Assemblée nationale
27 janvier 1999
RAPPORT
DU GROUPE DE TRAVAIL SUR LEFFICACITÉ DE LA
DÉPENSE PUBLIQUE ET LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE (1)
Président
M. Laurent FABIUS,
Rapporteur
M. Didier MIGAUD,
Députés.
TOME I
Rapport
(1) Ce groupe de travail est composé de :
M. Laurent FABIUS, président de lAssemblée nationale, président,
M. Augustin BONREPAUX, président de la Commission des finances, vice-président,
M. Didier MIGAUD, rapporteur général de la Commission des finances,
rapporteur ; MM. Philippe AUBERGER, Dominique BAERT, Jacques BRUNHES, Gilles
CARREZ, Yves COCHET, Christian CUVILLIEZ, Laurent DOMINATI, Roger FRANZONI, Gérard FUCHS,
François GOULARD, Jean-Jacques JÉGOU, Pierre MÉHAIGNERIE, Michel SUCHOD.
SOMMAIRE
____
AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : LA PROBLÉMATIQUE BUDGÉTAIRE AUJOURDHUI
I.- LA MAÎTRISE DE LA DÉPENSE PUBLIQUE : DOGME OU NÉCESSITÉ ?
A.- LÉVOLUTION DES DÉPENSES PUBLIQUES EN
FRANCE SUR LONGUE PÉRIODE ET LEURS EFFETS SUR LÉCONOMIE
1.- Lévolution au cours de la période
1949-1992
a) La dépense publique : une croissance qui reste forte
malgré un ralentissement récent
b) Le déficit budgétaire réapparaît avec la crise
2.- Lévolution postérieure
a) Une amélioration encore insuffisante des comptes
publics
b) Les prélèvements obligatoires : une notion dont il faut
bien apprécier la portée
c) Dépense publique et croissance : dincontestables
interférences
B.- LA COMPARAISON INTERNATIONALE DES
DÉPENSES PUBLIQUES
1.- Les finances publiques dans lUnion
européenne
2.- Les dépenses publiques dans le monde
C.- RESTREINDRE LENDETTEMENT PUBLIC
SANS SE TROMPER DE CIBLE
1.- Les risques liés à lendettement
public
2.- La limitation de lendettement public passe par un
dosage fin entre maîtrise des dépenses et réforme de la fiscalité
II.- LA POURSUITE DE lASSAINISSEMENT DES FINANCES
PUBLIQUES DOIT ÊTRE ASSOCIÉE AU SOUTIEN À LA CROISSANCE
A.- PRIVILÉGIER LES DÉPENSES FAVORABLES À LA
CROISSANCE
B.- COORDONNER LES POLITIQUES BUDGÉTAIRES AU
SEIN DE LUNION EUROPÉENNE POUR ASSURER LE SOUTIEN DE LACTIVITÉ
C.- PROGRAMMER LES DÉPENSES SUR PLUSIEURS ANNÉES ET
GÉNÉRALISER LÉVALUATION DES RÉSULTATS
1.- Les avantages dune vision
pluriannuelle des dépenses
2.- Lévaluation doit devenir un outil daide à la
décision budgétaire
DEUXIÈME PARTIE : ACTUELLEMENT, LE PARLEMENT NE CONTRIBUE PAS
FORTEMENT À LAMÉLIORATION DE LEFFICACITÉ DE LA DÉPENSE PUBLIQUE
I.- BIEN QUE NOTRE PROCÉDURE BUDGÉTAIRE SOUFFRE DUN MANQUE
DE TRANSPARENCE, LES PRÉROGATIVES DU PARLEMENT LUI PERMETTENT, EN THEORIE, DAGIR
SUR LA DÉPENSE PUBLIQUE
A.- LA TRANSPARENCE DE NOTRE PROCÉDURE
BUDGÉTAIRE EST INSUFFISANTE
1.- Un manque de lisibilité constant
a) Des lacunes importantes
b) Certains progrès récents
2.- Une crédibilité parfois contestable
a) Un certain monopole dexpertise au profit du
Gouvernement
b) Une difficile révision du projet de loi de finances
3.- Une sincérité parfois sujette à caution
a) Des artifices de présentation
b) Un contrôle récent du Conseil constitutionnel
B.- LES PRÉROGATIVES DU
PARLEMENT LUI PERMETTENT, EN THÉORIEr, DAGIR SUR LA DÉPENSE PUBLIQUE
1.- Des pouvoirs dont la réalité et
létendue prêtent à discussion
a) Des pouvoirs dont la portée nest pas toujours
évaluée à sa juste valeur
b) Des effets pervers
2.- Une autorisation parlementaire souvent
contournée lors de lexécution du budget
a) Une gestion des crédits budgétaires à la discrétion du
Gouvernement
b) Une pratique de la régulation budgétaire peu respectueuse des
prérogatives du Parlement
II.- MAIS, LE PARLEMENT NA EU, JUSQUE LÀ, NI LA FERME
VOLONTÉ DE CONTRÔLER LA DÉPENSE PUBLIQUE, NI LES MOYENS DEN ÉVALUER LES
PERFORMANCES
A.- LE PARLEMENT EST, THÉORIQUEMENT, EN MESURE
DE CONTRÔLER LA DÉPENSE PUBLIQUE
1.- Des pouvoirs étendus
a) Des attributions importantes
b) Une information abondante
c) Lassistance de la Cour des comptes
2.- Des pouvoirs sous-utilisés
a) Un bilan sévère
b) Une explication complexe
B.- LE PARLEMENT NEST PAS, EN
REVANCHE, EN MESURE DÉVALUER LEFFICACITÉ DE LA DÉPENSE PUBLIQUE
1.- Une pénurie dinstruments
a) Des notes dimpact largement insuffisante
b) Des simulations en matière fiscale rarissimes
c) Des rapports de contrôle encore trop confidentiels
d) Un Office dévaluation des politiques publiques peu efficace
2.- Une indispensable évaluation de la
dépense publique
a) Des retards préoccupants
b) Un changement impératif
TROISIÈME PARTIE : LE PLEIN EXERCICE, PAR LE PARLEMENT, DE SA
FONCTION DE CONTRÔLE ET DÉVALUATION DES DÉPENSES PUBLIQUES RENDRA INDISPENSABLES
DES RÉFORMES PLUS PROFONDES TOUCHANT AU FONCTIONNEMENT MÊME DE LÉTAT
I.- LES RÉFORMES IMMÉDIATEMENT OPÉRATIONNELLES POUR UNE NOUVELLE
ORIENTATION DU RÔLE DU PARLEMENT
A.- DU CONTRÔLE À LÉVALUATION : DES
FONCTIONS PRIORITAIRES EXERCÉES PAR LA PLUPART DES PARLEMENTS ÉTRANGERS
1.- Distinguer contrôle et évaluation
2.- Les exemples étrangers
B.- RENFORCER LE CONTRÔLE DE
LASSEMBLÉE NATIONALE À TOUS LES STADES DE LA PROCÉDURE BUDGÉTAIRE
1.- Un débat contradictoire pour une
programmation pluriannuelle des finances publiques
2.- Un véritable contrôle de lexécution des lois de
finances
3.- Le contrôle de lemploi des crédits tout au long de
lannée
4.- Approfondir les liens avec la Cour des comptes
C.- INTRODUIRE ET SYSTÉMATISER
LÉVALUATION DE LA DÉPENSE PUBLIQUE À lASSEMBLÉE
1.- Les exemples dévaluation à
lAssemblée
2.- Lindispensable évaluation des services votés
3.- Les moyens pour agir
D.- UNE PLUS GRANDE VOLONTÉ DE DÉBAT
DÉMOCRATIQUE
1.- Améliorer la transparence
2.- Renforcer la démocratie
3.- Concevoir un nouveau rythme dexercice du pouvoir
financier
II.- LURGENCE DE LA RÉNOVATION DU FONCTIONNEMENT DE
LÉTAT
A.- LA RÉFORME INTROUVABLE ?
1.- Un état des lieux complet effectué en
1994
a) Achever la décentralisation
b) Renforcer le débat public et prévenir les difficultés
c) Légiférer avec mesure
2.- Une réforme en permanente gestation
3.- La politique patrimoniale de lÉtat au coeur de la
réforme
a) Prendre la mesure de linsuffisance des informations
financières et comptables disponibles
b) Vers une modernisation de la comptabilité et une rénovation de la
gestion
B.- UNE PROCÉDURE BUDGÉTAIRE RÉNOVÉE, AU
SERVICE DUNE ÉFFICACITÉ ACCRUE DE LA DÉPENSE PUBLIQUE
1.- Remédier au défaut de transparence de
notre procédure budgétaire
a) Renforcer la lisibilité des finances publiques
b) Améliorer la sincérité des comptes publics
2.- Améliorer les performances de la
dépense publique
a) Placer le Parlement au coeur du débat sur lefficacité de
la dépense publique
b) Introduire une gestion plus souple de la dépense publique
3.- Rendre lexécution budgétaire
plus respectueuse de lautorisation délivrée par le Parlement
a) Tenir informé le Parlement de lexécution du budget
b) Encadrer la mise en oeuvre des mesures de régulation budgétaire
RÉSUMÉ DES PROPOSITIONS
DÉCLARATIONS DE GROUPES POLITIQUES
LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR LE GROUPE DE
TRAVAIL
ANNEXE : ÉLÉMENTS DE COMPARAISON ENTRE LES SYSTÈMES
BRITANNIQUES ET FRANÇAIS DÉVALUATION
Avant-propos du Président
En octobre dernier, jai souhaité constituer un groupe de
travail, composé de députés appartenant à tous les groupes politiques, pour aborder ce
qui mapparaît comme lun des grands chantiers des prochaines années :
lefficacité de la dépense publique. Je les remercie très chaleureusement pour
leur participation assidue à nos travaux et pour la qualité de leurs réflexions. Je
tiens aussi à remercier vivement les personnalités que nous avons entendues. Elles ont
su nous faire partager leurs analyses stimulantes, parfois dérangeantes, et je crois que
notre groupe de travail aura su faire son miel de leurs analyses et propositions.
Il faut partir dun constat simple : depuis trente ans,
la dépense publique na cessé daugmenter. Doublement des dépenses de
lEtat en francs constants, multiplication par cinq des dépenses locales,
multiplication par huit des dépenses de la sécurité sociale. Or, il nest pas
certain cest même linverse ! que largent public
soit toujours dépensé au mieux, et cela en dépit des contrôles qui peuvent être
exercés par le Parlement, par la Cour des comptes ou par les corps dinspection.
Pour ne prendre quun exemple, le directeur de la Caisse nationale dassurance
maladie nestimait-il pas récemment quon pourrait économiser
100 milliards de francs sur les dépenses de santé, sans porter atteinte à la
qualité des soins ?
Les prélèvements obligatoires ont bien sûr suivi cette ascension des
dépenses. Ils atteignent aujourdhui le niveau record de 46 % du PIB, quatre
points au-dessus de la moyenne de lUnion européenne. La libre circulation et
leuro mettent désormais les Etats en concurrence et les exposent à des risques de
délocalisation, des capitaux et des entreprises, et donc à terme un risque de
paupérisation.
Face à une dépense publique qui a explosé, les pouvoirs
budgétaires du Parlement nont guère évolué, même si, grâce à la révision
constitutionnelle de 1996, celui-ci a obtenu un droit de regard sur les finances de la
Sécurité sociale, dont les crédits dépassent ceux du budget de lEtat.
Pendant quatre mois, notre groupe de travail a exploré diverses pistes
pour essayer de répondre à une question qui apparaît centrale, alors que les ressources
publiques sont rares : " Comment dépenser mieux pour prélever
moins ? ". Cest une question qui préoccupe directement les
entreprises, qui procèdent de plus en plus à une évaluation qualité-prix des services
que leur offrent les Etats. Cest une question qui intéresse tout autant les
citoyens qui ont rarement le sentiment d " en avoir pour leur
argent ", cest-à-dire de bénéficier de services à la mesure des
impôts quils paient.
Nous avons, cela va de soi, auditionné aussi des représentants du
gouvernement. Celui-ci est bien conscient de lenjeu et il a lui-même, par la bouche
de Dominique Strauss-Kahn et de Christian Sautter, avancé devant nous des propositions
allant dans le sens de nos préoccupations. Nous aurons, évidemment, besoin de lui pour
améliorer la situation.
*
* *
Une première conclusion à laquelle le groupe de travail est arrivé,
cest que dépenser mieux suppose que les Assemblées contrôlent réellement
dépenses et recettes, ainsi que lefficacité de celles-ci. Cela implique de placer
désormais lévaluation et le contrôle au cur de lactivité budgétaire
du Parlement. Je ne pense pas que cela viendra de lAdministration elle-même,
qui ne peut pas être juge et partie. Le Parlement, lui, dispose de la légitimité pour
faire respecter les articles XIII et XIV de la Déclaration des droits de lHomme et
du Citoyen : " Tous les Citoyens ont le droit de constater, par
eux-mêmes ou leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique
La
Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ".
· Dans cet esprit, une première
série de mesures que nous proposons dépend exclusivement du Parlement. Elle pourra et
devra être mise en uvre, pour ce qui concerne lAssemblée Nationale, dès les
prochaines semaines. Ces mesures sinspirent en large partie de lexpérience
britannique, où une collaboration étroite entre le National Audit Office et la
Chambre des Communes a permis à cette dernière de retrouver un vrai pouvoir de contrôle
sur lutilisation des fonds publics. La volonté du Premier Président de la Cour
des comptes dappliquer pleinement larticle 47 de la Constitution ne peut
que nous inciter à aller dans ce sens.
Une mission dévaluation et de contrôle (MEC) sera donc
constituée. Composée de membres de la commission des finances et élargie, en fonction
des sujets, aux rapporteurs pour avis des autres commissions, cette mission procédera à
des auditions chaque semaine, durant tout le premier semestre. Elle aura pour tâche à la
fois de préparer les auditions des responsables politiques et administratifs sur la
gestion de leurs crédits et de mener des investigations approfondies sur quatre ou cinq
politiques publiques.
Les auditions seront préparées, en liaison étroite avec la Cour
des comptes, par des missions de contrôle sur pièces et sur place. Les
investigations devront être menées dans un esprit non partisan. Cest
ladministration quil sagit de contrôler, beaucoup plus que le
gouvernement. Dans ce contexte, la présidence de la mission sera exercée
conjointement par le président de la commission des finances et par un membre de lopposition,
les travaux de la mission étant animés et coordonnés par le rapporteur général, qui
appartient traditionnellement à la majorité. De même, les contrôles sur pièces et sur
place seront désormais menés conjointement par un rapporteur spécial appartenant
à la majorité et par un rapporteur pour avis appartenant à lopposition, ou
inversement. Les auditions de la mission seront publiques et retransmises
sur la chaîne de télévision parlementaire.
Nous souhaitons en outre quune séance de questions au
gouvernement soit consacrée, chaque mois, à lexamen dune
politique publique, durant laquelle le ministre concerné sera, pendant une heure, soumis
à des questions ciblées.
La transformation de lintitulé de la Commission des finances en
une Commission des finances, de léconomie, de lévaluation et du contrôle
traduira, sur le plan réglementaire, lélargissement de ses missions. Ses
capacités dexpertise seront renforcées, pour quelle puisse
véritablement dialoguer avec le gouvernement. Elle sera, en particulier, dotée
dune banque de données budgétaires et financières lui permettant de
procéder à ses propres simulations.
Au-delà, ce sont toutes les commissions qui devront être étroitement
associées au travail dévaluation et de contrôle, qui doit constituer le
préalable à une autorisation budgétaire éclairée.
Une deuxième série de
mesures, touchant à lorganisation du débat budgétaire, vise à lui apporter les
améliorations indispensables et à redonner leur sens à lautorisation de la
dépense publique et au consentement à limpôt.
Nous proposons que le débat budgétaire soit désormais structuré
autour de deux temps forts, le premier au printemps, le second à lautomne.
De manière à privilégier la discussion des grandes orientations
économiques et financières, le débat dorientations budgétaires devra
être préparé en amont par la commission des finances, qui devra pouvoir travailler sur
ses propres hypothèses. Le débat portera à la fois sur lexécution du budget
précédent, sur les orientations envisagées par le gouvernement pour le prochain budget
et sur des projections triennales qui devront être régulièrement actualisées. Il
serait en effet anormal que les projections financières désormais soumises chaque année
par le Gouvernement à Bruxelles ne soient pas préalablement discutées et, pourquoi pas,
approuvées par le Parlement.
Le débat budgétaire devra rechercher une liaison plus forte
entre lautorisation des crédits et le bon emploi qui en est fait. Le travail de
contrôle et dévaluation réalisé par le Parlement au cours du premier semestre
prendra véritablement sa signification si la loi de règlement, qui solde le
budget de lannée précédente, est votée avant la loi de finances et si celle-ci
tire tous les enseignements des observations faites par le Parlement. De même, nous
demandons que lexamen de la loi de finances soit réaménagé pour mieux
dégager les grands choix budgétaires et mieux prendre en compte le travail des
commissions. Lexamen de tel ou tel budget pourrait se dérouler au sein des
commissions saisies pour avis, en présence des ministres et de la presse, les travaux
étant publiés au Journal Officiel. Quant au débat en séance publique, avec votes, il
serait resserré pour permettre aux députés de se prononcer plus clairement sur les
grandes orientations de chaque politique publique, sans reproduire les débats qui auront
déjà eu lieu en commission. Des avancées en ce sens pourraient être menées rapidement
avec évaluation de leurs résultats.
*
* *
Notre groupe de travail est arrivé à une seconde conclusion :
un renforcement des missions dévaluation et de contrôle exercées par le
Parlement peut et doit donner limpulsion nécessaire à des transformations plus
profondes dans le fonctionnement de lEtat qui achoppent depuis trop longtemps.
Priorité doit aller, selon nous, à lamélioration de la transparence
et de la signification des comptes publics, par une transposition à lEtat de
règles qui, le plus souvent, sappliquent déjà à dautres collectivités.
Ainsi, par souci daccroître lefficacité de la dépense publique et de
réduire les déficits, beaucoup dentre nous souhaitent que soient désormais
distinguées dune part les dépenses de fonctionnement et dautre part
les dépenses dinvestissement. Même si cette distinction est controversée,
le budget de lEtat devrait à terme respecter un strict équilibre des recettes
et des dépenses de fonctionnement, comme cest la règle en Allemagne pour le
budget fédéral et en France pour les budgets locaux.
Linformation du Parlement devra être notablement améliorée par
la présentation dune comptabilité patrimoniale et de comptes consolidés,
ainsi que par des projections à moyen terme des principaux postes budgétaires de
lEtat. Il appartiendra à la Cour des comptes dexaminer la sincérité
des projets de loi de finances et des comptes annexés. Nous demandons que tout projet de
réforme fiscale soit désormais assorti dune simulation et, comme Président
de lAssemblée, jy veillerai particulièrement.
La préoccupation de lefficacité de la dépense publique devra
être davantage présente à tous les stades de la discussion parlementaire. Chaque projet
de loi devra être assorti dune étude dimpact, précisant
ladéquation entre les objectifs et les moyens à mettre en uvre. Les crédits
budgétaires devront, à terme, être présentés et votés par programme et
assortis dindicateurs de résultats, précis et chiffrés. Les parlementaires
doivent, dans la même logique, pouvoir procéder à des redéploiements de crédits.
A quoi sert-il en effet de sappesantir sur 5 % de mesures nouvelles si
cest pour adopter, en un seul vote et sans vraie discussion, 95 % de
" services votés " ?
Lautorisation parlementaire devra être non seulement mieux
éclairée, mais mieux respectée. Il ne nous paraît pas acceptable que les gouvernements
successifs puissent parfois dénaturer le budget que le Parlement vient dadopter, à
peine sèche lencre qui a servi à limprimer au Journal Officiel. Les
commissions des finances devront donc obtenir une information préalable sur les
opérations de régulation budgétaire et nous pensons quau-delà dun
certain seuil, le dépôt dune loi de finances rectificative devrait
simposer.
Lefficacité de la dépense publique suppose enfin que, au nom
même de la responsabilité qui est la leur, davantage de souplesse soit accordée aux
gestionnaires publics dans lemploi des crédits, dès lors que le contrôle a
posteriori sera mieux assuré. Lidée est apparue convaincante, à cet effet, que
soit nommé dans chaque ministère un secrétaire général de ladministration,
chargé notamment détablir et de suivre le plan stratégique des services.
*
* *
Nous sommes conscients que ces réformes, dont je viens de reprendre
ici seulement une partie, constituent un changement considérable, une sorte de
révolution maîtrisée. Elles nous paraissent nécessaires. Celles des réformes à
mettre en uvre immédiatement, et qui dépendent de lAssemblée Nationale,
seront appliquées dès la prochaine loi de finances. Les réformes qui sont souhaitées
pour le moyen terme et dont certaines nécessitent une modification de
lordonnance organique du 2 janvier 1959 - seront préparées par une mission de
la Commission des Finances. Il serait bon quelles puissent être mises en
uvre, après concertation avec le gouvernement et en liaison avec le Sénat. Elles
pourraient alors entrer en application au fur et à mesure de leur adoption - avant
le terme normal de la présente législature.
*
* *
De quoi sagit-il en définitive ? Il sagit de
substituer à une logique de dépenses une logique de résultats. Il sagit que
lAdministration rompe avec la tradition du toujours plus et quelle soit rendue
sans cesse plus attentive à lefficacité de son action. Il sagit de projeter
les données sur la moyenne ou la longue période et de ne pas être paralysé par le
court terme et lannualité. Il sagit que lopposition puisse remplir sa
fonction essentielle au sein du Parlement. Il sagit que le Parlement joue pleinement
son rôle en contrôlant réellement les dépenses publiques (budgétaires et sociales),
en discutant du fond des sujets et non de données chiffrées incompréhensibles et
souvent faites pour lêtre -, en disposant dune vision complète et non
pas tronquée de la sphère publique pour arrêter ses choix et veiller à leur respect.
Bref, il sagit daméliorer lefficacité de la dépense publique et, avec
ambition et pragmatisme, de revenir à la source de la légitimité parlementaire, tout en
ladaptant aux données de la société moderne. Vaste programme ? Raison de
plus pour ne pas tarder.
RETOUR SOMMAIRE
INTRODUCTION
Historiquement - faut-il le rappeler ? - les Parlements sont nés,
puis se sont affirmés, comme les représentants des contribuables face à des exécutifs
dépensiers.
Le consentement à limpôt, et son corollaire,
lautorisation des dépenses, ont cependant changé de nature avec lexpansion
de la sphère publique.
La dépense publique, quand le souci de la contenir était le levain de
la démocratie, se limitait, pour lessentiel, à financer le train de vie du
monarque, les caprices de ses favorites et la solde de ses gens darmes...
Aujourdhui, la dépense publique irrigue lensemble de la
Nation : les fonctions régaliennes pèsent désormais bien peu par rapport aux
interventions économiques et aux transferts sociaux, les finances publiques étant
devenues un instrument daction structurelle, un moyen de redistribution essentiel à
la cohésion nationale, ainsi quun outil de réglage conjoncturel. Doù un
comportement quelque peu schizophrénique de lensemble de la société, prompte à
sindigner contre les prélèvements, tout en appelant souvent de ses voeux le
développement de l" Etat-Providence ".
Les parlementaires nont pas toujours échappé à cette
évolution, lobtention de subventions restant encore, en elle-même, un critère
defficacité de lélu auprès des électeurs.
Cependant, louverture des frontières, le développement des
échanges, la mobilité accrue des facteurs de production, ainsi que le volume de la
dépense publique, qui représente, en France, plus de la moitié du produit intérieur
brut, doivent aujourdhui conduire à une sorte de " révolution
culturelle ".
Même si ce quil est convenu dappeler le poids des
prélèvements obligatoires ne peut être apprécié sans faire référence aux
contreparties offertes par les collectivités prélevantes, le niveau de ces
prélèvements et lefficacité des administrations publiques en termes de qualité
de lenvironnement économique, sont, en effet, devenus des critères souvent
déterminants des choix des agents économiques, dans une période marquée par la
mondialisation et les délocalisations.
Ainsi, la réduction du déficit et la diminution des prélèvements
obligatoires sont, aujourdhui, des objectifs largement partagés.
La réduction du déficit est un impératif social, économique et,
au-delà, de bon sens. Le déficit est, en effet, générateur dun endettement qui
conduit, dans une certaine mesure, à hypothéquer lavenir, et, dans
limmédiat, à prélever sur les revenus dactivité pour servir des
intérêts, cest-à-dire, en fait, à favoriser la rente au détriment de ceux
- investisseurs, entrepreneurs et salariés - qui créent des richesses.
Quant à la nécessité de diminuer les prélèvements obligatoires,
elle prend en compte le poids désormais unanimement jugé excessif des impôts et des
charges.
Pour répondre à ces deux exigences, une voie est indispensable :
laction sur la dépense.
Agir sur la dépense ne se réduit pas à de simples mesures
déconomie, et notre groupe de travail ne saurait être assimilé à quelque
" comité de la hache " appelant, de manière systématique, à des
coupes claires dans les dépenses publiques.
Sil faut certes se donner pour objectif, in fine, de
dépenser moins, il faut, pour y parvenir, sefforcer de dépenser mieux afin de
répondre aux attentes du corps social.
Ce peut être un nouveau défi pour le Parlement, et le Président
Laurent Fabius nous a fort opportunément conviés à une réflexion au sein dun
groupe de travail quil a animé, réunissant autour de lui et du Président de la
Commission des finances, des représentants des groupes politiques, le Rapporteur
général de la Commission des finances étant chargé de rapporter les conclusions de ces
travaux.
Un certain nombre de personnalités ont bien voulu nous faire part de
leurs expériences et de leurs réflexions. On trouvera, dans le tome II du présent
rapport, les comptes rendus de leurs interventions. Quils soient ici remerciés
de leur précieuse contribution.
Nos travaux ont été particulièrement orientés en direction des
finances de lEtat, celles sur lesquelles le Parlement en dépit des
dysfonctionnements sur lesquels nous reviendrons dispose de
linformation et des compétences les plus larges. Les finances sociales et locales
entrent également dans le champ de cette réflexion.
Le constat est unanime : les textes et les pratiques ont très
sensiblement limité, particulièrement en matière financière, le rôle du Parlement en
tant que décideur.
Cette évolution nen rend que plus nécessaire une
réappropriation, par la représentation nationale, de son rôle de contrôleur,
quelle doit affiner et compléter, sagissant de la dépense publique, par une
fonction dévaluation.
" Nos concitoyens en ont-ils pour leur argent ? ",
telle est la question à laquelle il conviendra de sefforcer de répondre
systématiquement dans le cadre dune démarche doublement exigeante.
Tout dabord, une telle démarche exigera de chaque parlementaire
une grande disponibilité temporelle et intellectuelle, ainsi que de laudace. Les
pouvoirs de contrôle du Parlement, qui ne sont pas minces, restent, en effet, largement
virtuels. Le contrôle ne simprovise pas, il se prépare et sa conduite demande un
fort investissement personnel. Cest notamment la raison pour laquelle, afin de
démultiplier les actions de contrôle, il est proposé de renforcer la capacité
dintervention, en matière budgétaire, des commissions saisies pour avis.
Ensuite, cette démarche, pour porter tous ses fruits, exigera que
chaque parlementaire prenne sur soi, afin de dépasser les réflexes partisans. Les élus
de la majorité devront comprendre et les gouvernements, comme dailleurs
la presse, devront admettre que le constat argumenté de linefficacité
dune politique, que la dénonciation dun gaspillage, ne constituent pas une
remise en cause de la solidarité qui doit unir, dans notre système institutionnel, le
gouvernement et la majorité dont il procède. Aussi bien est-il proposé de renforcer, en
matière de contrôle et dévaluation, les prérogatives des députés de
lopposition.
Si les élus de la majorité réussissent à lever tabous et
inhibitions, corrélativement, ceux de lopposition devront sefforcer, dans cet
exercice, de considérer que, bien souvent, les errements quil convient de dénoncer
et de corriger ne mettent pas en cause la seule responsabilité gouvernementale, ni la
seule responsabilité du gouvernement du moment.
Par ailleurs et ceci vaut pour la majorité comme pour
lopposition , porter un jugement sur lefficacité dune action
publique est un exercice dune autre nature que celui consistant à se prononcer sur
le bienfondé dune politique.
Ce nouvel exercice de la fonction de contrôle sera expérimenté, dès
les prochaines semaines, au sein de la Commission des finances. Il nous invite, tous, à
leffort.
On peut espérer que cette démarche de contrôle et dévaluation
exercera un effet de levier pour déclencher dautres réformes, plus profondes, pour
lesquelles notre groupe de travail sest borné, à ce stade, à présenter quelques
pistes de réflexion.
Il sagit de faire en sorte daccroître lefficacité
de la dépense, daméliorer lefficience de lEtat, afin, queu
égard à la qualité de la contrepartie, soit retrouvé le consentement du corps social
aux prélèvements opérés par les administrations, prélèvements, dont cet exercice
doit amplifier le nécessaire allégement.
Cette recherche de la meilleure adéquation entre les fins et les
moyens devrait permettre à la notion de finances publiques de renouer avec son
étymologie. Le mot finances ne vient-il pas de lancien français " finer ",
qui signifiait mener à fin, mener à bien ?
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PREMIÈRE PARTIE
La problÉmatique budgÉtaire aujourdhui
La maîtrise de la dépense publique est, à juste titre, devenue un
des éléments majeurs du discours politique. Pour autant, il ny a pas de fatalité
à linefficacité de la dépense publique, mais lefficacité de la dépense
doit être évaluée de façon permanente. Cette démarche doit être conduite
résolument, tout en acceptant lidée que lEtat doit aussi soutenir
lactivité économique et répondre aux attentes du corps social.
I.- la maÎtrise
de la dÉpense publique :
dogme ou nÉcessitÉ ?
Sous linfluence de luvre de J.M. Keynes, qui avait
rejeté la vieille règle classique de léquilibre budgétaire et préconisé la
compensation permanente entre les dépenses privées et les dépenses publiques, les
années cinquante à soixante-dix ont constitué lâge dor du
" réglage fin " (réel ou illusoire) de la conjoncture au moyen des
instruments budgétaires. Cétait la politique dite du " deficit
spending ".
