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DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE

Audition de M. Jacques Chérèque, ancien ministre de l'aménagement du territoire, conseiller régional

Réunion du mercredi 15 mars 2000

Présidence de M. Philippe Duron, président

M. le Président : Mes chers collègues, c'est un plaisir de recevoir M. Jacques Chérèque qui fût le Ministre que nous savons, qui est conseiller régional et conseiller général aujourd'hui et à qui je souhaite la bienvenue au nom de cette Délégation à l'aménagement du territoire où il aurait eu toute sa place s'il avait été notre collègue dans cette Assemblée.

La Délégation a choisi de commencer ses travaux par l'étude des contrats de plan État-région en cours de signature et de s'intéresser à un thème plus particulier qui est celui du volet territorial des contrats.

Nous souhaitons que cette réunion porte essentiellement sur ce sujet. Nous avons déjà entendu sur ce thème les associations d'élus régionaux et départementaux, la collaboratrice du Premier Ministre et les collaborateurs de la DATAR.

Nous sommes allés la semaine dernière rencontrer à Châlons-en-Champagne le préfet de la région de Champagne-Ardenne, le président de la région et les présidents de groupe au conseil régional ainsi que le président du Conseil économique et social régional.

Ce matin, mes collègues ont auditionné le préfet de la région Basse-Normandie et le Secrétaire général aux affaires régionales (SGAR), et la semaine prochaine nous recevrons le préfet du Nord-Pas-de-Calais et son SGAR.

Dans votre rapport de mai 1998 intitulé "Plus de région et mieux d'État", vous faisiez une série de propositions, vous suggériez notamment de présenter deux volets du contrat de plan État-région, un volet macro-régional et un volet infra-régional.

Vous proposiez également de mettre l'accent sur le développement local et de contractualiser avec les pays et les agglomérations.

Ces suggestions ont été reprises par le Premier Ministre lors du Comité interministériel d'aménagement du territoire (CIAT) de juillet 1998 et confirmées dans la loi d'orientation et d'aménagement du territoire.

Aujourd'hui, les préfets et les présidents de région ont à faire un exercice un peu difficile : comment financer ces futurs contrats, comment réserver les crédits nécessaires pour que ce développement local puisse s'inscrire dans la réalité, puisse devenir efficace et être un des moteurs du développement territorial demain  ?

Tel est notre premier thème d'étude.

Je vais donner la parole à notre rapporteur qui va probablement essayer d'introduire plus précisément les questions qu'il souhaite voir traiter dans cette première série d'auditions en vue de l'établissement d'un rapport et de propositions au Premier Ministre et à la Ministre de l'Aménagement et du Territoire.

M. Jean-Claude Daniel, rapporteur : Nous souhaiterions avoir le point de vue de M. Jacques Chérèque sur l'intercommunalité, les contrats de plan et la contractualisation territoriale.

Les régions avaient pour certaines - presque toutes - des politiques qui leur étaient propres, déjà territorialisées, hors contrat, et il serait intéressant de savoir ce qu'elles sont devenues et d'examiner leurs caractéristiques actuelles.

Nous centrerons un certain nombre de questions sur les points suivants.

Premièrement, quel visage a votre région par rapport à la politique contractuelle territoriale, en particulier, où en sont les agglomérations et les pays, quelles sont les préfigurations, quels sont les pays déjà déclarés  ?

Qu'en est-il des problèmes "d'emboîtement" des différents contrats (contrats de ville, contrats d'agglomération, contrats de pays, contrats État-région), ce phénomène comportant des risques de redondance, ou au contraire de non-recouvrement ?

Quelle est la cohérence d'ensemble entre contrat de plan État-région et schéma régional d'aménagement du territoire (SRADT) et de quelle manière a été discutée l'inclusion du contrat de plan État-région dans une planification plus large, à savoir les schémas collectifs, que nous aborderons plus tard  ?

La deuxième question porte sur l'ingénierie de projet. Au-delà des crédits réservés à l'ingénierie par le biais du FNADT par exemple, comment celle-ci se met-elle ou se mettra-t-elle en place, concrètement, sur le terrain, notamment en ce qui concerne les moyens humains  ? La région dispose-t-elle de forces internes ou doit-elle aller chercher des aides ailleurs  ?

Au-delà de l'ingénierie de projet se pose la question de l'ingénierie de formation : on sent que l'on rencontre des difficultés avec l'implication d'organismes plus ou moins bien reconnus selon les régions.

Nous avons vu que c'était différent pour les régions Alsace-Lorraine ou Centre ou Champagne-Ardenne selon la politique de la région. En particulier, l'implication des missions locales, dans un certain nombre d'actes de développements territoriaux, est variable. Les missions locales d'arrondissement sont territorialisées et pourtant elles restent attachées à la ville qui les finance, et ne sont pas perçues comme un outil de développement.

M. Jacques Chérèque : Je vous remercie de m'avoir invité à cet échange. Cette problématique de la territorialisation au sens local du terme des contrats de plan ne date pas de cette génération.

Je rappelle - et ce n'est pas une immodestie de ma part - que la deuxième génération des contrats de plan de 1988/1993, que j'ai eu la responsabilité de conduire dans sa phase d'élaboration, avait prévu des programmes d'aménagements concertés du territoire (PACT), qui découlaient de l'expérience que j'avais eue pendant quatre ans comme préfet en mission spéciale chargé du redéploiement industriel de la Lorraine, du point de vue territorial, économique et social.

Puis, l'intercommunalité a évolué avec la loi du 6 juillet 1992 et celle du 4 février 1995 qui, pour la première fois, a inclus cette notion de pays. Le CIAT de 1997 et celui de 1998 sont allés plus loin.

Madame Dominique Voynet, Ministre de l'Aménagement du Territoire, m'a confié, après le CIAT de 1997, une mission qui a conduit à ce rapport intitulé "Plus de région et mieux d'État" formulait 33 propositions. Je me suis efforcé de l'assortir d'un préambule qui donne à la fois la philosophie et les raisons politiques des propositions que j'ai faites.

