S O M M A I R E

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II.  Des dérives préoccupantes : du laxisme à la fraude *

 

 

A.– De multiples dysfonctionnements et manquements à la légalité : quelques études de cas *

1.  Des outils de financement de l’économie défectueux *

a) La CADEC : une société de développement au bord de la liquidation *

·  La détérioration des comptes *

·  1994 : une année charnière *

·  Aux origines du désastre financier *

·  La difficile activité de recouvrement des créances dans le contexte insulaire *

·  Le cas troublant de l’hôtel " le Miramar " *

·  Vers une nouvelle recapitalisation : les incertitudes actuelles *

b) La caisse régionale de Crédit agricole : un mécanisme de " cavalerie " très coûteux pour les finances publiques *

·  Le premier établissement bancaire de l’île et le plus important distributeur de crédits bancaires *

·  Un " système " de prêts aux agriculteurs bien rodé *

·  De grandes difficultés financières qui ont conduit à l’intervention de la caisse centrale *

·  Un climat tendu et la gestion délicate des risques bancaires *

·  Les interrogations de la commission d’enquête *

·  Le comportement de la caisse nationale : entre négligence, inattention et volonté de couvrir les errements de la caisse régionale *

2.  Des dérives dans le secteur social et de la santé *

a) L’hôpital de Bonifacio : errements cumulés et responsabilités partagées *

·  Une situation financière durablement et fortement déficitaire *

·  A l’origine des dérives *

·  Les enquêtes se suivent et ne se ressemblent pas .... *

·  Les quatre niveaux de responsabilités *

b) Les centres hospitaliers de Bastia et d’Ajaccio : deux gestions incertaines *

·  Un état des lieux globalement inquiétant *

·  La dégradation budgétaire du centre hospitalier de Bastia *

·  La mauvaise maîtrise de la situation du centre hospitalier d’Ajaccio *

c) La caisse de Mutualité sociale agricole de Corse : une absence de rigueur avérée *

·  L’évident désordre dans les règles d’affiliation *

·  Les vérifications effectuées par la caisse à partir de 1993 *

·  Des anomalies inquiétantes dans les dossiers individuels examinés *

·  L’inexorable dégradation des comptes *

d) La difficile remise à flot des deux offices publics d’HLM *

·  L’office de la Haute-Corse : une situation difficile qui n’est pas nouvelle *

·  L’office de la Corse-du-Sud : des points faibles et quelques signes encourageants *

3.– La gestion chaotique de certaines collectivités locales *

a) Ajaccio : une " fuite en avant " catastrophique *

·  Une ville sous la vigilance de ses créanciers *

·  Un budget grevé par un personnel pléthorique *

·  Une ville très endettée *

·  Des opérations hasardeuses *

·  Un budget pour 1998 insincère *

b) L’affaire du port de Propriano *

·  Des projets initiaux ambitieux *

·  Les réactions de l’entreprise Bouygues Offshore *

·  Les éléments troublants *

c) Conca : " une situation financière dégradée " *

d) Santa Maria Poghju : les conséquences d’une décision irréfléchie *

e) Le SIVOM du Nebbio : les dérives d’un projet démesuré *

f) Le SIVOM du Niolo : une accumulation d’irrégularités *

4.– Des violations répétées du droit de l’urbanisme *

 

II.  Des dérives préoccupantes : du laxisme à la fraude

Depuis quelques mois, et surtout quelques semaines, les révélations relatives à certains dossiers, certains comportements ou certains faits se multiplient au rythme des missions d’inspection et des enquêtes judiciaires.

Les dérives mises au jour n’ont ni la même importance ni la même gravité. Surtout, elles ne sont pas de nature semblable. Si certaines peuvent recevoir des qualifications pénales ou constituer des comportements frauduleux, d’autres relèvent davantage de la mauvaise gestion.

La commission d’enquête a d’abord vu son attention appelée par de multiples cas précis de dysfonctionnements majeurs et de manquements à la légalité. Au-delà de la situation catastrophique des deux principales institutions financières de l’île – la caisse de développement de la Corse (CADEC) et la caisse régionale de Crédit agricole –, les dérives constatées dans certaines institutions intervenant dans le secteur social et sanitaire ou dans plusieurs collectivités locales sont particulièrement préoccupantes. Par ailleurs, dans une île comme la Corse, les multiples violations du droit de l’urbanisme revêtent une importance particulière.

La commission a ensuite eu la confirmation de l’existence d’une pratique très répandue dans la société et l’économie corses, à savoir le non-paiement des dettes. Cette pratique, particulièrement marquée dans le monde agricole, est à l’origine d’un enchaînement pervers qui fragilise l’ensemble de l’économie insulaire.

Enfin, la fraude apparaît comme un phénomène multiforme. A un comportement fiscal peu exemplaire s’ajoutent, en effet, de forts soupçons d’abus pour certaines allocations à caractère social et l’existence possible de détournements des aides communautaires.

A.– De multiples dysfonctionnements et manquements à la légalité : quelques études de cas

L’étude précise de dossiers particuliers a permis à la commission d’enquête de mettre en évidence des mécanismes présentant un certain nombre de caractéristiques communes. Il est important de souligner que ces dossiers n’ont pas été choisis pour mettre en cause telle ou telle personnalité. L’actualité en a placé certains sur la place publique, d’autres, plus anciens, revêtent un caractère exemplaire.

Ces études de cas ne sauraient également être exhaustives. Il est à craindre, malheureusement, que d’autres dossiers n’apparaissent dans les prochains mois. Le fait de n’être pas évoqué dans ce rapport ne saurait être interprété comme un quelconque blanc-seing ou quitus donné par la commission. Le temps qui lui était imparti ne pouvait lui permettre de réaliser en six mois, ce que plusieurs dizaines d’inspections ou de contrôles sont susceptibles de faire dans une période plus longue.

Les cas de mauvaise de gestion, de manque de rigueur, de prises de risques inconsidérés sont pléthore. Ils peuvent être identifiés aussi bien dans une institution financière comme la CADEC, que dans les centres hospitaliers des deux plus grandes villes de l’île ou dans une petite commune.

Illustration du non-paiement des dettes, la plupart des organismes étudiés ici sont confrontés au difficile recouvrement de leurs créances, même si parfois leur volonté réelle et leur opiniâtreté peuvent être mises en doute.

Plus grave, certains dossiers font apparaître des comportements frauduleux et délictueux. Le dossier de la caisse régionale de Crédit agricole est, à cet égard, particulièrement symptomatique de la " dérive " qui a entraîné la Corse. Mais ce n’est pas le seul et d’autres dossiers font l’objet d’une information judiciaire ou, pour le moment, d’une simple enquête préliminaire. Même si elle n’était pas totalement inédite, l’étude de la situation de la CADEC a également permis à la commission d’approfondir un dossier particulièrement troublant, mettant en cause une figure notoire du grand banditisme insulaire.

1.  Des outils de financement de l’économie défectueux 

Tant la CADEC (caisse de développement de la Corse) que la caisse régionale de Crédit agricole connaissent aujourd’hui, pour des raisons et des montants différents, des situations alarmantes. Ces deux outils essentiels du financement de l’économie enregistrent chacun des résultats financiers désastreux qui traduisent plusieurs années de gestion aléatoire et de laxisme inquiétant dans le recouvrement des créances. Comment en est-on arrivé à ce point de dégradation comptable et financière ?

a) La CADEC : une société de développement au bord de la liquidation

Institution financière spécialisée créée en 1982, bénéficiant du statut de société de développement régional (SDR), la CADEC a été établie dans le cadre des lois de décentralisation et du premier statut particulier de la Corse. La Corse n’a donc pas été dotée de société de développement régional, mais de cet outil spécifique, pour contribuer au financement de son économie. L’État, qui est actionnaire, en a initié la création. La Collectivité territoriale de Corse est entrée dans le capital. Aujourd’hui, force est de constater que les relations entre ces deux actionnaires sont devenues conflictuelles alors que les négociations en vue d’une prochaine recapitalisation de la caisse semblent bloquées et se heurtent au refus de la Collectivité territoriale de Corse.

La caisse était censée apporter et créer de la valeur ajoutée en Corse. C’est au sein du " comité d’engagement " que devaient se prendre les décisions d’attribution de prêts jusqu’en 1994-1995, période à partir de laquelle la caisse a dû interrompre ses activités prêteuses.

La CADEC est, aux termes de l’article 2 de ses statuts, un organisme privilégié pour le développement de la Corse ayant pour objet :

- l’étude de tout projet de création, d’extension et de transformation d’entreprises en Corse (...)

– le financement des entreprises en Corse sous forme de prises de participation au capital, de souscriptions d’obligations convertibles en actions, de prêts participatifs, de prêts à long terme, de cautions et d’avals dans le cadre des crédits avalisés par le Crédit d’équipement des petites et moyennes entreprises ;

– le financement des associations sous forme de prêts à long terme ;

– la réalisation de toutes opérations d’achat, de vente, d’échange, de souscriptions de valeurs moblières, résultant de ces interventions. (…) Pour la réalisation de son objet social, la société peut effectuer toutes opérations immobilières et créer des filiales. Elle peut également détenir des participations dans des sociétés dont l’activité est de nature à faciliter la réalisation de l’objet social.(...) "

Notons que la caisse et sa filiale Corsabail, dont 35 % du capital est détenu par la CADEC, sont considérées comme formant un groupe.

·  La détérioration des comptes

Progressivement, la situation financière de la caisse a connu une dégradation qui atteint un niveau si préoccupant qu’une recapitalisation dut être décidée en 1995. Il est vrai que la tâche de la caisse n’est pas aisée. Elle doit sans cesse concilier une mission d’intérêt public et une contrainte d’équilibre financier. Elle a la charge de soutenir des initiatives s’inscrivant dans l’aide au développement économique de la Corse tout en s’assurant d’une marge et / ou de garanties suffisantes pour couvrir le risque auquel elle s’expose. La rentabilité de l’établissement dépend largement de variables qui lui échappent : la marge qu’elle réalise sur ses prêts et l’évolution du taux d’impayés sur ses créances.

Cependant, cette aggravation des comptes, qui s’est accélérée depuis 1993, dépasse ce type d’explications. La caisse se trouve aujourd’hui dans l’incapacité de recouvrer des créances pour un montant supérieur à un milliard de francs. D’après les informations fournies à la commission par les responsables de la caisse :

– au 31 décembre 1997, les encours totaux représentaient 919.474.000 francs.

– sur les 920 millions de francs de créances, 221 millions de francs correspondaient à des créances contentieuses, 401 à des créances douteuses, et 296 étaient des encours sains.

L’établissement, qui présente des bilans négatifs depuis cinq ans, fait l’objet de polémiques dans l’île. Au cours de la dernière campagne électorale, M. Max Simeoni, tête de liste pour l’Union pour le peuple corse (UPC), a ainsi dénoncé le scandale de la CADEC qu’il présentait comme le " Crédit lyonnais de la Corse ". Dans un rapport d’enquête de l’Inspection générale des finances de juin 1995 sur la situation financière de la CADEC, on estimait déjà qu’en trois exercices, la part des créances douteuses de la caisse dans le total de son encours de crédit avait été multipliée par 1,84, passant de 17,8 % en 1992 à 30,1 % en 1994.

·  1994 : une année charnière

C’est le 1er juillet 1994 que le président actuel, M. Noël Pantalacci, fut nommé en remplacement de M. Squercioni, lequel fut à la tête de l’organisme de sa création en 1982 à cette date. L’entrée en fonction de M. Pantalacci coïncida avec un certain nombre d’audits. La commission bancaire avait déjà déclenché une mission d’inspection. Une mission de l’Inspection générale des finances suivit.

Les fonds propres étant devenus négatifs en 1994, le nouveau président décida d’interrompre immédiatement les activités prêteuses de la caisse. La CADEC tenta alors de s’engager dans une action forte de recouvrement des créances. Les dirigeants de la caisse disent aujourd’hui avoir voulu " sauver l’outil ", avec l’accord des ministres des finances.

En 1994, l’encours total se montait à environ 1,1 milliard. La caisse représente aujourd’hui environ le quart des encours de crédit à moyen terme de l’île (il y a environ 4 milliards de francs de crédits à moyen et long terme. En parts de marché, le Crédit agricole représente presque 50 %. Le reste, soit 25 %, est porté par l’ensemble des autres banques). L’examen de l’évolution du total bilan de la caisse avant 1994 montre une forte progression du montant des encours, due notamment au fait que les dossiers hôteliers se sont accumulés à cette époque. A partir des années 1989-1990, après le départ du Crédit hôtelier de l’île, la CADEC a, en effet, financé au moins trente à trente-cinq hôtels. Actuellement, avec 300 millions, le volume tourisme représente environ un tiers de l’encours total de la caisse.

Même après une augmentation de capital de 32 millions de francs intervenue en 1994, portant celui-ci à 91 millions, la caisse n’est pas parvenue à redresser la situation. La situation s’est dégradée entre-temps pour deux raisons principales selon les responsables de la CADEC : d’une part, la caisse n’a plus développé aucune activité prêteuse - elle était " au point mort " - et d’autre part, l’activité économique n’a pas redémarré dans l’île. Dans la mesure où la situation économique de la Corse ne s’est pas améliorée et compte tenu des délais de mise en place de la recapitalisation, décidée dans son principe en 1995, votée en 1996 et mise en place en 1997, des pertes se sont cumulées au fil du temps. La caisse pourrait d’ailleurs se trouver prochainement en situation de cessation de paiement.

·  Aux origines du désastre financier

L’effondrement financier de la CADEC était, selon certains observateurs, prévisible et d’ailleurs annoncé. Aux cours de ses premières années d’existence, la CADEC prit en effet des initiatives nombreuses qui se révélèrent catastrophiques dans un certain nombre de secteurs.

On peut s’interroger aujourd’hui sur les motivations qui conduisirent la CADEC à accorder des prêts sans rigueur ni contrôle réel à différents secteurs de l’économie dans les années 80 et au début des années 90, et notamment pourquoi 300 millions de prêts ont été consentis aux entreprises hôtelières et dans le domaine du tourisme. La disparition du Crédit hôtelier, devenu Crédit d’équipement des petites et moyennes entreprises, conduisit la CADEC à s’engager fortement en substitution dans le domaine de l’hôtellerie. Les difficultés de ce secteur étaient connues. De plus, la dépréciation de la lire italienne contribua à la baisse de fréquentation touristique enregistrée en 1993, 1994 en 1995.

Une idée répandue dans les années 80 consistait à préconiser l’industrialisation de la Corse en en valorisant les ressources naturelles. La CADEC prit ainsi des initiatives dans l’industrie, notamment dans l’industrie de la pierre – le granit est le plus gros sinistre de la caisse – et dans l’aquaculture.

M. Noël Pantalacci, auditionné le 26 mars 1997 par la mission d’information sur la Corse, est revenu sur ces deux points : " S’agissant de l’industrie de la pierre, j’ai pu constater que la situation d’impayés, persistante depuis plusieurs années, et les conditions dans lesquelles se faisait l’exploitation des carrières, conduisaient nécessairement au dépôt de bilan des entreprises. J’ai donc provisionné la totalité de mes concours à l’industrie de la pierre, ce qui s’est traduit par une perte de 60 millions de francs. (...)

En ce qui concerne l’aquaculture, je viens simplement d’obtenir les éléments et je puis vous dire que l’aquaculture corse est en cessation de paiement. (...) Je suis obligé de tenir compte de cette situation dans les comptes de 1996 et je vais donc devoir provisionner pratiquement 90 % de mes concours dans le secteur aquacole. (...)

En 1993, nous avons tenté un plan de redressement pour la pierre qui a coûté 20 millions de francs et qui a essentiellement servi à payer les dettes fiscales et sociales sans entraîner la reprise d’une activité rentable. En revanche, en ce qui concerne l’aquaculture, nous n’avions pas les éléments dont nous disposons actuellement. Nous ne savions pas encore si le coût de production était inférieur ou supérieur au prix de la vente. Nous savons maintenant que le coût de production de l’aquaculture corse est très supérieur au prix de vente sur le marché international. "

Tels sont les principaux facteurs à l’origine de la crise financière sans précédent de la CADEC.

·  La difficile activité de recouvrement des créances dans le contexte insulaire

Selon les renseignements fournis à la commission d’enquête, les actions de recouvrement s’effectueraient depuis peu avec une vigueur et une détermination qui n’étaient pas présentes auparavant. Lors du premier trimestre 1998, la caisse aurait ainsi recouvré 20 millions de francs (contre 12,8 millions de francs pour l’année 1997).

– Quelques dossiers marquants de créances impayées

Au cours de ses travaux, la commission a demandé des informations concernant quelques affaires illustrant l’échec de la politique de prêts aux entreprises hôtelières. Les quatre dossiers figurant ci-dessous apparaissent aujourd’hui parmi les plus lourds financièrement pour la caisse.

montants au 31 décembre 1995

(en francs)

 

 

PRINCIPAL

ARRIERES

TOTAL

Castell Verde

27.693.532

8.941.292

36.634.824

Castell Mare

13.726.476

5.508.255

19.234.734

Santa Giulia

12.392.666

3.692.022

16.084.688

Moby Dick

10.408.993

4.224.227

14.633.220

TOTAL

64.221.670

22.365.796

86.587.466

 

 

montants au 31 decembre 1997

(en francs)

 

 

PRINCIPAL

ARRIERE

TOTAL

Castell Verde

24. 920.791

17.777.996

42.698.787

Castell Mare

12.966.229

9.514.259

22.480.488

Santa Giulia

11.531.135

7.384.044

18.915.179

Moby Dick

8.466.922

8.448.455

16.915.377

TOTAL

57.885.077

43.124.754

101.009.831

 

 

Nota Bene : à propos du groupe Castell Verde

Les dossiers de plus de 10 à 15 millions de francs sont une cinquantaine ; les autres sont des dossiers de commerce. Les plus importants concernent les hôtels, dont celui de Castell Verde, un groupe composé de quatre entrepreneurs corses. Il s’agit de l’un des plus gros dossiers de la CADEC, qui a financé dans les années 1989-90 en crédit-bail, plusieurs sociétés pour un montant total de 60 millions de francs initialement. Ce complexe hôtelier est situé au sud de Porto-Vecchio sur la baie de Santa Giulia. Il doit être signalé car la CADEC se trouve en première ligne : elle joue à la fois le rôle de crédit-bailleur, de prêteur et d’associé. Les propriétaires s’étant rapidement mis en impayés, les créances se sont accumulées. Ils ont récemment proposé de payer une partie seulement de leurs dettes. Au moment de la rédaction de ce rapport, l’acceptation du plan restait apparemment subordonné à l’accord du ministère des finances.

– De la difficulté d’obtenir le paiement de certaines créances

Il a été dit devant la commission d’enquête que certains dossiers nécessitant le concours de la force publique étaient restés en suspens, car ni la gendarmerie ni la police n’avaient consenti à faire expulser certains débiteurs.

Un responsable de la CADEC a expliqué : " La force publique nous a été refusée à deux reprises. (...)

J’évoquerai un dossier, pour montrer dans quel état de décomposition se trouvait le système administratif et la société corse dans son ensemble. Nous avions octroyé un crédit-bail à un carrier. Comme je vous l’ai dit, la pierre nous a coûté très cher. (...) Ce carrier ne paie pas. S’agissant d’un crédit-bail, le bâtiment nous appartient. Nous procédons à la résolution du crédit-bail. Comme il reste dans les lieux, nous le rencontrons pour lui demander de partir. Il lanterne, fait venir des amis, etc. Un beau matin, on s’aperçoit que les locataires ont changé. Ils ont été remplacés par les membres d’une association de maraîchers. Le précédent locataire leur avait dit qu’il était chez lui et qu’ils pouvaient s’installer. Nous nous retrouvons avec des gens avec lesquels nous n’avons aucun lien juridique. Nous leur demandons de partir. Ils refusent. Je vais trouver le préfet de Haute-Corse pour lui demander de procéder à leur expulsion. Il me répond : " Ces sont des maraîchers, des agriculteurs qui travaillent ". Je lui fais observer qu’ils ne paient pas de loyer, qu’ils occupent les lieux sans titre et je lui demande de leur proposer au moins de reprendre le crédit-bail. Cela traîne. Je fais un procès pour demander à l’État de payer les loyers qui nous sont dus. Savez-vous comment cela s’est terminé ? Cette association de maraîchers a reçu des subventions de la direction départementale de l’agriculture et de l’ODARC grâce auxquelles elle a racheté le bâtiment. " (...)

" Parfois, avec un bail classique, vous allez à la barre du tribunal pour faire racheter le bien - procédure fort longue, comportant toujours des délais importants - mais l’occupant reste dans les lieux, parce qu’il n’y a pas d’acquéreur. Personne n’achète. Il n’y a pas de marché. Vous vous retrouvez avec quelqu’un qui, de client, est devenu " squatter ". Vous le laissez, non seulement parce que vous ne pouvez pas l’expulser, mais aussi parce que, dans cet établissement exploité sans droits ni titre, il répare les tuyaux, le toit... On essaie ensuite de régulariser comme on peut, parce que le marché n’existe pas. "

– Les menaces et les pressions à l’encontre des responsables de la caisse

Deux témoins se sont exprimés dans les termes suivants devant la commission d’enquête :

L’un : " Je parcours la Corse depuis plus de trente ans. Je suis d’origine paysanne. En Corse, nous avons un certain code de valeurs qui sont ce qu’elles sont. Je n’en ferai pas état ici.

On vous appelle, en présence de votre collègue du Crédit local de Corse, haut-parleur branché : " - Vous allez vendre ma maison ? - Oui, je vais vendre votre maison. - Si vous vendez ma maison, vous n’aurez plus l’occasion d’en vendre une autre. " C’est courant. Cela ne m’émeut plus. Très honnêtement, cela ne me fait pas peur.