Les difficultés économiques qui sont apparues à la suite des deux
chocs pétroliers ont fait naître, dans le sillage de la théorie monétariste, de
nouveaux modes de régulation dinspiration libérale (régulation par le contrôle
de la masse monétaire).
On a alors assisté, dans les années quatre-vingt, à la mise en
uvre de politiques économiques déclarant écarter linstrument budgétaire,
à lexception notoire des Etats-Unis, où la relance économique a été réalisée
par des baisses massives dimpôts et le financement public dun programme
militaire intense.
On peut se demander si aujourdhui napparaissent pas les
prémices dun mouvement inverse. Un large courant de la recherche économique, y
compris parmi les économistes libéraux, redécouvre que certaines dépenses publiques
peuvent stimuler la croissance. On peut citer, par exemple, les travaux sur la croissance
endogène, qui sintéressent à nouveau au rôle de lEtat dans
léconomie et à la nouvelle légitimité des finances publiques.
Quoi quil en soit et dans la mesure où, en France, une large
partie de la richesse nationale passe par les mains de la puissance publique, la
compétitivité de la nation est liée à lefficacité de ladministration et
il est essentiel de tout faire pour renforcer celle-ci.
Ces premiers éléments invitent à retracer lévolution de la
dépense publique dans son volume et dans sa structure, au cours des trente dernières
années, en France et dans les pays comparables, afin de mieux situer aujourdhui le
problème du déficit budgétaire pour les Etats participant à leuro.
A.- Lévolution
des dépenses publiques en France sur longue période et leurs effets sur léconomie
Même si létablissement de corrélations est souvent malaisé,
lévolution, sur longue période, ou plus récente, de la dépense publique, montre
que celle-ci ne doit ni être magnifiée, ni être a priori condamnée comme
inefficace.
1.- Lévolution au
cours de la période 1949-1992
Le Conseil économique et social, dans un rapport présenté par
M. Jacques Méraud () en 1994, a étudié, sur la période 1949 à
1992, les liens entre laugmentation des dépenses publiques, la croissance et
linflation. Cette étude, comme les déclarations de M. Jacques Méraud devant
le groupe de travail le 22 octobre 1998, invitent à la prudence. En effet les
chiffres bruts brandis sans précaution peuvent conduire à de véritables contresens.
Afin de faciliter les comparaisons internationales, létude porte
sur les dépenses de lensemble des administrations publiques : Etat,
collectivités territoriales et organismes de sécurité sociale. Lensemble de ces
dépenses représentait en France, en 1992, 53,5% du Produit intérieur brut (PIB).
a) La dépense publique : une croissance qui reste forte malgré
un ralentissement récent
Au cours de la période étudiée, il est constaté une réduction
régulière du taux moyen de croissance du volume (à prix constant) de la dépense
publique: ce taux de croissance était de 6,6% par an pour la période 1949-1962, de 3,7%
pour la période 1974-1983 et de 3% pour la période 1983-1992.
Mais le phénomène dominant, entre 1949 et 1992, est la progression
des dépenses des administrations publiques, exprimées en francs courants, plus rapide
que celle de la valeur du PIB. Le pourcentage des dépenses de lensemble des
administrations publiques dans le PIB est ainsi passé, entre 1949 et 1992, de 31% à
53,5%, ce qui traduit un accroissement de 0,5 point par an.
Cependant, comme le fait remarquer lauteur du rapport, les
fluctuations et laugmentation du pourcentage des dépenses des administrations
publiques dans le PIB sont plus accusées que les fluctuations correspondantes du volume
des dépenses de ces administrations, parce que ce pourcentage est évidemment influencé
par les fluctuations du PIB elles mêmes. Or, la croissance du PIB est allée
tendanciellement en ralentissant au cours de la période considérée, ce qui a eu pour
conséquence une augmentation de la part des dépenses des administrations publiques.
La sensibilité du pourcentage des dépenses publiques dans le PIB aux
fluctuations du PIB est accentuée par le fait que les administrations publiques se sont
efforcées, dans la mesure du possible, de compenser les fluctuations de la demande
privée. Cela est particulièrement net pour lannée 1975, où, à la suite du
premier choc pétrolier, le pourcentage des dépenses publiques dans le PIB a augmenté de
4,3 points. A linverse, lorsque le PIB a progressé de manière sensible, le
pourcentage des dépenses a ralenti sa montée : + 0,3 point par an de 1962
à 1974 et - 0,7 point par an de 1986 à 1989.
Il faut également préciser que la dépense des administrations
publiques centrales a progressé un peu moins vite que le PIB, alors que les dépenses des
administrations de sécurité sociale et des administrations publiques locales ont
progressé plus vite.
Entre 1949 et 1992, en valeur (cest-à-dire non corrigées
de linflation), les dépenses définitives de lEtat étaient multipliées par
91, et le PIB par 82 ; les dépenses de lEtat passaient ainsi de 18,5% du
PIB en 1949 à 20,4% en 1992.
Létude sest également attachée à suivre
lévolution des dépenses courantes du budget général (dépenses de
fonctionnement), qui ont progressé en moyenne de 4,0% par an, et celle des dépenses en
capital (dépenses dinvestissement), qui ont connu une progression de 2,6% par an.
Le pourcentage de dépenses en capital dans le PIB est très inférieur à celui des
dépenses courantes et sinscrit en baisse au cours de la période. Il est passé de
5,9% à 2,8% entre 1949 et 1992, alors que le pourcentage des dépenses courantes est
passé de 12,6% du PIB à 17,6%.
Parmi les dépenses courantes, les intérêts de la dette sont le poste
budgétaire qui a le plus progressé, essentiellement à partir de 1974 avec, entre 1974
et 1992, un taux daccroissement de 13,3% par an. En 1992, ce poste représentait 13%
du total des dépenses définitives de lEtat. Sa montée est due à
laccroissement des déficits budgétaires au cours des années quatre-vingt et à la
forte hausse des taux dintérêt intervenue pendant cette décennie.
Outre les intérêts de la dette, les deux postes de dépenses de
lEtat qui se sont le plus accrus sont les prélèvements destinés aux Communautés
européennes et aux collectivités locales, mais leur comptabilisation, sous la forme de
prélèvements sur recettes, les exclut des dépenses du budget général.
Les caractéristiques de chacune des périodes prises en compte en
France en matière de croissance, dinflation, de dépenses de lEtat et de
dépenses de lensemble des administrations publiques sont résumées dans le tableau
ci-dessous extrait du rapport du Conseil économique et social :
(% par an) |
Période |
Croissance du PIB |
Hausse des prix |
Dépenses courantes de lEtat |
Dépenses en capital de lEtat |
Dépenses de lensemble des
administrations publiques |
1950-1959 |
+ 4,5 % |
+ 7,3 % |
+ 8 % |
+ 1,8 % |
- |
1960-1973 |
+ 5,6 % |
+ 4,9 % |
+ 3 % |
+ 5,2 % |
+ 4,8 % |
1974-1983 |
+ 2,3 % |
+ 11,0 % |
+ 4 % |
+ 1,2 % |
+ 3,8 % |
1984-1992 |
+ 2,3 % |
+ 4,0 % |
+ 1,2 % |
+ 2 % |
+ 2,9 % |
Source : Conseil économique et social, 1994.
Il est également intéressant de comparer lévolution du
pourcentage des dépenses des différentes administrations publiques dans le PIB.
Le graphique ci-dessous montre quexprimée en pourcentage du PIB,
la dépense des administrations centrales a été assez fluctuante. On relève des
périodes de stabilité ou de quasi-stabilité : les années soixante (sauf 1967), la
période 1976-1980, les années 1984 et 1985 et, enfin, la période 1990-1992. La baisse a
été pratiquement continue de 1969 à 1974 et de 1986 à 1989. Enfin, la hausse a été
forte en 1967, 1975 et dans les années 1981-1982-1983. Au total le pourcentage des
dépenses des administrations centrales a oscillé entre 18 et 24% du PIB.
DÉPENSES DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES EN POURCENTAGE
DU PIB

Source: INSEE, Comptes nationaux.
b) Le déficit budgétaire réapparaît avec la crise
Le déficit du budget de lEtat est devenu, à compter de 1975,
une donnée permanente des comptes français. A linverse, au cours des dix années
qui avaient précédé le premier choc pétrolier, le budget de lEtat avait été en
excédent à lexception de trois années (1966, 1967, 1968). Notons quau cours
de la première moitié de la décennie 1970, le niveau de croissance général de
léconomie a été de 5,9% en moyenne et quil a chuté à -0,2% en 1975 par
rapport à 1974.
Lutilisation du budget de lEtat dans une perspective
dactions contracycliques, en 1975 comme plus tard en 1981, a buté sur la contrainte
extérieure et la contradiction, exacerbée par louverture croissante de
léconomie, entre la relance intérieure et le fort ralentissement de
lactivité chez les principaux partenaires de la France. Cette réalité doit être
rappelée avant de constater leffet limité de ces plans de relance sur le taux de
croissance globale de léconomie, alors même quils se sont traduits par le
creusement du déficit extérieur et des déficits publics.
La période 1983-1990 a été marquée par un effort pour redresser les
finances de lEtat, avec pour principaux objectifs la stabilité du franc par rapport
au Deutschemark et une croissance peu inflationniste. Ce redressement a été facilité
par la reprise économique amorcée en 1985 et accélérée par le
" contre-choc " pétrolier de 1986.
2.- Lévolution
postérieure
Si, entre 1985 et 1992, le déficit budgétaire a été progressivement
réduit, on a assisté à partir de 1991 à une forte détérioration des comptes publics,
malgré la montée des prélèvements obligatoires, mouvement quil a cependant été
possible de commencer à infléchir au cours de la période récente.
a) Une amélioration encore insuffisante des comptes publics
On sappuiera sur le rapport sur lévolution de
léconomie nationale et des finances publiques déposé par le Gouvernement en vue
du débat dorientation budgétaire en mai 1996 et sur le rapport sur les comptes de
la Nation de 1997, établi par lINSEE.
La période 1990-1994 a été marquée, en France, par une augmentation
des déficits publics de lordre de 4,2 points de PIB. Le besoin de financement des
administrations publiques était de 1,6% du PIB en 1990, il a atteint 5,7% en 1993 au
moment de la récession et 5,8% en 1994. Cette détérioration trouve son origine à la
fois dans un ralentissement marqué de la conjoncture et dans une orientation relativement
expansive de la politique budgétaire.
On comprend mieux le phénomène si, au-delà de la présentation des
déficits effectifs représentant le solde des comptes de lEtat qui apparaît dans
les lois de finances, lon tient compte du solde structurel () et du
solde primaire (). Le solde structurel peut également être qualifié de
solde actif ou " volontaire ".
Selon lOCDE, la composante structurelle du solde effectif des administrations
publiques en France a évolué comme suit :
EVOLUTION DU SOLDE
STRUCTUREL DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES
Excédent (+) ou déficit (-) en pourcentage
du PIB potentiel |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Prévisions |
1981 |
1982 |
1983 |
1984 |
1985 |
1986 |
1987 |
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
- 1,5 |
- 3,0 |
- 2,7 |
- 1,7 |
- 1,6 |
- 1,5 |
- 0,7 |
- 1,4 |
- 1,9 |
- 2,4 |
- 2,1 |
- 3,6 |
- 3,9 |
- 4,3 |
- 3,8 |
- 2,6 |
- 1,8 |
- 2,2 |
- 2,1 |
Source: Perspectives économiques de lOCDE, juin
1998.
Le solde effectif primaire a, pour sa part, évolué comme suit :
EVOLUTION DU SOLDE
FINANCIER PRIMAIRE DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES
Excédent (+) ou déficit (-) en pourcentage
du PIB nominal |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Prévisions |
1981 |
1982 |
1983 |
1984 |
1985 |
1986 |
1987 |
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
- 0,7 |
- 1,6 |
- 1,4 |
- 0,9 |
- 0,8 |
- 0,6 |
0,3 |
0,5 |
1,0 |
0,8 |
0,5 |
- 1,1 |
- 2,6 |
- 2,3 |
- 1,4 |
- 0,4 |
0,4 |
0,2 |
0,5 |
Source: Perspectives économiques de lOCDE, juin
1998.
Pour la première fois en France depuis 1991, le solde effectif primaire est devenu
excédentaire en 1997.
Selon lOCDE, les réductions des déficits financiers effectifs
et structurels des administrations publiques ont été générales et de forte ampleur en
1997 dans tous les pays de lUnion européenne. Les politiques budgétaires
continueront de se resserrer en 1998, mais ces ajustements influenceraient moins
quen 1997 les perspectives davenir.
Le processus de réduction des déficits publics, engagé en 1995,
sest poursuivi en 1997 (voir le tableau ci-dessous). Le besoin de financement des
administrations publiques a baissé de 80,4 milliards de francs (selon le système
européen de comptabilité nationale) pour atteindre 3,0% du PIB, la dette publique étant
restée constamment en dessous de la barre des 60% du PIB.
On rappellera cependant que laudit des finances publiques
demandé à sa prise de fonctions par le Premier ministre et publié en juillet 1997,
prévoyait quen labsence de mesures nouvelles et à conjoncture inchangée, le
déficit des administrations publiques aurait été compris entre 3,5 et 3,7% du PIB pour
1997.
CAPACITÉ (+) OU BESOIN(-) DE FINANCEMENT DES
ADMINISTRATIONS PUBLIQUES (1)
|
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
En milliards de francs |
-401,5 |
-423,6 |
-372,2 |
-323,4 |
-243,0 |
En % du PIB : |
|
|
|
|
|
Administrations publiques |
-5,7 |
-5,8 |
-4,9 |
-4,1 |
-3,0 |
Etat |
-4,6 |
-4,8 |
-4,1 |
-3,7 |
-3,3 |
Organismes divers dadministration centrale |
0,3 |
0,1 |
0,1 |
0,1 |
0,7 |
Administrations publiques locales |
-0,2 |
-0,2 |
-0,2 |
0,0 |
0,2 |
Administrations de sécurité sociale |
-1,2 |
-0,8 |
-0,7 |
-0,6 |
-0,6 |
(1) Les chiffres de ce tableau sont établis selon le
système européen de comptabilité nationale dans sa version de 1979, conformément aux
dispositions prévues par le traité de Maastricht pour lapplication des critères
de convergence.
Source: Comptes de la Nation, 1997.
Le déficit des administrations publiques sest réduit en
1997. Le solde des organismes divers dadministration centrale a été
excédentaire de 45,8 milliards de francs. Cet excédent provient pour une grande
part de ce que se trouve classée parmi ces organismes lunité chargée de gérer la
soulte de 37,5 milliards de francs versée par France Telecom.
Le besoin de financement des administrations publiques au sens des
comptes nationaux français sest réduit, passant de 365,6 milliards de francs
en 1996 à 281,2 milliards de francs en 1997. Au sens des critères de Maastricht, le
ratio de déficit public a été de 3% du PIB après 4,1% en 1996. Cette amélioration est
due au redressement des comptes des administrations publiques centrales (Etat notamment)
et locales. Les dépenses de fonctionnement des administrations publiques (APU) se sont
modérément accrues : les salaires versés ont progressé de 2,4%, en partie à la
suite de la revalorisation de lindice des traitements, mais surtout en raison des
effets de promotion (glissement-vieillesse-technicité, GVT).
Entre 1996 et 1997, le besoin de financement de lEtat sest
réduit de 30 milliards de francs et, dans le même temps, les dépenses de
lEtat nont progressé que de 2%. Les recettes fiscales de lensemble des
APU ont sensiblement progressé (+ 7,2% après + 6,4%). Les recettes de
limpôt sur le bénéfice des sociétés se sont accrues sous leffet de la
majoration exceptionnelle de 15% de cet impôt pour les sociétés réalisant plus de
50 millions de chiffre daffaires. Hors CSG, les impôts sur le revenu et le
patrimoine ont baissé de 0,6%. Lallégement du barème de limpôt sur le
revenu a été modéré par leffet en année pleine de la contribution pour le
remboursement de la dette sociale (CRDS). De son côté, avec une augmentation de son taux
et lélargissement de son assiette, compensée par une baisse des cotisations
sociales, la CSG a fortement progressé (+ 60%). Les administrations publiques
locales ont dégagé une capacité de financement de 17,6 milliards de francs.
Laccélération des recettes fiscales sest accompagnée dune baisse
sensible de la charge dintérêt consécutive à la baisse des taux.
Enfin, le besoin de financement de la sécurité sociale sest
établi à 65,9 milliards de francs. Au total, le taux de prélèvements
obligatoires, nets des allégements de charges sociales prises en charge par lEtat,
sétablit à 45,3% du PIB.
b) Les prélèvements obligatoires : une notion dont il faut
bien
apprécier la portée
On sarrêtera quelques instants sur lévolution des
prélèvements obligatoires.
Leur poids dans le PIB est passé de 35,1% en 1970 à 45,7% en 1996. A
cette date, ils sélevaient à 3.593 milliards de francs, en augmentation de
5,3% par rapport à 1995. En 1997, le total des prélèvements obligatoires représentait
46,1% du PIB, il est passé à 45,9% en 1998 et devrait être ramené à 45,7% en 1999.
On observera que la part des prélèvements de lEtat dans
lensemble des prélèvements obligatoires a fortement diminué depuis vingt-cinq
ans : elle nen représente plus que le tiers en 1996, contre plus de la moitié
en 1970. Le mouvement de décentralisation engagé en 1981-1982 explique, pour une part,
ce phénomène.
Les trois tableaux ci-dessous offrent une vue synthétique de
lévolution de ces prélèvements en France et à létranger, étant précisé
que des différences de conventions et de méthode expliquent les légères différences
constatées dans les données présentées par la Comptabilité nationale, lOCDE et
Eurostat.
LES PRÉLÈVEMENTS
OBLIGATOIRES DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES EN FRANCE |
|
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
En milliards de francs |
|
|
|
|
Impôts après transferts de
recettes (1) |
1.842 |
1.935 |
2.043 |
2.190 |
Administrations publiques centrales |
1.163 |
1.231 |
1.238 |
1.290 |
dont Etat
|
1.078 |
1.142 |
1.196 |
1.241 |
Administrations publiques locales |
502 |
524 |
551 |
583 |
Administrations de Sécurité sociale |
86 |
99 |
174 |
229 |
Institutions de lUnion
européenne |
83 |
80 |
82 |
88 |
Cotisations sociales effectives |
1.414 |
1.479 |
1.551 |
1.558 |
Prélèvements obligatoires
effectifs |
3.256 |
3.413 |
3.594 |
3.748 |
Prélèvements obligatoires
effectifs nets des allégements de cotisations sociales (2) |
3.235
|
3.381
|
3.540
|
3.682
|
En % du produit intérieur brut |
|
|
|
|
Impôts après transferts de
recettes (1) |
24,9 |
25,2 |
26,0 |
26,9 |
Administrations publiques centrales |
15,7 |
16,1 |
15,7 |
15,8 |
dont Etat
|
14,6 |
14,9 |
15,2 |
15,3 |
Administrations publiques locales |
6,8 |
6,8 |
7,0 |
7,2 |
Administrations de Sécurité sociale |
1,3 |
1,3 |
2,2 |
2,8 |
Institutions de lUnion
européenne |
1,1 |
1,0 |
1,0 |
1,1 |
Cotisations sociales effectives |
19,1 |
19,3 |
19,7 |
19,2 |
Prélèvements obligatoires
effectifs |
44,1 |
44,5 |
45,7 |
46,1 |
Prélèvements obligatoires
effectifs nets des allégements de cotisations sociales (2) |
43,8
|
44,1
|
45,0
|
45,3
|
(1) Les transferts de recettes comportent notamment une
part des transferts de lEtat aux collectivités locales et les versements de
lEtat aux institutions de lUnion européenne.
|
(2) A partir de 1991, lEtat a pris en charge des
cotisations dues par les employeurs. Daprès les conventions retenues en
comptabilité nationale, les cotisations sociales effectives sont cependant maintenues au
même niveau, les allégements se traduisant par le versement par lEtat dune
subvention aux entreprises. Cette ligne indique le résultat qui serait obtenu si
lon traitait ces prises en charge comme une baisse des prélèvements pesant sur les
entreprises.
|
Source : Comptes de
la Nation, 1997. |
RETOUR SOMMAIRE
COMPARAISON
INTERNATIONALE |
(en % du PIB) |
|
1985 |
1995 |
|
Taux de P.O. (1) |
Impôts |
Cotisations sociales |
Taux de P.O. (1) |
Impôts |
Cotisations sociales |
France |
44,5 |
25,2 |
19,3 |
44,5 |
25,2 |
19,3 |
Allemagne |
38,1 |
24,2 |
13,9 |
39,2 |
23,8 |
15,4 |
Royaume-Uni |
37,9 |
31,2 |
6,7 |
35,3 |
29,0 |
6,3 |
Suède |
50,0 |
37,5 |
12,5 |
49,7 |
35,2 |
14,5 |
Etats-Unis |
26,0 |
19,5 |
6,5 |
27,9 |
20,9 |
7,0 |
Japon |
27,6 |
19,3 |
8,3 |
28,5 |
18,1 |
10,4 |
(1) Prélèvements
obligatoires. |
Source : OCDE.
LOCDE ne retient pas les mêmes conventions que la comptabilité nationale
française ou EUROSTAT, notamment pour les cotisations versées aux régimes de retraite. |
PRÉLÈVEMENTS
OBLIGATOIRES
DANS LES ETATS MEMBRES DE LUNION EUROPÉENNE
(en % du PIB) |
|
1980 |
1985 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Europe des 15 |
38,6 |
40,5 |
40,8 |
41,4 |
41,9 |
42,1 |
41,9 |
42,1 |
42,6 |
42,6 |
Europe des 11 (1) |
38,5 |
40,3 |
40,5 |
41,4 |
42,2 |
42,8 |
42,4 |
42,4 |
42,8 |
43,2 |
Belgique |
44,2 |
47,2 |
44,3 |
44,3 |
44,5 |
45,2 |
46,3 |
46,1 |
46,2 |
46,6 |
Danemark |
45,6 |
49,1 |
49,7 |
49,9 |
50,2 |
51,3 |
53,1 |
52,7 |
53,5 |
53,1 |
Allemagne |
41,6 |
41,6 |
39,5 |
41,2 |
41,9 |
42,3 |
42,6 |
42,7 |
42,0 |
41,6 |
Grèce |
- |
- |
- |
- |
- |
33,0 |
33,7 |
34,1 |
33,9 |
- |
Espagne |
25,6 |
29,9 |
35,2 |
35,5 |
37,2 |
36,4 |
36,1 |
35,0 |
35,6 |
36,2 |
France |
41,7 |
44,5 |
43,7 |
44,0 |
43,7 |
44,1 |
44,2 |
44,7 |
46,0 |
46,3 |
Irlande |
34,7 |
38,9 |
35,5 |
35,9 |
36,1 |
36,0 |
36,7 |
34,4 |
34,3 |
34,1 |
Italie |
30,6 |
34,8 |
38,8 |
39,8 |
42,1 |
43,5 |
40,7 |
40,9 |
42,8 |
44,5 |
Luxembourg |
46,3 |
46,7 |
43,4 |
42,7 |
41,8 |
43,9 |
44,3 |
44,1 |
44,7 |
45,6 |
Pays-Bas |
46,0 |
45,5 |
45,1 |
47,5 |
47,4 |
48,2 |
46,1 |
45,1 |
44,9 |
45,9 |
Autriche |
41,0 |
43,0 |
41,3 |
41,8 |
43,1 |
44,0 |
42,8 |
43,0 |
44,2 |
44,9 |
Portugal |
25,5 |
29,3 |
32,3 |
33,6 |
35,9 |
34,7 |
35,1 |
35,9 |
37,1 |
37,9 |
Finlande |
36,9 |
40,9 |
45,4 |
46,8 |
46,8 |
45,5 |
47,6 |
46,3 |
48,2 |
47,5 |
Suède |
49,1 |
50,0 |
55,6 |
52,6 |
51,0 |
50,1 |
49,7 |
49,8 |
53,9 |
54,1 |
Royaume-Uni |
36,1 |
38,2 |
37,5 |
37,4 |
36,4 |
35,3 |
35,8 |
36,8 |
36,7 |
35,9 |
(1) Europe des 11 :
Allemagne, Belgique, Espagne, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Autriche,
Portugal et Finlande.
Source : Eurostat. |
On reviendra sur ce point dans la suite du rapport, mais indiquons dès
à présent quil convient de relativiser la portée des comparaisons
internationales relatives aux prélèvements obligatoires, car, pour une part, les
différences entre pays développés résultent du caractère public ou privé des
fonctions dassurance retraites et maladies. En France, en Allemagne et en Suède,
les cotisations et les prestations sociales représentent environ 20% du PIB, contre 10%
seulement aux Etats-Unis. Or, lorsque lon ajoute les contributions des employeurs
aux fonds de retraite privés (7% du PIB aux Etats-Unis) et les contributions des
salariés et des employeurs à lassurance-maladie privée, lessentiel de
lécart entre les Etats-Unis et les pays européens disparaît.
Le poids des prélèvements obligatoires dépend évidemment de
larbitrage que fait un pays entre les besoins collectifs qui doivent être
socialisés et ceux qui doivent être satisfaits par le marché. Comme la indiqué
M. Louis Schweitzer devant le groupe de travail, le montant des prélèvements
obligatoires ne permet pas, par lui-même, de mesurer lefficacité de lEtat.
Si un pays décide que lenseignement doit être financé par la dépense publique,
ce qui compte cest la contrepartie obtenue et la qualité de lenseignement au
regard de leffort réalisé.
La meilleure comparaison nest pas seulement celle des
prélèvements obligatoires dun pays à un autre, mais celle qui sefforce de
déterminer si, du point de vue de la satisfaction du besoin denseignement de
lensemble dune population, le financement public apporte de meilleurs
résultats que le financement privé.
Pour compléter ce tour dhorizon, on trouvera ci-dessous un
tableau retraçant lévolution récente de la dette des administrations publiques,
après avoir rappelé que la capacité de financement de lEtat, comme des
administrations publiques dans leur ensemble, est négative depuis 1975. La charge des
intérêts a représenté 292 milliards de francs en 1997, marquant une baisse en valeur
de 1,5% par rapport à 1996. Cette baisse, obtenue malgré laccroissement de
lencours de la dette, résulte de la décrue des taux dintérêt.
DETTE DES ADMINISTRATIONS
PUBLIQUES |
|
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Dette brute consolidée (en MdF) |
3.572 |
4.021 |
4.359 |
4.699 |
En % du PIB |
48,5 |
52,7 |
55,7 |
58,1 |
Dette de lEtat brute consolidée
(en Mdf) |
2.787 |
3.126 |
3.407 |
3.631 |
En % du PIB |
37,8 |
41,0 |
43,5 |
44,9 |
Source: Banque de France.
c) Dépense publique et croissance : dincontestables
interférences
En définitive, il apparaît que, si le lien entre la dépense publique
et la croissance est incontestable, il est difficile de dire, sur une longue période,
lequel du déficit budgétaire ou du taux de croissance du PIB a le plus dinfluence
sur lautre. Ce qui a été constaté dans le rapport du Conseil économique et
social, cest que plus la croissance du PIB a été forte, plus la progression des
dépenses budgétaires a été soutenue et inversement. Cest le sens de
lintervention que M. Jacques Méraud a présentée devant le groupe de travail
et à laquelle on pourra se reporter. Selon lui, le lien entre la variation du volume des
dépenses de fonctionnement ou de consommation des administrations publiques et celle
concomitante du PIB, est pratiquement nul. En revanche, on trouve une liaison plus
forte entre les dépenses de transfert et la croissance.
Lévolution des déficits publics et des dettes publiques depuis
1992 paraît plus atypique. La détérioration très nette des déficits publics est
allée de pair avec, à la fois, un ralentissement marqué de la conjoncture et une
orientation relativement expansive de la politique budgétaire. Il faut sans doute
chercher lexplication du côté des taux dendettement public, qui ont
énormément crû sous leffet des diverses récessions depuis le premier choc
pétrolier. Lopinion sait quil faudra stabiliser la dette en augmentant les
impôts ou en contractant les dépenses et cela affecte les comportements de consommation
et dépargne. Lors de la dernière récession, le comportement dépargne des
ménages et des entreprises est ainsi devenu brutalement procyclique.
Ainsi que lon va le voir, la comparaison internationale
napporte guère plus de certitudes, même si M. Jacques Méraud a constaté une
forte corrélation positive entre le taux de croissance et le volume des dépenses
publiques : plus les pays en cause ont connu une croissance forte de leurs dépenses
publiques, plus limpact en terme de croissance du PIB a été stimulant.
Néanmoins, la stimulation budgétaire est tombée en disgrâce depuis
le début de la décennie. Elle ne répondrait plus aux attentes, malgré un contexte
dinflation maîtrisée et de commerce extérieur florissant. Encore faut-il se
demander ce que seraient devenus, en France, lactivité et lemploi sans les 4
ou 5 points de PIB injectés en moyenne chaque année par le déficit depuis 1992. Ne
faudrait-il pas tenter de rechercher la solution de ce problème sur le terrain de la
meilleure affectation possible des ressources. Par exemple, ne serait-il pas intéressant
de comparer lefficacité, en termes de création demplois, des mesures de
réduction du coût du travail et de celles liées à la réduction du temps de
travail ?
B.-
La comparaison internationale des dépenses publiques
Les comparaisons internationales, à léchelon européen ou
mondial, doivent être maniées avec précaution : la dépense publique doit être
jugée à laune de son efficacité, cest-à-dire de lensemble de biens
et services quelle procure aux citoyens au sein dune société donnée.
1.- Les finances publiques
dans lUnion européenne
Il a semblé intéressant daborder cette question pour
lensemble de lUnion européenne (Europe des Douze jusquen 1990, des
Quinze ensuite), où lon a constaté un important creusement des déficits publics
au début de la présente décennie.
