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DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE

Audition de MM. Dominique PARTHENAY, Francis AMPE,conseillers, et Nicolas PORTIER, chargé de mission à la DATAR

Réunion du mercredi 1er mars 2000

Présidence de M. Philippe Duron, président

M. le Président : Mes chers collègues, j'ai le plaisir d'accueillir, ce matin, trois personnes qu'il n'est plus nécessaire de présenter lorsqu'on s'intéresse un tant soit peu à l'aménagement du territoire : Dominique Parthenay qui fut, si j'ose dire, notre compagnon de textes durant toute la discussion de la loi, Nicolas Portier dont nous savons tous qu'il est l'homme des pays et que, sans lui, les pays, n'émergeraient pas et Francis Ampe, conseiller à la DATAR, actuellement retenu mais qui nous rejoindra dès que possible.

Nous vous avons invités, ce matin, messieurs, pour vous auditionner sur des thèmes qui sont, bien sûr, vos thèmes de prédilection, à savoir l'émergence des nouveaux territoires mais surtout pour voir avec vous comment vont se mettre en place les contrats territoriaux et leurs financements, la territorialisation des contrats de plan État-Région se mettant en place de façon "plurielle", pourrait-on dire pour reprendre un adjectif à la mode, et diversifiée.

Nous avons donc engagé, avec la Délégation, un travail auprès des présidents de grandes associations d'élus : l'Association des départements de France et l'Association des régions de France.

Nous allons entendre, au cours des deux prochaines semaines, des préfets et leurs secrétaires généraux pour les affaires régionales de manière à avoir l'opinion des représentants de l'État dans les régions. Aujourd'hui, nous souhaitons recueillir le point de vue de ceux qui ont imaginé, d'une part cette construction que constituent les pays et les agglomérations, d'autre part et surtout, la notion de contrat qui se trouve au centre de ce travail. Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous avons demandé de venir parmi nous ce matin.

M. Dominique Parthenay : Nous sommes actuellement au milieu du gué puisque, comme vous le savez, quatre contrats de plan ont été signés et une petite dizaine d'entre eux font aujourd'hui l'objet de documents à peu près stabilisés sur lesquels les collectivités ont délibéré. Nous n'avons donc pas encore une vision définitive de l'ensemble de l'exercice.

Dans ces conditions, les informations que nous pourrons effectivement vous fournir aujourd'hui sont encore incomplètes.

Je m'en tiendrai, pour ce qui me concerne, à une présentation générale, étant entendu que Nicolas Portier pourra également faire un point plus particulièrement sur la situation des pays et la dynamique des territoires. M. Francis Ampe pourra évoquer plus directement la partie "agglomérations". Il conduit maintenant une opération dite "sites témoins" qui reprend un peu, mais dans une urgence plus grande , le dispositif que nous avions lancé au Comité interministériel pour l'aménagement du territoire (CIAT), il y a un peu plus de deux ans, sur les pays et notamment les pays émergents.

Au sujet de cette politique, il me semble qu'il faut peut-être rappeler quelques éléments d'histoire et les principes qui fondent les mécanismes que nous tentons de mettre en oeuvre actuellement à travers le contrat de plan.

J'aborderai très brièvement l'aspect historique en rappelant simplement que, finalement, cette politique de développement territorial se définit, selon la formule de M. Jacques Chérèque dans le rapport que lui avait commandé le Gouvernement sur la modernisation des contrats de plan, de la façon suivante : "un territoire plus une stratégie plus un projet égale un contrat" .

Cette politique s'inscrit dans une durée qui traduit d'ailleurs bien les difficultés, les hauts et bas dont souffrent classiquement les politiques d'aménagement du territoire au sein de la sphère publique, puisque cela fait maintenant une bonne dizaine d'années que nous sommes sur cette problématique.

C'est M. Jacques Chéreque qui, d'une certaine manière, a commencé au début des années quatre-vingt -dix, lorsqu'il était en charge de l'aménagement du territoire et avait mis en place ce qu'on appelait, à l'époque, des "conventions de développement" qui étaient ni plus, ni moins, effectivement, que la traduction de la formule citée plus haut - un territoire, un projet, un contrat - mais qui, à l'époque, avaient été mises en oeuvre de manière expérimentale, sans grands moyens et qui ont souffert de ce dont pâtissent souvent les politiques d'aménagement du territoire, c'est-à-dire d'une durée trop restreinte pour pouvoir s'installer convenablement dans le paysage. D'une certaine manière, ces conventions de développement n'ont pas survécu au gouvernement Rocard et ont disparu de la panoplie des instruments d'aménagement du territoire.

La seconde étape a été celle de la loi Pasqua du 4 février 1995 qui a installé les pays dans le dispositif législatif, reprenant en cela une formule qui avait déjà été assez largement utilisée, puisque les contrats de pays, en tout cas de première génération, dataient des années soixante-dix, à l'initiative d'abord de l'État, ensuite des collectivités locales et des régions en particulier ; mais la loi Pasqua n'avait pas prévu d'instrument pour cette politique.

La troisième étape est celle que nous venons de vivre avec la discussion et le vote de la loi Voynet du 25 juin 1999 qui, me semble-t-il, apporte deux éléments nouveaux par rapport au dispositif antérieur. D'abord, elle fait de cette politique contractuelle l'un des enjeux majeurs de la politique d'aménagement du territoire : elle en fait un outil tout terrain de la politique d'aménagement du territoire, non pas réservé, comme la lecture de la loi Pasqua pouvait le laisser supposer, aux seuls espaces ruraux, mais applicable à l'ensemble du territoire à travers deux types de contrats : les contrats d'agglomérations et les contrats de pays. Ensuite, elle offre la possibilité - et c'est d'ailleurs vous, messieurs les parlementaires qui l'avez prévu - d'articuler sur un même territoire ces deux types de contrat, et, par conséquent, de faire aussi des pays englobant des territoires urbains.

Il s'agit donc d'une politique tout terrain mais surtout d'une politique dotée d'instruments. Je crois, en effet, que la grande innovation tient au fait que nous ne nous situons plus dans un cadre, informel et expérimental, puisque cette politique est adossée aux contrats de plan, ce qui suppose une procédure à la fois lourde en termes de moyens financiers et forte en termes de politique d'intervention publique et qui donne ou devrait donner à cette nouvelle génération de politiques contractuelles une assise beaucoup plus pérenne et beaucoup plus ambitieuse que les tentatives précédentes.

Je soulignerai quelques principes, tout en étant conscient qu'il s'agit pour vous de simples rappels, puisque qu'ils comptent parmi les éléments les plus discutés au cours des débats parlementaires et que les échanges sur ce point ont été très importants.

C'est une politique qui reste clairement, pour le Gouvernement, une politique d'initiatives locales. Cela signifie que l'État ne découpera pas le territoire et qu'il s'appuiera sur des dynamiques territoriales. Cela veut dire aussi, ce qui n'est pas toujours évident - ce sont souvent ceux qui reprochent à l'État son interventionnisme qui sont les premiers à en faire - que ce n'est pas la politique des départements ou des régions, mais que c'est clairement une politique qui doit, d'abord et avant tout, s'appuyer sur la capacité des territoires eux-mêmes à s'organiser et sur les initiatives qu'ils peuvent prendre, évidemment au niveau des collectivités locales, mais également au niveau de leurs acteurs économiques, sociaux et associatifs.

Deuxième principe qui tente de fonder les démarches et les instruments que nous forgeons actuellement, il s'agit d'une politique qui doit s'appuyer sur le partenariat et plus précisément, sur deux types de partenariat.

Premièrement, un partenariat géographique et économique qui est celui de la ville et de la campagne. Il n'y a pas séparation des deux démarches mais, au contraire, tentative de rapprochement, de coordination, de fusion de ces démarches : le dernier recensement de la population dont on commence à maîtriser les résultats montre bien que ce mythe de deux types de territoire ne tient plus et que la fusion est très grande entre les espaces ruraux et les espaces urbains qui sont multiples les uns et les autres.

Deuxièmement, un partenariat entre les collectivités locales qui sont à l'initiative de ces politiques et les acteurs économiques et sociaux sur les territoires, que vous avez formalisé à travers la notion de conseil de développement qui doit, bien évidemment, s'incarner dans le contenu des projets et la maîtrise d'ouvrage d'un certain nombre d'actions relevant de ces politiques contractuelles.

Le troisième principe qu'il est important de rappeler, et qui sera sans doute le plus difficile à traduire dans les faits et dans le pilotage de cette politique, c'est qu'elle est sous-tendue par une exigence de qualité. A cet égard, Mme Dominique Voynet a toujours déclaré qu'elle ne souhaitait pas juger cette politique à l'aune du nombre de contrats signés. L'objectif n'est pas de faire de la quantité - si seulement trois contrats étaient signés nous serions bien évidemment déçus, mais il ne semble pas qu'on en prenne le chemin - ni de couvrir le plus rapidement possible l'ensemble du territoire de contrats mal ficelés, mais d'inscrire dans la durée une politique qui doit aussi se construire avec des exigences de qualité, lesquelles se déclineront autour de trois grands enjeux : la qualité du territoire concerné - cela vaut autant pour les pays que pour les agglomérations - la qualité de l'organisation à la fois du partenariat dont je viens de parler mais aussi de l'organisation qui portera ces projets et la qualité, évidemment, du projet lui-même, de son ambition, de la réalité des actions et de l'adéquation entre les stratégies du territoire et les actions qui seront proposées dans le contrat.

Ce dernier point est évidemment le plus délicat dans la mesure où la qualité ne s'apprécie pas selon un critère unique et où elle suppose d'avoir une approche extrêmement différenciée sur l'ensemble du territoire compte tenu de l'extrême variété de sa typologie : j'y reviendrai puisque nous prévoyons, notamment dans le décret, des processus adaptés. Il n'en reste pas moins que c'est un enjeu majeur du succès de cette politique que d'arriver à un pilotage intelligent de la démarche contractuelle.

Le quatrième principe qui fonde cette politique, c'est qu'elle n'est pas seulement - et ce n'est pas toujours forcément compris comme tel notamment par nos partenaires ministériels - la politique des collectivités locales dans la mesure où elle doit être également porteuse d'un enjeu de modernisation pour l'État lui-même et sa manière d'intervenir sur les territoires.

De ce point de vue, les choix qui ont été faits par le gouvernement et en particulier celui de ne pas constituer de ressources fongibles à l'intérieur des contrats de plan pour financer cette politique à côté des autres politiques, mais de faire appel à l'ensemble des politiques sectorielles des différents ministères portent très clairement cet objectif qui est bien de moderniser la manière de mobiliser l'ensemble des politiques, et non pas de créer une politique supplémentaire.

Je vous dirai, et je ne vous étonnerai sans doute pas, que ce n'est pas la chose la plus facile à faire actuellement ...

M. le Président : C'est le noeud de l'exercice !

M. Dominique Parthenay : L'exercice est difficile pour l'État, mais je découvre - je ne devrais pas dire cela parce que j'ai vécu un problème un peu du même type, à un stade antérieur de mes activités professionnelles, quand je travaillais dans la région Rhône-Alpes - qu'il l'est de la même façon pour les collectivités locales.

On s'aperçoit en effet que ces dernières, lorsqu'elles mènent des politiques contractuelles ambitieuses, les juxtaposent à d'autres mesures existantes, au lieu de changer la manière dont les politiques sont mises en oeuvre.

En termes d'état des lieux, où en sommes-nous actuellement quant à la mise en oeuvre de cette politique ? Deux chantiers sont en parallèle et vont finalement se boucler à peu près dans le même calendrier, ce qui est positif : d'une part, le chantier réglementaire, d'autre part, le chantier contractuel.

Sur le plan réglementaire, nous avions deux articles de loi et donc deux décrets d'application pour la politique des pays et pour celle des agglomérations. Nous sommes un peu plus avancés sur le plan réglementaire en ce qui concerne les pays qu'en ce qui concerne les agglomérations, pour une raison qui tient à des circonstances tout à fait propres à la DATAR : comme je vous l'indiquais, la DATAR s'est renforcée sur le pôle urbain et nous avons attendu ce renforcement pour avancer sur le travail réglementaire, ce qui nous a mis un peu en retard et explique le décalage existant entre les deux décrets.

Le décret sur les pays est prêt. Il a été examiné hier soir par le Conseil national d'aménagement et de développement du territoire et il sera donc adressé dans les tout prochains jours au Conseil d'État. On peut donc attendre sa publication dans le courant du mois d'avril.

Il s'agit d'un décret - M. le Président a assisté au début de la discussion, hier - à qui certains de nos partenaires ont reproché d'être complexe mais il est vrai que l'article de la loi consacré aux pays est riche et qu'il était nécessaire de développer, de préciser un certain nombre d'éléments de procédure de mise en oeuvre, ne serait-ce que les délais de la consultation et ses modalités, pour éviter que la machine ne se bloque.

Il reprend finalement et commente, en les affinant, les procédures de la loi ; il apporte un certain nombre de précisions que la loi n'avait pas traitées et n'avait d'ailleurs pas vocation à traiter. J'en retiendrai deux ou trois qui me paraissent importantes.

Premièrement, il évoque la question des "pays loi Pasqua" puisque, depuis 1995, un certain nombre de pays s'étaient fait constater et qu'on retrouve parmi eux tous les cas de figure, depuis les coquilles vides qui n'ont finalement jamais vécu, jusqu'à certains territoires qui sont aujourd'hui dans une vraie dynamique de projet.

