S O M M A I R E

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IV.  des propositions POUR UNE STratégie durable et crédible de l’état en Corse (suite)

B.– Un état capable d’accompagner efficacement l’action locale pour le développement de l’île *

1.  Un état d’urgence pour le secteur agricole *

·  Un fatalisme à proscrire *

· Les débats actuels autour de l’avenir de l’agriculture *

· Les axes prioritaires d’une stratégie globale *

· Premier axe : rompre avec la logique de l’assistance et des plans généraux de désendettement *

· Deuxième axe : sortir du flou en actualisant, vérifiant et recoupant les données disponibles concernant les agriculteurs et leurs exploitations *

·  Troisième axe : renforcer le rôle de conseil, de co-gestion comme de contrôle des services déconcentrés de l’État *

· Quatrième axe : rénover les institutions du monde agricole *

2.– Forger les instruments du développement *

a) Quelques principes sains à mettre en oeuvre *

·  Moins de centres de décision mais des intervenants plus efficaces *

·  Mettre un terme à la dilution des responsabilités pour une vision globale des intérêts de la Corse *

·  Des élus qui doivent se remobiliser pour se réapproprier leurs prérogatives légitimes *

b) Des logiques d’action à renverser *

·  D’une action au coup par coup à une stratégie de développement *

·  D’une logique de saupoudrage à une logique de ciblage, d’une logique d’assistance à une logique d’appui *

c) Pour un effort de planification courageux *

d) Le nécessaire sauvetage conditionné de la CADEC *

e) Pour l’accompagnement du développement : sortir du problème de l’indivision *

3.– Cibler les aides en direction des secteurs porteurs de l’économie *

a) Réexaminer le statut fiscal *

·  L’évaluation sans tabou du statut fiscal dérogatoire est indispensable *

·  L’application de la zone franche doit faire l’objet d’une grande rigueur *

b) Le tourisme : un bien nécessaire *

·  Ni remède miracle pour le développement, ni menace pour l’identité corse *

·  Des atouts à exploiter *

·  Définir une véritable stratégie pour un modèle touristique adapté à l’île *

c) Des filières de production agricole à renforcer et à rénover *

·  Les bons résultats de la filière viticole et des perspectives de commercialisation assez favorables *

·  Des filières fruits et légumes prometteuses mais largement concurrencées par les pays gros producteurs *

·  Des potentialités à développer en matière de productions animales *

4.  La dépense publique au service du développement : l’exemple des transports *

a) La gestion de la continuité territoriale doit être améliorée pour préparer les échéances communautaires *

·  Le redressement de la SNCM doit être poursuivi *

·  Les échéances européennes doivent être soigneusement préparées *

b) Une réflexion multimodale doit être encouragée *

5.– Pour un réexamen sans tabous de la politique culturelle et de l’enseignement *

a) Pour un système éducatif performant *

·  Une gestion administrative en voie d’amélioration *

·  Une académie " rurale ", de petite taille, mais correctement dotée en personnel administratif et enseignant *

·  Un coût élevé, mais des résultats scolaires peu satisfaisants en moyenne *

·  La continuité incertaine du service public de l’enseignement *

·  Trois priorités *

 

b) L’enseignement en langue corse : une expérience sans équivalent en France *

·  Démythifier et dynamiser *

·  Les mesures déjà prises : un effort conséquent de la part de l’Education nationale *

·  Un paradoxe : une langue de moins en moins parlée au quotidien et de plus en plus soutenue dans le système éducatif *

·  Une piste à explorer : développer l’enseignement de la langue corse en priorité dans les classes primaires *

c) Les enjeux de la politique culturelle en Corse *

·  Un débat idéologique à dépolitiser *

·  Des compétences culturelles partagées entre la région et l’État *

 

B.– Un état capable d’accompagner efficacement l’action locale pour le développement de l’île

Il ne saurait s’agir pour l’État de se substituer aux initiatives des acteurs locaux qui doivent être reconnus comme les principaux responsables du développement économique, social et culturel de l’île. Mais son action doit consister, plus encore que dans d’autres régions, à accompagner et encourager les démarches constructives, en concertation étroite avec les responsables élus.

Certaines conditions doivent cependant être réunies et diverses mesures préalables, parfois douloureuses, s’imposent. C’est ainsi que la commission d’enquête a souhaité établir les grands axes d’une refonte globale des moyens et des modalités d’intervention dans le secteur agricole. D’une manière plus générale, des instruments efficaces du développement restent à définir ou à améliorer car la Corse, qui ne manque pas d’atouts, doit être capable d’exploiter davantage ses importantes potentialités de développement. Au lieu de chercher à soutenir peu ou prou tous les secteurs de l’économie indistinctement, au gré des demandes et des revendications d’une catégorie ou d’une autre, il convient désormais de faire porter l’effort public sur ceux de ces secteurs qui sont susceptibles de provoquer un processus de développement. L’intérêt général de la Corse doit primer sur la manifestation des intérêts particuliers.

Enfin, le domaine culturel et de l’éducation ne doivent plus être considérés par l’État avec circonspection, prudence ou méfiance. La promotion et la diffusion de la culture insulaire constituent, au contraire, l’un des atouts à faire valoir en Corse.

 

1.  Un état d’urgence pour le secteur agricole

Au terme de ses travaux, la commission d’enquête considère que la situation actuelle du secteur agricole ne peut s’améliorer de façon durable avec des demi mesures ; il convient aujourd’hui de prendre en considération l’ampleur des difficultés rencontrées et de proposer des solutions réellement novatrices à la question de l’agriculture corse.

·  Un fatalisme à proscrire

 L’agriculture ne saurait être considérée comme un secteur sinistré ayant vocation à être constamment assisté par les pouvoirs publics.

Avant d’en venir aux préconisations de la commission d’enquête, il convient d’établir un premier point essentiel pour la suite de la démonstration. Certes, le problème de l’endettement agricole constitue une difficulté que la commission ne sous-estime nullement. Cependant, cette question – qui n’est pas insoluble comme le prétendent trop complaisamment certains professionnels – ne doit pas occulter les réelles réussites de l’agriculture insulaire. La valorisation et la modernisation de celle-ci sont possibles – ce secteur pourrait bien devenir l’un des atouts de l’économie insulaire – à condition de s’appuyer sur des politiques :

    • de structuration des productions,
    • d’organisation des filières, de regroupement de producteurs,
    • de recherche de la qualité,
    • de renforcement des entreprises agro-alimentaires,
    • et d’amélioration des actions de commercialisation des produits sur l’île et à l’exportation.

 Les obstacles au développement peuvent et doivent être levés.

De nature diverse, ceux-ci ne sauraient être négligés. Le premier, d’ordre juridique, est un héritage de l’histoire : il s’agit du problème de l’indivision qui n’a toujours pas trouvé de solution, alors que cette situation est à l’origine de difficultés importantes pour l’agriculture notamment. L’absence de baux, l’impossibilité d’apporter des garanties hypothécaires et les conflits de voisinage créés par la présence d’animaux divaguants, suscitent des tensions et entravent le processus de modernisation du secteur agricole. Des développements sont consacrés à la question de l’indivision plus loin.

La deuxième série de causes tient dans la nature des organisations de producteurs et la personnalité de certains de leurs dirigeants. Certaines organisations manquent manifestement d'efficacité. L'encadrement technique paraît défaillant ou mal utilisé, et les dissensions professionnelles se font de plus en plus marquées dans quelques filières. La commission d’enquête a recueilli des témoignages concordants soulignant que le principal problème tient dans la coexistence de deux types d’agriculture : une " agriculture à prime " et " une agriculture pour vivre ". Selon les propos d’un témoin entendu par la commission, " l’agriculture est parasitée par des personnages qui n’exercent d’ailleurs pas toujours eux-mêmes des activités agricoles, mais gèrent de véritables rentes de situation et prétendent exprimer l’opinion de la profession tout entière. " Les nombreux éleveurs et agriculteurs sérieux et compétents pâtissent en effet de l’image véhiculée par ceux – minoritaires – dont la motivation essentielle est d’obtenir des primes et aides en tous genres.

Le troisième facteur consiste dans l’incapacité de la plupart des agriculteurs corses à faire connaître leurs produits en dehors de l’île et à commercialiser de façon efficace et rentable une production pourtant diversifiée et riche.

En quatrième lieu, on doit relever l’inadaptation de certains projets d’investissements qui apparaissent souvent disproportionnés tant pour les exploitations que pour les organismes coopératifs.

Face à cette situation préoccupante sans être calamiteuse, les différents acteurs du monde agricole se sont récemment largement exprimés dans les media, la presse corse en particulier. La commission d’enquête a souhaité entendre diverses personnalités à ce sujet.

· Les débats actuels autour de l’avenir de l’agriculture

 Des divergences d’appréciation notables entre les divers acteurs

Selon les interlocuteurs entendus, les diagnostics réalisés et les solutions préconisées sont largement divergents :

    • Les responsables de l’office du développement agricole et rural de la Corse (ODARC) plaident pour un renforcement de leur organisme et éventuellement pour une refonte de la composition de leur conseil d’administration (en faveur des membres élus qui pourraient ainsi devenir majoritaires au détriment des professionnels agricoles aujourd’hui en grand nombre).
    • Plusieurs responsables syndicaux agricoles ont estimé devant le rapporteur de la commission d’enquête que, contrairement à une idée largement répandue, les professionnels ne disposaient d’aucun pouvoir de décision au sein de l’ODARC, critiqué pour son caractère bureaucratique et inefficace. La commission a noté à cette occasion à quel point les luttes pour le pouvoir au sein des instances du monde agricole restaient présentes et complexes. Les rivalités semblent s’être d’ailleurs exacerbées à la suite des récentes accusations portées sur la gestion de la caisse régionale de Crédit agricole. Les mêmes personnalités ont déclaré que les compétences actuellement dévolues à l’ODARC pourraient être opportunément assumées directement par la profession, en dehors des organes de la Collectivité territoriale.
    • L’idée d’une fusion des deux Chambres – de Haute-Corse et de Corse-du-Sud – afin de mettre en place une structure unique compétente pour l’ensemble du territoire corse a également été évoquée.
    • Certains responsables administratifs des services déconcentrés de l’agriculture rencontrés par la commission d’enquête au cours de ses déplacements ont indiqué ne pas être en mesure de contrôler avec la rigueur nécessaire l’utilisation des nombreuses aides publiques distribuées aux exploitants. Ces subventions sont octroyées sans que les services de l’État ne disposent de fichiers réellement fiables et à jour des données. Interrogés à ce propos, les fonctionnaires concernés ont expliqué que les seuls fichiers disponibles étaient ceux de la caisse de Mutualité sociale agricole dont la commission d’enquête a, par ailleurs, pu constater les carences. En outre, les informations détenues par la caisse régionale de Crédit agricole sur ses clients ne sont pas accessibles aux services déconcentrés de l’État. La commission a ainsi eu le sentiment que les agents de l’État n’étaient pas dotés des moyens d’accomplir correctement leurs missions à l’égard d’un secteur qui mériterait, précisément, un déploiement de moyens quantitatifs et qualitatifs particuliers.
    • Concernant le problème de la dette, la responsabilité du désastre est tour à tour renvoyée à la caisse régionale de Crédit agricole (pour sa gestion laxiste), à la caisse nationale (pour n’avoir pas suffisamment contrôlé la première), à l’État (pour avoir laissé faire), aux agriculteurs (montrés dans les media soit comme des profiteurs du système soit au contraire comme des victimes).

La commission a pris note de cette diversité d’opinions qui illustre les divisions du monde agricole ou plus précisément les luttes entre ceux qui prétendent le représenter. Elle a relevé combien était répandue la pratique consistant, pour ses différents acteurs, à " se renvoyer la balle ".

 Les enjeux

L’agriculture tient incontestablement une place importante dans la société insulaire et son rôle dans l’aménagement du territoire ne saurait être négligé. Cependant, au fil du temps, elle est devenue un enjeu qui dépasse largement son impact réel sur l’économie corse. Dans leurs rapports, les préfets évoquent régulièrement la situation de l’agriculture comme un des problèmes parmi les plus sensibles dans l’île. Par exemple, dans son rapport trimestriel transmis au ministre de l’Intérieur le 2 avril 1996, le préfet de Haute-Corse écrivait : " l’agriculture est inégalement touchée : la viticulture se maintient dans une situation favorable, mais doit faire face à un lourd endettement ; l’arboriculture, également endettée, doit trouver sa place sur un marché très concurrencé par les agrumes espagnols, voire marocains. Le maraîchage est affecté par la crise économique qui ralentit la consommation locale liée par ailleurs à l’activité touristique. L’élevage, enfin, ne sort pas de ses difficultés structurelles : pas d’abattoir en Haute-Corse, mauvaise organisation de la filière, rentabilité insuffisante ou réduite à la seule collecte des primes ". Plus loin, il ajoutait : " (...) la modernisation des filières constitue le volet positif d’une action qui sera marquée par une gestion plus rigoureuse des prêts à l’agriculture. Nos partenaires se rendront compte progressivement que l’intervention de l’État sera limitée aux seules bonifications d’intérêt. Il ne sera donc pas possible d’éviter la liquidation d’entreprises agricoles. Même si l’on écarte la constitution d’un front commun des agriculteurs en difficulté et si l’on veille au traitement individuel des dossiers, on ne saura empêcher que les discussions avec la profession ne soient tendues. "

Les dérives ont été favorisées par des réseaux organisés. Un témoin entendu par la commission d’enquête a estimé que l’univers agricole était " celui de toutes les dérives " et cité un exemple de pratiques abusives : des agriculteurs, ou des personnes se prétendant telles, ayant bénéficié de primes pour planter des arbres, si possible en zone inondable pour pouvoir le cas échéant recevoir les aides au titre des calamités agricoles, ont ensuite sollicité des primes d’arrachage.

Une personnalité en contact avec le monde agricole a déclaré devant la commission " avoir progressivement découvert la force et la solidarité d’un groupe dirigeant qui a géré à son profit les institutions du monde agricole. MSA, CRCA, ODARC, Chambre d'agriculture de Haute-Corse sont dirigés par les mêmes hommes. Leurs oppositions ne sont que des jeux de rôle. Leur solidarité est totale pour exiger de l’État de nouvelles mesures d’aide. Derrière les discours apparents sur l’agriculture, des hommes ont bâti un système étranger à l’agriculture, visant à profiter des aides publiques en les détournant de leur objet. "

· Les axes prioritaires d’une stratégie globale

La remise à plat de l’ensemble du système agricole – l’attribution des aides, le fonctionnement des organismes et des services compétents en la matière, les modalités de remboursement des dettes – devrait permettre la rénovation en profondeur de ce secteur : cette question est d’importance pour la population qui est, à juste titre, attachée au maintien d’activités agricoles dans l’île. Elle concerne également l’État qui peut avoir un rôle d’impulsion dans ce domaine en s’assurant, en liaison avec la Collectivité territoriale, que les moyens financiers destinés à l’agriculture sont utilisés de façon optimale. Les prochaines négociations relatives au futur contrat de plan devraient permettre d’engager en toute franchise le dialogue avec les responsables insulaires : il ne saurait s’agir de dépenser toujours plus pour l’agriculture mais de dépenser mieux.

Au terme de ses travaux, la commission préconise la mise en place d’un véritable plan d’urgence pour le secteur agricole, qui s’articulerait autour de quatre priorités :

    • Premier axe : Rompre avec la logique de l’assistanat et des plans généraux de désendettement,
    • Deuxième axe : Sortir du flou en actualisant, vérifiant et recoupant les données disponibles concernant les agriculteurs et leurs exploitations,
    • Troisième axe : Renforcer le rôle de conseil, de co-gestion comme de contrôle des services déconcentrés de l’État,
    • Quatrième axe : Rénover les institutions du monde agricole

 

 

· Premier axe : rompre avec la logique de l’assistance et des plans généraux de désendettement

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête a entendu les arguments plaidant en faveur d’une aide toujours plus forte en direction de l’agriculture corse, parfois présentée comme le centre névralgique de l’économie et de la société corse, encore très rurale. Elle souligne un point essentiel : les sollicitudes et tolérances des dernières années à l’égard du secteur agricole n’ont pourtant pas permis à celui-ci d’assurer son redressement. La commission d’enquête est pour sa part fermement convaincue que la logique de l’assistanat doit être combattue avec la plus grande force pour deux raisons :

    • La méthode suivie dans le domaine agricole par tous les gouvernements depuis près de vingt ans doit être condamnée tout d’abord sur le plan des principes. Il n’est pas sain que l’État se substitue en permanence et de façon généralisée à la profession agricole, ni qu’il ferme les yeux sur les dérives qui se sont multipliées dans l’attribution des aides.
    • Les mesures gouvernementales se sont, en outre, caractérisées par leur inefficacité. L’agriculture corse continue de se débattre dans des problèmes d’organisation des filières de production et dans la question de l’endettement, sans que les différents plans aient permis de résoudre les difficultés rencontrées.

Ni saines, ni efficientes, ces méthodes doivent être repensées en profondeur.

Il est essentiel aujourd’hui d’annoncer publiquement avec la plus grande fermeté que la solution à ce problème délicat ne peut passer pas un nouveau plan de désendettement général. Il faut que l’expérience des vingt dernières années permette aux pouvoirs publics de ne pas reproduire indéfiniment les mêmes erreurs, d’autant que celles-ci se sont soldées dans le passé par des coûts parfois très élevés.

La succession des différentes mesures doit être définitivement rompue au nom de la santé des exploitations et de l’avenir de l’agriculture corse elle-même. Ce message, qui fut déjà tenu avec fermeté par le préfet Claude Erignac, est aujourd’hui repris avec force par le préfet Bernard Bonnet. Toute aide ou subvention devra désormais être subordonnée à des perspectives de développement viables au sein d’une filière organisée, ainsi que le ministère de l’agriculture l’a indiqué dès juillet 1997. Cette position n’a pas varié depuis. La commission d’enquête considère, pour sa part, que cette attitude doit rester inflexible.

Une fois affirmé le principe selon lequel l’État ne devra pas se substituer une nouvelle fois aux carences de la profession (il ne saurait y avoir de 13ème plan en faveur de l’agriculture corse), il convient de définir des propositions concrètes et efficaces.

La difficulté est réelle : le revenu brut d’exploitation de l’agriculture corse s’est élevé à environ 445 millions de francs en 1997. Or les dettes agricoles atteignent au total environ 1,9 milliard de francs (880 millions au titre de la Mutualité sociale agricole, environ un milliard pour la caisse régionale de Crédit agricole et 56 millions d’impayés à l’office hydraulique).

Faut-il continuer coûte que coûte à soutenir certaines structures dont chacun sait qu’elles sont à terme condamnées à disparaître ? Il est certain que la question de la dette agricole est devenue particulièrement sensible à la fois politiquement et médiatiquement depuis la remise du rapport d’étape de l’Inspection générale des finances sur la caisse régionale de Crédit agricole en avril 1998. L’année précédente, la caisse avait déjà décidé de réduire ses prêts à l’agriculture de façon drastique. En matière de recouvrement, plusieurs témoins ont affirmé devant la commission que la caisse régionale de Crédit agricole tentait depuis quelques mois de pratiquer la " politique du pire ". Un haut fonctionnaire en poste dans l’île a déclaré devant une délégation de la commission d’enquête : " Alors que des prêts d’un montant important ont pu encore récemment être accordés dans des conditions douteuses ou contestables, les caisses locales se sont lancées dans des actions fortes pour des découverts de 500 francs ! Le but est clair : il s’agit de provoquer un grondement dans la population, de tenter de solidariser les Corses avec les difficultés actuelles de la caisse régionale et d’attiser un éventuel mécontentement vis-à-vis de la politique d’assainissement actuellement menée dans l’île ".

Mais la caisse régionale n’est pas la seule à se lancer dans une telle politique de recouvrement inconnue durant ces dernières années. Ainsi, fin juillet 1998, le président de la MSA de Corse, Louis Sémidei, déclarait lors de son allocution devant l’assemblée générale de la caisse : " le seul reproche que l’on puisse me faire et que nous impose aujourd’hui un plan draconien, c’est, à l’époque et compte tenu du marasme agricole existant de n’avoir pas engagé jusqu’à son terme la procédure de recouvrement de la dette sociale. Nous ne voulions pas accroître le nombre des agriculteurs sans couverture sociale. Maintenant, nous allons y être contraints et ceci sur un tissu économique et social dégradé ".

La commission d’enquête regrette ces tentatives erratiques. Le reflux des prêts était nécessaire du point de vue de la gestion économique. Il est regrettable qu’il ait fallu attendre une telle dégradation de la situation.

Cela étant , nul ne saurait ignorer l’ampleur des difficultés financières rencontrées par de nombreux agriculteurs. On l’a vu, le problème de la dette agricole est concentré sur 1/4 à 2/3 des exploitations. La modernisation et la création des exploitations exigent aujourd’hui la mobilisation de capitaux importants. Par ailleurs, les agriculteurs corses font, pour la majorité d’entre eux, figure de victimes de la politique de " cavalerie " mise en œuvre par la caisse régionale de Crédit agricole.

La " mesure Juppé " permettant un examen au cas par cas de la situation des exploitations représente la voie à poursuivre. Les exploitations, qui ne " tiennent " depuis de nombreuses années qu’à coup d’aides, de prêts non remboursés, de factures d’eau non payées et de subventions et primes diverses, représentent sans doute un nombre non négligeable, même s’il fait l’objet de débats : la commission a recueilli selon les témoins des chiffres allant de 250 à 600, voire 800. Mais au-delà de ces estimations, ce qui importe c’est de sauver le maximum d’exploitations viables. Quant aux agriculteurs dont la situation relève plus d’un traitement social que du pseudo-traitement économique qui leur a été réservé jusqu’à présent, là encore, la solution passe vraisemblablement par une étude au cas par cas des dossiers individuels selon des critères préalablement définis. Un plan social s’avère donc nécessaire, à terme, pour atténuer les effets sociaux des restructurations des exploitations en difficulté et, dans certains cas extrêmes, des liquidations de celles qui n’apparaissent plus viables. Il y va de la consolidation d’une agriculture performante en Corse (tournée vers l’exportation de la production viticole, la consommation locale des produits laitiers et de la viande, la production des agrumes…).

