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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 décembre 1998
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

SOMMAIRE

 

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– Audition de M. Christian PIERRET, secrétaire d’Etat à l’industrie sur le projet de loi sur la modernisation et le développement du service public de l’électricité (n° 1253)


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La commission a entendu M. Christian Pierret, secrétaire d’État à l’industrie, sur le projet de loi sur la modernisation et le développement du service public de l’électricité (n° 1253).

M. Christian Pierret a présenté les grandes lignes du projet de loi, adopté le matin même en Conseil des ministres.

Il a indiqué que ce projet visait à doter notre pays d’une loi de modernisation et de développement du service public de l’électricité. Il contribue également à rendre plus compétitif le système électrique français, par l’introduction maîtrisée de certains éléments de concurrence. Il permet en outre de transposer en droit interne la directive communautaire 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité.

Il a affirmé que le projet de loi préservait intégralement le statut public d’EDF. En même temps, il complète la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz.

Il a rappelé que le Gouvernement avait élaboré le projet de loi dans le cadre d’une démarche ouverte et transparente, fondée sur une très large concertation. Celle-ci a été conduite sur la base d’un livre blanc largement diffusé, intitulé « vers la future organisation électrique française ». De nombreuses instances consultatives (Conseil économique et social, Conseil supérieur de l’électricité et du gaz) ont été associées à ces travaux préparatoires, et M. Jean-Louis Dumont, député de la Meuse, a été chargé sur ce sujet d’une mission de médiation et de réflexion. Cette concertation a entraîné des modifications significatives par rapport à l’avant-projet initial.

Le secrétaire d’État a ensuite défini les grands objectifs poursuivis par le projet de loi.

C’est ainsi qu’il a précisé qu’il s’agissait tout d’abord, dans le cadre d’un service public de l’électricité modernisé et conforté, de concilier dynamisme, équité et solidarité. Pour la première fois, un projet de loi définit le contenu du service public de l’électricité, précise les différentes missions de ce service, les catégories de clients auxquelles il s’adresse ainsi que les opérateurs qui en ont la charge : le service public doit notamment concourir à la cohésion sociale, au développement équilibré du territoire dans le respect de l’environnement, à la recherche et au progrès technologique. Pour la première fois également, le respect de la péréquation géographique des tarifs sera inscrit dans la loi. En outre, la création d’un mécanisme de financement en faveur des plus démunis constitue un premier pas vers un « droit à l’énergie » pour tous. Enfin, le service public devra concourir au développement équilibré des capacités de production, en privilégiant les objectifs d’une politique énergétique garante de notre indépendance nationale, l’énergie ne pouvant être assimilée à un bien comme les autres.

Le deuxième objectif du projet de loi est l’ouverture maîtrisée du marché de l’électricité à la concurrence, afin de participer au combat pour l’emploi. L’ouverture à la concurrence sera progressive. Elle sera réservée tout d’abord, en 1999, à environ 440 « clients éligibles », qui représentent à eux seuls plus de 26 % de la consommation nationale. Ces gros consommateurs, qui sont de très grandes entreprises, pourront librement choisir leur fournisseur, et faire transiter sur les réseaux électriques l’énergie achetée, ce transit étant bien évidemment rémunéré. Le nombre de clients éligibles sera ensuite progressivement étendu ; ils devraient être environ 800 en février 2000, représentant 30 % de la consommation nationale. En 2003, cette ouverture à la concurrence devrait concerner 3000 clients, soit près du tiers de la consommation française. Ces consommateurs finals seront notamment les principaux établissements industriels, pour lesquels le prix de l’électricité peut constituer un élément notable de compétitivité, déterminant leurs décisions d’investissements et les créations d’emplois qu’ils induisent.

Le troisième axe du projet de loi réaffirme l’importance d’une politique publique forte dans le domaine de l’énergie, compte tenu des enjeux particulièrement importants qui s’y attachent : sécurité d’approvisionnement du pays, protection de l’environnement et notamment maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, compétitivité de la fourniture. Une programmation pluriannuelle des investissements de production, définie par le Gouvernement, fera l’objet d’un rapport au Parlement tous les cinq ans. Elle permettra de mener un débat sur les moyens d’une politique énergétique équilibrée, fondée sur l’énergie nucléaire, tout en donnant la place qu’elles méritent aux sources énergétiques complémentaires, fossiles ou renouvelables.