Le décret a donc essayé d'apporter une solution pour l'ensemble de ces pays en proposant de considérer que tous les pays constatés sous le régime de la loi de 1995 sont automatiquement reclassés, au moins au stade du périmètre d'étude, et que, dès lors qu'ils disposeraient d'un document de type charte qu'on peut assimiler dans ses modalités d'élaboration ou dans son contenu à ce que prévoit la loi de 1999 en ce qui concerne la charte de pays, ils seraient classés en pays définitivement constatés.

Cette formule permet à la fois d'éviter à ces structures de recommencer la totalité du processus et d'éliminer celles qui auraient été constatées mais qui, n'ayant pas vécu, ne correspondraient pas, aujourd'hui, à des dynamiques territoriales.

Deuxièmement, le décret mentionne la nécessité de construire, entre l'État et la région, qui sont les deux partenaires du contrat de plan, ce dernier étant la structure d'accueil de contrats particuliers, notamment de pays, une convention d'application qui serait une annexe du contrat de plan et qui permettrait d'expliciter les règles du jeu que se donnent ces deux partenaires au niveau régional pour la mise en oeuvre de cette politique.

Ce souci rejoint ce que je disais tout à l'heure en soulignant que nous sommes confrontés à des situations extrêmement diverses avec des régions qui ont déjà des politiques territoriales fortes, ambitieuses, proches d'une certaine manière de ce que l'État souhaite lui-même conduire à travers cette politique des pays, des régions qui n'ont pas de politique territoriale et des régions pour lesquelles la maille d'organisation est sans doute plus lâche que dans d'autres.

Tout cela suppose une adaptation aux caractéristiques, à la fois géo-économiques et historiques des territoires qui implique que l'on prenne appui sur la réalité locale et non pas que l'on arrête une norme nationale, l'idée étant d'essayer, dans chacune de ces régions, d'avoir un document d'application qui permettrait aux différents partenaires de voir les règles du jeu explicitées quant à la mise en oeuvre de cette politique par les deux partenaires du contrat de plan que sont la région et l'État.

Troisièmement, le décret apporte des éclaircissements sur la mise en oeuvre des pays à charte prescriptive qui seront sans doute consolidés, ainsi qu'on l'évoquait récemment, à travers la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain.

Pour le reste, le texte ne fait que décliner l'ensemble de la procédure en définissant les éléments de procédure sur la constatation à la fois du périmètre d'étude et du périmètre définitif, sur ce que devrait être le contenu, ou pour le moins la forme, de la charte de développement et sur les modalités du contrat.

Au sujet de la contractualisation, je vous soumettrai quelques éléments de perspective, un état des lieux ainsi que quelques interrogations.

L'exercice de contractualisation a été cadré plus particulièrement sur son volet territorial par un certain nombre de circulaires et de mandats de négociation émanant, soit de la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, soit du Premier ministre lui-même. Ces documents ont appelé à ce que l'ensemble des contrats de plan identifient les moyens consacrés à la politique des contrats de territoire, dans lesquels se classent à la fois les contrats de pays, les contrats d'agglomération, les politiques contractuelles avec les parcs naturels régionaux ainsi que le financement, qui ne constitue qu'une partie très modeste de l'enveloppe, des réseaux de ville et naturellement des contrats de ville. C'est ce paquet-là qui forme le volet territorial des contrats de plan.

Le Premier ministre et la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement ont fixé un objectif qui est naturellement un objectif moyen qui demandera, par la suite à être apprécié région par région - certaines pouvant se situer en-dessus ou en-dessous selon leur état au départ - et qui est le suivant : au terme des contrats de plan, soit d'ici à sept ans, 25 % de leur enveloppe devrait se trouver engagée dans ces contrats territoriaux, ce qui représente quand même une somme non négligeable, puisque la masse des contrats de plan représente 120 milliards de francs, ce qui porte l'objectif à 30 milliardss de francs.

On voit bien que cet objectif va au-delà des seuls crédits spécifiquement dédiés aux contrats que sont les crédits de la ville et une partie des crédits du FNADT - Fonds national d'aménagement et de développement du territoire - ou des crédits de l'aménagement du territoire.

Le choix du Gouvernement n'a donc pas été, ainsi que je vous le disais, de retenir un fonds fongible en mettant dans les contrats de plan 30 milliards de francs de côté pour les contrats de territoire et cela pour trois raisons : d'abord, parce que l'exercice était difficile à conduire face aux différents ministères mais plus fondamentalement encore pour deux autres raisons.

La première, c'est qu'à ce jour, on ignore le nombre de contrats signés dans chacune des régions, et sur quoi porteront les contrats. Si nous voulons jouer le jeu de cette politique qui est une politique de projets, nous ne devons pas l'enfermer au départ dans un certain nombre de carcans et de contraintes. On doit pouvoir l'accueillir dans un dispositif relativement souple et non pas l'enfermer dans un dispositif qui calibrerait, dès le départ, le nombre de contrats, le volume financier consacré à chaque contrat, différentes lignes budgétaires finançant ces contrats.

La seconde, c'est qu'il nous paraît important - et c'est sans doute comme je le disais le plus difficile - de ne pas construire à côté des autres politiques mais bien de changer la manière dont un certain nombre de politiques sont mises en oeuvre. C'est l'enjeu d'une plus grande territorialisation d'un certain nombre de politiques publiques.

Les contrats de plan comprennent donc, ou devraient comprendre, une présentation qui permette d'identifier, ligne budgétaire par ligne budgétaire, la partie de ladite ligne budgétaire qui pourrait être contractualisée dans les contrats de territoire, en identifiant à la fois les lignes concernées par ce volet territorial et les enveloppes qui sont susceptibles d'être contractualisées.

Le contrat de plan ne fixera pas un dispositif rigide mais proposera les moyens de mener à bien ces politiques contractuelles. Pour faire simple, on devrait donc retrouver dans chaque contrat de plan, comme c'est le cas dans celui de Basse-Normandie - j'ai voulu apporter un contrat de plan et, au hasard j'ai pris celui du Président de votre Délégation - une présentation des différentes actions, leur identification lorsqu'elles peuvent relever du volet territorial - pour la Basse-Normandie, le choix s'est porté sur un petit logo - et un tableau récapitulatif, ligne budgétaire par ligne budgétaire, dans lequel apparaît la part de la ligne budgétaire qui serait susceptible d'être contractualisée dans un contrat d'agglomération de pays ou autre...On arrive ainsi, dans le contrat de plan de Basse-Normandie, à un total qui est supérieur à l'objectif de 25 % puisque, pour y parvenir effectivement, il faut bien partir avec une ambition plus grande, ce qui explique que l'on se situe, du côté de l'État, aux alentours de 35 % identifiés comme susceptibles d'être territorialisés.

Le troisième élément de construction à l'intérieur du contrat de plan, le levier de cette politique telle que nous l'avons conçue, est le FNADT.

L'idée est effectivement de doter les territoires de moyens d'ingénierie, sous des formes qui peuvent être assez diverses puisqu'elles vont des expertises aux constitutions d'équipes en passant par les moyens d'animation, donc de moyens en matière grise qui nous semblent être incontournables si l'on veut construire dans la durée des stratégies de projets sur des territoires qui, là encore, se trouvent dans des situations extrêmement diverses par rapport à cette capacité de mobilisation de la matière grise.

Puisque nous parlons à la fois des agglomérations et des pays, nous pouvons dire qu'un certain nombre d'agglomérations qui disposent d'agences d'urbanisme ont déjà des structures constituées mais que c'est également le cas, si on regarde du côté des territoires plus ruraux, des parcs naturels régionaux.

L'idée est bien de faire monter en puissance l'ingénierie et d'utiliser de préférence le FNADT pour contribuer à cet apport de matière grise. Dans cette perspective, le gouvernement a accepté, dans le cadre de la préparation du contrat de plan, un quasi doublement des crédits du FNADT, puisque dans les précédents contrats de plan, ils étaient de 4,8 milliards de francs et qu'ils atteindront 8,2 milliards de francs. Ce quasi doublement est totalement dédié à la politique contractuelle, le volet territorial représentant plus de la moitié des 8,2 milliards de francs dans la génération des contrats de plan en cours de signature.

Il reste un dernier point à évoquer mais qui, aujourd'hui, n'est pas tranché et qui concerne la logique et la contrepartie du choix qui a été fait d'identifier dans les différentes lignes budgétaires la partie qui a vocation à se territorialiser. En effet, rien n'interdira - ce qui nous paraissait impossible - de continuer à conduire des opérations dans le domaine agricole, dans le domaine des PMI, ou autre, en dehors des contrats, car on ne peut pas, sachant que tous les territoires ne seront pas sous contrat, réserver, hormis quelques rares cas, les crédits aux seuls contrats, sauf à créer une très forte pression sur eux et à perdre un autre objectif qui est celui de la qualité. Toutefois, si l'on veut qu'il y ait un plus dans les contrats, il reste à le construire.

Le premier avantage est évidemment la participation du FNADT, et la certitude de la pluriannualité des efforts, mais nous souhaiterions - et le principe en avait été arrêté lors du CIAT du mois de décembre 1998 - que les différentes politiques à vocation territoriale puissent, sinon toutes, du moins un certain nombre d'entre elles, faire l'objet de modulations, de façon à ce qu'il y ait un avantage à la contractualisation, ce dernier pouvant prendre des formes diverses : la plus évidente est une bonification, c'est-à-dire un meilleur taux de financement - ce qui suppose en l'occurrence qu'il y ait une règle de financement, ce qui n'est pas toujours le cas des politiques de l'État - mais il en existe d'autres comme l'élargissement de l'assiette sur laquelle est calculée la subvention, voire, sur certains types d'opération, des transferts de maîtrise d'ouvrage avec récupération de TVA.

Pour être franc avec vous, je dirai que ce n'est pas la partie de l'exercice la plus avancée, même si un certain nombre de nos partenaires ministériels y travaillent et je ne désespère pas que nous puissions, effectivement, partiellement aboutir pour consolider cette politique.

Nous aurons, évidemment, sur l'ensemble de ces enjeux, un rendez-vous important qui est celui de 2003, à mi-parcours des contrats de plan : ces contrats d'agglomération, de pays et autres pourront être signés jusqu'à cette date, mais sans doute pas au-delà, car il n'y aurait plus alors grand intérêt à le faire pour la période restant à couvrir.

Voilà donc où nous en sommes. Je voudrais pour terminer donner quelques constats d'appréciation sur la situation actuelle de cette politique.

Je crois - mais je laisserai Nicolas Portier et Francis Ampe développer ce point - qu'il existe de fortes attentes par rapport à ces politiques et nous avons de très nombreuses "remontées" du terrain. J'ai tendance à dire, et je vais sans doute être un peu caricatural dans mon propos, que cette idée de la recomposition du territoire par le projet est aujourd'hui globalement partagée par l'ensemble des partenaires et des acteurs qui voient bien la nécessité et l'intérêt de cette démarche. Nous n'avons plus aujourd'hui à convaincre mais à réaliser.

En revanche, nous rencontrerons probablement des difficultés dans la mise en oeuvre de cette politique. Je mettrai l'accent sur deux d'entre elles qui se présentent au stade actuel.

La première, je l'ai évoquée brièvement tout à l'heure, consiste à faire entendre qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle politique - comme le Premier ministre l'a fortement souligné - mais d'une évolution dans l'ensemble des politiques. Ainsi que je le disais précédemment, c'est une difficulté que rencontre non seulement l'État compte tenu de sa forte sectorisation, mais aussi, et plus curieusement allais-je dire, le partenaire régional avec lequel l'État discute du contrat de plan .

J'en prendrai deux exemples, ceux des premiers contrats signés qui nous ont un peu désarçonnés : le contrat de plan de la région Centre et celui de Poitou-Charentes. Nous avons là deux présidents de région - comme ils sont de deux tendances différentes, on ne peut pas les soupçonner d'avoir agi en fonction du Gouvernement - qui ont des politiques territoriales fortes, qui ont apporté un soutien important à la loi et à la manière dont, effectivement, ces politiques évoluaient. En même temps, nous sommes trouvés confrontés à une véritable difficulté pour bâtir le volet territorial de ces régions, du fait qu'ils n'ont pas engagé dans le contrat de plan les moyens très élevés - environ un milliard de francs sur quatre ans pour la région Centre - qu'ils consacrent aux pays. Le financement de l'État n'a pas de contrepartie puisque l'apport régional n'est pas contractualisé.

Nous nous heurtons donc à une difficulté pour construire cette démarche, y compris dans les régions où l'on aurait pu penser que la territorialisation allait être facile, étant donné qu'il existait déjà un socle important sur lequel se fonder.

La seconde difficulté est de nature conceptuelle. Il s'agit de faire partager l'ambition que nous attachons à la construction d'une ingénierie territoriale significative pour qu'elle soit à la fois stable et d'une certaine importance. En clair, il nous paraît important que l'étape des prochains contrats de plan soit l'occasion de franchir un pallier par rapport à ce qu'a souvent été l'ingénierie territoriale de projets, c'est-à-dire, dans le meilleur des cas, un agent de développement, toujours très dévoué mais quand même un peu isolé, victime d'une usure relativement rapide au contact de la complexité, très fréquemment formé - ce sont souvent des personnes ayant un DESS - mais sans expérience et vite noyé par la gestion. En conséquence, l'objectif est, pour nous, tout en respectant la diversité des territoires et des situations, car il ne s'agit pas de plaquer un modèle, ce qui n'aurait pas de sens , de parvenir à construire de petites équipes pluridisciplinaires qui puissent assurer, dans la durée, un pilotage de projet auprès des collectivités locales.

