quelle employait 120 000 salariés. Puis, il sest félicité de ce que le Parlement ait prochainement à débattre dun projet de loi dorientation agricole. Il a jugé quune loi dorientation était aujourdhui nécessaire pour promouvoir lidentité de lagriculture française et pour affirmer clairement son projet dans la construction européenne ; une identité et un projet associant étroitement lefficacité économique et la capacité concurrentielle de lagriculture avec sa contribution à lemploi, loccupation du territoire et le respect de lenvironnement.
Le projet de loi fait le choix dune orientation déterminante, le territoire, et sappuie sur une démarche contractuelle, novatrice, le contrat territorial dexploitation. Les coopératives agricoles, qui privilégient lengagement et la responsabilité des hommes et qui saffirment au coeur des marchés et au coeur des territoires, saluent cette initiative.
Mais, selon M. Joseph Ballé, lagriculture française comme lagriculture européenne est confrontée, comme lensemble de léconomie, au défi de la mondialisation, de lexportation, de la compétitivité quil sagisse de produits de masse ou de produits à forte valeur ajoutée. Il a estimé que la politique agricole ne pouvait se contenter de compenser les conséquences négatives que pouvaient avoir de telles évolutions sur le tissu agricole et rural ; elle doit au contraire impulser les nécessaires mutations et inciter les exploitations agricoles et les filières à sadapter aux contraintes des marchés et en même temps à répondre aux attentes nouvelles de la société.
Pour M. Joseph Ballé, le défi dune loi dorientation est dimaginer de nouveaux modes de régulation et dintervention des pouvoirs publics afin de croiser de façon pertinente et darticuler harmonieusement les logiques de marché et de filière avec les logiques territoriale et environnementale.
A cet égard, M. Joseph Ballé a estimé que certaines dispositions du projet de loi méritaient dêtre améliorées afin de lever des interrogations subsistant :
sur la capacité des contrats territoriaux dexploitation à prendre en compte la dimension économique du projet de lexploitant, à intégrer les nécessaires politiques de filières, à sinsérer dans une politique agricole et alimentaire globale et cohérente ;
sur la volonté dinciter les agriculteurs à sorganiser afin de relever ensemble le défi des marchés et de renforcer leur pouvoir économique face aux distributeurs et aux acteurs du marché qui se concentrent ;
sur la détermination à mettre en oeuvre un développement organisé de lensemble des produits de qualité (appellations dorigine contrôlées, labels, certifications de conformité, agriculture biologique) dans le double objectif de répondre à la demande du marché et de valoriser les productions agricoles.
Il a jugé que cétait à ces conditions que les territoires connaîtraient un développement économique durable, porteur de valeur ajoutée et demploi, porteur aussi davenir pour lagriculture française.
Commentant le dispositif relatif aux contrats territoriaux dexploitation, il a estimé quils constituaient une démarche intéressante et novatrice :
intéressante parce quelle sinscrit dans une perspective probablement inéluctable de découplage des aides et anticipe les négociations au sein de lOrganisation mondiale du commerce et ladhésion des pays dEurope centrale et orientale,
novatrice parce quelle sappuie sur une contractualisation responsabilisante de lagriculteur et est susceptible de conforter son rôle dans la société.
Le projet de loi pose le principe du contrat territorial dexploitation et de son financement. La définition des orientations nationales et régionales, celle des contrats-types, la nature des instances qui en seront chargées ainsi que leur articulation sont renvoyées à un décret qui sera donc fondamental. Par conséquent, de nombreuses incertitudes subsistent (contenu des contrats territoriaux dexploitation, moyens financiers, procédure) qui ne permettent pas encore dapprécier réellement la portée et limpact de ce nouvel instrument, ni sa capacité à initier un développement économique durable du territoire.
La CFCA souhaite donc que le projet de loi soit amendé afin dassocier plus étroitement lobjectif socio-économique et lobjectif environnemental et territorial sur lesquels reposera le contrat territorial dexploitation.
