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DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE

Audition de Mme Bettina Laville, conseillère du Premier ministre pour l'aménagement du territoire et l'environnement

Réunion du jeudi 27 janvier 2000

Présidence de M. Philippe DURON, Président

M. le Président : Madame la conseillère du Premier ministre, je vous souhaite la bienvenue.

La Délégation a choisi de commencer ses travaux par l'étude des contrats de plan État-régions actuellement en cours de signature. Elle s'intéresse tout particulièrement au volet territorial de ces contrats et souhaite que cette réunion porte sur ces thèmes. En effet, la loi du 25 juin 1999, dans ses articles 25 et 26, offre la possibilité aux nouvelles mailles territoriales que sont le pays et l'agglomération de contractualiser avec l'État dans le cadre du contrat de plan État-régions.

Le Premier ministre, lors du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 23 juillet 1999 a indiqué que 20 % des enveloppes des contrats de plan seraient consacrés au volet territorial. Depuis, des chiffres différents ont parfois été fournis aux préfets et aux élus. On a pu ainsi leur dire que ce volet territorial pourrait atteindre le tiers des montants du contrat de plan.

D'autre part, ce dispositif autorise et encourage les régions et les départements à s'agréger à l'État et à compléter ainsi le financement des projets territoriaux.

Dans les faits, la réalité est plus complexe. Pays et agglomérations sont en voie de constitution, rapide il est vrai, ce qui montre que les lois Voynet et Chevènement répondent à une attente des élus.

Les projets territoriaux sont eux beaucoup plus embryonnaires et ne seront pas soumis à contractualisation pour le plus grand nombre avant des mois, voire plusieurs années. Ce délai d'élaboration, de maturation nécessaire des projets, a été admis par le Gouvernement qui autorise une contractualisation jusqu'en 2003.

Mais les contrats de plan étant opérationnels à partir de cette année, comment réserver des crédits pour des projets dont on ignore aujourd'hui le contenu ?

Le risque n'est-il pas que l'addition des lignes de crédits des actions de l'État et de la région sur un même territoire vaille projet territorial ? C'est ma première question.

Ma deuxième interrogation porte sur les périmètres pertinents. La loi a indiqué que les pays devaient se rapprocher des bassins d'emploi. Or, sur le terrain, j'observe que de nombreux élus travaillent sur des projets plus réduits, plus proches du bassin de vie, qu'il s'agisse d'une substitution à une coopération intercommunale défaillante, d'un espace de notabilité, d'un espace de résistance à la ville. Ces pays qui s'organisent bénéficient souvent du soutien des services de l'État pour élaborer leur territoire.

Aussi, je souhaiterais savoir si les préfets arrêteront des périmètres par trop insuffisants et s'ils accepteront que l'État contractualise avec ces territoires. On reviendrait alors plus à une logique de guichet qu'à une logique de projet que la loi et le Gouvernement ont voulu encourager.

Ma troisième interrogation, au moment où l'on signe ces contrats de plan État-régions, est la suivante : la loi indique que les administrations s'appuieront sur les pays pour organiser leurs services. On a également prévu dans la loi tout un dispositif favorisant l'émergence de maisons des services publics pour garantir un égal accès de tous les citoyens à ces services.

Les élus et notamment les membres de cette Délégation, sont conscients de la nécessaire modernisation des services publics, mais soucieux à propos de sa mise en œuvre. Depuis quelques jours, nous avons des inquiétudes quant aux annonces qui seront faites par les ministres des finances et du budget concernant la mission 2003, notamment pour savoir si, demain, l'organisation des services publics structurera encore les pays, s'il y aura une territorialisation de l'action de l'État dans les pays, dans les agglomérations, notamment pour les perceptions -c'est le sujet d'actualité, les perceptions étant l'interface indispensable et le conseil des collectivités locales.

Voilà quelques questions pour lancer la discussion et favoriser le débat.

Mme Bettina Laville - Je vous remercie de m'avoir adressé cette invitation qui a pour sujet le volet territorial de l'aménagement du territoire dans son entier, au-delà des contrats de plan.

Mme Dominique Voynet, dans ses v_ux à la presse, a indiqué que ce volet territorial était pour elle synonyme de modernisation de la politique d'aménagement du territoire. C'est effectivement tout à fait exact. Cela a été exigé par les articles 25 et 26 de la loi d'aménagement du territoire que M. le Président vient de rappeler. C'était, plus que la lettre, l'esprit de la loi qui a instauré les communautés d'agglomérations.

