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DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE

Audition de M. Rémy PAUTRAT, Préfet de la région Nord-Pas-de-Calais

Réunion du mercredi 22 mars 2000

Présidence de M. Philippe Duron, président

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Rémy Pautrat, préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, accompagné de M. Claude Kupfer, secrétaire général pour les affaires régionales.

Monsieur le préfet, je suis particulièrement heureux de vous recevoir, car nous nous sommes connus sous d'autres cieux. Je sais que vous nous apporterez une contribution extrêmement riche, votre expérience étant grande et votre connaissance des territoires parfaitement subtile.

La délégation a choisi de commencer ses travaux par l'étude des contrats de plan État-région, actuellement en cours de signature. Elle s'intéresse tout particulièrement au volet territorial de ces contrats et souhaite que notre réunion porte sur ce thème. En effet, la loi du 25 juin 1999, dans ses articles 25 et 26, offre la possibilité aux nouvelles mailles territoriales que sont les pays et les agglomérations de contractualiser avec l'État dans le cadre des contrats de plan État-région.

Le Premier ministre, lors du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 23 juillet 1999, a indiqué que 20 % des enveloppes des contrats de plan seraient consacrés au volet territorial ; d'autres chiffres ont parfois été évoqués, allant même jusqu'à 25 %.

Ce dispositif autorise et encourage les régions et les départements à s'agréger à l'État et à compléter ainsi le financement des projets territoriaux. Il peut constituer un levier pour le développement des territoires infra-régionaux. Le problème est le suivant : comment financer les contrats de plan, quelles sont les modalités à mettre en place ?

Nous savons que le Gouvernement n'a pas retenu l'idée de crédits "fongibles", qu'il a préféré consacrer des lignes budgétaires en totalité ou en partie à ce financement ; mais la réalité sur le territoire est probablement plus complexe.

Comment avez-vous perçu cette loi d'orientation et d'aménagement du territoire en tant qu'acteur territorial ? Comment avez-vous prévu cette contractualisation qui est encore embryonnaire, puisque les pays et les agglomérations sont tout juste en train de se constituer ? Comment allez-vous donc réserver ces crédits jusqu'en 2003 ? Enfin, quel est votre point de vue sur cette façon de concevoir l'aménagement du territoire ?

Je vous propose de nous présenter un exposé liminaire, puis nous vous poserons un certain nombre de questions.

M. Rémy Pautrat : Monsieur le président, messieurs les députés, la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire me fait penser aux paroles d'un philosophe : "En philosophie, les questions sont plus essentielles que les réponses, et chaque réponse est même une nouvelle question" !

Nous avons tout à fait conscience de l'innovation considérable que représente ce texte et des chances accrues qu'il donne à une démocratie participative. Cela étant dit, il est vrai que nous nous posons un certain nombre d'interrogations, car il s'agit d'un changement culturel très important. Aujourd'hui, il me semble que le problème se pose moins pour les élus, qui ont déjà très bien intégré la valeur ajoutée qui se trouve dans cette démarche territoriale, qu'aux services de l'État, qui ne participent pas encore à celle-ci.

Je vous présenterai un exposé en trois parties. La première est un historique des initiatives qui ont été prises antérieurement à cette loi du 25 juin 1999 dans la région Nord-Pas-de-Calais. Dans la deuxième, je vous dirai quelles dispositions nous avons prises pour nous organiser de façon à intégrer cette démarche territoriale dans le contrat de plan, sous réserve de son adoption, puisqu'il a été rejeté la semaine dernière par les conseillers régionaux. Enfin, je terminerai par la partie la plus stimulante, les enjeux de cette loi dans la région Nord-Pas-de-Calais, les enjeux collectifs et les enjeux spécifiques à l'État et à ses services.

Le Nord-Pas-de-Calais est un terrain fertile, propice à la loi du 25 juin 1999, puisqu'un certain nombre d'initiatives et d'expériences remontant à de nombreuses années donnent les meilleures chances d'application à cette loi.

En matière d'expériences contractuelles antérieures à la loi Voynet -s'agissant de l'approche territoriale-, trois éléments sont significatifs : les contrats d'agglomération, les contrats de développement rural et les sous-espaces régionaux.

En région Nord-Pas-de-Calais, le soutien aux projets d'agglomération remonte à une dizaine d'années, au contrat de plan 1989/1993. Il a concerné 15 agglomérations ; 210 millions de francs de crédits spécifiques et 203 millions de crédits européens ont été consacrés à ces projets entre 1994 et 1999.

S'agissant des contrats de développement rural, la politique d'aménagement rural remonte à 1976. La contractualisation a commencé en 1994 et a été exécutée à partir de 1996, à l'échelle non pas du bassin d'emplois mais du bassin de vie, plus réduit. Vingt et un territoires ont été concernés par ces contrats de développement rural, et deux à trois communautés de communes dans chaque territoire, avec une mobilisation de crédits de l'ordre de 75 millions de francs de crédits spécifiques.

Troisième catégorie d'initiatives, les sous-espaces régionaux, et notamment la convention d'aménagement et de développement du littoral, qui a également une assise financière constituée par un fonds de développement - le FODEL ; 39 projets ont été financés pour un montant de 28 millions de francs. Il s'agit d'une démarche qui intéresse d'autres sous-espaces régionaux, tels que le Hainaut-Cambrésis, qui sont intéressés par des financements de cette nature.

Quels enseignements pouvons-nous tirer de ces expériences ? Une évaluation est en cours. En effet, nous avons créé une cellule d'évaluation en partenariat avec les services de l'État, de la région et des départements, qui traite à la fois des pays et des agglomérations. Nous avons fait appel à des cabinets de consultants privés. Nous sommes en cours de finalisation, et nous pensons rendre l'évaluation publique vers le mois de juin.

En ce qui concerne l'évaluation des politiques d'agglomération, les résultats sont intéressants, puisqu'ils révèlent plus de cohésion entre les acteurs des agglomérations, une aide décisive en matière d'ingénierie -notamment en termes qualitatifs-, et un développement de la capacité d'attraction des villes-centres d'agglomération.