M. Joseph Ballé sest ensuite félicité que le projet de loi propose daméliorer lorganisation économique grâce à des mesures qui consolident les entreprises coopératives agricoles, renforcent le rôle des interprofessions et favorisent les accords en cas de crise (titre III du projet de loi). Il a cependant constaté que ce titre III comportait une lacune majeure puisquil restait muet sur lorganisation économique des producteurs eux-mêmes. Corollaire du choix en faveur de lentreprise agricole à responsabilité personnelle et à taille humaine, lorganisation des producteurs apparaît indispensable pour assurer le pouvoir économique des agriculteurs et leur place dans la chaîne alimentaire.
Il a cité un extrait de lavis du Conseil économique et social sur lavant-projet de loi dorientation agricole affirmant quil était souhaitable que la loi dorientation agricole « redéfinisse précisément au regard des enjeux actuels, les missions des organisations de producteurs en les adaptant aux objectifs qualitatifs et territoriaux quelle met en place et quelle prévoit une priorité dans lattribution des soutiens publics aux producteurs faisant le choix dintégrer une organisation ayant une réelle fonction commerciale et une taille critique sur les marchés. »
La prise en compte de ces préoccupations par le projet de loi est indispensable.
Puis il a fait valoir que les dispositions relatives à la coopération agricole (articles 30 à 32) sinscrivaient pleinement dans les objectifs que poursuit la CFCA.
En particulier, la rénovation des missions du conseil supérieur de la coopération agricole est souhaitée afin dinciter, soutenir et reconnaître laction des entreprises coopératives agricoles dans lélaboration de leur projet stratégique.
Il sest ensuite félicité de louverture du statut de sociétaire des entreprises coopératives aux agriculteurs des autres pays de lUnion européenne. Cette mesure doit cependant être neutre sur le plan fiscal. La CFCA attend un engagement clair et sans équivoque des pouvoirs publics sur ce point.
Enfin, la consolidation des comptes est de nature à accroître la transparence des groupes coopératifs et la qualité de linformation transmise aux sociétaires. Selon M. Joseph Ballé, ce dispositif devrait être complété par une incitation au renforcement des capacités dinvestissement des agriculteurs dans les outils de transformation de la production agricole. Ceci leur permettrait de garantir une certaine stabilité des débouchés de leurs produits et de simpliquer davantage dans les outils de transformation et de commercialisation. De plus, lexistence doutils industriels et commerciaux durablement implantés dans les territoires pérennise les bassins de production et lactivité économique. Cest pourquoi des mesures incitant les agriculteurs à mobiliser collectivement des capitaux dans les outils quils contrôlent devraient être insérées dans le projet de loi. Le ministère des finances a toujours cependant été réticent.
Le projet de loi propose, par ailleurs, de nouvelles dispositions positives concernant les interprofessions. Elles répondent aux attentes de la CFCA mais peuvent encore être améliorées :
louverture des interprofessions à la distribution est de nature à renforcer le nécessaire dialogue au sein des filières. Mais cette ouverture ne peut que correspondre aux vux des interprofessions existantes et ne doit en aucun cas être imposé ;
la création dinterprofessions spécifiques à un produit sous signe officiel de qualité, agréées par linterprofession générale du secteur, est une mesure positive qui doit permettre daccroître la responsabilité et la légitimité des agriculteurs en renforçant leur rôle dans la gestion et le développement de leur patrimoine collectif sous signes de qualité, de développer le marché en ajustant loffre des produits sous signes de qualité à la demande finale et de restaurer une plus grande équité dans la répartition de la valeur ajoutée au sein de la filière agro-alimentaire.
la réintégration dans le projet de loi des dispositions du décret n° 96-499 du 7 juin 1996 pris en application de larticle 10 de lordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relatif aux accords entre producteurs bénéficiant de signes de qualité dans le domaine agricole, est à cet égard un progrès significatif pour offrir une base juridique plus sécurisante aux restrictions de concurrence quune interprofession « qualité » peut être amenée à mettre en oeuvre pour ajuster son offre et préserver le positionnement de son produit. Mais le texte du projet de loi ne reprend que partiellement les mesures du décret. Il conviendrait donc dy ajouter la possibilité de restreindre temporairement laccès à de nouveaux opérateurs ainsi que de fixer des prix de cession ou de reprise des matières premières.