Quelqu’un est venu me voir, récemment, et m’a dit : " Je suis la nièce de telle personne ". La personne en question est un mafieux notoire. Ce type de menaces est permanent.

On n’est jamais venu me secouer dans mon bureau une seule fois, mais ce type de menaces est assez désagréable et peut empêcher des personnes d’agir. Je vous dis très solennellement que cela ne m’empêche pas d’agir. "

Un autre : " Cela n’empêche pas d’agir, mais il a des enfants, j’ai des enfants. "

Le premier : " J’ai doublé mon capital d’assurance-vie ! "

L’autre : " Nous ne sommes pas menacés de mort en permanence, mais nous ignorons ce qui peut nous arriver. On se dit toujours : " Si je saisis sa maison, je ne sais pas à qui j’ai affaire ". Et un soir en rentrant chez vous, vous pouvez recevoir un coup de fusil. "

*

* *

Un témoin : " Quand il y avait les dossiers de Porto-Vecchio, Jean-Paul de Rocca-Serra était là ; quand il y avait les dossiers de Bastia, Paul Natali était là. Quel homme politique appelé par un de ses électeurs et chef d’entreprise n’a pas demandé à un membre du conseil d’administration de la CADEC de dire la bonne parole ? C’est le système de décision, tel qu’il a été conçu. C’était comme ça... "

Un autre : " La CADEC a huit cents clients. Nous avons sûrement prêté à des nationalistes, sûrement à des gaullistes, sûrement à des centristes. Nous avons prêté à tout le monde. Si vous regardez les noms des dirigeants de ces entreprises, vous y trouverez des gens dont on sait en Corse qu’ils sont ceci ou cela. (...) On trouve des nationalistes dans des dossiers. Que la caisse ait servi d’instrument de refinancement de groupes mafieux ou nationalistes, personnellement, je n’y crois pas. "

·  Le cas troublant de l’hôtel " le Miramar "

L’hôtel " Le Miramar " est situé à l’entrée de la commune de Propriano. Il était géré par la société Le Miramar, inscrite au registre du commerce en 1965. En novembre 1989, la société est rachetée par Mme Arlette Albertini, épouse de M. Jean-Jérôme Colonna. Un témoin entendu par le rapporteur a d’ailleurs émis des doutes sur le caractère spontané de la vente par les anciens propriétaires

Cet achat a été réalisé grâce à deux prêts accordés par la CADEC, le premier à la société Le Miramar d’un montant de 2,5 millions de francs en novembre 1989 et le second à une SARL, l’Union proprianaise de participation et d’investissements (UPPI), d’un même montant.

Le soutien de la CADEC s’est poursuivi au cours des années suivantes puisqu’elle a accordé à la société Le Miramar deux autres prêts, l’un de 1,8 million de francs en janvier 1991 et l’autre de 1,2 million de francs en avril 1991.

La société Le Miramar ne s’est pas montrée empressée à respecter ses obligations :

    • pour le premier prêt, le premier impayé a été constaté en mai 1991; ce prêt est échu après sommation en date du 5 décembre 1991 et déchéance du terme acquise le 14 décembre ; à cette date, les arriérés s’élevaient à 304.518,27 francs, le capital restant dû à 2.366.901,14 francs, les intérêts de retard pour la période du 14 décembre 1991 au 25 octobre 1995 à 1.509.851,11 francs, soit une dette globale de 4.181.270,52 francs ;
    • pour le second prêt, les impayés sont constatés dès la première échéance en avril 1991 ; ce prêt est également échu après sommation en date du 5 décembre 1991 et déchéance du terme acquise le 14 décembre 1991 ; à cette date, les arriérés s’élevaient à 173.490, 05 francs, le capital restant dû à 1,8 million de francs et les intérêts de retard pour la période du 14 décembre 1991 au 25 octobre 1995 à 1.222.272,68 francs, soit une dette totale de 3.195.762,73 francs à cette même date ;
    • pour le dernier prêt, le premier impayé a été également constaté à la première échéance en juillet 1991 ; ainsi au 25 octobre 1995, la dette globale s’élevait, intérêts de retard compris, à 2.046.661,27 francs.

Ainsi donc, la dette globale de la société Le Miramar vis-à-vis de la CADEC s’élevait-elle à 9.423.694,52 francs au 25 octobre 1995.

Il en va de même pour l’UPPI. Le premier impayé est intervenu en novembre 1991. Ce prêt est échu après sommation et déchéance du terme acquise le 13 décembre Au moment de celle-ci, la dette à l’égard de la CADEC s’élevait à 2.669.175,89 francs.

Au total donc, la CADEC possède une créance relative à l’hôtel d’un montant total de 12.092.870,41 francs. Il n’apparaît pas qu’elle se soit engagée dans une action très vigoureuse pour la recouvrer.

Au cours de toute cette période, la gérance de l’établissement a connu des variations. D’après le registre du commerce, l’hôtel a été donné en location-gérance à la Société d’exploitation du grand hôtel Miramar entre le 1er novembre 1990 et le 31 octobre 1992 . Le fonds semble alors exploité par la société le Miramar elle-même jusqu’en mai 1993, date à laquelle la location-gérance est donnée à la SARL Gestion hôtelière du grand hôtel de Cala Rossa  jusqu’à la fin du mois de mars 1994. L’activité de débit de boissons et de restaurant a ensuite été donnée en location gérance à Mme Gisèle Santoni, épouse Lovichi, entre le 2 mai 1994 et le 1er janvier 1995, la gestion de l’hôtel restant visiblement sous la responsabilité de la société Le Miramar.

D’après les informations fournies par la CADEC elle-même, " devant l’impossibilité, locale (sic), de recouvrement, malgré les engagements pris et non respectés relatifs à une location gérance de l’hôtel, afin de la maintenir à un niveau d’entretien correct, pour un loyer de 700.000 francs l’an, il n’y avait d’autre solution que d’engager la vente judiciaire de cet établissement. "

Le cahier des charges de cette vente sur saisie immobilière a été déposé au greffe du tribunal de grande instance d’Ajaccio le 21 décembre 1995 et la vente a eu lieu le 7 mars 1996 à la bougie, l’établissement étant mis à prix 3 millions de francs.

L’avocat de la CADEC a été le seul à faire une offre pour 3.001.000 francs. La caisse a donc été déclarée adjudicataire et a dû supporter l’ensemble des frais inhérents à ce type de procédure (10.885,94 francs).

La CADEC, propriétaire de l’hôtel, a alors autorisé, par simple lettre, Mme Colonna à rester dans les lieux et à poursuivre l’exploitation de l’établissement jusqu’à la fin de la saison touristique. La situation est ensuite restée en l’état jusqu’à la vente de l’hôtel. D’après les informations recueillies par la commission d’enquête, la caisse n’aurait perçu de la gérante ni loyer ni tout ou partie des éventuels bénéfices de l’exploitation.

En juin 1996, une société civile immobilière Punta Mare a fait une offre d’achat de 3 millions de francs : un acompte de 300.000 francs a été versé en juillet 1996 et le solde l’a été lors de la signature de l’acte de vente de l’hôtel le 17 avril 1997. Le jour même, M. Philippe Farinelli cédait la totalité de ses parts dans la société Punta Mare à M. Jérôme-Henri-Robert Feliciaggi, maire de Pila-Canale, pour la somme de 153.000 francs, soit son apport initial. M. Philippe Farinelli est resté gérant extérieur de la société, dont il ne possède donc aucune part, société qui n’a par ailleurs déclaré aucune activité au tribunal de commerce d’Ajaccio.

D’après des informations reçues par la commission d’enquête, M. Jean-Jérôme Colonna et sa famille seraient restés à la tête de l’hôtel " Le Miramar ". Il y a d’ailleurs organisé, le 30 août 1997, une grande réception à l’occasion du mariage de sa fille.

L’hôtel serait aujourd’hui exploité par la société de gestion hôtelière de Valenco. Celle-ci serait liée par un bail avec la société Punta Mare. Par contre, le fonds serait toujours détenu par la société Le Miramar qui, pourtant, a cédé à la société de gestion immobilière le matériel et les stocks de l’hôtel. Aujourd’hui, la société Le Miramar n’aurait plus comme activité que la location de la licence de débit de boissons, qu’elle loue d’ailleurs à la société de gestion immobilière.

Dès lors, la commission d’enquête s’interroge sur la facilité déconcertante avec laquelle la CADEC renonce à une créance on l’a vu très importante. Les deux sociétés, Le Miramar et UPPI, sont pourtant toujours inscrites au registre du commerce, ne se sont jamais déclarées en cessation des paiements et ne font l’objet d’aucune procédure collective. Notons qu’elles ne font pas preuve d’un zèle particulier pour satisfaire aux obligations légales de dépôt de leurs comptes : ce n’est qu’en 1996 qu’elles ont déposé les comptes des exercices 1990 à 1994. Depuis, malgré plusieurs relances du greffe du tribunal de commerce, aucun compte relatif aux exercices postérieurs n’a été déposé.

Interrogé par les services fiscaux, le président de la caisse jugeait, en juillet dernier, que le dossier " peut être considéré dans nos écritures comme soldé ". En effet, il indiquait que le produit de la vente de l’hôtel et les provisions constituées sur ces créances permettaient de ne pas pousser plus loin l’action en recouvrement de son établissement.

On permettra à la commission d’enquête de ne pas partager cette désinvolture manifestée par le président d’un établissement qui a bénéficié d’une recapitalisation sur fonds publics.

Même si de nouveaux développements relatifs à l’exploitation de l’hôtel ont pu intervenir récemment, ce dossier soulève à l’évidence plusieurs préoccupations concernant la période passée, qu’il appartient à l’action judiciaire d’éclairer :

    • l’attitude des dirigeants de la CADEC ne constitue-t-elle pas une suite d’actes de gestion anormaux ? Certains d’entre-eux ne pourraient-ils pas recevoir une qualification pénale ?
    • pourquoi les dirigeants de la CADEC n’ont-ils pas fait jouer les cautions solidaires existant pour les deux prêts accordés en 1991 à la société Le Miramar ?
    • la gestion de la famille Colonna, outre qu’elle pourrait constituer une complicité ou un recel de ces éventuelles infractions, est-elle conforme aux règles commerciales et fiscales ?
    • ainsi, quel est le cadre juridique, tant sur le plan du droit commercial que du droit fiscal, de l’exploitation de l’hôtel par la famille Colonna pendant la période allant de mars 1996 à avril 1997 ? la non-perception de loyers ne constitue-t-elle pas, de la part des dirigeants de la CADEC, un acte anormal de gestion, au sens du droit fiscal ;
    • les acquéreurs ou gestionnaires successifs, après avril 1997, se sont-ils impliqués dans la gestion de l’hôtel ou ont-ils simplement " prêté " leur nom à cette opération ? Quelle était l’origine des fonds ayant permis le rachat de l’hôtel ? Quelle est la base juridique de l’exploitation actuelle de l’hôtel ?
    • comment se fait-il que les sociétés débitrices de la CADEC, toujours inscrites au registre du commerce, n’aient fait l’objet d’aucune procédure collective, notamment à l’initiative de leur créancière ?

Cette affaire est clairement apparue comme emblématique du " système " qui s’est consolidé en Corse au cours des années et des liens étroits entre le milieu, des activités économiques et quelques relais politiques. Des fonds publics et privés ont été détournés de leur objet. Plus encore, le mépris des règles de droit, et l’impunité totale jusqu’à ce jour des auteurs de tels dossiers marquent une régression inacceptable de l’État de droit.

·  Vers une nouvelle recapitalisation : les incertitudes actuelles

Pour poursuivre ses activités, la caisse devrait aujourd’hui être recapitalisée, afin de pouvoir provisionner les pertes sur ses créances douteuses et contentieuses et s’assurer une liquidité suffisante. Il apparaît que la dégradation continue de l’assise financière de la CADEC a rendu insuffisantes les mesures de restauration des fonds propres ainsi mises en œuvre. En effet, la situation de certains emprunteurs de la caisse s’est encore détériorée.

– Les objections des commissaires aux comptes de la caisse

Face à la situation très préoccupante de la caisse, les commissaires aux comptes entamèrent, par lettre du 13 mars 1997, la procédure d’alerte prévue par la loi en raison de la situation des comptes au 31 décembre 1996.

 

Extraits du rapport des deux commissaires aux comptes de la caisse

sur les comptes consolidés de l’exercice 1996

 

" Les comptes consolidés arrêtés au 31 décembre 1996 font apparaître une perte de près de 78 millions de francs portant les capitaux propres consolidés à – 137 millions de francs. Par ailleurs, votre société , avec un ratio de solvabilité négatif (– 19,55 %), ne remplit plus depuis 1995 les conditions réglementaires applicables aux établissements de crédit en matière prudentielle. (…)

Par lettre en date du 5 janvier 1996, nous avions déjà attiré votre attention sur les risques pesant sur la continuité de l’exploitation de la caisse.

Une convention de recapitalisation a été signée en avril 1996, prévoyant des apports de la Collectivité territoriale et de l’État à hauteur de 140 millions de francs, de la manière suivante :

    • 88 millions de francs en 1996 en numéraire,
    • 37 millions de francs au 1 er trimestre 1997 en numéraire (26 millions de francs pour la Collectivité territoriale et 11 millions de francs pour l’État)
    • le solde sous forme d’apports en nature de titre Corsabail détenus par l’État.

De plus, notre rapport général sur les comptes annuels de l’exercice 1995, établi le 2 juillet 1996, exprimait nos incertitudes graves et multiples qui pesaient sur le principe de cette continuité.

A ce jour, la recapitalisation prévue n’est pas entièrement réalisée en ce qui concerne les versements relatifs à 1997 ainsi que l’apport en titres Corsabail. De toute manière, l’évaluation des impayés en 1997 laisse entrevoir des difficultés de paiement pour 1998, même après encaissement des 37 millions de francs prévus.

Il nous a semblé clair, dans ces conditions, que la recapitalisation de 140 millions de francs décidée ne permettra pas de garantir la continuité d’exploitation de la caisse et que d’autres recapitalisations ultérieures semblent déjà nécessaires et prévisibles. C’est pourquoi dans un courrier du 13 mars 1997, nous avons déclenché la phase n° 1 de la procédure d’alerte, conformément à l’article 230-1 de la loi du 24 juillet 1966. Votre président a souhaité faire délibérer le conseil d’administration le 14 avril 1997, déclenchant ainsi lui-même la phase n°2. Le conseil d’administration ne nous a pas fourni d’éléments permettant de penser que la continuité d’exploitation était assurée.

Le 24 avril 1997, conformément à la loi, nous informions le président du tribunal de commerce d’Ajaccio de l’existence d’une procédure d’alerte au sein de votre société.(…)

En raison des faits exposés ci-dessus, nous ne sommes pas en mesure de certifier si les comptes sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière, ainsi que du résultat d’ensemble (…). " 

 

– Les délibérations du conseil d’administration

Ainsi que l’indique le rapport des commissaires aux comptes, le conseil d’administration, qui s’est réuni le 16 avril 1997, a en effet constaté qu’après prise en compte du résultat déficitaire de l’exercice 1996 (- 76,3 millions de francs), le ratio de solvabilité était à nouveau insuffisant au regard de la réglementation bancaire et qu’une nouvelle recapitalisation s’imposait. Au cours de cette même réunion, le conseil d’administration examina l’hypothèse d’un retrait amiable de l’agrément d’établissement financier auprès de la commission bancaire, ce qui signifierait que la CADEC ne poursuivrait plus qu’une activité de recouvrement auprès de ses clients. Les représentants de la direction du Trésor rappelèrent alors que le gouvernement de l’époque (celui de M. Alain Juppé) plaidait en faveur de la recapitalisation de la caisse et de la mise en place de PPR (prêts participatifs de restructuration  – enveloppe de la CADEC : 250 millions de francs) pour permettre le retour des clients à des " pratiques vertueuses ". La création au sein de la CADEC de l’institut de participation apparemment souhaité par la Collectivité territoriale fut également envisagée.

Lors de la réunion en date du 22 décembre 1997, les membres du conseil d’administration durent constater que les fonds propres étaient de moins 42 millions de francs et que les comptes faisaient apparaître un résultat négatif de 49,7 millions de francs. Le ratio Cooke n’était toujours pas respecté. La nécessité d’une recapitalisation fut réaffirmée par les deux représentants de la direction du Trésor siégeant au conseil d’administration de plein droit. Ces derniers soulignèrent l’urgence d’une décision de l’Assemblée de Corse confirmant son engagement à parité avec l’État pour participer à une nouvelle recapitalisation de 70 millions de francs (35 millions pour l’État et 35 pour la CTC). Le président en exercice de la caisse, M. Noël Pantalacci fit, quant à lui, observer que l’Assemblée de Corse avait participé à la précédente recapitalisation " pour solde de tout compte " et que celle-ci ne prendrait aucune décision avant le renouvellement de mars 1998.

 

– Les interventions de la commission bancaire

C’est lors de sa séance du 27 octobre 1995 que la commission bancaire décida de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la caisse en indiquant qu’une recapitalisation d’au minimum 76 millions de francs était nécessaire pour respecter au 30 juin 1995 la norme de représentation du capital minimum.

Même après l’intervention de cette recapitalisation l’année suivante, la caisse n’étant toujours pas remise à flot, le secrétaire général de la commission bancaire a dû constater dans un courrier du 13 janvier 1998 que l’insuffisance de représentation du capital minimum, estimée à 223 millions de francs au 30 septembre 1997, rendait insuffisantes les mesures déjà prises.

Enfin, la Commission bancaire a décidé, le 7 mai 1998, de saisir par courrier le ministre des finances en soulignant l’ampleur du passif net de la caisse et la nécessité de procéder à un nouveau renforcement de ses fonds propres.

D’après les informations de la Commission bancaire, au 31 mars 1998, l’insuffisance de représentation du capital minimum s’élèverait à 120 millions de francs, compte tenu de l’abandon de créances douteuses réalisé en décembre 1997.

Quant à elle, la commission d’enquête, qui a pris note des divers éléments du dossier de la CADEC, s’est forgée une opinion quant aux perspectives d’évolution souhaitable de la caisse, développements qui figurent dans la dernière partie du présent rapport.

b) La caisse régionale de Crédit agricole : un mécanisme de " cavalerie " très coûteux pour les finances publiques

Premier établissement bancaire de l’île en matière de distribution de crédits, le Crédit agricole apparaît comme le principal organisme financier des exploitants agricoles corses. Les difficultés actuelles de la caisse régionale n’en sont que plus inquiétantes pour la situation générale de l’économie insulaire. Pour son financement, celle-ci doit disposer d’outils qui font aujourd’hui cruellement défaut. Après l’interruption des prêts par la CADEC, le reflux persistant de ceux du Crédit agricole pourrait s’avérer désastreux.

·  Le premier établissement bancaire de l’île et le plus important distributeur de crédits bancaires

Historiquement liée au développement de l’agriculture à partir des années 1960, la caisse régionale de Crédit agricole de Corse a pris une part prépondérante et joué un rôle positif dans le soutien de l’économie insulaire depuis plus de trente ans. Avec un total de bilan de 7 milliards de francs, 14 caisses locales et 19 agences, 20 distributeurs de billets et 359 agents, le Crédit agricole est de loin l’établissement qui pèse le plus lourd sur la place bancaire de l’île. Autonome dans sa gestion au niveau régional, la caisse de Corse obéit aux mêmes règles de fonctionnement et de contrôle que toutes les autres entités du groupe Crédit agricole. Au début de 1997, la caisse gérait les comptes de 90.000 clients, soit en tout 7,4 milliards de dépôts (37,5 % du marché bancaire).

Au-delà de son métier de prêteur, la caisse régionale a tout au long de la décennie 90, consenti des efforts pour soutenir et alléger financièrement les charges d’emprunt dues par les agriculteurs.

Bien que les prêts se soient aujourd’hui taris, le remboursement des créances passées constitue un problème qui est allé croissant au fil du temps. En effet, les prêts accordés depuis plus de vingt ans n’ont pas ou peu été remboursés par leurs bénéficiaires, qui ont obtenu de façon régulière une série d’aides et de mesures de consolidation leur permettant de ne rien régler de leurs impayés. L’endettement global enregistré auprès de la caisse régionale en 1997 se situait à un niveau proche de celui de 1993.

L’évolution sur dix ans a été la suivante :

 

Endettement

à la fin de 1997

Rappel :

Situation

à la fin de 1988

Endettement global

1,290 milliard de francs

1,169 milliard de francs

Endettement hors coopératives et SICA

1,100 milliard de francs

1,030 milliard de francs

Endettement hors prêts à l’habitat

910 millions de francs

841 millions de francs

Les réalisations de crédits en 1997 ont connu un net repli dans tous les secteurs d’intervention.

Distribution de crédits en 1997

(en millions de francs)

Secteurs d’intervention

Montants des prêts

Pourcentage sur le total

Particuliers

(En repli de 14 % par rapport à 1996, notamment dans l’habitat)

435

62 %

Entreprises

(En repli de 3,1 % par rapport à 1996)

207

30 %

Collectivités locales

(Fort repli de 80 % par rapport à 1996)

38

5 %

Agriculture

(Réduit de pratiquement la moitié)

21

3 %

TOTAL

701

(Soit une réduction de 26 % par rapport à 1996)

 

 

Au total, avec 701 millions de prêts nouveaux, la caisse régionale a maintenu à peu près son encours global à 7 milliards de francs et sa part de marché en Corse s’est stabilisée à 47 %.