Le quatrième axe du projet de loi vise à créer les conditions d’une concurrence équitable, par la mise en place d’une régulation transparente et efficace. Celle-ci devra assurer le bon fonctionnement du secteur de l’électricité, notamment par la coexistence harmonieuse du service public et de la concurrence, au bénéfice de tous les consommateurs.

Le projet de loi confie à une commission de régulation indépendante la responsabilité importante pour l’exercice d’une concurrence loyale, du contrôle de l’accès des utilisateurs aux réseaux électriques. Cette commission, qui sera dotée de services et de moyens budgétaires, disposera de pouvoirs de sanctions.

M. Christian Pierret a ensuite indiqué que le projet de loi garantissait les acquis sociaux et créait les conditions du maintien du statut du personnel des industries électriques et gazières et de son extension.

Il a ainsi précisé que le principe, fixé par la loi de 1946, prévoyant que, sauf quelques exceptions, le statut du personnel des industries électriques et gazières s’applique à l’ensemble des agents de ce secteur économique, sera maintenu ; l’ouverture de la concurrence ne devra donc pas entraîner de diminution des garanties pour ce personnel. Cet élément permettra à la concurrence dans la production de se réaliser dans un contexte d’égalité des règles pour tous les opérateurs. Le projet de loi prévoit des mécanismes de négociation collective de branche pour créer les conditions de l’extension de ce statut à l’ensemble des entreprises concernées. Le Gouvernement souhaite que ce mécanisme favorise, au niveau européen, l’harmonisation des conditions d’emploi et de travail dans le secteur de l’électricité.

Le secrétaire d’État a ensuite confirmé le maintien intégral de la compétence des collectivités locales dans l’organisation de la distribution d’électricité. Leur qualité d’autorité concédante de la distribution est confirmée par le projet de loi, ainsi que leur fonction de contrôle des missions de service public concédé. En même temps, la possibilité pour elles d’intervenir en matière de maîtrise de la demande d’électricité et de production locale et décentralisée, notamment à partir d’énergies renouvelables, sera clarifiée.

Abordant le devenir industriel d’EDF, dont le marché intérieur s’étendra désormais à l’ensemble de l’Union européenne, le secrétaire d’État a indiqué que l’entreprise publique demeurera une entité intégrée de production, de transport, de distribution et de fourniture d’électricité. Elle demeurera le gestionnaire du réseau de transport français mais, afin d’assurer un transport loyal de l’énergie produite par ses concurrents, l’activité de transport sera séparée des autres activités d’EDF, tant dans le domaine technique, qu’au regard de la comptabilité. EDF continuera ainsi d’être le premier « électricien » européen, présent dans le monde entier.

Le principe de spécialité de l’entreprise sera adapté, afin de lui permettre d’affronter la concurrence à armes égales. Il s’agit de lui permettre d’ouvrir la palette de son offre auprès des clients éligibles. Cela l’autorisera à répondre, comme ses concurrents, à la demande industrielle d’offre globale, incluant des prestations constituant le complément technique ou commercial de la fourniture d’électricité, telle par exemple la fourniture de vapeur ou de chaleur. En même temps, tout en offrant à EDF des moyens identiques à ceux des autres fournisseurs d’électricité, il convient d’éviter l’écueil inverse qui conduirait l’entreprise à devenir une structure protéiforme. Il est ainsi exclu qu’EDF soit autorisé à devenir un opérateur de télécommunications, et qu’à ce titre, il entre en concurrence avec France Télécom, autre entreprise sous la tutelle du ministère.

En conclusion, le secrétaire d’État a précisé que le délai relativement long qui a été nécessaire pour élaborer ce projet de loi, avait été mis à profit pour atteindre un niveau satisfaisant d’équilibre, éloigné tant de l’ultralibéralisme prôné par certains que de l’étatisme, qui, l’un comme l’autre, conduiraient à une impasse.

Il a considéré que, dans un secteur électrique modernisé et dynamisé, EDF avait toute sa place en raison de la qualité de ses prestations et de son niveau technologique.

