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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 64

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 23 juin 1999
(Séance de 9 heures 45)

Présidence de M. Pierre Ducout, président

SOMMAIRE

 

pages

– Examen du rapport d’information présenté par M. Gabriel MONTCHARMONT en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’application de la loi de réglementation des télécommunications.



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– Informations relatives à la commission

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La commission a examiné le rapport d’information de M. Gabriel Montcharmont en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’application de la loi de réglementation des télécommunications.

M. Jacques Rebillard, président de la mission d’information, a tout d’abord rappelé que les 13 et 18 juin 1996, l’Assemblée nationale puis le Sénat avaient voté la loi de réglementation des télécommunications, promulguée le 26 juillet, qui ouvrait le marché aux opérateurs et aux fournisseurs de services de télécommunications. Trois années s’étant depuis écoulées, la création d’une mission d’information par la commission de la production et des échanges a permis d’en faire une évaluation et de proposer des perspectives d’évolution.

Ainsi que l’a souligné M. Jacques Rebillard, président de la mission d’information, un premier constat s’impose : en moins de trois années, le secteur des télécommunications a beaucoup changé. La loi, bâtie autour de la téléphonie fixe, est confrontée à l’arrivée du protocole Internet, ainsi qu’aux évolutions très rapides imposées par les convergences technologiques permettant d’acheminer sur une même liaison la voix, l’image et les données et rapprochant les téléphonies fixe et mobile. Considérant que le développement des télécommunications stimule la croissance et favorise la modernisation de notre société, M. Jacques Rebillard a estimé que la France et l’Europe ne pouvaient ignorer une telle révolution. Aussi le marché intérieur qui se crée doit–il permettre aux entreprises françaises d’y expérimenter de nouvelles technologies pour prendre des parts significatives sur le marché mondial. Il a donc jugé que le défi était double : élargir une offre en la rendant accessible à tous et constituer une industrie performante s’appuyant sur une recherche dynamique.

Puis, M. Jacques Rebillard a précisé que la mission d’information avait procédé à l’audition des différents acteurs institutionnels, économiques, syndicaux et associatifs du secteur des télécommunications. S’agissant des responsables des principaux groupes privés de télécommunications et des syndicats d’opérateurs, ceux-ci ont exprimé leur satisfaction globale quant à l’organisation du marché et de la régulation résultant de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications. Les opérateurs privés ont cependant fait part de leurs craintes d’une impossibilité de fait d’une ouverture à la concurrence de la boucle locale, qui est pourtant commercialement déterminante dans la mesure où cette infrastructure est la seule donnant un accès direct aux abonnés et une maîtrise complète des relations avec la clientèle.

Le président de la mission d’information a souligné qu’en revanche, les dirigeants de France Télécom avaient fait valoir la rapidité de l’évolution du paysage concurrentiel, les efforts importants consentis par l’entreprise nationale et ses agents, ce qui autorisait un assouplissement des règles les plus contraignantes imposées à l’opérateur historique. S’agissant des syndicats d’agents des télécommunications, ces derniers ont exprimé leurs craintes d’une perte de substance des missions de service public et d’une dérive de l’opérateur public l’amenant à se conduire en entreprise purement commerciale poursuivant avant tout des buts de rentabilité financière.

M. Jacques Rebillard a appelé l’attention sur le fait que lors de ses déplacements en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Etats-Unis, la mission avait constaté que les principes d’organisation étaient largement comparables, sous réserve des structures fédérales ou centralisées des Etats. La mission a ainsi remarqué que l’indépendance de l’autorité de régulation était au cœur du système. De même, l’opérateur historique doit supporter des contraintes lourdes limitant sa liberté d’action commerciale, la consistance de ces contraintes variant selon les pays en fonction de l’état de la concurrence et du choix d’une régulation a priori ou a posteriori. Il est apparu, en tous les cas, que la téléphonie par Internet bouleversait radicalement le paysage des télécommunications, en donnant notamment une importance stratégique à la maîtrise d’une infrastructure filaire locale. Par ailleurs, la mission a constaté que les stratégies des opérateurs sont devenues mondiales en raison de l’internationalisation de la vie économique et de la mondialisation des réseaux. Selon le président de la mission d’information, l’étude des exemples étrangers est riche d’enseignements, mais il est apparu que la réglementation française et l’organisation de la régulation nationale étaient efficaces et avaient peu de choses à envier aux organisations retenues par les autres Etats qui connaissent, parfois, malgré une longue expérience de la libéralisation de leur marché, des difficultés importantes, donnant toujours naissance à de nombreux litiges.

