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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 22

(Application de l'article 46 du Règlement)

mardi 21 décembre 1999
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. André Lajoinie, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Louis GALLOIS, président de la SNCF

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La commission a entendu M. Louis Gallois, président de la SNCF.

M. André Lajoinie, président : Notre commission a entrepris une réflexion sur l'ensemble de la politique des transports en France mais aussi en Europe. Nous abordons l'examen du transport ferroviaire et c'est avec plaisir que nous vous recevons aujourd'hui, M. Louis Gallois. Vous êtes particulièrement qualifié pour nous apporter des informations utiles sur le sujet.

M. Louis Gallois : Merci, M. le président, de me donner une nouvelle fois l'occasion de m'exprimer devant votre commission.

Si vous le permettez, je ferais un point sur la situation de la SNCF en cette fin d'année avant de traiter quatre sujets majeurs. Les trois premiers seront le fret, l'Europe, et la régionalisation. Je conclurais en vous entretenant ensuite du projet industriel de la SNCF.

En ce qui concerne la situation de la SNCF, nous terminons l'année avec de très bons niveaux de trafics, aussi bien voyageurs que fret. Je vous ai apporté quelques-unes des planches que nous distribuons au conseil d'administration ; vous y noterez que sur les trois trafics principaux, qui sont les trafics de wagons, c'est-à-dire les tonnes/kilomètres, les trafics de voyageurs hors Ile-de-France et sur le réseau Ile-de-France, les tendances sont très bonnes. Elles sont excellentes pour ce qui concerne les voyageurs grandes lignes et j'observe que cette évolution favorable ne se dément pratiquement pas depuis 1995-1996, avec des pentes fortes.

Pour le trafic des wagons, vous constaterez que c'est un peu plus « les montagnes russes », mais que la tendance reste néanmoins bien orientée. Là aussi, même si nous restons marqués par les difficultés que nous avons rencontrées au cours de l'année passée, la hausse est réelle et la fin d'année elle-même est bonne.

Enfin le trafic que nous appelons « transilien » (c'est notre nouvelle terminologie pour l'Ile-de-France) est orienté à la hausse depuis 1996-1997 alors qu'il avait malheureusement pris l'habitude de baisser. L'ensemble des résultats enregistrés est donc encourageant.

Je ne suis bien entendu pas en mesure de vous communiquer les résultats financiers de la SNCF pour l'année qui s'achève. Toutefois, je peux d'ores et déjà vous indiquer que les bons chiffres de la fin de l'année nous aident à atteindre l'objectif d'équilibre des comptes que nous nous étions fixé pour 1999, hors provision pour le SERNAM.

2000 sera une année plus difficile pour nos comptes, parce que nous allons supporter le surcoût des 35 heures dans sa totalité, alors que les bénéfices que nous pouvons attendre d'une présence humaine plus importante, les gains de productivité qui peuvent résulter d'une meilleure organisation du travail, ou les effets de la modération salariale ne se feront sentir que progressivement. Le budget pour l'exercice 2000 n'est d'ailleurs pas totalement établi, puisque je ne le présenterai qu'en janvier au conseil d'administration.

Quant à la situation sociale, je voudrais l'apprécier avec l'indicateur le plus simple qui est celui de la conflictualité. A cette aune, en 1999, on a constaté une accalmie considérable par rapport à 1998. J'ajoute que cette année a été celle de la signature de l'accord sur les 35 heures, le 5 juin, par les deux principales organisations syndicales de l'entreprise, la CGT et la CFDT, ainsi que par le syndicat des cadres supérieurs. Nous avons mené pendant l'automne les négociations et les concertations locales ; actuellement, ces dernières sont achevées et nous procédons au vote dans les comités d'établissement régionaux et les comités d'établissement propres à chacune des directions. Ces votes seront achevés à la fin de la semaine et les premiers résultats sont plutôt encourageants, puisque sur un total de 15 scrutins clos, il y a eu 9 votes positifs, 2 votes équilibrés et 4 votes négatifs, ce qui est assez représentatif de la situation telle qu'elle résultait de la consultation organisée auprès de l'ensemble des personnels. J'ai le sentiment que cet accord sur les 35 heures, à la fois par la méthode de négociation et par son contenu (la SNCF va être créatrice d'emplois entre 1999 et 2001, après avoir été très longtemps en perte d'effectifs) a évidemment joué un rôle important dans la réduction des tensions sociales dans l'entreprise. Ceci ne veut pas dire pour autant que tous nos problèmes soient résolus.

Après ce bref point sur la situation d'ensemble de la SNCF, j'aborderai le premier thème de mon intervention, qui porte sur le fret. Nous savons que nous sommes face à un problème de société. Globalement le trafic de marchandises en France va, sur les dix ou douze prochaines années, doubler. Est-ce que le chemin de fer y maintiendra sa part ? C'est-à-dire est-ce que le trafic ferroviaire de fret sera, sur les dix ou douze prochaines années, multiplié par deux ? C'est l'objectif que nous a fixé le Gouvernement par l'intermédiaire du ministre des transports. C'est un objectif très ambitieux par rapport à ce que nous savons faire ; pourtant c'est un objectif dont je dirai qu'il est raisonnable par rapport à la répartition des trafics, il ne prévoit en effet qu'un simple maintien de notre part de marché globale, à quelques pourcentages près.

Il ne s'agit donc pas de déplacer massivement le trafic de la route sur le chemin de fer, mais seulement d'éviter que tout ne transite par la route dans des conditions que personne ne sait d'ailleurs contrôler, qu'il s'agisse de la saturation du réseau routier et autoroutier, de la pollution dans un certain nombre de zones, ou de la sécurité des circulations.

Nous sommes donc face à un problème de société. Quand on parle à la SNCF de ce type de problèmes, elle est saisie et pétrifiée, mais elle doit essayer de faire face. Nous avons clairement des problèmes liés à la qualité de notre prestation fret par rapport à la qualité de la prestation routière, ainsi que des problèmes de capacités.

S'agissant des problèmes de qualité, ceux-ci relèvent, je le crois, de la SNCF. J'ai d'ailleurs le sentiment, et c'est une philosophie que j'essaie d'inculquer à l'intérieur de l'entreprise, que si elle veut pouvoir demander en toute légitimité des investissements sur le réseau ferroviaire, il faut qu'elle ait fait elle-même les efforts nécessaires pour les justifier, en utilisant au mieux l'instrument dont elle dispose d'ores et déjà, avant de demander que l'on accroisse les capacités.

C'est pourquoi nous sommes engagés dans une réflexion très globale sur notre mode de production ; nous cherchons à déterminer quel est celui qui nous permettra d'écouler le plus de trafic possible. Il faut savoir que les trafics, non seulement augmentent en quantité, mais se transforment en qualité. Les trains de fret roulent maintenant de jour et non plus de nuit, puisqu'une partie de ce trafic est internationale. Or, quand vous faites rouler un train de Valence en Espagne à Dunkerque, il y a nécessairement un moment où il roule de jour. En outre, dans les « étoiles » des grandes villes, le développement des circulations régionales entraîne des effets de saturation des installations. Par ailleurs, l'accroissement des différenciations de vitesses entre les différents trains a pour effet de saturer et de réduire les capacités, car un train rapide, comme un train qui va très lentement, a un effet de saturation de la capacité de l'infrastructure sur laquelle il roule. Ce qui est important en effet c'est la différence de vitesse entre les trains qui circulent sur la même infrastructure.

J'ajoute que les exigences de nos clients en matière de fret se sont très sensiblement accrues. Quand nous transportions du charbon ou du minerai de fer, un retard de 24 heures n'était pas dramatique. Actuellement, la ponctualité d'une partie de nos trafics doit être respectée au quart d'heure. Les exigences de qualité et de ponctualité sont donc complètement différentes d'autrefois ; c'est tout cela que nous devons assumer et je pense que la SNCF doit réfléchir à une modification profonde de ses modalités de production si elle souhaite être en mesure d'accueillir ces trafics, et de les accueillir en qualité.

Ceci nous conduit à affecter des moyens propres, en hommes et en matériels, à chacune des activités, au fret en particulier. Ceci nous oblige également à organiser nos circulations, c'est-à-dire répartir nos sillons (les sillons sont les kilomètres de train pendant certaines tranches horaires) de telle manière que chacun puisse passer, ce qui veut dire que sur certains itinéraires nous donnons clairement des priorités au fret, par exemple sur l'axe Dunkerque/Metz, qui passe quand même à travers l'agglomération lilloise, entrant en conflit évident avec les TER. L'axe Metz/Dijon/Lyon et la rive droite du Rhône sont des axes sur lesquels nous accordons également clairement des priorités au fret.

Nous souhaitons que dans toutes les tranches horaires le fret puisse trouver des espaces disponibles pour circuler, parce que si un train de fret perd son sillon, c'est-à-dire s'il prend du retard, il ne pourra pas le rattraper si dans la tranche horaire qui suit il n'y a pas de place pour ce type de train. Or, ce qui se passe actuellement, c'est que lorsqu'un train de fret perd son horaire, il ne retrouve de la place que 4, 5 ou 6 heures après, produisant des effets cumulatifs de désorganisation. Il faut donc que nous soyons capables de structurer les circulations.

Dernier point qui concerne des problèmes d'organisation de la SNCF, il existe 23 postes de commandement et il est clair que cela morcelle notre vision du trafic, si nous voulons par exemple utiliser des itinéraires alternatifs. Si nous souhaitons pouvoir régler des situations perturbées, il faut qu'il y ait des endroits où l'on ait une vision globale et synthétique des circulations. C'est pour cela d'ailleurs que nous venons de créer à la gare Saint-Lazare un centre national des opérations totalement informatisé qui reçoit l'ensemble des informations relatives au réseau, afin de pouvoir traiter, en temps réel et au niveau national, ces situations perturbées.

C'est un travail considérable, qui supposera une concertation approfondie avec les agents, car beaucoup d'entre eux sont concernés. Tout cela est très compliqué : dédier des locomotives, c'est simple, mais affecter des agents de conduite pendant une certaine période à certaines activités c'est déjà beaucoup plus difficile. Les postes de commandement sont des lieux où se trouvent de nombreux agents, il faut leur expliquer que leur travail va évoluer. Nous avons donc à accomplir un très important et très long travail d'organisation de nos méthodes de production.

Cela étant dit, une fois que nous aurons balayé devant chez nous, ce qui me paraît nécessaire, il n'en restera pas moins que nous aurons besoin d'investissements. Vous recevez demain Claude Martinand (président de Réseau ferré de France, ndlr). Je ne sais pas si je suis là pour introduire son propos mais, pour ce qui me concerne, je crois que nous n'échapperons pas, si nous voulons doubler le trafic, à des investissements considérables. Nous avons établi quelques chiffrages. Je ne veux pas en faire état aujourd'hui, car ils sont encore un peu faits « sur un coin de table », ce sont des dizaines de milliards de francs qui sont en jeu. Mais si ces investissements n'étaient pas consacrés au rail, il faudrait les faire sur la route, car le trafic doit bien passer quelque part.

Ce sont d'abord des investissements en matériels roulants : il va falloir que nous achetions des locomotives. Nous en avons déjà acquis 150 en 1998 ; nous sommes en train de réfléchir avec nos amis allemands à un type de locomotive diesel fret européenne, soit que nous achèterions ensemble pour bénéficier de l'effet de masse de notre commande, soit que nous demanderions aux industriels de développer ensemble.

Il faut ensuite se préoccuper des plates-formes. Les constructions des chantiers sont menées à un rythme qui me paraît insuffisamment rapide. Il y a des urgences qui sont la plate-forme de Lomme près de Lille, je crois que celle-ci est en bonne voie de réalisation ; d'autres, telles la plate-forme de Vaires, ou la plate-forme de Champfleury à Avignon, soulèvent chacune des problèmes complexes mais permettront de satisfaire des besoins extrêmement forts. D'autres devront suivre. Par ailleurs, il y a aussi des investissements de capacités sur le réseau à réaliser.

Je ne peux pas dire que rien ne se fait, car beaucoup de choses se réalisent. M. Claude Martinand et moi-même, avons proposé au ministre que la moitié au moins des investissements de Réseau ferré de France ne soit pas consacrée au réseau TGV. Le ministre a accepté cette proposition, ce qui permet évidemment de dégager des enveloppes importantes pour ces investissements de capacités.