Il a enfin insisté sur la préservation, dans le projet de loi, du socle du service public.

M. Christian Bataille, rapporteur, a ensuite posé à M. Christian Pierret, secrétaire d’Etat à l’industrie, les questions suivantes :

– comment peut-on juger ce projet de loi à l’aune de la directive européenne ? La transpose-t-il a minima ou anticipe-t-il sur certains points, une libéralisation plus large du marché de l’électricité. Si oui, lesquels ?

– Quelle appréciation peut être faite de la notion d’indépendance qui est reprise dans plusieurs points du texte ? S’agissant plus précisément du gestionnaire du réseau de transport, que recouvre exactement la notion d’indépendance sur le plan de la gestion ?

– Quelles sont les activités qu’EDF – soit directement, soit par le biais de filiales – pourra mener auprès des clients éligibles ou non éligibles, en vertu de l’aménagement du principe de spécialité ?

– L’article 12 du projet de loi semble mettre sur pied un marché de gros de l’électricité. Qu’en est-il exactement ?

– Comment s’articule le texte avec la loi de 1946 ?

– Etant donné que la France n’aura pas transposé la directive le 19 février 1999, que se passera-t-il concrètement à cette date ? Un électricien pourra-t-il fournir dès février prochain un consommateur éligible ?

– Quel sera le statut du personnel des producteurs entrant sur le marché français ?

Répondant aux questions du rapporteur, M. Christian Pierret, secrétaire d’Etat à l’industrie, a apporté les précisions suivantes :

– le projet de loi respecte les termes de la directive mais ne va pas plus loin que les exigences européennes en matière de libéralisation du secteur de l’électricité ; il met en place une ouverture maîtrisée et progressive du marché ; celle-ci s’effectuera avec méthode et prudence ; ainsi les seuils minimaux d’ouverture imposés par la directive européenne seront reproduits à l’identique ; l’éventualité d’une ouverture plus large au-delà de 2003 nécessitera de nouvelles négociations avec nos partenaires européens et n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour ;

– le principe de péréquation tarifaire est maintenu ;

– le succès d’EDF tient en particulier à son caractère d’entreprise intégrée. Il importe donc de ne pas remettre en cause ce facteur de réussite ; toutefois, afin que le transport d’électricité ne soit pas un moyen de fausser le jeu de la concurrence, il importe que la gestion du réseau soit clairement séparée des autres activités d’EDF, ce qui implique un cantonnement technique, fonctionnel et comptable de l’activité de transport pour permettre son identification au sein de l’entreprise ; le gestionnaire du réseau bénéficiera donc de moyens propres, il devra respecter la confidentialité des informations commercialement sensibles qui lui seront transmises et le pouvoir de nomination de son directeur échappera à la hiérarchie d’EDF ; la séparation comptable permettra d’éviter les subventions croisées ; l’accès au réseau sera réglementé et contrôlé par la Commission de régulation de l’électricité ; les tarifs seront publics et transparents ;

– l’aménagement du principe de spécialité d’EDF est une conséquence de l’ouverture du marché de l’électricité ; il permettra à l’opérateur historique de proposer aux clients éligibles une offre globale comparable à celle de ses concurrents ; EDF pourra donc créer des filiales pour proposer aux clients éligibles des prestations constituant un complément technique ou commercial à la fourniture d’électricité ;

– le projet de loi ne prévoit pas la création d’un véritable marché de gros de l’électricité, à l’instar de celui qui existe au Royaume-Uni ou dans certains pays scandinaves ; le paragraphe IV de l’article 22 ouvre néanmoins, sous certaines conditions, la voie à des fonctions d’intermédiaire ou de courtier achetant de l’électricité pour la revendre à des consommateurs éligibles ; l’intérêt économique réside dans la possibilité de regrouper les demandes des consommateurs éligibles afin de leur permettre de bénéficier de conditions financières plus avantageuses ;

– s’agissant de l’articulation avec la loi de 1946, le texte du projet de loi ne remet en cause aucune des dispositions fondamentales de cette loi et se borne à lui apporter les modifications rendues nécessaires ; les corrections demeurent marginales et liées à l’expérience des années récentes, comme la suppression de la dichotomie entre un président et un directeur général également désignés et légitimés par leur nomination en conseil des ministres ;

