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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 51

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 26 avril 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Pierre Ducout, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hubert du MESNIL, directeur des transports terrestres

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La commission a entendu M. Hubert du Mesnil, directeur des transports terrestres au ministère de l'équipement, des transports et du logement.

M. Pierre Ducout : Je suis très heureux d'accueillir aujourd'hui M. Hubert du Mesnil, directeur des transports terrestres, à l'occasion de son audition devant la commission de la production et des échanges. Cependant, les circonstances qui me conduisent à présider cette réunion ne sont pas particulièrement heureuses, puisque, vous le savez probablement, le président André Lajoinie, qui est à l'origine de cette audition, a été victime d'un accident qui le retient en dehors de notre Assemblée.

A partir du premier juillet prochain, soit dans deux mois, la France sera appelée à présider pour six mois les instances de l'Union européenne. Le président André Lajoinie a donc souhaité que la commission de la production et des échanges procède à un large tour d'horizon des acteurs du secteur des transports pour nourrir la réflexion du Parlement sur les enjeux de cette présidence, dans ce domaine essentiel de l'économie communautaire. C'est dans ce cadre que nous avons déjà notamment reçu ici des dirigeants d'entreprises de transport, le comité central des armateurs de France et le directeur des ports maritimes au ministère de l'équipement et des transports.

Nous vivons une période caractérisée par la domination des perspectives libérales dans le secteur des transports : dérégulation, ouverture des marchés à la concurrence, en particulier.

Dans la branche du transport ferroviaire qui est votre compétence principale, la Commission européenne projette de créer une séparation obligatoire entre l'opérateur historique de transport ferroviaire et l'autorité chargée d'attribuer les sillons offerts à d'autres transporteurs. D'autres enjeux, tout aussi importants, et plus consensuels, concernent la mise en _uvre de l'interopérabilité des réseaux ferroviaires européens, condition indispensable pour permettre au chemin de fer de doubler en dix ans le volume du fret transporté et même de gagner des parts de marché sur la route. Car l'Europe a besoin, tant pour des raisons environnementales que pour des motifs de simple sécurité, de maîtriser la croissance du transport de marchandises.

Il est notamment clair que l'hégémonie de la route ne doit pas perdurer, particulièrement sur les trajets de plus de 500 kilomètres et pour la traversée des obstacles naturels, notamment les massifs montagneux.

Nous attendons tous que vous nous éclairiez sur les principaux enjeux qui attendent la France au cours de sa présidence. Nous souhaitons également connaître les grandes lignes des orientations que notre pays défendra au cours de cette période sur les propositions de directives et de règlements en cours d'élaboration.

M. Hubert du Mesnil : Merci Monsieur le président de votre accueil.

Permettez-moi d'abord d'exprimer des souhaits de rétablissement au président de votre commission, M. André Lajoinie, que je rencontre souvent dans différentes instances et notamment au conseil d'administration de la SNCF ; j'espère qu'il pourra rapidement reprendre sa place. Je sais d'ailleurs qu'il n'est pas complètement absent et qu'il suit vos travaux.

Nous sommes donc à quelques semaines maintenant de la présidence française ; j'ai envie de dire que nous y sommes déjà, car en réalité, si formellement cette présidence prend effet à compter du 1er juillet, comme vous le savez, elle se prépare, en réalité, plusieurs mois à l'avance. Il existe une sorte de mouvement glissant qui consiste, d'ores et déjà, avant même le début de la présidence, à exprimer certains objectifs, des priorités, prendre des contacts et engager même des travaux préparatoires ; on peut donc dire que nous y sommes déjà. Cette présidence est très courte, 6 mois, dont d'ailleurs plusieurs semaines de congés ; je crois en conséquence qu'il faut, compte tenu du fonctionnement institutionnel de l'Europe, tel qu'il est aujourd'hui et au vu de ces circonstances, avoir de la modestie et du réalisme car à l'échelle de la construction de l'Europe, tenir les rênes pendant six mois c'est en réalité très court. Mais il faut aussi, peut-être a fortiori, avoir beaucoup d'ambition pour que ce temps soit le mieux utilisé possible et donc savoir très précisément ce que l'on veut et consacrer toute notre énergie aux choix prioritaires établis par le Gouvernement. Au niveau des différentes directions, sous l'autorité des ministres, nous sommes en train de nous préparer à cet exercice, pour y consacrer bien sûr le meilleur de nous-mêmes.

Concernant les domaines de réflexion et les enjeux principaux, je me contenterai bien sûr du secteur des transports terrestres qui est celui dont j'ai la charge au sein du ministère de l'équipement et des transports en tant que directeur des transports terrestres. Je ne parlerai évidemment donc pas des secteurs aérien et maritime ; j'aborderai en revanche le secteur routier, même si ce n'est que de manière partielle car je ne peux pas laisser ce sujet de côté.

Je crois qu'en ce qui concerne le domaine des transports terrestres, les grands sujets de la politique des transports menée par le Gouvernement croisent les grandes orientations européennes, dans la mesure où l'on ne peut plus maintenant isoler notre action et nos priorités nationales de l'environnement européen. Le domaine des transports est devenu tellement européen qu'il n'est plus possible de constituer deux zones, l'une qui serait celle de l'action nationale et l'autre qui serait celle de l'action européenne.

Il me semble que le domaine des transports terrestres est dominé par trois grands sujets, à la fois de préoccupation nationale et de priorité européenne ; je les cite sans ordre, car ils interfèrent les uns avec les autres.

Il y a le sujet du ferroviaire, par lequel vous avez commencé, qui a fait l'objet déjà de nombreux travaux ces derniers mois, et auquel nous serons particulièrement attentifs, je vais y revenir.

Je voudrais parler aussi du transport routier et notamment de ce qui constitue pour nous la grande priorité : l'harmonisation sociale dans ce secteur.

Je voudrais également dire un mot du financement des infrastructures, sujet à caractère intermodal et qui à l'échelle des grandes infrastructures en tout cas, ne peut être traité indépendamment des orientations européennes.

A propos du ferroviaire, il s'agit d'un sujet à l'ordre du jour de l'Europe depuis de nombreuses années, marqué à la fois par un intérêt grandissant de la quasi-totalité des Etats européens, et en même temps par une extraordinaire difficulté à trouver des points de convergence. C'est l'un des sujets sur lesquels les divergences restent très fortes et elles ne sont sans doute pas près de disparaître.

Je rappellerai simplement l'étape importante qui a été franchie en décembre dernier au conseil des ministres. Nous avions eu l'occasion à cette époque, dans plusieurs enceintes, et particulièrement au sein du Conseil supérieur du service public ferroviaire, présidé par M. Jean-Jacques Filleul, de marquer l'engagement de la France et son extrême attention sur ce qui était à l'époque en discussion. Ce qui a été décidé au conseil des ministres de décembre dernier constitue une étape que nous avions jugée à l'époque équilibrée, dans une perspective de développement volontariste du transport ferroviaire à l'échelle de l'Europe, avec une priorité affichée dans le domaine du fret ; nous avons adopté une approche assez globale et équilibrée entre le fonctionnement du réseau, l'harmonisation de la tarification des infrastructures, les conditions d'exploitation et d'ouverture du réseau, mais aussi des questions plus techniques comme l'interopérabilité ou la gestion de la sécurité.

