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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 28

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 26 janvier 2000
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. André Lajoinie, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Claude GRESSIER, directeur du transport maritime, des ports et du littoral


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La commission a entendu M. Claude Gressier, directeur du transport maritime, des ports et du littoral au ministère de l'équipement, des transports et du logement.

M. André Lajoinie, président : M. Claude Gressier, je vous souhaite la bienvenue. Notre commission est engagée dans une réflexion d'ensemble sur les transports en France et en Europe, tous transports confondus. Nous voulons « mettre à plat » l'ensemble des problèmes posés par les transports en vue de faire des propositions et d'encourager les modes de transport qui nous semblent les plus efficaces, les moins polluants et les moins dangereux.

Parmi ceux-là, nous croyons que le transport maritime, et notamment le cabotage, sont des moyens de transport intéressants. Vous vous occupez du transport maritime et des ports, étant entendu que la liaison des ports avec le réseau intérieur nous préoccupe également. Votre opinion est donc importante pour nous.

M. Claude Gressier : Merci M. le Président de m'avoir convié pour discuter de ces problèmes importants. Je vais faire une courte présentation et répondrai ensuite à vos questions.

Je dirai tout d'abord deux mots sur le transport maritime en général, avant d'aborder le point particulier du transport maritime à courte distance.

Je ne vais pas vous dire que le transport maritime est stratégique, il est tout simplement vital. 50 % en volume du commerce international de la France empruntent la voie maritime, 90 % pour le commerce international de la France avec les pays extra-européens. Pour l'Union européenne, c'est également 90 % de ses échanges en volume avec le reste du monde qui s'effectuent par la voie maritime. Dès lors, la question qu'on peut se poser est la suivante : peut-on toujours confier l'acheminement de notre commerce extérieur à n'importe quel navire et n'importe quel pavillon ? C'est l'une des raisons pour lesquelles nous essayons de développer une politique en faveur des armements français et du pavillon français.

Je vais en dire quelques mots avant d'aborder la question du transport à courte distance. Nous avons beaucoup reculé dans le classement des armements et du nombre de navires sous pavillon français. Leur nombre, stable depuis quelques années est de 210 navires, dont plus de la moitié sous le registre des terres australes et antarctiques françaises, qui a permis de continuer à faire du transport international sous pavillon français.

Outre ces 210 navires sous pavillon français, on compte 90 navires sous pavillon tiers, et encore une soixantaine d'autres affrétés sur une longue durée. Cela représente donc environ 360 navires qui sont à la disposition des armateurs français.

Parmi les armateurs français, je voudrais en signaler quelques-uns qui sont véritablement dans la course mondiale ou européenne :

- d'abord, le groupe CMA/CGM qui, après des difficultés juridiques complexes, a réussi sa fusion l'année dernière et qui a trouvé un dynamisme tout à fait remarquable. Il vient d'acheter 8 grands porte-conteneurs, 4 sous pavillon français et 4 sous pavillon tiers, qui vont s'ajouter à sa flotte déjà importante ;

- le groupe BOLLORÉ, spécialiste des relations entre la France, l'Union européenne et l'Afrique ;

- le groupe DREYFUS spécialiste des vraquiers ;

- le groupe BOURBON spécialisé dans les activités de services : remorquage, desserte des plates-formes pétrolières, etc. ;

- de nouveaux arrivés : on trouve des armateurs qui se lancent dans le transport maritime en rachetant éventuellement d'autres sociétés. C'est le cas de M. Patrick Molis qui a racheté l'ancienne compagnie méridionale et la compagnie nationale de navigation aux Belges qui l'avaient eux-mêmes rachetée précédemment.

On pourrait en citer d'autres sans oublier, bien entendu, le fait que notre pays est l'un des premiers pour les navires de passagers avec ses trois grandes compagnies qui connaissent peut-être chacune quelques difficultés, mais qui sont trois belles sociétés : la Société nationale Corse Méditerranée, SeaFrance et Britanny Ferries, sans oublier Emeraude lines ou un certain nombre d'autres.

Ces armateurs pourraient sans doute disposer de plus de navires sous pavillon français. Il faudrait pour cela poursuivre et amplifier la démarche amorcée, notamment depuis le Comité interministériel de la mer du 1er avril 1998, qui a permis à la fois le remboursement d'une partie des charges sociales de l'ENIM, lorsque les navires étaient soumis à concurrence internationale et a instauré le GIE fiscal, c'est-à-dire une défiscalisation partielle des navires s'ils restent sous pavillon français pendant 8 ans. Les résultats ont été satisfaisants en 1999, puisque 10 dossiers pour 15 navires ont été retenus pour des porte-conteneurs, des vraquiers, des câbliers, permettant de renouveler une partie de la flotte française.

Je cite toujours un chiffre, qui n'est qu'une estimation mais qui frappe un peu les esprits. La SNCF transporte 55 milliards de tonnes/km ; pour le commerce international de la France par voie maritime, il s'agit de 750 milliards de tonnes/km. Aujourd'hui, bien que le pavillon français ait beaucoup régressé, il en assure encore un peu moins de la moitié, soit 40 %, ce qui n'est pas négligeable.

Dans le prolongement des mesures prises lors du Comité interministériel de la mer du 1er avril 1998, le ministre, M. Jean-Claude Gayssot, réfléchit à une certaine rénovation de nos registres. Il a confié à deux inspecteurs généraux : MM. Hamon et Dubois, une mission de concertation avec les armateurs et les organisations syndicales pour examiner les moyens d'améliorer nos registres et trouver la voie étroite permettant de jumeler le bien-être social des marins et des officiers avec une meilleure compétitivité de notre pavillon. Leur rapport devrait être remis d'ici 2 ou 3 semaines et ses conclusions devraient être discutées sinon au prochain Comité interministériel de la mer de fin février qui sera essentiellement consacré au problème de sécurité maritime, suite à l'accident de l'Erika, du moins au Comité interministériel de la mer qui suivra d'ici quelques mois.

Une réforme d'importance pourrait s'accompagner éventuellement - et c'est à discuter au niveau gouvernemental - de mesures fiscales ou autres dans le cadre des lignes directrices adoptées par Bruxelles, de façon à rendre le pavillon français plus compétitif.

Dans ce cadre général que je viens brièvement de tracer, il faut faire une place particulière au transport maritime à courte distance. Ce dernier se développe actuellement très bien sur certains créneaux et avec difficultés sur d'autres.

Sur quels créneaux se développe-t-il bien ? Sur deux créneaux essentiels, l'un étant le « feedering » c'est-à-dire l'opération qui consiste lorsqu'un grand navire porte-conteneurs arrive dans un port majeur, Rotterdam, le Havre, Marseille à décharger une partie de ses conteneurs sur des porte-conteneurs plus petits qui vont desservir des ports de taille plus modeste : Brest, Lorient, La Rochelle, Bordeaux.

Le cas de Brest où n'existait pas de trafic de conteneurs jusqu'à il y a environ un an et demi est frappant. Un armateur a essayé de desservir Brest en « feedering » à partir de Nantes ou du Havre et, très rapidement, s'est créé un trafic relativement important de 10 000 conteneurs, ce qui n'est pas mal pour une première année de démarrage.

Ce trafic de transbordement en « feedering » à partir des grands ports vers les ports plus petits se développe très bien.

Un deuxième type de trafic qui se développe bien est le trafic de voitures neuves, notamment entre l'Espagne, le Portugal, la France, voire l'Allemagne ou la Grande Bretagne, pays où il y a de grandes usines de fabrication d'automobiles. Les transporteurs de voitures, que ce soit la société de transport de voitures automobiles, filiale du groupe SNCF, ou GEFCO, filiale du groupe Peugeot/Citroën, ont considéré que le transport maritime pouvait être un maillon important du transport de voitures.

