S O M M A I R E
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iii.
à la recherche des causes : linconstance des gouvernements, les
défaillances des pouvoirs locaux, la puissance des réseaux dintérêt (suite)
B. la responsabilité et les insuffisances de
létat *
1. Des
tactiques successives mises en échec *
a) Trois voies ont été parallèlement explorées *
· Lapproche institutionnelle *
· La réintégration des nationalistes
dans la vie politique insulaire *
· Lapproche économique *
b) LÉtat a réagi par éclipses *
c) LÉtat a employé des méthodes qui se sont révélées
discutables *
· Des négociations en catimini *
· Des subventions dapaisement *
d) LÉtat sest laissé enfermer dans une impasse *
2. La gestion inadaptée des services publics *
a) Les administrations de lÉtat sont fortement présentes
en Corse *
b) Les administration de lÉtat travaillent dans un
contexte très particulier *
· Un contexte pesant *
· Des pressions incontestables *
c) Les administrations sur place nont pas fait
lobjet dune attention suffisante *
· Les administrations centrales se
bornent à appliquer des règles ou des procédures nationales *
· Les administrations centrales
semblent sêtre résignées aux spécificités de lîle *
d) Des maillons faibles dans le réseau des comptables du
Trésor *
3. Des
fonctions régaliennes en crise *
a) Une justice fragilisée
*
· Le malaise de la justice corse
sétait déjà exprimé publiquement *
· Ce malaise persiste *
· Ce malaise nuit encore
aujourdhui à laction de lÉtat *
b) Une police contestée *
· Une gestion du personnel
problématique *
· Des résultats notoirement
insuffisants *
B. la responsabilité et les insuffisances de létat
La mise en cause de la responsabilité de lÉtat dans
laggravation et la persistance du problème corse constitue un point sur lequel la
quasi-totalité des élus insulaires saccordent volontiers. Pour nêtre pas,
loin de là exclusive, cette responsabilité nen est pas moins réelle.
Comme lindiquait devant la commission denquête un haut
responsable administratif sur lîle, " les Corses nont pas
confiance. Pour eux, lÉtat cest incontestablement limpuissance dans
lexercice des fonctions régaliennes, la complaisance avec un certain nombre de
réseaux divers et les moulinets sécuritaires : il faut bien en convenir, dès
quil y a un drame, on envoie les CRS en grand nombre et on attend le prochain drame ".
Ephémères et souvent à la remorque des événements, explorant
plusieurs voies parfois antinomiques, les stratégies mises en uvre par les
gouvernements successifs nont pas peu contribué au désarroi de lopinion
publique, insulaire et continentale, et des services de lÉtat.
On reste confondu par laveuglement manifesté par les
administrations centrales malgré laccumulation au cours des années de rapports
dinspections pointant souvent avec une grande lucidité, les dysfonctionnements des
services administratifs. Se contentant visiblement dun effort quantitatif
incontestable, elles ont largement traité lîle comme elles le feraient de
départements ordinaires et sans histoire.
Enfin, les fonctions régaliennes de lÉtat napparaissent
plus assurées convenablement, tiraillées entre une justice fragilisée et une police
contestée.
1. Des tactiques
successives mises en échec
" Depuis plus de vingt ans, les gouvernements
ont adopté des politiques tâtonnantes cela peut se comprendre ,
fluctuantes même. Quelquefois, le même gouvernement a mené des politiques différentes,
alternant fermeté et compromission, ou linverse " a reconnu un
ministre en exercice devant la commission denquête. Ces tâtonnements et ces
revirements sont régulièrement invoqués comme explications, voire comme justifications
des échecs rencontrés et de la persistance des difficultés.
Les alternances politiques, les changements dhommes et
déquipes constituent évidemment les moments privilégiés de ces changements de
caps, de priorités ou de méthodes. Parfois, le même gouvernement, voire le même
ministre, est amené à conduire en Corse une politique fort différente.
Si ces oscillations ne sont pas niables, la commission denquête
ne peut en conclure que, à un moment ou un autre, un gouvernement ou un ministre ait
décidé de " laisser filer ". La plupart, en leurs âme et
conscience, ont tenté de trouver la meilleure approche et les meilleurs moyens de
résoudre un problème qui accède régulièrement à la une de lactualité.
" Je ne pense pas quun quelconque gouvernement ait essayé
dacheter la paix civile par la renonciation à ses responsabilités. Cest plus
compliqué que cela. Nous avons essayé, les uns comme les autres, dinciter les
Corses à prendre eux-mêmes en main leur sort et à ne pas tout attendre des décisions
venues, comme on dit, de Paris " a ainsi indiqué un ancien ministre de
lIntérieur.
a) Trois voies ont été parallèlement explorées
Lapproche institutionnelle donner à
la Corse et à ses habitants une maîtrise plus complète de leur destin ,
lapproche politique réintégrer les militants nationalistes dans le jeu
politique et leur faire abandonner la violence , lapproche économique
créer les conditions nécessaires au développement de
lîle : voilà les trois voies que les gouvernements successifs ont
explorées au cours des vingt dernières années, en les dosant parfois différemment,
mais en tentant souvent de les mener de front.
· Lapproche institutionnelle
Lapparition des mouvements nationalistes au cours
des années 1960 a contribué à mettre sur le devant de la scène la recherche de
solutions institutionnelles au problème corse.
Déjà, dans le projet de loi soumis à référendum en avril 1969 par
le général de Gaulle, la Corse faisait lobjet de trois articles spécifiques
érigeant le département de Corse en circonscription régionale. Quand en 1970 une
commission de développement économique de la Corse est instituée, la revendication de
la plupart des élus de lîle porte sur la création dune véritable région,
dotée dun conseil élu au suffrage universel, jugeant létape dune
simple région de programme totalement dépassée.
Défendant, devant lAssemblée nationale en avril 1975, le projet
de loi portant réorganisation de la Corse qui instituera la bi-départementalisation, le
ministre de lIntérieur de lépoque, M. Michel Ponatiowski, déclarait :
" la Corse a une unité politique, morale, sentimentale et historique que
personne ne conteste, mais il faut renforcer les structures dune île
aujourdhui sous-administrée en créant un nouveau centre de décision à
Bastia.(
) Il sagit dorganiser le développement économique de manière
à préserver lidentité corse et sauvegarder la qualité de la vie. Le moment est
venu de fixer, en accord avec la population, la grande orientation à donner au
développement économique ".
En janvier 1982 à la tribune de lAssemblée nationale, Gaston
Defferre expliquait que " cest pour donner aux Corses les moyens
dêtre enfin eux-mêmes et de construire ensemble leur avenir quil convient de
doter lîle dun statut particulier ". Evoquant le contexte
politique, il poursuivait en affirmant " depuis mai 1981, la Corse a
retrouvé le calme parce que les Corses ont maintenant lespoir dêtre compris
et dêtre entendus. Cest ce qui a permis au gouvernement de renouer les fils
du dialogue et délaborer un statut particulier qui répond aux attentes des Corses ".
A la même tribune en novembre 1990, M. Pierre Joxe indiquait
" il faut revenir aux principes mêmes de la décentralisation et définir
les moyens de leur traduction concrète pour la Corse de demain. Il appartient donc aux
Corses eux-mêmes, dans le cadre de la République, dans le respect du droit, de se
déterminer sur les conditions de lindispensable développement de la Corse. Dans
cette perspective, il est apparu nécessaire, en prolongeant la logique du statut
particulier, de doter les institutions de la Corse dun régime différent du droit
commun des autres régions (
) ".
Outre quelles entendaient placer la Corse sous une
responsabilité accrue des Corses eux-mêmes, ces réformes institutionnelles étaient
également un moyen de tenter de réintégrer dans le jeu politique local les militants
nationalistes à la condition quils renoncent à une violence qui serait devenue
inutile.
· La réintégration des
nationalistes dans la vie politique insulaire
Cette volonté de réintégrer les nationalistes dans la
vie politique était dabord un moyen de faire reculer et disparaître la violence
politique. " Je considère que ceux qui participent à la vie démocratique
en renonçant à la violence sont les bienvenus " déclarait Gaston Defferre
lors dun déplacement sur lîle en août 1984 quelques jours avant les
secondes élections régionales. Déclaration révélatrice puisque la liste présentée
par le Mouvement corse pour lautodétermination, emmenée par M. Pierre Poggioli,
comportait trois candidats emprisonnés.
Lattention portée à la sincérité des scrutins
Elle témoignait aussi, malgré les discours officiels, de
la reconnaissance du discrédit de la classe politique traditionnelle et du bien-fondé de
certaines des critiques avancées par les nationalistes. Outre la critique du clanisme,
lattention portée aux listes électorales et, plus généralement, à la
sincérité des élections soulignait labsence de confiance de lÉtat dans les
élus locaux.
Par lattention quils ont attiré sur les mouvements
nationalistes corses dénonçant de longue date les pratiques électorales insulaires, les
événements dAléria ont, on le sait, puissamment contribué à ladoption de
la loi du 31 décembre 1975 supprimant le vote par correspondance et instituant le vote
par procuration.
Avant les premières élections régionales organisées en août 1982,
les listes électorales avaient fait lobjet dun examen attentif conduisant à
70.000 rectifications derreur matérielle et 5.500 radiations. De plus, il avait
été mis fin à 8.500 inscriptions multiples, les intéressés ayant fait le choix de
rester inscrits seulement en Corse. De même, une commission de neuf sages, présidée par
un conseiller à la Cour de cassation, était chargée de veiller à la sincérité et à
lhonnêteté du scrutin.
Enfin, la loi du 13 mai 1991 prévoyait la refonte des listes
électorales en Corse, dérogation au principe de permanence de celles-ci.
Louverture du jeu électoral
Le choix du mode de scrutin proportionnel adopté dans le
cadre du premier statut particulier, qui plus est sans exigence dun seuil de
représentation, est évidemment dicté par le souci de voir les nationalistes
représentés au sein des nouvelles institutions régionales.
Cette politique aura des effets puisque des élus nationalistes feront
leur entrée dans lAssemblée de Corse dès les élections de 1982. Alors que les
groupes les plus radicaux boycottaient le scrutin, la sensibilité nationaliste était
représentée par lUnion du peuple corse (UPC), emmenée par M. Edmond Simeoni,
et le Parti populaire corse, emmené par M. Dominique Alfonsi. Ces deux listes
obtiennent respectivement 14.502 voix (soit 10,6%) et 7 élus et 2.902 voix (soit 2,1%) et
un élu.
Aux élections de 1984, trois listes représentent la mouvance
nationaliste puisque toutes les tendances décident de participer au jeu électoral. Le
Mouvement corse pour lautodétermination (MCA), emmené par M. Pierre Poggioli,
obtenait 7.161 voix (soit 5,2%) et trois élus, soit un score analogue à celui de
lUPC, emmenée par M. Edmond Simeoni (7.146 voix, soit 5,2%) et trois élus.
Enfin, le Mouvement corse pour le socialisme, qui sétait allié avec le PPC et
était emmené par M. Charles Santoni, nobtenait aucun élu puisquil
navait rassemblé que 1.323 voix (soit 0,96%).
En 1986, lélection a lieu dans le cadre départemental comme
dans les autres régions. La liste unique MCA-UPC, emmené par M. Pierre Poggioli,
recueille 6.783 voix en Corse-du-Sud (soit 9,7%) et trois élus. Celle emmenée par
M. Edmond Simeoni en Haute-Corse recueille 7.214 voix (soit 8,3%) et trois élus
également.
Lors des élections de 1992 dans le cadre du statut de 1991, une
coalition Corsica nazione rassemble lUPC (de M. Edmond Simeoni), A cuncolta
nazionalista (" vitrine légale " du FLNC Canal historique),
lAccolta naziunali Corsa (de M. Pierre Poggioli), I verdi corsi et Per U paese.
Elle obtient 17.429 voix (12,4%) au premier tour et améliore son score au second :
21.872 voix (soit 16,8%) et 9 élus. Mais la mouvance nationaliste était également
représentée par le Mouvement pour lautodétermination (MPA) qui présentait une
liste emmenée par M. Alain Orsoni ; elle obtenait 9.466 voix au premier tour
(7,4%), 10.360 au second (8%) et comptait 4 élus.
En 1998, la mouvance nationaliste était divisée en cinq listes. Une
seule, celle présentée par A Cuncolta, est parvenue à dépasser le seuil de 5% au
premier tour en obtenant 5.665 voix (soit 5,3%), les quatre autres listes (dont une
conduite par M. Gilbert Casanova et une autre par M. Edmond Simeoni) totalisaient
12.398 voix (soit 11,6%). Au second tour, la liste restée en lice améliorait son score
sans faire le plein des voix nationalistes, puisquelle obtenait 12.224 voix (soit
9,9%) et 5 élus.
Les amnisties
Outre les amnisties faisant suite aux élections
présidentielles de 1981 et de 1988, deux amnisties spécifiques à la Corse ont été
adoptées.