Les finances publiques des Etats européens étaient presque
équilibrées dans les années soixante et les déficits publics sont apparus avec la
récession du début des années soixante-dix. Le déficit public de
l" Union européenne " est ainsi passé de 1,8% du PIB en
1972-73 à 5,8% en 1975. Il sest stabilisé à 4% environ entre 1976 et 1980. Après
un nouveau creusement au début des années quatre-vingt, les déficits se sont réduits
tendanciellement entre 1981 et 1989 (2,9% en 1989). Après 1990, le déficit
saccroît à nouveau fortement pour culminer en 1993 (6,3%) au creux de la
récession européenne. Depuis 1993, malgré une contraction généralisée des dépenses
publiques, le déficit sest maintenu à un niveau élevé (4,2% en moyenne en 1996).
Il nest passé en dessous de la barre de 3% quen 1997 (2,3% du PIB de
lUnion). La part des dépenses publiques dans le PIB est, parallèlement, passée de
52,4 % en 1993 à 48,7% en 1997.
Le tableau ci-dessous, établi par les services de la Commission
européenne à partir des données harmonisées dEurostat retrace lévolution
des déficits publics en Europe et formule des prévisions jusquen 2000.
CAPACITÉ (+) OU BESOIN
(-) DE FINANCEMENT DES
ADMINISTRATIONS PUBLIQUES EN POURCENTAGE DU PIB |
|
1970 |
1974 |
1986 |
1991 |
1996 |
|
|
1998 |
1999 |
2000 |
|
- |
- |
- |
- |
- |
1996 |
1997 |
prévision de |
prévision de |
prévision de |
|
1973 |
1985 |
1990 |
1995 |
2000 |
|
|
III-96 |
X-96 |
III-98 |
X-98 |
X-98 |
Belgique |
- 3,4 |
- 7,9 |
- 7,1 |
- 5,8 |
- 1,7 |
- 3,2 |
- 2,0 |
- 1,7 |
- 1,3 |
- 1,4 |
- 1,2 |
- 1,0 |
Danemark |
4,2 |
- 2,7 |
0,8 |
- 2,4 |
1,3 |
- 0,7 |
0,5 |
1,1 |
1,2 |
1,7 |
2,6 |
2,9 |
Allemagne * (a) |
0,2 |
- 2,8 |
- 1,5 |
- 2,9 |
- 2,6 |
- 3,4 |
- 2,7 |
- 2,5 |
- 2,6 |
- 2,2 |
- 2,2 |
- 2,2 |
Grèce |
- |
- |
- 12,4 |
- 11,7 |
- 3,6 |
- 7,5 |
- 4,0 |
- 2,2 |
- 2,4 |
- 2,0 |
- 2,1 |
- 1,9 |
Espagne |
0,4 |
- 2,8 |
- 4,0 |
- 5,8 |
- 2,5 |
- 4,7 |
- 2,6 |
- 2,2 |
- 2,1 |
- 1,9 |
- 1,6 |
- 1,3 |
France |
0,7 |
- 1,7 |
- 1,8 |
- 4,5 |
- 2,8 |
- 4,1 |
- 3,0 |
- 2,9 |
- 2,9 |
- 2,6 |
- 2,3 |
- 1,9 |
Irlande |
- 4,1 |
- 10,4 |
- 5,5 |
- 2,2 |
2,1 |
- 0,4 |
0,9 |
1,1 |
2,1 |
1,9 |
3,4 |
4,6 |
Italie |
- 5,4 |
- 9,6 |
- 10,9 |
- 9,2 |
- 3,3 |
- 6,7 |
- 2,7 |
- 2,5 |
- 2,6 |
- 2,0 |
- 2,3 |
- 2,0 |
Luxembourg |
2,7 |
1,9 |
- |
1,8 |
2,4 |
2,9 |
3,0 |
1,0 |
2,2 |
0,6 |
2,0 |
2,0 |
Pays-Bas (b) |
- 0,5 |
- 3,6 |
- 5,1 |
- 3,6 |
- 1,3 |
- 2,2 |
- 0,9 |
- 1,6 |
- 1,4 |
- 1,2 |
- 1,4 |
- 0,6 |
Autriche |
1,5 |
- 2,3 |
- 3,2 |
- 3,8 |
- 2,4 |
- 3,7 |
- 1,9 |
- 2,3 |
- 2,2 |
- 2,2 |
- 2,1 |
- 1,9 |
Portugal |
1,9 |
- 6,7 |
- 4,5 |
- 5,4 |
- 2,4 |
- 3,3 |
- 2,5 |
- 2,2 |
- 2,3 |
- 1,9 |
- 2,0 |
- 1,8 |
Finlande |
4,6 |
3,7 |
4,0 |
- 5,3 |
0,0 |
- 3,5 |
- 1,1 |
0,3 |
0,7 |
0,6 |
1,8 |
2,1 |
Suède |
4,5 |
- 1,7 |
3,2 |
- 7,7 |
0,1 |
- 3,5 |
- 0,8 |
0,5 |
0,9 |
0,9 |
1,4 |
2,3 |
Royaume-Uni |
0,1 |
- 3,6 |
- 0,7 |
- 5,8 |
- 1,4 |
- 4,7 |
- 2,1 |
- 0,6 |
- 0,1 |
- 0,3 |
0,1 |
- 0,2 |
EU-15 * |
- 0,3 |
- 3,7 |
- 3,3 |
- 5,1 |
- 2,2 |
- 4,2 |
- 2,3 |
- 1,9 |
- 1,8 |
- 1,6 |
- 1,4 |
- 1,2 |
EUR-11 ** |
- 0,7 |
- 3,9 |
- 4,1 |
- 4,9 |
- 2,5 |
- 4,1 |
- 2,5 |
- 2,4 |
- 2,3 |
- 2,0 |
- 1,9 |
- 1,7 |
USA |
- 0,8 |
- 2,3 |
- 2,9 |
- 3,5 |
0,9 |
- 1,2 |
0,1 |
0,1 |
1,4 |
0,6 |
2,0 |
2,4 |
Japon |
0,8 |
- 3,2 |
1,3 |
- 0,6 |
- 5,1 |
- 4,3 |
- 3,3 |
- 3,6 |
- 5,5 |
- 3,6 |
- 6,7 |
- 5,9 |
* LAllemagne de lOuest jusquà 1990.
EU-15 et EUR-11 agrégé avec lAllemagne de lOuest jusquà 1990.
Agrégation sans la Grèce jusquà 1985.
** Zone euro.
(a) Hors reprises de dettes et dactifs liés à
lunification par le gouvernement fédéral en 1995 (Treuhand, sociétés
immobilières est-allemandes et Deutsche Kreditbank), représentant un total de
227,5 milliards de Deutschemark.
(b) Hors dépenses exceptionnelles nettes liées à la réforme du
financement des sociétés de logement social en 1995, représentant un total de
32,84 milliards de florins.
Source : Commission européenne. |
Laccumulation des déficits des finances publiques
a entraîné un net accroissement de la dette publique des Etats membres de lUnion
européenne. Le ratio dette/PIB a commencé à augmenter sous leffet des déficits
entre 1975 et 1980 et a subi une nouvelle hausse à partir de 1991 pour atteindre près de
60% du PIB de lUnion en 1997. Cette hausse de la dette publique sest traduite
par une augmentation des charges de la dette (de 1,8% du PIB dans les années 1970 à 5,4%
en 1996).
Le tableau ci-dessous présente lévolution de la dette publique dans sept pays
européens entre 1990 et 1995.
DETTE PUBLIQUE
(en % du PIB) |
|
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
France |
35,4 |
35,8 |
39,7 |
45,4 |
48,4 |
52,4 |
Allemagne |
43,8 |
41,5 |
44,1 |
48,2 |
50,4 |
58,1 |
Royaume-Uni |
35,3 |
35,7 |
41,9 |
48,5 |
50,3 |
54,0 |
Italie |
98,0 |
101,4 |
108,5 |
119,4 |
125,6 |
124,8 |
Pays-Bas |
78,8 |
78,8 |
79,4 |
81,1 |
77,6 |
79,0 |
Belgique |
130,9 |
130,3 |
131,5 |
137,9 |
136,1 |
133,7 |
Espagne |
45,1 |
45,8 |
48,4 |
60,5 |
63,1 |
65,7 |
Source: Eurostat (mai 1996).
Les grandes étapes qui viennent dêtre rapidement retracées
sont en phase avec des contextes politico-économiques précis quil nest pas
inutile de rappeler. Les années soixante-dix sont marquées par un consensus sur
lutilisation du budget pour lutter contre la stagnation économique et ceci
sest traduit par le creusement des déficits publics structurels. Entre 1976 et
1989, la lutte contre linflation devient prioritaire et, de surcroît, le fort
niveau des taux dintérêt oblige les autorités budgétaires à réduire les
déficits primaires (hors charges dintérêt de la dette) et les déficits
structurels se stabilisent autour de 1% du PIB. La période 1989-1991 voit le retour des
politiques budgétaires " actives " devant la nouvelle dégradation de
lactivité économique.
Mais, à partir de 1991, la situation devient paradoxale : le
solde public effectif reste fortement déficitaire (- 4,4 % en 1996) tandis que
le solde structurel primaire se redresse fortement (+ 4 % du PIB en 1996).
Ce paradoxe a été mis en évidence par une étude conjointe de
lOFCE et du CEPII intitulée " UEM : quelle stratégie
macro-économique " (), qui évalue limpact sur la
croissance en Europe des politiques budgétaires mises en oeuvre depuis 1991. Les auteurs
ont calculé " un indicateur deffort budgétaire " pour chaque
Etat, utilisé ensuite pour simuler limpact de cet effort sur la croissance. Selon
les conclusions de cette étude, " le taux de croissance de lactivité
est réduit partout en Europe dans les proportions correspondant aux efforts restrictifs
réalisés ". Dans tous les pays, la baisse de lactivité induite par
les mesures restrictives contrebalance les efforts initiaux. Le solde public ne peut donc
saméliorer à hauteur des efforts précédemment consentis.
2.- Les dépenses publiques
dans le monde
Une comparaison internationale des dépenses publiques est présentée
dans létude précitée du Conseil économique et social conduite par
M. Jacques Méraud. Elle a été réalisée à partir de la publication par
lOCDE dinformations internationales harmonisées sur les dépenses des
administrations publiques de 1960 à 1990. Létude a établi un classement de 18
pays selon la part (en pourcentage) des dépenses publiques totales dans le PIB en 1960 et
en 1990. En 1960, la France occupait le deuxième rang de ce classement, derrière
lAutriche, et, en 1990, elle noccupait plus que le huitième rang, précédée
par trois pays scandinaves, les Pays-Bas, la Belgique, lItalie et la Grèce,
lAllemagne se trouvant alors en onzième position. Un seul pays est resté
dune année à lautre au bas du tableau, le Japon, qui est, en 1990, avec les
Etats-Unis, celui où les dépenses publiques, exprimées en pourcentage du PIB, sont les
plus modérées. On peut retenir également que, pour la variation de la part de ses
dépenses publiques dans le PIB entre 1960 et 1990, la France occupe le douzième rang.
Un autre classement comparatif est effectué, pour lannée 1990,
pour quatre composantes des dépenses publiques (consommation des administrations,
transferts sociaux, intérêts versés et subventions et, enfin, " formation
brute de capital fixe " cest à dire les investissements publics et
laide publique à linvestissement) exprimées en pourcentage du PIB. La France
occupe le troisième rang en ce qui concerne les transferts sociaux, le huitième rang
pour les investissements sur fonds publics, le dixième rang pour la consommation des
administrations elles-mêmes et le douzième pour lensemble des intérêts versés
et des subventions économiques.
Les comparaisons internationales doivent être, en permanence,
éclairées par la prise en compte de la spécificité des dépenses publiques propres à
chaque pays. M. Jacques Méraud a ainsi mis en garde contre le risque quil y a
à comparer le poids des transferts sociaux effectués par les administrations publiques
en France, en Italie et en Allemagne. En Italie les transferts sociaux sont largement
remplacés par le travail au noir, léconomie souterraine se substituant aux revenus
de remplacement versés en France. Pour lAllemagne, ce sont les mutuelles
dentreprises qui financent une large part des transferts sociaux. On pourrait
ajouter le cas des Etats-Unis, où lassurance maladie est, pour lessentiel,
abandonnée au marché.
Il convient donc, à lévidence, pour établir des comparaisons
pertinentes, de sintéresser à la composition et à lefficacité des
dépenses publiques.
Mais, à ce stade de lanalyse, il est possible de clarifier le
débat sur les véritables enjeux de la réduction de lendettement public et sur les
fausses évidences à ce sujet.
C.-
Restreindre lendettement public
sans se tromper de cible
On peut, tout dabord, tenir pour acquis, à partir de la
démonstration de M. Jacques Méraud, que, si la croissance des dépenses publiques
en volume a beaucoup augmenté jusquen 1983, et plutôt plus en France que dans les
pays voisins, cette évolution doit être mise en regard dune croissance plus forte
du PIB, la tendance sinversant à partir de cette année 1983.
Laccroissement annuel moyen de la dépense publique a
dailleurs été relativement plus faible que précédemment au cours des années
récentes, marquées par des taux de croissance du PIB très ralentis.
Pour lauteur, la relative faiblesse des taux de croissance du PIB
en France depuis le début des années 1980, comparés à ceux des autres pays européens,
ne serait donc pas la conséquence de charges publiques exacerbées et il faudrait trouver
dautres explications à ce léger décalage avec les pays voisins.
Tout dabord, il faut tenir compte du décalage entre le cycle de
croissance des pays anglo-saxons et celui de la plupart des pays européens. Mais surtout,
sagissant de la France, on constate quelle affichait environ un demi point de
croissance de plus que ses partenaires, lorsquelle pratiquait une politique
monétaire plus expansive queux, et un demi-point de moins, à partir du moment où
sa politique monétaire est devenue plus restrictive.
Cette corrélation positive entre croissance du PIB et augmentation des
dépenses publiques, qui laisse subsister une incertitude sur le point de savoir où est
la cause et où est leffet, sobserve chez tous les partenaires de la France,
à condition que lon veuille bien tenir compte du décalage entre les fluctuations
cycliques de la croissance, en particulier avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni,
décalage qui rend les comparaisons difficiles sur des périodes courtes.
Un élément nouveau doit être pris en compte, si possible également
en évitant les interprétations dogmatiques : il sagit du poids de la dette
publique, qui réduit considérablement la marge de manoeuvre budgétaire. Pour
lensemble des pays de lOCDE, le rapport de la dette au PIB est, en effet,
passé de 41% en 1980 à 59% en 1990 et 72% en 1995.
Pour les pays de lUnion européenne, lendettement public
est devenu pratiquement le seul moyen de financer le solde budgétaire depuis
lentrée en vigueur du traité de Maastricht, qui interdit tout financement
monétaire direct du déficit public par les banques centrales.
En réalité, il existe un financement monétaire indirect du Trésor
par la banque centrale, puisque cette dernière peut et pourra toujours acheter des effets
publics sur le marché secondaire.
Néanmoins, ce taux dendettement, qui oblige lEtat à
emprunter pour rembourser les emprunts antérieurs, est porteur de risques et rend
nécessaire lédiction de contraintes à lendettement public et, partant, au
déficit budgétaire.
1.- Les risques liés à
lendettement public
Le principal risque lié à lendettement, qui doit être évalué
régulièrement et nécessite des mesures adaptées, est celui d" effet
boule de neige " qui pourrait déboucher sur la non-solvabilité de lEtat.
Leffet boule de neige est un processus dexplosion de la
dette publique qui se produit lorsque le taux dintérêt de la dette est supérieur
au taux de croissance du PIB, ce qui entraîne une augmentation exponentielle du ratio
dette/PIB.
Il est généralement admis que lorsque le taux
dintérêt (i) des emprunts publics reste inférieur au taux de
croissance (n) du PIB, le risque deffet boule de neige nexiste pas et le
déficit primaire du budget de lEtat est compatible avec une stabilisation du ratio
dette/PIB. Dans le cas contraire, une stabilisation de ce ratio requiert un budget
primaire de lEtat excédentaire.
Le tableau de bord ci-dessous, extrait dun article de
MM. Pierre Llau et Jacques Percebois (), exprime cette situation.
Contexte |
Situation budgétaire |
Effet boule de neige |
i<n
i>n |
Excédent primaire
Déficit primaire
Excédent primaire
Déficit primaire |
NON
NON
NON
OUI |
2.- La limitation de lendettement public
passe par un dosage fin entre maîtrise des dépenses et réforme de la fiscalité
Pour contrecarrer leffet boule de neige, lEtat doit
sefforcer de favoriser la croissance de façon à ce que le taux de croissance du
PIB reste supérieur aux taux dintérêt. Mais il doit aussi sefforcer de
faire apparaître un excédent du budget primaire, ce qui revient soit à accroître les
impôts, soit à réduire les dépenses. Cet excédent primaire devra être dautant
plus fort que la dette publique aura atteint un niveau plus important, ce qui risque alors
de mettre en péril les dépenses productives de lEtat, souvent réduites en
priorité.
Des contraintes ont été institutionnalisées en Europe, avec le
traité de Maastricht et ladoption, par le Conseil européen dAmsterdam les 16
et 17 juin 1997, du Pacte de stabilité et de croissance, qui laissent aux Etats membres
le choix des moyens pour atteindre les objectifs fixés.
Si une réorientation densemble des prélèvements fiscaux vers
une fiscalité plus juste et plus efficace est nécessaire, il est exclu daccroître
davantage la pression fiscale globale.
Pour être complet, on mentionnera létude de M. François
Bourguignon (), directeur détudes à lEcole des hautes
études, membre du Conseil danalyse économique créé le 22 juillet 1997
auprès du Premier ministre. Cette étude relève que les prélèvements obligatoires ne
sont quen apparence plus forts en France quà létranger (30% aux
Etats-Unis), car, dans un cas, les prélèvements dassurance maladie ou de retraite
sont obligatoires et donc pris en compte dans cet agrégat et, dans lautre, ils ne
le sont pas. Si lon exclut ces derniers prélèvements, les taux sont très voisins.
M. François Bourguignon sattache à comparer le poids
macro-économique des divers circuits de redistribution dans quelques pays de lOCDE
quil a choisis parmi ceux dont les taux de prélèvement obligatoires sont aux deux
extrêmes (Japon et Suède étant les plus éloignés de la moyenne). La France se situe,
avec lAllemagne, à peu près au milieu du tableau comparatif. Mais cette
comparaison fait surtout ressortir le fait quen rapprochant les chiffres relatifs
aux différents prélèvements obligatoires, il se confirme que la plus grande partie de
lécart entre les taux globaux de prélèvements obligatoires sexplique par la
couverture différente des systèmes dassurance sociale. Plus précisément, une
grande partie des différences du taux de prélèvements obligatoires entre pays
sexplique par les parts différentes des secteurs publics et privés dans
lassurance-vieillesse et lassurance-maladie.
Lauteur tire de ces observations la conséquence que lon ne
saurait se baser sur les taux de prélèvement obligatoire pour comparer la redistribution
qui peut avoir lieu à travers le circuit des assurances sociales dans divers pays. Etant
donné la similitude entre assurances privées et publiques, il nexclut pas que des
pays ayant des taux de couverture sociale assez différents aboutissent néanmoins à une
redistribution équivalente.
Dailleurs létude constate que les sommes redistribuées
des 50% des ménages les plus riches vers les 50% les plus pauvres représentent 5% du
revenu total des ménages en France contre 6% au Royaume-Uni ou 7% en Allemagne. Que la
France se situe plutôt vers le haut du classement international au regard du critère des
prélèvements obligatoires nimplique pas nécessairement quelle redistribue
plus que des pays qui se situent à un niveau inférieur, cela signifie avant tout,
quun certain nombre de fonctions dassurance relèvent plus quailleurs de
lEtat ou des administrations de sécurité sociale et sont financées de façon
contributive et obligatoire sur les revenus dactivité.
M. François Bourguignon conclut quavec les mêmes
possibilités de redistribution que ses voisins, cest à dire une pression fiscale
analogue, et avec une même demande sociale pour la redistribution, soit une distribution
comparable de revenus avant impôts et transferts sans contrepartie, les performances
redistributives de la France sont inférieures. Ce déficit de redistribution
sexplique, selon lui, par un faible pouvoir redistributif des transferts sans
contrepartie (RMI, allocations logement, aides aux parents isolés...) et surtout par la
place limitée faite à limposition progressive sur le revenu.
Si lintensité redistributive nest pas au niveau
souhaitable, il est cependant difficile de conclure quune marge subsiste en terme de
pression fiscale et sociale pesant sur la consommation et les facteurs de production.
Il nexiste donc pas de recette garantissant le succès dun
ajustement budgétaire (par limpôt ou par la réduction des dépenses), toutefois,
la problématique budgétaire aujourdhui semble sorienter, au sein de
lUnion européenne, vers un double consensus : résorber les déficits tout en
évitant leffet négatif sur lactivité économique de politiques budgétaires
restrictives.
Nous tenterons de voir ci-après quels sont les principaux moteurs de
cette double obligation.
II.- lA PoursuiTE DE
lassainissement des finances publiques DOIT ÊtRE ASSOCIÉE AU soutIEN À la
croissance
Le nécessaire assainissement des finances publiques doit être conduit
sans dogmatisme : il doit reposer sur une analyse de limpact réel des
dépenses sur la croissance ; il doit seffectuer en liaison avec nos
partenaires de lUnion européenne ; il doit prendre en compte une programmation
pluriannuelle des dépenses publiques ainsi quune évaluation généralisée des
résultats.
A.- Privilégier les dépenses favorables à la croissance
Les mécanismes exacts par lesquels transite le soutien à la
croissance restent à déterminer. De fait, certaines dépenses publiques ont pour effet
daugmenter la capacité de production de léconomie ou contribuent à
accroître la productivité du secteur privé. Pour les keynésiens, la socialisation de
certains investissements (qui ne signifie pas a priori propriété étatique) par
lutilisation du budget en capital, permettrait non seulement daugmenter le
volume global dinvestissements indispensable pour sattaquer au noyau dur du
chômage, mais irait dans le sens de la réduction des incertitudes en favorisant une plus
grande stabilité de la conjoncture. Cet effet serait amplifié à léchelle de
lEurope, dont la croissance globale va dépendre essentiellement du dynamisme de sa
demande interne.
Le danger majeur des règles de discipline budgétaire vient de ce
quelles se focalisent sur le niveau du déficit et de la dette sans se préoccuper
de la structure des dépenses. Or, les récentes théories de la croissance endogène
soulignent avec force le rôle essentiel des dépenses publiques
" davenir ", dépenses déducation, de formation, de
recherche et dinfrastructure, dans le processus de croissance de long terme.
Lun des critères servant à délimiter le champ des interventions publiques doit
être lobtention de rendements déchelle croissants. A cet égard, les
dépenses effectuées par les pouvoirs publics sont à lorigine dexternalités
positives dont bénéficie la collectivité, et, en premier lieu, les entreprises, et qui
contribuent à renforcer la compétitivité générale du pays.
Dans cette perspective, la politique budgétaire peut contribuer à la
croissance.
Avant daborder la structure de la dépense publique en France, il
convient aussi de rappeler que le sens premier de la dépense publique est de couvrir les
dépenses que la collectivité a décidé de socialiser. Il sagit donc de décider
quels droits seront effectivement garantis à tous.
Une autre mise au point est nécessaire : les dépenses publiques
ne peuvent sérieusement être regardées comme un immense " trou
noir ", absorbant, consommant et détruisant une partie des richesses créées
par les " forces vives du pays ".
Il sagit donc de déterminer aussi finement et aussi
objectivement que possible lutilité économique et sociale de chaque part de
richesse mise à la disposition de la collectivité.
Lensemble des dépenses publiques représentait, en 1992, comme
on la vu, 53,5% du PIB. Mais il faut tout dabord préciser que la moitié de
cette masse est constituée par des dépenses de transfert. Ce qui a été prélevé est
donc réinjecté dans léconomie par lintermédiaire des administrations
publiques. Il est dailleurs établi que plus le taux de chômage sélève et
plus la dépense publique de redistribution et daction pour lemploi augmente
également.
En comptabilité nationale, comme dans la classification établie par
lOCDE, il existe trois grandes catégories de dépenses, les dépenses de
fonctionnement, qui incluent les dépenses de consommation des administrations et les
intérêts de la dette, les dépenses dinvestissements et les dépenses de
transfert.
Toujours en 1992, parmi les 53,5% de dépenses publiques, la part de la
consommation des administrations était de 18,6% et la part des transferts de 26,2%.
Le concept de consommation recouvre les dépenses de personnel et les
dépenses de " consommation intermédiaire " cest à dire les
achats de biens et de services par les administrations, mais également les dépenses
déducation, de recherche et de santé, qui devraient davantage être considérées
comme des investissements immatériels.
En ce qui concerne le budget de lEtat, on retrouve la distinction
entre dépenses courantes, juridiquement qualifiées
d" ordinaires " (de fonctionnement) et dépenses en capital
(dinvestissement), les premières contribuant là aussi à financer
léducation ou la recherche. Certaines dépenses dentretien des
infrastructures (routes, aéroports ...) figurent également dans les dépenses courantes,
alors que les dépenses damélioration du réseau de communication sont des
dépenses en capital, sans que la frontière entre les deux soit toujours très nette.
En 1992, selon le rapport précité du Conseil économique et social,
les dépenses courantes représentaient 86,1% du total du budget (17,6% du PIB) et les
dépenses en capital 13,9% du budget. Ces dernières sont passées de 5,9% du PIB en 1949
à 2,8% en 1992.
Un dernier élément dinformation peut être utile, il concerne
la répartition des tâches entre les fonctionnaires.
Selon les estimations du mensuel " Alternatives
économiques " de décembre 1998, 78% des fonctionnaires de lEtat et
des collectivités locales participent à la production de biens et de services, 5% à la
conception, à la mise en oeuvre et au contrôle des politiques publiques, et 17%
remplissent des fonctions de gestion et dadministration.
Entre 1980 et 1995, le nombre total de fonctionnaires (Poste et
télécommunications comprises) est passé de 4,6 à 5,3 millions, soit une hausse de
15%, la part de la fonction publique dans lemploi global passant de 21 à 23,7%.
En 1995, les dépenses de personnel de lensemble des
administrations publiques ont représenté 14,4% du PIB.
On voit bien quau-delà des conflits idéologiques sur plus
dEtat ou moins dEtat, ce qui doit lemporter, cest la recherche de
lefficacité de lEtat, et que le coût de fonctionnement de lEtat, comme
de lensemble des entreprises publiques, ne peut être jugé quau regard des
prestations offertes en contrepartie.
RETOUR SOMMAIRE
B.- Coordonner les politiques budgétaires au sein de lUnion
européenne pour assurer le soutien de lactivité
Depuis 1991, la croissance de léconomie européenne nest
pas bloquée par des facteurs doffre: linflation est basse, le solde
extérieur excédentaire, la situation des entreprises est globalement bonne et il
nexiste pas de tensions, bien au contraire, ni sur les capacités de production ni
sur le marché du travail. Léconomie européenne a surtout souffert et souffre
encore, du manque de dynamisme de la demande.
Néanmoins, les pays européens restent tenus de réduire leur déficit
public, alors que les perspectives de croissance sont moins favorables.
Une stratégie macro-économique claire en Europe et des politiques
budgétaires coordonnées peuvent-elles sortir lUnion de ce dilemme et venir en aide
à la croissance ?
Selon le Pacte de stabilité adopté au Conseil européen
dAmsterdam, les Etats participant à leuro sengagent à avoir, à moyen
terme, une situation budgétaire équilibrée ou excédentaire. Ils sengagent à
présenter des programmes dans lesquels sont précisés les objectifs budgétaires, la
manière de les atteindre, et la sensibilité des prévisions aux hypothèses
sous-jacentes. Ces programmes sont pluriannuels, réactualisés et corrigés dès
quil existe un risque de déficit excessif, et ils sont rendus publics.
La Commission européenne devra établir un rapport dès que le
déficit public effectif ou prévu dépassera 3%. Ce dépassement sera considéré comme
exceptionnel sil est consécutif à un événement inhabituel et indépendant de la
volonté de lEtat ou si lon constate une chute annuelle du PIB réel dau
moins 2%.
La coordination des politiques macro-économiques au cours de la
troisième phase de lUEM sest trouvée au coeur des débats du Conseil
européen à Luxembourg en décembre 1997, mais aucune décision contraignante na
été adoptée en ce sens par le Conseil. La coordination continue de reposer sur la bonne
volonté des Etats. Elle reste à imaginer et à mettre en oeuvre.
Il va sagir délaborer une combinaison satisfaisante
- ce que les anglo-saxons nomment un policy mix - entre une politique
monétaire unique et des politiques budgétaires décentralisées, mais soumises à des
normes de déficit.
Selon M. Pierre Jacquet, directeur-adjoint de lIFRI (),
la période difficile sera celle pendant laquelle les déficits resteront très près de
la marge supérieure autorisée, parce que la marge de manoeuvre budgétaire sera très
faible. Cest pourquoi, " la négociation doit pendant cette période de
transition porter sur une interprétation collective de ce que veut dire la maîtrise
budgétaire: cest, dune part, veiller à la solvabilité de la dépense
publique bien plus que de respecter un objectif de déficit ou de dette publique ;
dautre part, la coordination devrait consister à poser le problème de la
discipline budgétaire davantage en termes de budget global de la zone euro, plutôt
quune discipline décentralisée par pays ".
De ce point de vue, il faut se réjouir des conclusions du Conseil
informel de Pörtschach des 24 et 25 octobre 1998, au cours duquel un consensus sest
dessiné pour considérer par principe que lamortissement des dépenses publiques
dinvestissement ne peut être imputé comme déficit et pour souhaiter que la
politique monétaire prenne en charge la stimulation de lactivité. Lobjectif
commun clairement affirmé a été celui de la croissance et de lemploi.
La baisse simultanée, le 4 décembre dernier, des taux directeurs des
banques centrales des onze pays de la zone euro est, à cet égard, très encourageante.
C.- Programmer les dépenses sur plusieurs années et généraliser
lévaluation des résultats
Une approche renouvelée de la dépense publique doit reposer sur une
vision pluriannuelle et sur lexigence permanente dune évaluation de ses
résultats.