Il faut réfléchir au volet territorial à l'épreuve de l'évaluation des trois générations de contrats de plan, la première 1984-1988, la seconde 1988-1993,et la dernière qui a été rallongée d'un an.

J'ai été frappé par le fait que l'on arrivait presque toujours à se mettre d'accord, après d'âpres discussions, pour construire le volet essentiel du contrat de plan, à savoir les grands équipements, les routes, les autoroutes.

Les contrats de plan portaient sur le partage des compétences de l'État d'un point de vue financier : la région allait contribuer avec l'État à payer les routes, voire les autoroutes, les réseaux ferroviaires, les universités.

Le contrat de plan était devenu une entente entre l'État et la région sur la question fondamentale du financement des compétences de l'État. Il s'agissait souvent d'objectifs pertinents et nécessaires pour le développement de la région, l'État lui demandant des moyens financiers supplémentaires pour accélérer la mise en œuvre des projets.

Les grands défis de la mondialisation, de l'ouverture des frontières, des évolutions technologiques, voire des aspirations fondamentales des concitoyens étaient oubliés.

Le contrat de plan n'était pas une discussion entre partenaires majeurs. Or, même si ceux-ci ont des responsabilités différentes, la loi de décentralisation donne une certaine autonomie et une responsabilité à la région sur l'élaboration de son projet.

La discussion ne portait pas sur la nécessité d'une approche décentralisée ou déconcentrée de l'État, sur la manière dont l'État considérait la région concernée, et comportait encore moins souvent une réflexion de fond de la part de celle-ci, sur sa responsabilité de faire un diagnostic en profondeur de ses atouts, de ses handicaps, de son positionnement dans les grands défis nationaux et internationaux et sur l'élaboration d'un projet.

Par conséquent, les régions arrivaient à se mettre d'accord avec l'État sur les grands équipements, mais tout cela correspondait assez peu à la définition que l'État donnait au fil des ans aux grandes priorités de l'aménagement des territoires.

Le CIAT de 1997 avait d'ailleurs mis l'accent sur la nécessité de promouvoir une solidarité des territoires, de renforcer le positionnement des agglomérations, de valoriser la qualité des territoires et des hommes et d'essayer de progresser dans le partenariat et la démocratie participative.

De plus, étant donné la façon dont s'élaborait le contrat de plan, il n'était pas évident que la dynamique globale réduisait les inégalités entre les régions. Les contrats de plan ne contribuaient d'ailleurs pas à placer la région dans une bonne position dans les grands défis que je viens d'évoquer ; ils ne permettaient pas une meilleure harmonie des territoires et un plus grand équilibre entre les territoires d'une région et ne remédiaient pas au déséquilibre entre zones urbaines et zones rurale - quoique je pense qu'il n'existe pas d'un côté des territoires urbains et de l'autre des territoires ruraux, mais des territoires profondément ruraux et d'autres plus complexes.

Ma proposition était double : la région doit exercer sa responsabilité, l'État doit exercer la sienne et, dans un deuxième temps, il doit y avoir une concertation, voire une confrontation. On essaie alors d'établir des convergences d'objectifs et de points de vue, chacun selon ses responsabilités. A partir de là, on commence à élaborer un projet commun, puis un contrat commun. Il doit permettre, dans le cadre de l'intercommunalité, de réfléchir ensemble sur le développement économique et l'aménagement de l'espace pour pallier la dispersion des 36 000 communes françaises, pour mener des stratégies. Il faut aussi sans doute que des intercommunalités se fédèrent dans des territoires plus vastes.

On évoque la nécessité de territoire "conséquents", "pertinents", j'ai employé le terme "conséquent" parce que le terme "pertinent" me paraît subjectif. Qui décide de la pertinence  ? "Conséquent" veut dire qu'il s'agit d'un morceau de territoire comptant dans la région, au sens d'un grand bassin territorial.

Le terme "agglomérations" me paraissait clair, nous savons ce qu'est une agglomération. Cela fédère plusieurs intercommunalités et c'est un territoire dans lequel la stratégie commune de l'État et de la région s'exerce et dans laquelle aussi - c'est la dimension de la participation - on n'agit pas sur le développement simplement par une concertation des responsables politiques, mais aussi avec les forces économiques et sociales.

Une autre idée forte était de dire que le développement est le produit d'une vision "par le haut" avec des responsables élus dans ce but, mais aussi le produit d'une approche "par le bas" avec tous ceux qui concourent au développement du territoire concerné, qu'ils soient des acteurs politiques à la tête des intercommunalités, des acteurs économiques en réseau, fédérés ou non, ou des acteurs associatifs dans tous les domaines ; le développement est le produit de cette interaction.

Dans mon rapport, un territoire plus un projet plus une stratégie égalent un contrat.

L'approche du contrat d'agglomération et du contrat de développement part de la même idée politique.

Bien sûr, cela varie, les contenus sont différents, mais il n'y aurait pas un type de contrat particulier aux agglomérations, et un autre pour les autres territoires.

L'idée forte est que s'il y a un projet, il faut qu'il y ait un territoire bien sûr, mais comme ce n'est pas un échelon administratif ou une nouvelle intercommunalité infra-départementale ou super-départementale, c'est un lieu où l'on élabore ensemble le projet avec ses priorités. Il s'agit d'une démarche de partenaires et il en résulte que - c'est peut-être là que cela blesse -, en amont, pour élaborer le projet, on concerte élus, forces économiques, forces sociales.

On élabore le projet, puis celui-ci donne lieu à un programme, à des objectifs précis et éventuellement à un contrat. La maîtrise d'ouvrage du contrat avec son programme n'appartient pas aux partenaires d'une manière indistincte, elle appartient aux élus, c'est-à-dire aux communes, aux intercommunalités. Toutefois, la démarche en amont est une démarche de démocratie participative où des acteurs élaborent ensemble le projet.