M. Joseph Ballé a ensuite estimé que les accords de crise introduits par larticle 37 du projet de loi constituaient une avancée réelle pour offrir une base législative sécurisante aux « bonnes ententes » que peuvent être amenés à conclure les opérateurs dune filière en vertu de larticle 10 de lordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Néanmoins, pour contribuer efficacement à résoudre des situations de crise conjoncturelle il a proposé trois améliorations :
la référence à la moyenne des prix des deux dernières campagnes, au lieu des trois dernières, paraît suffisante pour caractériser la crise ;
les restrictions de concurrence autorisées doivent inclure la fixation de prix ;
ces accords doivent pouvoir être homologués par les pouvoirs publics afin de leur conférer une portée plus grande. Ils doivent pouvoir également, le cas échéant, être conclus dans le cadre interprofessionnel et bénéficier dune extension.
Concernant les dispositions sur la qualité et lidentification, la CFCA avait formulé des propositions qui avaient pour objectif dinscrire la politique de qualité dans un cadre organisé, maîtrisé et obéissant à une cohérence globale, condition nécessaire au développement des productions agricoles sous signes de qualité, à leur bonne valorisation et à leur lien durable au territoire. Les dispositions du titre IV du projet de loi ne répondent que partiellement à cet objectif. En particulier, la création dun cinquième signe officiel de qualité, lindication géographique protégée, désormais accessible sans avoir obtenu préalablement un label ou une certification de conformité, suscite des réserves de la CFCA, ainsi dailleurs que de lensemble de la profession agricole. Cette démarche fait courir des risques importants daccroître la complexité dun système dans lequel les consommateurs ont déjà beaucoup de mal à se retrouver.
A lheure actuelle, il ny a pas de différence très nette pour le consommateur entre un produit sous signe officiel de qualité et un produit bénéficiant dune indication de provenance. De simples mentions géographiques peuvent conduire lacheteur à attribuer au produit concerné des qualités organoleptiques quil na pas forcément.
La loi de 1994 a créé le lien entre indication géographique protégée et signes de qualité en faisant de la première une protection communautaire des secondes. M. Joseph Ballé a estimé quil ne fallait pas privilégier exclusivement la dimension territoriale au détriment de la qualité qui reste une demande prioritaire des consommateurs et de ne pas remettre en cause les efforts réalisés par les producteurs et les filières.
Il a donc proposé de ne valoriser les mentions géographiques que lorsquelles sont articulées avec les démarches de qualité, quil sagisse des labels ou des certificats de conformité et de bien différencier lappellation dorigine protégée de lindication géographique protégée, celle-ci devant seulement garantir le lien entre les bassins de production et les produits, ce qui passe par des procédures spécifiques et un lien institutionnel entre le comité créé au sein de lINAO et la commission nationale des labels et des certifications.
M. François Patriat, rapporteur, sest félicité dobserver que cette audition concernait aussi bien le Président de la CNMCCA que celui de la CFCA. Il sest déclaré cependant très surpris par les propos de M. Marc Bué, quil a considérés inutilement critiques à légard du projet de loi. Il a fait remarquer que les fonctions économiques de lagriculture étaient, contrairement aux propos de M. Marc Bué, mentionnés dès larticle 1er du projet de loi, qui traite de lencouragement à linstallation et de lamélioration des conditions de production. Il a fait valoir quil avait exercé pendant 25 ans des fonctions de responsable professionnel agricole, ce qui le conduisait à estimer que, comme le fait ressortir le projet de loi dorientation, les agriculteurs sont avant tout des gestionnaires de lespace rural, qui jouent un rôle majeur pour entretenir le paysage.
Il convient, a-t-il poursuivi, de prendre en compte la « multifonctionnalité » de lagriculture, dencourager linstallation des jeunes et déviter denfermer lagriculture dans un statut de lexploitant.
Il faut bien comprendre, par ailleurs, que le projet de loi vise à redistribuer profondément les aides dans un sens de justice et non pas à en diminuer le volume ; le découplage des aides et de la production prévu na pour but que daider les agriculteurs. Il faut mettre un terme au système actuel, dans lequel 20 % des agriculteurs bénéficient de 80 % des aides.
M. François Patriat a manifesté son accord avec M. Joseph Ballé sur plusieurs points : la constitution de groupements de producteurs efficaces, la nécessité dencadrer les indications de provenance, de renforcer les signes de qualité et les interprofessions.