 

STRUCTURE DE l’ENCOURS

au 31 décembre 1997

(en milliards de francs)

Secteurs d’intervention

 

Montant de l’encours

Pourcentage sur le total

Particuliers

1,760

27 %

Professionnels

1,317

21 %

Agriculture

1,257

19 %

Entreprises

1,172

18 %

Collectivités locales

0,955

15 %

TOTAL

6,461

100 %

 

·  Un " système " de prêts aux agriculteurs bien rodé

Le " système " - puisque l’on peut avancer qu’il s’agissait là de pratiques systématiques ou du moins très répandues, exercées avec l’aval de fait de la caisse - était le suivant : la caisse accordait des prêts à court terme aux agriculteurs, prêts destinés pour l’essentiel au financement des besoins de leur exploitation, tandis que les prêts à moyen ou long terme servaient à financer des opérations plus lourdes (de plantations arboricoles par exemple). Rapidement, les débiteurs se mettaient en impayés. Lorsque les retards devenaient trop conséquents et que les arriérés s’étaient accumulés, les soldes débiteurs des comptes à vue ou les prêts initiaux se voyaient consolidés sous la forme d’autres prêts à moyen et long terme. La caisse attendait alors l’intervention des pouvoirs publics, qui sous la pression des événements, ne manquaient pas d’annoncer un énième plan de désendettement, à chaque fois présenté comme devant être le dernier.

A intervalles réguliers (en 1975, 1988, 1989 et 1996), la dette fit même l’objet d’un effacement ou du moins d’un allégement grâce à l’attribution d’une aide publique. Ces aides permettaient aux exploitants concernés d’améliorer leur situation financière. Dégageant ainsi de nouvelles capacités d’emprunt, ils pouvaient se présenter à nouveau aux guichets du Crédit agricole et obtenir de nouveaux prêts.

Dans ce dossier, le rôle de la caisse régionale de Crédit agricole semble déterminant. Pour citer un exemple précis, il est apparu qu’au cours de l’application de la " mesure Nallet ", la caisse régionale est parvenue à profiter des difficultés rencontrées pour faire prendre en charge dans la mesure " tout et n’importe quoi ". Les verrous prévus - l’audit et l’examen en commission " agriculteurs en difficulté " (Agridif) - sont rapidement devenus inopérants sous la pression des manifestations et des actes terroristes. La caisse a ensuite accordé des prêts de trésorerie dits " de sauvegarde " en 1994 sans aucune contrepartie bancaire, dans l’attente d’une nouvelle action de l’État. Les prêts ont ainsi été globalisés dans la consolidation dite Balladur, qui a étalé sur 20 ans toutes sortes de prêts agricoles ou non à un taux de 7 % en moyenne.

Dans ce système, chacun avait quelque chose à gagner (à l’exception de l’État, même si les gouvernements ont longtemps cru que ce type de mesures permettait d’" acheter " la paix sociale). La perspective du remboursement était sans cesse repoussée. Chaque plan se suivant étroitement, beaucoup d’agriculteurs ont pu ne rien rembourser depuis environ dix ans. Ce report des échéances et la consolidation de tous types de prêts se traduisaient par des apports très importants, en trésorerie comme en financement net, pour ceux qui en profitaient. La caisse régionale de Crédit agricole voyait au fil des plans ses créances potentiellement douteuses requalifiées en crédit bancaire normal, même si la dette constituée n’avait plus aucune mesure avec la réalité économique. C’est ainsi que la dette s’est paradoxalement gonflée au fil des plans de désendettement. Facilitée par la caisse régionale, cette augmentation de la dette était la garantie du prochain plan et son caractère démesuré constituait l’assurance que son paiement serait toujours différé. A l’annonce de chaque mesure, les arriérés étaient gelés dans l’attente d’une solution. La mise au point des plans, puis leur application, étaient menées avec une telle lenteur qu’au moment de la première échéance des prêts réaménagés, une nouvelle mesure était annoncée...

·  De grandes difficultés financières qui ont conduit à l’intervention de la caisse centrale

– Le constat

Les mauvais résultats enregistrés par la caisse sont dûs essentiellement à une politique de provisionnement sévère des créances douteuses et litigieuses. 350 millions de francs de provisions ont été constitués en 1997 (après 414 millions en 1996). Cet effort de provisionnement conjugué à la réduction des activités de la caisse ont conduit à des pertes très importantes en 1997. Il faut noter, en outre, que le réaménagement de la dette agricole a coûté, en cinq ans, 125 millions de francs au Crédit agricole, le reste étant financé par l’État.

L’exercice 1997 s’est traduit par une nouvelle perte de 209 millions de francs (après 207 millions en 1996).

– Une augmentation incontrôlée des créances douteuses

Au cours des trois dernières années, le niveau des risques qu’a comptabilisés la caisse régionale a presque triplé, la caisse ayant dû se résoudre à classer en créances douteuses et litigieuses un certain nombre de prêts. Les taux des créances douteuses et litigieuses sur les encours gérés sont en effet passés de 9 à 11 % entre 1985 et 1992, puis de 14 à 15 % entre 1993 et 1995, pour atteindre 29,6 % en 1996. A titre de comparaison, à cette date, le niveau de risque au Crédit agricole était de 8 % en moyenne nationale.

Lors de son audition en avril 1997 devant la mission d’information sur la Corse, M. Jacques-Denis Léandri, alors président de la caisse régionale de Crédit agricole, rappelait que le total de l’encours agricole, fin 1996, s’élevait à 1,4 milliard de francs, dont 128 millions consentis à 63 coopératives et CUMA, 185 millions consentis pour financer l’habitat de l’agriculture et 1 milliard de francs de prêts professionnels aux exploitations. Sur cet encours, 97 millions de francs de prêts relevaient de dossiers contentieux. Il expliqua que, du fait de la mise en place des mesures de report et d’allègements financiers, la gestion des encours de prêts agricoles s’était modifiée, conduisant la caisse à constater au 31 décembre 1996 un niveau de créances douteuses et litigieuses pour le secteur agricole de 593 millions de francs, sur un encours de 1.393 millions de francs, soit 42,4 % du total. Il indiqua : " Bien entendu, une part de ces créances douteuses sera régularisée après le traitement des mesures ; mais d’ores et déjà, il nous est apparu nécessaire, après examen détaillé des situations particulières, de procéder à la constitution de provisions sur cet encours de créances douteuses, à hauteur de 205 millions de francs, ce qui représente un taux de couverture de 34,5 %. ".

Lors de la même audition, M. Christian Cardi, alors directeur général-adjoint de la caisse régionale de Crédit agricole, revint sur ce point et expliqua : " Une grande partie de l’évolution des encours douteux et litigieux est liée au fait que, durant les années 1994 et 1995, il y avait pour le secteur agricole des mesures de consolidation qui avaient eu pour objectif de reporter pendant une certaine période et d’alléger les charges financières, de façon à régulariser un certain nombre de situations avec une perspective de redressement. C’est pour cela que nous n’avions pas constaté de créances douteuses, puisqu’elles étaient en cours de traitement dans le cadre d’une mesure précédente. Cette mesure ayant échoué, c’est le constat que nous avons dressé en accord avec le gouvernement, nous avons cette fois décidé de provisionner les créances douteuses et litigieuses. Voilà une des raisons pour lesquelles l’accroissement a été très rapide, ce n’est pas un effondrement immédiat, c’est un effet de déport qui existait depuis deux ou trois ans et qui avait été masqué par une mesure. "

Depuis 1997, la progression des créances douteuses s’est poursuivie inexorablement. En avril 1998, elles s’élevaient à 1.870 millions de francs. Représentant 27 % de l’encours total, elles sont aujourd’hui provisionnées à hauteur de 67 % (contre 53 % à la fin de 1996). L’encours des provisions se monte à 1.261 millions de francs. Il est vrai que le stock de créances douteuses s’est accru de 6 % (soit 109 millions de francs) à la suite notamment du passage de l’inspection générale de la caisse centrale de Crédit agricole en décembre 1997. En effet, en concertation avec l’inspection générale, la caisse régionale a procédé à la fin 1997 à une approche individualisée des dossiers. Des règles plus strictes furent alors retenues pour valoriser les garanties détenues. Ainsi 351 millions de francs ont été provisionnés en 1997.

– La caisse centrale appelée au secours

La dégradation de sa situation financière conduisit la caisse régionale à solliciter, en 1996, pour la première fois de son existence, l’aide du groupe central afin de respecter les divers ratios financiers imposés par la réglementation bancaire. Ce concours se matérialisa par un abandon de créances de 65 millions et par un apport en capital, par le biais d’une caisse locale dédiée à cet effet (caisse sans clientèle), de 150 millions de francs. La caisse centrale apporta de nouveau son soutien à la caisse régionale en 1997 afin de l’aider à rétablir la situation. Des abandons de créances et un apport en capital furent décidés au profit de la caisse régionale. En 1996, des abandons de créances étaient intervenus à hauteur de 110 millions de francs. En 1997, une augmentation de capital de 100 millions fut réalisée et les abandons de créances se montèrent à 65 millions.

L’apport de la caisse centrale s’est élevé à 385 millions de francs pour les deux derniers exercices 1996 et 1997.

·  Un climat tendu et la gestion délicate des risques bancaires

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, M. Jacques-Denis Léandri, déjà cité, notait : " Des " groupes revendicatifs " se créent progressivement, radicalisant les positions de nombreux acteurs économiques et portant sur le plan politique les revendications sectorielles. Il faut noter aussi des actions de débiteurs organisés pour empêcher les traitements judiciaires qui sont l’ultime moyen légal dont disposent les créanciers titrés. "

A l’instar d’autres témoins entendus par la commission d’enquête, un haut responsable de la caisse centrale de Crédit agricole soulignait que la mise en règlement des échéances et l’activation des garanties se heurtaient en Corse à un contexte général d’insécurité ; d’où, selon lui, l’impossibilité de faire jouer les procédures habituelles relatives aux entreprises et aux exploitations en difficulté : " Je prendrai un exemple tiré du dossier agricole dans lequel la caisse régionale a essayé de faire jouer les procédures habituelles, notamment la loi de décembre 1988, concernant l’agriculture. C’est le cas d’un dossier d’un arboriculteur qui était en contentieux avec la caisse régionale depuis 1992. Ce dossier a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ouverte en mars 1993 ; la liquidation a été prononcée en juin 1994, l’autorisation de la vente des actifs en juin 1996. La caisse régionale était adjudicataire de ce bien en janvier 1997. Le terrain a été occupé par un autre agriculteur le 25 février 1997 et l’assignation aux fins d’expulsion a été prononcée en décembre 1997. Le jugement n’est pas encore rendu. On s’attend peut-être à un règlement début 1999. "

·  Les interrogations de la commission d’enquête

– La commission d’enquête s’est interrogée sur l’état exact de la connaissance par la caisse centrale des difficultés rencontrées par la caisse de Corse et des modalités d’octroi de prêts agricoles par celle-ci.

Selon la caisse centrale : " Lorsque nous avons effectué ces missions de contrôle, nous sommes effectivement, notamment dans le domaine de l’agriculture, tombés sur des retards, mais des retards qui, de mesure en mesure, trouvaient chaque fois un nouveau dispositif pour les compenser et les prendre en compte. (...) Le problème de la Corse est celui-ci : chaque fois que nous sommes allés faire des observations, nous étions à la fin d’une mesure en place ou à la mise en route d’une nouvelle ".

Par ailleurs, il est vrai, que pour la caisse centrale, l’ampleur du problème de la caisse de Corse doit être relativisée. Certes, il s’agit de sommes non négligeables – de plusieurs centaines de millions de francs – mais elles sont sans commune mesure avec celles en jeu dans les sinistres qu’ont connus les caisses du Gers ou de l’Yonne par exemple.

– La commission d’enquête s’est également interrogée sur le contrôle pouvant être effectué par la caisse régionale voire par la caisse centrale, concernant la réalité de la situation d’agriculteur.

Des renseignements recueillis, il ressort " qu’à partir du moment où le numéro d’affiliation à la Mutualité sociale agricole figurait dans un dossier et que ce dossier s’était trouvé éligible au gré des différents comités ou contrôles administratifs de la mise en place des mesures (...) les auditeurs de l’inspection générale n’allaient pas plus loin dans la vérification. "

– La commission d’enquête s’est enfin interrogée sur la responsabilité respective de l’État, du Crédit agricole et des clients de la banque dans l’attribution irrégulière de certains prêts.

A cet égard, la commission serait tentée de reprendre les termes employés devant elle par un témoin bien au fait du dossier : " Je me méfie de l’attitude qui consisterait pour le Crédit agricole à dire qu’il n’y est pour rien et que ce sont les pouvoirs publics. Je crois qu’en Corse, tout le monde y est pour quelque chose. Le Crédit agricole y a sa part, me semble-t-il. "

La commission d’enquête considère que les gouvernements successifs ont été pris au piège de ce système. Sollicités pour venir en aide à une agriculture en faillite, ils se trouvaient face au paradoxe suivant : au fur et à mesure de la mise en place des plans de désendettement, la dette agricole gonflait jusqu’à atteindre des proportions insoutenables.

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, M. Christian Cardi, déjà cité, répondant à une question de M. Henri Cuq, président de la mission, notait : " J’explique pourquoi les agriculteurs sont désespérés ; ils ne savent plus à qui s’adresser. On s’adresse au Crédit agricole et ensuite au gouvernement. A partir du moment où le gouvernement aide, c’est qu’il estime qu’il est obligé de le faire, que c’est une situation particulière, sinon, je ne vois pas pourquoi il y aurait eu les douze mesures dont je vous ai parlé. Vous dites que les gens s’accoutument, mais je peux aussi dire que le gouvernement s’accoutume, tous les gouvernements s’accoutument ".

L’État a fait preuve en la matière d’un interventionnisme répété qui l’a conduit à élaborer pas moins de douze plans en faveur des agriculteurs corses, soit un plan tous les deux ans en moyenne. Mais cet interventionnisme n’est pas allé au bout de sa logique car les gouvernements successifs ont tous cherché à déléguer au Crédit agricole le soin de mettre en oeuvre les mesures décidées. Ce mouvement s’est en outre accompagné d’un processus de débudgétisation des dépenses. Celles-ci furent tout d’abord inscrites au budget du ministère de l’agriculture, puis intégrées dans l’ensemble des enveloppes de bonifications de prêts, enfin, supportées par le Fonds d’allégement des charges des exploitations agricoles, le FAC, figurant dans les comptes de la caisse centrale du Crédit agricole.

Si la responsabilité de l’État dans la dérive des mesures d’allégements est patente, elle n’est pas exclusive de celle de la banque elle-même, que ce soit au niveau central ou au niveau régional.

Le rôle joué par la caisse centrale, ou au contraire l’absence d’intervention et de contrôle de sa part, doivent être examinés avec attention.

·  Le comportement de la caisse nationale : entre négligence, inattention et volonté de couvrir les errements de la caisse régionale

Il faut tout d’abord insister sur le fait que la caisse de Corse représente pour le groupe du Crédit agricole une entité mineure, même si sur le plan local, elle est un point d’équilibre économique important.

Diverses enquêtes ont été diligentées à la caisse régionale de Crédit agricole. La dernière en date (avant celle de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’agriculture au printemps 1998) fut conduite du 1er au 18 décembre 1997, par l’inspection générale de la CNCA. Faisant suite à la vérification, qui avait eu lieu un an avant, cette enquête avait pour " objectif d’évaluer le volume des dotations nettes aux provisions sur le risque " crédits " à comptabiliser sur l’exercice 1997, ainsi que son impact sur le résultat net final ". De par son objet même, ce rapport n’avait donc nullement pour intention de déceler d’éventuelles anomalies et irrégularités dans l’attribution des prêts agricoles. Cette mission s’est effectivement bornée à examiner l’encours des créances douteuses et litigieuses, l’encours des provisions, et partant, le résultat affiché par la caisse de Corse.

Du 23 janvier au 10 mars 1995, une précédente enquête avait été conduite par l’inspection générale de la caisse centrale. En fait, le rapport confidentiel rédigé à l’issue de la mission ne s’intéresse qu’à l’aspect prudentiel de la gestion de la caisse. Il vise à apprécier les risques de contreparties de la caisse régionale. La mission d’inspection, composée de quatre auditeurs, souhaitait uniquement vérifier le montant des créances douteuses et litigieuses, et donc contrôler au regard des normes de la commission bancaire, le montant adéquat ou non des provisions à constituer. Notons que cette mission se déroula alors même que la mesure Puech-Balladur se mettait en place. Les auditeurs conclurent qu’une mission de suivi devrait être envoyée en décembre 1996, ce qui se produisit effectivement. Cette visite eut pour objet de valider les " prévisions d’atterrissage de résultats " de la caisse.

Dans son introduction, le rapport de 1995 signalait un élément essentiel susceptible d’expliquer pour une part les dérives observée dans la caisse de Corse : " Ayant su se constituer en centre de décision indépendant, elle fait preuve d’une forte implication dans l’île. Par ailleurs, elle dispose d’une culture forte (identification des salariés à l’entreprise, travail quotidien replacé dans le contexte d’un projet corse) et l’osmose entre les élus et les salariés est totale ". Ce constat peut en lui-même sembler positif. Il semble cependant que la grande proximité liant les clients de la banque, ses agents, et les dirigeants de la caisse régionale et des caisses locales, ait précisément favorisé le laxisme avéré dans l’octroi de nombreux prêts…

Au total, il est confirmé que la caisse nationale avait connaissance des désordres les plus marquants au sein de la caisse régionale et des caisses locales, de leurs conséquences financières, et du climat douteux qui s’était installé.

2.  Des dérives dans le secteur social et de la santé

L’action sanitaire et sociale est naturellement au cœur des préoccupations des habitants de l’île. C’est dire si les mauvaises gestions en ce domaine peuvent être mal ressenties, et avoir des conséquences sur leur vie quotidienne.

Dès lors, les constats, d’une gravité certes variable, établis dans les hôpitaux de trois des principales villes de Corse (Ajaccio, Bastia, Bonifacio), sont inquiétants. Il en va de même pour la caisse de Mutualité sociale agricole, dont l’avenir apparaît particulièrement sombre, ou pour les offices publics d’HLM des deux départements, dont la remise à flot s’avère difficile et coûteuse.

a) L’hôpital de Bonifacio : errements cumulés et responsabilités partagées

D’une capacité globale de 148 lits, l’hôpital local de Bonifacio présente plusieurs originalités.

– La première tient à sa situation géographique. Situé à l’extrême sud de la Corse, il est difficile d’accès et localisé dans une zone touristique dont la population, estimée à environ 5.000 à 7.000 en temps normal, est décuplée pendant les mois d’été.

– L’éclatement en deux sites constitue la deuxième spécificité notable de l’établissement. En effet, 80 lits d’hospitalisation sont répartis sur le site de Bonifacio en 6 lits de court séjour en médecine, 18 lits de suite, 54 lits de soins de longue durée, 2 lits permettant une hospitalisation partielle avant transfert. Mais l’établissement gère également depuis 1991 une maison de retraite implantée à Porto-Vecchio, commune distante d’une trentaine de kilomètres. D’une capacité théorique de 68 lits, cette maison de retraite ne fonctionne en réalité qu’avec 38 lits.

– Enfin, l’établissement dispose d’un personnel important, voire même pléthorique.

·  Une situation financière durablement et fortement déficitaire

Selon les comptes de gestion de l’hôpital, la situation financière de l’établissement s’est brutalement dégradée en 1991, avec un déficit qui atteint alors 3,1 millions de francs, tandis que l’exercice 1990 avait permis d’enregistrer un bénéfice de 2,4 millions. A partir de cette date, le déficit annuel s’est creusé et a dépassé en moyenne les 7 millions de francs. La section d’exploitation présente sur la période 1988-1994 un solde cumulé de moins 0,676 million de francs et la section d’investissement est déficitaire de près de 6,5 millions de francs. Comme le note la Chambre régionale des comptes dans sa lettre d’observations définitives en date d’avril 1998, ce montant est encore minoré de 8 millions, somme correspondant à une ligne de trésorerie contractée en 1991 auprès d’une banque et budgétée à tort par l’hôpital en recettes d’emprunt. Dès lors, le déficit réel de la section d’investissement pouvait être estimé à 14 millions à la fin de 1994.

Même en l’absence de l’intégralité des informations comptables, les données existantes validées par une série de recoupements issus de l’examen des opérations les plus importantes, permettent d’avancer que le déficit de trésorerie de l’hôpital de Bonifacio peut être évalué au minimum à 15 millions pour 1997.

Pendant que se creusait le déficit, la dotation de fonctionnement n’a paradoxalement cessé de s’accroître de 1989 à 1994.

·  A l’origine des dérives

Comment expliquer une telle situation ? Après analyse, il apparaît que la dégradation des comptes provient, d’une part, d’un déficit conjoncturel consécutif aux travaux de rénovation de l’établissement, à la reprise de la maison de retraite de Porto-Vecchio et à l’absence de politique de recouvrement des créances, et d’autre part, d’une politique de recrutement démesurée ainsi que d’une absence de contrôle des coûts de fonctionnement.

– Des travaux immobiliers non maîtrisés

C’est au cours de l’année 1981 que le conseil d’administration de l’hôpital adopta le principe de la rénovation et de l’extension de l’établissement. Deux phases de travaux définies en 1986 furent alors chiffrées à 26 millions. En 1991, le projet fit l’objet d’une première révision visant à porter le nombre de phases à trois pour un coût de 41 millions de francs. Un an plus tard, une seconde révision du projet faisait passer ce chiffre à 63 millions, alors que la situation financière de l’hôpital accusait déjà un déficit. En 1993, la direction de l’établissement, enfin consciente du problème, décida de ramener le chiffrage du projet à 41 millions, ce qui constituait cependant un montant encore très élevé eu égard à la situation financière de l’hôpital à cette date.

L’hôpital connut donc, de 1990 à 1993, une politique de restructuration qui explique une partie de ses difficultés financières actuelles. Ces trois années ont correspondu à la réalisation de la première tranche de l’ambitieux programme de rénovation. C’est le surcoût important de celle-ci qui devait conduire l’établissement à différer et repenser la suite de son programme.

– Des marchés passés dans des conditions contestables

La Chambre régionale des comptes a décrit le système de façon très précise dans sa note d’observations définitives d’avril 1998.

