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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES

COMPTE RENDU N° 55

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 mai 2000
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Pierre Ducout, vice-président,

puis de M. Jean-Michel Marchand, président de la mission d'information
sur la pollution atmosphérique urbaine

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Maurice TUBIANA, membre de l'Académie des sciences, directeur honoraire de l'Institut Gustave Roussy, M. Bernard TISSOT, correspondant de l'Académie des sciences et M. Michel AUBIER, professeur de médecine, chef du service de pneumologie à l'hôpital Bichat, sur la question de la pollution atmosphérique urbaine

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- Informations relatives à la commission

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La commission a entendu M. Maurice Tubiana, membre de l'Académie des sciences, directeur honoraire de l'Institut Gustave Roussy, M. Bernard Tissot, correspondant de l'Académie des sciences et M. Michel Aubier, professeur de médecine, chef du service de pneumologie à l'hôpital Bichat, sur la question de la pollution atmosphérique urbaine.

M. Jean-Michel Marchand, président de la mission d'information sur la pollution atmosphérique urbaine, a rappelé que cette mission avait été créée au sein de la commission de la production et des échanges et qu'elle procédait à sa première audition. Il a également rappelé qu'elle était composée de Mme Annette Peulvast-Bergeal, rapporteur, MM. Maxime Bono, Daniel Marcovitch, André Godin et Michel Grégoire pour le groupe socialiste, MM. Jacques Pelissard, Robert Galley et Serge Poignant pour le groupe du Rassemblement pour la République, M. Claude Gaillard pour le groupe Union pour la Démocratie Française-Alliance, M. Gérard Voisin pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants, M. Michel Vaxès pour le groupe communiste et lui-même pour le groupe Radical, Citoyen et Vert.

M. Maurice Tubiana a souligné qu'il était auditionné au titre de président du comité de l'environnement de l'Académie des sciences et au titre de cancérologue. Le comité de l'environnement s'attache à examiner les effets de l'environnement sur la santé. Il serait en effet grave que des allégations sans fondement soient utilisées à des fins politiques ou commerciales. Il faut donc, dans ce domaine, faire preuve de la plus grande rigueur méthodologique possible. Le comité travaille dans cette optique.

Il a donc fait appel à des experts en statistiques pour analyser la validité des méthodes utilisées. En effet, l'épidémiologie est une science difficile car il est délicat de distinguer l'importance respective des différents facteurs provoquant la maladie. Ainsi, la pollution est généralement associée à d'autres facteurs : le facteur climatique (les pics de pollution intervenant notamment lors de canicules ou en cas de brouillard), et le facteur tabac (lorsque l'on compare des villes à faible et haut taux de pollution, on constate que ce facteur peut être écrasé par les effets du tabagisme qui peuvent être jusqu'à cent fois supérieurs aux effets de la pollution).

Il est donc indispensable d'élaborer des modèles mathématiques complexes pour dissocier les différents facteurs. Ces modèles sont fondés sur des hypothèses dont il faut systématiquement examiner la validité. Force est de constater que certains articles publiés dans des revues internationales ne respectent pas cette rigueur méthodologique.

En matière de pollution atmosphérique, les conclusions sont assez nuancées. De nombreux travaux n'ont pas respecté l'exigence de méthodologie. Pour autant, l'ensemble des travaux menés converge pour constater un effet de la pollution sur la santé, cet effet étant cependant difficile à évaluer. Les chiffres obtenus sont souvent très fantaisistes du fait de la non discussion de la validité des modèles mathématiques utilisés.

Il faut en effet de nombreuses années pour obtenir un consensus sur la méthodologie employée et sur les résultats des études. A cet égard, deux exemples sont éclairants. Le tabac constitue le toxique le plus puissant dans l'environnement puisqu'il est à l'origine d'un tiers des décès d'hommes de 30 à 65 ans et de la moitié des cancers des hommes situés dans la même tranche d'âge. Il a fallu, pour parvenir à cette conclusion, dix années de travaux difficiles, de 1950 à 1960. Concernant les effets du tabagisme passif, il a fallut dix-sept ans pour parvenir à des conclusions consensuelles, les études ayant été menées de 1980 à 1997. La controverse n'est donc pas exceptionnelle dans les sciences qui sont caractérisées par la dialectique. Mais il convient avant tout de rechercher des arguments rationnels et d'examiner leur validité.