Plusieurs préconisations ont été avancées par le cabinet d'études. Tout d'abord, mieux expliciter les objectifs, mieux préciser les finalités, le projet global, avec un engagement plus fort que celui qui a été enregistré dans ce dispositif de soutien aux agglomérations. Ensuite, parvenir à une meilleure efficacité administrative qui passe sans aucun doute par une instruction des dossiers à un échelon infra-régional. Puis, atteindre une meilleure efficacité financière, notamment par un recours accru aux crédits de droit commun et un accompagnement plus fort des services fonctionnels de l'État, de la région et des départements dans le soutien des actions prioritaires des agglomérations. Elaborer un tableau financier qui nous permette d'avoir en permanence un compte rendu du recours aux crédits de droit commun. Enfin, assurer une meilleure visibilité de la politique de soutien aux agglomérations.

S'agissant de l'évaluation de la politique des contrats de développement rural, les résultats sont les suivants. En termes de projet, deux tiers des communes rurales ont été couverts par ces contrats, dont environ 60 % en zone rurale fragile. La démarche engagée avec ces contrats reposait sur un diagnostic et une stratégie, c'était une approche coordonnée et transversale à l'échelle du territoire.

Nous nous sommes rendu compte que pour concrétiser un contrat de développement rural, le délai était d'environ 3 ans - ce qui est un peu long. Mais le travail de diagnostic et d'élaboration de la stratégie pouvait, dans certains cas, le justifier. Nous pouvons également noter la taille sûrement trop réduite des territoires pour des questions de développement économique.

Les propositions du bureau d'études sont les suivantes : clarifier le contenu de la politique et son cadre d'application ; tenir davantage compte des spécificités locales ; renforcer la dimension contractuelle et partenariale de cette politique.

Cet historique explique la demande que l'on sent s'exprimer aujourd'hui sur le terrain, grâce, notamment, aux réunions d'information organisées par l'équipe du SGAR. Plusieurs territoires ont fait connaître leur volonté de s'engager dans l'élaboration d'un projet de pays ou d'agglomération.

La deuxième partie de mon exposé porte sur l'organisation des partenaires pour intégrer la démarche territoriale dans le contrat de plan.

Du point de vue de l'outil, nous avons créé un groupe technique des territoires qui traitera à la fois des problèmes de pays, d'agglomération et de ville. Le pilotage en a été confié au SGAR et à la direction régionale de l'équipement ; ce groupe est composé de représentants du conseil régional, les départements étant représentés au niveau des responsables des services techniques.

Un groupe plus restreint est chargé de préparer le travail de ce groupe technique, et lorsque le contrat de plan sera signé, nous avons prévu un comité de pilotage unique pour piloter à la fois les politiques de pays et d'agglomération. Ce traitement unique nous paraît important pour assurer la cohérence de l'ensemble.

Cette organisation procède d'une vision commune et partagée entre l'État, la région et les départements. Sans trop entrer dans le détail, je vous dirai que nous sommes convenus de trois principes, que l'éligibilité de l'ensemble de la région était indispensable, que la base était le volontariat, et enfin, qu'il convenait de rechercher autant que possible l'adéquation entre le territoire et le projet.

Quatre éléments de cadrage ont été retenus : un projet pour chaque territoire, une structure intercommunale pour piloter le projet, la mise en _uvre d'un pilotage partenarial et la signature d'un contrat de nature transversale.

Ont été retenus comme espaces de contractualisation possibles : les grandes agglomérations à dominante urbaine, les agglomérations qui sont en synergie avec leur environnement rural, les territoires ruraux et les grands espaces, ou les parcs naturels régionaux.

En ce qui concerne les objectifs opérationnels, nous en avons, en partenariat, identifié un nombre réduit. Le premier est l'animation au niveau régional : essayer de renforcer les dynamiques territoriales avec l'appui des outils et des réseaux régionaux, ce qui suppose à la fois des actions de formation et d'observation ; nous disposons de l'observatoire régional de l'habitat et de l'aménagement qui sera un instrument utile pour susciter cette dynamique.

Le deuxième objectif est la mise en place de crédits d'ingénierie importants. Notre souci est de favoriser le développement et la pérennité d'une ingénierie territoriale opérante. Nous nous sommes en effet rendu compte, dans l'exemple précédent, que l'on en avait un grand besoin en Nord-Pas-de-Calais, et que là où l'ingénierie fonctionne bien, les résultats sont au rendez-vous.

Enfin, le troisième objectif est la mobilisation des crédits spécifiques pour financer des actions et accompagner la mise en _uvre des stratégies territoriales et des contrats de ville en agglomération.

Nous avons prévu 185 millions de francs pour l'animation au niveau régional, 450 millions de francs de crédits d'ingénierie et 600 millions de francs de crédits spécifiques, le volet territorial s'élevant à 3 milliards de francs dans le contrat de plan, la part totale de l'État étant de 10,5 milliards de francs.

Nous avons prévu d'organiser une transition entre les dispositifs territoriaux existants et les dispositifs futurs. Celle-ci prendra la forme d'une convention d'élaboration d'une charte de pays ou d'agglomération ; les éléments de méthodologie seront fournis aux groupements de communes. Nous avons également prévu des avenants au contrat de développement rural, avec les territoires qui ont décidé de s'engager dans cette démarche d'évolution vers le pays. Enfin, il est envisagé un financement limité d'actions de préfiguration en agglomération avant la signature du contrat d'agglomération.

Je rappellerai également qu'en Nord-Pas-de-Calais, nous avons, par rapport à la démarche nationale de sites témoins, deux communautés urbaines : celles de Dunkerque et de Lille métropole, qui sont des expériences en grandeur nature dont nous allons tirer un grand nombre d'enseignements utiles dès le mois de juin prochain.

J'aborderai en troisième et dernière partie de mon exposé les enjeux de la loi dans la région. Je développerai deux volets : d'une part, les enjeux communs aux divers promoteurs de la démarche, et, d'autre part, les enjeux spécifiques à l'État.

S'agissant des enjeux communs aux divers promoteurs, j'en ai relevé sept. Premièrement, il convient d'arriver à franchir un palier dans la qualité des projets de territoire. Nous avons tous conscience de l'importance que revêt la construction d'un projet de territoire pour l'aménagement du territoire. Mais il s'agit tout de même d'un exercice inédit. Un projet de territoire, ce n'est pas seulement un diagnostic, ce sont aussi des étapes à maîtriser, une stratégie à définir, un point d'aboutissement clairement identifié, le chemin à trouver ; c'est également définir un plan d'action pluriannuel et mettre en _uvre les actions et les évaluer, avec les financements correspondants.