Observation n°4 : " Le montant du marché de maîtrise d’oeuvre (études et contrôles) signé le 21 septembre 1987, pour 1.377.657,40 francs, avec un cabinet de Porto-Vecchio, mandataire commun d’une équipe de concepteurs, a été presque doublé passant en définitive à 2.049.376,53 francs. En effet, compte tenu des extensions et révisions successives du projet demandées à cette équipe, la direction de l’hôpital a été conduite à accepter, en 1993, de modifier la portée du contrat par avenant.

L’examen de la procédure d’appel d’offres montre qu’une absence de définition précise des travaux à réaliser a amené cette direction, pourtant assistée par la DDE dans sa mission de délégué aux travaux d’équipement sanitaire et social, à engager des dépenses de conception nettement supérieures à ce qu’elles auraient été s’il y avait eu une meilleure maîtrise du projet. "

Observation n°6 : " Les entreprises choisies pour bénéficier de ces marchés négociés n’ont été que quatre à se partager les seize lots déclarés infructueux (après l’échec de la procédure d’appel d’offres). En outre, sur ces quatre entreprises, trois sont de Porto-Vecchio montrant ainsi que, parmi les critères de sélection définis, celui de la proximité semble avoir été privilégié. (....)

Les textes régissant les marchés publics semblent avoir été formellement respectés pour les travaux engagés. Mais les insuffisances techniques des appels d’offres ont, dans les faits et quelle que soit l’opération en cause, permis de privilégier un petit nombre d’entreprises nettement localisées, bénéficiant de l’essentiel des ordres de travaux en dehors de toute mise en concurrence réelle. "

– L’insuffisance des financements pour la réalisation des projets d’aménagement

Malgré l’évolution du coût du projet (qui est passé de 26 millions à 63 millions de francs, pour se stabiliser en définitive non à 41 mais à 39,5 millions), l’établissement n’a jamais mis en place les financements correspondant aux travaux engagés. Les subventions obtenues dans ce but se sont révélées moins importantes que prévu. Souffrant d’une absence d’autofinancement, l’hôpital dut avoir recours à l’emprunt. En 1990, l’établissement contracta un prêt bancaire pour un montant de 7,2 millions de francs afin de couvrir le coût disproportionné des travaux engagés. Un an plus tard, une ligne de crédit de 8 millions de francs qualifiée de crédit-relais était négociée avec la banque de référence de l’établissement ; puis l’hôpital se vit octroyer un nouveau crédit de 11,2 millions de francs par une banque de Marseille, une fois les travaux terminés.

La situation de trésorerie de l’établissement devint si tendue que le crédit-relais de 8 millions de francs devait resté non-remboursé, tandis que les intérêts augmentaient pendant cette période.

– Des dépenses de personnel incontrôlées

D’après les informations dont la commission d’enquête dispose, l’hôpital n’a jamais tenté de mettre en adéquation ses effectifs, pléthoriques, avec ses véritables besoins. Les dépenses de personnel se sont accrues de 268 % entre 1988 et 1994. L’effectif de l’établissement est en effet passé de 61 à 147 agents (soit un accroissement de 140 %), alors que la structure de l’établissement lui-même n’a guère évolué durant cette période. La prise en charge de la maison de retraite a également augmenté de 12 agents l’effectif de l’hôpital par la reprise du personnel de l’association. Entre 1991 et 1994, l’opération de transfert vers Porto-Vecchio nécessita également le recrutement exceptionnel de 20 personnes.

Il apparaît clairement que l’éclatement sur deux sites distincts a généré des coûts de fonctionnement que l’établissement ne pouvait supporter.

– La mauvaise gestion de son patrimoine foncier par l’hôpital

La commission d’enquête a relevé au cours de ses investigations que l’hôpital de Bonifacio était propriétaire d’un important patrimoine foncier, dont il ne tire que de faibles recettes d’exploitation. Elle a noté que le montant des loyers n’excédait jamais 20.000 francs annuels.

L’établissement loue par exemple à la commune de Bonifacio, pour un loyer annuel de 12.700 francs, des terrains d’une superficie de près de 28 hectares (devant permettre la création d’un camping, d’un complexe omnisports et d’une zone industrielle). En outre, la commune de Bonifacio a obtenu de l’hôpital la cession d’un terrain de près de 52 hectares pour une valeur de 2,1 millions de francs. La commission d’enquête s’étonne qu’aucun titre de recettes n’ait été émis par l’hôpital et que la commune ne se soit pas encore acquittée du prix d’achat du terrain, alors que la vente a été constatée par acte administratif du 2 février 1982. La commune de Bonifacio bénéficie donc de biens privés de l’hôpital au détriment de ce dernier qui aurait pourtant bien besoin d’augmenter ses recettes. Comment justifier l’absence de contrepartie à cette vente réalisée il y plus de seize ans ?

– La reprise difficilement justifiable de la maison de retraite de Porto-Vecchio

Il faut tout d’abord rappeler que, pour mener à bien les travaux d’aménagement prévus à l’hôpital de Bonifacio, la direction décida de transférer dans un logement-foyer de Porto-Vecchio trente-deux pensionnaires de l’hôpital, dont 16 lits de long séjour. Ce transfert, qui devait être temporaire, se réalisa dans le cadre d’une convention annuelle et renouvelable signée le 1 er avril 1990, moyennant un loyer mensuel de 38.786,76 francs porté à 39.495,84 francs en août de la même année.

Il convient de noter qu’avant ce transfert, le logement-foyer pour personnes âgées bénéficiant de l’aide sociale, composé de 68 logements, était géré par une association familiale de la région de Porto-Vecchio, locataire de l’office départemental des HLM de la Corse-du-Sud. Il est intéressant de relever que le directeur de l’hôpital de Bonifacio alors en poste figurait parmi les membres du conseil d’administration de cette association. Celle-ci, créée en 1987, présentait une situation financière précaire en 1990, date à laquelle l’hôpital conclut un accord visant au transfert de plusieurs pensionnaires dans ce foyer.

Le 18 février 1991, l’hôpital de Bonifacio décida, par délibération du 18 février 1991, de se substituer à l’association dans la gestion de la maison de retraite nouvellement créée. Prenant prétexte du transfert provisoire de lits de long séjour de l’hôpital (dans l’attente de la réfection des locaux à l’hôpital de Bonifacio), la présence de l’hôpital dans les locaux de Porto-Vecchio s’est ainsi trouvée pérennisée.

Cette opération, qui s’est avérée fort coûteuse pour l’hôpital, n’est aucunement justifiable sur le plan des principes et de la bonne gestion des comptes de l’établissement. D’ailleurs, l’opération ne s’est nullement traduite par un assainissement financier de la maison de retraite, toujours déficitaire. Tout aussi inquiétant : les nécessaires travaux de sécurité n’ont même pas été effectués à la maison de retraite. Pour sa part, la commission de sécurité de l’arrondissement de Sartène émit un avis défavorable à l’ouverture de la maison de retraite le 28 janvier 1993. Elle avait en effet constaté la non conformité de l’installation électrique, le dysfonctionnement du système d’alarme et l’absence de système de détection automatique d’incendie dans l’établissement. Cette situation n’empêcha toutefois pas l’ouverture de la maison de retraite sans que la tutelle – l’administration de la santé et l’administration préfectorale – ou le maire de Bonifacio n’émette la moindre observation à ce sujet.

– La fuite en avant

La conclusion de la Chambre régionale des comptes est sans appel : " la Chambre ne peut que constater la légèreté de la direction de l’hôpital et de son conseil d’administration. Parfaitement informés de la situation financière de leur établissement, du coût des financements extérieurs, qu’ils n’ont pas cherché à réduire, et du niveau des subventions réellement obtenu, ces dirigeants n’ont pas hésité, dans le même temps, à redéfinir leurs projets de travaux à la hausse et à les engager ".

La Chambre écrit être " étonnée de l’absence de sérieux de l’équipe dirigeante de l’hôpital de Bonifacio. Ses initiatives brouillonnes et coûteuses dans le but de rechercher des financements ou refinancements improbables pour couvrir des charges trop lourdes du fait de décisions imprudentes, s’analysent comme une fuite en avant qui ne cesse pas de surprendre. "

·  Les enquêtes se suivent et ne se ressemblent pas ....

Face à cette situation inquiétante, les autorités de tutelle se sont préoccupées de la capacité de l’hôpital à poursuivre ses activités. Deux enquêtes ont ainsi été diligentées.

– En 1995, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales mena une première enquête, à la demande du directeur de l’hôpital. Composée des chefs des administrations locales de tutelle dans les conditions de l’article R.714-3-27 du code de la santé publique, cette commission se réunit pour la première fois le 28 septembre 1995. Elle ne remit son rapport définitif que le 19 décembre 1996, soit 22 mois après la demande du conseil d’administration et 15 mois après son installation sans que rien ne justifie a priori l’importance de ces délais. Dans ses conclusions, la mission s’appuyait sur le fait qu’un attentat avait complètement détruit la Trésorerie de Bonifacio à la fin d’août 1996 pour écrire qu’elle était dans l’impossibilité de rétablir les comptes de l’hôpital et de déterminer l’origine du déficit de trésorerie. L’examen par cette mission des conditions financières et de réalisation des travaux d’aménagement de l’hôpital n’appelait de sa part aucune observation. Enfin, le rapport exonérait de toute responsabilité la tutelle locale dans la situation financière désastreuse de l’établissement.

Ainsi cette mission, qui ne s’estima pas en mesure de cibler l’origine du problème de trésorerie, ne devait pas apporter le moindre éclairage sur le montant exact du déficit de trésorerie de l’établissement. Un a priori commode attribuant l’entière responsabilité de la situation financière au poste comptable a manifestement dominé la réflexion de cette mission. Aussi la gestion hospitalière elle-même a-t-elle été totalement épargnée dans ce rapport.

– Au début de 1997, une seconde enquête fut confiée à l’Inspection générale des affaires sociales par le ministère du travail et des affaires sociales. L’Inspection a rendu son rapport en mars de cette année : il établit un diagnostic nettement plus sévère que celui figurant dans le premier rapport et commence à mettre en évidence la part de responsabilité prise par la direction de l’hôpital et par la tutelle locale, notamment la DDASS.

Ainsi l’Inspection établit, par exemple, que les plans de financements mis en place par l’hôpital pour mener à bien ses travaux de rénovation étaient pour le moins aléatoires. Elle montra également que les objectifs budgétaires de l’établissement n’étaient nullement respectés du fait de dépenses d’exploitation en forte croissance.

 

Evolution des dépenses de personnel

 

1992

1993

1994

1995

1996

Charges de personnel (en F.)

12.486.025

16.041.766

17.319.837

20.348.501

22.616.048

Augmentation

N+1 / N

 

28 %

8 %

17 %

11 %

Augmentation sur 1992

 

28 %

39 %

63 %

81 %

 

Source : rapport de l’IGAS (mars 1997)

 

Dépenses de personnel

 

 

1992

1993

1994

1995

1996

Crédits demandés au budget primitif

12.110.000

14.684.000

14.209.000

18.003.000

19.652.000

Crédits alloués au budget primitif

6.701.000

12.429.000

17.013.000

18.003.000

18.962.000

Dépenses constatées au compte administratif

12.486.000

16.042.000

17.320.000

20.349.000

22.616.000

Dépenses du compte administratif / crédits demandés au budget primitif

1,03

1,09

1,22

1,13

1,15

Dépenses du compte administratif /crédits alloués au budget primitif

1,86

1,29

1,02

1,13

1,19

Source : rapport de l’IGAS (mars 1997)

Dans ses conclusions, le rapport de l’Inspection souligne le manque d’objectivité de la première mission d’enquête et remarque que le dysfonctionnement du poste comptable était bien antérieur à l’attentat d’août 1996.

·  Les quatre niveaux de responsabilités

La commission d’enquête a, aux termes de ses investigations, pu déterminer quatre niveaux de responsabilité.

1°) Le directeur de l’hôpital n’a pas su maîtriser la dérive financière du coût des travaux et la maîtrise d’oeuvre, qui sont passés de 26 millions de francs initialement prévus à 39,5 millions. L’établissement n’ayant pas reçu de subventions suffisantes en montant, il a été nécessaire de faire financer des travaux par la dotation annuelle de l’hôpital. Des libertés semblent avoir été prises avec le code des marchés publics puisque des entreprises de Porto-Vecchio ont manifestement été favorisées. L’association familiale de la région de Porto-Vecchio a été sauvée financièrement grâce à l’intervention de l’hôpital de Bonifacio. Le fait que le directeur de l’hôpital faisait également partie du conseil d’administration de cette association ne saurait apparaître comme une simple coïncidence. La commune de Bonifacio n’a rien réglé à l’hôpital en échange des biens immobiliers que l’établissement avait mis à sa disposition. La commission d’enquête ne peut que s’interroger sur le fait que les 2,1 millions de francs de la vente du terrain de 52 hectares à la commune n’aient jamais été recouvrés depuis 1982.

2°) Alors que le maire de Bonifacio, président du conseil d’administration de l’hôpital, ne pouvait ignorer la situation financière catastrophique de l’établissement, il n’a rien entrepris pour réduire l’ampleur des opérations de rénovation envisagées. Sa commune a profité de conditions de location de 28 hectares pour 12.700 francs par an, ce qui a contribué à creuser le déficit de l’hôpital, car ces terrains auraient dû être loués pour un montant beaucoup plus élevé. Enfin, la commune n’a pas réglé les 2,1 millions de francs qu’elle doit à l’hôpital pour l’achat en 1982 des 52 hectares de terrain

3°) Il est clair que le poste comptable de l’hôpital explique une partie des dérives. Dans sa lettre d’observations définitives de mars 1998, la Chambre régionale des comptes estimait : " Les errements du poste comptable, soulignés par l’IGAS, sont également apparus à la juridiction financière dès avant l’attentat. En effet, en 1990, devant le désordre des comptes relatifs aux exercices 1983 à 1987 transmis par la Trésorerie générale, la juridiction demandait à cette dernière de procéder à leur mise en état d’examen, ainsi que les textes le prescrivent pour cette administration. Ces comptes ont cependant été retournés à la Chambre sans que la mise en ordre demandée ait été réalisée. ".

Cela étant, pour la Chambre régionale des comptes, " la responsabilité des désordres constatés dans la tenue du poste comptable de Bonifacio est pour le moins partagée entre le comptable et sa direction départementale. "

Le désordre comptable a favorisé le manque de maîtrise dans les dépenses engagées par l’établissement. Selon la Chambre régionale des comptes, " il apparaît que l’importance de (certains errements)
– engagement de dépenses sans financement, prise de contrôle de la maison de retraite de Porto-Vecchio, ouverture et exploitation de cette maison pendant plusieurs années en l’absence de dispositifs adéquats de sécurité, non-recouvrement d’un prix de vente d’un terrain seize ans après sa vente –
sont au-delà de simples maladresses ".

4°) Enfin, la tutelle n’est pas exempte de critiques, loin s’en faut. La recette perception de Bonifacio s’est accommodée de comptes en désordre, donc inexploitables, de 1983 à 1987. La Trésorerie générale n’a pas suffisamment contrôlé la recette perception de Bonifacio dans son action comptable envers l’hôpital. Les administrations de tutelle, nécessairement informées des projets et de la situation financière de l’hôpital, n’ont pas présenté d’observations et ont même financé une partie des travaux, accréditant ainsi l’existence de leur accord formel. La tutelle a donc laissé se développer les projets sans attirer l’attention de la direction de l’hôpital sur les risques que ses décisions faisaient peser sur sa trésorerie. La DDASS n’a pas empêché l’ouverture de la maison de retraite, malgré l’avis défavorable rendu par la commission de sécurité en janvier 1993.

b) Les centres hospitaliers de Bastia et d’Ajaccio : deux gestions incertaines

On l’a vu, la situation de l’hôpital de Bonifacio et les dérives que l’étude de ce cas met en lumière se caractérisent par leur gravité et leur caractère exceptionnel. Sans atteindre le même degré de dysfonctionnements, les gestions de plusieurs autres centres hospitaliers se voient reprocher aujourd’hui une certaine légèreté à laquelle il convient de remédier.

·  Un état des lieux globalement inquiétant

L’Inspection générale des affaires sociales, qui a examiné en juin 1998 les situations de trois hôpitaux – d’Ajaccio, de Castelluccio et de Bastia – a établi dans son pré-rapport les constations suivantes :

    • " L’inspection de différents centres hospitaliers permet de considérer qu’en matière de gestion hospitalière, il existe moins de dérives générales corses qu’une addition d’errements particuliers à certains établissements de Corse. Fondamentalement, dans tous les services hospitaliers inspectés, l’hôpital est certes largement considéré comme étant au service de l’emploi et de l’économie de l’île, ce qui dans un contexte peu dynamique de l’activité des établissements corses, limite singulièrement la portée des discours sur la maîtrise des dépenses hospitalières.
    • Mais au-delà de cette donnée commune, la diversité des pratiques de gestion hospitalière l’emporte, reflétant largement le niveau de compétence et d’autorité des directions d’établissement : maîtrise d’un sureffectif qu’il est proposé de réduire par le développement d’activités nouvelles ou bien mouvement continu d’embauche de personnel peu qualifié sous statut précaire créant un fait accompli que la tutelle est périodiquement contrainte d’avaliser par intégration successive dans les effectifs de l’hôpital ; politique salariale globalement généreuse mais s’inscrivant dans le respect des textes et s’accompagnant d’efforts pour accroître la présence au travail, ou bien absence de gestion du personnel avec multiplication de largesses non réglementaires, ou défaut de contrôle de l’activité des personnels ; gestion rigoureuse de moyens budgétaires confortables avec niveau d’investissement mesuré et conformité des marchés passés, ou bien fuite en avant financière avec ambitieux programmes d’investissement, cavalerie budgétaire longtemps tolérée par la tutelle, mauvais recouvrement des créances, gaspillages internes liés aux carences de gestion et à l’inadaptation des procédures de marchés.
    • Le deuxième constat général est que les errements constatés en Corse paraissent avant tout résulter d’une multiplication coûteuse d’abus et de petites fraudes, permise par l’impéritie et l’incurie des directions et tutelles hospitalières. Dans cet environnement délétère, caractérisé par un respect souvent plus qu’approximatif des règles de gestion publique, l’existence de comportements frauduleux nettement plus organisés et de bien plus grande envergure, ne peut être exclue."

·  La dégradation budgétaire du centre hospitalier de Bastia

Notons, tout d’abord, que le centre hospitalier de Bastia dispose de 511 lits et places installés, dont 443 actifs. Selon des informations fournies à la commission d’enquête, l’offre de soins, qui a crû au cours des dernières années, est importante alors que l’activité de l’hôpital aurait tendance à stagner. Les taux d’occupation en médecine, chirurgie et obstétrique permettent de constater l’importance des excédents en matière de capacité d’hospitalisation sur la période 1993-1997.

La dégradation profonde et non maîtrisée de la situation budgétaire de l’établissement a démarré dans les années 1992-1993. Comme l’a indiqué l’Inspection générale des affaires sociales à ce sujet, cette situation a été marquée par " une perte de contrôle masquée temporairement, sinon favorisée, par la bienveillance budgétaire des autorités de tutelle. " Dans un premier temps, l’hôpital a tenté de réduire ses dépenses, notamment de personnel, en ne pourvoyant pas tous les postes vacants. Par la suite, ces dépenses de personnel ont crû de manière incontrôlable ; elles ont commencé à ne pas être intégralement financées et donnèrent lieu à des reports sur l’exercice suivant. En trésorerie, les difficultés conduisirent au non paiement de la taxe sur les salaires des exercices 1993 et 1994. Par ailleurs, on assista à un allongement des délais de paiement de ses fournisseurs par l’hôpital. Fin avril 1998, la dette de l’établissement envers ses fournisseurs s’établissait à 24 millions de francs au titre de l’exercice 1997.

Aujourd’hui, le centre hospitalier de Bastia enregistre des créances irrécouvrables pour un montant évalué par l’IGAS à 20 millions de francs. Comme le note l’Inspection, " l’établissement ne respectant plus depuis des années la règle selon laquelle les dotations aux provisions pour créances doivent représenter 1/3 des créances admises en non valeur au cours des trois derniers exercices, aucun moyen n’est actuellement disponible pour passer ces créances en non valeur. "

 

Force est de constater que l’hôpital, confronté à ces difficultés, n’a pas engagé avec le dynamisme nécessaire les mesures de redressement qui s’imposaient. Il est vrai que les décisions des autorités de tutelle lui ont longtemps permis de bénéficier de certaines marges de manoeuvre. Ainsi l’établissement reçut en 1995 un apport de 5 millions de francs destiné à lui permettre de soulager partiellement et temporairement sa trésorerie. Parallèlement, l’établissement se lança dans un système de " cavalerie budgétaire " : certaines charges furent par exemple financées grâce à des dotations budgétaires accordées pour d’autres opérations, qui ne sont intervenues que tardivement.

On doit noter que le centre hospitalier de Bastia bénéficie d’une sollicitude particulière. Alors que le taux d’allocation budgétaire initialement accordé à la région Corse s’établissait à 0,35 % en 1998, l’hôpital a bénéficié d’une progression de son budget primitif de 0,92 % par rapport à la base budgétaire de 1997 (+ 3,1 millions de francs). A cela, s’est ajoutée une dotation exceptionnelle à caractère non reconductible de 5,4 millions dont 2,1 millions étaient destinés à couvrir les coûts salariaux inéluctables.

Au total, le centre hospitalier de Bastia a enregistré une augmentation de 8,5 millions de son budget en 1998, soit une progression de 2,5 % par rapport à 1997. Selon les estimations de l’IGAS, " ce desserrement relatif de la contrainte budgétaire apparaît cependant sans commune mesure avec l’ampleur des besoins de financement de l’établissement. " En première approximation, l’insuffisance de crédits pour 1998 pourrait s’élever à 17,8 millions au total.