L'augmentation extrêmement forte de la part ferroviaire des contrats de plan Etat-régions permettra de réaliser un certain nombre d'investissements de désaturation. Je dois rendre ici hommage aux assemblées régionales qui ont accepté d'inscrire dans les contrats de plan des investissements de désaturation qui ne sont pas des investissements « politiquement » très visibles (quand vous désaturez la gare Matabiau à Toulouse, doublez ou quadruplez les voies au nord de Bordeaux, entre Bordeaux et Senon, il n'y a pas d'inauguration très médiatique à organiser) mais qui n'en sont pas moins des investissements indispensables et très lourds. Il en est de même pour l'Ile-de-France, où se trouve le fameux « n_ud d'Ermont » où toutes les voies se croisent, dans une étoile à cinq branches, et où les difficultés sont encore multipliées lorsque, chaque matin, il convient de gérer, en plus du fret, les trains de voyageurs. Le conseil régional d'Ile-de-France a lui aussi accepté de consacrer des investissements à la désaturation de ce point.

Je note également que dans le cadre du réseau transeuropéen de fret ferroviaire, la Commission européenne a accepté d'inscrire 200 millions d'écus sur l'année 2000 pour la désaturation ferroviaire. Tout cela est important ; je pense toutefois qu'il faudra aller plus loin au cours des prochaines années, à la fois pour désaturer, mais aussi pour créer des lignes nouvelles de fret, peu nombreuses, mais dont certaines me paraissent au moins devoir être étudiées. Ainsi, il serait important qu'une ou deux lignes nouvelles de fret nous permettent d'évacuer une partie du trafic de transit, notamment entre le tunnel sous la Manche et l'Allemagne, sinon des phénomènes de saturation nous empêcherons de valoriser cet outil que représente le tunnel.

Quant à l'Europe, je ne reviendrai pas sur le fait qu'elle me paraît être le vrai domaine de pertinence pour le chemin de fer, l'Europe est configurée pour le chemin de fer, et constitue un espace de développement évidemment important. Ceci ne veut pas dire que l'on ne doive plus s'intéresser à la dimension nationale : il est clair que nous ne pourrons partir à l'assaut ou à la conquête des trafics européens que si nous avons une base nationale qui fonctionne bien. L'essentiel de notre activité restera évidemment nationale, il n'en demeure pas moins que les trafics européens constituent un champ de développement. Permettez-moi de vous donner un seul exemple. Le trafic transfrontalier entre la France et l'Allemagne, depuis la frontière luxembourgeoise jusqu'à la frontière suisse est assuré à 98,5 % par la route et à 1,5 % par le chemin de fer. Est-ce normal ? Notre part de marché est ridiculement basse dans ce trafic alors qu'il existe des migrations très importantes entre les régions concernées. Il y a là une possibilité de croissance élevée.

Je voudrais dire un mot de la nouvelle donne institutionnelle. Un Conseil européen des ministres des transports s'est tenu les 9 et 10 décembre derniers. Il a confirmé les orientations prises au cours du conseil précédent du 6 octobre, c'est-à-dire la constitution d'un réseau transeuropéen de fret ferroviaire constitué des principaux axes sur lesquels circulent les trains de fret en Europe. Les entreprises ferroviaires y bénéficieraient de garanties d'accès, dans des conditions dont chaque pays resterait maître, selon le principe de réciprocité. Parallèlement, des conditions d'interopérabilité seraient assurées sur ce réseau transeuropéen, les péages devant être harmonisés afin de permettre une fluidité des trafics. Des investissements de désaturation seraient effectués, grâce à l'enveloppe de 200 millions d'écus que j'évoquais précédemment. En outre, des normes de sécurité européennes devraient être adoptées. Tel sont les principes.

Cette idée présentée par M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement le 6 octobre, est extrêmement intéressante, à la fois sur le fond, car il s'agit vraiment des axes sur lesquels s'effectue l'essentiel du trafic fret mais aussi politiquement car cela a permis de faire cesser un débat absolument stérile opposant ceux qui étaient favorables à la libéralisation et ceux qui étaient contre. On discutait plus de savoir s'il fallait libéraliser ou pas que de savoir si cela développerait le trafic ou non. En outre, il est clair que ce débat sur la libéralisation apparaissait à toutes les entreprises ferroviaires comme totalement académique, déconnecté de la réalité du terrain, et ne plaçait pas la France dans la meilleure situation.

Nous sommes désormais dans un schéma qui recueille l'accord de la Commission et du Conseil des ministres, c'est-à-dire dans une situation où non seulement la France n'est pas menacée d'isolement, mais au contraire, a un rôle d'initiative et a réussi à obtenir un quasi-consensus européen. On ne parle plus désormais des aspects idéologiques, mais on s'intéresse concrètement aux conditions de circulation des trains. Je dois vous dire, qu'aussi bien au sein de la communauté des chemins de fer dont je vais prendre la présidence, à partir du premier janvier, que dans les discussions bilatérales que j'ai eues la semaine dernière avec mes homologues belges et allemands, on se réjouit de pouvoir désormais se consacrer à des affaires sérieuses.

Il y aura une directive sur l'interopérabilité, mais il faut savoir que l'interopérabilité n'est pas uniquement une affaire de directive ; c'est également une affaire d'argent. Excusez-moi d'en parler à nouveau, mais quand il s'agit d'utiliser le même courant électrique sur plusieurs réseaux, ou d'avoir des machines qui soient bi, tri ou quadri-courant, c'est évidemment une question d'argent. Lorsqu'il s'agit d'harmoniser les systèmes de signalisation pour que les trains puissent circuler d'un pays à l'autre sans aucun problème, que les conducteurs puissent conduire sur un réseau ou sur un autre, c'est également une question d'argent. Donc, derrière l'interopérabilité, il ne faut pas se faire d'illusion, il y a des investissements significatifs.

Concernant les goulets d'étranglement, s'il est prévu, comme je l'ai indiqué, 200 millions d'écus pour 2000, nous souhaitons que la Commission s'engage dans un véritable plan pluriannuel.

S'agissant de l'harmonisation des péages, nous restons un peu sur notre faim car il est clair que dans la discussion les Allemands, qui ont les péages les plus élevés, ont quelque peu conditionné leur accord général sur cette affaire au fait qu'on ne remette pas en cause leur tarification de péages. L'harmonisation des péages n'est donc citée que comme une possibilité. Les Allemands vont engager, ce qui est assez courageux, un débat public sur les péages ferroviaires dans leur pays. Il sera intéressant de voir comment ce débat public, auquel nous serons associés, va se dérouler.

Le dernier point sur lequel il semble important d'insister, est la concurrence intermodale. Les mêmes conditions doivent être assurées aux différents modes de transport dans cette compétition. Je sais bien que nous sommes complémentaires de la route, mais nous sommes aussi concurrents et nous souhaitons donc que soient tranchées les questions décisives relatives au financement de l'infrastructure, au code de la route à appliquer, aux conditions de sécurité mises en _uvre ou au statut social des personnels qui travaillent dans les différents modes de transport. Le mode de transport ferroviaire du fret ne pourra se développer que si des conditions de concurrence intermodales équitables sont mises en _uvre. Ce point de vue est celui exprimé par toutes les entreprises ferroviaires, notamment par la Deutsche Bahn, qui subit de fortes pressions de la part de certains transporteurs routiers qui détournent les règles communautaires et cassent le marché. Il faut savoir que Willy Betz, le grand camionneur allemand, qui utilise des chauffeurs roumains, bulgares, etc. fait passer à la frontière espagnole un camion environ toutes les quatre minutes , et ce 20 heures par jour ! C'est pour vous dire que nous sommes soumis à une certaine pression.

Je viens de dessiner le paysage européen institutionnel. Nous devrons travailler pour mettre la SNCF en situation de jouer véritablement son rôle en Europe. Notre stratégie est d'abord de cultiver notre propre jardin, c'est-à-dire d'être bons en France notamment afin d'éviter que d'autres n'aient la tentation de venir chez nous.

Deuxièmement, nous voulons utiliser le groupe SNCF car dans le domaine du fret nous devons passer du statut de transporteur ferroviaire à celui d'opérateur français de logistique européenne ; nous devons aller aussi loin que possible dans l'organisation logistique de nos clients et traiter cette demande au niveau européen ; c'est un des axes prioritaires de notre stratégie fret. Dans le domaine des voyageurs, nous voulons devenir un opérateur multimodal, certes à dominante ferroviaire, capable d'articuler les modes de transport entre eux, notamment dans les grandes agglomérations, entre le ferroviaire lourd, le ferroviaire léger (tram, train), le métro et la route. C'est le sens de nos acquisitions récentes : ERMEWA, wagonnier et un opérateur logistique suisse, et Via-Gti en France.

Troisièmement, nous voulons tisser un réseau d'alliances afin de consolider les trafics que nous gérons sur le plan international en offrant, avec nos voisins, des solutions de qualité. C'est ainsi que dans le domaine des voyageurs, nous avons fait Eurostar, Thalys ; nous venons de créer une société pour les trafics italiens avec les FS. Avec la Suisse, nous créons également un outil qui permettra de gérer le TGV franco-suisse de manière optimale. Pour le fret, nous tissons aussi des liens avec l'Espagne et l'Italie pour le trafic sidérurgique, avec l'Espagne pour l'agro-alimentaire, avec l'Italie pour les céréales et dans le domaine du transport combiné avec les Belges. Nous allons également coopérer avec les Allemands sur un certain nombre de trafics. Nous voulons ainsi tisser un réseau de structures communes avec nos voisins, qui nous permette de fidéliser notre clientèle et d'assurer dans de bonnes conditions les différents trafics.

Il faut savoir que ces alliances, ces structures, vont prendre des formes de plus en plus fortes. A terme, se posera la question de savoir si ces structures deviendront de véritables structures ferroviaires, et si Eurostar, par exemple, deviendra propriétaire de ses propres rames, ce qui n'est pas le cas actuellement. C'est un pas que nous n'avons pas décidé de franchir, mais il y aura un débat certainement, d'ici deux ou trois ans, sur des questions de ce type. Nous risquons d'ailleurs d'y être conduits par la Commission européenne qui peut vouloir de nous obliger à créer des opérateurs ferroviaires dont nous serions les actionnaires et qui seraient en quelque sorte nos filiales.

Quatrièmement, nous prenons des initiatives bilatérales pour aller plus loin sur les coopérations et sur le matériel commun ; c'est le sens de ce que nous avons fait avec les Allemands la semaine dernière sur le TGV de nouvelle génération, au-delà de 2010, et sur la locomotive fret.

Je serai beaucoup plus bref sur la régionalisation car c'est un sujet qui vous est plus familier. Je crois que c'est un succès, à la fois en termes d'offre de services - matériels, gares, dessertes - que de trafics et de relations entre les autorités organisatrices et la SNCF. Cela fait beaucoup évoluer la SNCF et a conduit les autorités organisatrices à véritablement définir le service public, ce qui est à mon avis leur rôle essentiel, et à en assumer les conséquences. La régionalisation a influé positivement sur la motivation des personnels de la SNCF car ils ont vu que nous étions partis à la reconquête de trafics qu'ils considéraient comme abandonnés dans le passé. Je pense qu'il y a eu sur ce point un changement d'attitude des cheminots.

Notre souhait est évidemment la généralisation de la régionalisation. Puisqu'il s'agit d'une loi de décentralisation, c'est une affaire qui relève du pouvoir politique. Ce n'est donc pas à moi de fixer les calendriers, mais je souhaiterais que nous ne restions pas trop longtemps dans une situation où nous aurions simultanément des régions expérimentales bénéficiant d'une dynamique, d'une croissance, de matériels nouveaux, etc., et des régions qui seraient à la traîne, car cela introduirait des différences de plus en plus difficilement acceptées. Nous avons également pour mission d'assurer une qualité de service comparable sur l'ensemble du territoire, même si on ne peut pas garantir qu'elle soit exactement la même dans une région extrêmement peuplée, comme la région Nord-Pas-de-Calais, et dans une région beaucoup plus rurale, comme Champagne-Ardennes ou le Limousin. Nous avons donc un souhait, c'est que cette dynamique de la régionalisation ne s'essouffle pas, qu'elle garde son rythme, mais encore une fois, nous avons conscience que la question du calendrier est une question extrêmement difficile pour le Gouvernement. C'est pourquoi je ne souhaite pas m'exprimer plus avant sur ce sujet.

Nous avons un certain nombre de problèmes à résoudre, au premier rang desquels la transparence comptable, avant la généralisation de la régionalisation. Nous devons être capables de produire un compte TER reconnu par nos partenaires régionaux. Nous y travaillons beaucoup et voulons que les comptes pour l'exercice 2000 soient attestés par des commissaires aux comptes, de telle manière qu'ils puissent véritablement être pris en compte comme base de la généralisation de la régionalisation. Nous menons ces opérations de transparence en relation avec l'Association des régions de France. Pour qu'il y ait décentralisation, il doit y avoir transfert de ressources. J'ai compris que certaines régions souhaitaient pouvoir disposer d'une ressource aussi pérenne que possible. Nous avons à résoudre des problèmes de tarifs, mais c'est là un problème de gestion quotidienne, car la SNCF essaie d'articuler le tarif national et les tarifs régionaux pour assurer une certaine égalité de traitement sur l'ensemble du territoire national, et les régions sont tentées au contraire d'articuler le tarif régional avec le tarif local, pour assurer l'intermodalité dans les grandes agglomérations. Nous devons tenir compte de ces deux éléments et trouver des solutions de compromis.