Je partage votre constat de départ selon lequel la concrétisation risque d'en être difficile -je ne dirai pas plus facile à dire qu'à faire, puisque l'administration et l'art de gouverner consistent à faire après avoir dit- et cela pour trois raisons.

La première raison est que cela bouleverse -c'est l'intérêt de l'entreprise- toutes sortes de pesanteurs administratives et surtout de sentiments de "propriété" qu'ont toutes les administrations, et particulièrement certaines, par rapport à leurs services régionaux. Je crois que nous n'avons pas encore en France, malgré des textes parfaitement explicites à ce sujet, mesuré combien les préfets de région quand il s'agit de l'espace régional -et il s'agit plutôt de l'espace régional dans l'organisation dont nous parlons- ont le pouvoir de représenter l'ensemble des politiques de l'État, c'est-à-dire, normalement, de les mêler. Il est bien question ici d'harmonie.

Bien entendu, l'ensemble des textes de la décentralisation l'ont parfaitement précisé, mais il n'empêche que les ministères ont dans les régions ou dans les départements -la plupart du temps dans les deux- des services régionaux et départementaux auxquels ils donnent des instructions que reçoivent tous les préfets. Les directeurs régionaux et départementaux ne peuvent évidemment pas prendre de décision sans en référer aux préfets. C'est l'esprit.

Dans la lettre parfois et dans la pratique encore plus, les choses restent scindées. C'est ce que ces lois ont voulu combattre. Etant donné la complexité des actions à mener sur le terrain, il est clair que nous ne pouvons agir de façon morcelée. L'esprit même des deux lois Voynet et Chevènement est l'inverse du morcellement des actions ; c'est au contraire leur harmonie et leur synergie.

La deuxième difficulté à mettre en œuvre cette politique tient, a contrario, au fait que dès lors que, dans le cadre de la contractualisation, les ministères ont défini des politiques spécifiques, ils doivent contrôler leur bonne application. Il ne faudrait pas, qu'au travers de la territorialisation et des instruments assez autonomes que sont le pays ou l'agglomération, cette politique se dilue dans des espaces territoriaux où l'on ne retrouverait pas l'origine des actions décidées.

Par exemple, la ministre de la Culture a souhaité que la politique de diffusion culturelle s'adresse prioritairement aux milieux défavorisés. Or, très souvent, les pays sont en milieu rural et revendiquent de fortes politiques culturelles. C'est d'ailleurs très positif car de telles politiques sont nécessaires en milieu rural. Les crédits iraient-ils vers ces pays prioritairement ou vers les milieux défavorisés particulièrement des villes ? Voilà un choix à faire et un équilibre à garder.

Deuxième exemple relatif à l'ensemble des politiques agricoles. Les pays, quand ils se constituent, revendiquent de fortes politiques agricoles, mais vous savez que la priorité du ministère de l'agriculture est accordée aux contrats territoriaux. Il faut une synergie entre les contrats territoriaux et les pays. Un pays peut parfaitement comporter dans un de ses volets agricoles, une somme très intéressante de contrats territoriaux visant une activité agricole spécifique. Mais il faut y veiller ; tout cela n'est donc pas simple.

Troisième série de problèmes relatifs à la technique financière et budgétaire. Quand nous avons travaillé sur ces questions, le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement avait demandé que les crédits soient fongibles, c'est-à-dire qu'il y ait une part de crédits mise à disposition du secrétariat général aux affaires régionales (SGAR). Au départ, la demande du ministère était de 30 %. Plus modestement, nous avions réfléchi à 10 %. Les ministères renonçaient à 10 % sur telle ou telle ligne particulièrement adaptée à la politique d'agglomération ou de pays ; celle-ci était mise à disposition du SGAR à la préfecture de région. Il s'agissait d'instiller dans les pays ou dans les agglomérations -en l'occurrence, plus particulièrement dans les pays- des politiques harmonieuses pour mener des actions pas forcément nomenclaturées dans les politiques de l'État au niveau du document budgétaire, mais constituant des ajouts intéressants.