M. Marc Bué a indiqué quil ne défendait aucunement les agri-managers, étant lui-même le représentant dun département, le Pas-de-Calais, où la taille moyenne des exploitations est de 45 ha et où la production laitière dégage le chiffre daffaires le plus important. Il a fait remarquer également, quil navait pas voulu parler dabsence de référence du projet de loi à léconomie, mais à la compétitivité.
M. Christian Jacob, notant que le Crédit agricole finançait près de 80 % des installations en agriculture a demandé à M. Marc Bué si la politique des structures, le coût des transmissions et même lélargissement du champ de compétences des commissions départementales de lagriculture ne jouaient pas simultanément comme un frein à linstallation. Il a demandé également si, dans lhypothèse de situations de crise dans le secteur des productions spécialisées, la technique des coefficients multiplicateurs ne pourrait être utilisée.
M. Joseph Parrenin a abordé les problèmes de linstallation, jugeant que le principal frein qui y est opposé réside aujourdhui dans les agrandissements dexploitations non maîtrisés, ce qui rend nécessaire un véritable contrôle des structures.
M. Léonce Deprez a soutenu M. Marc Bué et attesté quil était un défenseur des petits exploitants. Il a jugé que le caractère prioritaire de la fonction économique des agriculteurs était insuffisamment pris en compte par le projet de loi. La croissance des besoins alimentaires mondiaux devrait inciter à reconsidérer le projet de loi sur ce point. Il a en effet fait valoir que le monde aura besoin dexploitations agricoles performantes pour approvisionner en quantités suffisantes les populations. Cette question est primordiale et le projet de loi traduit sans doute une vue trop courte de la situation.
Il a ensuite demandé comment les pouvoirs publics et les parlementaires en particulier pouvaient aider les exploitations agricoles à sorganiser pour relever le défi de la mondialisation. Il conviendrait à ce sujet de distinguer les mesures relevant de la loi et celles relevant dun accord entre les partenaires économiques. Il a enfin conclu quil était indispensable de rechercher une cohérence entre les dispositions du projet de loi dorientation agricole et le projet dAgenda 2000 et les règles de lorganisation mondiale du commerce.
M. Jean Auclair a félicité M. Marc Bué pour avoir su lire entre les lignes dun projet de loi qui entraîne la France vers une agriculture environnementale. Il sest demandé si les contrats territoriaux dexploitation nallaient pas casser lacte de production des agriculteurs français, alors quil conviendrait de les inciter à développer leur productivité. En outre, il a souligné limportance des décrets dapplication dont le contenu est ignoré des parlementaires.
Le président André Lajoinie a rappelé que M. Louis Le Pensec sétait engagé devant la commission à remettre aux députés les projets de décrets au moment de la discussion du projet de loi en séance publique, et pour ceux qui ne seraient pas prêts à cette date, den exposer les grandes lignes.
M. Jacques Rebillard a estimé indispensable la tenue dun débat avec les organisations agricoles pour définir la notion de compétitivité en matière agricole. Il a fait observer que les trois principales productions exportatrices françaises, à savoir les céréales, le lait et la viande, ne pouvaient être considérées à proprement parler comme compétitives car elles étaient le résultat dune agriculture assistée. Il sest interrogé sur la pertinence dune agriculture compétititive dégradant lenvironnement et créant des stocks croissants, pour souligner le caractère relatif de la notion de compétitivité. Il a en revanche estimé que le vin, la volaille et les oeufs représentaient une agriculture compétitive puisque leurs productions et leurs exportations nétaient pas aidées et quils étaient achetés par des pays solvables.
Selon M. Jacques Rebillard, aujourdhui, on ne peut pas faire à la fois de la quantité et de la qualité à partir dun certain niveau de production. La loi dorientation agricole doit aider à trouver le point déquilibre entre quantité et qualité. En tout état de cause, si on souhaite produire de la qualité, il faut sen donner les moyens, à savoir réduire la production et investir, notamment pour conquérir les marchés solvables.
M. Félix Leyzour a relevé que M. Marc Bué sétait félicité du dépôt dun projet de loi dorientation agricole, même sil en avait critiqué beaucoup de dispositions, et quil avait admis que lagriculture française était confrontée au défi de la mondialisation et devait répondre aux attentes de la société.
