ASSEMBLÉE NATIONALE
COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES
COMPTE RENDU N° 54
(Application de l'article 46 du Règlement)
Mercredi 1er juillet 1998
(Séance de 10 heures 30)
Présidence de M. André Lajoinie, Président
SOMMAIRE
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Examen de la proposition de résolution de M. André LAJOINIE (n° 775) tendant à la création dune commission denquête sur certaines pratiques des groupes industriels, de services et financiers, relatives à lemploi et à laménagement du territoire
(M. Philippe DURON, rapporteur)
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Information relative à la commission
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La commission a examiné sur le rapport de M. Philippe Duron, la proposition de résolution de M. André Lajoinie (n° 775) tendant à la création dune commission denquête sur certaines pratiques des groupes industriels, de services et financiers, relatives à lemploi et à laménagement du territoire.
M. Philippe Duron, rapporteur, a indiqué que la proposition de résolution de M. André Lajoinie et des membres du groupe communiste et apparentés visait à étudier les comportements de certaines grandes entreprises qui, quoique bénéficiant daides publiques importantes, compromettent léquilibre économique de la société. On peut citer ainsi les stratégies de délocalisations, lexternalisation croissante dactivités confiées à la sous-traitance, les pratiques de transferts financiers entre holdings et filiales ou encore les retards apportés à la modernisation des appareils de production ou à la reconversion de sites.
Examinant la proposition sous langle de sa recevabilité formelle, il a rappelé quen application de larticle 6 de lordonnance du 17 novembre 1958, larticle 141 du Règlement dispose que le dépôt de toute proposition de résolution tendant à la création dune commission denquête doit faire lobjet dune notification au garde des sceaux, ministre de la justice, afin que celui-ci indique si des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant justifié le dépôt de cette proposition. Il a précisé que, par lettre du 28 mai dernier, la ministre de la justice avait informé le Président de lAssemblée nationale quil ne lui était « pas possible de [lui] faire connaître si des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé cette proposition en raison de la formulation générale de cette dernière ».
Il a donc considéré que la condition relative à labsence de poursuites judiciaires était donc en principe remplie. La commission denquête naura évidemment pas à interférer avec déventuelles poursuites pénales concernant des entreprises, son champ dinvestigation étant beaucoup plus vaste. Cest donc uniquement au regard de lopportunité de la création dune telle commission denquête que la demande de M. André Lajoinie et des membres du groupe communiste et apparentés doit être examinée.
M. Philippe Duron a souligné que la mondialisation de léconomie avait entraîné en France des restructurations économiques et des mutations sociales très importantes, les grandes entreprises françaises ayant eu pour première préoccupation de sadapter le plus rapidement possible à cette nouvelle donne internationale. Jusquau début des années 80, les grandes entreprises françaises étaient caractérisées par un retard certain en termes dinternationalisation, par rapport à leurs concurrentes des autres grands pays industrialisés, en particulier avec un niveau dinvestissements à létranger relativement faible. Cette situation a été profondément bouleversée au cours de la seconde moitié de la décennie précédente, période durant laquelle la croissance des investissements directs à létranger a été particulièrement vive : alors quau début des années 80 linvestissement direct français à létranger était stable, se situant autour dun flux annuel moyen de 18,5 milliards de francs, il a représenté près de 8 fois ce montant en 1990.
Il a indiqué quaprès un certain tassement au début de la décennie, la croissance de linvestissement français à létranger a repris fortement, atteignant 155,6 milliards de francs en 1996 et 181,1 milliards (chiffres provisoires) lannée dernière.
Il a relevé que la concentration géographique des investissements français à létranger était très marquée en faveur des pays développés, puisque, sur la période 1992-1996, ceux-ci accueillaient 85 % des flux dinvestissements directs français, majoritairement au sein des pays de lUnion européenne. Parallèlement, les investissements à destination des pays en développement sont restés relativement stables et ont donc fortement baissé en valeur relative au cours de la même période. La croissance des investissements des grands groupes français à létranger ne traduit donc pas, globalement, un mouvement massif de délocalisations au profit de pays à faible coût de main-duvre, mais des stratégies de développement et de conquête de marchés. En sens inverse, le flux des investissements étrangers en France a progressé à un rythme relativement comparable. Ces investissements qui sétablissaient à 85 milliards de francs en 1990, ont atteint 112,3 milliards en 1996 et sont estimés à 122,6 milliards pour 1997. En termes de stocks, les investissements français à létranger ont plus que doublé en huit ans entre 1989 et 1996. Parallèlement, les stocks des investissements étrangers en France représentaient 352,1 milliards en 1989 et 821,7 milliards de francs en 1996.
Il a ainsi constaté que les groupes dorigine française ont certes fortement développé leur production à létranger, puisque celle-ci atteint le tiers de la production manufacturière en France, mais quen retour les groupes étrangers apportent également une contribution importante à lactivité industrielle en France, puisque leurs filiales réalisent 32 % du chiffre daffaires des entreprises industrielles manufacturières. Il sagit donc dune intégration de la France dans la stratégie de mondialisation des grands groupes industriels multinationaux et non pas seulement dune délocalisation des unités de production.