Pour terminer, j'ajouterai que notre objectif - à ce stade, ce n'est vraiment qu'une hypothèse, mais c'est sur elle que nous avons fondé nos calculs pour essayer de calibrer les moyens - est qu'on puisse signer, d'ici à 2003, de l'ordre de 300 à 400 contrats en confondant à la fois pays et agglomérations.

Afin de vous livrer une information complète, sachez que nous prévoyons - encore une fois de manière à éviter toute précipitation vers le contrat - une procédure transitoire pour les territoires qui partiraient de zéro et qui ne seraient donc pas en état, dans un délai très rapide, de se conformer aux exigences de qualité auxquelles je faisais allusion tout à l'heure, notamment en termes de qualité de projet. A leur intention, nous prévoyons ce que nous avons appelé des "conventions d'objectif" qui seraient une manière d'accompagner l'émergence et la montée en puissance des projets.

Ces conventions d'objectif seraient vraisemblablement d'une durée maximum de trois ans non renouvelables et elles seraient principalement axées sur les moyens d'ingénierie, quelle qu'en soit la forme, de façon à aider les territoires à se construire, à se rassembler, ce qui n'exclurait pas, pendant la période de trois ans, de financer quelques actions. En effet, si nous voulons aussi démontrer la pertinence de ces démarches, il ne faut pas attendre ce délai pour commencer à travailler ensemble, mais très vite se rassembler sur quelques projets et quelques actions qui, en tant que tels, ne forment cependant pas un projet global cohérent.

L'idée est d'avoir d'abord, un outil très réactif qu'il soit possible de mettre en oeuvre avec très peu de contraintes, dès lors qu'il y a une véritable volonté d'acteurs et un minimum de partenariats sur le territoire et, ensuite, un outil plus complet, qui serait le contrat proprement dit, plus ambitieux, avec des moyens plus importants.

M. le Président : Je vous remercie pour cet exposé très complet qui constituait un bon rappel de la loi et des textes et qui nous a donné un éclairage sur le décret portant notamment sur les pays.

A cet égard, je comptais d'ailleurs vous demander ce qui a été décidé sur la validation du périmètre provisoire qui a suscité, hier, des critiques relativement fortes.

Je crois que vous avez aussi bien mis l'accent sur le caractère expérimental de la démarche, ce qui la rend complexe pour de nombreux élus ou acteurs du territoire. Pour ma part, j'estime qu'elle est intéressante dans la mesure où, grâce à la contractualisation, elle induit beaucoup plus de transversalité entre les services de l'État mais c'est peut-être ce qui la rend difficile.

Je ne veux pas prolonger l'exposé liminaire et je vais donc demander à notre Rapporteur, M. Jean-Claude Daniel, de poser quelques questions de fond avant de passer la parole aux membres de la Délégation.

M. Jean-Claude Daniel, Rapporteur : Je n'aurai qu'une question qui est relative à la procédure transitoire.

Il semble bien que l'on puisse craindre, dans les contrats État-Région, avec les 25 % mis en lignes territorialisées, un effet "fonds européens". Je veux dire par là que, dans les zones éligibles au FEDER - Fonds européen de développement régional - on a rassemblé, en prévision de la mise en oeuvre de ces fonds, un nombre de projets invraisemblable sans accéder, ou très rarement, à leur réalisation en raison de la longueur des études menées. Les différents partenaires y ont travaillé pendant de très nombreux mois, mais au moment de la mise en oeuvre, le temps du contrat était dépassé : cela explique que nous ayons maintenant - c'est notamment le cas pour l'objectif 5b,par exemple - des projets qui n'ont pas été réalisés ou qui vont l'être vite et mal.

Je pense que c'est l'un des écueils majeurs que nous pourrions rencontrer avec la territorialisation et l'hypothèse qui consiste à dire qu'on a une convention d'objectifs avec des réalisations concrètes en cours de route, me paraît constituer une réponse tout à fait fondée par rapport à cette crainte.

M. Dominique Parthenay : Nous nous trouvons pris dans une espèce de tenaille. D'abord, messieurs les parlementaires, vous-mêmes, en rajoutant un peu de complexité au processus de constatation, avez fait que la procédure s'est allongée et qu'avec toute la bonne volonté du monde, compte tenu du nombre de consultations qui seront à effectuer aux différents stades de constatation - périmètre d'étude, périmètre définitif - nous parviendrons à des délais incompressibles pour la mise en route du processus.

Cette précision me permet de répondre à la question de M. le Président sur la validation du périmètre provisoire. La question en débat touchait, en fait, à la délibération des communes que la loi n'impose pas, puisqu'elle prévoyait que cette initiative pouvait être prise par un groupe de communes ou un groupement et qu'elle entraînait ensuite un processus de réflexion sur le projet.

C'est un point qui a été fortement souhaité, lors des différentes discussions que nous avons eues, par le cabinet du Premier ministre et qui ne me semble pas infondé, dès lors qu'il ne comporte pas de contraintes. Après tout, il n'est pas illogique que l'ensemble des communes qui seront appelées à participer à l'élaboration d'un projet soient tenues informées, dès le début, au moment où le périmètre d'étude est proposé, par ceux qui en prennent l'initiative, sachant que l'absence de délibération ou le refus d'adhérer n'aura pas de conséquences à ce stade. Il s'agit plutôt d'une procédure que je conçois comme une procédure d'information dans la mesure où, sans retarder, ni bloquer le processus, elle permet effectivement d'informer, dès le départ, les communes concernées. C'était le seul point qui était en débat.

Pour répondre à votre observation sur la lourdeur et la lenteur de la procédure, nous sommes pris entre deux feux : d'un côté, nous sommes tentés de dire "n'alourdissons pas la procédure et essayons de concrétiser le plus vite possible" ; de l'autre, nous sommes soucieux de ne pas glisser vers une procédure d'aubaine dans laquelle la démarche d'élaboration n'aurait pas été suffisamment construite et mûrie pour pouvoir déboucher sur un vrai projet et une démarche inscrite dans la durée qui ne soit pas une simple opportunité sans conséquences réelles. Ne tombons donc pas dans ce travers, ni dans celui que vous venez d'évoquer et dans lequel on finit par s'épuiser dans des démarches qui ne se concrétisent pas et qui, à terme, démobilisent les acteurs.

Je crois qu'il y a deux parades possibles. D'une part, ce que j'ai évoqué rapidement, à savoir la convention d'objectif, qui est une procédure qui permet d'entrer très rapidement dans la démarche, de concrétiser un certain nombre d'opérations et donc de fédérer des acteurs, non pas seulement autour de réflexions stratégiques, mais également autour de réalisations. Elle devrait pouvoir être mise en oeuvre sans passer par l'ensemble des étapes complexes prévues par la loi pour la constatation proprement dite du pays, tout en permettant un certain nombre de réalisations. D'autre part, nous avons tout à fait l'intention, notamment parce que nous sommes sur un exercice qui va obliger à contractualiser sur sept ans, donc sur une période qui, bien évidemment ne permet pas de contractualiser sur un programme d'opérations fouillées, définies, précisées et ficelées, de trouver des modalités de contractualisation sur des objectifs, sur des axes qui feront ensuite l'objet d'une déclinaison plus fine au fur et à mesure de l'avancement du projet.

Nous ne contractualiserons pas en 2000 des opérations sur 2000-2007, car c'est impossible : aucun territoire ne serait en état de le faire.

M. Nicolas Portier : Pour compléter ce que vient de dire Dominique Parthenay, atteindre notre objectif de l'engagement de 25 % des crédits des contrats de plan dans des contrats territoriaux qui, eux-mêmes, sont régis par une certaine exigence de qualité et par des exigences législatives et réglementaires, imposera une certaine progressivité et un accompagnement. Dans ce sens, les conventions d'objectif constituent déjà un moyen de mettre des territoires sur les rails et de les conforter par un développement de l'ingénierie.

Il n'en reste pas moins que la grande difficulté sera de parvenir à contractualiser et à faire "basculer" dans ces contrats territoriaux des crédits sectoriels des différents ministères.

Dominique Parthenay a évoqué l'enjeu de modernisation que cela représentait pour les administrations. De notre point de vue, c'est l'un des enjeux de cette politique de territorialisation mais nous constatons qu'un certain nombre d'obstacles réglementaires, budgétaires, d'importance variable, s'y opposent et qu'il faut étudier les procédures au cas par cas.

Pour certains types de procédures nous rencontrons peu de difficultés à faire en sorte que les politiques publiques s'orientent progressivement vers des contrats territoriaux, qu'il s'agisse de contrats de pays ou d'agglomération. Certaines politiques financent déjà très largement des opérations groupées inscrites dans des démarches territoriales, telles que des opérations de restructuration de l'artisanat et du commerce, des opérations programmées à l'amélioration de l'habitat, des actions allant dans le sens des plates-formes d'initiative locale. Au nombre de ces actions, il en est d'assez rodées qui vont facilement pouvoir se mettre en place et faire l'objet d'une signature dans un contrat territorial.

Quand je parle de facilité, il me reste à apporter quelques nuances. Nous travaillons actuellement avec certains partenaires ministériels sur quelques circulaires, pour veiller à supprimer les petites scories susceptibles, dans une interprétation très rigide de ces circulaires, de donner lieu à des difficultés d'application : c'est le cas, par exemple, dans la circulaire sur les ORAC - opérations de restructuration de l'artisanat et du commerce - de la limitation de leur utilisation à des territoires de moins de 60 000 habitants.

Pourquoi cette restriction ? Nous allons tenter de voir s'il y a moyen de faire évoluer cette circulaire d'application compte tenu du fait qu'un certain nombre de pays comptent plus de 60 000 habitants : il ne faudrait pas que quelques phrases de ce type dans les circulaires, sinon contreviennent, du moins fassent obstacle à la mise en place de procédures et à l'engagement de crédits ministériels dans les contrats territoriaux.

Les autres obstacles concernent souvent les crédits qui font l'objet de notifications ou de conditions d'emploi extrêmement normées au niveau national, qui ne permettent pas, pour des raisons de fond, une grande souplesse d'adaptation dans une logique territoriale et qui n'ont pas véritablement vocation à être pris en compte dans un contrat signé avec des collectivités.

En fait, plus on s'éloigne des politiques d'équipement ou des procédures qui sont traditionnellement mobilisées par les élus, les collectivités, les socio-professionnels qui travaillent avec eux et plus on prend en compte les politiques directement destinées à des acteurs économiques ou sociaux, plus on s'aperçoit qu'il sera difficile de les intégrer à des contrats territoriaux.

Je m'explique. Il existe un certain nombre de régimes d'aides aux entreprises, de politiques de soutien aux agriculteurs qui constituent d'ailleurs tout l'enjeu des discussions que nous avons avec le ministère de l'agriculture sur les contrats territoriaux d'exploitation .Vous savez bien que ce sujet est extrêmement délicat dans la mesure où ces contrats territoriaux d'exploitation qui visent à ouvrir l'agriculture sur les autres enjeux du territoire sont quand même encore très largement négociés dans une logique exclusivement agricole avec un pilotage de projet des chambres d'agriculture, le but étant de parvenir progressivement - d'où la réflexion et les études qui sont conduites par le ministère de l'agriculture - à une gestion plus concertée de l'agriculture.

Même si la loi d'orientation agricole établit un lien entre les contrats territoriaux d'exploitation et les chartes de pays, on sait parfaitement que l'évolution sera très progressive.

En disant cela, je veux souligner qu'un certain nombre de ministères ont pour habitude d'agir et d`intervenir financièrement dans un contact très direct avec les destinataires finaux de leurs politiques et de leurs crédits. Les faire rentrer dans une logique beaucoup plus collective qui intégrera des socio-professionnels de toutes origines et un certain nombre d'élus correspond à une démarche inhabituelle pour certains ministères et peut poser problème.

Il en va de même pour tout ce qui concerne la modulation : il est sûr que certaines politiques pourront faire l'objet, dans des contrats, d'une bonification dont d'autres ne pourront pas bénéficier au motif que ce serait soit dérogatoire aux règles de la concurrence, soit non conforme aux régimes notifiés à Bruxelles : là aussi, il faut donc faire preuve de prudence et de pragmatisme.

Tout le travail que nous menons en ce moment consiste à faire, avec l'ensemble des ministères, l'inventaire des politiques existantes dont certaines sont déjà régies par des procédures très encadrées - j'ai fait allusion aux ORAC. Il fait suite à un travail que nous avons déjà engagé ensemble pour analyser la totalité de leurs politiques et de leurs crédits afin de voir comment les mobiliser dans les contrats territoriaux, ne serait-ce que pour parvenir à nourrir ces derniers et arriver, en 2006, à notre objectif de 25 % du contrat de plan territorialisé.