Par ailleurs, M. Jacques Rebillard a souligné qu’une réunion de travail avec le directeur général de la société de l’information (DG XIII) et le directeur général adjoint de la concurrence (DG IV) de la Commission européenne avait permis de préciser l’appréciation de cette dernière sur le processus de construction du marché intérieur des télécommunications et d’ouverture à la concurrence des marchés nationaux. Il a également souligné que la Commission européenne entamait une réflexion sur l’adaptation des directives européennes au nouvel environnement, notamment au regard des phénomènes de convergence technologique entre les télécommunications, la communication audiovisuelle et l’informatique, la convergence entre les téléphonies fixe et mobile, l’accès à la boucle locale et le contenu du service universel.

Ces auditions et déplacements ont permis à la mission d’information d’aborder ses travaux sur la réglementation française en prenant en compte les contextes économiques et technologiques, la diffusion internationale des services de télécommunications et les orientations européennes de la réglementation. Le président de la mission a exprimé sa conviction que toute stratégie d’un opérateur de télécommunications devait avoir une envergure européenne et être conçue en fonction des impératifs de l’internationalisation du marché. Pour autant, il a estimé qu’il ne saurait être question de renoncer aux spécificités françaises, à savoir l’existence d’un service universel et les principes d’aménagement du territoire. Il a, en effet, considéré que ces principes et spécificités n’étaient pas un frein au développement des télécommunications, puisqu’ils avaient assuré, dans les années 1970 et 1980, le développement et la modernisation du marché français en portant France Télécom aux premiers rangs mondiaux. Ils ont ainsi structuré le pays et ont donc permis de créer un terrain favorable pour la pénétration des services des télécommunications les plus modernes dans toutes les couches sociales et tous les points du territoire.

En conclusion, M. Jacques Rebillard a souligné que les constats et propositions de la mission d’information avaient pour objectif de faire évoluer progressivement le cadre législatif et réglementaire, tout en laissant aux opérateurs la visibilité nécessaire pour adapter leur stratégie. Il a enfin émis le souhait qu’une suite soit donnée aux conclusions de la mission d’information et que cette instance de contrôle et de réflexion de la commission se pérennise, par exemple sous la forme d’un groupe de travail.

M. Gabriel Montcharmont, rapporteur a rappelé, à titre liminaire, qu’une évaluation de l’application de la loi du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications était indispensable. Ainsi nul ne prévoyait en 1996 qu’en 2002, la moitié des communications locales serait des télécommunications destinées au réseau Internet. Aujourd’hui, le secteur des télécommunications et de la communication au sens large représente 5 % du PIB français, soit une part supérieure à celle des secteurs de l’automobile et de l’énergie réunis.

Il a indiqué que la mission d’information estimait que les conditions juridiques arrêtées pour l’ouverture à la concurrence du marché des télécommunications étaient globalement satisfaisantes. Les opérateurs privés ont exprimé leur souhait d’une stabilité de cet environnement juridique.

Il a relevé que le contenu substantiel du service universel n’avait pas empêché l’émergence d’une concurrence forte sur le marché. Par ailleurs, les créations d’emplois ont équilibré les pertes d’emplois enregistrées à France Télécom ; on peut même estimer qu’il y a eu des gains nets d’emplois en prenant en compte les emplois induits dans les autres secteurs de l’économie. Il y a cependant urgence à élaborer une convention collective du travail applicable à tous les salariés du secteur des télécommunications.

Par ailleurs, il a indiqué que la mission d’information regrettait le manque de vision stratégique à long terme de l’évolution du marché et de la gestion des télécommunications.

En ce qui concerne le régime juridique des réseaux et des services, il a jugé satisfaisante la répartition des pouvoirs entre l’Autorité de régulation des télécommunications (ART) et le ministre chargé des télécommunications. Le véritable problème réside toutefois dans l’absence de capacité d’expertise du ministre, celui-ci ne disposant que d’une quinzaine de fonctionnaires pour traiter la réglementation des télécommunications.

Il a estimé que la discrimination positive en faveur des opérateurs réalisant des investissements n’avait pas été suffisamment mise en œuvre. La mission propose donc de définir plus strictement la notion d’investissement pour la délivrance des licences d’opérateur de réseau.

