S O M M A I R E
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II. Des
dérives préoccupantes : du laxisme à la fraude *
A. De multiples dysfonctionnements et manquements à la légalité :
quelques études de cas *
1. Des
outils de financement de léconomie défectueux *
a) La CADEC : une société de développement au bord de la
liquidation *
· La détérioration des comptes *
· 1994 : une année charnière *
· Aux origines du désastre financier *
· La difficile activité de
recouvrement des créances dans le contexte insulaire *
· Le cas troublant de lhôtel
" le Miramar " *
· Vers une nouvelle
recapitalisation : les incertitudes actuelles *
b) La caisse régionale de Crédit agricole : un mécanisme de
" cavalerie " très coûteux pour les finances publiques *
· Le premier établissement bancaire
de lîle et le plus important distributeur de crédits bancaires *
· Un " système "
de prêts aux agriculteurs bien rodé *
· De grandes difficultés financières
qui ont conduit à lintervention de la caisse centrale *
· Un climat tendu et la gestion
délicate des risques bancaires *
· Les interrogations de la commission
denquête *
· Le comportement de la caisse
nationale : entre négligence, inattention et volonté de couvrir les errements de la
caisse régionale *
2. Des
dérives dans le secteur social et de la santé *
a) Lhôpital de Bonifacio : errements cumulés et
responsabilités partagées *
· Une situation financière
durablement et fortement déficitaire *
· A lorigine des dérives *
· Les enquêtes se suivent et ne se
ressemblent pas .... *
· Les quatre niveaux de
responsabilités *
b) Les centres hospitaliers de Bastia et dAjaccio :
deux gestions incertaines *
· Un état des lieux globalement
inquiétant *
· La dégradation budgétaire du
centre hospitalier de Bastia *
· La mauvaise maîtrise de la
situation du centre hospitalier dAjaccio *
c) La caisse de Mutualité sociale agricole de Corse : une
absence de rigueur avérée *
· Lévident désordre dans les
règles daffiliation *
· Les vérifications effectuées par
la caisse à partir de 1993 *
· Des anomalies inquiétantes dans les
dossiers individuels examinés *
· Linexorable dégradation des
comptes *
d) La difficile remise à flot des deux offices publics
dHLM *
· Loffice de la
Haute-Corse : une situation difficile qui nest pas nouvelle *
· Loffice de la
Corse-du-Sud : des points faibles et quelques signes encourageants *
3. La gestion chaotique de certaines
collectivités locales *
a) Ajaccio : une " fuite en avant "
catastrophique *
· Une ville sous la vigilance de ses
créanciers *
· Un budget grevé par un personnel
pléthorique *
· Une ville très endettée *
· Des opérations hasardeuses *
· Un budget pour 1998 insincère *
b) Laffaire du port de Propriano *
· Des projets initiaux ambitieux *
· Les réactions de lentreprise
Bouygues Offshore *
· Les éléments troublants *
c) Conca : " une situation financière
dégradée " *
d) Santa Maria Poghju : les conséquences dune
décision irréfléchie *
e) Le SIVOM du Nebbio : les dérives dun projet
démesuré *
f) Le SIVOM du Niolo : une accumulation
dirrégularités *
4. Des violations répétées du droit de
lurbanisme *
II. Des dérives
préoccupantes : du laxisme à la fraude
Depuis quelques mois, et surtout quelques semaines, les
révélations relatives à certains dossiers, certains comportements ou certains faits se
multiplient au rythme des missions dinspection et des enquêtes judiciaires.
Les dérives mises au jour nont ni la même importance ni la
même gravité. Surtout, elles ne sont pas de nature semblable. Si certaines peuvent
recevoir des qualifications pénales ou constituer des comportements frauduleux,
dautres relèvent davantage de la mauvaise gestion.
La commission denquête a dabord vu son attention appelée
par de multiples cas précis de dysfonctionnements majeurs et de manquements à la
légalité. Au-delà de la situation catastrophique des deux principales institutions
financières de lîle la caisse de développement de la Corse (CADEC) et la
caisse régionale de Crédit agricole , les dérives constatées dans certaines
institutions intervenant dans le secteur social et sanitaire ou dans plusieurs
collectivités locales sont particulièrement préoccupantes. Par ailleurs, dans une île
comme la Corse, les multiples violations du droit de lurbanisme revêtent une
importance particulière.
La commission a ensuite eu la confirmation de lexistence
dune pratique très répandue dans la société et léconomie corses, à
savoir le non-paiement des dettes. Cette pratique, particulièrement marquée dans le
monde agricole, est à lorigine dun enchaînement pervers qui fragilise
lensemble de léconomie insulaire.
Enfin, la fraude apparaît comme un phénomène multiforme. A un
comportement fiscal peu exemplaire sajoutent, en effet, de forts soupçons
dabus pour certaines allocations à caractère social et lexistence possible
de détournements des aides communautaires.
A. De multiples dysfonctionnements et manquements à la
légalité : quelques études de cas
Létude précise de dossiers particuliers a permis à
la commission denquête de mettre en évidence des mécanismes présentant un
certain nombre de caractéristiques communes. Il est important de souligner que ces
dossiers nont pas été choisis pour mettre en cause telle ou telle personnalité.
Lactualité en a placé certains sur la place publique, dautres, plus anciens,
revêtent un caractère exemplaire.
Ces études de cas ne sauraient également être exhaustives. Il est à
craindre, malheureusement, que dautres dossiers napparaissent dans les
prochains mois. Le fait de nêtre pas évoqué dans ce rapport ne saurait être
interprété comme un quelconque blanc-seing ou quitus donné par la commission. Le temps
qui lui était imparti ne pouvait lui permettre de réaliser en six mois, ce que plusieurs
dizaines dinspections ou de contrôles sont susceptibles de faire dans une période
plus longue.
Les cas de mauvaise de gestion, de manque de rigueur, de prises de
risques inconsidérés sont pléthore. Ils peuvent être identifiés aussi bien dans une
institution financière comme la CADEC, que dans les centres hospitaliers des deux plus
grandes villes de lîle ou dans une petite commune.
Illustration du non-paiement des dettes, la plupart des organismes
étudiés ici sont confrontés au difficile recouvrement de leurs créances, même si
parfois leur volonté réelle et leur opiniâtreté peuvent être mises en doute.
Plus grave, certains dossiers font apparaître des comportements
frauduleux et délictueux. Le dossier de la caisse régionale de Crédit agricole est, à
cet égard, particulièrement symptomatique de la " dérive " qui a
entraîné la Corse. Mais ce nest pas le seul et dautres dossiers font
lobjet dune information judiciaire ou, pour le moment, dune simple
enquête préliminaire. Même si elle nétait pas totalement inédite, létude
de la situation de la CADEC a également permis à la commission dapprofondir un
dossier particulièrement troublant, mettant en cause une figure notoire du grand
banditisme insulaire.
1. Des outils de
financement de léconomie défectueux
Tant la CADEC (caisse de développement de la Corse) que la
caisse régionale de Crédit agricole connaissent aujourdhui, pour des raisons et
des montants différents, des situations alarmantes. Ces deux outils essentiels du
financement de léconomie enregistrent chacun des résultats financiers désastreux
qui traduisent plusieurs années de gestion aléatoire et de laxisme inquiétant dans le
recouvrement des créances. Comment en est-on arrivé à ce point de
dégradation comptable et financière ?
a) La CADEC : une société de développement au bord de la
liquidation
Institution financière spécialisée créée en 1982,
bénéficiant du statut de société de développement régional (SDR), la CADEC a été
établie dans le cadre des lois de décentralisation et du premier statut particulier de
la Corse. La Corse na donc pas été dotée de société de développement
régional, mais de cet outil spécifique, pour contribuer au financement de son économie.
LÉtat, qui est actionnaire, en a initié la création. La Collectivité
territoriale de Corse est entrée dans le capital. Aujourdhui, force est de
constater que les relations entre ces deux actionnaires sont devenues conflictuelles alors
que les négociations en vue dune prochaine recapitalisation de la caisse semblent
bloquées et se heurtent au refus de la Collectivité territoriale de Corse.
La caisse était censée apporter et créer de la valeur ajoutée en
Corse. Cest au sein du " comité dengagement " que
devaient se prendre les décisions dattribution de prêts jusquen 1994-1995,
période à partir de laquelle la caisse a dû interrompre ses activités prêteuses.
La CADEC est, aux termes de larticle 2 de ses statuts, un
organisme privilégié pour le développement de la Corse ayant pour objet :
" - létude de tout projet de création,
dextension et de transformation dentreprises en Corse (...)
le financement des entreprises en Corse sous forme de prises de
participation au capital, de souscriptions dobligations convertibles en actions, de
prêts participatifs, de prêts à long terme, de cautions et davals dans le cadre
des crédits avalisés par le Crédit déquipement des petites et moyennes
entreprises ;
le financement des associations sous forme de prêts à
long terme ;
la réalisation de toutes opérations dachat, de
vente, déchange, de souscriptions de valeurs moblières, résultant de ces
interventions. (
) Pour la réalisation de son objet social, la société peut
effectuer toutes opérations immobilières et créer des filiales. Elle peut également
détenir des participations dans des sociétés dont lactivité est de nature à
faciliter la réalisation de lobjet social.(...) "
Notons que la caisse et sa filiale Corsabail, dont 35 % du
capital est détenu par la CADEC, sont considérées comme formant un groupe.
· La détérioration des comptes
Progressivement, la situation financière de la caisse a
connu une dégradation qui atteint un niveau si préoccupant quune recapitalisation
dut être décidée en 1995. Il est vrai que la tâche de la caisse nest pas
aisée. Elle doit sans cesse concilier une mission dintérêt public et une
contrainte déquilibre financier. Elle a la charge de soutenir des initiatives
sinscrivant dans laide au développement économique de la Corse tout en
sassurant dune marge et / ou de garanties suffisantes pour couvrir
le risque auquel elle sexpose. La rentabilité de létablissement dépend
largement de variables qui lui échappent : la marge quelle réalise sur ses prêts
et lévolution du taux dimpayés sur ses créances.
Cependant, cette aggravation des comptes, qui sest accélérée
depuis 1993, dépasse ce type dexplications. La caisse se trouve aujourdhui
dans lincapacité de recouvrer des créances pour un montant supérieur à un
milliard de francs. Daprès les informations fournies à la commission par les
responsables de la caisse :
au 31 décembre 1997, les encours totaux représentaient
919.474.000 francs.
sur les 920 millions de francs de créances, 221
millions de francs correspondaient à des créances contentieuses, 401 à des
créances douteuses, et 296 étaient des encours sains.
Létablissement, qui présente des bilans négatifs depuis cinq
ans, fait lobjet de polémiques dans lîle. Au cours de la dernière
campagne électorale, M. Max Simeoni, tête de liste pour lUnion pour le peuple
corse (UPC), a ainsi dénoncé le scandale de la CADEC quil présentait comme le
" Crédit lyonnais de la Corse ". Dans un rapport denquête de
lInspection générale des finances de juin 1995 sur la situation financière de la
CADEC, on estimait déjà quen trois exercices, la part des créances douteuses de
la caisse dans le total de son encours de crédit avait été multipliée par 1,84,
passant de 17,8 % en 1992 à 30,1 % en 1994.
· 1994 : une année charnière
Cest le 1er juillet 1994 que le
président actuel, M. Noël Pantalacci, fut nommé en remplacement de
M. Squercioni, lequel fut à la tête de lorganisme de sa création en 1982 à
cette date. Lentrée en fonction de M. Pantalacci coïncida avec un certain
nombre daudits. La commission bancaire avait déjà déclenché une mission
dinspection. Une mission de lInspection générale des finances suivit.
Les fonds propres étant devenus négatifs en 1994, le nouveau
président décida dinterrompre immédiatement les activités prêteuses de la
caisse. La CADEC tenta alors de sengager dans une action forte de recouvrement des
créances. Les dirigeants de la caisse disent aujourdhui avoir voulu
" sauver loutil ", avec laccord des ministres des finances.
En 1994, lencours total se montait à environ 1,1 milliard. La
caisse représente aujourdhui environ le quart des encours de crédit à moyen terme
de lîle (il y a environ 4 milliards de francs de crédits à moyen et long
terme. En parts de marché, le Crédit agricole représente presque 50 %. Le reste,
soit 25 %, est porté par lensemble des autres banques). Lexamen de
lévolution du total bilan de la caisse avant 1994 montre une forte progression du
montant des encours, due notamment au fait que les dossiers hôteliers se sont accumulés
à cette époque. A partir des années 1989-1990, après le départ du Crédit
hôtelier de lîle, la CADEC a, en effet, financé au moins trente à trente-cinq
hôtels. Actuellement, avec 300 millions, le volume tourisme représente environ un tiers
de lencours total de la caisse.
Même après une augmentation de capital de 32 millions
de francs intervenue en 1994, portant celui-ci à 91 millions, la caisse nest
pas parvenue à redresser la situation. La situation sest dégradée
entre-temps pour deux raisons principales selon les responsables de la CADEC : dune
part, la caisse na plus développé aucune activité prêteuse - elle était
" au point mort " - et dautre part, lactivité
économique na pas redémarré dans lîle. Dans la mesure où la situation
économique de la Corse ne sest pas améliorée et compte tenu des délais de mise
en place de la recapitalisation, décidée dans son principe en 1995, votée en 1996 et
mise en place en 1997, des pertes se sont cumulées au fil du temps. La caisse pourrait
dailleurs se trouver prochainement en situation de cessation de paiement.
· Aux origines du désastre
financier
Leffondrement financier de la CADEC était, selon
certains observateurs, prévisible et dailleurs annoncé. Aux cours de ses
premières années dexistence, la CADEC prit en effet des initiatives nombreuses qui
se révélèrent catastrophiques dans un certain nombre de secteurs.
On peut sinterroger aujourdhui sur les motivations qui
conduisirent la CADEC à accorder des prêts sans rigueur ni contrôle réel à
différents secteurs de léconomie dans les années 80 et au début des années 90,
et notamment pourquoi 300 millions de prêts ont été consentis aux entreprises
hôtelières et dans le domaine du tourisme. La disparition du Crédit hôtelier, devenu
Crédit déquipement des petites et moyennes entreprises, conduisit la CADEC à
sengager fortement en substitution dans le domaine de lhôtellerie. Les
difficultés de ce secteur étaient connues. De plus, la dépréciation de la lire
italienne contribua à la baisse de fréquentation touristique enregistrée en 1993, 1994
en 1995.
Une idée répandue dans les années 80 consistait à préconiser
lindustrialisation de la Corse en en valorisant les ressources naturelles. La CADEC
prit ainsi des initiatives dans lindustrie, notamment dans lindustrie de la
pierre le granit est le plus gros sinistre de la caisse et dans
laquaculture.
M. Noël Pantalacci, auditionné le 26 mars 1997 par la mission
dinformation sur la Corse, est revenu sur ces deux points :
" Sagissant de lindustrie de la pierre, jai pu constater que
la situation dimpayés, persistante depuis plusieurs années, et les conditions dans
lesquelles se faisait lexploitation des carrières, conduisaient nécessairement au
dépôt de bilan des entreprises. Jai donc provisionné la totalité de mes concours
à lindustrie de la pierre, ce qui sest traduit par une perte de 60 millions
de francs. (...)
En ce qui concerne laquaculture, je viens simplement
dobtenir les éléments et je puis vous dire que laquaculture corse est en
cessation de paiement. (...) Je suis obligé de tenir compte de cette situation dans les
comptes de 1996 et je vais donc devoir provisionner pratiquement 90 % de mes concours
dans le secteur aquacole. (...)
En 1993, nous avons tenté un plan de redressement pour la pierre qui a
coûté 20 millions de francs et qui a essentiellement servi à payer les dettes
fiscales et sociales sans entraîner la reprise dune activité rentable. En
revanche, en ce qui concerne laquaculture, nous navions pas les éléments
dont nous disposons actuellement. Nous ne savions pas encore si le coût de production
était inférieur ou supérieur au prix de la vente. Nous savons maintenant que le coût
de production de laquaculture corse est très supérieur au prix de vente sur le
marché international. "
Tels sont les principaux facteurs à lorigine de la crise
financière sans précédent de la CADEC.
· La difficile activité de
recouvrement des créances dans le contexte insulaire
Selon les renseignements fournis à la commission
denquête, les actions de recouvrement seffectueraient depuis peu avec une
vigueur et une détermination qui nétaient pas présentes auparavant. Lors du
premier trimestre 1998, la caisse aurait ainsi recouvré 20 millions de francs
(contre 12,8 millions de francs pour lannée 1997).
Quelques dossiers
marquants de créances impayées
Au cours de ses travaux, la commission a demandé des
informations concernant quelques affaires illustrant léchec de la politique de
prêts aux entreprises hôtelières. Les quatre dossiers figurant ci-dessous apparaissent
aujourdhui parmi les plus lourds financièrement pour la caisse.
montants au 31 décembre 1995
(en francs)
|
PRINCIPAL |
ARRIERES |
TOTAL |
Castell Verde |
27.693.532 |
8.941.292 |
36.634.824 |
Castell Mare |
13.726.476 |
5.508.255 |
19.234.734 |
Santa Giulia |
12.392.666 |
3.692.022 |
16.084.688 |
Moby Dick |
10.408.993 |
4.224.227 |
14.633.220 |
TOTAL |
64.221.670 |
22.365.796 |
86.587.466 |
montants au 31 decembre 1997
(en francs)
|
PRINCIPAL |
ARRIERE |
TOTAL |
Castell Verde |
24. 920.791 |
17.777.996 |
42.698.787 |
Castell Mare |
12.966.229 |
9.514.259 |
22.480.488 |
Santa Giulia |
11.531.135 |
7.384.044 |
18.915.179 |
Moby Dick |
8.466.922 |
8.448.455 |
16.915.377 |
TOTAL |
57.885.077 |
43.124.754 |
101.009.831 |
Nota Bene : à propos du groupe Castell Verde
Les dossiers de plus de 10 à 15 millions de francs sont
une cinquantaine ; les autres sont des dossiers de commerce. Les plus importants
concernent les hôtels, dont celui de Castell Verde, un groupe composé de quatre
entrepreneurs corses. Il sagit de lun des plus gros dossiers de la CADEC, qui
a financé dans les années 1989-90 en crédit-bail, plusieurs sociétés pour un montant
total de 60 millions de francs initialement. Ce complexe hôtelier est situé au sud
de Porto-Vecchio sur la baie de Santa Giulia. Il doit être signalé car la CADEC se
trouve en première ligne : elle joue à la fois le rôle de crédit-bailleur, de prêteur
et dassocié. Les propriétaires sétant rapidement mis en impayés, les
créances se sont accumulées. Ils ont récemment proposé de payer une partie seulement
de leurs dettes. Au moment de la rédaction de ce rapport, lacceptation du plan
restait apparemment subordonné à laccord du ministère des finances.
De la difficulté
dobtenir le paiement de certaines créances
Il a été dit devant la commission denquête que
certains dossiers nécessitant le concours de la force publique étaient restés en
suspens, car ni la gendarmerie ni la police navaient consenti à faire expulser
certains débiteurs.
Un responsable de la CADEC a expliqué : " La force
publique nous a été refusée à deux reprises. (...)
Jévoquerai un dossier, pour montrer dans quel état de
décomposition se trouvait le système administratif et la société corse dans son
ensemble. Nous avions octroyé un crédit-bail à un carrier. Comme je vous lai dit,
la pierre nous a coûté très cher. (...) Ce carrier ne paie pas. Sagissant
dun crédit-bail, le bâtiment nous appartient. Nous procédons à la résolution du
crédit-bail. Comme il reste dans les lieux, nous le rencontrons pour lui demander de
partir. Il lanterne, fait venir des amis, etc. Un beau matin, on saperçoit que les
locataires ont changé. Ils ont été remplacés par les membres dune association de
maraîchers. Le précédent locataire leur avait dit quil était chez lui et
quils pouvaient sinstaller. Nous nous retrouvons avec des gens avec lesquels
nous navons aucun lien juridique. Nous leur demandons de partir. Ils refusent. Je
vais trouver le préfet de Haute-Corse pour lui demander de procéder à leur expulsion.
Il me répond : " Ces sont des maraîchers, des agriculteurs qui
travaillent ". Je lui fais observer quils ne paient pas de loyer,
quils occupent les lieux sans titre et je lui demande de leur proposer au moins de
reprendre le crédit-bail. Cela traîne. Je fais un procès pour demander à lÉtat
de payer les loyers qui nous sont dus. Savez-vous comment cela sest
terminé ? Cette association de maraîchers a reçu des subventions de la direction
départementale de lagriculture et de lODARC grâce auxquelles elle a racheté
le bâtiment. " (...)
" Parfois, avec un bail classique, vous allez à la barre du
tribunal pour faire racheter le bien - procédure fort longue, comportant toujours des
délais importants - mais loccupant reste dans les lieux, parce quil
ny a pas dacquéreur. Personne nachète. Il ny a pas de marché.
Vous vous retrouvez avec quelquun qui, de client, est devenu
" squatter ". Vous le laissez, non seulement parce que vous ne pouvez
pas lexpulser, mais aussi parce que, dans cet établissement exploité sans droits
ni titre, il répare les tuyaux, le toit... On essaie ensuite de régulariser comme on
peut, parce que le marché nexiste pas. "
Les menaces et les pressions à
lencontre des responsables de la caisse
Deux témoins se sont exprimés dans les termes suivants
devant la commission denquête :
Lun : " Je parcours la Corse depuis plus de
trente ans. Je suis dorigine paysanne. En Corse, nous avons un certain code de
valeurs qui sont ce quelles sont. Je nen ferai pas état ici.
On vous appelle, en présence de votre collègue du Crédit local de
Corse, haut-parleur branché : " - Vous allez vendre ma maison ? - Oui, je vais
vendre votre maison. - Si vous vendez ma maison, vous naurez plus loccasion
den vendre une autre. " Cest courant. Cela ne mémeut plus.
Très honnêtement, cela ne me fait pas peur.
