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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 24

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 17 décembre 1998
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. André Lajoinie, Président

SOMMAIRE

 

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– Audition de M. Neil KINNOCK, membre de la Commission européenne, chargé des transports

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La commission a entendu M. Neil Kinnock, membre de la Commission européenne, chargé des transports.

M. Neil Kinnock a fait part de son intention de concentrer son propos sur une question spécifique, celle de la politique ferroviaire. Il a estimé qu’il fallait partir de cette donnée forte : chacun a aujourd’hui pour objectif le renforcement du transport par rail et le souci de compenser les pertes de marché subies par le secteur ferroviaire dans le dernier quart de ce siècle.

Il a relevé que le transport ferroviaire représentait en 1970, pour les quinze États membres qui composent aujourd’hui l’Union européenne, 32 % du marché du fret et 10 % de celui des passagers. En 1997, les chiffres correspondants étaient respectivement de 14 et de 6 %. Les conséquences de cette évolution sont, pour l’essentiel, une dépendance croissante à l’égard du transport routier, une circulation devenue difficile, un accroissement de la pollution, des accidents, du nombre des personnes blessées, des coûts économiques et sociaux en hausse et enfin, une baisse de la compétitivité de l’industrie européenne.

Il a indiqué qu’en France même, la part du transport ferroviaire dans le marché du fret a régressé, passant de 39 % en 1970, à 32 % en 1985 et à 17 % en 1995. Au cours de la même période, les emplois dans le secteur ferroviaire ont diminué de 40 %, 76 500 emplois ayant été perdus. On peut noter, d’ailleurs, qu’en France, la croissance de la productivité des personnels a été inférieure à celle d’autres pays, malgré les réductions de personnels. Dans le même temps, les retards moyens observés pour le transport combiné entre la France et l’Espagne via Port-Bou sont passés de 1 h 30 en 1976 à 9 h 30 au cours des sept premiers mois de 1998. Il s’agit là d’ailleurs de chiffres moyens, certaines expéditions ayant pu prendre plus de temps encore.

Il a estimé qu’il était regrettable, quoique non surprenant que, dans ces conditions, le retour sur fonds propres à la SNCF ait pu diminuer depuis 1991 et qu’il soit tombé à moins de 44 % en 1995. Le maintien du niveau des investissements ne s’est pas traduit par une amélioration de la productivité et des méthodes de travail et n’a dès lors pas eu de véritable effet sur les résultats de la SNCF. La dette totale de cette dernière s’est dans ces conditions accrue de 300 % entre 1980 et 1995, atteignant en 1995 environ 200 milliards de francs. Réseau ferré de France (RFF) a hérité ainsi d’une dette de 134 milliards de francs ; il s’agit là d’une charge très lourde handicapant le dynamisme de l’entreprise.

Il a rappelé que le ministre français chargé des transports, M. Jean-Claude Gayssot a signalé en plusieurs occasions que le transport de marchandises par la voie ferroviaire s’est accru de 7,5 % en 1997. Mais l’on a pu observer dans la même période une croissance comparable du transport de marchandises par la route ; par ailleurs, le transport ferroviaire de fret a connu un rythme de croissance moindre au cours des six premiers mois de 1998, de 4,3 %, alors que le transport par route s’accroissait alors de 5 %.

Au travers de cette analyse, il a déclaré qu’il n’était pas question de considérer la France comme un « cas à part » et qu’il serait possible de fournir des données équivalentes pour d’autres pays de l’Union européenne. Le transport de marchandises par la voie ferroviaire est aujourd’hui ainsi en grande difficulté et l’on ne peut espérer d’amélioration durable sans des changements significatifs.

Il a estimé qu’une telle évolution était possible, si tous les pays s’alignaient sur le plan de la productivité et sur les performances des meilleurs l’on obtiendrait une diminution des coûts de l’ordre de 20 %, soit de 100 milliards de francs par an. Pour la France seule, la diminution des coûts représenterait 15 milliards de francs par an.