En tout état de cause, cette nouvelle donne suppose une refonte complète des mécanismes d’intervention dans le secteur agricole et devrait s’accompagner d’une répartition plus équitable des moyens financiers en faveur de ce secteur.

La restructuration complète des organismes publics (ODARC et Chambres d’agriculture en premier lieu), la concentration des services de l’État, l’évaluation et la réforme des systèmes d’aides de la Collectivité territoriale font partie des points majeurs de l’action à entreprendre.

· Deuxième axe : sortir du flou en actualisant, vérifiant et recoupant les données disponibles concernant les agriculteurs et leurs exploitations

Une des priorités des pouvoirs publics et de l’administration déconcentrée du ministère de l’agriculture est d’être capables de distinguer les vrais agriculteurs des profiteurs.

* Une amorce de contrôle en 1996

Celle-ci a été entreprise à l’occasion de la mesure Juppé, la dernière en faveur de l’agriculture corse. Novatrice, cette mesure reposait sur un examen au cas par cas et une aide proportionnée à la situation de l’agriculteur et à sa capacité de remboursement. Elle distinguait le rôle des organisations agricoles consultées sur l’économie générale du dispositif au sein du " comité 1 " de l’examen des dossiers et de la préparation des décisions confiés aux représentants de la DRAF et du Crédit agricole au sein du " comité 2 ". Les organisations professionnelles se trouvèrent ainsi privées de tout pouvoir de blocage et les services de l’État purent avoir accès à diverses informations de la caisse régionale de Crédit agricole pour la première fois. Il semble que le président de la Chambre régionale d’agriculture de l’époque, M. Michel Valentini, ait compris toutes les implications de cette méthode puisqu’il l’a boycottée en tentant sans succès de mobiliser derrière lui l’ensemble du monde agricole.

* Une question étrangement délicate : combien y a-t-il d’agriculteurs en Corse ?

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête a été surprise de ne pouvoir obtenir de chiffres réellement précis et fiables concernant le nombre exact d’agriculteurs en Corse. Les estimations recueillies de personnalités différentes ne se recoupent qu’imparfaitement. Certes, la difficulté d’évaluer le nombre de personnes exerçant à titre principal ou secondaire une activité agricole peut se rencontrer dans d’autres régions françaises. Cependant, le flou entourant ce type de statistiques paraît particulièrement important en Corse.

Les définitions permettant de calculer le nombre des agriculteurs varient. Toutefois, le chiffre de 3.500 exploitations semble, après recoupements, une bonne estimation de la réalité. Il recouvre à la fois des exploitations économiquement solides et des structures plus fragiles dont la pérennité paraît cependant indispensable pour assurer une occupation de l’espace correcte en Corse et éviter ainsi le phénomène de désertification rurale. Au 31 décembre 1997, la caisse de MSA de Corse comptait 3.800 exploitants actifs immatriculés employeurs ou non de main d’œuvre. La surestimation de ce nombre n’est pas à exclure, compte tenu du laxisme ayant manifestement présidé au moment des opérations d’immatriculation. Selon la direction régionale de l’agriculture et de la forêt, il y aurait environ 800 exploitations agricoles de taille très modeste et / ou dont le chef d’exploitation est retraité ou travaille à temps partiel. L’administration de l’agriculture estime que les exploitants à titre principal se situent aux alentours de 2.500. Notons que, lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, le directeur de l’ODARC évoquait le chiffre de 2.500 à 3.000 en février 1997.

Un des problèmes essentiels de l’immatriculation à la Mutualité sociale agricole est qu’une fois l’affilié inscrit dans les fichiers de la caisse, il est considéré comme étant agriculteur, et donc comme étant éligible aux aides nationales, régionales et communautaires en faveur de l’agriculture. Il peut, en outre, contracter des prêts au Crédit agricole et bénéficier des mesures d’allégement de la dette ou de prise en charge des annuités que l’État a mises en place pendant près de vingt ans.

Etant donné que ni les directions départementales de l’agriculture ni la caisse régionale de Crédit agricole n’ont eu à ce jour les moyens (ou la volonté) de vérifier de manière systématique la qualité d’agriculteur d’un particulier, son immatriculation à la caisse de MSA était fréquemment la seule pièce demandée pour justifier d’une activité agricole.

Or, s’étant rendue en juin 1998 à la caisse de MSA d’Ajaccio, la commission d’enquête a constaté que les règles d’affiliation appliquées pêchaient par leur total manque de rigueur et que peu de contrôles étaient réellement effectués par les agents de la caisse afin de s’assurer que les informations détenues dans leurs fichiers étaient fiables et correspondaient d’un point de vue matériel à la réalité des exploitations et des élevages annoncées (cf développements en deuxième partie du présent rapport).

La commission d’enquête formule une proposition qu’elle juge particulièrement urgente à mettre en œuvre dans la situation actuelle. Il est impératif de confronter les listes de la caisse de Mutualité sociale agricole, des directions départementales et régionale de l’agriculture, des services fiscaux et de l’INSEE. La commission a acquis la conviction que les données ne sont pas cohérentes entre elles aujourd’hui. Les surfaces déclarées ne sont pas identiques selon les déclarations. Or, les immatriculations à la caisse de MSA ont une grande importance puisqu’elles conditionnent largement l’éligibilité à de nombreuses aides nationales ou communautaires. Ce problème, qui dépasse les difficultés de gestion de la caisse de MSA, doit être dès à présent pris en compte et faire l’objet d’une politique déterminée de la part des pouvoirs publics aujourd’hui engagés dans une vaste opération de remise à plat.

Une fois définies, les règles d’affiliation à la MSA doivent être appliquées avec la rigueur nécessaire. Pour autant ces règles ne doivent pas conduire, par méconnaissance de la situation réelle, à rejeter dans l’économie souterraine et en dehors de toute protection sociale, certains petits exploitants.

·  Troisième axe : renforcer le rôle de conseil, de co-gestion comme de contrôle des services déconcentrés de l’État

Un travail considérable reste à faire pour déterminer les pistes d’avenir de ce secteur, assurer le suivi des projets de développement de même que le contrôle de l’utilisation des crédits publics. Les services de l’État sont susceptibles de jouer dans ces domaines un rôle plus actif en liaison avec les professionnels agricoles et les élus désireux de contribuer à cet effort, l’objectif commun devant être de favoriser l’organisation de filières rentables et le développement local.

Un témoin entendu par la commission d’enquête a considéré que " dans le système actuel, l’État est totalement démuni pour mener une politique agricole dans l’île. La Collectivité territoriale et la profession sont seules en mesure dans les faits de la conduire, mais ils ne le font pas. " A l’heure actuelle, ces services déconcentrés paraissent en effet quelque peu marginalisés et – ce qui est préoccupant – sous-informés face à la profession agricole. Ils doivent redevenir des partenaires du développement agricole.

Le ministère de l’agriculture s’est d’ores et déjà engagé dans cette voie en prévoyant un recentrage du travail de la direction régionale sur les relations avec la Collectivité territoriale et le suivi des projets de développement agricole. Des instructions nouvelles ont été données aux offices nationaux pour qu’ils associent davantage les DDAF et DRAF à leurs actions en Corse.

Il convient, par ailleurs, de réintégrer au maximum les services déconcentrés de l’État dans l’instruction des dossiers d’aide. Tous les dossiers instruits par l’ODARC impliquant des financements de l’État et de l’Union européenne doivent désormais passer en comité régional de programmation (qui est la fusion du comité régional des aides et du comité de programmation). Cette mesure devrait permettre aux représentants de l’État d’être mieux informés des conditions d’attribution des subventions publiques.

Des missions axées sur le conseil et l’appui technique pourraient être développées par les directions départementales de l’agriculture qui doivent être dotées de services étoffés et structurés regroupant les meilleurs éléments de cette administration, afin notamment de favoriser et d’accompagner l’organisation des filières et d’aider les différents acteurs qui le souhaiteront à initier des démarches de qualité. Des antennes déconcentrées, par exemple pour la Haute-Corse, à Corte et Ghisonaccia, pourraient par ailleurs être créées pour assurer un meilleur suivi des opérations menées dans ces zones.

En outre, la notion de contrat territorial d’exploitation prévue par la loi d’orientation agricole pourrait trouver un champ d’expérimentation en Corse : l’établissement de relations contractuelles entre l’agriculteur, l’État et les partenaires insulaires concernés devrait permettre d’impulser, au travers un cahier de charges, des démarches collectives efficaces et porteuses d’avenir.

· Quatrième axe : rénover les institutions du monde agricole

Un dernier axe du plan pour l’agriculture corse doit porter sur la refonte courageuse de divers organismes dont l’efficacité est aujourd’hui sujette à caution. A moyens constants, le secteur agricole peut être modernisé. Le coût des aides directes et des plans de désendettement est important. Des économies peuvent et doivent être réalisées par l’ODARC notamment. Cet office doit, soit se restructurer en profondeur en faisant porter ses efforts sur des actions d’expertise et de conseil aux exploitations, soit, comme le propose la commission d’enquête, disparaître en tant qu’établissement industriel et commercial.

 Pour une révision complète du système actuel de l’ODARC

La commission préconise un recentrage des compétences de l’ODARC dont les actions manquent de lisibilité et ne semblent suivre aucune politique préalablement définie.

A titre d’exemple, lorsqu’elle a demandé aux responsables de l’office d’avoir accès aux dossiers d’instruction ayant servi à l’attribution d’aides parfois très importantes, la commission a constaté que la plupart d’entre eux se caractérisaient par une étonnante minceur. Les aides semblent accordées aux exploitations au gré des sollicitations, sans qu’il soit procédé en amont à une étude sérieuse et rigoureuse des effets économiques escomptés de tel ou tel projet et sans que les contrôles nécessaires de suivi des opérations ne soient menés en aval par les services de l’office.

Une vraie politique agricole doit être définie en Corse.

Jusqu’à présent, la multiplicité des institutions impliquées dans ce domaine, contrairement à ce que l’on pourrait espérer, n’a pas favorisé un dialogue constructif ; à l’inverse elle a alourdi et obscurci le processus de décision. Il ne saurait cependant être question, pour la commission, de revenir sur les compétences dévolues à la Collectivité territoriale dans le statut de 1991, mais plutôt de donner aux élus les moyens de les exercer dans leur plénitude.

L’ODARC n’a jamais réussi à concevoir, puis à mettre en œuvre, une action cohérente et ciblée. Selon des témoins entendus par la commission d’enquête, l’ODARC cherche " à contenter tous les agriculteurs ". Or déterminer une politique, c’est faire des choix et mécontenter parfois certaines catégories. Le développement des filières d’avenir impose un ciblage préalable des aides et des subventions. Actuellement, les actions financées se caractérisent par leur grand nombre et parfois par leur aspect mineur. Cette multitude de subventions ne permet pas d’obtenir des résultats identifiables. Plus les aides s’accumulent, moins il semble que leurs effets réels sur l’agriculture sont perceptibles ou positifs.

Tirer les conséquences de ces défaillances en supprimant l’ODARC ne pourrait, selon la commission, que clarifier les responsabilités de chacun. Il appartient aux seuls élus de définir la politique agricole qu’ils entendent mener, après concertation, bien évidemment, avec les professionnels concernés et en lien avec l’État, lui-même important pourvoyeur de fonds notamment dans le cadre du contrat de plan et garant de la bonne utilisation des fonds européens vis-à-vis des instances communautaires.

Les missions assignées à l’ODARC pourraient être assumées par les services de la Collectivité territoriale à qui reviendrait la charge de déterminer et de mettre en place une véritable stratégie agricole.

 Pour une remise et ordre et une rationalisation des Chambres d’agriculture

Il convient manifestement de remettre de l’ordre dans les comptes et les méthodes des Chambres départementales et régionale de l’agriculture. Certes, ces Chambres sont comme tout établissement public de l’État, en principe soumises à son contrôle. Si le fonctionnement de la Chambre de Corse-du-Sud a suscité diverses réserves de la part de la tutelle au cours des dernières années, celle de Haute-Corse présente quant à elle des dysfonctionnements extrêmement graves.

Il faut rappeler que c’est M. Michel Valentini qui fut jusqu’à une date récente, président de cette Chambre départementale et de la Chambre régionale. La Chambre départementale, qui est d’une taille largement inférieure à la moyenne des Chambres d’agriculture métropolitaines, enregistre cependant des dépenses de personnel (59 personnes d’après des informations datant de mai 1998) plus lourdes que dans la plupart des autres Chambres et des recettes fiscales particulièrement faibles, alors que le produit des ventes de service tient une place très limitée dans ses ressources.

Comme pour la Chambre de Corse-du-Sud, on doit déplorer d’importants retards dans les transmissions des documents comptables au préfet.

 

1995

1996

1997

1998

BP

BM

CF

BP

BM

CF

BP

BM

BP

Date d’adoption par la Chambre

29/12/94

9/11/95 30/09/96 25/01/96 30/09/96 30/09/97 10/01/97 30/09/97 29/01/98
Date de réception par le préfet

31/01/95

17/11/95 11/07/97 12/02/96

27/11/97 20/02/97 3/03/97 27/02/98

BP = budget primitif

BM = budget modificatif

CF = compte financier

On constate que les budgets primitifs de la Chambre sont soumis de plus en plus tard à l’approbation du préfet, malgré ses rappels réguliers au respect des délais. Plus encore que pour ses budgets, la Chambre ne respecte pas la date de transmission au préfet de ses comptes financés, fixée au 30 juin de l’année suivant l’exercice auquel ils se rapportent. Ainsi les comptes financiers de l’exercice 1995 furent adoptés par la Chambre le 30 septembre 1996 et transmis au préfet le 11 juillet 1997, après de nombreuses demandes de sa part. Les comptes pour 1996 furent adoptés le 30 septembre 1997 et transmis le 27 novembre 1997.

En outre, les comptes financiers, qui ne sont pas établis dans le strict respect des règles comptables applicables aux établissements publics de l’État, apparaissent difficilement lisibles et présentent de nombreuses lacunes et erreurs. Le préfet fut d’ailleurs amené à refuser d’approuver les comptes 1994, 1995 et 1996. La Chambre régionale des comptes a même infligé des amendes à l’agent comptable pour non production au juge des comptes dans les délais réglementaires des comptes financiers de l’organisme.

La situation financière de cette Chambre semble, par ailleurs, se détériorer de façon préoccupante. Les budgets primitifs adoptés par elle sont régulièrement présentés en très léger excédent (1,465 francs pour 1998) ; mais les résultats, tels qu’ils peuvent être appréciés au vu des comptes financiers, adoptés par la Chambre, mais non approuvés par le préfet, sont en très forte dégradation : important excédent de 2,5 millions en 1994, équilibre en 1995 (excédent de 13.684 francs), fort déficit de 2,5 millions en 1996.

Il semble que le strict respect des procédures n’entre pas dans la " culture " de cette Chambre. A titre d’exemple, une réunion du 30 septembre 1997 s’est tenue dans des conditions irrégulières. En effet, l’article R.511-55 du code rural précise que " si au jour fixé par la convocation la Chambre d’agriculture ne réunit pas plus de la moitié de ses membres, la session est renvoyée de plein droit à huitaine ; une convocation spéciale est faite d’urgence par le président ; les délibérations sont alors valables quel que soit le nombre de membres présents ". Or le procès-verbal de cette session indique la présence de seulement 22 membres élus. Le nombre réglementaire de membres élus de la Chambre étant de 44, le quorum est de 23. La session aurait donc dû être renvoyée à huitaine. En outre, le procès-verbal fait état de la présence de " membres cooptés ". Aucune disposition du code rural ou de tout autre texte applicable ne mentionne cette catégorie de membres. Leur existence, qui n’est prévue par aucun texte, résulte d’une initiative pour le moins contestable de M. Valentini. Notons également que, de 1991 à 1998, le directeur général de la Chambre, M. de Casalta, exerçait parallèlement les fonctions de directeur de la SAFER, ce qui était illégal.

Selon des informations fournies fin août 1998 à la commission d’enquête, la Chambre d’agriculture de Haute-Corse se trouverait aujourd’hui en situation de quasi cessation de paiement. L’examen des comptes de la Chambre fait apparaître des dysfonctionnements graves. La séparation de l’ordonnateur et du comptable n’est pas assurée et la confusion entre ces deux fonctions paraît préoccupante. Des titres de recettes sont émis en l’absence de pièces justificatives correspondantes. Certaines dépenses obligatoires ne sont pas prises en compte par la Chambre : la TVA collectée n’est pas intégralement reversée et certaines taxes sur salaires ne sont pas payées. Pendant plus de dix ans, de 1987 à 1998, le président et le directeur général de la Chambre ont disposé de procurations sur des comptes de la Chambre au Crédit agricole, alors qu’en principe, ce type de prérogatives n’est attribué qu’à l’agent comptable.

Le désordre de la comptabilité de l’organisme a atteint des niveaux difficilement explicables : le comptable a géré parallèlement plusieurs exercices budgétaires. Ainsi, l’exercice portant sur l’année 1995 ne fut arrêté qu’en juillet 1997 et, jusqu’à cette date, des écritures ont été passées, ce qui apparaît totalement contraire aux principes les plus élémentaires de bonne gestion et de la régularité comptable. Par ailleurs, la création d’une association loi 1901 présidée par M. Michel Valentini, a permis à la Chambre de mettre en place diverses opérations financées par des fonds publics, ce qui constitue un démembrement tel que les juridictions financières les condamnent. Des opérations pouvaient ainsi se réaliser sans l’intervention de l’agent comptable et en dehors du contrôle de la Chambre régionale des comptes.

Du point de vue de la gestion financière, il apparaît notamment que les prestations pour les agriculteurs effectuées par la Chambre font l’objet d’une sous-tarification manifeste, tandis que les sommes dues, déjà sous-évaluées, ne sont que faiblement recouvrées. L’ancien président de la Chambre, M. Michel Valentini, adoptait volontiers une conception " personnalisée " du recouvrement en appliquant une politique au cas par cas. D’une manière générale, il semble que le pouvoir ait été pendant de nombreuses années concentré autour du président et du directeur général de la Chambre qui prirent l’habitude de s’intéresser aux moindres aspects des activités de celle-ci. D’après les chiffres communiqués à la commission, les frais de représentation de l’ancien président de la Chambre auraient atteint un total supérieur à 700.000 francs sur la période 1996-1997.

Les personnels de la Chambre sont, selon des informations fournies à la commission d’enquête, la plupart du temps livrés à eux-mêmes et les activités des techniciens ne font, semble-t-il, jamais l’objet de contrôles.

Quant à la Chambre régionale, elle est aujourd’hui " mourante " comme l’a indiqué un témoin entendu par la commission.

Face à cette situation préoccupante, plusieurs mesures de court terme s’imposent : il convient de mettre un terme à la confusion entre l’ordonnateur et le comptable qui caractérise la gestion de la caisse, d’inciter la Chambre à recouvrer ses créances dans des délais raisonnables, à réaliser des efforts de rationalisation de ses activités et d’amélioration de l’emploi de son personnel ; enfin, un plan de maîtrise des coûts s’avère indispensable.

Dans un deuxième temps, on peut se demander s’il ne serait pas souhaitable de supprimer les deux Chambres d’agriculture départementales, pour recentrer leurs compétences autour d’une seule structure couvrant l’ensemble de l’île. Les deux Chambres correspondent, il est vrai, à deux types d’agriculture différents : celle du sud s’intéresse aux problèmes des éleveurs, celle de Haute-Corse couvre la plaine orientale et la Balagne qui ont une forte identité. Mais l’existence de ces deux organismes a jusqu’à présent induit des coûts de gestion importants et a sans doute contribué à exacerber les divergences entre les agriculteurs insulaires. Le faible nombre d’exploitations milite également en faveur d’un regroupement des efforts visant à faire la synthèse en un seul lieu de décision entre les diverses catégories d’agriculteurs. Ceci est possible et souhaitable à condition de faire en sorte que les intérêts de tous les agriculteurs y soient représentés. Certes, dans un tel cas de figure, la question du siège de la Chambre unique risquerait de se poser avec une certaine acuité, compte tenu des relations difficiles que les représentants agricoles des deux départements ont parfois entretenues dans le passé. Cet aspect, qui ne constitue pas un problème en soi, devrait être dépassé pour permettre une meilleure efficacité et une plus grande équité de l’attribution des aides destinées à l’agriculture corse.

 Pour la reprise en mains de la caisse de Mutualité sociale agricole

Face aux carences de la caisse, certains n’hésitent pas à proposer son rattachement à celle de la région PACA. Cette solution est supposée engendrer des effets d’économies et impliquer une plus grande rigueur dans la gestion. Les réseaux ne fonctionneraient plus, ou moins, et les " arrangements " ou " tolérances " de situations anormales seraient moins fréquents. La commission d’enquête estime, pour sa part, que cette solution ne constitue qu’une option de dernier recours et qu’elle présenterait l’inconvénient de déresponsabiliser les responsables de ce secteur, alors que l’objectif consiste aujourd’hui à atteindre le résultat inverse.

La commission d’enquête établit quant à elle trois propositions :

1°) Elle constate et déplore que la caisse n’a pas encore mené d’action forte en direction de ceux de ses débiteurs institutionnels ou exercent des responsabilités particulières dans le domaine agricole. Il n’est pas normal et acceptable que des responsables syndicaux aient des dettes importantes et continuent de ne rien régler à la caisse. Celle-ci doit s’engager dans une action de recouvrement ciblée en premier lieu sur les cas les plus choquants, et donc notamment à l’encontre des mauvais payeurs institutionnels.

2°) En matière de prestations, la commission propose d’organiser des visites de médecins systématiques afin de mieux contrôler la réalité des maladies et des problèmes de santé. Il s’agit de limiter le phénomène trop répandu des arrêts maladie de convenance et du laxisme dans les attributions de pensions d’invalidité. De même, des contrôles doivent impérativement être réalisés en matière d’attribution de pensions d’invalidité et d’allocations aux adultes handicapés. Des médecins
– pourquoi pas des praticiens du continent ? – pourraient temporairement pratiquer des visites de contrôle dans trois directions : les contrôles de la réalité médicale des maux, des contrôles " des vivants " et des contrôles de vraisemblance.