La première figure à larticle 50 de la loi du 2 mars 1982
portant statut particulier de la Corse. Comme lexpliquait en séance Gaston Defferre
" pour que ce texte obtienne une pleine réussite, pour que tous les Corses,
quelles que soient leurs opinions et leurs tendances, oublieux du passé, se
tournent vers lavenir et repartent ensemble, le gouvernement pense quil faut
savoir tourner la page ". Cette amnistie portait sur " toutes
infractions commises antérieurement au 23 décembre 1981 à loccasion
dévénements dordre politique ou social en relation avec la détermination du
statut de la Corse ". Elle était particulièrement généreuse puisque,
contrairement à lamnistie de 1981, elle concernait les infractions ayant entraîné
soit la mort, soit des blessures, ou ayant consisté en une tentative dhomicide
volontaire par arme à feu sur des agents de la force publique.
La seconde amnistie a été adoptée dans le cadre de la loi du 10
juillet 1989 qui, initialement, ne concernait que la Guadeloupe et la Martinique.
Cest, en effet, lors de la nouvelle lecture, que lAssemblée nationale a
adopté le principe dune amnistie portant sur " les infractions
commises avant le 14 juillet 1988 à loccasion dévénements dordre
politique et social en relation avec une entreprise tendant à modifier le statut de la
Corse ". Cet amendement avait été présenté par deux élus insulaires,
lun appartenant à la majorité M. Emile Zuccarelli lautre à
lopposition M. José Rossi. Après avoir rappelé que lamnistie avait
été souhaitée par lAssemblée de Corse dans une motion adoptée la veille, le
gouvernement sen remettait à la sagesse de lAssemblée, tout en déclarant
que cette amnistie était parfaitement envisageable puisquelle intervenait dans un
contexte précis, " après plus dun an de paix civile, période au
cours de laquelle la démocratie a retrouvé ses droits ".
· Lapproche économique
Dans lanalyse de la situation corse, il est
toujours difficile de déterminer si la violence constitue un obstacle au développement
économique ou si, au contraire, celui-ci ne serait pas le moyen le plus efficace de
rétablir la paix civile.
Egalement ministre de laménagement du territoire lors de son
second passage place Beauveau, M. Charles Pasqua a insisté sur laspect économique
du dossier corse en initiant lélaboration par lAssemblée de Corse dun
plan de développement économique, social et culturel de lîle pour les quinze
prochaines années.
Ce plan, prévu par la loi du 13 mai 1991, a été adopté en septembre
1993 après un large débat, les groupes nationalistes sabstenant après avoir
néanmoins étroitement participé à sa discussion.
Dans un document intitulé " Stratégie de lÉtat en
Corse ", le gouvernement se félicitait de cette adoption : " Cet
acte revêt une portée historique car cest la première fois que les Corses se
prononcent sur leur devenir collectif, par lintermédiaire de leurs élus et au
terme dun vrai débat. (
) Au prix de concessions mutuelles, les principales
forces politiques de lîle ont su se rapprocher pour dégager un projet de
développement réaliste. Il ne sagit pas dun consensus de façade,
éphémère et fragile, mais dune démarche approfondie, permettant une convergence
des analyses et un soutien de lopinion. ". Le gouvernement entendait
sassocier à cette démarche en menant une action répondant à deux
orientations : dune part, " chercher à créer les conditions du
développement par certaine réformes structurelles que justifie la situation spécifique
de lîle au sein de lensemble national ", dautre part,
" apporter sa contribution à la réalisation du plan de développement, à
travers deux démarches : les crédits contractualisés (contrat de plan, programme
opérationnel intégré) et une série de mesures spéciales proposées en complément ".
Comme lexpliquait un haut fonctionnaire au fait du dossier corse,
cette approche économique découlait de la volonté de donner du " grain à
moudre " dans la politique menée à légard de lîle afin
quelle ne se réduise pas à une simple approche policière ou judiciaire.
Ladoption du plan de développement nen constitue pas le seul exemple.
Suivront, dans la même optique, le statut fiscal particulier et la zone franche
La succession des plans de désendettement de lagriculture corse,
à un rythme croissant au cours des dernières années, participe aussi dun désir
de mettre de lhuile dans les rouages et de désamorcer les protestations
sectorielles récupérées ou initiées, selon les cas, par les mouvements
socio-professionnels ou nationalistes.
De même, lampleur sans commune mesure prise en Corse par
lactivité de la commission des chefs de services financiers et des représentants
des organismes de sécurité sociale (dite COCHEF) participe de cette même volonté
dapaisement. Au 30 juin 1998, 1.272 plans détalement des dettes fiscales et
sociales avaient été accordés (soit près de 80% des demandes déposées). Les 813
encore actifs à la même date portaient sur un montant global de dettes de 240,9 millions
de francs. Il faut dire que, lors de sa visite dans lîle en janvier 1996, le
ministre de lIntérieur avait déclaré avoir donné des instructions fermes pour
que les demandes de rééchelonnement soient " examinées et satisfaites en
fonction des besoins des entreprises, et ce dans les plus brefs délais ".
b) LÉtat a réagi par éclipses
Ce qui frappe dans lanalyse des politiques menées
par les gouvernements successifs depuis les événements dAléria en 1975,
cest le caractère éphémère des remises en ordre. Tout se passe comme si, après
quelques mois et la constatation des premiers résultats obtenus sur le terrain de
lordre public, leffort se relâchait. Le retour au calme, qui a toujours été
relatif et provisoire, faisait sortir la Corse de la première place des journaux et
lîle rétrogradait progressivement dans le classement des priorités
gouvernementales.
Les justifications données aux amnisties illustrent bien, on la
vu, cette sorte dimpatience à revenir à une situation plus normale. Une année
environ daccalmie sur le plan des attentats et de la violence justifie que la page
soit tournée.
Un brusque regain de tension conduit le gouvernement à durcir son
action et, par la nomination dhommes déterminés, à engager une remise en ordre au
nom de lindispensable restauration de lÉtat de droit.
Ainsi, par exemple, lannée 1983 marque assurément un
raidissement de la politique menée en Corse. Devant la recrudescence des attentats, le
gouvernement dissout le FLNC, nomme en Corse un préfet de grande qualité, M. Paul
Bernard, et crée un poste de commissaire de la République délégué à la police, poste
confié au commissaire Robert Broussard.
La liste des actions engagés alors par le préfet Paul Bernard est
étonnante. Lanalogie avec celles menées aujourdhui par le préfet Bernard
Bonnet est confondante :
- de nombreuses inspections et missions de contrôle sont lancées dans les organismes les
plus variés : formation professionnelle continue agricole, caisse dallocations
familiales de Corse-du-Sud, URSSAF, centre hospitalier de Bastia et dAjaccio, office
départemental dHLM de Corse-du-Sud, COTOREP de Corse-du-Sud, université de Corte,
association de formation professionnelle des adultes, Chambre des métiers de la
Corse-du-Sud,
- le contrôle de légalité et budgétaire sur les actes des collectivités locales est
renforcé, des procédures judiciaires sont engagées en matière de marchés publics
(délits dingérence), des maires condamnés pour fraude électorale sont poussés
à la démission ou démis doffice,
- les aides publiques alloués à différents secteurs font lobjet dun suivi
attentif (gîtes ruraux, primes dorientation agricole, primes déquipements
hôteliers,
).
Et pourtant, après le départ du préfet Paul Bernard en août 1985,
cette stratégie va être mise à mal. Lhistoire personnelle de M. François
Garsi, procureur général près la Cour dappel de Bastia muté en 1984 en raison de
son laxisme, nommé préfet de Corse en 1986, et de nouveau écarté onze mois plus tard,
est assurément lun des exemples les plus frappants de
" tête-à-queue " dans la politique de lÉtat de ces vingt-cinq
dernières années.
De même, sagissant du domaine judiciaire, le procureur général
près la Cour dappel de Bastia, M. Jean-Louis Nadal, arrivé en janvier 1991,
indiqua dans son discours inaugural : " Je ne cesserai de rappeler la
place de la loi. Elle est applicable à tous. Il ne peut y avoir de supra, dinfra ou
de non-droit. Lexigence dégalité entre tous les citoyens est une
nécessité, une obligation. Cest la donnée incontournable : la loi ne peut
être bafouée(
) On ne transige pas avec lordre public ". Il
développa une vision extensive de sa tâche, annonçant quil travaillerait
étroitement non seulement avec la police et la gendarmerie notamment à travers la
mise en place d " observatoires de la délinquance " -
mais aussi avec tous les services chargés de faire appliquer les législations
économiques, financières et fiscales et ceux chargés de lurbanisme et de
lenvironnement.
Ce discours, on le voit, tranche avec celui tenu par un de ses
successeurs qui, dans une note interne transmise aux deux procureurs de la République et
une quinzaine de jours après le déplacement sur lîle du ministre de
lIntérieur, incitera à " la plus grande circonspection dans la
conduite de laction publique ".
M. Jean-Louis Nadal ne restera que 18 mois sur lîle,
puisquil sera nommé procureur général à Lyon en juillet 1992.
De même, de nombreux témoignages recueillis par la commission
denquête confirment que lattentat perpétré à la mairie de Bordeaux, en
octobre 1996, a provoqué un tournant majeur dans la politique de lÉtat et dans
ladoption dune politique ferme, mais progressive, de retour à la loi.
c) LÉtat a employé des méthodes qui se sont révélées
discutables
Parce quils se méfiaient des élus insulaires et
quils prenaient acte du poids électoral des mouvements nationalistes, plusieurs des
gouvernements successifs, de droite comme de gauche, nouèrent avec les élus
nationalistes, parfois dans le plus grand secret, des contacts, voire menèrent des
négociations épisodiques avec lune ou lautre des composantes nationalistes.
Certains nhésitèrent pas à actionner des réseaux parfois douteux. La
distribution dargent public a constitué également un instrument jugé utile.
Les contacts ou négociations qui ont pu avoir lieu nont pas tous
été de même nature. Ils ne sont pas forcément condamnables, tant il est vrai, comme
lindiquait un ancien ministre de lIntérieur, que " lorsque
lon veut faire la paix, on la fait avec ses ennemis ". Cependant,
force est de constater que, dans ce domaine, tout a été tenté et que rien na
jamais abouti à des résultats durables. En Corse depuis vingt ans, toute tentative
déchanger des préalables institutionnels, des avancées économiques ou des
dérogations à la loi républicaine contre une renonciation à la violence sest
soldée par un échec.
· Des négociations en catimini
Un ancien ministre de lIntérieur entendu par la
commission denquête a indiqué, lorsquétaient évoquées déventuelles
négociations ou discussions à propos de la Corse, quil avait pris soin de ne
dialoguer quavec des élus du suffrage universel.
Pourtant, un ancien préfet en poste sur lîle a stigmatisé
devant la commission " la prétention parisienne, sous la forme de chargés
de mission qui allaient et venaient ", car expliquait-il : " quand
des chargés de mission à Paris, prétendent discuter avec les éléments nationalistes,
sur place il est impossible de continuer à travailler. Les gens le savent. Quand il y a
des fuites dans la presse, tout le monde est paralysé par la peur, et cest en pure
perte ".
Comme lécrit dans ses mémoires le commissaire Robert Broussard,
et ses mots dépassent la seule période de sa présence sur lîle :
" A quoi bon arrêter des poseurs de bombes sils doivent être
relâchés quelques jours plus tard ? A quoi bon interpeller des flingueurs de
façades de gendarmerie si, une fois libérés, ils deviennent des interlocuteurs du
pouvoir ?"
· Des subventions dapaisement
Laccusation davoir fait circuler des valises
de billets destinés à lun ou lautre des mouvements clandestins a parfois
été portée contre certains gouvernements, dans des intentions purement polémiques.
Rien ne permet détayer une telle accusation et la réalité se révèle plus
prosaïque.
Comme lexplique M. Nicolas Giudici, les milieux
nationalistes ont pris le contrôle de luniversité de Corte " le
plus important gisement demplois publics de laprès-guerre "
- et acquis des positions fortes dans le milieu agricole ainsi que dans les mouvements
associatifs et culturels. Dès lors, " les méthodes utilisées par les
gouvernements successifs ne consistent pas à offrir des liquidités aux clandestins mais,
ce qui revient au même, à soutenir certains de leurs projets agricoles, industriels,
touristiques, associatifs ou culturels, sans vérifier lutilisation des fonds ".