Quelquun est venu me voir, récemment, et ma dit :
" Je suis la nièce de telle personne ". La personne en question est
un mafieux notoire. Ce type de menaces est permanent.
On nest jamais venu me secouer dans mon bureau une seule fois,
mais ce type de menaces est assez désagréable et peut empêcher des personnes
dagir. Je vous dis très solennellement que cela ne mempêche pas
dagir. "
Un autre : " Cela nempêche pas
dagir, mais il a des enfants, jai des enfants. "
Le premier : " Jai doublé mon capital
dassurance-vie ! "
Lautre : " Nous ne sommes pas menacés de
mort en permanence, mais nous ignorons ce qui peut nous arriver. On se dit toujours :
" Si je saisis sa maison, je ne sais pas à qui jai affaire ".
Et un soir en rentrant chez vous, vous pouvez recevoir un coup de fusil. "
*
* *
Un témoin : " Quand il y avait les dossiers de
Porto-Vecchio, Jean-Paul de Rocca-Serra était là ; quand il y avait les dossiers de
Bastia, Paul Natali était là. Quel homme politique appelé par un de ses électeurs et
chef dentreprise na pas demandé à un membre du conseil dadministration
de la CADEC de dire la bonne parole ? Cest le système de décision, tel
quil a été conçu. Cétait comme ça... "
Un autre : " La CADEC a huit cents clients. Nous
avons sûrement prêté à des nationalistes, sûrement à des gaullistes, sûrement à
des centristes. Nous avons prêté à tout le monde. Si vous regardez les noms des
dirigeants de ces entreprises, vous y trouverez des gens dont on sait en Corse quils
sont ceci ou cela. (...) On trouve des nationalistes dans des dossiers. Que la caisse ait
servi dinstrument de refinancement de groupes mafieux ou nationalistes,
personnellement, je ny crois pas. "
· Le cas troublant de lhôtel
" le Miramar "
Lhôtel " Le Miramar " est
situé à lentrée de la commune de Propriano. Il était géré par la société Le
Miramar, inscrite au registre du commerce en 1965. En novembre 1989, la société est
rachetée par Mme Arlette Albertini, épouse de M. Jean-Jérôme Colonna. Un témoin
entendu par le rapporteur a dailleurs émis des doutes sur le caractère spontané
de la vente par les anciens propriétaires
Cet achat a été réalisé grâce à deux prêts accordés par la
CADEC, le premier à la société Le Miramar dun montant de 2,5 millions
de francs en novembre 1989 et le second à une SARL, lUnion proprianaise de
participation et dinvestissements (UPPI), dun même montant.
Le soutien de la CADEC sest poursuivi au cours des années
suivantes puisquelle a accordé à la société Le Miramar deux autres
prêts, lun de 1,8 million de francs en janvier 1991 et lautre de 1,2
million de francs en avril 1991.
La société Le Miramar ne sest pas montrée empressée à
respecter ses obligations :
- pour le premier prêt, le premier impayé a été constaté en mai 1991; ce prêt est
échu après sommation en date du 5 décembre 1991 et déchéance du terme acquise le 14
décembre ; à cette date, les arriérés sélevaient à
304.518,27 francs, le capital restant dû à 2.366.901,14 francs, les intérêts
de retard pour la période du 14 décembre 1991 au 25 octobre 1995 à
1.509.851,11 francs, soit une dette globale de 4.181.270,52 francs ;
- pour le second prêt, les impayés sont constatés dès la première échéance en avril
1991 ; ce prêt est également échu après sommation en date du 5 décembre 1991 et
déchéance du terme acquise le 14 décembre 1991 ; à cette date, les arriérés
sélevaient à 173.490, 05 francs, le capital restant dû à 1,8 million
de francs et les intérêts de retard pour la période du 14 décembre 1991 au 25
octobre 1995 à 1.222.272,68 francs, soit une dette totale de
3.195.762,73 francs à cette même date ;
- pour le dernier prêt, le premier impayé a été également constaté à la première
échéance en juillet 1991 ; ainsi au 25 octobre 1995, la dette globale
sélevait, intérêts de retard compris, à 2.046.661,27 francs.
Ainsi donc, la dette globale de la société Le Miramar
vis-à-vis de la CADEC sélevait-elle à 9.423.694,52 francs au 25 octobre
1995.
Il en va de même pour lUPPI. Le premier impayé est
intervenu en novembre 1991. Ce prêt est échu après sommation et déchéance du terme
acquise le 13 décembre Au moment de celle-ci, la dette à légard de la CADEC
sélevait à 2.669.175,89 francs.
Au total donc, la CADEC possède une créance relative à
lhôtel dun montant total de 12.092.870,41 francs. Il napparaît
pas quelle se soit engagée dans une action très vigoureuse pour la recouvrer.
Au cours de toute cette période, la gérance de
létablissement a connu des variations. Daprès le registre du commerce,
lhôtel a été donné en location-gérance à la Société dexploitation
du grand hôtel Miramar entre le 1er novembre 1990 et le 31 octobre
1992 . Le fonds semble alors exploité par la société le Miramar elle-même
jusquen mai 1993, date à laquelle la location-gérance est donnée à la SARL Gestion
hôtelière du grand hôtel de Cala Rossa jusquà la fin du mois de mars
1994. Lactivité de débit de boissons et de restaurant a ensuite été
donnée en location gérance à Mme Gisèle Santoni, épouse Lovichi, entre le 2 mai
1994 et le 1er janvier 1995, la gestion de lhôtel restant visiblement
sous la responsabilité de la société Le Miramar.
Daprès les informations fournies par la CADEC elle-même,
" devant limpossibilité, locale (sic), de recouvrement, malgré
les engagements pris et non respectés relatifs à une location gérance de lhôtel,
afin de la maintenir à un niveau dentretien correct, pour un loyer de
700.000 francs lan, il ny avait dautre solution que dengager
la vente judiciaire de cet établissement. "
Le cahier des charges de cette vente sur saisie immobilière a été
déposé au greffe du tribunal de grande instance dAjaccio le 21 décembre 1995 et
la vente a eu lieu le 7 mars 1996 à la bougie, létablissement étant mis à prix 3
millions de francs.
Lavocat de la CADEC a été le seul à faire une offre pour
3.001.000 francs. La caisse a donc été déclarée adjudicataire et a dû supporter
lensemble des frais inhérents à ce type de procédure (10.885,94 francs).
La CADEC, propriétaire de lhôtel, a alors autorisé, par
simple lettre, Mme Colonna à rester dans les lieux et à poursuivre lexploitation
de létablissement jusquà la fin de la saison touristique. La situation est
ensuite restée en létat jusquà la vente de lhôtel. Daprès les
informations recueillies par la commission denquête, la caisse naurait perçu
de la gérante ni loyer ni tout ou partie des éventuels bénéfices de
lexploitation.
En juin 1996, une société civile immobilière Punta Mare a
fait une offre dachat de 3 millions de francs : un acompte de
300.000 francs a été versé en juillet 1996 et le solde la été lors de la
signature de lacte de vente de lhôtel le 17 avril 1997. Le jour même,
M. Philippe Farinelli cédait la totalité de ses parts dans la société Punta
Mare à M. Jérôme-Henri-Robert Feliciaggi, maire de Pila-Canale, pour la somme de
153.000 francs, soit son apport initial. M. Philippe Farinelli est resté
gérant extérieur de la société, dont il ne possède donc aucune part, société qui
na par ailleurs déclaré aucune activité au tribunal de commerce dAjaccio.
Daprès des informations reçues par la commission
denquête, M. Jean-Jérôme Colonna et sa famille seraient restés à la tête
de lhôtel " Le Miramar ". Il y a dailleurs organisé,
le 30 août 1997, une grande réception à loccasion du mariage de sa fille.
Lhôtel serait aujourdhui exploité par la société de
gestion hôtelière de Valenco. Celle-ci serait liée par un bail avec la société Punta
Mare. Par contre, le fonds serait toujours détenu par la société Le Miramar
qui, pourtant, a cédé à la société de gestion immobilière le matériel et les stocks
de lhôtel. Aujourdhui, la société Le Miramar naurait plus
comme activité que la location de la licence de débit de boissons, quelle loue
dailleurs à la société de gestion immobilière.
Dès lors, la commission denquête sinterroge sur la
facilité déconcertante avec laquelle la CADEC renonce à une créance on la vu
très importante. Les deux sociétés, Le Miramar et UPPI, sont pourtant
toujours inscrites au registre du commerce, ne se sont jamais déclarées en cessation des
paiements et ne font lobjet daucune procédure collective. Notons
quelles ne font pas preuve dun zèle particulier pour satisfaire aux
obligations légales de dépôt de leurs comptes : ce nest quen 1996
quelles ont déposé les comptes des exercices 1990 à 1994. Depuis, malgré
plusieurs relances du greffe du tribunal de commerce, aucun compte relatif aux exercices
postérieurs na été déposé.
Interrogé par les services fiscaux, le président de la caisse
jugeait, en juillet dernier, que le dossier " peut être considéré dans nos
écritures comme soldé ". En effet, il indiquait que le produit de la vente
de lhôtel et les provisions constituées sur ces créances permettaient de ne pas
pousser plus loin laction en recouvrement de son établissement.
On permettra à la commission denquête de ne pas partager cette
désinvolture manifestée par le président dun établissement qui a bénéficié
dune recapitalisation sur fonds publics.
Même si de nouveaux développements relatifs à lexploitation de
lhôtel ont pu intervenir récemment, ce dossier soulève à lévidence
plusieurs préoccupations concernant la période passée, quil appartient à
laction judiciaire déclairer :
- lattitude des dirigeants de la CADEC ne constitue-t-elle pas une suite
dactes de gestion anormaux ? Certains dentre-eux ne pourraient-ils pas
recevoir une qualification pénale ?
- pourquoi les dirigeants de la CADEC nont-ils pas fait jouer les cautions
solidaires existant pour les deux prêts accordés en 1991 à la société Le Miramar ?
- la gestion de la famille Colonna, outre quelle pourrait constituer une complicité
ou un recel de ces éventuelles infractions, est-elle conforme aux règles commerciales et
fiscales ?
- ainsi, quel est le cadre juridique, tant sur le plan du droit commercial que du droit
fiscal, de lexploitation de lhôtel par la famille Colonna pendant la période
allant de mars 1996 à avril 1997 ? la non-perception de loyers ne constitue-t-elle
pas, de la part des dirigeants de la CADEC, un acte anormal de gestion, au sens du droit
fiscal ;
- les acquéreurs ou gestionnaires successifs, après avril 1997, se sont-ils impliqués
dans la gestion de lhôtel ou ont-ils simplement " prêté "
leur nom à cette opération ? Quelle était lorigine des fonds ayant permis le
rachat de lhôtel ? Quelle est la base juridique de lexploitation
actuelle de lhôtel ?
- comment se fait-il que les sociétés débitrices de la CADEC, toujours inscrites au
registre du commerce, naient fait lobjet daucune procédure collective,
notamment à linitiative de leur créancière ?
Cette affaire est clairement apparue comme emblématique du
" système " qui sest consolidé en Corse au cours des années
et des liens étroits entre le milieu, des activités économiques et quelques relais
politiques. Des fonds publics et privés ont été détournés de leur objet. Plus encore,
le mépris des règles de droit, et limpunité totale jusquà ce jour des
auteurs de tels dossiers marquent une régression inacceptable de lÉtat de droit.
· Vers une nouvelle
recapitalisation : les incertitudes actuelles
Pour poursuivre ses activités, la caisse devrait
aujourdhui être recapitalisée, afin de pouvoir provisionner les pertes sur ses
créances douteuses et contentieuses et sassurer une liquidité suffisante. Il
apparaît que la dégradation continue de lassise financière de la CADEC a rendu
insuffisantes les mesures de restauration des fonds propres ainsi mises en uvre. En
effet, la situation de certains emprunteurs de la caisse sest encore détériorée.
Les objections des
commissaires aux comptes de la caisse
Face à la situation très préoccupante de la caisse, les
commissaires aux comptes entamèrent, par lettre du 13 mars 1997, la procédure
dalerte prévue par la loi en raison de la situation des comptes au 31 décembre
1996.
Extraits du rapport des deux commissaires aux comptes de la caisse
sur les comptes consolidés de lexercice 1996
" Les comptes consolidés arrêtés au 31 décembre 1996 font
apparaître une perte de près de 78 millions de francs portant les capitaux propres
consolidés à 137 millions de francs. Par ailleurs, votre société ,
avec un ratio de solvabilité négatif ( 19,55 %), ne remplit plus depuis
1995 les conditions réglementaires applicables aux établissements de crédit en matière
prudentielle. (
)
Par lettre en date du 5 janvier 1996, nous avions déjà attiré votre
attention sur les risques pesant sur la continuité de lexploitation de la caisse.
Une convention de recapitalisation a été signée en avril 1996,
prévoyant des apports de la Collectivité territoriale et de lÉtat à hauteur de
140 millions de francs, de la manière suivante :
- 88 millions de francs en 1996 en numéraire,
- 37 millions de francs au 1 er trimestre 1997 en numéraire (26 millions de
francs pour la Collectivité territoriale et 11 millions de francs pour lÉtat)
- le solde sous forme dapports en nature de titre Corsabail détenus par
lÉtat.
De plus, notre rapport général sur les comptes annuels de
lexercice 1995, établi le 2 juillet 1996, exprimait nos incertitudes graves et
multiples qui pesaient sur le principe de cette continuité.
A ce jour, la recapitalisation prévue nest pas entièrement
réalisée en ce qui concerne les versements relatifs à 1997 ainsi que lapport en
titres Corsabail. De toute manière, lévaluation des impayés en 1997 laisse
entrevoir des difficultés de paiement pour 1998, même après encaissement des 37
millions de francs prévus.
Il nous a semblé clair, dans ces conditions, que la recapitalisation
de 140 millions de francs décidée ne permettra pas de garantir la continuité
dexploitation de la caisse et que dautres recapitalisations ultérieures
semblent déjà nécessaires et prévisibles. Cest pourquoi dans un courrier du
13 mars 1997, nous avons déclenché la phase n° 1 de la procédure dalerte,
conformément à larticle 230-1 de la loi du 24 juillet 1966. Votre président a
souhaité faire délibérer le conseil dadministration le 14 avril 1997,
déclenchant ainsi lui-même la phase n°2. Le conseil dadministration ne nous a pas
fourni déléments permettant de penser que la continuité dexploitation
était assurée.
Le 24 avril 1997, conformément à la loi, nous informions le
président du tribunal de commerce dAjaccio de lexistence dune
procédure dalerte au sein de votre société.(
)
En raison des faits exposés ci-dessus, nous ne sommes pas en mesure de
certifier si les comptes sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du
patrimoine, de la situation financière, ainsi que du résultat densemble
(
). "
Les délibérations du
conseil dadministration
Ainsi que lindique le rapport des commissaires aux
comptes, le conseil dadministration, qui sest réuni le 16 avril 1997, a en
effet constaté quaprès prise en compte du résultat déficitaire de
lexercice 1996 (- 76,3 millions de francs), le ratio de solvabilité était à
nouveau insuffisant au regard de la réglementation bancaire et quune nouvelle
recapitalisation simposait. Au cours de cette même réunion, le conseil
dadministration examina lhypothèse dun retrait amiable de
lagrément détablissement financier auprès de la commission bancaire, ce qui
signifierait que la CADEC ne poursuivrait plus quune activité de recouvrement
auprès de ses clients. Les représentants de la direction du Trésor rappelèrent alors
que le gouvernement de lépoque (celui de M. Alain Juppé) plaidait en faveur
de la recapitalisation de la caisse et de la mise en place de PPR (prêts participatifs de
restructuration enveloppe de la CADEC : 250 millions de francs) pour
permettre le retour des clients à des " pratiques vertueuses ". La
création au sein de la CADEC de linstitut de participation apparemment souhaité
par la Collectivité territoriale fut également envisagée.
Lors de la réunion en date du 22 décembre 1997, les membres du
conseil dadministration durent constater que les fonds propres étaient de moins 42
millions de francs et que les comptes faisaient apparaître un résultat négatif de
49,7 millions de francs. Le ratio Cooke nétait toujours pas respecté. La
nécessité dune recapitalisation fut réaffirmée par les deux représentants de la
direction du Trésor siégeant au conseil dadministration de plein droit. Ces
derniers soulignèrent lurgence dune décision de lAssemblée de Corse
confirmant son engagement à parité avec lÉtat pour participer à une nouvelle
recapitalisation de 70 millions de francs (35 millions pour lÉtat et 35 pour
la CTC). Le président en exercice de la caisse, M. Noël Pantalacci fit, quant à
lui, observer que lAssemblée de Corse avait participé à la précédente
recapitalisation " pour solde de tout compte " et que celle-ci
ne prendrait aucune décision avant le renouvellement de mars 1998.
Les interventions de la commission bancaire
Cest lors de sa séance du 27 octobre 1995 que la
commission bancaire décida de louverture dune procédure disciplinaire à
lencontre de la caisse en indiquant quune recapitalisation dau minimum
76 millions de francs était nécessaire pour respecter au 30 juin 1995 la norme de
représentation du capital minimum.
Même après lintervention de cette recapitalisation
lannée suivante, la caisse nétant toujours pas remise à flot, le
secrétaire général de la commission bancaire a dû constater dans un courrier du 13
janvier 1998 que linsuffisance de représentation du capital minimum, estimée à
223 millions de francs au 30 septembre 1997, rendait insuffisantes les mesures déjà
prises.
Enfin, la Commission bancaire a décidé, le 7 mai 1998, de saisir
par courrier le ministre des finances en soulignant lampleur du passif net de la
caisse et la nécessité de procéder à un nouveau renforcement de ses fonds propres.
Daprès les informations de la Commission bancaire, au 31 mars
1998, linsuffisance de représentation du capital minimum sélèverait à 120
millions de francs, compte tenu de labandon de créances douteuses réalisé en
décembre 1997.
Quant à elle, la commission denquête, qui a pris note des
divers éléments du dossier de la CADEC, sest forgée une opinion quant aux
perspectives dévolution souhaitable de la caisse, développements qui figurent dans
la dernière partie du présent rapport.
b) La caisse régionale de Crédit agricole : un mécanisme de
" cavalerie " très coûteux pour les finances publiques
Premier établissement bancaire de lîle en
matière de distribution de crédits, le Crédit agricole apparaît comme le principal
organisme financier des exploitants agricoles corses. Les difficultés actuelles de la
caisse régionale nen sont que plus inquiétantes pour la situation générale de
léconomie insulaire. Pour son financement, celle-ci doit disposer doutils qui
font aujourdhui cruellement défaut. Après linterruption des prêts par la
CADEC, le reflux persistant de ceux du Crédit agricole pourrait savérer
désastreux.
· Le premier établissement
bancaire de lîle et le plus important distributeur de crédits bancaires
Historiquement liée au développement de
lagriculture à partir des années 1960, la caisse régionale de Crédit agricole de
Corse a pris une part prépondérante et joué un rôle positif dans le soutien de
léconomie insulaire depuis plus de trente ans. Avec un total de bilan de 7
milliards de francs, 14 caisses locales et 19 agences, 20 distributeurs de billets et
359 agents, le Crédit agricole est de loin létablissement qui pèse le plus lourd
sur la place bancaire de lîle. Autonome dans sa gestion au niveau régional, la
caisse de Corse obéit aux mêmes règles de fonctionnement et de contrôle que toutes les
autres entités du groupe Crédit agricole. Au début de 1997, la caisse gérait les
comptes de 90.000 clients, soit en tout 7,4 milliards de dépôts (37,5 % du marché
bancaire).
Au-delà de son métier de prêteur, la caisse régionale a tout au
long de la décennie 90, consenti des efforts pour soutenir et alléger financièrement
les charges demprunt dues par les agriculteurs.
Bien que les prêts se soient aujourdhui taris, le
remboursement des créances passées constitue un problème qui est allé croissant au fil
du temps. En effet, les prêts accordés depuis plus de vingt ans nont pas ou peu
été remboursés par leurs bénéficiaires, qui ont obtenu de façon régulière une
série daides et de mesures de consolidation leur permettant de ne rien régler de
leurs impayés. Lendettement global enregistré auprès de la caisse régionale en
1997 se situait à un niveau proche de celui de 1993.
Lévolution sur dix ans a été la suivante :
|
Endettement
à la fin de 1997 |
Rappel
:
Situation
à la fin de 1988 |
Endettement global |
1,290 milliard
de francs |
1,169 milliard
de francs |
Endettement hors coopératives et SICA |
1,100 milliard
de francs |
1,030 milliard
de francs |
Endettement hors prêts à lhabitat |
910 millions de francs |
841 millions de francs |
Les réalisations de crédits en 1997 ont connu un net repli dans tous
les secteurs dintervention.
Distribution de crédits en 1997
(en millions de francs)
Secteurs
dintervention |
Montants
des prêts |
Pourcentage
sur le total |
Particuliers
(En repli de 14 % par rapport à 1996, notamment dans
lhabitat) |
435 |
62 % |
Entreprises
(En repli de 3,1 % par rapport à 1996) |
207 |
30 % |
Collectivités
locales
(Fort repli de 80 % par rapport à 1996) |
38 |
5 % |
Agriculture
(Réduit de pratiquement la moitié) |
21 |
3 % |
TOTAL |
701
(Soit une réduction de 26 % par
rapport à 1996) |
|
Au total, avec 701 millions de prêts nouveaux, la caisse régionale a
maintenu à peu près son encours global à 7 milliards de francs et sa part de
marché en Corse sest stabilisée à 47 %.