Il est vrai que tout ceci ne s'est pas mis en place dans une logique temporaire, cela s'est mis en place parce que les contrats de plan venaient à échéance le 31 décembre 1999, et que devait se mettre en route le processus d'élaboration des contrats de plan de la nouvelle génération ; on ne pouvait pas, en effet, dépasser le 31 décembre 1999, puisque leur durée avait déjà été rallongée d'un an. En même temps, s'élaboraient les schémas de services collectifs et la loi Chevènement sur l'intercommunalité du 12 juillet 1999.

La raison aurait voulu que l'année 2000 soit consacrée à la mise en place de la réflexion sur le schéma régional d'aménagement du territoire, de la LOADDT, de la réflexion des services et qu'au terme de ce processus, nous ayons l'opération de contractualisation qui aurait découlé de cette approche logique. Or, l'élément clef qui a impulsé la dynamique et le processus des contrats de plan est moins la LOADDT et la loi Chevènement du 12 juillet 1999 que la circulaire de juillet 1998 du Premier Ministre.

J'ai trouvé beaucoup de satisfactions dans cette circulaire qui donnait des instructions aux préfets et faisait des propositions aux présidents de région, et je trouve que la LOADDT n'a pas obligatoirement clarifié les choses.

Pour répondre à vos questions, je n'ai pas une vision nationale mais je peux dire ce que j'ai proposé, ce qui m'a paru être retenu, les orientations qui ont été prises. Mon expérience est celle de la région Lorraine où, comme partout ailleurs, nous avons conclu un contrat de plan ; le représentant de l'État a fait son travail de diagnostic et de proposition d'une stratégie de l'État dans la région.

Je n'ai pas de critique à formuler vis-à-vis du représentant de l'État. Ses services ont vraiment fait un travail d'analyse et de diagnostic, une proposition d'orientation stratégique, dont on partageait tout ou rien, l'essentiel ou un certain nombre de points.

Du côté de la région, il a été difficile de se mettre dans la dynamique d'élaboration du diagnostic et du projet. Finalement, le débat du contrat de plan n'a pas débouché de manière satisfaisante sur une confrontation, ou sur une concertation sur les problèmes fondamentaux : quels sont du point de vue de l'État d'une part, de la région d'autre part, les grands défis, les grands enjeux  ? Nous sommes tombés sur le plus petit dénominateur commun, qui était malheureusement, plus classiquement, le débat sur les routes, les universités,...

Si bien que le volet territorial est resté un volet de principe et que le lieu de cette concertation et de cette confrontation qui était la conférence régionale d'aménagement durable du territoire (CRADT), - historiquement, c'est Madame Edith Cresson qui a eu l'idée d'une conférence régionale pour les contrats 1988-93, vers l'année 1991 ou 1992, à partir de la proposition faite avec la DATAR -, n'a pas été utilisé dans l'exercice qui vient de se terminer. Son rôle a été réaffirmé dans la circulaire du Premier Ministre et, de l'expérience que j'en ai, cela n'a pas été inutile.

Mais elle s'est réduite à un forum où la concertation s'est peu développée par défaut de volonté politique de la part du conseil régional qui avait du retard sur l'élaboration de son projet ; comme la CRADT est coprésidée, si l'un des deux acteurs est en retard ou ne joue pas le jeu, le résultat n'est pas satisfaisant. Tous les partenaires étaient présents, les chambres de commerce, les syndicats, les forces économiques, c'était de temps en temps un lieu intéressant, cela aurait pu l'être davantage, mais en fait cela a été un vaste forum où chacun parlait de son objectif particulier.

Nous sommes donc dans une certaine incertitude dans la deuxième phase où devraient se décliner les contrats de pays et les contrats d'agglomérations et ceci pour deux raisons essentiellement.

La première, c'est que je n'ai pas senti vraiment la volonté d'avoir un regard croisé sur les grands enjeux macro-économiques et sur leur impact sur les territoires, et sur les agglomérations. Quelle est la fonction des agglomérations dans la région  ? Quel rôle ont-elles dans la structuration de celle-ci, y compris des grands enjeux  ?

Il en résulte que l'expression qui monte des territoires n'a pas pu aboutir à la mise en valeur de la cohérence qu'il pourrait y avoir entre, d'une part, les attentes des territoires conséquents, agglomérations ou parties de territoires dans les pays et, d'autre part, les grands enjeux du contrat de plan macro-régional, parce que ce débat n'a pas eu lieu dans la CRADT.

Maintenant des réflexions se font jour, mais celles-ci restent marquées au coin d'une démarche un peu reconventionnelle des attentes des agglomérations et des pays.

Nous avons trois ans pour achever ce processus. La Lorraine, et particulièrement le département dont je suis le premier vice-président, a une vieille pratique d'une intercommunalité de projets, nous avons donc déjà sur le territoire du département des pays expérimentaux nés de la loi Pasqua du 4 février 1995.

Pour les grandes agglomérations qui marquent le territoire, le contrat d'agglomération s'élabore d'une manière classique, c'est-à-dire dans les commissions et à travers les outils techniques que se sont données les agglomérations, les agences d'urbanisme etc.

Or, dans mes propositions, le contrat de ville aurait dû être l'axe social d'une véritable solidarité, d'un projet de développement, ce qui ne fait pas simplement du contrat de ville un supplément d'âme sociale mais un élément stratégique.

Si je caricature, les contrats de ville, également pour les raisons précédemment citées, la LOADDT, la loi Chevènement, font presque l'objet d'une contractualisation à part et le contrat d'agglomération s'y ajoute, si bien que la cohérence entre le contrat de ville et le contrat d'agglomération n'est pas évidente.

Le contrat d'agglomération reste un exercice maîtrisé, pour ne pas dire plus, par les élus et les outils techniques que se sont données les grandes agglomérations ; cet exercice n'est pas en amont le produit d'une concertation entre les acteurs qui font l'agglomération ou le territoire ou le pays.

