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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 49

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 avril 2000
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Pierre Ducout, vice-président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Pierre GRAFF, directeur général de l'aviation civile

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- Information relative à la commission

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La commission a entendu M. Pierre Graff, directeur général de l'aviation civile.

M. Pierre Ducout : Je rappelle tout d'abord que M. André Lajoinie, président de la commission de la production et des échanges, a été à l'initiative de la création, au sein de notre commission, d'une mission d'information sur les transports en Europe. Dans ce cadre, nous avons déjà eu l'occasion d'aborder plusieurs thèmes, dont le transport routier, le transport maritime et le rail. Il était naturel de se pencher sur le transport aérien en France dans une perspective européenne, compte tenu des enjeux économiques importants de ce secteur.

Nous accueillons donc M. Pierre Graff, directeur général de l'aviation civile, qui pourra nous éclairer sur l'évolution de ce secteur en termes de trafic et de structure du marché, compte tenu de la mise en place d'un espace aérien communautaire. Il serait également intéressant d'aborder la question de la soutenabilité de la croissance du trafic sur les plates-formes aéroportuaires parisiennes et d'avoir quelques éléments d'information sur les projets que le Gouvernement entend mener pour améliorer leur desserte et éviter leur saturation.

Plusieurs collègues de la commission travaillent sur tous ces sujets, en se préoccupant en particulier des aspects environnementaux, dont vous pourrez également nous dire quelques mots.

Je vous donne la parole.

M. Pierre Graff : M. le président, MM. les députés, le sujet que vous avez évoqué est très vaste puisqu'il englobe des aspects à la fois techniques, juridiques et commerciaux. Je ferai de mon mieux pour aborder l'ensemble de ces thèmes.

En matière d'aviation civile, notre pays reste un grand pays aéronautique, reconnu comme tel au plan international. Cette position s'explique par le fait que des éléments constitutifs de base, comme notre construction aéronautique compétitive, font notre force ; c'est le cas notamment du succès d'Airbus.

Par voie de conséquence, nous avons de nombreux autres points forts : une recherche, des écoles de formation, un savoir-faire, des ingénieurs de pointe. Tout cela constitue un atout hors pair et entraîne également une reconnaissance internationale. La construction d'avions nous amène également à les certifier, ce qui nous assure là aussi une reconnaissance internationale en matière de sécurité.

Notre système aéroportuaire est très riche - certains disent même trop riche - et reste globalement bien géré - on y reviendra sans doute - malgré les interrogations qui demeurent. Il a su faire face aux besoins, même si son mode de gestion, qui date quelque peu et remonte à l'après-guerre et à la reconstruction de la France, est sans doute inadapté face aux contraintes actuelles.

Notre maillon le plus faible était de loin celui des compagnies aériennes. Heureusement, Air France se porte mieux après avoir frôlé le chaos en 1994-1995. La compagnie possède aujourd'hui une puissante plate-forme de correspondance à Roissy. Elle rénove sa flotte, a réussi à acquérir un calme social suffisant pour travailler, a fait d'énormes progrès de productivité et a complètement repensé son réseau. Elle a en outre bénéficié des accords bilatéraux en matière de transport aérien et a réussi à nouer une liaison avec Delta. Air France dégage aujourd'hui des bénéfices, même s'ils sont encore fragiles.

Nous possédons donc les trois éléments essentiels pour rester un pays aéronautique de pointe. Nous menons en outre une action internationale, reconnue comme telle tant au niveau européen qu'au niveau international, sachant que le domaine de l'aviation est concentré au siège de l'organisation de l'aviation civile internationale (OACI) à Montréal. La France fait partie de son conseil et en est un des membres influents avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

Ce tableau étant brossé, quels sont nos points de faiblesse ? Que va-t-il se passer ?

Le ciel européen est encombré, le trafic se développe extraordinairement vite et nous avons apparemment quelques difficultés à le gérer, avec pour conséquence immédiate des retards imposés aux usagers.

Cela nous renvoie aussi à des questions plus institutionnelles. Ce point de faiblesse très médiatisé préoccupe considérablement la Commission européenne puisque Mme Loyola De Palacio, la nouvelle commissaire européenne en charge de ce dossier, en a fait le point essentiel de sa réflexion.

Que se passe-t-il en matière de retard ?

D'abord - et hélas - ce phénomène est récurrent. Nous avons eu à faire face ces dernières années à une véritable explosion du trafic aérien due à plusieurs facteurs, parmi lesquels une demande extrêmement vive du consommateur. On achète du transport aérien. Cela va de pair avec la mondialisation de l'économie et le développement d'une certaine forme de tourisme. Tout cela est exponentiel.

Il est vrai que les mesures de libéralisation du trafic aérien en Europe, avec le « troisième paquet » mis en place à partir de 1994 et achevé en 1997, ont libéré les énergies. De nombreuses initiatives ont émergé et ont entraîné cette explosion du trafic.

Il y cinq ans seulement, le taux d'augmentation du trafic était de l'ordre de 4 à 5 % par an ; nous en sommes aujourd'hui à des tendances de 7 à 8 %, voire plus par an, en nombre de vols, avec une grande disparité géographique, certains secteurs européens progressant de 12 à 23 % dans le sud de la France.

Ce trafic, dont la croissance est extrêmement rapide mais difficilement prévisible, est complètement lié aux initiatives des compagnies aériennes, qui sont des partenaires économiques libres. Face à ces compagnies aériennes, les Etats doivent bâtir des infrastructures et des systèmes, progressivement, année après année. Il y a donc inadéquation entre les initiatives immédiates et extrêmement rapides prises par les compagnies aériennes et les réponses données par les Etats en termes d'infrastructures.

Ce phénomène est européen. Pour l'anecdote, le président de la Crossair nous a fait part de son souhait de mettre en place un hub à Bâle-Mulhouse ; 3 semaines après, il était prêt à faire partir 30 avions à la demi-heure. Il a fallu lui expliquer que c'était physiquement impossible. Certes, nous avions le savoir-faire, mais il fallait d'abord embaucher des contrôleurs, leur trouver une salle de contrôle, modifier l'espace aérien entre la Suisse et la France. A terme, il aurait fallu une deuxième piste à Bâle-Mulhouse. Toutes ces actions prennent 12 à 18 mois de délai. Cela n'a pas empêché le président de la Crossair de mettre en place son hub. Evidemment, les avions sont en retard.

Nous avons beaucoup de mal à nous adapter à des stratégies très rapides. A Clermont-Ferrand, une compagnie a mis en place un hub ; il a fallu immédiatement renforcer tous les systèmes d'alimentation de Clermont-Ferrand. Si ce hub était modifié - ce que je ne pense pas - dans quelque temps, les embauches et les infrastructures nouvelles pourraient être largement surdimensionnées.

Nous avons donc de véritables difficultés à nous adapter à une demande souvent anarchique.

Autre phénomène très difficile à résoudre : les stratégies de compagnies aériennes qui, face à une concurrence accrue, se battent pour conserver à tout prix des parts de marché. C'est le cas d'Air France qui accroît ses fréquences pour conserver ses parts de marché sur les liaisons qu'elle estime fondamentales. Il en résulte un vol sur Paris-Toulouse toutes les vingt minutes. Si cela peut paraître attrayant aux usagers, cela pose en tout cas des problèmes d'encombrement quasiment insolubles pour gérer l'axe en question. On peut se demander si, en termes d'utilité sociale, ces vols à intervalle de vingt minutes sur Paris-Toulouse sont vraiment indispensables.

Ces exemples ont pour objet de vous montrer la nature des difficultés auxquelles nous devons faire face : non seulement la tendance à la croissance du trafic est extrêmement forte, mais en outre, la structure du trafic est très complexe, avec des stratégies qui sont le résultat normal du libre jeu de la concurrence et sont donc extrêmement difficiles à anticiper.

A cela s'ajoute un phénomène plus français qu'européen. La structure du trafic aérien de notre pays est plus complexe que celle des autres pour une raison géographique simple : la France est située au milieu de tous les grands courants de trafic aérien qui se croisent pour une grande part dans notre ciel. Par conséquent, contrairement à des pays comme le Portugal ou la Suède, dont le trafic aérien est simple, car linéaire ou terminal, notre territoire est situé sous un enchevêtrement de lignes aériennes source de points de conflits difficiles à gérer. La France étant également plus étendue que les autres pays européens, ces avions survolent plus longtemps notre territoire, ce qui constitue une contrainte lourde en matière de contrôle aérien.

Face à cela, que se passe-t-il ? Les retards ont connu une pointe très forte. Quelle est la nature de ces retards ?

Les causes de retard sont multiples et proviennent soit du contrôle aérien, soit des aéroports, soit des compagnies aériennes elles-mêmes. Il n'est pas aisé de distinguer qui est à l'origine d'un retard. Grosso modo, on peut dire que le contrôle aérien est à l'origine de 32 à 35 % des retards. Mais si l'on ajoute les effets générés indirectement par le contrôle aérien - c'est-à-dire qu'un retard sur un avion du matin, perdurera toute la journée sans pouvoir être comblé - cette proportion s'élève à 50 %.