STRUCTURE DE lENCOURS
au 31 décembre 1997
(en milliards de francs)
Secteurs
dintervention |
Montant de lencours |
Pourcentage sur le
total |
Particuliers |
1,760 |
27 % |
Professionnels |
1,317 |
21 % |
Agriculture |
1,257 |
19 % |
Entreprises |
1,172 |
18 % |
Collectivités locales |
0,955 |
15 % |
TOTAL
|
6,461 |
100 % |
· Un
" système " de prêts aux agriculteurs bien rodé
Le " système " - puisque lon
peut avancer quil sagissait là de pratiques systématiques ou du moins très
répandues, exercées avec laval de fait de la caisse - était le suivant : la
caisse accordait des prêts à court terme aux agriculteurs, prêts destinés pour
lessentiel au financement des besoins de leur exploitation, tandis que les prêts à
moyen ou long terme servaient à financer des opérations plus lourdes (de plantations
arboricoles par exemple). Rapidement, les débiteurs se mettaient en impayés. Lorsque les
retards devenaient trop conséquents et que les arriérés sétaient accumulés, les
soldes débiteurs des comptes à vue ou les prêts initiaux se voyaient consolidés sous
la forme dautres prêts à moyen et long terme. La caisse attendait alors
lintervention des pouvoirs publics, qui sous la pression des événements, ne
manquaient pas dannoncer un énième plan de désendettement, à chaque fois
présenté comme devant être le dernier.
A intervalles réguliers (en 1975, 1988, 1989 et 1996), la dette
fit même lobjet dun effacement ou du moins dun allégement grâce à
lattribution dune aide publique. Ces aides permettaient aux exploitants
concernés daméliorer leur situation financière. Dégageant ainsi de nouvelles
capacités demprunt, ils pouvaient se présenter à nouveau aux guichets du Crédit
agricole et obtenir de nouveaux prêts.
Dans ce dossier, le rôle de la caisse régionale de Crédit agricole
semble déterminant. Pour citer un exemple précis, il est apparu quau cours de
lapplication de la " mesure Nallet ", la caisse régionale est
parvenue à profiter des difficultés rencontrées pour faire prendre en charge dans la
mesure " tout et nimporte quoi ". Les verrous prévus
- laudit et lexamen en commission " agriculteurs en
difficulté " (Agridif) - sont rapidement devenus inopérants sous la
pression des manifestations et des actes terroristes. La caisse a ensuite accordé des
prêts de trésorerie dits " de sauvegarde " en 1994 sans aucune
contrepartie bancaire, dans lattente dune nouvelle action de lÉtat. Les
prêts ont ainsi été globalisés dans la consolidation dite Balladur, qui a étalé sur
20 ans toutes sortes de prêts agricoles ou non à un taux de 7 % en moyenne.
Dans ce système, chacun avait quelque chose à gagner (à
lexception de lÉtat, même si les gouvernements ont longtemps cru que ce type
de mesures permettait d" acheter " la paix sociale). La
perspective du remboursement était sans cesse repoussée. Chaque plan se suivant
étroitement, beaucoup dagriculteurs ont pu ne rien rembourser depuis environ dix
ans. Ce report des échéances et la consolidation de tous types de prêts se traduisaient
par des apports très importants, en trésorerie comme en financement net, pour ceux qui
en profitaient. La caisse régionale de Crédit agricole voyait au fil des plans ses
créances potentiellement douteuses requalifiées en crédit bancaire normal, même si la
dette constituée navait plus aucune mesure avec la réalité économique.
Cest ainsi que la dette sest paradoxalement gonflée au fil des plans de
désendettement. Facilitée par la caisse régionale, cette augmentation de la dette
était la garantie du prochain plan et son caractère démesuré constituait
lassurance que son paiement serait toujours différé. A lannonce de
chaque mesure, les arriérés étaient gelés dans lattente dune solution. La
mise au point des plans, puis leur application, étaient menées avec une telle lenteur
quau moment de la première échéance des prêts réaménagés, une nouvelle mesure
était annoncée...
· De grandes difficultés
financières qui ont conduit à lintervention de la caisse centrale
Le constat
Les mauvais résultats enregistrés par la caisse sont dûs
essentiellement à une politique de provisionnement sévère des créances douteuses et
litigieuses. 350 millions de francs de provisions ont été constitués en 1997
(après 414 millions en 1996). Cet effort de provisionnement conjugué à la réduction
des activités de la caisse ont conduit à des pertes très importantes en 1997. Il faut
noter, en outre, que le réaménagement de la dette agricole a coûté, en cinq ans, 125
millions de francs au Crédit agricole, le reste étant financé par lÉtat.
Lexercice 1997 sest traduit par une nouvelle perte de 209
millions de francs (après 207 millions en 1996).
Une augmentation
incontrôlée des créances douteuses
Au cours des trois dernières années, le niveau des
risques qua comptabilisés la caisse régionale a presque triplé, la caisse
ayant dû se résoudre à classer en créances douteuses et litigieuses un certain nombre
de prêts. Les taux des créances douteuses et litigieuses sur les encours gérés sont en
effet passés de 9 à 11 % entre 1985 et 1992, puis de 14 à 15 % entre 1993 et
1995, pour atteindre 29,6 % en 1996. A titre de comparaison, à cette date, le niveau
de risque au Crédit agricole était de 8 % en moyenne nationale.
Lors de son audition en avril 1997 devant la mission dinformation
sur la Corse, M. Jacques-Denis Léandri, alors président de la caisse régionale de
Crédit agricole, rappelait que le total de lencours agricole, fin 1996,
sélevait à 1,4 milliard de francs, dont 128 millions consentis à 63
coopératives et CUMA, 185 millions consentis pour financer lhabitat de
lagriculture et 1 milliard de francs de prêts professionnels aux
exploitations. Sur cet encours, 97 millions de francs de prêts relevaient de
dossiers contentieux. Il expliqua que, du fait de la mise en place des mesures de report
et dallègements financiers, la gestion des encours de prêts agricoles
sétait modifiée, conduisant la caisse à constater au 31 décembre 1996 un niveau
de créances douteuses et litigieuses pour le secteur agricole de 593 millions
de francs, sur un encours de 1.393 millions de francs, soit 42,4 % du
total. Il indiqua : " Bien entendu, une part de ces créances douteuses sera
régularisée après le traitement des mesures ; mais dores et déjà, il nous
est apparu nécessaire, après examen détaillé des situations particulières, de
procéder à la constitution de provisions sur cet encours de créances douteuses, à
hauteur de 205 millions de francs, ce qui représente un taux de couverture de
34,5 %. ".
Lors de la même audition, M. Christian Cardi, alors directeur
général-adjoint de la caisse régionale de Crédit agricole, revint sur ce point et
expliqua : " Une grande partie de lévolution des encours douteux et
litigieux est liée au fait que, durant les années 1994 et 1995, il y avait pour le
secteur agricole des mesures de consolidation qui avaient eu pour objectif de reporter
pendant une certaine période et dalléger les charges financières, de façon à
régulariser un certain nombre de situations avec une perspective de redressement.
Cest pour cela que nous navions pas constaté de créances douteuses,
puisquelles étaient en cours de traitement dans le cadre dune mesure
précédente. Cette mesure ayant échoué, cest le constat que nous avons dressé en
accord avec le gouvernement, nous avons cette fois décidé de provisionner les créances
douteuses et litigieuses. Voilà une des raisons pour lesquelles laccroissement a
été très rapide, ce nest pas un effondrement immédiat, cest un effet de
déport qui existait depuis deux ou trois ans et qui avait été masqué par une
mesure. "
Depuis 1997, la progression des créances douteuses sest
poursuivie inexorablement. En avril 1998, elles sélevaient à 1.870 millions
de francs. Représentant 27 % de lencours total, elles sont
aujourdhui provisionnées à hauteur de 67 % (contre 53 % à la fin de
1996). Lencours des provisions se monte à 1.261 millions de francs. Il est
vrai que le stock de créances douteuses sest accru de 6 % (soit 109 millions
de francs) à la suite notamment du passage de linspection générale de la
caisse centrale de Crédit agricole en décembre 1997. En effet, en concertation avec
linspection générale, la caisse régionale a procédé à la fin 1997 à une
approche individualisée des dossiers. Des règles plus strictes furent alors retenues
pour valoriser les garanties détenues. Ainsi 351 millions de francs ont été
provisionnés en 1997.
La caisse centrale appelée
au secours
La dégradation de sa situation financière conduisit la
caisse régionale à solliciter, en 1996, pour la première fois de son existence,
laide du groupe central afin de respecter les divers ratios financiers imposés par
la réglementation bancaire. Ce concours se matérialisa par un abandon de créances
de 65 millions et par un apport en capital, par le biais dune caisse locale dédiée
à cet effet (caisse sans clientèle), de 150 millions de francs. La caisse
centrale apporta de nouveau son soutien à la caisse régionale en 1997 afin de
laider à rétablir la situation. Des abandons de créances et un apport en capital
furent décidés au profit de la caisse régionale. En 1996, des abandons de créances
étaient intervenus à hauteur de 110 millions de francs. En 1997, une augmentation
de capital de 100 millions fut réalisée et les abandons de créances se montèrent à 65
millions.
Lapport de la caisse centrale sest élevé à 385 millions
de francs pour les deux derniers exercices 1996 et 1997.
· Un climat tendu et la gestion
délicate des risques bancaires
Lors de son audition devant la mission
dinformation sur la Corse, M. Jacques-Denis Léandri, déjà cité, notait : " Des
" groupes revendicatifs " se créent progressivement, radicalisant les
positions de nombreux acteurs économiques et portant sur le plan politique les
revendications sectorielles. Il faut noter aussi des actions de débiteurs organisés pour
empêcher les traitements judiciaires qui sont lultime moyen légal dont disposent
les créanciers titrés. "
A linstar dautres témoins entendus par la
commission denquête, un haut responsable de la caisse centrale de Crédit agricole
soulignait que la mise en règlement des échéances et lactivation des garanties se
heurtaient en Corse à un contexte général dinsécurité ; doù, selon lui,
limpossibilité de faire jouer les procédures habituelles relatives aux entreprises
et aux exploitations en difficulté : " Je prendrai un exemple tiré
du dossier agricole dans lequel la caisse régionale a essayé de faire jouer les
procédures habituelles, notamment la loi de décembre 1988, concernant
lagriculture. Cest le cas dun dossier dun arboriculteur qui était
en contentieux avec la caisse régionale depuis 1992. Ce dossier a fait lobjet
dune procédure de redressement judiciaire ouverte en mars 1993 ; la liquidation a
été prononcée en juin 1994, lautorisation de la vente des actifs en juin 1996. La
caisse régionale était adjudicataire de ce bien en janvier 1997. Le terrain a été
occupé par un autre agriculteur le 25 février 1997 et lassignation aux fins
dexpulsion a été prononcée en décembre 1997. Le jugement nest pas encore
rendu. On sattend peut-être à un règlement début 1999. "
· Les interrogations de la
commission denquête
La commission denquête sest
interrogée sur létat exact de la connaissance par la caisse centrale des
difficultés rencontrées par la caisse de Corse et des modalités doctroi de prêts
agricoles par celle-ci.
Selon la caisse centrale : " Lorsque nous avons
effectué ces missions de contrôle, nous sommes effectivement, notamment dans le domaine
de lagriculture, tombés sur des retards, mais des retards qui, de mesure en mesure,
trouvaient chaque fois un nouveau dispositif pour les compenser et les prendre en compte.
(...) Le problème de la Corse est celui-ci : chaque fois que nous sommes allés faire des
observations, nous étions à la fin dune mesure en place ou à la mise en route
dune nouvelle ".
Par ailleurs, il est vrai, que pour la caisse centrale,
lampleur du problème de la caisse de Corse doit être relativisée. Certes, il
sagit de sommes non négligeables de plusieurs centaines de millions
de francs mais elles sont sans commune mesure avec celles en jeu dans les
sinistres quont connus les caisses du Gers ou de lYonne par exemple.
La commission denquête sest également
interrogée sur le contrôle pouvant être effectué par la caisse régionale voire par la
caisse centrale, concernant la réalité de la situation dagriculteur.
Des renseignements recueillis, il ressort " quà
partir du moment où le numéro daffiliation à la Mutualité sociale agricole
figurait dans un dossier et que ce dossier sétait trouvé éligible au gré des
différents comités ou contrôles administratifs de la mise en place des mesures (...)
les auditeurs de linspection générale nallaient pas plus loin dans la
vérification. "
La commission denquête sest enfin
interrogée sur la responsabilité respective de lÉtat, du Crédit agricole et des
clients de la banque dans lattribution irrégulière de certains prêts.
A cet égard, la commission serait tentée de reprendre les termes
employés devant elle par un témoin bien au fait du dossier : " Je me
méfie de lattitude qui consisterait pour le Crédit agricole à dire quil
ny est pour rien et que ce sont les pouvoirs publics. Je crois quen Corse,
tout le monde y est pour quelque chose. Le Crédit agricole y a sa part, me
semble-t-il. "
La commission denquête considère que les gouvernements
successifs ont été pris au piège de ce système. Sollicités pour venir en aide à une
agriculture en faillite, ils se trouvaient face au paradoxe suivant : au fur et à
mesure de la mise en place des plans de désendettement, la dette agricole gonflait
jusquà atteindre des proportions insoutenables.
Lors de son audition devant la mission dinformation sur la Corse,
M. Christian Cardi, déjà cité, répondant à une question de M. Henri Cuq,
président de la mission, notait : " Jexplique pourquoi les
agriculteurs sont désespérés ; ils ne savent plus à qui sadresser. On
sadresse au Crédit agricole et ensuite au gouvernement. A partir du moment où le
gouvernement aide, cest quil estime quil est obligé de le faire, que
cest une situation particulière, sinon, je ne vois pas pourquoi il y aurait eu les
douze mesures dont je vous ai parlé. Vous dites que les gens saccoutument, mais je
peux aussi dire que le gouvernement saccoutume, tous les gouvernements
saccoutument ".
LÉtat a fait preuve en la matière dun
interventionnisme répété qui la conduit à élaborer pas moins de douze plans en
faveur des agriculteurs corses, soit un plan tous les deux ans en moyenne. Mais cet
interventionnisme nest pas allé au bout de sa logique car les gouvernements
successifs ont tous cherché à déléguer au Crédit agricole le soin de mettre en oeuvre
les mesures décidées. Ce mouvement sest en outre accompagné dun processus
de débudgétisation des dépenses. Celles-ci furent tout dabord inscrites au budget
du ministère de lagriculture, puis intégrées dans lensemble des enveloppes
de bonifications de prêts, enfin, supportées par le Fonds dallégement des charges
des exploitations agricoles, le FAC, figurant dans les comptes de la caisse centrale du
Crédit agricole.
Si la responsabilité de lÉtat dans la dérive des mesures
dallégements est patente, elle nest pas exclusive de celle de la banque
elle-même, que ce soit au niveau central ou au niveau régional.
Le rôle joué par la caisse centrale, ou au contraire labsence
dintervention et de contrôle de sa part, doivent être examinés avec attention.
· Le comportement de la caisse
nationale : entre négligence, inattention et volonté de couvrir les errements de la
caisse régionale
Il faut tout dabord insister sur le fait que la
caisse de Corse représente pour le groupe du Crédit agricole une entité mineure, même
si sur le plan local, elle est un point déquilibre économique important.
Diverses enquêtes ont été diligentées à la caisse régionale de
Crédit agricole. La dernière en date (avant celle de lInspection générale des
finances et de lInspection générale de lagriculture au printemps 1998) fut
conduite du 1er au 18 décembre 1997, par linspection générale de la
CNCA. Faisant suite à la vérification, qui avait eu lieu un an avant, cette enquête
avait pour " objectif dévaluer le volume des dotations nettes aux
provisions sur le risque " crédits " à comptabiliser sur
lexercice 1997, ainsi que son impact sur le résultat net final ". De par
son objet même, ce rapport navait donc nullement pour intention de déceler
déventuelles anomalies et irrégularités dans lattribution des prêts
agricoles. Cette mission sest effectivement bornée à examiner lencours des
créances douteuses et litigieuses, lencours des provisions, et partant, le
résultat affiché par la caisse de Corse.
Du 23 janvier au 10 mars 1995, une précédente enquête avait été
conduite par linspection générale de la caisse centrale. En fait, le rapport
confidentiel rédigé à lissue de la mission ne sintéresse quà
laspect prudentiel de la gestion de la caisse. Il vise à apprécier les risques de
contreparties de la caisse régionale. La mission dinspection, composée de quatre
auditeurs, souhaitait uniquement vérifier le montant des créances douteuses et
litigieuses, et donc contrôler au regard des normes de la commission bancaire, le montant
adéquat ou non des provisions à constituer. Notons que cette mission se déroula alors
même que la mesure Puech-Balladur se mettait en place. Les auditeurs conclurent
quune mission de suivi devrait être envoyée en décembre 1996, ce qui se produisit
effectivement. Cette visite eut pour objet de valider les " prévisions
datterrissage de résultats " de la caisse.
Dans son introduction, le rapport de 1995 signalait un élément
essentiel susceptible dexpliquer pour une part les dérives observée dans la caisse
de Corse : " Ayant su se constituer en centre de décision
indépendant, elle fait preuve dune forte implication dans lîle. Par
ailleurs, elle dispose dune culture forte (identification des salariés à
lentreprise, travail quotidien replacé dans le contexte dun projet corse) et
losmose entre les élus et les salariés est totale ". Ce
constat peut en lui-même sembler positif. Il semble cependant que la grande proximité
liant les clients de la banque, ses agents, et les dirigeants de la caisse régionale et
des caisses locales, ait précisément favorisé le laxisme avéré dans loctroi de
nombreux prêts
Au total, il est confirmé que la caisse nationale avait
connaissance des désordres les plus marquants au sein de la caisse régionale et des
caisses locales, de leurs conséquences financières, et du climat douteux qui
sétait installé.
2. Des dérives dans le
secteur social et de la santé
Laction sanitaire et sociale est naturellement au
cur des préoccupations des habitants de lîle. Cest dire si les
mauvaises gestions en ce domaine peuvent être mal ressenties, et avoir des conséquences
sur leur vie quotidienne.
Dès lors, les constats, dune gravité certes variable, établis
dans les hôpitaux de trois des principales villes de Corse (Ajaccio, Bastia, Bonifacio),
sont inquiétants. Il en va de même pour la caisse de Mutualité sociale agricole, dont
lavenir apparaît particulièrement sombre, ou pour les offices publics dHLM
des deux départements, dont la remise à flot savère difficile et coûteuse.
a) Lhôpital de Bonifacio : errements cumulés et
responsabilités partagées
Dune capacité globale de 148 lits,
lhôpital local de Bonifacio présente plusieurs originalités.
La première tient à sa situation géographique.
Situé à lextrême sud de la Corse, il est difficile daccès et localisé
dans une zone touristique dont la population, estimée à environ 5.000 à 7.000 en temps
normal, est décuplée pendant les mois dété.
Léclatement en deux sites constitue la
deuxième spécificité notable de létablissement. En effet, 80 lits
dhospitalisation sont répartis sur le site de Bonifacio en 6 lits de court séjour
en médecine, 18 lits de suite, 54 lits de soins de longue durée, 2 lits permettant une
hospitalisation partielle avant transfert. Mais létablissement gère également
depuis 1991 une maison de retraite implantée à Porto-Vecchio, commune distante
dune trentaine de kilomètres. Dune capacité théorique de 68 lits, cette
maison de retraite ne fonctionne en réalité quavec 38 lits.
Enfin, létablissement dispose dun personnel
important, voire même pléthorique.
· Une situation financière
durablement et fortement déficitaire
Selon les comptes de gestion de lhôpital, la
situation financière de létablissement sest brutalement dégradée en 1991,
avec un déficit qui atteint alors 3,1 millions de francs, tandis que lexercice
1990 avait permis denregistrer un bénéfice de 2,4 millions. A partir de cette
date, le déficit annuel sest creusé et a dépassé en moyenne les 7 millions
de francs. La section dexploitation présente sur la période 1988-1994 un
solde cumulé de moins 0,676 million de francs et la section dinvestissement
est déficitaire de près de 6,5 millions de francs. Comme le note la Chambre
régionale des comptes dans sa lettre dobservations définitives en date
davril 1998, ce montant est encore minoré de 8 millions, somme correspondant à une
ligne de trésorerie contractée en 1991 auprès dune banque et budgétée à tort
par lhôpital en recettes demprunt. Dès lors, le déficit réel de la section
dinvestissement pouvait être estimé à 14 millions à la fin de 1994.
Même en labsence de lintégralité des informations
comptables, les données existantes validées par une série de recoupements issus de
lexamen des opérations les plus importantes, permettent davancer que le
déficit de trésorerie de lhôpital de Bonifacio peut être évalué au minimum à
15 millions pour 1997.
Pendant que se creusait le déficit, la dotation de fonctionnement
na paradoxalement cessé de saccroître de 1989 à 1994.
· A lorigine des dérives
Comment expliquer une telle situation ? Après
analyse, il apparaît que la dégradation des comptes provient, dune part,
dun déficit conjoncturel consécutif aux travaux de rénovation de
létablissement, à la reprise de la maison de retraite de Porto-Vecchio et à
labsence de politique de recouvrement des créances, et dautre part,
dune politique de recrutement démesurée ainsi que dune absence de contrôle
des coûts de fonctionnement.
Des travaux immobiliers
non maîtrisés
Cest au cours de lannée 1981 que le conseil
dadministration de lhôpital adopta le principe de la rénovation et de
lextension de létablissement. Deux phases de travaux définies en 1986 furent
alors chiffrées à 26 millions. En 1991, le projet fit lobjet dune première
révision visant à porter le nombre de phases à trois pour un coût de 41 millions
de francs. Un an plus tard, une seconde révision du projet faisait passer ce chiffre
à 63 millions, alors que la situation financière de lhôpital accusait déjà un
déficit. En 1993, la direction de létablissement, enfin consciente du problème,
décida de ramener le chiffrage du projet à 41 millions, ce qui constituait cependant un
montant encore très élevé eu égard à la situation financière de lhôpital à
cette date.
Lhôpital connut donc, de 1990 à 1993, une politique de
restructuration qui explique une partie de ses difficultés financières actuelles. Ces
trois années ont correspondu à la réalisation de la première tranche de
lambitieux programme de rénovation. Cest le surcoût important de celle-ci
qui devait conduire létablissement à différer et repenser la suite de son
programme.