Il a précisé que la réalisation d’économies importantes renforcerait les capacités concurrentielles du transport par rail, qui pourrait faire face alors à ses coûts industriels et environnementaux. De la même façon, pourrait être stoppée pour l’ensemble de l’Europe l’importante hémorragie en emplois observée. Les salariés des chemins de fer étaient au nombre de 1 688 000 en 1980, mais de 907 000 seulement en 1996. La perte de près de 800 000 emplois constatée n’est pas due à une évolution de l’activité, mais, en fait, à un rétrécissement du marché du rail, lui même dû non à une libéralisation du secteur -il n’y en a d’ailleurs pas eu- mais à une perte de compétitivité du transport ferroviaire.

M. Neil Kinnock a fait observer que, lorsqu’il se prononce pour des changements radicaux et une plus grande compétitivité du rail, il est parfois accusé de préconiser une privatisation de ce secteur. C’est là un non-sens total ; il n’en a pas le projet et ne pourrait de toutes façons pas le faire. Le Traité instituant la Communauté européenne prévoit, en effet, que la Commission ne peut favoriser aucune forme de propriété. Les membres de la Commission travaillent ainsi pour de meilleures performances et non pour promouvoir des privatisations. Leur engagement porte sur le seul développement du transport par rail. M. Neil Kinnock a alors fait remarquer que même l’ancien Premier ministre britannique, Mme Margaret Thatcher n’avait pas privatisé le secteur ferroviaire et, qu’à l’époque où il était lui-même membre de la Chambre des Communes du Royaume-Uni, il s’était toujours prononcé contre le mouvement de privatisation du rail.

Il a déclaré que l’engagement pris par les membres de la Commission en faveur du développement du secteur ferroviaire a notamment inspiré le « paquet infrastructures » présenté en juillet 1998. La mise en œuvre de ce « paquet » serait très utile, même si elle n’est pas révolutionnaire ; elle permettrait de garantir que les droits d’accès existants dans le cadre de la directive 91/440 peuvent être utilisés de façon adéquate ; il y aurait là d’ailleurs une incitation à une meilleure utilisation des infrastructures ferroviaires. Ce « paquet » est nécessaire, qu’il y ait ou non une libéralisation du secteur, pour de meilleures performances et une plus grande sécurité juridique.

Il a estimé qu’il était essentiel de distinguer clairement le « paquet infrastructures » et tout ce qui l’entoure de la question de l’accès au marché ferroviaire du transport de marchandises. Personne ne devrait d’ailleurs mêler les deux questions. La Commission européenne a proposé une ouverture très progressive du marché du transport ferroviaire de marchandises. Il existe un fort consensus en Europe pour y voir un moyen efficace d’encourager le ferroviaire et réaliser ainsi de meilleures performances. Il y a actuellement des responsables du secteur ferroviaire en France qui soutiennent en privé ces propositions ; cela n’est d’ailleurs pas surprenant, quand on observe que dans le monde, des Pays-Bas au Sénégal et à l’Australie, les opérateurs français ont su utiliser les conditions d’un accès libéralisé pour obtenir de véritables succès d’entreprise. C’est pourquoi, on ne peut que regretter que le Gouvernement français n’ait pas jugé bon de mettre en œuvre cet aspect de la stratégie ferroviaire de l’Union européenne.

M. Neil Kinnock a donné un exemple a contrario montrant pourquoi il est souhaitable d’accroître les droits d’accès de façon modérée. Une compagnie située à 50 kilomètres à l’intérieur de l’Allemagne qui veut charger des marchandises vers la France doit utiliser la Deutsche Bahn pour transporter sur les cinquante premiers kilomètres, puis elle doit consentir à des dépenses et à des ruptures de charges nécessitées par le changement de motrice pour utiliser une traction de la SNCF ; la motrice de la Deutsche Bahn doit ensuite retourner à son dépôt. La conséquence inévitable de cette situation est que la compagnie envoie ses marchandises par la route ; le fret ferroviaire a perdu ainsi des parts de marché et aucun emploi de cheminot n’a été préservé.