3°) En ce qui concerne les immatriculations, la commission d’enquête rappelle que chaque dossier doit contenir toutes les pièces justificatives demandées. Il ne devrait plus être possible à la caisse de Corse d’accepter des dossiers sans baux en bonne et due forme, sans contrôle de la nature des terres et de la réalité des activités d’exploitant. Lors de sa visite sur place en juin 1998, la commission a pu se faire une idée précise sur l’état de la tenue des dossiers par la caisse : la plus grande rigueur doit désormais être de mise. Il est indispensable d’opérer un contrôle de grande ampleur sur les dossiers individuels de la caisse. Une récente mission de l’Inspection générale des finances s’est attachée à vérifier une partie des fichiers et a déjà constaté, après une dizaine de jours de contrôle que bon nombre de dossiers n’étaient pas tenus de façon correcte, ce qui corrobore parfaitement les constats établis en deuxième partie du rapport sur les règles d’affiliation à la MSA.

Les quatre priorités définies plus haut supposent la mise en place de réformes, parfois douloureuses, mais indispensables, selon la commission, si l’on veut aujourd’hui donner les moyens à la Corse de développer un secteur agricole performant. C’est la voie à emprunter pour maintenir en activité de façon durable le plus grand nombre possible d’exploitations.

 

2.– Forger les instruments du développement

La Corse souffre à la fois d’une pléthore de décideurs et d’une absence de véritables décisions. Elle dispose en principe de nombreux mécanismes d’aide au développement et le décollage économique tarde en fait à se produire.

Forger les instruments du développement de la Corse suppose en premier lieu une clarification des modes des décision et la définition d’une véritable stratégie comportant des lignes d’action précises, lisibles par la population. Cela étant, la question du financement de l’économie reste posée, notamment du fait de l’échec de la CADEC.

Enfin, pour l’accompagnement du développement, il importe maintenant de trouver une solution au problème spécifique de l’indivision.

a) Quelques principes sains à mettre en oeuvre

·  Moins de centres de décision mais des intervenants plus efficaces

Avec la loi du 13 mai 1991, la Collectivité territoriale, qui s’est vue conférer un rôle accru dans le domaine du développement économique, a été dotée d’instruments d’intervention nouveaux en matière de planification et d’aménagement du territoire, d’organisation des transports, d’environnement et de tourisme. Comme le notait l’Inspection générale des finances dans un rapport d’audit du dispositif de promotion du développement économique de la Corse en date de juillet 1994, " cette multiplicité d’instruments s’est traduite depuis 1991 par un foisonnement institutionnel, alors que par ailleurs le régime juridique de l’intervention de la Collectivité territoriale en faveur des entreprises restait mal défini ".

Ce constat, établi trois ans après l’adoption du statut particulier de la Corse, est toujours d’actualité. Malgré les outils créés à cet effet
– ADEC, CADEC, ODARC, ATC notamment – les voies du développement économique de la Corse semblent toujours incertaines.

Sont-ce les instruments qui sont par eux-mêmes inefficaces et défaillants ? Ou est-ce la pratique de ces outils qui n’en a pas permis une utilisation adéquate ?

La commission d’enquête a, au cours de ses travaux, acquis la conviction que ces instruments, nombreux, n’ont pas été réellement maîtrisés par la Collectivité territoriale.

·  Mettre un terme à la dilution des responsabilités pour une vision globale des intérêts de la Corse

Lors de son audition en février 1997 par la mission d’information sur la Corse, le directeur régional de la Banque de France concluait son exposé en ces termes : " Les idées sur ce qu’il faudrait faire pour redresser la situation, pour ramener l’économie corse sur des rails porteurs foisonnent. La difficulté consiste à réunir un consensus sur des lignes d’action précises qui privilégient l’intérêt général. "

Cette difficulté est probablement favorisée par la multiplication des centres de décision. Dans un système à tendance clanique, plus nombreuses sont les structures, plus il y a de lieux susceptibles de favoriser l’exercice de la solidarité du clan, et plus grande est la proximité du responsable habilité à prendre les décisions avec ceux qui réclament son aide ou son intervention. Plus forte également est la probabilité que les décisions se prennent sans lien avec une stratégie globale, définie pour l’ensemble de la Corse dans l’intérêt de son développement d’ensemble.

La dilution des responsabilités engendrée par la démultiplication des lieux de pouvoirs doit être combattue. Ce que l’on appelle communément le " clientélisme " trouverait un terrain beaucoup moins favorable si les centres de décisions étaient moins nombreux et placés sous le contrôle démocratique. Il importe donc que les lieux de décision et les lieux de responsabilité politique coïncident davantage.

·  Des élus qui doivent se remobiliser pour se réapproprier leurs prérogatives légitimes

Les élus corses doivent être les responsables au premier chef de la politique de développement de l’île. Il est inacceptable que des socio-professionnels, sans légitimité démocratique, puissent au sein des offices et agences notamment, imposer leurs points de vue, parfois au détriment des intérêts de la Collectivité territoriale elle-même. Certes, l’expertise détenue par ces professionnels est utile dans le processus de prise de décision et les élus ne sont pas supposés détenir les mêmes connaissances techniques que les spécialistes dans tous les domaines d’intervention possibles. Si la consultation de ces derniers, voire une concertation régulière entre les élus et ces derniers peut être souhaitable, le partage – qui s’avère parfois même inégal au profit des socio-professionnels – des compétences dévolues au politique ne saurait être considéré comme un bon principe de gestion.

Dans le système actuel, les élus se trouvent dans certains cas en minorité au sein des conseils d’administration d’établissements qui gèrent parfois des sommes considérables sans faire de facto l’objet de contrôle (ni de la part de la Collectivité territoriale ni de celle des services de l’État). L’office de développement agricole et rural de la Corse s’est souvent fait ainsi le reflet des revendications de la profession agricole ; l’office d’équipement hydraulique de la Corse a longtemps " fermé les yeux " sur les factures d’eau impayées des agriculteurs ; l’agence de développement économique de la Corse a montré à ce jour son incapacité à définir, en collaboration avec la Collectivité territoriale, une stratégie cohérente et réfléchie d’attribution des aides économiques.

Les témoins auditionnés par la commission d’enquête ont convenu que le système, tel qu’il a été mis en place et qu’il est aujourd’hui " vécu ", ne favorisait pas la définition d’une politique claire et la détermination d’objectifs préalablement ciblés.

Quant à eux, les élus ont parfois tendance à se réfugier derrière cette situation complexe pour éviter d’endosser publiquement la responsabilité de décisions impopulaires. Certains d’entre eux n’avaient pas hésité à expliquer, devant la mission d’information sur la Corse, qu’aucun élu ne pouvait se permettre d’aller à l’encontre d’une demande émanant des socio-professionnels.

Lors de son audition en date du 11 décembre 1996, M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse avait fort bien décrit ce phénomène :

M. Jean Baggioni : (...) Le président du Conseil exécutif n’a que le pouvoir de nommer les présidents (des offices et agences). Les politiques des différents offices sont définies par leur conseil d’administration. Dès lors qu’ils ne sont pas responsables devant le suffrage universel, ces conseils d’administration sont laxistes. Leur demande est infinie, mais elle remonte au Conseil exécutif et je dois assumer la responsabilité publique et politique, car on me dit que ce sont les conseillers que j’ai nommés qui président. C’est bien vrai, mais ils président des assemblées dont ils ne sont pas les patrons. Si ces conseils étaient élus, un pouvoir politique s’exercerait à travers la majorité politique mais, en l’occurrence, il y a une majorité qui appartient à un monde autre que le monde élu.

M. le président : Autrement dit, on vous demande de participer à une politique que vous n’avez pas définie ?

M. Jean Baggioni : Exactement ".

Les témoignages concordants établis devant la commission d’enquête à propos des offices la conduisent d’ailleurs à préconiser une amélioration du système, exposée plus loin. Le principe général qui guide ces préconisations consiste à faire supporter la responsabilité des décisions, notamment lorsqu’elles impliquent l’engagement de l’argent public national, européen ou régional, par ceux qui, de par le suffrage démocratique, sont en charge du développement et des intérêts de leur région.

b) Des logiques d’action à renverser

Au cours de ses investigations, la commission d’enquête a constaté que les logiques présidant à l’octroi de certaines aides ne permettaient pas d’en assurer l’efficacité sur le plan économique.

·  D’une action au coup par coup à une stratégie de développement

Lorsque la commission s’est rendue dans les locaux de l’ADEC, puis dans ceux de l’ODARC, elle a constaté le même type de défaut dans la conception des dispositifs d’aides, alors même que l’objet, les clientèles et les pouvoirs des deux offices diffèrent profondément. Dans les deux cas, le manque de stratégie pénalise durement l’efficacité des actions menées. Plus exactement, étant donné qu’aucun objectif n’est préalablement fixé, il est difficile, voire impossible, d’apprécier si telles ou telles actions ont porté leurs fruits.

Les rapports d’activités annuels que la commission a demandés à chacun des six offices et agences depuis 1994 en témoignent. Se présentant comme des documents administratifs, ceux-ci sont irréprochables quant à leur forme ; ils comprennent en général des séries de chiffres indiquant combien de milliers, ou parfois combien de millions, de francs ont été consacrés telle année à une action définie selon un terme générique parfois très vague ou non explicite.

Par exemple, dans son rapport d’activités pour 1997 transmis en juillet 1998 à la commission, l’ODARC note : " la Commission technique permanente s’est réunie cinq fois au cours de l’année 1997. Elle a examiné 683 dossiers de demandes d’intervention pour un montant de subvention de 82,9 millions de francs. Elle a accepté 661 dossiers pour un montant de subvention de 81,05 millions de francs qui se répartissent en 204 opérations de modernisation et d’équipement des exploitations agricoles, 31 dossiers de réfection de clôtures emportées par les crues, 44 dotations régionales d’installation jeune agriculteur, 124 dossiers de restructuration du vignoble, 48 dossiers concernant les industries agro-alimentaires, 43 dossiers de restructuration de l’arboriculture fruitière, 51 aides au transport du vin, 8 dossiers d’amélioration de la qualité du lait, 22 bénéficiaires d’appuis techniques et de promotion, 33 dossiers forestiers châtaigneraie, 59 dossiers forestiers oliveraie, 2 dossiers de financement des points infos et répertoire à l’installation. "

Ce rapport d’environ cent pages ne permet pas de déterminer véritablement si les actions entreprises correspondent bien à un besoin des exploitations ainsi aidées, ni si un travail de suivi a été effectué par les agents de l’ODARC, et dans l’affirmative, si les actions menées ont finalement été bénéfiques à l’exploitation. Le rapport n’indique pas plus si ce sont toujours les mêmes agriculteurs qui bénéficient des aides ou si l’ensemble de la profession est concerné par ces dispositifs.

La commission d’enquête a, par ailleurs, eu l’occasion de s’étonner devant les responsables de l’office qu’un nombre si conséquent de dossiers puisse être passé en revue en seulement cinq réunions, pour permettre in fine le paiement de plus de 81 millions de francs.

Mais l’exemple de l’ODARC n’est pas le seul intéressant de ce point de vue, même s’il concentre plusieurs défauts caractéristiques d’autres établissements. Premièrement, son conseil d’administration est composé majoritairement de professionnels agricoles et minoritairement d’élus. Deuxièmement, ses prérogatives apparaissent très importantes – c’est par l’ODARC que les dossiers d’aides agricoles transitent, que les fonds concernés soient d’origine nationale, européenne ou régionale – et les contrôles qui s’exercent sur lui sont faibles, voire inexistants. Troisièmement, aucune ligne directrice n’est définie préalablement à l’attribution des aides. Toutes les filières, toutes les activités, tous les éleveurs et les exploitants, tous les porteurs de projets quels qu’ils soient, sont susceptibles d’être retenus par l’ODARC. Rappelons qu’en 1997, sur 683 dossiers examinés, 661 ont été acceptés, ce qui traduit un taux d’acceptation très élevé et manifeste la très faible sélectivité de l’office.

·  D’une logique de saupoudrage à une logique de ciblage, d’une logique d’assistance à une logique d’appui

La commission d’enquête considère qu’avant de distribuer la moindre aide publique, les offices et agences de la Collectivité territoriale ou les services de cette dernière doivent impérativement avoir défini des critères d’éligibilité beaucoup plus stricts.

La commission a eu le sentiment, en se rendant dans les locaux de l’ADEC, que pour les responsables de cette agence, le fait pour une entreprise d’avoir sollicité son aide constituait un premier pas très positif à prendre en considération, l’obtention d’une subvention semblant ensuite presque aller de soi. Le montant de l’aide peut, certes, varier selon les projets et les besoins de l’entreprise, mais il ne semble pas dans la culture de l’ADEC de dire " non " ou de conditionner ses aides au respect de critères sévères.

La logique de ciblage qui s’impose paraît antinomique avec cette approche générale. Elle est pourtant la seule qui permette d’obtenir de bons résultats en privilégiant des secteurs porteurs et en focalisant les efforts financiers et de conseil vers ces domaines. La commission a acquis la conviction qu’en répartissant les mêmes sommes de subventions suivant cette méthode de ciblage, les créations de richesses et d’emplois seraient sans commune mesure avec les résultats obtenus aujourd’hui.

Le développement des actions de conseils et de formation des chefs d’entreprise pourrait être organisé dans le cadre et sous l’égide de l’ADEC qui devrait, selon la commission, se réorienter vers des opérations d’ingénierie et d’information. Des propositions en ce sens sont développées dans la partie consacrée aux améliorations institutionnelles.

c) Pour un effort de planification courageux

Rappelons que la Collectivité territoriale de Corse doit, d’après les lois du 2 mars 1982 et 13 mai 1991, élaborer un plan déterminant les objectifs à moyen terme du développement économique, social et culturel de l’île ainsi que les moyens pour atteindre ces objectifs. Sur la base des orientations définies dans le plan de développement, elle établit un schéma d’aménagement fixant les principes directeurs de l’aménagement de la Corse et contenant notamment des règles d’aménagement spatial. " Ce plan fixe les orientations sur la base desquelles doit être approuvé le schéma d’aménagement de la Collectivité territoriale. Ce schéma doit être approuvé dans un délai de deux ans suivant l’adoption du premier plan de développement. Ce plan doit être établi dans un délai d’un an à compter de l’installation de l’Assemblée de Corse. "

A ce jour, le plan de développement régional adopté en 1993 par l’Assemblée de Corse, qui aurait pu constituer la charte des actions entreprises au nom du développement, n’a guère été suivi d’effets. Un ancien ministre auditionné par la commission d’enquête a fait les commentaires suivants à ce sujet :

" Le travail de préparation du plan fut conduit pendant l’été 1993 sous l’impulsion de la Collectivité territoriale de Corse. Elle mit au point un plan de développement régional adopté avec l’abstention des mouvements nationalistes qui avaient toutefois largement participé au débat et à la définition du projet. Cette action a suscité, comme souvent en Corse, un espoir aussi puissant qu’éphémère. Il n’en reste pas moins que le projet défini était de nature à rassembler tous les éléments actifs de la population corse. (...) Le plan de développement est un bon plan. Il avait ceci d’original et d’important qu’il avait été défini par les Corses eux-mêmes. C’était la première fois que cela arrivait. Jusqu’alors, on leur avait toujours imposé ou dit ce qu’il fallait faire. Cette fois, on les avait réunis en conclave et on leur avait demandé ce qu’ils voulaient. Ils avaient défini entre eux les lignes de leur propre développement. "

A ce propos, un haut fonctionnaire en poste en Corse a devant la commission d’enquête estimé que c’est parce qu’il se voulait si consensuel que le plan de développement apparaît aujourd’hui comme un " document de plus ", intéressant dans son principe mais sans grande valeur opératoire. Selon ce responsable, " il faut se méfier de ce qui apparaît comme très consensuel en Corse ! ".

Après ce plan de 1993, suivirent le contrat de plan État-Collectivité territoriale de Corse et le Document unique de programmation (Docup) conclu dans le cadre de l’Union européenne. La Corse ne souffre donc pas d’un manque de projets publiés sur papier glacé. Divers témoins ont d’ailleurs indiqué à la commission que ces types de contrats étaient toujours " formellement parfaits " et présentaient indiscutablement une allure de " sérieux " contrastant cruellement avec leur peu d’effets concrets sur l’état de l’économie de l’île.

Quant à elle, la commission d’enquête juge hautement souhaitable que soit menée, en amont de tout effort de planification, y compris avant d’entamer les discussions sur le prochain contrat de plan, une réflexion collective et courageuse sur les secteurs devant faire l’objet d’une attention urgente, ceux devant être traités dans un deuxième temps, et enfin, ceux ne présentant pas le même caractère impératif et /ou d’urgence.

On rappellera à cet égard que le schéma d’aménagement qui, selon le statut de 1991, devait suivre dans le délai d’un an l’adoption du plan de développement, reste à définir.

d) Le nécessaire sauvetage conditionné de la CADEC

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête s’est interrogée sur l’évolution souhaitable de la CADEC qui se trouve, comme on l’a vu précédemment, dans une situation désespérée que seule une recapitalisation pourrait améliorer. Préalablement à toute autre, il convient de répondre à cette question centrale : l’arrêt de l’activité de la CADEC est-il souhaitable ? Cet organisme, assez largement discrédité, peut-il renaître de ses cendres ?

D’après certains témoins bien informés de ce dossier, la liquidation de la caisse présenterait deux types d’inconvénients :

– elle n’est officiellement souhaitée ni par la Collectivité territoriale de Corse ni par les représentants socio-économiques de l’île. Une telle décision pourrait, en outre, apparaître comme un signe que l’État renonce à doter la Corse d’un instrument de développement économique.

– elle se traduirait par un coût élevé pour les finances publiques. L’annonce d’une liquidation serait susceptible de provoquer une forte croissance des taux d’impayés de la part des clients de la caisse misant sur la couverture des pertes par la puissance publique. Ce comportement pourrait, dans le scénario le plus pessimiste, avoir des répercussions néfastes sur la totalité de la place bancaire et ainsi créer un effet domino désastreux pour l’ensemble de l’économie. Selon les indications recueillies par la commission, mais dont il est difficile de vérifier la fiabilité, le coût d’une liquidation judiciaire s’élèverait à 500 millions de francs, voire davantage.

Les engagements volontaristes réalisés dans le passé ont, pour bon nombre d’entre eux, résulté d’erreurs d’appréciation majeures et parfois difficilement compréhensibles. L’échec est patent, mais on doit relever que la CADEC a tout du moins tenté de contribuer, par ses activités prêteuses, au développement de secteurs économiques naissants.

Selon la commission, il ne saurait être question, pour la caisse, de remettre en cause le principe de l’arrêt de ses activités prêteuses. En se concentrant uniquement sur le recouvrement des créances, la caisse peut faire en sorte de résorber progressivement le risque bancaire qu’elle assume. La politique de recouvrement contentieux peut sans doute être menée de façon plus dynamique afin d’améliorer les taux de " récupération " des actifs concernés. Mais, même si la caisse ne fait que recouvrer ses créances, son avenir demeure hypothéqué par ses problèmes comptables (décrits en deuxième partie du rapport).

Une recapitalisation doit impérativement intervenir pour assurer la viabilité financière de cet organisme.

Les négociations entre les deux actionnaires, l’État et la Collectivité territoriale, restent difficiles. Rappelons que l’actuel gouvernement a demandé, par la voix du ministre de l’Economie et des finances, d’engager une nouvelle recapitalisation pour tenter de maintenir l’activité de la caisse en matière de recouvrement et éviter ainsi sa liquidation judiciaire. Une demande a été adressée par le ministre au président du Conseil exécutif, M. Jean Baggioni, tendant à ce que la Collectivité territoriale apporte sa contribution. Or il faut relever que la précédente Assemblée de Corse avait voté à la quasi-unanimité une délibération prévoyant que désormais elle ne participerait plus à aucune recapitalisation.

A cet égard, plusieurs témoins ont considéré devant la commission d’enquête que l’Assemblée de Corse ne pourrait s’en tenir à une position aussi stricte et serait certainement conduite à prendre ses responsabilités : " on trouvera nécessairement un terrain d’entente " a dit l’un d’eux.

La situation demeure aujourd’hui dans une impasse financière, économique et politique. Seule la concertation entre les deux actionnaires les plus importants de la caisse pourrait permettre de trouver une solution satisfaisante – ou la moins insatisfaisante possible – à ce dossier délicat. Au moment de la rédaction de ce rapport, l’Assemblée nouvellement élue n’avait toujours pas donné son aval à la recapitalisation.

Face à ce blocage, certains ont suggéré des solutions intermédiaires, ou parallèles, à la question de la recapitalisation. La création d’un institut de participation a ainsi été envisagée. Cet institut pourrait, soit être doté de la personnalité juridique, soit se présenter comme un fonds de participation sans personnalité morale. Notons qu’un étude préalable fut réalisée par l’ADEC et transmise pour avis en avril 1997 à la DATAR, à la direction générale des collectivités locales et à la direction du Trésor.

La commission d’enquête considère, pour sa part, qu’il ne saurait être question de recréer une autre CADEC avec les mêmes équipes dirigeantes et les mêmes principes d’actions. S’il était créé, ce nouvel établissement risquerait fort de se heurter aux mêmes obstacles que ceux rencontrés par la caisse, à moins que des précautions particulières ne soient prises et qu’une politique réellement sélective de prêts soit déterminée. Selon un témoin entendu par la commission, l’idée de cet institut de participation n’est " pour l’instant qu’un concept. "

La commission n’ignore pas l’enjeu qui entoure la création d’un nouvel opérateur qui pourrait intervenir dans le financement de l’économie insulaire par des prises de participation. Le calcul du risque bancaire classique s’applique mal à la Corse. Pour autant, si un tel organisme était installé, les processus de décision et de contrôle devraient aller bien au-delà des modes de gestion et de tutelle appliqués à la CADEC.

En résumé, l’amorce d’un processus de développement passe par la mise en œuvre de quelques principes de bonne gestion, par le renversement de certaines logiques d’action, par un effort de planification courageux et par le sauvetage sous certaines conditions de la CADEC. Parallèlement à ces préconisations, la commission attache une grande importance à la question de l’indivision qui constitue, de l’avis de nombreux témoins, un frein non négligeable au développement.

e) Pour l’accompagnement du développement : sortir du problème de l’indivision

La persistance du problème de l’indivision trouve en partie son origine dans les structures psychologiques et sociales de l’île. De ce fait et au vu du délai déjà écoulé depuis les travaux de la commission Badinter, on peut craindre qu’il ne puisse être rapidement résolu. Il n’en a pas moins des conséquences dommageables sur le développement économique de l’île.