– il est d’ores et déjà évident que le texte soumis au vote du Parlement ne sera pas adopté à la date butoir du 19 février prochain fixée par la directive européenne, mais le processus législatif sera très avancé à cette date ;

– le statut du personnel d’EDF n’est pas menacé puisque le projet de loi ne modifie pas les dispositions de la loi de 1946 sur ce point. La faculté est en revanche laissée aux partenaires sociaux de négocier des conventions collectives de branche qui seront autant de moyens d’améliorer les dispositions du statut ou de les adapter aux données nouvelles d’un secteur appelé à être fortement évolutif.

M. Claude Billard a souscrit à plusieurs des préoccupations exprimées par M. Christian Bataille, puis a indiqué son désaccord avec le contenu de la directive européenne. Celle-ci instaure, en effet, une concurrence dans le secteur de l’électricité, faisant de cette dernière une marchandise comme les autres, alors même que, du fait de son caractère stratégique, elle doit demeurer sous la responsabilité de la Nation et, qu’à cause de ses liens avec l’industrie et l’emploi, elle nécessite l’intervention des pouvoirs publics. Les choix énergétiques, a poursuivi M. Claude Billard, concernent le long terme, ils ont un caractère structurant pour la société et apparaissent irréversibles. Ces restrictions conduiront le groupe communiste à présenter des amendements au projet de loi.

Puis, M. Claude Billard a souhaité avoir des précisions sur la durée des autorisations accordées aux personnes achetant de l’électricité pour la revendre aux clients éligibles, l’effort de planification pouvant ainsi être mis à mal, si les autorisations n’étaient pas données sur une longue période.

M. Franck Borotra a convenu avec le secrétaire d’Etat que le projet de loi était politiquement important et que la reconnaissance par la directive européenne de l’existence de missions de service public constituait une réelle avancée.

Rappelant qu’il avait lui-même participé aux négociations communautaires, M. Franck Borotra a fait observer que le projet de loi aujourd’hui présenté était un texte de transposition de cette directive, donc un texte d’application. Il a ensuite soulevé plusieurs questions concrètes portant sur la définition des missions de service public, car c’est à partir de celle-ci que peut s’opérer une répartition équitable des charges de service public, sur la prise en compte du coût de Superphénix dans les « coûts échoués », sur les conditions dans lesquelles seront utilisées les procédures d’autorisation et d’appel d’offres, sur la réalité de l’autonomie du gestionnaire du réseau, sur les pouvoirs d’investigation et de sanction attribués à la commission de régulation de l’électricité, sur les conditions de l’obligation d’achat, lesquelles influent sur la diversification de l’offre et enfin sur les limites assignées à la diversification des activités d’EDF. M. Franck Borotra a également souhaité savoir si les modalités de fixation des tarifs s’appuieraient uniquement sur le prix du kWh, comment serait organisée la séparation comptable des activités d’EDF, quelles en seraient les conséquences sur la confidentialité de certaines informations et comment s’opérerait la répartition des ouvrages de transport et de distribution.

Il a conclu en exprimant son accord sur le maintien d’un opérateur public et a indiqué que sa position sur le texte dépendrait des modalités de mise en œuvre de la directive.

M. Alain Cacheux a estimé que la notion même « d’ouverture partielle » du marché risquait de conduire les clients situés au seuil de l’éligibilité à réclamer une ouverture plus large de ce marché. Il a souhaité avoir des précisions sur les modalités de financement des missions de service public incombant à EDF ; il a cité sur ce point « le droit à l’énergie », la péréquation tarifaire et la question des « coûts échoués ». Il a interrogé ensuite le ministre sur le contenu du principe de spécialité ainsi que sur les perspectives en matière d’emploi et de retraite des personnels.