Il existe par ailleurs actuellement de nombreux projets d'autres types de transport maritime à courte distance, notamment des « trafics rouliers », constitués par des semi-remorques, avec ou sans tracteur et chauffeur, qui montent sur un navire et qui parcourent une certaine distance par mer au lieu de le faire par la route de bout en bout. Mais on se heurte à des problèmes, car les décideurs sont nombreux. En effet, à l'inverse du transport de voitures neuves où les groupes GEFCO ou STVA décident avec l'appui de leurs quelques clients constructeurs automobiles, il existe pour les « trafics rouliers » une multitude de transporteurs routiers ou de commissionnaires de transport qui doivent choisir de prendre ou non, pour une partie du parcours, la voie maritime. Cela fait donc un grand nombre de clients rendant difficile tout démarchage.

Il existe de nombreux exemples où, au bout de quelques mois, l'expérience a échoué et la ligne a dû fermer : ainsi la liaison au départ de St-Nazaire vers l'Espagne ou le Portugal.

Une initiative intéressante a failli échouer, il s'agit d'une liaison entre Bayonne et Southampton, soit une très grande distance. Les camions français ou espagnols, venant juste de franchir les Pyrénées, et avant d'avoir traversé la Nationale 10 et l'agglomération bordelaise, montent sur un navire pour aller jusqu'à Southampton. Est-ce faute d'un marketing suffisant ? La ligne a failli fermer. Grâce à l'énergie du président de la chambre de commerce et d'industrie de Bayonne qui a trouvé un nouvel opérateur, elle est en train de redémarrer, mais c'est difficile.

Souvent, les transporteurs routiers réagissent et, pour faire face à la concurrence de la voie maritime, abaissent les prix et continuent à faire du routier de bout en bout.

Le transport maritime à courte distance va pouvoir se développer malgré tout, mais deux conditions essentielles doivent notamment être réunies :

- la première est que toute opération soit précédée d'études de marché suffisantes et de démarches très précises avec les différents clients.

Je dois signaler d'ailleurs à ce propos qu'il vient de se créer en France un bureau de promotion du transport maritime à courte distance : BPSS (Bureau de Promotion du Short Site). Il va rassembler non seulement les acteurs maritimes : le comité des armateurs, mais aussi les commissionnaires, TLF (Fédération des industries de transport et logistique de France), les chargeurs dans le cadre de la ITF (Fédération internationale des ouvriers de transports), mais aussi la Fédération nationale des transporteurs routiers dont l'entrée dans le BPSS me paraît extrêmement importante ;

- la deuxième condition du développement du transport maritime à courte distance réside dans une aide au démarrage, c'est-à-dire la prise en charge par les pouvoirs publics d'une partie du déficit de la première année. Cette aide est autorisée par la Commission européenne. Elle-même finance, grâce à un programme PADTC (programme d'aide au développement du transport combiné), ce type d'aide au démarrage.

Nous voudrions accompagner l'action de l'Union européenne à l'échelle nationale et régionale en respectant, bien sûr, les règles européennes de façon à véritablement aider au démarrage. Il ne s'agit pas de pérenniser ces aides car les pouvoirs publics ne sont pas là pour faire fonctionner les entreprises à la place des armateurs ou des professionnels, mais seulement d'aider au démarrage, car les clients mettent un certain temps à prendre la décision de choisir le transport maritime, c'est quelque chose d'un peu nouveau pour eux.

Ces aides à la fois aux études et au démarrage sont importantes. Bien entendu, ce transport maritime se développera d'autant mieux que le coût du transport routier de bout en bout sera élevé et que les règles qui doivent s'y appliquer seront effectivement appliquées. C'est le problème bien connu du contrôle de ce mode de transport.

Voilà ce qui me semble être la problématique actuelle de ce transport maritime à courte distance.

J'ai cité de nombreuses initiatives sur l'Atlantique, mais il y en a aussi en Méditerranée. Une ligne fonctionne déjà entre l'Espagne et l'Italie. Des armateurs veulent créer des lignes entre la France et l'Italie, mais cela nécessite les deux types d'aides, dont je viens de parler.

Je dirai quelques mots sur les ports, et tout d'abord sur les ports français. Les ports s'intègrent de plus en plus dans des chaînes logistiques européennes, voire mondiales. Il est important pour eux d'être véritablement positionnés sur ces chaînes logistiques qui vont devenir grosso modo des émetteurs de frets vers les réceptionnaires. Avec le développement des transports terrestres, ces chaînes logistiques peuvent concerner des ports français ou d'autres ports européens.

Quelques conditions doivent être réunies pour réussir :

1°) une me paraît tout à fait essentielle : la fiabilité, c'est-à-dire le fait pour un port de travailler en continu, de façon prévisible et sans à-coups techniques ou sociaux importants. Vu de Tokyo, de Singapour ou même de Londres, on reproche à nos ports de manquer de fiabilité, parfois à tort, mais les opérateurs ont la mémoire longue. Il suffit d'incidents un peu importants qui durent une semaine, comme c'est arrivé au Havre récemment ou même à Marseille il y a plus longtemps, pour qu'on s'en souvienne pendant fort longtemps.

Pour résoudre ce problème de fiabilité il faut engager des discussions avec l'ensemble des partenaires sociaux afin que chacun y trouve son compte. Il faut que les ouvriers portuaires constatent le retour de la croissance des trafics, qu'on leur explique la situation et qu'ils entrent dans cette démarche de fiabilité. Cela est possible et a été couronné de succès dans un certain nombre de ports français ;

2°) une excellente desserte terrestre. En effet, un port ne doit plus seulement bien faire son travail de chargement et de déchargement des navires et offrir les services dont ceux-ci ont besoin dans l'enceinte portuaire, mais il doit aussi s'inscrire de bout en bout dans certaines logistiques et donc travailler avec les transporteurs terrestres pour que les délais et les conditions commerciales soient totalement satisfaisants pour l'armateur et les chargeurs.

Cela suppose un partenariat de qualité avec les transporteurs routiers mais surtout, et de plus en plus, avec la SNCF et ses filiales. Lorsqu'on essaie de développer un projet portuaire, il faut prendre en compte non seulement le projet lui-même, mais la façon dont il va fonctionner et la façon dont vont être assurées les dessertes terrestres.

Pour prendre un exemple concret, le projet « Port 2000 » au Havre n'est pas un projet de béton, c'est un projet qui prend en compte l'environnement, mais c'est aussi un projet qui concerne l'organisation de l'ensemble portuaire et qui comporte nécessairement les dessertes terrestres. Dans ce cadre, des améliorations importantes de la desserte par chemin de fer sont prévues. Des investissements très importants sont programmés à la fois à l'intérieur du projet et aussi dans le cadre du contrat de plan entre l'Etat et la région Haute-Normandie pour l'amélioration de la desserte ferroviaire et de la desserte fluviale.

Mais les investissements ne suffisent pas. Derrière ceux-ci, on doit trouver une qualité de services, des engagements de la SNCF et de ses filiales, contrebalancés par des engagements de la part de la place portuaire sur des volumes, et bien entendu des tarifs, valables sur plusieurs années, quitte à les indexer sur l'évolution des coûts ;

3°) la compétitivité. Il va de soi que tous les maillons de la chaîne portuaire doivent être aussi productifs et compétitifs que possible, qu'il s'agisse du port lui-même, des services aux navires, des services à la marchandise, de la manutention, etc., tout le monde doit être partie prenante du combat en faveur de la compétitivité ;

4°) l'action commerciale qui doit être coordonnée au niveau de la place portuaire, vis-à-vis de l'ensemble des chargeurs et des armements ;

5°) une cinquième condition qui me paraît très importante, concerne le positionnement des ports dans les chaînes logistiques mondiales qui se fera d'autant mieux que les enceintes portuaires intégreront des développements de logistiques.

Dans ce but, nous organisons demain une journée sur les zones logistiques portuaires qui sera clôturée par M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, à laquelle participe notamment M. Daniel Paul, ici présent, au cours de laquelle les logisticiens, les chargeurs, les armateurs discuteront des conditions de développement de ces zones. Lorsque des entrepôts logistiques sont implantés dans un port, une fidélisation de la clientèle se fait automatiquement, alors que si ces entrepôts sont en région parisienne, il est possible de prendre ensuite le chemin d'Anvers plutôt que celui du Havre ou de Marseille.