Quant à l'ambition de faire participer les citoyens, je dirais que je ne crois pas à la génération spontanée. On ne passe pas de l'organisation d'une communauté urbaine composée de comités syndicaux élus à une étape ultérieure, spontanément.

On commence en effet à travailler avec des réseaux associatifs, des chambres de commerce, des chambres de métier, des réseaux sportifs, des réseaux culturels et, on diffuse la démocratie auprès des citoyens. Plus on rassemble de réseaux, plus on touche une multitude de citoyens ; toutefois, la possibilité d'élaborer un contrat de pays ou d'agglomération, de le soumettre à la concertation voire à l'approbation des citoyens, représente un saut qualitatif que je souhaite, mais que nous n'avons pas encore réalisé.

En ce qui concerne les financements, on constate dans certaines régions, comme en Lorraine, une longue pratique d'intercommunalité conventionnée. Dans le département de Meurthe-et-Moselle, il existe des conventions de développement local entre le département et les établissements publics de coopération intercommunale sur les thèmes de projets.

Ces EPCI sont presque tous transformés en communauté de communes pour bénéficier de la dotation globale mais la plupart d'entre eux ont déjà une habitude de travailler avec des réseaux culturels, associatifs, sportifs, d'avoir une vision transversale des objectifs à travers les territoires.

C'est déjà un palier et nous l'avions amorcé dans les années 1988 : parce que nous avions les problèmes des bassins de conversion, des bassins houillers, nous avions créé des programmes d'aménagement concertés (PACT), des vallées textiles, des bassins charbonniers, des vallées sidérurgiques. Nous avions cet acquis, qui a continué en 1993 dans la dernière génération des contrats de plan , s'y ajoutaient des conventions de développement régional sur des espaces plus grands que les EPCI de proximité préfigurant nos pays, avec un comité de pilotage commun entre la région et les départements.

Dans ces PACT, l'État participait à des programmes spécifiques. Nous avons bénéficié d'un programme qui nous obligeait à avoir une vision "diagnostic-projet-territoire" et "territoire-diagnostic-projet" sur des bassins importants correspondant à des arrondissements charbonniers, sidérurgiques, ferrifères, textiles.

Je suis resté sur ma faim par rapport à la dynamique que portait la circulaire du Premier Ministre, et je trouve que le décret d'application de la loi - qui n'est pas publié, mais dont nous connaissons la teneur - a une approche trop méthodologique et pas assez pragmatique.

Je ressens un peu la loi comme étant très méthodologique, voire très technocratique, et je croyais que le décret d'application sur les pays allait redonner un peu de souffle à cette dynamique, en portant plus sur l'esprit de la loi, peut-être la circulaire en redonnera-t-elle davantage.

Le "carburant", c'est-à-dire le financement, va nous manquer également. Dans ma région, le conseil régional, compte tenu de son expérience, a créé un Fonds régional d'aménagement du territoire (FRAT), qui correspond au FNADT déconcentré. En principe, une concertation devrait avoir lieu, à l'intérieur du contrat de plan, sur les grands espaces que l'on a à peu près dessinés, et nous devrions retenir ensemble des objectifs communs financés par le FNADT et par le FRAT.

J'avais proposé que soit créé un fonds régionalisé, m'appuyant sur l'expérience que j'avais eu du FRIL, le Fond régionalisé d'initiative, qui avait été très apprécié, parce qu'il était un fonds déconcentré auprès du Préfet de région avec une grande souplesse et une rapidité d'utilisation, mais l'existence de ce fonds régionalisé impliquait que le conseil régional et l'État dans la région s'entendent sur des objectifs.

Je crains fort, même si c'est un progrès d'avoir un FRAT et un FNADT déconcentré, qu'il n'y ait pas articulation entre ces deux fonds régionaux sur des objectifs communs. Nous risquons d'avoir deux implications parallèles sur les territoires.

J'ai fait l'impasse sur les fonds structurels, qui sont aussi modifiés fondamentalement, mais dont la simplification outrancière pose problème, d'autant que le débat n'a pas eu lieu. Le fonds structurel, lorsqu'il intervient sur un territoire, est-il un plus pour un territoire et a-t-il une cohérence avec les priorités du territoire ?

Je n'ai pas ressenti que la réforme des fonds structurels européens portait sur ce thème, chacun se contentant de réclamer des crédits. A ce sujet, la DATAR a plus que moi une vision nationale, je suis un peu dans l'expectative.

Il a été positif de donner trois ans à la montée en puissance des territoires mais, derrière tout cela, il est nécessaire de clarifier les enjeux. Une bataille doit être menée car beaucoup sont hostiles pour des raisons diverses au développement de la démocratie participative.

On remarque une frilosité dans la mise en œuvre des territoires. Nombreux sont ceux aussi qui, à travers ce qu'ils appellent le développement local, entretiennent un clientélisme de bon aloi ; or, à partir du moment où l'on a une démarche de partenaires, de projet et de stratégie, on réduit considérablement la possibilité pour un conseil général ou un conseil régional de continuer dans cette voie.

D'ailleurs, les collectivités territoriales, dans leurs exécutifs régionaux, départementaux ou intercommunaux ne sont pas seules en cause, cette dynamique percute aussi de plein fouet les habitudes de l'État.

J'ai été préfet et ministre, je sais donc ce que représente l'État, mais je pense qu'il est important que le citoyen s'y retrouve ; plus les centres de décision s'éloignent, plus les enjeux du développement à connotation économique posent des effets d'échelle et des effets de seuil. Si, sur le territoire, on n'implique pas les individus dans ce qui les touche directement (exclusion, emploi et conditions de vie), si on ne montre pas que la politique d'aménagement des territoires est aussi la prise en compte des besoins de la population, les résultats se font attendre.