La question des effets de la pollution atmosphérique sur la santé n'a été posée qu'en 1990. La communauté scientifique ne dispose donc d'études contradictoires que sur les dix dernières années. De réels progrès ont été réalisés, puisque l'on sait aujourd'hui que la pollution atmosphérique a un effet sur la santé. On ne peut cependant pas l'évaluer quantitativement, sauf en termes de limites inférieure et supérieure. Les travaux menés ont abouti à des conclusions qui sont encore fragiles et qu'il convient d'analyser et de conforter ; en l'absence de conclusions quantitatives, la priorité doit donc être donnée à la recherche. Il existe certes un consensus quant aux effets de la pollution atmosphérique pour les travailleurs qui sont professionnellement exposés à des taux de pollution élevés : le risque de cancer des poumons au sein de cette population augmente mais il demeure très faible. Si on extrapole ces résultats à l'ensemble de la population, ce risque est quasiment négligeable par rapport au risque encouru en cas de tabagisme passif. La communauté scientifique disposera de réponses plus précises d'ici cinq à dix ans.

Puis M. Michel Aubier, après avoir rappelé qu'il était pneumologue, a insisté sur la forte exposition des poumons à la pollution atmosphérique, puisqu'au repos les poumons absorbent 10 000 litres d'air par jour, ce chiffre s'élevant de 20 000 à 30 000 litres en période d'activité.

Il a signalé que la pollution avait fortement évolué. Au XIXème siècle, il s'agissait essentiellement d'une pollution industrielle acido-particulaire. La pollution en dioxyde de soufre et en particules a aujourd'hui diminué grâce aux progrès réalisés sur les installations fixes. En revanche, la pollution photo-oxydante liée aux transports a augmenté.

La puissance des nouveaux outils de recherche permet aujourd'hui de détecter des seuils faibles à partir desquels la pollution a des effets sur la santé. Signalant qu'il dirigeait une unité de recherche sur les maladies respiratoires à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), M. Michel Aubier a fait part des conclusions auxquelles les études étaient parvenues : depuis vingt ans, dans tous les pays industrialisés, on peut observer une croissance des maladies respiratoires typiquement environnementales comme l'asthme. Ainsi, sur une population d'étudiants parisiens, on a constaté que dans les années 1970, 3 % souffraient d'asthme et 4 % de rhinites allergiques, cette proportion passant, dans les années 1980, à 6 % pour l'asthme et 10 % pour les rhinites, et en 1995 à 15 % pour l'asthme et 30 % pour les rhinites. Les prévalences doublent donc tous les dix ans. La cause ne peut en être qu'environnementale car ces maladies nécessitent une prédisposition génétique et les évolutions génétiques ne se manifestent pas sur une période de vingt à trente ans.

On peut dénombrer trois types de maladies liées à la pollution atmosphérique : les cancers, notamment bronchiques, les infections respiratoires et l'asthme et les rhinites allergiques. Concernant le cancer bronchique, les études montrent que les travailleurs exposés à la pollution (conducteurs de poids lourds, personnes travaillant dans des garages...) sont soumis à un risque très faible, quasiment négligeable, par rapport à celui encouru en cas de tabagisme passif. S'agissant des infections respiratoires, on manque encore de données : les techniques à mettre en _uvre sont délicates et l'on ne dispose pour l'instant d'aucune preuve sur le plan épidémiologique. Enfin, concernant l'asthme et les rhinites allergiques, certains éléments expérimentaux ont été réunis. Notamment, les particules de diesel peuvent faciliter les réactions allergiques pour des seuils d'allergènes plus bas que si les sujets n'étaient pas exposés à ces particules. Elles ont donc un effet adjuvant mais ne sont pas allergènes.

En matière d'effets épidémiologiques, il convient de distinguer les effets immédiats des effets sur le long terme pour éviter de créer des confusions dans les esprits. De ce point de vue, l'asthme est un excellent exemple. Beaucoup d'études ont montré que les symptômes de l'asthme s'accroissent chez les sujets asthmatiques avec l'accroissement de la pollution. Ce point recueille un accord général des scientifiques. Cependant, les risques épidémiologiques sont faibles même s'ils sont certains, et les effets épidémiologiques ont un caractère transitoire (qui dure quatre à cinq jours, avec un décalage de deux jours par rapport à l'accroissement de la pollution qui a été relevée) même s'ils sont fréquents.