D’après les informations recueillies par la commission d’enquête, le problème de l’indivision n’est ni fiscal ni juridique : il est avant tout financier.

En effet, contrairement à ce qui peut être dit ici ou là, il ne s’agit pas d’un problème de nature fiscale généré par les arrêtés Miot. L’absence de déclaration d’une succession n’empêche ni le partage des biens entre les cohéritiers ni les mutations cadastrales opérées sur une attestation de propriété ou sur la base d’une décision de justice. A l’inverse, la déclaration d’une succession n’engendre pas une obligation de partage.

Ce n’est pas non plus un problème juridique. Le code civil offre un corps de règles suffisant pour permettre la gestion ou le partage des indivisions.

C’est avant tout un problème financier. En raison de l’absence fréquente de titres de propriété en Corse, les procédures sont généralement longues et complexes et nécessitent souvent le recours à un expert foncier. Dès lors, le coût de la procédure est, bien souvent, sans commune mesure avec la valeur des biens indivis. Il en résulte que, sauf en cas de nécessité absolue ou d’enjeu économique important, les familles n’envisagent pas de procéder au partage des biens ou y renoncent.

Le notariat en Corse a imaginé un dispositif pour aider à la sortie de l’indivision, ou plutôt à la création de titres de propriété. Il s’agit de l’établissement devant notaire d’un acte de notoriété constatant la possession trentenaire du demandeur, dressé devant deux témoins et faisant l’objet de mesures de publicité dans la presse régionale et à la mairie. En l’absence de contestation dans un délai d’un mois, l’acte est publié à la conservation des hypothèques. Ce dispositif a permis la création d’environ 1.500 titres de propriétés depuis 1989, soit d’après certaines estimations, le quart de ce qui serait nécessaire.

Cependant, cet acte est fragile car il s’agit d’un acte déclaratif qui n’a aucune valeur probante. C’est pourquoi, la commission établie en 1983 avait suggéré une modification législative du code civil prévoyant une procédure dérogatoire d’homologation par le tribunal de grande instance, homologation qui, après publicité, fermerait toute possibilité de recours à l’issue d’un délai de trois ans.

Cette proposition a jusqu’à maintenant été jugée injustifiée par la Chancellerie. Elle est en outre contestée par les avocats et les experts – qui y perdraient une clientèle potentielle – et par les magistrats – qui seraient réduits à enregistrer un acte sur lequel ils n’auraient aucun pouvoir de contrôle. Surtout, elle apparaît peut-être excessivement favorable à un seul des héritiers, celui qui s’est comporté en propriétaire exclusif.

En tout état de cause, il apparaît urgent qu’une solution soit trouvée et que celle-ci soit à la fois efficace et acceptable pour tous.

La proposition de la commission de 1983 peut constituer une base de discussion. Mais peut également être explorée une solution analogue à celle mise en œuvre en Polynésie française par la loi du 5 juillet 1996 portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer. Celle-ci institue, en effet, une commission de conciliation obligatoire en cas de litige en matière d’actions réelles immobilières ou d’actions relatives à l’indivision. Présidée par un magistrat ou un avocat et composée en outre de deux personnes choisies pour leurs compétences, cette commission peut se livrer à tout acte d’instruction des dossiers. En cas d’échec de la conciliation, les parties peuvent saisir la justice. En cas de conciliation, même partielle, l’accord peut se voir attribuer par le juge force exécutoire.

 

3.– Cibler les aides en direction des secteurs porteurs de l’économie

Le tourisme est, à l’évidence, la première activité économique de l’île. Rappelons que ce secteur représente 9,5 % du PIB de la Corse et qu’il est très fortement créateur d’emplois, comme cela a déjà été indiqué en première partie du rapport.

S’il peut être décrit, selon une formule aujourd’hui largement acceptée, comme le moteur du développement de l’île, le tourisme ne saurait toutefois être considéré comme l’unique atout de la Corse, qui peut aussi développer une agriculture performante sous certaines conditions et s’engager dans des voies nouvelles pour diversifier ses activités. La préparation du prochain contrat de plan constitue à cet égard une opportunité à saisir. Il importe que les axes à privilégier soient déterminés clairement en concertation avec la région et en évitant un saupoudrage aussi coûteux qu’inefficace, " la politique du millefeuilles ", pour reprendre les termes du président du Conseil exécutif, M. Jean Baggioni.

Par ailleurs, il convient d’examiner la contribution réelle qu’apporte au développement de l’île son statut fiscal spécifique, ce qui suppose de se livrer à un examen de leur efficacité.

a) Réexaminer le statut fiscal

Les mesures fiscales dérogatoires dont bénéficie la Corse et ses habitants sont, on l’a vu, nombreuses et pour certaines fort anciennes. Alors que les plus récentes ont été justifiées par le souci de contribuer au développement économique de l’île, il apparaît que leurs effets n’ont jamais fait l’objet d’un examen approfondi. Tout indique que cette sédimentation s’est plutôt réalisée parfois sans réflexion préalable ou par octroi de " grain à moudre " concédé à des interlocuteurs insatiables, sans analyse poussée des effets attendus et sans confrontation avec les résultats constatés.

·  L’évaluation sans tabou du statut fiscal dérogatoire est indispensable

Le fait que la Corse est friande de dispositions fiscales dérogatoires et est sentimentalement très attachée à certaines des plus anciennes d’entre elles ne saurait empêcher la communauté nationale de se livrer à l’analyse précise des effets des atteintes au principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques qu’elle a admises au profit de l’île et de ses habitants.

L’évaluation n’est à ce jour pas systématique. Cependant, diverses données laissent à penser que certains éléments de ce statut fiscal particulier sont loin d’avoir atteint leur but.

 La fiscalité indirecte dérogatoire n’empêche pas un haut niveau des prix

Ainsi, l’existence de taux particuliers de TVA et d’une réfaction sur la taxe intérieure sur les produits pétroliers sont sans incidence sur le niveau du coût de la vie constaté en Corse.

Ainsi, le mensuel de l’Union fédérale des consommateurs a publié les résultats d’une enquête nationale sur les niveaux de prix constatés pour 145 produits de consommation courante dans les hypermarchés et les supermarchés. Il apparaît que ce niveau est particulièrement élevé en Corse : par exemple Ajaccio, ville la plus chère de France, se classant au dernier rang des 132 villes visitées par les enquêteurs de l’union.

Comme l’expliquait devant la mission d’information sur la Corse, le directeur général de la concurrence, de la consommation et la répression des fraudes, " les marges sur les produits sont souvent plus élevées en Corse que sur le continent.(…) Les analyses que nous avons faites montrent bien qu’il existe un surcoût lié au transport tout à fait évident. Celui-ci n’explique cependant pas l’écart de prix enregistré d’une manière générale chez le consommateur. Une marge est donc prélevée au passage, vraisemblablement en deux ou trois stades, avant la vente finale au consommateur, et au cours des phases intermédiaires ".

Il n’est pas sûr que l’effort non négligeable que consentent l’ensemble des contribuables français en matière de taux de TVA - qui représente, rappelons-le un coût annuel de 450 millions de francs – doive servir à arrondir les marges de quelques intermédiaires sans profiter au consommateur final.

Est-on sûr également que la fixation du droit de consommation sur les tabacs à un niveau permettant leur vente à des prix largement inférieurs à ceux observés sur le continent soit opportune, ne serait-ce qu’au regard des objectifs de santé publique ?

 Les premiers enseignements de la zone franche ne sont pas encourageants

L’évaluation des effets de la zone franche doit également être menée aussi rapidement que possible. Certes, les enseignements tirés d’une évaluation partielle d’un dispositif destiné à s’appliquer pendant cinq ans peuvent être délicats à tirer. Mais il importe que l’efficacité d’un dispositif qui représente aujourd’hui le tiers de l’effort fiscal consenti en faveur de l’île soit régulièrement appréciée.

D’après une brève étude transmise à la commission d’enquête par la direction générale des impôts, les premiers éléments d’information laissent dubitatif. En effet, ils font apparaître que " la zone franche a entraîné des allégements de charges significatifs qui, dans l’immédiat, ont surtout eu pour conséquence d’améliorer la trésorerie des entreprises ". L’étude montre, en effet, que " la situation des entreprises semble s’être améliorée et avoir facilité le paiement de la TVA. En effet, les recouvrements de TVA ont augmenté de 21,9% par rapport à 1996 alors que le chiffre d’affaires déclaré restait, dans l’ensemble, stagnant. Par ailleurs, le total des dépôts à vue et des dépôts rémunérés dans les banques a progressé de 9% entre le troisième trimestre 1996 et le troisième trimestre 1997. "

 La Cour des comptes doit se voir confier une mission d’évaluation

Cette évaluation doit être systématique et concerner l’ensemble des dispositions dérogatoires, même les plus anciennes et quels que soient les impôts concernés.

L’argument du " maintien des droits acquis " n’est pas recevable sans examen approfondi. Les habitants de l’île ont, au contraire, tout à gagner d’un retour à la normalité fiscale, assortie des seules dispositions dérogatoires dont l’efficacité à l’égard de la compensation des handicaps liés à l’insularité et à l’égard du développement économique durable de la Corse est avérée et contrôlée.

Il ne s’agit, rien de moins, que de revenir au fondement qui justifie le statut fiscal particulier, tel qu’il est défini au premier alinéa de l’article 1er de la loi du 27 décembre 1994 portant statut fiscal de la Corse.

·  L’application de la zone franche doit faire l’objet d’une grande rigueur

Les dispositions relatives à la zone franche ne sont pas, loin de là, exemptes de critiques. S’il ne convient sans doute pas de revenir sur le texte voté, il importe en tout cas de réaffirmer avec force son caractère temporaire et d’annoncer qu’il ne saurait être question de maintenir sans inventaire ni bilan, après 2002, un ensemble de dispositions aussi onéreuses et aussi peu ciblées et dont beaucoup ne constituent que des effets d’aubaine pour leurs bénéficiaires.

Il convient aussi, pour la période d’application de la zone franche, de faire preuve de la plus grande rigueur.

Il a été fait état devant la commission de d’enquête cas de transferts de sièges sociaux fictifs en Corse. La presse locale s’en est également faite l’écho.

Pourtant, dans l’un des quotidiens corses, un agent des impôts souhaitant garder l’anonymat estimait que ce n’était pas seulement l’exonération des bénéfices à hauteur de 400.000 francs qui pouvait susciter de telles dérives, mais aussi le désir " d’échapper à un contrôle fiscal. Elles pensent, parfois à tort, mais aussi à raison, qu’elles ne feront l’objet d’aucune tracasserie de la part des services fiscaux. C’est un effet pervers de l’ambiance qui règne en Corse ! Elles pensent que le laxisme des contrôles allait continuer ". Et le journal de citer quelques exemples troublants, dont certains antérieurs à la mise en place de la zone franche :

    • une société d’import-export de fleurs entre la France et l’Amérique du Sud, SARL au capital de 50.000 francs basée à Besançon et dont le siège social est situé à Monticello ; encore s’agit-il d’une résidence secondaire fermée la plus grande partie de l’année dans laquelle le numéro de téléphone n’aboutit qu’à un répondeur indiquant qu’il s’agit bien du siège social et demandant de laisser un message,
    • une grande entreprise (au capital de 600.000 francs) de construction métallique qui possède plusieurs locaux en Isère et a transféré son siège social d’abord dans le Niolu puis à l’Ile-Rousse en avril 1997 ; le bureau indiqué est toujours fermé et personne ne répond au téléphone,
    • une clinique du continent a installé son siège à Feliceto en 1995,
    • une société de confection, dont le magasin est à Grenoble, a installé son siège à Monticello.

Ces faits troublants doivent à l’évidence faire l’objet d’une attention très rigoureuse de la part des services fiscaux de l’île, d’autant que la loi exclut les exonérations dans ces cas.

Une autre des difficultés d’application de la zone franche est sans doute plus lourde de portée. Il s’agit de la détermination de la part des bénéfices des entrepreneurs individuels qui ouvre droit à exonération. Aux termes de la loi, seule est exonérée, en effet, la part " maintenue dans l’exploitation ". Il a été dit devant la commission d’enquête que le contrôle du respect de cette condition pourrait s’avérer très difficile. Comme le soulignait le SNUI lors de sa conférence de presse : " certains contribuables ont sûrement la tentation de faire apparaître dans leurs déclarations, comme étant demeurés dans l’entreprise, des bénéfices qu’ils ont en réalité appréhendés. Une augmentation de la part du bénéfice non distribué par rapport aux années précédentes pourra être considérée comme un indice de fraude ".

Il importe donc, comme le plaidait ce syndicat, de multiplier les contrôles de comptabilité. Cette rigueur des contrôles est également indispensable du point de vue de l’équité fiscale. Plusieurs témoins entendus par la commission d’enquête ont souligné ce que cette exonération partielle des bénéfices pouvait avoir de socialement injuste si l’on comparait le sort respectif de l’entrepreneur individuel – exonéré jusqu’à hauteur de 400.000 francs – et ses salariés – imposés sur l’intégralité de leurs salaires.

La commission d’enquête considère que cette inégalité flagrante des citoyens devant l’impôt revêt un caractère particulièrement choquant et mérite d’être corrigée.

De même, il apparaît indispensable, dans un évident souci de moralisation, de ne faire profiter des avantages consentis par la zone franche que les entrepreneurs individuels et les entreprises qui rempliraient normalement leurs obligations déclaratives et seraient à jour de leurs dettes fiscale et sociale.

b) Le tourisme : un bien nécessaire

Le tourisme a longtemps constitué un sujet de conflits, une activité mal acceptée tant par une grande partie de la population que par certains opérateurs économiques. Il est pourtant un bien nécessaire.

·  Ni remède miracle pour le développement, ni menace pour l’identité corse

La mission d’information sur la Corse, avait évoqué cette question avec différents représentants de la profession. M. Charles Colonna d’Istria, président du conseil régional des professionnels du tourisme corse et vice-président de la coordination des industries touristiques de la Corse avait décrit en ces termes la situation : le tourisme a toujours été mal considéré, sans doute parce que les éléments nationalistes l’avaient stigmatisé comme quelque chose qui pouvait demain abîmer l’identité corse, voire détruire ses sites, etc. Nous étions considérés, nous acteurs du tourisme, comme des gens extrêmement dangereux. Cette idéologie s’est développée ailleurs, mais ci (en Corse), elle était extrêmement active ; nos élus, pris dans ce système, ont essayé de ménager la chèvre et le chou, mais l’économie est passée au second plan et on a favorisé ceux qui voyaient l’économie comme quelque chose d’étranger à ce qui a toujours fait notre île, c’est-à-dire le fonctionnariat, ou même l’agriculture qui apparaissait comme sympathique et valorisante à une certaine époque. "

La commission d’enquête a cherché, à son tour, à comprendre comment le tourisme était désormais considéré et vécu en Corse. Lors de son audition, un haut responsable en poste dans l’île a indiqué : " Localement, on a eu une perception longtemps hostile ou ambiguë vis-à-vis du développement touristique. Aujourd’hui, certes, tout le monde s’accorde à considérer que le tourisme est le moteur du développement, mais il a fallu deux crises pour qu’on l’on s’aperçoive que le tourisme faisait fonctionner l’économie. Progressivement, on est passé d’un tourisme considéré comme la maladie honteuse de la Corse, à – première crise – un tourisme perçu comme un mal nécessaire, puis à – deuxième crise –- un tourisme moteur du développement. La prise de conscience est à la fois tardive et ambiguë. "

Notons qu’en 1993, le plan de développement s’est attaché à préciser les principes de base ainsi que l’éthique du tourisme en Corse. Le tourisme n’est donc plus un sujet tabou, même s’il n’est pas sûr que chacun en ait la même conception. Il fait, au contraire, l’objet d’une attention nouvelle et positive et semble de plus en plus perçu comme une priorité régionale.

Le tourisme est devenu un secteur prioritaire et occupe une place non négligeable dans le contrat de plan et le plan de développement régional. Au fil du temps, ce thème est devenu de plus en plus présent dans les discours des hommes politiques corses. Lors de la dernière campagne pour les élections régionales en 1998, chacun a développé dans son programme une conception du modèle touristique adapté à l’île. Il existe aujourd’hui, semble-t-il, un accord de principe pour affirmer que ce secteur est un moteur essentiel du développement économique insulaire. La commission d’enquête s’inscrit résolument dans cette optique : le tourisme représente une chance que l’île doit être capable de tourner à son avantage. Il doit constituer un des piliers de la relance économique, compte tenu notamment des retombées positives qu’il peut avoir sur de nombreuses activités insulaires connexes : artisanat, agriculture et commerce. Ceux qui dans le passé récent ont tenté de diaboliser les activités touristiques jugées néfastes pour l’identité corse paraissent aujourd’hui minoritaires.

·  Des atouts à exploiter

Au sein d’un espace méditerranéen fortement urbanisé, un des atouts du tourisme en Corse tient au capital " nature " de l’île qualifiée communément d’" île de Beauté " ou d’" île verte au soleil ". La commission d’enquête, qui s’est rendue à plusieurs missions dans l’île, a pu constater qu’elle est restée largement préservée, et offre de vastes ensembles naturels, notamment littoraux, non urbanisés. Il s’agit d’un des derniers espaces en Méditerranée à se trouver dans cette situation.

Un autre atout essentiel consiste dans le contraste et la diversité des sites et des paysages. La Corse est une île plurielle : la mer, la montagne, la ruralité y sont présentes, alors que d’autres destinations sont loin d’offrir une palette aussi riche de possibilités. La Corse se situe donc dans la catégorie des destinations pluridimensionnelles (et non unidimensionnelles qui n’ont à proposer que la mer et le soleil ...).

La Corse constitue donc une destination typée présentant une forte attractivité pour la clientèle nationale. En revanche, l’île reste encore largement méconnue auprès des pays européens, alors qu’elle bénéficie de la proximité d’importants marchés émetteurs tels que l’Italie du nord ou Munich. Bastia et Ajaccio sont plus proches de Munich – environ une heure de vol – et de Rome – une demi-heure de vol – que de Paris.

L’île bénéficie d’un réseau dense d’infrastructures portuaires assez exceptionnel en Méditerranée. Rappelons l’existence de sept ports de commerce et de quatre aéroports (Ajaccio, Bastia, Calvi et Figari).

Enfin, l’offre touristique est significative, avec une capacité d’accueil de 390.000 lits, ce qui est supérieur à des destinations comparables en Méditerranée.

·  Définir une véritable stratégie pour un modèle touristique adapté à l’île

– Intégrer les activités touristiques dans le développement global de l’île

Un tourisme de qualité intégré dans l’environnement corse, maîtrisé et mieux réparti à la fois dans le temps et l’espace, valorisant le potentiel naturel et culturel de l’île pourrait être un atout primordial pour le développement durable et équilibré de la Corse. L’île doit être capable de garder la maîtrise de son développement touristique. Les outils juridiques existent pour cela. Le " tout tourisme " serait aussi néfaste pour elle que le refus des activités touristiques. Les actions touristiques doivent, en outre, s’intégrer dans un effort de programmation d’opérations structurantes qui dépassent le seul secteur du tourisme pour s’insérer dans un projet global de développement insulaire.

– Pour un tourisme respectueux de l’environnement

La commission d’enquête a, lors d’un déplacement dans le sud de l’île, rencontré des responsables d’associations de protection de l’environnement. Elle a pu constater que celles-ci faisaient preuve de la plus grande vigilance en la matière, même si, dans leurs batailles en faveur d’un meilleur respect du droit de l’urbanisme par exemple, les rapports de force leur sont souvent défavorables dans le contexte local eu égard à l’importance des enjeux économiques.

– Pour un tourisme résolument diversifié

La commission d’enquête plaide pour que les aides économiques s’adressent en priorité aux entreprises touristiques et notamment hôtelières ayant fait le pari de la qualité et de la modernité. Il convient d’aider les opérateurs porteurs de véritables projets. Ceux-ci ont jusqu’ici fait cruellement défaut, alors même que la demande touristique s’est modifiée et se tourne aujourd’hui vers des types de tourisme diversifié. Le tourisme vert, le tourisme rural, le tourisme sportif, le tourisme culturel représentent autant de pistes qui pourraient être développées en Corse, sans que les paysages de l’île n’en soient d’ailleurs aucunement altérés. La clientèle recherche de moins en moins des produits " secs " et de plus en plus des activités d’animation aussi bien sportives que culturelles et de loisirs. L’offre actuellement proposée ne peut satisfaire ceux des touristes, de plus en plus nombreux, qui recherchent des produits de pleine nature avec un hébergement adapté.

– Pour une meilleure action de communication

De même, une des pistes de réflexion consiste à élaborer des projets destinés à élargir la saison touristique au-delà des seuls mois de juillet et d’août afin que la fréquentation touristique puisse être " lissée " de mai à septembre. L’action de communication semble encore insuffisante. L’agence du tourisme de Corse (ATC) devrait pouvoir lancer des actions de diffusion de l’information systématiques afin d’attirer une clientèle plus diversifiée au cours d’une période plus étendue.

Comme le soulignait récemment le préfet Bernard Bonnet, " trois grands marchés insulaires sont insuffisamment développés : le tourisme de luxe, intégré à un environnement de qualité, celui qui est dévolu au troisième âge et celui qui draîne une clientèle de congrès. "

– Développer l’ingénierie et le conseil aux entreprises touristiques

Il faut également s’attacher à développer le conseil, l’assistance et le soutien techniques. Il s’agit d’actions qui ne sont pas nécessairement très onéreuses, mais qui doivent se poursuivre dans le temps. Le plan concerté d’actions touristiques représente à cet égard une voie à explorer.

– Créer et renforcer les structures intercommunales

Il faut, enfin, faire prendre conscience aux responsables corses que le tourisme se soucie peu des divisions administratives et / ou politiques. Les bassins d’accueil touristiques ne coïncident pas, la plupart du temps, avec des découpages communaux. La faiblesse en Corse des structures intercommunales ne facilite nullement des actions touristiques concertées. Un effort de regroupement de certaines petites communes tant sur le littoral qu’à l’intérieur serait certainement bénéfique et aurait des retombées touristiques, et donc économiques et en termes d’emplois, qu’il ne faut pas négliger.