Cette approche globale nous paraissait aller dans le bon sens et être de nature à soutenir utilement le marché européen du ferroviaire. Comme vous le disiez, le ferroviaire, qui est particulièrement performant au-delà de 500 kilomètres, trouve tout naturellement une zone de développement possible à l'échelle de l'Europe.

Nous avions adopté ce que nous avons appelé à l'époque « le paquet infrastructures », c'est-à-dire un ensemble de dispositions, de textes, qui depuis a continué à progresser, notamment sur le sujet très important de l'interopérabilité dont vous avez rappelé qu'il était relativement consensuel, encore qu'il faille se méfier de ces consensus de principe, car quand on entre dans le détail, on s'aperçoit qu'il subsiste beaucoup d'intérêts divergents. En tout cas, on a bien avancé depuis le mois de décembre sur ce sujet de l'interopérabilité, qui doit permettre au train et à sa locomotive de circuler d'un réseau à l'autre, sans s'arrêter à chaque frontière. Parallèlement, le reste du « paquet » qui avait été adopté en décembre a été transmis au Parlement européen et y fait l'objet d'un examen par les commissions compétentes. Celui-ci a prévu de rendre son avis au début du mois de juillet. Nous nous situons sur un terrain plus sensible, parce que le Parlement européen a toujours eu sur le sujet ferroviaire une approche assez libérale, et là où nous avions, non sans mal, obtenu au conseil des ministres de décembre, une approche assez réaliste et assez modérée sur le sujet de l'ouverture des réseaux, le Parlement européen semble, en tout cas dans l'état actuel de ses travaux, souhaiter émettre un avis qui peut-être va relancer des discussions que nous avions espéré terminer au mois de décembre dernier.

Nous allons suivre avec beaucoup d'attention l'avis du Parlement qui sera rendu le 4 juillet prochain ; si cet avis diverge de manière assez substantielle par rapport aux décisions adoptées par le conseil des ministres de décembre, une procédure de conciliation sera mise en _uvre, que nous aurons à piloter, il s'agira sans doute d'une affaire sensible et délicate pour le deuxième semestre, donc pour notre présidence.

Il me semble que l'on peut dire à ce stade, et c'est la position du ministre, que ce qui a été construit avec beaucoup d'efforts avec le soutien de la commissaire, Mme Loyola de Palacio, en décembre, constitue un équilibre politique et j'imagine mal, en ce qui me concerne, que nous puissions sensiblement nous en écarter. S'il fallait, après demande du Parlement, remettre sur la table ce dossier, je crois que ce serait extrêmement regrettable et constituerait probablement un retour en arrière, alors que nous avions, je pense, franchi fin 1999 un pas important pour la relance du transport ferroviaire en Europe.

J'observe d'ailleurs au passage que cette relance du transport ferroviaire est une ardente nécessité. Pour ne prendre qu'un exemple, je voudrais souligner qu'en 1999, qui a été comme chacun sait, une année de croissance économique dans toute l'Europe, avec des taux de croissance qui ont été tout de même assez forts, nous avons constaté une progression très sensible du transport routier, y compris en France, d'ailleurs, et pratiquement dans toute l'Europe une régression du transport ferroviaire en valeur absolue. Je ne parle même pas de part relative, c'est-à-dire de part de marché, mais en valeur absolue ; cela veut dire qu'une année de croissance économique de 2 à 3 % dans la plupart des pays s'est traduite par une diminution du transport ferroviaire. Cela montre qu'il reste du chemin à parcourir et qu'il est plus que temps de créer un environnement ferroviaire européen qui permette à ce mode de transport de retrouver quelques performances. Ce n'est pas une condition suffisante pour rééquilibrer les parts modales, mais c'est certainement une condition nécessaire, ce qui implique aussi que les entreprises ferroviaires disposent d'un environnement plus favorable. Quand j'évoquais tout à l'heure la question de l'interopérabilité, c'est évidemment pour nous l'un des sujets les plus essentiels. Le transport ferroviaire ne sera pas performant tant que les trains rouleront à 30 ou 40 kilomètres/heure en moyenne, parce qu'ils sont obligés de s'arrêter pendant des heures et des heures aux frontières, parce qu'il faut changer de locomotive, changer de conducteur, etc. Cet objectif est déterminant, bien qu'il ne soit pas le seul, pour permettre de créer cet environnement ferroviaire européen.

Ce cadre a été fixé, nous souhaitons nous y tenir fidèlement ; nous espérons que les discussions avec le Parlement européen nous permettront de continuer à progresser et non pas à rouvrir indéfiniment le débat idéologique sur la libéralisation du transport ferroviaire. Je rappelle d'ailleurs que dans cette affaire, la France a pris une position pragmatique consistant à dire que chaque pays peut, s'il le souhaite, adopter des politiques différentes ; il appartient à chacun d'apprécier, dans son autonomie et sa souveraineté, s'il souhaite, pour lui-même et à l'intérieur de ses frontières, franchir ou non des étapes de libéralisation.

J'indique par exemple que la Finlande vient de faire connaître par la voix de son ministre, M. Olli-Pekka Heinonen, qui présidait d'ailleurs l'Europe l'année dernière, que cet Etat ne souhaitait pas avancer davantage vers la libéralisation, alors que nous avions eu l'impression, voici quelque temps, que ce pays, qui est assez ouvert, avait adopté une orientation nettement libérale. La Finlande estime que l'on ne peut pas aller plus loin aujourd'hui dans le domaine de la libéralisation ferroviaire, parce que cela constituerait un risque pour la sécurité du réseau et créerait un contexte peu favorable au développement du trafic. Vous voyez donc que la France n'est pas le seul pays à souhaiter gérer son réseau dans un esprit d'ouverture vis-à-vis de l'Europe, mais non pas dans un esprit d'ouverture au sens où on l'entend d'habitude en termes de concurrence.

Je voudrais maintenant vous dire un mot du transport routier. En ce qui nous concerne, le ministre a fait le choix très net d'une priorité en faveur de l'harmonisation sociale. Le transport routier, comme vous le savez, est complètement libéralisé ; le débat est dépassé, puisque la libéralisation est totale ; le transport international est complètement libre ; le cabotage national est lui-même libre, dès lors que les entreprises remplissent les conditions qui ont été définies pour accéder à la profession, c'est-à-dire les conditions de compétence, de capacité financière et d'honorabilité ; elles sont titulaires d'une licence de transport européen et avec cette licence, elles peuvent circuler librement partout.