Il est important d'avoir ce chiffre en tête. En effet, si Mme Loyola De Palacio découvrait la panacée pour supprimer tous les retards dus au contrôle aérien, je ne suis pas sûr que le passager constaterait une grande différence, du fait qu'il reste encore 50 % de retards ayant d'autres causes.

Par conséquent, si l'on veut offrir un meilleur service à l'usager, il faut que l'ensemble des partenaires s'attelle aux causes des retards et pas seulement dans le contrôle aérien, mais aussi dans les aéroports et dans les compagnies.

La comptabilité des retards est délicate ; elle est fondée sur les statistiques internationales élaborées à Bruxelles par Eurocontrol. Ces statistiques sont quelque peu « injustes », mais nous n'en avons pas d'autres. On compte le nombre de minutes de retard générées par un centre de contrôle aérien en prenant sur une route aérienne donnée, celui pour lequel le nombre de minutes de retard est le plus grand. Par exemple, sur la liaison Paris-Francfort, si Paris enregistre 14 minutes de retard et le centre de Reims 15 minutes, on imputera les 15 minutes de retard au centre de Reims.

Le jour où Reims aura résolu son problème, pour autant, celui-ci ne sera pas entièrement résorbé puisque demeureront 14 minutes imputables à Paris. Le retard dû à ce centre restera néanmoins masqué tant que Reims n'aura pas résolu son problème, laissant ainsi l'impression que Paris fonctionne bien. Ces statistiques ne sont donc pas d'une totale justice, mais elles ont le mérite d'être internationales et donc relativement peu critiquées.

On mesure les retards en nombre de minutes par vol ; cet indicateur a peu de sens, mais il est commode puisqu'il permet de comparer les pays entre eux et les années entre elles. En 1995, on se situait à 4,85 minutes de retard par vol ; en 1996, 1997 et 1998, les choses s'étaient améliorées, ces retards étant tombés à 2,5 minutes pour remonter à 4,04 minutes en 1999, ce qui est très mauvais. Pour 2000, les choses vont mieux mais l'année est loin d'être finie ; nous sommes revenus à 1,68 minute, c'est-à-dire un niveau excellent, inférieur aux chiffres des meilleures années intermédiaires.

Que s'est-il passé en 1999 ? Beaucoup de choses. Début 1999, nous avons mis en place de nouvelles routes aériennes destinées à améliorer la capacité d'écoulement du trafic. Dans un premier temps, il a fallu que les pilotes et les contrôleurs s'habituent ; on a donc restreint le nombre d'avions circulant sur ces routes pendant un mois. Durant tout le mois de mars 1999, on a donc volontairement restreint le trafic, ce qui n'a pas amélioré la situation en termes de retards.

Début avril, alors que nous commencions à tirer le bénéfice de ces nouvelles routes, la guerre du Kosovo a profondément perturbé le trafic européen. Non seulement, il a fallu accueillir un trafic militaire prioritaire, mais surtout, il a fallu fermer l'espace aérien des Balkans. Tous les vols passant au-dessus de cette zone ont été rejetés sur la périphérie, notamment sur le secteur sud de la France, avec des pointes de trafic de + 23 à + 25 % à Aix-en-Provence.

Evidemment, cette affluence a entraîné des retards. C'était assez mécanique. Dès que l'espace aérien des Balkans a pu être réouvert en août 1999, le niveau des retards a chuté et nous sommes revenus à un niveau à peu près normal fin 1999, comparable à celui de l'année 1998, qui n'était pas excellente mais d'un niveau acceptable, avec 2 minutes.

En ce début d'année 2000, un certain nombre de mesures ont été prises et nous sommes, pour l'instant - la haute saison n'ayant pas débuté - à un niveau honorable, malgré des hétérogénéités. En effet, si en moyenne, le niveau est satisfaisant, il reste des « points chauds ». En Europe et en France, il s'agit essentiellement de l'accès par l'ouest de Paris et du sud de la France le week-end. En Europe, les points chauds sont la Suisse, Londres, un certain nombre d'aéroports allemands, le Portugal et la Grèce, de façon moindre.

Que peut-on faire face à ces retards ?

Le débat sur les mesures à prendre est pollué par un débat idéologique. Il existe deux écoles, dont la première estime que le problème étant technique, les solutions sont techniques. C'est la tendance de la France. Certes, de telles solutions existent pour résorber ces retards, mais jusqu'à un certain point seulement : les problèmes d'environnement se superposent ; en outre, ces mesures techniques doivent être prises dans un cadre international. Des mesures techniques strictement françaises n'auraient aucun intérêt. Il faut une approche européenne, voire supra-européenne si l'on veut une quelconque efficacité.

La seconde école de pensée est celle de la commissaire européenne Mme Loyola De Palacio : la technique n'est pas le champ d'action que privilégie la Commission et il appartient aux ingénieurs de trouver des solutions. Pour franchir un grand pas et traiter le problème à fond, il faut revoir profondément les institutions et créer une autorité unique capable de réguler le système et de le gérer. Cette autorité unique supranationale serait soit communautaire soit supra-communautaire. Il faut donc sans doute s'affranchir de la souveraineté des Etats sur leurs espaces aériens, des éventuels effets de frontières, des égoïsmes nationaux, des éventuelles différences de rythme dans les investissements et de traitement des personnels, ainsi que des différentes politiques en matière de gestion des zones militaires.

Ces deux écoles ne sont pas totalement incompatibles. Reste à savoir dans quel ordre procéder et comment s'y prendre.

Sur le plan technique, que peut-on faire ? Comment le contrôle aérien fonctionne-t-il ? Le contrôleur guide l'avion ; ce dernier est capable de se déplacer par ses propres moyens et soit dispose à son bord de ses propres moyens de navigation, soit s'aide à partir de balises au sol. En revanche, l'avion étant aveugle, il doit être absolument protégé de toute collision avec d'autres avions. C'est le rôle du contrôle aérien ; le seul et unique rôle du contrôleur est de séparer les avions et de s'assurer qu'aucun conflit ne risque de survenir notamment à l'approche d'un aéroport ou d'une balise de navigation. Il est en quelque sorte les yeux de l'avion.

Comment est-ce organisé ? Il y a d'abord un contrôle d'aérodrome. Il s'agit de contrôleurs qui guident les avions sur les pistes. Ensuite, intervient le contrôle d'approche où le contrôleur guide l'avion au décollage ou à l'atterrissage dans un rayon de vingt kilomètres autour de l'aérodrome. Puis interviennent les contrôleurs en route qui guident les avions volant à leur altitude de croisière. Soit un total de trois catégories de contrôleurs exerçant trois métiers notablement différents.

Ces contrôleurs travaillent par portion d'espace. On a découpé l'espace en volumes élémentaires auxquels sont affectées des équipes de deux à trois contrôleurs. Au sein de l'espace dévolu, les contrôleurs doivent s'assurer qu'à aucun moment, un risque de collision ou de rapprochement excessif ne peut survenir, quelles que soient les trajectoires.

Comment procèdent-ils ? Généralement, ils ont un écran radar pour savoir où se trouvent les avions. On touche alors au problème de la précision quant à la position de l'avion et à son report sur l'écran radar, d'où la nécessité de prendre des marges de sécurité. Ils disposent d'une radio pour communiquer avec le pilote selon des codes précis et des phraséologies types pour éviter toute perte de temps ; ils disposent également d'une assistance à la décision par ordinateur et d'un réseau pour dialoguer avec les autres contrôleurs qui gèrent d'autres portions d'espace.

Sur le plan technique, la contrainte est la suivante : un binôme de contrôleurs aériens chargé de contrôler un espace aérien donné ne sait pas traiter plus de quinze à vingt avions simultanément, sachant qu'il doit à la fois concevoir les trajectoires qui permettent d'éviter tout risque et dialoguer avec les pilotes et les contrôleurs voisins.

Toutes les recherches en matière d'amélioration dans les retards ont pour objectif de repousser cette contrainte de capacité. Une première méthode consiste à diviser un secteur en deux dès que l'on atteint vingt avions par secteur pour obtenir deux secteurs de dix avions chacun. Cela a aussi une limite parce que, si les secteurs deviennent trop petits, il faut retrouver des fréquences radio qui manquent cruellement, les bonnes fréquences étant prises par les Télécoms.

Il faut aussi embaucher. Sachant que cinq ans sont nécessaires pour former les contrôleurs, il faut le prévoir largement à l'avance. Il faut également les entraîner, et donc disposer de simulations de la nouvelle découpe du secteur. En outre, on ne peut pas diviser les secteurs à l'infini, au risque d'amener le contrôleur à passer plus de temps à transférer l'avion à ses confrères adjacents qu'à gérer les conflits. Il y a donc une limite à l'exercice. Cela dit, c'est une méthode que nous avons pratiquée sur le nord de la France en janvier, à l'initiative de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, et qui peut porter des fruits. C'est la méthode la plus simple.

Une deuxième famille de mesures consiste à répartir les charges entre les centres. Le centre d'Aix-en-Provence est saturé, le trafic de Bordeaux est moindre ; on essaie donc de transférer des secteurs complets d'Aix-en-Provence vers Bordeaux, ce qui permet de mieux répartir les efforts des équipes et d'alléger le travail.