L'analyse des effets sur le long terme de l'accroissement de la pollution sur l'augmentation du nombre d'asthmatiques doit-elle conclure à considérer l'asthme comme une maladie liée à la pollution atmosphérique ? M. Michel Aubier a indiqué que les études réalisées donnaient une réponse clairement négative. Une étude de Mme Von Mutius portant sur la population allemande vivant aussi bien dans les Länder occidentaux, soucieux de leur environnement, que les Länder orientaux, où il existait une forte atmosphère acido-particulaire, est particulièrement intéressante car elle montre que le nombre de sujets asthmatiques est plus important à l'ouest qu'à l'est. Ce résultat s'explique sans doute par le mode de vie de ces différents habitants, ceux des Länder occidentaux ayant un mode de vie dit occidental. D'ailleurs, on constate que dix ans après la chute du mur de Berlin, les modes de vie sont quasiment devenus identiques et les différences en matière de rhinite allergique ont disparu même si elles subsistent faiblement pour l'asthme.

Trois séries d'explications ont été avancées pour comprendre ce résultat :

- dans les Länder occidentaux, la population vit essentiellement dans des villes et passe 80 % de son temps dans des lieux fermés et isolés où les conditions de température et d'humidité favorisent la multiplication des acariens, moisissures (alternaria notamment) et champignons qui provoquent des réactions allergènes chez les sujets prédisposés ;

- l'alimentation des habitants des Länder occidentaux est plus industrielle. Elle incorpore donc des conservateurs, colorants, etc. ainsi que des huiles d'arachide qui sont allergisantes ;

- il existe une relation inverse entre le développement des allergies et l'amélioration de l'hygiène. Cette opposition résulte du fait que le système immunitaire des enfants des villes occidentales se développe vers un phénotype allergique car leurs lymphocytes, exposés à aucun allergène in utero, sont peu sollicités par un environnement aseptisé.

Ainsi, en Europe, on constate que les maladies allergènes sont nombreuses dans le nord de l'Europe, alors qu'Athènes, ville méridionale très polluée, connaît très peu de cas d'asthmes. De même, si l'on compare deux enfants vivant à la campagne, l'un dans une ferme, l'autre sans contact avec les animaux, on constate que le premier développe beaucoup moins de maladies allergènes.

M. Michel Aubier a conclu que les mécanismes cellulaires et moléculaires des maladies allergènes comme l'asthme et la rhinite allergique étaient connus. La pollution atmosphérique peut aggraver un asthme existant mais ne le crée pas. Elle joue en fait un rôle mineur dans les maladies allergènes alors que d'autres éléments, comme le tabagisme, sont beaucoup plus importants. Il conviendrait de développer la recherche pour mesurer précisément ce rôle marginal.

M. Bernard Tissot a indiqué que si des corrélations entre la pollution atmosphérique et les maladies allergènes existaient, elles étaient d'un niveau très faible, à la limite du significatif. Il a toutefois souligné que le rapport de l'Académie des sciences avait été établi à partir d'études portant sur Paris et quelques villes européennes. On ne pouvait donc pas tirer les mêmes conclusions avec des villes comme celles de Pologne qui, en raison de l'utilisation massive du charbon, ont une atmosphère comparable à celle des villes anglaises des années 1950.

Du fait que l'électricité et le carburant automobile sont les deux principales sources d'énergie utilisées en France et en Europe occidentale, l'atmosphère de ces pays est dans un état exceptionnel comparé à celui du tiers monde ou de quelques centre-villes des Etats-Unis où le charbon reste une source d'énergie très importante. En outre, il est quasiment impossible de transposer les conclusions des nombreuses études effectuées sur Los Angeles à des villes n'ayant pas les mêmes caractéristiques géographiques et météorologiques de celles étudiées.