Cette libéralisation est donc déjà faite ; en revanche, l'harmonisation, elle, c'est le moins qu'on puisse dire, est loin d'être achevée. Elle a été partiellement réalisée en ce qui concerne les normes techniques des véhicules. Elle est très partiellement (on peut même dire fort peu) réalisée en ce qui concerne la fiscalité ; pour ne prendre qu'un exemple, la fiscalité du gazole, qui est un élément très important dans le coût du transport routier, est loin d'être harmonisée. Il y a bien une directive qui fixe des minima mais ceux-ci sont tellement bas que le faisceau est très ouvert entre les pays qui ont le gazole le moins cher et ceux qui ont le gazole le plus cher ; les prix varient du simple au double. On ne peut donc pas dire qu'il y ait une harmonisation du coût du gazole, alors que celui-ci représente 20 % du prix de revient du transport routier.

Puisque l'on ne peut pas tout faire pendant cette présidence, nous allons nous consacrer entièrement à l'harmonisation sociale dont on peut dire qu'elle est pratiquement en panne depuis deux ans. Nous souhaitons aborder le problème de manière globale, c'est-à-dire simultanément maîtriser et encadrer le temps de travail des conducteurs routiers, mais aussi leur fixer des normes minimales de formation, mettre au point un dispositif de contrôle et de sanctions qui soit plus rigoureux et enfin, traiter un problème qui est en train de prendre une grande ampleur, l'entrée en masse de conducteurs extra-communautaires, venant essentiellement d'Europe centrale.

Harmoniser les conditions sociales du transport routier, c'est faire en sorte que les travailleurs de ce secteur, quel que soit leur statut, soient soumis à un minimum de règles communes concernant leurs conditions de travail, leur niveau de qualification et leurs conditions d'emploi. Je ne parle évidemment pas de l'harmonisation de leur rémunération, puisque vous savez que ce sujet n'est pas, si je puis dire, encore à l'ordre du jour. Mais si, déjà, indépendamment des rémunérations, nous pouvions rapprocher les conditions d'emploi et de travail, nous aurions fait _uvre utile.

Concrètement, dans cette approche que nous appelons « le paquet social », l'idée est de parvenir à l'adoption de textes qui définissent des normes de temps de travail et de temps de repos, fixent des objectifs de compétence, de qualification et de formation, règles qui, à défaut d'être communes, réduisent un peu les écarts que nous constatons aujourd'hui.

Nous ne partons pas de rien, puisque cela fait plusieurs années que nous plaidons ce dossier. Des propositions ont été faites à plusieurs reprises et je dois dire d'ailleurs qu'en France, patronat et organisations syndicales du transport routier ont une vision assez largement consensuelle sur ce sujet. Nous espérons donc que, appuyés par ce consensus national du patronat et des syndicats, nous pourrons « mettre le paquet », c'est le cas de le dire, au niveau de l'Europe, essayer de faire bouger les choses et obtenir à la fin de l'année, au minimum, un accord politique même si nous savons que tous les textes ne pourront pas être mis au point. L'objectif serait donc d'obtenir un accord politique qui permettrait de progresser en matière de réduction des temps de conduite et d'amélioration des conditions de travail.

Lorsque nous disons cela, nous poursuivons bien sûr un objectif à caractère social, quant aux conditions de travail des conducteurs eux-mêmes, mais nous poursuivons aussi un objectif de sécurité ; vous lisez régulièrement dans la presse le récit des accidents provoqués par des conducteurs qui ont largement dépassé les normes admissibles de temps de conduite. Je dois vous dire par exemple que les deux tiers des infractions constatées sur les routes, sont des infractions à la réglementation sociale. Il s'agit de conducteurs qui dépassent les temps de conduite autorisés, soit par période de 4 heures 30, soit par journée, soit par semaine ; lorsqu'on atteint ces proportions, il est plus que temps d'en faire un objectif prioritaire.

Il faut donc améliorer les conditions de travail des conducteurs, améliorer la sécurité, mais aussi, bien entendu, harmoniser les conditions de concurrence, car vous imaginez bien qu'entre un conducteur qui travaille, qui conduit 60 heures par semaine et un autre qui est limité à 48 heures, le premier représente évidemment un avantage compétitif pour son employeur par rapport à l'autre. Nous visons ce troisième objectif de convergence ou au moins de rapprochement des conditions de concurrence.

Je voudrais revenir rapidement sur le point que j'évoquais tout à l'heure c'est-à-dire l'entrée des conducteurs extra-communautaires. C'est un phénomène qui est apparu voici quelque temps, qui vient du fait qu'il existait dans les pays d'Europe centrale des entreprises nationalisées de transports routiers qui, après le changement intervenu dans ces pays, ont été privatisées. Ces entreprises ont pendant quelque temps développé leur activité dans les pays de l'Europe centrale ou avec les pays de la CEI et un jour, on les a vues partir vers l'ouest et venir sur notre territoire. Moyennant des montages assez sophistiqués, très habiles d'ailleurs, comportant des détachements de main-d'_uvre ou des prêts de filiale à filiale, on voit des conducteurs de ces pays détachés auprès d'entreprises communautaires et qui travaillent dans des pays différents, au sein même, toujours, de l'Europe.

Donc, ce phénomène est en train de prendre des proportions telles, qu'il provoque une réelle inquiétude dans la profession et dans plusieurs Etats. La Commission est en train de préparer des propositions à ce sujet.

Je voudrais tout de suite préciser qu'il ne s'agit pas pour nous d'interdire aux conducteurs de ces pays d'Europe centrale de venir travailler sur le territoire communautaire ; il ne s'agit pas d'empêcher le développement de ces pays, ni même la possibilité pour ces personnes de trouver du travail. Il s'agit pour nous, lorsqu'elles travaillent dans des entreprises qui opèrent à l'intérieur de l'Europe, de faire en sorte que ces conducteurs soient embauchés et employés dans les mêmes conditions que ceux du pays où ils travaillent ; c'est-à-dire que si un conducteur bulgare est embauché dans une entreprise autrichienne et prêté à une entreprise allemande, il faut qu'il soit utilisé dans des conditions qui soient ou bien celles de l'Autriche, ou bien celles de l'Allemagne mais pas celles de la Bulgarie. C'est un objectif assez simple à définir ; si on ne fait rien il n'y aura bientôt plus de conducteur français en transport international.

Je voudrais, pour terminer sur ce sujet du transport routier, ajouter que la bataille sera extrêmement difficile, parce que nous avons peu d'alliés, il faut le reconnaître, dans un domaine où, pour des raisons différentes, les pays n'ont pas jusqu'à présent mesuré l'intérêt d'une telle approche, soit parce que ce sont des pays très libéraux qui considèrent qu'il faut laisser les entreprises et les conducteurs se débrouiller tout seuls, soit parce qu'ils ont un intérêt (notamment parce qu'ils ont beaucoup d'artisans chez eux) à laisser ces situations perdurer. Nous allons donc être confrontés à des difficultés sérieuses, je pense qu'il faut être conscient de la difficulté de l'exercice.