(en millions de francs)

 

CHARGES

Groupe 1 – Personnel

24,0

(dont 8,3 de prime de service 1997)

Groupe 2 – Dépenses médicales

3,5

Groupe 3 – Dépenses hôtelières

1,0

Insuffisance brute :  28, 5

 

A DEDUIRE

Dotation exceptionnelle accordée

- 5,4

Reprise de l’excédent 1997

- 1,6

Revalorisation salariale 1998

- 1,7

Economies sur mouvements du personnel

- 2,0

Insuffisance nette :  17,8

Source : IGAS

·  La mauvaise maîtrise de la situation du centre hospitalier d’Ajaccio

Depuis une dizaine d’années, l’hôpital d’Ajaccio a mené une politique d’investissement soutenue visant à remettre à niveau le plateau technique et à améliorer les conditions d’accueil offertes aux malades. Or l’établissement enregistre à la fois une baisse de ses entrées comme de ses journées réalisées. C’est à partir de 1993 que la détérioration des comptes s’accéléra. La situation de trésorerie devint d’ailleurs si tendue que l’hôpital ne paya plus ni la taxe sur les salaires ni les cotisations IRCANTEC des contractuels qu’il embauchait. Face à cette situation, les autorités de tutelle prirent la décision, en 1991, d’accorder 3 millions de francs par an pendant cinq années afin d’améliorer la situation de la trésorerie du centre. La tutelle autorisa, en outre, l’établissement à recourir à un emprunt pour un montant de 65 millions afin de financer les travaux de sécurité du centre hospitalier.

Aujourd’hui, l’établissement doit faire face à des restes à recouvrer de 186 millions, dont 75 sont jugés irrécouvrables. Comme le note l’IGAS, " la mise en place d’une politique active de recouvrement reste à l’ordre du jour qu’il s’agisse de la réorganisation des entrées (accueil des urgences, bureau des entrées et des consultations), de l’instauration de nouvelles procédures (procédure des titres en souffrance, prise de renseignements complémentaires dans les services, contrôle des présents) ou du développement de relations régulières avec les débiteurs institutionnels. "

Cette politique paraît en effet s’imposer étant donné qu’en flux annuel, les restes à recouvrer peuvent être évalués à 8 millions de francs pour les payants et 6 millions pour les débiteurs institutionnels, au premier rang desquels le Conseil général. En stock, ces deux catégories représentent, selon les estimations de juin 1998, 55 millions pour la première et 24 pour la seconde, soit un stock général de 81 millions. Selon l’IGAS, environ 65 de ces 81 millions correspondraient à des créances irrécouvrables.

En outre, les difficultés de trésorerie de l’établissement entraînent des délais de paiement des fournisseurs particulièrement longs (140 jours en moyenne).

Malgré un contexte de réduction d’activité, la croissance des effectifs concerne tant le personnel médical que le personnel non médical. La progression de ces derniers effectifs entre 1994 et 1996, qui se traduisit par l’arrivée d’une soixantaine d’agents, résulta d’un mouvement de titularisation des contrats à durée indéterminée et de la forte progression de contrats à durée déterminée en remplacement sur des postes de titulaires devenus vacants. De décembre 1996 à mai 1998, l’établissement recruta dix agents supplémentaires, en dépit des remarques que l’inspection de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales avait formulées en décembre 1997.

Le centre hospitalier compte actuellement 227 agents contractuels correspondant à 87 contrats de durée indéterminée, 73 contrats de durée déterminée, 38 " emplois consolidés ", 4 contrats " emploi-solidarité ", 19 contrats " emploi ville " et 6 contrats d’apprentissage. Comme l’a noté l’IGAS, " le recours aux contrats à durée indéterminée s’explique principalement par des remplacements de longue durée et par la pérennisation, souvent en raison de l’absence de suivi des dossiers, des recrutements sous contrats à durée déterminée, renouvelés à de nombreuses reprises. De fait, 49 des 87 CDI actuels bénéficiaient auparavant d’un CDD. "

En conclusion de son rapport, l’Inspection relève : " les économies proposées pour 1998 (6,2 millions) sont nettement insuffisantes mais apparaissent aux yeux des responsables comme un effort considérable sinon maximal pour l’établissement ".

On le voit, les centres hospitaliers des deux plus grandes villes de l’île connaissent des difficultés budgétaires importantes qui s’expliquent par le manque de rigueur de leur gestion, une politique de recrutement du personnel parfois imprudente et enfin, par l’attitude parfois inadéquate de la tutelle par le passé.

c) La caisse de Mutualité sociale agricole de Corse : une absence de rigueur avérée

Le rapporteur de la commission d’enquête s’est rendu en juin 1998 à la caisse d’Ajaccio afin notamment d’en étudier les modalités concrètes d’affiliation. A l’issue de cette mission, les constats suivants peuvent être établis.

·  L’évident désordre dans les règles d’affiliation

D’après les données de la MSA, les chefs d’exploitation affiliés à la caisse sont aujourd’hui au nombre de 3.500 : en 1994, ce chiffre était de 4.327 (4.027 chefs d’exploitation soumis au forfait et 300 soumis à un régime réel d’imposition). Trois ans plus tard en 1997, ce chiffre est tombé à 3.511 (3.269 au forfait et 232 au régime réel d’imposition). En 1993, 1.496 exploitants se déclaraient " éleveurs sans foncier " sur les quelque 4.500 exploitants affiliés. Comment ces personnes ont-elles été affiliées à la MSA de Corse ?

Dans les années 70, de nombreux éleveurs ont été inscrits parce qu’ils avaient des bêtes sans posséder de terres eux-mêmes. Grâce à des équivalences entre le nombre de bêtes et le nombre d’hectares, ceux qui pouvaient justifier de la ½ SMI (surface minimum d’installation) ont été inscrits. Même s’ils n’étaient propriétaires ou locataires d’aucune terre, ils bénéficiaient d’une autorisation écrite de pacage. Les autorisations n’étaient pas sectorisées par le maire de la commune, ce qui signifie que le maire accordait X hectares de terres à un éleveur, puis à un autre, etc, sans préciser quelles étaient les terres attribuées aux uns et aux autres. Ainsi, lorsque l’on parle d’ " éleveur sans terres ", cela ne signifie pas qu’il n’utilise pas de terres, mais, plus précisément, que ces terres ne sont pas clairement identifiées et qu’il ne peut se prévaloir d’aucun titre sur ces terrains (il n’est ni propriétaire ni locataire).

Aujourd’hui, la situation est en principe différente : chaque éleveur doit désormais être enregistré avec un relevé parcellaire indiquant sur quelles terres il peut faire pâturer ses bêtes. Bien évidemment, il arrive que les bêtes pâturent sur les terrains communaux et sur des terrains privés non clôturés. Les dossiers doivent théoriquement comporter des fiches cadastrales établies par la commune. Il faut noter qu’un effort a été réalisé depuis 1981 pour actualiser les données contenues dans le cadastre. Dans la plupart des cas, les éleveurs obtiennent une autorisation, mais ne signent pas de bail en bonne et due forme ; les autorisations figurent, pour de nombreux dossiers, sur de simples papiers libres. Ces documents, qui n’ont pas de valeur juridique, ne précisent pas les conditions de location des terres. Les pièces justificatives indispensables ne sont pas fournies pour la constitution des dossiers d’immatriculation.

A posteriori, des contrôles doivent être effectués pour vérifier l’identité des propriétaires, la nature des terres et les surfaces. Mais il ne semble pas que les contrôleurs de la MSA se soient réellement rendus sur place pour constater la réalité de la situation décrite dans les dossiers. Des terres peuvent ainsi être référencées de façon différente dans les matrices cadastrales et dans les documents MSA.

 

Un des problèmes récurrents concerne les terres en indivision. En principe, tous les propriétaires devraient être sollicités pour signer un bail ou une convention. Dans les dossiers examinés par la commission d’enquête, il a été constaté des cas pour lesquels il manquait des signatures de propriétaires. Un exploitant peut ainsi obtenir l’équivalent d’un bail alors que seul un des propriétaires a donné explicitement son accord. De même, un des propriétaires peut déclarer qu’il exploite les terres en indivision sans que l’accord des autres propriétaires ait fait l’objet de vérification.

·  Les vérifications effectuées par la caisse à partir de 1993

En 1993, la caisse lança un programme de contrôle et fut ainsi amenée à régulariser près de 1.096 dossiers sur les 1.496. Le contrôle s’effectua sur une période de 5 années. Au moment de la visite du rapporteur, en juin 1998, la caisse était dans la dernière phase de cette régularisation (60 dossiers à régulariser). 324 dossiers furent radiés à la suite de cette opération (ils n’étaient pas régularisables).

Il faut relever que les décisions de ne plus accepter d’éleveurs " sans terre " (c’est-à-dire sans terres attitrées) dataient de 1988 (arrêté du 26 janvier 1988 pour la Haute-Corse et arrêté du 27 janvier 1988 pour la Corse du Sud). Cependant, les opérations de régularisation n’ont débuté que cinq ans plus tard, en 1993, à la demande de la tutelle. De 1988 à 1993, des agriculteurs " sans terres ", c’est-à-dire sans titres fonciers, ont donc encore pu être inscrits dans les fichiers de la MSA. Les explications fournies à la commission d’enquête par les responsables de la MSA à ce sujet ont paru relativement peu claires.

·  Des anomalies inquiétantes dans les dossiers individuels examinés

Les contrôles sur place effectués à la caisse d’Ajaccio en juin 1998 ont permis de mettre en évidence un certain nombre d’anomalies et d’irrégularités.

Lors de la visite du rapporteur, sept dossiers ont été choisis de façon aléatoire parmi ceux que la caisse avaient récemment régularisés à la suite des vérifications des dossiers engagées à partir de 1993. Trois autres dossiers concernent des personnes ayant demandé leur radiation des listes MSA. Sur ces dix dossiers, aucun n’était irréprochable. Certains comportaient même des irrégularités flagrantes, des incohérences et de nombreuses approximations. Les dossiers ne comprenaient que peu de pièces justificatives.

quatre observations principales

1/ La pratique des lettres sur papier libre est très largement répandue. Les maires attestent par exemple que tel ou tel de leurs administrés a le droit de faire pâturer ses bêtes sur des terres, mais les dossiers ne font pas apparaître qui est réellement propriétaire des terres (lorsque ces terres ne sont pas propriété de la commune) et, si un bail a été conclu, pour combien de temps et selon quelles modalités précises.

2/ Aucun contrôle n’est effectué pour vérifier qu’une personne qui se déclare aide familial et qui est donc de ce fait affiliée à la MSA, travaille effectivement dans l’exploitation familiale. Aucun contrôle de vraisemblance n’est effectué : une personne se prétendant agriculteur et habitant à Paris peut rester affiliée à la caisse de Corse sans qu’une vérification de cette situation ne soit réalisée.

3/ Dans le cas des terres en indivision, la MSA a accepté des dossiers dans lesquels la signature d’un seul propriétaire indivisaire était considérée comme suffisante. Juridiquement, aucun des baux retenus dans ce contexte n’est valable.

4/ Les baux ou documents qui se dénomment ainsi ne peuvent être considérés comme des pièces valables dans la mesure où aucune date, aucune somme, aucun loyer n’y figurent.

 

 

Les 10 dossiers examinés à titre d’exemples

Dossier n ° 1 : Eleveur ovin

Données de base

et pièces jointes au dossier

Problèmes et irrégularités constatés

a°) Un "contrat de métayage " grâce à une simple lettre d’autorisation du maire d’une petite commune

è  La lettre sur papier libre ne peut valoir contrat en droit français. Il est impossible d’affirmer que l’éleveur n’occupe pas illégalement les terres. Il manque un véritable bail de métayage. Peut-être l’éleveur s’est-il approprié ces terres ?

D’ailleurs, le dossier n’indique pas si le propriétaire des terres n’est pas lui même exploitant.

NB : selon les agents de la MSA, si les mêmes terres étaient attribuées deux fois de suite à des éleveurs différents, le système informatique se bloquerait, ce qui empêcherait une double inscription.

b°) Une attestation sur papier libre indiquant que le fils de l’éleveur est un aide familial, ce qui a permis à ce dernier d’être également affilié à la MSA

è  Cette attestation n’a aucune valeur juridique et aucun contrôle n’est effectué pour vérifier que l’aide familial travaille réellement dans l’exploitation. On ne demande pas la déclaration fiscale du fils par exemple pour vérifier la correspondance entre ses affirmations avec la réalité.

NB : Seul le chef d’exploitation doit, au moment de son inscription, fournir une déclaration fiscale.

 

Dossier n° 2 : Eleveur caprin

Données de base

et pièces jointes au dossier

Problèmes et irrégularités constatés

a°) La SAFER a signé en 1990 une " convention d’occupation provisoire et précaire " de terres avec cet éleveur. La mise en valeur des terres doit donc se faire par cet éleveur.

 

 

 

è  D’après les agents de la caisse présents lors du contrôle, cet éleveur a sans doute occupé des terres de façon sauvage avant que la SAFER ne tente de régulariser la situation. Le problème est que cette convention ne mentionne aucun des renseignements qui devraient y figurer au minimum : c’est-à-dire date à partir de laquelle la convention est valable ; date à partir de laquelle l’occupation provisoire devra cesser ; redevance ou somme que l’éleveur devra verser à la SAFER pendant cette période. Ainsi, des terres ont été attribuées à cet éleveur par la SAFER alors qu’aucune pièce justificative ne prouve que la SAFER était bien propriétaire de ces terres et que la convention, qui n’a aucune valeur en droit, ne fait mention d’aucun loyer.

b°) Les terres ainsi " attribuées " à l’éleveur sont indiquées selon des références qui ne sont pas identiques à celles qui figurent dans la matrice cadastrale : par exemple, des hectares de maquis selon le cadastre sont enregistrés comme des hectares de landes.

NB : D’après les agents de la caisse, cet éleveur a été inscrit au départ sans terres puis, lors de la vérification au début des années 90, il a du faire la preuve qu’il détenait bien une ½ SMI.

Interrogé à ce sujet, le président SEMIDEI a répondu de façon elliptique " oui, ça c’est un dossier politique ".

è  Ni les agents de la SAFER ni les contrôleurs de la caisse ne sont allés vérifier la nature de ces terres. Les superficies sont calculées de façon aléatoire puisqu’elles ne sont pas exactement identiques entre le cadastre et le document de la SAFER.

è  Si, l’on reprend le calcul des superficies strictement, on note que l’éleveur n’avait pas la ½ SMI : il a été régularisé alors que selon les textes, là encore, il ne pouvait être inscrit à la MSA.

 

Dossier n° 3 : Eleveur sans terres inscrit en 1975

Données de base

et pièces jointes au dossier

Problèmes et irrégularités constatés

– Lettre du maire indiquant qu’il fait pacager ses bêtes sur les terrains communaux.

 

 

è  Cette lettre ne peut avoir valeur de bail. D’ailleurs la lettre du maire indique seulement que M. X " pacage bien " sur les terrains communaux. Le maire lui-même qui est censé faire une attestation se contente d’indiquer que M. X lui a dit qu’il pacage.

 

Dossier n° 4 : Eleveur porcin inscrit en 1977

Données de base

et pièces jointes au dossier

Problèmes et irrégularités constatés

– Lettre indiquant sur papier libre que cet éleveur succède à ses parents et reprend un certain nombre de bêtes (35 porcs, 25 bovins, 8 caprins). Cet exploitant n’a pas de titre de propriété lors de son inscription en 1977

 

 

è  Aucune pièce justificative ne permet d’affirmer que cet exploitant a bien succédé à ses parents.

Il a pourtant été maintenu en vertu d’un principe simple : même les exploitants sans terres ou n’atteignant pas la ½ SMI au moment de la vérification ont été maintenus dans leurs droits lorsqu’ils avaient été valablement inscrits auparavant grâce aux équivalences bêtes - superficie qui ont existé jusqu’en 1988.

 

 

Dossier n° 5 : Exploitant de Porto Vecchio inscrit en 1976

Données de base

et pièces jointes au dossier

Problèmes et irrégularités constatés

– Il déclare qu’il est locataire des terres mais le dossier ne comporte aucune pièce indiquant le nom du propriétaire ou l’acte de propriété.

 

 

è  Cet exploitant se déclare comme le successeur de son père ; mais les terres étaient alors en indivision. Pour qu’il puisse être considéré comme locataire des terres de ses parents, il aurait dû avoir un bail signé par les autres propriétaires indivis.

Dossier n° 6 : Agriculteur de Corte inscrit en 1982

Données de base

et pièces jointes au dossier

Problèmes et irrégularités constatés

– Lettre de l’adjoint au maire attestant que cet éleveur a le droit de faire librement pâturer ses bêtes et qu’il a un bail à fermage.

è  Le bail n’est pas valable : il ne mentionne pas le montant de la somme à payer dans le cadre du fermage.

Dossier n° 7 : Agriculteur inscrit depuis 1973

Données de base

et pièces jointes au dossier

Problèmes et irrégularités constatés

– Lettre du maire faisant mention d’une promesse de location de terres propriété de la commune

 

 

è  L’éleveur n’avait, au moment de son inscription, qu’une promesse de location. Aucune date n’était mentionnée quant à la date à partir de laquelle la location allait débuter, ni pour quelle période l’éleveur pouvait louer, encore moins pour quelle somme il louait.

 

Dossiers n° 8, 9 et 10 : Personnes ayant demandé à être radiées des listes MSA

Données de base

et pièces jointes au dossier

Problèmes et irrégularités constatés

1°) Lettre d’une personne qui demande à être radiée. Dans le dossier, on découvre que l’homme en question inscrit en 1977 a écrit en 1986 à la MSA depuis Paris pour demander à ce que les remboursements lui soient transmis dans la région parisienne puisqu’il n’avait plus l’occasion de se rendre fréquemment en Corse !!!

è  Cette lettre, qui montre que cette personne habitant à Paris ne peut vraisemblablement pas être exploitante en Corse, n’a donné lieu à aucun contrôle de la part de la caisse. Au moment de la radiation de cet adhérent (à la demande de ce dernier), il est probable qu’il avait profité pendant plusieurs années de cette situation.

2°) Lettre d’un homme qui explique qu’étant incarcéré, il ne peut plus être exploitant. Il demande lui-même sa radiation.

è  Observation : le dossier n’indique pas de façon précise depuis quand cet homme est incarcéré, ce qui veut dire qu’avant la vérification générale, il a probablement continué à recevoir des aides ou des sommes de la MSA, alors qu’il ne pouvait déjà plus être considéré comme éleveur en exercice.

3°) Lettre d’une personne expliquant qu’elle a vendu toutes ses bêtes.

è  Pas d’observation, si ce n’est que la vente a peut-être eu lieu bien avant le moment de la demande de radiation. Aucun contrôle de ce type n’est réellement effectué par la MSA.

 

A partir de ces quelques exemples, on peut considérer que la gestion des dossiers individuels de la caisse est dépourvue de la rigueur la plus élémentaire. Pour opérer une véritable remise à plat de ces fichiers, la caisse ne pourra pas faire l’économie d’un travail considérable de vérification dossier par dossier. Pour l’heure, elle est confrontée à une détérioration inquiétante de ses comptes.

·  L’inexorable dégradation des comptes

Les dettes de cotisations sociales propres à la MSA se sont dangereusement accumulées pour atteindre aujourd’hui la somme impressionnante de 675 millions de francs pour 3.800 affiliés. Les plans de remboursement ne sont guère respectés et les huissiers sollicités ne permettent pas de récupérer des sommes importantes.

Malgré les observations de la Cour des comptes et du ministère de l’Agriculture demandant à la caisse de Corse de prendre des mesures adaptées à la situation, le taux de restes à recouvrer sur cotisations a augmenté de façon continue depuis 1988. Cette situation particulièrement dégradée porte gravement atteinte à l’équilibre financier de la caisse dont le compte de résultats ne cesse de se détériorer. Financièrement, celle-ci peut aujourd’hui être considérée comme étant " en faillite ". La progression des créances place la caisse au dernier rang des caisses françaises. Certaines spécificités (l’insularité, la bi-départementalité) ne sauraient expliquer, seules, l’importance des problèmes rencontrés et des mauvais résultats en termes de rentabilité. Notons que la caisse d’Ajaccio a bénéficié d’une allocation d’adaptation de 13,2 millions de francs en 1996 et de 10 millions de francs en 1997, dont le financement a été assuré grâce à la solidarité des autres caisses de MSA au travers du fonds d’adaptation créé à cet effet.

Pour la première fois, en mars 1998, le comité départemental d’examen des comptes des organismes de sécurité sociale (CODEC) a émis un avis défavorable sur l’approbation des comptes de l’exercice 1996.

" Le comité départemental d’examen des comptes des organismes de sécurité sociale de la Corse-du-Sud,

Etant donné la persistance de nombreux problèmes graves et une insuffisante prise en compte des observations du CODEC de la Corse-du-Sud lors des précédentes sessions, notamment en ce qui concerne

- l’apurement des comptes 48418 " Cotisations à régulariser - autres " et 46688 " Créditeurs divers "

- la production des clarifications demandées sur les prestations indues à récupérer (PIAR) antérieures à mars 1991

et surtout

- la correction des multiples insuffisances graves en matière de contentieux, condition nécessaire à l’indispensable amélioration du recouvrement et au redressement de la situation financière de la caisse.

Emet un avis défavorable sur l’approbation des comptes de l’exercice 1996. "

Les perspectives d’avenir de la caisse apparaissent relativement sombres. La récente mission de l’Inspection générale des finances, de l’Inspection générale de l’agriculture et de l’Inspection générale des affaires sociales, pour tardive qu’elle puisse apparaître, permettra peut-être d’engager rapidement les mesures qui s’imposent. Quant à elle, la commission d’enquête établit diverses propositions qui figurent en dernière partie du rapport. La rénovation des méthodes de gestion de la caisse doivent en effet s’insérer dans une stratégie globale de réforme des institutions du secteur agricole.