Une troisième mesure simple serait d'améliorer les outils du contrôleur, notamment grâce à des radars plus précis et à des outils d'aide à la décision, ce qui leur permettrait d'accélérer leur prise de décision et donc de gérer davantage d'avions simultanément.

On peut même aller plus loin. Une recherche en cours étudie un système informatique suffisamment sophistiqué pour sélectionner les avions présentant un risque dans la minute ou les deux minutes suivantes. L'avion ne présentant pas de risques serait éliminé de l'écran radar de sorte que le contrôleur pourrait se concentrer sur les avions à risques et en traiter davantage. L'ordinateur « réinjecterait » alors les avions sans risque et qui deviendraient à risque au fur et à mesure que ce risque apparaîtrait. Cette méthode est probablement féconde mais n'est pas appliquée pour l'immédiat.

Il y a donc un nombre limité d'outils au plan national pour améliorer le système. En la matière, la dernière possibilité consiste à mieux répartir l'espace entre civils et militaires. Ce problème est assez délicat en France, les espaces militaires étant extrêmement nombreux et mal placés : un espace militaire est situé sur le Nord-Pas-de-Calais, dans la zone délimitée par Heathrow, Roissy, Schiphol et Bruxelles. C'est sans doute l'endroit le plus encombré d'Europe, voire du monde. Ce n'est donc pas très judicieux.

L'Alsace et la Lorraine sont également couvertes par l'espace militaire, ainsi qu'une grande partie du Massif Central, du sud de la France à partir d'Istres ; toutes ces zones sont extrêmement pénalisantes. Cela dit, je ne peux pas vous apporter de réponse à ce problème aujourd'hui. Il est nécessaire que les forces aériennes s'entraînent. La solidarité européenne consistant à imaginer des espaces sur l'ensemble de l'Europe qui permettraient aux troupes de s'entraîner n'est pas encore suffisamment aboutie. Pour l'instant, il n'y a donc pas vraiment de réponse et année après année, les civils rognent de petits morceaux de zones aériennes militaires. Là encore, l'exercice a ses limites.

Il serait possible de mieux se coordonner : lorsque les militaires n'utilisent pas leurs zones, nous pourrions en être informés plus rapidement afin de pouvoir les utiliser. Encore faut-il en être informés suffisamment tôt pour que les compagnies aériennes s'organisent. Nous pouvons mieux nous coordonner de contrôleur à contrôleur. Mais en France, on se heurte très vite à des problème sociaux de rapport entre contrôleurs civils et militaires.

Ce phénomène, lié à la culture de ces professionnels est pénalisant.

Voilà les outils dont nous disposons au niveau national et que l'on utilise tous. Au niveau international, d'autres actions sont possibles : nous pouvons revoir complètement la structure du réseau. Cela n'aurait pas de sens de modifier le réseau uniquement en France. En revanche, à l'échelle de l'Europe ou d'une Europe élargie, nous pouvons revoir le réseau de routes pour l'optimiser, faire en sorte que les routes présentent moins de points de conflit, qu'il y ait des sens giratoires pour que les avions puissent aborder les approches les plus saturées, etc.

C'est ce qui est fait dans le cadre d'Eurocontrol et une troisième génération de routes européennes se met en place. J'espère qu'une quatrième verra le jour assez rapidement.

Au niveau international, nous pouvons aussi revoir les espacements entre avions. Ce sera fait en 2002 puisque l'espacement vertical entre avions qui est aujourd'hui de 2000 pieds passera à 1 000 pieds. Là encore, nous sommes tributaires de la précision des instruments de mesure. 1 000 pieds équivalent 300 mètres, soit la hauteur de la Tour Eiffel ; c'est très peu pour des avions que se croisent dans l'espace. Il faut donc être certain de la précision des instruments et ne pas commettre des erreurs de l'ordre de 150 mètres qui se cumuleraient. C'est une décision qui n'est pas à prendre à la légère, mais elle reste réaliste. Nous la prendrons en 2002 parce que la technologie le permet.

Concernant toujours le plan international, nous pouvons aussi accroître le nombre de fréquences. Nous prenons progressivement des mesures en ce sens.

L'accroissement de ces fréquences a été concrétisé à l'automne dernier. Les fréquences espacées de 25 Khtz ont été séparées en trois pour obtenir des fréquences séparées de 8,33 Khtz, ce que permet la technologie. Il a donc fallu changer les instruments de bord des avions. Tout cela est très coûteux, mais permet de disposer de fréquences supplémentaires pour la navigation aérienne, de sorte que les Français ont pu créer des secteurs de contrôle supplémentaires et donc accroître les capacités.

Voilà grosso modo, sur le plan technique, quels sont les instruments qui permettent d'envisager sur les moyen et long termes de pouvoir faire face à un accroissement de l'ordre de 40 à 50 % en moyenne du trafic.

M. Pierre Ducout : Sur combien d'années ?

M. Pierre Graff : Sur une dizaine d'années.

Nous disposons donc de marges de man_uvre grâce à ces instruments et à ceux à venir.

Pour autant, des goulets d'étranglement demeureront : je pense notamment à la région parisienne ou à la région londonienne. Très vite, nous serons confrontés à la saturation des aéroports, sur laquelle je reviendrai.

En matière de retard aérien, l'approche de la commissaire européenne, Mme Loyola De Palacio, est beaucoup plus politique et consiste à dire que si cela va mal, c'est en raison des frontières et du fait que tous les Etats membres n'ont pas le même système. Selon elle, il faut donc mettre en _uvre le ciel unique (single sky). Sachant que le marché unique a été créé, puis la monnaie unique, elle veut créer le "ciel unique".

Cette approche est en grande partie fausse ; l'effet de frontière existe, mais il est de second ordre. Il existe certes des différences d'équipement, mais les Etats européens se concertent depuis longtemps pour ne pas faire déboucher une autoroute sur un chemin de terre de l'autre côté de la frontière ! Il y a également belle lurette que les images radars entre la France et l'Allemagne sont interconnectées. L'effet de frontière est donc extrêmement faible. Il y a donc une grande part de slogans en provenance notamment des compagnies aériennes concernant cet effet.

Au plan communautaire, nous gagnerions en revanche réellement à mettre en _uvre un meilleur processus de décision. En effet, aujourd'hui, les processus de décisions sont lents, dans la mesure où ils sont consensuels au sein d'Eurocontrol où l'unanimité prime. Peut-être qu'un processus de décision plus musclé, plus structuré avec un vote à la majorité, comme cela est le cas dans les instances communautaires, permettrait d'accélérer la prise de décisions fondamentales. Je prendrai pour exemple la séparation verticale à 1000 pieds : s'il faut attendre que le dernier Etat ait donné son accord, cela peut prendre du temps ; un processus de décision majoritaire nous permettrait d'être plus rapides.

La commissaire n'a donc pas tout à fait tort de dire qu'il y aurait intérêt à réorganiser le processus de décision et à _uvrer soit dans une enceinte communautaire, soit dans l'enceinte actuelle d'Eurocontrol qui dépasse largement la Communauté, pour accélérer nos processus. Dans un tel domaine où la sécurité est en jeu, il sera néanmoins extrêmement difficile de contraindre tel ou tel système de contrôle à adopter une route ou une disposition technique qu'il ne sait pas gérer.

Il faut donc bien voir la limite d'une décision majoritaire sur un problème qui touche à la sécurité. Si, en dernier ressort, un contrôleur aérien déclare qu'il ne sait pas gérer ce qui a été décidé par d'autres, et donc qu'il ne le gérera pas, s'il pose son casque et ne laisse pas passer les avions pour des raisons évidentes de sécurité - et parce que c'est sa responsabilité qui est engagée en cas d'accident -, je ne vois pas ce que l'on pourra faire.

Le processus de décision est peut-être séduisant sur le papier, mais sur des sujets qui touchent à la sécurité et à la responsabilité des Etats qui sont garants de cette sécurité et des personnes qui la mettent en _uvre, il faudra trouver un compromis pour parvenir, malgré tout, à l'accord de tous les partenaires.

Mme Loyola De Palacio estime également qu'il faut séparer l'opérateur du régulateur. Les opérateurs du contrôle aérien devraient être des entités indépendantes de la régulation, et donc de l'Etat en général. Mais elle ne nous dit pas en quoi consisterait cette indépendance. S'agit-il d'indépendance juridique, hiérarchique ? Sur ce point, sa pensée est encore peu précise.

Elle envisage peut-être également, cette séparation étant faite, un système de concurrence entre les différents fournisseurs de services. Certes, elle exclut toute privatisation du système ; c'est un sujet qu'elle ne peut d'ailleurs pas évoquer en vertu de l'article 295 (ex-222) du Traité de l'Union européenne qui lui interdit d'émettre une opinion sur la structure du capital des éventuelles sociétés qui gèrent le contrôle aérien.

En revanche, elle parle de concurrence. Elle estime qu'à terme, il serait possible de mettre en concurrence les systèmes de contrôle français, allemand, britannique par exemple. Ainsi, le système britannique, qu'elle postule très performant, pourrait gérer la Bretagne, ce qui permettrait à la France de reporter les moyens bretons sur l'est de l'Europe. Tous les cinq ans, le service du contrôle aérien pourrait alors être concédé par appel d'offres.