Il a reconnu que chacun sait qu’il existe une place importante pour la coopération entre les différents opérateurs ferroviaires et que des résultats significatifs ont été obtenus, ainsi par exemple le Thalys. Mais il serait illusoire de croire que la coopération peut constituer une réponse à tous les problèmes de trafic transfrontalier. Si tel était le cas, la coopération internationale qui existe dans le secteur ferroviaire depuis cinquante ans aurait prévenu la catastrophique perte de parts de marché qui a été observée. Cela ne signifie pas que la Commission européenne veuille limiter les formules de coopération qui respectent les règles communautaires et sont avantageuses pour les clients. Cela signifie que la coopération menée n’a pas conduit à de grands succès et qu’elle doit dès lors être renforcée par étapes graduelles mais déterminées pour étendre les droits d’accès au fret. Qui pourrait pâtir de cela ? Certainement pas le rail, parce qu’un transport international de marchandises ininterrompu et coordonné poserait un vrai problème de compétitivité aux transports routiers. La SNCF elle-même n’y perdrait pas ; c’est en effet une grande entreprise de transport reliée aux systèmes ferroviaires de six pays voisins de l’Union européenne.

Il a estimé que d’autres efforts devaient être menés pour accroître la compétitivité du secteur ferroviaire. La commission est engagée dans la révision des lignes directrices du réseau de transport transeuropéen. Elle va porter son attention sur la possibilité de recourir à une partie des crédits du réseau transeuropéen après l’an 2000, afin de réduire les problèmes d’infrastructures et les goulots d’étranglement qui ralentissent le transport de fret ferroviaire dans certains Etats membres.

Au même moment, la Commission va faire des propositions de nature à favoriser l’intégration technique des différents réseaux nationaux afin de diminuer les coûts dus à la fragmentation du système ferroviaire.

Il a souligné que la France jouait un rôle significatif dans ces domaines et devait ainsi soutenir les efforts menés pour réduire les barrières existantes. D’autres coûts pèsent sur le secteur des chemins de fer du fait de l’existence de systèmes de gestion inadaptés : procédures inefficaces aux frontières, changements de motrices inutiles. La Commission propose une approche pragmatique des problèmes, permettant que les changements soient assurés, mais sans brutalité. Ces propositions sont animées par une volonté simple de renforcer l’efficacité du rail.

Il a considéré que nombre de personnes à la SNCF et à RFF reconnaissaient ce besoin et voulaient répondre aux exigences d’un meilleur service. Les insuffisances et les mauvaises performances du système ferroviaire présentent en effet des dangers aux plans économique, social et environnemental et menacent l’emploi. L’amélioration de la situation du secteur ferroviaire nécessite cependant plus que des réformes législatives et des innovations techniques ; un changement de mentalité est indispensable.

Il a déclaré que la séparation de la gestion des réseaux et celle des infrastructures est également indispensable, comme sont indispensables l’ouverture graduelle d’une concurrence sur le fret ferroviaire et l’amélioration de l’interopérabilité, une meilleure formation des conducteurs et des investissements plus importants dans le secteur des infrastructures.

M. Neil Kinnock a indiqué qu’il ne soutenait pas ce que certains appellent une « politique libérale anglo-saxonne ». Des libéraux dogmatiques a-t-il estimé, laisseraient le marché condamner le ferroviaire, ce qu’aucune personne de bon sens ne peut admettre. Le dogmatisme de la droite radicale ou de la gauche conservatrice n’aide pas à renforcer le rail. Une attitude réaliste, consciente des implications concrètes des décisions prises est la seule attitude constructive.

Il a fait valoir que l’inertie en la matière serait fatale et ce, dès la prochaine décennie.