Et pourtant, il nous semble qu'il faut jouer cette partie maintenant, parce que l'approche de l'élargissement constituerait une menace pour tout le monde si nous ne fixions pas des normes sociales communes aux 15 avant d'accueillir dans l'Europe élargie ces nouveaux pays. Le risque serait plus grand encore que celui que j'évoquais tout à l'heure avec ces prêts de main-d'_uvre d'Europe centrale vers l'Europe communautaire, puisque les entreprises d'Europe centrale pourront librement circuler sur la totalité de l'Europe élargie. Pour écarter cette menace, il faut d'urgence que l'Europe se dote de normes sociales précises, qui bien entendu s'appliqueraient obligatoirement aux nouveaux pays rentrant lors de l'élargissement.

En faisant cela, nous poursuivons également l'objectif que j'évoquais précédemment, c'est-à-dire le développement du transport ferroviaire. Nous sommes tout à fait convaincus que le transport ferroviaire ne pourra pas se redresser, quels que soient les textes, les directives et les règlements que l'on peut établir dans ce domaine, que l'on libéralise ou pas le réseau ferroviaire, si le transport routier continue à être pour lui un concurrent livré à sa liberté et à son anarchie, permettant à n'importe qui de créer une activité de transport routier, avec des conditions d'emploi et des coûts qu'on ne peut admettre. La persistance d'une telle situation ouvre la voie à un déséquilibre durable voire même aggravé du transport routier par rapport au transport ferroviaire. La condition de la réussite de ce rééquilibrage est bien sûr que l'on progresse sur l'Europe ferroviaire et en même temps que l'on mette de l'ordre dans l'Europe routière.

Pour terminer, je voudrais évoquer la question du financement des infrastructures pour dire que les infrastructures routières se développent et se financent assez bien, même s'il faudra changer les règles de leur financement, comme vous le savez certainement. Je veux parler du financement des infrastructures ferroviaires : pour poursuivre cette politique de rééquilibrage, il reste des infrastructures ferroviaires à réaliser, je pense plus particulièrement à celles dans les zones sensibles comme les zones de montagne et bien entendu, je pense aux Alpes et aux Pyrénées. Il s'agit d'infrastructures qui sont très coûteuses ; pour obtenir ce rééquilibrage dans ces zones sensibles, il faut augmenter la capacité des infrastructures ferroviaires et il faut les financer dans des conditions qui soient compatibles avec les forces en présence, si je puis dire, et le prix de chacun des modes.

Nous ne parviendrons pas à financer ces grandes infrastructures si l'on n'invente pas de nouveaux modes de financement. Les Suisses ont ouvert la voie, avec une approche audacieuse qui, voici quelques années peut-être, faisait sourire ; on considérait que c'était sans doute lié au caractère spécifique de ce pays décidément très différent de nous, mais il me semble que, plus le temps passe, plus l'approche helvétique est ressentie comme d'avant-garde et ne résultant pas uniquement de l'imagination locale. C'est une approche audacieuse, car ce pays s'engage dans un programme d'infrastructures extraordinairement coûteuses, de plus de 120 milliards de francs et ce dans une approche très intermodale, tant en ce qui concerne les modalités de financement, en acceptant que des prélèvements fiscaux sur le secteur routier financent des investissements ferroviaires, qu'en ce qui concerne l'organisation.

Nous avons devant nous de grands investissements ferroviaires, je pense bien sûr au projet du Lyon/Turin, le ministre en a parlé voici quelques jours ; nous avançons sur la définition de ce projet, pour permettre aux deux gouvernements, français et italien, de prendre position d'ici la fin de l'année et de lancer officiellement ce projet qui revient à près de 70 milliards de francs en valeur d'aujourd'hui. On peut s'attendre à ce que ce soit plus important que cela encore. Il va de soi que l'on ne pourra pas réaliser des projets de cette nature si l'on ne met pas au point des modalités de financement adaptées.

Ce sujet peut sembler surtout national. Il est en réalité européen et même doublement européen. D'une part, pour la route comme pour le fer, on ne peut pas financer les ouvrages d'infrastructures comme on le veut, du fait des normes européennes de financement et de tarification d'infrastructures. Même si nous avons actuellement une petite marge de man_uvre, ce sujet va devoir être traité, sans doute, au niveau européen. D'autre part, en ce qui concerne les subventions, des projets de cette importance, qui intéressent la circulation du trafic à l'échelle de l'Europe, méritent sans doute d'être financés avec des crédits européens plus qu'ils ne le sont aujourd'hui, le maximum étant de 10 %. Il s'agit d'ailleurs d'un financement théorique car en réalité, les enveloppes ne nous permettent pas d'atteindre ce niveau. On pourrait souhaiter que l'Europe s'engage davantage dans ces financements pour des maillons transfrontaliers de cette échelle.

M. Pierre Ducout : Merci Monsieur le directeur ; nous avons tous été frappés par vos explications sur les difficultés des transporteurs routiers, qui sont confrontés à une dure concurrence et aux difficultés de l'harmonisation. Un certain nombre d'entreprises risquent, dans la mesure où elles ne se sont pas assez performantes en logistique, de ne pas pouvoir supporter la concurrence européenne, compte tenu de l'embauche de chauffeurs extra-communautaires, faiblement payés. Nous sommes très attentifs à tous les efforts qu'il va falloir déployer dans le cadre européen. Je pense par exemple à la traversée des Alpes et des Pyrénées où l'on ne peut évidemment travailler qu'à une échelle européenne.

Je passe la parole à notre rapporteur pour avis des crédits des transports terrestres, M. Jean-Jacques Filleul.

M. Jean-Jacques Filleul : Monsieur le directeur, vous avez évoqué les sujets qui vont être débattus pendant la présidence française. Personnellement, je souscris à votre analyse. Le Gouvernement a décidé de travailler sur des points qui sont essentiels pour le développement du transport dans notre pays et en Europe. On ne peut pas développer le transport ferroviaire sans résoudre les problèmes de la concurrence avec la route. L'Europe jouera, à cet égard, un rôle majeur, nous sommes d'accord avec vous.

J'ai beaucoup apprécié la décision prise par l'un des derniers conseils européens des transports qui a affirmé l'importance du réseau trans-européen des transports de marchandises, épine dorsale du développement du fret en Europe. En même temps, cette affirmation étant énoncée, étant écrite dans nombre de documents et tracée sur les cartes, ce qui m'ennuie beaucoup, c'est que j'ai l'impression que la Commission européenne considère que désormais il appartient aux Etats membres de gérer cette question. A mon sens, la Commission européenne, sans être le chef d'orchestre de l'interopérabilité de ce nouveau réseau trans-européen du transport de marchandises, devrait jouer un rôle majeur dans sa mise en _uvre.