Nous voyons bien que dans cette démarche, un certain nombre d'acteurs de terrain ont tenté de mettre la charrue avant les b_ufs et ont raisonné en termes d'actions déconnectées de la stratégie, en essayant de faire une espèce de catalogue, afin notamment de mobiliser des crédits. Or un catalogue n'est pas une stratégie. Il convient de commencer par le commencement, c'est-à-dire par identifier le but à atteindre.

Cela est important, car de la qualité de la démarche d'élaboration du projet de territoire va dépendre le succès ou l'échec de cette approche territoriale. C'est la raison pour laquelle il faut beaucoup de créativité et de capacités de négociation. Il s'agit d'un changement culturel très important.

Deuxième enjeu, lutte contre la logique de guichet. Le risque du projet de territoire est de laisser entendre qu'il s'agit d'un exercice un peu formel pour certaines collectivités, de façon à mobiliser des crédits publics -Le projet ne progresserait alors pas beaucoup.

Troisième enjeu, l'organisation de la participation de la société civile à travers les conseils de développement. Bien entendu, on ne peut que se féliciter de la participation des acteurs individuels, des associations, des entreprises, à la conception et à la mise en _uvre de l'évaluation des projets de territoire, notamment par le biais des conseils de développement.

Cela étant dit, il ne faudrait pas que ce soit un exercice uniquement formel qui ne serve à rien. Nous devons avoir une réflexion sur le sens de ces conseils de développement ; une expérience grandeur nature à lieu en ce moment à Lille avec le conseil communal de concertation, dont nous pourrons tirer des enseignements tout à fait utiles.

Quatrième enjeu, l'articulation de la politique de la ville et la politique d'agglomération. Notre ambition est en effet d'intégrer ces deux politiques qui, jusqu'à présent, ont été conçues et mises en _uvre de façon indépendante. Il s'agit d'une bonne démarche qui ne sera pas facile à mettre en place sur le terrain mais que l'on traitera sérieusement, car du point de vue de la finalité, elle n'est pas discutable.

Sur chaque territoire concerné, le choix d'un comité unique de pilotage pour les deux politiques favorisera certainement cette intégration. Demain, la mise en réseau des équipes d'ingénierie et de maîtrise d'_uvre jouera aussi beaucoup, et sera même un élément majeur dans le succès de cette approche territoriale.

Cinquième enjeu, la mobilisation des crédits sectoriels. La question que l'on peut se poser est de savoir si les crédits spécifiques vont réellement jouer un effet de levier sur les crédits sectoriels ou sur les crédits de droit commun. C'est un écueil qui est apparu au cours des expériences de contractualisation précédentes. En outre, il est vrai que la méthode de travail territoriale est innovante, et qu'elle n'est pas encore très bien comprise par un certain nombre de rédacteurs d'objectifs sectoriels du contrat de plan.

Sixième enjeu, la gestion de la complexité liée à l'emboîtement des échelles d'action. L'énoncé du principe de subsidiarité est clair : chaque problème doit trouver sa solution à la bonne échelle spatiale. Mais en pratique, c'est tout de même un peu plus compliqué, car s'il y a les principaux territoires -les pays, les agglomérations et les sous-espaces régionaux- il y a aussi d'autres limites spatiales qui fondent, de leur côté, la mise en _uvre des politiques sectorielles ou de droit commun : ce sont l'arrondissement, les parcs naturels régionaux, les bassins versants, les quartiers en contrat de ville, les villes en grand projet de ville.

Ajoutez à cela que certains élus conjuguent des responsabilités municipales, territoriales, nationales, de délégation dans les groupements de communes. Cette conjugaison ne facilite pas toujours l'identification de l'échelle de territoire la plus adaptée pour conduire des actions. Il conviendra donc d'essayer d'appliquer la loi du 25 juin 1999 avec souplesse : chaque pays ou agglomération sera un cas particulier. Il sera en effet difficile d'avoir un cadre de référence unique, et l'on devra tenir compte de l'ensemble de ces données.

Septième enjeu, la nécessité pour l'État de se familiariser avec cette nouvelle approche. La démarche de conduite de projets transversaux, la logique d'action territoriale ne sont pas des données immédiates de la conscience administrative et du comportement administratif.

Or les groupements de communes qui vont se lancer dans cette démarche attendent de trouver en face d'elles des personnes à la fois convaincues de l'intérêt de la démarche et prêtes, culturellement, à changer en termes de méthode de travail. Or il reste encore sans aucun doute, en ce qui concerne les services de l'État, du travail à réaliser, un terrain à défricher. Les services de pointe, les services pilotes, adhèrent, évidemment, à cette nouvelle démarche, mais, pour de nombreux services il s'agit encore d'une problématique à laquelle ils sont étrangers.

Le second volet portera sur les enjeux spécifiques à l'État.

La problématique de loi du 25 juin 1999 est claire : la loi ouvre des potentialités inédites pour un développement participatif. Il me paraît essentiel aujourd'hui que les services de l'État en région y donnent du sens et qu'ils aient conscience de la valeur ajoutée de cette approche territoriale par rapport aux pratiques actuelles.

Aujourd'hui, le vide qui existe dans les prescriptions de la mise en _uvre par l'État de l'approche territoriale est à double tranchant. Il s'agit, d'une part, d'un atout, parce qu'elle donne une grande souplesse en termes d'organisation ; elle laisse aux acteurs la possibilité de s'organiser suivant les réalités régionales. D'autre part, il s'agit d'un handicap redoutable, car l'absence de tout cadrage fait reposer le succès sur la capacité d'adhésion et la conviction des services de l'État.

Pour ma part, je pense qu'il est temps de déterminer le cadre de cet exercice, car je crains qu'il ne soit pas facilement maîtrisable !

Première question : en quoi peut consister la démarche territoriale du point de vue des services de l'État ? Les services de l'État vont devoir apporter leur concours à des groupements de communes organisées en territoire au sens de la loi du 25 juin 1999, qui vont prendre l'initiative de se mobiliser pour définir et mettre en _uvre un projet de développement à moyen terme, de 10 à 15 ans. En fait, il s'agit d'une tâche de pédagogie à l'égard des élus en matière d'intercommunalité.