1.- Les avantages
dune vision pluriannuelle des dépenses
Avoir une vision, au-delà dun an, des processus économiques
contribuerait à rendre plus crédible laffirmation selon laquelle les politiques
économiques sont de nature à permettre de combattre les plus graves dysfonctionnements
du moment, tel le chômage.
Un débat démocratique permet alors de faire le choix des objectifs
prioritaires à atteindre en plusieurs années et des moyens, en loccurrence
budgétaires, à mettre en oeuvre pour y parvenir.
De surcroît, la capacité à prévoir les crédits nécessaires à la
mise en oeuvre dun programme daction qui va se dérouler sur plusieurs années
est probablement une source importante de rationalisation de la gestion et donc
déconomies.
Nimporte quel plan de reconversion industrielle, de modernisation
dun service public, de soutien à un secteur technologique ou encore la rénovation
des modes de rémunération des fonctionnaires, doit pouvoir se dérouler dans la durée,
en sappuyant sur une solide évaluation des besoins financiers et la garantie que
les tranches de financement prévues seront respectées.
La souplesse de gestion et ladaptation des moyens aux objectifs
qui en résultent et les contrôles réguliers, bien évidemment obligatoires, sont autant
de garanties dune bonne gestion des fonds publics.
Cette logique de programmation, venant aussi souvent que possible se
substituer à une logique de projet à court terme, va incontestablement dans le sens de
la modernisation de lEtat.
Un exemple est souvent cité, celui des plans
" objectifs-moyens " engagés par le ministère de léquipement
à partir de 1985. Ces plans reposent sur une gestion planifiée des ressources humaines
définie au niveau déconcentré. Ils ont permis de passer dune gestion de moyens à
une gestion par objectifs. Concrètement des accords dévolution pluriannuelle des
effectifs ont été conclus avec le ministère du budget, prévoyant un recyclage des
économies réalisées au profit de crédits de fonctionnement ou dinvestissement.
Mais il est paradoxal de constater que les mécanismes existant de
gestion pluriannuelle, tels que les contrats de plan ou les lois de programmation, qui
devraient être source de bonne gestion et déconomies, voient leur exécution
retardée pour des raisons de rigueur budgétaire à court terme.
Certes, les investissements dinfrastructures traditionnelles, qui
avaient initialement justifié les autorisations de programme ou contrats de plan, ne sont
plus, pour lessentiel, supportés par lEtat, mais par les collectivités
territoriales, qui réalisent désormais près des trois-quarts des investissements des
administrations publiques. Cependant, la programmation pluriannuelle pourrait retrouver
tout son intérêt pour des investissements immatériels tels que la recherche ou
lenseignement.
Un autre secteur exige également une analyse prospective des besoins
et une gestion prévisionnelle, il sagit de la gestion des ressources humaines de
lEtat ; les politiques de recrutement, dévolution des statuts, de
formation, doivent être programmées et leurs coûts évalués.
Il nexistait pas, en France, jusquà une date récente, de
projection de lévolution des finances publiques à moyen terme. A cet égard, le
Pacte de stabilité et de croissance exige, pour chaque Etat de la zone euro, une
programmation triennale assurant la consolidation budgétaire. Il faut donc désormais
admettre la nécessité dune programmation budgétaire pluriannuelle, au moins dans
ses grandes orientations.
La rigidité de lapproche annuelle de la dépense publique, outre
quelle est un facteur dincertitude, se traduit, dans les administrations, en
raison de possibilités limitées de reporter les crédits de dépenses ordinaires ()
dune année sur lautre, par des comportements favorisant les gaspillages
consistant à engager en fin dannée tous les crédits disponibles, en dehors de
toute recherche defficacité.
La maîtrise des dépenses publiques exige dassouplir ce carcan.
Une évolution dans ce sens est perceptible avec lobligation
faite, comme on vient de le voir, par le Pacte de stabilité et de croissance, pour les
pays de la zone euro, de présenter des programmations triennales de leurs finances
publiques. Une ébauche de cette démarche a été réalisée le 23 décembre 1998
devant la Commission des finances de notre Assemblée : le ministre de
léconomie, des finances et de lindustrie et le secrétaire dEtat au
budget sont venus présenter le programme pluriannuel des finances publiques dici à
2002. Il est certain que, pour lavenir, une préparation plus en amont permettrait
de développer un débat contradictoire à la mesure dun exercice aussi fondamental
que lexamen des grands choix économiques et financiers.
2.- Lévaluation
doit devenir un outil daide à la décision budgétaire
Lévaluation vise à énoncer, sur une politique ou un programme
spécifique, un jugement basé sur une information rigoureusement collectée et
débouchant sur une réelle connaissance dun phénomène.
Il est possible de lui assigner différents objectifs : examiner
lefficience dune action, ou mesurer la productivité ou le rapport
coût/qualité dun service, ou encore ce que les Britanniques appellent la
" value for money ", qui consiste à savoir si lon peut
atteindre le même résultat à un coût moindre. Lévaluation peut également
sintéresser aux conditions de mise en uvre dune politique, afin de
déterminer si les moyens utilisés sont adéquats.
Selon M. Jean-Claude Thnig, président du Conseil scientifique de
lévaluation (), lutilisation de cet outil, en France,
nest pas satisfaisante, bien quil existe de nombreux travaux
dévaluation dans les ministères, par exemple dans le domaine de lemploi ou
de léducation. Mais ces informations sont très peu utilisées au niveau national
et, surtout, elles se développent indépendamment de la préparation du budget.
M. Jean-Claude Thnig cite lexemple du " National
Audit Office " créé en 1983 au Royaume-Uni, chargé, pour le compte du
Parlement, dexaminer lactivité des départements ministériels et des
organismes publics sous langle de léconomie, de lefficience et de
lefficacité et qui élabore chaque année cinquante rapports de type value for
money.
En France, on constate une extrême centralisation, au plus haut niveau
de lEtat, pour le lancement de programmes dévaluation et, surtout, pour
lutilisation des résultats. Il en résulte une très forte dépendance de
lévaluation à légard des décideurs politiques gouvernementaux et de leur
plus ou moins grande sensibilité à cet outil. Or, il est indispensable quune
procédure dévaluation puisse suivre son cours jusqu'à la diffusion des
résultats, sans possibilité pour les autorités publiques den interrompre le
cours.
La France est, sur ce terrain, un cas unique en Europe, malgré le
relatif succès rencontré par lévaluation de plusieurs politiques (RMI,
informatisation, maîtrise de lénergie, modernisation du ministère de
léquipement). La loi quinquennale pour lemploi prévoyait, dans son
article 82, une procédure spécifique dévaluation qui aurait dû prendre la
forme dun rapport à mi-parcours, adressé par le Gouvernement au Parlement. Une
commission mixte composée de six parlementaires et de six membres désignés par le
Gouvernement devait contribuer à lélaboration de ce rapport. Or, le rapport,
publié en février 1997, na jamais été présenté au Parlement et encore moins
débattu.
Le lien entre la stratégie budgétaire et la demande
dévaluation doit être toujours présent, même si les résultats
dévaluation ne sont pas immédiatement traduisibles en termes de décision
budgétaire. Mais lévaluation doit permettre également une meilleure connaissance
des réalités. On citera, de ce point de vue, une étude très instructive réalisée par
le Centre détude des revenus et des coûts (CERC) (), supprimé en
1994, qui rappelle que la productivité dun service public se mesure en fonction du
degré de réalisation des objectifs qui lui sont assignés par les politiques publiques,
du degré de satisfaction des usagers et de la performance propre au service
(résultats/coûts). La mesure de la productivité globale dun service ne doit pas
se limiter à la seule mesure de la productivité du travail, mais intégrer bien
dautres gisements de productivité. Le CERC sappuie sur des exemples concrets,
en particulier les caisses dallocations familiales (CAF) et les unités forces du
ministère de la défense, où les gains de productivité importants (près de 4% en
moyenne dune année par rapport à la précédente entre 1987 et 1990 pour les CAF)
ont été réalisés en agissant sur tous les produits (services rendus) et les moyens mis
en oeuvre pour produire (frais daccueil, frais de publicité, démarchage auprès
des allocataires... pour les CAF).
De même que la productivité du travail nest pas le seul
élément à prendre en compte pour évaluer la productivité dun service de
lEtat ou dun service public, lévaluation de ce service ne se résume
pas à sa productivité. Cette évaluation dépend des résultats par rapport aux
objectifs assignés aux politiques publiques par le Gouvernement et le Parlement et aux
missions assignées aux différents organismes. Les questions éclairées par
lévaluation doivent donc être des questions pertinentes du point de vue des
grandes décisions publiques.
A côté des mécanismes de contrôle de la légalité des procédures
dutilisation de largent public, il est urgent que le Parlement sefforce
den évaluer les résultats, sil souhaite peser davantage sur les choix
budgétaires et contrôler réellement laction du Gouvernement. La concrétisation
de cette volonté devrait contribuer à résoudre certaines difficultés budgétaires et
même à renforcer, aux yeux de lopinion, la légitimité de laction publique,
grâce à la justification rationnelle des interventions et des dépenses collectives.
RETOUR SOMMAIRE
DEUXIÈME PARTIE
actuellement, LE PARLEMENT ne contribue pas fortement
À LAMÉLIORATION DE LEFFICACITÉ DE LA DÉPENSE PUBLIQUE
La Vème République marque, aux yeux de nos concitoyens, un
affaiblissement du pouvoir législatif, confronté à la puissance du pouvoir exécutif.
Cet affaiblissement serait particulièrement aigu en matière budgétaire et financière,
au point que certains ont évoqué " le déclin des pouvoirs financiers du
Parlement " ().
Lordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique
relative aux lois de finances régissant ces pouvoirs financiers a largement accompagné
cette évolution.
Il convient de rappeler que le texte fut, en effet, élaboré par la
direction du budget, au cours du dernier trimestre 1958, en dehors de toute concertation
avec la Commission des finances de lAssemblée nationale, et ce contrairement aux
modalités délaboration du décret de 1956, puis promulgué par voie
dordonnance sur la base de larticle 92 de la Constitution, destiné à
permettre la mise en place des institutions.
Lordonnance na, par la suite, fait lobjet que de deux
révisions dimportance mineure (), comme si elle était devenue une
sorte de " tabou ", comme la relevé M. Guy Carcassonne,
professeur de droit public, dans son intervention devant le groupe de travail.
Il est certes indéniable que lordonnance organique du
2 janvier 1959 a pour finalité de promouvoir une logique defficacité des
institutions de la Vème République, et ce au bénéfice du pouvoir exécutif. Doit-on
pour autant considérer que le Parlement en est réduit au rôle dune simple chambre
denregistrement ? Un tel jugement mérite dêtre nuancé, selon que le
Parlement exerce des fonctions de législation ou des fonctions de contrôle.
I.- Bien que
notre procÉdure budgétaire souffre dUN MANQUE DE TRANSPARENCE, LES PRÉROGATIVES
DU PARLEMENT LUI PERMETTENT, en thÉorie,
DAGIR SUR LA DÉPENSE PUBLIQUE
A.- LA
transparence DE NOTRE PROCédure budgétaire
est insuffisante
Pour exercer sa fonction de législateur, le Parlement dispose
dune masse dinformations abondante, voire surabondante.
Comme le prescrit larticle 32 () de
lordonnance organique, le Parlement reçoit, parallèlement au dépôt du projet de
loi de finances, une série de documents dorigine gouvernementale, destinés à
éclairer la représentation nationale sur les choix de lexécutif :
rapport économique, social et financier, analysant
lévolution économique internationale et explicitant les objectifs de la politique
gouvernementale ; ce rapport est assorti des comptes prévisionnels de la Nation,
lesquels récapitulent les hypothèses sur lesquelles repose le projet de loi de
finances ;
des annexes explicatives, avec notamment " les
bleus budgétaires " présentant les crédits des différents ministères, des
budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor, et le fascicule des voies et moyens
détaillant les évaluations de recettes et présentant les résultats du contrôle
fiscal, ainsi que les dépenses fiscales ;
des annexes générales : " les
jaunes " récapitulant la politique financière de lEtat pour un secteur
ou un sujet précis, " les blancs ", qui présentaient, pour chaque
ministère, le coût des programmes et les objectifs assignés, ayant aujourdhui
disparu.
Mais, comme le relève M. Jean-Pierre Lassale ()
" la véritable question est celle de lutilité réelle de ces
documents : sont-ils exploitables et exploités, ou constituent-ils un alibi commode
pour un exécutif, certain en définitive de pouvoir imposer ses choix ? ".
Une analyse plus poussée des informations mises à la disposition du
Parlement souligne que leur lisibilité, leur crédibilité et leur sincérité sont, pour
le moins, susceptibles dêtre améliorées ().
1.- Un manque de lisibilité constant
a) Des lacunes importantes
La plupart des personnes entendues par le groupe de travail ont
souligné le manque de lisibilité des informations transmises au Parlement.
- Il nexiste aucune présentation consolidée des comptes publics,
cest-à-dire des comptes de lEtat et de ses différents établissements
publics, des comptes des collectivités locales et des comptes sociaux.
Cette lacune a pour corollaire quil est difficile davoir
une vision consolidée des prélèvements obligatoires, alors que la fiscalité de
lEtat et les prélèvements sociaux senchevêtrent chaque jour davantage.
- LEtat ne fait lobjet daucun " bilan "
patrimonial et " hors bilan ".
Nos procédures budgétaires et comptables nous donnent, en effet, une
connaissance satisfaisante des flux de trésorerie, mais ne permettent pas
dappréhender les opérations non dénouées (telles que les charges à payer ou les
produits à recevoir) et les charges futures (amortissements des investissements,
provisions pour charges à payer).
Par ailleurs, nos procédures comptables ne fournissent aucune
information sur le patrimoine de lEtat (patrimoine immobilier, participations
des entreprises ou dans les organismes publics).
Enfin, le Parlement na pas de connaissance précise des
engagements à long terme le " hors-bilan " de
lEtat. Ainsi, le Parlement nest pas en mesure dévaluer les engagements
de lEtat sur les retraites des fonctionnaires, alors que ce poste de dépenses
devrait connaître une croissance importante au cours des prochaines années. De même, le
Parlement est dans lincapacité, comme la relevé M. Jean Arthuis,
sénateur, ancien ministre de léconomie et des finances, dans son intervention
devant le groupe de travail, dévaluer limpact à long terme de la crise
financière du Crédit lyonnais sur les comptes de lEtat ou dapprécier la
portée des engagements de lEtat sagissant des dettes de la SNCF, par exemple.
Notons, également, que la " dette publique " ne prend pas en compte,
en labsence de compatibilité patrimoniale, les garanties accordées par
lEtat.
Précisons, enfin, que si la dette publique de lEtat, définie au
sens strict par opposition au concept de " hors-bilan ", est
effectivement portée à la connaissance des parlementaires, cette notion soulève deux
difficultés. Le Parlement est, en effet, appelé, chaque année, à voter une
autorisation de principe de recours à lemprunt, alors que larticle 31 de
lordonnance organique dispose que le projet de loi de finances de lannée doit
comporter une évaluation " des ressources demprunts et de trésorerie " ().
Par ailleurs, si les méthodes de gestion de la dette de lEtat sont connues, les
opérations de gestion sur le marché de cette dette, telles quelles sont menées
par la direction du Trésor, en raison de leur caractère confidentiel, se caractérisent
par une profonde opacité. Notre collègue M. Philippe Auberger a ainsi fait
remarquer, au cours de lune de ses interventions devant notre groupe de travail,
que : " [les parlementaires] ne disposent pas déléments
suffisants pour apprécier les méthodes de gestion de la dette publique utilisées.
Sont-elles adéquates, en fonction de lévolution des taux dintérêt ?
Cela correspond tout de même à une masse de dépenses importantes [...] ".
- Il nexiste, également, aucun bilan consolidé des entreprises
publiques.
Comme la rappelé M. Jean Arthuis, chaque entreprise publique
présente ses comptes, sans que lEtat nimpose aucune règle de présentation.
Les informations transmises au Parlement ne donnent donc quune vision analytique de
chaque entreprise. Or, la publication dun bilan consolidé des entreprises publiques
permettrait de savoir si lEtat senrichit ou sappauvrit du fait de ses
participations, si le résultat dexploitation consolidé se solde par un bénéfice
ou par une perte, et si les entreprises publiques constatent ou non les dettes liées à
la retraite de leur personnel.
De manière plus générale, le Parlement dispose de peu
dinformations pertinentes sagissant du secteur public, en raison de la
réticence de la direction du Trésor à les fournir : le compte daffectation
des recettes de privatisation () ne présente, en recettes et en
dépenses, que des montants globaux. Il faut, à cet égard, toute la persévérance des
rapporteurs, spécial et général, pour obtenir des précisions sur la ventilation ()
de ces dotations par entreprise publique.
- Le Parlement ne dispose daucune vision globale et stratégique des
finances publiques françaises.
A défaut des éléments nécessaires, les débats en séance publique
sintéressent très peu aux perspectives macro-économiques de léconomie
française ou à lévolution de la charge consolidée de notre dette. Pourtant, de
telles discussions seraient on ne peut plus nécessaires, pour cerner les enjeux de nos
finances publiques. Or, le débat ne peut guère sappuyer sur des données
incontestables, à défaut, par nature, dêtre définitives. Ainsi certains
sinterrogent-ils sur la réalité de notre situation, comme M. Daniel Bouton,
ancien directeur du budget, qui a estimé, lors de son audition par le groupe de travail,
que " la situation consolidée des finances françaises [...] est
mauvaise et cela malgré la qualification obtenue aux critères de leuro ".
- Les informations transmises à la représentation nationale restent
enfermées dans un cadre strictement annuel : jusquà lexpérience
précitée, menée à la fin de lannée dernière pour satisfaire aux exigences
résultant du Pacte de stabilité et de croissance, il nexistait aucune projection
pluriannuelle sur lévolution de la fiscalité, des grandes catégories de dépenses
ou des fonctions collectives majeures.
Comme la expliqué, devant le groupe de travail, M. Jean
Picq, conseiller-maître à la Cour des comptes et auteur dun rapport, en mai 1994,
sur lEtat en France, intitulé " Servir une nation ouverte sur le monde ",
le Parlement peut être dans lincapacité de repérer les sources dexplosion
de la dépense publique et dévaluer les marges de manuvre budgétaire.
- Les projets de budget, émiettés entre ministères et titres, souffrent
également dun défaut de lisibilité et ne permettent pas dapprécier les
efforts de lEtat en faveur de telle ou telle politique.
M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, citait
ainsi, devant le groupe de travail, à titre dillustration, lexemple de la
formation professionnelle, dont il est à lheure actuelle impossible de chiffrer
correctement les coûts.
b) Certains progrès récents
Afin de nuancer ce tableau assez pessimiste, il convient de
reconnaître que des efforts ont récemment été accomplis pour améliorer la lisibilité
de nos finances publiques.
t Une innovation :
la loi dorientation quinquennale relative à la maîtrise des finances publiques du
24 janvier 1994
Rappelons que cette loi, adoptée dans le but de permettre le passage
à la monnaie unique, édictait des normes dévolution des charges (stabilisation
des dépenses de lEtat en francs constants) et fixait comme objectif de ramener le
déficit public à 2,5% du PIB en 1997, objectif par la suite décalé dun an.
Un rapport sur les orientations budgétaires à moyen terme était
annexé à la loi. Mettant en évidence la nécessité de réduire les déficits publics,
ce rapport proposait de définir une stratégie. Les enjeux de la politique budgétaire
apparaissaient donc plus clairement.
Cette démarche doit être réitérée, compte tenu des contraintes
résultant, comme on la vu, du Pacte de stabilité et de croissance. A cette fin,
les Etats membres doivent présenter devant le Conseil de lUnion européenne des
perspectives dévolution des dépenses publiques, de la dette publique et des
prélèvements obligatoires. M. Dominique Strauss-Kahn a évoqué, le 23 décembre
dernier, devant la Commission des finances de lAssemblée nationale, ces
perspectives, tout en précisant quelles navaient pas vocation à se voir
traduire en dispositions législatives.
Notons, toutefois, que, si la démarche ainsi engagée est de nature à
préciser les enjeux de notre politique budgétaire, elle est restée, dans les deux cas,
très globale.
t Un débat
dorientation budgétaire positif
- Une première expérience fut tentée, en avril 1990, avec
lorganisation dun débat dorientation budgétaire. Elle resurgit en mai
1996 et juin 1998, sans que cette formule soit cependant consacrée par les textes.
Théoriquement destiné à associer la représentation nationale à la
préparation du projet de loi de finances (), ce débat peut présenter un
intérêt majeur : il est loccasion de donner une dimension globale et
stratégique aux discussions sur nos finances publiques.
- Il faut, à cet égard, évoquer linitiative lancée par M. Jean
Arthuis, ministre de léconomie et des finances, en 1996. Sinspirant des
règles en vigueur pour les collectivités locales, il présenta le budget de lEtat
en distinguant les dépenses de fonctionnement de celles dinvestissement. Cette
distinction faisait ressortir que lemprunt (529 milliards de francs) ne servait
à financer que pour une part modeste les investissements (179 milliards de francs),
le solde étant utilisé pour rembourser les emprunts du passé (241 milliards de
francs) et financer les dépenses courantes (109 milliards de francs) ().
Cette présentation était destinée, pour reprendre les propos tenus
par M. Jean Arthuis devant le groupe de travail, " à faire prendre
conscience à nos compatriotes de lurgence et de la nécessité des réformes à
engager ". Effectivement, une telle présentation peut éclairer les enjeux
de nos finances publiques, et notamment le premier dentre eux : réduire notre
dette publique, afin de retrouver des marges de manuvre.
Cette initiative a donc permis, comme le souligne M. Jean Arthuis, de
" donner plus de signification et plus de lisibilité au budget, parce
quil ny a pas de démocratie sans lisibilité, sans transparence et sans
contrôle ".
Votre Rapporteur soulignera que, même si la démarche engagée en 1996
nétait pas dénuée daspects politiques, il peut être utile de persévérer
dans cette présentation des dépenses de lEtat, qui, sous réserve dun
reclassement sérieux des dépenses de fonctionnement tenant compte de leur incidence
économique, permet de mettre en évidence que nos recettes de fonctionnement ne dégagent
aucune marge de manuvre pour rembourser notre dette, obligeant la France à recourir
à lemprunt.
Votre Rapporteur relève, sur ce point, quune présentation des
dépenses de lEtat distinguant dépenses de fonctionnement et dépenses
dinvestissement, en vue de prohiber le déficit de fonctionnement de lEtat,
est sujette à controverses.
M. Daniel Bouton, ancien directeur du budget, a ainsi précisé,
au cours de son intervention devant le groupe de travail, que " sagissant
des dépenses de lEtat, la notion de dépense dinvestissement na pas
véritablement de signification ", remettant ainsi en cause la distinction
opérée et a rappelé, sagissant de la proposition de prohiber le déficit de
fonctionnement de lEtat, que " le traité de Maastricht nous fournit un
bon cadre, cest-à-dire que le 3% est un critère acceptable lorsque nous sommes en
bas de cycle et quil faut utiliser largent public pour faire marcher la pompe
de léconomie à condition que nous soyons en excédent primaire sur lensemble
de la loi de finances, cest-à-dire que le total des dépenses soit inférieur au
total des recettes après défalcation de la charge de la dette ".
M. Louis Schweitzer, ancien directeur de cabinet du Premier
ministre, a également, au cours de son intervention, abondé en ce sens, faisant valoir
le caractère non pertinent dune présentation des dépenses de lEtat calquée
sur les règles en vigueur pour les collectivités locales. Il a ainsi souligné que
" lorganisation [des dépenses de lEtat] à partir de la
distinction " dépenses dinvestissement-dépenses de
fonctionnement " conduit à poser différemment le problème macro-économique
du déficit budgétaire. Dans une entreprise, lon peut considérer légitime, si la
structure du bilan le permet, de financer linvestissement par emprunt, dans la
mesure où linvestissement rapporte largent nécessaire pour rembourser
lemprunt. Linvestissement de lEtat, dans la généralité des cas,
génère plus de dépenses que de recettes, cest-à-dire que, le plus souvent, un
investissement dEtat peut avoir un effet économique général favorable, mais il ne
lui rapporte rien ; il conduira à des dépenses daccompagnement de
linvestissement. Donc, du point de vue de léquilibre budgétaire, il ny
a, à mes yeux, pas lieu de traiter différemment les dépenses dinvestissement et
celles de fonctionnement. Au contraire, des dépenses dinvestissement peuvent, dans
certains cas, être plus négatives pour léquilibre budgétaire que les dépenses
de fonctionnement, dans la mesure où elles génèrent des charges de façon durable ".
2.- Une crédibilité parfois contestable
Nos comptes publics peuvent souffrir dun manque de crédibilité,
phénomène imputable à laléa inhérent aux prévisions économiques.
Rappelons que celles-ci sont élaborées sur la base des travaux de la
Commission des comptes de la Nation, publiés dans le cadre du rapport économique, social
et financier annexé au projet de loi de finances. Ces travaux débouchent sur des
prévisions économiques de court terme, élaborées grosso modo six mois avant que
le projet de loi de finances ne soit déposé.
Or, les hypothèses économiques retenues par le Gouvernement pour
construire son projet de budget font, traditionnellement, lobjet de critiques, il
est vrai plus ou moins justifiées.
Ainsi, le projet de loi de finances pour 1993 on pourrait
en citer aussi dautres reposait sur une hypothèse de croissance du PIB
de 2,6%, débouchant sur un déficit de 165,4 milliards de francs. Le rapport de la
Cour des comptes sur lexécution des lois de finances en vue du règlement du budget
de lexercice 1993 précise que la croissance française a, en réalité, connu, en
1993, une récession de 1,0%, laquelle a débouché sur un solde dexécution
négatif de 315,6 milliards de francs. De même, pour 1996, le Gouvernement tablait
sur une croissance du PIB de 2,8 % dans son projet de loi de finances initiale, alors
quelle ne sest élevée, en réalité, quà 1,2 % ().
Ces exemples mettent en exergue deux difficultés.
a) Un certain monopole dexpertise au profit du Gouvernement
La première difficulté a trait à la pertinence des hypothèses
économiques retenues par le Gouvernement. Or, celui-ci bénéficie, dune certaine
manière, dun certain " monopole dexpertise ". Certes, le
Rapporteur général de la Commission des finances de lAssemblée nationale
reproduit dans ses travaux, depuis 1988, les prévisions économiques des divers instituts
indépendants. Ceux-ci sont désormais entendus par la Commission des finances dès le
printemps. Par ailleurs, les députés ont accès aux travaux de la Commission des comptes
et des budgets économiques de la Nation. Enfin, la Commission des finances dispose de
crédits détudes pour faire réaliser des travaux économétriques. Il est à
observer quelle ne recourt que très épisodiquement et insuffisamment à cette
faculté ().
Mais, comme la relevé notre collègue M. Philippe Auberger,
Rapporteur général de la Commission des finances sous la précédente législature, ces
quelques initiatives restent sûrement insuffisantes pour permettre à notre Assemblée
dapprécier le bien-fondé des hypothèses économiques du Gouvernement. Sans doute
conviendrait-il, comme le fit très justement remarquer notre collègue, de
sinterroger sur la manière dont " lAssemblée et la Commission
des finances doivent sinsérer dans la réflexion économique et dans le système
dinformation économique français ".
b) Une difficile révision du projet de loi de finances
La seconde difficulté a trait aux modalités de révision du projet de
loi de finances lors de son examen par le Parlement.
Pour reprendre lexemple des projets de lois de finances pour 1993
et 1996, les hypothèses économiques retenues par le Gouvernement étaient contestées et
faisaient douter de la vraisemblance des données chiffrées qui en découlaient.
Mais, une refonte complète, en quelques semaines, à lautomne de
lannée n, du projet de loi de finances de lannée (n + 1), en vue dune
meilleure adaptation à la conjoncture, sapparente, il est vrai, à une
" mission impossible ". Cette difficulté pourrait être contournée
en construisant, dès le printemps de lannée n, diverses versions du projet de loi
de finances ou bien en ayant recours, le cas échéant, dès le printemps de lannée
(n + 1), à des collectifs budgétaires.
RETOUR SOMMAIRE
3.- Une sincérité parfois sujette à caution
Lors de son intervention, M. Jean Arthuis sest inscrit en faux
contre l" illusionnisme " affectant la rédaction de nos
comptes publics, qui permet au Gouvernement de jouer sur des artifices de présentation,
dans le but dafficher un déficit public moindre ou déchapper à
lautorisation budgétaire du Parlement. Cest davantage lancien ministre
que le parlementaire actuel qui alors sexprimait.
Rappelons, en effet, quen vertu des articles 2 et 16 de
lordonnance organique (), le budget de lEtat doit retracer
" lensemble des ressources et des charges de lEtat ".
Quen est-il dans la réalité ?
Lobjet des développements ci-après nest nullement de
retracer lensemble des artifices auxquels se livrent traditionnellement les
gouvernements successifs pour mettre en évidence une situation souvent plus apparente que
réelle. Une telle étude, pour être exhaustive, aurait nécessité des développements
qui nous auraient conduits au-delà des termes de la mission de notre groupe de travail.
Pour autant, il est possible de mettre en exergue les principales lacunes de la
présentation de nos comptes.
a) Des artifices de présentation
t En matière de
dépenses
On se bornera à citer les pratiques les plus courantes affectant la
sincérité des comptes publics.
- Notre comptabilité nappréhende que des flux de trésorerie : selon
larticle 16 de lordonnance organique, une dépense nest
comptabilisée comme telle quaprès visa de lordonnance ou du mandat par le
comptable assignataire. Ce système autorise donc de multiples artifices, puisquil
suffit de reporter des décaissements pour réduire, de manière factice, nos charges. Il
ny a donc aucune prise en compte des droits constatés.
Cette lacune constitue un obstacle à la prise en compte des
opérations non dénouées et à celle des charges futures. En particulier, labsence
de comptabilité en droits constatés ne permet pas dintroduire des provisions
pour charges à payer ou des amortissements des investissements, ce qui altère
également la présentation des comptes publics.