Un certain nombre de politiques ne présentent donc pas de problèmes. Ce sont toutes celles qui s'inscrivent dans une démarche collective, les opérations groupées et tout ce qui, dans le domaine économique, s'apparente aux réseaux d'entreprises, aux systèmes productifs locaux, etc..

En revanche, nous rencontrons des difficultés en matière d'aides individuelles pour laquelle la territorialisation n'a pas grand sens. Nous définissons toujours notre politique comme une politique de projet, en opposition à la politique de guichet. Dans la mesure où les aides individuelles sont extrêmement cadrées et normées, territorialiser ces aides individuelles aux industries, aux PME, aux agriculteurs est très hypothétique !

Nous avons insisté durant un an et demi à la DATAR pour que les contrats de plan État-région, dans les stratégies des ministères, portent sur tout sur ce qui relevait d'opérations plutôt collectives, de telle sorte que les contrats de plan État-région soient assez riches en opérations groupées. A cet égard, nous pouvons nous satisfaire d'un certain nombre d'évolutions dans la mesure où les contrats de plan comptent moins de guichets contractualisés (donnant lieu à des aides individuelles) et davantage d'opérations groupées ou de démarches qui s'inscrivent bien dans une logique de projet territorial, c'est-à-dire, pour être plus clair, des démarches ou des politiques publiques qui requièrent un diagnostic territorial préalable, une stratégie groupée d'artisans et de commerçants, d'agriculteurs ou de chefs d'entreprise. C'est le type de stratégies et de politiques qu'il nous faut conduire dans le cadre des contrats territoriaux .

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont : A ce stade de notre discussion, j'aurais aimé vous faire part de mon inquiétude face à un point qui constitue pourtant la pierre angulaire de cette politique, à savoir la volonté de ne pas créer une nouvelle politique, une grande masse fongible, pour la mise en place de cette contractualisation, mais bien de mobiliser les crédits à partir des différents ministères. Mes craintes se trouvent encore renforcées au vu de ce qui se passe après la tempête qui vient de toucher notre pays.

En effet, le Gouvernement a décidé de débloquer des aides importantes et massives, et il a très rapidement pris ses décisions. Or, nous nous rendons compte sur le terrain de la difficulté, d'une part de faire en sorte que, non seulement l'État, mais aussi les collectivités travaillent en transversalité, et d'autre part de mobiliser ces sommes importantes qui ont été inscrites.

Je crains que nous ne nous heurtions aux mêmes difficultés dans la territorialisation et qu'ainsi des projets puissent se trouver retardés. Comment peut-on remédier à cette situation et amener l'État et les collectivités à adopter une pratique plus souple ?

M. Dominique Parthenay : Je ne sais pas répondre à cette question parce que, d'une certaine manière, je partage votre inquiétude.

Je pense, effectivement, qu'il est difficile de changer les pratiques. Les expériences passées et notamment celles que j'évoquais au début de mon intervention sur les conventions de développement qui, en fait, obéissaient un peu à la même philosophie, ont montré qu'il n'était pas facile de changer des comportements et une pratique sectorielle. Le pari que nous avons fait collectivement, nous, en préparant ce texte et vous, en y réfléchissant, en l'amendant, en le discutant et en le votant, c'est que l'adossement avec les contrats de plan nous donnait effectivement un levier plus puissant. A ce jour, il m'est impossible de vous garantir qu'on va gagner. Il faut que tous ceux qui sont attentifs - et je pense que votre Délégation le sera - au succès de cette politique demeurent vigilants car, au-delà de la signature même des contrats de plan, il nous reste de grands efforts à faire pour que cette politique s'installe dans la durée sur le territoire.

Pour ma part, je plaide auprès du Délégué à l'aménagement du territoire - que j'ai peu de difficultés à amener à mes vues - pour le convaincre que si nous avons, certes, dû mener, à la fois, depuis deux ans, le chantier législatif, la réforme des contrats de plan, la négociation des nouveaux contrats de plan et les fonds structurels, la tâche n'est pas pour autant terminée puisqu'il va nous falloir maintenant installer cette politique dans la durée et consolider les acquis législatifs et contractuels.

La mise en oeuvre de cette politique va réclamer beaucoup d'attention et beaucoup d'énergie. Je suis tout à fait conscient que cette réponse n'est pas de nature à vous rassurer mais je partage votre analyse et vos inquiétudes car il est effectivement difficile de changer une pratique que j'allais qualifier d'ancestrale.

Ce qui nous donne un espoir - même s'il est encore trop tôt pour se prononcer - c'est qu'on a l'impression globalement que l'objectif est partagé : on n'a plus à faire la démonstration de l'utilité et de l'intérêt de la démarche. Aujourd'hui , il y a une attente et on peut donc penser qu'il y aura une pression qui sera exercée sur la mise en oeuvre. Nous devrons la mettre à profit pour progresser !

M. Nicolas Portier : Si vous me permettez de compléter les propos de Dominique Parthenay, je dirais que, si nous avons des inquiétudes - nous disposons d'une sorte d'observatoire des procédures des services de l'État et un groupe de travail se consacre à ce sujet - c'est parce qu'aujourd'hui deux cultures se combinent assez différemment dans les services de l'État comme dans ceux des grandes collectivités territoriales.

L'une d'entre elles est une culture de projets qui émerge, à travers des procédures et des pratiques contractuelles ou fortement territorialisées, dans à peu près toutes les administrations et se trouve partagée par des agents habitués à ces cultures et prêts à s'investir dans la construction de ces projets, de ces contrats d'agglomération et ces contrats de pays.

A l'opposé, il existe un autre type de culture plus verticale qui sous-tend une attitude de défiance et de contrôle à l'égard des territoires, ce qui s'explique par la double fonction de l'État, animateur d'un côté, mais aussi contrôleur. Elle obéit à d'autres logiques et reste très sourcilleuse sur l'emploi des crédits et le strict respect de circulaires parfois rigides, ce qui nous oblige à faire, en amont, un travail d'examen et d'évaluation de ces circulaires.

En effet, on constate du côté de l'État que si des administrations veulent vraiment résister à la mobilisation de certains crédits sectoriels dans une logique de contrat territorial, elles en ont largement les moyens : quelle que soit la bonne volonté du Préfet , elles pourront toujours trouver les termes de la circulaire qui bloqueront la mobilisation des fonds. Cette dernière, par ailleurs, peut aussi se trouver compliquée parfois par les principes, souvent rigides, de la comptabilité publique.

Enfin, d'autres difficultés vont se faire jour, notamment dans le cadre de la politique des pays, au sujet du respect des compétences dans un paysage intercommunal qui est encore aujourd'hui assez complexe. Il conviendra d'exercer une grande vigilance pour que le maître d'ouvrage pressenti ait les compétences nécessaires pour pouvoir conduire les actions programmées.

En effet, tout ce cadrage juridique initial pour porter les projets et être habilité à percevoir une subvention doit être fait dans les règles car le contexte jurisprudentiel actuel, qui est beaucoup plus exigeant quant au respect des compétences, quant à la méfiance vis-à-vis des gestions de fait dans le domaine associatif, nous imposera une très grande rigueur pour parvenir à une mobilisation effective et rapide et pour bâtir ces contrats tout en évitant les inconvénients réels qui ont été évoqués précédemment.

M. Jean-Michel Marchand : J'ai bien entendu votre propos et j'aimerais, sur un point , recueillir votre sentiment.

Vous nous avez dit qu'il fallait mettre en place des ingénieries territoriales conséquentes, mais n'y a-t-il pas, là, deux écueils à éviter : le premier, que vous avez évoqué, à savoir le fait qu'un "développeur" n'ait que peu d'expérience sur le territoire et le second, qu'à l'inverse, des équipes se superposent quand seront mis sur pied les pays, les agglomérations, les parcs naturels ?

Ma première question appelle une observation : j'ai le sentiment, sans prétendre avoir une vision générale de la France, que sur un certain nombre de territoires, tout au moins dans la région Pays de la Loire, il y a une volonté de contrecarrer ce que nous sommes en train d'essayer de mettre en place. Cette volonté est à la fois régionale et départementale et vise à figer les choses en leur état actuel et, en particulier à "tirer vers le bas" la dimension du pays.

Si cette dimension est insuffisante - je tiens à signaler que la région et les départements des Pays de la Loire concernés ont fixé le seuil des pays à 25 000 et 30 000 habitants, ce qui me paraît très peu, du moins dans nos régions qui sont globalement peuplées - nous courons le risque devoir se mettre en place des "équipes-croupions" qui seront très vite incapables de porter les projets.

Par ailleurs, j'ai également le sentiment que, pour le moment, comme le disait notre Rapporteur, nous sommes plutôt sur une espèce d'inventaire à la Prévert de tout ce qui pourrait se faire, sans véritable cohésion, et encore - ce n'est pas une critique mais un constat- plus sur une politique de guichet que sur une politique de projet.

M. Dominique Parthenay : Sur la question de l'ingénierie et de la superposition des moyens, je dirai que c'est bien là toute la difficulté de cette politique qui ne peut effectivement comporter de normes, ainsi que je le disais, sur aucun de ces plans, ni être étudiée à travers une grille d'analyse homogène.

Quand nous disons qu'il faut renforcer l'ingénierie, cela signifie également qu'il convient de tenir compte de l'existant : il ne s'agit pas, là où les moyens sont déjà importants, de recréer à côté. Il faut observer une espèce de principe de subsidiarité.

Dès lors que nous avons déclaré que cette politique des pays n'était pas une nouvelle organisation administrative, il ne s'agit pas de rajouter systématiquement au mille-feuille une feuille supplémentaire avec ses propres instruments si le territoire en cause dispose déjà, à travers d'autres instruments, des moyens, notamment intellectuels, de son développement !

Il y a plusieurs sources. Outre celles que vous avez mentionnées qui viennent des collectivités elles-mêmes , il y a aussi les chambres consulaires qui peuvent également être des partenaires de cette ingénierie territoriale, sans parler des structures qui peuvent exister telles que les comités de bassin d'emploi et les comités d'expansion.

Encore une fois, il faut partir d'un diagnostic des moyens et commencer par essayer de les coordonner. Nous disons qu'il faut effectivement viser à ce que l'ensemble des territoires concernés par cette politique parviennent à constituer ces équipes. La façon d'y parvenir peut être extrêmement variable d'un territoire à l'autre, selon la situation de départ de ces territoires, et je crois que, là, il ne faut pas avoir de règles mais simplement mobiliser les moyens.

Cela étant, je considère tout de même - et c'est par expérience personnelle - qu'il est important que le minimum, dont il faudrait que nous discutions, soit clairement sous l'autorité de la structure qui porte le projet. En effet, on ne peut pas construire uniquement en fédérant des acteurs dont le degré d'engagement dans le territoire est aléatoire. Je n'ai rien contre les organisations consulaires où je pense qu'il y a de l'expertise qu'il faut utiliser, mobiliser et parfois faire venir...

M. Jean-Claude Daniel, Rapporteur : C'est difficile !

M. Dominique Parthenay : C'est plus ou moins facile, je le sais pour avoir vécu un certain nombre d'expériences - mais j'estime qu'on ne progresse pas de la même façon avec des moyens qu'on "picore" et des moyens dont on dispose en propre et qu'on peut effectivement "manager".

Nous devons construire dans la durée. Il ne faut pas bousculer les choses mais progresser par étapes, même s'il n'en reste pas moins que c'est un objectif qu'il faut s'efforcer d'atteindre. En revanche, là où des équipes sont constituées il ne sert à rien d'en rajouter.

M. Nicolas Portier : C'est notamment le cas dans votre région, les Pays de la Loire, où il y a déjà de petits contrats territoriaux, d'où une sorte de malentendu avec la région qui a l'impression que l'on va rajouter des moyens supplémentaires à un autre étage, alors qu'une bonne gestion permettrait de faire évoluer le dispositif ancien par la mise en réseau des agents de développement et par la mutualisation de l'existant à une échelle de territoire plus vaste. C'est dans la négociation contractuelle que les choses peuvent se mettre en place.

M. Dominique Parthenay : Sur les autres questions que vous abordez, notamment sur l'investissement des grandes collectivités, j'en soulignerai à la fois le côté négatif et le côté positif : le coté positif, c'est que si tant de gens se précipitent au chevet de cette politique c'est qu'elle interpelle et que nous avons touché la cible...

M. Jean-Michel Marchand : Certainement, mais il ne suffit pas d'accourir à son chevet, il faut maintenant la traiter !

M. Dominique Parthenay : Effectivement, le problème est maintenant de savoir comment nous allons la traiter car, comme je l'ai dit tout à l'heure, j'ai pu constater que souvent, ceux qui sont les premiers à critiquer l'État au motif qu'il interviendrait et proposerait des découpages sont ceux qui, eux-mêmes, ont une stratégie très tutélaire vis-à-vis des initiatives territoriales...

M. Pierre Cohen : Tout à fait !

M. Dominique Parthenay : C'est une vraie difficulté par rapport à laquelle il va nous falloir progresser avec prudence. C'est d'ailleurs un débat qui touche beaucoup plus la politique des pays que celle des agglomérations qui ne se situe pas au même niveau de force et de pouvoir avec les collectivités intermédiaires.