– Mieux adapter l’offre touristique à la demande

Cette capacité d’accueil est cependant déséquilibrée par l’importance prise par l’hébergement non professionnel. Or, ce type d’hébergement, qui répond parfois à la demande, notamment dans le domaine du locatif et dans le cas des résidences secondaires, est encore mal mis en marché. Ainsi l’offre ne rencontre la demande que durant la haute saison, ce qui contribue à la saisonnalité de l’activité touristique et n’apporte pas de très importantes retombées en termes de création d’emplois. Au sein de l’hébergement professionnel, qui représente 127.000 lits, le camping est l’hébergement dominant. La taille moyenne des établissements est assez proche et même supérieure à celle de la moyenne nationale. En France, les hôtels comptent en moyenne vingt-quatre Chambres. En Corse, ils en comptent trente-et-une.

En revanche, il n’existe pas dans l’île de très gros établissements et il n’y a pratiquement pas d’hôtels de chaînes. La seule différence notable avec l’offre touristique nationale moyenne est l’importance prise en Corse par les villages de vacances dans la part de l’hébergement marchand : 19 % en Corse contre 4,7 % au plan national. La part dans l’hébergement total atteint 6,18 % en Corse et seulement 1,4 % en moyenne nationale. Notons la subsistance d’un déséquilibre dans la capacité d’accueil entre le littoral et l’intérieur, doublé d’une concentration sur quelques secteurs du littoral seulement. Ces carences pourraient être comblées grâce à une action de planification associant les différents partenaires du secteur touristique.

– Un effort de planification à poursuivre

* L’absence de document opérationnel est préjudiciable au développement harmonieux du secteur touristique.

Certains professionnels considèrent aujourd’hui que le plan de développement de 1993 s’est borné à déterminer les principes de base et les objectifs généraux les plus consensuels. Il manque à l’évidence un véritable document opérationnel d’ensemble définissant une stratégie de développement et constituant un cadre de référence pour les professionnels. Par exemple, alors que le constat n’est pas nouveau, les retards structurels en matière d’équipements d’animation et de loisirs ne sont toujours pas comblés. L’absence de politique cohérente de développement touristique explique que le tourisme n’ait pu exploiter les opportunités de financement national ou européen en matière d’équipements touristiques structurants. Les réalisations en ce domaine comme le Palais des congrès à Ajaccio se font en dehors des interventions publiques.

Un professionnel en charge du tourisme en Corse a estimé devant la commission d’enquête, " le plan de développement de la Corse mentionne la nécessité d’établir un schéma d’aménagement et de développement du tourisme et des loisirs, mais ce document fait défaut et il manque un chaînon entre le plan de développement de la Corse et les dispositifs d’aide. Or, c’est ce chaînon manquant qui, à mon avis, est important. "

* Il convient de remédier à la sous-consommation des crédits publics destinés au tourisme.

Le contrat de plan État-Collectivité territoriale en cours d’exécution prévoit un total de crédits de 38,3 millions de francs pour le tourisme. Au 31 décembre 1997, ces crédits n’avaient été utilisés qu’à raison de 13,3 millions de francs (soit 34,64 %). Certaines actions n’avaient pas ou peu été mises en oeuvre. Au 31 décembre 1997, les opérations en matière d’hôtellerie de caractère n’avaient pas du tout été entamées, les crédits pour les circuits touristiques avaient été consommés à hauteur de 13,9 % et ceux pour les auberges rurales à hauteur de 13,3 %.

La sous-utilisation des crédits est donc manifeste et s’explique en partie par la lourdeur et la complexité des procédures administratives.

* Il faut faire le pari de la qualité.

Pour tenter de répondre aux besoins du tourisme en Corse, un programme concerté d’actions touristiques a été signé le 23 avril 1997 par le préfet de Corse et le président du Conseil exécutif de Corse. Son enveloppe s’élève à 47,6 millions de francs sur trois ans financé à raison de 15,7 millions par l’État et 15,7 millions par la Collectivité territoriale, le reste étant apporté par les crédits européens (6,25 millions de francs), les collectivités locales et les Chambres de commerce. L’élaboration de ce programme est issue d’une démarche parteneuriale qui s’est voulue exemplaire entre la délégation régionale au tourisme, l’agence du tourisme, l’ADEC, les Chambres de commerce notamment.

Ce programme vise à compléter et amplifier les dispositions du contrat de plan État-Collectivité territoriale en cours d’exécution, en mettant l’accent sur le soutien des outils modernes de l’économie touristique et en associant le plus étroitement possible les partenaires publics et les professionnels concernés.

Il se présente comme un véritable instrument de développement des entreprises touristiques ainsi que d’organisation de l’offre et de sa mise en marché. Il est moins un catalogue d’aides qu’une tentative de valorisation dans le cadre d’un partenariat suivi des mesures de soutien technique aux industries touristiques. Celles-ci doivent s’insérer dans une démarche d’entreprise. Alors que le contrat de plan est réservé à tous ceux qui entreprennent une action dans le secteur du tourisme sur la base de priorités régionales, le programme concerté d’actions touristiques répond à une démarche individuelle de qualité.

Deux types de contrats ont été proposés dans ce cadre : les contrats de développement des entreprises touristiques, et tout particulièrement celles relevant du secteur hôtelier et les contrats de développement territorial qui traitent de la dimension touristique au plan des espaces et notamment des bassins d’accueils et des plans de gestion des sites.

Quant aux programmes européens, ils sont au nombre de quatre. Le Document unique de programmation (Docup) intervient en soutien des mesures principales du contrat de plan État-Collectivité territoriale de Corse, selon le principe de subsidiarité. Son aide représente 64,76 millions de francs au titre du FEDER. Les trois autres grandes actions de l’Union européenne se traduisent par des opérations financées par le PIC LEADER, par le PIC Interreg associant la Haute-Corse et le province de Livourne, et par le PIC Interreg II, qui concerne la Corse-du-Sud et la province de Sassari.

Un professionnel du tourisme interrogé par la commission d’enquête a expliqué, " le contrat de plan est destiné à aider celui qui a des difficultés ou tout pétitionnaire qui présente un projet et qui remplit les conditions. Le programme concerté d’actions touristiques est une procédure contractuelle de développement et de recherche de l’excellence. Pour caricaturer, avec ce programme, on aide les bons, on tire le tourisme vers le haut. Pour ce faire, on met en place un dispositif de diagnostic-action dans les différents secteurs en matière de formation, on développe un contrat de développement des entreprises, précédé d’un audit. Le chef d’entreprise s’engage à réaliser un certain nombre d’actions en contrepartie desquelles il obtient des soutiens financiers mais aussi et surtout techniques. Il a une stratégie d’entreprise. "

La commission d’enquête considère que la démarche qui avait été initiée avec la signature du programme concerté d’actions touristiques doit être poursuivie et approfondie. C’est en recherchant des actions de partenariat entre les acteurs publics et les opérateurs privés, en privilégiant la qualité et en visant l’excellence, que le secteur du tourisme pourra entraîner l’économie insulaire dans un cercle vertueux.

c) Des filières de production agricole à renforcer et à rénover

La situation des filières de production a fait récemment l’objet d’un rapport, qui en dresse un " état de lieux " et suggère un certain nombre d’orientations. Pour sa part, la commission d’enquête a noté au cours de ses travaux que la filière viticole était la plus fréquemment citée par de nombreux interlocuteurs comme étant la plus prometteuse dans l’île. En outre, les filières animales et celle des agrumes connaissent des sorts divers et recouvrent des situations très différentes.

·  Les bons résultats de la filière viticole et des perspectives de commercialisation assez favorables

La vigne fait partie du patrimoine culturel et économique de l’île. Dès la fin du XVIII ème siècle, elle occupait 9.800 hectares pour atteindre 19.600 hectares en 1879. Dans les années 1960-1976, avec l’arrivée des rapatriés d’Afrique du Nord, le vignoble a connu une extension très importante, avec la plantation de 20.000 hectares remplaçant des friches et du maquis, notamment dans la plaine orientale. Des unités de productions de taille significative sont alors apparues, et ont cherché à obtenir des rendements très élevés à partir de cépages extérieurs, et en recourant de façon systématique à la chaptalisation. Trois facteurs ont contribué au décroissement quantitatif du vignoble : la suppression de la chaptalisation en 1972, la restructuration vers la qualité du vignoble en Languedoc-Roussillon et le déclin de la demande des vins de coupage. Les stocks devinrent très importants. Les arrachages primés firent disparaître plus de 22.000 hectares entre 1976 et 1989, dont 75 % sont, depuis, retournés à la jachère ou à la friche.

Fort heureusement, cette chute des surfaces et des exploitations s’est accompagnée d’une restructuration du vignoble vers la qualité grâce à une réorientation variétale importante, à la modernisation des unités de vinification et à la promotion des vins d’appellation d’origine contrôlée et des vins de pays de l’île de Beauté.

Aujourd’hui, le vignoble occupe une superficie de l’ordre de 7.500 hectares dont 7.030 hectares en production. La majeure partie du vignoble se situe en Haute-Corse principalement dans la plaine orientale. La production a été, en 1996, de 371.400 hectolitres pour 455 déclarants dont 88.900 hl d’AOC (24 %), 160.500 hl de vins de pays de l’Ile de Beauté (43 %), et 122.000 hl de vin de table (33 %). Les neuf appellations d’origine contrôlée de Corse ont représenté, pour le millésime 1996, 88.900 hectolitres agréés, dont 11 % de vins blancs, 34 % de vins rosés, 53 % de vins rouges et 2 % de muscat. 43 % de ce volume a été vinifié en caves particulières et 57 % au sein de structures coopératives.

La Corse, qui représente moins de 1 % de la production nationale, ne risque donc pas de compromettre l’équilibre du marché français. En revanche, les vins sont d’une importance vitale pour l’agriculture de l’île : ils procurent un tiers des livraisons totales de l’agriculture régionale et la moitié des livraisons du secteur végétal.

La viticulture corse possède des atouts indéniables. Des terrains à vocation viticole facilitent l’obtention de productions de qualité. La richesse de cépages locaux permet une forte typicité et donne d’excellents vins. La tradition de la culture de la vigne est fortement ancrée dans la patrimoine culturel. Le vignoble a été restructuré à 61 % dans le sens de la production de vins de qualité. Des outils de vinification ont été modernisés et sont techniquement performants. Le marché local, important, est rémunérateur. Les unités de commercialisation ont une taille adéquate.

En revanche, ce secteur doit faire face à des handicaps réels liés notamment à la faiblesse des rendements moyens – ce qui rend nécessaire une bonne valorisation –, à la faible notoriété des vins corses et à l’éloignement des marchés de consommation. Le marché local absorbe 40 % de la production totale et 60 % de la production AOC. Mais ces résultats demeurent très dépendants de la réussite des saisons touristiques, les touristes de visite dans l’île consommant ces productions.

Les réorientations à mettre en oeuvre dans ce secteur consistent dans la poursuite les restructurations du vignoble, le maintien du potentiel actuel de production, enfin, la modernisation des caves individuelles et des coopératives.

Le marché continental s’ouvre progressivement aux vins corses. Cependant, la concurrence y est très forte, notamment dans les régions de production viticole. La coordination de l’action commerciale entre les caves individuelles et les coopératives s’avère nécessaire et doit être également recherchée sur le plan des transports. Il faut en effet que les viticulteurs privilégient les transports par groupage qui permettent de diminuer les coûts. De même, il convient de mettre en place des possibilités de stockage importantes sur le continent. Un entreposage dans de bonnes conditions constitue un argument commercial essentiel.

Les actions promotionnelles actuellement assez limitées pourraient certainement être développées.

·  Des filières fruits et légumes prometteuses mais largement concurrencées par les pays gros producteurs

La filière fruits et légumes de Corse occupe une place très importante dans l’ensemble de l’agriculture insulaire. Elle représentait, en 1996, une production de 73.000 tonnes pour une superficie de 8.300 hectares. La production agricole correspondante est de 254,5 millions de francs soit 30 % environ de la production finale. A côté des légumes, qui représentent 20.000 tonnes par an, la production de fruits comprend essentiellement des agrumes (25.000 tonnes) et des kiwis (12.600 tonnes), ou des amandes et des prunes d’Ente (14.500 tonnes).

Il faut cependant noter que la filière des clémentines corses connaît actuellement une situation très difficile du fait notamment de la concurrence principalement espagnole. Le rapport de production reste très défavorable. En effet, la production corse ne représente que 10 % de la production espagnole, et les coûts de production et de mise en marché restent élevés dans l’île. En outre, la demande du consommateur a évolué dans le sens d’une qualité accrue tant pour l’aspect extérieur des fruits que celui du goût. Les deux dernières campagnes 1996/1997 et 1997/1998 se sont déroulées dans de mauvaises conditions, ce qui a entraîné un certain découragement des producteurs.

Les points faibles de cette filière tiennent tout d’abord à la modicité du volume (25.000 tonnes), à comparer aux productions espagnoles, marocaines ou italiennes. D’ailleurs, la clémentine corse ne représente que 8 % de la consommation française. Les producteurs sont insuffisamment informés, tandis que les opérateurs paraissent trop nombreux pour la mise en marché. En d’autres termes, la clémentine corse se fait concurrence à elle-même. De plus, les contraintes liées à la position insulaire gênent le développement de la commercialisation. Il est devenu primordial que l’offre corse vise un haut niveau de qualité.

Pour dynamiser cette filière, il convient de développer des variétés adaptées sur des arbres sains. D’après des estimations récentes, un millier d’hectares de vergers de variétés inadaptées serait à rénover. Il faut par ailleurs d’établir un cahier des charges de la qualité et le faire respecter. Aujourd’hui, les opérations d’agréage restent sommaires : les vergers ainsi que le travail qui y est effectué sont traités de manière indifférenciée. La qualité de la clémentine corse est, pour l’heure, simplement définie par une échelle de diamètres sur laquelle est basé le paiement des producteurs-apporteurs. Les opérations de promotion doivent également se développer pour améliorer l’image de la clémentine corse auprès des opérateurs et du consommateur final.

Quant aux vergers d’amandes, ils recouvrent aujourd’hui 665 hectares et devraient représenter à terme 40 % de la superficie totale française organisée. Des investissements importants ont été réalisés dans ce secteur (halls de conditionnement, Chambres froides, chaînes de conditionnement). Toutefois des dissensions sont apparues au sein de la COREPAC, le groupement de producteurs créé en 1991. Les querelles au sein de cette filière ont sans doute ralenti son développement, tandis que la situation du marché mondial dominé par les États-Unis et l’Espagne (85 % et 13 % respectivement des parts de marché) est fortement concurrentiel. La France produit 1.300 tonnes de coques pour 60.000 tonnes d’importation, ce qui peut constituer un atout pour la Corse, si elle parvient à orienter sa production vers des créneaux porteurs sur le marché français : les amandons en divers conditionnements, la pâte d’amande, la crème d’amandons.

Notons également les perspectives des filières oléicole (huile d’olive), voire de la châtaigne.

·  Des potentialités à développer en matière de productions animales

La filière bovine n’est pas dépourvue d’atouts. Avec 64.000 bêtes (2/3 en Haute-Corse et 1/3 en Corse du Sud), dont 44.000 vaches allaitantes, regroupées dans 1.172 élevages, le troupeau bovin a connu une extension spectaculaire depuis le début des années 1970 (les effectifs ont été multipliés par deux). Il est certain que la mise en place d’un système de primes à l’animal n’a pas été étranger à cette évolution. Depuis la publication du rapport Jacquot, un effort d’identification animale bovine a été entrepris en Corse. La poursuite de cet effort paraît indispensable.

Une des difficultés actuellement rencontrées par cette filière tient dans l’insuffisance de fourrages et d’aliments complémentaires produits sur place. 11.000 à 14.000 tonnes de fourrages sont importées chaque année du continent. Il serait opportun d’assurer une production suffisante au niveau local. En outre, le réseau des abattoirs doit être développé de façon urgente.

Quant à l’organisation collective des éleveurs, elle est structurée autour de deux associations départementales. Dans le rapport déjà cité sur la situation des filières de production, il est indiqué que les efforts doivent porter, à l’avenir, sur l’appui technique aux producteurs qui doivent se montrer " plus autonomes et davantage responsabilisés sur leurs choix économiques ".

Quant à elle, la filière porcine peut encore se développer. La Corse dispose en effet d’un élevage porcin modeste rapporté à la surface de la région. La finalité principale de cet élevage est de produire une charcuterie corse de grande qualité selon des procédés souvent ancestraux. Cette production ne rencontre d’ailleurs aucun problème de débouchés malgré des niveaux de cours élevés. La filière comporte des atouts réels. Le marché de la charcuterie apparaît porteur. Les techniques de fabrication traditionnelles sont parfaitement maîtrisées et la production permet une bonne occupation de l’espace. Néanmoins, plusieurs facteurs constituent des freins au développement de ce secteur. La mésentente professionnelle entre le Nord et le Sud a perduré. Le rapport de mai 1998 sur la situation des filières de production note : " la situation actuelle est marquée dans cette filière par des antagonismes vivaces entre les deux départements, au niveau des organismes consulaires, quant à la vision du développement à envisager. Ceci se traduit sur le terrain par des actions parfois divergentes voire par une inaction néfaste à l’ensemble des producteurs ". De plus, l’indivision, dont il a déjà été question dans des développements antérieurs, entrave la délimitation parcellaire clôturée des terrains. Les élevages souffrent d’un manque de suivi sanitaire patent. Enfin, les éleveurs ont toujours une réticence à diriger les animaux vers un abattoir, notamment en Haute-Corse.

Elevage traditionnel de l’île, en déclin depuis le début du siècle, la filière ovine et caprine s’est redressée à partir des années 70, grâce à la présence d’un fort noyau d’éleveurs professionnels, à l’impulsion donnée à la production fromagère par la fabrication de Roquefort et aux fabrications typiques de l’île (corsica, tomme corse, brocciu) et aux produits méditerranéens comme la fêta. Mais, dans le domaine de l’élevage, des faiblesses notoires apparaissent en matière de sélection, d’identification et de suivi des troupeaux.

Cet aperçu rapide des principales filières de l’agriculture corse montre que cette dernière n’est nullement dépourvue d’atouts. Si elle ne constitue pas un secteur économiquement très significatif (rappelons que l’agriculture ne contribue qu’à hauteur de 2 % au PIB de la Corse), elle peut néanmoins devenir plus compétitive à une double condition : que les exploitations viables s’engagent dans des opérations de modernisation et que les producteurs et les éleveurs s’organisent et se regroupent de façon plus efficace qu’aujourd’hui.

Les discours sur l’état de l’économie insulaire se focalisent, la plupart du temps, autour des secteurs de l’agriculture et du tourisme ; pourtant ceux-ci ne représentent pas les deux seules voies possibles de développement. Certaines entreprises de nouvelles technologies pourraient s’implanter en Corse. De même, l’île pourrait devenir le cadre d’activités de recherches universitaires au niveau européen et international. Un ancien préfet de Corse entendu par la commission d’enquête s’exclamait : "Il faut offrir de la hauteur. Je pense que c’est par les sommets que l’avenir se dessine, en particulier pour la jeunesse qui est, là-bas, désoeuvrée et en attente. Il faut miser sur l’intelligence, (…) un développement économique, les technologies avancées, des activités universitaires, de grandes recherches internationales valorisant les grands centres de recherche européens (…), l’Europe en Méditerranée, la politique de l’environnement, l’art de construire, l’art de vivre. "

Un ancien ministre de l’Intérieur auditionné par la commission a développé le point de vue suivant : " le problème de fond est de savoir quelles sont les perspectives de développement économique de la Corse. S’il n’y en avait pas, je ne dirais pas que je suis optimiste. Mais il y en a une et demi : le tourisme et l’informatique, qui permet la localisation d’activités intellectuelles à peu près n’importe où, en particulier dans les endroits agréables. Or, la Corse est un territoire vierge.(…) Pour ce qui est des activités intellectuelles, lorsqu’on voit ce qui se passe dans certaines régions des États-Unis – où les gens s’installent dans un endroit pour travailler parce qu’ils y sont bien – , on peut penser que la Corse a aussi un avenir : le jour où la population et les élus corses prendront conscience que la Corse peut, avec les chances que lui offre son retard historique, choisir un nouveau type de développement qui correspond à des aspirations considérables (…). Par sa proximité, s’offrent à la Corse des perspectives formidables. "

4.  La dépense publique au service du développement : l’exemple des transports

La dotation de continuité territoriale revêt, on l’a vu, une grande importance tant en raison de son montant que de ses incidences sur la vie économique et sociale de la Corse. Pour autant, il semble que c’est trop souvent à sa gestion et aux critiques qu’elle peut susciter que se résume, dans l’île, le débat sur les transports. Pourtant, l’amélioration des transports intérieurs et une analyse plus multimodale de la question s’avère indispensable.

a) La gestion de la continuité territoriale doit être améliorée pour préparer les échéances communautaires

Au cours des tous prochains mois, c’est le transport maritime qui, du fait des échéances européennes, va vraisemblablement susciter les débats les plus vifs. Malgré les critiques, pas toujours fondées, du dispositif actuel, il convient de reconnaître qu’il a largement rempli ses objectifs. Il n’en demeure pas moins que les échéances communautaires devront être préparées avec attention, cette préparation passant d’abord par la poursuite du redressement de la SNCM

·  Le redressement de la SNCM doit être poursuivi

La SNCM, qui assure l’essentiel du transport maritime entre le continent et la Corse, traverse une phase difficile, marquée par de lourdes pertes constatées en 1995 et 1996.

Un nouveau président a été nommé en février 1998. Dans la lettre de mission qu’ils lui ont adressé, MM. Dominique Strauss-Kahn et Jean-Claude Gayssot lui assignent comme mission essentielle de faire en sorte que la SNCM " soit en mesure de concourir et de remporter l’appel d’offres communautaire, afin de poursuivre par ce moyen la mise en œuvre de la mission de service public de continuité territoriale ". Pour ce faire, ils lui confient la mission d’élaborer dans les meilleurs délais le plan d’entreprise de la société, en concertation avec les personnels et ses représentants et donc de " proposer (…) et de mettre en œuvre les conditions du redressement de la SNCM "

Ce plan d’entreprise est en cours d’élaboration et devrait être soumis au comité d’entreprise de la compagnie à la rentrée. L’ambition de ce plan est triple : être retenue à l’issue de l’appel d’offres de 2001, développer ses activités en Méditerranée et préserver l’emploi des personnels en place. Sur ce dernier point, l’amélioration de la productivité interne, qui est reconnue comme indispensable, sera recherchée sans recourir aux départs autoritaires de personnels, qu’ils soient sédentaires ou navigants.