Il a toutefois fait ressortir que linternationalisation croissante des grands groupes peut conduire ceux-ci à mettre en concurrence les territoires pour la localisation de leurs unités de production. Dans ce cadre, les fermetures de sites industriels, en France comme à létranger, sinscrivent le plus souvent dans une logique doptimisation des conditions de production, imposée par des conditions de concurrence plus vive, ou par une évolution défavorable du marché. Cette logique a naturellement des conséquences sur le plan territorial, puisquelle passe par des concentrations dimplantations industrielles et par des restructurations visant à réduire les capacités de production. Dans ce contexte, la France a été confrontée à des décisions de fermetures de sites prises par des groupes français comme étrangers. Il sagissait, dans certains cas, pour ces groupes de diminuer leurs coûts de production en tirant avantage de conditions denvironnement plus favorables qui leur étaient offertes par dautres pays. Cela a notamment été le cas pour limplantation en Écosse de laméricain Hoover, qui a décidé, voilà cinq ans, de fermer son usine de Longvie en Bourgogne, supprimant ainsi 680 emplois. Ce fut aussi le cas pour le japonais JVC qui a décidé, fin 1995, de fermer son établissement de Villers la Montagne, en Lorraine, entraînant la disparition de 243 emplois.
Il a toutefois précisé que, dans la majeure partie des cas cependant, il sagissait en fait de conséquences de mesures de restructurations qui, certes touchent notre pays, mais qui ne résultent pas directement dune concurrence entre Etats. Les cas de fermetures de sites en France, suivis dune relocalisation de lactivité dans un autre pays sont relativement rares, la concurrence entre territoires jouant plutôt au moment du choix de limplantation pour de nouveaux investissements.
Il a constaté que la France avait des atouts pour attirer ces investissements nouveaux, puisquelle se situait en 1996 au troisième rang mondial dans ce domaine, après les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Elle doit toutefois veiller à ce quil nexiste pas de distorsions de concurrence, notamment entre les pays de la Communauté européenne, pour la localisation de ces nouveaux investissements.
Il a estimé que notre pays doit en outre veiller à ce que les aides publiques dont bénéficient les investisseurs ne soient pas détournées de leur objet, qui est de renforcer lemploi et participer à laménagement du territoire. Dans ce sens, les éléments exposés par lauteur de la proposition de résolution traduisent la préoccupation dune meilleure implication des entreprises dans le développement durable de nos régions et la lutte pour résorber le chômage, contrepartie de leur acceptation des dispositifs incitatifs à leurs implantations nouvelles.
En conclusion, il a considéré que la mise en place dune commission denquête sur le thème proposé paraissait constituer un moyen dexaminer lutilisation qui est faite par les entreprises des aides dont elles bénéficient. Cette étude est dautant plus opportune que sengage au niveau communautaire la révision des dispositions relatives aux fonds structurels.
M. André Lajoinie, président, a indiqué en préambule que la proposition de résolution navait pas pour but de nier la mondialisation de léconomie et dinstaurer dans notre pays un système autarcique. Elle livre différentes pistes à explorer :
les délocalisations dactivité vers les pays à bas coût de main-doeuvre qui sont remplacées peu à peu par une stratégie inverse visant à rapprocher les lieux de production des lieux de consommation ;
les pratiques dexternalisation qui, influant sur le statut des salariés, sont parfois à la limite de la légalité ;
les relations entre les groupes industriels et les PME ;
lutilisation des crédits publics alloués aux entreprises industrielles.
Il a enfin souligné que lemploi, laménagement du territoire et la création de richesses devraient être au centre des préoccupations de la commission denquête.
Pour M. Léonce Deprez, il convient délargir ces objectifs, la commission denquête ne devant pas se limiter à établir un constat mais devant sefforcer de redéfinir une politique volontariste daménagement du territoire. Il a à cet égard cité lexemple de la reconversion du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.
Sexprimant au nom du groupe socialiste, M. Christian Bataille a estimé que les élus de la Nation avaient le droit de sinformer sur le comportement des grands groupes industriels, une part non négligeable du budget de lEtat allant vers certaines de ces entreprises par le biais des aides à lemploi. De même, il est nécessaire de clarifier les relations existant entre maisons-mères, filiales et holdings.
Il a estimé en revanche que les problèmes daménagement du territoire devaient être pris en compte mais ne devaient pas constituer le pôle dintérêt principal de la commission denquête au détriment des problèmes demploi et de développement industriel, précisant que lexamen du projet de loi sur laménagement du territoire permettra daborder ce type de questions.
M. Pierre Micaux a marqué son opposition à la proposition de résolution, indiquant que le développement des investissements français à létranger était, selon lui, dû au volume excessif des prélèvements obligatoires pratiqués dans notre pays et à la lourdeur des contraintes administratives.