Tout cela est sans doute innovant, mais totalement illusoire dans l'état actuel de la technique, dans la mesure où les contrôleurs ne sont pas interchangeables. Un contrôleur est formé sur un secteur et il ne peut en changer ainsi, sauf après un an de travail. La concurrence ne pourrait donc porter que sur le gestionnaire du service, c'est-à-dire en pratique sur les frais généraux.

Mme Loyola De Palacio l'a d'ailleurs bien compris et envisage maintenant de mettre en concurrence des services annexes. Par exemple, si le service lui-même a structurellement une forme monopolistique, les fournisseurs d'images radars pourraient être des entités indépendantes qui pourraient donc être mises en concurrence. Il en est de même des fournisseurs de communications ou de logiciels de traitement des plans de vol.

Mme Loyola De Palacio a d'ailleurs raison de l'envisager car c'est déjà le cas en pratique : on ne choisit pas un fournisseur de logiciels informatiques de gré à gré. On utilise déjà des procédures de mise en concurrence, y compris internationales.

Tel est le débat aujourd'hui. La commissaire européenne semble hésiter entre plusieurs voies et découvre la complexité du sujet. De plus, elle n'a pas de réponse aujourd'hui à la question lancinante des zones aériennes dévolues aux militaires. Elle se rend compte qu'elle n'a pas de compétence institutionnelle dans ce domaine ; elle ne peut donc pas passer outre et formuler de quelconques propositions.

Elle s'aperçoit également que les armées de l'air européennes ont des approches différentes et qu'avant de pouvoir mener une politique européenne intégrée dans ce domaine, il faudrait au préalable avoir réfléchi à une politique commune de défense et notamment à des objectifs communs d'entraînement des forces armées. Pour ce faire, on ne peut que passer par des discussions multilatérales. Elle en est donc tributaire et cela n'ira pas très vite. D'autre part, nos armées de l'air sont très différentes : l'Angleterre et la France ont des armées de l'air plus puissantes que les autres Etats.

Mme Loyola De Palacio évoquera sans doute des problèmes juridiques en notant qu'en France, c'est l'armée de l'air qui dispose de l'espace alors que dans les autres Etats, c'est le ministre des transports. Le rapport de force est donc inversé et elle nous proposera probablement de nous aligner sur les normes européennes. Pourquoi pas ? J'observe une évolution dans ce sens à l'état-major de l'armée de l'air.

Cela dit, sur le fond du dossier, la commissaire européenne n'a pas beaucoup de prise dans la mesure où elle ne dispose ni de compétences institutionnelles ni de compétences d'expertise. Excusez-moi d'avoir été long sur la question des retards qui, étant fortement médiatisée, méritait d'être approfondie.

Concernant les aéroports, se posent des questions techniques et de principe. Sur le plan technique, les plates-formes d'Orly et de Paris-Charles-de-Gaulle seront saturées dans un avenir de cinq à sept ans environ. M. Jean-Pierre Blazy pense que cela se fera avant, mais je reste prudent.

Pourquoi ? Parce qu'à Orly, le nombre de créneaux horaires est plafonné à 250 000 et le restera durablement. En outre, concernant Paris-Charles-de-Gaulle, l'Etat s'est engagé, lors de la construction des deux pistes supplémentaires, d'une part, à ce que l'énergie sonore globale reste au niveau de celle de 1997 et, d'autre part, à ce que le nombre de passagers se limite à 55 millions. Nous en sommes à 45 millions aujourd'hui, c'est-à-dire pas très loin, sachant que l'augmentation a été de 13 % en 1999 par rapport à 1998.

Les aéroports de province ne disposent pas non plus de beaucoup de capacités disponibles, sauf certains. Quand on considère la situation des aéroports de province, on observe que la plupart auront du mal à faire face à leur propre croissance dans les dix à quinze ans qui viennent et donc à accueillir un déversement de la demande venant de Paris. Ce n'est pas le cas de tous : certains aéroports peuvent, à terme, si on parvient à les agrandir, disposer de réserves de capacité. Il s'agit de Lyon, de Bordeaux ainsi que de Nantes si l'on y construit un nouvel aéroport. Il y aurait là des réserves de capacité, mais absolument pas à l'échelle des besoins parisiens. Le seul aéroport qui pourrait avoir des réserves de capacité à l'échelle des besoins parisiens est celui de Lyon. Cela dit, à Lyon - il suffit de lire le journal -, on se heurtera à un refus extrêmement fort des riverains et des populations. Je joue les Cassandre et je prends le risque de dire que nous ne parviendrons pas à construire les quatre pistes prévues.

Ces pistes sont prévues en avant-projet, mais j'ai la conviction qu'elles ne seront pas toutes construites et qu'il faudra bien prendre en compte l'équilibre sociologique de la région lyonnaise. En toute conscience, je ne peux donc pas vous affirmer qu'il y a une réserve de capacité à Lyon permettant de faire face à tous les besoins nationaux. Ce n'est pas vrai ; l'affirmer serait un tour de passe-passe.

Face à cette situation, une décision évidente devra être prise s'agissant de la gestion des aéroports : mobiliser toutes les capacités qui peuvent l'être en province, à chaque fois que cela est possible et accepté socialement et politiquement. Il faudra également transférer tout ce que l'on peut sur le rail, à supposer que ce mode dispose de capacités suffisantes.

Malgré cela, sur l'ensemble du territoire et essentiellement sur la région parisienne, à l'horizon 2015 - 2020, le déficit de capacité, c'est-à-dire la demande non satisfaite, sera d'environ 25 à 30 millions de passagers !

A ce stade, on peut décider de ne pas répondre à cette demande qui sera alors satisfaite ailleurs. Un Toulousain allant à New York peut aussi bien prendre une liaison Toulouse-Paris-New York que Toulouse-Heathrow-New York ou Toulouse-Madrid-New York. On peut donc décider de ne pas satisfaire cette demande et faire en sorte qu'elle se répartisse ailleurs ; il y aura des réponses.

On peut également faire le choix inverse et décider d'apporter des réponses françaises, auquel cas cela passera par la construction d'une infrastructure supplémentaire. Lyon eût été un bon choix, mais je ne crois pas que ce soit réaliste. L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes, qui sera lancé à l'initiative des collectivités locales, est un choix intéressant mais ne peut pas constituer un hub international. Un hub ne remplit les avions qu'à 40 %, ce qui nécessite une région suffisamment dense dans sa demande propre pour remplir les 60 % restants.

Je crains donc que l'on n'ait pas beaucoup d'autre choix que d'envisager une plate-forme supplémentaire dans le Bassin parisien. Je prends le risque de le dire car nous sommes loin d'avoir terminé les études ; peut-être que des études fouillées démontreront le contraire. Je me serais alors trompé. Cela dit, de ce que je sais à ce jour, on a beau prendre le problème dans tous les sens, on ne voit pas bien comment l'éviter, sauf à adopter une stratégie inverse consistant à ne pas réaliser cet aéroport et à jouer sur les initiatives des opérateurs qui trouveront d'autres solutions. Pour l'usager terminal, cela est parfaitement possible ; en termes de choix économique français, c'est un autre débat. Voilà pour ce qui concerne les plates-formes aéroportuaires.

J'ai beaucoup parlé des retards et de la saturation du système de contrôle aérien. Je vous ai dit qu'il y avait du grain à moudre ; il faut le moudre. Je suis convaincu que nous buterons sur des goulets d'étranglement aéroportuaires avant d'avoir mobilisé toutes les ressources du trafic aérien. A terme, l'élément limitant du trafic ne sera pas la navigation aérienne, mais bien la capacité des aéroports. On ne peut pas agrandir à l'infini les plates-formes aéroportuaires ; il n'est pas possible d'ajouter trois pistes à Roissy ou quatre à Toulouse. Ce n'est pas faisable. L'aéroport deviendrait gigantesque, ingérable ; les approches ne seraient plus tenables et les populations riveraines ne l'accepteraient pas. Des goulets d'étranglement importants limiteront donc la structure du trafic avant même la navigation aérienne.

Je prends également le risque de dire que, au-delà de la vague actuelle de libéralisation, une troisième vague de re-réglementation sera nécessaire. Nous serons amenés, au cas par cas, finement, avec des mesures adaptées, à engager une certaine forme de régulation soit réglementaire, soit économique. On peut ainsi imaginer des redevances modulées pour inciter certaines pratiques, ainsi que des pénalités pour les compagnies qui se comportent de manière anarchique ou qui perturbent le système. De nombreuses réglementations sont envisageables.

Ma conviction profonde est que l'on y reviendra. En juin prochain, se tiendra à l'OACI un débat international sur le sujet. Et malgré la primauté de la pensée libérale dans ces instances, je suis certain que des propos de ce genre seront tenus en insistant davantage sur les incitations économiques que réglementaires. Cela se situe bien dans l'esprit d'une organisation comme l'OACI ou comme les institutions européennes.