Je suis formelle : à moins de changer l'ensemble des règles d'inscription des crédits en loi de finances, ce n'est pas possible. Bien au-delà d'une opposition et d'une crispation des ministères à renoncer à orienter leurs crédits, c'est tout simplement que la loi de finances est fondée non seulement sur l'annualité, mais également sur la spécificité. Ce n'est donc pour l'instant pas envisageable.

Personnellement, au niveau régional, je crois que cela pourrait entraîner certaines dérives. Autant des crédits ciblés peuvent être adaptés, autant des crédits non ciblés ainsi mis à disposition me paraîtraient comporter des risques de dérives par rapport à une demande locale forte. Je vais revenir de ce point de vue sur le pays et la communauté d'agglomérations.

Malgré ces difficultés d'application, cette politique a des avantages considérables parce qu'elle est fondée sur le besoin réel d'évaluer les aspirations de la population de manière beaucoup plus proche qu'on ne le fait aujourd'hui.

Pourquoi fait-on un pays, une agglomération ? Pour pouvoir traiter toutes sortes de problèmes, premièrement à meilleure échelle et deuxièmement ensemble. A meilleure échelle, c'est l'agrandissement du territoire puisque le pays va au-delà de la commune et du groupement de communes, et que la communauté d'agglomérations va au-delà de l'agglomération et de la communauté de communes. Il y a donc une meilleure prise en compte de l'élargissement, réel, de l'espace de vie quotidienne.

Dans les deux cas, c'est le projet qui est central. Cela a été très bien exprimé dans les lois ; le problème est de le faire garder bien présent à l'esprit des membres du corps préfectoral et surtout des élus qui sont à l'origine de la constitution d'un pays ou d'une agglomération.

Le projet peut être extraordinairement divers, même s'il est plus encadré dans la loi Chevènement que dans la loi d'aménagement du territoire qui définit ce qu'est un pays.

Ce projet est un projet de territoire : on se rassemble non seulement pour être à meilleure échelle, non seulement pour être plus "ensemble", mais pour faire quelque chose et pour mettre en commun les moyens nécessaires.

J'insiste sur ce point car je vois des dérives actuellement dans la constitution d'un certain nombre de pays. Heureusement elles ne sont pas majoritaires -la politique des pays est globalement un succès- mais je les évalue personnellement autour de 30 %. Ce sont ce que j'appelle la tentation des "pays de notables". Je ne parle pas de couleur politique ; gauche ou droite, il y a des exemples dans chaque camp. Le notable d'un territoire ferait un pays pour rassembler et de fédérer autour de lui un certain nombre d'élus en privilégiant l'alliance plutôt que le projet. Ce sera le rôle des préfets de regarder à quel point il y a projet derrière tout cela. Nous serons assez vigilants sur cette question ; il faut que les élus, et particulièrement les députés, le sachent. Nous avons donné des instructions très précises aux préfets à ce sujet.

La richesse de ces nouveaux espaces d'intercommunalité n'est en rien de résoudre l'actuelle réflexion sur les régions, les départements et les communes. Ces politiques ne sont pas des succédanés à des réformes qui commencent seulement à être mises en chantier avec la commission sur la décentralisation présidée par M. Pierre Mauroy. Il suffit de confronter les politiques menées grâce aux fonds structurels dans les autres pays européens sur des critères communs pour se rendre compte de la difficulté à faire entrer des politiques européennes dans les espaces de nos masses de granit révolutionnaires - les communes et les départements- puis des régions.

Même si ce sont des espaces institutionnels au titre de la loi Chevènement, le pays et l'agglomération sont plus, à mon sens, des espaces de travail. C'est le terme que je préfère. C'est à partir de ces expériences de travail que l'on pourra tirer des enseignements sur la décentralisation.

Je voulais rappeler un certain nombre de textes, au-delà des articles 25 et 26 évoqués par M. le Président.

Je veux d'abord parler de la circulaire du Premier ministre qui donne le mandat de négociation à l'ensemble des préfets, c'est-à-dire la circulaire publiée en août dernier, après les arbitrages financiers de juillet. C'est à partir de ces mandats que les préfets ont négocié le contrat de plan et c'est à partir de cette négociation que le Premier ministre a définitivement arbitré le montant de 120 milliards de francs pour l'ensemble de la contractualisation.