Dans un autre ordre d’idées, la commission d’enquête s’est intéressée à la situation des offices publics d’HLM des deux départements de Corse. Les difficultés actuelles de ces établissements entravent, en effet, la politique de construction et de réhabilitation du logement social en Corse alors que les besoins actuels en la matière ne sont déjà pas satisfaits dans cette région.

d) La difficile remise à flot des deux offices publics d’HLM

L’office public d’HLM de la Corse-du-Sud comme celui de la Haute-Corse connaissent des situations financières difficiles. Selon les informations fournies à la commission d’enquête, le total des impayés sur les deux départements dépasserait aujourd’hui 65 millions de francs.

La Chambre régionale des comptes a, au cours des dernières années, été saisie des budgets 1994, 1995, 1996 et 1997 ainsi que des comptes administratifs 1995, 1996 et 1997 de l’office public de Haute-Corse et des budgets 1996 et 1997 de celui de la Corse-du-Sud. Dans ses divers avis, la Chambre a préconisé des mesures de gestion tendant notamment à améliorer le taux de recouvrement des loyers et à maîtriser l’évolution des dépenses de fonctionnement. Elle a constaté que l’apurement du déficit ne pourrait intervenir que sur la base d’un plan pluriannuel de redressement impliquant l’ensemble des collectivités locales concernées. Ces plans, qui furent élaborés dans la période récente, prévoient une recapitalisation de l’ordre de 37 à 40 millions pour chacun des offices supportée à hauteur de 50 % par la caisse de garantie du logement social et à 50 % par les collectivités locales.

 

La gravité de la situation a été soulignée par un magistrat de la Chambre régionale des comptes devant la commission d’enquête en avril 1998 :

" Les deux offices d’HLM de la Corse-du-Sud et de la Haute-Corse (...) font partie de nos " clients " récurrents, puisque nous sommes saisis chaque année par le préfet pour essayer de juguler ce déficit abyssal.

Bien entendu, la Chambre a toutes les difficultés pour y parvenir, dans la mesure où ce déficit est lié notamment à des impayés très importants. Ces impayés étant anciens, non corrigés, les OPHLM n’ont pas les moyens de procéder aux rénovations, voire aux constructions utiles, puisqu’il existe un déficit très important de logements sociaux en Corse. Les bâtiments étant de plus en plus piteux, les gens solvables s’en vont. Dans ces conditions, on ne peut rétablir une situation financière saine. (...)

Lorsqu’on est en présence à la fois de recettes extrêmement réduites et de dépenses extrêmement lourdes, notamment avec des déficits très importants, on finit par arriver, même en essayant de rassembler toutes les recettes possibles, à une " formalité impossible ". On renvoie le dossier tel qu’il est et la situation n’évolue pas du tout. Le " yo-yo " peut durer une éternité, ce qui montre bien la limite des procédures réglementaires. (...)

La situation de l’office de la Corse-du-Sud est un peu moins tendue, mais elle ne va pas tarder à atteindre le même niveau, pour les mêmes raisons. Là aussi, un plan de redressement sera très certainement nécessaire à très court terme. "

*

* *

Tout en reconnaissant que les OPHLM, organismes à vocation sociale, ne rencontraient pas seulement en Corse des difficultés, un autre magistrat de la Chambre régionale des comptes déplorait les insuffisances, voire l’absence de gestion : les déficits correspondent aux arriérés de loyers non payés. Les dossiers ne sont pas remplis de façon correcte (pour les avis à tiers détenteurs, il manque des pièces justificatives qui empêchent des poursuites).

Le comptable a un travail difficile. Celui de l’office de Corse-du-Sud avait un débet de 6 millions de francs. Les comptes n’étaient pas bien tenus : la Chambre ne pouvait plus déterminer qui devait payer à qui ! Le conseil d’administration de l’office a pris une délibération favorable à la remise gracieuse de la somme. "

·  L’office de la Haute-Corse : une situation difficile qui n’est pas nouvelle

Si la situation préoccupante de cet office localisé à Bastia n’est pas nouvelle, la prise de conscience paraît plus récente. En décembre 1996, la mission interministérielle d’inspection du logement social rendait un rapport alarmant sur l’office.

L’autofinancement net est négatif, la trésorerie insuffisante, tandis que les impayés de loyers atteignent des montants désormais inquiétants. La vacance des logements paraît très importante et on note des incohérences entre les taux de loyers pratiqués. Une partie du patrimoine se trouve aujourd’hui dans un mauvais état. Les parties communes de certains bâtiments présentent un aspect de délabrement avancé. La gestion de l’office lui-même pose problème. Les coûts de gestion paraissent très élevés. En 1996, le président avait démissionné pendant que le directeur quittait ses fonctions. Les agents font preuve d’une certaine démotivation et l’absentéisme atteint des proportions anormales. Dans son rapport du 5 décembre 1996, la mission interministérielle d’inspection du logement social notait : " un absentéisme de longue durée, des moyens matériels insuffisants, un manque de cohérence et un encadrement peu motivé sont les principaux handicaps de cette régie ".

Le budget de l’office accusait un déficit cumulé de 38 millions de francs en 1997 (dont 6 millions au titre de l’année 1997).

Un plan de redressement de l’office a été accepté par la caisse de garantie du logement social (CGLS) le 10 juillet 1997. La recapitalisation, qui doit représenter 39,5 millions, s’établit de la façon suivante : l’État doit verser 19,75 millions d’ici à 2002 et la CTC doit contribuer à hauteur de 6,55 millions d’ici à 2002 ; enfin le conseil général et la ville de Bastia doivent compléter cet effort pour un montant de 12,2 millions de francs.

Ce plan, récemment approuvé par le président du Conseil exécutif, doit s’étaler sur une période de cinq années à compter de 1998. Il s’appuie sur trois axes principaux : la restructuration financière de l’office, l’augmentation des PLA neufs et l’amélioration de construction neuve. Il prévoit de réaliser des travaux de gros entretien et de grosses réparations, répartis entre 1997 et 2000, pour un montant de 11,25 millions de francs, de restructurer la Cité Aurore à Bastia (la démolition de 148 logements, la réhabilitation de 160 logements et la reconstruction de 216 logements neufs) pour un montant global de 113,4 millions de francs, de réhabiliter la Cité des Monts à Bastia pour un montant de 22,7 millions de francs.

(en millions de francs)

 

Années

1998

1999

2000

2001

2002

TOTAL

État et CGLS

6,5

6

4,5

1,5

1,25

19, 75

CTC

2,1

2

1,5

0,5

0,45

6, 55

TOTAL

27,30

 

·  L’office de la Corse-du-Sud : des points faibles et quelques signes encourageants

L’office emploie environ 40 personnes en équivalent plein temps ; il possède un patrimoine de 1.777 logements et gère un budget de 109 millions de francs. C’est le maire d’Ajaccio, M. Marc Marcangeli, qui en préside le conseil d’administration. L’importance des déficits enregistrés par cet office s’explique à la fois par les problèmes structurels anciens, mais également par l’absence d’augmentation des ressources (liée à la question lancinante des impayés et au refus d’augmenter les loyers au-delà des obligations réglementaires). Les points faibles de la gestion de cet office sont un manque de rigueur dans la gestion des créances des locataires, le très fort endettement de l’organisme lié aux taux d’impayés, la non-récupération des charges locatives, l’importance des frais de personnel qui grèvent les coûts de gestion, le retard pris dans les opérations d’entretien et de gros travaux des bâtiments, enfin, la grave insuffisance de trésorerie.

Depuis de nombreuses années, la situation tend à se détériorer. La cause principale tient au poids des emprunts antérieurs dont la charge est telle que l’équilibre d’exploitation ne pourrait être assuré même en l’absence d’impayés. Malgré les efforts accomplis, le taux d’impayés reste trop élevé et le fond de roulement demeure très faible.

En 1987, un premier plan de redressement préconisait, outre la reconstitution des fonds propres, un ensemble de mesures visant à une amélioration de la gestion de l’office, comme la réduction progressive des effectifs, un effort dans le recouvrement des loyers ou la vente de logements. Le département de la Corse-du-Sud, qui garantit la majeure partie des emprunts de l’office, versa 42 millions de francs de 1987 à 1996. Malgré de nombreux progrès constatés par la suite, le redressement des comptes n’a pu être totalement réalisé. Ainsi les budgets primitifs pour 1996 et 1997 furent-ils transmis à la Chambre régionale des comptes pour défaut de vote en équilibre réel.

Dans son avis en date du 27 novembre 1996 (concernant le déséquilibre du budget primitif voté pour 1996), la Chambre régionale des comptes notait que la totalité des dépenses de personnel n’avait pas été intégrée dans le budget primitif, que les recettes inscrites au budget étaient parfois insincères et surévaluées, voire fictives. La Chambre relevait également qu’avec un effectif de 47 agents, l’office enregistrait des dépenses de personnel d’un montant supérieur à la moyenne des offices gérant un parc de logements comparable. Enfin, elle dénonçait une pratique consistant à attribuer aux agents de l’office des chèques déjeuners dans des conditions contestables.

Dans son avis en date du 25 septembre 1997, la Chambre régionale des comptes constatait que le budget primitif de l’office de la Corse-du-Sud n’avait pas été adopté en équilibre réel. En effet, le budget s’établissait de la façon suivante :

 

Section de fonctionnement :

Dépenses : 71.186.093 F

Recettes : 63.695.700 F

Section d’investissement :

Dépenses : 56.187.875 F

Recettes : 48.754.894 F

La Chambre concluait qu’étant donné que le montant total des dépenses inscrites s’élevaient à 127.373.968 francs pour seulement 112.450.594 francs de recettes, il existait un déséquilibre prévisionnel global de 14.923.374 francs se répartissant en un déséquilibre de 7.490.393 francs pour le fonctionnement et de 7.432.981 francs pour l’investissement.

Les impayés, qui atteignaient 39.593.968 francs à la fin 1995 s’élevaient à 40.658.246 francs à la fin 1996. Cette donnée constitue un motif majeur d’aggravation du déséquilibre budgétaire puisqu’une partie importante des recettes inscrites en ce domaine ne sont pas perçues. Les impayés exigent, de surcroît, de prévoir chaque année des dotations aux provisions pour créances douteuses d’un montant élevé et croissant. Dans son avis en date du 25 septembre 1997, la Chambre régionale des comptes remarquait, enfin que la somme de 6.204.092 francs avait été inscrite en dépenses. Ce montant représentait l’admission en non valeur du débet de l’ancien receveur de l’office, recette à laquelle le conseil d’administration avait renoncé par délibération du 20 décembre 1996.

On rappellera les appréciations portées par l’ancien président de la Chambre régionale des comptes, M. Gilbert Canosci, lors de son audition en mars 1997 par la mission d’information sur la Corse, en réponse à une question sur l’office de Corse-du-Sud : " il faut préciser que cet organisme a eu pour comptable une personne très connue à Ajaccio, qui est conseiller général et maire, mais qui n’avait, ni la compétence requise pour tenir la comptabilité d’un organisme de cette importance, ni les moyens en personnel auprès d’elle pour l’y aider.

Si ces problèmes semblent actuellement résolus, la difficulté qui tient à la mentalité de nombreux Corses de refuser de payer leurs dettes, persiste.

Je ne conteste pas que, parmi les personnes qui sont logées par l’office HLM, certaines se trouvent certainement dans une situation financière dramatique ; comme tout le reste de la France, la Corse a aussi son lot de chômeurs et de personnes défavorisées. Mais, ce que nous savons c’est que d’autres, qui peuvent payer, ne le font pas.

Il est incontestable qu’il y a eu un manque de fermeté de l’office et une carence totale, pendant de nombreuses années, tant en ce qui concerne la tenue de la comptabilité que les poursuites à l’encontre des débiteurs. "

Selon la Chambre, le déséquilibre du budget primitif 1997 de l’office de la Corse-du-Sud s’établissait au minimum comme suit :

 

Insuffisance des recettes budgétaires annuelles par rapport aux dépenses 14.923.374 F

Insuffisance des amortissements techniques par rapport

aux amortissements financiers 371.356 F

Insuffisance de la dotation aux grosses réparations 593.298 F

Total du déséquilibre 15.888.028 F

Dans sa conclusion, la Chambre écrivait : " le déséquilibre du budget pour 1997 est ainsi d’une telle ampleur que sa résorption dans le cadre des dispositions précitées constitue, pour la Chambre, une formalité impossible au sens de la jurisprudence administrative ".

La Chambre recommandait, en outre, au président de l’office de veiller à produire désormais " un rapport de présentation du budget primitif qui comporte tous les éléments concernant les diverses dotations et qui soit de nature à assurer la transparence des comptes et des choix budgétaires proposés au conseil d’administration. "

Le budget de l’office a donc été réglé en 1996 et 1997. Notons que le budget de 1998 a été transmis en préfecture le 6 avril 1998. Il présente un important déficit tant en section de fonctionnement qu’en section d’investissement, à hauteur de 11.439.840 francs auquel il convient d’ajouter le déficit de l’exercice 1996 (18.294.243 francs), soit un déficit global de 29.734.083 francs. Le budget 1998 a donc été transmis à la Chambre régionale des comptes en application de l’article L1612-4 du code général des collectivités territoriales.

Un plan de redressement, élaboré en 1996 avec le concours de la caisse de garantie du logement social, et impliquant la participation des partenaires locaux notamment du département et de la Collectivité territoriale de Corse, fixait à l’horizon 2001 les objectifs suivants : que l’organisme retrouve une activité conforme à sa vocation, que son budget de fonctionnement soit équilibré et l’autofinancement positif.

Outre l’amélioration du recouvrement des loyers, avec une baisse du taux des impayés (actuellement il est de 9,2 % alors que la moyenne nationale est de 3,6 %), et la réduction des coûts de gestion, deux axes prioritaires ont été dégagés. Le premier concerne le désendettement de l’office grâce à un remboursement anticipé des prêts dont les taux sont les plus onéreux. Le deuxième consiste dans la recapitalisation de l’office. Un projet a été transmis en ce sens au président du Conseil exécutif de Corse qui, par correspondance en date du 10 décembre 1997, a fait connaître au préfet de Corse que le Conseil exécutif l’avait jugé non conforme au dispositif adopté par délibération du 18 juillet 1997. Par cette délibération, l’Assemblée de Corse avait subordonné son intervention à deux conditions : la prise en compte du montant des PLA-CFF et PAP non utilisés au titre des années précédentes et la mise en oeuvre d’une relance de la construction neuve de logements locatifs sociaux en Corse.

Très récemment, un plan de redressement de 40 millions de francs co-financé pour moitié par l’État et pour moitié par la Collectivité territoriale de Corse et le conseil général de la Corse-du-Sud, a été signé ; un prêt de 53 millions de francs aurait par ailleurs été accordé à l’organisme par la caisse de garantie du logement social (couvert par le conseil général de la Corse-du-Sud). Comme la presse corse s’en est fait l’écho le 26 août 1998, une charte a également été signée entre le président de l’office et les représentants du Trésor public (le trésorier-payeur général, le payeur départemental), dans le but d’optimiser le quittancement des loyers et d’améliorer les recouvrements " spontanés ". Il s’agit d’améliorer, y compris en termes de liens informatiques, les relations entre la recette perception du département et l’office. Cette charte de partenariat témoigne d’une volonté de coopération réelle.

Il faut espérer que cette nouvelle donne permettra à l’office de développer ses activités en termes de constructions de logement social, aujourd’hui très insuffisantes sur l’ensemble de l’île. M. Marc Marcangeli, président de l’office, annonçait dans le journal " La Corse " du 26 août 1998, " nous pensions commencer les constructions dès la fin de l’année ; nous avons deux projets prioritaires : la reconstruction de l’immeuble plastiqué à Sartène, cours Sœur Amélie, avec 15 logements à la clef et la construction d’un collectif de 35 logements " ; le président de l’office envisage la construction au plan départemental de 80 à 100 logements par an.

Ces mesures, indispensables, ne sont sans doute pas les seules à devoir être mises en place ; la gestion des deux offices publics d’HLM devra être dynamisée pour éviter que le redressement aujourd’hui annoncé ne soit que de courte durée.

 

3.– La gestion chaotique de certaines collectivités locales

Dans la progressive mise au jour des dysfonctionnements, les collectivités locales ne sont pas épargnées. Les errements constatés, notamment au travers des travaux de la Chambre régionale des comptes, n’ont pas tous ni le même degré de gravité ni les mêmes conséquences financières. Par ailleurs, la commission d’enquête n’entend pas reconnaître aux collectivités de l’île une quelconque exclusivité en la matière. De tels errements, de tels manquements à la légalité pourraient être constatés dans d’autres régions du territoire.

Les cas évoqués ici ne sauraient constituer une liste exhaustive. Ils ont été retenus car ils illustrent, peut-être mieux que d’autres, la situation financière difficile que connaît bon nombre de communes de l’île. Or, ces difficultés ne résultent pas seulement de leur petite taille, de l’insuffisance de leurs ressources financières ou de la conjoncture économique générale de la Corse. Certaines collectivités voient leur avenir également gravement assombri par leur propre comportement et leurs propres erreurs de gestion.

De la mauvaise gestion " globale " aux conséquences catastrophiques de décisions ou de projets précis, toute la gamme des erreurs est présente en Corse. S’y ajoutent parfois de multiples manquements à la légalité.

a) Ajaccio : une " fuite en avant " catastrophique

Le vol rocambolesque des armes de sa police municipale ne constitue que le dernier épisode de la chronique d’une ville qui apparaît dans une situation financière critique.

En avril 1997, le trésorier–payeur-général de Corse attirait l’attention du commissaire du gouvernement près la Chambre régionale des comptes sur la gravité de la situation financière de la ville d’Ajaccio.

Selon des informations recueillies par la commission d’enquête, " il apparaît que la ville d’Ajaccio souffre d’un gestion approximative depuis plusieurs années, les difficultés accumulées ne présentant pas un commencement de règlement. Au contraire, les actions entreprises, notamment pas le recours à l’emprunt pour financer le fonctionnement de la commune "plombée" par un coût du personnel largement excessif, conduisent la commune vers une politique de fuite en avant qui fait craindre une situation à venir catastrophique ".

·  Une ville sous la vigilance de ses créanciers

Il apparaît, en effet, que la marge d’autofinancement courant de la ville est particulièrement faible, quand elle n’est pas négative comme en 1990, 1991, 1994 et 1996. Dès lors, les investissements nouveaux ne peuvent être financés que par des ressources externes, emprunts ou subventions. Cette situation a conduit à placer la ville sous une sorte de tutelle financière : elle a, en effet, conclu avec ses bailleurs de fonds un accord aux termes duquel ils subordonnent leurs prêts, dont le montant est plafonné, au respect par la ville de certains ratios financiers, ratios qu’elle semble d’ailleurs avoir du mal à respecter.

·  Un budget grevé par un personnel pléthorique

Le budget de la ville est essentiellement un budget de fonctionnement, caractérisé de surcroît par une grande rigidité des charges. En effet, les dépenses de personnel se sont accrues de 45% entre 1989 et 1996 ; elles représentaient en 1996 plus de 60% des dépenses de fonctionnement et sont supérieures aux recettes fiscales directes. Au 1er janvier 1998, le personnel de la ville comprenait, d’après le budget primitif, 1.115 titulaires et 259 non-titulaires, dont un certain nombre sont sans contrat (c’est le cas de 54 " agents de salubrité "). Pour les non-titulaires, la préfecture ne détient que 9 contrats pour les permanents et 20 contrats de saisonniers. Les autres contrats n’ont donc pas été déposés au titre du contrôle de légalité. Parmi ceux-ci figure un nombre élevé d’agents du service de collecte des ordures ménagères, dont la régularisation se heurte à un obstacle juridique en raison de leur qualité d’étrangers non-communautaires.

Il n’est pas sûr, en outre, que l’utilisation de ce personnel pléthorique soit optimale. Jusqu’en 1995, il n’y avait pas d’organigramme, chaque service fonctionnant, en outre, de manière quasi autonome. Malgré l’importance des effectifs des services techniques, le montant des travaux exécutés en régie est particulièrement faible, seulement 2 millions de francs en 1997.

Il a été indiqué à la commission d’enquête que de nombreux emplois seraient fictifs, les intéressés ne résidant pas en Corse, n’exerçant aucune activité dans les services de la ville ou exerçant d’autres activités professionnelles (commerces divers, bars, pêche). L’administration a d’ailleurs demandé à la ville de lui soumettre les contrats d’un certain nombre d’emplois figurant au budget. De même, la ville a temporairement rémunéré sur la base d’un contrat qui n’a pas été soumis au contrôle de légalité, un administrateur civil apparemment appelé à exercer ensuite un rôle auprès du président d’une autre collectivité territoriale.

·  Une ville très endettée

La charge de la dette est très lourde. D’après l’état de la dette joint au budget primitif, l’encours s’élèverait à 462 millions de francs et la charge de celle-ci représenterait 80 millions de francs pour 1998, dont 30 au titre des intérêts. L’encours continue à augmenter car les dépenses réelles d’investissement apparaissent surfinancées afin de permettre le financement d’une partie de l’annuité en capital existante par des emprunts nouveaux et de générer de la trésorerie au profit de la ville et de ses budgets annexes, notamment le port de plaisance. Cette croissance du poids de la dette s’expliquerait également par les conditions défavorables, et semble-t-il parfois irrégulières, dans lesquelles la ville a repris des emprunts initialement souscrits par deux sociétés d’économie mixte défaillantes dont elle était actionnaire.