Il a estimé que la France et la Commission européenne ne présentaient de divergences que sur la question de l’accès au marché de fret ferroviaire. Dès lors, il est nécessaire, en s’appuyant sur les points de convergence, de mettre en œuvre ensemble une stratégie cohérente permettant de revitaliser le secteur ferroviaire.

M. André Lajoinie, Président, a indiqué en préambule que si le développement du rail était souhaitable pour des raisons liées à la protection de l’environnement et à la sécurité, il importait que ce problème ne soit pas dissocié de celui des transports routiers. Il a rappelé que la France était un pays de transit et que le trafic des poids lourds s’intensifiait sur notre territoire. De nombreux camions empruntent les routes nationales et traversent ainsi gratuitement notre pays. Or, les collectivités territoriales ne bénéficient d’aucune aide européenne leur permettant d’entretenir les infrastructures routières.

Par ailleurs, la recherche systématique du moindre coût se fait au détriment de la sécurité. C’est une des raisons pour lesquelles la France a demandé par mémorandum une harmonisation « par le haut » des normes sociales. M. André Lajoinie a souhaité savoir quelle suite serait donnée à cette demande.

S’agissant du transport ferroviaire, il a appelé de ses voeux une réforme favorisant une meilleure circulation des trains dans l’espace européen en éliminant les goulots d’étranglement et en résolvant les problèmes posés lors du franchissement des frontières. On constate que les principaux résultats obtenus à ce jour l’ont été dans le domaine de la coopération entre opérateurs nationaux de réseaux.

Il s’est enfin inquiété des conséquences que pouvait comporter le « paquet infrastructures » puisque celui-ci permet l’accès d’opérateurs non ferroviaires au réseau et donc la multiplication des intermédiaires. Or, on sait que pour le transport routier l’existence des intermédiaires a des conséquences catastrophiques. On peut donc craindre à terme des effets sur les prix et un écrémage du marché au détriment des lignes non rentables et des régions mal desservies.

M. Jean-Jacques Filleul a rappelé qu’en 1985 la Commission européenne avait été condamnée par la Cour de justice des communautés européennes pour ne pas avoir réalisé l’Europe des transports prévue par le Traité de Rome. Or, aujourd’hui le secteur du transport continue à évoluer de manière anarchique en l’absence de toute définition d’une politique commune. Il a demandé au commissaire européen quelle était la position des instances communautaires sur la notion de service public et sur la problématique juridique « harmonisation-libéralisation ».

Il a également souhaité savoir comment le principe de subsidiarité s’appliquait dans les transports, quand serait réalisée l’harmonisation sociale de l’ensemble du secteur et quel était le poids des transports dans les politiques communautaires.

Après avoir estimé, comme le président André Lajoinie, que le problème essentiel posé par le « paquet infrastructures » était l’introduction des demandeurs autorisés, il a tenu à préciser que la productivité des agents de la SNCF était parmi les meilleures d’Europe.

Il a enfin demandé quand la Commission européenne proposera la prise en compte des coûts externes dans les différents modes de transport, les conditions d’une saine concurrence entre les modes devant être le préalable à l’ouverture des marchés.

En réponse au président et à M. Jean-Jacques Filleul, M. Neil Kinnock a donné les éléments d’information suivants :

– la Commission européenne ne veut pas réglementer tous les modes de transport même s’il existe une concurrence entre eux. Il ne faut cependant pas renoncer à rééquilibrer les différents modes de transport entre eux. En ce sens, la proposition d’internaliser les coûts des entreprises s’applique à tous les modes de transport ;

– la France est un pays de transit important. Par exemple, 90 % du transport de marchandises entre la France et l’Espagne s’effectuent par la route. Il est indispensable de parvenir à un meilleur équilibre et une plus grande équité entre les modes de transport, ne serait-ce que pour éliminer les dommages causés dans certaines régions par l’encombrement des routes. C’est pourquoi, la Commission européenne développe l’idée de permettre l’imposition d’une redevance au transport de fret routier : 50 % des revenus de péage pourraient être utilisés pour répondre à des besoins de protection de l’environnement. D’ores et déjà, le Conseil a accepté la proposition de la Commission tendant à autoriser la différenciation des tarifs des vignettes selon l’impact sur l’environnement du mode de transport ; un rabais de 15 %, voire plus, par eurovignette pourrait être accordé aux véhicules peu nocifs pour l’environnement ;