M. Bernard Tissot a ensuite dénoncé l'insuffisance de l'information permettant de mesurer les rapports entre les polluants extérieurs et ceux existant à l'intérieur des locaux. Il a rappelé que les mesures de la qualité de l'air de Paris, qui portent sur les quantités d'oxydes de carbone, de soufre et d'azote, ne peuvent pas être comparées à des mesures de qualité de l'air dans les locaux dans la mesure où les données n'existent pas dans ce dernier cas. Dès lors, il faut se méfier des annonces de décès importants dus à des pics de pollution (on a évoqué quelque trois cents morts par an sur la région parisienne) puisque ces morts sont des personnes dont les maladies cardio-vasculaires ou respiratoires étaient dans un état avancé et qui n'étaient pas en mesure de sortir à l'extérieur.

Par ailleurs, l'Académie des sciences a constaté que les mesures des différents polluants en ville évoluaient de manière corrélée. Les scientifiques sont en fait dans l'incapacité de rattacher chaque polluant de l'air à une pathologie précise comme on peut le faire pour la présence de plomb dans l'eau potable ou dans l'air. Réduire les niveaux des seuls oxydes d'azote ou de l'ozone n'entraînera pas automatiquement une réduction des risques pour la santé.

Cependant il apparaît qu'un élément semble constituer à lui seul un risque pour la santé : les particules noires. Ces particules ont une taille moyenne de 0,1 micron sur les moteurs modernes. Dès lors que les particules sont mesurées globalement en poids pour une taille inférieure à 10 microns ou 2,5 microns, il est difficile d'en tirer une information précise sur les particules fines.

En outre, l'évolution des moteurs, notamment avec le développement de l'injection directe, fait que ceux qui fonctionnent à l'essence et ceux qui consomment du diesel présentent au point de vue des émissions des caractéristiques de plus en plus voisines et en particulier émettent tous deux des particules fines. Or ces particules, susceptibles de franchir plus facilement la barrière des voies respiratoires supérieures, paraissent les plus dangereuses.

La présence de composés considérés par le Centre international de recherche contre le cancer comme cancérigènes est également rarement mesurée de façon individuelle.

D'une manière générale, tant pour ce qui concerne le contraste entre l'air intérieur et l'air extérieur que pour la mesure des facteurs de risque, l'information disponible est donc insuffisante.

Elle est particulièrement lacunaire quant aux expositions individuelles pour lesquelles interviennent des facteurs tels que l'urbanisme, des immeubles élevés pouvant par exemple favoriser la formation de tourbillons.

Les évaluations parfois présentées par la presse du coût financier pour la collectivité de la pollution atmosphérique relèvent de la plus haute fantaisie. Elles reposent d'ailleurs sur une méthodologie qui consiste à additionner les dépenses évaluées pour chaque polluant ce qui n'est pas correct puisqu'il ne s'agit pas de paramètres indépendants dont on pourrait isoler les effets. En outre, 80 % à 90 % du coût total résultent en général du coût de la vie humaine qu'il est pourtant bien difficile sur le plan juridique ou éthique d'évaluer.

En ce qui concerne les évolutions dans le domaine du raffinage et des moteurs, un des progrès les plus significatifs est la diminution des rejets d'oxyde de soufre. D'ailleurs, les alertes à la pollution à Paris sont désormais liées à la concentration en hiver d'oxyde d'azote et, en été, d'ozone. La diminution des rejets des polluants dont l'émission est réglementée a été très importante, une réduction par un facteur compris entre 30 et 50 est constatable depuis 1972. Ont en effet été mis en place à partir de 1973 les pots catalytiques sur les voitures à essence puis, en 1997, les pots d'oxydation sur les véhicules consommant du gazole et enfin, aujourd'hui, des pièges à particules.

M. Bernard Tissot a rappelé qu'en conséquence le remplacement de l'ensemble des véhicules anciens ne bénéficiant pas de ces équipements par des modèles récents, s'il était, par miracle, possible, conduirait à diminuer d'environ 80 % la pollution atmosphérique dans Paris. Cela entraînerait toutefois des difficultés sociales probablement au moins aussi importantes que le problème de santé publique lié à la pollution.

Lorsque l'on évoque la question de la pollution par les véhicules, il convient d'ailleurs de rappeler quelques éléments pas toujours bien connus.

Tout d'abord, il faut noter que les véhicules utilitaires sont responsables du tiers de la consommation de carburant et que des solutions permettant de limiter leur utilisation ou d'améliorer leurs caractéristiques techniques peuvent probablement être bien plus utiles qu'une action sur les voitures individuelles.