Des marchés passés dans
des conditions contestables
La Chambre régionale des comptes a décrit le système de
façon très précise dans sa note dobservations définitives davril 1998.
Observation n°4 : " Le montant du marché de
maîtrise doeuvre (études et contrôles) signé le 21 septembre 1987, pour
1.377.657,40 francs, avec un cabinet de Porto-Vecchio, mandataire commun dune
équipe de concepteurs, a été presque doublé passant en définitive à
2.049.376,53 francs. En effet, compte tenu des extensions et révisions successives
du projet demandées à cette équipe, la direction de lhôpital a été conduite à
accepter, en 1993, de modifier la portée du contrat par avenant.
Lexamen de la procédure dappel doffres montre
quune absence de définition précise des travaux à réaliser a amené cette
direction, pourtant assistée par la DDE dans sa mission de délégué aux travaux
déquipement sanitaire et social, à engager des dépenses de conception nettement
supérieures à ce quelles auraient été sil y avait eu une meilleure
maîtrise du projet. "
Observation n°6 : " Les entreprises choisies
pour bénéficier de ces marchés négociés nont été que quatre à se partager
les seize lots déclarés infructueux (après léchec de la procédure dappel
doffres). En outre, sur ces quatre entreprises, trois sont de Porto-Vecchio montrant
ainsi que, parmi les critères de sélection définis, celui de la proximité semble avoir
été privilégié. (....)
Les textes régissant les marchés publics semblent avoir été
formellement respectés pour les travaux engagés. Mais les insuffisances techniques des
appels doffres ont, dans les faits et quelle que soit lopération en cause,
permis de privilégier un petit nombre dentreprises nettement localisées,
bénéficiant de lessentiel des ordres de travaux en dehors de toute mise en
concurrence réelle. "
Linsuffisance des
financements pour la réalisation des projets daménagement
Malgré lévolution du coût du projet (qui est
passé de 26 millions à 63 millions de francs, pour se stabiliser en définitive non
à 41 mais à 39,5 millions), létablissement na jamais mis en place les
financements correspondant aux travaux engagés. Les subventions obtenues dans ce but
se sont révélées moins importantes que prévu. Souffrant dune absence
dautofinancement, lhôpital dut avoir recours à lemprunt. En 1990,
létablissement contracta un prêt bancaire pour un montant de 7,2 millions
de francs afin de couvrir le coût disproportionné des travaux engagés. Un an plus
tard, une ligne de crédit de 8 millions de francs qualifiée de crédit-relais
était négociée avec la banque de référence de létablissement ; puis
lhôpital se vit octroyer un nouveau crédit de 11,2 millions de francs par une
banque de Marseille, une fois les travaux terminés.
La situation de trésorerie de létablissement devint si
tendue que le crédit-relais de 8 millions de francs devait resté non-remboursé,
tandis que les intérêts augmentaient pendant cette période.
Des dépenses de
personnel incontrôlées
Daprès les informations dont la commission
denquête dispose, lhôpital na jamais tenté de mettre en adéquation
ses effectifs, pléthoriques, avec ses véritables besoins. Les dépenses de personnel se
sont accrues de 268 % entre 1988 et 1994. Leffectif de létablissement
est en effet passé de 61 à 147 agents (soit un accroissement de 140 %), alors que
la structure de létablissement lui-même na guère évolué durant cette
période. La prise en charge de la maison de retraite a également augmenté de 12 agents
leffectif de lhôpital par la reprise du personnel de lassociation.
Entre 1991 et 1994, lopération de transfert vers Porto-Vecchio nécessita
également le recrutement exceptionnel de 20 personnes.
Il apparaît clairement que léclatement sur deux sites distincts
a généré des coûts de fonctionnement que létablissement ne pouvait supporter.
La mauvaise gestion de son
patrimoine foncier par lhôpital
La commission denquête a relevé au cours de ses
investigations que lhôpital de Bonifacio était propriétaire dun important
patrimoine foncier, dont il ne tire que de faibles recettes dexploitation. Elle a
noté que le montant des loyers nexcédait jamais 20.000 francs annuels.
Létablissement loue par exemple à la commune de Bonifacio,
pour un loyer annuel de 12.700 francs, des terrains dune superficie de près de
28 hectares (devant permettre la création dun camping, dun complexe
omnisports et dune zone industrielle). En outre, la commune de Bonifacio a obtenu de
lhôpital la cession dun terrain de près de 52 hectares pour une valeur de
2,1 millions de francs. La commission denquête sétonne quaucun
titre de recettes nait été émis par lhôpital et que la commune ne se soit
pas encore acquittée du prix dachat du terrain, alors que la vente a été
constatée par acte administratif du 2 février 1982. La commune de Bonifacio
bénéficie donc de biens privés de lhôpital au détriment de ce dernier qui
aurait pourtant bien besoin daugmenter ses recettes. Comment justifier
labsence de contrepartie à cette vente réalisée il y plus de seize ans ?
La reprise difficilement
justifiable de la maison de retraite de Porto-Vecchio
Il faut tout dabord rappeler que, pour mener à bien
les travaux daménagement prévus à lhôpital de Bonifacio, la direction
décida de transférer dans un logement-foyer de Porto-Vecchio trente-deux pensionnaires
de lhôpital, dont 16 lits de long séjour. Ce transfert, qui devait être
temporaire, se réalisa dans le cadre dune convention annuelle et renouvelable
signée le 1 er avril 1990, moyennant un loyer mensuel de 38.786,76 francs
porté à 39.495,84 francs en août de la même année.
Il convient de noter quavant ce transfert, le logement-foyer pour
personnes âgées bénéficiant de laide sociale, composé de 68 logements, était
géré par une association familiale de la région de Porto-Vecchio, locataire de
loffice départemental des HLM de la Corse-du-Sud. Il est intéressant de relever
que le directeur de lhôpital de Bonifacio alors en poste figurait parmi les membres
du conseil dadministration de cette association. Celle-ci, créée en 1987,
présentait une situation financière précaire en 1990, date à laquelle lhôpital
conclut un accord visant au transfert de plusieurs pensionnaires dans ce foyer.
Le 18 février 1991, lhôpital de Bonifacio décida, par
délibération du 18 février 1991, de se substituer à lassociation dans la gestion
de la maison de retraite nouvellement créée. Prenant prétexte du transfert provisoire
de lits de long séjour de lhôpital (dans lattente de la réfection des
locaux à lhôpital de Bonifacio), la présence de lhôpital dans les locaux
de Porto-Vecchio sest ainsi trouvée pérennisée.
Cette opération, qui sest avérée fort coûteuse pour
lhôpital, nest aucunement justifiable sur le plan des principes et de la
bonne gestion des comptes de létablissement. Dailleurs, lopération ne
sest nullement traduite par un assainissement financier de la maison de retraite,
toujours déficitaire. Tout aussi inquiétant : les nécessaires travaux de sécurité
nont même pas été effectués à la maison de retraite. Pour sa part, la
commission de sécurité de larrondissement de Sartène émit un avis défavorable
à louverture de la maison de retraite le 28 janvier 1993. Elle avait en effet
constaté la non conformité de linstallation électrique, le dysfonctionnement du
système dalarme et labsence de système de détection automatique
dincendie dans létablissement. Cette situation nempêcha toutefois pas
louverture de la maison de retraite sans que la tutelle
ladministration de la santé et ladministration
préfectorale ou le maire de Bonifacio némette la moindre observation
à ce sujet.
La fuite en avant
La conclusion de la Chambre régionale des comptes est sans
appel : " la Chambre ne peut que constater la légèreté de la
direction de lhôpital et de son conseil dadministration. Parfaitement
informés de la situation financière de leur établissement, du coût des financements
extérieurs, quils nont pas cherché à réduire, et du niveau des subventions
réellement obtenu, ces dirigeants nont pas hésité, dans le même temps, à
redéfinir leurs projets de travaux à la hausse et à les engager ".
La Chambre écrit être " étonnée de
labsence de sérieux de léquipe dirigeante de lhôpital de Bonifacio.
Ses initiatives brouillonnes et coûteuses dans le but de rechercher des financements ou
refinancements improbables pour couvrir des charges trop lourdes du fait de décisions
imprudentes, sanalysent comme une fuite en avant qui ne cesse pas de
surprendre. "
· Les enquêtes se suivent et ne se
ressemblent pas ....
Face à cette situation inquiétante, les autorités de
tutelle se sont préoccupées de la capacité de lhôpital à poursuivre ses
activités. Deux enquêtes ont ainsi été diligentées.
En 1995, la direction départementale des
affaires sanitaires et sociales mena une première enquête, à la demande du
directeur de lhôpital. Composée des chefs des administrations locales de tutelle
dans les conditions de larticle R.714-3-27 du code de la santé publique, cette
commission se réunit pour la première fois le 28 septembre 1995. Elle ne remit son
rapport définitif que le 19 décembre 1996, soit 22 mois après la demande du conseil
dadministration et 15 mois après son installation sans que rien ne justifie a
priori limportance de ces délais. Dans ses conclusions, la mission
sappuyait sur le fait quun attentat avait complètement détruit la
Trésorerie de Bonifacio à la fin daoût 1996 pour écrire quelle était dans
limpossibilité de rétablir les comptes de lhôpital et de déterminer
lorigine du déficit de trésorerie. Lexamen par cette mission des conditions
financières et de réalisation des travaux daménagement de lhôpital
nappelait de sa part aucune observation. Enfin, le rapport exonérait de toute
responsabilité la tutelle locale dans la situation financière désastreuse de
létablissement.
Ainsi cette mission, qui ne sestima pas en mesure de cibler
lorigine du problème de trésorerie, ne devait pas apporter le moindre éclairage
sur le montant exact du déficit de trésorerie de létablissement. Un a priori
commode attribuant lentière responsabilité de la situation financière au poste
comptable a manifestement dominé la réflexion de cette mission. Aussi la gestion
hospitalière elle-même a-t-elle été totalement épargnée dans ce rapport.
Au début de 1997, une seconde enquête fut confiée
à lInspection générale des affaires sociales par le ministère du travail
et des affaires sociales. LInspection a rendu son rapport en mars de cette
année : il établit un diagnostic nettement plus sévère que celui figurant dans le
premier rapport et commence à mettre en évidence la part de responsabilité prise par la
direction de lhôpital et par la tutelle locale, notamment la DDASS.
Ainsi lInspection établit, par exemple, que les plans de
financements mis en place par lhôpital pour mener à bien ses travaux de
rénovation étaient pour le moins aléatoires. Elle montra également que les objectifs
budgétaires de létablissement nétaient nullement respectés du fait de
dépenses dexploitation en forte croissance.
Evolution des dépenses de personnel
|
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
Charges
de personnel (en F.) |
12.486.025 |
16.041.766 |
17.319.837 |
20.348.501 |
22.616.048 |
Augmentation
N+1 / N |
|
28 % |
8 % |
17 % |
11 % |
Augmentation
sur 1992 |
|
28 % |
39 % |
63 % |
81 % |
Source : rapport de lIGAS (mars 1997)
Dépenses de personnel
|
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
Crédits
demandés au budget primitif |
12.110.000 |
14.684.000 |
14.209.000 |
18.003.000 |
19.652.000 |
Crédits
alloués au budget primitif |
6.701.000 |
12.429.000 |
17.013.000 |
18.003.000 |
18.962.000 |
Dépenses
constatées au compte administratif |
12.486.000 |
16.042.000 |
17.320.000 |
20.349.000 |
22.616.000 |
Dépenses
du compte administratif / crédits demandés au budget primitif |
1,03 |
1,09 |
1,22 |
1,13 |
1,15 |
Dépenses
du compte administratif /crédits alloués au budget primitif |
1,86 |
1,29 |
1,02 |
1,13 |
1,19 |
Source : rapport de lIGAS (mars 1997)
Dans ses conclusions, le rapport de lInspection souligne le
manque dobjectivité de la première mission denquête et remarque que le
dysfonctionnement du poste comptable était bien antérieur à lattentat
daoût 1996.
· Les quatre niveaux de
responsabilités
La commission denquête a, aux termes de ses
investigations, pu déterminer quatre niveaux de responsabilité.
1°) Le directeur de lhôpital na pas su
maîtriser la dérive financière du coût des travaux et la maîtrise doeuvre, qui
sont passés de 26 millions de francs initialement prévus à 39,5 millions.
Létablissement nayant pas reçu de subventions suffisantes en montant, il a
été nécessaire de faire financer des travaux par la dotation annuelle de
lhôpital. Des libertés semblent avoir été prises avec le code des marchés
publics puisque des entreprises de Porto-Vecchio ont manifestement été favorisées.
Lassociation familiale de la région de Porto-Vecchio a été sauvée
financièrement grâce à lintervention de lhôpital de Bonifacio. Le fait que
le directeur de lhôpital faisait également partie du conseil dadministration
de cette association ne saurait apparaître comme une simple coïncidence. La commune de
Bonifacio na rien réglé à lhôpital en échange des biens immobiliers que
létablissement avait mis à sa disposition. La commission denquête ne peut
que sinterroger sur le fait que les 2,1 millions de francs de la vente du
terrain de 52 hectares à la commune naient jamais été recouvrés depuis 1982.
2°) Alors que le maire de Bonifacio, président du
conseil dadministration de lhôpital, ne pouvait ignorer la situation
financière catastrophique de létablissement, il na rien entrepris pour
réduire lampleur des opérations de rénovation envisagées. Sa commune a profité
de conditions de location de 28 hectares pour 12.700 francs par an, ce qui a
contribué à creuser le déficit de lhôpital, car ces terrains auraient dû être
loués pour un montant beaucoup plus élevé. Enfin, la commune na pas réglé les
2,1 millions de francs quelle doit à lhôpital pour lachat en 1982
des 52 hectares de terrain
3°) Il est clair que le poste comptable de
lhôpital explique une partie des dérives. Dans sa lettre dobservations
définitives de mars 1998, la Chambre régionale des comptes estimait : " Les
errements du poste comptable, soulignés par lIGAS, sont également apparus à la
juridiction financière dès avant lattentat. En effet, en 1990, devant le désordre
des comptes relatifs aux exercices 1983 à 1987 transmis par la Trésorerie générale, la
juridiction demandait à cette dernière de procéder à leur mise en état dexamen,
ainsi que les textes le prescrivent pour cette administration. Ces comptes ont cependant
été retournés à la Chambre sans que la mise en ordre demandée ait été
réalisée. ".
Cela étant, pour la Chambre régionale des comptes, " la
responsabilité des désordres constatés dans la tenue du poste comptable de Bonifacio
est pour le moins partagée entre le comptable et sa direction
départementale. "
Le désordre comptable a favorisé le manque de maîtrise dans
les dépenses engagées par létablissement. Selon la Chambre régionale des
comptes, " il apparaît que limportance de (certains errements)
engagement de dépenses sans financement, prise de contrôle de la maison de
retraite de Porto-Vecchio, ouverture et exploitation de cette maison pendant plusieurs
années en labsence de dispositifs adéquats de sécurité, non-recouvrement
dun prix de vente dun terrain seize ans après sa vente
sont au-delà de simples maladresses ".
4°) Enfin, la tutelle nest pas exempte de
critiques, loin sen faut. La recette perception de Bonifacio sest accommodée
de comptes en désordre, donc inexploitables, de 1983 à 1987. La Trésorerie générale
na pas suffisamment contrôlé la recette perception de Bonifacio dans son action
comptable envers lhôpital. Les administrations de tutelle, nécessairement
informées des projets et de la situation financière de lhôpital, nont pas
présenté dobservations et ont même financé une partie des travaux, accréditant
ainsi lexistence de leur accord formel. La tutelle a donc laissé se développer les
projets sans attirer lattention de la direction de lhôpital sur les risques
que ses décisions faisaient peser sur sa trésorerie. La DDASS na pas empêché
louverture de la maison de retraite, malgré lavis défavorable rendu par la
commission de sécurité en janvier 1993.
b) Les centres hospitaliers de Bastia et dAjaccio :
deux gestions incertaines
On la vu, la situation de lhôpital de
Bonifacio et les dérives que létude de ce cas met en lumière se caractérisent
par leur gravité et leur caractère exceptionnel. Sans atteindre le même degré de
dysfonctionnements, les gestions de plusieurs autres centres hospitaliers se voient
reprocher aujourdhui une certaine légèreté à laquelle il convient de remédier.
· Un état des lieux globalement
inquiétant
LInspection générale des affaires sociales, qui
a examiné en juin 1998 les situations de trois hôpitaux dAjaccio, de
Castelluccio et de Bastia a établi dans son pré-rapport les constations
suivantes :
- " Linspection de différents centres hospitaliers permet de considérer
quen matière de gestion hospitalière, il existe moins de dérives générales
corses quune addition derrements particuliers à certains établissements de
Corse. Fondamentalement, dans tous les services hospitaliers inspectés,
lhôpital est certes largement considéré comme étant au service de lemploi
et de léconomie de lîle, ce qui dans un contexte peu dynamique de
lactivité des établissements corses, limite singulièrement la portée des
discours sur la maîtrise des dépenses hospitalières.
- Mais au-delà de cette donnée commune, la diversité des pratiques de gestion
hospitalière lemporte, reflétant largement le niveau de compétence et
dautorité des directions détablissement : maîtrise dun
sureffectif quil est proposé de réduire par le développement dactivités
nouvelles ou bien mouvement continu dembauche de personnel peu qualifié sous statut
précaire créant un fait accompli que la tutelle est périodiquement contrainte
davaliser par intégration successive dans les effectifs de lhôpital ;
politique salariale globalement généreuse mais sinscrivant dans le respect des
textes et saccompagnant defforts pour accroître la présence au travail, ou
bien absence de gestion du personnel avec multiplication de largesses non réglementaires,
ou défaut de contrôle de lactivité des personnels ; gestion rigoureuse de
moyens budgétaires confortables avec niveau dinvestissement mesuré et conformité
des marchés passés, ou bien fuite en avant financière avec ambitieux programmes
dinvestissement, cavalerie budgétaire longtemps tolérée par la tutelle, mauvais
recouvrement des créances, gaspillages internes liés aux carences de gestion et à
linadaptation des procédures de marchés.
- Le deuxième constat général est que les errements constatés en Corse paraissent
avant tout résulter dune multiplication coûteuse dabus et de petites
fraudes, permise par limpéritie et lincurie des directions et tutelles
hospitalières. Dans cet environnement délétère, caractérisé par un respect
souvent plus quapproximatif des règles de gestion publique, lexistence de
comportements frauduleux nettement plus organisés et de bien plus grande envergure, ne
peut être exclue."
· La dégradation budgétaire du
centre hospitalier de Bastia
Notons, tout dabord, que le centre hospitalier de
Bastia dispose de 511 lits et places installés, dont 443 actifs. Selon des informations
fournies à la commission denquête, loffre de soins, qui a crû au cours des
dernières années, est importante alors que lactivité de lhôpital aurait
tendance à stagner. Les taux doccupation en médecine, chirurgie et obstétrique
permettent de constater limportance des excédents en matière de capacité
dhospitalisation sur la période 1993-1997.
La dégradation profonde et non maîtrisée de la situation
budgétaire de létablissement a démarré dans les années 1992-1993. Comme
la indiqué lInspection générale des affaires sociales à ce sujet, cette
situation a été marquée par " une perte de contrôle masquée
temporairement, sinon favorisée, par la bienveillance budgétaire des autorités de
tutelle. " Dans un premier temps, lhôpital a tenté de réduire
ses dépenses, notamment de personnel, en ne pourvoyant pas tous les postes vacants. Par
la suite, ces dépenses de personnel ont crû de manière incontrôlable ; elles ont
commencé à ne pas être intégralement financées et donnèrent lieu à des reports sur
lexercice suivant. En trésorerie, les difficultés conduisirent au non paiement de
la taxe sur les salaires des exercices 1993 et 1994. Par ailleurs, on assista à un
allongement des délais de paiement de ses fournisseurs par lhôpital. Fin avril
1998, la dette de létablissement envers ses fournisseurs sétablissait à 24
millions de francs au titre de lexercice 1997.
Aujourdhui, le centre hospitalier de Bastia enregistre des
créances irrécouvrables pour un montant évalué par lIGAS à 20 millions
de francs. Comme le note lInspection, " létablissement
ne respectant plus depuis des années la règle selon laquelle les dotations aux
provisions pour créances doivent représenter 1/3 des créances admises en non valeur au
cours des trois derniers exercices, aucun moyen nest actuellement disponible pour
passer ces créances en non valeur. "
Force est de constater que lhôpital, confronté à ces
difficultés, na pas engagé avec le dynamisme nécessaire les mesures de
redressement qui simposaient. Il est vrai que les décisions des autorités de
tutelle lui ont longtemps permis de bénéficier de certaines marges de manoeuvre. Ainsi
létablissement reçut en 1995 un apport de 5 millions de francs destiné à
lui permettre de soulager partiellement et temporairement sa trésorerie. Parallèlement,
létablissement se lança dans un système de " cavalerie
budgétaire " : certaines charges furent par exemple financées grâce à
des dotations budgétaires accordées pour dautres opérations, qui ne sont
intervenues que tardivement.
On doit noter que le centre hospitalier de Bastia bénéficie
dune sollicitude particulière. Alors que le taux dallocation budgétaire
initialement accordé à la région Corse sétablissait à 0,35 % en 1998,
lhôpital a bénéficié dune progression de son budget primitif de
0,92 % par rapport à la base budgétaire de 1997 (+ 3,1 millions
de francs). A cela, sest ajoutée une dotation exceptionnelle à caractère non
reconductible de 5,4 millions dont 2,1 millions étaient destinés à couvrir les coûts
salariaux inéluctables.
Au total, le centre hospitalier de Bastia a enregistré une
augmentation de 8,5 millions de son budget en 1998, soit une progression de 2,5 % par
rapport à 1997. Selon les estimations de lIGAS, " ce desserrement
relatif de la contrainte budgétaire apparaît cependant sans commune mesure avec
lampleur des besoins de financement de létablissement. " En
première approximation, linsuffisance de crédits pour 1998 pourrait sélever
à 17,8 millions au total.