Tous ces mandats de négociation comportaient deux parties : une première partie commune pour exprimer la politique de l'État, une seconde partie qui s'adressait à la région spécifique. Ils indiquaient que "le volet territorial regroupe les politiques ayant vocation à s'inscrire dans un projet de territoire -vous voyez que le terme de projet est au centre de tout cela-. Il se présente notamment sous la forme d'un cadre à l'intérieur duquel il convient d'identifier, avec toute la souplesse nécessaire, d'une part les contrats de ville et d'autre part, les projets de territoires porteurs d'une stratégie globale de développement en faveur desquels l'État et la région sont prêts à se mobiliser de manière spécifique avec les collectivités locales concernées, dans le cadre de contrats de pays, de contrats d'agglomération, de chartes de parc naturel régional (existantes ou potentielles). Ces contrats pourront être signés jusqu'en 2003".

Ce paragraphe recèle trois idées principales : le projet, la souplesse dont j'essaierai de vous dire comment nous l'avons organisée, et une date fondamentale : l'année 2003.

Comme M. le Président l'a dit tout à l'heure, nous avons pensé que l'on ne pourrait pas faire en deux ans, en un an et bien entendu encore moins avant la signature du contrat de plan -il n'en est pas question- tous les projets d'agglomération, tous les projets de contrat de pays viables. Sans cela, nous n'aurions pas de projets, mais un rassemblement hasardeux d'opportunités -je n'ai pas dit d'opportunismes- sur une démarche territoriale qui ne correspond pas du tout à l'esprit de la loi.

Aussi avons-nous retenu l'année 2003 qui a la sagesse -car de temps en temps, il faut faire la part au fonctionnement de la démocratie, c'est-à-dire la politique- d'intervenir après les grandes échéances politiques qui nous attendent et, en particulier, après les élections municipales. Actuellement, à un an des municipales, on voit que toutes ces politiques ne peuvent pas être menées de façon sereine. Dans quel coin de France l'ensemble des forces politiques sont-elles complètement d'accord sur un projet un an avant les municipales ? Sûrement dans des endroits bénis !

A l'intérieur de ce mandat, le Premier ministre expliquait comment on allait faire pour traduire les politiques de l'État par une action territoriale. Il disait que cette action devait permettre d'accompagner les dynamiques de projets en proposant un mode d'organisation du territoire plus efficace, en intensifiant la mobilisation des initiatives locales et en renforçant la cohésion de l'action publique. C'est le sens -je crois- de la dernière question de M. le Président.

Nous arrivons dans ce texte du Premier ministre, au point important : "Il conviendra de préserver dans le volet territorial (...) pour la durée du contrat, des financements suffisamment importants pour permettre à l'État de participer aux contrats de pays, d'agglomération et aux chartes de parc naturel régional".

Il est précisé très clairement que des crédits seront réservés. Cela signifie que, dans les deux premières années, certaines lignes pourront être utilisées à des actions communes, pas forcément ciblées dans le contrat de futur pays ou de la future communauté d'agglomérations. Des actions peuvent être commencées d'ailleurs sans qu'il y ait constitution de ces territoires. On peut faire des actions dans des quartiers, sur des communautés de communes qui, au contraire, lancent la mécanique. Ou bien, on peut donner des crédits qui permettent peu à peu la constitution de cette mécanique. On peut donner des crédits d'étude pour le projet.

Cela dit, dès 2001 -il y aura des contrats de pays à partir de 2001- à partir de 2002 et encore plus à partir de 2003, puisque la grande vague est attendue cette année là, il y aura des crédits réservés pour ces politiques territoriales et ciblées qui concernent trois secteurs :

· le développement économique (ministères de l'industrie, de l'agriculture et de la pêche, des PME, du commerce et de l'artisanat, du tourisme, de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie) ;

· la solidarité et les services au public (ministères de l'emploi et de la solidarité, de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, de la jeunesse et des sports, de la santé, de la ville, de la justice, de la culture) ;

· l'aménagement durable du territoire (ministères de l'aménagement du territoire et de l'environnement, de l'équipement, des transports et du logement, de l'agriculture et de la pêche).