Nous devons également nous intéresser au problème de la coordination interne aux services de l'État sur le territoire donné. Faut-il un guichet unique, et si oui, quel guichet ? Faut-il qu'il s'adresse au comité de pilotage au nom de l'ensemble des services de l'État ? Ou faut-il plutôt créer un tandem constitué d'une sous-préfecture et d'un service technique ? C'est un vrai débat.

Deuxième question : pourquoi les services de l'État accepteraient-ils de bon c_ur de s'adapter à une démarche territoriale ? En dehors du fait que la loi l'impose, nous devons trouver les arguments donnant les raisons pour lesquelles l'on doit s'engager résolument dans cette démarche.

Tout d'abord, la démarche territoriale ne remet pas tout en cause. Chaque service continue à mettre en _uvre ses compétences techniques propres, et conserve la maîtrise de ses lignes budgétaires. Ensuite, la démarche s'applique si elle est pertinente. Enfin, il conviendra de privilégier l'expérimentation.

En outre, travailler avec d'autres services de l'État présente des avantages, tels que l'ouverture réelle sur d'autres logiques ; il faut développer cet esprit de réseau.

L'autre élément pouvant susciter l'adhésion des services qui pourraient s'interroger est que l'efficacité de l'action peut en être accrue. La démarche territoriale va faire une part importante aux équipes d'ingénierie, ce qui stimulera les services de l'État qui se trouveront en face d'acteurs d'envergure.

Quelles seront les nouveautés pour les services de l'État dans cette démarche ?

Tout d'abord, dans la phase d'instruction proprement dite, ils ne seront pas toujours habitués à la réalité de l'approche transversale des projets. Il faut arriver à apprécier la pertinence d'une action, non plus seulement par rapport à des décrets ou à des circulaires relatifs à la mise en place d'une politique sectorielle, mais par rapport à un projet de développement global du territoire.

Ensuite, dans la phase de mise en _uvre et d'animation du territoire, un service pourra être amené à jouer le rôle de rapporteur devant le comité de pilotage au nom d'autres services sur des questions relatives à des secteurs autres que son secteur propre.

On peut par ailleurs se demander si l'approche territoriale est une méthode de travail compatible avec notre pratique actuelle ? Je répondrai oui, mais à certaines conditions.

Il faut d'abord que chaque service parvienne à définir ses propres modalités pour donner du sens à la démarche territoriale. Un échec de la territorialisation serait de nommer un "chargé de mission aux territoires" qui traiterait de l'ensemble du problème, sans changer en rien la pratique actuelle du reste du service.

Il faut ensuite une certaine cohérence des actions et des stratégies locales avec les dispositifs d'aide qui ne sont pas contractualisés, qu'ils soient de caractère national, régional ou départemental.

Enfin, dernière question, qui va mesurer les progrès de la territorialisation ? On ne peut pas mettre en place une démarche de cette nature sans se soucier des résultats. Un certain nombre d'indicateurs sont prévus dans le contrat de plan État-région qui permettront de mesurer les résultats de la démarche territoriale, de même que dans le DOCUP, mais il est vrai que l'on ressent le besoin d'avoir un observatoire de ces résultats. Nous devons être capables, en permanence, d'avoir une photographie de ce qui se passe, afin d'être en mesure, si l'on a fait fausse route, de corriger une pratique ou une procédure.

En conclusion, je vous dirai que l'on sent bien que la démarche territoriale est profondément innovante pour les services de l'État. Pour susciter l'adhésion, il convient d'avoir une démarche de conduite du changement, qui est certes délicate, et de s'entourer de garanties, notamment en recourant aussi souvent que possible à des expertises extérieures, à des cabinets de consultants. Il convient également d'organiser des formations et de promouvoir des phases d'expérimentation.

Tels sont, dans la région Nord-Pas-de-Calais, les éléments déterminants.

Un autre élément, spécifique au Nord-Pas-de-Calais, est très important : celui de l'insuffisance des effectifs dans les administrations publiques. J'avais, au moment de l'élaboration du projet, attiré l'attention du Premier ministre sur la situation du Nord-Pas-de-Calais. Un grand nombre de projets n'ont pas vu le jour dans la phase précédente parce que avons été incapables de mener les procédures correspondantes dans les délais prévus, les effectifs étant insuffisants dans certaines directions.

A la DDASS, par exemple, plus de 30 postes ne sont pas pourvus. En matière de sécurité, le département du Nord a un policier pour 520 habitants contre un policier pour 380 habitants dans le Rhône ou les Bouches-du-Rhône. Ce manque de fonctionnaires a un impact considérable ; dire que le Nord-Pas-de-Calais est une région sous-administrée n'est pas exagéré.

J'étais d'ailleurs très satisfait de constater que la lettre de mission adressée par le Premier ministre faisait le constat, pour la première fois, de ce sous-effectif de la région Nord-Pas-de-Calais, et prenait l'engagement d'essayer de remettre, dans les sept années qui viennent, ces effectifs à niveau.

S'agissant du succès de la démarche, une bonne partie sera liée à notre capacité de développer une administration de partenaires. Il s'agit d'une stratégie que nous développons avec les chefs de service de l'État : nous essayons de faire percevoir l'administration non seulement dans sa fonction régalienne mais de montrer qu'elle a une capacité d'expertise et d'accompagnement tout à fait essentielle et qui peut être mise à la disposition des particuliers, des collectivités locales et des entreprises.

Je crois beaucoup à cette notion de partenaire. L'arrivée et la mise en _uvre des nouvelles technologies de l'information et de la communication sont un enjeu tout à fait décisif. Or ces technologies entrent lentement dans le fonctionnement des services de l'État.

En ce qui me concerne, je ne suis en réseau avec aucun service de l'État de la région Nord-Pas-de-Calais ! Je suis en train d'introduire une messagerie en préfecture, et j'ai maintenant une centaine de personnes ; mais je ne dispose d'aucun tableau de bord permanent avec la direction régionale de l'équipement, la DRASS ou la DIREN.

M. le Président : Monsieur le préfet, je vous remercie. Vos propos étaient à la fois riches, extrêmement illustrés et posaient clairement les problèmes.

Pour ma part, je souhaiterais savoir comment s'articulent dans votre région à la fois la démarche d'encouragement régional -la région et vos services s'investissent pour essayer de définir les territoires de projet- et la demande qui émane du territoire lui-même.