Tel ne semble pas être le cas et je le regrette. J'espère que ce problème sera mis à l'ordre du jour au cours de la présidence française. Sans cela, vous l'avez laissé entrevoir dans votre intervention, on va retomber dans les individualismes et les intérêts particuliers, alors que l'on sait fort bien aujourd'hui que n'existera pas en Europe un système de fret de bonne qualité sans investissements publics, tant pour le fonctionnement que pour les infrastructures. En laissant les pays intervenir, la Commission européenne se dégage en fait du financement, alors que je pense sincèrement que pour réaliser l'interopérabilité de l'ensemble de ces réseaux, il faut trouver des financements supplémentaires ; il faut un véritable plan Marshall. Il ne s'agit pas de réaliser une voie qui va d'un pays à un autre, mais un maillage de voies qui irrigue les territoires européens. Les machines doivent passer les frontières avec un seul mode de courant, les signalisations êtres identiques et l'harmonisation des systèmes d'informatique effectuée. Il faut circuler en Europe dans les conditions les meilleures, pour gagner du temps, pour dépasser les 16 kilomètres à l'heure de moyenne de transport du fret dans notre pays.

Je voudrais maintenant évoquer les problèmes de franchissement des zones sensibles, comme les Alpes ou les Pyrénées. Il serait bon que le Gouvernement français, au cours de cette présidence, puisse annoncer sa volonté forte de mettre des camions sur les trains et de faire la liaison Lyon-Turin. Il s'agit d'un grand projet dont la réalisation serait étalée sur douze à quinze ans, pour un coût de plus de 70 milliards de francs au mieux. On peut toutefois craindre des difficultés, en particulier dans les vallées italiennes dont la population n'a pas vraiment envie de voir se multiplier le trafic. Nous, les Français, pourrions démontrer que la « route roulante » n'est pas une utopie suisse ou italienne comme c'est le cas actuellement, mais un vrai projet de transport, qui concerne, bien sûr, les axes relativement importants, mais aussi des axes plus courts afin d'éviter de multiplier le nombre de camions sur les routes.

Je rappelle que le tunnel du Fréjus, a enregistré le passage de 1 549 000 camions au cours des 12 derniers mois. Il est urgent de prendre des dispositions bien avant la construction du Lyon-Turin.

Je limiterai mes questions à ces deux points importants ; on pourrait en aborder bien d'autres, mais mes collègues le feront certainement.

M. Léonce Deprez : Vous avez souligné le contraste, Monsieur le directeur, entre la croissance économique de 3 à 4 % par an, et le déclin du trafic ferroviaire, c'est un élément qui doit nous faire réfléchir et agir. La croissance va se poursuivre, et, si on ne fait rien, l'activité ferroviaire de fret, elle, va stagner, creusant l'écart existant avec la route.

Pourquoi est-on arrivé à ce type d'évolution ? Pas pour des raisons de coûts, mais pour des raisons structurelles. Ce sont les structures mêmes des lignes ferroviaires qui entraînent cette stagnation et ce retard qui s'accentue par rapport à la route. La route évolue et les structures ferroviaires, elles, n'évoluent pas.

J'avais cru comprendre que le schéma du transport ferroviaire de fret, qui a fait l'objet de la décision du conseil des ministres européen qui a d'ailleurs un nom tout à fait précis ...

M. Hubert du Mesnil : Le réseau trans-européen de fret ferroviaire.

M. Léonce Deprez : Ce serait la solution. La décision est prise mais que va-t-il se passer maintenant ? C'est la question.

Y a-t-il une politique spécifique hors des contrats de plan Etat-régions, pour mettre en _uvre le réseau trans-européen de fret ferroviaire ? Je ne le sais pas, merci de nous le dire.

Lorsque j'ai vu que la liaison Calais-Paris, figurait dans le schéma trans-européen de fret ferroviaire, je me suis dit « bravo ! », et m'en suis entretenu avec le président de RFF, que nous devons aider dans sa tâche. Je me suis inquiété de savoir, dans le contrat de plan Etat-région Nord-Pas-de-Calais si les crédits, pour cette liaison Paris-Calais étaient prévus ; cela ne me paraît pas être le cas. S'il n'y a pas de cohérence entre les décisions européennes et les décisions nationales, on ne rattrapera jamais le retard ; il y aura de plus en plus de camions sur l'autoroute A1 si on ne rend pas le trafic ferroviaire plus compétitif.

Le Gouvernement a-t-il la volonté d'inscrire les crédits nécessaires dans les contrats de plan ?

La France va prendre la présidence de l'Union européenne. Il faut saisir cette occasion pour exprimer une volonté française et la faire partager par les autres pays européens.

Vous avez évoqué la question du dumping social dans le secteur du transport routier qui génère une concurrence déloyale. Il convient d'apporter une solution à cette question dans le cadre de l'Union européenne. Avons-nous la volonté politique de subordonner l'élargissement au règlement de ce problème et à celui d'autres de même nature. Il n'y a d'ailleurs pas que pour les transports terrestres que se pose la question. Avant de parler d'élargissement, il faudrait régler les questions en suspens entre les 15, notamment pour les transports. Pouvons-nous, à l'occasion de notre présidence faire avancer l'idée d'européaniser le réseau ferroviaire de fret ?

Le problème de la libéralisation du transport ferroviaire ne se pose pas entre nous, la question est de savoir si l'on va vraiment créer les structures ferroviaires adaptées. Or seuls les Etats ou l'Europe peuvent le faire. Il faut une volonté d'Etat, mais aussi une volonté politique européenne. Européaniser le transport ferroviaire de fret nous offre un moyen d'européaniser les esprits en choisissant un secteur dans lequel s'impose une politique dépassant les problèmes nationaux et les spécificités nationales.

M. Eric Doligé : Vous avez, monsieur le directeur, évoqué les problèmes de financement, vous avez parlé des transports terrestres et jeté peut-être un voile pudique sur le financement des routes et autoroutes. J'ai quelque peu le sentiment, bien que ce domaine ne soit pas de vos compétences, que parfois, nous sommes un peu « menés en bateau » en la matière.

Nous avons très souvent questionné le ministre au sujet du financement des autoroutes. L'adossement n'est plus autorisé dans le cadre de la réglementation européenne, il subsistait une petite niche qui permettait encore de passer, fin 1998, mais on n'a pas voulu la saisir sur un certain nombre de dossiers, peut-être pour des questions internes, franco-françaises, toujours est-il que des dossiers n'ont pu aboutir et qu'ils ont été reportés en attendant maintenant la décision de Bruxelles.