Je souhaiterais faire part de quelques réflexions concernant les ports et la flotte. Si le nombre de navires sous pavillon français a baissé considérablement depuis un certain nombre d'années, le phénomène est aujourd'hui stabilisé et nous avons heureusement des armateurs dynamiques qui ne demandent qu'à aller de l'avant. Pour les ports il ne faut pas non plus, même s'il y a beaucoup de choses à faire, battre sa coulpe et se flageller.

Regardons la réalité. Récemment, la Cour des comptes a remis un rapport intéressant sur les ports. Dans la présentation faite, la Cour a repris les trafics des ports français entre 1991 et 1997, en constatant que ces ports avaient perdu des parts de marché par rapport aux ports européens. C'est tout à fait exact, compte tenu des mouvements qui ont précédé et suivi la réforme de la manutention portuaire en 1992. De 1991 à 1993, voire au début 1994, on constate effectivement des pertes de trafic. Mais si l'on prend les trafics entre 1994 et 1998, on s'aperçoit qu'ils ont augmenté dans les ports autonomes français de 25 millions de tonnes alors que le trafic de l'ensemble des ports majeurs européens, dont les ports autonomes français font partie, n'a cru que de 13 millions de tonnes ; c'est-à-dire que les ports majeurs français ont connu une croissance beaucoup plus rapide que celle de l'ensemble des ports européens.

En examinant les trafics portuaires de ces trois dernières années, on constate des hausses de trafic tout à fait remarquables, notamment en conteneurs, en trafic de marchandises diverses ; pour les produits pétroliers, cela va et vient au gré des fermetures ou des réparations d'un certain nombre d'usines et de centrales nucléaires. Il y a une dispersion plus importante, mais nous assistons en fait depuis 1996, même un peu avant, à une augmentation continue du trafic de nos ports et à un regain de parts de marché par rapport à nos concurrents.

L'an dernier par exemple, le trafic de rouliers a augmenté de 6 %, celui des conteneurs sur l'ensemble des ports a augmenté de 7 %. Certains ports, comme Nantes ou Dunkerque, ont vu leur trafic de conteneurs augmenter de 10 % ou 20 %, ce qui constitue des performances tout à fait satisfaisantes.

Un autre point à prendre en compte concerne l'adaptation des ports, et surtout de nos deux grands ports pour lesquels ce type de transport est fondamental, c'est-à-dire Le Havre et Marseille, aux conditions modernes de développement du trafic de conteneurs et en particulier à la taille des porte-conteneurs.

Jusqu'à récemment, on pensait que les porte-conteneurs allaient, sauf exception, plafonner à 4 500 conteneurs. Aujourd'hui, les 8 navires porte-conteneurs, commandés par le groupe CMA/CGM, sont rapides, ils font plus de 23 n_uds, et contiennent 6 500 conteneurs. Les autres armements ont aussi de plus en plus de navires de 6 500 conteneurs, ce qui signifie que l'escale est intéressante si l'on peut accueillir le navire mais aussi si l'on charge ou l'on décharge un nombre suffisant de conteneurs. J'en reviens à l'importance de l'hinterland, des dessertes terrestres, du transbordement.

Autour de ces notions de transbordement et de « feedering », ainsi que d'élargissement de l'arrière-pays, notamment grâce à des navettes ferroviaires de qualité, se trouvent des enjeux importants au moins pour nos deux grands ports à conteneurs que sont Le Havre et Marseille.

Tous les ports - pas seulement les grands - doivent aussi faciliter le transport maritime à courte distance. Les armateurs et les ports ont un rôle à jouer. L'action des pouvoirs publics doit également faciliter ce transport maritime à courte distance.

Deux actions vont de pair : attribuer des quais au transport maritime à courte distance et alléger les formalités car s'il s'agit de trafics à l'intérieur de l'Union européenne sans droits de douane.

Le problème est que lorsqu'un navire est en mer, les douanes ne savent pas s'il fait ou non du trafic intra-européen et effectuent donc des formalités et vérifications. On pourrait améliorer cette situation grâce aux moyens de transmission modernes. Par ailleurs, en affectant un quai dédié au transport maritime à courte distance les ports pourraient promouvoir ce type de transport.

Je ne serais peut-être pas complet, M. le Président, tout en n'ayant peut-être pas encore tout à fait décrit tout ce qui reste à faire, si je ne mettais pas l'accent sur quelques points qui montrent tout ce qui a été fait depuis quelques années.

Les contrats de plan en cours de signature sont extrêmement porteurs pour l'ensemble des ports, puisque nous y avons inclus les grosses réparations nécessaires, faute peut-être que des crédits d'entretien suffisants aient été dégagés depuis un certain temps sur des grandes infrastructures. Il y a deux volets dans ces contrats de plan : un volet réhabilitation-rénovation des infrastructures de base et un volet développement. Le total représente 1,4 milliard de francs de fonds d'Etat, plus les fonds régionaux et locaux, et la participation des ports eux-mêmes, ce qui va représenter un programme considérable et un triplement des crédits.

Ainsi, les montants contractualisés sur sept ans représentent en fonds d'Etat trois fois ce qui a été fait sur six ans au cours du contrat de plan précédent qui, il est vrai, comportait moins de grosses réparations. Ceci ne comprend pas les dotations de l'Etat pour « Port 2000 » au Havre qui viennent s'ajouter aux 1,4 milliard de francs dont j'ai déjà parlé. Les contrats de plan sont donc très positifs pour le développement de nos ports.

Le budget pour 2000 s'inscrit dans le même axe, puisqu'il est en augmentation par rapport à celui de l'année précédente de 30 %, notamment grâce à l'opération « Port 2000 » qui devrait démarrer à la fin de cette année. Ceci est important et répond déjà aux critiques de la Cour des comptes sur l'insuffisance des budgets portuaires.

Nous avons essayé, pour les contrats de plan, avant même les recommandations de la Cour des comptes, de sélectionner les investissements, de ne pas faire de saupoudrage, mais au contraire d'essayer de centrer les dotations de l'Etat, là où le trafic était le plus porteur.

Je terminerai en évoquant les décrets du 9 septembre qui vont permettre une certaine rénovation de la manutention portuaire, une déconcentration des prises de participation des ports dans des activités connexes (informatique portuaire, opérations de transport terrestre,...), la création pour les ports d'intérêt national, gérés généralement par les chambres de commerce, d'un comité stratégique rassemblant l'Etat, les collectivités locales et le concessionnaire, qui va permettre de discuter dans ces enceintes de la stratégie portuaire et des perspectives d'investissement.

Après ces propos introductifs, je suis prêt à répondre à vos questions.

M. Daniel Paul : En matière de sécurité en mer, il revient bien entendu au pouvoir politique de prendre les décisions qui s'imposent après la catastrophe de l'Erika. Ne pensez-vous pas que le moment est venu de franchir un pas significatif dans la mise en place de dispositions rigoureuses à l'égard d'un certain nombre d'armements, et d'aller vers une politique maritime européenne ?

Ma première remarque sera la suivante : après le naufrage de l'Exxon Valdès, on voit les Etats-Unis imposer sur leur territoire une rigueur accrue, qu'ils n'acceptent pas toujours de voir mise en place chez les autres ; c'est ainsi qu'ils interviennent à l'ONU pour que ce qui se fait chez eux ne se fasse pas ailleurs.

Peut-on envisager d'aller vers une plus grande sécurité à travers des dispositions plus contraignantes ?

Tout pays, qui accepte que son pavillon soit à la poupe d'un navire ne devrait-il pas avoir une administration maritime ?

Tout Etat candidat à l'adhésion à l'Union européenne, qui ne disposerait pas d'une telle administration maritime, ne devrait-il pas se voir refuser le statut même de candidat ?

Je pense à un certain nombre d'Etats comme Malte, Chypre, la Turquie ou les Etats baltes, mais aussi à des Etats qui sont d'ores et déjà membres de l'Union européenne comme la Grèce et le Luxembourg qui est devenu un pays maritime.