Il a ensuite souhaité savoir quelle serait larticulation entre la loi dorientation, la réforme de la politique agricole commune et les nouvelles règles de lOrganisation mondiale du commerce (OMC). Il a également demandé comment un revenu suffisant pouvait être garanti aux agriculteurs et dans quelle mesure une meilleure répartition de la valeur ajoutée de la filière agro-alimentaire pouvait être effectuée entre les producteurs et les distributeurs. Enfin, il a souhaité avoir des précisions sur les propositions en matière de meilleure répartition des aides publiques.
En réponse aux différents intervenants, M. Joseph Ballé a indiqué que :
la CFCA souhaite que les dispositions du projet de loi sur les situations de crise soient enrichies. En cas de crise, il devrait être permis dinterdire larrivée de nouveaux opérateurs sur le marché. De préférence à limposition dun coefficient multiplicateur minimal des prix en cas de situation de crise il serait plus acceptable de la part des autorités chargées de la concurrence de permettre lencadrement des prix de cession ou de reprise des matières premières ; mais en ce cas un amendement législatif est indispensable ;
il appartient aux producteurs de sorganiser. Avant quelle soit modifiée en 1996, lordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence les a empêchés de sorganiser alors quelle a permis aux petites ou moyennes entreprises de la distribution de sorganiser. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a ainsi engagé une procédure pour infraction à linterdiction des ententes contre les mesures dorganisation des « poulets label rouge » tandis que des PME de la distribution nont pas été poursuivies pour lorganisation de leurs magasins ;
les offices existants sont en mesure de mettre en place une politique cohérente par produit pour faire face aux besoins alimentaires mondiaux croissants ;
il est indispensable de concilier les logiques de marché et de filière et les logiques territoriale et environnementale. Le contrat territorial dexploitation ne saurait donc être exclusivement économique ou exclusivement territorial ; il devra tenir compte, à la fois du marché, de lenvironnement, du territoire et des objectifs demplois ;
afin de parvenir à transférer aux producteurs une part accrue de la valeur ajoutée dégagée par la filière agro-alimentaire, il conviendrait que les producteurs sorganisent économiquement. Le poids de la grande distribution et des multinationales en matière agricole et alimentaire est considérable. Leffort de concentration et dorganisation na pas été réalisé par les agriculteurs, qui sont de ce fait placés dans une position de faiblesse croissante ;
il y a dix ans le secteur du vin était encore en crise. Il a su sadapter en réduisant les quantités produites et en adaptant la qualité de ses produits aux demandes du marché. Les autres secteurs nont peut-être pas effectué les mêmes efforts ; or, seule une telle organisation permettra aux agriculteurs de répondre aux besoins du marché et de pérenniser leur activité dans le territoire. Des efforts peuvent notamment être accomplis en matière de productions sous signes de qualité, car celles-ci représentent déjà, en valeur, 13 % de la production agricole française, soit 100 milliards de francs ; cette proportion peut être portée à 15 %, et pourquoi pas, à terme, à 20 %.
M. Marc Bué, en réponse aux questions, a apporté les précisions suivantes :
linstallation des jeunes en agriculture est aujourdhui entravée par la multiplication des contraintes, en sorte que 30 % des installations seffectuent à lheure actuelle sans le recours aux aides prévues ; il est, à cet égard, essentiel de ne pas aggraver la situation en imposant de nouvelles contraintes à linstallation ;
linstallation des jeunes suppose des exploitations viables ainsi que le révèle lexemple du Pas-de-Calais où seffectuent 200 installations par an ; les problèmes souvent rencontrés proviennent du fait que les exploitations libérées manquent de droits à produire (quotas laitiers, betteraviers) ;
Le président André Lajoinie est intervenu pour dire que les banques étaient attentives à la nature des prêts quelles accordent, cette obligation étant dailleurs prévue dans les dispositions législatives sur le surendettement.
M. Marc Bué a ensuite précisé que :
Sagissant de la lutte contre la faim dans le monde, il est essentiel que la France soit présente sur les marchés à lexportation ; elle dispose pour cela dindustries agro-alimentaires puissantes, qui posent cependant problème par les pressions quelles exercent sur les revenus des agriculteurs ;
deux questions se posent en ce qui concerne les contrats territoriaux dexploitation, celle de leur contenu et celle de leur financement, la possibilité de financer les contrats territoriaux dexploitation par une modulation des aides communautaires restant incertaine ;
les négociations internationales se télescopent, en sorte que la réforme de la politique agricole commune qui devrait préciser ce point prendra place avant les négociations de lOrganisation mondiale du commerce ;
le mouvement dintensification de lagriculture a eu certains avantages, notamment la réduction considérable des coûts de la production qui a bénéficié en définitive aux consommateurs.