- Certains chapitres de crédits évaluatifs
, régis par larticle 9
de lordonnance organique, font traditionnellement lobjet de sous-évaluations
manifestes, quitte à enregistrer, en cours dexécution, de dépassements qui
auraient souvent pu être évités ().
- Les phénomènes de débudgétisation permettent de réduire les charges de
lEtat.
Un exemple célèbre, parce que censuré par le Conseil
constitutionnel, est larticle 34 du projet de loi de finances pour 1995. Cet
article envisageait de mettre à la charge dun établissement public administratif,
le Fonds de solidarité vieillesse, les majorations de pensions accordées aux
fonctionnaires de lEtat et aux exploitants agricoles en fonction du nombre de leurs
enfants.
La décision du Conseil constitutionnel () a limité,
depuis lors, le recours aux débudgétisations.
- La distinction opérée entre opérations de trésorerie et opérations budgétaires
permet de réduire artificiellement le solde dexécution budgétaire.
Comme la souligné le Professeur Paul Amselek (),
deux catégories de dépenses échappent, par ce biais, au budget de lEtat.
Il sagit, en premier lieu, de la prise en charge par lEtat
demprunts contractés par des organismes publics ou privés. Celle-ci ne devrait
nullement être considérée comme une opération de trésorerie, puisquil
sagit " dune dépense pure et simple de lEtat "
[...] au même titre que " les dépenses correspondant aux subventions
accordées par lui pour couvrir les annuités demprunts de tiers ".
Rappelons, à cet égard, que la Cour des comptes a critiqué le traitement comptable de
la reprise par lEtat de la dette de 110 milliards de francs de la sécurité
sociale, à compter du 1er janvier 1994. Cette opération, formellement régulière au
regard de lordonnance organique, a permis de substituer à un mécanisme
davances à court terme, traduit en dépenses et en recettes au budget de
lEtat, un prêt à long terme, dont le montant napparaît pas dans le budget,
mais dont les annuités de remboursement sont inscrites en recettes, réduisant
dautant le déficit budgétaire. Dans les deux cas, pourtant, la nature de la charge
de lEtat reste identique.
M. Paul Amselek cite, en second lieu, les opérations par lesquelles
lEtat règle ses créanciers " en leur remettant des obligations
payables à terme ou par annuités ". Lexemple le plus connu de ce
type dopération fut la manière dont lEtat remboursa, en 1993, aux
entreprises lincidence de la suppression de la règle du décalage dun mois en
matière de TVA : quelque 80 milliards de dépenses échappèrent alors au budget de
lEtat.
- Le recours à la procédure de " prélèvement sur recettes "
pour verser la contribution de lEtat au financement des dépenses des collectivités
locales et de lUnion européenne permet de ne pas inscrire en dépenses ces charges.
Rappelons, tout dabord, que le prélèvement sur recettes, non
prévu par lordonnance organique, permet à lEtat de céder à une tierce
personne une partie de ses recettes. Ce mécanisme est utilisé depuis 1969 pour verser la
contribution de la France au budget des Communautés européennes et pour participer aux
dépenses des collectivités locales. Par le biais de ce mécanisme, les sommes en jeu
apparaissent en déduction des recettes, mais non en charge, ce qui ne correspond pas,
dans bien des cas, à la réalité de lopération.
Concrètement, les montants en cause sont considérables. Le
prélèvement sur recettes au profit des Communautés européennes est évalué, par la
loi de finances pour 1999, à 95 milliards de francs, tandis que ceux bénéficiant
aux collectivités locales se montent à 176 milliards de francs.
Dans les deux cas, ces sommes sont appelées à croître, compte tenu
du poids croissant de lUnion européenne et de lapprofondissement de la
décentralisation.
Bien que validé par le Conseil constitutionnel dès 1982 (),
ce mécanisme fait lobjet de critiques réitérées de la part de la Cour des
comptes. En effet, soit ces versements sont, en réalité, des recettes propres de
lUnion européenne et des collectivités locales, comme cela est probablement le cas
pour les recettes communautaires autres que la contribution assise sur le PNB, auquel cas
elles sont simplement perçues, puis rétrocédées par lEtat, et doivent être
traitées en opérations de trésorerie ; soit il sagit de versements de
lEtat effectués au titre, dune part, de contribution à une organisation
internationale et, dautre part, de subventions, auquel cas les sommes en jeu
devraient être inscrites en dépenses au budget.
Soulignons, cependant, que cette évolution, pour fondée quelle
soit juridiquement, priverait - et cest là le paradoxe - le Parlement de
moyens dintervention : compte tenu de larticle 40 de la Constitution
relatif à la recevabilité financière des initiatives des membres du Parlement, ceux-ci
disposeraient de moyens dintervention moindres si les prélèvements sur recettes
devaient être comptabilisés comme charges de lEtat, matière où la compensation
nest pas admise, à la différence de ce qui est admis pour les ressources,
lorsquune initiative parlementaire est coûteuse pour les finances publiques.
t En matière de
recettes
- Les erreurs de prévision concernant le taux de croissance économique peuvent conduire
à des surévaluations des recettes fiscales. Ce fut notamment le cas, on la
vu, lors de la préparation du projet de loi de finances pour 1993.
Ce fut également le cas en 1996 : dans son rapport (n° 934)
sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de 1996, votre Rapporteur
relevait que les recettes fiscales nettes avaient été inférieures de
41,5 milliards de francs aux prévisions initiales, " ces moins-values
[nétant pas surprenantes] compte tenu des modalités délaboration de la
prévision associée à la loi de finances initiale ", comme le soulignait,
à lépoque, la Cour des comptes ().
- Laffectation des recettes de privatisation a donné lieu à de vives
controverses jusquen 1995.
En effet, de 1992 à 1994, les modalités de comptabilisation des
recettes de privatisation ont varié dune année sur lautre ().
La Cour des comptes a critiqué, à de nombreuses reprises, laffectation des
produits de privatisation dentreprises publiques au financement des dépenses
courantes. Il nen demeure pas moins que, jusquà la loi de finances
rectificative du 4 août 1995, qui a supprimé laffectation de tout ou partie
des recettes de privatisation au budget général, le Gouvernement saccordait de
larges marges de manuvre.
- La procédure des fonds de concours permet, enfin, de faire échapper une masse
importante de recettes non fiscales à lautorisation parlementaire et se traduit par
une sous-évaluation des recettes. Celles-ci, tout en transitant par le budget de
lEtat, napparaissent pas dans le projet de loi de finances, et ce, alors même
quelles sont prises en compte, en interne, par ladministration.
Les fonds de concours, régis par larticle 19 de
lordonnance organique, constituent une procédure ancienne, dont lorigine
remonte à une loi du 6 juin 1843. Cette procédure permet, par dérogation à la
règle de non-affectation, de prendre en compte la participation de personnes morales ou
physiques (essentiellement les collectivités locales, les établissements publics et
lUnion européenne) au financement de dépenses dintérêt général, des
crédits de même montant étant ouverts, en cours dexercice, au budget du
ministère concerné. Soulignons que larticle 19 de lordonnance organique
permet, en outre, au ministre des finances, sur simple décret, " dassimiler
le produit de certaines recettes non fiscales à des fonds de concours pour dépenses
dintérêt public " ; ces fonds par assimilation représentent
une part prépondérante des fonds de concours.
Globalement, les fonds de concours représentent actuellement des
sommes conséquentes : 65,3 milliards de francs en 1995, 73,3 milliards de
francs en 1996 et 68,5 milliards de francs en 1997. Ils sont évalués à
65,3 milliards de francs pour 1998 ().
Des réformes substantielles sont heureusement intervenues, au fil des
années, pour rationaliser cette procédure () et améliorer
linformation des parlementaires.
A partir de 1985, un document, sous forme de fascicule vert, annexé au
projet de loi de finances, intitulé " Récapitulation générale des fonds
de concours par budget ", a permis de réduire lopacité entourant les
fonds de concours, mais soulignons quil ne comportait aucune information de
synthèse. En 1994, un " état récapitulatif des crédits de fonds de
concours ", de couleur jaune, annexé au projet de loi de finances, a
succédé à ce document vert. Cet état récapitulatif, beaucoup plus clair, contient une
présentation densemble des fonds de concours et une analyse globale par ministère.
Depuis le projet de loi de finances pour 1996, ce " jaune " fournit
aux parlementaires, non seulement les résultats de lannée (n1) et les
prévisions de lannée (n), mais également une évaluation des fonds de concours
pour lannée (n+1), présentée par fascicule et par chapitre.
Par ailleurs, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du
30 décembre 1997 () sur le caractère irrégulier du rattachement de
ce quil est convenu dappeler les " crédits
darticles " par voie de fonds de concours au regard de
larticle 19 de lordonnance organique, il a été mis fin à cette
procédure. Rappelons, en effet, que celle-ci permettait douvrir des crédits au
budget des services financiers, crédits () destinés, notamment, à
abonder les rémunérations des fonctionnaires du ministère des finances. Les
prélèvements ainsi opérés étaient abusivement assimilés à des fonds de concours,
puisque, sagissant des crédits dits de larticle 5, ils étaient
alimentés par des recettes de nature fiscale, et, sagissant des crédits dits de
larticle 6, lacte générateur des prélèvements était une décision du
bénéficiaire. Malgré les critiques régulièrement présentées par les parlementaires
et par la Cour des comptes, il a fallu attendre le projet de loi de finances pour 1999
pour voir ces crédits darticles rebudgétisés (). Au total, plus
de 11 milliards de francs ont été ainsi réintégrés au budget.
De même, à la suite dune décision () de 1994
du Conseil constitutionnel fondée sur la notion de " charge par
nature ", le Gouvernement a procédé, à loccasion du projet de loi de
finances pour 1999, à la réintégration, au sein du budget général, de près de
15 milliards de francs, essentiellement imputables à la rebudgétisation des
crédits, précédemment ouverts par voie de fonds de concours, afférents aux charges de
pension des fonctionnaires de La Poste.
Il nen demeure pas moins que la situation nest pas encore
satisfaisante :
les fonds de concours ne font lobjet daucune
évaluation en loi de finances initiale, alors que, pour nombre dentre eux, les
montants, stabilisés depuis plusieurs années, sont connus à lavance et pris en
compte par ladministration ;
le champ dapplication de cette procédure demeure
excessif. Laffectation dune recette à une dépense " est
évidemment incontestable lorsquon est en présence dun véritable fonds de
concours, puisquil est nécessaire de respecter lintention de la partie
versante. [...] Laffectation pourrait également se justifier
lorsquelle permet de rapprocher les recettes propres et les dépenses de tel ou tel
service de lEtat ayant une activité quasi-commerciale " ().
Mais, ces exemples ne sont pas fréquents. La majeure partie des fonds
de concours reste constituée de recettes non fiscales, dont laffectation na
pas de réelle justification. Cette procédure est dautant plus choquante que
lassimilation de recettes non fiscales relève du pouvoir discrétionnaire de
lexécutif et de lui seul. Le Gouvernement est donc en mesure de faire échapper une
part non négligeable de recettes non fiscales à lautorisation budgétaire du
Parlement, à la fois en termes de volume et en termes daffectation. Ainsi, en 1997,
cest-à-dire avant les reclassements opérés dans le cadre du projet de loi de
finances pour 1999, les fonds de concours par assimilation se montaient à
35,8 milliards de francs (). A cet égard, la Cour des comptes
observe, en particulier, dans son rapport sur lexécution des lois de finances pour
lannée 1997, que le financement fréquent de
rémunérations par des fonds de concours " ne paraît pas conforme aux
règles [...], sagissant de charges permanentes par nature "
(page 290).
b) Un contrôle récent du Conseil constitutionnel
Les artifices de présentation des projets de loi de finances sont donc
nombreux et soulèvent la question de la réalité et de la sincérité du déficit
budgétaire affiché en loi de finances initiale. Certes, la Cour des comptes relève,
chaque année, ce quelle considère comme des irrégularités. Mais, ses
observations, qui interviennent a posteriori, sont rarement suivies deffets.
Il y a donc lieu de se féliciter du contrôle opéré, depuis quelques
années, par le Conseil constitutionnel, en matière de sincérité des lois de finances.
Lapparition, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de
la notion de sincérité budgétaire est relativement récente : elle remonte à
1993.
Dans une décision du 21 juin 1993 (), le Conseil
constitutionnel examina au fond les arguments des auteurs de la saisine, tendant à
contester la sincérité des recettes de privatisation évaluées dans le projet de loi de
finances rectificative pour 1993, même si, in fine, il ne les retint pas.
Le 29 décembre 1994 (), il déclara contraire à
la Constitution, au nom du principe dunité et duniversalité budgétaires,
larticle 34 de la loi de finances pour 1995, au motif que celui-ci opérait un
transfert de charges de lEtat vers le Fonds de solidarité vieillesse, alors que
celles-ci constituaient des " charges permanentes [relevant] par nature "
du budget de lEtat. Cette décision fut rendue au nom des principes dunité et
duniversalité, mais, en réalité, la censure de la non-inscription au budget de
lEtat de charges permanentes sanctionne également un défaut de sincérité.
Notons, par ailleurs, que le Conseil constitutionnel, dans cette décision, ne dénia
nullement au principe de sincérité, le rang de principe constitutionnel que les auteurs
de la saisine souhaitaient lui conférer, laissant entendre que la sincérité des lois de
finances constitue une exigence constitutionnelle.
Depuis 1993, le principe de sincérité budgétaire permet donc au
Conseil constitutionnel dexaminer la validité des prévisions de recettes (),
de contrôler les évaluations chiffrées des projets de loi de finances ()
ou encore de vérifier que les lois de finances ne font pas lobjet dartifices
comptables.
Cette jurisprudence présente un intérêt majeur, celui de rendre
ladministration très prudente dans lélaboration des projets de loi de
finances par crainte de la censure du juge constitutionnel. Mais, comme la noté
notre collègue M. Philippe Auberger, ce contrôle juridictionnel nintervient
qua posteriori et les seules sanctions envisageables sont extrêmement
brutales, puisquelles ne peuvent conduire quà lannulation des
dispositions incriminées, voire à celle de la loi de finances dans son ensemble,
obligeant par là même le Conseil constitutionnel à une extrême prudence.
Relevons, toutefois, que la récente décision précitée du Conseil
constitutionnel du 30 décembre 1997 relative aux fonds de concours, dans laquelle le
juge présenta au Gouvernement des recommandations, préfigure peut-être une évolution
de sa jurisprudence. Mais hormis cette avancée - récente -, il nexiste
à lheure actuelle aucun contrôle juridictionnel exercé a priori sur la
sincérité des projets de loi de finances.
Au-delà de la question de la pertinence des données transmises au
Parlement, il convient de sinterroger sur la question suivante : à partir de
ces données imparfaites, le Parlement dispose-t-il des prérogatives nécessaires pour
infléchir les projets de loi de finances présentés par le Gouvernement ?
B.- les
prÉrogatives du parlement lui permettent, en thÉorie, dagir sur la dÉpense
publique
Larticle 47 de la Constitution énonce que " le
Parlement vote les projets de loi de finances ". Contrairement à la
situation prévalant sous les IIIème et IVème Républiques, il a vu son pouvoir
dinitiative singulièrement réduit, les discussions relatives à la loi de finances
devant maintenant sengager sur la base du projet de loi gouvernemental. Comme
la souligné M. Guy Carcassonne, professeur de droit public, dans son intervention
devant le groupe de travail, cette situation nest pas propre à la France :
" A peu près partout, et pour des raisons bien connues, cest à
lexécutif quil convient - dans lusage qui est fait du budget comme
dun instrument avant tout économique - de définir les grands équilibres, et
ensuite de veiller, dans toute la mesure du possible, à leur respect, le législateur
ayant alors beaucoup plus un rôle dinfluence que décisif ". Votre
Rapporteur considère quil nest pas anormal que linitiative en matière
budgétaire relève dabord du Gouvernement. Mais cela doit conduire le Parlement à
exercer plus fortement son pouvoir de contrôle. Votre Rapporteur reviendra plus loin sur
ce point.
De même, conforté par lexistence de mécanismes de
" parlementarisme rationalisé " (article 49, alinéa 3, de la
Constitution, vote bloqué, seconde délibération assortie dun vote bloqué) et par
lémergence, à partir de 1962, du fait majoritaire, cest-à-dire dune
majorité stable et homogène, le pouvoir exécutif apparaît, toutefois, tout puissant.
Aussi convient-il de sinterroger sur le point de savoir si lautorisation
budgétaire ne devient pas trop formelle.
1.- Des pouvoirs dont la réalité et
létendue prêtent à discussion
En réalité, les prérogatives exercées par le Parlement en matière
financière et budgétaire ne sont pas aussi réduites que ne le laisserait supposer une
opinion très répandue.
a) Des pouvoirs dont la portée nest pas toujours évaluée à
sa juste valeur
Sans revenir ici sur lensemble des dispositions de
lordonnance organique, il convient de souligner les " faux-semblants ",
pour reprendre lexpression du professeur Paul Amselek (), de
certaines dentre elles.
t Un pouvoir
damendement limité, mais réel
Le pouvoir dinitiative du Parlement en matière budgétaire est
limité à ses seuls amendements. Or ceux-ci sont sévèrement encadrés.
Larticle 40 de la Constitution dispose, en effet, que
" les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne
sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des
ressources publiques, soit la création ou laggravation dune charge
publique ". Lordonnance organique procède à lapplication de ce
dispositif aux lois de finances, en prévoyant, dans son article 42 :
" aucun article additionnel, aucun amendement à un projet de loi de finances
ne peut être présenté, sauf sil tend à supprimer ou à réduire effectivement
une dépense, à créer ou à accroître une recette ou à assurer le contrôle des
dépenses publiques. Tout article additionnel et tout amendement doit être motivé et
accompagné des développements des moyens qui le justifient. La disjonction des articles
additionnels ou amendements qui contreviennent aux dispositions du présent article est de
droit ".
Ces dispositions ont pour finalité déviter que les amendements
du Parlement ne dénaturent léquilibre financier retenu par le Gouvernement.
Appliquées de manière stricte, elles auraient abouti à contraindre fortement le pouvoir
damendement des parlementaires. Une interprétation souple a donc été retenue, ce
qui laisse au pouvoir législatif une certaine marge de manuvre pour modifier le
projet de loi de finances du Gouvernement.
- En matière de ressources, outre laugmentation dune ressource, les
parlementaires peuvent proposer la diminution dune ressource, dès lors quils
" gagent " cette réduction par la majoration, à due concurrence,
dune autre ressource bénéficiant à la même catégorie de collectivités
publiques. Par ailleurs, la pratique a admis que les parlementaires pouvaient revoir à la
baisse les propositions daugmentation de ressources présentées par le
Gouvernement, dans la mesure où la base de référence retenue par le juge de la
recevabilité sera, dans un tel cas, le droit existant et non pas le texte en discussion.
Ainsi, le Parlement conserve-t-il formellement un large pouvoir fiscal, conformément à
notre tradition institutionnelle.
- En matière de dépenses, en revanche, la compensation nétant pas admise,
le Parlement ne se voit pas autorisé à prendre linitiative dune augmentation
dune dépense.
Précisons, toutefois, que cette règle est en pratique, atténuée. La
logique majoritaire conduit, en effet, le Gouvernement à reprendre à son compte des
propositions damendements visant à accroître les dépenses publiques et qui
auraient donc été irrecevables sous la signature de députés, au regard de
larticle 40 de la Constitution.
Relevons que les parlementaires sont en mesure de présenter des
amendements de réduction de crédits, à condition toutefois que cette réduction soit
effective, motivée et que lamendement en cause précise, dans son exposé des
motifs, le chapitre dimputation. Soulignons, également, que si ces initiatives
devaient aboutir à dénaturer " les grandes lignes de léquilibre
préalablement défini " (), elles seraient fragiles au
regard des dispositions de lordonnance organique, sauf à ce que les parlementaires
se soient préalablement prononcés, lors de lexamen de la première partie, en
faveur dun amendement de réduction des plafonds des charges modifiant
léquilibre général. Autrement dit, si des parlementaires entendent réduire
effectivement les dépenses publiques, ils sont habilités à le faire, mais dans le cadre
dune stratégie prédéfinie tenant compte du niveau de léquilibre général.
On observera que lintervention, en amont, des parlementaires,
dans le cadre des réflexions menées en vue de la préparation de la loi de finances,
peut leur permettre dexercer un rôle significatif. Votre Rapporteur en prendra pour
exemple la préparation du projet de loi de finances pour 1999 : le Gouvernement,
dès la fin de lautomne 1997, avait annoncé les trois grands axes des réformes
fiscales envisagées dans le cadre de ce projet de loi de finances : fiscalité
locale, fiscalité écologique, fiscalité du patrimoine ; la Commission des finances
a donc pu, avant lété 1998, faire connaître son sentiment sur ces trois dossiers
dans le cadre de rapports dinformation et ses observations ont alimenté la
réflexion gouvernementale ; plusieurs de ses propositions ont ainsi été prises en
compte dès lélaboration du projet, ce qui a réduit dautant la nécessité
de lamender.
Le pouvoir dinitiative du Parlement nest donc pas
négligeable. Comme le souligne le Professeur Paul Amselek () :
" Si linitiative budgétaire du Parlement est limitée, elle est
limitée à lessentiel : les Assemblées ont, en définitive, conservé intact
leur rôle originaire de protection des contribuables et de contrôle de "la
nécessité de la contribution publique" que leur a reconnu larticle 14 de la
Déclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789. Elles peuvent réduire les
dépenses projetées par le Gouvernement, faire la chasse aux gaspillages ou aux
utilisations à mauvais escient des deniers publics ; elles peuvent refuser ou
diminuer les augmentations dimpôts que lExécutif sollicite, ou encore
apporter des améliorations au système fiscal existant tout en lui conservant le même
rendement. Ces pouvoirs revêtent à lépoque actuelle une importance accrue :
alors que lEtat-Providence sessouffle et est menacé dapoplexie, et dans
les directions nouvelles tracées par lUnion européenne, lheure nest
plus aux dérapages démagogiques et aux initiatives dalourdissement des charges
publiques et daggravation de la pression fiscale ou de lendettement public et
du déficit budgétaire, mais à une gestion rigoureuse de ressources publiques désormais
limitées et à létroite surveillance de leur bon emploi. "
t Une globalisation des
votes finalement favorable à lexercice du pouvoir dautorisation
Lordonnance organique du 2 janvier 1959 a considérablement
réduit le nombre de votes dont fait lobjet le projet de loi de finances.
Sur la base de larticle 41 de lordonnance
organique (), les évaluations de recettes font lobjet dun
vote unique, lors de ladoption de larticle déquilibre, qui porte
approbation de létat A récapitulant les recettes. Sagissant des dépenses,
les services votés font lobjet dun vote unique pour le budget général,
dun vote par budget annexe et dun vote par catégorie de compte spécial du
Trésor ; les mesures nouvelles sont, en pratique, votées par ministère et par
titre pour le budget général et font lobjet dun vote unique par budget
annexe et par catégorie de comptes spéciaux du Trésor.
- Lordonnance organique, précédée dans cette démarche, sous la
Ivème République, par le décret-loi de 1956, a donc mis fin au vote par chapitre,
consacré sous la IIIème République par la loi du 16 septembre 1871 et devenu le
symbole de la nature démocratique du régime. Le nombre de votes est ainsi passé de
3.000 sous la IIIème République et 5.000 sous la IVème République à environ 120
sous la Vème République ().
Cette réduction drastique du nombre de votes a été interprétée, à
tort, comme le signe dun affaiblissement des pouvoirs du Parlement. Il est vrai que,
pendant plus dun siècle, la multiplication des votes était assimilée à un
approfondissement du contrôle parlementaire. En réalité, cette multiplication du nombre
de votes se traduisait par un examen pointilleux de la dépense publique, mais sans vue
densemble, et débouchait souvent sur un enlisement des débats. En réduisant le
nombre de votes, lordonnance organique leur a, au contraire, donné une plus grande
signification politique.
- La réduction du nombre de votes prive-t-elle, par ailleurs, le Parlement de
tout droit de regard sur les sommes en jeu ? Lintroduction dun vote
unique sur 90% des crédits du budget général, les services votés, ne se traduit-elle
pas par un " référendum appliqué aux finances publiques ",
pour reprendre lexpression utilisée par René Pleven en 1959 ?
Il convient ici de lever un malentendu : les parlementaires sont,
juridiquement, en mesure de réviser, dans la limite de leur droit damendement, les
services votés, qui, contrairement à une idée reçue, nont, en droit, rien
dintangible. Il leur suffit, pour cela, dadopter une mesure nouvelle de
diminution de crédits, laquelle modifiera la dotation de tel ou tel chapitre. Il reste
que cette démarche est parfois délicate à engager.
De manière plus générale, la distinction opérée entre unité de
spécialisation et unité de vote, avec pour corollaire labandon du vote par
chapitre, ne fait pas obstacle au pouvoir de réformation du Parlement. Par le biais de
leur pouvoir damendement, les parlementaires peuvent proposer la diminution
effective du montant des crédits de chaque chapitre. La rationalisation de la procédure
de vote signifie uniquement quun tel examen nintervient plus
systématiquement, mais uniquement sur initiative parlementaire.
Comme le résumait M. Dominique Strauss-Kahn, alors Président de la
Commission des finances de notre Assemblée, en 1989 (), " ce
système est finalement plus logique que le vote formel de tous les crédits chapitre par
chapitre. Si personne ne soulève de contestation, le Parlement se contente de voter les
crédits au niveau du titre ; il suffit de la volonté dun seul parlementaire
pour que la chambre à laquelle il appartient soit appelée à voter au niveau du chapitre ".
Les pouvoirs budgétaires du Parlement ne sont donc pas juridiquement
aussi faibles quon le dit. En témoignent, par exemple, les modifications qui sont
apportées chaque année, depuis 1981, par la majorité sénatoriale, lorsquopposée
au Gouvernement, elle nest pas tenue par la solidarité majoritaire qui caractérise
les décisions de lAssemblée, au projet de loi de finances, ou encore les mesures
adoptées, chaque année, à linitiative de lAssemblée nationale, qui sont
loin dêtre négligeables compte tenu des marges de manuvre, elles-mêmes
limitées, dont dispose le Gouvernement.
Plus que les considérations juridiques, cest la nécessaire
solidarité, dans notre système institutionnel qui reste parlementaire, entre la
majorité et le Gouvernement, qui explique, en grande partie, la nette insuffisance dans
lutilisation de ces pouvoirs.
La situation présente est-elle pour autant
satisfaisante ? Au travers des réflexions de notre groupe de travail, il
ressort clairement que non, car les dispositions de lordonnance organique ont
engendré des effets pervers.
b) Des effets pervers
Lexercice, par le Parlement, de son pouvoir financier fait
apparaître plusieurs types de dysfonctionnement.
t Une attention trop
exclusive portée par le Parlement au domaine fiscal
Comme la souligné M. Daniel Bouton, ancien directeur du
budget, dans son intervention devant le groupe de travail, le Parlement dispose
" dune influence certaine sur la fiscalité ". Il va donc
en jouer et modifier, à la marge, les dispositifs fiscaux.
Cette situation explique que, désormais, les parlementaires
concentrent lessentiel de leurs travaux sur les aspects fiscaux du projet de loi de
finances, au détriment des aspects budgétaires ou de lexamen des problèmes
densemble, et ce alors même que les dispositions fiscales pourraient parfaitement
faire lobjet dune simple loi ordinaire.
Ce dysfonctionnement explique aussi, comme la souligné notre
collègue M. Jean-Jacques Jégou, que notre procédure budgétaire soit devenue
lapanage dun nombre réduit de spécialistes en mesure dappréhender les
subtilités de notre droit fiscal.
Soulignons, enfin, que les marges de manuvre reconnues au
Parlement en la matière, et donc sa volonté dexercer ses prérogatives,
expliquent, sans doute, en partie, la complexité de notre législation fiscale,
complexité qui est aussi liée aux interactions entre ladministration et les
groupes de pression.
t Un examen des
dépenses dépourvu dintérêt réel
Lintroduction, contrairement à larticle 41 de
lordonnance organique, dun vote des mesures nouvelles, non pas par titre et
par ministère, mais par ministère et par titre a fait prévaloir une logique sectorielle
lors de lexamen des crédits, au détriment dun débat par type de dépenses.
Aussi, lexamen de la deuxième partie du projet de loi de
finances est-il devenu loccasion, pour chaque ministre, de présenter la politique
menée dans son domaine de compétence et, pour les parlementaires, de prendre la parole
sur les différents aspects de la politique gouvernementale.
Lexamen de la deuxième partie du projet de loi de finances a
perdu progressivement de sa pertinence. Comme la souligné M. Michel Prada,
ancien directeur, successivement, de la comptabilité publique et du budget, dans son
intervention devant le groupe de travail, " les discussions ministère par
ministère sont parfois des exercices de style, elles permettent certes une présentation
sectorielle de la politique ministérielle, mais ne donnent pas lieu à un examen très
approfondi de sa stratégie et mélangent un peu le regard sur le passé et celui sur le
futur ".
t Une logique tacite en
faveur de laugmentation de la dépense publique
Les prérogatives reconnues au Parlement en matière de ressources
expliqueraient, selon M. Daniel Bouton " quen contrepartie de
cette balance de pouvoirs, il accepte depuis quarante ans de nexercer quun
contrôle extrêmement faible sur les dépenses publiques. " Le
Professeur Jean-Pierre Lassale () évoque " une sorte de
consensus implicite, et peut-être inavoué [...] pour laisser à lexécutif
et à ladministration une liberté daction étendue ".
Or, M. Jean Picq, conseiller-maître à la Cour des comptes,
impute à " linsuffisance du contrôle parlementaire "
lincapacité de la France à réduire la dépense publique à hauteur des
performances réalisées par les autres Etats membres de lUnion européenne.