M. le Président : Votre intervention a permis de recouper des débats que nous avons eus. Je pense que nous n'avons pas souhaité être trop méthodologiques dans la loi mais nous l'avons été un peu par sédimentation des demandes et par nécessité de trouver des majorités et des consensus.

Il est vrai que les décrets ont tendance à être un peu redondants par rapport aux dispositions législatives. Le décret sur les pays est un peu une réécriture de l'article 25. C'est un peu dommage.

Pour le groupement d'intérêt public (GIP), nous souhaitions la plus grande souplesse possible, mais on sent bien que le ministère de l'Intérieur a des craintes au sujet de cette espèce d'objet mal identifié et a souhaité retrouver une capacité de contrôle, notamment de contrôle de légalité.

M. Jacques Chérèque : J'ai regretté que le conseil de développement, qui est un "portail", pour employer le vocabulaire d'Internet, par lequel passent le projet et la confrontation des partenaires, soit un peu devenu dans la loi et dans le décret un élément secondaire que l'on consulte deux fois par an.

J'imaginais qu'on passait par le portail, qu'on élaborait le programme et qu'à partir du moment où étaient dégagés des fonds publics, il appartenait aux élus d'avoir la responsabilité de leur gestion.

M. le Président : Dans la loi, nous n'avons pas souhaité que ce soit simplement un organe consultatif, mais nous avons mis un filet de sécurité pour qu'il soit au moins consulté deux fois par an. Cependant, dans l'esprit des collègues qui ont travaillé sur ce texte, il s'agit évidemment d'un outil de proposition et d'élaboration du projet. Les débats parlementaires sont assez nets à ce sujet.

M. Jacques Chérèque : On ne sent pas fortement la volonté que c'est un point de passage, pas obligatoire, mais un point de passage presque préalable.

Si je regarde le contrat d'agglomération, il se fabrique in vitro sur la ville avec les outils techniques et technocratiques que s'est donnée l'agglomération - par exemple une agence d'urbanisme - et, comme il est élaboré sous la houlette de l'exécutif majoritaire, il est soumis à la délibération d'une assemblée d'élus.

Et si je caricature, on réunira éventuellement, ensuite, les forces économiques, les forces sociales pour leur demander ce qu'elles en pensent. Si elles en pensent le plus grand bien, tant mieux, si elles en pensent le plus grand mal, tant pis.

M. Le Président : A ceci près que la grande difficulté est de juger aujourd'hui de la pertinence de ces outils que sont les conseils de développement, dans la mesure où les agglomérations et les pays au sens de la loi Voynet ne sont pas encore arrêtés par les préfets. Nous avons seulement un exercice d'élaboration des projets préalable à la mise en place d'une institution. C'est ce qui pose problème aujourd'hui, me semble-t-il.

Mais nous avons souhaité dire que le conseil de développement était le lieu de l'élaboration du pays ou de l'agglomération et qu'il était aussi un organisme souple. Par exemple, nous avons souhaité une grande liberté de constitution du conseil de développement, alors que nous avions un certain nombre de demandes d'institutions, notamment de chambres consulaires qui souhaitaient être mentionnées dans le texte de loi et être les partenaires exclusifs du monde économique ; cela nous a semblé être une prétention excessive, cela nous a semblé aussi être une contrainte qui n'était pas forcément opérationnelle partout sur le territoire. C'est pourquoi nous n'avons pas été trop en aval sur la définition du conseil de développement. Il en est de même pour la présence des associations.

En effet, les associations reconnues posent des problèmes dans la mesure où cette reconnaissance est souvent nationale et, sur le territoire, les associations qui ont une dimension nationale ne sont pas forcément représentées. Nous avons buté sur la difficulté de qualifier ou de prédéterminer les associations qui devraient faire partie des conseils de développement et nous avons souhaité laisser une marge d'autonomie au territoire qui élabore son projet.

M. Jean-Claude Daniel, rapporteur : Il nous a semblé que la force pédagogique des projets pouvait définir la part échue aux différentes associations, c'est pourquoi nous avons laissé une certaine latitude aux territoires pour les désigner.

Je voudrais revenir sur la territorialisation au travers de cinq questions. La première concerne le FRAT. Plusieurs régions avaient élaboré des dossiers sur l'utilisation d'un fonds régional d'aménagement du territoire. Or, pour beaucoup d'entre elles, c'était devenu le fonds permettant un saupoudrage et donc un moyen de pression politique vis-à-vis de l'ensemble des collectivités territoriales de second ou troisième rang.

Quelle est la part des crédits du FRAT dans la contractualisation territoriale ? Quelle est la part incluse dans le contrat de plan État-région ? La région a-t-elle conservé une part importante des crédits FRAT non contractualisés ?

Existe-t-il dans le contrat de plan une modulation qui veille à l'équité républicaine, c'est-à-dire donner plus là où on a moins ?

Existe-t-il un travail préparatoire sur le suivi annuel du contrat, sur les conventions de mise en œuvre ? Cela me paraît une des dimensions peut-être les plus importantes de ce qui va se passer sur le contrat de plan, car un peu partout on a défini les lignes et donné les enveloppes, mais, sur le suivi de la mise en œuvre, beaucoup d'interrogations demeurent.

Je reviens aux conseils de développement. Nous avons remarqué dans la région Champagne-Ardenne un problème redoutable, qui est celui des pays en voie de formation ; ils se constituent en association d'abord avant de savoir comment ils évolueront, et forment des conseils d'administration presque uniquement composés d'élus, dans lesquels le conseil général prend la prééminence, refusant les partenaires sociaux et économiques.

Où est la démocratie participative dans ce cas ? Je voulais savoir s'il existe des problèmes de ce type dans votre région avec des pays déjà instaurés, ou des pays en devenir ou des agglomérations, ce qui nous permettrait de faire une observation suivie in situ  ?