Cest ce que confirmait devant la commission denquête un
ancien ministre, qui indiquait de manière volontairement caricaturale : " vous
savez comment cela se passait. Des groupes nationalistes, il y en a plusieurs. Un jour, un
ministre disait quil allait discuter avec les nationalistes. Il rencontrait un
groupe, qui lui disait : " cest tant ". On payait et le
groupe partait dans la nature en disant quil ne ferait plus rien. Mais un autre
commettait ensuite des exactions. Puis, on changeait de ministre. Les autres
disaient : " cest tant ". On payait. Cest cela aussi
lempilement des régimes fiscaux dérogatoires ". Explicitant ce
quil entendait par " on payait ", il précisait quil ne
sagissait pas, bien entendu, de valises de billets mais du financement
dactivités économiques rencontrant des difficultés : " quand
vous négociez avec ces gens, ils vous disent : " vous comprenez,
nous avons des problèmes ; à Bastia par exemple, il faut plus de crédits pour la
formation professionnelle ". On paye, cest cela. Il faut de la formation
professionnelle, il faut conclure un marché
".
d) LÉtat sest laissé enfermer dans une impasse
" On a souvent cru quon pouvait
trouver des accommodements avec les milieux nationalistes. En réalité, chaque fois
quon négociait avec des terroristes, quand ce nétait pas avec des
délinquants ou criminels de droit commun, on finissait par sapercevoir quon
aboutissait à une impasse. Je ne jette la pierre à personne, mais toute tentative de ce
genre, jusquà présent, a abouti à une impasse manifeste.(
) Il ny a
pas de place pour des négociations qui, à chaque fois quelles ont eu lieu, ont
conduit à limpasse et à la ridiculisation des pouvoirs publics " a
dit, devant la commission denquête, un ministre.
La tenue périodique de conférences de presse clandestines, par des
militants cagoulés exhibant complaisamment leur armement, participe de cette
ridiculisation.
Chacun a encore en mémoire le malheureux épisode de Tralonca en
janvier 1996, le plus spectaculaire sans doute, avec plusieurs centaines de personnes
cagoulées et armées jusquaux dents filmées par les équipes de la télévision.
De même, certaines couvertures dU Ribombu, hebdomadaire
de la Cuncolta naziunalista, sont proprement stupéfiantes.
Plus grave : aux journées de Corte daoût 1993, les
responsables de la Cuncolta naziunalista revendiquent publiquement, à la tribune devant
laquelle ont pris position des militants armés, lassassinat de trois militants
nationalistes, dont Robert Sozzi.
Lexistence de la société de sécurité privée, Bastia
Securita, a souvent été évoquée devant la commission denquête. Son cas est
exemplaire de la décrédibilisation des autorités publiques.
" Bastia Securita est lofficine sociale de la
Cuncolta, cest-à-dire le FLNC Canal historique " a expliqué un
magistrat. " Cela signifie que Bastia Securita nemploie évidemment que
des nationalistes patentés avec un fort taux de rotation, ce qui permet aux intéressés
de bénéficier dune couverture sociale à lissue de leur contrat
dembauche. Bastia Securita a réussi lexploit rare dobtenir pratiquement
le monopole du transport de fonds en Haute-Corse (
) On a braqué à peu près tous
les autres transporteurs de fonds, à un point tel quils se sont retirés du
transport de fonds en Haute-Corse.(
) Jobserve dailleurs que nous sommes
arrivés au taux zéro dattaque de transports de fonds. "
continue-t-il. Installée géographiquement en face du commissariat de police de Bastia,
cette société a parfois compté, hélas, dans sa clientèle un service public.
" On est ainsi arrivé à une situation extrêmement paradoxale "
poursuit ce magistrat : " il y a trois ou quatre ans, au moment de la saison
estivale, le directeur de la Poste (
) me disait : "je vais devoir faire
appel, cet été, à Bastia Securita pour assurer les transports de fonds, qui connaissent
une forte augmentation lété, car je ne parviens plus à obtenir dautres
sociétés le supplément de travail dont jai besoin pour assurer
lapprovisionnement des bureaux de poste" ". Un ancien ministre de
lIntérieur confiait à ce propos : " ce problème me tient à
cur et a été pour moi loccasion, lors dune soirée, de me mettre en
colère. Jai, en effet, été surpris, pour ne pas dire choqué, dapprendre
que (cette société) était utilisée par certaines administrations. Jai appelé un
certain nombre de mes collègues pour leur dire " vous êtes
fous ", mais javais limpression que jétais le seul à trouver
cela anormal ".
Quant à connaître les raisons de cette situation, les explications
fournies devant la commission denquête nemportent guère
ladhésion :
" Il paraît daprès la direction des
services fiscaux et la trésorerie générale que cette société tient les comptes
les plus clairs qui soient. Il nest guère surprenant de présenter des comptes
équilibrés avec de tels tarifs et le fait que les clients paient rubis sur longle.
Comment pouvons-nous intervenir dans une société de ce genre ? Nous nous posions
quotidiennement la question. En réalité, nous pensions, vraisemblablement à tort, que
par lobservation des différents convoyeurs de fonds ou de gardiens nous pourrions
établir un lien entre les activités de la société et les activités terroristes. Ce
lien a été démontré individuellement à plusieurs reprises entre tel ou tel individu
de Bastia Securita et un attentat ou une activité terroriste, mais la société en tant
que telle na jamais été impliquée " expliquait un ancien préfet.
Le magistrat déjà cité a évoqué une autre piste :
" il y a eu, pour le principe, deux ou trois enquêtes qui ont consisté à
essayer de savoir si les détentions darmes des personnels étaient légales. Les
personnels roulent généralement en 306 gris métallisé. Quand on est à un certain
niveau de la hiérarchie du FLNC canal historique, on a droit à une 406. On les voit, on
les reconnaît, on sait que ce sont des véhicules de location. Il ny a jamais eu de
véritable enquête, notamment auprès de la société Filcar, qui appartenait à M.
Filippi, assassiné quatre ou cinq jours avant louverture du procès de la
catastrophe de Furiani, et qui représente Hertz en Haute-Corse. Jamais, alors que je
lai réclamé à cor et à cri, on na enquêté auprès de Hertz pour
connaître les contrats de location passés entre cette société et les membres notoires
de la Cuncolta. Ce travail, demandé un certain nombre de fois, na jamais été fait
par aucun service de police ".
On peut en tout cas sinterroger sur les motifs qui ont conduit
lautorité administrative à accorder les autorisations de ports darmes
initiales, sans lesquelles ce " fonds de commerce " naurait pu
être constitué.
2. La gestion inadaptée des services publics
La vie administrative de la Corse ne se résume pas aux
à-coups politiques, pour déstabilisants quils soient. Lactivité quotidienne
des services de lÉtat, a pour les habitants de lîle une importance beaucoup
plus tangible et leur fonctionnement interne constitue un enjeu essentiel.
Un ancien ministre de lIntérieur posait, devant la commission
denquête, les données du problème : " le rôle que peut et doit
jouer lÉtat est extrêmement difficile. LÉtat, cest quoi ? Les
ministres ? Daccord. Les directeurs de ministère ? Ils donnent des
instructions. Les directeurs départementaux de léquipement, de
lagriculture ? Encore faut-il trouver des personnes qui veuillent bien venir en
Corse car on ne les nomme pas comme des capitaines de linfanterie coloniale !
On parvient enfin à trouver le meilleur. Il arrive là-bas, donne des instructions à ses
chefs de bureaux, qui les transmettent à leurs subordonnés. Mais, si en bas, dans une
proportion importante , les gens sont pris dans un système de relations de
cousinage, de voisinage, de compromissions, de menaces, de promesses, qui fait que les
instructions ne sont pas exécutées et que les règles ne sappliquent pas (
).
Il est extrêmement difficile de réformer (
) ".
Interrogé sur labsence de volonté de lÉtat de faire
appliquer le droit, il continuait : " Mais la volonté de lÉtat,
cest la volonté dun gouvernement, puis de ministres, puis de préfets, puis
dun directeur départemental de léquipement ou de lagriculture, qui
donnent des ordres à des chefs de bureaux, qui eux-mêmes
La volonté de
lÉtat sexprime au moment où M. X derrière son bureau, va dire oui ou non
sur un dossier. Cest cela la volonté de lÉtat. Ici, vous parlez de
lÉtat dans sa majesté mais, vues de Corse, les décisions de telle Cotorep, les
décisions en matière agricole, ce sont, à un moment donné, des micro-décisions. Des
micro-décisions qui sont, en très grand nombre, prises contrairement à la loi. Je
comprends que cela vous choque. Je lai été moi aussi. Je le suis encore ".
Même si la Corse ne peut être considérée comme une région
sous-administrée, au moins en termes quantitatifs, on ne peut ignorer que les services de
lÉtat sont amenés à remplir leurs missions dans un contexte très particulier.
Malgré tout, les services de lÉtat en Corse nont pas fait lobjet
dune attention suffisante, de nature à surmonter les difficultés rencontrées. La
responsabilité des chefs de service sur place est certes engagée. Celle des
administrations centrales lest sans doute plus encore, alors quelles étaient
largement averties des dysfonctionnements par les multiples rapports rédigés sur le
sujet. A cet égard, il est stupéfiant de constater la totale actualité du rapport
accablant établi par MM. Cabanes et Lacambre dans le cadre des travaux des tables-rondes
réunies en 1989.
a) Les administrations de lÉtat sont fortement présentes
en Corse
La Corse nest pas sous-administrée. Cette
affirmation, contestée par certaines des personnes entendues par la commission
denquête, pourrait surprendre dans le contexte actuel de mise en cause de certaines
carences de lÉtat dans lîle. Pourtant, elle est corroborée par un certain
nombre dinformations statistiques communiquées à la commission par la direction
générale de ladministration et de la fonction publique.
En effet, il apparaît clairement que, en ne tenant compte que des
ministères civils (et hors postes et télécommunications), la Corse présente le plus
fort ratio dagents de lÉtat par habitant des vingt-deux régions
métropolitaines : 39 agents de lÉtat pour 1.000 habitants, au lieu de 30
pour la moyenne métropolitaine à la fin de 1996. Elle dépasse même lIle de
France, puisque celle-ci noccupe que la deuxième place (avec 37 agents de
lÉtat pour 1.000 habitants), suivie du Limousin (33,3) et de Midi-Pyrénées
(32,1). Cette situation nest pas nouvelle puisque, déjà à la fin de 1980, la
Corse nétait devancée que par lIle de France, 33 au lieu de 36 agents de
lÉtat pour 1.000 habitants, alors que la moyenne métropolitaine natteignait
que 28,2. Comparée à cette moyenne nationale, la situation de la Corse sest
dailleurs améliorée au cours de cette période puisque elle dépassait la moyenne
métropolitaine de 17% en 1980 et de 29% en 1996.
Sur les 10.140 agents des ministères civils de lÉtat présents
en Corse à la fin de 1996, plus de la moitié relevait du ministère de léducation
nationale (5.316, soit 52,4%). Les principaux ministères suivants étaient
lIntérieur (1.267, soit 12,5%), lEquipement, le logement et les transports
(1.234, soit 12,2%) et lEconomie et les finances (1.219, soit 12%) : ces quatre
ministères représentent donc près de 90% des effectifs présents en Corse.
Répartition régionale des agents de létat (1)
|
|
1980 |
|
|
1996 |
|
Evolution du |
|
Population |
Nbre de
fonctionnaires |
Nbre de fonctionnaires /
1.000 hab |
Population |
Nbre de fonctionnaires |
Nbre de fonctionnaires/1.000
hab |
nombre d'agents de l'État
entre 1980 et 1996 |
Alsace |
1.566.000 |
45.007 |
28,7 |
1.690.000 |
50.992 |
30,2 |
+13% |
Aquitaine |
2.657.000 |
70.539 |
26,5 |
2.867.000 |
80.488 |
28,1 |
+14% |
Auvergne |
1.333.000 |
37.961 |
28,5 |
1.315.000 |
41.516 |
31,6 |
+9% |
Basse-Normandie |
1.351.000 |
35.268 |
26,1 |
1.413.000 |
39.469 |
27,9 |
+12% |
Bourgogne |
1.596.000 |
45.618 |
28,6 |
1.623.000 |
50.484 |
31,1 |
+11% |
Bretagne |
2.708.000 |
61.569 |
22,7 |
2.846.000 |
70.857 |
24,9 |
+15% |
Centre |
2.264.000 |
56.928 |
25,1 |
2.433.000 |
65.829 |
27,1 |
+16% |
Champagne-Ardenne |
1.346.000 |
39.019 |
29,0 |
1.352.000 |
42.838 |
31,7 |
+10% |
Corse |
240.000 |
7.919 |
33,0 |
260.000 |
10.140 |
39,0 |
+28% |
Franche-Comté |
1.084.000 |
31.446 |
29,0 |
1.113.000 |
35.499 |
31,9 |
+13% |
Haute-Normandie |
1.655.000 |
43.508 |
26,3 |
1.777.000 |
50.812 |
28,6 |
+17% |
Ile de France |
10.073.000 |
362.301 |
36,0 |
10.982.000 |
406.277 |
37,0 |
+12% |
Languedoc-Roussillon |
1.927.000 |
53.335 |
27,7 |
2.221.000 |
63.074 |
28,4 |
+18% |
Limousin |
737.000 |
21.662 |
29,4 |
719.000 |
23.924 |
33,3 |
+10% |
Lorraine |
2.320000 |
68.094 |
29,4 |
2.311.000 |
73.327 |
31,7 |
+8% |
Midi-Pyrénées |
2.325.000 |
69.614 |
29,9 |
2.494.000 |
80.161 |
32,1 |
+15% |
Nord Pas de Calais |
3.933.000 |
98.686 |
25,1 |
3.995.000 |
112.616 |
28,2 |
+14% |
PACA |
3.965.000 |
104.138 |
26,3 |
4.426.000 |
124.491 |
28,1 |
+20% |
Pays de la Loire |
2.930.000 |
62.733 |
21,4 |
3.138.000 |
74.601 |
23,8 |
+19% |
Picardie |
1.740.000 |
43.003 |
24,7 |
1.855.000 |
50.986 |
27,5 |
+19% |
Poitou-Charentes |
1.568.000 |
40.549 |
25,9 |
1.618.000 |
45.966 |
28,4 |
+13% |
Rhône-Alpes |
5.016.000 |
132.810 |
26,5 |
5.572.000 |
155.183 |
27,9 |
+17% |
France métropolitaine |
54.334.000 |
1.531.707 |
28,2 |
58.020.000 |
1.749.530 |
30,2 |
+14% |
(1) Agents
des ministères civils (hors P.T.T. en 1980) Source : Direction générale de
ladministration et de la fonction publique. |
|
|
Du 31 décembre 1980 au 31 décembre 1996, le nombre dagents de
lÉtat en Corse a augmenté de 28% (soit +2.221). Cela représente la plus forte
progression régionale constatée en France métropolitaine et un rythme dévolution
deux fois plus important que la moyenne nationale. Ces agents supplémentaires relèvent
principalement des quatre ministères déjà énumérés : Education nationale
elle représente près de la moitié de laccroissement constaté - (+1.066, soit
+25,1%), Intérieur (+318 , soit +33,5%), Equipement (+236, soit +23,6%) et Economie
et finances (+202, soit +19,9%).