Nous devrons également évoquer avec les régions les problèmes des conflits de circulation qui peuvent apparaître entre le TER, le fret et les grandes lignes ; je dois dire que je trouve chez elles un intérêt réel pour ces sujets. Elles sont parfaitement conscientes de la nécessité de faire passer tous les trafics ; nous en débattrons avec elles, dans la plus grande franchise afin qu'elles comprennent nos impératifs, qui sont de ne pas opposer les trafics les uns aux autres mais de les faire tous passer en assurant les compromis nécessaires.

Enfin, il y a le problème des tarifs sociaux. C'est une affaire qui relève du Gouvernement que de savoir comment compenser les tarifs sociaux nationaux qui s'appliquent aux TER, c'est une question de technique, mais liée également à d'importantes questions d'argent. Je sais qu'elle est évoquée par certains présidents de région.

En conclusion, je voudrais vous dire que nous sommes en période de préparation de la deuxième étape du projet industriel de la SNCF 2000-2002. Nous avons le sentiment d'avoir, au cours de la première étape, établi les fondations de la maison, d'une nouvelle SNCF qui ne fait pas fi du passé mais qui vise l'avenir, et que la deuxième étape doit être celle où nous concrétiserons un certain nombre de nos ambitions. Ces ambitions sont le doublement du trafic fret en dix ans, la poursuite de la croissance des trafics voyageurs ; les courbes que j'ai distribuées vous montrent ce que représente pour nous la poursuite de cette tendance. Il s'agit enfin de réussir la généralisation de la régionalisation et d'être capables de devenir un grand opérateur européen.

Nous allons insister dans cette deuxième étape du projet industriel, à la fois sur les fondamentaux de la production, la sécurité des circulations, la régularité et la fiabilité. Nous considérons qu'il nous faut également, au cours de cette deuxième étape, aller vers le client. Nous allons, comme je l'ai indiqué, modifier assez profondément nos méthodes de production et notre mode de fonctionnement interne. L'entreprise doit ainsi fonctionner de plus en plus par activités. Enfin, nous devons assurer l'équilibre financier sur les trois prochaines années, car je crois que la SNCF n'assurera sa pérennité que si elle est capable d'équilibrer ses comptes dans le cadre financier qui lui est tracé. En dernier point, j'aborderai la question du dialogue social qui, dans une entreprise de 175.000 agents, est un élément absolument décisif, sans lequel on ne peut rien faire. Il faut que tout ceci rencontre la compréhension et si possible l'adhésion et la participation active des personnels. Il faut donc qu'ils se sentent associés à toutes ces démarches. Je souhaite également que cela permette d'engager le dialogue social sur des voies plus constructives ; je ne dis pas de le développer en quantité, car il est hyper-développé de ce point de vue, mais il était peu constructif. Je pense que nous avons fait quand même depuis un an ou dix-huit mois d'assez sérieux progrès, mais nous devons les poursuivre de telle manière que nous débouchions sur une situation qui permette le développement de l'entreprise, ce qui est évidemment ce que souhaite à la fois la collectivité nationale qui nous confie ce magnifique outil, les personnels et la direction de l'entreprise.

M. André Lajoinie, président : Nous allons passer aux questions. Je vais tout d'abord donner la parole à notre rapporteur pour avis sur les transports terrestres, M. Jean-Jacques Filleul, qui est également président du Conseil supérieur du service public ferroviaire.

M. Jean-Jacques Filleul : J'adhère globalement aux grandes orientations que vous avez formulées ici, qui doivent permettre de redonner au rail, en France et en Europe, toute sa place. Simplement parfois, quand on voit l'immensité de l'effort qu'il va falloir réaliser, en particulier dans le domaine des transports de marchandises, et la petite implication financière de l'Europe, je me demande s'il ne faudrait pas que les ministres des transports européens mettent en place un plan Marshall pour la reconquête du fret ferroviaire, qui est véritablement un problème majeur. Vous avez eu raison d'en parler prioritairement, car si nous ne sommes pas en mesure de donner au fret, qui représente environ 10 % des transports de marchandises, une place forte dans les transports en France ...

M. Louis Gallois : Non, c'est plus que cela.

M. Jean-Jacques Filleul : 17 % ?

M. Louis Gallois : Oui, 17 %.

M. Jean-Jacques Filleul : Il est évident que si nous ne sommes pas capables de le faire les citoyens nous le reprocheront. Il y a là un effort considérable à fournir que nous ne pourrons pas faire en France sans aide européenne, vous l'avez rappelé tout à l'heure : l'interopérabilité, les problèmes de sécurité, tous les problèmes de signalisation représentent des investissements considérables. Je vous ai entendu parler un jour du coût de la mise aux normes identiques en Europe de tous les réseaux de signalisation qui est énorme, et pourtant, il faudra bien y arriver.

Je n'irai pas plus loin sur ce sujet, pour laisser à mes collègues le soin de poser leurs questions, mais je souhaitais vous interroger sur ce point : êtes-vous personnellement favorable à une très forte implication de l'Europe, et à quel niveau, dans cette reconquête du transport de marchandises européen ?

Par ailleurs, vous avez indiqué tout à l'heure que le transport combiné faisait évidemment partie du transport de marchandises. On sait qu'il faut l'organiser ; dans quelles conditions ?

La SNCF est très impliquée dans le réseau transilien, vous l'avez juste évoqué. J'ai toujours considéré que la régionalisation a été un élément décisif pour la reconquête des trafics, y compris pour les grandes lignes. Il me semble donc que vous devriez nous indiquer les éléments sur lesquels vous comptez vous fonder pour développer le réseau d'Ile-de-France, en qualité, en ponctualité et en sécurité. C'est très important aujourd'hui.

En même temps, je m'interroge sur les capacités actuelles de la SNCF, étant donné les pressions financières liées au projet, déjà très avancé, de TGV Est. Il va entraîner pour l'entreprise que vous dirigez d'importants investissements en matériels. Avez-vous les moyens d'y faire face ?

Une question sur la régionalisation : vous avez tout à l'heure expliqué qu'il était important que la SNCF fournisse des efforts en matière de transparence financière, c'est décisif, me semble-t-il. Je suis personnellement favorable à la régionalisation et surtout à l'extension rapide de cette régionalisation pour éviter, si possible, qu'il y ait trop d'inégalités sur le territoire national en matière de transport ferroviaire. Mais, vous le savez bien, il semblerait que les régions qui ne sont pas aujourd'hui organisatrices de transport ferroviaire se heurtent à un problème financier. Il faut donc tout d'abord que les comptes soient clairs et précis. Disposez-vous des chiffres relatifs à l'équilibre ou au déséquilibre des comptes dans les sept régions qui font partie de l'expérimentation en cours ?

Dernier point : vous avez annoncé que les comptes pour l'exercice 2000 seraient difficilement équilibrés compte tenu de l'application de l'accord sur les 35 heures. Nous sommes intervenus à l'Assemblée à différentes reprises sur ces sujets pour interroger le Gouvernement ; quelles sont les évaluations financières du coût des 35 heures en année pleine, avez-vous trouvé dans la loi de finances un certain nombre de réconforts sur ce sujet ?

M. Léonce Deprez : Nous avons apprécié la clarté de votre exposé. Je voudrais vous poser brièvement quatre questions. Quand M. Jean-Claude Gayssot est venu devant notre commission, il a annoncé qu'il fallait 20 milliards de francs pour l'adaptation du réseau ferré. Etes-vous d'accord avec ce chiffre ? D'autre part, sur combien d'années porte-t-il ?

Deuxièmement, vous venez de dire que, pour adapter la SNCF au fret, des dizaines de milliards de francs étaient nécessaires. Qu'en pense le ministre ? La SNCF et RFF sont-ils d'accord sur les sommes nécessaires à cette adaptation ?

L'Europe représente une chance considérable, avez-vous dit, pour le fret ; or, il y a eu récemment une réunion du conseil des ministres des transports à Luxembourg, dont « la vie du rail » a fait état ...

M. Louis Gallois : Si vous lisez « la vie du rail », je n'ai plus aucun secret pour vous.

M. Léonce Deprez : « La vie du rail » a effectué un relevé des lignes fret, notamment partant du Tunnel sous la Manche. Les ambitions exprimées dans ce plan devraient se traduire par des investissements conséquents dans les contrats de plan Etat-régions. La ligne tunnel sous la Manche, Abbeville, Amiens, devrait notamment être électrifiée.

M. Louis Gallois : Ligne pour laquelle vous avez un certain attachement !

M. Léonce Deprez : C'est une question importante ; la modernisation et l'électrification de cette ligne, dite maintenant « flèche picarde et d'Opale » pourraient, d'une part, nous aider à régler le problème des voyageurs, et, d'autre part, permettre la participation de la SNCF au développement de l'économie touristique. C'est une proposition que j'ai faite voici déjà trois ou quatre ans.

Notre commission a auditionné des autorités importantes qui ont fait état d'erreurs dans la conception d'équipements qui ne seraient pas utilisés. Comme cela va coûter très très cher, je m'informe auprès de vous : est-ce que la SNCF partage le point de vue selon lequel les grandes plates-formes logistiques, comme celle de Dourges, sont inutiles et coûteuses ?

M. Louis Gallois : Quel ordre de grandeur ?

M. Léonce Deprez : Est-ce que ces grandes plates-formes justifient l'argent que les régions veulent leur consacrer, alors qu'on nous a dit que des petits chantiers étaient plus adaptés ?

Dernière question, axée sur le tourisme. Quand on entend M. Jean-Claude Gayssot, ministre des transports, de l'équipement et du logement, et Mme Michelle Demessine, secrétraire d'Etat au tourisme, venir nous entretenir ici de l'importance du développement, à long terme, de l'économie touristique, je voudrais savoir si la SNCF est prête à s'engager pleinement pour que la sécurité soit assurée et pour favoriser l'accessibilité au temps libre et aux vacances de toutes les catégories sociales.

M. Paul Patriarche : Je sortirai du cadre métropolitain ; dans la région qui est la mienne, l'île de Corse, nous n'avons pas la prétention d'avoir un TGV mais nous avons ce que nous appelons chez nous, en traduisant en français, « le petit train ».

M. Louis Gallois : C'est le CFC, chemin de fer corse.

M. Paul Patriarche : Oui, le CFC ; c'est le « le petit train » qui fait partie de notre patrimoine. Nous y tenons beaucoup, et élu sans interruption depuis la décentralisation, en 1982, à l'Assemblée de Corse, j'ai vécu le passage du CFC à la SNCF et je dois dire que cela a été une très bonne chose. Tout à l'heure on parlait des transferts vers les régions ; nous, nous bénéficions d'un transfert de compétences et de crédits, et en parfaite entente avec la SNCF en Corse, nous avons réalisé des travaux importants de remise en état du réseau, au niveau de la signalisation et de la sécurité. Le maintien de ce chemin de fer auquel beaucoup de gens ne croyaient pas voici seulement 20 ans, a permis de préserver les emplois.

Je voudrais rappeler que la Corse n'a certes que 250 000 habitants, mais présente un relief accidenté. De surcroît, l'été nous recevons 1,5 million de touristes. Ce train a plusieurs fonctions ; la première est bien sûr, durant l'année, d'assurer le transport de voyageurs, et souvent, il est le seul mode de transport entre Bastia et Ajaccio, puisque les cols sont enneigés, c'est donc intéressant du point de vue de la sécurité. En outre, il existe des navettes entre Bastia et le Sud, qui est une région peuplée. En dehors de la période estivale, son rôle est important car il y a une université à Corte ; et dans la région où j'habite, la Balagne, une deuxième ligne dessert des cités balnéaires, complétée par des navettes qui sont très prisées par les touristes.

Ceci étant dit, je pense que pour le moment, les gens n'ont pas encore compris l'intérêt du fret ferroviaire. Il y a quatre jours, à la Préfecture de Haute-Corse, j'ai proposé, dans le cadre du schéma d'enlèvement des ordures ménagères que le train puisse servir pour ces transports, car il n'y aura qu'une ou deux stations de traitement pour toute la Corse.