Plusieurs éléments dexplication rendent compte de cette
situation :
- la France " privilégie une logique budgétaire de dépenses au détriment
dune logique comptable de résultats ", pour reprendre les propos de
M. Jean Picq. A aucun moment de lexamen de la deuxième partie du projet de loi
de finances, il nest, en effet, envisagé dévaluer les résultats des actions
menées et dallouer, en conséquence, les crédits ;
- lexamen des dépenses par ministère a également pour effet pervers de favoriser
la croissance des dépenses. Celle-ci étant considérée, en France, comme
électoralement payante, ainsi que la exposé M. François de Closets,
journaliste, dans son intervention devant le groupe de travail, chaque ministre recherche
une augmentation de ses crédits budgétaires. " Un ministre influent [...]
reste toujours, pour les médias comme pour le Parlement, le ministre qui voit son budget
augmenter fortement ", a rappelé notre collègue M. Pierre
Méhaignerie. M. Michel Charasse a, également, abondé en ce sens, au cours de son
intervention devant notre groupe de travail, précisant que " pour les
parlementaires moyens et les lobbies de tous poils, un budget qui naugmente pas est
un mauvais budget, alors quun budget qui augmente est un bon budget ! La
question de savoir ce que lon fera avec largent du contribuable na
absolument aucune importante [...] " ;
- la distinction opérée entre services votés et mesures nouvelles
constitue, non
pas juridiquement, mais en fait, en raison de la pesanteur quelle exerce, un
obstacle à une appréciation de la dépense publique en fonction de son efficacité.
Lidée initiale pouvait certes sembler pertinente : les
parlementaires étaient appelés à concentrer leur attention sur les mesures nouvelles,
positives ou négatives, présentées par le Gouvernement, plutôt que de procéder,
chaque année, à un réexamen de la totalité des crédits alloués.
Ce mode de raisonnement apparaît peut-être plus adapté à une
période de croissance économique quà celle dune appréciation de
lefficacité de la dépense publique : la conception implicitement retenue a
été longtemps celle dune croissance continue du budget, grâce à laquelle les
mesures nouvelles viennent chaque année sajouter aux précédentes.
Par ailleurs, et bien que des mesures nouvelles négatives permettent
la remise en cause de certaines dépenses, il y a, dans la distinction opérée entre
services votés et mesures nouvelles, une incitation à limmobilisme. Comme la
souligné M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, dans son
intervention devant le groupe de travail, " on approuve par un vote unique
plus de 90% des dépenses du budget. Cela limite singulièrement la pertinence de la
discussion budgétaire, cest-à-dire les variations par rapport à lannée
précédente et favorise limmobilisme. La plus grande partie du budget est
reconduite dannée en année, sans examen ". Soulignons, à cet
égard, quau cours de ces dernières années, une seule tentative importante de
remise en cause des services votés a été tentée, lors de lexamen du projet de
loi de finances pour 1995, et ce, sans grand résultat, parce que se voulant trop
systématique.
- Larticle 40 de la Constitution constitue un obstacle majeur à la remise en cause
de la dépense publique, dans la mesure où il prohibe la compensation entre charges.
Notre collègue M. Philippe Auberger a souligné, dans une intervention
au cours de nos travaux, que cette disposition interdisait au Parlement de procéder à
" une sorte dexercice déconomie, comme le fait le Gouvernement
dans le cadre de la régulation budgétaire " et quun parlementaire
" na aucune possibilité denvisager un redéploiement "
de crédits ou " de modifier une affectation de recettes à une dépense ".
Ces contraintes expliquent " la très faible mobilité possible des crédits
au niveau du vote de la loi de finances initiale ".
Notre collègue M. Gilles Carrez a rappelé, à cet égard, son
expérience en tant que Rapporteur spécial, de 1995 à 1997, du budget de
léducation nationale. Les modifications consensuelles souhaitées par les
administrations concernées se sont heurtées à la rigidité de larticle 40 de la
Constitution interdisant aux parlementaires de procéder à des redéploiements de
crédits.
Sil ressort de ce rapide tour dhorizon que le Parlement
dispose de prérogatives moins réduites quon ne le croit, il apparaît pertinent de
sinterroger sur le point de savoir si elles sont adaptées à notre époque. A
laube du vingt-et-unième siècle, doit-on régir nos finances publiques comme en
1959 ? Au terme de quarante années dexistence, lordonnance organique du
2 janvier 1959 ne nécessite-t-elle pas une révision en profondeur ?
Une telle démarche semble indispensable lorsque lon se penche,
au-delà des prérogatives des parlementaires dans la confection du budget, sur les marges
de manuvre dont dispose le Gouvernement pour sécarter de lautorisation
budgétaire votée par le Parlement.
2.- Une autorisation parlementaire souvent
contournée
lors de lexécution du budget
Le Gouvernement dispose de prérogatives importantes, qui lui
permettent de modifier, en cours dexécution, le montant et la nature des crédits
ouverts en loi de finances initiale.
Ces modifications peuvent intervenir, soit par voie législative, par
le biais de ladoption dun projet de loi de finances rectificative, soit par
voie réglementaire. Dans le premier cas, elles sont soumises à lautorisation
budgétaire du Parlement ; dans le second, elles échappent au contrôle de la
représentation nationale.
- Or, une étude rapide des sommes en jeu souligne, comme le montre le tableau
ci-joint, quau cours des quinze dernières années, le pouvoir exécutif sest
sensiblement écarté de lautorisation budgétaire délivrée par le Parlement et
ce, sur le seul fondement de son pouvoir réglementaire, donc en dehors de tout contrôle,
si lon tient compte du fait que lexamen des projets de loi de règlement ne
constitue quun exercice formel, au moins jusquà maintenant.
Ainsi, en 1996, les mouvements de crédits opérés par voie
réglementaire ont ouvert ou annulé, lorsquon totalise la valeur absolue des masses
déplacées, 223 milliards de francs (soit 9,7% des crédits initiaux) et procédé
au transfert, au virement ou à la répartition de 166 milliards de francs (soit 7,3%
des crédits initiaux) ().
BUDGET DE
LÉTAT :
MODIFICATIONS AU MONTANT DES CRÉDITS BRUTS |
Année |
Modifications opérées
par voie législative (a) |
Solde des modifications
opérées
par voie réglementaire (b) |
Total des
modifications |
|
En milliards
de francs |
En % des
crédits initiaux |
En milliards
de francs |
En % des
crédits initiaux |
En % des
crédits votés |
En milliards
de francs |
En % des
crédits initiaux |
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997 |
+ 77,27 (c)
+ 30,30 (d)
+ 22,31
+ 48,05
+ 28,10
+ 61,99 (d)
+ 31,30
+ 52,57
+ 46,79
+ 53,36
+ 33,62
+ 56,76
+ 141,30 (d)
+ 46,32
+ 126,95 (d)
+ 47,86
+ 64,44 |
8,51
2,65
1,73
3,45
1,86
3,91
1,91
3,09
2,65
2,81
1,84
2,97
7,01
2,19
5,84
2,09
+ 2,75 |
+ 68,92
+ 54,74
+ 48,65
+ 67,96
+ 95,29
+ 88,49
+ 132,25
+ 104,98
+ 108,84
+ 125,43
+ 119,56
+ 124,45
+ 80,18
+ 125,53
+ 84,63
+ 130,84
+ 131,22 |
7,59
4,79
3,79
4,88
6,31
5,58
8,07
6,17
6,17
6,60
6,55
6,51
3,98
5,96
3,89
5,72
+ 5,59 |
7,00
4,66
3,72
4,72
6,20
5,38
7,92
5,98
6,01
6,42
6,43
6,32
3,72
5,83
3,68
5,60
+ 5,44 |
+ 146,19
+ 85,04
+ 70,96
+ 116,01
+ 123,39
+ 150,48
+ 163,55
+ 157,55
+ 155,63
+ 178,79
+ 153,18
+ 181,21
+ 221,48
+ 171,85
+ 211,58
+ 178,70
+ 195,66 |
16,10
7,44
5,52
8,33
8,17
9,49
9,98
9,26
8,82
9,41
8,39
9,48
11,00
8,15
9,73
7,81
+ 8,34 |
(a) Ouvertures de crédits
dans la quasi-totalité des cas.
(b) Y compris les rétablissements de crédits (16,96 milliards de
francs en 1996) et les annulations associées aux lois de finances rectificatives.
(c) 4 lois de finances rectificatives.
(d) 2 lois de finances rectificatives.
Source : Rapport n° 934, présenté par votre Rapporteur, en
qualité de Rapporteur général de la Commission des finances,
de léconomie générale et du plan, sur le projet de loi
(n° 587) portant règlement définitif du budget de 1996 et rapport de la Cour des
comptes sur lexécution des lois de finances pour lannée 1997. |
- Les marges de manuvre dont dispose lexécutif, bien que
conformes, dans leur principe, à lordonnance organique, pourraient donc prêter à
critique en raison même de leur ampleur. Comme le soulignent les tableaux ci-joints, la
mise en uvre des prérogatives du Gouvernement, notamment lorsquelles se
traduisent par le rattachement au budget de crédits par voie de fonds de concours ou par
des arrêtés dannulation, représente, en effet, des sommes non négligeables. Sans
doute conviendrait-il, à cet égard, douvrir un vaste chantier de réforme de
lordonnance organique, afin de contenir les prérogatives du pouvoir exécutif dans
des limites évitant la remise en cause du pouvoir et du vote du Parlement.
MODIFICATIONS APPORTÉES AU MONTANT DES CRÉDITS BRUTS
DU BUDGET DE LÉTAT
(en milliards de francs) |
|
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 (a) |
Evolution 1997/1996 (en %) |
Crédits votés : |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Loi de finances initiale |
1.899,93 |
1.825,66 |
1.912,23 |
2.013,01 |
2.106,94 |
2.174,47 |
2.288,02 |
2.346,28 |
+ 2,5 |
Loi(s) de finances rectificative(s) |
53,36 |
33,62 |
56,76 |
141,26 |
46,32 |
126,95 |
47,86 |
64,44 |
+ 34,6 |
A.- Total des crédits votés |
1.953,29 |
1.859,29 |
1.968,99 |
2.154,28 |
2.153,26 |
2.301,42 |
2.335,88 |
2.410,73 |
+ 3,2 |
Modifications apportées au montant des crédits votés
: |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Reports de la gestion précédente
|
62,39 |
60,44 |
56,39 |
53,22 |
61,07 |
54,68 |
67,75 |
69,80 |
+ 3,0 |
Décrets davances
|
3,74 |
1,50 |
14,78 |
5,00 |
7,24 |
0,60 |
17,73 |
12,84 |
27,6 |
Arrêtés dannulations
|
- 14,67 |
- 19,16 |
- 23,5 |
- 65,46 |
- 29,21 |
- 54,11 |
- 46,00 |
- 36,77 |
20,1 |
Fonds de concours rattachés
|
47,87 |
57,14 |
59,85 |
64,07 |
63,38 |
65,27 |
73,31 |
68,53 |
6,5 |
Augmentations de crédits gagées par des ressources nouvelles
|
2,77 |
0,39 |
1,01 |
5,47 |
7,06 |
0,88(c) |
1,08 |
n.d. |
n.d. |
Solde
|
102,10 |
100,32 |
108,53 |
62,3 |
109,54 |
67,33 |
113,88 |
114,40 |
+ 0,5 |
Rétablissements de crédits
|
23,33 |
19,24 |
17,97 |
17,87 |
16,75 |
17,30 |
16,96 |
13,87 |
18,2 |
B.- Majoration totale du montant des crédits votés
|
125,43 |
119,56 |
125,45 |
80,18 |
126,29 |
84,63 |
130,84 |
128,27 |
2,0 |
C.- Total des crédits disponibles (b) |
2.078,72 |
1.978,85 |
2.095,22 |
2.234,46 |
2.279,55 |
2.386,05 |
2.466,72 |
2.533,99 |
+ 2,7 |
(a) Résultats provisoires
pour lexercice 1997
(b) Crédits ouverts et rétablissements de crédits . C = A + B.
(c) Y compris 83,98 millions de francs de " mesures
diverses " (reprise de dotation aux amortissements du budget annexe de
laviation civile)
Source : Rapport n° 963, présenté par votre Rapporteur, en
qualité de Rapporteur général de la Commission des finances,
de léconomie générale et du plan, préalable au débat
dorientation budgétaire pour 1999. |
BUDGET DE LÉTAT :
MASSES DÉPLACÉES PAR VOIE RÉGLEMENTAIRE (a)
(en % des crédits initiaux bruts) |
|
1986 |
1987 |
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
A.- Majorations brutes des crédits
: |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Reports de la gestion précédente
|
2,73 |
2,59 |
3,09 |
2,9 |
3,28 |
3,31 |
2,95 |
2,64 |
2,89 |
2,51 |
2,96 |
Décrets davances
|
0,03 |
0,44 |
0,28 |
0,4 |
0,2 |
0,0 |
0,77 |
0,24 |
0,34 |
0,03 |
0,77 |
Fonds de concours rattachés
|
2,97 |
2,99 |
2,45 |
2,4 |
2,52 |
3,13 |
3,13 |
3,25 |
3,0 |
3,0 |
3,20 |
Augmentations de crédits gagées par des ressources nouvelles
|
0,30 |
2,27 |
0,05 |
0,18 |
0,15 |
0,0 |
0,05 |
0,27 |
0,33 |
0,04(b) |
0,05 |
Rétablissements de crédits
|
0,90 |
0,85 |
0,82 |
0,88 |
1,23 |
1,05 |
0,94 |
0,88 |
0,79 |
0,80 |
0,74 |
Total |
6,95 |
9,15 |
6,69 |
6,78 |
7,38 |
7,59 |
7,85 |
7,23 |
7,35 |
6,38 |
7,73 |
B.- Annulations de crédits |
1,36 |
1,09 |
0,52 |
0,61 |
0,77 |
1,05 |
1,23 |
3,25 |
1,38 |
2,49 |
2,01 |
C.- Variation totale du montant des crédits en cours
dannée (A + B) |
8,31 |
10,24 |
7,21 |
7,39 |
8,15 |
8,64 |
9,08 |
10,48 |
8,73 |
8,87 |
9,74 |
(a) Y compris
rétablissements de crédits.
(b) Y compris " mesures diverses " au budget annexe
de laviation civile.
Source : Rapport n° 934, présenté par votre Rapporteur, en
qualité de Rapporteur général de la Commission des finances,
de léconomie générale et du plan, sur le projet de loi (n° 587) portant
règlement définitif du budget de 1996. |
- En outre, votre Rapporteur souhaiterait souligner le caractère extrêmement
préoccupant, plus encore que les dispositions de lordonnance organique autorisant
ces diverses modifications, de lusage que fait le Gouvernement de ces dispositions.
Ce sont, en effet, la pratique, plus que les règles juridiques, qui ont accru les marges
de manuvre du Gouvernement. Compte tenu de lampleur des entorses
régulièrement dénoncées par la Cour des comptes, votre Rapporteur limitera son exposé
aux exemples les plus significatifs.
a) Une gestion des crédits budgétaires à la discrétion du
Gouvernement
Les gouvernements recourent, en effet, systématiquement, à diverses
techniques, qui leur permettent, en " contournant " les dispositions
de lordonnance organique, de sécarter de lautorisation budgétaire
délivrée par le Parlement.
t Les décrets
davance, véritables actes législatifs
Larticle 11 de lordonnance organique ()
impose, pour recourir à des décrets davance, que soient réunies des conditions
durgence et que léquilibre financier de la dernière loi de finances ne soit
pas affecté. Les sommes en jeu sont considérables, comme le montre le tableau ci-après.
Or, comme le relève régulièrement la Cour des comptes,
lurgence alléguée par le Gouvernement nest que rarement établie. Les
décrets davance servent bien souvent à couvrir des besoins prévisibles avant
même le vote de la loi de finances initiale, mais sous-évalués volontairement, afin de
respecter léquilibre financier affiché par le Gouvernement en loi de finances
initiale. Ce caractère durgence est, dailleurs, singulièrement contestable
lorsque les crédits ouverts sont utilisés tardivement, voire ne sont pas utilisés.
Quant à léquilibre financier, il nest respecté que de
manière formelle, par le biais dannulation de crédits prétendument sans emploi ou
de majoration de recettes budgétaires qui ne font lobjet daucune
justification de fond. Le tableau ci-après souligne, en effet, que des annulations de
crédits sont systématiquement associées aux ouvertures de crédits, prises sur décret
davance. A quelques exceptions près, les montants en jeu sont équivalents.
De manière plus précise, rappelons que votre Rapporteur a
souligné ()que le décret davance, du 31 mars 1995, avait
été " gagé par des économies de pure apparence ". De même,
le décret davance du 10 avril 1996 (), portant ouverture de
crédits à hauteur de 6,8 milliards de francs, a été gagé, pour partie, par
" la constatation de ressources non fiscales à hauteur de 2 milliards
de francs ", que le Rapporteur général de lépoque avait qualifiée
de " gage peu satisfaisant " ().
En réalité, les décrets davance tendent à devenir, comme le
relève le Président Philippe Séguin (), de " véritables
actes législatifs édictés par voie réglementaire, sans possibilité réelle de
sanction ultérieure. De telles pratiques procèdent, de la part de lexécutif, non
seulement de la recherche bien naturelle de lefficacité tranquille, mais aussi,
hélas, de la crainte du débat public ".
BUDGET GÉNÉRAL :
ÉVOLUTION DES OUVERTURES PAR DÉCRETS DAVANCE ET DES ANNULATIONS ASSOCIÉES |
|
Nombre de
|
Montants
(en millions de francs) |
Part dans les crédits
initiaux nets
(en %) |
|
décrets davance |
Ouvertures |
Annulations
associées |
Solde |
Ouvertures |
Annulations |
Solde |
1980
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998 |
2
2
1
2
1
3
2
2
2
1
2
1
2
1
2
2
2 |
3.496 285
2.150
3.780
630
7.284
4.362
5.073
2.803
1.500
14.781
5.000
7.245
600
17.731
12.836
6.037 |
610
250
2.781
530
5.219
2.733
6.573
3.743
(a)
4.781
5.000
7.170 (c)
600
14.851 (d)
12.781
5.358 |
2.886 285
1.900
999
100
2.065
1.629
1.500
940
1.500
10.000 (b)
0
75 (c)
0
2.880 (e)
55 (f)
679 (g) |
0,67 0,05
0,27
0,4
0,06
0,69
0,40
0,44
0,23
0,12
1,12
0,36
0,50
0,04
1,14
0,81
0,38 |
0,12
0,03
0,3
0,05
0,5
0,25
0,57
0,31
0,36
0,36
0,49
0,04
0,95
0,81
0,33 |
0,55 0,05
0,24
0,1
0,01
0,19
0,15
0,13
0,08
0,12
0,76
0,00
0,01
0,00
0,19
0,00
0,04 |
(a) Indépendamment de
louverture de crédits militaires par décret davance le 23 août, au titre de
lopération Daguet, un arrêté du 9 mars 1991 a annulé 10.069 millions de francs,
soit 0,79% des crédits initiaux.
(b) Léquilibre du décret davance du 2 septembre 1992
a été assuré par les recettes de privatisation tirées de la cession de 2,3 % du
capital dElf-Aquitaine par lERAP (1,6 milliard de francs) et de
21,7 % du capital de Total par lEtat (8,4 milliards de francs).
(c) Léquilibre du décret davance du 29 septembre
1994 a en outre été assuré par lannulation de 75 millions de francs de
crédits sur le compte de prêts du FDES.
(d) Arrêtés dannulation des 10 et 12 avril et du 26 septembre
1996.
(e) Léquilibre des décrets davance a en outre été
assuré par respectivement 2 milliards de francs et 870,04 millions de francs de
ressources non fiscales.
(f) Léquilibre des décrets davance a en outre été
assuré par une annulation de 55 millions de francs sur le compte de prêts du FDES.
(g) Léquilibre du décret davance du 21 août 1998 a
en outre été assuré par 679,2 millions de francs de ressources non fiscales.
Source : Rapport n° 1224, présenté par votre Rapporteur, en
qualité de Rapporteur général de la Commission des finances, de léconomie
générale et du plan, sur le projet de loi de finances rectificative pour 1998. |
t Un recours abusif au
crédit global
Les crédits globaux, régis par larticle 7 de lordonnance
organique (), visent à couvrir des dépenses dont lobjet ne peut
être déterminé lors du vote du projet de loi de finances. Ils concernent notamment les
dépenses éventuelles ou accidentelles.
Mais, en réalité, cette dérogation au principe de spécialité des
crédits est également " utilisée dans des cas où la répartition finale
était prévisible dès le vote de la loi de finances, à seule fin de réserver le plus
longtemps possible au ministre des finances la disposition des crédits " ().
Cette pratique est abusive lorsque le recours à la procédure des
crédits globaux tend à être utilisée, comme nous allons le voir ci-après, pour
régulariser rétroactivement des dépassements irréguliers de crédits limitatifs. Des
améliorations ont cependant été enregistrées, à cet égard, depuis une dizaine
dannées.
t Des dépassements
abusifs des crédits limitatifs
La notion de crédits limitatifs, de droit commun, implique quune
dépense ne peut être engagée que dans la limite du montant des crédits ouverts.
Or, jusquen 1992, date à laquelle ils étaient devenus une
pratique de gestion courante pour les crédits de rémunération des personnels (),
puis de nouveau en 1996 et 1997, ladministration a procédé, en cours
dexercice, à des dépassements de crédits limitatifs, régularisés en loi de
finances rectificative.
Outre le fait quelle constitue une infraction aux dispositions de
lordonnance organique, en remettant en cause la nature même des crédits
limitatifs, cette dérive reflète " la manière pour le moins désinvolte " ()
dont les services anticipent lautorisation budgétaire délivrée par le Parlement
et loctroi de nouveaux crédits. Elle est même extrêmement dangereuse, puisque le
Parlement pourrait, au moins en théorie, refuser loctroi des crédits
correspondants.
Par ailleurs, cette méthode de gestion prenait une tournure très
contestable, lorsque les dépassements de crédits limitatifs opérés sont couverts, de
manière rétroactive, par un arrêté de répartition sur crédit global, afin de
régulariser les dépassements observés préalablement au dépôt du projet de loi de
règlement. Comme le relevait, en effet, M. Jacques Magnet (),
conseiller-maître à la Cour des comptes, " lordonnance organique (article 35)
réserve au Parlement la facilité de couvrir, par une disposition de la loi de
règlement, les dépassements de crédits quil estimerait justifiés par des
circonstances de force majeure ; en sabsolvant elle-même,
ladministration méconnaît la distribution constitutionnelle des pouvoirs ".
t Lexistence de
chapitres réservoirs
La pratique des " chapitres réservoirs " permet à
lexécutif de " masquer lobjet ou le montant des dépenses
réelles " ().
Cette dérive a été rendue possible par la définition posée à la
notion de chapitre : celui-ci regroupe, en effet, des dépenses non seulement de
même nature (), mais également selon leur destination ().
Ce deuxième critère a favorisé la constitution de chapitres au contenu large,
qualifiés de " chapitres réservoirs ".
Une catégorie spécifique de chapitre réservoir pose singulièrement
problème : il sagit du chapitre 31-94 du budget des charges communes,
relatif aux rémunérations de la fonction publique. Comme la dénoncé, au cours de
son intervention devant le groupe de travail, M. Daniel Bouton, ancien directeur du
budget, " la mécanique du 31-94 permet de supprimer toute intervention du
Parlement [en matière de politique salariale de la fonction publique] ", le
Gouvernement prélevant les sommes nécessaires sur le chapitre précité sans en
référer au Parlement.
Rappelons, ainsi, quun accord salarial a été signé en février
1998 entre le Gouvernement et les principales organisations syndicales (),
dont les effets, en année pleine, sélèvent à 10,6 milliards de francs pour
1998 et 4,7 milliards de francs en 1999, soit, au total, pour ces deux années,
15,4 milliards de francs. A cet égard, la question se pose dapprécier la
capacité, voire la légitimité, à engager les finances publiques dun seul trait
de plume sans que le Parlement soit amené à se prononcer.
Ces quelques exemples ne constituent pas les seules atteintes portées
aux prérogatives du Parlement. Dans le contexte des réductions budgétaires que nous
connaissons, notamment depuis le début des années 1990, le Gouvernement na, en
réalité, que de faibles marges de manuvre financières pour accroître, par le
biais des pratiques précédemment décrites, les crédits. Plus lourdes de conséquences
sont les opérations de régulation budgétaire destinées à annuler les crédits votés
par le Parlement.
b) Une pratique de la régulation budgétaire peu respectueuse
des prérogatives du Parlement
La régulation budgétaire pourrait se définir comme " [un
infléchissement] du rythme de la dépense budgétaire pour des motifs qui peuvent
tenir au réglage conjoncturel de la situation économique ou à la nécessité de
maîtriser la dépense publique " ().
- Elle prend, concrètement, la forme, soit, en fin dannée, de reports
de crédits, tirant la conséquence de la décision de retarder leur utilisation, soit, le
plus fréquemment, de gels de crédits, suivis de leur annulation, afin de gager des
mesures nouvelles décidées par le Gouvernement et non prévues en loi de finances
initiale ou de limiter volontairement les dépenses.
Ces annulations de crédits ont pris, au cours des dernières années,
des proportions importantes. Les sommes annulées par arrêtés se sont, ainsi, élevées,
en crédits bruts, aux montants suivants :
ANNULATIONS DE CRÉDITS
BRUTS DU BUDGET DE LETAT
(en milliards de francs) |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
14,67 |
19,16 |
23,5 |
65,46 |
29,21 |
54,11 |
46,00 |
Source : Rapport
n° 963, présenté par votre Rapporteur, en qualité de
Rapporteur général de la Commission des finances, de léconomie
générale et du plan, préalable au débat dorientation budgétaire pour 1999. |
Les annulations en montants nets, plus significatives, sont les
suivantes :
ANNULATIONS DE CRÉDITS
NETS DU BUDGET DE LETAT (a)
(en millions de francs) |
|
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
Budget général |
|
|
|
|
|
|
|
|
Dépenses ordinaires civiles nettes |
|
|
|
|
24.212,3 |
8.899,1 |
16.600,1 |
16.878,7 |
Dépenses ordinaires en capital |
|
|
|
|
2.583,9 |
2.744,2 |
4.644,7 |
5.620,0 |
Dépenses militaires ordinaires |
|
|
|
|
751,3 |
1.117,4 |
|
|
Dépenses militaires en capital |
|
|
|
|
9.010,9 |
|
11.892,3 |
8.507,1 |
Total du budget général |
9.630,6 |
13.247,3 |
18.611,6 |
17.200,0 |
36.558,3 |
12.760,6 |
33.137,1 |
31.005,8 |
pour mémoire : crédits bruts |
9.730,6 |
13.347,3 |
18.611,6 |
23.000,0 |
59.968,3 |
29.061,6 |
43.157,1 |
40.205,8 |
Budgets annexes |
826,8 |
50,5 |
2,1 |
1,5 |
1,2 |
20,7 |
122,4 |
117,0 |
Comptes spéciaux du Trésor |
|
|
|
|
|
|
|
|
Comptes daffectation spéciale |
|
|
141,5 |
500,0 |
|
819,5 |
|
5.510,0 |
Comptes de prêts |
190 |
1.273,7 |
400,6 |
|
5.500,0 |
75,0 |
6.850,0 |
167,5 |
Comptes davances |
|
|
|
|
|
|
3.980,0 |
|
Total |
10.647,4 |
14.571,5 |
19.155,8 |
17.701,5 |
42.059,5 |
13.675,8 |
44.089,5 |
36.800,3 |
(a) Les documents de
récapitulation établis par la direction de la comptabilité publique à loccasion
des projets de loi de règlement ne permettent pas, avant lannée 1993, de
décomposer les annulations de crédits nets effectuées sur le budget général en
fonction des catégories de dépenses.
Source : Rapport n° 934, présenté par votre Rapporteur, en
qualité de Rapporteur général de la Commission des finances,
de léconomie générale et du plan, sur le projet de loi (n° 587) portant
règlement définitif du budget de 1996. |
Précisons, toutefois, que les mesures de régulation budgétaire ne
concernent pas lensemble des crédits : " les rémunérations des
personnels, les dépenses liées à la solvabilité de lEtat, les transferts sociaux
constitutifs de droits, les engagements internationaux,[...] et les services votés " ()
sont, par nature, exclus de la régulation budgétaire. Par ailleurs, le Gouvernement peut
exclure de toute mesure de régulation budgétaire les domaines quil juge
prioritaires.
- Le principe dune annulation de crédits est, certes, fondé
juridiquement. Rappelons, en effet, que le Parlement vote des autorisations de dépenses,
lesquelles constituent des plafonds à ne pas dépasser, et non une obligation de
dépenser. Le Gouvernement est, par conséquent, habilité à ne pas utiliser la totalité
des crédits ouverts.
Par ailleurs, les incertitudes qui entourent les hypothèses
économiques retenues par le Gouvernement lors de lélaboration du projet de loi de
finances, le caractère parfois approximatif des dotations budgétaires et les aléas de
la conjoncture imposent de donner au Gouvernement les moyens dadapter, en cours
dexécution, le budget voté. La régulation infra-annuelle des dépenses publiques
est donc une nécessité.
Pour autant, les modalités et les objectifs poursuivis par le biais de
la régulation budgétaire ne sont pas exempts de critiques.
t Une base juridique
inexistante
- Les opérations de régulation budgétaire reposent, juridiquement, sur
larticle 13 de lordonnance organique, lequel dispose que " tout
crédit qui devient sans objet en cours dannée peut être annulé par arrêté du
ministre des finances après accord du ministre intéressé ".
La Cour des comptes a eu, à maintes reprises, loccasion de
préciser que les dispositions de larticle 13 de lordonnance organique ne
devaient être réservées quaux seuls crédits devenus sans objet,
cest-à-dire aux crédits qu" il est, par excès dans les
prévisions ou par survenance dévénements imprévus lors du vote de la loi de
finances initiale, impossible, et non seulement inopportun, dutiliser, ou du moins
dutiliser intégralement, aux dépenses en vue desquelles ils ont été ouverts,
lannulation pour dautres motifs devant être prononcée par une loi de
finances rectificative définissant un nouvel équilibre budgétaire " ().