M. Claude Gaillard a estimé que le titre du projet de loi était trompeur, le texte semblant à certains égards concerner, au-delà du secteur électrique, la politique industrielle française dans son ensemble. Selon lui, ce texte relève plus de « l’équilibrisme que de l’équilibre ». Il a jugé que l’ouverture à la concurrence, telle qu’elle est programmée risquait de « favoriser les plus forts » et il a souligné plusieurs ambiguïtés du projet : le système des régies n’est-il pas inéquitable ? Comment seront financés les services publics ? Le fait de reconnaître dans le projet de loi un « droit à l’énergie » ne signifie-t-il pas que l’on accepte l’idée d’une permanence de la pauvreté dans notre pays ? Comment peut-on demander à EDF de faire de l’Europe un marché domestique alors que le marché français reste largement fermé ? La diversification des activités d’EDF n’induit-elle pas une « OPA » sur GDF ?

M. Claude Gatignol s’est demandé si le projet de loi dégageait une vision de « service public » ou de simple « service au public ». Il a estimé que l’éligibilité reconnue à certains clients seulement empêcherait les autres de tirer parti des bienfaits de la concurrence.

Convenant du fait qu’EDF était une « très belle entreprise », il a rappelé que quatre grandes notions étaient contenues dans son activité  : celles d’équipement, de production, de transport et de distribution. Rappelant que notre pays était le dernier à mettre en application la directive européenne, il a demandé par qui seraient pris en charge les « coûts échoués » ? S’agissant enfin de l’éligibilité des clients, M. Claude Gatignol a estimé que la concurrence apporterait des gages de compétence aux entreprises installées en France. Il a demandé également comment était résolu le problème posé par les clients éligibles installés sur le périmètre d’un distributeur non nationalisé.

En réponse aux intervenants, M. Christian Pierret, Secrétaire d’Etat à l’industrie a apporté les précisions suivantes :

– le Gouvernement souhaite conserver la maîtrise, sous le contrôle du Parlement, de la définition des termes de la politique énergétique de la France ; l’électricité n’est pas un bien comme un autre : la politique énergétique, l’indépendance nationale en matière électrique et le service public de l’électricité forment un tout ; le secrétaire d’Etat à l’industrie est d’accord avec M. Claude Billard pour placer en exergue du débat sur le projet de loi un débat sur l’indépendance nationale ; personne ne peut garantir aujourd’hui que le prix du pétrole ou du gaz ne connaîtra pas de nouvelles flambées, il est donc indispensable de définir, sur une longue période, les termes de la sécurité nationale en matière énergétique ; le Royaume-Uni n’a pas les mêmes contraintes que la France en raison, d’une part, de ses ressources énergétiques et, d’autre part, de l’absence d’obligations de service public comparables à celles existant en France ;

– les industriels doivent pouvoir s’approvisionner en électricité, en Europe, au mieux de leurs intérêts ; de ce point de vue, l’introduction de quelques éléments de concurrence est utile pour permettre d’acheter l’électricité au plus bas coût et avec la meilleure qualité possible ;

– conformément aux dispositions de la directive européenne, l’article 46 du projet de loi met en place un régime transitoire permettant le financement de l’amortissement des charges du système électrique liées au passé ; ces coûts nets seront répartis entre tous les opérateurs ; ils couvriront les charges relatives aux contrats d’achat de type « dispatchable » passés par EDF avec les producteurs autonomes de pointe ainsi que les charges liées à la centrale Superphénix ; ce régime transitoire repose sur des principes de transparence, de simplicité et d’équité ; il s’agit d’une approche modérée : la France est plus prudente que d’autres Etats membres qui incluent dans le financement péréqué des charges beaucoup plus lourdes ; les électriciens ne supporteront pas l’intégralité des coûts relatifs à ces charges : ceux-ci seront répartis au prorata du nombre de kWh qu’ils livreront au réseau ;

– les règles de séparation comptable mentionnées à divers articles répondent à l’exigence de transparence et de lisibilité posée par la directive européenne ;

– la répartition des charges du service public est un problème essentiel ; la solution proposée soumet l’ensemble des opérateurs à un prélèvement proportionnel, dont le montant sera arrêté par le ministre chargé de l’énergie sur proposition de la Commission de régulation de l’électricité. L’introduction de la concurrence ne devrait donc pas s’effectuer au détriment de l’opérateur historique en charge des missions de service public, sur lequel pèsera au demeurant l’essentiel de ce prélèvement ;