Tout à l'heure, j'ai beaucoup apprécié que vous souligniez les efforts que font beaucoup de régions ; la nôtre est pauvre mais nous avons proposé deux variantes dans le cadre de l'élaboration du nouveau contrat de plan.

M. Louis Gallois : Je connais bien le sujet.

M. Paul Patriarche : La première affirme et conforte l'existant, avec une petite extension au sud de Bastia ; la deuxième peut paraître utopique, mais elle me semble ambitieuse et plutôt réaliste. Il s'agirait de rétablir la fameuse ligne de la plaine orientale qui a disparu à la suite de la dernière guerre mondiale, et qui desservirait, je parle au conditionnel, la micro-région qui est à mon avis la plus peuplée, la plus agricole et une des plus touristiques, qui en outre sert de pont entre la Toscane et la Sardaigne, puisque beaucoup d'Italiens empruntent cette voie pour rejoindre la Sardaigne, cette solution étant plus économique et plus rapide pour eux.

Nous avons donc établi un cahier des charges. Je souhaite que l'élaboration des conventions se fasse dans de meilleures conditions que pour le transport aérien. Ma question est la suivante : vous avez affirmé que la moitié des investissements ne serait pas destinée aux TGV donc, si l'Etat nous prête son concours, que pensez-vous de cette deuxième variante qui peut paraître ambitieuse et de notre politique des transports ?

M. Jacques Rebillard : Tout d'abord, croyez-vous vraiment que le débat sur l'ouverture à la concurrence sera abandonné au profit de celui sur les réseaux européens ? Je pense par ailleurs que vous aurez du mal à doubler le trafic d'ici dix ans, compte tenu des problèmes de qualité qui se posent et des difficultés liées à l'affectation des personnels dédiés.

J'ai également compris que vous étiez limités dans vos projets par vos capacités d'investissements, même en comptant sur l'aide de l'Etat et de l'Europe, on constate que les montants nécessaires sont très importants. Vous avez cité des liaisons entre la Manche et l'Allemagne, on pourrait rajouter la traversée de l'Italie. Pourquoi n'a-t-on pas recours à des investissements privés, à des fonds privés ? On l'a bien fait pour les autoroutes à péages ; quel obstacle idéologique s'oppose à ce que l'on puisse bénéficier d'investissements privés sur des infrastructures, voire sur des équipements ?

Pour en avoir discuté avec un certain nombre de vos clients importants, j'ai noté que ceux-ci se plaignent des prix élevés du fret en France, pas simplement par rapport à la route, mais aussi par rapport à vos concurrents européens. Je doute que l'on puisse abaisser vos prix au niveau de ceux du fret routier, mais je souhaiterais savoir s'il existe un échéancier de diminution de vos tarifs fret dans les années à venir, afin de rendre le fret ferroviaire concurrentiel.

M. Daniel Paul : En matière de fret, nous avons une obligation de résultat. Si tous les trafics maritimes, pour m'en tenir à ceux-là, arrivaient à raison d'une entrée sur le territoire français tous les kilomètres de côte, cela faciliterait sans doute les choses, mais la concentration se fait en quelques points du territoire et entraîne une massification importante sur deux ou trois endroits en France.

Les investissements qui sont en cours actuellement dans les ports maritimes visent en gros à doubler le nombre de conteneurs arrivant dans un certain nombre de ports ; c'est le cas au Havre, c'est le cas sans doute à Dunkerque. Je lisais ce matin qu'à Anvers, la construction d'un bassin et des quais attenants va amener 3 millions de conteneurs supplémentaires par an, ce qui justifie des investissements énormes. Si la SNCF, pour ce qui nous concerne, n'a pas la capacité de faire face à cet afflux soudain et massif dans les toutes prochaines années, il est certain que les chargeurs se tourneront vers d'autres. Quand vous êtes à Singapour ou à Honk-Kong et que vous voulez expédier un conteneur à Genève, il vous importe peu qu'il passe par Marseille, Dunkerque, Rotterdam ou Hambourg ; votre problème est qu'il arrive ensuite le plus rapidement possible à Genève. Et là, vous entrez directement en concurrence avec les transporteurs routiers qui ont souvent les pratiques sociales que vous avez décrites tout à l'heure avec l'exemple de cette entreprise allemande et ses chauffeurs, bulgares ou autres, ce qui empêche bien souvent le ferroviaire de pouvoir rivaliser à armes égales.

Je pense que l'on peut très bien se retrouver dans la même situation que les compagnies maritimes voici quelques années, qui ont fait progressivement passer leurs porte-conteneurs de navires portant 3 000 ou 4 000 boîtes, à 5 000 ou 6 000, puis actuellement à 7 000 ou 8 000. Nous avons la perspective, dans les dix prochaines années, de voir arriver dans les principaux ports européens capables de les accueillir, des porte-conteneurs portant 10 000 ou 12 000 boîtes. Ma question est donc la suivante : en plus des opérations de remise en état des voies, n'est-il pas nécessaire de modifier le type de train que nous avons en France et en Europe ? Actuellement, à ma connaissance, les trains en France sont limités à 750 mètres de long pour des raisons liées à la longueur des quais tout simplement.

M. Louis Gallois : Et au freinage.

M. Daniel Paul : Et au freinage sans doute. Vous dites que vous allez doubler le trafic fret mais c'est insuffisant, vous l'avez dit vous-même, car cela signifie que vous ne ferez que conserver votre part de marché. Si vous voulez permettre à notre société d'évoluer vers un environnement meilleur, c'est plus qu'un doublement qu'il faut réaliser. Si vous ne doublez pas, cela voudra dire que vous régressez en parts. Donc, en plus des investissements supplémentaires de voiries, qui ont leurs limites sur les lignes principales dédiées fret (en particulier celles qui partent des principaux ports pour desservir les zones d'éclatement), n'est-il pas nécessaire de prévoir la mise en service d'une nouvelle génération de trains et de locomotives diesel, des trains éventuellement doubles de ce qu'ils sont actuellement ? Ya-t-il une réflexion au niveau européen, au moins pour une partie du continent, sur des trains à étage, nécessitant évidemment que l'on évite totalement les tunnels ? Je crains sinon que nous ne puissions pas faire face dans les dix, quinze ou vingt ans à venir, à l'explosion prévisible du trafic fret sur le continent.

M. Claude Billard : M. le président, vous avez brossé à grands traits, mais néanmoins avec beaucoup de précision, les grands objectifs que vous assignez à l'entreprise que vous dirigez pour devenir un grand opérateur européen, ce que je crois possible. Mais vous nous avez également expliqué qu'il y avait un certain nombre de contraintes et que pour atteindre ces objectifs, cela supposait évidemment des investissements, des moyens, notamment financiers, et l'organisation de partenariats dans le domaine des structures comme dans celui des matériels ; comment entendez-vous concilier ces deux points ? Vous nous avez parlé de la récente rencontre que vous avez eue, vendredi dernier, à Strasbourg, avec votre homologue des chemins de fer allemands. Les deux entreprises ont décidé d'envisager à la fois la construction d'une locomotive capable de tracter ces trains de fret et, par ailleurs, la future génération de trains à grande vitesse ; pourriez-vous nous préciser comment va s'effectuer cette coopération, si vous avez déjà progressé en ce sens au niveau des études, entre la SNCF et la Deutsche Bahn.

Troisième question, lorsque la recherche-développement aura abouti, c'est-à-dire lorsque vos besoins auront été définis, comment voyez-vous vos rapports avec les constructeurs potentiels que sont le franco-britannique Alstom, et les allemands Siemens et Adtrans ?

M. François Dosé : Veuillez excuser la marginalité de mes deux questions par rapport aux interventions préalables, mais elles me concernent et elles concernent la SNCF.

Tout d'abord imaginons la création d'un TGV, celui vers l'Est, imaginons la multiplicité des partenaires, l'Etat, RFF et les collectivités territoriales et enfin la SNCF : pouvez-vous me dire qui, in fine, va décider de l'implantation de telle gare ou du tracé de la ligne ? Sincèrement on ne sait plus très bien ; or nous devons avoir la réponse pour pouvoir _uvrer avec pertinence. Chacun a de bons arguments, je ne suis pas un professionnel, mais qui donc est le professionnel, avec cette fameuse idéologie rampante de qui commande paie, ou qui paie commande ?

Deuxième question : vous ne faites pas que du transport ferroviaire, vous avez réalisé une très grosse opération en rachetant Via-Gti. Il semble que ce rachat de transports urbains et interurbains concerne beaucoup de nos territoires et il y aura ensuite une deuxième phase. Certains disent, par exemple, qu'un certain nombre de filiales de Vivendi rachèteraient maintenant les parts que vous aviez vous-même acquises ; c'est un peu le désarroi dans les territoires ; pouvez-vous nous dire quelques mots pour nous aider à clarifier ce dossier ?

M. Jean-Claude Daniel : Je vais ajouter mes propos à ceux qui viennent d'être tenus concernant le doublement du transport ferroviaire du fret ; actuellement, quand 6 tonnes sont transportées, vous en transportez une ; dans dix ans, quand 12 tonnes seront transportées, vous en transporterez 2 ; la proportion, je ne me trompe pas, est bien de 17 %, mais ce qui est significatif ...

M. Louis Gallois : Peut-être une tonne sur 5 ou une sur 6, cela dépend comment on calcule.

M. Jean-Claude Daniel : 17 %, une sur six. En tout cas, ce qui est significatif, ce n'est pas tant le relatif mais l'absolu, c'est-à-dire la différence, cela veut dire que c'est le nombre de tonnes que vous ne transportez pas qui me paraît, à moi, vraiment très important car les tonnes que vous ne transportez pas sont sur la route. Cela signifie qu'il faut mesurer le poids de ce que représente l'accroissement du fret globalement par rapport aux infrastructures, qu'elles soient ferrées ou routières ; je pense que l'ambition de doubler le fret transporté par la SNCF est sans doute insuffisante. Je le dis parce que je le pense, le différentiel restera beaucoup trop important et va être très coûteux.

Cela me pousse d'ailleurs à poser quelques questions complémentaires. Tout d'abord le transport à très grande vitesse des voyageurs est-il pertinent aujourd'hui ? Un développement massif du transport du fret n'est-il pas pertinent ? Sur des voies ferrées qui sont saturées, quel trafic est prioritaire ?

Je vais reposer la question autrement. On connaît tous les grandes vallées saturées, les grands axes sur lesquels il faut que passent le fret et les voyageurs ; l'axe nord/sud en est un, il concerne la Champagne-Ardenne ; c'est la ligne qui va de Reims, Châlons, vers Dijon et Lyon, elle passe au c_ur de ce tuyau saturé et transporte fret et voyageurs, son débit est insuffisant, elle n'est pas non plus suffisamment bien conditionnée ; que fera-t-on pour cette voie ?

Mais je vais tout de suite élargir le problème. Il me semble que l'on devrait aller, c'est ce que vous avez signalé tout à l'heure et cela me convient, vers un réseau européen à plus gros débit pour le transport de fret. Comment fait-on les pontages en cas de thrombose, autrement dit, comment se raccrochera ce réseau au réseau ferré existant ? Lorsque sur un des axes on ne passe plus, parce que cela peut arriver, alors, c'est tout le transport massif de fret qui se trouve arrêté. Nous avons un problème de fonctionnement global du réseau, il faut donc que vous puissiez nous répondre sur les améliorations nécessaires de certains axes existants. Je viens de signaler l'axe nord/sud pour Champagne-Ardenne, je pourrais parler de l'axe est/ouest qui est celui du Paris-Bâle, axe important pour le fret et peut-être surtout pour le fret. Comment développer ces axes et comment les relier à un réseau permettant le grand débit ? Sans grand débit européen, la réponse que vous voulez donner à l'objectif du doublement du fret sera tout à fait inefficace.

Pour tirer tout cela, il faut effectivement des machines et de l'énergie, laquelle utiliser ? Electricité ou diesel ? Quels types de machine met-on pour le fret et pour les voyageurs ? La réponse à ces questions conditionne naturellement les stratégies nationales et régionales. Nous discutons des contrats de plan, mais sans cette vision globale, régionale, nationale et extra-nationale, il est difficile de définir les priorités, et pourtant, c'est tout à fait nécessaire.

Un dernier point : on a beaucoup parlé du fret, mais sans distinguer le vrac et le conteneur ; ce n'est pas tout à fait la même chose, le même portage, la même logistique. Il serait intéressant que l'on puisse distinguer les stratégies possibles pour l'un comme pour l'autre.

M. Jean-Claude Etienne : Vous souhaitez doubler la part du fret transporté par la SNCF ce qui nécessitera des investissements très importants qui imposent de définir des modes de financement adaptés.