Ma deuxième remarque concerne le cabotage. Notre territoire national ne s'arrête pas à nos côtes. S'agissant du transport, ce territoire déborde au moins jusqu'aux eaux territoriales où le cabotage peut s'effectuer de façon plus aisée. Comment faciliter les opérations de transbordement, dès lors que les douanes viennent s'enquérir de la destination et des modalités chaque fois qu'un bateau quitte un port ?

La France est un pays de transit, si l'on ne prend pas de façon volontaire un certain nombre d'orientations dans le domaine du transport, on sera totalement asphyxié. Or, nous avons avec le nombre important de ports qui jalonnent nos côtes, du nord au sud, la possibilité de mettre en place un schéma de services de transport et de constituer une filière. Vous avez rappelé qu'on rassemble autour de cette idée, un certain nombre de partenaires, l'Etat devrait peser pour que cela aboutisse.

Ma troisième remarque porte sur les ports : le statut des ports autonomes date de trois quarts de siècle. La refonte du statut n'est-elle pas en germe dans ce débat ? Non pas que j'y sois favorable, mais c'est le sentiment que nous avons, en voyant la politique portuaire s'organiser, sur le plan national et international.

S'agissant des quais dédiés, dans le cadre de l'opération « Port 2000 », une mise en concurrence est-elle obligatoire pour l'occupation de ces quais ? Si oui, pourquoi n'est-ce pas une obligation partout ?

Pourquoi le port de Rouen octroie-t-il à un manutentionnaire belge, sans appel à la concurrence, les quais de Port Jérôme, alors que les quais du Havre devraient eux être mis en concurrence ?

Ne devrait-on pas favoriser la mise en place d'une filière de manutention française apte à résister aux offensives d'Anvers ou de Rotterdam, où se trouvent les groupes les plus puissants dans ce domaine et qui, si nous ne faisons pas attention, pourraient s'offrir demain les quais de Marseille et du Havre ? La mise en place d'une filière de manutention serait de nature à renforcer le savoir-faire français. Dans ce domaine, nous n'avons rien à envier aux Belges ou aux Néerlandais.

Par ailleurs, l'intoxication existe. Vous avez évoqué les mouvements sociaux dans les ports français. On en parle souvent, mais on oublie de relater ceux aussi importants, dans les ports belges ou hollandais. Mais en Belgique ou aux Pays-Bas, les intéressés règlent leurs problèmes entre eux, et veillent à ne pas trop les mettre sur la place publique. J'ai le sentiment que nous prenons un malin plaisir en France, pour des raisons qu'il serait intéressant d'approfondir, à faire état des difficultés qui existent parfois dans nos ports.

Un autre handicap entrave l'activité des ports français rendant nécessaire une attention accrue à la question de leur desserte terrestre. La quasi totalité de nos ports, à l'exception de Dunkerque, est située en dehors de la « banane bleue », zone partant du Bénélux, passant par l'ouest de l'Allemagne, pour descendre vers l'Italie du nord et qu'on retrouve à Barcelone. C'est là que se concentrent les grands lieux de consommation de produits que l'Europe importe. Tous les ports situés près de Rotterdam et Anvers sont dans cette « banane bleue » où l'industrie de transformation, la logistique sont bien évidemment favorisées.

Les ports de Marseille ou du Havre sont, eux, handicapés. Les marchandises doivent parcourir quelques centaines de kilomètres, parfois couverts dans des conditions insatisfaisantes par la SNCF, le réseau autoroutier et le réseau fluvial, avant d'arriver dans une zone de la « banane bleue ».

Comment faire pour créer une chaîne de qualité entre le moment où un conteneur arrive dans un port et celui où il parvient dans sa zone de consommation ou d'utilisation ?

Comment créer, par la concertation et le dialogue, une véritable entreprise portuaire qui ne soit pas une simple juxtaposition de services différents ?

Les armateurs ne s'intéressent pas à la façon dont les choses se passent en amont ou en aval, ignorent comment se déroule la manutention, ne voient que les résultats, éventuellement les difficultés. Actuellement, le sentiment profond est qu'on utilise le même outil, mais que les objectifs sont parfois différents.

M. Jean-Claude Lemoine : Pour le développement de certains ports, l'encombrement que l'on constate, en particulier dans la Manche, est-il un handicap ?

Par ailleurs, n'y a-t-il pas un problème de rapidité du transport, de temps de trajet, de transbordement ?

Il existe un projet de transport rapide entre les Etats-Unis et le port de Cherbourg qui s'appelle « fast ship ». Pensez-vous que Cherbourg ait des chances de succès ? Où en est ce projet ?

M. Albert Facon : Un port doit être alimenté par la mer mais aussi par la voie ferrée.

Le Gouvernement a décidé de construire une plate-forme logistique dans le bas de Calais (la plate-forme de Dourges ou plate-forme Delta 3) représentant 860 millions de francs d'investissements dans un premier temps. Les appels d'offres ont eu lieu, les travaux ont commencé et la livraison est prévue en 2003. La plate-forme est située sur un canal à grand gabarit, une voie ferrée, près de l'autoroute A1, à quelques kilomètres de la Belgique. L'investissement est assuré par le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais ainsi que par les deux départements. Je crains que cette plate-forme qui représente un investissement important, ne profite à Rotterdam. Comment faire pour qu'elle participe à la relance de l'activité des ports de la région Nord-Pas-de-Calais, Dunkerque, Calais, Boulogne ?

Depuis un certain temps, la SNCF se montre très frileuse et ne s'engage pas sur le transport combiné rail/route, comme je le souhaiterais à l'instar de beaucoup de Français. Nous avons deux ou trois ans pour y réfléchir. Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur ces dossiers ?

M. Alain Gouriou : Je voudrais soulever quelques problèmes de réglementation et de sécurité en partant d'un fait concret. Il y a plus d'un an, un cargo sous pavillon lituanien chargé d'ammonitrates est arrivé dans un petit port breton, le port de Tréguier. Le bateau était dans un état tellement lamentable que les affaires maritimes lui ont interdit de reprendre la mer, et il est toujours sur place actuellement. L'équipage est laissé totalement à l'abandon, ne percevant plus de salaire. Plusieurs membres de l'équipage ont des problèmes de santé tellement graves que certains doivent être hospitalisés et pris en charge. Le bateau pourrit sur place, présentant des risques de pollution graves sur l'estuaire du cours d'eau. Face à cette situation, les autorités locales sont laissées à l'abandon.

Il est impossible de trouver un interlocuteur auprès des autorités de tutelle pour s'occuper d'un tel cas : équipement, affaires maritimes, préfecture maritime, direction des ports. Les interlocuteurs sont tellement nombreux et variés qu'il est impossible de trouver une solution convenable.

Aujourd'hui, ce bateau est débité en morceaux par une société de ferraillage, après une procédure de déchéance de propriété qui a duré des mois. Les opérations de destruction de ce bateau sont à la charge des collectivités locales : le département ou la chambre de commerce qui gère le port.

Ne pensez-vous pas que ces problèmes devraient être abordés en amont ? Comment des bateaux dans cet état sont-ils autorisés à aborder les ports français ?

L'Etat de l'Alaska aux Etats-Unis a pris des mesures rigoureuses : tout bateau présentant quelque risque que ce soit est abordé à la limite des eaux territoriales américaines et n'est pas autorisé à faire route sur les ports.

Nous avons dans un certain nombre de ports français (au Havre, à Nantes, à Tréguier) des bateaux à l'abandon qui aujourd'hui occupent encore nos quais. Personne ne trouve la bonne procédure ou la bonne décision à prendre. Il serait intéressant de combler ce vide.

M. André Capet : En complément de l'intervention de mon collègue sur la plate-forme de Dourges, il me paraît important de souligner différents aspects.