Le président André Lajoinie a fait remarquer que ce mouvement de baisse des coûts de production navait pas un caractère durable.
M. Léonce Deprez a demandé à qui profitait la diminution des coûts de production.
M. Marc Bué a indiqué que ce mouvement de diminution avait profité beaucoup aux consommateurs, mais aussi à dautres acteurs économiques.
M. François Patriat, rapporteur, a observé que si la grande distribution pratiquait un système de double étiquetage pour ses produits, (prix dachat, prix de vente, ristournes) bien des problèmes seraient résolus. Il a estimé quun mouvement dorganisation des producteurs soutenu par les pouvoirs publics serait salutaire.
M. Marc Bué a fait remarquer que tous les pays aident actuellement leur agriculture et quil est inexact destimer que certains produits particulièrement performants ne bénéficient pas daide publique ; le secteur viticole a bénéficié ainsi des plans darrachage ; le secteur des volailles a tiré parti de la baisse du prix des céréales.
La commission a enfin entendu M. François Dufour, porte parole de la Confédération paysanne, accompagné par MM. Paul Bonhommeau et Pierre-André Deplaude.
M. François Dufour a tout dabord indiqué que la confédération paysanne souhaitait une réorientation profonde de la politique agricole française et européenne. Il est, en effet, nécessaire de porter un coup darrêt à la politique menée depuis la fin des années cinquante qui sest traduite par la disparition de nombreux emplois, la concentration des productions dans certaines régions tandis que dautres sont en voie de désertification et le développement dun productivisme mettant en péril la préservation des milieux naturels en maints endroits de notre territoire.
Pour mieux répondre aux besoins de la société, il faut que la politique agricole soriente vers :
la création demplois et la réduction des inégalités entre agriculteurs selon les régions et les productions ;
le maintien dun tissu rural vivant dans un souci déquilibre du territoire et de protection des ressources naturelles ;
la fourniture de produits de qualité, diversifiés et identifiés selon leur origine.
Le projet de loi dorientation agricole affirme nettement les trois fonctions économique, sociale et environnementale de lagriculture mais il noffre pas les outils nécessaires pour les exercer. En outre, la Confédération paysanne considère que ce projet de loi doit éviter le développement dune agriculture duale et quil naurait pas dintérêt si, par ailleurs, les propositions de réforme de la PAC contenues dans le « paquet Santer » étaient adoptées en létat. Elle souhaite également que le projet de loi soit complété dans les domaines suivants : la politique dinstallation, lencadrement des pratiques sociétaires, le plein exercice de la représentativité syndicale, le développement de lemploi salarié, la moralisation des relations contractuelles et la gestion de lespace rural, agricole et forestier.
M. Paul Bonhommeau a ensuite présenté les principales modifications au projet de loi que proposait la Confédération paysanne.
Sagissant des objectifs de la politique agricole, quil a déclaré partager, il a souligné quil faudrait y ajouter celui dune protection sociale renforcée pour que les agriculteurs bénéficient de légalité de traitement avec les autres secteurs dactivités.
Puis il a regretté que la définition des activités agricoles naffirme pas clairement le lien entre celles-ci et le territoire avec celui du lien au marché et que le projet de loi ne propose pas de définition de lactif agricole non salarié, pourtant indispensable pour lutter contre certaines pratiques de prête-nom ou daccaparement des aides et moyens de production. Il a également souhaité que le registre de lagriculture soit géré par les services de lÉtat et placé sous la responsabilité des commissions départementales dorientation de lagriculture (CDOA), alors que le projet de loi en confie la tenue aux chambres dagriculture.