Constatant que les réseaux câblés de télédistribution sont achetés à prix fort à l’étranger par les opérateurs de télécommunications et les multinationales de l’informatique, le rapporteur a défendu la technologie des réseaux câblés qui peut avoir un grand avenir. De ce point de vue, il a regretté les démarches beaucoup trop timorées des opérateurs français gérant les réseaux câblés français.

La mission d’information demande que France Télécom vende les réseaux câblés dont il n’est pas l’opérateur commercial. L’achat de ces réseaux ne doit pas être fait dans des buts spéculatifs, mais s’accompagner d’investissements pour assurer la fourniture d’un accès à haut débit à Internet. Une procédure de vente en bloc par France Télécom ne serait pas satisfaisante au regard de l’intérêt général, cette vente doit se faire en priorité auprès des opérateurs commerciaux ou des municipalités. Par ces ventes, il est indispensable de parvenir à constituer des ensemble cohérents de réseaux câblés sur le territoire.

Il a ensuite indiqué que la mission d’information approuvait le nouvel article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales autorisant les collectivités locales à créer des réseaux de télécommunications inertes.

En matière de téléphonie mobile, la mission d’information s’est déclarée opposée à la mise aux enchères des bandes de fréquences et à la taxation spécifique des pylônes et antennes de télécommunication. Dès lors que chacun des trois réseaux mobiles couvre plus de 85 % de la population, la mission propose que soit fixée une obligation de couverture du territoire s’appuyant sur un critère de densité de population par canton.

Par ailleurs, la mission propose que les principes tarifaires de la téléphonie mobile soient alignés sur ceux du droit commun afin de faire cesser le caractère anormalement élevé des appels des postes fixes vers les postes mobiles (3 francs la minute).

En matière de numérotation, la mission propose de réserver les préfixes E à un chiffre aux opérateurs réalisant des investissements plus substantiels que ceux prévus par la décision n° 97-196 de l’ART. Le rapporteur a dénoncé les conditions d’attribution du préfixe 5 à l’opérateur Omnicom, mais s’est déclaré satisfait que l’ART ait décidé qu’un opérateur ne pourrait pas détenir deux préfixes E.

En matière d’accès à Internet, le rapporteur a souligné que le coût pour l’usager résultait avant tout de la facturation des communications locales. L’offre d’un forfait est certainement la réponse la mieux adaptée. La mission estime cependant qu’il existe encore des marges permettant, à l’avenir, de diminuer le coût du forfait de 100 F pour 20 heures de communications proposé par France Télécom. Par ailleurs, la mission estime que le développement d’Internet exige de disposer d’une liaison à haut débit.

En matière d’interconnexion, le rapporteur a jugé que le catalogue d’interconnexion de France Télécom pour 1999 plaçait la France en bonne position par rapport aux tarifs pratiqués dans les autres pays européens. Il est cependant nécessaire que les catalogues d’interconnexion de tout opérateur détenant plus de 25 % de parts de marché soient publiés avant le début du dernier trimestre précédant l’année sur laquelle ils portent.

Par ailleurs, la mission est hostile au dégroupage, qui segmente outrageusement le marché, conduit à des conflits permanents entre les opérateurs propriétaire et utilisateurs de l’infrastructure et n’incite pas les propriétaires de réseaux à investir. La mission demande que soient privilégiées la mise à niveau des réseaux câblés de télédistribution pour qu’ils puissent fournir des services de télécommunication, ainsi que la recherche en matière de boucle locale radio.

Par ailleurs, la mission affirme son attachement à un service public des télécommunications fort au contenu évolutif, afin que cette notion essentielle ne se réduise pas à un service minimum des télécommunications. Elle estime que le consommateur n’est pas, aujourd’hui, mieux informé que l’usager du temps du monopole de France Télécom et demande qu’un protocole de présentation des tarifs, en particulier de téléphonie mobile, soit établi afin que chacun puisse choisir rationnellement son opérateur.

La mission ne propose pas de revenir sur le découpage en trois branches du service public. Elle demande, en revanche, que le périmètre du service universel soit élargi aux services d’accès à Internet fournis aux établissements scolaires et de formation et aux services publics culturels, de recherche et de santé. De la même façon, la fourniture d’une liaison à haut débit devrait être incluse dans le service universel. Dans l’attente d’une révision des directives européennes indispensable à cette réforme, ces services d’accès à Internet devraient être inclus dans les services obligatoires.