Sur la côte d'Opale, façade maritime du littoral du Nord-Pas-de-Calais, nous avons trois grands ports : Calais, Boulogne, Dunkerque. J'aimerais que vous nous fassiez part de votre sentiment sur la nécessaire complémentarité entre ces trois ports, détenant une place au niveau national non négligeable. Pour les passagers, Calais est le premier port français et le deuxième port mondial ; Dunkerque est remarquablement situé en quatrième position nationale ; Boulogne est classé en première zone pour l'agro-alimentaire.

Je m'interroge sur la place de notre façade maritime par rapport à la « banane bleue ». Sur la Manche nous voyons des bateaux attendre leur entrée dans les ports, notamment belges, et attendre les marées pendant des heures alors que les ports de la façade maritime française ne demanderaient qu'à les accueillir rapidement.

Il faut mettre fin à cette légende surfaite du problème de la fiabilité de nos ports lié à des conflits sociaux car force est de constater que ces trois ports sont devenus performants, notamment Dunkerque où un accord cadre exemplaire a été signé.

J'espère, M. le directeur, que dans la mesure de vos possibilités vous appuierez l'axe de développement Seine-Nord et que la plate-forme de Dourges trouvera sa complémentarité sur la façade littorale.

Entre Dunkerque et Calais, une plate-forme multimodale subsidiaire va bientôt être raccordée au fer. Elle est déjà raccordée au port de Calais par une rocade maritime et directement raccordée à l'A16 et l'A26 ainsi qu'au réseau nord. Voilà un axe majeur, d'autant que nous avons les capacités de le développer. J'ai remarqué que les conditions que vous posez pour le développement des ports : compétitivité, action commerciale, desserte terrestre, développement logistique... sont remplies par les ports de la façade maritime Nord-Pas-de-Calais.

En clair, pourriez-vous nous dire comment vous voyez l'unité des ports, leur développement dans leur complémentarité, le développement de l'axe Dourges-Calais-Dunkerque, et le développement de SeaFrance ?

Nous disposons de moyens financiers importants, notamment d'origine européenne. Or, je viens d'apprendre que nous risquons de perdre les financements européens prévus au titre de la compensation de pertes de trafic liées à la disparition des zones à risques, faute de présenter des projets substantiels.

C'est un enjeu fantastique, d'autant que les parts de marché au point de vue fret sont en augmentation exponentielle, 8 % de moyenne de plus ces dernières années, 13 % pour 1999.

SeaFrance, faute de disposer d'une capacité de man_uvre pour sa flotte, est en perte de marché de 4 % sur le fret alors que c'était hier son fleuron.

Certes, nous allons avoir le cinquième bateau demandé au titre des compensations mais il faudra deux ans pour l'obtenir. Si nous attendons les deux années de construction et que SeaFrance ne dispose pas immédiatement d'un bateau pour reconquérir des parts de marché de fret, le pavillon français sera sérieusement menacé, alors que curieusement deux lignes étrangères se développent à Dunkerque. J'en suis très satisfait pour Dunkerque, là n'est pas l'enjeu, mais je suis surpris que ce soit des pavillons étrangers qui viennent reprendre des parts de marché existantes en fret sur Calais ; SeaFrance est en perdition tandis que ses parts de marché partent sous un pavillon étranger. S'il avait été français, on aurait très bien pu examiner avec les équipages SeaFrance comment assurer une complémentarité.

Il s'agit d'objectifs majeurs, soutenus par une volonté de la région et des conseils généraux du Nord-Pas-de-Calais soucieux d'assurer une cohérence de la façade maritime.

M. Gérard Grignon : La marine marchande française est en déclin, nous nous situons au 28ème rang mondial, or nous avons 150 navires immatriculés sous pavillon étranger de complaisance.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, déclarait dans un grand journal il y a peu de temps que la France avait aussi ses pavillons de complaisance (Kerguelen, Saint Pierre-et-Miquelon...). Il n'existe pas de pavillon de complaisance, c'est la loi française qui s'applique, sauf en matière de fiscalité. A propos de Saint-Pierre-et-Miquelon, j'ai déposé il y a peu de temps une proposition de loi, visant à y créer un registre d'immatriculation des navires.

Aujourd'hui, la marine marchande est en déclin, parce que la compétition internationale est trop forte. Les armateurs ne peuvent pas lutter contre la concurrence, compte tenu des charges qui pèsent sur eux.

Du fait du statut particulier que confère à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon la loi de 1985, le conseil général a la maîtrise totale de la fiscalité pour les impôts sur le revenu des personnes physiques, les impôts indirects, les impôts sur les sociétés etc. Cela lui permettrait de répondre aux souhaits des armateurs français : exonération d'impôt des personnels navigants, taxation forfaitaire des bénéfices etc.

Saint-Pierre-et-Miquelon a une administration maritime moderne, une solide tradition maritime et un système de télécommunications très développé. A mon sens, nous pourrions répondre aux demandes des armateurs français et permettre au pavillon français de reconquérir sa place sur les mers.

Quel peut être le sort, M. le directeur, d'une telle proposition de loi ? Elle était déjà déposée sous la législature précédente, et avait été inscrite à l'ordre du jour de notre Assemblée le 23 mai 1997. Vous connaissez le sort qui lui a été réservé du fait de la dissolution. Depuis, je suis intervenu auprès des services du ministère de l'équipement et j'attends toujours une réponse. Je vais de nouveau intervenir la semaine prochaine auprès du ministre pour connaître sa position sur cette question.

Quel sort peut-on donner à ma proposition de loi ? Pensez-vous qu'elle apporte une solution crédible aux problèmes que rencontre actuellement notre marine marchande ?

M. Jean-Pierre Dufau : Pourriez-vous me donner des informations plus précises sur la reprise de la ligne Bayonne/Southampton alors qu'elle avait été pratiquement abandonnée ? Je suis très heureux que cette reprise puisse avoir lieu.

En ce qui concerne la sécurité en mer, ne faut-il pas saisir l'occasion de la présidence française de l'Union européenne au second semestre 2000 pour qu'une réponse européenne soit enfin trouvée à ces questions ?

Par ailleurs, ne serait-il pas utile dans les zones à risques de doter quelques ports des équipements spécifiques pour héberger les navires en difficulté ? Lorsqu'un navire est en difficulté : soit on l'éloigne au large, et on écarte le problème mais je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution; soit on essaie de le rapatrier dans une zone où on peut le réparer. Peut-on envisager que des bassins spécifiques, particulièrement équipés et complètement étanches, puissent traiter les bateaux subissant des fuites de carburant ?

Après le naufrage de l'Erika, la France doit faire des propositions dans le cadre de sa prochaine présidence de l'Union européenne et recueillir l'accord des autres Etats membres.

M. Claude Gressier : En réponse à vos questions, je vais commencer par les problèmes de sécurité. Des accords internationaux, qui ont parfois un caractère insuffisant, régissent cette question.

Au sujet du Baltisky immobilisé dans le port de Tréguier, je suis désolé si les autorités locales ont le sentiment d'être laissées à l'abandon mais les interlocuteurs normaux, dans un tel cas, sont à Paris, c'est-à-dire dans ma direction, peut-être n'a-t-elle pas fait son travail ainsi que sur place les services maritimes et des affaires maritimes.

Les ammonitrates en dehors du pétrole sont mon angoisse car, depuis mon entrée en fonction en février 1998, tous les navires « poubelles » venus dans un état lamentable dans nos ports sont des navires chargés d'ammonitrates. « Le City of London » et le « Zahoris Toianou » à Marseille, le « Baltitsky » à Tréguier, et le « Junior M » toujours pour le moment à Brest sont tous des navires qui transportaient des ammonitrates.

Je compte réunir prochainement les importateurs d'ammonitrates pour leur dire que, dorénavant, indépendamment des accords internationaux, je demanderai aux services des affaires maritimes de contrôler leurs bateaux dès qu'ils arrivent dans un port.

Quand ce type de bateau est dans nos ports, nous devons faire face au problème des délais de déchéance qui sont relativement longs.