C'est la raison pour laquelle nous vous avions proposé - et vous nous aviez suivis sur cette démarche - que le lieu du débat soit la conférence régionale d'aménagement et de développement du territoire (CRADT) puisque, dans cette conférence, telle qu'elle devrait être réinstallée et modifiée par les amendements que vous avez apportés à la loi de 1995, on trouvera l'ensemble des collectivités locales ainsi que les acteurs économiques et sociaux. Il nous est donc permis d'en espérer un débat qui "objectivise" un peu les enjeux d'organisation et de pertinence territoriale.

A ce jour, j'ignore si tel sera le cas : c'est un sujet qui est lui aussi à traiter.

C'est aussi la raison pour laquelle nous souhaitons qu'un document soit élaboré entre l'État et la région porteurs du contrat de plan, qui soit aussi un moyen d'expliciter les objectifs et les enjeux et que les décisions soient prises avec une certaine transparence dans les intentions des différents partenaires.

Il est vrai que nous ne voulons pas entrer dans une logique de seuil, qui ne nous parait pas être une logique appropriée ou, à tout le moins, qui supposerait de notre part un travail extrêmement fin, car si le seuil de 25 000 habitants pour vous est dans doute absurde, il est, dans certaines régions, tout à fait pertinent ! En conséquence, décréter qu'un pays doit compter tant de communes ou d'habitants n'a pour nous aucun sens : un pays , c'est une dynamique, c'est un projet. Néanmoins, nous devons tout de même veiller à ce qu'on ne fasse pas n'importe quoi. Pour l'éviter nous allons essayer de donner un certain nombre d'indications dans les circulaires d'application aux préfets.

Un certain nombre de règles sont claires. D'abord, ce qui nous paraît important, c'est déjà le maillage villes-campagnes pour que nos concitoyens, non seulement ne se tournent pas le dos, mais se rassemblent.

Ensuite, nous avons quelques critères qui sont un peu frustres mais qui peuvent donner des ordres de grandeur. C'est ainsi que nous considérons que le périmètre des pays peut se rapprocher des bassins d'emploi dont on voit à peu près la taille, puisqu'il y en a 348 en France. Je n'en fais pas des valeurs absolues, parce que nous savons très bien que, si dans certaines régions, le travail de l'INSEE est tout à fait pertinent sur ces bassins d'emploi, il n'est pas, dans d'autres, tout à fait satisfaisant ! En conséquence, dire que les pays correspondraient aux bassins d'emploi n'aurait pas de sens, même si cela nous fournit un ordre de grandeur.

Il est un autre ordre de grandeur auquel nous sommes très attachés et qui, d'une certaine manière nous donne une idée de ce que pourraient être les pays, c'est la carte des territoires vécus, dont on a également beaucoup parlé durant la discussion de la loi, qui montre comment nos concitoyens vivent, travaillent et consomment et qui identifie un certain nombre de pôles plus ou moins importants qui structurent le territoire. Au total, il s'en trouve 691, si l'on compte à la fois les pôles urbains et les pôles ruraux.

En rapprochant ces deux chiffres (348 bassins d'emploi et 691 pôles), on obtient un ordre de grandeur qui doit nous permettre, avec les spécificités de chaque région -la région Pays de la Loire, comme la région Bretagne, a une densité démographique et une organisation du territoire qui n'ont pas grand-chose à voir avec la région PACA ou Midi-Pyrénées, par exemple, ce qui explique qu'on ne puisse pas avoir partout la même maille- de disposer d'assez d'indications pour rejeter des territoires qui, à l'évidence, sont trop petits pour être pertinents et sur lesquels nous ne pourrons pas construire de projets, faute de ressources financières et humaines.

La dernière question que vous avez évoquée est celle de l'effet d'aubaine. Là encore, il est vrai, et Mme Dominique Voynet ne cesse de nous le répéter -c'est pourquoi nous souhaiterions prendre du temps, mais nous risquons d'essuyer des reproches tels que ceux de votre Rapporteur et c'est pourquoi il faut trouver un point d'équilibre- qu'à partir du moment où l'État dit qu'il va y avoir un contrat, il y a une tentation de reconstruire une logique de guichet, chacun voulant un contrat et présentant son catalogue de projets dans l'espoir de contractualiser au plus vite.

En ce domaine aussi, nous devrons faire preuve d'exigence pour que nous puissions attester d'une vraie démarche de projet et nous assurer que le catalogue d'actions répond bien, non seulement à une stratégie, mais à une stratégie construite dans un partenariat territorial qui, loin d'être fictif, traduise une mobilisation des différents acteurs. J'ai souligné tous ces éléments sans vous apporter de réponse quant à leur application car la réponse est à trouver.

Grâce en partie à la DATAR, il existe un pilotage de cette politique qui est un peu innovant par rapport à ce que l'administration sait traditionnellement faire -annoncer des guichets et traiter les dossiers dans l'ordre où ils se présentent dans la pile- puisque son but est de parvenir à une gestion fine qui ne sera pas uniquement pilotée du centre, mais qui sera déconcentrée et organisée dans un dialogue local auquel nous devons être attentifs pour conserver l'objectif de pertinence et de qualité des contrats.

C'est la capacité de prendre du temps qui doit pouvoir nous le permettre. Quoi qu'il en soit, à ce jour, je ne suis pas en mesure de vous rassurer sur ces questions sur lesquelles nous ne pourrons pas tirer de véritable bilan avant 2003.

M. Nicolas Portier : Quant à la crainte justifiée exprimée par M. Jean-Michel Marchand, qu'à partir du moment où nous mobilisons des crédits sectoriels, les contrats de pays soient des agrégats de procédures déjà assez routinières, je rappellerai après Dominique Parthenay, que le FNADT est notre levier et que nous ne financerons pas les contrats de pays comme nous avons financé les contrats de ville avec un fonds spécifique sur des logiques d'action extrêmement particulières. Pour les contrats de pays, nous disposerons d'un FNADT certes musclé, mais il faudra également mobiliser d'autres fonds inscrits dans les contrats de plan État-région ou relevant des politiques de droit commun. Tout l'enjeu du côté de l'État et de la déconcentration en général - et c'est vrai que c'est un travail qui sera à conduire sur la durée du contrat de plan - sera d'assouplir les conditions d'emploi de certains crédits sectoriels qui sont parfois totalement corsetés et encadrés. Certains ministères expérimentent la globalisation de leurs crédits. C'est une piste intéressante.

Cela rejoint la question qui a été posée précédemment concernant la contradiction existant entre la position des administrations déconcentrées qui sont sur le terrain avec les acteurs pour essayer de bâtir des projets et celle des administrations centrales qui rédigent les circulaires. Si ces dernières sont extrêmement tatillonnes, complètement verrouillées, et ne font qu'énoncer des procédures identiques au niveau national, il est certain que l'exercice contractuel de terrain et de projet risque d'être reconduit dans des directions déjà tracées, comme cela s'est vu dans certaines pratiques anciennes : nous avons pu vérifier, lors d'appels à projet que nous avons lancés, qu'un certain nombre de territoires n'agissent aujourd'hui qu'avec des outils déjà extrêmement normés, donc extrêmement standardisés qu'ils adaptent à leur projet local mais qui, très vite, prennent le dessus sur l'innovation.

M. Félix Leyzour : Je vais m'intéresser à la manière de faire passer et comprendre notre message. En effet, quand nous disons "contrats territoriaux", nous savons ici de quoi il s'agit mais j'aimerais que nos interlocuteurs le sachent aussi car, aujourd'hui, dans l'esprit de la grande majorité des gens, cette formule renvoie aux CTE - contrats territoriaux d'exploitation - en agriculture.

Il faut faire parvenir clairement le message. Quand on parle de "contrat territorial", il s'agit du contrat de pays, qui est le volet territorial du contrat de plan, mais il y a une grande confusion.

L'objectif est, bien sûr, d'insérer l'agriculture dans toute cette démarche d'ensemble mais je crois qu'au moment présent, nous aurions intérêt à parler du contrat territorial d'exploitation pour l'agriculture et peut-être du contrat de pays ou du volet territorial du contrat de plan pour éviter toute confusion.

M. Nicolas Portier : Je vous propose maintenant de faire un état des lieux en commentant quelques cartes.

La première carte présente les principaux pôles urbains et les pays qui se sont fait reconnaître dans le cadre de la loi de 1995, plus quelques pays considérés alors comme tests. On voit bien l'état d'avancement différencié de cette politique selon les régions, avec une certaine avancée du Grand Ouest, de la région Centre, des régions Picardie et Nord-Pas-de-Calais et un certain retard, notamment du Grand Est.

La région Rhône-Alpes, quant à elle, a structuré ses territoires à travers une autre procédure, les contrats globaux de développement, sur lesquels on peut faire des réserves, mais qui s'apparentent très fortement à la politique des pays. La politique régionale a fait, en quelque sorte, office de substitut, ce qui explique le faible nombre de pays reconnus dans le cadre de la loi de 1995 dans cette zone où les territoires sont surtout organisés au titre de la politique régionale.

La deuxième carte montre l'état d'avancement des pays constatés mais elle ne reflète plus l'ensemble de la dynamique en cours puisqu'en termes de reconnaissance tout est gelé depuis le changement de loi. Le phénomène s'est même appliqué par anticipation puisque, dès la fin de l'année 1998, nous avions demandé aux préfets d'interrompre les reconnaissances administratives de périmètres.

Un certain nombre de pays sont en cours de constitution. Nous avons tenté de les symboliser sans nous autoriser à en définir le périmètre, bien évidemment, mais en tentant de faire ressortir le processus de généralisation de cette politique.

Le Grand Ouest conserve une assez forte avance dans la mesure où la Bretagne est aujourd'hui quasiment recouverte de pays en projet, à des stades d'avancement naturellement différents, tout comme la Basse-Normandie, Poitou-Charentes et la région Centre. En ce qui concerne les Pays de la Loire, il convient de signaler le léger retard pris en Mayenne en soulignant que la Vendée, le Maine-et-Loire, la Sarthe et la Loire-Atlantique réfléchissent fortement à la constitution des pays, dont un certain nombre sont déjà lancés.

Par ailleurs, il est à noter qu'un certain nombre de pays se constituent dans d'autres régions. Dans la région Midi-Pyrénées, une sorte de transition est en train de s'organiser entre l'ancienne procédure contractuelle des "terroirs" et une démarche de pays : des pays ont vu le jour dans le Tarn, dans le Couserans, vers Castres-Mazamet, le Gaillacois etc.

Il convient d'ailleurs de signaler, pour répondre à l'inquiétude qui vient d'être exprimée, que la plupart des pays qui se constituent le font, il faut le reconnaître, à l'échelle souhaitée par l'article 2 de la loi du 25 juin 1999, à savoir l'échelle de référence d'un bassin d'emploi organisé autour d'un pôle urbain, c'est-à-dire d'un territoire assez vaste de plusieurs dizaines de communes - d'ailleurs plutôt 60 ou 80 que 15 - fédérant plusieurs intercommunalités.

En Bretagne, les pôles urbains peuvent être des agglomérations de plus de 50 000 habitants et c'est ainsi que sont en cours d'organisation le pays de Rennes, le pays de Brest, le pays de Cornouailles avec Quimper, le pays de Vannes, le pays de Morlaix, ce qui traduit une solidarité villes-campagnes forte. Mais il existe, bien sûr, d'autres régions où les pôles urbains sont de taille plus modeste : il s'agit, le plus souvent, soit de petites sous-préfectures, soit de pôles ruraux qui peuvent être de 7 000 ou 8 000 habitants, mais qui font office de pôles de services et d'emplois.

La troisième carte est très intéressante, même si elle sera à actualiser d'ici à quelques semaines. Elle fait apparaître les communautés de communes ou les EPCI - établissements publics de coopération intercommunale - à fiscalité propre.

Cette carte change beaucoup actuellement avec la loi Chevènement du 12 juillet 1999. Elle est très évolutive mais elle éclaire le lien fort qui s'est tissé dans certaines régions, ces dernières années, entre les pays et les communautés de communes, les premiers restant un cadre souple de coordination, un cadre fédératif de communautés de communes qui, de plus en plus, deviennent les maîtres d'ouvrage et les institutions gestionnaires des projets qui vont être conduits en concertation au niveau du pays.

Si on s'arrête sur le Grand Ouest où cette logique est bien avancée, on découvre qu'un certain nombre de pays sont déjà constitués d'un nombre important de communautés de communes, ce qui répond, notamment, à l'amendement de votre Assemblée qui a voulu éviter à des pays entièrement couverts d'EPCI à fiscalité propre, de devoir créer une nouvelle structure pour contractualiser.

Si je prends l'exemple du pays segréen dans le département de M. Jean-Michel Marchand, entièrement couvert de communautés de communes, il pourrait être dispensé lors d'une phase contractuelle, de créer un syndicat mixte ou un groupement d'intérêt public : on pourrait envisager une cocontractualisation des communautés. Le Mortainais, dans la Manche, se trouve dans le même cas de figure.

Compte tenu de la multiplication des communautés et de l'avancement assez fort de l'intercommunalité, on peut estimer qu'en 2001, 2002 et surtout 2003, le maillage intercommunal à fiscalité propre se sera largement resserré et que, dans de nombreuses régions, les pays seront recouverts de communautés de communes, ce qui veut bien dire qu'à terme ils pourront, dans l'absolu, ne pas créer une structure de droit public à l'échelle du pays mais fonctionner sur un mode associatif de coordination et s'appuyer, dans les actions et dans les contrats, sur les maîtres d'ouvrage intercommunaux.