Ce nombre plus élevé dagents de lÉtat en Corse ne
signifie pas bien sûr quil nexiste pas, ici ou là et notamment dans des
secteurs sensibles, des manques criants. Il témoigne simplement que lîle
nest pas mal traitée dans la répartition des effectifs de fonctionnaires de
lÉtat.
b) Les administration de lÉtat travaillent dans un
contexte très particulier
Ce contexte particulier a été évoqué par plusieurs
témoins devant la commission denquête. Leurs témoignages nétaient
toutefois que des confirmations de la persistance dune situation déjà décrite
précédemment.
· Un contexte pesant
Comme on la déjà indiqué, ce contexte insulaire
a été remarquablement analysé dans le diagnostic sans complaisance établi par MM.
Cabanes et Lacambre en septembre 1989, diagnostic qui na hélas pas pris une
ride :
- la multiplication des institutions publiques et privées
(collectivités locales, organisations professionnelles, syndicales ou politiques) font
que " lintérêt général, guide du fonctionnaire, sexprime ici
par mille voix souvent discordantes (
) ",
- le cumul fréquent des mandats et le poids du secteur public font
que " rares sont ceux qui ne sont ni par eux-mêmes ni par un proche soit
rémunérés par une collectivité publique, soit pensionnés dune collectivité
publique, soit subventionnés ou aidés par une collectivité publique, soit dépendants
de près ou de loin de décisions prises par une ou plusieurs collectivités publiques
(
) ",
- " La Corse est une extraordinaire caisse de
résonance, où tout est amplifié, où tout vient sur la place publique,
puisquaussi bien chacun se connaît (
) ",
- " Lanonymat des dossiers administratifs, qui
protège autant celui quil concerne que celui qui le traite, nexiste pas dès
lors que le problème est pris en charge dès son apparition par des élus ou
représentants qui doivent faire savoir quils interviennent. Lacte unilatéral
perd de sa netteté et devient un acte négocié, se rapprochant du contrat ; quant
au contrat, il ne lie pas vraiment ses auteurs et est toujours susceptible de révision.
Dans ces conditions, la dérogation injustifiée se développe, la décision prise sur
pièces fausses apparaît (
) ".
Le rapport ne se voulait certes pas une condamnation sans appel des
fonctionnaires. Ses auteurs reconnaissaient que " bien présomptueux serait
celui qui prétendrait avoir les qualités voulues pour ne pas entrer dans un tel
système ".
Ils poursuivaient : " quils soient du
groupe des "météores" ou du groupe des "autochtones", ils sont de
bons fonctionnaires, qui veulent bien faire leur travail. Mais ils savent quils
néchapperont pas aux critiques de leur administration centrale en cas
dincident, et à celle des usagers parce que, de toute façon, il est impossible de
donner un nouveau cours aux choses et faire respecter les textes et procédures. Ils
seront victimes de menaces anonymes et de mesures dintimidation, en particulier
lorsquils gèrent des crédits, des subventions, interviennent dans leur
distribution ou accordent des autorisations. Ils subissent, en tout état de cause, un
système qui ne leur permet pas dagir avec autorité ; ils regrettent de ne
pouvoir dire non lorsquil y a lieu de le faire, sans crainte dêtre
pratiquement désavoués par une juridiction, lorsquils veulent faire sanctionner un
comportement illégal. Il faut être sensible au désespoir quexprime ce
fonctionnaire de responsabilité dune administration financière qui déclare en
réunion que, au bout de six mois, "on est pris par le système ; on est
grillé". "
· Des pressions incontestables
Il serait illusoire despérer que la violence que
lon peut constater dans lîle ne perturbe pas le fonctionnement des services
publics, dautant plus quils constituent eux-mêmes bien souvent la cible des
poseurs de bombes ou des auteurs de mitraillages.
Le directeur de la comptabilité publique expliquait devant la mission
dinformation sur la Corse, en mars 1997, que ses services avaient subi
150 attentats depuis 1979. Un témoin entendu par la commission denquête
expliquait que la trésorerie de Prunelli en Haute-Corse, plastiquée à seize reprises,
était abritée dans deux bâtiments distincts. Les services fiscaux ne sont pas en
reste : plus dune trentaine dattentats en dix ans et lhôtel des
impôts de Bastia a été partiellement détruit par un violent attentat en décembre
1995.
Ce climat nest évidemment pas idéal pour un fonctionnement
normal des services. Cependant, ses effets sur les personnels ont été diversement
commentés devant la commission denquête. Spontanément et immanquablement mis en
exergue, ils ont été néanmoins relativisés par un responsable syndical :
Question : " Avez-vous réellement le sentiment
quun fonctionnaire des services fiscaux ou du Trésor, qui voit ses lieux de travail
plastiqués, nest ni troublé ni stressé par cette situation ? Quil
considère que ce nest pas lui qui est visé mais lÉtat, et que donc, il peut
continuer sereinement à faire son travail dans un préfabriqué ? "
Réponse : " Tout à fait. Je suis affirmatif pour
avoir été dans ce cas. Les agents des impôts, même quand lhôtel des impôts est
détruit, nont à aucun moment ressenti ces actions comme sadressant à eux,
pour la simple raison que demblée, la revendication portait sur autre chose. Ceux
qui lont revendiqué disaient quils visaient cela comme ils auraient visé une
sous-préfecture, etc. Cela ne sest jamais accompagné de revendications qui les
appuieraient en disant " Arrêtez de faire votre travail. "
Jamais. "
Les pressions ne se résument pas aux attentats. Outre les pressions
exercées directement sur les fonctionnaires, dont il est difficile de mesurer
lampleur et la fréquence, il existe des pressions indirectes sadressant, par
voie de presse ou de communiqués, à tel ou tel service de lÉtat pour dénoncer
son action. On a déjà évoqué les communiqués du Rialzu Economicu dénonçant dans des
communiqués laction menée par lURSSAF. Son "homologue" de
Haute-Corse protestait de même, en juillet 1997, contre la reprise par les services
fiscaux de leurs " actions négatives envers les socio-professionnels "
et indiquait être prêt " pour le dialogue et la conciliation "
mais par pour " la tonte ".
c) Les administrations sur place nont pas fait
lobjet dune attention suffisante
Certains élus insulaires plaident pour que la Corse
soit administrée comme un département ordinaire du continent. Il semblerait bien que,
paradoxalement, cela soit déjà le cas.
Les administrations centrales des ministères, fautes
dorientations politiques différentes, se bornent dans maints domaines à appliquer
aux services présents simplement les règles ou les procédures nationales, sans
visiblement sinterroger sur lopportunité dune attention particulière.
Il est à craindre que cette attitude résulte plus dune résignation condamnable
aux spécificités corses que dun aveuglement que la multitude des rapports et des
inspections rendrait totalement inexplicable.
· Les administrations centrales se
bornent à appliquer des règles ou des procédures nationales
Ce traitement ordinaire des services déconcentrés
sobserve à la fois dans la détermination des besoins quantitatifs, dans la
répartition territoriale des structures et dans la persistance des difficultés de
recrutement.
Des besoins estimés sans prise en compte des spécificités locales
En termes quantitatifs, à chaque fois que la commission
denquête interrogeait des responsables administratifs sur le caractère suffisant
ou non des effectifs présents, il était systématiquement répondu par référence à
des ratios définis au niveau national. Or, ces ratios reflètent une approche
essentiellement quantitative des charges de travail en ignorant dans une large mesure tout
ce qui peut rendre ces charges plus lourdes et plus difficiles à assumer
quailleurs.
La justice constitue à cet égard un exemple particulièrement
éclairant. Une circulaire de la Chancellerie en date du 23 mars 1998 a précisé la
méthodologie suivie pour procéder à la répartition des emplois budgétaires nouveaux
créés par la loi de finances pour 1998 (100 emplois de magistrats, 280 emplois de
fonctionnaires, 220 emplois dassistants de justice). Différents critères étaient
utilisés tenant aux effectifs déjà sur place, à lactivité des juridictions
(nombre daffaires nouvelles, nombre daffaires jugées, nombre daffaires
en cours,
), à la population actuelle et attendue du ressort, etc
Il apparaît
que par le jeu de lensemble de ces critères les juridictions corses ne se seraient
vues affecter aucun magistrat supplémentaire dans le cadre de cet exercice purement
arithmétique. Elles nont dailleurs obtenu à ce titre quun seul emploi
de fonctionnaire et quun seul emploi dassistant de justice. Les mesures
récentes de renforcement des juridictions corses, sur lesquelles nous aurons
loccasion de revenir, montrent à lévidence les limites de tels raisonnements
globaux détachés des réalités locales.
Comme le confiait un ministre en exercice, " les moyens
mis à la disposition des services déconcentrés doivent être évalués par rapport aux
objectifs des politiques que lon peut leur demander de mener. Jusquà
présent, les deux départements de Corse ont été traités sur les mêmes bases de
critère de gestion que les autres. La situation actuelle et les objectifs nouveaux de
lÉtat en Corse nous conduisent, bien sûr, à réévaluer cette situation ".
Des structures administratives parfois trop dispersées
Sagissant de la dispersion de certaines structures
administratives, la Corse ne se distingue sans doute pas de certains départements de la
France continentale, notamment à dominante rurale. Mais, ce qui ne pose guère de
problèmes dans le Massif central peut ne pas être aussi neutre dans le contexte
particulier de la Corse.
Comme lexpliquait le rapport Cabanes-Lacambre, " il
est vrai quil serait souhaitable de déconcentrer certaines décisions mais que,
compte-tenu de la pression sociale locale, ce mouvement pourrait provoquer un
accroissement du nombre des décisions discutables ".
Un haut fonctionnaire du ministère de léconomie et des finances
soulignait devant la commission denquête léparpillement du réseau du
Trésor public, expliquant quil existait 29 perceptions en Corse " ni
plus ni moins que dans les départements de la même taille. Il ny a pas de
caractéristique corse de ce point de vue. On peut trouver contestable
léparpillement des perceptions qui correspond à un état de la France qui est
plutôt celui de 1789 que de 1998, mais cest vrai de la Haute-Saône comme de la
Corse. Cependant, en Haute-Saône, les perceptions ne sautent jamais ! ".
Il ajoutait quil avait ainsi rencontré plusieurs perceptions " laissées
en déshérence ".
Une telle analyse peut également être faite concernant les brigades
de gendarmerie ou les subdivisions de lEquipement. Une note de la direction
générale de lurbanisme, de lhabitat et de la construction soulignait, en
effet, que " sagissant de lapplication du droit des sols, que
celle-ci concerne les communes disposant dun POS approuvé ou non et donc les
autorisations délivrées au nom des communes ou de lÉtat, la déconcentration en
subdivision de cette application conduit trop souvent les instructeurs à être en prise
directe avec le binôme " élu-pétitionnaire " et donc à des
pressions locales souvent très fortes ".
Des difficultés de recrutement non résolues
Autre manifestation dune gestion inadaptée des
services publics, lindifférence aux difficultés de recrutement apparaît trop
grande.
Celles-ci pourtant sont réelles. Comme lindiquait le rapport
Cabanes-Lacambre, " il est vrai que dans certains cas existent des files
dattente de fonctionnaires voulant travailler en Corse tandis que, dans
dautres, on cherche en vain des volontaires ; il est vrai que certaines
catégories de fonctionnaires sont sous-qualifiées tandis que dautres sont
surdiplômées (
); il est vrai que des postes de responsabilité sont
difficiles à pourvoir tandis que de véritables guerres de succession font rage pour en
pourvoir dautres ".