– la Commission européenne propose des mesures pour lutter contre les disparités sociales dans le secteur des transports, notamment par l’harmonisation des heures de travail. Elles devraient permettre de mettre en place des réglementations plus novatrices dans les pays où aucune réglementation n’existe en la matière. Celles-ci seront assez souples pour autoriser des avancées dans les autres. La généralisation des nouveaux modèles de chronotachygraphes et leur installation obligatoire à bord des véhicules permettra d’effectuer sur les routes des contrôles efficaces du respect des conditions et des horaires de travail. D’autres dispositions sont prévues en matière de conditions d’accès à la profession. Cette politique commune est indispensable pour parvenir à une bonne maîtrise de la profession, à l’amélioration des performances du transport européen et à un traitement plus équitable des travailleurs ;

– le transport ferroviaire de voyageurs parvient à concurrencer certaines liaisons aériennes moyen courrier. En matière de fret, les ruptures de charge et la fragmentation des liaisons imposent de compléter les réglementations déjà adoptées. Le rail doit en effet être considéré comme un marché où interviennent des entreprises ; il est donc indispensable de parvenir à une meilleure exploitation des infrastructures pour améliorer les performances de ces entreprises. Le but recherché n’est pas d’accroître le nombre des intermédiaires mais les parts de marché du rail. A cette fin, il est indispensable d’ouvrir le fret à la concurrence. Les propositions de la Commission européenne en matière d’infrastructures et d’ouverture à la concurrence ne doivent cependant pas être considérées comme définitives, notamment les dispositions relatives aux autorités locales, aux opérateurs ou à la réservation de plages horaires. La Commission est ouverte aux propositions d’amendements et est disposée à modifier sa proposition initiale. En la matière la Commission refuse de défendre un dogme quel qu’il soit ;

– la politique communautaire des transports n’est pas anarchique ; elle ne répond pas à la loi du plus fort et n’autorise pas le dumping social. Depuis 1985, elle a profondément évolué et des progrès considérables ont été réalisés pour parvenir à des conditions équitables d’exploitation du transport, à l’interdiction du dumping et à la promotion d’une concurrence loyale. On peut citer l’exemple de l’ouverture à la concurrence du marché de l’aviation civile : celle-ci a favorisé les petites et moyennes compagnies, permis ainsi la création nette de plus de 20 compagnies aériennes et a accru la qualité du service rendu en multipliant notamment les liaisons, permettant ainsi d’augmenter le nombre de voyageurs ;

– la Commission européenne ne préconise pas l’adoption d’un système de propriété particulier. Le Traité de Rome le lui interdit. Cependant, il n’est plus tenable de maintenir quinze systèmes juridiques différents en Europe ainsi que les frontières internes existant en matière de transport. Le livre vert sur les réseaux de citoyenneté avait pour but d’encourager l’usage du rail. La Commission défend donc une politique commune de transport, qui ne cherche pas à reproduire la dérégulation britannique. Notamment, la Commission est favorable au service public du transport ;

– si la Commission ne dispose pas encore d’instruments statistiques complets, elle possède des éléments précis sur les gains de productivité des entreprises de transport ferroviaire. Il apparaît que la SNCF a réalisé des gains de productivité mais qu’ils n’atteignent pas ceux d’autres opérateurs de l’Union européenne, comme la Suède où les gains se sont élevés à 80 %. La Commission ne cherche cependant pas à imposer le système américain qui a permis de dégager 300 % de gains de productivité.