S'agissant des marins, un groupe de travail a débouché sur un rapport intéressant, que la France a transformé en une proposition d'accord international dans le cadre de l'organisation maritime internationale. La négociation est en cours et parallèlement des mesures sont prises au plan national.

Pour les problèmes de déchéance, les réglementations prévoient qu'on retrouve l'armateur ou que celui-ci abandonne le navire. Parfois l'armateur est connu et affirme qu'il va s'occuper du bateau, et dans ce cas l'administration ne peut rien faire. Si l'armateur abandonne le bateau il doit le signifier. Ensuite, il y a ou non une compagnie d'assurances ; en effet l'assurance n'est pas encore obligatoire, sauf dans le cas du transport de produits chimiques et de produits pétroliers.

Si l'armateur abandonne son navire, il n'est redevable de rien et les frais sont à la charge des autorités nationales, en l'occurrence les ports qui pourraient éventuellement se faire aider par l'Etat, mais pour le moment, il n'y a pas de fonds prévu à cette fin. Je milite pour qu'un fonds permette de faire face à ce type de situations.

Les accords internationaux fixent des délais incompressibles pour que le navire soit déclaré abandonné. Une fois qu'il est abandonné, il faut un appel d'offres pour qu'il soit découpé. Le ferrailleur se paie sur la ferraille, sinon on est obligé de le rémunérer.

Si l'on prend l'exemple du « Junior M » à Brest, c'est pire encore car il s'agit d'une matière dangereuse. Il a fallu attendre un certain délai avant de le décharger. Il y avait un armateur, un propriétaire de la marchandise et un acquéreur en France, mais ce dernier acquiert les marchandises au prix du marché. Vu les difficultés de déchargement, c'est ma direction qui a financé le marché passé par les services maritimes de Brest pour décharger ce navire, opération qui est donc à la charge du Gouvernement français.

Y a-t-il moyen de faire autrement ? Il y a la prévention et les contrôles.

Le « Junior M » allait de St-Pétersbourg au Maroc, donc il n'allait pas en France ; il y a eu une tempête, il était en mauvais état, il s'est mis dans la baie de St-Brieuc et le préfet maritime a demandé qu'il rentre au port de St-Malo. Le commandant de bord s'y est opposé, on m'a saisi et j'ai estimé que c'était de la folie.

Je pouvais donner deux réponses, soit je ne voulais pas de ce bateau dans les ports français et il devait être coulé ailleurs, mais il fallait sauver l'équipage et le bateau risquait d'occasionner une pollution avec ses soutes bien remplies puisqu'il allait jusqu'au Maroc.

Bien qu'il s'agisse d'un transport d'ammonitrates en vrac très dangereux, je me suis dit que cela n'allait pas exploser, même si c'était arrivé en 1947 à Brest. J'ai décidé de l'amener à Brest et d'essayer de le faire décharger. J'ai pesé les risques et essayé le plus vite possible de faire en sorte qu'il puisse être déchargé et de trouver un acquéreur pour la marchandise. Le bateau pouvait être amené en cale sèche et être réparé si l'armateur le souhaitait. J'ai choisi Brest car s'y trouvent tous les équipements nécessaires pour le réparer.

Vous voyez que nous sommes dans des situations juridiques assez difficiles.

Si l'on prend le problème sur un plan plus général, il est vrai que la situation est complexe et la sécurité insuffisante. La catastrophe de l'Erika doit être l'occasion de renforcer la sécurité maritime.

Le ministre a déjà réuni des tables rondes et formulé des propositions qu'il va transmettre à Mme Loyola de Palacio, membre de la Commission européenne, chargée des transports, ainsi qu'à l'organisation maritime internationale sur un certain nombre de thèmes qui tournent autour du renforcement des contrôles, notamment ceux en cale sèche tous les deux ans et demi pour les pétroliers et chimiquiers de plus de 15 ans.

Actuellement, un contrôle très renforcé a lieu tous les cinq ans, un contrôle léger tous les ans, un contrôle intermédiaire plus approfondi tous les deux ans et demi, mais pas nécessairement en cale sèche. Il faut donc à la fois un renforcement des contrôles et les pratiquer obligatoirement en cale sèche pour les pétroliers et les chimiquiers tous les deux ans et demi.

Il faut en outre mettre en place un système de contrôle des contrôleurs, c'est-à-dire une vérification de la qualité des contrôleurs des différents Etats ou des sociétés de classification par des experts au niveau européen ou au niveau mondial. C'est un point tout à fait essentiel.

Il faut renforcer le système d'assurance, et élever les plafonds qui sont actuellement relativement bas, ainsi pour l'Erika celui-ci n'est que de 80 millions de francs, et mettre en _uvre la responsabilité du chargeur, réceptionnaire et propriétaire de la marchandise.

Des améliorations et précisions sont donc nécessaires au plan juridique. Une autre idée s'apparente davantage à ce que font les Etats-Unis : il s'agit de demander à un navire, dès qu'il entre dans une zone économique exclusive, et non dans les eaux territoriales qui sont beaucoup trop réduites, de décliner à l'administration maritime la plus proche tous les éléments de sécurité le concernant pour qu'elle prenne les dispositions adaptées.

L'empêcher de rentrer est juridiquement difficile, compte tenu de la convention internationale sur le droit de la mer, dont nous avons été signataires ainsi que tous les pays européens. Les Etats-Unis n'en sont pas signataires et peuvent l'interdire, mais la convention internationale sur le droit de la mer donne le libre passage, notamment dans le Pas-de-Calais. Mais, on pourrait vraisemblablement exiger, dans le cadre d'un accord international à élaborer, d'un navire d'indiquer ses références précises en matière de sécurité afin qu'il soit éventuellement possible de lui interdire de venir, en tout cas de prendre les mesures nécessaires et lui intimer l'ordre d'aller dans le port le plus proche pour une vérification approfondie.

C'est autour de ces quelques idées : renforcement des contrôles, contrôle des contrôleurs, responsabilité des chargeurs et prévention en essayant de faire montrer « patte blanche » au navire qui rentrerait dans la zone économique exclusive, que le ministre est en train de réfléchir.

Tout ceci nécessite des accords internationaux, dans le cadre de l'organisation maritime internationale ou dans le cadre de l'ONU, mais un certain nombre de choses peuvent également se faire dans le cadre de l'Union européenne.

En matière de politique maritime, l'Union européenne, pour le moment, n'a pas fait grand chose. Il y a bien quelques directives sur les sociétés de classification, qui devraient être renforcées et le projet « Equasis » soutenu par l'Union européenne, d'initiative française qui va permettre de disposer d'un fichier central avec toutes les caractéristiques de sécurité des navires. On pourrait toutefois aller plus loin.

Il faut profiter de la catastrophe de l'Erika, car dans l'Union européenne tous les pays ne sont pas nécessairement du même avis. La politique maritime n'a jusqu'à présent pas été davantage développée pour deux raisons fondamentales.

La première c'est l'Histoire. L'histoire du milieu maritime est une histoire totalement internationale depuis des millénaires avec une accentuation au 19ème siècle. Ainsi, vous pouvez aller d'un pays européen à un autre, avec tout navire battant n'importe quel pavillon de n'importe quel pays du monde.

Il avait été question de créer un pavillon européen. Ce projet a échoué car un certain nombre de pays n'en voulaient pas. On observe de grandes différences entre les administrations maritimes des différents Etats de l'Union européenne. Actuellement, il y a place pour une politique maritime renforcée au plan de la sécurité.

Le Gouvernement en est conscient et c'est avant même le début de la présidence française qui commence au 1er juillet, qu'il faut essayer de faire avancer certains dossiers. La sécurité maritime sera à l'ordre du jour de la prochaine réunion du conseil des ministres des transports qui aura lieu en mars.

Il y a beaucoup à faire, mais tout n'est pas complètement noir.