La perspective de servir en Corse ne semble pas susciter des
vocations suffisamment nombreuses pour laisser beaucoup de choix aux directions du
personnel des différents ministères. Tous les témoignages devant la mission
dinformation sur la Corse ou devant la commission denquête convergent sur ce
point.
" Je constate effectivement quil ny a pas
pléthore de candidats pour aller dans les départements corses, quils soient
dailleurs originaires de Corse ou non " reconnaissait le directeur de
la comptabilité publique devant la mission dinformation. De même, un agent des
impôts soulignait devant la commission que " la Corse est plus accessible
que la région parisienne à loccasion des mouvements de mutation,
cest-à-dire que la demande (
) ny est pas pressante ".
Ce manque de candidatures crée bien évidemment des problèmes de
recrutement et de résorption des postes vacants. Bien souvent, les directions du
personnel se voient dans lobligation daffecter en Corse des agents sortant des
écoles.
Ce phénomène sobserve de haut en bas de léchelle et
touche aussi bien les administrations que les juridictions, quelles soient
judiciaire, administrative ou financière. De même, ladministration accepte sans
trop dexamen les quelques candidatures spontanées qui peuvent se manifester
quelles émanent de fonctionnaires souhaitant terminer leur carrière sur
lîle ou, au contraire, faire dun passage le plus court possible en Corse, la
simple étape dun déroulement de carrière bien géré. Devant la commission
denquête, un magistrat qui a été en poste en Corse décrivait ainsi
lattitude de la direction des services judiciaires lorsquelle enregistrait une
candidature pour la Corse : " ce poisson est si rare que lorsquils
en tiennent un, ils le poussent alors quil nest pas digne daller en
Corse ".
La " corsisation des emplois " : un vrai-faux débat ?
Ce délicat problème des nominations seuls des
Corses seraient spontanément volontaires pour servir dans lîle - est
loccasion dévoquer un phénomène qui fait parfois couler beaucoup
dencre, celui de la " corsisation " des emplois publics.
La direction générale de ladministration et de la fonction
publique a fourni à la commission denquête un certain nombre dinformations
statistiques concernant lorigine natale des agents de lÉtat en poste dans les
différentes régions françaises.
Or, cela peut constituer une surprise, la Corse apparaît être
lune des régions où le taux dagents des ministères civils de lÉtat
en poste dans leur région de naissance est le plus faible. Avec un taux légèrement
supérieur à la moitié à la fin de 1996 (50,6%), la Corse arrive au 18ème
rang des régions métropolitaines. Le taux nest inférieur que dans quatre autres
régions : Languedoc-Roussillon (49,2%), Centre (48%),
Provence-Alpes-Côte-dAzur (43%) et Ile de France (40,1%). La Corse est loin
derrière les régions pour lesquelles ce taux est le plus élevé :
Nord-Pas-de-Calais (80,7%), Lorraine (73,2%) ou Bretagne (66,9%). Létude plus
affinée au niveau des diverses catégories de fonctionnaires titulaires ne modifie pas la
conclusion : la Corse est au 16ème rang pour les fonctionnaires de
catégorie A (42,6%), au 20ème rang pour la catégorie B (47,7%), au 18ème
rang pour la catégorie C (59%) et 18ème rang ex æquo pour la catégorie D
(55,6%).
Entre 1990 et 1996, on observe que le taux a diminué en Corse, tant au
niveau global (54,8% en 1990) que pour les catégories B, C et D (respectivement 53,4%,
63,2% et 76,4% en 1990). Mais, le classement de la Corse a peu changé puisquelle
occupait déjà le 17ème rang en 1990.
PART DES AGENTS EN POSTE DANS LEUR REGION DE
NAISSANCE (1)
|
|
|
1990 |
|
|
|
|
1996 |
|
|
|
pourcentage de
natifs dans |
pourcentage de
natifs dans |
|
effectif global |
Titulaires catégorie A |
titulaires catégorie B |
titulaires catégorie C |
titulaires catégorie D |
effectif global |
titulaires catégorie A |
titulaires catégorie B |
titulaires catégorie C |
titulaires catégorie D |
Alsace |
60,0 |
51,3 |
68,9 |
58,2 |
73,3 |
57,7 |
52,4 |
66,0% |
60,0 |
55,6 |
Aquitaine |
57,9 |
47,7 |
61,5 |
63,9 |
73,1 |
55,8 |
48,5 |
58,4% |
63,4 |
60,0 |
Auvergne |
62,7 |
49,9 |
66,4 |
69,0 |
75,8 |
62,2 |
52,5 |
64,4% |
71,7 |
72,7 |
Basse-Normandie |
60,8 |
45,8 |
62,1 |
71,6 |
79,7 |
59,4 |
48,0 |
61,8% |
70,9 |
60,0 |
Bourgogne |
56,4 |
43,2 |
60,0 |
65,2 |
70,4 |
55,2 |
45,6 |
58,8% |
64,1 |
82,6 |
Bretagne |
70,1 |
59,7 |
72,5 |
77,4 |
84,4 |
66,9 |
57,9 |
69,1% |
77,2 |
76,0 |
Centre |
49,5 |
35,2 |
52,3 |
58,7 |
67,7 |
48,0 |
37,6 |
52,1% |
57,7 |
76,0 |
Champagne-Ardenne |
61,4 |
45,4 |
64,8 |
71,0 |
76,7 |
61,0 |
47,6 |
67,8% |
72,2 |
65,4 |
Corse |
54,8 |
41,5 |
53,4 |
63,2 |
76,4 |
50,6 |
42,6 |
47,7% |
59,0 |
55,6 |
Franche-Comté |
66,9 |
53,5 |
71,6 |
75,8 |
78,2 |
65,4 |
55,9 |
69,7% |
76,0 |
75,0 |
Haute-Normandie |
51,6 |
37,6 |
55,1 |
57,6 |
74,7 |
52,3 |
41,9 |
57,4% |
61,4 |
61,5 |
Ile de France |
39,1 |
38,7 |
44,6 |
31,4 |
39,0 |
40,1 |
41,1 |
45,9% |
32,6 |
47,2 |
Languedoc-Roussillon |
52,7 |
44,1 |
56,0 |
57,1 |
65,4 |
49,2 |
43,0 |
51,4% |
56,2 |
50,0 |
Limousin |
61,5 |
48,3 |
66,3 |
70,1 |
76,3 |
58,6 |
48,3 |
62,9% |
69,0 |
71,4 |
Lorraine |
73,2 |
62,3 |
76,9 |
80,8 |
81,7 |
73,2 |
65,2 |
78,0% |
81,8 |
81,3 |
Midi-Pyrénées |
60,5 |
49,7 |
64,3 |
67,3 |
72,1 |
57,6 |
49,7 |
60,0% |
66,7 |
68,0 |
Nord Pas de Calais |
81,6 |
69,9 |
86,4 |
90,7 |
91,4 |
80,7 |
71,4 |
86,6% |
90,9 |
93,3 |
PACA |
43,1 |
38,3 |
47,3 |
40,5 |
53,1 |
43,0 |
40,9 |
44,6% |
42,5 |
50,0 |
Pays de la Loire |
55,9 |
38,3 |
56,6 |
68,1 |
76,1 |
55,1 |
41,9 |
57,2% |
68,1 |
58,8 |
Picardie |
56,3 |
39,5 |
57,7 |
70,6 |
74,8 |
55,2 |
42,0 |
59,3% |
70,1 |
81,3 |
Poitou-Charentes |
58,9 |
42,3 |
61,9 |
70,6 |
76,3 |
55,8 |
43,3 |
59,2% |
69,4 |
75,0 |
Rhône-Alples |
58,8 |
52,8 |
63,8 |
57,7 |
67,3 |
58,3 |
54,9 |
61,9% |
59,4 |
72,7 |
France métropolitaine |
55,1 |
|
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|
|
54,4 |
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(1) Agents des ministères civils de lÉtat. Source : Direction
générale de ladministration et de la fonction publique. |
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Ainsi, la " corsisation " de ladministration
apparaît toute relative. Elle ne constitue pas à lévidence lorigine
principale des maux dont ladministration peut souffrir en Corse. Cependant, et
certains témoins lont souligné devant la commission denquête, la proportion
de fonctionnaires originaires de Corse peut, même si elle nest pas plus importante
quailleurs, avoir dans une île aussi peu peuplée et dans une société où les
relations familiales et de voisinage ont limportance que lon sait des
conséquences plus fortes que lampleur du phénomène ne pourrait le laisser
supposer.
" Quant aux fonctionnaires de responsabilité, qui, en fin
de carrière, ont réussi à obtenir un emploi dans leur île natale, il ne faut pas
attendre deux quils signalent à leur administration centrale les difficultés
dun poste quils ont vivement revendiqué pendant des années et dans lequel
ils espèrent bien rester jusquà leur retraite " estimait le rapport
Cabanes-Lacambre.
En tout cas, la commission denquête a pu constater combien cette
question avait de graves conséquences dans certaines administrations exerçant des
fonctions régaliennes de lÉtat, à savoir la police et la justice, jetant parfois
le trouble ou le soupçon.
Là encore, seule lapplication sans réserve des lois
républicaines par tous ceux dont cest la charge, permettra de dépasser ses
interrogations.
· Les administrations centrales
semblent sêtre résignées aux spécificités de lîle
Le peu de suites données aux rapports pointant les
dysfonctionnements administratifs dans lîle amène à se demander si les
administrations centrales ne se sont pas accommodées du contexte insulaire et si elles ne
souhaitent pas avant tout ne pas entendre parler de la Corse.
Le rapport Cabanes-Lacambre sinterrogeait sur les raisons de la
non prise en compte des problèmes corses par les administrations centrales :
" Parmi les motifs de cette attitude, il entre sûrement
cette idée que la Corse cest spécial, quon ne comprendra jamais cette
particularité de la République ; que cest petit et quil y a plus urgent
à faire quà soccuper dun problème concernant deux, quatre ou dix
agents. Il entre aussi le souvenir de ce que, depuis des années, des efforts ont été
faits en particulier en ce qui concerne laugmentation des
fonctionnaires sans contrepartie perceptible ; il entre également cette
constatation qui résulte de rapports de linspection
générale que le milieu local dévie les meilleures initiatives et, en fin de
compte, la conviction que dans une période où les ressources sont limitées il vaut
mieux les affecter à des régions plus "normales".
Des conséquences graves sur le fonctionnement des services
Les conséquences dun tel désintérêt portent
dabord sur le fonctionnement interne des services de lÉtat et plus
généralement sur la gestion des ressources humaines.
A titre dexemple, il est intéressant de citer le rapport
dinspection périodique de la direction départementale de léquipement de
Corse-du-Sud réalisé par le conseil général des Ponts et Chaussées en 1994 qui met au
jour des carences fondamentales largement transposables à lensemble des services de
lÉtat présents en Corse :
des cadres insuffisamment formés au management :
" les cadres doivent être de vrais managers, cest-à-dire raisonner sur
des objectifs stratégiques à moyen terme, suivre lexécution des programmes
prévisionnels et des plans daction, mesurer la productivité et juger de
laction en termes de résultat. (
) Il est indispensable que lencadrement
fasse leffort de se former au management sous peine de se disqualifier
définitivement aux yeux de leurs collaborateurs. (
) La modernisation implique une
évolution culturelle de la DDE qui passe en priorité par une révolution culturelle de
lencadrement " ;
une rotation trop rapide de ceux-ci :
" dans lensemble, les cadres de la DDE sont mutés après un court séjour
de 2 à 3 ans environ.(
) Si ce renouvellement permanent des cadres apporte du sang
neuf, par contre lorsque ce renouvellement est trop rapide, il ne permet pas un ancrage
des démarches de progrès et de mobilisation du tissu local et ne laisse, sur le terrain,
aucune trace durable de laction. (
) Leur départ fait toujours peser un doute
sur la poursuite de la démarche de modernisation. Cette situation est dautant plus
sensible que les catégories B et C du personnel sont souvent en poste depuis leur entrée
dans ladministration du fait de la corsisation des postes. Cette fracture nette
entre lencadrement trop mobile et le reste du personnel trop sédentaire ne favorise
pas la cohésion au sein de la DDE " ;
un absentéisme important :
" létude (
) fait ressortir un taux dabsentéisme de 15% pour
lannée 1992 et 17% pour lannée 1993. Ce taux, en forte progression, se situe
très au-dessus de la moyenne nationale. Par ailleurs, aucune sanction disciplinaire
na été prononcée durant les trois dernières années et la dispersion des
notations nest pas significative pour y déceler une quelconque récompense des
mérites ou une sanction pour des manquements graves(
) Alors quils ont le
devoir de faire observer les horaires de travail, les cadres ont trop tendance à fermer
les yeux sur la quantité et la qualité des prestations fournies par leurs
collaborateurs. Ils nen tiennent pas suffisamment compte dans les appréciations
annuelles sur la manière de servir, sur la notation, les propositions davancement
et de promotion(
) ".