M. Pierre Ducout : La parole est à M. Jean-Pierre Blazy.

M. Jean-Pierre Blazy : M. le directeur, je suis de ceux qui pensent que, s'agissant de l'avenir du transport aérien en France et en Europe, il faut poser le problème en termes de développement durable. Il est clair que l'on assiste aujourd'hui, suite à la libéralisation du transport aérien et du ciel européen en particulier, à une formidable explosion du trafic. En termes économiques, tout cela est sans doute positif ; personne ne le conteste.

En revanche, aujourd'hui - votre exposé le montre bien - l'impératif environnemental doit être pris en considération. L'avenir du transport aérien doit intégrer trois données : les deux premières sont assez anciennes, à savoir l'impératif commercial et l'impératif de la sécurité qui aujourd'hui redevient une préoccupation importante ; enfin, l'impératif environnemental.

Dans quelques mois, la France présidera l'Union européenne. Il serait intéressant que notre pays puisse prendre des initiatives pour faire progresser la question dans cette voie notamment concernant la question des retards. Des dispositions annoncées le 26 janvier ont été prises.

Concernant le niveau européen, vous avez indiqué les orientations proposées par Mme Loyola De Palacio. Il est vrai que l'on ne peut pas la suivre sur certaines de ses propositions par trop idéologiques et qu'il faut être pragmatique. Néanmoins, il faut rechercher une gestion plus collective du ciel au niveau européen. C'est indispensable. Il faut diminuer les retards des vols qui sont au plan économique et commercial, pénalisants pour les compagnies, pour les passagers mais aussi pour l'environnement et source de nuisances supplémentaires pour les populations riveraines.

Bref, il y a là un problème à régler. De ce point de vue, s'agissant des rapports avec les militaires, vous avez indiqué qu'en France, l'état-major de l'aviation militaire évoluait. J'ai discuté avec certains de ses représentants et j'ai également pu observer cette évolution. A mon sens, elle doit intervenir également dans l'aviation civile afin de rechercher une meilleure coopération entre civils et militaires, dont l'insuffisance demeure pour l'instant un problème. Nous nous heurtons à des difficultés avec le contrôle aérien ou certaines parties de la profession - peut-être les organisations syndicales - où existe un blocage culturel. Il faut faire progresser les choses sur ce plan en prenant toutes les précautions nécessaires et avec la pédagogie qui s'impose. En tout cas, au niveau français, nous pourrions progresser. C'est important pour la sécurité, pour l'environnement et au plan commercial. Il est vrai que les retards en France sont quand même fréquents.

Par ailleurs, il me semble important qu'au niveau de l'Union européenne, nous progressions dans les débats, ainsi qu'à l'OACI, avec les Américains, notamment concernant le problème des hushkits. Il s'agit d'atténuateurs de bruit qui permettent de reclasser dans la catégorie du chapitre 3, c'est-à-dire celle des avions non bruyants, les avions du chapitre 2. Cela pose un véritable problème environnemental. Face au chantage des Américains, je crains que l'on n'applique pas l'excellente directive européenne qui règle cette question.

J'aimerais que vous nous donniez quelques éclaircissements sur l'état actuel des discussions. Dans sa première phase, cette directive européenne devrait être appliquée dès le mois prochain. Où en sommes-nous sur ce point ?

Le dernier point de mon intervention portera sur l'éventuel troisième aéroport parisien dans le contexte de la saturation des aéroports. Comme je l'ai dit à M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, à l'occasion de la discussion en séance publique du projet de loi relatif à la compagnie Air France, il faut que l'engagement pris il y a 3 ans soit tenu. Avec 13 % d'augmentation du trafic en 1999 pour l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, on arrive à 43 millions de passagers, l'engagement étant de ne pas dépasser 55 millions de passagers. Vous avez chiffré à 25, voire 30 millions de passagers les capacités qu'il nous faut satisfaire très rapidement au niveau du Bassin parisien.

Il faut bien que les choix soient faits. Je m'inquiète des retards pris en la matière. Il est impératif que la réponse intervienne dans le cadre de l'élaboration des schémas de services collectifs de transport dans les mois qui viennent, car s'il faut décider de la création d'une nouvelle plate-forme, nul doute que cela prendra beaucoup de temps. Les 55 millions de passagers sur Roissy seront rapidement atteints et l'engagement du Gouvernement ne serait pas respecté, ce qui serait insupportable et inacceptable.

Dernière question : l'autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA), a été mise en place et commence à travailler. Dans quel délai sera-t-elle saisie du dossier concernant l'élaboration des nouveaux indicateurs de bruit, très attendu par les associations de riverains et les élus ?

M. Pierre Cohen : Je vous remercie pour vos propos francs et transparents qui ne me rendent pas pour autant optimiste. Je suis assez inquiet concernant l'avenir. Quand vous posez le problème au plan technique, on constate que les perspectives seront relativement restreintes. Sur le plan politique, les enjeux sont tels qu'une force peut être aussi une faiblesse. Ce serait notamment le cas s'il nous fallait mettre en cause un certain nombre d'atouts pour parvenir à un marché unique et une instance unique qui nous ôterait toute possibilité de maîtriser notre stratégie et toute indépendance. L'enjeu me paraît manifeste au regard de l'Europe.

Il me semble que l'évolution du transport aérien va dans le mauvais sens : d'une part, le confort de l'usager est dégradé et les retards participent beaucoup à cette dégradation.

D'autre part, si on le compare au transport ferroviaire qui permet de travailler sur toute la durée d'un parcours de trois heures par exemple, le transport aérien n'est pas adapté à ceux qui souhaiteraient l'utiliser comme outil de travail. Depuis l'arrivée à l'aéroport jusqu'à l'atterrissage voire même à bord de l'avion, il est quasiment impossible de consacrer un peu de temps au travail et la perte de temps est importante.

Cela signifie donc déjà une certaine dégradation ou insatisfaction en période normale. On imagine aisément ce que cela peut représenter en période de perturbations comme en 1999 où les retards étaient importants. Il y avait là une vraie difficulté.

Vous avez évoqué le mécontentement très fort des riverains qui exercent une pression importante auprès des préfets. Cette action collective constitue un frein positif au développement dans le sens où plus personne n'est disposé à laisser faire n'importe quoi. Mais nous avons du mal à trouver d'autres solutions. A Toulouse par exemple, nous rencontrons quelques difficultés à développer l'aéroport. Or, envisager un autre aéroport ne sera pas aisé. Il y a donc des impasses.

Par ailleurs, pourquoi l'A3XX, avion gros porteur, constitue-t-il une réponse satisfaisante dans le territoire asiatique, alors qu'en Europe ou en France, on nous rétorque que ce n'est absolument pas envisageable ? Il me semble qu'il pourrait apporter d'importantes améliorations en termes de confort et qu'il réduirait très sensiblement, si l'on y mettait les moyens, le nombre d'atterrissages, de décollages et donc de vols. Pourquoi essuie-t-on un refus systématique ?

D'après vous, le recours à de tels gros porteurs peut-il être envisagé ?

M. Pierre Ducout : La parole est à M. Pierre Micaux.

M. Pierre Micaux : Je voudrais traduire ici ma satisfaction après avoir appris ce matin que l'aéroport de Lyon-Satolas sera débaptisé pour s'appeler Saint-Exupery.

Pour entrer dans le vif du sujet, que vous a apporté, en bien ou en mal, l'aéroport de Vatry nouvellement mis en place ? Cela vous a-t-il gêné ou cela peut-il vous aider dans l'avenir ?

Le second point concerne le futur aérodrome, inévitable à mon sens, dans la région parisienne. Le projet à Chartres est-il définitivement enterré ? Ce n'est pas vous qui en déciderez mais vos arguments seront prépondérants et pèseront. Vous orienteriez-vous plutôt vers un aéroport dans le nord de Paris en accompagnant cette démarche d'une desserte ferroviaire souterraine ?

M. Pierre Ducout : La parole est à M. Jacques Rebillard.

M. Jacques Rebillard : M. le directeur, je souhaiterais avoir quelques informations sur les services d'exploitation de la formation aérienne et vous demander où en sont vos réflexions quant à l'évolution de ce service. On parle de la mise en place d'un groupement d'intérêt économique entre le service d'exploitation de la formation aéronautique (SEFA) et d'autres écoles de pilotage. J'aimerais que vous nous donniez quelques informations sur ce dossier.

M. Pierre Ducout : M. Daniel Boisserie qui a dû s'absenter souhaitait vous poser une question sur les petits aérodromes comme Brives et Périgueux, notamment concernant le problème des prix et des éléments de péréquation. Merci de répondre à toutes ces questions.

M. Pierre Graff : Monsieur Jean-Pierre Blazy, vous avez débuté votre propos par les impératifs commerciaux et de sécurité. Concernant la sécurité, celle-ci n'est pas assez évoquée parce que les impératifs commerciaux et la vague de libéralisation l'ont occultée dans les discours dominants.

On a l'impression que la sécurité est un acquis, qu'elle va de soi. Or, prendre l'avion n'est pas un acte naturel : c'est un transport qui ne sera jamais comme les autres et qui en soi est un défi. Il est très compliqué de placer 150 à 300 personnes dans un engin qui vole à 10.000 mètres d'altitude à 800 km/heure. Cela ne va pas de soi ! Or, la sécurité est excellente aujourd'hui, mais on n'imagine pas le professionnalisme, les redondances et les précautions que ce transport nécessite.