On nous dit que Bruxelles finalement, verrait d'un _il assez favorable des propositions françaises, que le ministère de l'équipement, des transports et du logement entreprend des démarches auprès de la direction compétente, que les choses vont avancer très vite. Cela fait déjà un certain temps que les choses doivent se débloquer rapidement et que les échéances qui nous avaient été annoncées sont dépassées. Pour un dossier que je connais bien, on nous avait dit que l'appel d'offres pourrait être lancé à Pâques 2000 et nous avons passé de quelques jours Pâques 2000. On nous avait dit également que la loi française devait être modifiée avant fin 1999 et aujourd'hui, rien n'a été fait. Nous sommes quelque peu inquiets car on nous a envoyé sur le terrain un ingénieur général des ponts et chaussées, qui est venu nous voir pour nous dire que pour ce projet d'autoroute qui est prêt depuis longtemps sur le papier, l'échéance était 2004, mais dans la conversation très gentiment on entendait « je pense qu'en 2010, on devrait arriver à régler le problème », donc on nous ajoute six ans d'un seul coup.

Est-ce que six ans à partir d'aujourd'hui, c'est la durée de la négociation nécessaire, pour obtenir de Bruxelles quelques arrangements ? Est-ce qu'en matière de financement, sachant que les sociétés concessionnaires nous disent qu'elles n'ont aucune difficulté à équilibrer l'opération, compte tenu du trafic prévisible, qui, on le sait, est très largement supérieur aux prévisions très pessimistes qui avaient été données par la direction des routes à l'époque, nous allons aboutir ? Le but n'est pas de gêner le fer, de faire de la concurrence au fer. Il est de faire face aux augmentations de trafic sur certains endroits en respectant les impératifs de sécurité. Les DUP ont été obtenues. Nous avons presque le sentiment qu'aujourd'hui, l'Europe est une excuse aux retards. Pensez-vous que ce dossier pourra être réglé durant les six mois de présidence européenne ? Je parle de l'autoroute A19 dont on nous a dit que c'était « la prioritaire des prioritaires ».

M. François Dosé : D'immenses travaux de recherche sont effectués actuellement sur les énergies motrices pour tout ce qui est routier : pile à combustible, gaz naturel, diesel, batteries. Cette question fait-elle partie des urgences ? La présidence française permettra-t-elle d'accélérer la mise en _uvre de ces alternatives au carburant d'aujourd'hui ?

M. Claude Gatignol : Je m'arrêterai, comme beaucoup de mes collègues, au problème des infrastructures. Le port de Cherbourg est la tête de pont d'une autoroute maritime qui draine du trafic à la fois vers l'Irlande et toute la Grande-Bretagne de l'ouest. Il passe par Cherbourg beaucoup de passagers avec leurs voitures et de nombreux camions qui se dirigent ensuite vers l'Europe du sud. Or, cette Région n'est desservie par aucune autoroute, et nous ne voyons rien venir, sauf de vagues projets sur la transformation de la partie Cherbourg-Caen en véritable autoroute.

Au-delà de l'autoroute maritime transManche, je voudrais évoquer le projet transatlantique, dont la réalisation entraînerait une augmentation de fret considérable, car le trafic concernerait l'Europe entière.

Cherbourg aura-t-il la possibilité de traiter cet accroissement de fret soulageant ainsi le trafic dans la Manche ? Si ce n'était pas le cas, c'est un port hollandais qui recueillerait le trafic. Il faut préciser que le fer ne possède ni la capacité, ni la rapidité nécessaires pour évacuer à lui seul tout le supplément de trafic ; les grands projets de ce type ont-ils été programmés à l'échelon français ? Peuvent-ils s'inscrire dans un programme européen ?

Il faudrait prévoir des crédits d'études de ce projet car les enquêtes préliminaires sont longues. Il faudra recueillir de nombreux d'avis car ces infrastructures traverseront vraisemblablement une zone sensible ou un parc naturel. On ne nous donne pas beaucoup d'espoir quant à la réalisation de toutes ces infrastructures.

J'ajoute que ces questions ont été évoquées dans le cadre de la préparation des contrats de plan Etat-régions mais il faut qu'un projet ait reçu un label européen, par exemple, ou que les pouvoirs publics fassent savoir qu'il s'agit là d'un dossier prioritaire pour que cela aboutisse.

M. Lucien Guichon : Je vous ai écouté avec beaucoup d'attention et je partage votre souci concernant la position du fret routier par rapport au fret ferroviaire.

Dans mes anciennes fonctions, j'ai travaillé avec des transporteurs et avec la SNCF. Si cette dernière a perdu une grosse part du marché, ce n'est pas une question de prix, mais une question de délais. Ainsi, par exemple, lorsque nous envoyions de la marchandise du département de l'Ain, elle mettait entre 4 jours et trois semaines pour arriver dans les Deux-Sèvres. Dans ces conditions, il arrive un moment où l'on abandonne le fer au profit de la route.

Est-il possible ou non de respecter les délais pour le transport de marchandises par fer ? Tout le problème est là ; à partir du moment où les délais seront respectés, vous verrez que le transport ferroviaire reprendra le dessus.

M. Hubert du Mesnil : Je vais sans doute vous décevoir, car il me faut reconnaître que je n'ai pas dans mes compétences celles relatives aux infrastructures routières, qui relèvent, comme vous le savez peut-être, de la direction des routes. Je m'abstiendrai donc d'en parler. Je suis quand même avec intérêt la réforme autoroutière en cours de négociation avec Bruxelles dans des conditions difficiles. L'objectif est de terminer rapidement la négociation. Il faut d'ailleurs souhaiter que celle-ci soit achevée avant la présidence française, car la fonction de président nous oblige à respecter un certain nombre de règles de comportement et je ne suis pas sûr que ce serait un avantage de devoir traiter cette question après le 1er juillet. Certains indices me font penser que l'on est peut-être sur le point d'aboutir.

En matière autoroutière, il n'y a pas de problème de financement car la route dégage suffisamment de trafic pour générer des recettes suffisantes pour s'auto-financer. Le problème est de financer les autoroutes à faible trafic et par ailleurs, de ne pas faire de « cadeau d'autoroutes » là où il y a beaucoup de trafic, et où elles sont déjà amorties. Il faut organiser une structure financière de péréquation de l'ensemble. Au total, je n'ai pas d'inquiétude sur la possibilité d'autofinancer les autoroutes, malheureusement c'est presque trop facile quand on voit la tendance naturelle au développement du trafic.

En revanche, bien sûr, la question du mode ferroviaire ne se pose pas dans les mêmes termes.

Vous avez abordé la question des infrastructures ferroviaires. Les contrats de plan qui ont été négociés ont réservé une place aux investissements ferroviaires qui est tout de même assez remarquable : 8 milliards de francs, c'est tout de même bien, surtout que s'y ajoutent les grands programmes TGV en cours, comme par exemple le TGV Est ou le TGV franco-espagnol.

Je crois qu'il faut prendre acte qu'il y a eu, pratiquement dans toutes les régions un engagement admis assez largement, des collectivités régionales avec l'Etat, pour développer les investissements ferroviaires. Ceci était effectivement nécessaire car, dans certains endroits, existent de véritables problèmes de capacités.