Des conséquences graves sur lapplication de la loi
Après avoir tenté une explication de lattitude des
administrations centrales, le rapport Cabanes-Lacambre en analysait les redoutables
conséquences sur lapplication des lois et règlements :
" Le directeur départemental ou régional rarement
volontaire, lorsquil nest pas originaire de Corse, est nommé sur place non
pas pour régler des problèmes jugés vraiment inextricables mais pour éviter quil
sen révèle. Bien sûr des instructions formelles ne sont jamais données en ce
sens mais ces choses se comprennent si elles ne sont pas dites ; elles font que
ladministration centrale ne répond pas aux demandes de son représentant local ou
quelle répond avec retard ; elle ne réagit guère plus aux rapports faits par
les inspections générales (
).
Le directeur local saccommode (
) de cette absence de
réponse, puisquaussi bien il a été convenu quil ne resterait pas longtemps
sur place et quune mutation rapide dans un département ou une région plus calme
lui a été formellement promise. Dans ces conditions, les agissements du prédécesseur
ne seront pas corrigés ; à un demandeur nouveau on appliquera la règle du
précédent cest-à-dire quon ne lui appliquera pas plus la loi quà
lautre. Ladministration centrale tolérera même quil prenne avec les
réglementations quelques libertés à la condition quil ne fasse pas parler de lui.
Sil en va autrement, si pour une raison ou une autre, laffaire soulève une
polémique locale, un inspecteur général sera rapidement dépêché sur place pour
expliquer quil fallait agir autrement. "
d) Des maillons faibles dans le réseau des comptables du
Trésor
Le réseau des comptables du Trésor occupe à
lévidence une place stratégique dans le fonctionnement des administrations de
lÉtat et surtout dans la gestion des collectivités locales. De par leurs
fonctions, rien nest susceptible de leur échapper dès lors quun franc
dargent public est dépensé : paiement des traitements des agents, exécution
des marchés publics, recouvrement des impôts et taxes, etc
De plus, on connaît le
rôle essentiel de conseil que les comptables jouent, dans tout le pays, à l'égard des
petites communes, particulièrement nombreuses en Corse.
Or, la commission denquête a recueilli de nombreux témoignages
évoquant le mauvais fonctionnement des postes comptables dans lîle.
Déjà devant la mission dinformation sur la Corse, le président
de la Chambre régionale des comptes alors M. Gilbert Canosci
indiquait quil avait entrepris une " action pédagogique "
tournée vers les comptables publics car, expliquait-il, " nous avions
(
) constaté quils ne jouaient pas, à lépoque tout au moins, le rôle
de conseil qui aurait dû être le leur vis-à-vis de leur collectivité ".
Il poursuivait : " la Chambre se trouve confrontée à des comptes qui,
très fréquemment, sont mal tenus et ne reflètent pas la situation exacte de la
collectivité. La faute nest pas imputable uniquement aux comptables publics, mais
elle incombe aussi aux ordonnateurs. Nous avons pu constater des inexactitudes, des
erreurs, des insuffisances et jirai jusquà dire des carences dans la tenue
même de la comptabilité, quil sagisse des comptes de gestion ou des comptes
administratifs. Il est indéniable que cet état de fait a pu, pendant très longtemps,
masquer la situation réelle de ces collectivités et, dans certains cas, abuser
également les services chargés du contrôle de légalité dans la mesure où
léquilibre des comptes était souvent factice et truqué pour maquiller une
situation financière difficile ".
Les causes dune telle situation ne sont pas très différentes de
celles que lon peut relever pour dautres services de lÉtat, à savoir
conditions de travail rendues difficiles par les nombreux attentats, trop faible ou
au contraire parfois trop grande mobilité, difficultés de recrutement.
En effet, continuait le président de la Chambre devant la mission
dinformation, " la plupart de ces postes comptables sont tenus soit par
des gens en place depuis très longtemps ce qui, à mon sens, nest pas toujours une
bonne chose, soit par des comptables qui se succèdent au même poste sur une période
très courte ; dans certaines trésoreries rurales comme celle de Lévie, par
exemple, les comptables restent un an ou 18 mois. Cette succession de comptables empêche
tout suivi du travail accompli ". Evoquant les difficultés du recrutement,
il relevait que " ce sont le plus souvent des continentaux frais émoulus de
lécole du Trésor qui arrivent dans les trésoreries de Corse, sans avoir
dexpérience, avec une formation tout à fait théorique, pour y être confrontés
à de gros problèmes de comptabilité et également à des relations difficiles avec les
élus ". Un autre magistrat ajoutait, devant la commission denquête
cette fois, quils nétaient pas non plus " suffisamment
surveillés par leur trésorerie générale respective ".
Cette situation a été à lorigine de plusieurs conflits ayant
opposé les comptables publics et la Chambre régionale des comptes. Les premiers
contestaient notamment le nombre, quils jugeaient excessifs, des mises en débet
prononcées contre eux par la Chambre. Il convient cependant de remarquer, comme
lindiquait son président devant la mission dinformation sur la Corse, que
" à peu près 99,9% des débets prononcés par la Chambre font lobjet
dune remise gracieuse, la somme quil leur reste parfois à payer étant
toujours minime ". Interrogée par écrit sur ce point par la commission
denquête, la direction de la comptabilité publique estimait que la procédure
dexamen des demandes de remise gracieuse présentées par les comptables mis en
débet est appliquée en Corse selon les mêmes principes que dans le reste du pays.
Dautres conflits plus graves ont éclaté. Un magistrat de la
Chambre a rappelé, devant la commission denquête, lépisode du comptable de
Corte qui avait entraîné, en mars 1994, une grève de protestation des personnels du
Trésor de lensemble de lîle. " Lors du contrôle des comptes
des exercices 1983 à 1989 du syndicat intercommunal délectrification du centre de
la Corse, le trésorier a produit cinq délibérations manifestement antidatées (
)
destinées à régulariser des paiements effectués en dépassement des crédits inscrits
au budget, susceptibles dengager la responsabilité personnelle et pécuniaire du
comptable. Ces faits ont été portés à la connaissance du procureur de la République
de Bastia le 25 août 1993. Une information contre X du chef de faux en écriture privée
ou de commerce et usage a été ouverte par le parquet le 3 septembre 1993. Ce dossier a
été alimenté en juillet 1994 par des faits de même nature, le comptable ayant
récidivé lors du contrôle des comptes de la commune de Corte. Lincarcération
pendant une semaine de ce comptable, en mars 1994, a provoqué de vives réactions des
syndicats et des élus, largement relayées par la presse locale. Cette affaire a abouti
en janvier 1998 à la condamnation (du comptable) par le tribunal correctionnel de
Bastia à un an de prison avec sursis et deux ans de privation des droits civiques. Sur le
plan disciplinaire, (
) les faits en cause nont eu aucune suite, le comptable
étant resté en activité (en congé de maladie) malgré les mesures de contrôle
judiciaire lui interdisant laccès de son bureau. Ce nest quen 1997,
après un contrôle interne du poste comptable de Corte, (quil) a été
sanctionné par une mutation doffice à la trésorerie générale de Rennes. Cette
mesure a été interprétée localement comme une promotion (comme en témoigne le
discours du maire de Corte lors de la réception de départ) ".
Un autre magistrat de la Chambre entendu par la commission
denquête a indiqué, en outre, que " à la suite de cette affaire, la
Chambre a été "punie". Par exemple, pour le contrôle budgétaire, les
comptables sont mis à contribution. Or, ils ne répondaient plus si la Chambre ne passait
pas par le trésorier-payeur général, cest-à-dire par la voie hiérarchique ".
Il ne faudrait cependant pas déduire de ce qui précède que les
administrations de lÉtat en Corse ne fonctionnent pas ou que, en quelque sorte,
elles " tournent à vide ". Paradoxalement, on peut constater
quelles se sont organisées ou quelles manifestent une activité réelle,
parfois même plus notable quailleurs, dans les domaines dintervention qui
sont plus particulièrement sur la sellette aujourdhui. Les résultats sont certes
contrastés mais les efforts ne sont pas niables.
Ainsi, en matière de contrôle de légalité ou de contrôle
budgétaire, les chiffres de saisine par les deux préfets du tribunal administratif ou de
la Chambre régionale des comptes, rapportés au nombre dactes transmis, sont très
sensiblement supérieurs à ce quils sont ailleurs, respectivement 7 et 8 fois la
moyenne nationale.
En ce qui concerne le suivi des marchés publics ou lexamen des
permis de construire, la préfecture de Haute-Corse a mis en place, dès 1992, un
" pôle de compétence marchés publics " ainsi quune cellule
" contrôle de légalité des actes et documents durbanisme ".
Le taux de participation des fonctionnaires des directions départementales de la
concurrence aux commissions dappel doffres est également le double de celui
observé sur le continent.
3. Des fonctions
régaliennes en crise
Devant une situation de lîle marquée par la
fréquence des manquements à la loi et par lexistence de graves troubles à
lordre public, le rôle de la justice et des forces de police et de gendarmerie
acquiert une importance plus grande quailleurs. Force est de constater que
cest dans ces deux domaines que résident les désordres les plus lourds de
conséquences dans les administrations de lÉtat en Corse, au cours des dernières
années.
a) Une justice fragilisée
" La justice que jai vu fonctionner
en Corse nétait pas ma justice : ni sereine, ni efficace, ni impartiale " ;
" impotence généralisée " ; " le
comportement (de la justice) en Corse depuis trente ans est lamentable " :
autant de déclarations devant la commission denquête de ministres en exercice ou
danciens ministres qui témoignent dun profond malaise. Ce malaise, la
commission a pu le constater par elle-même au sein de linstitution judiciaire,
lorsquelle sest rendue au palais de justice de Bastia. Elle la constaté
au travers, bien sûr, des propos qui lui ont été tenus mais aussi par le nombre
important et inattendu de magistrats qui ont souhaité sexprimer individuellement
devant elle.
· Le malaise de la justice corse
sétait déjà exprimé publiquement
A titre dexemple, à la suite de lattentat
visant la résidence personnelle du procureur de la République, lassemblée
plénière des magistrats du tribunal de grande instance de Bastia décidait de suspendre
toutes les activités des tribunaux de grande instance et dinstance entre le 3 et le
11 novembre 1995 et de renvoyer toutes les affaires fixées aux audiences civiles et
pénales, seuls les dossiers revêtant une urgence particulière étant retenus.
Le 12 janvier 1996, quatorze magistrats des deux tribunaux de grande
instance adressaient une lettre ouverte au Garde des sceaux, M. Jacques Toubon.
Après avoir rappelé les attentats visant la justice ou les forces de lordre, les
signataires dénonçaient les dérives de laction publique en Corse et le traitement
de faveur dont certains nationalistes faisaient lobjet :
" Certaines de ces actions criminelles sont dorigine
indéterminée, mais les plus graves dentre elles ont été revendiquées par
lorganisation clandestine FLNC Canal historique au moyen de tracts par lesquels elle
mettait en garde les fonctionnaires de police et les magistrats quant aux conséquences
que pourrait avoir pour eux lexercice de poursuite contre ses militants.
Les actions récentes sinscrivent manifestement dans le cadre
dune campagne de terreur visant plus largement les institutions dans le but avoué
damener lÉtat à négocier des avancées institutionnelles, ainsi
probablement que des avantages matériels, et ce alors que les dernières consultations
électorales ont démontré le profond attachement de la population locale aux valeurs
républicaines.
Par ailleurs, les médias se sont fait récemment lécho de
pourparlers qui seraient actuellement menés par des représentants de lÉtat avec
les membres des organisations clandestines.
Il est notoire que des contacts identiques ont été noués dans le
passé. Certaines décisions judiciaires intervenues, soit dans des dossiers de nature
politique, soit dans des dossiers de droit commun, mettant en cause des personnes se
réclamant du nationalisme, ne sexpliquent que par lexistence de telles
négociations et tranchent avec les décisions que sont amenés à prendre les magistrats
exerçant en Corse sur des dossiers similaires.
Cette absence de cohérence, largement commentée par lopinion
insulaire et perçue comme une négation du principe dégalité des citoyens devant
la justice, est de nature à affecter durablement la crédibilité et lefficacité
de linstitution judiciaire.
Dune part, elle met quotidiennement en difficulté, voire en
danger, ses représentants. Le sentiment dimpunité ressenti par les auteurs des
actes terroristes les plaçant en position de force par rapport à linstitution
judiciaire locale : il convient à titre dexemple de rappeler le communiqué
publié par voie de presse par lorganisation A Cuncolta nazionalista en réaction à
la condamnation de lun de ses dirigeants pour des faits de port darmes en
décembre 1994 par le tribunal correctionnel dAjaccio, condamnation suivie dun
mitraillage de la façade du palais de justice le soir même.
Dautre part, cet état de fait ne peut quinciter les
délinquants de droit commun à se réclamer de ces mouvements ou à user de leurs
méthodes. "
Cette interpellation publique avait conduit le Garde des Sceaux à
se rendre sur lîle le mois suivant.
Enfin, le malaise des magistrats sest manifesté publiquement une
troisième fois par ladoption, le 26 juin 1996, dune motion par
lassemblée générale des magistrats du tribunal de grande instance de Bastia.