Les cyclomoteurs (mais non les motos de grosse cylindrée) constituent une autre source de pollution souvent sous-évaluée, M. Bernard Tissot se déclarant notamment indigné de les voir parfois assimilés aux vélos alors qu'ils polluent davantage que les plus grosses berlines puisqu'ils ont en général un vieux moteur à deux temps comparable à celui des Trabant est-allemandes.

Il faut également prendre en compte le fait que la modification des comportements individuels peut être bien plus utile que la sévérité croissante des normes. La conduite dite sportive est par exemple beaucoup plus polluante qu'une conduite plus souple avec des émissions jusqu'à trente fois supérieures. Il est à cet égard regrettable que la législation ait longtemps favorisé les boîtes mécaniques encourageant la conduite sportive par rapport aux boîtes automatiques tout comme elle encourageait d'ailleurs les moteurs diesel lorsqu'ils étaient plus polluants que les moteurs à essence.

M. Bernard Tissot a conclu son intervention en estimant que des efforts de recherche étaient particulièrement nécessaires en biologie, en épidémiologie, en météorologie et en modélisation.

Mme Annette Peulvast-Bergeal, rapporteur de la mission d'information, a tout d'abord remercié les personnalités auditionnées d'avoir remis les problèmes à leur juste place et a estimé que les conclusions présentées ouvraient de nombreuses pistes de travail.

Elle a ensuite souhaité que davantage de précisions soient apportées sur la question de l'articulation entre les pollutions intérieure et extérieure, sur les effets des combinaisons de polluants et sur les perspectives de recours à des carburants spécifiques pour la circulation urbaine. Elle a également souhaité savoir si la situation était identique dans les différentes grandes villes françaises telles que Paris, Marseille et Lille.

M. Daniel Marcovitch a lui aussi remercié les intervenants pour la qualité de leurs exposés. Il a ensuite rappelé que dans sa circonscription des cours d'école jouxtaient les voies de chemins de fer desservant la gare de l'Est qui ne sont pas encore électrifiées et qu'en y exerçant comme médecin, il avait constaté un accroissement des pathologies respiratoires telles que les rhinites parmi les enfants. Il a souhaité savoir si la notion de bronchiolite asthmatiforme liée à l'influence de la pollution atmosphérique était pertinente et quelles étaient les conséquences en termes de pollution de l'utilisation de locomotives diesel.

Mme Michèle Rivasi a souhaité revenir sur les différents exposés et sur les rôles respectifs des responsables politiques et des scientifiques. Les personnes auditionnées ont indiqué que des études épidémiologiques ne mettaient pas en évidence de relations entre la pollution et la santé mais que pourtant l'asthme et les rhinites allergiques étaient de plus en plus fréquents.

Mme Michèle Rivasi s'est en conséquence demandé si les études épidémiologiques étaient bien un outil adapté à ce que l'on veut montrer et si des problèmes dans le protocole expérimental n'expliquaient pas une incapacité à identifier les polluants.

Elle a ajouté que le fait de dire que l'augmentation des affections respiratoires n'est pas liée à la pollution mais plutôt, par exemple, aux évolutions des modes de vie conduit à l'immobilisme. Or la réalité est que, même si la pollution est moindre qu'elle a pu être, elle provoque tout de même davantage de pathologies respiratoires. Elle a estimé que le fait que cette situation puisse notamment résulter d'un affaiblissement des défenses immunitaires ne remettait pas en cause l'obligation pour les responsables politiques d'agir afin de diminuer la pollution dans les villes. Cela implique des mesures et dans le domaine des transports il faudra par exemple encourager le développement du ferroutage et tout de même diminuer le nombre de voitures.

Répondant aux différents intervenants, M. Maurice Tubiana a rappelé que la question fondamentale à laquelle il convenait de répondre était la suivante : quel type de pollution est à l'origine de la dégradation de la qualité de l'air ?

Reprenant les propos tenus par Mme Michèle Rivasi, il a indiqué qu'agir sans savoir présentait le risque de se tromper de cible. L'exemple des affirmations lancées concernant la prétendue influence des champs électromagnétiques sur le développement des leucémies chez certains enfants est à cet égard édifiant. En effet, une récente étude de l'organisation mondiale de la santé a montré que ces craintes n'étaient pas fondées et, qu'en conséquence, il avait été sage de ne pas engager inconsidérément des financements importants qui se seraient révélés inutiles.