Par ailleurs, nous partageons votre point de vue sur la nécessaire transversalité qui doit exister dans les services publics -il s'agit d'un sujet qui nous préoccupe au sein de cette délégation-, ainsi que sur la territorialisation des services de l'État, sujet difficile mais indispensable si l'on veut réussir à apporter une espèce d'équité devant les services publics, pour les territoires et pour les citoyens.

M. Jean-Claude Daniel, rapporteur : Monsieur le préfet, ma première question n'en est pas vraiment une puisque vous y avez répondu : comment est constituée, en territoires pertinents, votre région ? Manifestement, il existe une diversité dans la constitution des territoires, d'une région à l'autre. Pour votre part, vous êtes apparemment bien doté, mais j'ai relevé dans votre propos que le mot "agglomération" était employé à la fois au sens de l'INSEE, de la LOADDT et de la loi Chevènement ; ce qui prouve bien que vous avez, là aussi, rencontré un problème de cohérence entre les différents sens de ce mot et sa signification dans l'organisation du territoire.

Vous avez rencontré des difficultés, en ce qui concerne la multi-contractualisation et les emboîtements des contrats de ville, contrats de pays, contrats d'agglomération et contrats de plan État-région, ainsi que des contrats spécifiques à tel ou tel territoire et les procédures que l'on est amené à promouvoir dans le cadre de la politique européenne, dont on a peu parlé. Quelles difficultés rencontrez-vous au travers des lectures de ces différentes règles de contractualisation dans leur application à un même territoire, le même lieu pouvant faire partie d'un projet de ville, d'un contrat d'agglomération, voire d'un contrat de pays ?

Ma deuxième question concerne l'ingénierie. Vous avez indiqué la masse financière consacrée à celle-ci grâce à l'utilisation du FNADT. A peu près tous les présidents de région ou les préfets que nous avons auditionnés ont répondu de la même manière, à savoir que l'ingénierie était un élément important, et qu'un montant non négligeable y serait consacré. Ce qui nous intéresse également, c'est de savoir à quel type d'ingénierie vous ferez appel et à quoi elle sera destinée. L'ingénierie de projet, l'ingénierie d'action et l'ingénierie de service -y compris celle que l'on peut trouver dans les services de l'État- ne sont pas de la même nature ; certaines sont internes au territoire, d'autres externes, de quelle manière envisagez-vous vraiment la présence d'une ingénierie forte dans votre région ?

Ou est-elle déjà forte et de quelle manière la mobilisez-vous, en général à l'échelle de la région, et en particulier de manière territorialisée ?

Ma troisième question concerne également la cohérence. Où en êtes-vous dans les SRADT successifs et dans le SRADT que la région n'a pas manqué d'adopter ? Quelle sera sa cohérence avec le contrat de plan État-région ?

Sur cette vision à moyen et à long terme, comment articulez-vous la stratégie à 20 ans et celle d'un contrat de plan qui dure 6 ou 7 ans ? Pour d'autres régions, cela a été difficile. La préparation des schémas de services collectifs fixe d'autres objectifs à 20 ans : une étude a-t-elle été menée sur la cohérence entre ces trois types de définition politique, SRADT, contrat de plan État-région et schémas de services collectifs ?

Enfin, dernière question, la région a-t-elle adopté une modulation des aides en fonction de la pertinence territoriale, et, si oui, sur quels critères ?

M. Rémy Pautrat : S'agissant de la modulation des aides, je dois vous dire que j'y suis assez favorable. Prenons l'exemple du développement durable. Il est de fait que si l'on veut faire entrer cette préoccupation dans la pratique et que l'on veut sortir des idées générales, il convient d'encourager un certain nombre d'initiatives et d'opérations qui répondent très spécifiquement à cette préoccupation.

La notion de développement durable doit trouver son application dans la région Nord-Pas-de-Calais. Je serais donc favorable au fait de moduler un certain nombre d'aides suivant la qualité des opérations et des projets. Si l'on veut faire entrer cette notion dans les faits, l'ajout d'une sanction est nécessaire.

M. Jean-Michel Marchand : C'est de la discrimination positive !

M. Rémy Pautrat : Oui, tout à fait. Mais une fois qu'on l'a dit, on se rend compte qu'il n'est pas si facile de faire entrer cette notion dans les faits. Si l'on manque cette occasion dans le contrat de plan État-région, on passera à côté d'un rendez-vous et dans sept ans le problème se posera de nouveau.

Aujourd'hui, je ne peux pas prétendre être entièrement satisfait de ce que nous avons fait au titre du développement durable dans la région Nord-Pas-de-Calais. Cette région a été profondément meurtrie par des événements douloureux, des exploitations minières, textiles et sidérurgiques fermées, une dégradation du cadre de vie considérable. Je pense donc que nous n'allons pas assez loin en ce domaine ; pour aller plus loin, il convient d'instaurer une sanction ou une prime.

M. René Mangin : Monsieur le préfet, si nous pouvons concevoir l'existence d'une prime, il ne faut pas négliger le fait que l'évaluation de la qualité du projet est difficile. Quelle réponse avez-vous à nous apporter à ce sujet, s'agissant du développement durable ?

M. Rémy Pautrat : J'ai conscience de la difficulté de l'exercice. Comme je vous le disais tout à l'heure, je crois beaucoup à l'expérimentation. Le Nord-Pas-de-Calais représente 80 % des friches industrielles du territoire national. Il faut que nous soyons en mesure de trouver un certain nombre d'indicateurs qui peuvent nous permettre de mesurer les résultats acquis sur des opérations de cette nature.

Cela est également vrai pour les projets dans les agglomérations ; il ne s'agit pas seulement de réhabiliter des immeubles, mais d'offrir à un certain nombre de personnes une espérance de vie qu'elles n'ont plus. Cette région a été, pour moi, sur le plan humain, une découverte tout à fait considérable.

Je ne dis pas que tout cela est toujours facile à quantifier, mais je pense que l'on devrait expérimenter, sur quelques territoires particulièrement significatifs en termes de dégradation du cadre de vie ou tout simplement de la vie, un certain nombre d'indicateurs qui nous permettent d'avoir en permanence une photographie de ce qui s'y passe et de développer des opérations qui donneront un plus à ces territoires. Si l'on ne procède pas de cette façon, je pense que l'on n'y arrivera pas.