De manière plus générale, il est important d'établir aujourd'hui un point zéro de la situation et de faire à nouveau le point dans un an ou deux sur l'évolution du contrat de plan à travers la réalité de terrain. Je sais que certains territoires ont une exemplarité au regard de ce que nous proposons et faisons, il serait important que nous puissions désigner un ou deux projets dont nous puissions suivre l'évolution.

M. Jacques Chérèque : Le FRAT est identifié comme une enveloppe globale et nous ne savons pas encore comment nous l'utiliserons, sinon que nous avons un plan lorrain qui était l'élaboration du projet global lorrain. Il existe donc des priorités territoriales à travers les agglomérations, à travers des espaces territoriaux conséquents, significatifs et en pleine réflexion ouverte et nous étions dans le cas de figure que vous décrivez avec une ligne budgétaire appelée "micros projets".

Dans ce cas, la commission d'aménagement du territoire a une réelle fonction dans le conseil régional de suivi et de proposition. Elle a travaillé en amont dans l'élaboration du projet régional, nous l'avons décliné sur le contrat de plan et nous avons eu pour principe de remettre en cause ce qui existait auparavant.

Nous avions un système où nous avions créé un appui aux villes, en fonction de leur importance. Nous avions établi des villes d'appui, il s'agissait de gros bourgs qui avaient une fonction structurante et nous avions créé une dotation d'un million de francs par an, que l'on appelait la dotation "ville relais". Nous nous étions entendus avec le département pour qu'il attribue également un million de francs, ce qu'on appelait une aide sur un contrat de complémentarité.

La dotation de "ville relais" signifiait qu'une ville accomplissait des actions au bénéfice de son bassin. Nous n'avons jamais réussi à articuler le fonds régional avec le fonds départemental. Si bien que certaines villes ont utilisé la dotation de "ville relais" pour leurs propres équipements, peut-être était-ce une compensation, mais elles ne sont jamais inscrites dans une dynamique de complémentarité avec les communes environnantes, alors que le contrat de complémentarité devait les concerner également.

Quelquefois ces bassins ont créé des communautés de communes ou des districts qui avaient des objectifs d'équipement et maintenant le problème se pose du projet de la communauté de communes. Dans la mesure où il s'agissait d'égalité républicaine, quelle que soit l'importance de la ville relais, qu'elle soit dans un bassin très développé ou non, elle recevait un million de francs. Certaines faisaient un effort pour mettre en œuvre un contrat de complémentarité, mais d'autres pas.

Sur six ans, pour une ville de 12 000 habitants, six millions de francs est une somme non négligeable. Or, ce montant n'a pas toujours contribué à ce qu'elle prenne en compte sa fonction de "ville relais" et d'animation, parce qu'il fallait qu'elle s'entende avec les communes environnantes.

Le FRAT existe, les principes sont posés, la démarche est en route, mais nous sentons que nous touchons à des options politiques, des options d'égalité et de démocratie.

Pour le suivi annuel, la région a créé un Institut lorrain d'évaluation. Nous voudrions que l'évaluation soit à la CRADT une démarche commune. Autrement, le SGAR fait son évaluation de son côté et la région la sienne de son côté. Existera-t-il deux FRAT, celui de l'État et celui de la région, ou irons-nous vers des convergences ?

S'agissant du conseil de développement, je n'avais pas encore perçu ce détournement dont parle le rapporteur. Je suis dans le cas de figure où j'ai créé il y a dix ans une association de développement des vallées de la Meurthe et de la Moselle regroupant 43 communes, 80 000 habitants et de grands bassins industriels sidérurgiques, dont l'une des usines majeures a disparu dans la restructuration de 1985.

Cette association est dotée d'un conseil d'administration tripartite : 22 élus, 11 chefs d'entreprises et 11 représentants d'associations qui ont une importance à l'échelle du territoire.

Ce conseil d'administration a créé un bureau relevant également de la loi de 1901, qui compte six élus et trois chefs d'entreprise. Nous tenons fermement à la présence de ces derniers, car ils sont quotidiennement confrontés à la dynamique de leur entreprise et, en général, y participent.

M. Le Président : ... et participent donc à la dynamique du territoire.

M. Jacques Chérèque : Exactement. Maintenant notre problème est que notre conseil d'administration devrait devenir conseil de développement ; il est conforme à l'esprit de la loi puisqu'il est tripartite.

Nous avons, dans ces 43 communes, 22 communes de 500 habitants et des communes de 5 000, 7 000 ou 8 000 habitants qui sont des communes industrielles, ainsi que la ville de Pont-à-Mousson qui compte 14 000 habitants.

Nous avons su créer des projets sur les 22 communes rurales, nous avons mené des politiques de rénovation du patrimoine, de rénovation des entrées de villages, de bâtiments de ferme dégradés destinés à être loués.

Nous avons conduit des politiques qui fédèrent les communes rurales et nous avons demandé au conseil général et au conseil régional de signer des conventions appelées programmes de coopération intercommunale sur les communes rurales.

La politique de la ville s'applique aux communes de 5 000 ou 7 000 habitants, anciennes communes ouvrières, désormais en pleine recomposition, mais qui ont encore des quartiers ouvriers, de mineurs, de sidérurgistes et nous avons dégagé des objectifs communs.

Nous avons une équipe adaptée, nous nous sommes créés des outils techniques. Depuis dix ans, les communes donnent 10 F par habitant, 3,50 F pour l'outil technique que nous appelons agence de développement et d'urbanisme, mais nous avons pris soin que toute la maîtrise d'ouvrage relève des communes ou du secteur privé. Maintenant nous pensons que les maîtres d'ouvrage des fonds que nous collectons vont devenir des communautés de communes.

Nous attendons la constitution d'un groupement d'intérêt public, mais jusqu'à maintenant les subventions que nous recevons ne sont que des subventions de fonctionnement ou d'étude et nous avons pris soin de ne jamais recevoir des fonds destinés à des établissements publics qui soient des communes ou des communautés de communes.