Or, le caractère systématique et forfaitaire des annulations de
crédit, leur caractère répétitif (), le fait même que, parfois, ces
crédits prétendument sans emploi et donc, à ce titre, annulés soient ultérieurement
rétablis, soulignent que le Gouvernement, en ayant recours à larticle 13 de
lordonnance organique à des fins de maîtrise de léquilibre budgétaire, se
livre à ce qui peut être assimilé à un détournement de procédure. Le Gouvernement ne
peut, en effet, estimer que des crédits sont devenus sans objet seulement parce
quil décide de ne pas les utiliser, à moins de considérer alors que
lensemble des crédits pour dépenses non obligatoires sont potentiellement des
crédits sans objet.
- En réalité, la régulation budgétaire, telle quelle est mise en
uvre depuis le début des années 1980, sert, non pas à réguler lexécution
budgétaire en fonction de la conjoncture, mais sinscrit dans une politique de
redressement structurel de nos finances publiques, en vue de maintenir léquilibre
budgétaire dans les limites préalablement définies par la loi de finances initiale. A
ce titre, la régulation budgétaire peut être considérée comme un instrument de
politique budgétaire à moyen terme.
Rappelons, brièvement, à cet égard, que la maîtrise du déficit
public est devenue un objectif à part entière de notre politique budgétaire.
Lobligation de satisfaire aux critères de convergence du traité sur lUnion
européenne a imposé, à la France comme aux autres Etats membres de lUnion
européenne, une politique de redressement des finances publiques. Or, compte tenu du
poids des marchés financiers internationaux, ce redressement passe désormais, non
seulement par laffichage dun déficit public respectant les normes édictées,
mais également par un suivi de lexécution, afin de respecter léquilibre
préalablement défini. A cet égard, force est de constater que la régulation
budgétaire, notamment lorsquelle passe par des normes forfaitaires de réduction
des crédits, sest révélée un instrument dune forte efficacité.
t Une autorisation
parlementaire contournée
Evoquant lampleur des prérogatives dont jouit le Gouvernement en
cours dexécution pour gérer lautorisation budgétaire délivrée par le
Parlement, le Professeur Guy Carcassonne, au cours de son intervention devant notre
groupe de travail, a jugé " quil y a quelque chose de parfaitement
indécent, non seulement à ce que, lencre de la loi de finances étant à peine
sèche, elle soit déjà substantiellement modifiée, mais aussi à ce que, en cours
dannée, des sommes extrêmement significatives se promènent à travers des
virements, des transferts, des décrets davances ou des annulations. Il existe une
disproportion frappante entre le débat budgétaire, à loccasion duquel peuvent se
nouer des conflits politiques, des débats très vifs sur laffectation de un, deux
ou trois milliards de francs, et le fait que plus tard dans lannée, un trait de
plume et deux signatures permettront de déplacer cinq, dix ou vingt milliards de francs
au titre de la régulation budgétaire ".
- Il est, en effet, indéniable que les mesures de gel et dannulation de
crédits décidées dans le cadre de la régulation budgétaire constituent une atteinte
aux prérogatives budgétaires du Parlement.
M. Daniel Bouton, ancien directeur du budget, relevait, à cet
égard, au cours de son intervention devant notre groupe de travail, que " la
loi qui est votée na pas vocation à être appliquée, en ce sens que la direction
du budget a déjà, sur instruction du Premier ministre, préparé le 1er décembre
le plan de régulation des crédits qui sappliquera le 3 janvier, après la
promulgation ".
Le montant des sommes en cause revient à vider de sa substance le
contenu de lautorisation budgétaire délivrée par le Parlement. Ce fut notamment
le cas en 1993, 1995 et 1996, où les annulations de crédits nets au budget général se
sont, respectivement, élevées à 36,5, 33,1 et 31 milliards de francs. Comme le
souligne le Président Philippe Séguin, " le caractère excessif de ces
méthodes, observé depuis plusieurs années et sous toutes les majorités, tend à vider
de leur contenu les autorisations initiales votées par le Parlement " ().
Pour sa part, M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de
léconomie, des finances et de lindustrie, a indiqué, devant le groupe de
travail, quil navait pas procédé à de telles régulations.
Ces mesures dannulation de crédits portent dautant plus
atteinte aux prérogatives du Parlement quelles interviennent souvent peu de temps
après ladoption définitive du projet de loi de finances. Rappelons ainsi, à titre
dillustration, quen 1996, le ministre de léconomie, des finances et du
budget annonçait, dès le 26 février, un gel des crédits, pour chaque ministère,
de 15% () des crédits de dépenses ordinaires et de 25% des crédits de
paiements pour les autorisations de programmes ouvertes au titre de la loi de finances
initiale pour 1996. De telles décisions ne manquent pas de souligner le caractère
artificiel des projets de lois de finances votés par le Parlement.
Il nest pas dans notre propos de remettre en cause la nécessité
dajustements des crédits en cours dexécution, à des fins de maîtrise de
léquilibre budgétaire. Mais, encore faudrait-il que ces exercices soient menés
par le pouvoir investi constitutionnellement de lautorité budgétaire, à savoir le
Parlement. Les annulations de crédits décidées dans le cadre de la régulation
budgétaire ne correspondent pas à lesprit de larticle 13 de
lordonnance organique et devrait donc relever de la compétence exclusive du
Parlement.
- Rappelons, à cet égard, que le Parlement disposait, jusquen 1981,
dun droit de regard sur les mesures de régulation budgétaire.
Comme le relevait M. Alain Richard dans son rapport relatif au
projet de loi de finances rectificative pour 1991, les mesures de régulation ont
consisté, de 1959 à 1981, en un " article dhabilitation figurant dans
la loi de finances pour 1959 et autorisant le Gouvernement à déterminer un programme
déconomies par décret ".
Un article de régulation était donc voté, le Parlement habilitant le
Gouvernement à réaliser un certain volume déconomies, dont le montant ne pouvait
être inférieur à un certain niveau. Larticle 16 de la loi de finances pour
1959 précisait que ce volume déconomies, fixé par décret, était déterminé par
une commission composée de représentants du Conseil dEtat, de la Cour des comptes,
du ministre des finances, du ministre chargé de la réforme administrative et placé sous
lautorité du Premier ministre.
Le Parlement obtint, par la suite, un droit de regard sur la nature de
ces économies. Larticle 32 de la loi de finances pour 1969 prévoyait, en
effet, de soumettre à la ratification du Parlement, par une loi de finances
rectificative, la répartition par titre et par ministère de ces économies.
A partir de 1969 et jusquen 1981, un nouveau mécanisme de
régulation fut introduit, par le biais de fonds daction conjoncturelle (FAC). Ces
derniers avaient une finalité radicalement distincte des actuels mécanismes de
régulation budgétaire, puisquil sagissait, non pas de maîtriser la dépense
publique à des fins déquilibre budgétaire, mais de prévoir, selon
lévolution de la conjoncture, déventuelles dépenses supplémentaires. Il
est, toutefois, intéressant de noter que les procédures envisagées prévoyaient un
droit de regard du Parlement.
Cette procédure visait, en effet, à prévoir, en loi de finances
initiale, une enveloppe prévisionnelle de crédits destinés au financement
dinvestissements. Les parlementaires étaient donc appelés à se prononcer sur le
principe et le montant global, réparti entre ministères, des sommes en jeu. En revanche,
lengagement de ces sommes était laissé à lappréciation du Gouvernement,
ainsi que leur répartition au sein de chaque ministère.
Compte tenu de ces expériences passées, il semblerait donc
envisageable dintroduire des mécanismes permettant de ne pas bafouer
lautorisation budgétaire délivrée par le Parlement lors de la mise en uvre
de mesures de régulation budgétaire.
Au-delà des atteintes portées aux prérogatives du Parlement, la
régulation budgétaire apparaît également critiquable au regard de ses conséquences
sur la gestion publique.
t Une gestion publique
remise en cause
Lincertitude entourant les dotations budgétaires dont pourront
disposer les gestionnaires perturbe, en effet, laction administrative et provoque
des retards dans lexécution.
Par ailleurs, le caractère étroit de lassiette sur laquelle
pèsent les mesures de régulation budgétaire, ainsi que leur caractère forfaitaire et
uniforme, aboutissent à pénaliser des programmes parfois jugés prioritaires. Les
opérations dinvestissement, ainsi celles relatives aux contrats de plan
Etat-régions, sont aussi particulièrement pénalisées.
Enfin, on peut sinterroger sur lefficacité de ces mesures
de régulation. Les administrations cherchent, en effet, à se prémunir contre leurs
effets en réclamant des dotations qui excèdent leurs besoins réels. Mais surtout, une
logique de gestion à très court terme de léquilibre budgétaire semble
sêtre imposée, au détriment dune vision globale et de moyen terme. Ainsi,
si la régulation budgétaire a permis de contenir les dépenses, elle semble avoir été
contre-productive en termes defficacité de la dépense publique. A cet égard, la
Cour des comptes () a estimé que le gel des crédits, décidé par la
lettre ministérielle du 26 février 1996, lequel était assorti de " linterdiction
dengager plus de la moitié des crédits avant la fin du premier semestre ",
contredisait, en raison de cet " échelonnement de la dépense ",
" toutes les dispositions en vigueur, dont celles issues du ministère du
budget, selon lesquelles les crédits doivent être délégués aux services
déconcentrés à hauteur de 80% avant la fin du premier trimestre. La segmentation des
engagements de crédits en deux périodes va à lencontre de la politique de
déconcentration et de responsabilisation affichée avec constance depuis 1990. "
Les pouvoirs financiers du Parlement apparaissent, au total,
relativement limités dans lexercice de ses fonctions de législateur, même
sils sont plus importants, sans doute, que lopinion publique ou les
parlementaires eux-mêmes ne veulent le croire. Mais, rappelons, à cet égard, que la
logique de nos institutions repose sur une prééminence du pouvoir exécutif dans
lélaboration des lois de finances. A la différence dun régime
présidentiel, tel que celui des Etats-Unis, dans lequel le pouvoir législatif dispose
dune véritable initiative financière, un régime parlementaire présuppose une
coopération organisée entre les pouvoirs exécutif et législatif. Sans doute cette
coopération laisse-t-elle, en France, une part excessive de prérogatives au
Gouvernement. Des réaménagements de notre procédure budgétaire sont donc nécessaires.
Mais, létude des seules prérogatives du Parlement en tant que
législateur ne permet pas dappréhender, dans sa globalité, les pouvoirs de
celui-ci en matière budgétaire. En effet, au-delà du principe dautorisation
budgétaire, lune des fonctions majeures du Parlement est de contrôler
laction du Gouvernement, à la fois sur le plan de sa régularité et de son
efficacité. Comme la fait très justement remarquer le Professeur Guy Carcassonne
dans son intervention devant le groupe de travail, on peut sinterroger sur le point
de savoir si, dans un régime moderne, où il est difficilement concevable que le
" Parlement fabrique une loi de finances de A à Z ", le rôle
des parlementaires en matière budgétaire nest pas dabord de contrôler la
dépense publique.
II.- Mais, le
parlement na eu, jusque lÀ, ni la ferme volontÉ de contrÔler la dÉpense
publique, ni les moyens den Évaluer les performances
Ce terme de contrôle est ambigu, car il recoupe, en réalité, deux
fonctions distinctes, comme la souligné, devant le groupe de travail, M. Loïc
Philip, professeur de droit public. Il renvoie, dune part, à un exercice de suivi
des crédits budgétaires, afin de contrôler la régularité et leffectivité de la
dépense publique. Il ouvre la voie, dautre part, à un exercice dévaluation
de la dépense publique, afin de déterminer si celle-ci a atteint les objectifs qui lui
étaient assignés et, dans laffirmative, sil est possible dobtenir des
résultats identiques à un moindre coût.
Votre Rapporteur distinguera donc la capacité du Parlement, dune
part, à contrôler la dépense publique et, dautre part, à évaluer son
efficacité.
A.- le parlement
est, théoriquement, en mesure de contrôler la dépense publique
Le Parlement dispose de prérogatives extrêmement importantes en
matière de contrôle de la dépense publique, mais celles-ci sont peu utilisées.
1.- Des pouvoirs étendus
Ces prérogatives peuvent sanalyser sous trois angles
distincts : les parlementaires disposent dattributions réelles, ils reçoivent
une masse dinformations abondante et ils peuvent bénéficier de lassistance
de la Cour des comptes.
a) Des attributions importantes
t Les pouvoirs de
contrôle sur pièce et sur place des rapporteurs spéciaux
Au-delà du contrôle de lactivité gouvernementale, le Parlement
dispose, en matière budgétaire, de pouvoirs propres définis par lordonnance
n° 58-1374, du 30 décembre 1958, portant loi de finances pour 1959.
- Larticle 164 () de lordonnance précitée
précise, en effet, que les rapporteurs spéciaux disposent, de façon permanente, de pouvoirs
de contrôle sur pièces et sur place pour suivre lemploi des crédits du budget
ministériel dont ils ont la charge. Notons que seuls les rapporteurs spéciaux désignés
par la Commission des finances sont dotés de telles prérogatives, à lexclusion
des rapporteurs pour avis des autres commissions, alors quune lecture moins étroite
de cet article aurait sans doute permis de conférer également ces prérogatives aux
rapporteurs pour avis. Une proposition sera faite en ce sens.
Ce même article précise également que les rapporteurs spéciaux
disposent, sur décision de la commission compétente, cest-à-dire la Commission
des finances, de pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place pour suivre la gestion des
entreprises nationales, des sociétés déconomie mixte et des sociétés ou
entreprises dans lesquelles lEtat détient plus de 50% du capital.
Ces prérogatives permettent aux rapporteurs spéciaux de se déplacer
dans un ministère ou une entreprise publique pour contrôler des documents. Ils sont
autorisés à contrôler aussi bien la régularité que lopportunité de
lutilisation des crédits. Notons, par ailleurs, quà la différence dun
rapporteur sur un texte législatif, désigné pour une période limitée, le rapporteur
spécial peut exercer ses pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place tout au long de
lannée. Etant généralement reconduit dune année sur lautre, il est
en mesure de se spécialiser dans un domaine précis. Les pouvoirs de contrôle sur pièce
et sur place des rapporteurs spéciaux sont donc étendus et aussi importants que les
prérogatives dévolues aux magistrats de la Cour des comptes.
Soulignons, enfin, que ces pouvoirs revêtent une importance telle
quils ont été transposés aux rapporteurs des commissions denquête.
Au-delà de ces pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place, les
rapporteurs spéciaux peuvent également procéder à des auditions et présenter,
pratique de plus en plus fréquente, des rapports dinformation devant la Commission
des finances, à la suite dune modification de larticle 146 du Règlement
de lAssemblée nationale intervenue en 1991.
- On observera que le Rapporteur général, seul à présenter, au nom de la
Commission des finances, des rapports sur les lois de finances rectificatives et les lois
de règlement, cest-à-dire sur lexécution des lois de finances, a,
naturellement, qualité pour exercer des pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place
identiques à ceux des rapporteurs spéciaux, sur lensemble des ministères. Par
ailleurs, le Rapporteur général, sous le timbre duquel sont présentés les différents
rapports spéciaux annexés à son rapport général, a ainsi vocation, dans
le respect de lautonomie dexpression des rapporteurs spéciaux, à coordonner
les activités de contrôle de ceux-ci.
t La participation des
députés et sénateurs à des organismes extra-parlementaires
Des parlementaires participent aux instances dirigeantes de dizaines
dorganismes extra-parlementaires : commission de surveillance de la Caisse des
dépôts et consignations, comité du Fonds daide et de coopération, comité des
finances locales, conseils dadministration des sociétés audiovisuelles du secteur
public, comité directeur du fonds dinvestissement des départements
doutre-mer (FIDOM), conseils de gestion de nombreux fonds gérés dans le cadre des
comptes spéciaux du Trésor...
Force est de constater que les parlementaires concernés utilisent peu
la faculté, ouverte par larticle 28 du Règlement, leur permettant de rendre
compte de leurs travaux, dans le cadre dun rapport dinformation.
t Les questions au
Gouvernement
Les parlementaires ont la possibilité dinterroger le
Gouvernement sur les matières budgétaires et financières dans le cadre traditionnel des
questions écrites ou orales au Gouvernement. Aucune séance de questions au Gouvernement
ne porte, cependant, de manière spécifique, sur la gestion de la dépense publique.
t Les commissions
denquête
Larticle 6 de lordonnance n° 58-1100 du
17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires précise
que des commissions denquête peuvent être formées " pour recueillir
des éléments dinformation soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion de
services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à
lassemblée qui les a créées ".
Les rapporteurs des commissions denquête jouissent, en
application de ce texte, de pouvoirs étendus : " Les rapporteurs des
commissions denquête exercent leur mission sur pièces et sur place. Tous les
renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis. Ils sont
habilités à se faire communiquer tous documents de service, à lexception de ceux
revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires
étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de lEtat, et sous réserve du
respect du principe de la séparation de lautorité judiciaire et des autres
pouvoirs ".
Soulignons également que toute personne dont la commission
denquête demande laudition est tenue de déférer à cette convocation.
Enfin, les commissions permanentes peuvent demander de se voir
attribuer les prérogatives dévolues aux commissions denquête, pour une mission
déterminée et pour une durée nexcédant pas six mois ().
Cependant, comme la noté notre collègue M. Laurent
Dominati dans une intervention devant le groupe de travail, les travaux auxquels
aboutissent les commissions denquête parlementaires ne font pas lobjet
dun suivi satisfaisant, aucun débat public nétant organisé, de manière
systématique, sur les rapports quelles remettent.
b) Une information abondante
Dans le cadre de ses fonctions de contrôle de lactivité
gouvernementale, le Parlement est destinataire dune masse abondante, voire
surabondante, dinformations.
t En cours
dexécution
- Larticle 164 de lordonnance n° 58-1374 du
30 décembre 1958 précitée énumère une longue liste de documents devant être
communiqués au Parlement tout au long de lannée.
Celle-ci comprend notamment le rapport établi par chaque contrôleur
financier sur lexécution du budget du ministère dont il assume le contrôle.
- Le Parlement reçoit régulièrement des informations portant sur
lexécution du budget et retraçant le niveau des recettes et des dépenses.
Depuis la mi-mars 1995, conformément à un engagement de
M. Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget, le Parlement reçoit des statistiques
sur la situation de lexécution du budget de lEtat. Elles portent sur le
niveau des dépenses et lencaissement des recettes. Cette publication est mensuelle
depuis octobre 1995.
En matière de dépenses, le Parlement est destinataire de la situation
des crédits du budget général (suivi mensuel des modifications apportées, en cours
dannée, aux crédits votés en loi de finance initiale) et de la situation des
dépenses du budget général (suivi mensuel de la consommation des crédits ouverts en
loi de finances initiale, par les lois de finances rectificatives et les actes
réglementaires). Ces informations sont, cependant, fournies avec un certain retard, alors
quil serait nécessaire dy avoir accès de façon instantanée.
En matière de recettes, le Parlement dispose de la situation mensuelle
du recouvrement des recettes de lEtat (relevé, pour chaque impôt, des rentrées
fiscales mensuelles), ainsi que de la situation résumée des opérations du Trésor
(SROT), publiée mensuellement. Indiquons, toutefois, que le relevé des rentrées
fiscales ne permet pas de suivre le recouvrement des recettes nettes, le Parlement ne
recevant pas dinformations détaillées sur les remboursements et dégrèvements.
Par ailleurs, la technicité des tableaux de la SROT rend leur utilisation quelque peu
malaisée.
Les informations ne manquent donc pas. On peut cependant, comme
la relevé M. Michel Prada, ancien directeur, successivement, de la comptabilité
publique et du budget, dans son intervention devant le groupe de travail,
sinterroger sur leur caractère exploitable. Selon lui, le ministère des finances
devrait " être en mesure de fournir des situations périodiques relativement
précises sur les différentes étapes de lexécution budgétaire, aussi bien en
recettes quen dépenses ". Il est à noter, cependant, que les
assemblées ne peuvent accéder directement aux bases de données budgétaires et fiscales
du ministère de léconomie, des finances et de lindustrie.
Par ailleurs, une référence trop systématique au secret fiscal peut
nuire à la bonne information du Parlement.
- Le dépôt au printemps, qui reste cependant exceptionnel, dun projet
de loi de finances rectificative peut permettre aux parlementaires dêtre informés
des modalités de mise en uvre de lautorisation budgétaire.
Le Conseil constitutionnel a, à cet égard, marqué son attachement à
lexercice du pouvoir de contrôle du Parlement via les lois de finances
rectificatives. Ainsi, juge-t-il nécessaire le dépôt dun projet de loi de
finances rectificative dès lors que les mesures dexécution du budget prises par le
Gouvernement affectent les grandes lignes de léquilibre économique et financier
définies par la loi de finances initiale ().
Dans la même décision, le Conseil constitutionnel a fait obligation
au Gouvernement non seulement de soumettre au Parlement, dans le cadre dune loi de
finances rectificative, les décrets davances, mais aussi de lui communiquer les
arrêtés dannulation des crédits, alors que lordonnance organique ne le
précise pas.
Rappelons, enfin, quà défaut du dépôt dun projet de loi
de finances rectificative avant le 1er juin, larticle 38 de lordonnance
organique impose au Gouvernement dadresser au Parlement, " au plus tard
à cette date, un rapport sur lévolution de léconomie nationale et des
finances publiques ".
- Sur la base de larticle premier de lordonnance organique, qui
inclut, dans le domaine des lois de finances, les dispositions ayant pour objet
d" organiser linformation et le contrôle du Parlement sur la
gestion des finances publiques ", le Parlement a fait obligation au
Gouvernement de le tenir informé des modalités de mise en uvre du pouvoir
réglementaire en matière budgétaire et financière ().
- Les rapporteurs spéciaux de la Commission des finances disposent, outre les
pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place décrits supra, de moyens
dinformation spécifiques.
Larticle 164 de lordonnance n° 58-1374
précitée précise que, dans le cadre du suivi du budget ministériel dont ils ont la
charge, " tous les renseignements dordre financier et administratif de
nature à faciliter leur mission doivent leur être fournis. Réserve faite, dune
part, des sujets de caractère secret concernant la défense nationale, les affaires
étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de lEtat, dautre part,
du principe de la séparation du pouvoir judiciaire et des autres pouvoirs, ils sont
habilités à se faire communiquer tous documents de service de quelque nature que ce
soit " (). On observera, à ce stade, que la lettre de ce
texte reste marquée par lexclusivité de lécrit qui caractérisait
lépoque de sa rédaction. Lévolution des moyens de communication doit
aujourdhui conduire à sinterroger sur le sens quil faut donner à la
notion de " communication " de tels documents.
Ce même article prévoit également la transmission aux rapporteurs
spéciaux de la commission chargée suivre la gestion des entreprises publiques de
" tous documents de service, de quelque nature que ce soit, relatifs au
fonctionnement des entreprises, sociétés ou établissements soumis à leur contrôle ".
Autre pièce maîtresse de linformation des
rapporteurs spéciaux : les questionnaires budgétaires. Près de 3.000 questions, au
total, sont adressées par les rapporteurs spéciaux, fin juin-début juillet, au ministre
chargé du budget, qui en assure la répartition entre les ministères. Les réponses
permettent danalyser lévolution des crédits et des dépenses votés
lannée précédente et détablir un bilan de la politique gouvernementale
dans ses différents domaines dapplication, ainsi que dobtenir des
justifications sur les demandes de crédits présentées pour lannée suivante.
Cette méthode est également utilisée par les rapporteurs pour avis,
ce qui suppose, pour certaines administrations particulièrement sollicitées, une gestion
lourde, légitimant les observations récurrentes appelant à une coordination des
demandes des rapporteurs.
Votre Rapporteur relève que cette procédure fait lobjet de
certaines critiques en raison de la qualité inégale des réponses fournies aux
rapporteurs : celles-ci seraient en partie superficielles, manqueraient de sérieux,
seraient incomplètes... elles sont délivrées avec retard... quand elles ne sont pas,
purement et simplement, inexistantes.
- Enfin, de manière plus générale, toute commission permanente ou
spéciale, et donc la Commission des finances, peut " convoquer toute
personne dont elle estime laudition nécessaire " ()
et obtenir, ainsi, les informations quelle souhaite sur la gestion des crédits.
t En fin
dexécution
Une série de documents doivent obligatoirement accompagner le dépôt
du projet de loi de règlement.
Rappelons, que, daprès larticle 35 de lordonnance
organique, la loi de règlement a pour objet de constater " le montant
définitif des encaissements de recettes et des ordonnancements de dépenses se rapportant
à une même année ; le cas échéant, il ratifie les ouvertures de crédits par
décrets davances et approuve les dépassements de crédits résultant de
circonstances de force majeure ".
- Ce projet de loi doit être, selon larticle 36 de lordonnance
organique, accompagné dannexes explicatives, présentant lorigine des
dépassements de crédits et la nature des pertes et profits. Ces annexes ne fournissent,
en revanche, aucune information à lappui des demandes dannulations de
crédits non consommés.
- Ce projet de loi est, par ailleurs, accompagné du compte général de
ladministration des finances, lequel retrace la balance générale des comptes de
lEtat, létat des recettes budgétaires et des dépenses budgétaires pour
chaque ministère. Depuis 1992, un rapport de présentation est joint à ce compte
général. Il présente notamment un bilan et un compte de résultats, un tableau
dexécution des lois de finances de lannée et un tableau des différents
soldes dégagés par la comptabilité publique.
- Enfin, larticle 117 de la loi de finances pour 1991 a sensiblement
amélioré cette information, afin de pallier les conséquences du mouvement de
globalisation des crédits : le projet de loi de règlement doit être accompagné
" dannexes explicatives qui retracent pour les chapitres du budget
général :
dune part, le montant des crédits par chapitre
détaillant les ouvertures par voie législative et les modifications
réglementaires ;
dautre part, le montant des dépenses constatées par
chapitre, article et paragraphe ".
On le voit, le Parlement nest donc pas tenu dans lignorance
des modalités dexécution des lois de finances, même si les informations fournies
peuvent être améliorées sur plusieurs points.
Ces informations sont, par ailleurs, appuyées par les différents
travaux de la Cour des comptes.
c) Lassistance de la Cour des comptes
En vertu de larticle 47 de la Constitution, " la
Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de
lexécution des lois de finances ".
Cette assistance prend différentes formes.
t Des rapports
exhaustifs et pertinents
- La Cour des comptes élabore, chaque année, un rapport public,
adressé au Président de la République et présenté au Parlement
(article L. 136-I du code des juridictions financières). Ce rapport permet de
porter à la connaissance du public les observations les plus exemplaires tirées de ses
travaux et de ceux des chambres régionales des comptes. Il comprend également les
réponses des administrations aux observations de la Cour des comptes.
Indiquons quà la suite dune décision du conseil des
ministres, en date du 3 janvier 1991, les membres du Gouvernement sont désormais à
la disposition du Parlement pour être entendus sur les suites à donner aux observations
de la Cour des comptes. Cette procédure na jusquà présent jamais été
explicitement utilisée par les assemblées.
Notons également que le rapport public annuel de la Cour des comptes
ne donne lieu à aucun débat en séance publique.
- Le rapport annuel de la Cour des comptes sur lexécution du budget,
institué en 1956, sert de base au contrôle parlementaire en cours dexécution.
Larticle L.O. 132-1 du code des juridictions financières prévoit, en effet, que
" la Cour des comptes établit un rapport sur chaque projet de loi de
règlement. Ce rapport est remis au Parlement, sitôt son arrêt par la Cour des comptes.
Il est ultérieurement annexé au projet de loi de règlement ".
Devant obligatoirement accompagner le projet de loi de règlement
déposé par le Gouvernement (article 36 de lordonnance organique), ce rapport
comprend une description de lexécution de la loi de finances initiale et des
éventuelles lois de finances rectificatives, ainsi quune analyse critique de la
gestion de lautorisation budgétaire délivrée par le Parlement, mettant notamment
en évidence les entorses constatées aux règles budgétaires. Il comprend également
désormais des monographies consacrées, soit à certaines catégories
dinterventions publiques, soit à certains ministères.
Des progrès importants ont été réalisés par la Cour dans le
domaine des délais de présentation de ce rapport dexécution. Alors que celui-ci
devait être obligatoirement accompagné dune déclaration générale de conformité
des comptes, destinée à vérifier leur cohérence - mais non leur
régularité -, et donc délivrée tardivement, larticle 19 de la loi du
6 novembre 1992, dorigine parlementaire, a permis de dissocier le rapport sur
lexécution de la loi de finances de cette déclaration générale de conformité du
budget exécuté. Cette disposition, ainsi que laccélération du processus de
reddition des comptes de lEtat, ont permis daccélérer sensiblement le
dépôt du rapport sur lexécution. Il est donc, depuis 1993, à la disposition des
parlementaires avant louverture de la discussion budgétaire () et
non plus, comme autrefois, au mois de décembre. Les parlementaires sont donc en mesure de
se prononcer sur le projet de loi de finances de lannée (n+1), au vu des résultats
de lexercice (n-1).
- Depuis 1996, la Cour des comptes, utilisant les marges de manuvre
offertes par laccélération du processus de production des comptes de lEtat,
présente une contribution au débat dorientation budgétaire du printemps.
Cette contribution prend la forme dun " rapport
préliminaire sur lexécution des lois de finances " de lannée
(n-1).
- Depuis 1991, le rapport public annuel est accompagné de rapports
particuliers consacrés à des thèmes précis, la Cour des comptes ayant souhaité
développer ses activités dinformation indépendamment du rapport public annuel.
Dans son intervention devant le groupe de travail, M. Pierre Joxe, Premier président
de la Cour, a ainsi cité les rapports de la Cour des comptes relatifs à la lutte contre
la toxicomanie, laide sociale, la politique en faveur des personnes handicapées, le
RMI... Des rapports relatifs à la fonction publique et au hors bilan de lEtat sont
en cours délaboration.