La qualité est aujourd'hui un élément essentiel d'aspiration du concitoyen qui doit figurer dans le contrat de plan État-région. Nous devons donc parvenir à définir des indicateurs permettant d'appréhender la qualité de la relation sociale, du rapport au milieu, et de les expérimenter sur un certain nombre de territoires.

Je me suis retrouvé dans la difficulté que vous avez indiquée : comment finaliser cela, comment mettre en service un projet qui nous permette de nous rendre compte de ce que l'on fait et d'apprécier l'amélioration qualitative que l'on apporte. D'ailleurs, la Commission européenne nous a fait valoir, à juste titre, que l'on n'allait pas au terme de cette démarche.

Il s'agit d'un sujet sur lequel nous réfléchissons avec le conseil régional, nous avons procédé à quelques sondages, mais cela ne suscite pas un grand enthousiasme.

M. Jean-Claude Daniel, rapporteur : Si l'on n'atteint pas les résultats escomptés, n'est-ce pas parce que finalement l'État mène une politique déconcentrée et non pas décentralisée, le président de la région et l'équipe majoritaire n'ayant pour fonction que de décliner territorialement des lignes financières déjà préécrites. Or les choix de discrimination que doit faire une équipe régionale sont des choix politiques et sanctionnables par le vote de nos concitoyens.

M. Rémy Pautrat : Tout à fait. Et c'est la raison pour laquelle il s'agit d'un sujet un peu sensible. Mais ne pas le faire nous expose à d'autres risques plus importants.

M. René Mangin : En Lorraine, une expérimentation forte est en cours, avec des objectifs ambitieux, notamment de création d'emplois, il s'agit du pôle européen de développement aux Trois Fontaines, à la limite de la Belgique, du Luxembourg et de la France. Si tous les objectifs ne sont pas atteints, on constate tout de même une démarche volontariste de développement durable. Qu'en pensez-vous ?

M. Rémy Pautrat : Vous êtes en avance sur le Nord-Pas-de-Calais.

Sur le bassin minier, par exemple, on affiche une priorité : nous devons terminer la réhabilitation de ce bassin, les voiries et les réseaux. Cela est positif, mais nous n'avançons pas assez. Le problème est que nous n'avons pas de projet pour le bassin minier. Il nous appartient d'imaginer un vrai projet de territoire par rapport à cette préoccupation de développement durable ; nous devons tenir compte du cadre de vie des habitants, des services auxquels ils pourront avoir accès. Bref, nous devons faire en sorte qu'ils y vivent plus heureux.

Je le reconnais, cela n'est pas facile, d'autant que nous n'avons pas d'expérimentations. Je serais très curieux d'aller faire un tour en Lorraine afin de voir comment vous avez procédé, car ce type d'expérimentation m'intéresse. En outre, c'est à partir de démarches de cette nature que l'on fera évoluer l'administration. Les démarches qualitatives permettront de changer, culturellement, les réflexes et les procédures.

Nous sommes trop tentés de voir l'aspect quantitatif. Bien entendu, il est important de restaurer les immeubles, les réseaux et les voiries -les habitants l'attendent depuis vingt ans-, mais il convient d'aller au-delà.

Prenons un autre exemple. Nous avons affiché l'ambition de faire du Nord-Pas-de-Calais une grande région numérique. En fait, cela intéressera et concernera surtout les universités, les entreprises et les pôles de compétence. Et que vont devenir les habitants du bassin minier, des quartiers en difficulté, alors qu'il s'agit pourtant d'un projet de développement durable ? Il faudrait permettre la diffusion des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans tous les quartiers, pour donner à chacun les moyens d'accéder à ce nouveau langage, à ce nouveau moyen de formation.

Nous avons organisé cette semaine la fête d'Internet à la préfecture, et je puis vous dire que les jeunes des quartiers sensibles -qui sont venus très nombreux- ont été exceptionnels ! Ils sont restés des heures, avec l'aide d'éducateurs, devant les écrans ! Nous devons donc, nous, fonctionnaires de l'État, appréhender ce qui, dans notre démarche, peut contribuer à créer plus de bonheur chez les habitants ; c'est ce qui doit fonder le contrat de plan, car pour l'instant la dimension éthique, qui est indissociable du développement durable, fait largement défaut.

En ce qui concerne les schémas de services collectifs, tous les schémas -sauf le schéma culturel- ont été élaborés en région. Pour le moment, nous n'avons encore aucune information de Paris.

S'agissant du croisement entre le contrat de plan et les schémas, il n'a pas été réalisé, ce qui rend l'exercice un peu surréaliste. Pour mettre en _uvre la territorialisation, faute de schémas de services collectifs, on s'appuie sur la stratégie du contrat de plan État-région, qui, elle, aurait dû s'appuyer sur les schémas de services collectifs qui n'existent pas encore.

En ce qui concerne l'ingénierie interne aux territoires, nous allons nous fonder essentiellement sur les zones d'urbanisme et sur les équipes d'agglomération de pays. A l'échelle de la région, nous pensons avoir recours aux observatoires.

Nous avons remarqué, dans les contrats de développement rural et dans le soutien aux petites agglomérations, un très grand déficit en ingénierie dans le Nord-Pas-de-Calais. C'est encore une idée neuve et nous devrons faire un gros effort dans ce domaine. Là où existe de l'ingénierie, nous sommes satisfaits des résultats que nous avons déjà obtenus.

M. Jean-Claude Daniel, rapporteur : S'agissant toujours de l'ingénierie, monsieur le préfet, de quelle manière les expériences sont-elles mises en réseau ? Par ailleurs comment développe-t-on la formation, car il va bien falloir ancrer la réalité de cette démarche de projet sur le territoire ?

M. Rémy Pautrat : Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, il est absolument nécessaire de développer massivement l'esprit de réseau et les techniques de réseaux entre les services. Une bonne partie du succès de cette démarche territoriale va être fonction de notre capacité à devenir de vrais professionnels des technologies de l'information et de la communication, ainsi que de la gestion de l'information.

Si l'on n'est pas capable aujourd'hui de créer des centres de ressources auxquels l'on pourrait avoir recours, si l'on n'est pas capable de mettre les services de l'État en réseau, comment voulez-vous que l'on soit crédible à l'égard des services extérieurs ?