Je terminerai en vous montrant sur cette dernière carte quelle est la dynamique en cours sur la base des appels à projet lancés par la DATAR.

On retrouve toujours, en toile de fond, les pays constatés et un certain nombre de territoires que nous avons soutenus et dont les périmètres ne sont pas exacts aujourd'hui puisque nous ne sommes même pas dans une phase de périmètre d'étude reconnu mais dans une phase de préfiguration où nous appuyons des démarches émergentes. Un certain nombre de ces projets apparaissent ici : ils sont assez nombreux en Basse-Normandie ainsi qu'en Bourgogne et en Auvergne, régions assez peu avancées jusqu'à présent mais où, des programmes d'initiatives communautaires, comme Leader notamment, ont enclenché des démarches territoriales assez actives. On peut aussi constater qu'en Midi-Pyrénées, un certain nombre de territoires s'organisent, de même que dans les Pyrénées orientales.

Nous disposons donc maintenant d'une politique qui ne se trouve plus cantonnée dans les seules régions de l'Ouest, mais qui se développe aujourd'hui un peu partout.

Nous avons essayé de montrer sur cette carte, qui devrait déjà être complétée, les pays en cours d'organisation : on peut citer en Provence-Alpes-Côte d'Azur le pays d'Arles, le pays de centre Var, le projet de pays de Grasse. Il est à noter qu'en Rhône-Alpes, un grand nombre de pays se créent sur la base des précédents contrats globaux que la région avait initiés. En Lorraine des pays se créent également autour d'Epinal et de Saint-Dié, pendant que d'autres s'organisent à Sarrebourg ou à Bitche-Sarreguemines. On peut donc désormais parler d'une dynamique nationale de constitution de ces pays.

M. Félix Leyzour : J'aimerais savoir pourquoi cette dynamique s'est d'abord développée dans l'Ouest : c'est quelqu'un de l'Ouest qui vous pose cette question.

M. Dominique Parthenay : Je crois que vous avez la réponse : l'Ouest a une tradition communautaire très forte. Il y a toute une histoire de la solidarité et de la communauté qui fait qu'on a un territoire là où la répartition de la population étant meilleure que dans bien d'autres territoires français, l'équilibre est plus grand entre les différentes collectivités. A cela vient s'ajouter une tradition historique, culturelle, voire cultuelle qui a poussé cette région à être un peu le fer de lance des pratiques de coopération et de communauté, ce qui se retrouve aujourd'hui à la fois dans l'intercommunalité et dans la démarche de pays.

M. Nicolas Portier : On constate des aptitudes coopératives très fortes dans les régions de tradition mutualiste.

M. Dominique Parthenay : On retrouve cette explication également dans le Nord : les deux régions qui sont le plus en avance, l'Ouest et le Nord, sont des régions qui ont toujours eu une tradition de coopération et de mutualisation assez forte.

M. Nicolas Portier : L'empreinte de la jeunesse agricole chrétienne, par exemple, y est assez marquée, sans compter, comme le montrent les travaux d'Emmanuel Todd, l'anthropologie spécifique qui se trouve sans doute à l'origine de ces traditions coopérative et mutualiste, qui tient à la structure familiale assez soudée et qui tranche un peu avec une France à caractère plus individualiste. Les cartes d'Emmanuel Todd se recoupent d'ailleurs nettement avec celles de l'intercommunalité.

A mon avis, cependant, il faut faire attention et ne pas avoir une vision ultradéterministe des choses parce que la France du Centre se met aussi à l'intercommunalité

M. le Président : On trouve des Bretons partout en France.

M. Nicolas Portier ...mais il est indéniable que les Bretons ont répondu beaucoup plus vite à l'appel.

M. Henri Nayrou : Puisque certains pays dits "émergents" se sont créés sur la base des contrats de terroir, notamment dans la région Midi-Pyrénées, mais aussi sur la base de regroupements d'intercommunalités, j'aimerais avoir votre sentiment sur les pays cohérents et les pays d'opportunité.

Par ailleurs, je crois que l'on ne peut pas passer éternellement par pertes et profits les rapports futurs entre les pays et les départements. La loi Chevènement a mis courageusement de côté cet aspect du problème mais il resurgira un jour. On fait semblant de ne pas se rendre compte ici que , dès qu'on arrive sur le terrain, il apparaît de manière évidente et qu'il faudra bien en tenir compte ! Ce n'est peut-être pas le moment, j'en conviens, mais les missions confiées au département devront, un jour, être clarifiées.

M. Francis Ampe : On peut indiquer une réflexion en cours au sein de la commission présidée par Pierre Mauroy : au fond, le département, dans sa partie représentative, et non pas dans sa partie division administrative de l'État, aurait peut-être vocation à être l'assemblée des agglomérations et des pays. Ce n'est pas la question de savoir quel est le lieu de pouvoir, de décision et de gestion, mais de savoir qui doit être habilité à prendre les décisions car, aujourd'hui, la méthode traditionnelle de représentation ne trouve plus beaucoup de défenseurs.

Les défenseurs du canton dans sa configuration actuelle sont aujourd'hui minoritaires : aucun argument ne joue plus en faveur du canton urbain et le pays devient directement une alternative intelligente au canton rural.

M. Henri Nayrou : Je suis tout à fait d'accord mais je ferai simplement remarquer que la loi sur l'intercommunalité ne date que de l'an dernier.

M. Dominique Parthenay : Dans le prolongement de ce que disait Francis Ampe, je note que les départements ont eux-mêmes des attitudes extrêmement contrastées vis-à-vis de cette politique : certains sont extrêmement actifs, dynamiques, accueillants, favorables à cette politique, et tandis que d'autres semblent la craindre et, d'une certaine manière, y mettent des entraves ou du moins des conditions qui l'éloignent des objectifs que nous nous étions fixés. Par conséquent, on voit bien qu'au sein même de la réflexion départementale, les attitudes divergent.

Je crois qu'il convient de distinguer, dans les effets, la question du département en tant qu'entité dans ses compétences génériques, de la question du canton sur laquelle cette entité agit. Ce qui est en cause aujourd'hui, à travers la politique des pays, comme à travers les succès de l'intercommunalité, c'est finalement le canton . C'est beaucoup plus cette question qui se trouve posée que celle du département lui-même.

M. Henri Nayrou : Le canton débouche sur le département !

M. Dominique Parthenay : C'est aujourd'hui le mode de représentation du département mais toucher au canton, ce n'est pas forcément toucher au département. On peut tous, autour de la table, avoir des idées personnelles sur la décentralisation ou les niveaux de compétence mais si nous évacuons ce débat, il reste que la question qui est posée aussi bien par la loi de 1992, que par la loi Chevènement qui a donné un coup d'accélérateur au processus urbain, ce qui diminue encore la visibilité des cantons, est celle du système de représentation des départements.

M. le Président : Je crois qu'il faut prendre garde à ne pas trop institutionnaliser le pays. En effet, d'une part, on a voulu qu'il s'affranchisse des limites territoriales administratives et politiques qu'étaient le département, le canton et, éventuellement la région ce qui était déjà un signe fort, d'autre part , on a souhaité ne pas recréer une structure administrative et politique supplémentaire et le CNADT- Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire - hier, l'a réaffirmé assez fortement . En cela, il est en phase complète avec le discours que nous avons tenu durant tout le travail législatif !

M. Henri Nayrou : Sur ce terrain, on ne leurre personne ! Dans le débat sur les trésoreries, surgit désormais la solution du pays, bien qu'on ne veuille pas institutionnaliser pour ne pas effrayer les départementalistes ou les "paléodépartementalistes". Personnellement, je n'ai aucun a priori : j'appelle un chat un chat et je dis que dans la loi sur l'intercommunalité, on aurait dû prendre en compte la non-représentativité du canton par rapport à une communauté de communes, elle-même s'asseyant sur une cohérence de bassin de vie, de bassin d'emploi. Si on considère que le pays n'est jamais qu'un regroupement de communes , il aurait fallu se saisir du problème dès le départ mais je crois que l'on n'en a pas eu le courage politique !

M. le Président : C'est un point de vue que, personnellement, je ne partage pas complètement !

M. Félix Leyzour : Cette question appelle quelques observations de ma part .

Nous avons déjà eu un peu cette discussion lors du débat sur la loi d'orientation. Evidemment, on ne peut pas dire que les départements soient éternels, mais je ne pense pas que le problème soit celui de la disparition des départements. La grande question est sans doute de savoir si l'actuel mode d'élection de l'assemblée départementale correspond à ce qu'on pourrait en attendre.

En effet, si le canton rural jouit encore, dans certaines régions d'une unité de vie à travers le collège et quelques autres structures, il est vrai qu'en milieu urbain il ne correspond plus qu'à une circonscription électorale du conseil général. Dans ces conditions ne conviendrait-il pas de procéder à un rééquilibrage et peut-être de trouver un autre mode d'élection pour les conseillers généraux ?

Pour ma part, je suis favorable à ce que les départements demeurent et pour qu'il y existe, au niveau du département, une assemblée élue au suffrage universel, étant entendu que le mode de représentation restera à déterminer.

M. Pierre Cohen : Pour revenir à notre sujet, je dirai qu'il faut dissocier le mode de représentation et la remise en cause du département mais qu'on rencontrera toujours quelques difficultés dans le contrat de plan État-région avec le volet territorial. La région étant tout de même l'instance de référence dans la négociation, il faudra essayer, tant bien que mal de trouver une place au département qui est, lui, le lieu de coordination des pays.

Il y a quand même là une équivoque qui se trouve encore aggravée par ce qui a été dit sur la représentativité des structures intercommunales - communautés de communes ou communautés d'agglomérations : il reste une ambiguïté par rapport aux pays. Personnellement, j'estime qu'il est difficile de dire - et je souscris aux propos de M. le Président - que les pays ne peuvent pas être des lieux de gestion, qu'ils n'ont pas de capacité administrative à gérer des projets et qu'ils ne seront que des lieux de proposition de projets pour contractualiser. On va rencontrer des difficultés à créer cette instance, ce lieu pertinent pour faire naître les projets.

De plus, dans les discours sur les communautés de communes et pays, on remarque souvent une confusion - je crois que cela s'est produit ici-même tout à l'heure - au sujet de la représentativité. Une définition très claire de ce que sont les communautés et des limites de ce qui se définit ou se décrit au niveau des pays paraît donc être tout à fait nécessaire

Par ailleurs, si je partage tout ce qui a été dit sur la mise en place des contrats territoriaux, sur la création de missions ou de services pérennes qui permettraient de disposer d'une sorte d'ingénierie, il me semble qu'en matière de financement les sommes sont relativement affectées et que nous aurons peu de chances de mobiliser autour d'une définition de contrat territorial qui correspondra simplement à une remise en cohérence de financements déjà été plus ou moins affectés ou décidés. Les 120 milliards de francs en provenance de l'État sont quasiment "labellisés", par conséquent la discussion sur le terrain va devenir extrêmement complexe, s'il n'y a pas de moyens supplémentaires pour créer ces contrats territoriaux.

M. Dominique Parthenay : Je répondrai au second point de votre intervention avant de revenir sur le premier. Concernant les moyens, vous avez raison, mais il faut savoir que nous avons, dans les lignes budgétaires des situations assez diverses quant à la souplesse d'emploi de ces crédits dont certains sont effectivement déjà clairement identifiés et dont l'inscription dans un contrat de territoire relèvera surtout de l'affichage, d'où la question qui se pose de savoir si nous obtiendrons ou non, à cette occasion, une modulation qui pourrait redonner un intérêt à l'exercice.

Pour autant, tel n'est pas le cas de tous les crédits des contrats de plan dont certaines lignes budgétaires offrent tout de même une relative liberté d'action.

En outre, si les contrats de pays ou les contrats d'agglomération sont adossés aux contrats de plan, ils n'ont pas vocation à se limiter à leurs seuls crédits et donc l'objectif, du moins du côté de l'État, sera aussi de mobiliser pour ces contrats territoriaux des lignes classiques, hors contrats de plan, ce qui revient à dire que le contrat de pays sera le produit d'une déclinaison des crédits contractualisés mais nécessitera aussi d'autres crédits.

Je prends un exemple pour aller dans votre sens : la Culture a des crédits dans le contrat de plan qui ne peuvent être territorialisés ; en revanche, elle dispose de nombreux crédits qui ne sont pas contractualisés et qui pourraient parfaitement venir construire des politiques territoriales. Il est un autre exemple fréquemment utilisé et qui est assez classique dans les contrats d'agglomération : la politique des transports collectifs, qui n'est pas dans les contrats de plan mais qui est censée se retrouver dans les contrats d'agglomération dont elle sera un des éléments substantiels. Il faudra donc jouer des deux alternatives et en l'absence de disponibilité des crédits du contrat de plan, aller effectivement chercher des crédits en dehors dudit contrat de plan.

Sur la question de savoir qui fait quoi sur le territoire ou dans les collectivités, nous avons d'autant moins emprunté cette voie dans la loi que, comme le rappelait M. le Président, nous nous situons bien dans une logique de démarche de projet et non pas dans une logique institutionnelle. Autrement dit nous parlons de missions et non de compétences.