Il a également cité le cas dentreprises délocalisant leurs activités en raison de lapplication des mesures de réduction du temps de travail. Selon lui, cette commission denquête risque dinquiéter les entreprises et davoir leffet inverse de celui recherché en accélérant le mouvement de délocalisations.
M. André Lajoinie, président, a rappelé à M. Pierre Micaux que la mise en place des 35 heures navait en rien affecté le choix de Toyota de simplanter dans le nord de la France.
Après avoir indiqué quil partageait lavis de M. Pierre Micaux, M. Jean-Claude Lemoine a souligné que la restructuration des groupes industriels était une nécessité face à la mondialisation de léconomie.
Si les problèmes de lutilisation des aides à lemploi et des relations entre donneurs dordre et sous-traitants sont réels, une commission denquête ne semble pas pouvoir apporter de réponses pertinentes à ces questions.
M. Jean Proriol a relevé une certaine contradiction entre la place accordée aux PME dans la proposition de résolution et la volonté marquée par lamendement sur le titre de ce texte proposé par le rapporteur de sintéresser prioritairement aux entreprises multinationales. Selon lui, il faudra auditionner les dirigeants de tous les types dentreprises, mais les grands groupes industriels risquent de refuser de dévoiler leur stratégie. La commission denquête devra également déceler les raisons véritables des délocalisations et prendre en compte les problèmes liés à laménagement du territoire.
M. Jean-Jacques Filleul, qui sest déclaré intéressé par la proposition de M. André Lajoinie, a fait remarquer que les groupes industriels faisaient aujourdhui souvent le choix de simplanter en France et quil serait utile de connaître le rôle tenu par lattribution de fonds publics, en particulier européens, dans ces décisions.
M. Patrick Rimbert a insisté sur lutilité quil y aurait à établir, par le biais de la commission denquête, un contact entre le monde politique et le monde économique. Mieux comprendre permet de mieux agir. Il a ajouté que ce nest pas une main doeuvre à faible coût que viennent chercher les entreprises, mais une main-doeuvre qualifiée et productive.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont sest à son tour interrogée sur lopportunité quil y avait à placer les questions daménagement du territoire au coeur des préoccupations de la commission denquête. Cette attitude ne rendant pas nécessairement service à la cause de laménagement du territoire, il importe de recentrer le champ dinvestigation de la commission denquête sur les problèmes demploi.
Pour M. Pierre Ducout les problèmes demploi et daménagement du territoire sont indissociablement liés ainsi quen témoignent les critères sur lesquels se fondent les entreprises pour choisir des lieux dimplantation.
M. Jean Proriol a convenu que la problématique de laménagement du territoire ne pouvait être au centre de cette réflexion mais il a fait remarquer que les aides publiques étaient pour la plupart attribuées sur des critères daménagement du territoire et quen conséquence il était impossible dévacuer cet aspect du problème.
En réponse aux intervenants, M. Philippe Duron, rapporteur, a apporté les précisions suivantes :
il convient de clarifier le débat sur le domaine dinvestigation de la commission denquête. Lamendement quil propose vise, tout dabord à ne pas limiter lobjet de lenquête aux seuls groupes français, mais à impliquer également dans létude les sociétés multinationales. Par ailleurs, il est souhaitable que les travaux de la commission denquête ne portent pas sur les seules conséquences des pratiques de groupes, relatives à lemploi et à laménagement du territoire ;
lobjet de la commission denquête ne sera pas de stigmatiser les entreprises, mais détudier certaines pratiques aux limites du droit, voire déviantes, qui ont pu être constatées ;
la commission denquête devrait également examiner les conséquences de lévolution du contexte légal et les modifications des régimes daides à lemploi et des conditions du travail au sein des entreprises, ainsi que la transformation en cours des aides européennes, notamment des périmètres géographiques dattribution des fonds structurels. Elle pourra en outre se pencher sur le problème des distorsions de concurrence induites par la différence de niveau des aides communautaires entre les Etats de lUnion européenne, et faire des propositions pour y remédier ;
sagissant de la méthode de travail, la commission denquête pourrait sinspirer dexemples antérieurs en procédant en deux phases. Dans un premier temps, il sagirait dauditionner les représentants des grandes branches dactivités, les organisations syndicales et les administrations compétentes puis, dans une seconde étape, sintéresser à des cas précis, après avoir le cas échéant consulté à nouveau la garde des Sceaux sur lexistence déventuelles procédures judiciaires en cours.
La commission a ensuite adopté, après les interventions de MM. Jean Proriol et Léonce Deprez, deux amendements du rapporteur modifiant le titre de la proposition de résolution, qui portera sur « la création dune commission denquête sur certaines pratiques des groupes nationaux et multinationaux industriels, de services et financiers, et leurs conséquences sur lemploi et laménagement du territoire ».
Elle a enfin adopté sans modification le texte de la proposition de résolution ainsi intitulée.
fpfp
Information relative à la Commission
La commission a désigné Mme Annette Peulvast-Bergeal, rapporteur pour le projet de loi (n° 932) relatif à la partie législative du code de lenvironnement.
© Assemblée nationale
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