(en millions de francs)
CHARGES |
Groupe 1 Personnel |
24,0
(dont 8,3 de prime de service 1997) |
Groupe 2 Dépenses médicales |
3,5 |
Groupe 3 Dépenses hôtelières |
1,0 |
Insuffisance brute : 28, 5 |
A DEDUIRE |
Dotation exceptionnelle accordée |
- 5,4 |
Reprise de lexcédent 1997 |
- 1,6 |
Revalorisation salariale 1998 |
- 1,7 |
Economies sur mouvements du personnel |
- 2,0 |
Insuffisance
nette : 17,8 |
Source : IGAS
· La mauvaise maîtrise de la
situation du centre hospitalier dAjaccio
Depuis une dizaine dannées, lhôpital
dAjaccio a mené une politique dinvestissement soutenue visant à remettre
à niveau le plateau technique et à améliorer les conditions daccueil offertes aux
malades. Or létablissement enregistre à la fois une baisse de ses entrées
comme de ses journées réalisées. Cest à partir de 1993 que la détérioration
des comptes saccéléra. La situation de trésorerie devint dailleurs si
tendue que lhôpital ne paya plus ni la taxe sur les salaires ni les cotisations
IRCANTEC des contractuels quil embauchait. Face à cette situation, les autorités
de tutelle prirent la décision, en 1991, daccorder 3 millions de francs
par an pendant cinq années afin daméliorer la situation de la trésorerie du
centre. La tutelle autorisa, en outre, létablissement à recourir à un emprunt
pour un montant de 65 millions afin de financer les travaux de sécurité du centre
hospitalier.
Aujourdhui, létablissement doit faire face à des
restes à recouvrer de 186 millions, dont 75 sont jugés irrécouvrables. Comme le
note lIGAS, " la mise en place dune politique active de
recouvrement reste à lordre du jour quil sagisse de la réorganisation
des entrées (accueil des urgences, bureau des entrées et des consultations), de
linstauration de nouvelles procédures (procédure des titres en souffrance, prise
de renseignements complémentaires dans les services, contrôle des présents) ou du
développement de relations régulières avec les débiteurs institutionnels. "
Cette politique paraît en effet simposer étant donné
quen flux annuel, les restes à recouvrer peuvent être évalués à 8 millions
de francs pour les payants et 6 millions pour les débiteurs institutionnels, au
premier rang desquels le Conseil général. En stock, ces deux catégories
représentent, selon les estimations de juin 1998, 55 millions pour la première et 24
pour la seconde, soit un stock général de 81 millions. Selon lIGAS, environ 65 de
ces 81 millions correspondraient à des créances irrécouvrables.
En outre, les difficultés de trésorerie de létablissement
entraînent des délais de paiement des fournisseurs particulièrement longs (140
jours en moyenne).
Malgré un contexte de réduction dactivité, la croissance
des effectifs concerne tant le personnel médical que le personnel non médical. La
progression de ces derniers effectifs entre 1994 et 1996, qui se traduisit par
larrivée dune soixantaine dagents, résulta dun mouvement de
titularisation des contrats à durée indéterminée et de la forte progression de
contrats à durée déterminée en remplacement sur des postes de titulaires devenus
vacants. De décembre 1996 à mai 1998, létablissement recruta dix agents
supplémentaires, en dépit des remarques que linspection de la direction régionale
des affaires sanitaires et sociales avait formulées en décembre 1997.
Le centre hospitalier compte actuellement 227 agents contractuels
correspondant à 87 contrats de durée indéterminée, 73 contrats de durée déterminée,
38 " emplois consolidés ", 4 contrats
" emploi-solidarité ", 19 contrats " emploi
ville " et 6 contrats dapprentissage. Comme la noté lIGAS, " le
recours aux contrats à durée indéterminée sexplique principalement par des
remplacements de longue durée et par la pérennisation, souvent en raison de
labsence de suivi des dossiers, des recrutements sous contrats à durée
déterminée, renouvelés à de nombreuses reprises. De fait, 49 des 87 CDI actuels
bénéficiaient auparavant dun CDD. "
En conclusion de son rapport, lInspection relève : " les
économies proposées pour 1998 (6,2 millions) sont nettement insuffisantes mais
apparaissent aux yeux des responsables comme un effort considérable sinon maximal pour
létablissement ".
On le voit, les centres hospitaliers des deux plus grandes
villes de lîle connaissent des difficultés budgétaires importantes qui
sexpliquent par le manque de rigueur de leur gestion, une politique de recrutement
du personnel parfois imprudente et enfin, par lattitude parfois inadéquate de la
tutelle par le passé.
c) La caisse de Mutualité sociale agricole de Corse : une
absence de rigueur avérée
Le rapporteur de la commission denquête
sest rendu en juin 1998 à la caisse dAjaccio afin notamment den
étudier les modalités concrètes daffiliation. A lissue de cette mission,
les constats suivants peuvent être établis.
· Lévident désordre dans
les règles daffiliation
Daprès les données de la MSA, les chefs
dexploitation affiliés à la caisse sont aujourdhui au nombre de 3.500 : en
1994, ce chiffre était de 4.327 (4.027 chefs dexploitation soumis au forfait et 300
soumis à un régime réel dimposition). Trois ans plus tard en 1997, ce chiffre est
tombé à 3.511 (3.269 au forfait et 232 au régime réel dimposition). En 1993,
1.496 exploitants se déclaraient " éleveurs sans foncier " sur les
quelque 4.500 exploitants affiliés. Comment ces personnes ont-elles été affiliées à
la MSA de Corse ?
Dans les années 70, de nombreux éleveurs ont été inscrits parce
quils avaient des bêtes sans posséder de terres eux-mêmes. Grâce à des
équivalences entre le nombre de bêtes et le nombre dhectares, ceux qui pouvaient
justifier de la ½ SMI (surface minimum dinstallation) ont été inscrits. Même
sils nétaient propriétaires ou locataires daucune terre, ils
bénéficiaient dune autorisation écrite de pacage. Les autorisations
nétaient pas sectorisées par le maire de la commune, ce qui signifie que le maire
accordait X hectares de terres à un éleveur, puis à un autre, etc, sans préciser
quelles étaient les terres attribuées aux uns et aux autres. Ainsi, lorsque lon
parle d " éleveur sans terres ", cela ne signifie pas
quil nutilise pas de terres, mais, plus précisément, que ces terres ne sont
pas clairement identifiées et quil ne peut se prévaloir daucun titre sur ces
terrains (il nest ni propriétaire ni locataire).
Aujourdhui, la situation est en principe différente : chaque
éleveur doit désormais être enregistré avec un relevé parcellaire indiquant sur
quelles terres il peut faire pâturer ses bêtes. Bien évidemment, il arrive que les
bêtes pâturent sur les terrains communaux et sur des terrains privés non clôturés.
Les dossiers doivent théoriquement comporter des fiches cadastrales établies par la
commune. Il faut noter quun effort a été réalisé depuis 1981 pour actualiser les
données contenues dans le cadastre. Dans la plupart des cas, les éleveurs obtiennent une
autorisation, mais ne signent pas de bail en bonne et due forme ; les autorisations
figurent, pour de nombreux dossiers, sur de simples papiers libres. Ces documents, qui
nont pas de valeur juridique, ne précisent pas les conditions de location des
terres. Les pièces justificatives indispensables ne sont pas fournies pour la
constitution des dossiers dimmatriculation.
A posteriori, des contrôles doivent être effectués pour
vérifier lidentité des propriétaires, la nature des terres et les surfaces. Mais
il ne semble pas que les contrôleurs de la MSA se soient réellement rendus sur place
pour constater la réalité de la situation décrite dans les dossiers. Des terres peuvent
ainsi être référencées de façon différente dans les matrices cadastrales et dans les
documents MSA.
Un des problèmes récurrents concerne les terres en indivision. En
principe, tous les propriétaires devraient être sollicités pour signer un bail ou une
convention. Dans les dossiers examinés par la commission denquête, il a été
constaté des cas pour lesquels il manquait des signatures de propriétaires. Un
exploitant peut ainsi obtenir léquivalent dun bail alors que seul un des
propriétaires a donné explicitement son accord. De même, un des propriétaires peut
déclarer quil exploite les terres en indivision sans que laccord des autres
propriétaires ait fait lobjet de vérification.
· Les vérifications effectuées
par la caisse à partir de 1993
En 1993, la caisse lança un programme de contrôle et fut
ainsi amenée à régulariser près de 1.096 dossiers sur les 1.496. Le contrôle
seffectua sur une période de 5 années. Au moment de la visite du rapporteur, en
juin 1998, la caisse était dans la dernière phase de cette régularisation (60 dossiers
à régulariser). 324 dossiers furent radiés à la suite de cette opération (ils
nétaient pas régularisables).
Il faut relever que les décisions de ne plus accepter
déleveurs " sans terre " (cest-à-dire sans terres
attitrées) dataient de 1988 (arrêté du 26 janvier 1988 pour la Haute-Corse et arrêté
du 27 janvier 1988 pour la Corse du Sud). Cependant, les opérations de régularisation
nont débuté que cinq ans plus tard, en 1993, à la demande de la tutelle. De 1988
à 1993, des agriculteurs " sans terres ", cest-à-dire sans
titres fonciers, ont donc encore pu être inscrits dans les fichiers de la MSA. Les
explications fournies à la commission denquête par les responsables de la MSA à
ce sujet ont paru relativement peu claires.
· Des anomalies inquiétantes dans
les dossiers individuels examinés
Les contrôles sur place effectués à la caisse
dAjaccio en juin 1998 ont permis de mettre en évidence un certain nombre
danomalies et dirrégularités.
Lors de la visite du rapporteur, sept dossiers ont été choisis de
façon aléatoire parmi ceux que la caisse avaient récemment régularisés à la suite
des vérifications des dossiers engagées à partir de 1993. Trois autres dossiers
concernent des personnes ayant demandé leur radiation des listes MSA. Sur ces dix
dossiers, aucun nétait irréprochable. Certains comportaient même des
irrégularités flagrantes, des incohérences et de nombreuses approximations. Les
dossiers ne comprenaient que peu de pièces justificatives.
quatre observations principales
1/ La pratique des lettres sur papier libre est
très largement répandue. Les maires attestent par exemple que tel ou tel de leurs
administrés a le droit de faire pâturer ses bêtes sur des terres, mais les dossiers ne
font pas apparaître qui est réellement propriétaire des terres (lorsque ces terres ne
sont pas propriété de la commune) et, si un bail a été conclu, pour combien de temps
et selon quelles modalités précises.
2/ Aucun contrôle nest effectué pour vérifier quune
personne qui se déclare aide familial et qui est donc de ce fait affiliée à la MSA,
travaille effectivement dans lexploitation familiale. Aucun contrôle de
vraisemblance nest effectué : une personne se prétendant agriculteur et
habitant à Paris peut rester affiliée à la caisse de Corse sans quune
vérification de cette situation ne soit réalisée.
3/ Dans le cas des terres en indivision, la MSA a
accepté des dossiers dans lesquels la signature dun seul propriétaire indivisaire
était considérée comme suffisante. Juridiquement, aucun des baux retenus dans ce
contexte nest valable.
4/ Les baux ou documents qui se dénomment ainsi ne peuvent
être considérés comme des pièces valables dans la mesure où aucune date, aucune
somme, aucun loyer ny figurent.
|
Les 10 dossiers examinés à titre dexemples
Dossier n ° 1 : Eleveur ovin
Données
de base
et pièces jointes au dossier |
Problèmes
et irrégularités constatés |
a°) Un "contrat de métayage "
grâce à une simple lettre dautorisation du maire dune petite commune
|
è La lettre sur
papier libre ne peut valoir contrat en droit français. Il est impossible
daffirmer que léleveur noccupe pas illégalement les terres. Il manque
un véritable bail de métayage. Peut-être léleveur sest-il approprié ces
terres ?
Dailleurs, le dossier nindique pas si le propriétaire
des terres nest pas lui même exploitant.
NB : selon les agents de la MSA, si les mêmes terres étaient
attribuées deux fois de suite à des éleveurs différents, le système informatique se
bloquerait, ce qui empêcherait une double inscription.
|
b°) Une attestation sur papier libre indiquant
que le fils de léleveur est un aide familial, ce qui a permis à ce dernier
dêtre également affilié à la MSA
|
è Cette attestation
na aucune valeur juridique et aucun contrôle nest effectué pour vérifier
que laide familial travaille réellement dans lexploitation. On ne demande
pas la déclaration fiscale du fils par exemple pour vérifier la correspondance entre ses
affirmations avec la réalité.
NB : Seul le chef dexploitation doit, au moment
de son inscription, fournir une déclaration fiscale.
|
Dossier n° 2 : Eleveur caprin
Données
de base
et pièces jointes au dossier |
Problèmes
et irrégularités constatés |
a°) La SAFER a signé en 1990 une " convention
doccupation provisoire et précaire " de terres avec cet éleveur. La
mise en valeur des terres doit donc se faire par cet éleveur.
|
è Daprès les
agents de la caisse présents lors du contrôle, cet éleveur a sans doute occupé des
terres de façon sauvage avant que la SAFER ne tente de régulariser la situation. Le
problème est que cette convention ne mentionne aucun des renseignements qui devraient
y figurer au minimum : cest-à-dire date à partir de laquelle la convention est
valable ; date à partir de laquelle loccupation provisoire devra cesser ; redevance
ou somme que léleveur devra verser à la SAFER pendant cette période. Ainsi,
des terres ont été attribuées à cet éleveur par la SAFER alors quaucune pièce
justificative ne prouve que la SAFER était bien propriétaire de ces terres et que la
convention, qui na aucune valeur en droit, ne fait mention daucun loyer.
|
b°) Les terres ainsi
" attribuées " à léleveur sont indiquées selon des références
qui ne sont pas identiques à celles qui figurent dans la matrice cadastrale : par
exemple, des hectares de maquis selon le cadastre sont enregistrés comme des hectares de
landes.
NB : Daprès les agents de la caisse, cet
éleveur a été inscrit au départ sans terres puis, lors de la vérification au début
des années 90, il a du faire la preuve quil détenait bien une ½ SMI.
Interrogé à ce sujet, le président SEMIDEI a répondu de
façon elliptique " oui, ça cest un dossier politique ".
|
è Ni les agents
de la SAFER ni les contrôleurs de la caisse ne sont allés vérifier la nature de ces
terres. Les superficies sont calculées de façon aléatoire puisquelles ne sont
pas exactement identiques entre le cadastre et le document de la SAFER.
è Si, lon reprend le calcul
des superficies strictement, on note que léleveur navait pas la ½ SMI :
il a été régularisé alors que selon les textes, là encore, il ne pouvait être
inscrit à la MSA.
|
Dossier n° 3 : Eleveur sans terres inscrit en 1975
Données
de base
et pièces jointes au dossier |
Problèmes
et irrégularités constatés |
Lettre du maire
indiquant quil fait pacager ses bêtes sur les terrains communaux.
|
è Cette lettre ne
peut avoir valeur de bail. Dailleurs la lettre du maire indique seulement que
M. X " pacage bien " sur les terrains communaux. Le maire
lui-même qui est censé faire une attestation se contente dindiquer que M. X
lui a dit quil pacage.
|
Dossier n° 4 : Eleveur porcin inscrit en 1977
Données
de base
et pièces jointes au dossier |
Problèmes
et irrégularités constatés |
Lettre indiquant sur papier libre que cet
éleveur succède à ses parents et reprend un certain nombre de bêtes (35 porcs, 25
bovins, 8 caprins). Cet exploitant na pas de titre de propriété lors de son
inscription en 1977
|
è Aucune pièce
justificative ne permet daffirmer que cet exploitant a bien succédé à ses
parents.
Il a pourtant été maintenu en vertu dun principe simple : même
les exploitants sans terres ou natteignant pas la ½ SMI au moment de la
vérification ont été maintenus dans leurs droits lorsquils avaient été
valablement inscrits auparavant grâce aux équivalences bêtes - superficie qui ont
existé jusquen 1988.
|
Dossier n° 5 : Exploitant de Porto Vecchio inscrit en 1976
Données
de base
et pièces jointes au dossier |
Problèmes
et irrégularités constatés |
Il déclare quil est locataire des
terres mais le dossier ne comporte aucune pièce indiquant le nom du propriétaire ou
lacte de propriété.
|
è Cet exploitant se
déclare comme le successeur de son père ; mais les terres étaient alors en
indivision. Pour quil puisse être considéré comme locataire des terres de
ses parents, il aurait dû avoir un bail signé par les autres propriétaires indivis.
|
Dossier n° 6 : Agriculteur de Corte inscrit en 1982
Données
de base
et pièces jointes au dossier |
Problèmes
et irrégularités constatés |
Lettre de ladjoint au maire attestant
que cet éleveur a le droit de faire librement pâturer ses bêtes et quil a un bail
à fermage.
|
è Le bail
nest pas valable : il ne mentionne pas le montant de la somme à payer dans le cadre
du fermage.
|
Dossier n° 7 : Agriculteur inscrit depuis 1973
Données
de base
et pièces jointes au dossier |
Problèmes
et irrégularités constatés |
Lettre du maire faisant mention dune
promesse de location de terres propriété de la commune
|
è Léleveur
navait, au moment de son inscription, quune promesse de location. Aucune
date nétait mentionnée quant à la date à partir de laquelle la location allait
débuter, ni pour quelle période léleveur pouvait louer, encore moins pour quelle
somme il louait.
|
Dossiers n° 8, 9 et 10 : Personnes ayant demandé à être
radiées des listes MSA
Données
de base
et pièces jointes au dossier |
Problèmes
et irrégularités constatés |
1°) Lettre dune personne qui demande
à être radiée. Dans le dossier, on découvre que lhomme en question inscrit en
1977 a écrit en 1986 à la MSA depuis Paris pour demander à ce que les
remboursements lui soient transmis dans la région parisienne puisquil
navait plus loccasion de se rendre fréquemment en Corse !!!
|
è Cette lettre,
qui montre que cette personne habitant à Paris ne peut vraisemblablement pas être
exploitante en Corse, na donné lieu à aucun contrôle de la part de la caisse.
Au moment de la radiation de cet adhérent (à la demande de ce dernier), il est probable
quil avait profité pendant plusieurs années de cette situation.
|
2°) Lettre dun homme qui explique
quétant incarcéré, il ne peut plus être exploitant. Il demande lui-même sa
radiation.
|
è Observation : le
dossier nindique pas de façon précise depuis quand cet homme est incarcéré,
ce qui veut dire quavant la vérification générale, il a probablement continué à
recevoir des aides ou des sommes de la MSA, alors quil ne pouvait déjà plus être
considéré comme éleveur en exercice.
|
3°) Lettre dune personne
expliquant quelle a vendu toutes ses bêtes.
|
è Pas
dobservation, si ce nest que la vente a peut-être eu lieu bien avant le
moment de la demande de radiation. Aucun contrôle de ce type nest réellement
effectué par la MSA.
|
A partir de ces quelques exemples, on peut considérer que la gestion
des dossiers individuels de la caisse est dépourvue de la rigueur la plus élémentaire.
Pour opérer une véritable remise à plat de ces fichiers, la caisse ne pourra pas faire
léconomie dun travail considérable de vérification dossier par dossier.
Pour lheure, elle est confrontée à une détérioration inquiétante de ses
comptes.
· Linexorable dégradation
des comptes
Les dettes de cotisations sociales propres à la MSA se sont
dangereusement accumulées pour atteindre aujourdhui la somme impressionnante de
675 millions de francs pour 3.800 affiliés. Les plans de remboursement ne
sont guère respectés et les huissiers sollicités ne permettent pas de récupérer des
sommes importantes.
Malgré les observations de la Cour des comptes et du ministère de
lAgriculture demandant à la caisse de Corse de prendre des mesures adaptées à la
situation, le taux de restes à recouvrer sur cotisations a augmenté de façon continue
depuis 1988. Cette situation particulièrement dégradée porte gravement atteinte à
léquilibre financier de la caisse dont le compte de résultats ne cesse de se
détériorer. Financièrement, celle-ci peut aujourdhui être considérée comme
étant " en faillite ". La progression des créances place la
caisse au dernier rang des caisses françaises. Certaines spécificités
(linsularité, la bi-départementalité) ne sauraient expliquer, seules,
limportance des problèmes rencontrés et des mauvais résultats en termes de
rentabilité. Notons que la caisse dAjaccio a bénéficié dune allocation
dadaptation de 13,2 millions de francs en 1996 et de 10 millions de francs
en 1997, dont le financement a été assuré grâce à la solidarité des autres caisses
de MSA au travers du fonds dadaptation créé à cet effet.
Pour la première fois, en mars 1998, le comité départemental
dexamen des comptes des organismes de sécurité sociale (CODEC) a émis un avis
défavorable sur lapprobation des comptes de lexercice 1996.
" Le comité départemental dexamen des comptes
des organismes de sécurité sociale de la Corse-du-Sud,
Etant donné la persistance de nombreux problèmes graves et une
insuffisante prise en compte des observations du CODEC de la Corse-du-Sud lors des
précédentes sessions, notamment en ce qui concerne
- lapurement des comptes 48418 " Cotisations à
régulariser - autres " et 46688 " Créditeurs divers "
- la production des clarifications demandées sur les prestations
indues à récupérer (PIAR) antérieures à mars 1991
et surtout
- la correction des multiples insuffisances graves en matière de
contentieux, condition nécessaire à lindispensable amélioration du recouvrement
et au redressement de la situation financière de la caisse.
Emet un avis défavorable sur lapprobation des comptes de
lexercice 1996. "
Les perspectives davenir de la caisse apparaissent
relativement sombres. La récente mission de lInspection générale des finances, de
lInspection générale de lagriculture et de lInspection générale des
affaires sociales, pour tardive quelle puisse apparaître, permettra peut-être
dengager rapidement les mesures qui simposent. Quant à elle, la commission
denquête établit diverses propositions qui figurent en dernière partie du
rapport. La rénovation des méthodes de gestion de la caisse doivent en effet
sinsérer dans une stratégie globale de réforme des institutions du secteur
agricole.