Nous pensons que la transformation de notre association et notre conseil d'administration en conseil de développement, puis la création d'un GIP, sera conforme à l'esprit et la lettre de la loi ; les faits que vous décrivez sont un détournement de l'esprit de la loi.

Mais nous avons différents cas de figure. Certains départements essaient de parvenir à une délimitation du pays qui corresponde aux réalités. C'est à partir de cette étape qu'il se produit des dérapages. Parfois la tentation est grande pour certains départements de mettre à la tête du pays un conseiller général et de lui donner des crédits sous conditions, afin de contrôler la montée en puissance du pays. Mais je sais que certains présidents de conseils généraux se demandent loyalement comment s'organiser en pays.

Pour répondre à la dernière question, en Meurthe-et-Moselle, il existe trois pays constatés de type "loi Pasqua", le pays de Colombey qui est éminemment rural, le pays de Lunéville qui correspond à un arrondissement, et le pays que j'anime, qui a été créé depuis dix ans, et compte maintenant 120 000 habitants.

Je serai ravi si l'on venait voir ce que nous faisons, mais nous sommes en pleine mutation, parce que nous devons nous mettre en conformité avec la loi, je crois que nous sommes dans l'esprit de la loi par anticipation, et je serais navré que la loi, par sa lettre, nous pénalise.

Nous avons élaboré le projet et nous déclinons le programme ; depuis septembre 1999, nous avons presque 300 personnes constituées en groupe de travail, nous avons réuni les associations, maintenant nous sommes obligés de faire des choix, de hiérarchiser les projets.

Il est positif d'additionner les projets, les objectifs, mais il faut savoir qui paie. Parfois nous ne le savons pas. Il n'y avait pratiquement pas d'EPCI, la loi de 1992 a permis les communautés de communes mais la participation, l'intégration des communautés de communes au processus n'est pas évidente, parce que, sur mon bassin, la communauté de communes la plus importante, 35 000 habitants, est passée du désastre sidérurgique à une dynamique de redéveloppement. Nous sommes aux portes de Nancy, nous avons une université non loin, cette communauté de communes remplit strictement ses compétences, aménagement de l'espace, développement économique et deux compétences optionnelles, dont le traitement des déchets.

Une communauté de communes est une communauté de compétences ; si les communes ne lui donnaient pas leurs compétences en matière de sport, de politique sociale, de culture, la communauté ne fonctionnerait pas. Or, je ne sens pas les communes qui la constituent prêtes : elles se trouvent mieux dans la dynamique du pays pour la culture, le sport, les services, car elles ne délèguent pas leurs compétences dans le pays, alors que dans la communauté de communes, elles doivent le faire et elles pensent qu'elles vont perdre de leur identité.

Nous avons créé notre association en 1989, la communauté de communes a été constituée en 1995 avec la décision d'instaurer une taxe professionnelle unique. La communauté de communes commence à avoir beaucoup de moyens financiers, elle a de ce fait une vision très gestionnaire, alors que lorsque nous étions vraiment dans la crise nous étions plus attentifs les uns aux autres pour nous soutenir.

M. Pierre Cohen : C'est un problème qui me semble très important, dans la mesure où le pays est ce que nous avons voulu dans la loi, c'est-à-dire une entité où l'on conçoit un projet, on crée des dynamiques, sachant que les véritables structures qui portent ces dynamiques sont les intercommunalités.

En région Midi-Pyrénées, la dynamique de pays est faible jusqu'à maintenant ; dans les seuls qui s'étaient déclarés, les communes ne déléguaient pas réellement leurs compétences, mais en faisaient partie uniquement pour des raisons d'image. Il faut lutter contre cette dérive.

Les contrats de plan État-région ont un rôle à jouer pour remédier à ce type de problème.

Il me semble qu'on ne peut pas évoquer de pays s'il n'y a pas au moins des communautés d'agglomérations, c'est-à-dire des périmètres pertinents par rapport à la politique de la ville.

Dans la constitution des territoires, il y a des enjeux de pouvoir, de périmètre, de structuration, de compétences, et l'association des personnes extérieures aux élus n'est pas aisée.

Quant à la notion de schéma de service collectif, pourrons-nous espérer, dans les trois ans à venir, conduire une réflexion sur la participation à l'élaboration de ce schéma ?

M. Jacques Chérèque : A propos de votre première série de questions, je crois que le pays est une démarche stratégique, une démarche de projet, c'est comme un mini projet régional. Cela devrait être, pour partie, une déclinaison du projet régional, donc du contrat de plan et, pour partie, une prise en compte des réalités du territoire et des attentes des acteurs du territoire. Nous sommes moins concernés par la gestion de compétences, puisque que le pays n'est un échelon ni de gestion ni administratif, que par la définition d'une politique.

Dans notre projet de pays, nous avons une politique de développement économique que l'on dit porteuse d'emplois et économiquement durable : il s'agit de la reconstitution d'un tissu industriel qui a complètement disparu et d'emplois socialement utiles.

Nous avons essayé de nous mettre d'accord sur les politiques, mais sur des termes concrets. Nous avons aux confluents de la Meurthe et de la Moselle une belle vallée, où n'existent plus d'usines sidérurgiques majeures, nous avons installé des entreprises non polluantes, nous avons donc un véritable patrimoine architectural et environnemental. Nous avons essayé de définir une politique touristique qui se déclinera sur les portions de territoires que sont les communautés de communes.

Nous avons tenté d'élaborer notre projet de la façon la plus large possible et de développer ensuite la concertation, nous avons rencontré toutes les communes, les communes moyennes et importantes ont réuni leur conseil municipal, et nous avons échangé nos points de vue.

Nous avons également réuni les conseils communautaires pour examiner avec eux leurs priorités en tant que telles et comment elles pouvaient être mises en synergie avec celles des voisins.

Certaines communautés de communes cependant n'ont pas de compétences déléguées dans tous les domaines visés par le contrat de pays. Dès lors elles ont souhaité d'elles-mêmes, tout en gardant tout en gardant leurs propres compétences, les mettre en relation avec les communes adjacentes, par exemple en matière culturelle ou touristique.