M. Michel Vaxès a rappelé qu’après les mouvements sociaux de la fin de l’année 1997, le Parlement français avait adopté la loi n° 98-69 du 6 février 1998 tendant à améliorer les conditions d’exercice de la profession de transporteur routier. Le mémorandum adopté en 1997 visant à harmoniser les règles sociales dans les transports routiers prenait certes en compte les préoccupations françaises mais, il n’a malheureusement pas été suivi d’effets, la directive européenne sur le sujet restant en panne du fait de l’intransigeance des organisations patronales.

Il a considéré que le nouveau projet de directive contenait certes quelques aspects positifs mais aussi de sérieuses insuffisances. Ainsi la définition du temps de travail n’inclut pas les temps d’attente, ce qui pose de graves problèmes de sécurité et de concurrence puisque d’un pays à l’autre les coûts du travail varieront. Il a fait observer que l’objection du coût financier que représentent de telles mesures pour les entreprises de transport ne tenaient pas dès lors que ce coût est intégralement répercuté sur les chargeurs.

Il a également regretté que de nombreuses dérogations soient introduites aux articles 3, 5 et 6 de la directive, risquant ainsi de remettre en cause l’économie générale du texte. Il est regrettable qu’aucune dérogation ne soit admise en matière économique et sociale, mais que toutes les exceptions soient tolérées dans le domaine social.

Il a ensuite estimé que la généralisation du chronotachygraphe électronique était un progrès et il a souhaité que soit mise en place au niveau européen l’obligation pour chaque conducteur d’avoir une carte personnelle unique et nominative. Il a enfin indiqué que les accidents impliquant en France des conducteurs étrangers posaient de difficiles problèmes de mise en œuvre des responsabilités et que pour les pallier, la réglementation communautaire pourrait s’inspirer du droit français qui impose aux chauffeurs routiers de présenter un document permettant de vérifier les conditions dans lesquelles s’effectue le transport.

Usant de la faculté offerte par le premier alinéa de l’article 38 du Règlement, M. Didier Boulaud, rapporteur au nom de la délégation pour l’Union européenne sur les trois propositions de directive relatives au transport ferroviaire, a demandé s’il était possible que ces trois textes soient adoptés séparément.

M. Claude Billard a tout d’abord estimé que la Commission souhaiterait aller plus loin que la directive 91/440 qui proposait d’ouvrir les réseaux nationaux à certains trafics et qui est appliquée de façon inégale suivant les pays. Il a relevé que la Commission proposait :

– l’introduction d’une libéralisation et d’une concurrence obligatoires en ouvrant 5 % du marché du fret immédiatement, pour atteindre progressivement 25 % au bout de 10 ans ;

– la suppression de l’obligation de regroupement international d’entreprises ferroviaires pour disposer du droit d’accès permettant d’effectuer du transport international ;

– et enfin, l’autorisation, pour des entités autres que les entreprises ferroviaires, de réserver des sillons.

Il a jugé que ces orientations reposaient sur un postulat idéologique, à savoir que la concurrence intramodale serait nécessaire à la modernisation et au développement du ferroviaire. Il a estimé que, selon la Commission européenne, les règles du marché, si elles étaient introduites dans ce secteur, modifieraient les comportements monopolistiques des entreprises. Le développement de la concurrence entre entreprises ferroviaires pourrait certes faire baisser le prix sur certaines parties du marché, mais mettrait en danger la situation globale et l’équilibre de ce secteur. Il a fait valoir que la péréquation tarifaire, à la SNCF, serait forcément remise en cause avec un tel système. Un tel « écrémage » des trafics les plus rentables par quelques entreprises importantes ne serait pas de nature, bien au contraire, à élargir le marché. Il n’est même pas sûr qu’il attirerait beaucoup de nouveaux entrants, compte tenu de la faible rentabilité du secteur.