Après que Mme Michèle Rivasi eut contesté la pertinence de cette étude, M. Maurice Tubiana a poursuivi en indiquant que la communauté scientifique internationale a beaucoup étudié le phénomène de la dégradation de l'air extérieur et s'est peu intéressée aux problèmes liés à l'air intérieur. Or, aujourd'hui chaque individu passe environ 80 % de son temps dans des locaux. Il faut donc désormais se livrer à une étude portant non pas sur un groupe d'individus mais s'attachant à des personnes prises isolément, à leur mode de vie, aux types de polluants auxquels elles sont exposées.

S'agissant de la pollution atmosphérique due aux transports, il est plus facile d'entreprendre des études significatives sur les sujets professionnellement exposés, tels les chauffeurs de poids lourds ou les personnes travaillant dans les garages. Dans ce domaine, on peut s'interroger sur le rôle tenu par la médecine du travail.

M. Maurice Tubiana a estimé qu'il ne fallait pas s'étonner de la lenteur avec laquelle avancent les connaissances épidémiologiques liées à la pollution de l'air. Ainsi, il a fallu une dizaine d'années pour démontrer que le tabagisme introduit un risque relatif de l'ordre de 10  à 20 (ce qui signifie que la fréquence des cancers des poumons est 10 à 20 fois plus élevée chez les fumeurs que chez les non-fumeurs). Pour le tabagisme passif, ce risque relatif est de 1,3 (équivalant à 30 % de cas de cancers en plus chez les personnes au contact de fumeurs que chez les non-fumeurs non exposés) ; sur ce point, il a fallu près de vingt ans à la science pour établir un lien de causalité. Enfin s'agissant de la pollution atmosphérique, le risque relatif varie entre 1,02 et 1,05. Le lien de causalité n'est pas encore clairement démontré mais devrait finir par l'être après de longues et coûteuses études.

M. Michel Aubier a confirmé que la question de la dégradation de l'air intérieur n'est pas assez prise en compte alors que ce phénomène est manifestement en cause dans l'augmentation des cas d'asthme et de rhinite. Dans certains locaux (par exemple, dans une cuisine équipée d'appareils fonctionnant au gaz), on peut fréquemment enregistrer des concentrations de dioxyde d'azote de 1000 à 2000 microgrammes par m3 (soit des valeurs supérieures à celles engendrées par les transports).

S'agissant du cas particulier des 18ème et 19ème arrondissements de Paris, il est évident que les locomotives équipées de moteurs diesel génèrent des concentrations de particules et aggravent de ce fait la santé d'enfants déjà considérés comme « à risque ».

Quant à la multiplication des cas de bronchiolites, les études actuelles n'ont, pour le moment, pas établi de relations de causalité avec la pollution atmosphérique ; plusieurs autres facteurs peuvent en être la cause comme le développement des solutions de gardes communes des enfants (crèches, garderies). Une étude actuellement en cours, financée par le ministère de l'environnement et portant à la fois sur l'adulte et l'enfant, devrait permettre d'améliorer nos connaissances sur ce point.

M. Bernard Tissot a indiqué que la convergence qu'il avait précédemment soulignée entre les « propretés » respectives des moteurs à essence et des moteurs diesel concernait uniquement les automobiles. Les locomotives diesel demeurent de conception plus ancienne et sont donc plus polluantes.

Le rapport de l'Académie des sciences plaide pour l'usage de carburants alternatifs comme le gaz de pétrole liquéfié (GPL) ou le gaz naturel pour véhicules (GNV). Ce dernier présente l'avantage d'être peu polluant puisqu'il émet seulement de l'oxyde d'azote et de faibles quantités d'hydrocarbures imbrûlés et d'hydrocarbures polyaromatiques et ne relâche aucun produit soufré dans l'atmosphère. Le problème principal du GNV est qu'il implique un réservoir de taille importante rendant ce carburant principalement adapté aux poids lourds. Le GPL, pour sa part, nécessite des réservoirs spécifiques équipés de soupapes afin d'éliminer les risques d'explosion. Il existe aux Pays-Bas et en Italie un vaste parc de voitures fonctionnant au GPL. De ce fait, les points d'approvisionnement sont nombreux et les modèles automobiles peu onéreux. Des chaînes de production françaises sortent maintenant des véhicules équipés pour fonctionner au GPL mais ceux-ci coûtent plus chers que ceux fonctionnant avec des carburants classiques. Les utilisateurs de petits véhicules urbains de livraisons devraient constituer une des cibles privilégiées des constructeurs d'automobiles fonctionnant au GPL.