Le risque, identifié, pour les communautés de communes très fortes, est celui d'un repli sur soi, que la communauté de communes devienne une fin en soi au détriment du maillage sur des objectifs communs, sur des bases intercommunales ou entre les communes.

L'État n'est pas très présent dans notre dynamique. Nous bénéficions d'une écoute positive mais ce n'est pas la culture ni la tradition du SGAR et là nous sommes quand même dans un cas où l'organisation concrète des services publics n'est pas résolue, lorsque nous sommes dans un espace avec de grandes infrastructures, un aéroport, une base logistique.

Le préfet de département en est au début de l'organisation du service public de l'emploi. Nous sommes dans un espace comportant beaucoup d'industries et beaucoup de nouvelles industries. L'État engage une réflexion sur l'organisation du réseau éducatif, des lycées, des lycées professionnels, de l'hôpital local, de l'hôpital relais et en particulier du service public de l'emploi, ANPE, AFPA, Direction Régionale du Travail. Mais il ne s'agit pas d'une démarche de territorialisation.

En ce qui concerne le département et le conseil général, la constatation est la même. Le conseil général commence à engager une réflexion sur l'organisation médico-sociale, l'organisation de la gérontologie.

Nous avons construit notre projet, le préfet a participé à notre séminaire de lancement, il vient de nommer un sous-préfet aux affaires économiques chargé des arrondissements hors de la ville-centre Nancy et sa communauté urbaine et il commence seulement à participer à nos réunions et à s'interroger sur les questions posées.

Nous n'en sommes qu'au début d'une véritable territorialisation.

La déconcentration précède la décentralisation et l'État aura toujours une limite dans la décentralisation.

M. Jean-Claude Daniel, rapporteur : Par conséquent, la politique du département ne se déclinant plus facilement au travers des cantons, il faut que les conseillers généraux et le conseil général retrouvent le droit à la politique du département au travers du pays.

C'est un acte positif que le département juge que sa politique départementale passe par ce nouveau découpage de projet ; mais, a contrario, lorsque l'analyse est faite de cette manière, la tentation est grande de penser qu'il faut maîtriser les outils du développement durable que sont les pays ou les agglomérations et que, par conséquent, les élus territoriaux ne peuvent pas être absents. C'est ce que nous voyons dans les départements que nous observons, cela pose un vrai problème.

Concernant la territorialisation des services, il est vrai que les services de l'État sont importants et qu'ils peuvent et devraient avoir des déclinaisons territoriales, tout comme c'est vrai aussi pour tous les organismes publics, privés et semi-publics qui ont des missions de service public.

Aujourd'hui, le Ministre de l'Economie et des Finances annonce un semi-moratoire sur tout ce qui concerne les perceptions et les trésoreries, comme un autre gouvernement avait prévu un moratoire sur les établissements scolaires ou les services publics. La solution d'un moratoire est la plus mauvaise qui soit, car elle gèle une situation déterminée dans un contexte qui n'est plus celui du développement local que l'on souhaite pour des projets territorialisés.

Cela veut donc dire que si l'on veut que la politique de territorialisation aille à son terme, il ne faut pas de moratoire, ni de disparition ou de concentration du service public.

C'est une difficulté que nous n'arrivons pas à maîtriser, le débat actuel sur le service public est lié à ce problème. Beaucoup de nos concitoyens souhaitent que le développement de ces territoires soit lié à la présence du service public et des services. Or, on annonce d'autres concentrations. De quelle manière pouvons-nous affronter ce problème  ?

M. Jacques Chérèque : Vous posez un problème redoutable.

Je crois que le conseiller général paradoxalement, peut-être moins en ville, mais hors agglomération, reste l'élu territorial le plus pertinent, ce n'est pas pour autant qu'il soit associé d'emblée au processus de territorialisation.

Les conseillers généraux des cantons qui maillent le pays de la Lorraine sont très actifs, lorsqu'ils sont maires et qu'ils ont été concernés au début par la dynamique d'intercommunalité. Mais tous ne le sont pas. Un autre problème s'ajoute, le découpage électoral administratif du canton est souvent différent de la cohérence territoriale.

Moi-même, je suis conseiller général d'un canton où l'une des communes majeures de la communauté urbaine de Nancy ne participe pas et n'a jamais participé à la dynamique de construction du pays, puisque celle-ci commence aux portes de la communauté urbaine. C'est un vrai problème et ceci est valable pour d'autres cantons, comme par exemple le canton de Nancy Nord où une partie des communes sont dans l'agglomération et les autres sont des communes rurales.

J'ai été à un moment persuadé que l'on pouvait remettre en cause tout cela. Je ne le suis plus. Je me rappelle les grands moments où, avec la DATAR, nous imaginions de grandes régions, voire une disparition des départements ou une homogénéisation des 36 600 communes.

J'ai découvert que le fait que nous ayons 36 600 communes n'était pas contradictoire avec la démocratie ; plus les centres de décision s'éloignent plus les citoyens savent que le Maire est le premier interlocuteur et le situe comme l'interlocuteur de la République. Pour eux, la République, c'est le Maire, plus on est petit plus on a besoin de toucher quelqu'un rapidement.

Je suis assez persuadé que c'est sous l'effet de dynamiques qui induiront des cohérences de partenariats et de projet, qu'un jour, les citoyens auront une influence sur le législateur ou sur les élus.

Derrière cela, il y a un problème politique, je suis persuadé que tous ceux qui s'investiront dans la dynamique de projet, d'écoute, de partenariat, d'imagination, seront plus appréciés des citoyens. C'est un vecteur de démocratie.

Les adversaires de cette approche savent que ceux qui s'en emparent avec une volonté politique de démocratie participative maîtriseront un peu l'avenir.

M. le Président : Monsieur le Ministre, nous vous remercions pour cet échange extrêmement riche.


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