Il faudrait que les Etats du pavillon aient une administration maritime capable d'assurer les contrôles. C'est effectivement un dossier auquel l'Union européenne est attachée, qu'elle a déjà commencé à pré-négocier avec les Etats demandeurs d'entrer dans l'Union. A Chypre, on constate déjà un certain nombre d'améliorations du registre. Pour Malte, ce n'est pas encore vraiment commencé. Pour l'Estonie, la Lituanie, il reste beaucoup à faire. L'Union européenne est tout à fait consciente de cette nécessité.

Cette préoccupation doit être appuyée par le contrôle des contrôleurs et par un minimum d'administration communautaire. Il ne s'agit pas de faire le travail à la place des Etats, mais de vérifier que les administrations maritimes des différents Etats font leur travail, et que les sociétés privées de classification, qui parfois d'ailleurs travaillent pour le compte des assureurs et des armateurs mais parfois par délégation des Etats, font elles aussi leur travail.

De nombreux problèmes portuaires ont été soulevés.

La Cour des comptes s'est interrogée sur la question du statut des ports. Il faut y réfléchir mais je ne suis pas certain que ce soit fondamental. Le port autonome présente cette caractéristique particulière de gérer pour le compte de l'Etat les infrastructures et d'être maître d'_uvre des superstructures, soit en les gérant lui-même dans certains cas, soit en confiant à des opérateurs privés tel ou tel terminal, ou telle ou telle gestion d'outillage.

On peut se demander, lorsqu'un port atteint une taille suffisante, s'il ne devrait pas bénéficier d'un statut équivalent, dans lequel il gérerait à la fois les infrastructures pour le compte de l'Etat et aurait la responsabilité de l'organisation de l'ensemble des superstructures.

Lorsque les ports sont plus petits, le système actuel où l'Etat gère les infrastructures avec une concession d'outillage donnée en général aux chambres de commerce, me paraît relativement bien fonctionner.

Pour rejoindre la préoccupation de M. André Capet, il me paraît essentiel au-delà de la sélectivité des investissements, d'avoir une vision stratégique de l'ensemble des ports d'une façade. Bien sûr il ne m'appartient pas de dire aux armateurs où ils doivent travailler.

En revanche, on peut sur le plan des investissements, et dans le cadre de la sélectivité de ces investissements, ne pas favoriser un terminal conteneurs à tel endroit, si on estime par exemple que ce n'est pas la vocation du port mais plutôt les céréales, les engrais.

Je ne peux pas décider cela de Sirius, mais rien n'interdit aux collectivités locales et à l'Etat, en concertation, de définir une stratégie portuaire, en prenant en compte la stratégie des ports voisins dans une certaine complémentarité. Effectivement, nous en avons de plus en plus besoin de façon à ne pas disperser les crédits. Nous avons essayé de le faire dans le cadre des contrats de plan qui sont en cours de signature, dans lesquels les élus régionaux ont bien perçu ce rôle de sélectivité et de complémentarité des investissements.

Par exemple, en Basse-Normandie, indépendamment de Cherbourg, il y a Caen et Honfleur. On a demandé au conseil régional ce qu'il privilégiait. La Basse-Normandie a choisi le port de Honfleur pour certains trafics. On va donc construire un nouveau quai à Honfleur, notamment pour le trafic du bois, et on modernisera Caen sur d'autres trafics afin de ne pas créer de doubles emplois.

Dans le Nord-Pas-de-Calais, cette nécessaire complémentarité est encore plus évidente qu'ailleurs. Les modalités sont à définir, notamment avec la région et son président. Le ministre a confié, à l'ingénieur général Jean Smagghe une mission de réflexion et de concertation avec l'ensemble des acteurs concernés pour examiner ce qu'il est possible de faire en vue d'institutionnaliser la complémentarité entre les ports.

Faut-il favoriser une filière de manutention portuaire française ? La réponse est oui.

De même que je crois qu'il faut favoriser le pavillon français des armateurs français, de même si nous avions toutes nos billes dans des paniers de manutentionnaires belges, néerlandais, de Singapour ou de HongKong, sans manutentionnaires français, ce serait dangereux. Encore faut-il que les manutentionnaires décident de devenir de vrais industriels de la manutention. Il y en a dans ce pays, on devrait pouvoir s'appuyer sur eux.

Faut-il des appels d'offres ? Ils sont chaudement recommandés par l'Union européenne. Ce sera même une obligation en contrepartie de la demande française visant à exonérer de la taxe professionnelle les équipements spécifiques de manutention. C'est un dossier du Comité interministériel de la mer, que nous avons mis un an et demi à faire aboutir par la Commission des communautés européennes. La décision a été prise à la fin de l'année dernière, nous n'avons pas encore le texte définitif.

Dans le cas du Havre et de Dunkerque, s'il y a augmentation de capacité, il ne pourrait y avoir suppression de la taxe professionnelle que s'il y a mise en concurrence.

Comment juge-t-on la mise en concurrence ? Non pas sur les tarifs, mais sur les capacités techniques, les capacités d'investissement, la fiabilité, la solidité, la technicité des manutentionnaires. Ce n'est pas vraiment un appel d'offres tel qu'on le conçoit pour les marchés publics, mais plutôt un appel à candidatures dans lequel on examinera toutes les caractéristiques, la fiabilité et les engagements pris dans la perspective d'une augmentation des trafics.

C'est indiqué dans le décret du 9 septembre, dans l'article sur les conventions de gestion de terminaux. Il y a une obligation de résultat afin qu'aucun manutentionnaire français ou étranger ne stérilise tel ou tel port.

Si cette obligation n'est pas remplie, on peut retirer au manutentionnaire l'exclusivité du quai qui lui est affecté et même supprimer la convention à ses risques et périls sans aucune indemnité s'il ne remplit pas ses objectifs. C'est très important, cela fait partie de la régulation que doivent jouer les établissements portuaires, même si les investissements privés sont de plus en plus importants, afin d'aider au dynamisme commercial de nos places portuaires.

Sur nos places portuaires, je suis formel, que ce soit pour les dessertes terrestres ou pour le commerce, ce n'est pas l'établissement portuaire qui fait tout lui-même, ni le manutentionnaire ou l'agent ou l'armateur, mais c'est vraiment la place portuaire.

Si parfois dans ce pays, on manque d'une bonne gestion à tel ou tel maillon de la chaîne, on manque parfois encore plus d'une bonne coordination, d'une bonne unicité, d'une bonne stratégie commune de la place portuaire. Un des premiers travaux des présidents et des directeurs de ports sera de réaliser une bonne stratégie commune de cette place portuaire pour remporter le marché face aux concurrents qui sont nombreux et qui sont prêts.

On a dit que le Pas-de-Calais pouvait être un handicap pour le Havre et que cela pouvait poser un problème de rapidité du transport. Je ne le dirai pas ainsi, il y a le Pas-de-Calais et son encombrement, et surtout l'encombrement en transports terrestres du Bénélux. On commence à voir que ce n'est pas un handicap pour le Havre, mais pour les ports du Bénélux : Anvers et Rotterdam qui sont de grands ports, qui se portent bien mais qui sont complètement saturés.

Sortir de Rotterdam en camion un soir de semaine est difficile. Les gens commencent à s'en rendre compte et c'est l'une des raisons pour laquelle nous avons de plus en plus de demandes de logisticiens pour s'installer au Havre. Le Bénélux est bien placé, c'est plus près de la Ruhr, de la « banane bleue », mais il y a un problème d'encombrement.

Ce problème d'encombrement ne touche pas le Havre, qui est le premier grand port à l'entrée ou à la sortie du Pas-de-Calais. Pour les grandes escales des porte-conteneurs qui vont vers l'Extrême-Orient, le Havre est généralement la première escale lorsqu'ils rentrent avant d'aller à Rotterdam, Anvers, Hambourg, ou la dernière lorsqu'ils sortent. Cela lui donne une position assez privilégiée à condition qu'il puisse la mettre en valeur, notamment grâce à un transport terrestre de qualité.