Quand il s'est agi en France de réaliser des autoroutes, alors que nous n'en avions pas, qu'a-t-on fait ? Nous avons concédé ces voies. Aujourd'hui nous sommes tous d'accord sur la nécessité de transférer une grosse part du trafic routier sur le rail. On sent qu'il faut faire en termes d'investissements quelque chose d'absolument nouveau, sans cela, on ne sera pas à la hauteur de l'ambition que nous nous sommes assignée. Ainsi, par exemple, pour le TGV Est, Alstom, EDF pourraient s'impliquer financièrement. Nous proposons un recours à de tels fonds privés pour les aménagements ferroviaires, si on peut effectivement parler de fonds privés en ce qui concerne EDF et Alstom.

M. le président : Pour Alstom, oui.

M. Jean-Claude Etienne : Mais peu importe ; trouvons l'argent.

Deuxième aspect, la place des régions. Très concrètement, les régions sont toutes, et vous le savez, d'accord pour intervenir dans ce domaine qui est prometteur. Mais les régions, qu'elles expérimentent ou non la régionalisation du transport ferroviaire, surtout celles qui ne participent pas à cette expérience, ne savent pas comment s'y prendre. On a parlé de la construction de la plate-forme multimodale de Dourges, c'est un investissement du niveau du milliard de francs. En revanche, ici même, on nous a expliqué que les petites plates-formes combinées, ces petits bijoux opérationnels, avaient un coût de l'ordre de 10 millions de francs, ce qui n'a rien à voir avec le milliard et que nous, régions, pouvons financer. Seulement voilà, il ne faut pas nous faire croire qu'il faut des plates-formes logistiques sous prétexte que c'est dans l'air du temps et qu'il en faudrait dans toutes les régions. Pouvez-vous nous dire, compte tenu de ce que vous savez de l'évolution des flux, où il est nécessaire de réaliser de tels équipements. Il faut que la SNCF sollicite les régions pour qu'elles investissent s'il y a lieu. La pire des choses serait d'investir « à côté de la plaque ». Nous sommes complémentaires dans ce domaine car vous avez une connaissance que nous n'avons pas.

Pour les machines, une question se pose. Une partie du réseau est électrifiée et une autre ne l'est pas. Or quand on transporte du fret, vous l'avez fort bien dit, c'est sur de grandes distances. On va donc passer tantôt sous des caténaires, tantôt pas. La question du mode de traction se pose donc afin d'éviter les ruptures de charge et le changement de machine. A-t-on une chance de connaître à moyen terme la bimotorisation? On nous dit qu'il faudra peut-être attendre 5 ou 6 ans, alors qu'à l'étranger la bimotorisation existe ; pourquoi ne pas s'en inspirer ?

Enfin, je souhaite aborder la question des créations de lignes nouvelles de fret. Vous avez raison là encore, il faut créer de telles lignes pour que le fer ait sa part de marché dans le fret, mais il faudrait savoir lesquelles. Aujourd'hui, les régions qui sont prêtes à investir, ne savent pas si le trafic peut passer par chez elles ou s'il doit passer à côté ; c'est comme le furet du bois joli, tantôt il passe par ici, tantôt il passe par là.

Je terminerai par une observation, vous avez raison de dire que le réseau fret français ignore dans sa superbe le fret européen. Les accords de l'été 1998 sont de ce point de vue redoutables et inquiétants ; ils risquent de laisser l'hexagone un peu de côté. Il nous faut donc aller vite.

M. André Lajoinie, président : Je constate beaucoup de passion, ce dont je me réjouis ; nous sommes passionnés par le ferroviaire.

M. Alain Marleix - J'écoutais le président Louis Gallois avec beaucoup d'intérêt ; trois ans après, il faut le dire quand même, c'est l'illustration du bien-fondé de la réforme initiée en 1996 et qui a été votée, rappelons-le, en 1997. Quand on écoute l'exposé fort intéressant du président Louis Gallois, on s'aperçoit qu'il est vrai qu'au plan de la situation financière, comme à celui des développements des trafics fret et voyageurs ou de l'image de la société nationale et de la mobilisation des personnels, comme au niveau de la régionalisation où l'on passe maintenant de l'expérimentation à une généralisation voulue, de façon consensuelle me semble-t-il, on assiste à un redressement global de la société nationale. Je le dis avec plaisir, et je crois que la SNCF, qui était la société malade des chemins de fer de l'Europe, est maintenant assez exemplaire au point de vue européen, tant pour son dynamisme, ses équipements et son développement ; pourquoi ne pas s'en féliciter, de façon consensuelle ?

Ce qui m'a le plus intéressé dans les propos du président Louis Gallois, c'est la perspective du doublement du fret à 10 ou 12 ans, avec d'abord la confirmation de ce que le ministre, M. Jean-Claude Gayssot, nous avait annoncé au mois d'octobre, qui s'est, concrétisé au conseil des ministres des transports de Luxembourg, les 9 et 10 décembre, à savoir un début d'investissements européens sur le fret. Vous avez parlé de deux choses : il y a les grands vecteurs traditionnels, les grands axes ferroviaires, qui pourront donc faire l'objet d'investissements, si je vous ai bien compris et vous avez parlé, cela m'a beaucoup intéressé, des lignes nouvelles de fret. Vous avez évoqué deux lignes, l'une qui relie le tunnel sous la Manche et l'Allemagne, mais vous n'avez pas précisé les contours de la seconde ; il m'intéresserait de les connaître.

Je voudrais savoir également, mais vous savez où je veux en venir, si la ligne préférée du ministre, autrement dit le Paris/Béziers, a une chance d'être incluse dans la modernisation des lignes existantes. Vous parlez de lignes nouvelles, très bien, tout le monde est d'accord sur la nécessité de créer ces lignes nouvelles et notamment la ligne indispensable entre la Manche et l'Est, l'Allemagne ; mais ne pourrait-on pas utiliser ces investissements européens potentiels à la modernisation des axes qui existent, ce qui éviterait d'un point de vue environnemental et écologique d'ouvrir des chantiers qui seront mal perçus d'une partie de la population. Pourquoi créer des axes nouveaux, alors que nous avons des axes anciens, qu'il faut certes restructurer, moderniser, mais qui peuvent constituer une base de départ à des grands travaux, notamment pour les liaisons nord/sud qui sont à l'origine du développement du fret ferroviaire en Europe, me semble-t-il.

M. Félix Leyzour : Lorsque l'on parle de l'objectif de doubler le fret, les gens croient que l'on va dégager la circulation sur la route, ce qui n'est pas le cas.

M. Louis Gallois : Partiellement si ; je me permettrais de vous l'expliquer par une petite incidente. Ce point doit être bien compris : il faut savoir que 80 % du trafic routier portent sur des distances de moins de 150 kilomètres, c'est-à-dire que sur ces 80 % le chemin de fer n'est pas pertinent, sauf exception, par exemple, pour certains trafics de minerais, ou autres. Mais nous ne sommes pas vraiment pertinents sur cette distance où le trafic routier répond mieux à la demande. Cela explique aussi la part de 80  % du trafic routier. Donc, lorsque nous doublons notre trafic fret, nous le doublons sur les 20 % restants, ce qui peut en réalité représenter nettement plus. Notre part globale de marché ne s'accroît pas, et je vous avertis, vous aurez de gros embouteillages dans vos villes à cause des trafics de très courte distance, pour lesquels le fret ferroviaire est en position difficile ; en revanche, sur le trafic de longue distance, j'espère bien que nous contribuerons à dégager un certain nombre d'autoroutes.

M. Félix Leyzour : Cette précision est tout à fait intéressante. A mon avis, pour atteindre l'objectif qui a été fixé, il y a deux conditions. La première dépend de vous, l'autre dépend à la fois de vous et de RFF. Quelle est la démarche commerciale de la SNCF pour, à réseaux constants, améliorer le fret ? Ensuite, il faut des investissements nouveaux. Nous avons eu un débat important dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, sur le point de savoir si les investissements actuels suffisent, ou bien s'il faut aussi des investissements nouveaux. Nous avons été un certain nombre à penser qu'il faut à la fois tirer le meilleur parti des infrastructures existantes mais qu'il faut aussi réaliser des infrastructures nouvelles.

S'agissant des infrastructures nouvelles, vous avez évoqué la désaturation mais on nous dit souvent qu'il vaut mieux utiliser ce qui existe. Il y a des contournements d'agglomérations à améliorer. J'aimerais bien que vous nous précisiez quels sont les besoins, car il est souhaitable de se fixer des objectifs qui ne découragent pas ceux qui veulent entreprendre quelque chose.

J'aimerais que vous expliquiez en quoi consiste la désaturation. Est-ce que cela suppose également la construction de nombreuses lignes nouvelles ? Nous savons très bien qu'il est plus difficile de réaliser une ligne de chemin de fer que de réaliser une route ; je suppose que les contraintes ne sont pas les mêmes. Est-ce que, dans les fuseaux actuels, il existe des possibilités de doubler les trafics, en tout cas de les améliorer ? J'aimerais bien que vous nous apportiez ces précisions, car nous avons l'impression d'être devant des difficultés considérables et il ne sert à rien d'évoquer les problèmes si l'on n'est pas en mesure de commencer à les résoudre.

M. Louis Gallois : M. Félix Leyzour, je suis très sensible à ce que vous venez de dire et vous me permettrez de repartir de votre intervention. Il ne faut pas se décourager en disant « de toute façon, si c'est uniquement pour doubler et que cela n'améliore pas la part de marché, est-ce que cela vaut vraiment le coup ? ». En fait, cela porte sur une partie du trafic, qui est tout le trafic au delà de 150 kilomètres où notre impact est beaucoup plus significatif et où nous pouvons opérer de véritables transferts de la route sur le rail.

M. Jean-Jacques Filleul, vous avez évoqué les moyens de l'Europe, nous avons devant nous une échéance, qui est celle du deuxième semestre 2000, avec la présidence française. On constate que parmi les décisions prises les 9 et 10 décembre, certaines fixent des échéances pendant cette présidence française : la directive interopérabilité, les travaux sur la sécurité, la définition précise du réseau transeuropéen et les investissements à effectuer. Je pense donc qu'en matière de transport ferroviaire, la présidence française sera une présidence clef, comme l'a été, je le reconnais, la présidence finlandaise, qui a utilement travaillé. Les Finlandais ont trouvé une issue, non pas en affirmant que la concurrence était gelée, il y aura de la concurrence, il y en a déjà, mais ce n'est plus le seul débat, on se concentre également sur d'autres sujets.

Vous avez posé la question du transport combiné et j'ai senti que derrière votre intervention, il y avait l'exposé, que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt, de M. Jean-Claude Berthod devant votre commission. Je n'ai pas la liberté de ton de M. Jean-Claude Berthod, car j'ai quand même quelques mandants auxquels il faut que je rende compte, mais les problèmes évoqués par M. Jean-Claude Berthod me paraissent réels et j'ai d'ailleurs retrouvé dans certains de vos propos des questions soulevées par lui, notamment sur les plates-formes logistiques et sur la taille des chantiers de transport combiné.

Je pense, comme M. Jean-Claude Berthod, que nous devons étudier de près l'utilité des plates-formes de transport combiné de taille considérable, extrêmement coûteuses. Nous aurons besoin d'une grande plate-forme en région parisienne, où se trouvent des concentrations de trafics considérables à échéance de dix ans, peut-être aussi une dans le Nord. Mais nous devons aussi regarder ce qui se fait dans d'autres pays : ce sont des plates-formes de transport combiné beaucoup plus frustes, qui fonctionnent avec des grues mobiles et des installations assez sommaires mais convenables et qui nécessitent des investissements beaucoup moins coûteux. Je ne crois pas qu'on puisse s'en tenir à 10 millions de francs, mais on peut construire une plate-forme pour 70 ou 75 millions de francs, ce qui est sans comparaison avec une plate-forme à 500 ou 600 millions de francs. On peut aussi améliorer un certain nombre de plates-formes existantes, par exemple en allongeant des quais, ou d'autres opérations de ce type, qui ne sont pas extraordinairement coûteuses et permettent d'améliorer nettement le trafic.

D'autre part, il faut que chaque région réfléchisse : faut-il faire une plate-forme logistique à 7 kilomètres d'une plate-forme de transport combiné, comme on s'apprête à le faire dans une région ? Il y a peut-être un problème, car il se trouve que les deux projets ont progressé parallèlement et que personne n'a arbitré. Une telle situation me paraît dommageable, même si c'est près d'une très grande ville et qu'il existe peut-être un fort potentiel de croissance.