Même en l’absence d’échéances européennes majeures, le redressement de la SNCM est impératif, une entreprise publique n’ayant pas vocation à rester durablement déficitaire. Mais, les échéances européennes le rendent encore plus pressant, puisqu’il apparaît que le temps est compté à la compagnie.

·  Les échéances européennes doivent être soigneusement préparées

Les conditions de la desserte maritime de la Corse vont être au cours des toutes prochaines années profondément bouleversées par deux échéance majeures dictées par le règlement communautaire du 7 décembre 1992 concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime).

La première est très proche puisque, à partir du 1er janvier 1999, les liaisons maritimes avec les îles de la Méditerranée, qui bénéficiaient depuis 1993 d’une dérogation, seront libéralisées. Cela signifie que, dès l’année prochaine, des compagnies battant pavillon communautaire pourront proposer des services entre le continent et la Corse, à condition de respecter les règles d’équipage françaises, sans pouvoir cependant prétendre à une quelconque subvention.

La seconde interviendra au 31 décembre 2001, date à laquelle les actuelles concessions de service public conclues en 1976 arriveront à expiration. Ainsi, toute compagnie battant pavillon communautaire, mais respectant les règles d’équipage françaises, pourra être candidate pour participer au service public tel qu’il sera défini par la Collectivité territoriale de Corse.

Contrairement au transport aérien, la réglementation communautaire relative à la desserte maritime des îles apparaît imprécise quant aux modalités pratiques de mise en œuvre du service public. La seule obligation impérative est qu’un État, qui souhaite conclure des contrats de service public ou se contenter d’imposer des obligations de service public, doit le faire sur des " bases non discriminatoires à l’égard de tous les armateurs communautaires ".

Le principe de mise en concurrence est donc affirmée. De toute façon, il découlerait en droit français de l’application de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence des procédures économiques qui impose une mise en concurrence préalable avant toute décision d’octroi d’une concession de service public.

Cette mise en concurrence n’est pas que théorique. Comme l’expliquait un responsable de la SNCM devant la commission d’enquête : " Compte tenu de l’apparition du Trans-Manche, des Européens du nord sont capables d’amener sur cette destination, pour trois ou cinq ans, des ferries largement amortis mais en très mauvais état. Ils n’auront pas l’obligation d’investir, contrairement à nous qui opérons sur une longue période. Des sociétés arrivant avec des bateaux amortis peuvent très bien travailler au coût marginal. "

L’ouverture à la concurrence pose dès lors deux problèmes qui ne sont, à ce jour, pas réglés.

 Le problème des règles d’équipage qui seront appliquées

Le premier concerne les règles d’équipage qui seront appliquées à l’éventuel armateur communautaire qui proposerait ses services. Actuellement, le règlement de 1992 prévoit que ce seront les règles de l’État d’accueil, en l’occurrence la France. Cependant, la pression des armateurs de la mer du Nord est très forte et la Commission européenne propose de revenir au droit commun du cabotage communautaire, à savoir les règles d’équipage de l’État d’immatriculation des navires, pour le transport de marchandises et pour les lignes régulières de passagers et de transbordeurs. L’enjeu est considérable puisque, dans ce dernier cas, seul un pourcentage minimum de marins communautaires pourrait être imposé. Les conditions de la concurrence auxquelles seraient soumises les compagnies françaises, obligées naturellement de respecter les règles d’équipage françaises, en seraient gravement bouleversées.

Il importe donc que le gouvernement soit attentif au déroulement de la négociation communautaire et plaide pour le maintien de la référence aux règles de l’État d’accueil.

 Le problème de la consistance du service public

Le second problème est celui de la consistance exacte du service public qui fera l’objet d’une concession à partir de 2002.

Les responsables insulaires ont réclamé, au cours des dernières années, une modification de certains articles de la loi du 13 mai 1991, revendications qui avaient reçu un accueil favorable des précédents gouvernements mais qui ont été abandonnées devant la pression des compagnies concessionnaires.

La principale modification demandée portait sur l’article 73 de la loi qui est interprété comme intégrant dans le service public l’intégralité des liaisons maritimes telles qu’elles figurent dans les conventions de 1976. La modification aurait eu pour objet de donner à la Collectivité territoriale de Corse une plus grande liberté dans la définition de la consistance du service public. Dans un entretien à un journal local, M. François Piazza-Alessandrini, président de l’office des transports, expliquait ainsi " qu’il n’est pas déraisonnable de penser à l’avenir à un service correspondant à la stricte satisfaction des besoins vitaux de la communauté insulaire, les flux estivaux relevant alors de la libre concurrence ".

Même s’il semblerait que les dispositions législatives existantes laissent déjà à la Collectivité territoriale de Corse une grande latitude pour déterminer les lignes ou les périodes de l’année qui seront englobées dans le service public, ce choix ne serait pas neutre comme l’expliquait un responsable de la SNCM : " Il convient d’abord de connaître le contenu de l’appel d’offres. S’il s’agit d’un appel d’offres global recouvrant à la fois le fret et le transport de passager, et pour ce dernier, en toutes saisons, la société est bien placée pour l’emporter. En revanche, si, comme le souhaitent certains, il s’agit d’un appel d’offres par secteur, pour trois ou cinq ans, excluant les lignes et les périodes les plus rentables, c’est très mauvais pour nous. Il est clair qu’un certain nombre d’entreprises, ayant pour seul objectif le profit à court terme, se placeront avec des bateaux amortis. Elles écrémeront le trafic et, lorsqu’elles auront réalisé des profits, partiront. La puissance publique devra alors ensuite subventionner les lignes déficitaires. Lancer des appels d’offres ligne par ligne et période par période peut présenter un intérêt, mais à moyen terme et globalement, cela posera un problème. Nous sommes tout à fait d’accord pour être mis en concurrence, – nous sommes actuellement aiguillonnés par Corsica Ferries et cela nous fait du bien – mais si cela devait aller plus loin, si les secteurs les plus intéressants étaient exclus de la continuité territoriale, de sorte que nous ne puissions plus réaliser l’été des bénéfices nous permettant de combler les périodes creuses, cela pourrait conduire à la catastrophe. "

Dès lors, la plus grande prudence est de mise dans la détermination de ces choix fondamentaux. La Collectivité territoriale de Corse doit être consciente que le sort des compagnies maritimes aujourd’hui concessionnaires ne concerne pas que la Corse.

En effet, la SNCM est, avec 1.400 navigants, le premier employeur maritime français. Son activité – comme celle de la CMN d’ailleurs – n’est pas cantonnée à la desserte de la Corse, même si celle-ci représente une part importante de son chiffre d’affaires. Elle a aussi des retombées à l’autre extrémité des liaisons Corse-continent, c’est-à-dire en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Enfin, l’État, qui est son seul actionnaire, ne peut se désintéresser de sa santé financière largement tributaire de la mise en œuvre de la continuité territoriale.

b) Une réflexion multimodale doit être encouragée

Le dernier chapitre du rapport du Sénateur Oudin avait été opportunément intitulé " de l’obsession de la continuité territoriale à la primauté du développement économique ". C’était souligner que le développement de l’île exigeait aussi une réflexion globale sur l’organisation des transports, tous modes confondus, qui dépasse le seul problème des liaisons entre la Corse et le continent.

Seule une telle approche permettrait aujourd’hui d’unifier la Corse et de mieux l’insérer dans son environnement géographique naturel, qui intègre aussi la Toscane et la Sardaigne. A cet égard, l’amélioration des liaisons entre Bastia et Ajaccio (éventuellement par le percement d’un tunnel) et la mise en place d’un axe nord-sud dans la plaine orientale sont quelques unes des grandes infrastructures suggérées, en attendant peut-être un pont entre la Corse et la Sardaigne séparées par seulement une dizaine de kilomètres.

Comme le soulignait le rapport du Sénateur Oudin, " multimodalité et dispersion des structures sont antinomiques ". L’organisation et la coordination des flux de transports n’est, en effet, possible que si ceux-ci atteignent une certaine importance, qui ne peut être atteinte que par leur concentration, dans une île aussi petite et aussi peu peuplée, sur une ou deux plates-formes ou un ou deux axes seulement.

Rien n’empêchait les responsables insulaires d’engager cette réflexion multimodale. La lenteur d’exécution du schéma directeur des routes nationales de Corse et le tabou observé sur la multiplicité des ports et aéroports montrent que cette réflexion n’a jamais été ébauchée.

Les orientations prévues par le projet de loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire constituent une opportunité à saisir. En effet, ce projet de loi assigne à chaque région, et donc à la Corse, le soin d’élaborer un " schéma régional des transports " qui devra avoir " pour objectif prioritaire d’optimiser l’utilisation des réseaux et équipements existants et de favoriser la complémentarité entre les modes de transport et la coopération entre les opérateurs en prévoyant, lorsque nécessaire, la réalisation d’infrastructures nouvelles ".

Cet encouragement à la réflexion multimodale ne doit pas pourtant être l’occasion de revenir sur l’une des revendications récurrentes de la Collectivité territoriale, à savoir la " déspécialisation " de la dotation de continuité territoriale. Cette revendication consiste, en effet, à faire de cette dotation une ressource ordinaire de la Collectivité et d’élargir son affectation à tous les modes de transport – sont notamment visés les investissements routiers – ou toute opération à caractère économique.

Sauf à ce que l’État accepte d’augmenter la dotation de continuité territoriale, on imagine mal comment un élargissement de son objet ne se traduirait pas par une diminution des subventions versées aux compagnies concessionnaires. Dès lors, cette diminution risquerait d’entraîner une détérioration de leur situation financière, puisque les contraintes nées du service public seraient moins bien compensées, à charge pour leurs actionnaires de les recapitaliser un jour ou l’autre. Au contraire, si les compagnies parviennent grâce à leurs efforts de productivité à supporter cette diminution, cela signifierait que la Collectivité territoriale de Corse serait la bénéficiaire exclusive d’efforts auxquels elle n’aurait pris aucune part.

Les moyens financiers qui pourraient être rendus nécessaires par le futur schéma multimodal trouveraient, au contraire, tout naturellement leur place dans le futur contrat de plan ou la prochaine programmation communautaire.

5.– Pour un réexamen sans tabous de la politique culturelle et de l’enseignement

Diversifiée et profonde, la culture corse recèle certains aspects d’une richesse exceptionnelle qui force l’admiration. Elle est le substrat de l’identité corse et ne saurait être considérée comme un danger pour la République. L’opinion de la commission d’enquête est qu’au contraire, cette dernière doit faciliter l’expression et les manifestations de cette culture vivante et généreuse. Parallèlement, un effort important doit être accompli afin d’optimiser un système éducatif qui reste encore largement perfectible.

a) Pour un système éducatif performant

Avant d’évoquer les spécificités de l’académie de Corse, il convient de relever que celle-ci semble aujourd’hui sortir d’une période relativement incertaine.

·  Une gestion administrative en voie d’amélioration

L’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale indique, dans un rapport établi à la suite d’une mission effectuée en Corse du 3 au 5 mars 1998, que " l’administration de l’Education nationale en Corse fonctionne correctement nonobstant des points à encore améliorer ". Les inspecteurs ont en effet considéré que la place et le rôle du rectorat et des deux inspections d’académie étaient correctement tenus.

En 1991, un précédent rapport de cette inspection générale sur le fonctionnement des services académiques en Corse avait fait état d’une situation générale préoccupante, comme en témoigne cet extrait issu de la première page d’introduction : " tous les membres du groupe qui ont contribué à la mission sont revenus de Corse avec un sentiment de malaise face à une réalité impalpable ; parfois également une appréhension diffuse devant les dérives dangereuses. (...) Ce rapport donnera peut-être l’impression parfois de verser dans la notation subjective, mais il est impossible de contrôler la gestion des moyens ou la politique d’orientation sans prendre en compte ce que l’on appelle pudiquement des " pratiques locales ".

Il ne s’agit certes pas de sombrer dans de vaines alarmes, le système public d’éducation remplit ses missions et des fonctionnaires s’y consacrent avec dévouement. Mais à quel prix ? Et jusqu’à quand ? "

Plus loin, dans la partie du rapport consacrée au fonctionnement des services de l’éducation nationale, l’Inspection avait par ailleurs relevé, " l’impression qui domine est que chaque service s’est constitué en féodalité autonome soucieuse d’accaparer le maximum d’attributions porteuses de pouvoir ou de prestige, mais on ne peut relever aucune trace d’objectifs ni de directives explicites et cohérentes. "

Dans leur rapport de mars 1998, les inspecteurs constatent que la situation s’est nettement améliorée, même si le rectorat se trouve encore dans une phase de réorganisation.

·  Une académie " rurale ", de petite taille, mais correctement dotée en personnel administratif et enseignant

52.000 élèves sont actuellement scolarisés dans le premier degré et 23.000 dans le secondaire. Quant à l’université de Corte, elle compte aujourd’hui entre 3.400 et 3.500 étudiants. Pour accueillir cette population, l’académie emploie 5.300 personnes dont 1.500 instituteurs, 2.400 professeurs du secondaire et 200 universitaires de Corte. Petite en taille, l’académie semble disposer des moyens nécessaires à son bon fonctionnement. D’ailleurs, lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, le 2 avril 1997, le recteur alors en fonction, M. Marc Debène, avait relevé qu’en Corse, le nombre d’heures par élèves – H/E – était supérieur au H/E national et que cet indicateur avait tendance à augmenter au collège, au lycée et au lycée professionnel.

Cependant, la commission d’enquête a entendu que l’académie souffrait d’un manque d’animation pédagogique. Très peu d’inspecteurs pédagogiques régionaux sont résidents en Corse. Ils sont au nombre de quatre auxquels il faut ajouter un autre inspecteur compétent pour l’évaluation de l’enseignement en langue corse.

L’académie de Corse est l’une des plus rurales de France. En Corse-du-Sud, beaucoup d’écoles ont une ou deux classes. 40 % des écoles de ce département ne scolarisent que 10 % des effectifs. Ces chiffres sont le reflet d’une implantation démographique qui, à part les deux villes importantes, Bastia et Ajaccio, implique une multitude de petites écoles parfois à très faible effectif (six à huit élèves). Cette situation ne contribue d’ailleurs pas à l’efficacité du système éducatif.

·  Un coût élevé, mais des résultats scolaires peu satisfaisants en moyenne

L’école en Corse est coûteuse. Chaque élève coûte environ 24.000 francs par an, la moyenne métropolitaine s’établissant à 20.000 francs. La Corse se situe au premier rang pour le coût des académies métropolitaines.

Ce surcoût ne se traduit pas par des résultats particulièrement satisfaisants. L’évaluation à laquelle tous les élèves sont soumis en classe de sixième montre que leurs performances sont nettement inférieures à celles des élèves des autres académies : six points de moins (sur cent) par rapport à la moyenne nationale en français, douze points de moins en mathématiques. Dans la suite du cursus scolaire, le différentiel reste élevé : six points en moins de réussite au niveau du brevet des collèges, sept points en moins pour le baccalauréat, voire neuf points de moins pour l’année 1995. Le pourcentage d’élèves sortant du système scolaire corse sans aucune qualification reste très élevé : 27 % en 1995 et 13 % en 1996. Selon les chiffres fournis à la commission d’enquête, la moitié des bacheliers reste en Corse : 35 à 40 % vont à l’université de Corte et quelques-uns préparent des BTS, tandis qu’une partie des autres partent étudier sur le continent.

Selon les chiffres de l’INSEE, un peu plus de 2.000 candidats se sont présentés en Corse aux épreuves du baccalauréat lors de la session 1996. Le taux de réussite s’est établi à 70 %, ce qui témoignerait d’une amélioration, puisque ce taux atteignait 65 % lors de la session précédente. Il demeurait cependant inférieur à la moyenne française (75 % en 1996). Notons que l’écart entre la Corse et l’ensemble de la France est plus faible pour les résultats au baccalauréat professionnel (même si toutes les filières ne sont pas proposées dans l’île) : parmi les 300 candidats inscrits à cet examen en 1996, plus des trois quarts ont réussi.

En 1996, presque toutes les séries ont progressé par rapport aux résultats obtenus l’année précédente, mais des disparités existent. Ainsi ce sont dans les spécialités littéraires que les scores sont les meilleurs en Corse. Pour les filières axées sur les matières économiques, le résultat de l’académie de Corse, assez faible, s’approche de ceux constatés dans les académies d’Aix-Marseille, de Montpellier, de Nice ou de Paris. Dans la série scientifique, les écarts se creusent en revanche, avec des résultats en Corse de 10 points inférieurs à ceux de la moyenne nationale.

En 1998, sur l’ensemble du territoire, les taux de réussite des séries générales et technologiques ont atteint, avec 78,8 % (contre 77,3 % en 1997), leur plus haut niveau depuis 1968. Ces taux ont connu une augmentation dans la plupart des académies, à l’exception de Paris (en légère baisse de 0,3 %) et surtout de la Corse, dont le taux de réussite a chuté de 5,6 points pour s’établir à 71,3 %. Les écarts de réussite ont même atteint 19 points en série scientifique entre l’académie la meilleure (Rennes avec 84,7 %) et la moins bonne (la Corse avec 65,9 %). Dans la filière technologique, alors que les meilleurs scores de réussite sont supérieurs à 80 % (les académies de Nantes, Clermont et Rennes avec des taux respectifs de 85,8 %, 84,9 % et 84,6 %), l’académie de Corse enregistre un score de 73,1 %.

Comment expliquer ce phénomène ? Une des causes de cette situation tient sans doute dans la perception de l’école en Corse. Un haut fonctionnaire de l’administration de l’Education nationale s’exprimait en ces termes devant la commission d’enquête : " si, en Corse, l’enfant est traditionnellement important pour les familles, actuellement, pour celles-ci, l’école n’a plus la même importance que par le passé. L’absentéisme (...) n’est pas seulement le fait des enseignants et des personnels, mais aussi celui des enfants, dans un contexte difficile, car cette société présente quand même des différences culturelles avec l’ensemble de la société française, qui font que, probablement, les valeurs véhiculées par l’histoire de notre pays n’ont pas tout à fait la même résonance là-bas, ce qui est important pour le rôle de l’école et en matière d’éducation. "

On peut, par ailleurs, constater que le système éducatif en Corse n’accueille pratiquement aucun enfant à deux ans. Le taux d’enfants qui, à trois ans, ne fréquentent pas l’école est de 6 % alors que, sur le continent, les enfants sont quasiment tous scolarisés à cet âge. De la même façon, on observe une fuite des élèves au cours du temps qui fait qu’à dix-huit ans, seuls 65 % des élèves sont encore scolarisés. L’académie de Corse se situe en la matière au dernier rang des académies françaises.

Le taux d’élèves étrangers, principalement marocains, atteint 17 %, ce qui constitue l’un des pourcentages les plus élevés en France. Dans les écoles classées en zone d’éducation prioritaires (ZEP), ce taux s’élève à 27 % et dans certains secteurs, à 40 %. Selon le fonctionnaire déjà cité, " il y a un racisme rampant lié à cela, qui se traduit par des positionnements de communautés et qui se manifeste peu au niveau individuel, bien qu’il y ait eu des cas précis. " Ce témoin déplorait la tendance à diriger trop systématiquement ces élèves vers des sections qui, au niveau du collège, s’adressent aux enfants en difficulté, y compris dans des cas pour lesquels ce type d’orientation aurait pu être évité.

·  La continuité incertaine du service public de l’enseignement

L’absentéisme des enseignants du premier degré, et plus généralement de l’ensemble des premier et second degrés, est le plus élevé au niveau national. En 1996-1997, en dépit de moyens de remplacement supérieurs à la moyenne nationale, treize classes tous les jours de l’année n’ont pas eu de remplaçant, ce qui veut dire que 300 enfants n’ont pas été scolarisés en moyenne tous les jours au cours de cette année scolaire.

Un responsable de l’administration de l’Education nationale a expliqué devant la commission d’enquête : " cette année (1997-1998), nous avons abordé le problème d’une autre façon, en essayant de mettre dans le coup le conseil de l’ordre des médecins et des médecins scolaires de façon à accompagner les enseignants. Il y a des congés de longue durée mais surtout de nombreux petits congés et malgré les moyens de remplacement importants dont nous disposons, nous n’arrivons pas à couvrir. On " détourne " si je puis dire des moyens qui sont liés à la formation continue pour couvrir des absences liées aux maladies. Mais nous avons encore du mal à y arriver.

Je ne peux pas expliquer ce phénomène, mais il existe une tradition qui fait que l’on s’absente beaucoup. Redresser la situation va exiger du temps (...). nous sommes là devant un fait de société. C’est malheureux à dire, mais c’est une habitude qui a été prise. Il y a des certificats médicaux. des contrôles sont faits, bien sûr, mais l’on ne peut pas faire contrôler tout le monde. "

·  Trois priorités

– Lutter contre l’absentéisme des professeurs et des élèves

La commission d’enquête a, au cours de ses travaux, recueilli des témoignages concordants et inquiétants quant aux habitudes prises en la matière. Le changement des mentalités dans le corps professoral, mais également parmi les élèves et même leurs parents, prendra sans doute du temps. L’Education nationale doit cependant tout mettre en œuvre pour sensibiliser les intéressés à ce problème. L’image de l’école en général doit être revalorisée et les chefs d’établissements devraient dans la mesure de leurs compétences tenter de remobiliser ceux des professeurs qui enregistrent des taux anormaux d’absence chaque année et de motiver l’ensemble des élèves.

– Etablir un partenariat rénové entre le recteur et l’exécutif de Corse

La commission a fait le constat suivant : le recteur voit en Corse ses compétences réduites et se trouve concurrencé par les pouvoirs dévolus à la Collectivité territoriale de Corse en matière d’éducation, sans que les relations de travail entre celui-ci et cette dernière n’aient été clairement établies au préalable.