Il a ensuite attiré l’attention sur le danger que recèle la proposition en permettant à des « candidats autorisés » de réserver des sillons. Cette possibilité n’est pour l’instant ouverte qu’aux entreprises ferroviaires, l’étendre à d’autres entraînerait deux conséquences négatives : d’une part, elle rendrait encore plus complexe l’utilisation des capacités d’infrastructure en multipliant les sources de conflit et les divergences d’intérêt entre les opérateurs, mais surtout elle conduirait à un affaiblissement des entreprises ferroviaires, qui ont toutes engagé d’énormes investissements et fait de grands efforts d’adaptation, en entraînant précisément une captation des liaisons les plus rentables au profit des donneurs d’ordre et en développant les fonctions de sous-traitance. En France, cela aboutirait, à terme, à mettre la SNCF ou RFF dans l’obligation de fermer des lignes peu ou pas rentables.

Il a estimé que la position de la Commission se contentait en fait d’une affirmation de principe sur les effets positifs présupposés d’une telle libéralisation, sans avoir d’exemple concret à apporter. En revanche, la France fait une application bien comprise de la directive 91/440 en accordant une priorité à la coopération, ce qui a produit des effets positifs. Celle-ci a prouvé son efficacité aussi bien dans le domaine du transport de voyageurs (avec le développement des services internationaux comme Eurostar, Thalys, Talgo, etc.), que dans le domaine du fret avec la mise en place des corridors entre la Belgique, le Luxembourg, la France et l’Italie.

Il s’est donc étonné qu’au lieu d’encourager ce qui se fait concrètement et développer le transport ferroviaire, la Commission propose de rendre obligatoires la déréglementation et la mise en concurrence. Dans ces conditions, est-il nécessaire d’imposer aux Etats, sur la base de simples hypothèses, une nouvelle législation communautaire interdisant à un groupe d’Etats de poursuivre dans le sens dans lequel il se sont engagés ?

Il a également demandé si la Commission n’allait pas au-delà de ses compétences et respectait le principe de subsidiarité. Il a estimé que dans le cas d’espèce il serait plus raisonnable de laisser les Etats qui s’y sont engagés à poursuivre leur expérience réussie de développement du transport ferroviaire avec certains de leurs voisins et de laisser les pays qui semblent vouloir libéraliser mener leur propre expérience. Une cohabitation des deux systèmes en Europe permettrait de juger de leur efficacité comparée dans la durée.

M. Jean Proriol a fait part de plusieurs points d’accord avec M. Neil Kinnock :

– il est nécessaire d’améliorer la performance des entreprises ferroviaires françaises tout en sachant que la France a un passé social et que par ailleurs la structure du réseau ferroviaire français centré sur Paris est pénalisante ;

– il faut plus de libéralisation car la France ne peut pas défendre la conquête de marchés extérieurs par ses entreprises nationalisées et bloquer l’ouverture du marché français ;

– il faut soutenir le développement des petites et moyennes entreprises du secteur du transport. M. Proriol s’est cependant déclaré inquiet sur le maintien de la gratuité du transit qui pénalise fortement les PME françaises ;

– il faut renforcer le transport collectif ; ainsi, il faut se féliciter que la SNCF ait aujourd’hui une politique commerciale plus dynamique.

Il a cependant regretté que le transport multimodal et les plate-formes multimodales n’aient pas été évoqués. Il a demandé si la Commission européenne avait une politique en la matière et préparait un schéma visant à une harmonisation de l’implantation de telles plates-formes sur le territoire de l’Union.

Il s’est également étonné que ne soit jamais abordée la question de l’évaluation de la performance des directives européennes qui sont nombreuses en matière de transport.

Il a enfin demandé si l’Union européenne avait adopté des positions en matière de liaisons transversales, le sud de la France étant notamment intéressé par la mise en place d’infrastructures le reliant à l’Italie.