·  Des opérations hasardeuses

L’opération d’aménagement du port de plaisance de l’Amirauté, consistant en l’agrandissement du port et en l’aménagement commercial des terre-pleins, s’est révélée particulièrement catastrophique. Confiée initialement à une société d’économie mixte, la CORSAM, pour un coût de 43 millions de francs, l’opération a finalement coûté près du double (80 millions de francs). Outre le fait que la ville ait dû reprendre la dette contractée par la CORSAM dans cette opération, il apparaît que la gestion courante est également problématique en raison du non-recouvrement des recettes auprès des plaisanciers et des occupants des locaux commerciaux. Il faut souligner que certains contrats d’amarrage n’existaient purement et simplement pas. La ville a négocié un accord avec les commerçants du port par lequel elle a renoncé à la moitié de ses créances ; il ne semble pas que cela ait suffit pour améliorer le recouvrement des sommes dues.

La gestion du stationnement dans la ville a été également à l’origine d’importantes difficultés. La ville a dû, là aussi, faire face à la défaillance de la CORSAM et reprendre la dette de cette société d’économie mixte. La gestion du stationnement a été, en 1995, déléguée à une nouvelle société dans des conditions douteuses. La procédure fait d’ailleurs l’objet d’une enquête judiciaire pour violation de la législation applicable. L’économie des conventions apparaît également très critiquable : les dépenses laissées à la charge de la ville, via le budget annexe subventionné par le budget principal, s’élève à 8,3 millions de francs (dont 5 d’annuités d’emprunt et 3,3 de rémunération du délégataire pour la gestion des horodateurs) ; en retour, la ville ne perçoit que 1,3 million de francs, le centre de profit se situant visiblement chez le délégataire.

·  Un budget pour 1998 insincère

Le budget primitif de la ville pour 1998 a été déféré par le préfet de Corse à la Chambre régionale des comptes. Dans son avis rendu le 18 juin dernier, celle-ci a d’abord relevé des inscriptions budgétaires entachant la sincérité des comptes.

En effet, la ville " sous-estimait délibérément le montant des crédits à inscrire (…) nécessaires au paiement des factures d’EDF ", l’insuffisance globale de mandatement s’élevant à 19 millions de francs au titre des exercices 1989 à 1995. Dès lors, EDF s’est livrée à une compensation entre d’une part, les sommes qu’elle réclamait en paiement de ses factures et, d’autre part, les sommes qu’elle devait à la ville au titre de la taxe locale d’équipement. Pourtant, ces recettes étaient inscrites pour la totalité de leur montant aux budgets de la commune. Dans ces conditions, " bien que l’opération en cause se trouve soldée en trésorerie, il n’en demeure pas moins que les résultats d’exécution des budgets en cause sont erronés " et " que les comptes administratifs auraient dû accuser un déficit d’exécution qu’il convient aujourd’hui de corriger par l’inscription en section de fonctionnement du budget principal 1998 d’une dépense d’un montant identique " (soit 17,5 millions de francs).

A l’issue de l’examen du budget, la Chambre chiffrait le déséquilibre de la section de fonctionnement à 12,4 millions de francs qu’elle proposait de répartir entre les charges à caractère général et les autres charges de gestion courante. Reconnaissant qu’" il appartiendra au conseil municipal de ventiler à l’intérieur de chacun des chapitres les diverses réductions de dépenses déterminées conformément à ses orientations budgétaires ", elle ne résistait pas à la tentation de souligner l’existence de marges de manœuvre en ce qui concerne les indemnités de fonction des élus (" portées au taux maximum " en 1995) ou des concours volontaires en faveur de certaines associations sportives. Enfin, pour rétablir l’équilibre du budget annexe du port de plaisance, puisque la Chambre a jugé illégale la subvention inscrite au budget de la ville en raison de l’absence de décision motivée du conseil municipal, elle suggérait une augmentation des tarifs du port.

A l’issue d’un conseil municipal particulièrement houleux, la ville a décidé d’augmenter les impôts locaux, portant les taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties à 15,02 % (+28 %), de la taxe foncière sur les propriétés non bâties à 46,24% (+3 %), de la taxe professionnelle à 24,85% (+3 %) et de la taxe d’habitation à 22,72 % (+3 %). Parallèlement, le conseil décidait de suivre la suggestion de la Chambre régionale des comptes en supprimant toutes les indemnités versées aux élus, générant une économie de 2,7 millions de francs.

b) L’affaire du port de Propriano

Dans ce dossier, la commission d’enquête a réuni différents éléments qui suscitent plusieurs interrogations.

·  Des projets initiaux ambitieux

La décision d’extension du port de Propriano fut prise par délibération du conseil municipal en date du 28 décembre 1989. L’enquête publique se déroula du 6 avril au 7 mai 1992. Le concours de la direction départementale de l’équipement en qualité de maître d’oeuvre fut accordé par arrêté préfectoral du 3 août 1992.

Il s’agissait de procéder à l’extension de la zone portuaire de plaisance existant dans les limites du port à compétence départementale. Les travaux visaient à réaliser le prolongement de la digue de protection, l’aménagement du plan d’eau. De même, la construction d’une voie routière était prévue pour permettre l’accès au port de commerce reliant l’entrée de Propriano aux ports de plaisance et de pêche à partir de la R.N 196.

- La partie portuaire de l’opération se présentait comme une opération conçue en deux tranches : une tranche ferme comprenait la digue, l’aire de carénage et la cale de halage, et une tranche conditionnelle comprenant l’aménagement des quais et les appontements.

L’administration (la direction départementale de l’équipement) avait élaboré les estimations suivantes :

 

L’estimation de l’administration

·  Pour la tranche ferme : 7,140 millions de francs TTC

·  Pour la tranche conditionnelle : 6,023 millions de francs TTC

TOTAL TTC: 23,164 millions de francs

L’appel à candidatures eut lieu le 8 septembre 1992. 28 entreprises se portèrent candidates ; 7 candidatures furent retenues et 4 " sous condition que ces entreprises s’associent à une entreprise expérimentée en travaux maritimes ". L’ouverture des plis se déroula en juin 1993. 5 entreprises avaient remis des offres, dont une, l’entreprise Bouygues Offshore, avec variantes. Les variantes proposées par cette société portaient essentiellement sur les dimensions et les modes de construction de la digue de protection, prévue en enrochements dans la solution administrative, et proposée sous forme de colonnes ballastées ou pieux par la société.

 

L’entreprise Bouygues était la moins-disante en solution de base avec la remise des prix suivante :

  • Pour la tranche ferme :33,790 millions de francs
  • Pour la tranche conditionnelle : 7,547 millions de francs TTC

TOTAL TTC : 41,337 millions de francs

 

L’appel d’offres ne fut pas déclaré infructueux et l’entreprise Bouygues fut retenue avec demande d’étude des variantes. L’offre fut finalement acceptée par la commune maître d’ouvrage le 14 décembre 1993, pour la somme de 41,840 millions de francs TTC (avec les variantes décidées).

Le 15 décembre 1993, un avenant (N°1) fut passé avec la société Bouygues pour la " construction d’une route de desserte ". Le montant TTC de 4.705.938 francs portait ainsi le marché initial de 41.840.391,76 francs à 46.546.329,76 francs, soit une augmentation de 11 %.

Le 19 avril 1996, un avenant (N°3) vint modifier l’avenant N°1. Il indiqua que les travaux de réalisation de la route du front de mer ne devaient pas être réalisés. Le coût d’ensemble des travaux effectués par Bouygues fut arrêté par la société à la somme de 36.948.697,06 francs. Le décompte général et définitif, établi par la DDE le 26 septembre 1996 et signé par l’entreprise le 9 octobre 1996, arrêta le coût des travaux à la somme de 38.732.000 francs TTC.

Les travaux débutèrent le 18 juillet 1994 pour s’interrompre le 31 mai 1996. Aujourd’hui toutes les infrastructures portuaires ne sont pas achevées, comme la commission d’enquête a pu le constater lors d’un déplacement à Propriano. L’extension du port de plaisance est donc utilisée en l’état.

Quant à la partie routière de l’opération, il faut noter qu’au cours du comité de suivi du 16 novembre 1993 du programme " Interreg 1 ", le maire de la commune de Propriano obtint le financement de la voie d’accès au port de commerce longeant et reliant le port de plaisance selon les modalités suivantes :

 

Coût des travaux : 6 millions de francs

50 % sur fonds du FEDER et 50 % à la charge de la commune.

 

Le 14 décembre 1993, un marché fut passé avec l’entreprise Delovo pour la construction d’une plate-forme d’enrochement et de protection de la route du front de mer (pour un montant de 1.305.720 francs). L’ordre de service fut notifié le 14 décembre 1993, mais ce marché ne donna lieu à aucune exécution.

En application de la réglementation européenne, les travaux devaient être engagés avant le 31 décembre 1993. L’arrêté attributif de subvention FEDER fut pris par le préfet de Corse le 20 décembre 1993, pour une somme de 3 millions de francs. Un acompte de 1,5 million de francs fut versé à la commune le 30 décembre 1993. Il fit l’objet d’un ordre de reversement de 1,110 million le 19 février 1997. La commission d’enquête a constaté sur place que le marché Delovo, qui devait construire la route, n’avait en effet donné lieu à aucune exécution des travaux.

Ce point particulier fait l’objet de développements plus loin dans la partie du rapport concernant les possibilités de fraude aux fonds européens.

·  Les réactions de l’entreprise Bouygues Offshore

En réponse à une correspondance du préfet en date du 14 mai 1997, la société Bouygues lui fit savoir qu’elle avait convenu avec le maire de Propriano de différer le règlement des sommes dues, de considérer que la créance s’élèverait à 32.800.000 francs (principal et intérêt) et que ce montant devrait être acquitté par la commune pour le 20 juin 1999.

 

Extraits de la lettre de réponse adressée au

président directeur général de la société Bouygues Offshore
par le préfet Claude Erignac
suite à un courrier de cette entreprise

Lettre du 14 mai 1997

 

" Par lettre en date du 25 avril 1997, vous avez appelé mon attention sur les sommes dues par la commune de Propriano en règlement des travaux d’aménagement du port de plaisance.

Vous m’indiquiez qu’en application de l’accord conclu avec le maire de Propriano le 20 juin 1996 la commune s’était engagée à verser 9 MF avant le 31 décembre 1996 et à régler le solde soit environ 29,8 MF avant le 20 juin 1999.

La commune n’ayant payé que 4,475 millions de francs à ce jour, vous réclamez le paiement des 4.524.477,52 francs restant dus au titre de 1996 et vous posez la question de savoir s’il est possible d’inscrire aux budgets 1997,1998 et 1999 (de la commune) les sommes nécessaires au règlement du solde.

Par courrier en date de ce jour, j’ai demandé au maire de Propriano d’acquitter la somme de 4.524.477,52 francs en règlement des sommes dues au titre de l’année 1996 suivant les termes de l’accord précité. Je ne manquerai pas de vous tenir informé de l’évolution de la procédure. Verbalement le maire m’a indiqué que le versement était imminent. (...) "

*

* *

Extraits de la lettre de réponse du président directeur général (Bouygues Offshore)
le 3 juin 1997

" Par courrier du 14 mai 1997, vous nous informiez avoir demandé à M. le maire de Propriano d’acquitter la somme de 4.424.477,52 francs en règlement des sommes dues au titre de l’année 1996, suivant les termes de notre accord du 20 juin 1996 avec la Municipalité de Propriano.

La municipalité a ainsi procédé au mandatement de la somme de 1.494.787,18 francs (soldant ainsi la cinquième situation et portant le total réglé au titre de ce marché à environ 9.400.000 francs). Après réception de cette somme, il restera donc à régler un montant immédiatement exigible de 3.029.690,34 francs.

Cependant, suite à de récentes discussions avec M. le maire de Propriano, nous sommes convenus d’accepter de différer le règlement de ce montant et de le considérer comme payable au titre du solde de notre créance qui s’élèvera ainsi à environ 32.800.000 francs (principal et intérêts) au 20 juin 1999, et devra être acquittée avant cette date (...)"

·  Les éléments troublants

- Il est intéressant de constater qu’initialement, la direction départementale de l’équipement avait estimé le coût des travaux à 23.164.000 francs. Or la société Bouygues, la moins-disante, fit au départ une estimation de 41.337.000 francs TTC.

- Des irrégularités ont été manifestement commises. On peut citer le défaut d’invitation du directeur départemental de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Or la présence du représentant de cette direction aurait permis d’attirer l’attention sur la différence entre l’estimation du coût des travaux faite par la DDE et l’offre de Bouygues (entreprise la moins disante) et conduire à déclarer l’appel d’offre infructueux. En outre, le rapport de présentation (rapport d’analyse des offres) par le représentant légal de la collectivité ne paraît pas avoir été transmis au représentant de l’État en même temps que le marché. Des délibérations sont intervenues postérieurement à la passation des marchés. L’avenant N°1 est illégal puisqu’il concerne un marché différent du marché principal.

- Enfin, il est étonnant que ce projet ait fait l’objet de tant de sollicitude de la part d’une grande entreprise qui a, à ce jour, accepté de n’être pas payée par la commune et a décidé de lui accorder un délai de paiement important (20 juin 1999).

Selon les informations recueillies par la commission d’enquête en mai 1998 :

" Concernant la ville de Propriano, la Chambre régionale des comptes a été saisie en 1995 par la société Bouygues. Cette société avait été choisie pour agrandir le port. Elle a saisi la Chambre pour une inscription de ces travaux au budget de la ville. Les crédits étaient inscrits mais n’étaient pas payés. On note un grand décalage entre le début des travaux et la délibération autorisant le maire à les commencer. La Chambre a été également saisie à cause du déséquilibre du budget de la commune.

Il semble que beaucoup de gens ont fait d’importants efforts pour permettre le financement de ces travaux. On observe une grande sollicitude autour de ce dossier. Ainsi, des subventions sont venues par la suite financer une partie des travaux.

La société Bouygues a décidé un étalement du paiement sur 3 ans (40 millions en tout). La Chambre a même en sa possession des lettres signées du préfet dans lesquelles celui-ci informait le maire que telle ou telle subvention lui était accordée.

Alors que pour les saisines budgétaires, la Chambre s’en tient aux chiffres sans jugement de valeur, pour le contrôle de gestion, le travail de la Chambre va plus loin. Il est intéressant d’étudier comment les collectivités se sont mises dans une situation délicate pour pallier les carences du maire. En effet, le maire a pris seul la décision sans son Conseil municipal.

Pourquoi Bouygues a-t-il saisi la Chambre ? C’est probablement un responsable qui a pris cette initiative sans connaître toute l’histoire. Par la suite, la société n’a plus jamais saisi la Chambre. Celle-ci possède une copie de la lettre de la société proposant un étalement des paiements sur trois ans (jusqu’en 1999). "

c) Conca : " une situation financière dégradée "

En juillet 1997, la Chambre régionale des comptes a arrêté ses observations sur la gestion de la commune de Conca de 1989 à 1994. Cette petite commune de Corse-du-Sud fait régulièrement l’objet d’un examen par la Chambre, puisque celle-ci n’a pas rendu moins de 19 avis budgétaires entre 1986 et 1997.

Les conclusions de la Chambre sont sans appel : la commune connaît une " situation financière dégradée (…) consécutive à une insuffisance de financement ainsi qu’à des acquisitions onéreuses, au non-paiement des participations dues au SIVOM du Cavo et à la passation de marchés de travaux irréguliers ". Le rééquilibrage du budget de la commune constitue dès lors une " formalité impossible ". La Chambre estimait en effet le déficit cumulé de la section de fonctionnement à près de 2,9 millions de francs entre 1989 et 1995 et celui de la section d’investissement, pour la même période, à près de 5,1 millions de francs.

S’agissant de la situation financière, la Chambre relève que la section de fonctionnement est " structurellement déficitaire " et que ce déficit provient essentiellement de la faiblesse des recettes, notamment de la taxe de séjour, ainsi que de " l’absence de volonté de réaliser des économies ". Pour la section d’investissement, la Chambre notait que " le déficit résulte d’une politique d’investissement démesurée par rapport aux capacités financières de la commune ainsi qu’à l’absence de programmation des investissements ".

Cette situation s’explique en partie par des acquisitions onéreuses.

La commune avait, en 1988, fait l’acquisition d’un terrain de camping lors d’une adjudication judiciaire : le prix d’achat (1,950 million de francs) dépassait largement la mise à prix (1 million de francs) et l’estimation du service des domaines (1,330 million de francs). Le maire affirme s’être abrité derrière une estimation établie par un atelier d’architecture (près de 1,9 million de francs), à propos duquel la Chambre note qu’il entretient des liens privilégiés avec la commune et que sa " capacité d’expertise en matière d’évaluation immobilière n’est pas établie ". De plus, il apparaît que le conseil municipal n’a autorisé cet achat que deux mois après qu’il soit intervenu, sans qu’il soit d’ailleurs informé que l’acquisition avait déjà été réalisée. De plus, le camping a été exploité en régie dans des conditions telles que la Chambre relève que les recettes effectivement perçues entre 1989 et 1993 ne couvraient même pas les intérêts des deux emprunts souscrits pour réaliser l’opération.

La commune a aussi acheté, en 1993, une maison pour y installer le conservatoire du costume corse. Le prix qu’elle a acquitté (360.000 francs) était supérieur de 40% à l’estimation du service des domaines (255.000 francs). Or, il apparaît que le maire de la commune s’était porté par ailleurs caution du vendeur auprès d’un établissement bancaire. La Chambre constate donc que ce dépassement de l’évaluation administrative " a permis de désintéresser la banque sans faire jouer la caution ".

La Chambre a également examiné un certain nombre de marchés passés par la commune, dont trois marchés de travaux de voirie consécutifs aux pluies diluviennes de l’automne 1993. Ces marchés ont été passés après mise en concurrence restreinte sur la base de l’urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles. La Chambre ne reconnaît pas cet argument de l’urgence puisqu’elle note qu’un délai de quatre mois s’est écoulé entre le devis estimatif et le début de la procédure d’appel d’offres et que, au total, près d’une année s’est écoulée entre les inondations et la réalisation des travaux. Les marchés, qui représentent un montant total de plus de 1,9 million de francs, ont été passés avec la même société qui a ensuite sous-traité l’essentiel des travaux, notamment les plus importants nécessitant des équipements lourds. Dès lors, la Chambre, qui juge que la mise en concurrence " semble factice ", s’interroge sur les compétences exactes de la société retenue et donc sur les critères adoptés par le cabinet d’expertise pour opérer le choix des entreprises appelées à soumissionner. Enfin, la Chambre rappelle que la compétence en matière de voirie relevait du SIVOM auquel adhérait la commune.

d) Santa Maria Poghju : les conséquences d’une décision irréfléchie

La situation financière de la commune apparaît particulièrement catastrophique. Dans un avis rendu le 21 novembre 1997 à la suite du déférement du budget primitif pour 1997, la Chambre régionale des comptes indique que " la situation financière de Santa Maria Poghju revêt un caractère de gravité exceptionnel, puisque le déséquilibre budgétaire prévisionnel pour 1997 (103,8 millions de francs) représente plus de 19 fois les recettes de fonctionnement (5,4 millions de francs), et que le produit de la fiscalité directe locale (2,1 millions de francs) ne couvre que 40% du montant des intérêts courus en un an au titre des trois principales condamnations (5,2 millions de francs), alors même que les taux d’imposition ont été fixés au maximum autorisé " et que " à l’évidence, rétablir l’équilibre budgétaire de la commune constitue (…) une formalité impossible ".

Cette situation résulte de plusieurs condamnations de la commune prononcées par le tribunal administratif de Bastia en 1988 et 1992. En effet, suite à la loi du 22 juillet 1983 qui a transféré la compétence en matière de port de plaisance aux communes, la commune de Santa Maria Poghju a été substituée à l’État dans la convention de concession du port du SIVOM de Cervione-Valle di Campoloro-Santa Maria Poghju, concession conclue en 1972 pour une durée de cinquante ans. Dans le cadre de cette concession, le SIVOM avait, en 1973, sous-traité l’achèvement et l’exploitation du port à une société de gestion et amodié les terre-pleins portuaires et 80% des postes à quai à une société fermière. En août 1984, la commune décide de retirer au SIVOM la concession du port et, en janvier 1985, de prendre en gestion directe la gestion du port de plaisance.

S’estimant lésées, la société de gestion et la société fermière ont introduit différentes requêtes devant le tribunal administratif de Bastia en vue d’obtenir l’annulation de ces deux décisions. Par une série de jugements de juillet 1988, le tribunal a rejeté les requêtes mais a considéré que " la mesure de résiliation unilatérale bien que régulièrement intervenue eu égard aux stipulations contractuelles mises en œuvre (était) susceptible, en raison des missions particulières confiées aux sociétés requérantes et des investissements qu’elles ont dû réaliser pour y satisfaire, de leur avoir causé un préjudice ".

Au vu d’une expertise, le tribunal a, par deux jugements de juillet 1992, considéré qu’en l’absence de disposition contractuelle contraire, les sociétés de gestion et fermière avaient droit à l’indemnisation des capitaux investis non encore amortis à la date de résiliation du contrat et que, en l’absence de faute des requérants et même sans manquements de la commune à ses obligations contractuelles, elles avaient droit aussi à la réparation du manque à gagner résultant du retrait prématuré de la concession. En conséquence, la commune a été condamnée à verser 23,2 millions de francs à la société de gestion (avec intérêts de droit à compter du 31 juillet 1986) et 9,5 millions de francs à la société fermière (avec intérêts de droit à compter du 8 décembre 1986).

Dans des observations faites en mars 1994, la Chambre régionale des comptes a relevé que ces sommes représentaient une dette de près de 61,4 millions de francs. Pour mesurer l’ampleur de la somme, elle indique que " en consacrant chaque année la totalité du produit de la fiscalité directe à l’apurement de cette dette et à condition de porter les taux à leur maximum, 27 années seraient nécessaires à son extinction, sous réserve, bien sûr, que ne soient pas réclamés les intérêts ".