Certes, la loi d’orientation de 1989 sur l’éducation nationale est applicable en Corse, mais cette académie présente une particularité essentielle qui tient au statut de 1991. Elle doit être gérée en accord avec la Collectivité territoriale qui, dans les domaines de l’éducation et de la culture, possède des compétences propres très importantes. Une spécificité est que, contrairement aux autres académies, les établissements publics locaux d’enseignement ne relèvent que d’une seule collectivité : la Collectivité territoriale qui est en effet compétente à la fois pour les lycées, les lycées professionnels et les collèges.

En outre, le recteur n’a pas les mêmes pouvoirs que dans les autres académies. Il ne répartit pas les emplois entre les établissements publics locaux d’enseignement. Il propose une répartition au président du Conseil exécutif de Corse qui, en règle générale, l’accepte. Sur proposition du préfet, et après consultation des départements et des communes intéressées ainsi que du Conseil économique, social et culturel, l’Assemblée de Corse arrête la carte scolaire des établissements (collèges, lycées et lycées professionnels), le schéma prévisionnel des formations (préparé par les services de l’académie) et le programme prévisionnel des investissements correspondant à ce schéma pour les différents établissements. Depuis la loi quinquennale du 20 décembre 1993 relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle, elle est, comme les autres régions, chargée d’élaborer un plan régional de développement de la formation professionnelle des jeunes. Après consultation du Conseil économique, social et culture, l’Assemblée établit également la carte des formations supérieures et des activités de recherche universitaire, qui ne devient définitive qu’avec l’intervention d’une convention entre la Collectivité territoriale, l’État et l’université de Corte. Enfin, l’Assemblée a adopté, en septembre 1993, un plan de développement qui comporte une partie consacrée à l’éducation et à la formation, à l’enseignement supérieur et à la recherche.

Un haut fonctionnaire de l’administration de l’Education nationale entendu par la commission d’enquête a relevé : " mon impression est que les deux partenaires, l’État et la Collectivité territoriale, n’ont pas encore complètement pris en compte cette particularité et le fonctionnement est encore expérimental. Cela crée des difficultés, en tout cas pour le recteur et pour l’administration de l’Education nationale, en ce sens que le recteur, en tant que représentant du ministre de l’Education nationale et donc de l’État, doit instruire des dossiers, mais il n’applique pas alors seulement la politique de l’État : il met en application le résultat d’une négociation entre l’État et la Collectivité territoriale. Faire du recteur à la fois le négociateur, l’évaluateur et celui qui met en pratique le résultat des négociations donne au dispositif un manque de clarté. "

Les relations entre le recteur et le président du Conseil exécutif de Corse s’avèrent ainsi parfois délicates. Les exemples suivants ont été évoqués devant la commission : " un collège de Bastia a jugé, après le comité technique paritaire du mois de janvier ou février, que ses moyens étaient insuffisants. Cela a donné lieu à une grève qui a duré assez longtemps et au cours de laquelle le recteur a été mis en cause parce qu’il n’avait pas pris en compte les particularités de l’établissement. Je sais bien que l’on était pendant la campagne électorale, mais ce mouvement a reçu le soutien du président du Conseil exécutif de Corse, qui était alors tête d’une des listes, par une lettre écrite pour défendre publiquement les enseignants de ce collège dans leurs revendications contre le recteur. "

" Un des collèges de Bastia aurait dû être fermé. Il y a une perte de substance à l’intérieur de la ville au profit de la périphérie ; les effectifs en élèves des écoles et des collèges diminuent. Il avait donc été demandé (par le rectorat) de fermer l’un des collèges de Bastia. Non seulement, il n’a pas été fermé, mais il a été rénové. Ce qui fait qu’aujourd’hui, il y a moins d’élèves dans le collège (…) et (le collège) se met en grève parce qu’on ne lui donne pas les mêmes moyens que l’année dernière, moyens que l’on ne peut lui accorder puisqu’il a moins d’élèves. "

De son côté, le président de la Collectivité territoriale de Corse a également souligné dans un courrier adressé à la commission d’enquête les inconvénients que suscitent à ses yeux les règles actuellement en vigueur : " dans le domaine de l’éducation, la Collectivité territoriale est compétente en matière de lycées et collèges ; mais c’est l’État qui a autorité pour la création des postes (exemple : l’Assemblée de Corse a décidé de l’implantation d’un nouveau lycée sur la plaine orientale, mais l’État n’a pas proposé de création de postes). Concernant la carte scolaire, l’Assemblée de Corse ne peut décider que sur proposition de l’État. Cela limite tout pouvoir d’initiative de la Collectivité territoriale. Le déficit en personnel de surveillance et d’ATOS accroît les charges de la Collectivité territoriale en matière d’entretien des bâtiments, de maintenance, des moyens de lutte contre l’insécurité. Il faut noter également le désengagement de l’État en matière de crédits d’équipements pour les EPLE. Dans le secteur de l’enseignement supérieur, c’est l’Assemblée de Corse qui adopte la carte des formations universitaires. De ce fait, il existe des risques de blocage si l’État n’habilite pas les filières proposées et s’il n’affecte pas les postes correspondants. "

Peu de chefs d’établissements viennent du continent. Beaucoup ont fait toute leur carrière dans l’île. Selon un témoin entendu par la commission, " l’inconscient collectif des chefs d’établissement fait que la Collectivité territoriale a un poids considérable et que parfois, ils ne respectent pas la voie hiérarchique, préférant s’adresser directement aux services de la Collectivité territoriale puisque celle-ci est responsable des collèges et des lycées, sans passer par le recteur. Il faut combattre cette tendance préjudiciable. Dans un nombre de cas non négligeables, des chefs d’établissements ont été nommés dans des conditions un peu discutables. Par ailleurs, ils ne sont pas toujours dans leur rôle de représentants de l’État, mais adoptent plutôt les positions de leur conseil d’administration. "

La commission d’enquête déplore que le recteur de l’Académie de Corse se trouve parfois dans une situation inconfortable pour mener ses fonctions. Selon elle, un partenariat rénové doit être conclu afin de codifier et de faciliter les relations de travail entre celui-ci et l’exécutif de Corse. Sans remettre aucunement en cause les prérogatives dévolues en matière d’éducation à la Collectivité territoriale, il convient de faciliter le dialogue entre ces deux pôles de compétences dans le respect des prérogatives de chacun et dans le souci d’assurer à la Corse le meilleur système éducatif possible.

– L’université de Corte : un pôle universitaire à ouvrir sur l’extérieur et l’Europe

La commission d’enquête s’est intéressée au cours de ses travaux à la situation de l’université de Corte. Certains témoins sont allés jusqu’à mettre fortement en doute, voire contester l’utilité même de cette université qui, selon eux, présente en outre l’inconvénient majeur d’être située dans une ville aux infrastructures notoirement insuffisantes.

Un ancien préfet de Corse a développé le point de vue suivant devant la commission d’enquête : " la chute démographique est importante. Beaucoup sont partis. Il y a une absence de tropisme. Depuis l’Empire et l’Outre-mer, il n’y a pas d’objectif pour les meilleurs. L’université de Corte a été une erreur, car le niveau est dégradé. (...) Je pense que c’est par les sommets que l’avenir se dessine, en particulier pour la jeunesse qui est, là-bas, désœuvrée et en attente. Il faut miser sur l’intelligence, faire lever les yeux des Corses pour qu’ils lèvent la tête, un développement économique, le higt tech, des activités universitaires, de grandes recherches internationales valorisant les grands centres de recherche européens (…), l’Europe en Méditerranée, la politique de l’environnement, l’art de construire, l’art de vivre. (...)

La Corse doit faire l’objet d’un brassage dans la République. Que les étudiants corses aillent à Strasbourg ou ailleurs et que l’on installe en Corse nos meilleurs instituts de recherche de haut niveau sur le plan européen ! "

Les divers témoignages et informations recueillis par la commission lui permettent d’établir les points suivants :

1 *Si la création d’une université en Corse était en soi une idée positive, force est de constater que celle-ci n’a pas encore trouvé ses marques ni sa voie. Il convient aujourd’hui d’en faire un outil puissant de développement économique, culturel et intellectuel pour l’île. Cette perspective est réalisable moyennant quelques aménagements dans la conception de la scolarité à Corte et à condition de procéder à une réflexion sans tabous sur les filières qui y sont proposées.

2 * La commission a noté que les jeunes diplômés rencontraient parfois des difficultés réelles, à la sortie de l’université, pour trouver dans l’île des emplois correspondant à leurs formations.

Il convient de proposer de réelles perspectives d’avenir à ces étudiants qui ont fait le choix de suivre des études supérieures en Corse. A cet égard, la commission considère que l’université pourrait utilement s’orienter vers des filières plus directement et concrètement axées vers le monde des entreprises. La Corse, qui ne manque pas de compétences, compte encore peu d’entrepreneurs et de porteurs de projets innovants. Les idées ne manquent sans doute pas ; mais il est clair que l’université a ici un rôle essentiel à jouer. En offrant par exemple aux jeunes des formations commerciales et scientifiques de haut niveau, elle pourrait concourir à leur meilleure insertion professionnelle et aussi à animer la vie économique locale.

Un témoin entendu par la commission a donné l’exemple – sans doute un exemple parmi bien d’autres – d’un jeune homme de son village qui, après avoir obtenu une maîtrise de sciences et techniques à Corte, avait dû rabaisser ses ambitions et commercialisait finalement quelques produits aux touristes de passage. Cette occupation est, certes, parfaitement honorable mais elle ne correspondait pas aux aspirations de ce jeune diplômé. Selon ce témoin, " le système de formation supérieure en Corse n’est pas adapté aux nécessités du développement. Il ne faudra pas s’étonner si ce jeune homme adopte dans quelques années des positions radicales et se tourne vers les extrémistes. Il aura en effet une frustration à vivre en Corse et nous en sommes tous responsables. Cela nous renvoie aux insuffisances des orientations supérieures proposées à Corte. "

3 *La commission a acquis la conviction que l’université de Corte aurait tout à gagner à s’ouvrir davantage sur l’extérieur.

Isolée géographiquement, celle-ci doit sortir du vase clos où, il faut bien l’admettre, elle s’est confortée au fil des ans. Il devrait être courant, aisé et valorisé, pour tout étudiant de cette université, d’effectuer un premier cycle dans une faculté du continent pour revenir ensuite à Corte poursuivre et approfondir un cursus déterminé. Les échanges entre universités françaises du continent ou dans le cadre européen avec les universités italiennes, par exemple, devraient se multiplier afin de sortir l’université de Corte d’un isolement nécessairement préjudiciable à l’ouverture d’esprit et à la qualité de l’enseignement dispensé. Dans l’intérêt des étudiants, l’université devrait mettre en place des programmes leur permettant de bénéficier plus fréquemment et plus facilement d’échanges universitaires. Ces expériences diversifiées (en partant étudier une année ou deux dans une autre faculté française ou étrangère, ou en accueillant à Corte plus d’étudiants étrangers et de chercheurs dans diverses disciplines) constituent une des clés essentielles pour assurer à la Corse le meilleur système d’études supérieures possible.

Un témoin auditionné par la commission d’enquête a indiqué : " le recrutement des universitaires s’est fait forcément au départ à partir d’universitaires venant du continent. Aujourd’hui, après la soutenance de nombreuses thèses, on pourrait craindre une certaine endogamie de recrutements. "

La question, essentielle pour les orientations futures de cette faculté, doit être posée dès à présent. Il convient, dans le domaine de l’éducation comme dans d’autres, de tenter d’anticiper les évolutions futures afin de ne pas, dans plusieurs années constater – lorsqu’il sera trop tard – que l’université s’est repliée sur elle-même, a servi à reproduire à l’identique certains profils d’étudiants et de professeurs, sans apporter de réponse crédible et satisfaisante aux besoins en formation.

D’une manière générale, l’université de Corte doit viser l’excellence afin d’attirer à elle les meilleurs éléments et les étudiants les plus prometteurs. Si elle ne se remet pas en cause, le risque est que les jeunes générations désireuses d’acquérir une bonne formation, reconnue et complète, s’orientent de plus en plus vers des universités ou des écoles du continent, puis une fois sur place, cherchent un emploi sans plus revenir en Corse que pour des vacances. Ce scénario n’est évidemment pas celui qui permettra à la Corse de redresser son économie.

4 * Enfin, la commission estime que la vie étudiante à Corte doit également faire l’objet d’une réflexion en profondeur.

Il faut rappeler que la ville compte 5.000 personnes, alors que la population des étudiants s’élève à environ 3.400 à 3.500. Cette présence universitaire a, certes, créé un effet de dynamisme économique dans certains domaines, comme la location de logements pour les étudiants et le maintien d’un tissu commerçant développé. Mais, comme l’a souligné un témoin devant la commission d’enquête, " on voit bien quelle est la difficulté. Peu à peu, contrairement à ce qui a été fait au début où l’on avait essayé de lui donner une originalité en offrant des formations professionnalisantes, l’université se reconstruit sur un modèle classique basé sur des filières générales. De ce fait, elle ne gagne pas d’étudiants : environ 50 % des bacheliers quittent l’île pour aller vers l’enseignement supérieur continental et les effectifs stagnent. L’objectif ambitieux de 5.000 étudiants au début des années 2000 ne sera pas tenu. Actuellement, nous observons non seulement une stagnation, mais peut-être même une baisse des effectifs. (...)

Le site universitaire présente des contraintes particulières qui freinent son développement - les infrastructures de transport sont insuffisantes, les conditions de logement difficiles, la vie associative et culturelle particulièrement pauvre, le nombre de boursiers très élevé. Il existe un problème de vie étudiante à Corte : problèmes d’alcoolisme, nombre élevé de tentatives de suicides. C’est un terreau qui facilite toutes les dérives possibles. Le développement de cette université n’a pas été accompagné du point de vue de la vie étudiante. "

Selon des informations recueillies par la commission d’enquête, les politiques municipales et universitaires parviendraient difficilement à coexister : la coordination serait malaisée entre le conseil municipal de Corte et le conseil d’administration de l’université – ou les syndicats étudiants – dont les propositions sur le développement universitaire, empiéteraient sur les prérogatives municipales.

M. Michel Bornancin, ancien recteur de l’académie de Corse en poste de septembre 1997 à juin 1998, a d’ailleurs adressé le 29 avril 1998 un courrier en ce sens au cabinet du Premier ministre :

Extrait d’une lettre adressée au cabinet du Premier ministre par le précédent recteur de Corse à propos de Corte

 (...) Une stratégie dynamique de l’État manifestant sa présence de façon positive dans le cadre d’une politique interministérielle, me paraît être seule de nature à créer une synergie entre les acteurs locaux : université, Collectivité territoriale de Corse, ville de Corte. C’est seulement ainsi que l’on pourra faire véritablement de Corte une ville universitaire ouverte sur son environnement proche et lointain et l’instrument d’un développement global. "

Dans la perspective de l’élaboration du XIIème contrat de plan État-Collectivité territoriale, il apparaît souhaitable à la commission d’enquête que l’État définisse une véritable stratégie avec les acteurs locaux afin de conforter l’enseignement supérieur fragilisé en Corse par l’érosion des effectifs et l’isolement du principal site universitaire.

Le développement de l’université et sa capacité d’accroître son rayonnement et d’attirer ainsi de nouveaux étudiants sont largement dépendants des aménagements permettant d’améliorer la vie quotidienne à Corte. De ce fait, la commission d’enquête considère qu’il faudrait mettre en place un projet prenant en compte les conditions de vie des étudiants à Corte, en améliorant les transports, en installant des locaux nouveaux afin de créer les bases d’une vie universitaire minimum. Ce plan, qui prendrait en compte tous les aspects de la vie à Corte, dépasserait à l’évidence par ses implications le seul champ de compétence de l’Education nationale et aurait une dimension interministérielle. Enfin, certains éléments fournis à la commission d’enquête la conduisent à préconiser un examen approfondi de la gestion du CROUS de l’université de Corte. Il semble, en effet, que celui-ci soit devenu un enjeu de pouvoir pour certains syndicats d’étudiants.

La gestion du CROUS de Corte

La commission d’enquête a entendu à ce sujet que, " même s’il existe de nombreux logements – c’est la plus forte proportion de logements offerts pour une université – ce CROUS a une vie difficile. Il a subi de nombreux attentats, dont un encore au mois de décembre dernier. Les syndicats étudiants nationalistes le considèrent comme un enjeu parce qu’il permet de contrôler l’accès aux logements et aux aides. La direction actuelle, qui devrait être renouvelée dans quelques mois, a géré dans une grande proximité avec les étudiants. C’était difficilement évitable. Il n’empêche qu’elle n’a peut-être pas toujours eu le recul nécessaire. Cela fait partie de la difficulté de vivre à Corte. "

Il est essentiel de renforcer le fonctionnement normal des institutions de l’université, et notamment du CROUS, qui pourrait faire l’objet d’un audit financier. Selon un témoin bien informé de cette question, " il faut éviter la présence de personnes extérieures, les allées et venues, le psychodrame permanent, et redéfinir le rôle de la direction. Ne doivent siéger dans les conseils d’administration que ceux qui y sont élus. Il est important de casser un système où dix à vingt étudiants dictent leur loi à plus de 3.000 : blocage des cours contre l’avis d’une majorité d’étudiants, gestion des Chambres universitaires par un seul syndicat en cheville avec la direction du CROUS. "

Ouvrir l’université, développer les possibilités d’échanges avec les universités du continent ou étrangères, aménager le site de Corte, contrôler la gestion du CROUS, tels sont les axes essentiels pour faire de l’université de Corse un lieu de rayonnement culturel et intellectuel de l’île et un atout pour son développement.

b) L’enseignement en langue corse : une expérience sans équivalent en France

Depuis le mouvement de décentralisation poussée qu’a connu la Corse, la langue corse bénéficie d’un statut particulier qui n’a pas d’équivalent sur le territoire national. Nul ne saurait de bonne foi prétendre que le système éducatif français n’a pas pris en compte les exigences de l’enseignement en langue corse. Certes, la commission d’enquête a entendu certains témoins déplorer que les cours soient parfois programmés à des horaires peu pratiques pour les élèves et les étudiants. Des aménagements horaires restent peut-être à prévoir, mais d’une manière générale, les actions entreprises pour promouvoir cet enseignement doivent être saluées et appréciées à leur juste valeur.

La période de quasi suspicion envers les langues régionales et ceux qui les parlaient est révolue. La langue corse a sans doute plus que toute autre bénéficié de cette nouvelle approche. Comme l’indique un récent rapport sur les langues et cultures régionales, " nos langues et cultures régionales sont aussi notre patrimoine commun (...) Aujourd’hui, la République ne respecterait pas ses propres principes si elle n’était pas attentive aux demandes, aux attentes, à la vie de ces langues et cultures qui existent sur notre territoire, en métropole comme outre-mer. "

·  Démythifier et dynamiser

La commission d’enquête estime que cette question doit être traitée sans excès ni préjugés selon un principe essentiel. La République ne doit aucunement craindre la manifestation de cette identité particulière qui s’exprime à travers l’utilisation d’une langue régionale.

La commission a relevé les propos tenus devant elle par un témoin : " Il ne faut pas que la langue corse soit enfermée dans un ghetto, insérée dans quelques heures de programmes de cours par semaine pour les élèves du secondaire. Dans la rue, il est fréquent d’entendre une conversation commencer en langue corse et se poursuivre en français ou l’inverse, ce qui déplaît d’ailleurs à certains puristes de la langue corse. Je crois que nous devons vivre normalement la pratique de notre langue dans l’île et plaider pour un usage résolument mixte du français et du corse. Mais il est vrai que cette question a été " déverrouillée " il y a vingt-cinq ans seulement. "

Un des principes retenus par le rapport déjà cité de M. Bernard Poignant est ainsi défini : " La République française doit reconnaître qu’il existe sur son territoire des langues et cultures régionales auxquelles elle confère des droits par la loi ou le règlement. Celles-ci ne portent pas atteinte à l’identité nationale. Elles l’enrichissent dès lors qu’elles sont elles-mêmes cultures d’ouverture et non de repli, d’accueil et non d’exclusion. ". Le principe n°7 est ainsi rédigé : " Apprendre plusieurs langues est une richesse. Au XXIème siècle, chaque personne devra si possible connaître plusieurs langues. (...) Le bilinguisme est une richesse. Il faut déjà parler de plurilinguisme dès lors qu’une langue régionale vient s’ajouter. Et cette dernière, comme les autres, contribue au développement de l’intelligence des personnes. " Selon le principe n°9, l’État doit s’engager " à assurer la continuité d’apprentissage d’une langue régionale ".

Dans sa formulation même, ce document témoigne du véritable changement d’appréciation qui s’est progressivement opéré dans notre pays en faveur des langues régionales. Notons que le Premier ministre, M. Lionel Jospin, a chargé en juillet 1998 le juriste Guy Carcassonne d’une expertise juridique préalable à l’éventuelle signature par la France de la Charte européenne des langues régionales.

Il faut relever que la langue corse s’est déjà vue conférer depuis plusieurs années une place reconnue et institutionnalisée au sein du système éducatif de l’île.

·  Les mesures déjà prises : un effort conséquent de la part de l’Education nationale

– Des efforts plus que symboliques

Désormais, un enseignement de trois heures de langue corse par semaine est proposé notamment dans les classes du secondaire. Dans un rapport établi à l’attention du ministre de l’Education nationale et de la ministre déléguée chargée de l’Enseignement scolaire, le précédent recteur de l’académie, M. Bornancin, notait : " l’engagement de l’État à la demande de la CTC d’offrir, dans le primaire et le secondaire, 3 heures d’enseignement de langue corse aux familles qui le demandent, est réalisé dans le second degré. Des freins existent par manque d’engagement de responsables à divers niveaux hiérarchiques de l’institution (chefs d’établissements, inspecteurs de l’Education nationale, conseillers pédagogiques, directeurs d’écoles). Des difficultés sont présentes dans le premier degré dans la mesure où cette discipline ne peut être imposée aux enseignants, que certains d’entre eux ne sont pas corsophones, et que d’autres n’osent enseigner une discipline qu’ils ne maîtrisent pas complètement. Pour la première fois, au mouvement 1997 des instituteurs et professeurs des écoles, des postes ont été étiquetés postes bilingues et attribués en fonction de la capacité des postulants à pratiquer l’enseignement bilingue, indépendamment de tout barème de mutation. Dans le second degré si l’offre est faite, les effectifs ne sont pas à la mesure des moyens que l’État a mis à la disposition de l’académie dans le cadre de l’accord entre la Collectivité territoriale et l’État ".