Soulignant que " les menaces, pressions et invectives à lencontre de
linstitution judiciaire se sont multipliées depuis (la visite du
ministre) ", les magistrats demandaient que des poursuites soient engagées à
lencontre des auteurs de communiqués ou de tracts évoquant des " détentions
arbitraires et abusives ", une " justice sélective "
et des " juges partisans ".
Force a été pour la commission denquête de constater que ce
malaise navait pas disparu près de deux ans plus tard, un magistrat entendu
nhésitant pas à comparer la justice en Corse à " un bateau ivre ".
· Ce malaise persiste
De tous les propos qui ont été tenus devant elle
concernant les juridictions insulaires, la commission denquête a retiré le tableau
de juges démotivés, divisés entre eux et peinant à faire face aux difficultés
quils rencontrent.
Des juges démotivés et inégalement préparés
Cest une impression de grande lassitude qui émanait
de beaucoup des juges rencontrés par la commission denquête. Se comporter en Corse
comme il se comporterait sur le continent constitue, à nen pas douter,
lobjectif que sassigne la plupart des magistrats en poste sur lîle.
Mais, même cette éthique dévidence semble difficile, voire inaccessible.
" Tout est compliqué " confiait un magistrat du parquet, y
compris quelquefois à cause de simples problèmes matériels. La plus banale des affaires
peut se révéler plus " sensible " que prévu.
Lancienneté des magistrats en Corse nest sans doute pas
étrangère à cette lassitude qui peut se muer en totale résignation. Cette longue
durée des séjours sur lîle concerne dabord les magistrats du siège qui, à
linverse de leurs collègues du parquet, bénéficient de linamovibilité.
Au tribunal de grande instance de Bastia, lancienneté moyenne
des magistrats du siège est denviron six ans, lun des juges étant présent
dans lîle depuis plus de seize ans, deux autres étant arrivés en 1989. A
lexception dun nouveau juge dinstruction qui vient dêtre nommé
sur lîle, les juges dinstruction à Bastia sont en poste depuis 1994. Au
tribunal dAjaccio, lancienneté moyenne est légèrement inférieure, un peu
plus de cinq ans, et seulement deux juges sont en poste depuis plus de 10 ans (lun
depuis 1985, lautre depuis 1986).
On notera cependant que, dans la période récente, les mouvements de
magistrats se sont accélérés en Corse. Compte tenu de la transparence en cours, ceux-ci
auront concerné 17 magistrats entre juin 1997 et octobre 1998, pour un effectif total de
50 magistrats à cette date.
De plus, nombreux sont les juges affectés en Corse dès leur sortie de
lEcole nationale de la magistrature. Cela a été notamment le cas de plusieurs
juges dinstruction qui ont donc été affectés sans expérience dans ce contexte
difficile et, parce quils sont toujours sur place, ne connaissent que la Corse dans
leur vie professionnelle.
" Il faut du sang nouveau " a déclaré un
des magistrats entendus tandis quun autre estimait nécessaire que ceux qui sont
réellement démotivés demandent leur changement.
Certains expriment cependant le souhait de quitter lîle. Mais,
la difficulté de trouver des " candidatures utiles ", pour
reprendre lexpression dun haut magistrat, freine leur désir de mobilité.
La médiocrité des conditions de travail, si elle sapparente à
celles que connaissent trop de tribunaux français, est également particulièrement
pressante en Corse : absences de lieux de travail collectifs, faible sécurisation,
promiscuité,
Ainsi, le juge supplémentaire arrivé à Ajaccio a dû être installé
dans la bibliothèque. Une aile du palais de justice de Bastia a été détruite par un
incendie il y a plus de deux ans et les travaux nont toujours pas commencé. Comme
lexpliquait un haut magistrat, la mise en place " de conditions de
travail un peu plus dignes " constituerait un puissant facteur de
remobilisation.
Des juges divisés
La commission denquête a également été frappée
par labsence visible de cohésion et de solidarité entre les magistrats en Corse.
Ces divisions traversent le corps judiciaire, entre Corses et non Corses, entre magistrats
du siège et magistrats du parquet. Enfin, un manque de confiance très préjudiciable est
perceptible entre certains magistrats et les fonctionnaires des greffes.
Parmi les 42 magistrats en poste en Corse, 12 sont originaires de
lîle et, parmi ceux-ci, 6 nont exercé quen Corse. La commission
denquête nentend aucunement jeter la moindre suspicion sur les magistrats
dorigine corse, mais cette distinction est spontanément faite par les magistrats
continentaux qui reconnaissent que leurs collègues insulaires exercent dans des
conditions plus difficiles car " ils connaissent beaucoup de monde ".
Un magistrat du parquet qui a été en poste dans lîle racontait devant la
commission : " Quand je montais au créneau dans les affaires lourdes,
javais quelques collaborateurs corses qui me disaient : " Sans
moi
Toi, tu partiras ; nous, nous resterons. Alors, pas
dhistoires
". Cétait affligeant. ".(
) " Parfois,
je constate une autre façon de voir les choses, selon que lon est corse ou pas ".
Labsence de solidarité dans un passé récent est manifeste.
Certains juges dinstruction sestiment abandonnés de leurs pairs
lorsquils rencontrent des difficultés avec les services denquête :
commissions rogatoires qui ne reviennent pas ou, au contraire, dont les résultats sont
transmis dabord au parquet ou à la Chancellerie. Les magistrats des formations de
jugement soulignent linexpérience et la jeunesse de certains magistrats
instructeurs, leurs difficultés à organiser leurs instructions ou à affirmer leur
autorité sur les services denquête. Les magistrats du siège peinent à comprendre
la politique menée par le parquet. " Le parquet général nexiste pas
et le procureur général est venu pour ne rien faire " comme la
déclaré lun dentre eux.
Des juges sous influence
Le contexte dans lequel les magistrats sont amenés à
remplir leur mission nest pas toujours propice à lexercice dune justice
sereine et impartiale.
Ont été évoqués devant la commission denquête des cas de
" proximités " entre certains magistrats ou leurs proches avec
certains milieux politiques, y compris nationalistes, ou certains intérêts locaux
strictement privés.
Cette proximité nest pas étrangère à une attitude dénoncée
par un magistrat entendu par la commission, qui sest déclaré choqué de voir des
magistrats venir senquérir auprès dun collègue de létat
davancement dun dossier quil traite et dont ils connaissent lune
des parties ; " je nai jamais vu cela ailleurs "
a-t-il ajouté.
Cette indulgence envers des pratiques locales a pu être constatée par
exemple dans lattitude des juges dinstance amenés à intervenir dans le
contentieux des inscriptions sur les listes électorales. Ainsi, évoquant les conditions
dans lesquelles sest effectuée la refonte des listes électorales en 1991, une note
de la direction générale de ladministration de juillet 1997 rappelait que les
juges dinstance avaient rejeté la très grande majorité des recours préfectoraux
contre les décisions dinscription prises par les commissions administratives :
" le juge a rejeté le recours de ladministration, se refusant à
contrôler le travail des commissions administratives et se bornant à estimer que les
éléments fournis par le préfet nétaient pas de nature à prouver que
linscription était irrégulière. Comment sen étonner quand on sait que les
juges dinstance locaux étaient particulièrement bien disposés à légard de
la situation qui prévalait avant lintervention de la loi du 13 mai 1991 et que
lun dentre eux au moins était, de notoriété publique, inscrit
irrégulièrement dans la commune de son "domicile dorigine" ? "
Enfin, il est clair que les menaces ou intimidations constituent une
réalité. Au-delà des attentats nationalistes dirigés contre les domiciles ou les biens
de certains magistrats, il est des menaces plus diffuses et moins tonitruantes. Un haut
responsable sur lîle expliquait ainsi devant la commission denquête que
" lorsquon est nommé jeune juge dinstruction à Bastia, il faut
savoir que si lon traite des affaires sensibles liées à la Brise de mer ou au
terrorisme, on est assez rapidement confronté à des intimidations très directes ".
Des juges qui accusent
Les magistrats en poste en Corse ne manquent pas
dexplications, qui apparaissent comme autant dauto-justifications, pour
analyser la crise de la justice dans lîle.
Les spécificités de la société insulaire sont soulignées, au
premier rang desquelles la solidarité ou la loi du silence. " Linstruction
est une course dobstacles à tous les niveaux " explique un juge
dinstruction en indiquant que les témoins napportent que peu
déléments exploitables et que peu de personnes reconnaissent les faits qui leur
sont reprochés même quand leur culpabilité ne fait aucun doute.
La presse locale a aussi été incriminée et aurait une part de
responsabilité dans limage donnée de la justice. " La longueur des
articles est inversement proportionnelle à limportance des délinquants "
a dit un magistrat, tandis quun autre citait lexemple de la condamnation de
personnes proches de la " Brise de mer " qui na fait
lobjet daucun commentaire dans les journaux.
- les mouvements de balanciers des gouvernements successifs
Les magistrats, comme ils lavaient déjà fait dans leurs
manifestations publiques, ont incriminé les volte-faces des pouvoirs politiques
successifs, que celles-ci se traduisent par des déficiences dans la mise en uvre de
laction publique par le parquet ou, lorsquune instruction est déjà ouverte,
quelles influent sur la qualité du travail fourni par les services denquête.
" A mon arrivée, cétait la répression à tout va. Puis quelque temps
après, cest une autre politique " explique un juge
dinstruction, précisant quil avait dû réactiver par écrit une commission
rogatoire et quil lui avait été répondu " cest la trêve, on
arrête tout ! ".
Certains ont aussi évoqué les effets délétères des deux lois
damnistie, surtout celle de 1989.
Les carences ou le manque de disponibilité des services
denquête sont régulièrement évoqués. " Le SRPJ, cest un
mystère absolu. Ça ne fonctionne pas. Longtemps, nous navions rien. Maintenant que
nous avons des affaires, elles sont mal traitées, parfois à la limite de la nullité "
explique un magistrat.
Un autre estimait que, à son arrivée sur lîle, la police
judiciaire " fonctionnait exceptionnellement mal (
) puisque des actes
de procédure essentiels, comme des perquisitions, nétaient pas effectués ou
quasiment pas. Par exemple, la perquisition dun appartement de 150 mètres carrés
commençait à 15 heures et se terminait à 15h10, ce qui était dérisoire. Autant dire
quelle nétait pas faite ".
Dautres ont invoqué linsuffisance des effectifs, le SRPJ
étant mobilisé par lenquête sur lassassinat du préfet Claude Erignac et la
gendarmerie par celles portant sur lattentat contre la gendarmerie de Pietrosella et
sur la caisse régionale de Crédit agricole.
· Ce malaise nuit encore
aujourdhui à laction de lÉtat
Les relations avec les autorités administratives et
préfectorales restent toujours délicates et les dessaisissements au profit des juges
anti-terroristes parisiens sont encore parfois mal ressentis.
Les relations avec les autorités préfectorales sont difficiles
Le dynamisme manifesté par le préfet Bernard Bonnet dans
la saisine de la justice en application de larticle 40 du code de procédure pénale
nest pas compris par certains magistrats, comme lont confié à la commission
un haut responsable administratif de lîle et plusieurs magistrats.
La presse a récemment rapporté les propos dun magistrat
expliquant " il faut quatre minutes pour rédiger un article 40, mais il faut
dix-huit mois pour le traiter, et dans ce que nous envoie le préfet, il y a 70% de
déchets ". Il regrettait que " tout cela peut donner
limpression dune sur-pénalisation de la vie publique corse ".
Un ancien préfet adjoint à la sécurité indiquait " il
y a eu un problème majeur de compréhension et de confiance entre le groupe des
magistrats chargés de linstruction et les autorités administratives ; une
méfiance exacerbée, souvent vexante, blessante, qui conduisait certains magistrats
instructeurs à se méfier plus de lautorité administrative que du milieu contre
lequel nous étions censés lutter. Cela a été particulièrement désagréable.
Sagissant du travail denquête mené par les procureurs, il est vrai que
jai toujours regretté que lon ne puisse obtenir de meilleurs résultats ".
Cette discordance est dailleurs reconnue par certains magistrats.
" Cette vision que jai de la collaboration entre les services de
lÉtat nest pas partagée par un grand nombre de mes collègues. Au nom de
lindépendance de la justice, beaucoup de magistrats du siège, mais aussi un
certain nombre de magistrats du parquet, manifestent de lagacement à voir
lautorité administrative occuper le terrain. Il est incontestable que le meilleur
moyen de contribuer à léchec de lactivité de lautorité
administrative est de faire preuve dune résistance juste ce quil faut pour
quon ne puisse pas franchement vous en faire reproche et, en tout cas, de ne pas
faire de zèle, pour pouvoir dire : " en fin de compte, cest nous qui
avons le dernier mot ". Cest indiscutablement létat
desprit de certains " a déclaré un magistrat du parquet devant la
commission denquête.
Un autre, qui vient de quitter lîle, a regretté que " la
presse présente le préfet comme le patron des enquêtes ".