Dans un autre ordre didées, la commission denquête
sest intéressée à la situation des offices publics dHLM des deux
départements de Corse. Les difficultés actuelles de ces établissements entravent, en
effet, la politique de construction et de réhabilitation du logement social en Corse
alors que les besoins actuels en la matière ne sont déjà pas satisfaits dans cette
région.
d) La difficile remise à flot des deux offices publics
dHLM
Loffice public dHLM de la Corse-du-Sud comme
celui de la Haute-Corse connaissent des situations financières difficiles. Selon les
informations fournies à la commission denquête, le total des impayés sur les deux
départements dépasserait aujourdhui 65 millions de francs.
La Chambre régionale des comptes a, au cours des dernières années,
été saisie des budgets 1994, 1995, 1996 et 1997 ainsi que des comptes administratifs
1995, 1996 et 1997 de loffice public de Haute-Corse et des budgets 1996 et 1997 de
celui de la Corse-du-Sud. Dans ses divers avis, la Chambre a préconisé des mesures de
gestion tendant notamment à améliorer le taux de recouvrement des loyers et à
maîtriser lévolution des dépenses de fonctionnement. Elle a constaté que
lapurement du déficit ne pourrait intervenir que sur la base dun plan
pluriannuel de redressement impliquant lensemble des collectivités locales
concernées. Ces plans, qui furent élaborés dans la période récente, prévoient une
recapitalisation de lordre de 37 à 40 millions pour chacun des offices
supportée à hauteur de 50 % par la caisse de garantie du logement social et à
50 % par les collectivités locales.
La gravité de la situation a été soulignée par un magistrat de
la Chambre régionale des comptes devant la commission denquête en avril 1998 :
" Les deux offices dHLM de la Corse-du-Sud et de
la Haute-Corse (...) font partie de nos " clients " récurrents,
puisque nous sommes saisis chaque année par le préfet pour essayer de juguler ce
déficit abyssal.
Bien entendu, la Chambre a toutes les difficultés pour y parvenir,
dans la mesure où ce déficit est lié notamment à des impayés très importants. Ces
impayés étant anciens, non corrigés, les OPHLM nont pas les moyens de procéder
aux rénovations, voire aux constructions utiles, puisquil existe un déficit très
important de logements sociaux en Corse. Les bâtiments étant de plus en plus piteux, les
gens solvables sen vont. Dans ces conditions, on ne peut rétablir une situation
financière saine. (...)
Lorsquon est en présence à la fois de recettes extrêmement
réduites et de dépenses extrêmement lourdes, notamment avec des déficits très
importants, on finit par arriver, même en essayant de rassembler toutes les recettes
possibles, à une " formalité impossible ". On renvoie le dossier tel
quil est et la situation névolue pas du tout. Le
" yo-yo " peut durer une éternité, ce qui montre bien la limite des
procédures réglementaires. (...)
La situation de loffice de la Corse-du-Sud est un peu moins
tendue, mais elle ne va pas tarder à atteindre le même niveau, pour les mêmes raisons.
Là aussi, un plan de redressement sera très certainement nécessaire à très court
terme. "
*
* *
Tout en reconnaissant que les OPHLM, organismes à vocation sociale, ne
rencontraient pas seulement en Corse des difficultés, un autre magistrat de la Chambre
régionale des comptes déplorait les insuffisances, voire labsence de
gestion : " les déficits correspondent aux arriérés de loyers non
payés. Les dossiers ne sont pas remplis de façon correcte (pour les avis à tiers
détenteurs, il manque des pièces justificatives qui empêchent des poursuites).
Le comptable a un travail difficile. Celui de loffice de
Corse-du-Sud avait un débet de 6 millions de francs. Les comptes
nétaient pas bien tenus : la Chambre ne pouvait plus déterminer qui devait payer
à qui ! Le conseil dadministration de loffice a pris une délibération
favorable à la remise gracieuse de la somme. "
|
· Loffice de la
Haute-Corse : une situation difficile qui nest pas nouvelle
Si la situation préoccupante de cet office localisé à
Bastia nest pas nouvelle, la prise de conscience paraît plus récente. En
décembre 1996, la mission interministérielle dinspection du logement social
rendait un rapport alarmant sur loffice.
Lautofinancement net est négatif, la trésorerie insuffisante,
tandis que les impayés de loyers atteignent des montants désormais inquiétants. La
vacance des logements paraît très importante et on note des incohérences entre les taux
de loyers pratiqués. Une partie du patrimoine se trouve aujourdhui dans un mauvais
état. Les parties communes de certains bâtiments présentent un aspect de délabrement
avancé. La gestion de loffice lui-même pose problème. Les coûts de gestion
paraissent très élevés. En 1996, le président avait démissionné pendant que le
directeur quittait ses fonctions. Les agents font preuve dune certaine démotivation
et labsentéisme atteint des proportions anormales. Dans son rapport du 5 décembre
1996, la mission interministérielle dinspection du logement social notait : " un
absentéisme de longue durée, des moyens matériels insuffisants, un manque de cohérence
et un encadrement peu motivé sont les principaux handicaps de cette régie ".
Le budget de loffice accusait un déficit cumulé de
38 millions de francs en 1997 (dont 6 millions au titre de lannée
1997).
Un plan de redressement de loffice a été accepté par la caisse
de garantie du logement social (CGLS) le 10 juillet 1997. La recapitalisation, qui doit
représenter 39,5 millions, sétablit de la façon suivante : lÉtat
doit verser 19,75 millions dici à 2002 et la CTC doit contribuer à hauteur de
6,55 millions dici à 2002 ; enfin le conseil général et la ville de Bastia
doivent compléter cet effort pour un montant de 12,2 millions de francs.
Ce plan, récemment approuvé par le président du Conseil exécutif,
doit sétaler sur une période de cinq années à compter de 1998. Il sappuie
sur trois axes principaux : la restructuration financière de loffice,
laugmentation des PLA neufs et lamélioration de construction neuve. Il
prévoit de réaliser des travaux de gros entretien et de grosses réparations, répartis
entre 1997 et 2000, pour un montant de 11,25 millions de francs, de restructurer
la Cité Aurore à Bastia (la démolition de 148 logements, la réhabilitation de 160
logements et la reconstruction de 216 logements neufs) pour un montant global de
113,4 millions de francs, de réhabiliter la Cité des Monts à Bastia pour un
montant de 22,7 millions de francs.
(en millions de francs)
Années |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
TOTAL |
État et CGLS |
6,5 |
6 |
4,5 |
1,5 |
1,25 |
19, 75 |
CTC |
2,1 |
2 |
1,5 |
0,5 |
0,45 |
6, 55 |
TOTAL |
27,30 |
· Loffice de la
Corse-du-Sud : des points faibles et quelques signes encourageants
Loffice emploie environ 40 personnes en
équivalent plein temps ; il possède un patrimoine de 1.777 logements et gère un
budget de 109 millions de francs. Cest le maire dAjaccio, M. Marc
Marcangeli, qui en préside le conseil dadministration. Limportance des
déficits enregistrés par cet office sexplique à la fois par les problèmes
structurels anciens, mais également par labsence daugmentation des ressources
(liée à la question lancinante des impayés et au refus daugmenter les loyers
au-delà des obligations réglementaires). Les points faibles de la gestion de cet office
sont un manque de rigueur dans la gestion des créances des locataires, le très fort
endettement de lorganisme lié aux taux dimpayés, la non-récupération des
charges locatives, limportance des frais de personnel qui grèvent les coûts de
gestion, le retard pris dans les opérations dentretien et de gros travaux des
bâtiments, enfin, la grave insuffisance de trésorerie.
Depuis de nombreuses années, la situation tend à se détériorer.
La cause principale tient au poids des emprunts antérieurs dont la charge est telle que
léquilibre dexploitation ne pourrait être assuré même en labsence
dimpayés. Malgré les efforts accomplis, le taux dimpayés reste trop élevé
et le fond de roulement demeure très faible.
En 1987, un premier plan de redressement préconisait, outre la
reconstitution des fonds propres, un ensemble de mesures visant à une amélioration de la
gestion de loffice, comme la réduction progressive des effectifs, un effort dans le
recouvrement des loyers ou la vente de logements. Le département de la Corse-du-Sud, qui
garantit la majeure partie des emprunts de loffice, versa 42 millions
de francs de 1987 à 1996. Malgré de nombreux progrès constatés par la suite, le
redressement des comptes na pu être totalement réalisé. Ainsi les budgets
primitifs pour 1996 et 1997 furent-ils transmis à la Chambre régionale des comptes pour
défaut de vote en équilibre réel.
Dans son avis en date du 27 novembre 1996 (concernant le
déséquilibre du budget primitif voté pour 1996), la Chambre régionale des comptes
notait que la totalité des dépenses de personnel navait pas été intégrée dans
le budget primitif, que les recettes inscrites au budget étaient parfois insincères et
surévaluées, voire fictives. La Chambre relevait également quavec un effectif
de 47 agents, loffice enregistrait des dépenses de personnel dun montant
supérieur à la moyenne des offices gérant un parc de logements comparable. Enfin, elle
dénonçait une pratique consistant à attribuer aux agents de loffice des chèques
déjeuners dans des conditions contestables.
Dans son avis en date du 25 septembre 1997, la Chambre régionale des
comptes constatait que le budget primitif de loffice de la Corse-du-Sud navait
pas été adopté en équilibre réel. En effet, le budget sétablissait de la
façon suivante :
Section de fonctionnement :
Dépenses : 71.186.093 F
Recettes : 63.695.700 F
Section dinvestissement :
Dépenses : 56.187.875 F
Recettes : 48.754.894 F
|
La Chambre concluait quétant donné que le montant total des
dépenses inscrites sélevaient à 127.373.968 francs pour seulement
112.450.594 francs de recettes, il existait un déséquilibre prévisionnel global de
14.923.374 francs se répartissant en un déséquilibre de 7.490.393 francs pour
le fonctionnement et de 7.432.981 francs pour linvestissement.
Les impayés, qui atteignaient 39.593.968 francs à la fin 1995
sélevaient à 40.658.246 francs à la fin 1996. Cette donnée constitue un
motif majeur daggravation du déséquilibre budgétaire puisquune partie
importante des recettes inscrites en ce domaine ne sont pas perçues. Les impayés
exigent, de surcroît, de prévoir chaque année des dotations aux provisions pour
créances douteuses dun montant élevé et croissant. Dans son avis en date du 25
septembre 1997, la Chambre régionale des comptes remarquait, enfin que la somme de
6.204.092 francs avait été inscrite en dépenses. Ce montant représentait
ladmission en non valeur du débet de lancien receveur de loffice,
recette à laquelle le conseil dadministration avait renoncé par délibération du
20 décembre 1996.
On rappellera les appréciations portées par lancien président
de la Chambre régionale des comptes, M. Gilbert Canosci, lors de son audition en mars
1997 par la mission dinformation sur la Corse, en réponse à une question sur
loffice de Corse-du-Sud : " il faut préciser que cet organisme a
eu pour comptable une personne très connue à Ajaccio, qui est conseiller général et
maire, mais qui navait, ni la compétence requise pour tenir la comptabilité
dun organisme de cette importance, ni les moyens en personnel auprès delle
pour ly aider.
Si ces problèmes semblent actuellement résolus, la difficulté qui
tient à la mentalité de nombreux Corses de refuser de payer leurs dettes, persiste.
Je ne conteste pas que, parmi les personnes qui sont logées par
loffice HLM, certaines se trouvent certainement dans une situation financière
dramatique ; comme tout le reste de la France, la Corse a aussi son lot de chômeurs
et de personnes défavorisées. Mais, ce que nous savons cest que dautres, qui
peuvent payer, ne le font pas.
Il est incontestable quil y a eu un manque de fermeté de
loffice et une carence totale, pendant de nombreuses années, tant en ce qui
concerne la tenue de la comptabilité que les poursuites à lencontre des
débiteurs. "
Selon la Chambre, le déséquilibre du budget primitif 1997 de
loffice de la Corse-du-Sud sétablissait au minimum comme suit :
Insuffisance des recettes budgétaires annuelles par
rapport aux dépenses 14.923.374 F
Insuffisance des amortissements techniques par rapport
aux amortissements financiers 371.356 F
Insuffisance de la dotation aux grosses réparations 593.298 F
Total du déséquilibre 15.888.028 F
|
Dans sa conclusion, la Chambre écrivait : " le
déséquilibre du budget pour 1997 est ainsi dune telle ampleur que sa résorption
dans le cadre des dispositions précitées constitue, pour la Chambre, une formalité
impossible au sens de la jurisprudence administrative ".
La Chambre recommandait, en outre, au président de loffice
de veiller à produire désormais " un rapport de présentation du budget
primitif qui comporte tous les éléments concernant les diverses dotations et qui soit de
nature à assurer la transparence des comptes et des choix budgétaires proposés au
conseil dadministration. "
Le budget de loffice a donc été réglé en 1996 et 1997.
Notons que le budget de 1998 a été transmis en préfecture le 6 avril 1998. Il présente
un important déficit tant en section de fonctionnement quen section
dinvestissement, à hauteur de 11.439.840 francs auquel il convient
dajouter le déficit de lexercice 1996 (18.294.243 francs), soit un
déficit global de 29.734.083 francs. Le budget 1998 a donc été transmis à la
Chambre régionale des comptes en application de larticle L1612-4 du code général
des collectivités territoriales.
Un plan de redressement, élaboré en 1996 avec le concours de la
caisse de garantie du logement social, et impliquant la participation des partenaires
locaux notamment du département et de la Collectivité territoriale de Corse, fixait à
lhorizon 2001 les objectifs suivants : que lorganisme retrouve une activité
conforme à sa vocation, que son budget de fonctionnement soit équilibré et
lautofinancement positif.
Outre lamélioration du recouvrement des loyers, avec une baisse
du taux des impayés (actuellement il est de 9,2 % alors que la moyenne nationale est
de 3,6 %), et la réduction des coûts de gestion, deux axes prioritaires ont été
dégagés. Le premier concerne le désendettement de loffice grâce à un
remboursement anticipé des prêts dont les taux sont les plus onéreux. Le deuxième
consiste dans la recapitalisation de loffice. Un projet a été transmis en ce sens
au président du Conseil exécutif de Corse qui, par correspondance en date du 10
décembre 1997, a fait connaître au préfet de Corse que le Conseil exécutif
lavait jugé non conforme au dispositif adopté par délibération du 18 juillet
1997. Par cette délibération, lAssemblée de Corse avait subordonné son
intervention à deux conditions : la prise en compte du montant des PLA-CFF et PAP non
utilisés au titre des années précédentes et la mise en oeuvre dune relance de la
construction neuve de logements locatifs sociaux en Corse.
Très récemment, un plan de redressement de 40 millions de francs
co-financé pour moitié par lÉtat et pour moitié par la Collectivité
territoriale de Corse et le conseil général de la Corse-du-Sud, a été signé ; un
prêt de 53 millions de francs aurait par ailleurs été accordé à lorganisme
par la caisse de garantie du logement social (couvert par le conseil général de la
Corse-du-Sud). Comme la presse corse sen est fait lécho le 26 août 1998, une
charte a également été signée entre le président de loffice et les
représentants du Trésor public (le trésorier-payeur général, le payeur
départemental), dans le but doptimiser le quittancement des loyers et
daméliorer les recouvrements " spontanés ". Il sagit
daméliorer, y compris en termes de liens informatiques, les relations entre la
recette perception du département et loffice. Cette charte de partenariat témoigne
dune volonté de coopération réelle.
Il faut espérer que cette nouvelle donne permettra à loffice de
développer ses activités en termes de constructions de logement social, aujourdhui
très insuffisantes sur lensemble de lîle. M. Marc Marcangeli,
président de loffice, annonçait dans le journal " La Corse "
du 26 août 1998, " nous pensions commencer les constructions dès la fin de
lannée ; nous avons deux projets prioritaires : la reconstruction de
limmeuble plastiqué à Sartène, cours Sur Amélie, avec 15 logements à la
clef et la construction dun collectif de 35 logements " ; le
président de loffice envisage la construction au plan départemental de 80 à 100
logements par an.
Ces mesures, indispensables, ne sont sans doute pas les seules à
devoir être mises en place ; la gestion des deux offices publics dHLM devra
être dynamisée pour éviter que le redressement aujourdhui annoncé ne soit que de
courte durée.
3. La gestion chaotique de certaines collectivités
locales
Dans la progressive mise au jour des dysfonctionnements, les
collectivités locales ne sont pas épargnées. Les errements constatés, notamment au
travers des travaux de la Chambre régionale des comptes, nont pas tous ni le même
degré de gravité ni les mêmes conséquences financières. Par ailleurs, la commission
denquête nentend pas reconnaître aux collectivités de lîle une
quelconque exclusivité en la matière. De tels errements, de tels manquements à la
légalité pourraient être constatés dans dautres régions du territoire.
Les cas évoqués ici ne sauraient constituer une liste exhaustive.
Ils ont été retenus car ils illustrent, peut-être mieux que dautres, la situation
financière difficile que connaît bon nombre de communes de lîle. Or, ces
difficultés ne résultent pas seulement de leur petite taille, de linsuffisance de
leurs ressources financières ou de la conjoncture économique générale de la Corse.
Certaines collectivités voient leur avenir également gravement assombri par leur propre
comportement et leurs propres erreurs de gestion.
De la mauvaise gestion " globale " aux
conséquences catastrophiques de décisions ou de projets précis, toute la gamme des
erreurs est présente en Corse. Sy ajoutent parfois de multiples manquements à la
légalité.
a) Ajaccio : une " fuite en avant "
catastrophique
Le vol rocambolesque des armes de sa police municipale
ne constitue que le dernier épisode de la chronique dune ville qui apparaît dans
une situation financière critique.
En avril 1997, le trésorierpayeur-général de Corse attirait
lattention du commissaire du gouvernement près la Chambre régionale des comptes
sur la gravité de la situation financière de la ville dAjaccio.
Selon des informations recueillies par la commission denquête,
" il apparaît que la ville dAjaccio souffre dun gestion
approximative depuis plusieurs années, les difficultés accumulées ne présentant pas un
commencement de règlement. Au contraire, les actions entreprises, notamment pas le
recours à lemprunt pour financer le fonctionnement de la commune
"plombée" par un coût du personnel largement excessif, conduisent la commune
vers une politique de fuite en avant qui fait craindre une situation à venir
catastrophique ".
· Une ville sous la vigilance de
ses créanciers
Il apparaît, en effet, que la marge
dautofinancement courant de la ville est particulièrement faible, quand elle
nest pas négative comme en 1990, 1991, 1994 et 1996. Dès lors, les investissements
nouveaux ne peuvent être financés que par des ressources externes, emprunts ou
subventions. Cette situation a conduit à placer la ville sous une sorte de tutelle
financière : elle a, en effet, conclu avec ses bailleurs de fonds un accord aux termes
duquel ils subordonnent leurs prêts, dont le montant est plafonné, au respect par la
ville de certains ratios financiers, ratios quelle semble dailleurs avoir du
mal à respecter.
· Un budget grevé par un personnel
pléthorique
Le budget de la ville est essentiellement un budget de
fonctionnement, caractérisé de surcroît par une grande rigidité des charges. En effet,
les dépenses de personnel se sont accrues de 45% entre 1989 et 1996 ; elles
représentaient en 1996 plus de 60% des dépenses de fonctionnement et sont supérieures
aux recettes fiscales directes. Au 1er janvier 1998, le personnel de la
ville comprenait, daprès le budget primitif, 1.115 titulaires et 259
non-titulaires, dont un certain nombre sont sans contrat (cest le cas de 54
" agents de salubrité "). Pour les non-titulaires, la préfecture ne
détient que 9 contrats pour les permanents et 20 contrats de saisonniers. Les autres
contrats nont donc pas été déposés au titre du contrôle de légalité. Parmi
ceux-ci figure un nombre élevé dagents du service de collecte des ordures
ménagères, dont la régularisation se heurte à un obstacle juridique en raison de leur
qualité détrangers non-communautaires.
Il nest pas sûr, en outre, que lutilisation de ce
personnel pléthorique soit optimale. Jusquen 1995, il ny avait pas
dorganigramme, chaque service fonctionnant, en outre, de manière quasi autonome.
Malgré limportance des effectifs des services techniques, le montant des travaux
exécutés en régie est particulièrement faible, seulement 2 millions de francs en
1997.
Il a été indiqué à la commission denquête que de nombreux
emplois seraient fictifs, les intéressés ne résidant pas en Corse, nexerçant
aucune activité dans les services de la ville ou exerçant dautres activités
professionnelles (commerces divers, bars, pêche). Ladministration a dailleurs
demandé à la ville de lui soumettre les contrats dun certain nombre demplois
figurant au budget. De même, la ville a temporairement rémunéré sur la base dun
contrat qui na pas été soumis au contrôle de légalité, un administrateur civil
apparemment appelé à exercer ensuite un rôle auprès du président dune autre
collectivité territoriale.
· Une ville très endettée
La charge de la dette est très lourde. Daprès
létat de la dette joint au budget primitif, lencours sélèverait à
462 millions de francs et la charge de celle-ci représenterait 80 millions
de francs pour 1998, dont 30 au titre des intérêts. Lencours continue à
augmenter car les dépenses réelles dinvestissement apparaissent surfinancées afin
de permettre le financement dune partie de lannuité en capital existante par
des emprunts nouveaux et de générer de la trésorerie au profit de la ville et de ses
budgets annexes, notamment le port de plaisance. Cette croissance du poids de la dette
sexpliquerait également par les conditions défavorables, et semble-t-il parfois
irrégulières, dans lesquelles la ville a repris des emprunts initialement souscrits par
deux sociétés déconomie mixte défaillantes dont elle était actionnaire.