En réponse aux différents intervenants, M. Neil Kinnock a apporté les éléments d’information suivants :

– les divergences subsistant entre les partenaires sociaux du secteur du transport routier n’ont pas permis d’arriver à un accord à la date limite du 30 septembre dernier. La Commission a donc établi un relevé des points de convergence entre les parties et espère pouvoir présenter à brève échéance des propositions susceptibles d’aboutir à un accord ;

– le secteur des transports est par excellence le lieu d’un conflit entre la libéralisation économique et la nécessité d’harmoniser les législations sociales. Le problème posé par la définition du temps de travail des chauffeurs a conduit la Commission à proposer de fixer comme référence une durée de 48 heures en moyenne sur six mois, incluant les périodes d’attente ou de chargement et déchargement des marchandises. D’éventuelles dérogations ne pourraient être accordées que moyennant l’octroi d’un temps de repos supplémentaire. La nouvelle directive proposée est donc inspirée du souci de garantir la sécurité des chauffeurs et du public, d’une part et, d’autre part, d’introduire dans le secteur du transport routier cette dimension sociale qui aujourd’hui lui fait défaut ;

– la question de la responsabilité encourue par les chauffeurs non nationaux en cas d’accident fait l’objet de discussions entre les Etats membres et la Commission, les premiers souhaitant le maintien d’une compétence nationale et la seconde préférant au contraire une harmonisation du traitement au niveau européen ;

– le « paquet infrastructures » laisse aux Etats la possibilité de progresser à des rythmes variés, ses éléments peuvent être être adopté séparément, mais il apparaît souhaitable que celui-ci soit bien considéré comme un ensemble intégré ;

– la Commission a présenté plusieurs propositions pour modifier la directive 91-440 et renforcer la concurrence en matière de transport ferroviaire : ce renforcement constitue en effet un élément fondamental de la philosophie qui inspire l’Acte unique et les traités fondateurs de l’Union européenne. La Commission souhaite la mise en place d’un processus d’ouverture progressive et les craintes d’une concurrence excessive n’apparaissent pas fondées dès lors que les services déjà offerts par les opérateurs publics seront considérés comme compétitifs.

L’introduction de changements de fond dans la politique du rail reste nécessaire car il existe des raisons sérieuses de penser que le fret ferroviaire pourrait disparaître à un terme relativement proche si rien n’est fait. Beaucoup critiquent en effet les moyens qui lui sont accordés et la rente économique dont bénéficient les entreprises publiques, alors qu’on peut considérer qu’étant dans une situation de concurrence avec le transport routier le rail n’est pas un monopole ;

– la coopération entre les Etats membres en matière de transport de passagers est naturellement très positive, mais dans le domaine du transport de marchandises, la coopération ne peut constituer à elle seule le moyen de gagner des parts de marché ;

– la Commission a présenté plusieurs propositions en faveur du transport combiné ainsi qu’une note identifiant les principaux obstacles à son développement. Il apparaît notamment souhaitable de réexaminer la structure des tarifs ferroviaires afin de rendre ceux-ci plus attractifs ;

– la libéralisation du secteur de l’aviation civile peut être considérée comme achevée, même si de nouvelles propositions sont à l’étude afin de renforcer la sécurité des passagers, la protection de l’environnement et les responsabilités éventuelles encourues par les entreprises privées ;

– l’inscription d’une ligne directrice « rail » identifiée au sein du budget de la Commission permettrait de contribuer au développement des transports transeuropéens.

M. André Lajoinie, président a pour conclure fait part de son scepticisme devant l’hypothèse d’une disparition du secteur. Il s’est en revanche déclaré très préoccupé par la perspective de voir seules subsister les lignes les plus rentables et disparaître les lignes moins fréquentées. Cette situation serait en effet inacceptable pour une démocratie, garante d’un égal accès des citoyens au réseau de transport à partir de n’importe quel point du territoire. S’agissant de la déréglementation dans le secteur de l’aviation civile, il a estimé que ses résultats étaient bien peu satisfaisants au regard des évolutions constatées en matière de régularité du trafic ou d’accessibilité des tarifs au plus grand nombre sur certaines destinations de province.

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