Querelles de préséance ou conflits de territoire, réflexes
corporatifs ou déficits de communication, de telles attitudes ne sont pas tolérables au
regard des enjeux et doivent être bannies pour lavenir. La collaboration entre
lautorité judiciaire et lensemble des services de lÉtat est en effet
indispensable dans le respect du rôle institutionnel de chacun, qui doit être
pleinement assumé, pour assurer le succès de laction entreprise.
Les relations avec les magistrats parisiens sont empreintes de méfiance
Les dessaisissements au profit du tribunal correctionnel de
Paris pour les affaires de terrorisme au sens strict napparaissent pas
véritablement contestés par les magistrats en poste sur lîle, dans la mesure où
il sagit dune simple application du code de procédure pénale. Cependant, ce
qui a troublé, et visiblement trouble encore les magistrats en Corse, cest le
systématisme qui a eu cours et, en vertu duquel, ces dessaisissements portaient
également sur des infractions de droit commun dès lors quun militant nationaliste
était impliqué. Les magistrats insulaires sestiment ainsi dépossédés des
dossiers les plus importants et, surtout, de lêtre trop tôt pour le déroulement
efficace des procédures.
Surtout, ils constatent que la durée des instructions menées par les
magistrats parisiens nest pas, non plus, particulièrement courte et
sinterrogent sur les suites données aux affaires transmises. Ils estiment aussi que
leurs collègues parisiens ne sont pas plus préservés queux-mêmes des influences
politiques. Dailleurs, nécrivaient-ils pas dans leur lettre ouverte de
janvier 1996 : " certaines décisions judiciaires intervenues, soit dans
des dossiers de nature politique, soit dans des dossiers de droit commun, mettant en cause
des personnes se réclamant du nationalisme, ne sexpliquent que par lexistence
de (négociation avec les organisations clandestines) et tranchent avec les
décisions que sont amenés à prendre les magistrats exerçant en Corse sur des dossiers
similaires " ?
Il est vrai que les statistiques relatives à létat des saisines
de la 14ème section du parquet de Paris témoignent dun taux de
classement sans suite considérable. Depuis 1994, la 14ème section a été
saisie de 551 attentats. Au cours de la même période, elle a procédé à
louverture dinformations judiciaires pour 142 dentre eux, mais en a
classé parallèlement 374 sans suite, soit plus des deux-tiers.
Lharmonisation du travail des magistrats parisiens et des juges
en poste en Corse est une nécessité pour que la justice passe et passe vite. Cest
ce qua bien compris le nouveau procureur général près la Cour dappel de
Bastia qui a organisé, dans ce but le 8 juillet dernier à Bastia, une réunion de
travail entre les magistrats de lîle et ceux du tribunal de grande instance de
Paris. Cette réunion visait à examiner les critères retenus pour procéder aux
dessaisissements, les formes de ceux-ci, les suites à leur donner et de mettre point des
mécanismes déchanges dinformation entre les juridictions.
b) Une police contestée
La justice nest pas la seule institution qui fasse
lobjet de critiques. La police en a eu son lot, émanant même danciens
ministres de lIntérieur. Ce qui frappe dans ces critiques, cest leur
permanence et le retour, à intervalles réguliers, des mêmes constatations.
· Une gestion du personnel
problématique
Un ancien responsable de la police a expliqué au
rapporteur quil avait trouvé la police judiciaire, lors de son arrivée sur
lîle, dans un véritable état de " délabrement moral ".
Dans le passé, des constats aussi pessimistes ont déjà été dressés.
Le commissaire Robert Broussard décrit ainsi la police corse lors de
son arrivée sur lîle en janvier 1983 après avoir été nommé comme premier
commissaire de la République délégué pour la police : " les
policiers corses (
) souffraient de ce que lon appelait déjà le
" complexe du harki ". Les sympathisants de la cause indépendantiste
leur reprochaient en effet dêtre des " traîtres " à la
patrie. (
) Les policiers originaires du continent, traités de
" barbouzes " lorsquils essayaient de faire leur travail, se
trouvaient dans une position encore plus délicate. Ceux qui navaient aucune attache
sur lîle rêvaient de repartir. (
) Les fonctionnaires chargés de la lutte
contre le terrorisme vivaient souvent dans langoisse de lattentat et devaient
prendre les précautions dusage.(
) Les continentaux mariés à des Corses
étaient confrontés à dautres problèmes. En fin de semaine, lorsquils se
rendaient au village, on leur faisait comprendre quils devaient éviter de faire du
zèle.(
) Labsentéisme, mal chronique de la police en Corse, atteignait des
taux record. Jappris quun officier ne venait au commissariat dAjaccio
que laprès-midi. Le matin, il travaillait dans le magasin dantiquités
dune amie et, le soir, il jouait de la guitare dans une boîte à touristes. "
Dans un style plus feutré et moins coloré, linspection
générale de ladministration et linspection générale de la police
judiciaire établissaient, en 1993, un constat analogue. Elles mettaient en évidence
" une démotivation réelle " des personnels de police,
quelles attribuaient à un changement trop fréquent des politiques et des hommes.
Sur ce dernier point, elles faisaient observer que " cette présence trop
brêve dans des emplois difficiles ne laisse pas à leurs titulaires le temps de mettre en
place des politiques de moyen terme visant à redresser laction de la police, ni ne
permet de conforter leur autorité, voire les incite dans certains cas à garder un
" profil bas ", dans lattente dune promotion rapide dans
une région plus calme ".
Sagissant du recrutement, elles notaient qu " une
grande partie des effectifs de police affectés sur lîle est constituée de
fonctionnaires qui en sont originaires et viennent y finir une carrière commencée sur le
continent (
) Force est de constater que la moyenne dâge des policiers en
poste en Corse est sensiblement plus élevée que la moyenne nationale ".
Enfin, elle relevaient aussi un " absentéisme très
élevé " : " dans son étude sur les missions des CRS et
des corps urbains à Bastia et à Ajaccio, lIGPN constatait quen 1991, chaque
fonctionnaire en tenue totalisait en moyenne 33 jours de congé de maladie et 15 jours de
congé de longue maladie ou de longue durée à Ajaccio, chiffre qui sélevait même
pour les fonctionnaires en tenue à Bastia à 41 jours et 12,5 jours, soit un absentéisme
médical deux à trois fois supérieur aux moyennes nationales observées.(
) A titre
anecdotique, on peut noter quau sein du corps urbain dAjaccio, le corps des
brigadiers-chefs se distinguait particulièrement, puisque sur un effectif de 8 agents, 5
étaient, au 11 septembre 1992, en congé maladie depuis plusieurs semaines, voire
plusieurs mois, dont 4 pour motif psychiatrique, donnant par là un exemple déplorable à
leurs subordonnés ".
Labsentéisme constitue à lévidence un mal chronique
maintes fois évoqué devant la commission denquête. " Javais
demandé au médecin de la police de se rendre régulièrement en Corse pour vérifier la
réalité des arrêts maladie " a indiqué un ancien ministre de
lIntérieur.
Une note établie par le préfet adjoint pour la sécurité en juin
1998 indiquait que les directions des sécurités publiques comptaient 27 fonctionnaires
en congés maladie en Corse-du-Sud (soit 13% des effectifs) et 33 en Haute-Corse (soit 14%
des effectifs). La note cite le cas de plusieurs fonctionnaires se plaçant en congé
maladie pour marquer leur refus dune nouvelle affectation prononcée en raison
dune " absence totale de dynamisme et de résultats ".
La presse sest également faite lécho dexemples
dabsences, qui partout ailleurs prêteraient à sourire : des policiers munis
de certificats médicaux gérant en été une buvette sur la plage, un policier en arrêt
maladie prenant le départ dun marathon, une policière nayant pas repris son
service depuis son mariage avec un Italien en septembre 1996,
La proportion de Corses dans les corps de police et la moyenne
dâge plus élevée ont été aussi fréquemment évoquées. La nomination en Corse,
cest " la préretraite " a dit un ancien ministre de
lIntérieur.
Pour sa part, un élu de lîle indiquait : " la
faute de lÉtat a été infiniment plus grave, parce que lÉtat a accepté de
nommer policiers tous les Corses de lhexagone qui avaient envie de rentrer chez eux.
Cest une faute impardonnable.(
) Je mappelle X, je demande à rentrer à
Corte . Quand je vais rentrer chez moi, je serai le policier qui rentre chez lui. Je
dirai à tous mes copains : " tu as fait une petite connerie, allez, je ne
tai pas vu ".
Cependant, un ancien préfet adjoint à la sécurité expliquait à la
commission denquête : " je ne dirai pas que le fait que (la
police) soit constituée en majorité dinsulaires soit un handicap. Jai
toujours pensé que parmi les policiers, on pouvait distinguer trois catégories de
fonctionnaires : ceux qui étaient lon en trouvait parmi les
continentaux comme parmi les Corses loyaux, volontaires, disponibles pour
laction et donc prêts à travailler ; ceux qui avaient peur ou cherchaient à
être le moins visibles possible, ceux qui étaient en congé maladie ou avaient un
travail peu actif on en trouvait chez les Corses comme chez les
continentaux ; et, enfin, dans une proportion que je ne peux déterminer,
il y a eu quelques individualités qui ont joué, qui jouent peut-être encore, contre
lautorité publique cela est grave bien sûr, mais jusquà
présent, aucun élément na été rassemblé pour prendre des mesures contre telle
ou telle personne. Quoi quil en soit, nous devons travailler en tenant compte de ces
éléments et ce risque de perte en ligne du renseignement ".
· Des résultats notoirement
insuffisants
Cette insuffisance transparaît dans les statistiques
relatives au taux délucidation des affaires.
Si celui-ci apparaît globalement supérieur en Corse à ce quil
est dans le reste du pays (48,9% toutes infractions confondues en 1997, contre 29,5% pour
la France entière), on note des résultats tout à fait insuffisants pour les infractions
les plus graves, pour moitié moins bons que pour la France entière en 1997 :
- pour les vols à main armée : 14 ,9% contre 36,1%,
- pour les homicides : 45,5% contre 80,4%,
- pour les attentats : 10,3% contre 19%.
Comme lexpliquait un magistrat devant la commission
denquête en évoquant les relations entre la police et la justice, " la
coopération est bonne dans toutes les affaires qui nont pas dincidence.
Cest-à-dire que la petite et la moyenne délinquance est traitée comme elle doit
être traitée. Je ne dis pas que les taux délucidation sont miraculeux, mais ils
sont convenables (
) . Nous sommes mauvais lorsquil y a interférence
possible entre le politique et le judiciaire et nous avons une défaillance majeure dans
le domaine économique et financier ".
Un autre haut magistrat a confirmé ce jugement en évoquant un
" vide sidéral " en Corse. Pour lui, cette situation
sexplique avant tout par labsence sur ce terrain des services denquête
qui, soit étaient accaparés par dautres tâches, soit nétaient pas saisis.
Quant aux services centraux, la Corse ne constituait pas non plus, semble-t-il, une
préoccupation majeure en ce domaine.
Une chose est sûre : cette absence de performance ne tient pas à
une insuffisance globale des effectifs. Avec un peu plus de 2.500 policiers et gendarmes
présents sur lîle, la Corse présente un ratio par habitant considérable (1
policier ou gendarme pour 100 habitants ou presque) double de celui du continent.
Un ancien préfet adjoint à la sécurité a analysé devant la
commission denquête les insuffisances dont souffrent les services :
" Je relève deux insuffisances notables au niveau des
services de police, et qui subsistent dès lors quon écarte les renforts
occasionnels ou exceptionnels. Première insuffisance : les brigades
anti-criminalité sont très faibles en Corse, alors quelles sont le meilleur moyen
de prévenir les attentats (
) Seconde insuffisance : le renseignement
opérationnel. Si, en Corse, le nombre de policiers est non négligeable, on dispose
dun service de renseignements généraux qui est à peu près équivalent de celui
de la Creuse ! Ils sont certes capables de sintéresser aux réunions
dassociations, mais dès quils cherchent à obtenir des informations
concernant les activités nationalistes, ils nobtiennent que les renseignements que
ceux-ci veulent bien leur donner. Il ny a aucune pénétration de ces milieux.
Jen veux pour preuve que, alors que dans toutes les universités des policiers
suivent des cours, il ny a aucune pénétration de luniversité de Corte,
creuset du nationalisme (
) Il est impossible, et tous les services de police vous le
diront, de réussir à sinformer sur les villages. Dès que lon sécarte
du milieu urbain, les policiers sont immédiatement repérés et ne peuvent pas
pénétrer. (
) Par ailleurs, aucun policier nest valablement implanté sur le
sud, du côté de Bonifacio, pour suivre le grand banditisme ". Interrogé
sur les raisons dune telle déficience, manque de moyens ou de volonté politique,
il estimait quil y avait une " inadéquation des moyens. Je ne pense
pas quil puisse y avoir un manque de volonté politique, car je ne vois pas quel
gouvernement pourrait renoncer à être bien informé, même sil a lintention
de discuter ".
- Cliquer ici pour consulter la suite du rapport
Partie III-C , annoncée ci-dessous.
C. Léclatement et les
ambiguïtés des pouvoirs locaux
- Cliquer ici pour retourner au sommaire général
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