Je tiens beaucoup au développement de la stratégie d'administration partenaire. Il existe un problème de cohérence dans ce que fait ou ne fait pas l'État et dans la façon dont il est perçu. Prenez cet exemple très révélateur : lorsque je suis arrivé, les cartes d'identité étaient délivrées en sept mois et les permis de conduire en six ! Comment voulez-vous être crédible !

Or convaincre les fonctionnaires que ce n'était pas acceptable, est un travail important. Nous devons considérer les usagers comme nos clients, le sommet de la pyramide étant l'utilisateur, le préfet se situant en bas. Un effort considérable a été réalisé, les cartes d'identité sont aujourd'hui délivrées en 72 heures, mais les permis de conduire -malheureusement- en cinq mois.

Nous ne pouvons pas être crédibles dans cette démarche si nous n'avons pas le souci de répondre à la demande de l'usager : à la personne qui vient demander sa carte d'identité, à la collectivité locale qui cherche une réponse, au chef d'entreprise pour qui nous avons un devoir d'accompagnement -je vous rappelle que 80 % de l'information utile, dans le secteur économique, sont détenus par la puissance publique.

L'esprit de réseau est une culture différente et une condition de la réussite de cette démarche territoriale. Si l'on n'est pas capable de devenir des vrais professionnels dans les technologies de l'information et de la communication, l'on ne peut pas réussir dans cette démarche.

Il s'agit donc d'un changement énorme, d'un travail de formation considérable, mais également d'un problème de moyens ; l'on ne peut pas demander à l'administration de se réformer si elle n'en a pas les moyens. Et nous ne les avons pas toujours : notamment en termes de formation du personnel et de mise en place des technologies de l'information et de la communication.

M. Jean-Michel Marchand : Monsieur le préfet, je vous remercie des propos que vous venez de tenir, notamment en ce qui concerne les limites du développement durable ; j'apprécie beaucoup que vous y mettiez de la dimension éthique.

Cela étant dit, la situation dans les territoires n'est pas simple. Vous semblez inquiet de la taille trop réduite des territoires dans votre région. Je suis élu d'une région moins peuplée que la vôtre, Pays-de-la-Loire, plus rurale, et les inquiétudes sont largement aussi grandes.

En ce qui concerne cette notion de discrimination positive, peut-être la réflexion est-elle un peu simpliste, mais il faut savoir, de temps en temps, pour faire avancer les choses, poser les problèmes de façon brutale ; entre catalogue et projet, la nuance est énorme, et je puis vous assurer que ce sont plutôt des catalogues que l'on a vus jusqu'à présent.

Cependant, je conçois parfaitement qu'il n'est pas facile de mettre en œuvre des projets, notamment de façon collective et citoyenne.

Enfin, je crains que cette démarche ne devienne encore plus complexe. Nous venons d'achever le débat concernant la loi solidarité et renouvellement urbain, or, en matière de transport collectif, trois notions vont se superposer : l'aire urbaine au sens de l'INSEE, l'aire à dominante urbaine, et la communauté d'agglomération, dont la compétence transport est une compétence obligatoire.

Certains pensent, à partir de ces trois définitions, qu'il sera facile de trouver des solutions pour être plus efficace, alors que d'autres se demandent comment satisfaire aux besoins impérieux -transports collectifs- sans qu'ils soient supportés par le contribuable. Chacun sait qu'une communauté d'agglomérations, plus rurale qu'urbaine, aura du mal à mettre en place un tel dispositif.

M. Rémy Pautrat : La première forme de discrimination qui peut être intéressante pour faire avancer le système est de dire "non" ; quand on a le sentiment qu'il s'agit plus d'un catalogue que de différents projets, il faut savoir dire "non". Ce n'est pas toujours facile, certes, mais cela participerait à l'avancée de cette démarche.

S'agissant du SRADT, à ma connaissance, le travail a commencé, mais je ne peux pas vous en dire plus, ne disposant pas d'information à ce sujet.

M. Jean-Claude Daniel, rapporteur : Nous nous sommes rendus, voilà quinze jours, dans une région où la lecture du SRADT, du contrat de plan et les schémas de services collectifs mettaient en évidence des contradictions importantes. Au-delà de ces documents, nous devrons nous pencher sur les réalisations ; cela nous amène à la question suivante : quel examen annuel de mise en _uvre du contrat de plan État-région envisagez-vous ?

M. Rémy Pautrat : En ce qui concerne l'exécution du contrat de plan, nous avons prévu une réunion semestrielle du comité d'évaluation et de suivi. Et nous le ferons avec le souci d'apporter des corrections, des modifications, lorsque cela sera nécessaire.

M. Pierre Cohen : Monsieur le préfet, je voudrais revenir sur la cohérence entre les différentes phases de contractualisation, le contrat État-région et les schémas de services collectifs. La loi comporte des impératifs assez précis concernant les articulations entre la contractualisation territoriale, en particulier le volet territorial, et les schémas de services collectifs ce qui amène l'État à faire sa révolution culturelle et à en faire profiter les citoyens. Quelle est votre réflexion à ce sujet ?

M. Rémy Pautrat : Nous sommes en train de faire un exercice qui, par rapport aux résultats des schémas de services, devra à un moment donné être revu. Il nous a manqué, dans l'élaboration de ces stratégies, le socle permettant de constituer les schémas de services collectifs. Quand ils seront achevés, nous essayerons d'en tenir compte afin de réinsérer certaines dispositions, en espérant que nous n'avons pas trop fait d'erreurs. Pour l'instant, je n'ai rien à vous répondre, il s'agit d'un sujet sur lequel je me pose aussi beaucoup de questions.

M. Jean-Claude Daniel, rapporteur : N'y a-t-il pas, dans certaines régions, des projets fortement conditionnés par le biais du contrat de plan État-région ?

Le contrat de plan État-région ne risque-t-il d'entraîner l'État à avoir une attitude différente de celle que l'on souhaite ? Ne risque-t-il pas de devenir centralisateur en région et trop directif en ce qui concerne les projets ? Quelle latitude doit-il laisser aux projets sachant que ces derniers sont tout de même conditionnés par les crédits disponibles ?