Les actions contractualisées pourront en particulier porter sur -il y a là toute une liste que je tiens à votre disposition -l'encouragement des systèmes locaux de production, la formation, le développement des missions locales, les nouvelles technologies de l'information, le logement en milieu rural et dans les villes moyennes, la lutte contre l'exclusion, la valorisation de l'environnement, la gestion intégrée des pollutions et des risques, le tourisme et les projets pour la jeunesse.

Au niveau technique, "certaines de ces actions pourront relever de lignes budgétaires non contractualisées dans le contrat de plan État-régions". Cela veut dire qu'il y a une part contractualisée, le volet territorial des contrats de plan, et cela veut dire que l'on peut aussi avoir recours pour ces politiques à des lignes budgétaires non contractualisées ayant déjà fait l'objet d'un arbitrage et qui devraient être officialisées par l'ensemble des ministères.

S'agissant des agglomérations, les trois grands thèmes suivants ont été retenus :

· développement économique (ministères de l'industrie, des PME, du commerce et de l'artisanat, du tourisme, de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie) ;

· développement urbain équilibré avec une gestion mieux maîtrisée de l'espace, valorisation des tissus urbains et lutte contre la ségrégation urbaine (ministères de l'équipement, des transports et du logement, de l'aménagement du territoire et de l'environnement, de la ville) ;

· qualité urbaine, qualité de l'environnement et des services urbains (ministères de l'aménagement du territoire et de l'environnement et ses agences, de la culture, de l'équipement, des transports et du logement, de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, de la jeunesse et des sports, de la santé).

Suit une autre liste d'actions contractualisées. Cette politique pourra être dans la contractualisation, mais aussi relever de lignes budgétaires non contractualisées dans les contrats de plan État-régions.

On est descendu dans les détails parce que cette politique n'est concrète que lorsqu'elle est détaillée. Autrement dit, il ne s'agit pas de dire "l'Europe, l'Europe" ou "le volet territorial, le volet territorial" comme je l'entends un peu dire parfois, mais il s'agit de concrétiser cette politique par des actions spécifiques.

Le cabinet du Premier Ministre a demandé à la DATAR d'élaborer un document à l'usage des élus nationaux, des maires et présidents de communautés de communes et de conseillers généraux et régionaux. Il faudra officialiser cette politique et savoir que les élus participant à la constitution d'un pays ou d'une communauté d'agglomérations ont le droit, dans la limite des crédits disponibles, de demander à tel ministère et donc à tel service régional, l'usage de telle ou telle ligne.

C'est pourquoi le 23 novembre dernier a été organisée une réunion sur le volet territorial des contrats de plan État-régions. Sans entrer dans le détail, je vais néanmoins en retracer l'essentiel.

Le ministère de l'aménagement du territoire a rappelé lors de cette réunion qu'il y avait des politiques exclues de la territorialisation, comme celles par exemple des infrastructures de transport, réseaux interurbains, grands équipements universitaires, tout cela correspondant à 40 % des enveloppes régionales attribuées au titre du contrat de plan. Cela va de soi. D'autres lignes ont vocation à animer cette politique de territorialisation, particulièrement les lignes concernant la politique de la ville, des lignes du FNADT et d'autres lignes réparties dans l'ensemble des ministères.

L'appréhension, qui aurait pu être aussi la vôtre, était que le FNADT soit l'instrument exclusif de cette politique de territorialisation. Le ministère de l'aménagement du territoire le craignait beaucoup car c'est son instrument de liberté et d'intervention. Mais les élus, et particulièrement ceux qui sont maires, doivent le craindre encore plus car c'est souvent avec cet instrument, et au-delà des dotations globales d'équipement, qu'ils bouclent les financements de certains projets.

Or, le FNADT pour lequel les arbitrages sont rendus au niveau du Premier Ministre est un instrument très intéressant. C'est l'un des rares instruments qui reste libre dans l'État et qui permet de boucler des projets qui ont tous une action d'aménagement du territoire, mais également d'intérêt local parfois très ciblé. Je crois que l'on manque de ce type d'instruments.

L'ensemble des ministères a identifié ses lignes. Bien entendu, cela ne s'est pas fait tout seul. En quoi cela consiste-t-il pour un ministère ? Cela consiste à faire deux opérations psychologiquement très douloureuses et financièrement non anodines, c'est-à-dire identifier une ligne dont ils peuvent donner l'usage complet ou partiel aux préfets de région.