Ce que je voudrais rappeler, c'est que cette démarche est fondée sur le volontariat et le partenariat, c'est-à-dire, comme il n'y pas de majorité qualifiée pour approuver un projet de pays, que des projets seront réalisés là où les intéressés le souhaitent et que, d'une certaine manière, l'articulation entre les différents niveaux d'acteurs locaux se fera, ou ne se fera pas, dans un consensus local. Finalement, nous avons délibérément écarté de la loi ou des textes d'application, une "rigidification" des rapports entre les acteurs, parce que toute avancée en la matière nous conduisait inévitablement sur le champ des questions institutionnelles, autre débat qui n'est pas celui de l'aménagement du territoire.

Un précédent existe depuis trente ans en dehors de tout cadre institutionnel véritablement fondé, c'est celui des parcs naturels régionaux : aujourd'hui, les parcs n'ont pas de compétence au sens des lois qui organisent les collectivités locales et cela fait trente ans qu'ils agissent sur leur territoire, portent un certain nombre de projets, sont maîtres d'ouvrage, etc.

Cela revient à admettre que le système de régulation s'est fait localement : je ne dis pas que, de temps en temps, cela ne pose pas de problème, mais je pense qu'effectivement nous sommes dans un système de volontariat. Vous avez d'ailleurs clairement souligné dans le texte de la loi que le projet doit être adopté par toutes les communes, et non pas par une majorité qualifiée. Le projet existe parce que l'ensemble des acteurs y adhèrent. Ce sont à travers les rapports entre les différents partenaires que les problèmes doivent se résoudre : ce ne sont pas les textes qui imposent des solutions.

M. Jean-Claude Daniel, Rapporteur : Mes questions portent sur la territorialisation des contrats.

Au sujet des pays, je suppose que l'INSEE ne l'ayant pas fait, vous n'avez pas pu le faire non plus, avez-vous pensé à croiser les cartes très intéressantes que vous nous avez montrées, en particulier celles des intercommunalités ou des pays constatés au titre de 1995 avec les effets démographiques ? C'est important dans la mesure où l'INSEE n'examine les faits qu'au travers de structures existantes, en particulier, de structures communales départementales, régionales alors qu'un certain nombre d'intercommunalités sont agissantes sur le territoire depuis maintenant suffisamment d'années pour que nous puissions nous interroger sur les effets constatés au niveau de la dynamique démographique.

Sans introduire forcément de raisons de causalité, j'aimerais savoir quelle corrélation il serait possible d'établir entre les deux phénomènes. Cela nous permettrait, en effet, d'avoir une autre lecture des cartes et de disposer d'arguments plus fondés scientifiquement.

Par ailleurs, dans les premiers contrats de plan - les deux qui sont signés et les dix qui sont sur le point de l'être - pouvez-vous nous indiquer ce qui est la politique territoriale hors contrat des régions et les mesures qui pourraient être prises pour la faire entrer dans les 25 % contractualisables ou contractualisés ?

Cela comporte des risques. Les régions ont des politiques territoriales, ce qui est normal et fait d'ailleurs partie de leur rôle politique, mais on peut avoir des glissements très importants qui auraient des effets pernicieux. Je vous en donne un exemple : le message fort que délivre la région où la Délégation se rendra prochainement en matière économique est le suivant : "dans le contrat de plan, j'accorderai une somme non négligeable pour contractualiser sur des zones d'excellence, des zones de développement industriel ou économique" mais elle ajoute aussitôt après qu'elle n'en accordera que deux par département.

Cela signifie que l'on ne se trouve plus dans une logique de projet au sens où nous l'entendions tout à l'heure de volontariat et de préparation locale, mais sur une incitation en tutelle forte de la région d'une politique localisée territoriale qui sera peut-être contractualisée. Nous avons donc là des biais qui mériteraient de donner lieu à une forte investigation et à une sérieuse analyse. C'est vrai dans les politiques de formation professionnelle, d'action sociale, de l'emploi - on l'a vu, par exemple, sur les emplois-jeunes ; bref, le phénomène se décline dans de nombreux domaines qui mériteraient notre attention. Autrement dit, quels crédits entrent réellement dans les 25 % contractualisés sur des logiques de projets territoriaux ?

J'ai vu également, dans cette même région, au travers des contrats de ville par exemple, que la région a tendance à dire aujourd'hui que son action traditionnelle sera partiellement intégrée dans les contrats de ville, si bien que nous assistons à un habillage d'une politique qui est la politique régionale territorialisée hors contrat...

Ma deuxième question concerne les services de l'État. Pour ne pas revenir sur des politiques anciennes dont nous avons mesuré tout à l'heure la difficulté, je m'en tiendrai aux politiques nouvelles. Pour ce qui a trait aux contrats territoriaux d'exploitation, entre autres, car je pourrais prendre d'autres exemples, je soulignerai qu'on a vu avec les dégâts de la tempête qu'il y avait des opportunités, par les contrats territoriaux d'exploitation, de tirer parti de la dimension territoriale conctractualisable, c'est-à-dire la dimension environnementale. Dans mon département, c'était le cas avec les forêts touchées par la tempête qui exigeaient un bûcheronnage immédiat - alors qu'il y avait une pénurie d'équipes de bûcherons - et une disponibilité de main d'oeuvre et de matériel qui se trouvaient chez les agriculteurs.

On a été incapable de mettre en place, sur une durée de six mois à un an, des contrats territoriaux d'exploitation à volets territorialisés environnementaux parce que les services de l'État dans les départements prétendaient qu'il fallait s'intéresser, d'abord et avant tout, à la partie professionnalisée en quelque sorte, c'est-à-dire à tout ce qui concernait l'agriculture et que, pour le reste, il fallait attendre.

Je constate donc qu'il y a une non-réactivité et une nonchalance qui laissent perplexes parce que nous sommes, là, sur des textes d'aujourd'hui et non d'hier et qui inquiètent fortement, y compris lorsque l'on questionne le ministère de l'agriculture.

S'agissant des contrats éducatifs locaux, la situation est de même nature. On observe une action volontariste forte des services de l'État au sujet du nombre de contrats éducatifs locaux et de leur répartition sur le territoire, mais dès que l'on parle financement et mise en action, le sujet devient nettement plus flou, pour ne pas dire plus.

Ma troisième question est relative à l'ingénierie. Je suis tout à fait sensible à l'orientation qui est prise sur l'ingénierie d'équipe et de complémentarité dans les capacités et les fonctions des personnes. Avez-vous observé ailleurs ce que j'ai pu observer sur l'un des territoires concernant l'effet induit par le programme Leader II : il a été mis en place une équipe d'ingénierie tout à fait performante, en un lieu où la densité moyenne de population est de cinq habitants au kilomètre carré sur un territoire relativement vaste, situé sur le plateau de Langres. Il se trouve maintenant inclus dans une dynamique de pays très intéressante et importante alors qu'en même temps l'ingénierie locale installée sur une partie de ce territoire est en train d'échouer en raison de la non-reconnaissance de l'inclusion dudit projet dans l'ensemble du projet de pays. C'est un phénomène bizarre mais dans les rares endroits où l'ingénierie fonctionnait, elle enregistre un important ralentissement.

J'en arrive à ma quatrième question qui sera aussi la dernière. Elle a trait à la logique de projet. Nous vivons, dans les territoires, un dilemme qui est le suivant : comme dans la pensée de certains, plus on projette et on plus on obtient pour réaliser, le projet global finit par devenir la compilation des souhaits. Or cette compilation devient totalement inopérante dans la mesure où son financement est hors de portée. Cela signifie bien qu'il y a un écart entre les projets mobilisables à l'échelle d'un pays et ceux qui peuvent réellement se concrétiser. Les projets imposent d'opérer des choix : sur cinq idées qui sont bonnes seules deux pourront peut-être être financées. Par conséquent, le rôle des responsables de projets est autant de pouvoir éliminer qu'apporter. C'est là une question qui est redoutable et aussi longtemps que l'on ne voudra pas l'aborder de façon pragmatique, on aura des pays fantasmatiques qui seront des lieux où l'on réfléchira beaucoup mais où on agira peu ! C'est, en tout cas, ce que nous avons observé avec le programme Leader.

De quelle manière pourrait-on présenter l'effet synergie, l'effet masse ? Quand le pays apporte sur ses propres deniers, qu'apportent les autres ? Qu'est-il possible d'apporter et comment circonscrit-on l'ensemble des projets réalisables en fonction des opportunités - cette fois au sens premier du terme - financières ?

Dominique Parthenay : Votre dernière question renvoie à deux types de préoccupations de nature assez différente.

Premièrement, je considère que l'apprentissage d'une démarche de projet est quelque chose d'assez long. Je ne crois pas - et c'est d'ailleurs l'un des problèmes de cette politique - que des territoires ou des acteurs peu familiarisés avec cette démarche parviennent rapidement à construire une stratégie, à pouvoir, non seulement bâtir un vaste catalogue mais également y effectuer des choix. L'une des difficultés de ces politiques - et c'est la raison pour laquelle elles ont souvent souffert du manque de continuité de l'effort public - c'est que, pour arriver à maturité, elles exigent du temps et que, si on peut accélérer les étapes d'un apprentissage à peu près incontournable, on ne peut pas les ignorer : d'où la nécessité de se donner du temps, de trouver les procédures susceptibles de nous permettre d'accompagner les différentes étapes et d'être attentifs à ce que chaque territoire peut faire à chacune d'entre elles.

C'est une première réflexion : il faut accepter aussi qu'à un certain stade, des territoires ne soient pas capables d'opérer ce tri, qu'ils donnent l'image d'un bouillonnement d'idées et de projets et que les choix s'effectuent, d'une certaine manière, un peu par la contrainte et non pas par la stratégie.

La seconde réflexion que m'inspirent vos observations, c'est que l'on voit clairement que tout cela renvoie à des enjeux d'échelle, c'est-à-dire que si on veut avoir les capacités d'agir et ne pas être tributaire des seules ressources externes, ce qui n'est pas satisfaisant - n'importe quel territoire, aussi fragile soit-il doit aussi pouvoir contribuer par ses propres moyens à ses projets, sans quoi il n'y a plus aucun lien entre l'effort et le projet et, par conséquent, il n'y a plus de régulation possible - il faut que les capacités financières soient un des éléments qui déterminent le périmètre. Il faut quand même avoir une ressource locale, non seulement intellectuelle mais aussi fiscale, qui permette de contribuer au projet qu'on bâtit sinon, cela n'a pas de sens.

Je laisserai Nicolas Portier vous répondre sur le programme Leader parce qu'il connaît mieux le sujet que moi mais sur les problèmes que vous évoquez, notamment sur ceux qui sont liés aux contrats locaux d'éducation, je dirai qu'on voit bien aujourd'hui que la territorialisation fait son chemin dans les esprits et dans les ministères. De plus en plus de textes, de plus en plus d'outils cherchent à mieux prendre en compte les enjeux de territorialisation, mais on est encore souvent dans des démarches sectorielles alors que la territorialisation plaiderait pour la transversalité.

Le fond même de cette démarche est de parvenir à reconstruire, par rapport à un lieu et à ses enjeux, de la cohérence entre des actions qui, jusqu'à présent, venaient s'y inscrire mais de manière sectorielle et individuelle. Or, pour l'instant , la pensée publique, du moins du côté de l'État, reste assez sectorielle.

Je ne parlerai pas des contrats locaux d'éducation que je ne connais pas assez, mais s'agissant des contrats territoriaux d'exploitation, je dirai que le ministère de l'agriculture reste tributaire de son dialogue privilégié avec la profession agricole.

Les contrats territoriaux d'exploitation pourraient être le fer de lance d'une évolution assez significative des politiques agricoles qui devraient beaucoup mieux prendre en compte les enjeux de la multifonctionnalité et ne pas s'en tenir au seul enjeu "agricolo-agricole", mais à l'ensemble des fonctions que porte aujourd'hui l'agriculture sur l'ensemble du territoire. Ces contrats viennent d'ailleurs conclure toute une phase d'expérimentation, comprenant des mesures agri-environnementales et un certain nombre de dispositifs qui, depuis une petite dizaine d'années, ont été testés sur des zones expérimentales - donc forcément plus modestes.

Or, nous restons confrontés aux rigidités de la structure : il en est résulté un débat au moment du vote de la loi d'orientation agricole pour savoir si les CTE s'appliqueraient uniquement aux professions agricoles ou s'ils allaient, au-delà, prendre en compte d'autres acteurs du développement rural, qui pourraient aussi assumer des fonctions de gestion. Ils ont été réservés aux professions agricoles au motif, ce qui n'est pas tout à fait faux, que les crédits venaient du ministère de l'agriculture. En même temps, on s'aperçoit que les crédits, notamment les crédits européens, sont totalement réservés aux agriculteurs, alors que les besoins du développement rural ne sont plus seulement ceux des agriculteurs.

Nous sommes effectivement au début d'un apprentissage. Ce qu'on n'a pas réglé par la loi - c'est notamment le cas pour les CTE où la passerelle entre loi d'orientation agricole et loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire existe, mais n'est pas vraiment solide - il va falloir le régler progressivement dans la pratique.

Personnellement, je ne désespère pas, lorsqu'on aura de vraies dynamiques de territoire, que le CTE en soit aussi l'un des instruments mais, pour qu'il joue parfaitement son rôle, il ne faut pas qu'il soit un exercice individualisé exploitation par exploitation, mais qu'il réponde à une stratégie cohérente sur des bassins : quand on veut gérer l'eau, ce n'est pas au niveau d'une exploitation qu'on le fait, mais bien au niveau d'un bassin.