Je me permets d'insister sur ce point car il est tout à fait occulté. Cela est irritant d'entendre un certain nombre de groupes de pression - compagnies aériennes et autres - qui protestent avec véhémence contre les retards. Certes, il y a des retards ; ils sont infiniment regrettables. Nous devons tous y mettre du nôtre pour améliorer la situation. Mais ces retards résultent également de ce que, à aucun moment, aucun système de contrôle ou aéroport n'a fait la moindre impasse sur la sécurité. Même aux pires moments de la guerre au Kosovo, la sécurité a été maintenue au niveau des standards internationaux.

La sécurité ne va pas de soi ; elle se gagne tous les jours. Et plus on complexifie les choses et plus les réponses sont compliquées.

Vous avez parlé de retard et d'environnement. Je ne nie pas que les retards puissent être une agression à l'environnement puisque les moteurs tournent, mais ils tournent au sol. Je ne l'ai peut-être pas clairement explicité dans mon exposé préliminaire : pour l'ensemble de l'Europe, les vols sont régulés par une cellule centrale située à Bruxelles où un gros ordinateur central « digère » tous les plans de vols déposés par les compagnies aériennes.

Cet ordinateur vérifie, sur une route aérienne donnée, si la totalité des plans de vol des avions qui doivent passer dans un créneau horaire dans un espace donné est compatible avec les capacités de contrôle disponibles. Si c'est compatible, on laisse partir les avions ; si ce n'est pas compatible, on retarde les avions au sol. D'où les retards.

Si l'on ne procédait pas ainsi, les avions attendraient et tourneraient en l'air. D'une part, la sécurité serait compromise et d'autre part, on gaspillerait beaucoup de kérosène et on ferait beaucoup de bruit. Les avions attendent donc au sol, soit moteurs éteints soit moteurs allumés.

Les retards dans le transport aérien tels qu'ils sont gérés n'ont pas un impact considérable sur l'environnement.

Un commissaire : Des avions tournent quand même autour de l'aéroport de Londres.

M. Pierre Graff :  En effet, parce que nos amis britanniques ne respectent pas les créneaux de Bruxelles pour des raisons commerciales. C'est pourquoi j'insiste : il y a un antagonisme, une guerre permanente entre les impératifs commerciaux et les autres. C'est pourquoi, il faudra revenir à une régulation un peu plus autoritaire.

Effectivement, les avions en Angleterre tournent autour de Heathrow, ce qui est source de pollution. Mais si les règles du jeu sont respectées, les avions attendent au sol.

Vous avez également abordé la question des relations avec les militaires. Vous avez raison, il y a trois niveaux pour améliorer la situation entre l'aviation civile et l'aviation militaire.

Le premier niveau est pompeusement baptisé de stratégique. A savoir, où doit-on situer les zones d'entraînement militaire pour qu'elles gênent le moins possible le trafic civil ? Le sujet est très complexe : il faut laisser de l'espace aux militaires, en l'occurrence moins de zones mais plus vastes, du fait de la rapidité de leurs avions qui montent également plus haut. L'entraînement des Rafales implique des chandelles qui montent très haut, etc. Ils ont réellement besoin de place et ont besoin de s'entraîner, car ils sont au seuil limite de l'entraînement. Ce problème n'est pas résolu aujourd'hui parce que nous ne savons pas quels secteurs leur réserver. Si nous les envoyons trop loin de leurs bases, cela entraîne des coûts considérables ou nécessite de construire d'autres bases. Ils ne peuvent pas voler au-dessus de la mer pour des raisons de sécurité, etc.

Pour ma part, je ne vois pas d'avenir convaincant autre qu'une solidarité européenne. Il y a de la place au nord et au sud de l'Europe, encore faudrait-il que cette solidarité européenne puisse jouer et qu'il y ait une véritable communauté d'entraînement. Cela dit, tant que l'on restera sur le territoire français, je ne suis pas persuadé que cela fonctionne très bien et que l'on fasse des progrès considérables.

Il faudrait supprimer la zone aérienne de Tours si on veut utiliser à plein la quatrième piste de Roissy. C'est une vraie complication pour les militaires.

M. Jean-Pierre Blazy : La question est posée.

M. Pierre Graff :  En effet.

Il y a un autre niveau, tactique, qui est celui de l'optimisation des relations entre civils et militaires pour l'usage de ces zones. Cela signifierait que certains vendredis, les militaires ne s'entraîneraient pas en raison de l'importance du trafic civil, que certains créneaux horaires dans la journée leur seraient interdits parce que cela perturbe la pointe du hub d'Air France en entraînant des retards récurrents de proche en proche tout au long de la journée ; ou encore que les militaires nous préviennent lorsque telle zone militaire ne sera pas utilisée tel jour pour que nous puissions en faire bénéficier les compagnies civiles. Nous faisons de gros progrès à cet égard.

Le troisième niveau est celui de la coordination directe de contrôleur à contrôleur. Le contrôleur militaire ne travaille pas comme le contrôleur civil ; il n'a pas un espace à gérer en évitant les collisions. Il prend en charge un ou deux avions, ou une escadrille, et les guide jusqu'à la zone d'entraînement. Ce contrôleur militaire doit donc guider l'avion militaire à travers les vols civils pour qu'il puisse rejoindre la zone d'entraînement depuis sa base. Ce contrôleur militaire est responsable en cas de collision, et non pas le contrôleur civil ; c'est le militaire qui doit éviter les avions civils.

Le contrôleur militaire a donc besoin de beaucoup de renseignements. Il voit les avions civils sur son écran. En revanche, il ne connaît pas les intentions de contrôle. Tel Airbus d'Air France va-t-il monter, tourner, descendre etc. ? Comment s'y prendre pour le faire croiser avec le Mirage 2000 ? Il a besoin de dialoguer avec le contrôleur civil.

Ce dialogue est compliqué parce que si le militaire téléphone toutes les deux minutes, le civil ne peut plus faire face. Il faut donc absolument avoir une communication automatisée, informatisée et extrêmement commode entre le militaire et le civil. En appuyant sur un bouton, le contrôleur militaire doit pouvoir poser sa question au civil qui doit pouvoir lui répondre en appuyant sur un autre bouton. Cela peut se faire à des milliers de kilomètres de distance mais cela ne doit prendre qu'un minimum de temps, sinon c'est impossible à gérer.

Ce système de communication informatisé et sophistiqué entre les deux contrôleurs est en cours d'élaboration. Il sera au point en 2002.

Au-delà, se pose une question subsidiaire mais importante : faut-il que les contrôleurs militaires soient physiquement en contact avec les contrôleurs civils, sachant que leur communication peut se faire à des milliers de kilomètres de distance ? Je suis de ceux qui pensent que cette solution n'est pas la plus mauvaise. Ils apprendront à se connaître et à se respecter. Les militaires estiment que c'est très bien ; nous sommes apparemment tous d'accord, sauf les syndicats des contrôleurs civils qui refusent, pour des raisons que nous avons parfois du mal à comprendre. Le dernier congrès du syndicat majoritaire des contrôleurs aériens s'est tenu il y a un mois ; la motion qui y a été votée est la suivante : "Nous refuserons par tous les moyens possibles, la co-implantation".

Il nous faut donc traiter ce phénomène plus culturel que rationnel en dialoguant. Aujourd'hui, le dialogue n'est pas simple.

A propos des hushkits, la situation est très claire : le règlement communautaire doit être mis en application le 4 mai 2000.

Ce règlement comprend deux parties. La première partie traite des avions communautaires et précise que ne pourront plus être enregistrés sur les registres communautaires les avions hushkités ; seuls les avions anciennement hushkités pourront y rester. On pourra passer d'un registre à l'autre mais pas enregistrer de nouveaux avions hushkités. Il s'agit d'une règle de non-addition et de gel qui s'applique aux avions communautaires.

En revanche, concernant les avions des pays tiers non communautaires, la date d'échéance est fixée à 2002 ; les avions des pays tiers hushkités ne pourront alors plus venir en Europe, sauf s'ils y venaient déjà dans une certaine période.

Le règlement entre en application le 4 mai, mais en pratique, uniquement pour sa partie concernant les avions communautaires puisque le reste entrera en application en 2002. L'ouverture de Mme Loyola De Palacio aux Américains consiste à appliquer le règlement le 4 mai, en étant disposée à discuter des modalités de la deuxième partie concernant les avions des pays tiers en 2002. La condition est la suivante : les Américains doivent suspendre la plainte déposée à l'OACI contre la Communauté - où nous serions battus puisque nous serions minoritaires - et renouveler par écrit leur engagement de travailler avec nous au sein de l'OACI à l'élaboration de normes internationales permettant de déboucher, d'une part sur un nouveau standard plus ambitieux que le chapitre 3 actuel - un chapitre 4 - et d'autre part, sur un retrait progressif des avions les plus bruyants du chapitre 3.

Les Américains n'ont pas dit s'ils acceptaient cette proposition. Mon sentiment est qu'ils vont refuser. Nous aurons sans doute une crise le 4 mai.