Si vous allez à Lyon, par exemple, vous voyez dans la gare des trains de marchandises qui passent au milieu des quais de voyageurs, qui se suivent les uns derrière les autres, on voit bien que cela ne fonctionne pas. Il existe un certain nombre de n_uds, de zones denses, je pense aussi à l'Ile-de-France, où on constate des concentrations de trafics. Vous pouvez avoir par ailleurs de nombreuses voies disponibles, certaines pratiquement pas du tout utilisées, mais il nous faut traiter les bouchons.

Il me semble que cette priorité a été suffisamment affirmée, d'ailleurs par tout le monde, RFF, SNCF, l'Etat, les régions et qu'un large consensus existe maintenant pour traiter cette question dans les prochaines années. Les financements qui ont été mis en place me paraissent pouvoir permettre d'aller de l'avant.

Je voudrais aussi vous indiquer que sans attendre de traiter ces questions de capacités et de n_uds, il y a encore de quoi faire. Je vais prendre l'exemple qui me paraît le plus frappant, le tunnel du Fréjus. Certes, il faut avancer sur le grand projet Lyon-Turin, qui coûtera 70 milliards de francs. Mais, il existe à Modane aujourd'hui un tunnel ferroviaire qui est utilisé à la moitié de sa capacité alors que le tunnel routier, lui, est saturé, puisque le tunnel du Mont-Blanc est fermé. Voilà donc au même endroit un tunnel routier qui est tellement chargé que l'on est obligé de réguler le trafic, de prendre des précautions exceptionnelles pour éviter de nouveau un accident, tout cela dans un contexte local et une émotion que vous connaissez bien. Au même endroit, vous avez un tunnel ferroviaire qui, lui, dans son état actuel, est utilisé à moitié de sa capacité. Donc, sans investir, on pourrait faire circuler aujourd'hui deux fois plus de trains, là où par ailleurs la route est déjà surchargée.

Vous voyez donc que même s'il existe des problèmes de capacité, d'investissements qu'il faut traiter à la fois au niveau national, régional, mais aussi au niveau européen, il y a tout de suite et d'abord un problème de qualité, un problème d'exploitation, un problème de temps de parcours ; cela a été évoqué tout à l'heure. Le problème primordial n'est pas celui de la capacité, mais celui du fonctionnement de l'entreprise SNCF et de la mobilisation de toutes ses forces pour développer cette activité, alors que jusqu'à présent, et je crois qu'il faut avoir l'honnêteté et la lucidité de le reconnaître, ce n'était pas une priorité pour l'entreprise SNCF qui consacrait ses forces à d'autres sujets, où elle a d'ailleurs fort bien réussi, comme le TGV.

Il faut absolument refuser l'attitude qui consisterait à se renvoyer la balle, les pouvoirs publics disant « la SNCF n'a qu'à s'organiser pour bien travailler », ou la SNCF disant aux pouvoirs publics « vous n'avez qu'à d'abord me financer de nouveaux tunnels ». Il n'y aura de progrès dans le transport ferroviaire que s'il y a, sans attendre, un engagement complet et simultané des pouvoirs publics dans le financement des infrastructures et de l'entreprise SNCF pour faire du transport de fret un vrai métier, qui puisse se comparer au concurrent qui s'appelle la route. Se comparer avec la route, cela implique de ne pas faire passer les trains de fret uniquement lorsqu'il y a de la place, et ne pas les faire circuler quand les TGV sont tous passés ; cela veut dire ne pas attendre d'avoir un conducteur qui soit disponible, quand il l'est, pour faire passer son train, cela veut dire au contraire s'engager dans le service que l'on rend à son client, s'engager sur une date, s'engager sur une qualité, s'engager sur un prix, et s'en donner les moyens.

Il faudrait que le transport de marchandises soit traité avec autant d'exigence que le transport de voyageurs. Quand un train TGV arrive en retard, la SNCF considère qu'elle doit dédommager ses clients. Vous savez que vous pouvez dans ce cas vous faire rembourser votre ticket ou avoir un bon pour un autre voyage. Je pense qu'il faut faire aussi bien pour le fret. A l'instar du transport routier, un contrat avec une entreprise ferroviaire, devrait garantir la livraison à J plus 1 avant midi, comme disent les messagers, quel que soit l'endroit. Il me semble qu'il devrait être toujours possible de traverser la France en moins de 24 heures en train.

Il faut organiser des liaisons Lille-Marseille, Lille-Perpignan ou Strasbourg-Bordeaux sur lesquelles la SNCF s'engage sur un résultat vis-à-vis de ses clients. Lorsque le transport de fret par fer aura changé de nature, qu'il se sera établi en véritable métier et qu'il proposera des performances équivalentes à celles de la route, la SNCF pourra effectivement vraiment changer, changer de ton, changer de nature dans cette activité, avec en vue l'objectif qui a été fixé par le ministre, de doubler son activité de fret en une dizaine d'années.

Cela veut dire changer fondamentalement l'organisation interne et l'affectation des moyens. Vous avez peut-être déjà vu dans la presse que l'entreprise s'apprête à commander de très nombreuses locomotives, parce qu'elle n'a aujourd'hui ni les moyens ni l'organisation pour satisfaire cette ambition.

Chacun a vraiment sa part dans cette lutte. Il faut que la SNCF sente bien que tout le pays, et notamment tous les élus, attendent d'elle qu'elle s'engage résolument vers la réalisation de cet objectif. Les pouvoirs publics et les collectivités prendront leur part de cet effort. Je crois qu'il faut vraiment que chacun se sente complètement engagé dans cette grande affaire.

Au sujet du transport routier dans le contexte de l'élargissement de l'Union européenne, vous avez raison, on ne devrait pas se lancer dans cette belle aventure de l'élargissement en étant inconscient des risques que l'on prend. Je suis allé à plusieurs reprises en Europe centrale, ces derniers temps, parce que nous coopérons avec ces pays et principalement avec la Pologne pour les aider à adopter les mêmes règles pour le transport routier que nous. Il ne suffit pas de dire que c'est dangereux pour nous d'accueillir les pays d'Europe centrale. Le mieux est de les aider à se mettre au même niveau que nous. Nous avons passé un contrat avec la Pologne et des fonctionnaires s'installent là-bas pour les aider à adopter les mêmes règlements que nous.

Quand on va dans les pays de l'Est, on est frappé de voir les risques que nous courons. Ces pays avaient un transport ferroviaire très puissant, une économie planifiée, administrée. Les gouvernements avaient décidé que le fer était le mode de transport dominant et cela marchait. Ces pays changent d'économie et apparaissent un démantèlement et un déclin très rapides du transport ferroviaire et l'irruption du transport routier à une vitesse foudroyante. En Pologne par exemple : les nombreux ouvriers mis au chômage par l'industrie lourde ont leur permis de conduire, trouvent un camion à bon prix et se mettent sur le marché du travail. Des milliers de conducteurs sont en train de se lancer dans cette aventure, parce que c'est pour eux la reconversion la plus facile et la plus tentante. Le commerce de ces pays avec toute l'Europe augmente et c'est très bien comme cela ; il va de soi que ce marché est à la portée de leurs mains et n'importe qui peut entrer dans ce jeu.