Saisi par les sociétés de gestion et fermière, le tribunal administratif de Bastia a condamné, par une décision du 30 mars 1995, l’État au paiement de l’intégralité des indemnités dues aux sociétés requérantes. En effet, il a considéré que " le représentant de l’État, en s’abstenant tant d’exercer sa mission de contrôle budgétaire dès 1985 qu’en ne prenant aucune mesure réelle d’exécution des jugements de 1992 a commis une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l’État ".

Ce jugement est particulièrement remarquable en ce qu’il retient pour la première fois, la responsabilité de l’État dans ses activités de contrôle alors même que le préjudice subi n’est pas lié à une intervention fautive mais au contraire à son inaction. Revenant en partie sur une jurisprudence ancienne du Conseil d’État, critiqué par la doctrine, ce jugement a été annulé par la Cour administrative de Lyon, laissant la commune seule face à ses difficultés financières.

e) Le SIVOM du Nebbio : les dérives d’un projet démesuré

La gestion du SIVOM du Nebbio a défrayé la chronique au début des années 1990, puisqu’elle a fait l’objet d’une insertion au rapport annuel de la Cour des comptes de 1992.

Créé en 1972, le SIVOM avait pour objet le développement de la vallée du Nebbio située au sud du golfe de Saint-Florent. Son fonctionnement s’est rapidement révélé déficient. Comme le soulignait la Cour, " l’administration du syndicat dépendait presque exclusivement du bureau et du président, aidés par le secrétaire général, c’est-à-dire quelques personnes qui agissaient sans contrôle. (…) Cette situation, dans laquelle les communes associées portent une part de responsabilité, a permis la création par le seul bureau syndical d’un parc d’expositions et de loisirs, opération d’une toute autre ampleur que les réalisations précédentes du SIVOM, et qui, devait se révéler désastreuse par ses conséquences financières ".

La Cour était particulièrement sévère pour les conditions d’élaboration du projet qui visait au départ à créer une foire commerciale : " le projet a souffert de l’approximation et de l’improvisation qui ont présidé à son élaboration ", " le contenu du projet variait d’ailleurs selon les projets présentés aux différents partenaires sollicités. S’y greffaient des activités annexes dont le lien avec le projet initial n’était pas évident et qui s’est d’ailleurs progressivement relâché " (bar, restaurant, discothèque, complexe nautique, patinoire, centre international de télécommunications et d’informatique,…), " la mise en œuvre du projet a été engagée alors que les études techniques et financières n’étaient pas achevées et que les financements n’étaient pas assurés ". Dès lors, " le coût global des travaux et aménagements – plus de huit millions de francs – a été sans rapport avec les prévisions initiales (3,5 millions de francs). Il équivaut au budget annuel total d’investissement des communes associées ".

Notant en outre que le SIVOM n’avait aucune compétence pour gérer les équipements qu’il réalisait, la Cour relevait que " les décisions du bureau syndical concernant la gestion du parc des expositions et transmises à la préfecture sont donc entachées d’illégalité ; mais elles n’ont pas été déférées au juge administratif. Echappant à tout contrôle, les administrateurs du SIVOM ont fait preuve d’imprévoyance et de légèreté. ". La situation financière du SIVOM n’a alors cessé de se dégrader : en novembre 1991, les dettes dépassaient 17 millions de francs, dont 6,1 millions d’annuités impayées, 4,4 millions aux fournisseurs et au personnel et 6,7 millions d’emprunts contractés pour l’organisation de la foire. Comme le soulignait la Cour, " ce processus est aggravé par la paralysie du fonctionnement administratif du syndicat. Les budgets n’ont plus été votés à compter de 1989. Ceux qui ont été arrêtés par le préfet sur proposition de la Chambre régionale des comptes n’ont pas été exécutés, en raison du refus du conseil syndical d’augmenter les participations communales au SIVOM ". En effet, la majorité des délégués des communes refusent d’endosser la responsabilité du déficit de l’opération dont une seule commune est responsable, en l’occurrence celle d’Olmeta-di-Tuda où est situé le parc.

Saisie de l’absence d’adoption dans les délais légaux du budget du SIVOM pour l’exercice 1991, la Chambre régionale des comptes a recommandé au préfet de mettre en œuvre la procédure de dissolution du syndicat, " seule mesure de nature à permettre de répartir son actif et son passif entre les communes associées. "

Le SIVOM a été dissous par arrêté préfectoral du 17 novembre 1993, jugé légal par un jugement du 4 novembre 1994 du tribunal administratif de Bastia confirmé en appel par le Conseil d’État dans un arrêt du 13 décembre 1996.

Saisi par 12 communes qui étaient membres du SIVOM, le tribunal administratif a condamné, en mai 1997, l’État à payer à chacune des communes un tiers des sommes inscrites d’office à leur budget en règlement du passif du SIVOM, soit une somme supérieure à 4,5 millions de francs. Le tribunal a, en effet, jugé que " l’insuffisance tant du contrôle de légalité des actes du syndicat, que du contrôle budgétaire et l’attentisme qui a caractérisé la conduite de la procédure de dissolution du syndicat comme le montre le délai de deux années employé pour y procéder, alors que la reprise du passif par les communes revêtait un caractère d’urgence, sont constitutifs d’une faute lourde seule susceptible d’engager la responsabilité de l’État en matière de contrôles de légalité et budgétaire. " Mais, le tribunal a aussi reconnu la responsabilité propre des communes membres du syndicat, ce qui explique que l’État n’ait été condamné qu’à payer seulement le tiers de passif : " considérant qu’il incombait au premier chef, aux délégués des communes membres du syndicat d’accomplir pleinement leur mission de suivi et de contrôle des décisions prises par l’exécutif syndical ; que cet examen n’a été accompli que de manière sporadique et isolée ; qu’ainsi des manquements persistants à l’obligation de vigilance incombant aux représentants des communes, dont c’était la mission essentielle, sont également à l’origine des errements qui ont marqué cette gestion irrégulière du SIVOM du Nebbio : que dans ces conditions il sera fait une juste appréciation de la responsabilité encourue tant par le SIVOM, dont le gestion fut désastreuse, que par les communes qui se sont désintéressées de cette gestion, que par l’État qui a laissé faire, en évaluant à un tiers du passif du SIVOM pour chacun d’eux ". L’État a naturellement fait appel de ce jugement.

f) Le SIVOM du Niolo : une accumulation d’irrégularités

Le budget primitif de ce syndicat intercommunal de Haute Corse a été déféré à deux reprises, en 1996 et 1997, à la Chambre régionale des comptes. Les avis de la Chambre ont relevé un certain nombre d’irrégularités qui témoignent d’une gestion pour le moins étonnante.

En 1993, une délibération du conseil syndical décidait la réalisation d’une étude préalable à une opération programmée d’amélioration de l’habitat. Cette délibération était entachée de plusieurs motifs d’irrégularité : son domaine d’intervention excédait le territoire du SIVOM (la contribution des communes concernées n’a été prévue, et encore de manière imprécise, que l’année suivante) et le coût de l’étude n’était pas chiffré, le président du SIVOM n’étant pas ainsi régulièrement autorisé à signer la convention. Le coût de l’étude s’élevait à 262.908 francs ; or, il apparaît que ce coût avait été artificiellement majoré du coût d’une prestation correspondant en réalité à l’activité habituelle de l’agent de développement rémunéré par le SIVOM. Comme l’indique la Chambre, " l’intégration de ce surcoût surévalué dans le devis de l’étude préalable a permis au président du SIVOM d’obtenir des subventions de l’État et de la Collectivité territoriale de Corse supérieures au montant auquel il pouvait légitimement prétendre " (le versement indu s’élevant à plus de 44.000 francs). Le taux de financement de l’étude atteignait ainsi 132,7% alors même que le SIVOM n’a apporté aucune contribution financière propre.

L’avis des 7 et 11 février 1997 a également relevé d’importantes irrégularités qui ont affecté les charges de personnel et ont eu pour conséquence d’accroître anormalement les participations financières demandées aux communes adhérentes : des frais de déplacement ont été pris en charge par le SIVOM alors qu’ils concernaient des organismes extérieurs à lui , poursuivant notamment des activités sportives qui n’entrent pas dans ses compétences ; des vacations ont été mandatées à plusieurs agents souvent non compris dans l’effectif du SIVOM et en l’absence de toute pièce justificative, la nature même de ces vacations n’étant mentionnée ; l’incidence de ces pratiques a été aggravée par la forfaitisation de la rémunération de ces agents, alors qu’elle devrait être calculée en fonction des heures réellement effectuées.

L’avis relate également les conditions de réalisation de deux études relatives à un projet de " centre d’oxygénation pour sportifs de haut niveau ". Une délibération de février 1990 a dégagé un crédit de 300.000 francs censés représenter la part du syndicat nécessaire à l’obtention de financements européens, alors que le coût de l’étude est estimé à 730.000 francs. Dans les faits, l’étude a été réalisée en deux parties, la première portant sur l’opportunité, la seconde concernant la faisabilité. La Chambre relève que l’étude d’opportunité de 300.000 francs a été surfinancée puisqu’elle a été subventionnée à hauteur de 310.000 francs, par la Collectivité territoriale de Corse (225.000 francs), l’État (45.000 francs) et le département de Haute-Corse (40.000 francs).

Constatant que le conseil syndical n’avait pas examiné les conclusions de la première phase de l’étude portant sur l’opportunité du projet, ce qui paraissait pourtant constituer un préalable au lancement de la deuxième phase portant sur la faisabilité, la Chambre estimait nécessaire de porter à la connaissance du conseil syndical certains faits :

– le découpage en deux phases est " artificiel " et a été réalisé en méconnaissance du code des marchés publics : " en réalité, eu égard à l’évaluation qui en a été faite, le président du SIVOM aurait dû recourir à un appel d’offres pour la réalisation de ces études, sur la base d’un cahier des charges des études à réaliser préalablement défini, document qui au demeurant n’existe pas " ;

– l’étude a été confiée, sans mise en concurrence, à l’association pour la promotion du développement de la Corse qui a été créée postérieurement à la première délibération du SIVOM, qui compte parmi ses membres un agent du SIVOM et qui " exerce à titre principal, si ce n’est exclusif, une activité commerciale difficilement compatible avec son statut associatif " ;

– la facture présentée par l’association intègre la rémunération des prestations de cet agent, " qui se voit ainsi rémunéré deux fois : à savoir en sa qualité d’agent du SIVOM d’une part et en sa qualité de prestataire de service membre de l’association d’autre part " ;

– chacune des deux phases des études comportent " un plan général, des parties identiques souvent, parfois au mot près " ;

– certaines annexes de l’étude de faisabilité sont de simples " photocopies de documents réalisées dans des ouvrages appartenant à des tiers et sur lesquels l’association ne dispose manifestement pas de droits ni d’autorisation ".

Suite à cet avis, le conseil syndical a décidé, en mars 1997, de contester l’existence de sa dette à l’égard de l’association qui a réalisé l’étude de faisabilité.

Enfin, en août dernier, le conseil syndical a décidé de consulter les conseils municipaux des cinq communes adhérentes sur la dissolution du SIVOM, la volonté de certaines d’entre elles de quitter le SIVOM tenant à la situation financière de celui-ci.

 

4.– Des violations répétées du droit de l’urbanisme

Comme ailleurs en France, le littoral de la Corse fait l’objet d’appétits qui rendent particulièrement important le respect des règles d’urbanisme et des prescriptions des lois " montagne " et " littoral ", notamment en ce qui concerne la bande des 100 mètres.

La responsabilité de ces manquements au droit de l’urbanisme sont multiples. Au-delà de celle des services de l’État ou des communes régulièrement mises en avant, il convient également de rajouter celle de certains notaires. En effet, ceux-ci sont censés assurer la sécurité juridique des actes authentiques. Ayant le monopole des mutations immobilières, ils interviennent donc dans toutes les ventes. Ainsi, au sujet d’un immeuble construit à San Nicolao dont le permis avait été annulé par le tribunal, le préfet de Haute-Corse avait écrit au président de la Chambre départementale des notaires pour qu’il " porte cette décision de justice à la connaissance d’éventuels acquéreurs de logements compris dans cet ensemble immobilier " ; les logements avaient hélas été déjà tous vendus.

S’agissant de certains contentieux significatifs, la préfecture de la Haute-Corse a, à titre d’exemple, fourni à la commission une liste de dossiers allant d’occupations illégales du domaine public maritime à des constructions sans permis. Cet inventaire, forcément lacunaire, illustre parfaitement la propension à ignorer les contraintes d’urbanisme, les recours dilatoires à la justice et l’incapacité chronique des administrations à faire exécuter les décisions des tribunaux.

Dans cette liste, on note par exemple :

– dans la commune du Poggio-Mezzana (lieu-dit Alba Serena) : un promoteur, M. Paul Semidei, a obtenu un permis de construire en 1981 pour la construction d’un complexe touristique au bord de la mer ; en 1986 et en 1988, les services de la direction départementale de l’équipement dressent une série de procès-verbaux pour non-respect du plan de masse, pour construction au-delà du permis de plusieurs logements ainsi que pour des constructions dans la bande des 100 mètres ; en février 1993, M. Semidei est condamné par le tribunal de grande instance de Bastia à démolir sous astreinte les bâtiments implantés dans la bande des 100 mètres (40 pavillons, deux chapiteaux, une aire de jeux et une tribune avec gradins), ainsi qu’à une amende de 200 francs par mètres carrés réalisés en infraction (soit 13.913 m²) ; ce jugement est annulé en janvier 1994 par la Cour d’appel de Bastia en tant justement qu’elle imposait la démolition des ouvrages édifiés sans permis (l’amende est en outre ramenée à 30 francs par m²) ; après que l’arrêt eût été cassé par la Cour de cassation en mars 1995, justement parce qu’il n’imposait pas la destruction, l’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Montpellier qui, en juin 1996, ordonne sous astreinte la démolition des ouvrages exécutés sans permis de construire en vue de mise en conformité des lieux avec le permis de construire initial, arrêt confirmé par la Cour de cassation en octobre 1997 ; la date limite d’exécution fixée par le jugement (3 mois après qu’il soit devenu définitif) était donc le 16 janvier 1998 ; après plusieurs mises en demeure et constatant qu’aucune démolition n’avait été entamée, le préfet de Haute-Corse a fait procéder à la démolition partielle des chapiteaux par des moyens militaires en mai 1998 ; M. Semidei, présent lors de l’intervention du génie, a alors pris l’engagement de poursuivre lui même la destruction des constructions illégales ;

– dans la commune d’Aléria : un établissement, construit sur le domaine public maritime avec protection en enrochements, est toujours debout malgré une condamnation à démolir (par un jugement de décembre 1995) et une autorisation d’exécuter d’office (par jugement d’octobre 1996) ; il est à noter que l’enrochement est vraisemblablement à l’origine d’une forte érosion qui a fait tomber dans le domaine public les dépendances de trois autres établissements voisins ;

– dans la commune de Belgodère : deux restaurants de plage occupent sans autorisation le domaine public maritime et leurs propriétaires ont été condamnés par le tribunal administratif à remettre les lieux en l’état (jugements respectivement de juin et novembre 1995, confirmés en appel respectivement en février1996 et septembre 1996) ;

– dans la commune de Lucciana : un terrain de camping déclassé en 1989 et fermé pour motif d’hygiène en 1993 (fermeture confirmée par le tribunal administratif en décembre 1997) accueille 173 constructions édifiées en toute illégalité, dont des habitations mobiles progressivement transformées ;

– dans la commune de Linguizetta : un village-vacances pour naturistes reste ouvert malgré une mise en demeure depuis août 1995, dans l’attente d’une décision de justice ;

– dans la commune de Ghisonaccia : un restaurant a été construit sur un terrain soumis à la loi " littoral " sur la base d’un permis de construire non exécutoire car non transmis au contrôle de légalité et, qui plus est, signé par le maire de la commune alors qu’il était incompétent pour le faire puisqu’il est propriétaire du terrain ; détruit par un attentat en 1997, le restaurant a été reconstruit et continue à être exploité ; une procédure judiciaire est en cours ;

– dans la commune de Costa : deux bâtiments ont été construits sans permis en 1994 et un jugement de juillet 1996 a prononçé la démolition sous astreinte de 500 francs par jour de retard ; une lettre du préfet de juin 1998 mettant en demeure d’exécuter le jugement sans délai est revenue en préfecture avec la mention " n’habite plus à l’adresse indiquée " ;

– dans la commune de Corte : une construction en bois à usage commercial a été construite sans permis dans un site classé ; un jugement de décembre 1996 a ordonné la destruction sous astreinte de 1.000 francs par jour de retard, jugement confirmé en appel en juillet 1997, le contrevenant se pourvoyant en cassation ; il s’agit d’ailleurs d’un récidiviste puisqu’à l’occasion d’un contentieux précédent et de même nature, il avait pu jouir d’une construction illégale jusqu’à la confirmation rendue par la Cour de cassation d’avoir à démolir et à payer l’astreinte, qui n’a d’ailleurs pas été encore recouvrée ;

– dans les communes de Furiani et Biguglia : les terrains d’un lotissement ont été vendus alors que les prescriptions de l’autorisation de lotir n’ont pas été respectées ; d’abord relaxé en première instance en février 1992, le lotisseur a été condamné en appel à une amende de 8.000 francs et à remettre le lotissement en conformité dans un délai de 18 mois sous astreinte de 500 francs par jour de retard, jugement confirmé en cassation en septembre 1993 ; le préfet n’a saisi qu’en juin 1998 le maire pour qu’il fasse effectuer les travaux d’office aux frais et risques du lotisseur et le comptable public pour qu’il recouvre l’astreinte.

De tels exemples pourraient encore être multipliés. Mais, il n’est pas inutile de terminer sur le dossier dit des " bergeries de Calvi " qui constitue un scandaleux feuilleton urbanistique et judiciaire.

En 1985, un ensemble immobilier (7 bâtiments d’une surface habitable totale de 1.300 m²) a été construit en 1985 dans une zone non constructible du plan d’occupation des sols et, évidemment, sans permis. Ces constructions ont fait l’objet de verbalisations par les services de l’urbanisme et la gendarmerie, d’un arrêté interruptif des travaux signé par le maire de Calvi et d’un refus d’un permis de régularisation.

Le contrevenant, M. Mathieu Costa, locataire du terrain, a été condamné à 20.000 francs d’amende et à démolir les constructions en juin 1990, jugement confirmé en appel en mars 1991. Une mise en demeure d’avoir à exécuter le jugement étant restée sans résultat, le préfet a engagé la mise en œuvre de la procédure de démolition d’office. Mais, ayant appris que le bail avait été résilié depuis juin 1988 (le jugement n’ayant été publié à la conservation des hypothèques qu’en septembre 1991), le préfet s'est retourné vers les propriétaires du terrain - M. et Mme Antoine Donsimoni, huissier de justice et son épouse, résidant à Paris – en les informant, en novembre 1991, de son intention de procéder à la destruction des constructions. Devant la résistance des intéressés et les difficultés d’exécution (certains des bâtiments sont occupés), l’État a saisi le juge des référés, qui a fait droit à sa requête. La décision du juge des référés a naturellement fait l’objet d’un appel. Mais, la procédure a été hypothéquée par l’existence d’un pourvoi en cassation de M. Costa contre l’arrêt de la cour d’appel de mars 1991. Ce pourvoi avait d’ailleurs mis en échec une deuxième tentative de démolition engagée par le préfet. La Cour de cassation a, en novembre 1992, retenu le vice de forme invoqué par M. Costa, cassé l’arrêt de la cour d’appel de mars 1991 et renvoyé à la cour d’appel d’Aix en Provence.

Dès réception de la décision de cassation, le parquet général d’Aix a été saisi pour inscrire l’affaire dans les plus brefs délais. Trois arrêts successifs - en juin 1993, janvier 1994 et février 1995 - ont été nécessaires pour mettre un terme à l’action pénale. Les divers rebondissements ont tenu à l’attitude du propriétaire qui a multiplié les procédures dans le but de retarder les décisions de démolition prononcées par les juges : les pourvois en cassation formés contre les deux derniers arrêts de la cour d’appel d’Aix en Provence ont été rejetés en mai 1996.

Mais en marge de ces diverses actions, M. Donsimoni a saisi le tribunal administratif pour faire annuler la lettre du préfet de novembre 1991. En mai 1997, le tribunal administratif annule la lettre préfectorale. L’État fait appel.

En résumé :

– il apparaît que le contentieux pénal est terminé : l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence de février 1995 est devenu définitif en mai 1996 après le rejet du pourvoi en cassation : il condamne M. Costa à une amende (3,5 millions de francs, dont 2 avec sursis) et à démolir les bâtiments illégalement construits dans les six mois qui suivent la date à laquelle le jugement est devenu définitif, soit avant la fin novembre 1996 ;

– par contre, la contentieux civil reste pendant puisque l’arrêt de la cour d’appel de Bastia de novembre 1996, confirmant l’ordonnance de référé de janvier 1992 et constatant le caractère définitif de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence, a fait l’objet d’un pourvoi en cassation ;

– il en va de même pour le contentieux administratif en raison de l’appel formé par l’État contre l’arrêt du tribunal administratif de Bastia de mai 1997.

Les services de l’équipement recommandent dès lors d’attendre les décisions de la Cour de cassation et de la Cour administrative d’appel.

En ce domaine particulièrement sensible de l’urbanisme, la commission d’enquête a ainsi pu constater que le comportement des contrevenants, procéduriers particulièrement expérimentés et imaginatifs, aboutissait à retarder l’application pleine et entière de règles protectrices de l’environnement. L’effet sur l’opinion publique est désastreux puisque les constructions illégales sont toujours debout et apparaissent ainsi comme de véritables provocations.

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B.– Le non-paiement des dettes : une pratique très répandue

 

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