En tout cas, le transport combiné est pour nous un transport essentiel. Le problème du transport combiné, M. Jean-Claude Berthod l'a d'ailleurs expliqué dans son intervention, c'est que nous n'avons pas augmenté les tarifs ; nous avons essayé de soutenir ce trafic et d'ailleurs, actuellement, il se porte bien. Mais nos voisins n'ont pas du tout pratiqué de la même manière. Les Allemands et les Italiens ont augmenté leurs prix dans des proportions considérables ; comme une grande partie du transport combiné est international, nous ne faisons pratiquement plus passer un train de transport combiné en Allemagne actuellement, nous nous arrêtons à la frontière, car les tarifs de ce pays sont excessifs. Il y a une réflexion internationale à mener si nous voulons développer ce trafic, qui est celui qui a le plus grand effet substitutif de la route vers le rail. Même si c'est un trafic difficile à équilibrer financièrement, c'est celui qui a le plus d'intérêt pour ce transfert de la route vers le rail.

Vous avez évoqué le réseau transilien, c'est effectivement pour nous un chantier considérable. Nous avons un réseau extrêmement dense en Ile-de-France, qui est peut-être un des plus denses du monde. Nous avons un réseau d'une qualité moyenne, sinon médiocre, aussi bien quant à l'état de nos gares, de notre matériel roulant, qu'aux performances de régularité. Je ne parle pas de la sécurité des personnes, pour laquelle nous avons un véritable souci. Plus de la moitié de notre trafic voyageurs se fait en Ile-de-France, c'est un des endroits où notre mission de service public est la plus évidente. Je pense donc que c'est un trafic auquel il faut que nous portions maintenant une attention extrêmement forte.

Nous avons engagé cette réforme transilienne. Nous avons rafraîchi toutes les gares d'Eole, plus une quinzaine de gares depuis le lancement de cette opération en septembre. Nous achevons ces travaux au rythme d'une ou deux gares par semaine. Même si on aurait pu souhaiter aller plus vite, je pense que notre effort est significatif. Nous allons créer des comités d'axes, pour essayer de susciter un débat démocratique permettant aux différents acteurs du chemin de fer de s'exprimer sur la manière dont cela se passe sur certains trajets. Je pense que nous aurons l'appui de la région pour un plan de renouvellement du matériel. Je ne voudrais pas m'exprimer à la place de M. Jean-Paul Huchon, président du conseil régional d'Ile-de-France, mais il m'a indiqué son intérêt pour un tel plan, car nous sommes en train de prendre du retard par rapport à un certain nombre de régions expérimentales. Et puis, il y a les grands problèmes d'infrastructures qui sont abordés dans le contrat de plan. Le contrat de plan Etat-région en Ile-de-France est un contrat de plan ambitieux. Nous souhaitons, nous, qu'il établisse un bon partage entre les infrastructures nouvelles et l'amélioration de la qualité de l'existant ; nous avons un urgent besoin de cette amélioration de la qualité.

Il faut savoir que nous avons amélioré la régularité de la ligne C du RER grâce à 500 millions de francs d'investissements dans le tunnel entre Austerlitz et le Champ de Mars. Je pense que ce sont des investissements de ce type, peu spectaculaires, qui permettent d'améliorer la qualité des circulations. Or, il faut le savoir, 95 % de ceux qui circuleront dans dix ans circuleront sur le réseau existant actuellement. Il faut donc entretenir ce réseau et en améliorer la qualité. Nous souhaitons qu'il y ait un bon équilibre entre cette amélioration et de nouvelles réalisations, il n'y a pas de raison qu'il n'y en ait pas en Ile-de-France, notamment pour sa partie périphérique, car il y a des flux de populations tangentielles que nous ne captons pas.

Sur le TGV Est, nous nous posons deux questions : c'est un très gros investissement pour la SNCF, qui va mettre plus d'argent dans ce projet que RFF : nous avons à construire les gares et à acheter le matériel roulant. C'est un investissement qui va dépasser 4,5 milliards de francs ; vont s'y ajouter des péages dont on nous dit qu'ils vont être très significatifs. Vous recevrez demain M. Claude Martinand, président de RFF. Je me permets donc à travers vous de lui poser quelques questions : quelle est notre capacité contributive sur ces lignes en matière de péages ? Il faudra que tout le monde soit réaliste. Ainsi les premières esquisses sur le TGV Méditerranée entre Valence et Marseille faisaient apparaître des péages pour plus d'un milliard et demi de francs par an, avec un tel versement, nous ferions circuler les voyageurs uniquement pour RFF et nous serions incapables d'amortir le moindre investissement ou la moindre exploitation. Heureusement, on est en train de revenir à des tarifs plus réalistes.

Réseau ferré de France a ses problèmes ; sans les minimiser, je dirais qu'il s'agit plutôt d'un problème plus général dont RFF est seulement l'instrument, mais les conditions d'amortissement des infrastructures ferroviaires par l'entreprise qui les utilise doivent être fixées en tenant compte de sa capacité contributive. Nous atteignons un niveau de péages qui commence à être très significatif, puisqu'ils représentent actuellement le cinquième à peu près de nos recettes commerciales, ce qui n'est absolument pas négligeable, même si nous recevons pour une petite partie une compensation.

Vous avez évoqué la transparence financière en matière de régionalisation, c'est un point tout à fait important sur lequel, nous le savons, nous sommes attendus par les régions et par l'Etat, avec des objectifs d'ailleurs contradictoires. L'Etat souhaite que nous limitions au plus juste le déficit prévisionnel, puisqu'il va avoir à payer ; les régions souhaitent qu'au départ, l'enveloppe soit importante pour ne pas avoir de mauvaises surprises dans l'avenir. Nous sommes donc pris dans une sorte d'étau, entre un Etat qui souhaite que le déficit de départ soit aussi faible que possible et des régions qui veulent que le transfert de ressources corresponde véritablement à la charge. Je ne voudrais pas que nous soyons dans la situation fort désagréable du dindon mis entre les deux !

Sur les 35 heures, je l'ai indiqué, le coût en année pleine est de l'ordre de 1,3 milliard de francs pour la SNCF ; ce coût est compensé par une modération salariale, par une organisation du travail plus efficace, par le surcroît de trafic que peut générer une présence humaine, meilleure, mieux organisée, de meilleurs services apportés à nos clients, et des éléments « de réconfort ». Vous avez employé le terme ; je ne peux pas en parler, car on ne sait pas très bien ce que sont ces éléments « de réconfort ». Est-ce que l'aide au transport combiné fait partie du réconfort ? Oui, mais en même temps, il y a un déficit à couvrir sur le simple transport combiné. Tout ceci n'est pas très simple et je ne serai pas extrêmement prolixe aujourd'hui sur cette question.

M. Léonce Deprez, vous voulez savoir quels sont les chiffres. M. Jean-Claude Gayssot a évoqué un montant de 20 milliards de francs pour l'adaptation du réseau ferré sur les dix prochaines années. Je ne voudrais pas « sanctifier » ce chiffre, mais les investissements d'infrastructures de décongestion nous paraissent être de cet ordre. Ce n'est pas inaccessible sur dix ans. Quand je parlais de dizaines de milliards de francs, c'est ce qu'il s'agit d'investir pour assurer l'interopérabilité au niveau européen. S'il s'agit de mettre le même système de signalisation et de sécurité sur tous les réseaux, je peux vous dire que des dizaines de milliards, il va en falloir ! Nous-mêmes, nous avons déjà dépensé pour mettre en place nos systèmes de signalisation et de sécurité des sommes importantes. Il faut savoir que depuis vingt ans, chaque réseau a développé son système de sécurité informatique, totalement incompatible avec le réseau du voisin. Ainsi, l'interopérabilité a diminué sur les vingt dernières années très sensiblement, à coup d'investissements de modernisation massifs ; c'est de cette situation qu'il faut maintenant que l'on reparte pour redéfinir l'interopérabilité.

Sur la ligne de fret partant de Calais, j'avais envisagé, M. Léonce Deprez, une ligne nouvelle qui écoule du trafic, mais je n'ignore pas que certains pensent à la ligne Calais-Dunkerque et ensuite retour sur l'axe nord-est, et d'autres à Calais-Boulogne-Abbeville-Amiens. C'est un débat que nous avons avec RFF ; je pense qu'il faudra que vous posiez la même question à M. Claude Martinand, qui n'est pas loin de penser qu'il est intéressant d'examiner votre itinéraire. Ceci étant dit, c'est un débat naturel entre RFF et nous ; chaque solution a ses avantages et ses inconvénients, regardons-les de manière calme. Nous n'avons aucune attitude dogmatique à l'égard d'une solution ou de l'autre.

Le tourisme est pour nous essentiel et même des produits qui paraissent être des produits « hommes d'affaires », de type Thalys ou Eurostar, sont à 60 % remplis par des touristes. Il faut donc que nous attirions ce tourisme, et pour cela, il faut un service, des tarifs, mais aussi se préoccuper de ce qu'on trouve aux deux destinations car les gens voyagent pour se rendre vers une destination attractive.

M. Paul Patriarche, je ne vais pas m'étendre sur le chemin de fer corse, je peux seulement vous dire que la SNCF sera candidate à sa succession et que nous déposerons donc une offre dans le cadre de l'appel d'offres. Je ne peux pas aller beaucoup plus loin pour des raisons, non pas de désintérêt vis-à-vis de votre question, mais parce que, dans le cadre de la procédure d'appel d'offres, nous avons convenu de ne pas nous exprimer publiquement tant que nous n'aurions pas remis notre offre. Je peux vous dire que nous remettrons celle-ci dans les trois scénarios qui nous sont proposés, celui à 100, celui à 150 et celui à 700 millions de francs. Il s'agit des investissements d'infrastructures accompagnant les différents schémas, les différents scénarios que M. Paul Patriarche a évoqués, plus ou moins ambitieux. Notre réponse arrivera en temps et en heure, et elle sera complète, avec le désir de gagner, car nous sommes satisfaits de notre expérience en Corse où pensons-nous existe un vrai potentiel.

M. Jacques Rebillard a évoqué la concurrence ; il ne faut pas dire que l'on a mis la concurrence « au réfrigérateur ». D'abord, parce que lorsque j'ai parlé d'accès aux entreprises ferroviaires sur la base de réciprocités, cela veut dire qu'il pourra y en avoir. Nous craignions par dessus tout la concurrence de ce que l'on appelait les demandeurs autorisés, c'est-à-dire les gens qui n'assumaient aucune responsabilité de sécurité, aucune responsabilité d'investissements, qui se contentaient de louer des sillons, des locomotives, des wagons et de faire circuler les trains sans prendre aucun risque. Des trains de la Deutsche Bahn en France, il y en a, il y en aura de plus en plus, mais je sais que l'on raisonne dans le même cadre, que l'on a les mêmes contraintes. Ils nous demanderont vraisemblablement de tirer leurs trains, ce sera plus commode pour eux, de mettre nos locomotives et nos agents de conduite devant les trains, devant leurs wagons. Ceci, nous le faisons en Allemagne, ils le font en France.

D'autre part, je crois que la SNCF en ce qui concerne le fret ne vit pas dans un univers idyllique. La concurrence, nous l'affrontons tous les matins. Nous avons abondamment parlé de la concurrence routière, elle est farouche et à mon avis relativement inéquitable, et de plus, le contournement de la France se fait maintenant de manière très naturelle. Nos amis de la RENFE (chemins de fer espagnols), avec lesquels j'entretiens les meilleures relations, organisent pour les automobiles par exemple, des liaisons par bateaux à partir de Bilbao ou Barcelone vers l'Angleterre, vers le nord de l'Europe ou vers Gènes, pour nous mettre en concurrence. Cette concurrence existe, je peux vous dire qu'elle est assumée.

Quant aux prix de fret élevés, non, les prix de fret ne sont pas élevés, nous nous alignons sur la route, sinon nous serions morts, nous ne transporterions pas une tonne si nos prix n'étaient pas alignés sur ceux de la route. Notre problème est précisément là ; ce n'est pas nous qui fixons les prix, c'est la route qui les fixe. Je ne dis pas que l'on n'essaie pas de « gratter » deux centimes ici ou là, mais si nos prix étaient plus élevés que ceux de la route, il est évident qu'aucun industriel ne nous confierait ses marchandises.

Vous vous plaignez des camions sur les autoroutes, mais nous sommes un des pays les moins saturés en termes de trafic routier ; l'Allemagne est infiniment plus saturée que nous. Il y a encore de la place pour les camions sur nos autoroutes. Nous subissons donc cette concurrence et nous essayons de vivre avec elle.