Je prendrai l'exemple des contrats de pays pour l'agriculture et un exemple pour l'ensemble de la politique de la ville.

Au niveau de l'agriculture, dans les politiques prévues dans les contrats de plan, on a pu identifier dix lignes qui correspondent à l'objectif développement durable des activités et des emplois dans l'espace agricole.

Il est évident que la ligne "installation d'agriculteurs et développement d'emplois salariés" a une vocation territoriale partielle. Nous avons donc considéré qu'au fur et à mesure des besoins, ces lignes pouvaient être libérées au niveau régional.

Pour l'agriculture biologique, en revanche, le ministère l'a refusé, parce qu'il considère que c'est une ligne importante pour ses actions de contrats territoriaux d'exploitation. Cela ne veut pas dire que dans un pays, il n'y aura pas de contrat territorial d'exploitation bénéficiant de la ligne « agriculture biologique ». Cela ne veut pas dire non plus que ces pays ne bénéficieront pas du tout de la ligne « agriculture biologique » ; cela veut dire que la décision ne sera pas prise au niveau régional, au niveau du SGAR, mais qu'il faudra pour ce pays négocier avec le ministère ou que le préfet demande l'autorisation au ministère.

Le ministère a également accepté de donner l'usage partiel des lignes suivantes aux préfets de région :

- "valorisation qualitative des produits ;

- "promotion du cheval" ;

- "diversification et insertion dans les territoires ruraux" ;

- "développement des activités de montagne et zones défavorisées" ;

- "diversification et développement local" ;

- "amélioration de la gestion de l'eau et mesures foncières" ;

- "prévention des risques (forêts)" ;

- "gestion durable des forêts".

Le ministère a, en revanche, refusé l'usage d'autres lignes aux préfets de région :

- "appui à la transformation et à la commercialisation des produits", en raison de la sensibilité du sujet, qui relève d'ailleurs d'une politique nationale ;

- "modernisation des établissements d'enseignement supérieur" ;

- "développement de l'enseignement technique, formation, recherche" ;

- "service d'action rurale".

Pour la politique de la ville, la mise à disposition a été partielle pour les lignes :

- "programmes régionaux de santé" ;

- "plans d'action en santé, environnement" ;

- "investissements inscrits dans les SROS" ;

- "dispositifs d'observatoires sociaux" ;

- "programmes d'humanisation des hospices"

- "établissement médico-sociaux pour personnes âgées" ;

- "établissements pour personnes lourdement handicapées" ;

- "logement et intégration" ;

- "populations immigrées" ;

- "accueil gens du voyage" ;

- "formation de travailleurs sociaux".

En revanche, le ministère a refusé pour la parité hommes et femmes et pour les rapatriés. Cela va de soi.

Il a accepté -ce qui est rare- en totalité pour les lignes relatives à l'économie sociale. L'ensemble de ces lignes sont mises à la disposition des régions pour ce type de politique. Le ministère a considéré que l'économie sociale se faisait uniquement sur le terrain.

Quelles sont les lignes qui sont en totalité à disposition de cette politique au niveau régional ?

Il s'agit bien entendu des lignes du FNADT qui concernent pays et agglomérations. En revanche, le ministère de la jeunesse et des sports a une ligne appelée "favoriser le développement territorial" et une autre "restructurer les centres de vacances et de loisir", mises à disposition en totalité au niveau régional. Pour vous, c'est important car cela signifie que ce n'est plus avec le ministère qu'il faut négocier.

Il en va de même pour la ligne intitulée "Créer ou remettre à niveau les installations des collectivités". Ce sont les seules lignes mises à disposition en totalité avec la ligne "tourisme" du ministère de l'environnement.

Nous sommes en train de concevoir un document général sur ce sujet pour que vous ayez tous les éléments d'information nécessaires.

En conclusion, je voudrais aborder plusieurs points. Je ne pense pas que nous soyons encore capables de répondre à la question du service public que vous avez posée à la fin de votre exposé. Bien entendu, des progrès importants ont été faits depuis le CIADT, il y a un an. La circulaire sur la modernisation des services publics est enfin parue et vous avez là un certain nombre d'outils.