Le 27 mars 1996, le gouvernement de M. Alain Juppé annonçait plusieurs mesures d’importance : l’ouverture de plusieurs sites bilingues, la prise en compte de la préparation à l’enseignement du corse en formation initiale, le renforcement des moyens en formation continue, la généralisation des sections méditerranéennes du second degré. Créées en 1994, celles-ci permettent aux élèves du secondaire d’étudier à la fois le corse, le latin et une autre langue romane, comme l’espagnol ou l’italien. Ces sections sont implantées au collège du Finsello à Ajaccio (classes de 6ème, 5ème, 4ème et 3ème), au collège de Sartène (6ème, 5ème et 4ème) et au collège de Casinac (6ème). Quant aux " parcours langues romanes ", ils concernent des élèves choisissant le corse, le latin et une langue romane en langue vivante 1 ou 2.

Notons, en outre, qu’à l’université, le cursus des études corses est complet du DEUG aux thèses de doctorat. Le corse est obligatoirement présent dans toutes les filières : 1 heure ou 1 heure 30 par semaine sont en général prévues.

L’enseignement est désormais offert dans tous les établissements secondaires sans exception grâce à une dotation de 83 postes (rentrée 1998). En 1997, il y avait 73 professeurs certifiés en langue corse n’enseignant que cette discipline, ainsi que des professeurs et des maîtres de conférence en langue corse à l’université de Corte. Chaque année, l’État dépense environ 28 millions de francs pour cet enseignement. Sept sessions de CAPES ont déjà eu lieu, et en 1998, 80 professeurs furent ainsi recrutés. Ce CAPES, tout à fait spécifique, constitue une section à part, distincte de l’ensemble des " langues régionales ". La commission d’enquête considère que son existence même a marqué la reconnaissance officielle de la langue corse et permet de garantir la qualité de son enseignement.

– Des résultats satisfaisants

Le nombre des élèves concernés par cet enseignement est significatif, comme le montrent les chiffres figurant dans le tableau ci-dessous.

Langue corse dans le premier degré

en septembre 1997 (hors sites bilingues) dans le système éducatif public

 

 

Nombre d’écoles

Temps d’enseignement

Nombre d’élèves

MAT

ELEM

Nombre de maîtres

Intervenants

Haute-Corse

             

Calvi

45

1 H à 3 H

1.466

579

887

86

2

Corte

20

1 H à 3 H

1.537

602

935

65

1

Bastia I Nord

24

1 H à 3 H

2.526

825

1.701

107

8

Bastia II Sud

60

1 H à 3 H

3.200

1.200

2.000

140

0

Total Haute-Corse

149

1 H à 3 H

8.729

3.206

5.523

398

11

Corse-du-Sud

             

Sartène

38

1 H

1.950

350

1.600

80

 

Ajaccio I

Ajaccio II

129

1 H à 3 H

9.665

2.919

6.746

414

 

Total Corse-du-sud

167

*

11.615

3.269

8.346

494

0

               

Académie

316

*

20.344

6.475

13.869

892

11

Source : Rectorat de Corse.

         

 

Dans le rapport d’étape sur les langues régionales qu’elle remit au Premier ministre en février 1998, Mme Nicole Péry avait relevé que les enseignements en langue corse (soit un enseignement bilingue, soit des cours d’apprentissage ou de sensibilisation) touchaient 85 % des élèves de l’enseignement primaire.

Dans l’enseignement secondaire public, le corse dispose d’horaires définis et de professeurs spécialisés. Depuis 1982, la progression a été forte : 1485 élèves étaient concernés en 1982-1983, 3319 en 1986-1987, 5905 en 1997-1998. Les effectifs apparaissent donc en forte hausse sur l’ensemble de la période, avec une stabilisation sur les deux dernières années scolaires.

Progression des effectifs en cours de langue corse
depuis 1982 dans le secondaire

 

Année

Effectif

1982-1983

1.485

1983-1984

2.111

1984-1985

2.710

1985-1986

3.142

1986-1986

3.319

1987-1988

2.952

1988-1989

3.294

1989-1990

3.927

1990-1991

4.737

1991-1992

5.105

1992-1993

5.177

1993-1994

5.604

1994-1995

6.340

1995-1996

6.126

1996-1997

6.165

1997-1998

5.905

Source : Rectorat de Corse.  

Il convient de remarquer que les élèves suivant un enseignement normal de langue corse de trois heures, très minoritaires au début, sont aujourd’hui majoritaires : 4.334 en 1997-1998 pour 729 en 1993–1994. Le nombre d’heures-élèves s’élève à 15.447 en 1997-1998 pour 7.075 en 1993–1994.

Élèves suivant un enseignement de corse en 1997-1998

 

Collèges

4.388

33,89 %

Lycées

680

12,98 %

Lycées professionnels

837

29,99 %

Académie

5.905

28,67 %

Source : Rectorat de Corse.  

 

 

A l’heure actuelle, 45 % des élèves environ étudient le corse en classes de 6ème et de 5ème. La proportion diminue ensuite, à mesure qu’intervient la concurrence avec d’autres options, avec une légère remontée en terminale lors de la préparation du baccalauréat. Au baccalauréat, un tiers des candidats environ (433 en 1997) passe une épreuve de corse en langue vivante obligatoire à l’écrit ou à l’oral, ou en option facultative. Depuis un arrêté de juin 1991, les candidats aux BEP et CAP peuvent aussi se soumettre à une épreuve facultative de corse. Le corse fait également l’objet d’une épreuve facultative au B.T.S.

·  Un paradoxe : une langue de moins en moins parlée au quotidien et de plus en plus soutenue dans le système éducatif

Il est paradoxal de constater que le bilinguisme naturel (c’est-à-dire la pratique de la langue à la maison du corse et du français) a beaucoup diminué, tandis que les efforts pour diffuser la langue corse à l’école n’ont jamais été aussi importants. La pratique quotidienne de celle-ci a reculé nettement : 60 % environ de la population corse parle cette langue contre 80 % en 1977. A cet égard, certains observateurs font aujourd’hui valoir que le rôle de l’Education nationale ne peut être un rôle de conservatoire.

La commission d’enquête a, lors de ses travaux, relevé que, curieusement, il y avait peu ou pas d’associations en faveur de la langue corse dans l’île, alors que les regroupements sont plus nombreux ou paraissent plus mobilisés et motivés dans des régions comme le pays basque ou la Bretagne. Il semble que plus les mesures prévues en faveur de l’enseignement du corse sont conséquentes et lourdes à mettre en place, moins les Corses dans leur ensemble se mobilisent, au quotidien, pour faire vivre et développer la connaissance de leur langue, son expression et son développement.

·  Une piste à explorer : développer l’enseignement de la langue corse en priorité dans les classes primaires

La commission d’enquête a acquis la conviction que l’enseignement de la langue corse gagnerait à être renforcé dès les classes de primaire, ce qui présenterait plusieurs avantages. D’une part, un apprentissage plus systématique débutant dans les classes primaires permettrait de donner aux élèves des bases solides dès leur plus jeune âge. D’autre part, du fait de la concentration des efforts sur le secondaire, ceux des élèves qui s’inscrivent à ces cours sont la plupart du temps sensibilisés de par leur environnement familial à la question de la langue. Selon un témoin entendu par la commission, ces élèves sont " déjà familialement mobilisés, alors que d’autres qui le sont moins ne vont pas nécessairement faire la démarche de suivre ces cours, ce qui est dommage ". Focaliser les efforts sur les élèves moins âgés permettrait de rendre cet enseignement plus accessible à tous dans les faits et constituerait une liberté laissée aux familles et aux jeunes de s’initier à la langue corse. Les jeunes pourraient ainsi en comprendre rapidement les rudiments. Une fois cet investissement réalisé, seuls ceux qui, pour d’autres raisons, souhaitent approfondir leurs connaissances, pourraient continuer à bénéficier d’un enseignement de qualité dans le secondaire et à l’université de Corte. Mais la commission préconise qu’en aucun cas, cet enseignement ne revête un caractère obligatoire. Celui-ci doit se concevoir comme une opportunité offerte à tous ceux qui le souhaitent, et non comme un apprentissage contraignant.

c) Les enjeux de la politique culturelle en Corse

La culture et la reconnaissance d’une spécificité corse en la matière sont indéniablement devenues des enjeux dans l’île, depuis ces vingt dernières années surtout, y compris pour la très grande majorité de ceux de ses habitants qui ne se réclament nullement de la mouvance nationaliste. Selon la commission d’enquête, un des préalables indispensables pour mettre en place une politique culturelle cohérente est de parvenir à dépassionner cette question qui a trop souvent servi de catalyseur de frustrations.

·  Un débat idéologique à dépolitiser

– Les malentendus passés

La commission a noté la confusion qui existe parfois entre la notion de revendication ou d’aspiration identitaire et celle de revendication nationaliste. La beauté naturelle des paysages corses, mais également la richesse de son patrimoine architectural et la profondeur de sa culture vivante – symbolisée notamment par les polyphonies – constituent de très légitimes motifs de fierté : la Corse offre à notre culture nationale et européenne une contribution d'une qualité exceptionnelle. On peut être Corse, fier de l’être, désireux de développer sa culture et sa langue, et ne pas souscrire pour autant aux thèses nationalistes. Cette évidence a parfois été perdue de vue. Pendant des années, comme un témoin auditionné par la commission d’enquête l’a dit, " on a laissé le champ libre aux nationalistes sur cette question. Ils ont alors occupé le terrain de façon violente et ont été les seuls, ou presque, à parler en Corse de culture et de préservation du patrimoine. ".

Il est vrai que, par le passé, les revendications identitaires culturelles ont été souvent mal perçues ou mal comprises par les responsables politiques nationaux qui la voyaient comme une menace pour le caractère un et indivisible de la République. Un ancien ministre de l’Intérieur auditionné par la commission d’enquête a noté à cet égard : " cette idée de la France une et indivisible fait que l’on oublie tout ce qui est différent ou que l’on ne veut pas trop y penser. ".

Cette réticence à accepter et comprendre l’expression de manifestations culturelles explique en partie que, pendant longtemps, l’Education nationale ait refusé que les élèves utilisent et parlent le Corse dans l’enceinte des écoles. Cette attitude n’est plus de mise et le système éducatif traite aujourd’hui avec bienveillance la langue corse grâce à la programmation de cours dispensés par des professeurs rémunérés, comme tous leurs collègues, par l’État.

Riche et diversifiée, la culture corse appartient à tous les Corses qui en sont légitimement fiers. Elle ne saurait être la propriété de ses promoteurs les plus radicaux.

– Une culture vivante à promouvoir

Certains artistes corses sont aujourd’hui reconnus pour leur talent, y compris hors de l’île. Le fait que, par exemple, le groupe de polyphonies " I Muvrini " attire, sur le continent comme en Corse, des foules d’amateurs prouve, s’il en était besoin, que la culture et le chant corses sont vivants et appréciés à leur juste valeur.

L’ouverture depuis juin 1997 d’un musée de la Corse à Corte – le premier musée régional anthropologique de France – financé grâce à des crédits de la Collectivité territoriale, de l’État et de l’Union européenne, est un autre témoignage du nouveau dynamisme culturel qui s’exprime dans l’île. Notons, à cet égard, que les grands choix budgétaires sont allés manifestement vers le patrimoine (musée à Corte, cinémathèque à Porto-Vecchio), ce qui a conduit certains observateurs à considérer que la culture de mémoire était parfois privilégiée par rapport à la culture " vivante ".

D’une manière générale, la carence des infrastructures reste à combler : il manque des salles de concert, d’expositions et de cinéma dans l’île. Il n’existe aucun théâtre important hormis celui de Bastia. Durant l’été, de nombreuses manifestations ont lieu en plein air, mais le manque d’établissements et de lieux d’accueil reste préoccupant pendant les mois d’hiver.

·  Des compétences culturelles partagées entre la région et l’État

A l’heure actuelle, le budget de la direction régionale des affaires culturelles de Corse (DRAC) est compris entre 15 et 16 millions de francs et celui de la Collectivité territoriale est d’environ 60 millions de francs, dont 34 proviennent du ministère de la Culture dans le cadre de la dotation globale de décentralisation. Ainsi, le statut de 1991 s’est traduit par une hausse des moyens accordés à la Corse dans le domaine culturel et par une chute très sensible de ceux alloués aux services déconcentrés du ministère de la Culture.

– Une DRAC affaiblie en moyens financiers et humains depuis l’adoption du statut de 1991

Avant 1991, la direction régionale des affaires culturelles de Corse était comparable, dans ses moyens et ses missions, aux autres DRAC de France continentale, avec un volume financier à gérer important (plus de 30 millions de francs par an) couvrant à la fois les investissements et les subventions de fonctionnement.

Selon un témoin entendu par la commission, " la déconcentration au bénéfice du préfet de région rend pratiquement nulle l’autonomie du directeur régional des affaires culturelles en Corse. (...) Compte tenu du contexte nouveau – statut particulier, déconcentration – et de l’environnement général de la Corse, le service déconcentré du ministère de la Culture en Corse n’est qu’une émanation du préfet, la DRAC ayant pour tâches essentielles d’être une force de proposition et d’instruire les dossiers que les opérateurs locaux lui remettent, mais elle n’a point aujourd’hui la décision d’attribution financière qui relève du préfet. "

De même, a été déploré devant la commission le manque de personnel de la DRAC : " C’est la seule DRAC où un seul conservateur soit à la fois conservateur régional de l’archéologie et conservateur régional des monuments historiques, ce qui est une aberration. Arlequin serviteur de deux maîtres, c’est bien chez Goldoni, mais pas à la DRAC de Corse ! (...) Nous n’avons pas de documentaliste-recenseur, fonction essentielle au sein d’un conservatoire régional des monuments historiques pour instruire les dossiers de protection. Or nous touchons là à une mission régalienne de l’État qui n’est pas assurée comme elle devrait l’être. Pour le reste, nous avons un seul conseiller technique, qui assure à la fois les fonctions de conseiller technique pour le théâtre, la danse, les arts vivants, la musique et le cinéma. Nous n’avons pas de conseiller en matière d’arts plastiques, nous n’avons pas de conseiller pour les musées, nous n’avons pas de conseiller pour le livre et la lecture, ni pour la langue, ni pour les enseignements artistiques. "

Malgré ces carences, la DRAC accomplit ses missions de façon normale en Corse. Les dossiers sont, comme ailleurs, instruits par les conseillers sectoriels, c’est-à-dire que la direction remplit une fonction de conseil à l’égard des porteurs de projets, de vérification de l’intérêt artistique et de l’éligibilité des projets. Le rôle de ses services consiste également à appliquer une politique orientée et définie visant à soutenir certains projets intéressants. Comme cela a été dit à la commission, depuis 1997, la liste des projets sélectionnés à ce stade est proposée directement au préfet de Corse qui signifie en retour les accords, ordres de priorité ou demandes de compléments d’information. Selon un témoin, " il appartient au DRAC de défendre ses dossiers devant le préfet. Il n’est pas interdit de penser que le préfet, par sa meilleure connaissance du terrain ou des nécessités, puisse également orienter certains dossiers ou demander que certaines associations ou certains projets soient soutenus. "

– Une redistribution des rôles qui a rendu le dispositif d’ensemble plutôt complexe

La loi du 13 mai 1991 portant statut particulier de l’île a redistribué les rôles grâce à un nouveau partage des compétences, qui a entraîné parallèlement une baisse des moyens financiers accordés à la DRAC, une amplification de ceux attribués globalement au secteur de la culture en Corse. La Collectivité territoriale de Corse s’est vue conférer une responsabilité générale dans le domaine culturel.

En 1993, elle a reçu de l’État 27,8 millions de francs dans le cadre de la dotation générale de décentralisation au titre des actions culturelles. En 1997, une revalorisation de cette dotation de l’État est intervenue et cette somme avoisine désormais les 34 millions de francs par an. En 1993, le transfert de crédits s’est accompagné d’un transfert d’agents qui sont ainsi passés des services de la DRAC à ceux de la Collectivité territoriale. Selon un témoin entendu par la commission d’enquête, la Collectivité territoriale reste, à l’instar de la DRAC, insuffisamment dotée en personnels pour l’accomplissement de ses tâches dans le domaine culturel.

Par ailleurs, un fonctionnaire de la DRAC de Corse a souligné devant la commission : " aujourd’hui, les porteurs de projets, qui peuvent être des associations, font remonter les dossiers à la fois auprès de la Collectivité territoriale et auprès de la DRAC. De ce fait, nous mettons trois fois plus de temps à instruire un dossier, par suite de l’obligation de partenariat due à la contractualisation de la politique que nous avons à mettre en œuvre. (...)

Quand la DRAC traite seule un dossier, elle n’a à gérer que la complexité de sa propre administration. Quand un dossier fait appel à quatre, voire à cinq intervenants, on assiste à un empilement de notre complexité, de celle de la Collectivité territoriale et de celle du conseil général de Haute-Corse ou de Corse-du-Sud ou des municipalités d’Ajaccio, de Bastia, de Propriano ou de Calvi."

La commission souscrit à l’analyse faite par un responsable de la DRAC selon laquelle " il est apparu, à la lumière de l’expérience, que l’effort de redéfinition et de précision des missions et des orientations nouvelles de la DRAC n’a pas été réalisé en même temps que le partage des moyens et des compétences. Or nous arrivons à un moment où il conviendrait de redéfinir et de préciser les missions de la DRAC. "

Il convient de remédier à la sous-dotation en personnels de la DRAC et de déterminer en partenariat avec les élus de l’île les priorités culturelles des prochaines années.

– Un rapport accusateur qui a suscité l’indignation des acteurs culturels locaux

La culture est un enjeu important pour la vie de l’île, ce qui explique pourquoi le rapport du précédent directeur régional des affaires culturelles de Corse, parti en juillet 1997 à la suite d’une crise qui l’a opposé au milieu culturel de l’île, a suscité tant de remous en Corse. Dans ce rapport d’activités pour 1996, l’ancien directeur en poste depuis 1994 fustigeait la " nébuleuse identitaire " qui faisait confondre, selon lui, " civilisation ", " culture ", " loisir " et " folklore ". Il écrivait également que les acteurs culturels formaient en Corse de véritables " réseaux ", ce qui leur permettrait de bénéficier d’" extravagantes subventions ". L’auteur du rapport a même parlé de médiocrité, d’imposture et de lassitude. Il s’inquiétait de la survie tenace d’une vision romantique et caricaturale de l’île dont le " berger-bandit-chanteur " serait le symbole.

La virulence du rapport explique qu’il ait été fort mal accueilli dans le milieu culturel corse. Un témoin entendu par la commission d’enquête a estimé que l’ancien directeur régional des affaires culturelles, " Corse lui-même, a dû être aux prises avec quelques partenaires locaux. Il a conduit une politique très orientée et très personnelle, en particulier dans le domaine des arts plastiques. Ses écrits ont parfois dépassé sa pensée. "

– Une politique de plus en plus contractualisée

La politique culturelle de l’État s’exerce de façon croissante dans le cadre d’une politique généralisée de contractualisation des moyens. D’ailleurs, les moyens dont dispose aujourd’hui la direction régionale des affaires culturelles sont pratiquement tous contractualisés dans le cadre du contrat de plan et de la charte culturelle signée le 4 décembre 1997 par la ministre de la Culture et le président du Conseil exécutif de Corse.

Cette charte culturelle se présente comme une nouvelle mesure d’accompagnement de la loi de 1991. Afin de " conserver, développer et diffuser le patrimoine culturel de la Corse, la Charte élaborée en étroite collaboration avec la Collectivité territoriale de Corse prévoit des engagements réciproques en matière 1°) d’archives, 2°) d’inventaire du patrimoine architectural et mobilier, 3°) d’archéologie, 4°) de promotion et de diffusion de spectacles vivants et en priorité ceux en langue corse ".

La commission considère que la poursuite de cette démarche de contractualisation doit permettre à la Collectivité territoriale, en partenariat avec l’État, de déterminer des lignes directrices en matière culturelle. Dans ce cadre, une implication des responsables politiques locaux à la hauteur des enjeux est indispensable.

– La mobilisation des élus insulaires en matière culturelle

Selon un témoin auditionné par la commission d’enquête, " le problème est que des phénomènes comme le succès fabuleux du groupe " I Muvrini " ne sont pas appréciés à leur juste valeur par les élus de la région. Ceux-ci ne comprennent pas toujours l’extraordinaire modernité de ces groupes et le talent de ces artistes. Or ceux-ci sont devenus de véritables ambassadeurs de la Corse sur le territoire national et à l’étranger. Pourtant, cette notoriété n’est pas relayée par les politiques corses. Il est vrai que le groupe " I Muvrini " n’a jamais directement sollicité de subvention publique. Ces artistes, qui ne doivent leur succès qu’à eux-mêmes, ne sont pas suffisamment mis en valeur par les élus corses eux-mêmes alors qu’en termes d’image, leur réussite est extraordinaire. Souvent, j’ai constaté que les responsables politiques sollicitaient ce que j’appellerais des " sous-groupes culturels " pour leur caractère " folklorique ", ce qui à mon avis a pour effet de déconsidérer la valeur de la culture corse."

Etant donné le caractère incontestablement " politique " des questions culturelles en Corse, liées à la quête identitaire, les élus insulaires doivent se mobiliser sans doute plus fortement sur ces questions que dans d’autres régions du continent.

Poursuivre la promotion de la langue corse dans l’enseignement public, contractualiser davantage encore la politique culturelle, cibler quelques priorités et les " urgences " culturelles dans l’optique de la négociation du prochain contrat de plan, redéfinir plus précisément les rôles respectifs de la DRAC, du préfet de région et de l’exécutif de Corse en ce domaine, enfin, associer le plus étroitement possible les élus à cette démarche constituent les bases essentielles d’un renouveau des actions culturelles dans l’île. Il ne faut pas sous-estimer la contribution que le secteur culturel peut apporter au développement de l’île : compte tenu de la force du sentiment identitaire et de la qualité de ses expressions artistiques, il est évident que les acteurs culturels ont un rôle éminent à jouer en ce sens.

 

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C.– Démocratiser et rationaliser les institutions

 

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