D'une certaine manière, je dresse le même constat que vous, mais en l'occurrence la DATAR ne peut pas tout !

M. Félix Leyzour : La contradiction, c'est l'état normal des choses, la grande question étant de savoir comment parvenir à la dénouer en croisant les initiatives horizontales et verticales.

M. Dominique Parthenay : Tout à fait ! Je nuancerai néanmoins mon propos par un message d'espoir : je trouve quand même que cette préoccupation est en train d'émerger, pas forcément avec la fluidité ni la vitesse que l'on souhaiterait, mais de plus en plus significativement.

M. Jean-Claude Daniel, Rapporteur : En vous posant cette question, je souhaitais lancer un message d'alerte puisque l'objet du rapport est de souligner un certain nombre de points et de demander que l'on fasse preuve de vigilance sur certains aspects pour éventuellement les corriger.

Quand, sur les contrats éducatifs locaux, par exemple, le ministère de l'éducation nationale nous dit qu'il les instaure mais qu'il n'a pas de moyens pour les financer et que, sans doute, d'autres ministères peuvent le faire, on prend conscience que le long parcours des ministères est inefficace. Les collectivités territoriales, chez qui a pu s'imposer l'idée qu'un contrat éducatif local était souhaitable, finissent par porter l'essentiel du financement, ce qui est en contradiction même avec cette notion de partenariat au travers d'un contrat cosigné.

M. Dominique Parthenay : Nous allons essayer dans les circulaires de proposer - du point de vue de l'État - aux préfets de constituer un collège des administrations, composé des agents désignés au sein des principales administrations concernées pour bâtir cette transversalité dans la mise en oeuvre des politiques au plan local, de manière à avoir un vrai dispositif de suivi décloisonné au sein des différentes administrations, en tentant de réunir dans ce collège plutôt des agents qui s'intéressent déjà aux démarches de projet et il y en a ... Je ne voudrais pas dresser un tableau trop noir de la situation : nombreux sont ceux qui nous accompagnent et adhèrent à cette démarche. Il convient donc de les repérer et de construire des politiques transversales au plan local.

M. Nicolas Portier : Nous avons déjà constitué entre représentants des administrations un certain nombre de lieux de suivi et d'observatoires de la territorialisation des politiques publiques. Nous sommes en train de créer un répertoire de toutes les procédures territoriales qui recense, par exemple, les contrats éducatifs locaux, les contrats territoriaux d'exploitation et toutes les procédures ministérielles qui ont un sens dans la définition du terme "territorialisation", c'est-à-dire qui nécessitent une négociation, un diagnostic, une mobilisation collective. A travers ce répertoire et, au-delà, à travers l'observatoire, les séminaires et la réflexion, on s'aperçoit bien de la coexistence de deux cultures.

Nous allons sans doute réussir à bâtir, surtout si nous avons un appui politique sur la base de circulaires, des collèges de suivi interservices. Il restera à régler un point que nous n'avons pas tellement abordé : la question de savoir si cela se fera au niveau départemental ou régional. Du côté de l'organisation de l'État, la solution n'est pas simple.

En outre, au sein même de chaque service, nous rencontrons des difficultés : ceux qui s'impliquent ne trouvent pas aujourd'hui, ainsi que nous avons pu le constater, un encouragement dans un certain nombre d'administrations marquées sans doute par une culture régalienne de contrôle où la possibilité d'avancement obéit à une logique de corps technique plus orientée sur le contrôle, la bonne exécution de la décision centrale, donc plus sur une culture de centralisation, que sur cette culture de partenariat qui émerge actuellement dans les administrations de l'État, grâce à des agents qui ne sont pas forcément les plus gratifiés et promus.

Cette évolution est quand même assez complexe et une mutation de longue haleine s'impose. On voit dans certaines administrations que des agents se mobilisent en partenariat avec les collectivités ou les techniciens des collectivités, mais ils le font vraiment par intérêt personnel, sans que rien ne les y pousse dans leur plan de carrière.

Quant au programme Leader, il a été pour nous un véritable outil, pour accompagner les premiers pays, d'où la nécessité d'assurer une réelle cohérence entre Leader II et la politique des pays puisque, bien souvent, le programme Leader permet l'émergence des pays. Si on ne veille pas à ce qu'il y ait une bonne articulation à l'avenir, on va retrouver des pays en surnombre. Quoi qu'il en soit, Leader I comme Leader II a souvent été un dispositif qui a préparé, organisé le territoire, créé des dynamiques d'animation collective, de mobilisation d'acteurs socioprofessionnels et qui a très largement contribué à la création de pays.

Certes, quelques programmes Leader ont mal fonctionné - certains étaient à l'échelle départementale tandis que d'autres étaient trop petits - mais, sur de nombreux territoires, des pays se sont constitués grâce à ceux-ci. Il en résulte que notre souci, aujourd'hui, est de bien articuler ce dispositif avec les pays, de nous servir de ce programme là où il n'y a pas de pays pour amener progressivement ces territoires à une démarche plus pérenne et plus structurée, tout en veillant à ce que, là où des pays existent, le programme Leader conserve sa spécificité et ne soit pas simplement utilisé comme "argent de poche" des contrats de pays.

M. Jean-Claude Daniel, Rapporteur : L'Adecaplan, sur le plateau de Langres est une excellente structure d'ingénierie : c'est la seule qui existe à l'échelle du département, sinon de la région Champagne-Ardenne et je voulais souligner une certaine fragilité dans la reconnaissance de cette ingénierie du fait d'un changement de taille et de globalité. Les changements d'échelle ne sont pas simples pour les équipes pluridisciplinaires de terrain et il est indispensable de les accompagner.

M. Nicolas Portier : Pour accompagner les équipes locales, on ressent fortement la nécessité de constituer un dispositif d'appui régional. L'idée est d'utiliser les conventions d'objectifs au niveau local et de prévoir, au niveau régional, des documents d'application régionale de la politique pour que les collectivités territoriales et l'État puissent s'entendre sur une stratégie conjointe d'intervention. Nous voulons, sans l'imposer, que se constituent des lieux de suivi et d'appui technique pérennes au niveau régional , chargés de mettre en réseau un certain nombre de partenaires, de permettre les échanges entre les élus sur les actions menées, ou d'intervenir quand une petite équipe se trouve isolée, qu'il existe un problème de médiation. Ce dispositif pourrait être différent d'une région à l'autre.

M. Félix Leyzour : Evidemment la loi fait en sorte que la région soit le pivot de l'aménagement du territoire : où en est-on dans la préparation des signatures des contrats de plan État-région ? Toutes les régions sont-elles prêtes à signer ou certaines résistent-elles ici ou là ? Quelle attitude peuvent-elles avoir par rapport à la mise en oeuvre des politiques voulues par l'État ? S'il y a synergie, c'est positif, mais s'il y a résistance avec volonté de faire apparaître une politique propre par rapport à celle de l'État, cela l'est moins.

M. Dominique Parthenay : Globalement, mais je ne vous livre pas un avis d'expert dans la mesure où la DATAR aussi est sectorielle et qu'il y a donc des gens qui suivent plus directement la négociation des contrats de plan...

M. le Président : ...Il y a même de la verticalité !

M. Dominique Parthenay : Oui, mais elle n'est pas trop importante car il s'agit d'une petite maison où l'on arrive à communiquer. J'ai le sentiment, qui paraît confirmé par l'état d'avancement, que globalement, les engagements successifs qui ont été pris par le Gouvernement à hauteur des 120 milliards de francs et la manière dont cette négociation a été conduite ont résolu presque tous les problèmes et que cette génération de contrats de plan se prépare et se signe sans grandes difficultés et plutôt, me semble-t-il, à la satisfaction de la plupart des présidents de conseils régionaux, quelle que soit leur appartenance politique.

Il y aura sans doute une difficulté en Languedoc-Roussillon en raison de sa situation un peu particulière que vous connaissez.

Sur le volet qui nous préoccupe davantage aujourd'hui, à savoir le volet territorial, nous n'avons pas encore une lecture complète puisque, ainsi que je vous le disais tout à l'heure, nous ne disposons que de la moitié des contrats de plan État-région votés.

Il s'est trouvé, un peu par hasard, que les deux premiers contrats examinés et signés, étaient des contrats sur lesquels il y avait de fortes politiques régionales. Nous avons constaté, à cette occasion, qu'il n'était pas toujours très simple de marier la démarche de la région et celle de l'État parce que la région, finalement, d'une part, n'engageait pas ses propres crédits de contrats locaux dans les contrats de plan et que, de ce fait, elle avait du mal à prendre une position face à l'État et, que, en outre, ayant ses habitudes, elle ne voyait pas très bien ce qu'elle avait à partager avec l'État dans cette affaire. Sur des régions telles que les deux dont je viens de parler, il va falloir, dans la mise en oeuvre, progressivement rapprocher les points de vue.

Cette nécessaire adaptation des dispositions préexistantes justifie notamment l'élaboration d'une convention d'application annexée au contrat de plan État-région. Pour nous, la convention d'application doit permettre notamment d'organiser la transition avec des politiques existantes, préalables, et la convergence des politiques régionales avec celles de l'État. C'est aussi pourquoi je pense qu'il faudra que l'État ait des positions adaptées aux différentes régions : ne partant pas du même point, on ne peut pas examiner les politiques de la même manière selon que l'on est en Bretagne, en Nord-Pas-de-Calais, en PACA ou en Midi-Pyrénées.

Donc la période de trois ans, qui nous sépare de la mi-parcours des contrats de plan 2000-2006, doit être une phase d'adaptation et de convergence des politiques régionales. Il est des régions où des contrats sont actuellement signés selon le dispositif précédent. La région n'a aucune raison d'annuler ses engagements, nous allons donc devoir prendre la suite de ces contrats, attendre que ces contrats arrivent à leur terme pour entrer progressivement dans le nouveau dispositif. Tout cela va se faire de manière progressive.

Notre objectif, à ce stade, et c'est pourquoi je disais que les contrats étaient une étape, mais qu'ils n'étaient pas, en tant que tels, la garantie de la réussite, c'est qu'ils identifient clairement l'ambition d'un volet territorial, le chiffrent et le qualifient, que les crédits du FNADT soient clairement positionnés pour servir de levier et que la région et l'État s'engagent les premiers, puisque ce sont eux les deux signataires et les deux chefs de file du contrat ; mais nous n'excluons évidemment pas - puisque l'un d'entre vous a évoqué la place du département - le débat avec le département. Il va de soi que, dès lors qu'il y aura un accord local, les départements pourront signer la convention : il faut, là, effectivement, associer l'ensemble des partenaires désireux de s'associer. On prend appui sur l'État et la région parce que ce sont les partenaires leaders du contrat de plan, mais le dispositif s'élargira à tous ceux qui souhaitent y contribuer.

Par conséquent, le contrat de plan doit nous donner la "feuille de route", mais après, il faudra passer aux travaux pratiques et c'est alors seulement que je pourrai répondre avec plus de précision à la question que vous me posez. Mais nous n'avons pas eu, de la part de nos partenaires, de refus ni de rejet.

M. Félix Leyzour : C'est un peu compréhensible parce qu'une région ne peut pas se permettre de dire qu'elle refuse le contrat, mais elle peut se poser la question de savoir comment elle peut contribuer à amplifier, coordonner, la politique proposée, ou apparaître comme une identité particulière. On sait bien que toutes ces tentations existent.

M. le Président : Il me reste à remercier Nicolas Portier, Dominique Parthenay et Francis Ampe qui nous ont bien exposé comment se mettait en oeuvre la loi d'orientation d'aménagement du territoire et nous ont indiqué les avancées et les difficultés du volet territorial de la contractualisation. Ce qu'ils en ont dit est, je crois, non seulement intéressant, mais aussi porteur d'espoir - et ils nous ont montré que des politiques horizontales sont en train d'émerger et de se substituer à ce que nous craignions, à savoir la verticalité des relations entre les services de l'État et un certain nombre de services régionaux.

M. Dominique Parthenay : Si vous m'y autorisez, monsieur le Président, j'ajouterai que votre Délégation a ,tout comme le Conseil national d'aménagement et de développement du territoire notamment, un rôle, qui lui a été confié par la loi, d'évaluation des politiques du territoire.

C'est un sujet qui m'est cher dans la mesure où il me renvoie à un échec personnel puisque j'avais été, à un moment donné, chargé par le précédent Gouvernement de mettre en place le GIP - groupement d'intérêt public - de la loi Pasqua sur l`évaluation des politiques d'aménagement du territoire, lequel ne s'est jamais constitué.

Je pense que nos politiques publiques, et notamment nos politiques d'aménagement du territoire, manquent singulièrement d'évaluation.

Nous avons là un cadre d'autant plus approprié pour mettre en oeuvre une démarche d'évaluation que, cette politique démarrant, nous nous situons dans un processus qu'il va falloir accompagner et piloter dans le temps. Pour ce qui me concerne, je serais très favorable à ce que nous puissions avancer sur une stratégie d'évaluation de cette politique . Nous aurons vraiment besoin de tous pour progresser en ce sens.

M. le Président : C'est un point de vue que nous partageons. Je vous remercie.


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