Si l'élargissement de l'Europe continue à se dérouler ainsi, je nous promets à tous beaucoup de soucis. Il faut être tout à fait conscient que le volet « transports » n'est pas le plus facile ni le plus agréable de l'élargissement. C'est peut-être un de ceux où les risques de déstabilisation sont les plus grands. Il ne faut pas refuser de regarder cela en face, il faut au contraire être tout à fait lucide et agir. Cela veut dire établir des normes européennes exigeantes, les imposer aux pays d'Europe centrale comme un préalable à leur entrée dans l'Union européenne et les aider à les adopter en allant là-bas mettre au point avec eux les règles, les normes, les conditions de formation des conducteurs, et faire tout ce qu'il faut pour que, se mettant aux mêmes normes que nous, ils trouvent leur place en utilisant, encore, le plus possible, leurs transports ferroviaires et en refusant cette tentation de facilité qui consisterait à foncer « tête baissée » dans le transport routier.

Pour terminer sur les énergies nouvelles, je voudrais évoquer le volet de la normalisation et celui de la fiscalité.

Sur la normalisation, les normes européennes de pollution des moteurs ont été améliorées par phases successives : normes EURO 1, 2 et 3. En matière de rejets, des progrès tout à fait substantiels ont été réalisés. Les nouveaux véhicules, qu'il s'agisse des camions, des autobus, ou des autocars, ont des rejets qui sont maintenant bien moindres. La technique industrielle va de l'avant, poussée par cette normalisation qui est, je crois, la bienvenue. Reste le problème du stock des véhicules anciens, et notamment dans les pays de l'Est où de nombreux véhicules sont loin de répondre aux normes EURO 3.

La fiscalité quant à elle, est utilisée pour inciter les transporteurs à utiliser les carburants nouveaux, dans différents pays européens et en particulier en France. C'est là une préoccupation qui est assez largement partagée par beaucoup de pays qui ont une sensibilité environnementale assez forte. L'industrie est bien rentrée dans ce jeu et a fait de gros progrès. Les entreprises de transport sont disposées à accompagner cette politique car elles y trouvent un certain nombre d'avantages. Souvent, en s'engageant en faveur de l'environnement et des énergies nouvelles, elles améliorent en même temps globalement leur fonctionnement interne. La rentabilité du transport est au total encore suffisante pour permettre ce genre d'efforts.

Les transporteurs routiers font valoir qu'ils progressent beaucoup sur les questions d'environnement et que l'on a tort de les désigner comme étant des grands pollueurs. Le transport demeure toutefois le secteur qui « crache » le plus de gaz à effet de serre. Même si de gros progrès sont réalisés sur les normes de pollution des carburants, le volume du transport augmente tellement vite qu'au total, les quantités de gaz rejetées continuent à augmenter et par conséquent, nous n'avons pas encore atteint l'engagement pris par la France de stabiliser ces émissions de gaz. Il reste donc de quoi faire.

Les progrès techniques existent, il faut le reconnaître et ils sont les bienvenus, mais ils ne peuvent pas à eux seuls permettre d'atteindre l'objectif, s'il n'y a pas en même temps un rééquilibrage intermodal. Il faut être également très lucide sur ce point.

Je ne reviendrai pas sur le franchissement de zones sensibles et l'intérêt de s'engager dans des recherches nouvelles de liaisons de transports combinés ou de ferroutage. Nous croyons beaucoup à la constitution de ce réseau européen de fret. L'idée n'est pas de disperser nos forces car nous n'avons pas besoin de faire circuler des marchandises internationales sur la totalité des réseaux. Il y a de grands axes du réseau européen par où passent les grands flux de marchandises, ces axes partent notamment des ports, car les grands trafics internationaux sont encore assez largement maritimes.

Nous avons conçu ce réseau comme cela. Pour reprendre le propos de M. Jean-Jacques Filleul, après avoir bien démarré, la commission européenne a contribué à instaurer un certain flottement en laissant à chaque Etat le soin de définir son réseau un peu comme il le voulait. Nous avons l'intention de montrer que la France, dans cette affaire, n'a pas cherché à garder son approche nationale. Nous avons résolument pris le parti d'un réseau européen. Il ne faudrait pas, qu'après avoir dessiné ce réseau européen sur une carte, chacun se replie sur lui-même.

M. Léonce Deprez : Est-ce que le réseau européen aura un financement européen suffisant ?

M. Hubert du Mesnil : Le problème n'est pas seulement d'établir une carte, il est surtout d'admettre que sur ce réseau, on organise une exploitation européenne, un financement européen et une gestion qui pourrait aller jusqu'au rapprochement des entreprises ferroviaires et à la constitution de filiales. Vous savez que c'est déjà en train de se faire, ce qui permet d'avoir une unité de commandement et de gestion bien au-delà de nos frontières. Je suis convaincu que pour gagner, il faudra quelques entreprises ferroviaires de dimension européenne qui maîtriseront des trafics d'un bout à l'autre de l'Europe. Si l'on ne s'engage pas résolument avec une vision complètement européenne, on peut craindre le pire pour le transport de fret.

Il faut profiter de ce deuxième semestre pour soutenir cette idée, qui progresse. Le directeur général des transports de la commission européenne, M. Lamoureux, qui est un Français comme vous le savez, disait avec raison, que si nous n'avons pas assez vite une inversion de tendance et des résultats qui passent du « moins » au « plus », c'est toute la politique européenne qui sera mise en doute. Si dans les deux ans ou trois ans qui viennent, on n'assiste pas à une augmentation réelle, un début de redressement, alors que toutes les forces sont mobilisées sur ce sujet, ce sera un échec aux conséquences considérables.

Je dois vous dire d'ailleurs que les résultats pour 1999 de la SNCF n'étaient pas du tout satisfaisants de ce point de vue. Certes, depuis la fin de l'année dernière, on constate un changement tout à fait remarquable, mais il faut que cela continue. Nous enregistrons des taux de croissance de 5, 7, 8, 11 % dans le transport combiné depuis 4 mois. Par rapport à la croissance économique actuelle, il faut avoir pour objectif une croissance du fret comprise entre 5 et 10 % en tendance continue. Ce n'est pas quelque chose d'exorbitant, car c'est un taux régulièrement atteint dans le transport routier. Il faut donc que le transport ferroviaire augmente au moins autant sinon il continuera à régresser en part relative.

C'est bien cela le grand défi. Il faut que tout le monde prenne bien conscience de ce qui nous attend. Si l'on ne prend pas ce cap, la situation continuera à se dégrader, et plus la conjoncture économique globale sera bonne, plus la situation se dégradera.

M. Pierre Ducout : Je vous remercie Monsieur le directeur ; la France est en position géographique centrale et a donc des responsabilités particulières. Nous suivrons ce dossier de près.


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