La deuxième difficulté est celle du risque de catalogue. Nous l'avons vu avec les programmes leader et leader 2, par exemple, quand dans certaines régions, on a vu surgir la compilation de tous les désirs : les catalogues étaient la somme des désirs exprimés sur un territoire. Tant qu'il s'agit d'études et que l'Europe attribue des crédits d'étude, cela ne pose pas problème. Mais quand il faut passer à la réalisation de ces désirs, il est difficile de déterminer lequel d'entre eux doit être réalisé parce qu'il est pertinent à l'échelle du territoire ; il faut donc dire "oui" à très peu de projets et "non" à beaucoup.

Quand les choix se jouent à l'échelle du territoire et en son sein, on construit une politique territoriale forte. Si les choix sont préconditionnés par le contrat de plan État-région, le territoire est assujetti à la volonté de l'État ou de la région. Avez-vous rencontré ce double risque ?

M. Rémy Pautrat : Nous partons de l'idée que chaque territoire sera un cas particulier. Il est important que l'on soit exigeant sur la stratégie. Dès lors que l'on a le sentiment que le projet est authentique, on peut s'accorder sur un certain nombre de points. On sent s'il existe une volonté collective.

Je sais bien que cela est difficile. Je le vois, par exemple, pour le Hainaut-Cambrésis; il n'est pas simple de faire comprendre aux habitants de Douai, de Valenciennes, de Cambrais et de d'Avesnes, qu'il y a une sorte de sud du département du Nord, et qu'il serait bénéfique d'élaborer une stratégie pour ces quatre arrondissements, plutôt que quatre stratégies différentes.

Mon souci est de veiller à assurer les complémentarités, d'éviter les doublons ; de faire en sorte que l'on ne fasse pas la même chose partout. Je vous parlais des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Valenciennes possède un pôle image important et disposant d'un certain savoir-faire. Or, à Lille se développe le projet Eura-Technologie, dans lequel un pôle image doit également voir le jour. Il est très difficile de faire comprendre que, Valenciennes disposant déjà d'un tel pôle, il serait préférable de créer les complémentarités nécessaires. C'est un combat de tous les instants.

Bien entendu, nous ne devons pas non plus être trop réducteurs et vouloir à tout prix imposer notre façon de voir, mais il est important d'éviter les doublons. Or je suis certain que dans toutes les régions de France, les mêmes réalisations ont été mises en place plusieurs fois. En matière d'imagerie médicale, par exemple, il aurait été plus intelligent de ne développer que deux ou trois pôles, et de faire partager l'information !

Dans le Nord-Pas-de-Calais, je souhaite que le plus grand nombre de personnes se reconnaissent dans la stratégie du territoire, et se l'approprient. Mais si elles ne sont pas en situation de la comprendre ou si elles ne se sentent pas acteurs, l'approche territoriale ne nous permettra pas d'obtenir des résultats.

M. le Président : Monsieur le préfet, vous allez avoir un rôle important dans la validation des périmètres ; pressentez-vous déjà des difficultés dans cet exercice ? Au cours de mes déplacements, j'ai souvent rencontré des préfets gênés par des territoires recoupant deux départements ou deux régions. Quelle sera votre doctrine en la matière, si le cas se présente ?

Vous vous êtes interrogé sur les conseils de développement, sur la façon de les constituer, en vous fondant sur l'expérimentation qui a cours à Lille. Je me suis rendu à Lille à l'invitation de l'association "Géants", voilà un an ou deux, et j'y ai trouvé une grande richesse associative, des associations et un milieu universitaire qui s'étaient pleinement saisis de la problématique de l'aménagement du territoire. N'existe-t-il pas là une demande sociale pour intégrer les conseils de développement, ou bien celle-ci est-elle en conflit avec les stratégies des élus ?

M. Rémy Pautrat : Le milieu associatif dans le département du Nord est, en effet, d'une qualité rare et d'une puissance extraordinaire. J'observe d'ailleurs que, là aussi, le travail en réseau est indispensable. Il est inadmissible que les associations, notamment celles qui luttent contre l'exclusion, passent 50 % de leur temps à remplir des dossiers !

Mes collaborateurs et moi-même faisons beaucoup de terrain, et je peux vous affirmer que les personnes souhaitant participer au conseil de développement sont peu nombreuses. Nous devons réaliser un important travail de pédagogie. La solidarité s'exerce à l'échelle du quartier, ce qui a, d'ailleurs, certainement permis à cette région de tenir quand tout s'est effondré.

Nous avons organisé des réunions de terrain concernant le contrat de plan, auxquelles nous avons invité les associations. Nous avons eu l'impression que, pour elles, il s'agissait d'un exercice qui était loin des réalités de terrain. Elles sont confrontées à des problèmes humains d'une telle ampleur que notre exercice leur apparaît trop intellectuel. Pour nous, ces associations sont aussi une école de pédagogie et d'humilité : nous essayons de faire comprendre aux personnes travaillant dans ces associations que leur participation serait positive pour leur devenir ; cela est extrêmement compliqué !

En fait, il faudrait que l'on soit en situation de leur montrer concrètement à quoi tout cela sert. Peut-être faudra-t-il que l'on en fasse moins, mais que le résultat soit plus visible. Nous devons donc réussir nos expérimentations afin de démontrer aux intéressés que l'on change quelque chose.

Que devons-nous changer dans notre comportement pour être crédibles ? Tout d'abord, le rapport aux autres, mais également l'administration, pour en faire une administration de partage ; si l'on n'est pas partenaire, si les gens ont le sentiment que l'on ne tient pas compte de leur demande - s'ils attendent sept mois pour avoir leur carte d'identité -, nous ne serons pas crédibles.

En ce qui concerne les territoires, le plus important est la pertinence. Nous devrons dire "non" aux projets qui ne sont pas viables. Mais nous sentons bien que cela ne sera pas facile à gérer sur le terrain.

Enfin, il faut susciter le volontariat, susciter la prise de conscience de l'intérêt général ; mais, et je me répète, elle sera largement fonction de notre propre comportement. Je trouve les élus beaucoup plus ouverts, déjà prêts à s'investir dans cette démarche ; le problème sera la capacité de l'État à se réformer suffisamment pour être convaincu de l'intérêt de cette démarche et pour lui donner ses chances.

M. le Président : Monsieur le préfet, je vous remercie.


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