– la question du financement des retraites n’est abordée par le projet de loi que de manière très indirecte, en lien avec la séparation comptable mentionnée à l’article 44 ; cette question centrale, relève de la compétence propre de l’opérateur et donc de discussions entre les représentants de la direction et les organisations professionnelles représentatives ; il en va de même de la réduction et de l’aménagement du temps de travail ; de nouvelles négociations se sont engagées sur ce thème, ainsi que sur celui des effectifs ;

– l’autonomie du gestionnaire du réseau de transport est garantie par la mise en place de dispositions précises et contraignantes (désignation du directeur, budget, moyens spécifiques, respect de l’obligation de confidentialité) qui doivent permettre de prévenir tout risque de favoritisme vis-à-vis de l’opérateur intégré.

M. François Sauvadet a attiré l’attention sur la nécessité de garantir la qualité du service public de l’électricité dans un pays comme la France où plusieurs points du territoire sont difficilement accessibles. Il a souhaité que le secrétaire d’Etat précise les modalités selon lesquelles les missions de service public seront assumées par EDF alors que seuls 440 clients seront éligibles et qu’EDF devra assurer la plus large part du financement du coût net des obligations de service public. Or, d’ores et déjà, certains cadres d’EDF déclarent qu’EDF n’est plus en mesure de réaliser tous les investissements qualitatifs rendus nécessaires pour l’amélioration du réseau. Si des difficultés de financement existent aujourd’hui, comment l’Etat compte-t-il intervenir alors que la concurrence sera ouverte ?

M. François Sauvadet s’est ensuite réjoui qu’un débat soit engagé sur l’indépendance nationale en matière d’énergie électrique. Il a salué les propos, qu’il a jugé responsables, du secrétaire d’Etat au sujet de la production d’énergie d’origine nucléaire. Mais il a souligné que cette position de principe supposait que des investissements soient réalisés, des savoir-faire soient préservés et que les équipements soient entretenus. Il ne faudrait pas que l’Etat se désengage de ses responsabilités et qu’EDF se retourne vers les collectivités locales pour assurer le financement.

M. André Lajoinie, président, a déclaré partager certains points de vue de M. François Sauvadet. La directive européenne impose une contrainte forte qui conduit à ouvrir à la concurrence 30 % du marché national à l’horizon de février 2003. Cette contrainte n’est pas sans comporter de forts risques d’écrémage du marché. Il a donc demandé que le service public, auquel tiennent les parlementaires, soit mieux garanti et a exprimé ses craintes relatives aux conséquences de l’évolution à long terme du marché de l’électricité sur le service public.

M. Léonce Deprez a estimé que la meilleure garantie de l’indépendance nationale en matière d’électricité résidait dans la capacité de produire de l’électricité d’origine nucléaire. Par ailleurs, il a attiré l’attention sur les risques de concurrence déloyale susceptibles d’être causés par EDF en diversifiant ses activités, notamment dans le domaine des télécommunications. Il faut veiller à ce qu’EDF ne crée pas des filiales hors du secteur électrique qui utiliseraient les marges bénéficiaires dégagées sur le monopole électrique d’EDF.

En réponse à ces intervenants, M. Christian Pierret a apporté les précisions suivantes :

– le Gouvernement veut une ouverture maîtrisée du principe de spécialité d’EDF ; il ne souhaite pas qu’EDF devienne un opérateur de télécommunications ;

– répondant aux attentes exprimées par les collectivités concédantes, le projet de loi réaffirme les compétences des collectivités territoriales en matière de concession de la distribution de l’électricité, de contrôle du respect des obligations de service public et d’inspection technique des ouvrages ; il les élargit même puisque les collectivités locales bénéficieront de l’obligation pesant sur EDF d’acheter désormais l’électricité obtenue à partir de déchets ou d’énergies renouvelables (géothermie, énergie éolienne) ; l’électricité ainsi obtenue par l’intermédiaire d’une régie ou d’une société d’économie mixte ne pourra toutefois pas être vendue à un consommateur éligible, pas plus que les communes ne pourront intervenir, sauf carence de l’initiative privée, dans le domaine concurrentiel de la fourniture d’électricité en vertu du principe de liberté du commerce et de l’industrie.

——fpfp——


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