Abordant ensuite le contrôle des structures, il a indiqué que le projet de loi prévoyait de le renforcer et de le simplifier, tout en soulignant que le passage de la surface minimale dinstallation à lunité de référence, comme unité de mesure, ne devait pas saccompagner dun relèvement significatif des seuils. Il a donc suggéré que lon soriente soit vers une modification des critères retenus pour calculer lunité de référence, soit vers ladoption de coefficients plus faibles pour le déclenchement de la procédure dautorisation préalable. Il a également souhaité que la transparence de la procédure soit améliorée par une information préalable diffusée dans le département par les services de lÉtat, selon des modalités semblables à celles des rétrocessions des SAFER. Il a enfin estimé que les candidats à la reprise de tout ou partie dexploitations devaient être soumis au contrôle des structures dans le cadre de la législation relative aux procédures collectives.
Concernant le contrat territorial dexploitation (CTE), il a observé que le projet de loi ne contenait que des orientations, dont la mise en uvre relèvera pour une large part de mesures réglementaires ; cest donc au niveau de lapplication que lon pourra juger de la pertinence de ce nouvel instrument. Il a cependant considéré que le projet de loi devait affirmer clairement lobjectif prioritaire de lemploi et que le CTE devait être ouvert à tous les agriculteurs.
Enfin, il a souhaité que le projet de loi définisse le « produit fermier » par référence à son origine et à lidentification de son producteur.
Puis M. Paul Bonhommeau a mis laccent sur les lacunes du projet de loi en ce qui concerne la politique dinstallation, estimant que cette question fondamentale nétait abordée que sous langle du contrôle des structures. Il a proposé que le dispositif actuel soit adapté pour :
relever la limite dâge pour laccès aux aides,
abaisser le seuil daccès aux aides afin de tenir compte de la pluriactivité et des processus dinstallations progressives,
permettre la cession dun bail en faveur dune première installation sans lien de parenté avec le cédant,
supprimer les dispositions à vocation restructurante, notamment celles relatives à lobligation de « modification de consistance » de lexploitation lorsque linstallation ne seffectue pas dans le cadre dune succession.
Il a également estimé que le projet de loi ne permettait pas dencadrer suffisamment les pratiques sociétaires et suggéré deux ajouts :
linterdiction dexercer la même activité agricole sous plusieurs formes juridiques dexploitation,
lextension du régime dautorisation préalable à la réalisation de certaines opérations de regroupements dactivités, destinées à contourner la réglementation sur les droits à produire (production laitière en particulier).
Il a enfin souhaité que le projet de loi soit complété par un article posant le principe de la participation des organisations syndicales reconnues comme représentatives dans tous les organismes exerçant une mission de service public ou gérant des fonds publics, ainsi que dans les organisations interprofessionnelles.
M. François Patriat, rapporteur, a noté que les représentants de la Confédération paysanne partageaient lobjectif du projet de loi relatif à la multifonctionnalité de lagriculture, qui vise à préserver, employer et produire. Il nen demeure pas moins que les revendications présentées par les intervenants posent des questions de fond, qui traitent par exemple de labsence dun volet fiscal dans le projet de loi, du renforcement du schéma des structures ou des droits syndicaux.
Sagissant du problème spécifique relatif à la restructuration des exploitations laitières, son particularisme constitue un obstacle à sa prise en compte dans la loi dorientation.
M. Jean-Claude Lemoine a estimé que la configuration géographique de la France permettait de concilier productivisme agricole, objectifs de qualité et respect de la nature.
Évoquant les revendications de la Confédération paysanne relatives aux droits syndicaux, il a demandé à ses représentants sils considéraient que ces requêtes pouvaient également être étendues aux syndicats ouvriers.
Il a demandé aux représentants de lorganisation si leurs demandes relatives à lamélioration de la protection sociale des agriculteurs les conduisaient à envisager la disparition de la mutualité sociale agricole.
Il sest enfin interrogé sur lefficacité réelle des propositions de la Confédération visant à contrôler les structures des exploitations.
M. Jean Auclair a relevé limportance des projets de la Confédération paysanne tendant à renforcer les compétences du CDOA et sest interrogé sur la compatibilité de cette revendication avec les principes du droit de propriété.
M. Léonce Deprez a estimé que la création des contrats territoriaux dexploitation constituait un élément de réponse aux préoccupations de la Confédération paysanne. Il a cependant déclaré partager les interrogations de lorganisation relatives à leur contenu.
Il a enfin demandé quelle était la représentativité de lorganisation syndicale dans le monde agricole, notamment par rapport au nombre total dexploitants.