· Des opérations hasardeuses
Lopération daménagement du port de
plaisance de lAmirauté, consistant en lagrandissement du port et en
laménagement commercial des terre-pleins, sest révélée particulièrement
catastrophique. Confiée initialement à une société déconomie mixte, la CORSAM,
pour un coût de 43 millions de francs, lopération a finalement coûté près
du double (80 millions de francs). Outre le fait que la ville ait dû reprendre
la dette contractée par la CORSAM dans cette opération, il apparaît que la gestion
courante est également problématique en raison du non-recouvrement des recettes auprès
des plaisanciers et des occupants des locaux commerciaux. Il faut souligner que certains
contrats damarrage nexistaient purement et simplement pas. La ville a
négocié un accord avec les commerçants du port par lequel elle a renoncé à la moitié
de ses créances ; il ne semble pas que cela ait suffit pour améliorer le
recouvrement des sommes dues.
La gestion du stationnement dans la ville a été également à
lorigine dimportantes difficultés. La ville a dû, là aussi, faire face à
la défaillance de la CORSAM et reprendre la dette de cette société déconomie
mixte. La gestion du stationnement a été, en 1995, déléguée à une nouvelle société
dans des conditions douteuses. La procédure fait dailleurs lobjet dune
enquête judiciaire pour violation de la législation applicable. Léconomie des
conventions apparaît également très critiquable : les dépenses laissées à la
charge de la ville, via le budget annexe subventionné par le budget principal,
sélève à 8,3 millions de francs (dont 5 dannuités demprunt et
3,3 de rémunération du délégataire pour la gestion des horodateurs) ; en retour,
la ville ne perçoit que 1,3 million de francs, le centre de profit se situant
visiblement chez le délégataire.
· Un budget pour 1998 insincère
Le budget primitif de la ville pour 1998 a été
déféré par le préfet de Corse à la Chambre régionale des comptes. Dans son avis
rendu le 18 juin dernier, celle-ci a dabord relevé des inscriptions budgétaires
entachant la sincérité des comptes.
En effet, la ville " sous-estimait délibérément le
montant des crédits à inscrire (
) nécessaires au paiement des factures dEDF ",
linsuffisance globale de mandatement sélevant à 19 millions de francs
au titre des exercices 1989 à 1995. Dès lors, EDF sest livrée à une compensation
entre dune part, les sommes quelle réclamait en paiement de ses factures et,
dautre part, les sommes quelle devait à la ville au titre de la taxe locale
déquipement. Pourtant, ces recettes étaient inscrites pour la totalité de leur
montant aux budgets de la commune. Dans ces conditions, " bien que
lopération en cause se trouve soldée en trésorerie, il nen demeure pas
moins que les résultats dexécution des budgets en cause sont erronés "
et " que les comptes administratifs auraient dû accuser un déficit
dexécution quil convient aujourdhui de corriger par linscription
en section de fonctionnement du budget principal 1998 dune dépense dun
montant identique " (soit 17,5 millions de francs).
A lissue de lexamen du budget, la Chambre chiffrait le
déséquilibre de la section de fonctionnement à 12,4 millions de francs
quelle proposait de répartir entre les charges à caractère général et les
autres charges de gestion courante. Reconnaissant qu" il appartiendra
au conseil municipal de ventiler à lintérieur de chacun des chapitres les diverses
réductions de dépenses déterminées conformément à ses orientations budgétaires ",
elle ne résistait pas à la tentation de souligner lexistence de marges de
manuvre en ce qui concerne les indemnités de fonction des élus (" portées
au taux maximum " en 1995) ou des concours volontaires en faveur de
certaines associations sportives. Enfin, pour rétablir léquilibre du budget annexe
du port de plaisance, puisque la Chambre a jugé illégale la subvention inscrite au
budget de la ville en raison de labsence de décision motivée du conseil municipal,
elle suggérait une augmentation des tarifs du port.
A lissue dun conseil municipal particulièrement houleux,
la ville a décidé daugmenter les impôts locaux, portant les taux de la taxe
foncière sur les propriétés bâties à 15,02 % (+28 %), de la taxe foncière
sur les propriétés non bâties à 46,24% (+3 %), de la taxe professionnelle à
24,85% (+3 %) et de la taxe dhabitation à 22,72 % (+3 %).
Parallèlement, le conseil décidait de suivre la suggestion de la Chambre régionale des
comptes en supprimant toutes les indemnités versées aux élus, générant une économie
de 2,7 millions de francs.
b) Laffaire du port de Propriano
Dans ce dossier, la commission denquête a réuni
différents éléments qui suscitent plusieurs interrogations.
· Des projets initiaux ambitieux
La décision dextension du port de Propriano fut
prise par délibération du conseil municipal en date du 28 décembre 1989.
Lenquête publique se déroula du 6 avril au 7 mai 1992. Le concours de la direction
départementale de léquipement en qualité de maître doeuvre fut accordé
par arrêté préfectoral du 3 août 1992.
Il sagissait de procéder à lextension de la zone
portuaire de plaisance existant dans les limites du port à compétence départementale.
Les travaux visaient à réaliser le prolongement de la digue de protection,
laménagement du plan deau. De même, la construction dune voie
routière était prévue pour permettre laccès au port de commerce reliant
lentrée de Propriano aux ports de plaisance et de pêche à partir de la R.N 196.
- La partie portuaire de lopération se présentait comme
une opération conçue en deux tranches : une tranche ferme comprenait la digue,
laire de carénage et la cale de halage, et une tranche conditionnelle comprenant
laménagement des quais et les appontements.
Ladministration (la direction départementale de
léquipement) avait élaboré les estimations suivantes :
Lestimation de ladministration
· Pour la tranche ferme :
7,140 millions de francs TTC
· Pour la tranche conditionnelle :
6,023 millions de francs TTC
TOTAL TTC: 23,164 millions de francs
|
Lappel à candidatures eut lieu le 8 septembre 1992. 28
entreprises se portèrent candidates ; 7 candidatures furent retenues et 4
" sous condition que ces entreprises sassocient à une entreprise
expérimentée en travaux maritimes ". Louverture des plis se déroula en
juin 1993. 5 entreprises avaient remis des offres, dont une, lentreprise Bouygues
Offshore, avec variantes. Les variantes proposées par cette société portaient
essentiellement sur les dimensions et les modes de construction de la digue de protection,
prévue en enrochements dans la solution administrative, et proposée sous forme de
colonnes ballastées ou pieux par la société.
Lentreprise Bouygues était la moins-disante en solution de base
avec la remise des prix suivante :
- Pour la tranche ferme :33,790 millions de francs
- Pour la tranche conditionnelle : 7,547 millions de francs TTC
TOTAL TT C : 41,337 millions
de francs
|
Lappel doffres ne fut pas déclaré infructueux et
lentreprise Bouygues fut retenue avec demande détude des variantes.
Loffre fut finalement acceptée par la commune maître douvrage le 14
décembre 1993, pour la somme de 41,840 millions de francs TTC (avec les variantes
décidées).
Le 15 décembre 1993, un avenant (N°1) fut passé avec la société
Bouygues pour la " construction dune route de desserte ". Le
montant TTC de 4.705.938 francs portait ainsi le marché initial de
41.840.391,76 francs à 46.546.329,76 francs, soit une augmentation de
11 %.
Le 19 avril 1996, un avenant (N°3) vint modifier lavenant N°1.
Il indiqua que les travaux de réalisation de la route du front de mer ne devaient pas
être réalisés. Le coût densemble des travaux effectués par Bouygues fut
arrêté par la société à la somme de 36.948.697,06 francs. Le décompte général
et définitif, établi par la DDE le 26 septembre 1996 et signé par lentreprise le
9 octobre 1996, arrêta le coût des travaux à la somme de 38.732.000 francs TTC.
Les travaux débutèrent le 18 juillet 1994 pour sinterrompre
le 31 mai 1996. Aujourdhui toutes les infrastructures portuaires ne sont pas
achevées, comme la commission denquête a pu le constater lors dun
déplacement à Propriano. Lextension du port de plaisance est donc utilisée en
létat.
Quant à la partie routière de lopération, il faut noter
quau cours du comité de suivi du 16 novembre 1993 du programme " Interreg
1 ", le maire de la commune de Propriano obtint le financement de la voie
daccès au port de commerce longeant et reliant le port de plaisance selon les
modalités suivantes :
Coût des travaux : 6 millions de francs
50 % sur fonds du FEDER et 50 % à la charge de la commune.
|
Le 14 décembre 1993, un marché fut passé avec lentreprise
Delovo pour la construction dune plate-forme denrochement et de protection de
la route du front de mer (pour un montant de 1.305.720 francs). Lordre de
service fut notifié le 14 décembre 1993, mais ce marché ne donna lieu à aucune
exécution.
En application de la réglementation européenne, les travaux devaient
être engagés avant le 31 décembre 1993. Larrêté attributif de subvention FEDER
fut pris par le préfet de Corse le 20 décembre 1993, pour une somme de 3 millions
de francs. Un acompte de 1,5 million de francs fut versé à la commune le 30
décembre 1993. Il fit lobjet dun ordre de reversement de 1,110 million le 19
février 1997. La commission denquête a constaté sur place que le marché Delovo,
qui devait construire la route, navait en effet donné lieu à aucune exécution des
travaux.
Ce point particulier fait lobjet de développements plus loin
dans la partie du rapport concernant les possibilités de fraude aux fonds européens.
· Les réactions de
lentreprise Bouygues Offshore
En réponse à une correspondance du préfet en date du
14 mai 1997, la société Bouygues lui fit savoir quelle avait convenu avec le maire
de Propriano de différer le règlement des sommes dues, de considérer que la créance
sélèverait à 32.800.000 francs (principal et intérêt) et que ce montant
devrait être acquitté par la commune pour le 20 juin 1999.
Extraits de la lettre de réponse adressée au
président directeur général de la société Bouygues Offshore
par le préfet Claude Erignac
suite à un courrier de cette entreprise
Lettre du 14 mai 1997
" Par lettre en date du 25 avril 1997, vous avez appelé
mon attention sur les sommes dues par la commune de Propriano en règlement des travaux
daménagement du port de plaisance.
Vous mindiquiez quen application de laccord conclu
avec le maire de Propriano le 20 juin 1996 la commune sétait engagée à verser
9 MF avant le 31 décembre 1996 et à régler le solde soit environ 29,8 MF avant le
20 juin 1999.
La commune nayant payé que 4,475 millions de francs à ce jour,
vous réclamez le paiement des 4.524.477,52 francs restant dus au titre de 1996 et
vous posez la question de savoir sil est possible dinscrire aux budgets
1997,1998 et 1999 (de la commune) les sommes nécessaires au règlement du solde.
Par courrier en date de ce jour, jai demandé au maire de
Propriano dacquitter la somme de 4.524.477,52 francs en règlement des sommes
dues au titre de lannée 1996 suivant les termes de laccord précité. Je ne
manquerai pas de vous tenir informé de lévolution de la procédure. Verbalement le
maire ma indiqué que le versement était imminent. (...) "
*
* *
Extraits de la lettre de réponse du président directeur général
(Bouygues Offshore)
le 3 juin 1997
" Par courrier du 14 mai 1997, vous nous informiez
avoir demandé à M. le maire de Propriano dacquitter la somme de
4.424.477,52 francs en règlement des sommes dues au titre de lannée 1996,
suivant les termes de notre accord du 20 juin 1996 avec la Municipalité de Propriano.
La municipalité a ainsi procédé au mandatement de la somme de
1.494.787,18 francs (soldant ainsi la cinquième situation et portant le total
réglé au titre de ce marché à environ 9.400.000 francs). Après réception de
cette somme, il restera donc à régler un montant immédiatement exigible de
3.029.690,34 francs.
Cependant, suite à de récentes discussions avec M. le maire de
Propriano, nous sommes convenus daccepter de différer le règlement de ce montant
et de le considérer comme payable au titre du solde de notre créance qui
sélèvera ainsi à environ 32.800.000 francs (principal et intérêts) au 20
juin 1999, et devra être acquittée avant cette date (...)"
· Les éléments troublants
- Il est intéressant de constater
quinitialement, la direction départementale de léquipement avait estimé le
coût des travaux à 23.164.000 francs. Or la société Bouygues, la moins-disante,
fit au départ une estimation de 41.337.000 francs TTC.
- Des irrégularités ont été manifestement commises. On peut
citer le défaut dinvitation du directeur départemental de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes. Or la présence du représentant de
cette direction aurait permis dattirer lattention sur la différence entre
lestimation du coût des travaux faite par la DDE et loffre de Bouygues
(entreprise la moins disante) et conduire à déclarer lappel doffre
infructueux. En outre, le rapport de présentation (rapport danalyse des offres) par
le représentant légal de la collectivité ne paraît pas avoir été transmis au
représentant de lÉtat en même temps que le marché. Des délibérations sont
intervenues postérieurement à la passation des marchés. Lavenant N°1 est
illégal puisquil concerne un marché différent du marché principal.
- Enfin, il est étonnant que ce projet ait fait lobjet
de tant de sollicitude de la part dune grande entreprise qui a, à ce jour, accepté
de nêtre pas payée par la commune et a décidé de lui accorder un délai de
paiement important (20 juin 1999).
Selon les informations recueillies par la commission
denquête en mai 1998 :
" Concernant la ville de Propriano, la Chambre
régionale des comptes a été saisie en 1995 par la société Bouygues. Cette société
avait été choisie pour agrandir le port. Elle a saisi la Chambre pour une inscription de
ces travaux au budget de la ville. Les crédits étaient inscrits mais nétaient pas
payés. On note un grand décalage entre le début des travaux et la délibération
autorisant le maire à les commencer. La Chambre a été également saisie à cause du
déséquilibre du budget de la commune.
Il semble que beaucoup de gens ont fait dimportants efforts pour
permettre le financement de ces travaux. On observe une grande sollicitude autour de ce
dossier. Ainsi, des subventions sont venues par la suite financer une partie des travaux.
La société Bouygues a décidé un étalement du paiement sur 3 ans
(40 millions en tout). La Chambre a même en sa possession des lettres signées du préfet
dans lesquelles celui-ci informait le maire que telle ou telle subvention lui était
accordée.
Alors que pour les saisines budgétaires, la Chambre sen tient
aux chiffres sans jugement de valeur, pour le contrôle de gestion, le travail de la
Chambre va plus loin. Il est intéressant détudier comment les collectivités se
sont mises dans une situation délicate pour pallier les carences du maire. En effet, le
maire a pris seul la décision sans son Conseil municipal.
Pourquoi Bouygues a-t-il saisi la Chambre ? Cest
probablement un responsable qui a pris cette initiative sans connaître toute
lhistoire. Par la suite, la société na plus jamais saisi la Chambre.
Celle-ci possède une copie de la lettre de la société proposant un étalement des
paiements sur trois ans (jusquen 1999). "
c) Conca : " une situation financière
dégradée "
En juillet 1997, la Chambre régionale des comptes a
arrêté ses observations sur la gestion de la commune de Conca de 1989 à 1994. Cette
petite commune de Corse-du-Sud fait régulièrement lobjet dun examen par la
Chambre, puisque celle-ci na pas rendu moins de 19 avis budgétaires entre 1986 et
1997.
Les conclusions de la Chambre sont sans appel : la commune
connaît une " situation financière dégradée (
) consécutive à une
insuffisance de financement ainsi quà des acquisitions onéreuses, au non-paiement
des participations dues au SIVOM du Cavo et à la passation de marchés de travaux irréguliers ".
Le rééquilibrage du budget de la commune constitue dès lors une " formalité
impossible ". La Chambre estimait en effet le déficit cumulé de la section
de fonctionnement à près de 2,9 millions de francs entre 1989 et 1995 et celui de
la section dinvestissement, pour la même période, à près de 5,1 millions
de francs.
Sagissant de la situation financière, la Chambre relève que la
section de fonctionnement est " structurellement déficitaire "
et que ce déficit provient essentiellement de la faiblesse des recettes, notamment de la
taxe de séjour, ainsi que de " labsence de volonté de réaliser des
économies ". Pour la section dinvestissement, la Chambre notait que
" le déficit résulte dune politique dinvestissement démesurée
par rapport aux capacités financières de la commune ainsi quà labsence de
programmation des investissements ".
Cette situation sexplique en partie par des acquisitions
onéreuses.
La commune avait, en 1988, fait lacquisition dun
terrain de camping lors dune adjudication judiciaire : le prix dachat
(1,950 million de francs) dépassait largement la mise à prix (1 million
de francs) et lestimation du service des domaines (1,330 million
de francs). Le maire affirme sêtre abrité derrière une estimation établie
par un atelier darchitecture (près de 1,9 million de francs), à propos duquel
la Chambre note quil entretient des liens privilégiés avec la commune et que sa
" capacité dexpertise en matière dévaluation immobilière
nest pas établie ". De plus, il apparaît que le conseil municipal
na autorisé cet achat que deux mois après quil soit intervenu, sans
quil soit dailleurs informé que lacquisition avait déjà été
réalisée. De plus, le camping a été exploité en régie dans des conditions telles que
la Chambre relève que les recettes effectivement perçues entre 1989 et 1993 ne
couvraient même pas les intérêts des deux emprunts souscrits pour réaliser
lopération.
La commune a aussi acheté, en 1993, une maison pour y installer le
conservatoire du costume corse. Le prix quelle a acquitté (360.000 francs)
était supérieur de 40% à lestimation du service des domaines
(255.000 francs). Or, il apparaît que le maire de la commune sétait porté
par ailleurs caution du vendeur auprès dun établissement bancaire. La Chambre
constate donc que ce dépassement de lévaluation administrative " a
permis de désintéresser la banque sans faire jouer la caution ".
La Chambre a également examiné un certain nombre de marchés
passés par la commune, dont trois marchés de travaux de voirie consécutifs aux pluies
diluviennes de lautomne 1993. Ces marchés ont été passés après mise en
concurrence restreinte sur la base de lurgence impérieuse motivée par des
circonstances imprévisibles. La Chambre ne reconnaît pas cet argument de lurgence
puisquelle note quun délai de quatre mois sest écoulé entre le devis
estimatif et le début de la procédure dappel doffres et que, au total, près
dune année sest écoulée entre les inondations et la réalisation des
travaux. Les marchés, qui représentent un montant total de plus de 1,9 million
de francs, ont été passés avec la même société qui a ensuite sous-traité
lessentiel des travaux, notamment les plus importants nécessitant des équipements
lourds. Dès lors, la Chambre, qui juge que la mise en concurrence " semble
factice ", sinterroge sur les compétences exactes de la société
retenue et donc sur les critères adoptés par le cabinet dexpertise pour opérer le
choix des entreprises appelées à soumissionner. Enfin, la Chambre rappelle que la
compétence en matière de voirie relevait du SIVOM auquel adhérait la commune.
d) Santa Maria Poghju : les conséquences dune
décision irréfléchie
La situation financière de la commune apparaît
particulièrement catastrophique. Dans un avis rendu le 21 novembre 1997 à la suite du
déférement du budget primitif pour 1997, la Chambre régionale des comptes indique que " la
situation financière de Santa Maria Poghju revêt un caractère de gravité exceptionnel,
puisque le déséquilibre budgétaire prévisionnel pour 1997 (103,8 millions
de francs) représente plus de 19 fois les recettes de fonctionnement (5,4 millions
de francs), et que le produit de la fiscalité directe locale (2,1 millions
de francs) ne couvre que 40% du montant des intérêts courus en un an au titre des
trois principales condamnations (5,2 millions de francs), alors même que les taux
dimposition ont été fixés au maximum autorisé " et que
" à lévidence, rétablir léquilibre budgétaire de la commune
constitue (
) une formalité impossible ".
Cette situation résulte de plusieurs condamnations de la commune
prononcées par le tribunal administratif de Bastia en 1988 et 1992. En effet, suite
à la loi du 22 juillet 1983 qui a transféré la compétence en matière de port de
plaisance aux communes, la commune de Santa Maria Poghju a été substituée à
lÉtat dans la convention de concession du port du SIVOM de Cervione-Valle di
Campoloro-Santa Maria Poghju, concession conclue en 1972 pour une durée de cinquante ans.
Dans le cadre de cette concession, le SIVOM avait, en 1973, sous-traité
lachèvement et lexploitation du port à une société de gestion et amodié
les terre-pleins portuaires et 80% des postes à quai à une société fermière. En août
1984, la commune décide de retirer au SIVOM la concession du port et, en janvier 1985, de
prendre en gestion directe la gestion du port de plaisance.
Sestimant lésées, la société de gestion et la société
fermière ont introduit différentes requêtes devant le tribunal administratif de Bastia
en vue dobtenir lannulation de ces deux décisions. Par une série de
jugements de juillet 1988, le tribunal a rejeté les requêtes mais a considéré que
" la mesure de résiliation unilatérale bien que régulièrement intervenue
eu égard aux stipulations contractuelles mises en uvre (était) susceptible,
en raison des missions particulières confiées aux sociétés requérantes et des
investissements quelles ont dû réaliser pour y satisfaire, de leur avoir causé un
préjudice ".
Au vu dune expertise, le tribunal a, par deux jugements de
juillet 1992, considéré quen labsence de disposition contractuelle
contraire, les sociétés de gestion et fermière avaient droit à lindemnisation
des capitaux investis non encore amortis à la date de résiliation du contrat et que, en
labsence de faute des requérants et même sans manquements de la commune à ses
obligations contractuelles, elles avaient droit aussi à la réparation du manque à
gagner résultant du retrait prématuré de la concession. En conséquence, la commune a
été condamnée à verser 23,2 millions de francs à la société de gestion
(avec intérêts de droit à compter du 31 juillet 1986) et 9,5 millions de francs à
la société fermière (avec intérêts de droit à compter du 8 décembre 1986).
Dans des observations faites en mars 1994, la Chambre régionale des
comptes a relevé que ces sommes représentaient une dette de près de 61,4 millions
de francs. Pour mesurer lampleur de la somme, elle indique que " en
consacrant chaque année la totalité du produit de la fiscalité directe à
lapurement de cette dette et à condition de porter les taux à leur maximum, 27
années seraient nécessaires à son extinction, sous réserve, bien sûr, que ne soient
pas réclamés les intérêts ".