Quant aux investissements privés évoqués par M. Jean-Claude Etienne et M. Jacques Rebillard, il faut pour les attirer leur assurer une rentabilité, car ils ne viennent pas pour la beauté de l'art. Nos investissements ne sont pas exagérément rentables ; nous ne sommes pas dans les télécoms. On voit, par exemple, que pour construire le TGV Est, sur 20 milliards de francs, on arrive à amortir 2 milliards d'investissements en empruntant aux conditions du marché, soit 10 % ! Ils sont apportés par RFF qui emprunte et investit comme une banque le ferait. Le problème n'est pas là, le problème est que sur une opération de ce type, on ne rentabilise que 10  % du volume de l'investissement. Il faut se souvenir que lorsqu'on a voulu faire appel à un financement entièrement privé pour le tunnel sous la Manche, on a fait faillite.

Je ne dis pas que sur un certain nombre d'investissements on ne puisse pas trouver une association privé/public. Ce n'est pas du tout impossible, il faudra peut-être la rechercher dans un certain nombre de cas, mais il faut savoir que l'infrastructure ferroviaire a un intérêt socio-économique qui dépasse largement sa rentabilité financière. Nous sommes dans des secteurs où nous ne ferons jamais florès. Il ne faut pas se faire d'illusions ; notre souci est d'arriver à l'équilibre, de dégager des marges, de manière suffisante pour que sur le long terme nous ne soyons pas soumis à des risques excessifs. Mais je ne m'attends pas à ce que nous soyons capables de gagner beaucoup d'argent. Nous aurions pu trouver un financement privé pour des lignes rentables, comme celle du TGV sur le trajet Paris-Lyon, pas sur Paris-Strasbourg. Peut-être sur Paris-Bruxelles, mais seulement à moyen terme. Vous voyez qu'il s'agit là de tranches assez limitées.

M. Daniel Paul a évoqué les ports : il est vrai que les ports sont des lieux de massification du trafic et nous nous en réjouissons. Nous avons besoin de trafics massifiés ; nous ne sommes pas bons pour les trafics très diffus. Il faut donc que nous nous mettions à l'heure des ports. C'est une responsabilité du système ferroviaire français, pour RFF comme pour nous, de nous mettre au diapason des ports français, mais nous ne pouvons oublier Anvers. Cela suppose donc que nous soyons présents, que nous offrions des prix, que nous ayons des installations performantes, que nous puissions avoir des lignes désaturées qui évacuent les marchandises. C'est pour cela que je crois à Nantes/Lyon pour le port de Nantes. C'est un avis qui n'est pas très largement partagé à la SNCF, mais je pense que des investissements sont nécessaires sur cet axe. Sur le Havre, il faudra regarder le contournerment de Paris par Amiens et Ternier, soit en passant par Rouen, soit même en évitant Rouen au nord, parce que le Havre, pour trouver son développement, ne peut pas se concentrer uniquement sur Paris, même s'il est le premier port de Paris. Là aussi, je crois que des investissements doivent être réalisés, mais la SNCF doit également offrir des commodités de service.

Sur la longueur des trains, nous sommes limités à 750 mètres actuellement, mais nous allons expérimenter à partir du début de l'année prochaine des trains de 1 000 mètres. Nous avons un problème avec les trains de cette longueur car si le système de freinage est encore fiable, par contre nous n'avons pas de garage pour des convois de cette longueur. En cas de problème de circulation, il arrive que l'on gare des trains ; or, nous ne pourrons pas, vu leur longueur, garer ceux-là. Cela veut dire que lorsque nous lâcherons ces trains sur le réseau il faudra s'assurer qu'ils peuvent aller sans encombre jusqu'au bout. Nous sommes prêts à pousser un certain nombre d'investissements d'allongement de garages (ce ne sont pas des investissements colossaux) qui nous permettent de garer des trains de 1 000 mètres ou de 1 500 mètres. Pour arriver à dépasser 1 000 mètres, il faut un système de freins électroniques, c'est-à-dire un système dans lequel tous les wagons freinent en même temps, alors qu'actuellement, c'est un système pneumatique. L'impulsion est donnée à partir de la locomotive et les wagons freinent les uns après les autres. Il y a 30 secondes entre le freinage du premier wagon et le freinage du dernier ; donc, au delà de 1 000 mètres maximum, c'est trop long. Le freinage électronique n'existe pas sur les trains de fret et est complexe à mettre en _uvre, puisqu'un train de fret n'arrête pas d'être démantibulé : on sort les wagons, on les remet, on les trie, etc. ; il faut que cela fonctionne. Il faut également que nous regardions si nous mettons une locomotive au milieu du train avec une télécommande de cette locomotive à partir de la première locomotive. Ce sont des études que nous réalisons avec les Allemands et nous sommes en train d'aboutir. Les obstacles ne sont plus techniques, ils vont être maintenant de savoir si en termes de sécurité, nous pouvons faire circuler des trains de 1 000 ou 1 500 mètres sur nos voies. En tous les cas, nous le souhaitons car c'est un des moyens de désaturer le réseau.

M. Claude Billard a évoqué la coopération avec la Deutsche Bahn ; comme je le disais ce matin au conseil d'administration de la SNCF, c'est une coopération fondée sur le principe de la confiance et de la vigilance. La confiance parce que je m'entends bien avec eux, je pense que l'on peut faire beaucoup de choses, que ce que nous faisons est bien, mais la vigilance également car tout de même, il ne faut pas non plus que nous nous laissions séduire sans examen. Je peux vous dire que nous avons décidé, et j'y crois vraiment, de réfléchir ensemble à ce que doit être la prochaine génération de TGV, non pas celle du TGV Est, mais celle de 2010. Je crois fondamentalement que l'on est train de créer un réseau à grande vitesse au niveau européen. Va-t-on développer à grands frais trois ou quatre types de trains différents, difficilement interopérables, difficilement associables dans des dessertes communes, qui subiront évidemment les coûts de trois ou quatre développements, avec des séries plus courtes chacun, ou est-ce que l'on va vers des trains qui pourront être réaménagés différemment selon les réseaux ? Evidemment, nous ne sommes pas obligés d'avoir la même couleur de moleskine, mais il faut qu'ils puissent être interopérables, qu'ils aient des standards de qualité communs, des spécifications techniques communes, qui permettent de réduire les coûts, d'allonger les séries. C'est vraiment pour nous une question absolument centrale ; cela l'est encore plus pour les Allemands qui paient extrêmement cher leur ICE. Il existe un réseau européen, essayons de nous grouper pour définir les spécifications de ce nouveau matériel. Ce sera à l'industrie de répondre, nous allons leur poser la question de savoir comment les différentes entreprises européennes de construction de matériel roulant peuvent s'entendre. Pourquoi n'y arriveraient-elles pas ? Et ce n'est pas uniquement une démarche SNCF/DB ; nous avons besoin des Italiens, des Espagnols, qui sont en train de développer un réseau à grande vitesse, des Belges, des Néerlandais. Ce sera une affaire européenne ; sur ce point, c'est absolument nécessaire, et je n'ai eu aucune difficulté à promouvoir cette idée.

La même démarche existe pour la locomotive diesel, car nous avons les mêmes besoins. Nous voulons donc regarder si nous pouvons, soit acquérir ensemble une locomotive diesel « sur étagères » pour diminuer les coûts, soit définir les spécifications d'une nouvelle locomotive diesel. Je serais plutôt pour l'acquisition parce que nous sommes un peu pressés, nous avons besoin d'une locomotive diesel qui complète les remotorisations diesel que nous allons devoir opérer. Le diesel est absolument indispensable pour la fluidité du trafic ; le fret est un très gros consommateur de diesel et continuera à l'être dans l'avenir.

M. François Dosé souhaitait savoir qui choisissait le tracé de la ligne du TGV Est. C'est l'Etat. Posez ces questions demain à M. Claude Martinand. Pour la place de la gare, je n'ai qu'une revendication, c'est que la gare lorraine se trouve en correspondance avec Metrolor et pas à 5 kilomètres, à un endroit où il n'y a pas de correspondance avec l'axe nord/sud. Sur le reste, c'est une discussion que nous aurons. Les gares, nous en payons une grosse partie ; c'est donc une discussion que nous aurons avec RFF et l'Etat, mais c'est l'Etat qui fixe le tracé des grandes infrastructures dans notre pays.

M. François Dosé : Je parlais surtout des gares.

M. Louis Gallois : Pour les gares, c'est une discussion dont l'Etat ne peut pas se désintéresser, entre RFF et nous-mêmes ; RFF pour les quais et pour l'implantation générale et nous pour les bâtiments voyageurs. Tout cela n'est pas d'une simplicité extrême, je vous l'accorde. Il faut être un spécialiste, un « bénédictin du chemin de fer » pour s'y retrouver dans certains cas ; mais comme je suis un bénédictin du chemin de fer, cela va, je m'y retrouve.

Nous avons racheté Via-Gti avec la CGEA ; mais comme nous ne pouvons pas rester associés dans Via-Gti, nous sommes obligés de nous répartir les contrats de cette dernière. Mais pour cela, il faut l'accord des collectivités locales concernées et la discussion est en cours sur un certain nombre de ces contrats. Nous sommes dans une phase où les collectivités locales s'interrogent.

M. François Dosé : Quelle échéance donnez-vous ?

M. Louis Gallois : C'est une affaire de deux à trois mois, maximum, non pas pour finaliser tout, mais pour que le dispositif soit clairement délimité.

M. Jean-Claude Daniel, je vous trouve sévère pour le TGV ; il ne faut pas oublier que le TGV fait vivre la SNCF ; actuellement, il représente 60 % du trafic voyageurs et si l'on supprimait le TGV en France, je peux vous dire que cela ferait du dégât, car il faudrait d'abord développer des infrastructures aéroportuaires importantes. D'autre part, il serait quand même un peu dommage de réaliser des infrastructures de ce prix pour faire circuler des trains de fret à 150 km/h . Nous commençons à faire circuler les trains de fret la nuit sur le réseau TGV, afin de mieux l'utiliser, mais ce n'est pas très commode car c'est précisément pendant la nuit, normalement, que l'on entretient le réseau à grande vitesse. Pour le TGV, le trafic a augmenté de 8  % au cours des douze derniers mois par rapport à 1998 qui était une excellente année, qui succédait elle-même à 1997 qui était aussi une excellente année. Nous maintenons donc des croissances de trafic extrêmement fortes. Je sais bien qu'il ne faut pas tomber dans le tout TGV et nous avons à faire un effort novateur pour reconquérir la clientèle du train classique ; ceci étant dit, je ne peux pas passer sous silence le fait que nous vivons du TGV.

Vous avez évoqué un réseau européen à grand débit. Le réseau qui va être dessiné est un réseau européen constitué des voies qui existent, sur lesquelles passe beaucoup de trafic fret. De là à dire qu'il est à gros débit, avec des capacités de croissance illimitées, non ; il faudra faire un certain nombre d'investissements pour accroître ses capacités de trafic. Paris-Bâle pour le fret ? Oui, pourquoi pas ! Cela supposera dans l'état actuel de la ligne du diesel, car Paris-Bâle n'est pas (faut-il que je dise « pas encore » ?) électrifié.

Vous avez raison de dire que la stratégie conteneurs et la stratégie hors conteneurs sont assez différentes. Le transport combiné, c'est-à-dire les conteneurs, est un produit dans lequel la SNCF est en complémentarité totale avec la route. Tout le problème, c'est l'accrochage très étroit entre la route et le transport combiné ; d'où l'importance des plates-formes et de la nature des opérateurs qui offrent la globalité du transport, avec un problème de partage de marges entre le segment routier et le segment ferroviaire.

Pour les autres trafics qui sont extrêmement variés : vrac, pièces détachées automobiles, trains entiers d'automobiles, etc., le contact avec le client est plus fort que pour le conteneur. Nous souhaitons nous impliquer dans sa logistique, c'est-à-dire lui offrir des solutions qui prennent en charge l'intégralité de ses problèmes, soit en amont, c'est-à-dire ce qui lui permet de faire fonctionner ses installations, soit en aval, c'est-à-dire ses livraisons vers les clients.

M. Jean-Claude Etienne, j'ai indiqué un certain nombre d'éléments sur le financement privé, les plates-formes. Vous me demandez de solliciter les régions, je l'ai noté en lettres d'or, je pense que nous allons le faire. D'ailleurs, nous avons quelques discussions avec la région Champagne-Ardenne sur ce sujet. Je souhaite qu'elles puissent avancer ; en tout cas vous pouvez compter sur la SNCF pour faire en sorte qu'il en aille ainsi. Sur les lignes nouvelles, que créer ? J'ai parlé d'une ligne nouvelle entre Calais et l'Allemagne ; si elle se réalisait un jour, elle traverserait Champagne-Ardenne ; je ne vois pas très bien comment elle pourrait l'éviter. Je ne sais pas à quelle hauteur, mais elle traverserait cette région.