Les Américains et les Norvégiens, qui sont à l'origine du projet Fastship, ont choisi Cherbourg pour :

- ne pas aller dans le Pas-de-Calais et ne pas avoir d'encombrement ;

- les qualités nautiques tout à fait remarquables de Cherbourg ;

- parce qu'à Cherbourg, ils étaient les « rois du coin » alors qu'au Havre ils n'auraient été qu'un client parmi d'autres. Leur concept logistique est très intéressant, car il ne s'agit pas d'arriver dans un port et de se faire décharger ; ils organisent sur 7 jours un porte à porte entre l'Est des Etats-Unis et l'Europe. Cela signifie 3 jours et demi de navigation et un jour et demi à terre de chaque côté. C'est un concept intéressant et une vraie performance en même temps.

Le projet va-t-il voir le jour ? Le Gouvernement français a fait en sorte que la chambre de commerce puisse, après avoir pris les précautions d'usage, signer le contrat définitif avec Fastship, mais actuellement il manque deux éléments importants. Tout d'abord, l'opérateur du terminal n'est pas trouvé. Fastship pensait faire affaire avec une filiale de la Cogema, mais sa nouvelle présidente a estimé que ce n'était pas au c_ur des activités de l'entreprise, ce qui est objectivement vrai. Ceci oblige Fastship à chercher un autre opérateur, qui pour le moment n'est pas trouvé.

Ensuite, ils n'ont pas bouclé leur tour de table financier aux Etats-Unis. Une grande partie des fonds va leur être apportée par des prêts garantis par l'administration maritime des Etats-Unis, puisque celle-ci garantit 87,5 % du coût de construction des navires construits dans un chantier américain. Il leur faut encore trouver en plus 175 millions de dollars. Un investisseur pressenti a en définitive estimé que c'était trop pour lui. C'est un projet intéressant, mais je ne peux pas dire aujourd'hui quand il verra le jour.

Quelques mots sur la plate-forme de Dourges. Je n'ai pas grand chose à dire sur la plate-forme elle-même, puisqu'elle a été décidée. Il n'est pas trop tard pour travailler avec le port de Dunkerque afin de déterminer dans quelles conditions la plate-forme peut profiter à ce port : nombre de navettes, définition des priorités, tarifications.

La SNCF, et dans une moindre mesure sa filiale la compagnie nouvelle de conteneurs (CNC), pourront intervenir ; un schéma d'exploitation à destination des ports du Nord-Pas-de-Calais, à partir de Dourges a du reste été élaboré.

La façon dont les ports vont tirer parti de ces plates-formes est à imaginer. La SNCF n'a pas toujours le réflexe de desservir suffisamment les ports. J'y ai veillé lors de la confection des contrats de plan. J'ai participé à des réunions avec les directions régionales de l'équipement très en amont, pour que les investissements ferroviaires et routiers soient pris en compte en même temps que les investissements portuaires dans les contrats de plan qui sont en cours de signature. Cela se passe assez bien, notamment au Havre.

Mais il n'y a pas que les investissements, il y a également toute l'exploitation et là, on sent des tiraillements. Rien ne sert de rentrer en guerre contre la SNCF et la CNC. Il faut s'arrêter de vouloir faire de la commercialisation à la place de la CNC car cela entraîne un affrontement direct. Il faut passer un marché avec elle pour qu'elle joue son rôle de commissionnaire de transport à la clientèle et en contrepartie s'engage sur des qualités de services, sur des tarifs, sur la promotion du produit et qu'elle prenne aussi ses risques.

Si vous lui demandez d'être simplement transactionnaire, elle vous fera tout payer. Si vous lui demandez de faire de la commercialisation, elle prendra une partie du risque. C'est mieux que d'avoir des affrontements infinis avec elle. Mais cela ne signifie pas pour autant que, dans l'esprit de la SNCF au quotidien, il soit véritablement rentré dans les m_urs de faire vraiment attention à la qualité de service et à la tarification de la desserte des ports français. Nous nous y employons et nous y travaillons beaucoup avec mon collègue Hubert du Mesnil, directeur des transports terrestres, mais nous ne sommes pas au bout du problème. Nous tenons des réunions de plus en plus fréquentes pour essayer d'apaiser les conflits avec la direction du fret de la SNCF et avec la CNC.

Pour le cabotage, si l'on veut aller au-delà des activités actuelles de feedering et de transport de voitures, il faudra prendre des décisions, relatives, d'une part, à des aides financières au démarrage et, d'autre part, il faudra faire respecter les règlements routiers, c'est-à-dire regarder si la concurrence est loyale ou non.

Vu le nombre de nos ports, le cabotage est tout à fait possible. Peut-on faire une sorte de schéma directeur ? C'est peut-être un peu prématuré. En tout cas, des initiatives sont prises, non seulement par le bureau de promotion du cabotage mais également le président du conseil économique et social de la région des Pays de la Loire, M. Gilles Bouyer qui essaye de réunir les trois présidents des régions de la façade Atlantique. Il faut coordonner ces initiatives, sinon nous n'arriverons à rien.

J'ai parlé des registres et de la nécessité de les moderniser, notamment de trouver une voie entre les préoccupations sociales des marins et la compétitivité, ceci d'autant plus que beaucoup de pays de l'Union européenne - et c'est important pour le cabotage - vont modifier considérablement leurs registres dans les deux à trois années à venir. Nous sommes en pleine réflexion sur ce sujet, puisqu'une mission importante a été confiée à deux inspecteurs généraux.

A la question particulière : un tel registre doit-il être localisé à St-Pierre-et-Miquelon ou à Wallis et Futuna ? Honnêtement, je ne peux pas répondre à cette question, il me paraît aujourd'hui prématuré de choisir telle ou telle formule, dans l'état actuel de nos réflexions, un rapport va être remis dans deux ou trois semaines au ministre qui décidera ensuite d'un certain nombre d'orientations.

Je ne peux pas répondre à cela, je peux simplement dire que c'est une préoccupation importante :

- pour le long cours, il est important que nous ayons un savoir-faire français, des pavillons français, des armateurs français pour une partie significative de notre commerce international ;

- nous devons avoir notre place dans le cabotage européen qui va se développer de toute façon, en tant que marins français avec un savoir-faire français ;

- pour les ferries, ce ne sont pas des problèmes d'armement qui sont en cause, même s'il faut faire très attention à la concurrence que généreront les projets de directives européennes.

Nous avons aussi une carte à jouer en matière de croisière. Actuellement, nous avons un navire de croisière sous pavillon français, « Le Mistral », qui navigue dans nos eaux, plusieurs autres naviguent très loin.

Je ne suis pas entièrement satisfait du registre Wallis et Futuna, nous devons faire un peu mieux.

Sur le marché des ferries, c'est moins un problème d'armement qu'un problème de marché, de compétitivité : il faut y être attentifs car pour les appels d'offres pour les liaisons entre la France continentale et la Corse, des pavillons d'autres pays de l'Union européenne peuvent entrer en concurrence avec les nôtres. On a déjà un navire sous pavillon italien qui navigue vers Nice. Nous devons donc être vigilants.

Un décret a été signé au début de l'année dernière. En ce qui concerne l'Union européenne nous appuyons les projets de directives, sur les équipages par exemple. Pour les services réguliers de transport de passagers, quel que soit le pavillon, ils doivent obéir aux règles d'un des pays entre lesquels se font ces services réguliers de passagers. Pour le moment, nous sommes peu nombreux à soutenir ce projet. Peut-être qu'en améliorant ce projet de directive en y introduisant des considérations relatives à la sécurité, nous pourrions attirer à nous d'autres pays qui jusqu'ici ont été réticents.

M. André Lajoinie, président : Je vous remercie de vos réponses qui ont été complètes. Nous ferons éventuellement à nouveau appel à vous en cas de besoin car cette question évolue vite et a une importance considérable pour la France. La présidence française de l'Union européenne au second semestre 2000 va nous aider à progresser mais il faudra recueillir l'accord des autres pays. A chaque chose, malheur est bon ; le naufrage de l'Erika devrait nous permettre d'agir plus efficacement. Je suis très sensible à la question des pavillons, cette situation ne peut pas durer, il n'est pas normal que la France n'occupe pas sa place et nous devons y travailler.


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