Il y a un lien très étroit entre la politique des pays et des agglomérations et la modernisation des services publics. Vous l'avez vu dans les objectifs que donne le Premier ministre dans la circulaire, particulièrement pour le milieu rural ; nous allons faire coïncider une politique de pays et de communautés d'agglomérations avec ce qu'il faut appeler le maintien des services publics. C'est l'objectif. Nous avons veillé à ce que les lignes partiellement mises à disposition puissent le permettre.

Cela dit, je crois que nous avons encore une réflexion à conduire dans ce domaine. Vous avez cité le problème d'actualité, celui de tous les services du ministère des finances. Une fois que les grands arbitrages seront pris, il faudra retourner vers la politique des pays et des agglomérations pour voir comment les traduire au mieux des intérêts. C'est la première conclusion qui est un renvoi à deux mois au niveau de votre Délégation quand nous aurons les idées plus claires dans ce domaine.

La deuxième chose qui me paraît importante dans cette politique de pays et d'agglomérations, c'est le projet. J'étais assez prudente sur une territorialisation plus large, c'est-à-dire finalement la souplesse la plus large possible des lignes budgétaires de l'État. Je ne pense pas qu'une territorialisation budgétaire complète favorise la vigueur d'un projet.

Je crois que le projet doit se faire par rapport aux besoins de la population et non pas par rapport aux lignes disponibles. Nous aurions exactement la même dérive que celle que nous rencontrons dans les politiques d'aménagement du territoire au niveau national. Que fait-on par rapport à ce qui est disponible ? Vous en avez une illustration dans les fonds structurels. Les fonds structurels "permettent de..", donc on fait cela. Le problème n'est pas là. Il se pose en ces termes : "on a besoin de" et "quels sont les meilleurs moyens pour réaliser le projet ainsi défini ?". C'est tout le sens de la notion de "services" que le Gouvernement a remis à l'ordre du jour avec l'instauration des schémas de services collectifs.

Bien entendu, la territorialisation aide, à condition qu'elle soit quand même maîtrisée et qu'il n'y ait pas un effet d'aubaine des crédits territoriaux qui permettraient curieusement une homogénéisation des pays parce que certaines lignes seraient plus faciles à obtenir alors qu'elles ne correspondraient pas forcément au terrain. C'est un débat nourri entre la DATAR, le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement et le Premier ministre.

Je voudrais rendre hommage aux ministères. La DATAR doit se rendre compte à quel point ils ont joué le jeu. Je ne pensais pas, lors de la réunion dont je vous ai parlé, parvenir à une territorialisation partielle de lignes qui sont très importantes pour les ministères et qui font leur visibilité sur le terrain. On comprend très bien qu'un ministère, au niveau central, ne veuille pas s'en départir. Il faut donc le mettre au crédit de l'action de la ministre, Mme Dominique Voynet, qui y tenait particulièrement.

Troisième conclusion, il me semble qu'il reste une difficulté concernant l'harmonisation entre la politique d'agglomération et la politique du contrat de ville. Il faudra sans doute revenir devant votre Délégation pour traiter des « contrats de ville, politique de grands projets urbains, constitutions de communautés d'agglomérations ».

Je suis certaine que cela s'imbrique très bien puisque c'est le même gouvernement qui l'a conçu.

Cela se passera vite et bien en milieu rural car la constitution d'un pays y est vitale. La communauté d'agglomérations représente un atout financier beaucoup plus important. Cette politique d'agglomération est beaucoup plus attractive.

En même temps, arriver à garder l'ensemble des politiques de la ville qui sont offertes et les insérer dans un projet de communauté d'agglomérations n'est pas du tout impossible, mais c'est un exercice qui demande une connaissance remarquable des politiques nationales dans leur finesse et une possibilité de les agréger qui concerne des acteurs multiples. On doit approfondir l'ensemble des politiques.

Je ne voudrais pas que cette conclusion soit négative. Peut-être les représentants du ministère de la ville seraient-ils plus indiqués que moi pour en parler. Je vois quand même chez ceux qui viennent me voir un plus grand engouement pour les communautés d'agglomérations. Comme la loi a rendu la communauté d'agglomérations très attractive au niveau financier, le mouvement est irréversible.

M. le Président - Il y a quelques exemples de résistance tout de même.

Mme Bettina Laville - En même temps, pour englober toutes les politiques, ce sera compliqué. Je pense, à titre personnel, qu'à un moment donné, peut-être en 2003, il faudra des arbitrages de simplification.