Vous avez parlé du contournement, oui, nous sommes soumis à des risques de contournement et à des réalités de contournement. C'est normal, cela fait partie de la vie, on ne peut pas empêcher les Espagnols de ne pas regarder uniquement en direction de la France. Ce que je souhaite, c'est leur offrir une qualité de service qui fasse qu'ils choisissent de passer chez nous.

S'agissant des règles à appliquer en matière de tarifs sociaux, c'est une question qu'il faudra poser à M. Jean-Claude Gayssot. C'est une question qui relève de la compétence de l'Etat. J'ai compris que M. Michel Delebarre, (président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, ndlr) avait été le porte-parole des régions pour plaider leur dossier, et qu'il avait obtenu certaines assurances, mais je préférerais que ce soit l'autorité qui a donné ces assurances qui les confirme, et non pas moi.

M. Louis Gallois : Quel est l'avenir de Paris/Béziers? Nous avons fait avec M. Jean-Claude Gayssot le voyage entre Saint-Flour et Millau et nous avons rencontré le comité pluraliste à Millau. Un certain nombre d'investissements vont être réalisés sur cet axe et j'ai indiqué qu'ensuite la SNCF en tiendra compte pour développer le trafic. Il faut savoir que cette ligne sera, pour ce qui concerne le fret, plutôt dédiée à des trafics assez spécifiques, soit des trafics qui desservent l'axe, que ce soit le bois ou des produits sidérurgiques, soit des trafics ouvrant Clermont-Ferrand vers le sud de la France et l'Espagne. Cette ligne pourrait encore accueillir des trafics légers, par exemple le transport d'automobiles qui peuvent remonter par là, bien, comme vous le savez , qu'il y ait de fortes pentes, ce qui nous contraint à privilégier les trafics légers.

M. Félix Leyzour, vous m'avez posé une question très difficile sur le fret : dans le doublement de ce trafic, quelle est la part qui relève en gros de l'amélioration des conditions de travail de la SNCF et qu'elle est la part qui nécessite des investissements ? Je voudrais indiquer un chiffre, un peu intuitif, dont je souhaite qu'il ne vous donne qu'un ordre de grandeur et ne soit pas pour vous immuable. Je pense que la SNCF, qui est actuellement à 52 milliards de tonnes/kilomètres, peut, sur son réseau actuel, sans investissements atteindre les 60 milliards de tonnes/kilomètres. A partir de 60, il faut commencer à faire des investissements relativement significatifs. On n'est pas obligé de tracer des lignes nouvelles pour passer de 60 à 70 milliards, mais des investissements comme ceux que j'ai cités sont indispensables pour accroître les capacités de l'existant, ainsi le contournement de Nîmes/Montpellier, la désaturation du nord de Bordeaux jusqu'à Senon, la quatrième voie au nord d'Orléans jusqu'à Etampes, la gare Matabiau, l'aménagement du contournement de Dijon et des investissements sur le contournement de Paris. Encore une fois, je suis entièrement d'accord avec vous et j'ai beaucoup apprécié votre propos. Il ne s'agit pas de dire qu'il faut 50 milliards de francs sinon on ne ferait rien. On peut faire des progrès pas à pas et il n'est pas nécessaire d'avoir une capacité de 100 milliards de tonnes/kilomètres, si l'on n'est capable de n'en faire passer que 52 car les clients ne veulent pas venir. Je pense que nous avons à démontrer que nous sommes capables d'améliorer la qualité avec l'existant, ou que nous sommes capables d'absorber une certaine croissance du trafic avec l'existant, et qu'ensuite, les investissements viendront et le trafic se développera. Je pense aussi que, si nous sommes capables de démontrer que nous prenons effectivement du trafic, que nous servons à désengorger un certain nombre d'autoroutes, la collectivité nationale comprendra que l'effort n'est pas vain et cela pourra avoir un effet d'exemplarité. Je ne pense pas du tout que nous devions assommer les gens par des chiffres monumentaux. Il faut que nous progressions, le XIIème plan est une première étape. Il y aura un XIIIème plan et il faut savoir que celui-ci pourra peut-être être sur ce point plus ambitieux que le précédent. Mais, il ne s'agit pas de sommes absolument inaccessibles.

M. André Lajoinie, président : Lorsque vous parliez des différences entre la France et l'Allemagne en matière de circulation des camions sur les autoroutes, je n'ai pas voulu vous interrompre. Vous avez raison de dire qu'il y a plus de camions sur les autoroutes allemandes que sur les autoroutes françaises. Mais je ne crois pas que, du point de vue du transit, nous soyons bien différents, pour une raison bien simple : nous avons des autoroutes à péages et nous assistons à des contournements des autoroutes à péages, dans notre pays ; les camions vont sur les routes nationales où ils saccagent tout ! Paradoxalement le péage en France sur les autoroutes, cela peut être surprenant de le dire maintenant, nous avantage vis à vis des Allemands. Car, alors que l'on refuse l'instauration d'une euro-vignette que j'ai réclamée à M. Neil Kinnock et que je réclamerai à Mme Loyola de Palacio qui, à la Commission européenne est désormais en charge des transports, une telle taxe sur les camions de transit permettrait d'équilibrer la concurrence sur les routes. Dans ma région, ce problème de contournement des autoroutes par les camions en transit est évident.

M. Louis Gallois : Il y a aussi un élément, M. le Président, c'est que la densité d'agglomérations et de populations de l'Allemagne est plus importante que celle de la France, il se produit donc une concentration des voitures sur les autoroutes allemandes. Les autoroutes gratuites ne font qu'encourager ce phénomène ; en cela vous avez tout à fait raison.

M. Jean-Claude Etienne : Et les signalisations !

M. Félix Leyzour : Vous n'avez pas parlé du pendulaire.

M. Louis Gallois : Je ne peux pas parler de tout !

M. Félix Leyzour : J'aurais bien aimé que vous disiez un petit mot là-dessus ; y a-t -il toujours des recherches dans ce domaine, où en est-on ?

M. Louis Gallois : Nous avons actuellement à titre de rame de démonstration une rame TGV en pendulation que nous sommes d'ailleurs en train de démonter, car les essais ont été faits et nous ont permis de valider un certain nombre de solutions techniques, qui montrent que l'on peut faire penduler les rames de TGV Atlantique, par exemple, dès lors que l'on réalise un certain nombre d'investissements.

Ceci me paraît intéressant, mais pas sur les lignes nouvelles. J'ai lu dans le journal « Libération », à propos du TGV, qu'avec la pendulation on pourrait atteindre 300 kilomètres à l'heure sur une ligne classique. Je déconseille formellement de monter dans le train qui ferait du 300 à l'heure sur une ligne classique, même avec la pendulation. La pendulation n'améliore pas la sécurité, c'est-à-dire que l'on ne peut pas passer plus vite grâce à la pendulation. Cela n'améliore que le confort. Je crois que le TGV pendulaire peut avoir un intérêt lorsque, au delà de la ligne à grande vitesse, où la pendulation n'est pas utile, il y a un long chemin à faire en ligne classique. Je pense notamment à la Bretagne, où la densité de population assure du trafic jusqu'à Brest et jusqu'à Quimper.

M. Léonce Deprez : Quand vous parliez de l'électrification, vous pensiez à la pendulation ?

M. Louis Gallois : Je vais y venir ; cela, c'était pour le TGV. J'en viens maintenant tout à fait à l'autre bout au transport régional. Je me suis rendu de Montereau à Melun, avec le nouveau X-TER, c'est-à-dire notre nouvel automoteur TER que certaines régions ont déjà acquis. Nous avons mis une rame en pendulation ; c'est une expérience intéressante. J'avais invité un certain nombre d'élus à cette visite, ils ont pu voir que la pendulation apportait effectivement des éléments de confort sur une voie assez sinueuse. Ce matériel me semble parfaitement adapté pour améliorer la performance par exemple sur Clermont-Ferrand/Lyon, où nous n'envisageons en tous cas pas de dépasser 160 à l'heure. Il ne faut pas oublier que les règles de sécurité de la SNCF ne permettent pas de dépasser cette vitesse sur des voies avec passages à niveau. Nous sommes actuellement à 120, nous pourrions monter à 140 ou 150 et avec des investissements de caractère important, mais pas démesuré, nous aurions une amélioration extrêmement sensible de la qualité de la desserte entre Clermont-Ferrand et Lyon. Celle-ci serait accrue si l'on faisait en plus le court-circuit de Saint-Germain-des-Fossés ; ce sujet suscite aujourd'hui un certain débat, notamment, à la SNCF.

On trouve ensuite l'intermédiaire c'est-à-dire le train grande ligne pendulaire, nous y réfléchissons actuellement sur Paris/Toulouse. La configuration est assez complexe, parce qu'on nous demande de faire un pendulaire, de confort grande ligne, capable ensuite d'aller sur des lignes à grande vitesse pour atteindre Roissy, donc susceptible de vitesses de l'ordre au moins de 250 kilomètres à l'heure pour ne pas saturer la ligne à grande vitesse en allant trop lentement. C'est quand même un mouton assez compliqué que l'on nous demande de concevoir. Nous avons lancé un appel d'offres à ce sujet, nous sommes en train de le dépouiller, c'est un matériel très coûteux ; il faudra peut-être essayer de voir si l'on ne peut pas trouver des solutions un tout petit peu moins ambitieuses, qui fassent jouer la pendulation, mais qui n'obligent pas à mettre sur le même matériel toutes les innovations, à la fois de la très grande vitesse, de la pendulation, etc.

Nous avons la même question sur Clermont-Ferrand/Paris posée par le président de la région Auvergne qui souhaite un nouveau matériel. Il faut que nous y réfléchissions. Les matériels existent en Europe, il faut que nous soyons capables d'en assurer le financement, sachant que le nombre de rames achetées sera limité.

M. André Lajoinie, président : Si l'on pouvait faire un pool européen ?

M. Louis Gallois : Il faudrait un pool européen, mais là, les spécifications techniques risquent d'être assez différentes ; c'est une question qu'il faudra examiner. Actuellement, lorsqu'on commande 5 rames sur Paris-Toulouse, le coût de la rame est assez dissuasif.

M. Jean Launay : Vous venez d'évoquer la ligne Paris-Toulouse, mais en passant par où ? Par Bordeaux ?

M. Louis Gallois : Non, celle-là passe par Orléans, Limoges ...

M. Jean Launay : Et jusqu'à Brive et ensuite, pour le Nord et le reste du département du Lot ? C'était la première question que je voulais vous poser. Vous avez évoqué aussi, très rapidement, une question que j'avais soulevée lors de la discussion budgétaire sur le fret. J'ai été un peu étonné de votre réponse tout à l'heure quand vous avez dit qu'il n'était pas possible de s'éloigner des prix de la route pour votre offre de transport ferroviaire. Nous avons la chance d'avoir dans la région dont je suis l'élu, le dernier chantier de traverses bois, à Biares/Serres ; cela me paraît un peu symbolique de ce recul du fret ferroviaire ...

M. Louis Gallois : On le transportait par route !

M. Jean Launay : ... que ces traverses de chemin de fer, justement, aussi bien pour rentrer et maintenant pour sortir, soient transportées par route ; derrière la reconquête qui est affichée, dont vous avez donné de nombreux signes, il y a aussi une part symbolique forte. A l'intérieur de la maison que vous dirigez devrait quand même exister la volonté de faire mieux.

M. Louis Gallois : C'est une question qui m'a été posée, peut-être par vous-même. J'ai demandé que l'on regarde évidemment cette affaire avant de répondre à cette question. Il y a des trafics sur lesquels le chemin de fer n'est pas pertinent ; cela dépend des quantités. Mais s'il s'agit d'accrocher deux wagons, de faire venir une locomotive, d'utiliser un agent de conduite pendant deux heures pour faire remonter deux wagons ...

M. Jean Launay : On est au-delà des 150 kilomètres dans le cas d'espèce.

M. Louis Gallois : Mais même si on peut être au delà de 150 kilomètres, il s'agit de voir tout de même quelle est la taille du trafic en cause ; je dois aussi gérer une entreprise dans des conditions économiques sévères. En plus, des problèmes de saturation sont posés car nous avons des installations qui sont parfois chargées avec des circulations comportant peu de wagons ... Un train de mille mètres ou un train de deux wagons utilisent la même capacité. Je vais donc vous répondre de manière précise mais je fais aujourd'hui une réponse un peu générale. Tout trafic ne relève pas du chemin de fer, de manière évidente. S'il s'agit d'un trafic suffisamment massifié, sur une voie accessible facilement par le chemin de fer, pourquoi pas, et même au contraire.

M. André Lajoinie, président : Merci ; votre audition a beaucoup intéressé notre commission et nous en tirerons le meilleur profit.

M. Louis Gallois : Merci de m'avoir reçu.

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