Saisi par les sociétés de gestion et fermière, le tribunal
administratif de Bastia a condamné, par une décision du 30 mars 1995, lÉtat au
paiement de lintégralité des indemnités dues aux sociétés requérantes. En
effet, il a considéré que " le représentant de lÉtat, en
sabstenant tant dexercer sa mission de contrôle budgétaire dès 1985
quen ne prenant aucune mesure réelle dexécution des jugements de 1992 a
commis une faute lourde de nature à engager la responsabilité de lÉtat ".
Ce jugement est particulièrement remarquable en ce quil retient
pour la première fois, la responsabilité de lÉtat dans ses activités de
contrôle alors même que le préjudice subi nest pas lié à une intervention
fautive mais au contraire à son inaction. Revenant en partie sur une jurisprudence
ancienne du Conseil dÉtat, critiqué par la doctrine, ce jugement a été annulé
par la Cour administrative de Lyon, laissant la commune seule face à ses difficultés
financières.
e) Le SIVOM du Nebbio : les dérives dun projet
démesuré
La gestion du SIVOM du Nebbio a défrayé la chronique
au début des années 1990, puisquelle a fait lobjet dune insertion au
rapport annuel de la Cour des comptes de 1992.
Créé en 1972, le SIVOM avait pour objet le développement de la
vallée du Nebbio située au sud du golfe de Saint-Florent. Son fonctionnement sest
rapidement révélé déficient. Comme le soulignait la Cour, " ladministration
du syndicat dépendait presque exclusivement du bureau et du président, aidés par le
secrétaire général, cest-à-dire quelques personnes qui agissaient sans
contrôle. (
) Cette situation, dans laquelle les communes associées portent une
part de responsabilité, a permis la création par le seul bureau syndical dun parc
dexpositions et de loisirs, opération dune toute autre ampleur que les
réalisations précédentes du SIVOM, et qui, devait se révéler désastreuse par ses
conséquences financières ".
La Cour était particulièrement sévère pour les conditions
délaboration du projet qui visait au départ à créer une foire commerciale :
" le projet a souffert de lapproximation et de limprovisation qui
ont présidé à son élaboration ", " le contenu du projet
variait dailleurs selon les projets présentés aux différents partenaires
sollicités. Sy greffaient des activités annexes dont le lien avec le projet
initial nétait pas évident et qui sest dailleurs progressivement
relâché " (bar, restaurant, discothèque, complexe nautique, patinoire,
centre international de télécommunications et dinformatique,
), " la
mise en uvre du projet a été engagée alors que les études techniques et
financières nétaient pas achevées et que les financements nétaient pas
assurés ". Dès lors, " le coût global des travaux et
aménagements plus de huit millions de francs a été sans
rapport avec les prévisions initiales (3,5 millions de francs). Il équivaut
au budget annuel total dinvestissement des communes associées ".
Notant en outre que le SIVOM navait aucune compétence pour
gérer les équipements quil réalisait, la Cour relevait que " les
décisions du bureau syndical concernant la gestion du parc des expositions et transmises
à la préfecture sont donc entachées dillégalité ; mais elles nont
pas été déférées au juge administratif. Echappant à tout contrôle, les
administrateurs du SIVOM ont fait preuve dimprévoyance et de légèreté. ".
La situation financière du SIVOM na alors cessé de se dégrader : en novembre
1991, les dettes dépassaient 17 millions de francs, dont 6,1 millions
dannuités impayées, 4,4 millions aux fournisseurs et au personnel et 6,7 millions
demprunts contractés pour lorganisation de la foire. Comme le soulignait la
Cour, " ce processus est aggravé par la paralysie du fonctionnement
administratif du syndicat. Les budgets nont plus été votés à compter de 1989.
Ceux qui ont été arrêtés par le préfet sur proposition de la Chambre régionale des
comptes nont pas été exécutés, en raison du refus du conseil syndical
daugmenter les participations communales au SIVOM ". En effet, la
majorité des délégués des communes refusent dendosser la responsabilité du
déficit de lopération dont une seule commune est responsable, en loccurrence
celle dOlmeta-di-Tuda où est situé le parc.
Saisie de labsence dadoption dans les délais légaux du
budget du SIVOM pour lexercice 1991, la Chambre régionale des comptes a recommandé
au préfet de mettre en uvre la procédure de dissolution du syndicat, " seule
mesure de nature à permettre de répartir son actif et son passif entre les communes
associées. "
Le SIVOM a été dissous par arrêté préfectoral du 17 novembre 1993,
jugé légal par un jugement du 4 novembre 1994 du tribunal administratif de Bastia
confirmé en appel par le Conseil dÉtat dans un arrêt du 13 décembre 1996.
Saisi par 12 communes qui étaient membres du SIVOM, le tribunal
administratif a condamné, en mai 1997, lÉtat à payer à chacune des communes un
tiers des sommes inscrites doffice à leur budget en règlement du passif du SIVOM,
soit une somme supérieure à 4,5 millions de francs. Le tribunal a, en effet, jugé
que " linsuffisance tant du contrôle de légalité des actes du
syndicat, que du contrôle budgétaire et lattentisme qui a caractérisé la
conduite de la procédure de dissolution du syndicat comme le montre le délai de deux
années employé pour y procéder, alors que la reprise du passif par les communes
revêtait un caractère durgence, sont constitutifs dune faute lourde seule
susceptible dengager la responsabilité de lÉtat en matière de contrôles de
légalité et budgétaire. " Mais, le tribunal a aussi reconnu la
responsabilité propre des communes membres du syndicat, ce qui explique que lÉtat
nait été condamné quà payer seulement le tiers de passif :
" considérant quil incombait au premier chef, aux délégués des
communes membres du syndicat daccomplir pleinement leur mission de suivi et de
contrôle des décisions prises par lexécutif syndical ; que cet examen
na été accompli que de manière sporadique et isolée ; quainsi des
manquements persistants à lobligation de vigilance incombant aux représentants des
communes, dont cétait la mission essentielle, sont également à lorigine des
errements qui ont marqué cette gestion irrégulière du SIVOM du Nebbio : que dans
ces conditions il sera fait une juste appréciation de la responsabilité encourue tant
par le SIVOM, dont le gestion fut désastreuse, que par les communes qui se sont
désintéressées de cette gestion, que par lÉtat qui a laissé faire, en évaluant
à un tiers du passif du SIVOM pour chacun deux ". LÉtat a
naturellement fait appel de ce jugement.
f) Le SIVOM du Niolo : une accumulation
dirrégularités
Le budget primitif de ce syndicat intercommunal de Haute
Corse a été déféré à deux reprises, en 1996 et 1997, à la Chambre régionale des
comptes. Les avis de la Chambre ont relevé un certain nombre dirrégularités qui
témoignent dune gestion pour le moins étonnante.
En 1993, une délibération du conseil syndical décidait la
réalisation dune étude préalable à une opération programmée
damélioration de lhabitat. Cette délibération était entachée de plusieurs
motifs dirrégularité : son domaine dintervention excédait le
territoire du SIVOM (la contribution des communes concernées na été prévue, et
encore de manière imprécise, que lannée suivante) et le coût de létude
nétait pas chiffré, le président du SIVOM nétant pas ainsi régulièrement
autorisé à signer la convention. Le coût de létude sélevait à
262.908 francs ; or, il apparaît que ce coût avait été artificiellement
majoré du coût dune prestation correspondant en réalité à lactivité
habituelle de lagent de développement rémunéré par le SIVOM. Comme
lindique la Chambre, " lintégration de ce surcoût surévalué
dans le devis de létude préalable a permis au président du SIVOM dobtenir
des subventions de lÉtat et de la Collectivité territoriale de Corse supérieures
au montant auquel il pouvait légitimement prétendre " (le versement indu
sélevant à plus de 44.000 francs). Le taux de financement de létude
atteignait ainsi 132,7% alors même que le SIVOM na apporté aucune contribution
financière propre.
Lavis des 7 et 11 février 1997 a également relevé
dimportantes irrégularités qui ont affecté les charges de personnel et ont eu
pour conséquence daccroître anormalement les participations financières
demandées aux communes adhérentes : des frais de déplacement ont été pris en
charge par le SIVOM alors quils concernaient des organismes extérieurs à
lui , poursuivant notamment des activités sportives qui nentrent pas dans ses
compétences ; des vacations ont été mandatées à plusieurs agents souvent non compris
dans leffectif du SIVOM et en labsence de toute pièce justificative, la
nature même de ces vacations nétant mentionnée ; lincidence de ces
pratiques a été aggravée par la forfaitisation de la rémunération de ces agents,
alors quelle devrait être calculée en fonction des heures réellement effectuées.
Lavis relate également les conditions de réalisation de deux
études relatives à un projet de " centre doxygénation pour sportifs de
haut niveau ". Une délibération de février 1990 a dégagé un crédit de
300.000 francs censés représenter la part du syndicat nécessaire à
lobtention de financements européens, alors que le coût de létude est
estimé à 730.000 francs. Dans les faits, létude a été réalisée en deux
parties, la première portant sur lopportunité, la seconde concernant la
faisabilité. La Chambre relève que létude dopportunité de
300.000 francs a été surfinancée puisquelle a été subventionnée à
hauteur de 310.000 francs, par la Collectivité territoriale de Corse
(225.000 francs), lÉtat (45.000 francs) et le département de Haute-Corse
(40.000 francs).
Constatant que le conseil syndical navait pas examiné les
conclusions de la première phase de létude portant sur lopportunité du
projet, ce qui paraissait pourtant constituer un préalable au lancement de la deuxième
phase portant sur la faisabilité, la Chambre estimait nécessaire de porter à la
connaissance du conseil syndical certains faits :
le découpage en deux phases est
" artificiel " et a été réalisé en méconnaissance du code des
marchés publics : " en réalité, eu égard à lévaluation qui
en a été faite, le président du SIVOM aurait dû recourir à un appel doffres
pour la réalisation de ces études, sur la base dun cahier des charges des études
à réaliser préalablement défini, document qui au demeurant nexiste pas " ;
létude a été confiée, sans mise en concurrence,
à lassociation pour la promotion du développement de la Corse qui a été créée
postérieurement à la première délibération du SIVOM, qui compte parmi ses membres un
agent du SIVOM et qui " exerce à titre principal, si ce nest exclusif,
une activité commerciale difficilement compatible avec son statut associatif " ;
la facture présentée par lassociation intègre la
rémunération des prestations de cet agent, " qui se voit ainsi rémunéré
deux fois : à savoir en sa qualité dagent du SIVOM dune part et en sa
qualité de prestataire de service membre de lassociation dautre part " ;
chacune des deux phases des études comportent " un
plan général, des parties identiques souvent, parfois au mot près " ;
certaines annexes de létude de faisabilité sont de
simples " photocopies de documents réalisées dans des ouvrages appartenant
à des tiers et sur lesquels lassociation ne dispose manifestement pas de droits ni
dautorisation ".
Suite à cet avis, le conseil syndical a décidé, en mars 1997, de
contester lexistence de sa dette à légard de lassociation qui a
réalisé létude de faisabilité.
Enfin, en août dernier, le conseil syndical a décidé de consulter
les conseils municipaux des cinq communes adhérentes sur la dissolution du SIVOM, la
volonté de certaines dentre elles de quitter le SIVOM tenant à la situation
financière de celui-ci.
4. Des violations répétées du droit de lurbanisme
Comme ailleurs en France, le littoral de la Corse fait
lobjet dappétits qui rendent particulièrement important le respect des
règles durbanisme et des prescriptions des lois " montagne " et
" littoral ", notamment en ce qui concerne la bande des 100 mètres.
La responsabilité de ces manquements au droit de lurbanisme sont
multiples. Au-delà de celle des services de lÉtat ou des communes régulièrement
mises en avant, il convient également de rajouter celle de certains notaires. En effet,
ceux-ci sont censés assurer la sécurité juridique des actes authentiques. Ayant le
monopole des mutations immobilières, ils interviennent donc dans toutes les ventes.
Ainsi, au sujet dun immeuble construit à San Nicolao dont le permis avait été
annulé par le tribunal, le préfet de Haute-Corse avait écrit au président de la
Chambre départementale des notaires pour quil " porte cette décision
de justice à la connaissance déventuels acquéreurs de logements compris dans cet
ensemble immobilier " ; les logements avaient hélas été déjà tous
vendus.
Sagissant de certains contentieux significatifs, la préfecture
de la Haute-Corse a, à titre dexemple, fourni à la commission une liste de
dossiers allant doccupations illégales du domaine public maritime à des
constructions sans permis. Cet inventaire, forcément lacunaire, illustre parfaitement la
propension à ignorer les contraintes durbanisme, les recours dilatoires à la
justice et lincapacité chronique des administrations à faire exécuter les
décisions des tribunaux.
Dans cette liste, on note par exemple :
dans la commune du Poggio-Mezzana (lieu-dit Alba
Serena) : un promoteur, M. Paul Semidei, a obtenu un permis de construire en 1981
pour la construction dun complexe touristique au bord de la mer ; en 1986 et en
1988, les services de la direction départementale de léquipement dressent une
série de procès-verbaux pour non-respect du plan de masse, pour construction au-delà du
permis de plusieurs logements ainsi que pour des constructions dans la bande des 100
mètres ; en février 1993, M. Semidei est condamné par le tribunal de grande
instance de Bastia à démolir sous astreinte les bâtiments implantés dans la bande des
100 mètres (40 pavillons, deux chapiteaux, une aire de jeux et une tribune avec gradins),
ainsi quà une amende de 200 francs par mètres carrés réalisés en
infraction (soit 13.913 m²) ; ce jugement est annulé en janvier 1994 par la Cour
dappel de Bastia en tant justement quelle imposait la démolition des ouvrages
édifiés sans permis (lamende est en outre ramenée à 30 francs par
m²) ; après que larrêt eût été cassé par la Cour de cassation en mars
1995, justement parce quil nimposait pas la destruction, laffaire est
renvoyée devant la Cour dappel de Montpellier qui, en juin 1996, ordonne sous
astreinte la démolition des ouvrages exécutés sans permis de construire en vue de mise
en conformité des lieux avec le permis de construire initial, arrêt confirmé par la
Cour de cassation en octobre 1997 ; la date limite dexécution fixée par le
jugement (3 mois après quil soit devenu définitif) était donc le 16 janvier
1998 ; après plusieurs mises en demeure et constatant quaucune démolition
navait été entamée, le préfet de Haute-Corse a fait procéder à la démolition
partielle des chapiteaux par des moyens militaires en mai 1998 ; M. Semidei, présent
lors de lintervention du génie, a alors pris lengagement de poursuivre lui
même la destruction des constructions illégales ;
dans la commune dAléria : un établissement,
construit sur le domaine public maritime avec protection en enrochements, est toujours
debout malgré une condamnation à démolir (par un jugement de décembre 1995) et une
autorisation dexécuter doffice (par jugement doctobre 1996) ; il
est à noter que lenrochement est vraisemblablement à lorigine dune
forte érosion qui a fait tomber dans le domaine public les dépendances de trois autres
établissements voisins ;
dans la commune de Belgodère : deux restaurants de
plage occupent sans autorisation le domaine public maritime et leurs propriétaires ont
été condamnés par le tribunal administratif à remettre les lieux en létat
(jugements respectivement de juin et novembre 1995, confirmés en appel respectivement en
février1996 et septembre 1996) ;
dans la commune de Lucciana : un terrain de camping
déclassé en 1989 et fermé pour motif dhygiène en 1993 (fermeture confirmée par
le tribunal administratif en décembre 1997) accueille 173 constructions édifiées en
toute illégalité, dont des habitations mobiles progressivement transformées ;
dans la commune de Linguizetta : un village-vacances
pour naturistes reste ouvert malgré une mise en demeure depuis août 1995, dans
lattente dune décision de justice ;
dans la commune de Ghisonaccia : un restaurant a été
construit sur un terrain soumis à la loi " littoral " sur la base
dun permis de construire non exécutoire car non transmis au contrôle de légalité
et, qui plus est, signé par le maire de la commune alors quil était incompétent
pour le faire puisquil est propriétaire du terrain ; détruit par un attentat
en 1997, le restaurant a été reconstruit et continue à être exploité ; une
procédure judiciaire est en cours ;
dans la commune de Costa : deux bâtiments ont été
construits sans permis en 1994 et un jugement de juillet 1996 a prononçé la démolition
sous astreinte de 500 francs par jour de retard ; une lettre du préfet de juin
1998 mettant en demeure dexécuter le jugement sans délai est revenue en
préfecture avec la mention " nhabite plus à ladresse
indiquée " ;
dans la commune de Corte : une construction en bois à
usage commercial a été construite sans permis dans un site classé ; un jugement de
décembre 1996 a ordonné la destruction sous astreinte de 1.000 francs par jour de
retard, jugement confirmé en appel en juillet 1997, le contrevenant se pourvoyant en
cassation ; il sagit dailleurs dun récidiviste puisquà
loccasion dun contentieux précédent et de même nature, il avait pu jouir
dune construction illégale jusquà la confirmation rendue par la Cour de
cassation davoir à démolir et à payer lastreinte, qui na
dailleurs pas été encore recouvrée ;
dans les communes de Furiani et Biguglia : les
terrains dun lotissement ont été vendus alors que les prescriptions de
lautorisation de lotir nont pas été respectées ; dabord relaxé
en première instance en février 1992, le lotisseur a été condamné en appel à une
amende de 8.000 francs et à remettre le lotissement en conformité dans un délai de
18 mois sous astreinte de 500 francs par jour de retard, jugement confirmé en
cassation en septembre 1993 ; le préfet na saisi quen juin 1998 le maire
pour quil fasse effectuer les travaux doffice aux frais et risques du
lotisseur et le comptable public pour quil recouvre lastreinte.
De tels exemples pourraient encore être multipliés. Mais, il
nest pas inutile de terminer sur le dossier dit des " bergeries de
Calvi " qui constitue un scandaleux feuilleton urbanistique et judiciaire.
En 1985, un ensemble immobilier (7 bâtiments dune surface
habitable totale de 1.300 m²) a été construit en 1985 dans une zone non
constructible du plan doccupation des sols et, évidemment, sans permis. Ces
constructions ont fait lobjet de verbalisations par les services de lurbanisme
et la gendarmerie, dun arrêté interruptif des travaux signé par le maire de Calvi
et dun refus dun permis de régularisation.
Le contrevenant, M. Mathieu Costa, locataire du terrain, a été
condamné à 20.000 francs damende et à démolir les constructions en juin
1990, jugement confirmé en appel en mars 1991. Une mise en demeure davoir à
exécuter le jugement étant restée sans résultat, le préfet a engagé la mise en
uvre de la procédure de démolition doffice. Mais, ayant appris que le bail
avait été résilié depuis juin 1988 (le jugement nayant été publié à la
conservation des hypothèques quen septembre 1991), le préfet s'est retourné vers
les propriétaires du terrain - M. et Mme Antoine Donsimoni, huissier de justice et
son épouse, résidant à Paris en les informant, en novembre 1991, de son
intention de procéder à la destruction des constructions. Devant la résistance des
intéressés et les difficultés dexécution (certains des bâtiments sont
occupés), lÉtat a saisi le juge des référés, qui a fait droit à sa requête.
La décision du juge des référés a naturellement fait lobjet dun appel.
Mais, la procédure a été hypothéquée par lexistence dun pourvoi en
cassation de M. Costa contre larrêt de la cour dappel de mars 1991. Ce
pourvoi avait dailleurs mis en échec une deuxième tentative de démolition
engagée par le préfet. La Cour de cassation a, en novembre 1992, retenu le vice de forme
invoqué par M. Costa, cassé larrêt de la cour dappel de mars 1991 et
renvoyé à la cour dappel dAix en Provence.
Dès réception de la décision de cassation, le parquet général
dAix a été saisi pour inscrire laffaire dans les plus brefs délais. Trois
arrêts successifs - en juin 1993, janvier 1994 et février 1995 - ont été nécessaires
pour mettre un terme à laction pénale. Les divers rebondissements ont tenu à
lattitude du propriétaire qui a multiplié les procédures dans le but de retarder
les décisions de démolition prononcées par les juges : les pourvois en cassation
formés contre les deux derniers arrêts de la cour dappel dAix en Provence
ont été rejetés en mai 1996.
Mais en marge de ces diverses actions, M. Donsimoni a saisi le tribunal
administratif pour faire annuler la lettre du préfet de novembre 1991. En mai 1997, le
tribunal administratif annule la lettre préfectorale. LÉtat fait appel.
En résumé :
il apparaît que le contentieux pénal est terminé :
larrêt de la Cour dappel dAix en Provence de février 1995 est devenu
définitif en mai 1996 après le rejet du pourvoi en cassation : il condamne M. Costa
à une amende (3,5 millions de francs, dont 2 avec sursis) et à démolir les
bâtiments illégalement construits dans les six mois qui suivent la date à laquelle le
jugement est devenu définitif, soit avant la fin novembre 1996 ;
par contre, la contentieux civil reste pendant puisque
larrêt de la cour dappel de Bastia de novembre 1996, confirmant
lordonnance de référé de janvier 1992 et constatant le caractère définitif de
larrêt de la cour dappel dAix en Provence, a fait lobjet
dun pourvoi en cassation ;
il en va de même pour le contentieux administratif en
raison de lappel formé par lÉtat contre larrêt du tribunal
administratif de Bastia de mai 1997.
Les services de léquipement recommandent dès lors
dattendre les décisions de la Cour de cassation et de la Cour administrative
dappel.
En ce domaine particulièrement sensible de lurbanisme, la
commission denquête a ainsi pu constater que le comportement des contrevenants,
procéduriers particulièrement expérimentés et imaginatifs, aboutissait à retarder
lapplication pleine et entière de règles protectrices de lenvironnement.
Leffet sur lopinion publique est désastreux puisque les constructions
illégales sont toujours debout et apparaissent ainsi comme de véritables provocations.
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Partie II-B , annoncée ci-dessous.
B. Le non-paiement des dettes : une
pratique très répandue
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