Abordant le problème des caractéristiques locales des pollutions atmosphériques urbaines, M. Bernard Tissot a indiqué que c'était principalement le degré d'information qui variait sensiblement d'une ville de France à une autre. Ainsi en Ile-de-France, le nombre de stations de mesure va en diminuant fortement lorsqu'on s'éloigne de Paris intra-muros. Or, la formation de l'ozone qui se fait par photochimie et qui nécessite du temps, n'engendre pas des pics d'ozone au-dessus de la ville de Paris, mais, en raison des vents dominants, au-dessus de la forêt de Rambouillet.

Après que M. Maxime Bono eut demandé ce que l'Académie des sciences pensait du véhicule électrique, M. Bernard Tissot a indiqué que ce problème était évoqué dans le rapport de l'Académie consacré à la pollution atmosphérique due aux transports. Dès maintenant, les flottes captives des administrations pourraient fonctionner à l'électricité mais pour un usage routier, ce type de véhicule continue à se heurter au problème de son autonomie. La véritable solution d'avenir pourrait résider dans la mise au point de véhicules hybrides propulsés par l'énergie électrique produite par une batterie rechargée par un moteur diesel fonctionnant hors ville et dans les conditions optimales indépendantes des caractéristiques de la route et du trafic.

En réponse à M. Félix Leyzour, qui souhaitait savoir si des études particulières avaient été entreprises sur la qualité de l'air dans les zones aéroportuaires, M. Bernard Tissot a répondu que l'Académie des sciences s'était intéressée, il y a quelques années, au problème posé par les émissions d'oxyde d'azote dues aux avions. Elle en avait conclu que si ces émissions ne présentaient pas de risques considérables pour les populations, en revanche, les émanations de kérosène pourraient affecter les personnes travaillant sur les plates-formes aéroportuaires.

Les émanations de carburant sont aussi source de pollution. En France, si des règles ont été édictées pour les stations-service, il n'en existe pas encore pour les véhicules. Or un véhicule garé en plein soleil produit autant d'hydrocarbures imbrûlés qu'un véhicule roulant.

Après que M. Jean-Michel Marchand eut marqué son étonnement sur le fait que le véhicule hybride fonctionnant partiellement avec un moteur diesel soit présenté comme une propulsion d'avenir respectueuse de l'environnement, il a demandé si l'Académie des sciences considérait les biocarburants non dangereux pour la santé. M. Bernard Tissot a indiqué que ce type de carburant constituait une source potentielle de formaldéhyde et d'acétaldéhyde, polluants classés comme cancérigènes. Mais, par ailleurs, les biocarburants n'émettent pas d'oxyde de soufre d'où la position nuancée de l'Académie des sciences à leur égard. M. Michel Aubier, confirmant cette analyse, a indiqué qu'avec ce type de carburant, on ne résolvait pas le problème de la pollution atmosphérique due aux transports, puisqu'on substituait un inconvénient à un autre.

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Informations relatives à la Commission

La commission a ensuite procédé à la désignation de candidats pour siéger à deux éventuelles commissions mixtes paritaires:

- l'une chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains; ont été nommés :

comme membres titulaires : comme membres suppléants :

MM.  Patrick Rimbert MM.  Yves Dauge

Daniel Marcovitch Alain Cacheux

Jean-Jacques Filleul Pierre Cohen

Gilles Carrez Serge Poignant

Marc-Philippe Daubresse Henry Chabert

Mme Janine Jambu Jean Proriol

M. Aloyse Warhouver Pierre Cardo

- l'autre chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la chasse ; ont été nommés :

MM.  François Patriat MM.  André Vauchez

Pierre Ducout Mme Monique Denise

Christian Bataille MM.  Jean-Paul Chanteguet

Jean-Claude Lemoine Christian Jacob

Charles de Courson Didier Quentin

François Liberti Antoine Carré

Jacques Desallangre Jean Proriol


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