Sur le fond, vous avez dit que le règlement hushkit est excellent. Il a été voté par la France, j'aurais du mal à dire le contraire. Cela dit, on peut faire plus ambitieux dans la mesure où il s'agit d'un règlement de non-addition. De mon point de vue, nous avons intérêt à essayer d'obtenir une règle internationale permettant d'améliorer les standards actuels qui sont assez « vieillots ». D'où l'intérêt d'un travail avec les Américains au sein de l'OACI, car sans les Américains, nous ne disposons pas de majorité pour faire passer un standard plus ambitieux.

M. Jean-Pierre Blazy : Quid de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) ?

M. Pierre Graff : S'agissant des nouveaux indicateurs de bruit, je pense que ce problème sera traité pour cet automne.

M. Pierre Cohen a posé la question du confort de l'usager. Vous avez raison, on n'est pas toujours à l'aise dans le transport aérien, même s'il est rapide. Il y a deux causes à cela : d'une part, il y a une tradition pendant le transport proprement dit consistant à s'occuper du passager, à lui offrir une collation, etc. C'est très agréable sur des moyens et long-courriers ; ce n'est pas forcément ce que recherchent les clients sur un vol très court qui souhaiteraient plutôt consacrer un peu de temps à leur travail. C'est une réflexion que les compagnies doivent entreprendre ; elles y réfléchissent. Elles suivent les indices de satisfaction de leurs passagers, ce qui signifie qu'une majorité de clients s'accommode de la formule en vigueur.

Cela dit, il est vrai que la petite heure de vol métropolitain est pratiquement inutilisable, alors que dans le TGV, on peut travailler.

D'autre part, nous essayons de limiter les attentes en aérogare, mais on retombe sur le fait que le transport aérien n'est pas un transport comme les autres. Les protections à prendre en matière de sûreté et de prévention des attentats resteront, quoi que l'on fasse, extrêmement pénalisantes. On ne pourra jamais se dispenser du contrôle par rayons X, voire de la fouille, du contrôle des bagages, etc.

Les indications que nous donnent les services spécialisés concernant le risque d'attentats aériens ne sont pas rassurantes ; la menace ne baisse pas, au contraire. On ne peut pas baisser la garde, même sur les vols intérieurs et même si les vols internationaux sont plus exposés que d'autres. On ne fera donc jamais de miracle dans ce domaine.

Puis, se posent les problèmes d'intendance, de politique aéroportuaire. Peut-on concevoir des aérogares plus spacieux, plus confortables, plus silencieux ? Cela peut sans doute être amélioré, mais fondamentalement, une procédure d'accès à l'avion sera toujours inévitable et plus désagréable que ce que l'on connaît dans le TGV. Hélas pour l'avion !

Concernant le mécontentement des riverains, comme vous, je suis convaincu qu'il s'agit d'un phénomène de fond. Ceux qui nous disent qu'ils ne sont pas représentatifs, se trompent. Il faudra compter avec l'opinion des riverains et l'on ne pourra pas développer les plates-formes n'importe comment.

Pourquoi pas l'A3XX en Europe, à supposer qu'on le lance ? Cet avion, dans ses versions les plus basses, comportera 550 places pour atteindre 600, 650 passagers. J'espère qu'il sera conçu avec les meilleurs standards de bruit et que l'on ira au-delà du futur chapitre 4 qui n'a pas encore été abordé à l'OACI. Pour autant, cet avion n'est pas vraiment recherché par les compagnies de transport européennes ou américaines, parce que leur stratégie commerciale est fondée sur des plates-formes de correspondance, afin d'offrir le maximum de destinations et de fréquences à leurs passagers.

Selon ces compagnies, ce que veulent les passagers réguliers, c'est pouvoir choisir un horaire et un prix. Je ne parle pas ici des vols charters dont la clientèle est assez différente. Un homme d'affaires qui veut se rendre à New York a différentes contraintes ; il a besoin d'arriver tôt avant une journée de travail, ou d'arriver très tard pour se reposer et reprendre sa journée de travail le lendemain. Les contraintes sont diverses ; il veut pouvoir choisir et il n'accepte pas qu'on lui impose de ne partir que sur un seul vol à 12 heures 30 sans autre possibilité.

Dès lors que cette stratégie a été adoptée par les concurrents américains, il faut que l'offre européenne soit de même nature. Nous sommes donc embarqués dans la multiplication des fréquences. On voit bien que les compagnies américaines et européennes utilisent à fond les accords bilatéraux pour remplir au maximum les fréquences.

J'ajouterai que la politique du hub consiste à alimenter par de petits avions une plate-forme qui dessert ensuite toutes les directions. Là encore, la multiplicité des directions et des fréquences ne se prête pas à l'utilisation des gros porteurs. Aujourd'hui, dans les études de marché, la plupart des compagnies aériennes sont amenées à remplacer leurs vieux Boeing 747 par un Boeing 777 ou par un Airbus A 340 - je préfèrerais ! -, surtout l'A 340 500-600.

On s'aperçoit aujourd'hui que parfois les concurrents commerciaux du Boeing 747 - c'est une donnée à considérer pour l'A3XX - dans les pays européens, sont l'Airbus A340 500-600 et le Boeing 777. C'est pourquoi les compagnies occidentales ne sont pas, pour l'instant, complètement convaincues de savoir utiliser, de façon rentable, un A3XX. D'autant que l'on n'achète pas un seul exemplaire de l'avion, mais une flotte.

En revanche, ce que je dis là ne sera plus vrai dans cinq ou dix ans, parce que, en raison de la saturation, les compagnies devront adopter de nouveaux modes de gestion, même si, comme le souhaite M. Jean-Pierre Blazy, nous construisons un jour un troisième aéroport. Il faudra prendre le temps de le construire. Plusieurs années s'écouleront entre le moment où Paris sera saturé et celui où de nouvelles capacités seront disponibles ; années au cours desquelles les compagnies aériennes devront ajuster leurs stratégies. Il est possible qu'alors, elles soient contentes, sur un nombre limité de liaisons, d'avoir un très gros porteur.

Le Boeing 747 étant un avion démodé, et obsolète, le marché de l'A3XX sera excellent. Pour les compagnies européennes, l'A3XX arrive un peu tôt. Le phénomène n'existe pas sur des liaisons complètement saturées comme Tokyo-Sydney, Osaka-Bangkok, etc. Le contexte y est complètement différent. D'ores et déjà, les compagnies peuvent se lancer.

Voilà la réponse donnée aujourd'hui par la profession. Quant à moi, je reste très optimiste quant à l'usage de cet avion, non pas demain, mais un peu plus tard compte tenu de ce que sera la saturation des liaisons Europe - Amérique ou Europe - Asie.

M. Pierre Micaux a posé la question de l'aéroport de Vatry. Pour l'instant, il n'a rien apporté puisqu'il n'y a pas d'avions. Vous en connaissez l'histoire : l'Etat a toujours tenu un seul discours vis-à-vis de Vatry en estimant que c'était une initiative intéressante. Le conseil général de la Marne en assume la totalité du financement et de la responsabilité. Très bien. L'Etat ne le financera donc pas ; en revanche, il fera le maximum pour faciliter les procédures et permettre l'ouverture de la plate-forme.

Cela a été fait : la plate-forme a été ouverte ; reste à trouver un marché. Je suis convaincu que nous serons très contents d'avoir Vatry à terme et qu'il y a un espace pour le développement du fret. Le fret aérien explose. Pour l'instant, les grands opérateurs de fret vont à Roissy où ils trouvent des chaînes intégrées. Là aussi, Vatry a été créé un peu tôt, mais nous serons contents d'avoir une plate-forme suffisamment éloignée pour éviter toute nuisance et capable d'accueillir des trafics difficilement acceptables ailleurs.

Quand il y aura saturation à Roissy, nous serons sans doute très satisfaits de découvrir que, pour le fret au moins, des réponses existent à proximité.

En revanche, l'insertion de Vatry dans l'espace aérien n'est pas aisée, l'aéroport étant situé en plein milieu des espaces militaires. La capacité de cet aéroport sera limitée dans le temps. On est cependant très loin de la mobiliser puisqu'il n'y a pratiquement pas de trafic.

Vous me demandez ensuite si le projet d'un futur aérodrome de Chartre est enterré et s'il faut aller dans le nord de Paris. Je ne peux pas vous répondre à ce stade, je ne sais pas si la décision sera prise, et si elle est prise je ne sais pas si le site sera mis en cause ou pas.

En tout cas, je peux vous dire que d'un point de vue technique, il faut prendre en compte des critères lourds. Pour implanter un aérodrome de cette capacité, il faut tout d'abord choisir un endroit approprié à l'espace européen. Ce n'est pas la peine de se battre sur les retards si, volontairement, on crée un aérodrome qui multipliera les retards.

Deuxièmement, il faut choisir un endroit plat, dont la météo est connue et qui soit susceptible de nuire au moins de riverains possible et dont les sols soient faciles à protéger alentour. Enfin, cet endroit doit bénéficier d'une desserte terrestre réalisable au moindre coût et performante ; la desserte par le rail doit être inférieure ou égale à une demi-heure et une desserte routière est également nécessaire. Cela limite le choix parce que les investissements routiers et ferroviaires sont lourds.