M. le Président - Votre intervention a été extrêmement intéressante car elle portait à la fois sur le fond et sur la philosophie qui inspire le gouvernement. Vous avez bien montré l'évolution des réflexions dans les divers lieux où s'élaborent les politiques -Matignon, la DATAR, le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement-, et comment on arrive à la synthèse. Cela nous a fait aussi entrer dans les logiques de territorialisation et connaître la façon dont sont conçus leurs financements.

Pour ma part, cela m'a beaucoup apporté et cela m'a permis de mieux comprendre l'intérêt et la liberté qui restaient pour les collectivités territoriales dans l'élaboration du projet.

Le projet est central et il faut être vigilant pour éviter des dérives qui conduiraient à des effets d'aubaine. Un diagnostic territorial insuffisant, une réflexion trop limitée sur le projet, ne permettraient pas la mise en œuvre des mailles territoriales efficaces. La réflexion sur le projet induit forcément une réflexion sur le territoire.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Je vous remercie d'être descendue à un certain niveau de détails qui nous ont donné une meilleure compréhension. J'avais bien cru comprendre que la vision des pays que pouvait avoir Matignon était plus proche de celle que nous avons sur le terrain que de celle de la DATAR. Pour avoir assisté à de nombreuses réunions dans ma circonscription et dans mon département, sur la constitution de pays, j'ai constaté que la vision de la DATAR ne correspondait vraiment pas à la réalité des faits. Je suis ravie que les choses évoluent et qu'il y ait plus de corrélation entre ces deux visions.

En tout état de cause, il est très important que le Gouvernement ne cesse de rappeler qu'un pays, c'est d'abord un projet, un lieu de travail. Ce serait la négation de tout le travail fait dans la loi si l'on en revenait à des féodalités, surtout à un an des échéances électorales. Ces dérives porteraient en germe la négation du travail que nous avons réalisé au cours des mois écoulés.

Mme Bettina Laville - Nous en avons parlé avec M. le Président. A partir d'un sentiment proche du vôtre, et en même temps, du constat d'un vrai succès de cette politique, les arbitrages que le Premier ministre a faits sur les décrets portant sur les pays exigent une délibération dans chaque commune avant même la définition du périmètre, sauf s'il y avait modification par le Conseil d'État.

Cela ne m'étonnerait pas car je pense que le Conseil d'État sera saisi par des élus. Il y aura arbitrage définitif au retour du Conseil. Mais nous n'avons évidemment pas exigé -car sinon rien ne se ferait jamais- qu'il y ait délibération positive. Après, la définition du périmètre est laissée à l'appréciation du préfet, mais la définition d'un périmètre ne doit pas bloquer le développement d'un pays.

On m'a demandé de ne le faire que par communauté de communes. La question n'a pas encore été tranchée par le Premier ministre ; ni le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, ni le cabinet du Premier Ministre n'y sont favorables. Ce serait trop facile. Il suffirait que le bureau de la communauté de communes délibère et ce serait la confiscation complète d'un pays sur une, voire deux ou trois majorités. Parfois, dans des territoires ruraux, je crois que c'est un vrai problème.

L'appréciation telle qu'elle vient d'être formulée, portée dans les sphères de l'État, serait utile pour rendre compte de l'expérience de terrain. Il me semble parfois que l'ensemble des porteurs passionnés de cette politique -il faut leur rendre hommage car sans cette passion, elle aurait été moins inscrite dans la loi- n'ont pas toujours apprécié les côtés pervers du détournement possible du projet.

M. le Président - C'est sur ce mot ironique ou plein d'humour que nous achevons cette audition en remerciant Mme Bettina Laville de nous avoir consacré une heure précieuse de son temps et en lui renouvelant notre invitation à venir nous parler de la cohérence entre les divers contrats qui concernent la ville et l'agglomération.

Il est vrai que beaucoup d'élus sont perplexes, pour ne pas dire perdus, quand il s'agit d'articuler la communauté d'agglomérations, le grand projet de ville et la politique de la ville alors que toutes ces politiques se mettent en place dans le même temps, avec tout ce que cela peut présenter de difficulté dans la mesure où ce ne sont pas toujours les mêmes interlocuteurs que nous avons en face de nous au niveau de l'État.

Merci beaucoup.


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