La mission demande, d’autre part, que l’approbation des prochains tarifs de service universel veille à accentuer les baisses bénéficiant aux ménages. Elle réaffirme l’attachement du Parlement à la dimension nationale du service universel et déplore le retard pris pour la publication du décret mettant en place les tarifs sociaux. La mission juge indispensable qu’une campagne d’information soit organisée afin que cette dernière aide publique soit mieux connue des autorités en charge de l’action sociale.

Par ailleurs, la mission estime que la gestion de l’annuaire universel pourrait être concédée à La Poste et non à France Télécom.

En matière de financement du service universel, le rapporteur a fait part de l’hostilité de la mission à toute réduction des obligations de péréquation géographique imposées à France Télécom. Elle approuve, par ailleurs, la proposition de l’ART de calculer les coûts du service universel à partir des chiffres d’affaires des opérateurs afin que ceux acheminant des communications longue distance en utilisant des infrastructures ne leur appartenant pas participent au financement du service universel.

En matière de recherche, la mission a constaté que les opérateurs se détournaient de la recherche théorique pour se consacrer uniquement au développement. La mission estime que le réseau national de recherche en télécommunications doit devenir une instance de prospective et d’évaluation dotée de moyens financiers propres.

En matière de régulation du marché, le rapporteur a souligné que l’ouverture à la concurrence d’un marché monopolistique était toujours une opération difficile car elle devait également permettre de préserver le service public et de développer l’innovation et les investissements. La mission propose de supprimer le contrat de plan conclu entre l’Etat et France Télécom, ce document étant ou bien inutile ou bien un véritable plan stratégique d’entreprise qu’il serait délicat de dévoiler aux concurrents. Elle propose également de réduire le champ des homologations tarifaires aux seuls tarifs du service universel.

Par ailleurs, les pouvoirs du ministre devraient être revalorisés, celui-ci devant disposer de moyens d’expertise et d’une cellule de prospective et de veille technologique. La mission estime cependant que l’ART accomplit ses tâches avec impartialité et conformément à l’esprit et à la lettre de la loi. Ses pouvoirs de sanction financière devraient pouvoir être cumulés avec son pouvoir de suspension d’une licence.

En conclusion, le rapporteur a estimé que la convergence entre la voix, l’image et les données conduirait à poser la question d’un nouveau partage des régulations applicables aux télécommunications et à la communication audiovisuelle.

M. Félix Leyzour a tout d’abord signalé la richesse des travaux de la mission d’information qui éclairent les enjeux liés aux évolutions rapides du secteur des télécommunications. Il a noté qu’un domaine où les mutations sont aussi rapides pouvait être difficile à maîtriser pour qui n’en est pas spécialiste. Il a ensuite souligné l’importance concrète de ces questions, mise en évidence par les discussions relatives aux dispositions concernant les réseaux de fibres noires dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire. Il a enfin indiqué son intention de voir annexé au rapport de la mission un document rassemblant les observations qu’il souhaitait présenter au nom de son groupe.

M. Léonce Deprez a estimé qu’une des questions importantes abordées par la mission concernait la possibilité offerte aux collectivités locales par la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire de mettre en place des réseaux de fibres noires. Il a remarqué que la mission concluait que « la logique de cette nouvelle disposition législative (conduisait) à estimer que la création de telles infrastructures devrait s’inscrire dans les contrats de plan ». Dans cette perspective, il a insisté sur la nécessité d’une action volontariste de l’Etat pour que, dans ce domaine essentiel, les disparités entre les régions ne s’accentuent pas davantage.

En réponse aux intervenants, M. Jacques Rebillard a indiqué que le développement des réseaux de fibres optiques noires mettra les élus devant leurs responsabilités. Ils devront choisir les infrastructures à développer prioritairement, l’Etat gardant grâce aux contrats de plan, un instrument d’accompagnement essentiel du développement des technologies des télécommunications.

La commission a ensuite autorisé, en application de l’article 145 du Règlement et dans les conditions prévues à l’article premier de l’instruction générale du Bureau, la publication du rapport d’information.

——fpfp——

Informations relatives à la Commission

La Commission a nommé M. Daniel Chevallier, rapporteur pour :

· la proposition de résolution de MM. Jean-François Matteï et Pierre Lellouche (n° 1681) visant à créer une commission d’enquête sur les dysfonctionnements en matière de santé et de sécurité alimentaire révélés par l’affaire du poulet à la dioxine

· et la proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés (n° 1691) tendant à la création d’une commission d’enquête sur la sécurité de la filière alimentaire en France.


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