M. Jacques Rebillard a posé la question de la formation au pilotage, à travers le cas de l'école publique du service d'exploitation de la formation aéronautique (SEFA). La formation au pilotage est un vrai défi national. Effectivement, aujourd'hui, les compagnies aériennes veulent former leurs pilotes rapidement et au moindre coût. Pour ce faire, elles ont le choix des écoles. Elles peuvent notamment choisir une école irlandaise, américaine ou japonaise pour une formation en dix-huit mois la moins chère possible. Les syndicats de pilotes essaient quant à eux d'inciter les compagnies à conserver des filières, soit françaises pour la France, soit a minima européennes.

Cela implique que l'Europe et singulièrement la France, soient capables d'avoir des écoles compétentes répondant aux nouveaux standards européens ou internationaux et capables de former des pilotes pour les compagnies aériennes.

Il se trouve qu'en France, le réseau des écoles est faible. On compte une école publique - le SEFA - qui a une vieille tradition et est possédée par l'Etat. Elle était et est encore en sous-activité compte tenu de la chute des recrutements ces dernières années. On compte également l'ancienne école d'Air France, l'Ecole de pilotage Amaury de la Grange (EPAG) qui était propriété d'Air France autrefois, et qui appartient aujourd'hui à la chambre de commerce et d'industrie de Hazebrouck et qui a un vrai savoir-faire. Nous avons en outre quelques petites écoles de-ci de-là, sachant que la plupart d'entre elles sont la propriété de compagnies aériennes - comme l'Ecole supérieure des métiers de l'aéronautique (ESMA) à Montpellier, propriété d'Air Littoral et donc dans l'orbite du groupe Swissair - mais ces écoles ne forment des pilotes que pour les besoins propres des compagnies.

Il faut savoir qu'un pilote se forme d'abord avec un tronc commun, et ensuite avec une qualification sur la machine. Ces écoles de compagnies aériennes n'assurent souvent que le dernier tronçon.

Enfin, il y a une multitude de toutes petites écoles qui forment au pilotage essentiellement des pilotes privés, voire quelques pilotes professionnels qui peuvent faire du travail aérien mais pas de transport public.

Nous essayons, à l'issue de multiples tables rondes avec les représentants des écoles et les syndicats de pilotes, de structurer ce tissu. Les petites écoles qui forment les pilotes privés ou professionnels pour le travail aérien existent et "vivotent" - ce sont des petites et moyennes entreprises - et on ne peut guère y faire grand-chose ni réguler la demande.

Les écoles qui appartiennent à des compagnies aériennes et qui forment à des qualifications ont un avenir. Il s'agit de qualifier les pilotes sur une machine donnée. On s'aperçoit que de nombreuses compagnies aériennes achètent des machines analogues. Air France, par exemple, qualifie sur ses Boeing et Airbus. Cela dit, il existe toute une flotte d'avions ou de jets régionaux brésiliens, canadiens ou autres, pour lesquels il n'est pas facile d'avoir les simulateurs et les avions pour former et qualifier les pilotes.

Il y a là un vrai marché. Il est envisagé ainsi avec l'école de Britt'Air, un groupement d'intérêt économique entre SOFRE AVIA (qui sous-traiterait des prestations au SEFA) et Icare pour offrir au niveau national et européen une école performante très professionnelle sur ce marché. On ne fait pas de concurrence à d'autres parce que l'offre française n'existe pas.

D'autre part, concernant le segment de formation de tronc commun de pilote de transport public professionnel, il n'existe pas beaucoup de formations. Le SEFA forme les élèves pilotes de ligne recrutés par concours, l'école d'Air France forme les pilotes ab initio ouverte suite aux accords sociaux que M. Spinetta a passés avec ses pilotes. C'est tout. Pour le reste, les autres pilotes suivent des formations fractionnées en acquérant des diplômes par ci ou par là et qui, mis bout à bout, finissent par leur donner le cursus approprié.

Là encore, nous étudions un rapprochement, sous la forme d'un groupement d'intérêt économique entre le SEFA et l'EPAG pour créer une formation complète ab initio ouverte au marché français, européen et international en offrant ce que l'on sait faire de mieux en France.

Dans un premier temps, le SEFA formerait les pilotes de ligne, et l'école d'Air France formerait ses pilotes cadets. Nous pourrions atteindre une certaine synergie, mon but étant que, moyennant ce rapprochement, l'on puisse capter les marchés étrangers. Nous avons déjà capté le marché indochinois ; il y en a d'autres. Nous serions alors capables de minimiser les dépenses. Nous avons des hommes compétents ; l'école d'Air France possède des simulateurs que nous avons en moins grand nombre. Tout cela peut permettre de minimiser les dépenses pour être compétitifs quant à l'offre que nous pourrons proposer.

En contrepartie, j'espère obtenir des engagements fermes d'Air France sur des recrutements d'élèves pilotes de ligne, et donc accroître significativement l'activité du SEFA. Voilà quelles sont les perspectives à l'étude.

Paradoxalement, ma difficulté n'est pas de convaincre M. Spinetta, mais le personnel. D'une part, les pilotes ou du moins le syndicat majoritaire, le SNPL, sont assez partisans de cette formule. D'autre part, les autres personnels et syndicats restent vigilants devant tout changement. La difficulté sera de convaincre.

Du côté de l'école d'Air France, il faudra aussi convaincre le conseil d'administration que ceci peut être une bonne chose.

En revanche, le projet envisagé avec Icare concernant la formation à la qualification sur machine est beaucoup plus avancé et plus facile à réaliser.

Concernant la péréquation des petits aérodromes, deux systèmes fonctionnent bien aujourd'hui en France : la péréquation des lignes et celle des aéroports. Quand le marché ne satisfait pas spontanément un besoin de transport public - par exemple une liaison Paris-Agen - si un certain nombre de conditions fixées dans un règlement communautaire sont remplies, il est toujours possible de décider de l'instauration d'obligations de service public sur cette ligne. Les collectivités locales peuvent ainsi demander un avion de telle taille tel ou tel jour et peuvent même fixer le prix maximum du billet. Dans ce cas, une fois que les obligations de service public ont été publiées au niveau européen, soit un transporteur exploite spontanément la ligne, soit il n'en vient pas. Dans le dernier cas, on lance un appel d'offres. Le transporteur choisi bénéficie alors d'une subvention d'équilibre pour exploiter la ligne et de l'exclusivité de la ligne pendant trois ans. C'est une façon de satisfaire une absence de réponse du marché.

Cette subvention est versée à partir d'un fonds de péréquation alimenté par une taxe sur le billet, la taxe de l'aviation civile dont une partie est affectée à l'équilibre de ces lignes d'aménagement du territoire.

Cette péréquation fonctionne. Nous sommes passés en 1995 du système - qui a explosé - où Air Inter faisait sa propre péréquation en exploitant des lignes déficitaires équilibrées par les lignes bénéficiaires à ce système-là. On a beaucoup craint de perdre des lignes ; en pratique, tel n'a pas été le cas. Elles ont toutes été conservées, certaines ont été ajoutées, le prix moyen du billet a baissé et la fréquence a augmenté. Il n'y a donc pas eu de perte en matière d'aménagement du territoire par rapport à la situation qui prévalait avant la libéralisation.

La deuxième péréquation pratiquée porte sur les dépenses régaliennes qui incombent aux aéroports. Le conseil d'Etat a décidé que certaines dépenses relatives à la sûreté, à la sécurité incendie et autres ne devaient pas être payées par les redevances d'aéroport mais prises en charge par l'Etat.

Messieurs les députés, fin 1990, vous avez voté une loi instaurant ce système et vous avez autorisé les aéroports à percevoir une taxe, un impôt, pour financer ces dépenses régaliennes. Pour les petits aéroports qui, avec le produit de la taxe, ne peuvent pas faire face aux dépenses, a été instauré un fonds de péréquation, financé sur la même ressource de la taxe de l'aviation civile. Ce fonds de péréquation permet en quelque sorte de « boucher les trous » pour les tout petits aéroports qui ne peuvent faire face aux dépenses régaliennes.

Ce fonds a été mis en place récemment. Son comité de gestion s'est réuni il y a un mois. A ma connaissance, tous les aéroports recevront la dotation dont ils ont besoin pour faire face à leurs besoins, sachant que, curieusement, on trouve parmi les bénéficiaires les petits aéroports, mais aussi quelques cas particuliers comme Lyon et Cayenne qui ont besoin de bénéficier de ce fonds de péréquation. Ce système se rôdera au fur et à mesure. A ma connaissance, pour l'instant, toutes les demandes exprimées par les aéroports ont été satisfaites par ce fonds de péréquation.

M. Pierre Ducout : Merci à vous et aux collègues qui ont suivi de bout en bout cette réunion sur un sujet important.

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Information relative à la Commission

La commission a désigné M. Joseph Parrenin, rapporteur pour le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire en matière de santé des animaux et de qualité sanitaire des denrées d'origine animale et modifiant le code rural (n° 2253).


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