En réponse aux intervenants, les représentants de la Confédération paysanne ont apporté les précisions suivantes :
les propositions relatives au contrôle des rapprochements entre entreprises laitières visent à mettre fin à des regroupements dissimulés dexploitation, qui maintiennent fictivement les structures existantes pour échapper aux procédures de contrôle des structures et contourner les règles des droits à produire liés au foncier ;
sagissant de la compatibilité entre productivisme, prise en compte des attentes de la société et préservation de lenvironnement, les problèmes des produits de base (viande, lait, céréales...) sont fondamentalement différents de ceux des productions à forte valeur ajoutée, comme les vins de qualité.
Pour les produits de base, la dérive constatée dans la filière bovine, avec la crise de lencéphalite spongiforme bovine, ou la chute des prix du porc, démontrent la nocivité des conséquences dune recherche de prix toujours plus bas, qui ne correspondent quà des tarifs normalement applicables à des excédents, niant les réalités économiques et sociales et négligeant le respect des territoires. Cette politique conduit à recourir aux organismes génétiquement modifiés pour la culture ou aux hormones pour lélevage.
De surcroît, elle est fondée sur des prévisions à moyen terme de lOCDE qui se sont révélées erronées, surévaluant considérablement la demande mondiale dexportation de céréales, puisquelles navaient pas prévu notamment que lInde ou la Chine pourraient parvenir à lautosuffisance.
Une telle poursuite productiviste conduit à reporter sur la collectivité, et donc sur les contribuables, des coûts normalement intégrés dans la formation des prix, incluant la multifonctionnalité de lagriculture. La solution de ce problème passe par le respect de la préférence communautaire et, au plan extracommunautaire, par la réorganisation des marchés dans le cadre de lOrganisation mondiale du commerce.
En outre, la poursuite dune politique de baisse des coûts a conduit à une régression annuelle de 4,5 % de la population agricole depuis 25 ans, aux conséquences financières et sociales très graves.
Sagissant des productions agricoles à forte valeur ajoutée, les questions sont fondamentalement différentes, puisque leur exportation génère pour la France un excédent annuel de 41 milliards de francs pour notre balance commerciale, fruit dune valorisation des terroirs, des savoir-faire et dun encadrement de la production ;
il convient par ailleurs de redéfinir les conditions du financement de la formation et du fonctionnement des organisations syndicales, dans un esprit de respect du pluralisme et de transparence, en tenant compte de la réalité actuelle du monde syndical agricole.
la constitution dexploitations agricoles sous forme sociétaire doit être encouragée, afin notamment de favoriser la distinction entre le patrimoine de lentreprise et celui de lexploitant. Cette forme facilite en outre les transferts dexploitation dans leur intégralité, facilitant ainsi linstallation.
En revanche, il est nécessaire de lutter contre les dérives et les détournements, qui visent à éviter les contrôles de structures, lapplication des règles de quotas de production ou permettent de violer les dispositions en matière de plafonnement des aides ou détablissements classés.
Si la Confédération a renoncé à diverses options de contrôle trop rigides, elle considère cependant quil conviendrait dinterdire à une même personne physique dexercer la même activité sous plusieurs formes juridiques. En même temps, il serait possible de mettre en place un système dautorisation administrative lors de la constitution dune société dans le but de veiller à la sincérité des objectifs poursuivis ;
la position de la Confédération vis-à-vis du contrôle des structures est fondée sur la spécificité de lactivité agricole, qui sexerce sur un sol, dont loffre nest pas extensible, à la différence des structures de production des secteurs industriels ou des services.
Cette particularité oblige, dans le respect du droit de propriété, lexploitant à utiliser la terre dans le respect du bien commun. Lexigence de contrôle est ainsi fondamentalement différente dune idée de collectivisation. Il sagit dassocier les différents partenaires pour garantir une transparence dans lapplication de la politique des structures des exploitations ;
la prise en compte des objectifs globaux de protection sociale des agriculteurs (assurance maladie, accident, retraite et invalidité) peut être réalisée en préservant la structure de la MSA.
fpfp
Information relative à la Commission
La commission a désigné M. François Patriat rapporteur pour le projet de loi dorientation agricole (n° 977).
© Assemblée nationale
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