- La Cour des comptes élabore enfin des rapports particuliers relatifs aux
entreprises nationales et aux sociétés déconomies mixtes. Ces rapports sont
transmis aux membres du Parlement désignés pour suivre ces questions (article
L. 135-3 du code des juridictions financières).
RETOUR SOMMAIRE
t Des réponses
possibles aux demandes denquête des parlementaires
- La Cour des comptes est habilitée à procéder à des enquêtes, à
la suite dune demande présentée en ce sens par les commissions des finances ou des
commissions denquête du Parlement, " sur la gestion des services ou
organismes soumis à son contrôle, ainsi que des organismes et entreprises quelle
contrôle en vertu des articles L. 133-1 et L. 133-2 "
(article 132-4 du code des juridictions financières).
- Enfin, la Cour des comptes adresse, depuis 1975, une réponse écrite au
questionnaire élaboré par le Rapporteur général de la Commission des finances sur le
projet de loi de règlement. Son Premier président vient en présenter la teneur, chaque
année, lors de son audition par la Commission des finances, dans le cadre de la
préparation du débat sur ledit projet de loi.
Notons que cette procédure a été instituée de manière
conventionnelle.
t La transmission
récente de certaines des observations de la Cour
- Larticle 135-5 du code des juridictions financières dispose que
" le premier président peut donner connaissance aux commissions des finances
et aux commissions denquête du Parlement des constatations et observations de la
Cour des comptes. Toutefois, les communications de la Cour aux ministres, auxquelles il
na pas été répondu sur le fond dans un délai de six mois, sont communiquées de
droit aux commissions des finances du Parlement " ().
- Cette disposition est entrée en vigueur à compter du début de
lannée 1996, mais ne reçoit pas encore une application totalement
satisfaisante : une dizaine de documents seulement ont été transmis dans ce cadre
depuis septembre 1996.
Rappelons, en effet, que dans le cadre de ses activités de contrôle
de gestion, la Cour des comptes émet des observations ou rédige des rapports destinés
à informer les autorités compétentes des fautes de gestion découvertes. Les
observations, non publiques, peuvent prendre différentes formes, en fonction de la
gravité des fautes commises : lettres des présidents de chambre, note du Parquet,
référés adressés par le Premier président au ministre concerné en cas
dirrégularité grave.
Mais, le Président de la Commission des finances et le Rapporteur
général ne reçoivent pas systématiquement ces différents documents, notamment les
référés de la Cour des comptes. Dans son intervention devant le groupe de travail,
M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour, a exclu quils soient
destinataires de lensemble de ces travaux, faisant valoir que les magistrats de la
Cour ne disposeraient pas de la même liberté de critique si leurs conclusions devaient
être rendues publiques. Le devoir de réserve des rapporteurs parlementaires doit
cependant conduire à relativiser la portée de cette objection.
Manifestement, le Parlement est, potentiellement, un contrôleur
puissant. Mais, ces différents instruments de contrôle sont-ils effectivement utilisés
et permettent-ils réellement au Parlement dexercer ses fonctions de
contrôle ? Par ailleurs, le Parlement a-t-il la volonté politique dexercer
pleinement ses prérogatives ?
2.- Des pouvoirs sous-utilisés
Comme la souligné, au cours de nos travaux, M. Augustin
Bonrepaux, Président de la Commission des finances, " en réalité, il faut
bien le reconnaître, nous neffectuons aucun contrôle. Après avoir voté le
budget, notre principale activité est de préparer le suivant ".
M. Michel Charasse a exprimé, au cours de son intervention devant le groupe de
travail, un sentiment analogue. Ces jugements sont, en très grande partie, partagés par
votre Rapporteur, en tant que Rapporteur général de la Commission des finances.
Le bilan est, en effet, sévère : le Parlement nutilise que
très partiellement ses pouvoirs de contrôle.
a) Un bilan sévère
- Les rapporteurs spéciaux ne font usage que très rarement de leurs
pouvoirs de contrôle sur pièce et sur place, peut-être, comme la relevé
M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, lors de son audition par
le groupe de travail, parce quil nest pas dans " lesprit de
la loi " quun Rapporteur spécial se transforme en enquêteur. Il
ny a donc que très rarement un suivi, tout au long de lannée, de
lutilisation des crédits dont les rapporteurs spéciaux sont en charge.
Leurs éventuels travaux sont, en général, " sans
lendemain ", comme la fait observer devant notre groupe de travail le
Professeur Guy Carcassonne, et ne donnent pas lieu, lors de la discussion budgétaire, à
des échanges constructifs avec le Gouvernement, susceptibles de modifier
substantiellement le budget des ministères dont ils ont la charge.
De manière plus générale, les travaux des rapporteurs spéciaux ne
font lobjet daucune coordination, les rapporteurs généraux successifs
nayant pas réellement exercé les prérogatives résultant, comme on la vu,
du fait que les rapports spéciaux sont publiés sous leur timbre et lexamen de la
loi de règlement ayant été, jusquà maintenant, très formel. Les éventuelles
initiatives de contrôle seffectuent donc en ordre dispersé ; les contrôles
restent ponctuels, les rapporteurs spéciaux se privant par là-même, daborder des
sujets transversaux ; aucune thématique de contrôle, susceptible de créer des
effets dannonce et de synergie nest définie.
- Hormis les projets de loi de finances rectificative de printemps, lesquels
traduisent souvent un infléchissement de la politique gouvernementale, lexamen du
collectif budgétaire à lautomne ne permet pas, en dépit des efforts entrepris
depuis une quinzaine dannées par la Commission des finances, de conduire un examen
approfondi de lutilisation des crédits.
Déposés tardivement, examinés dans des délais trop brefs, les
projets de loi de finances rectificative font, en réalité, sagissant de leur volet
dépenses, lobjet dune simple ratification par le Parlement, maintes fois
dénoncée par la Cour des comptes. Les projets de loi de finances rectificative sont donc
plus un acte de régularisation des " ajustements " opérés ou
demandés par le Gouvernement, quune véritable autorisation budgétaire, à
caractère prévisionnel. Un projet de loi de finances rectificative dautomne pour
lannée n sert, en réalité, à compléter la loi de finances pour lannée
(n + 1), les crédits ouverts étant généralement consommés pendant la
période complémentaire ou reportés sur lexercice suivant.
En raison de ce caractère tardif, le projet de loi de finances initial
pour lannée (n + 1) déposé par le Gouvernement en septembre de
lannée n ne prend donc pas en compte les mouvements de crédits intervenus au cours
de lexercice. Les dotations initiales ont, par là-même, un caractère quelque peu
abstrait.
- Malgré des efforts récents pour renforcer les liens du Parlement avec
la Cour des comptes, leur coopération reste embryonnaire.
Les observations présentées par la Cour des comptes, notamment dans
le cadre de son rapport sur lexécution du budget, ne sont pas suffisamment
exploitées : il ny a ni suivi, ni utilisation systématique de ces
observations. Aucune suite nest également donnée aux rapports spécifiques
quelle élabore. Par ailleurs, il nexiste aucune coordination des programmes
dactivités de ces deux organes.
A cet égard, M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour,
sest déclaré frappé de labsence de débat public et contradictoire, en
France, sur les déficiences relevées par la Cour des comptes. Alors que les parlements
britannique et allemand organisent des réunions hebdomadaires avec des représentants de
lorgane financier de contrôle, celles-ci sont, en France, très épisodiques. Il
ny a donc pas de véritable dialogue entre le Parlement et la Cour des comptes sur
les conclusions auxquelles celle-ci parvient, soit sur lexécution du budget, soit
sur telle ou telle politique sectorielle.
- Hormis quelques exceptions (), lexamen du projet de
loi de règlement illustre labsence de contrôle approfondi des dépenses
budgétaires par notre Assemblée.
Alors que cet examen devrait être lun des temps forts de la vie
parlementaire, permettant de juger de laction menée par le Gouvernement, il
seffectue dans lindifférence générale.
Déposé en décembre de lannée (n + 1), le projet de
loi de règlement du budget de lannée (n) nest généralement examiné, au
plus tôt, quau printemps de lannée (n + 2). Les débats sont
formels, généralement expéditifs. Comme la souligné, lors de son audition, le
Professeur Guy Carcassonne, " nous vivons dans un mécanisme absolument
hallucinant, dans lequel lEtat est la seule personne en France qui solde ses comptes
quand elle a le temps, quelques années plus tard, et de préférence de manière très
cavalière ". A la décharge des parlementaires, reconnaissons quil
est difficile de sintéresser à un texte se contentant de retracer le passé et sur
lequel il nexiste, en fait, quun pouvoir damendement limité.
Pourtant, cette situation nest pas irréversible. Rappelons, à
cet égard, que, sous la Restauration, lexamen du projet de loi de règlement
constituait lun des temps forts de la vie parlementaire, les députés utilisant ce
texte pour porter un jugement politique sur la gestion du Gouvernement.
Comment expliquer linertie du Parlement en matière de contrôle
de la dépense publique ? Pourquoi nutilise-t-il pas ses pouvoirs ?
b) Une explication complexe
Au vu des auditions menées par notre groupe de travail, labsence
de contrôle de la dépense publique sexpliquerait par divers facteurs.
t Un phénomène
culturel et politique
- Contrairement à dautres pays, notamment anglo-saxons, la dépense
publique a fait longtemps lobjet, dans son principe même, dune approbation
- éventuellement tacite - de lopinion publique. Comme la noté
M. Daniel Bouton, ancien directeur du budget, le lancement dun projet
générateur de dépenses publiques ne donne pas lieu à de larges débats, quel que soit
son coût.
Comment le Parlement pourrait-il, dans ce contexte, renouant avec sa
vocation originelle, contribuer à contrôler la dépense publique, alors que, depuis le
développement de l" Etat-Providence ", il a plutôt tendance à
chercher à abonder les crédits ?
- Le fonctionnement des institutions de la Vème République ne favorise
pas une telle évolution, voire y fait obstacle.
En effet, comme la relevé M. Pierre Joxe, " nos
institutions font [...] que lopposition ne peut pas et que la majorité
nose pas contrôler ".
Le phénomène majoritaire place, à cet égard, la majorité dans une
position délicate. Ses critiques risquent dêtre interprétées comme une remise en
cause de la politique gouvernementale. Comme le relève le Professeur Paul Amselek (),
" la classe politique française [na] pas réussi à trouver
jusquici un juste équilibre entre les exigences raisonnables de discipline
majoritaire et la nécessité impérieuse pour le Parlement de remplir son rôle,
dassumer les pouvoirs de contrôle qui lui sont reconnus, et de les assumer
dailleurs dans lintérêt même du Gouvernement, dans son intérêt bien
compris ".
Lopposition, quant à elle, devrait pouvoir jouer un rôle plus
important en matière de contrôle, puisquelle ne peut guère peser directement sur
les décisions. Mais, elle na quun accès limité aux responsabilités :
sur les quarante-quatre rapporteurs spéciaux de la Commission des finances de notre
Assemblée, treize appartiennent à lopposition. Le Professeur Guy Carcassonne a
ainsi estimé, devant notre groupe de travail, que : " la place faite à
lopposition dans le système français est extrêmement insatisfaisante ".
Confrontées, en général, à lobligation de jouer le rôle que
leur assignent les institutions - soutenir pour lune, critiquer pour
lautre -, majorité et opposition nont pas su créer les conditions
dun dialogue sans conflit, que requiert, pourtant, lexercice dun
contrôle budgétaire moderne. Le Professeur Guy Carcassonne a cité, à cet égard,
lexemple britannique : " La vivacité des discussions à la
Chambre des communes na rien à envier à ce qui se passe à lAssemblée
nationale. Le niveau de conflit est extrêmement élevé. Simplement, il y a un
moment [lors de lexercice des fonctions de contrôle] où lon change de
registre [...] ". Notre Assemblée, elle, na jamais vraiment su
changer de registre.
Cette situation aboutit à une sorte de " consensus
implicite, et peut-être inavoué, pour laisser à lexécutif et à
ladministration une liberté daction étendue ", comme le met en
exergue le Professeur Jean-Pierre Lassalle (). Le Président Philippe
Séguin est même allé plus loin, déplorant que " Le Parlement lui-même,
hélas, accepte trop souvent un abandon de ses droits " ().
Enfin, force est bien de constater que, dans la tradition française,
le contrôle parlementaire dérange : il est parfois vécu, par le Gouvernement et
les administrations comme une sorte de " crime de lèse majesté ". Il
est à noter également que la presse ne manque pas de céder à la tentation de
présenter souvent comme un incident ou une difficulté politique ce qui relève de
lexercice normal du pouvoir de contrôle.
Dans ce contexte politique, le caractère inadapté des moyens de
contrôle conduisait logiquement les parlementaires à ne pas y recourir.
t Des instruments de
contrôle inadaptés
Notre collègue M. Jean-Jacques Jégou a rappelé le caractère
" épuisant " de lexercice de ses pouvoirs de contrôle
sur pièce et sur place, à lépoque où il était Rapporteur spécial en charge de
la formation professionnelle. M. Pierre Méhaignerie a, quant à lui, estimé
quil " faut vraiment faire preuve dhéroïsme "
pour quun rapporteur spécial sengage dans la voie du contrôle.
Que peut faire, en effet, un parlementaire isolé, face à une
administration nécessairement plus nombreuse et toute puissante, quil ne connaît
pas toujours très bien ? Quelle peut être son incitation à utiliser ses pouvoirs
de contrôle sur pièce et sur place, sachant que ses " découvertes "
nauront que de très faibles traductions effectives ? Rappelons, sur ce point,
que le projet de loi de finances rectificative est déposé trop tardivement pour
permettre des inflexions en cours dexercice de la gestion des crédits. Quant au
projet de loi de règlement, il nest assorti daucune réelle sanction. Cette
situation serait sans doute différente si la discussion sur les comptes de lannée
(n - 1) venait enrichir celle sur le projet de loi de finances de lannée
(n + 1), mais tel nest pas le cas actuellement.
En réalité, les pouvoirs de contrôle sur pièce et sur place
sapparentent davantage, en létat actuel de leur usage, à
" larme atomique " : le pouvoir des parlementaires reste un
pouvoir de dissuasion, susceptible de prévenir les irrégularités, mais qui nest
pas véritablement destiné à les déceler. Cette situation explique donc que les
parlementaires aient - ne nous le cachons pas - très peu de penchant pour le
contrôle sur pièce et sur place de la dépense publique, en dehors de quelques
initiatives qui, souvent, se veulent avant tout spectaculaires et médiatiques.
En létat actuel de leurs prérogatives, les pouvoirs de
contrôle des parlementaires semblent donc davantage adaptés à des opérations ciblées.
Dès lors, un contrôle de la dépense publique exercé sur des sujets appréhendés de
manière globale et transversale requiert une profonde transformation des méthodes de
travail des parlementaires. Une telle réforme passe sans doute par une coopération
accrue avec la Cour des comptes.
Même sil convient que le Parlement ait recours, pour le
contrôle, à une large palette de concours extérieurs, la voie dune coopération
renforcée avec la Cour des comptes contribuerait à remédier aux défaillances
constatées, en conférant aux exercices de contrôle une objectivité et une continuité
qui lui font actuellement défaut. Votre Rapporteur a, cependant, conscience que les
modalités de fonctionnement, comme les rôles respectifs, du Parlement et de la Cour des
comptes, peuvent compliquer cet exercice de coopération, ce qui explique dailleurs
pour partie les faibles suites données aux travaux de la Cour des comptes par le
Parlement.
t Des relations
complexes avec la Cour des comptes
Comme la relevé le Professeur Guy Carcassonne, lors de son
audition par notre groupe, " les relations que le Parlement entretient avec
la Cour des comptes nont jamais été totalement satisfaisantes, même si chacun
sait quelles se sont plutôt améliorées ".
- Cet état de fait sexplique largement par des raisons historiques.
Contrairement à la situation britannique, la Cour des comptes na pas été créée
par et pour le Parlement, mais elle lui préexistait. Rappelons, en effet, que, lorsque le
Parlement eut recours, sous la Restauration, à la collaboration de la Cour des comptes
pour lassister dans lexercice des ses compétences financières, celle-ci
avait déjà cinq siècles dexistence. Alors que les Etats généraux, dont
lorigine remonte, comme pour la Cour des comptes, à 1302, cesseront de se réunir
à compter de 1614, la Cour des comptes na jamais vu, en revanche, son existence
remise en cause, à lexception de la période 1791-1807 ; il est vrai que, au
moins jusquà la Révolution, son recrutement nétait guère exemplaire.
Demblée, la Cour des comptes jouissait donc dune tradition
dindépendance, qui lui interdisait dêtre un simple organe à la disposition
du Parlement. Sa raison dêtre na donc jamais été dassister la
représentation nationale, la Cour prenant soin de veiller scrupuleusement à sauvegarder
son indépendance à légard du pouvoir parlementaire. Elle poursuit,
dailleurs, actuellement dans cette logique, en ayant soin de déterminer en toute
autonomie son programme de travail. Cette volonté de la Cour des comptes daffirmer
une nécessaire indépendance na donc pas toujours facilité les relations avec les
assemblées parlementaires en dépit de larticle 47 de la Constitution de 1958
prévoyant que la Cour " assiste " celles-ci, ce qui représente une
innovation importante par rapport aux précédentes constitutions.
- Des raisons plus techniques expliquent également les difficultés
auxquelles se heurte la volonté de renforcer la coopération entre ces deux institutions.
La Cour des comptes, est, en effet, une juridiction chargée,
notamment, de veiller à la régularité de lexécution de nos finances publiques.
Pour sa part, le Parlement, investi de la légitimité démocratique, demeure une instance
politique, dont le jugement ne peut, légitimement, sabstraire de tout point de vue
politique.
Par ailleurs, les horizons temporels de ces deux institutions sont
profondément différents. Le rythme des travaux de la Cour des comptes, lesquels reposent
sur une procédure contradictoire et minutieuse, ne correspond pas au souci de rapidité
qui caractérise la démarche des parlementaires. Ce décalage explique donc que la Cour
des comptes ne soit pas toujours disponible pour répondre à
" limpatience " des parlementaires. Rappelons, toutefois, que la
Cour des comptes a accompli, au cours de ces dernières années, des progrès sensibles
pour raccourcir les délais de publication de ses travaux et que son actuel Premier
président a déclaré, à plusieurs reprises, souhaiter un renforcement de la
coopération entre linstitution quil préside et le Parlement.
Ces différents obstacles - historiques, politiques,
culturels - expliquent que le contrôle ne soit pas, en France, " un
acte naturel ", pour reprendre lexpression de M. Jean Arthuis,
ancien ministre de léconomie et des finances.
Le constat est identique en matière dévaluation.
RETOUR SOMMAIRE
B.- le parlement
nest pas, en revanche, en mesure dévaluer lefficacité de la dépense
publique
Lévaluation des politiques publiques ne doit pas être opposée
au contrôle de la dépense publique. Dans le premier cas, il sagit destimer
lefficacité des politiques publiques ; dans le second, il sagit de
vérifier la régularité des opérations effectuées. Ces deux formes de contrôle sont
donc complémentaires lune de lautre, voire se renforcent.
Il est paradoxal de noter que, si le Parlement est doté de
prérogatives importantes en matière de contrôle, il apparaît, en revanche,
relativement dépourvu de capacités dévaluation.
1.- Une pénurie dinstruments
Les instruments dévaluation des politiques publiques recouvrent
partiellement ceux dont dispose le Parlement en matière de contrôle. Ceci est
particulièrement vrai des rapports élaborés par la Cour des comptes, notamment les
rapports spécifiques. Les critiques précédemment évoquées à lencontre de
linsuffisante exploitation de ces travaux par le Parlement sont donc également
pertinentes en matière dévaluation.
Sans revenir, par conséquent, sur lassistance que pourrait
apporter la Cour des comptes, il convient de prêter attention aux autres instruments
dévaluation mis à la disposition du Parlement. Force est de constater que le
Parlement ne dispose, en la matière, que de très faibles capacités dévaluation.
Cette pénurie dinstruments dévaluation à la disposition
des assemblées parlementaires est dautant plus préoccupante quelle est
imputable à des facteurs presque structurels, liés à lincapacité de
ladministration française de se fixer des missions et de raisonner en termes
dobjectifs.
a) Des notes dimpact largement insuffisantes
Les parlementaires ne disposent encore que de peu de notes
dimpact, permettant dévaluer a priori les effets administratifs,
juridiques, sociaux, économiques et budgétaires des mesures envisagées.
Rappelons, en effet, que les circulaires des 21 novembre 1995 et
18 mars 1996 relatives, respectivement, à lexpérimentation et à la
procédure de mise en oeuvre de létude dimpact ne prévoyaient pas la
généralisation de ce type détude. Les parlementaires ne bénéficiaient donc pas
systématiquement de cet instrument qui, sil est de qualité, peut constituer une
aide précieuse à la décision, en leur permettant de légiférer à bon escient, en
ayant connaissance, pour reprendre les propos de M. Jean Arthuis au cours de son
intervention, de " la portée et des incidences des projets "
présentés. Cette lacune débouche, en particulier, sur le fait quil ny a
aucune articulation entre les travaux normatifs des parlementaires et leurs implications
budgétaires.
Cette situation est dautant plus regrettable que, comme la
souligné, devant le groupe de travail, M. Daniel Bouton, ancien directeur du budget,
larticle premier de lordonnance organique () prévoit,
théoriquement, quaucune mesure ne peut être adoptée sans que, préalablement, ses
conséquences financières naient été évaluées.
Indiquons, cependant, que cette situation sera, prochainement, appelée
à connaître une évolution : la circulaire du Premier ministre du 26 janvier
1998, a, en effet, pour objet de généraliser les études dimpact à
lensemble des projets de loi. De telles études seraient, en particulier, jointes
aux projets de lois de finances, pour " chaque article, exception faite des
articles portant prévisions de recettes ou ouvertures de crédits ". De
même, les projets de lois de financement de la sécurité sociale donneraient lieu à des
études dimpact pour les mesures particulières susceptibles dy être
insérées.
b) Des simulations en matière fiscale rarissimes
Le Parlement ne dispose, en général, daucune simulation des
projets de réforme fiscale ou touchant aux prélèvements sociaux qui lui sont soumis.
Le Président Augustin Bonrepaux a rappelé, à cet égard, que
" [les parlementaires ont] débattu de la taxe professionnelle sans avoir pu
procéder aux simulations et investigations nécessaires ". Notre collègue
M. Pierre Méhaignerie, ancien Président de la Commission des finances, a, de même,
souligné le lourd handicap que représentait, pour le Parlement, labsence de
simulation des projets de réforme fiscale : " un débat de grande
qualité sest déroulé au sein du Gouvernement sur lalternative "baisse
de la taxe professionnelle" ou "poursuite de lallégement des charges
sociales sur les bas salaires", sans quil ne sinstaure au
Parlement ! ". Le Président Laurent Fabius, a relevé, à cet égard,
que " la simulation en matière dimpôt constitue un débat récurrent
qui progresse peu ".
Cette situation est dautant plus préoccupante quà
supposer que de telles simulations existent, elles seraient fournies par le ministère des
finances, placé, par conséquent, dans la situation dêtre à la fois juge et
partie. Autrement dit, le Parlement est totalement dépendant en matière de simulation,
ce qui explique quaucune réforme fiscale denvergure ne soit conçue au sein
des assemblées parlementaires.
Pourtant, cette situation nest pas irréversible. M. Michel
Charasse, sénateur, ancien ministre du budget, a, en effet, souligné, dans son
intervention devant le groupe de travail, quil serait tout à fait envisageable que
le Parlement ait accès aux bases de données fiscales générales du ministère des
finances et soit en mesure deffectuer ses propres simulations. Cette évolution
serait dautant plus pertinente quelle éviterait de voir le Parlement,
lorsquil est saisi, être confronté à des simulations dont les résultats peuvent
être aléatoires, voire très approximatifs, ce qui le place, de facto, dans
lincapacité de prendre ses décisions en toute connaissance de cause.
c) Des rapports de contrôle encore trop confidentiels
Rappelons, en effet, que chaque ministère fait lobjet de
procédures daudit, internes ou externes, et de rapports de contrôle par les corps
dinspection, portant à la fois sur lefficacité des politiques menées et sur
lorganisation et la gestion de ministères concernés. Or, aucune de ces analyses
nest transmise au Parlement.
Sagissant des rapports daudit, M. Pierre Méhaignerie
sest interrogé sur le point de savoir sil " serait possible [pour
les parlementaires], soit par les laboratoires universitaires, soit par les cabinets
dexpertise comptables ou les grands cabinets daudit, davoir, pour le
Parlement et le Rapporteur de la Commission des finances, copie de ces audits et de ces
analyses [...] ? ".
Il en est de même pour les rapports élaborés par les corps de
contrôle ou dinspection, qui ne sont pas transmis au Parlement.
Cette situation est doublement pénalisante. Elle prive, en effet, le
Parlement dinformations. Mais surtout, le secret excessif qui entoure ces rapports
dévaluation et de contrôle explique, en grande partie, quil ne leur soit
souvent donné aucune suite.
Certes, il ne sagit pas, pour notre groupe de travail, de
demander la diffusion publique de ces rapports. Comme la relevé M. Louis
Schweitzer, ancien directeur de cabinet du Premier ministre, cette demande, si elle
aboutissait, pourrait conduire à vider ces rapports de leur " substantifique
moelle " par crainte des retombées médiatiques.
Mais, en revanche, il semblerait nécessaire quils soient
transmis au Parlement, en charge du contrôle du gouvernement et de ladministration,
dans le cadre dune procédure garantissant le caractère confidentiel de ces
rapports. En effet, ainsi que la souligné, devant le groupe de travail,
M. Michel Charasse, sénateur, ancien ministre du budget, une certaine
confidentialité peut être nécessaire pour garantir lefficacité du contrôle ou
de lévaluation.
d) Un Office dévaluation des politiques publiques peu efficace
- Institué par la loi n° 96-517 () du 14 juin
1996, lOffice parlementaire dévaluation des politiques publiques traduisait
lambition du Parlement de se doter de moyens dexpertise autonomes vis-à-vis
du Gouvernement et dentreprendre ses propres travaux dévaluation.
Comme le relevait le Président Philippe Séguin (),
cet office devait permettre " deffectuer des études que les services [des
Assemblées] ne peuvent spontanément pratiquer ", conférant ainsi
" une nouvelle dimension au dialogue naturel entre lexécutif et le
législatif " et organisant, par là-même, un " pluralisme de
la réflexion sur les grands projets ou les grandes politiques publiques ".
A cette fin, il était prévu que lOffice, chargé de réaliser des études, serait
habilité " à faire appel à des personnes ou à des organismes choisis en
fonction de leurs compétences dans le domaine concerné ".
Observons, toutefois, que la création de lOffice résultait,
demblée, dun compromis au sein du Parlement. Notre assemblée aurait, en
effet, souhaité instituer un office indépendant, calqué sur le modèle américain,
chargé de sassurer du bon emploi des fonds publics. Le Sénat, en revanche, voulait
éviter la création dune septième commission permanente, dont les compétences
transversales auraient conduit progressivement à dépouiller les autres commissions
permanentes de leurs attributions. Aussi, le compromis élaboré par les deux assemblées
a-t-il débouché sur la création dun office rattaché, dans une certaine mesure,
aux commissions des finances (), conçu comme le bras séculier des
commissions permanentes () et dépourvu de pouvoir dinitiative.
- Pour autant, lOffice était doté, à sa naissance, de réels atouts.
Sa composition mixte () aurait, en effet, pu déboucher
sur une solidarité parlementaire, susceptible de transcender les liens unissant la
majorité au gouvernement, lesquels constituent, en France, comme la rappelé notre
collègue M. Laurent Dominati, un obstacle au contrôle des politiques publiques.
Par ailleurs, la faculté offerte à lOffice de réaliser, par le
biais dévaluateurs professionnels, des études scientifiques et objectives, aurait
pu permettre douvrir un véritable débat sur des sujets suffisamment fondamentaux
pour recueillir lapprobation des deux assemblées.
Relevons, enfin, que lOffice aurait pu déboucher sur une
transformation profonde de notre procédure budgétaire, en raison du caractère
pluriannuel de ses travaux et de ses compétences transversales. Comme le souligne
M. Pierre Avril (), " la procédure budgétaire a un peu
vieilli, [...] elle appelle une réflexion, et [...], sous ce rapport, un
organe de réflexion sera certainement utile, dans la mesure où il pourra traiter ces
questions ".
- Malheureusement, force est de constater que le bilan des travaux menés par
lOffice reste bien maigre au regard de ces ambitions.
Comme la noté M. Jean Arthuis, ancien ministre de
léconomie et des finances, dans son intervention devant le groupe de travail,
" [sagissant de] lOffice parlementaire, je narrive pas à
croire que cest un succès. Ce que nous avons fait là est dérisoire ".
Votre Rapporteur a lui-même qualifié, lors de ses interventions, cet organe de
" machin supplémentaire ", qui " ne sert à rien ".
Il est vrai, comme la relevé le Président Augustin Bonrepaux,
que lOffice na publié jusquà présent que deux rapports, le premier
sur la politique maritime et littorale de la France, présenté par M. Philippe
Marini le 6 mars dernier, le second sur lefficacité des aides publiques en
faveur du cinéma français, publié par M. Jean Cluzel le 7 octobre dernier.
- Comment expliquer un tel dysfonctionnement ? Il semble que cet échec
soit imputable tant aux modalités de fonctionnement de lOffice quà la
définition de sa mission.
Les modalités de fonctionnement de lOffice se
caractérisent, en effet, par leur lourdeur et leur instabilité, comme la souligné
le Président Augustin Bonrepaux au cours de son intervention dans le cadre du groupe de
travail.
A ce manque de souplesse des procédures de fonctionnement,
sajoute une instabilité et un manque didentité de lOffice, imputable
à lalternance annuelle des présidences, mais également au fait que les membres
désignés par chacune des commissions permanentes sont obligés, dès lors quils
changent de commission, de démissionner de lOffice.
Au-delà de ces modalités de fonctionnement, il convient
également de sinterroger sur la pertinence de la mission assignée à
lOffice.
Comme lont relevé certains intervenants, lOffice fait
double emploi avec les commissions permanentes, et notamment celle des finances, les
travaux de lOffice pouvant parfaitement être menés au sein des commissions
permanentes. Rappelons, en effet, que celles-ci disposent de moyens financiers leur
permettant de faire effectuer des travaux par des cabinets dexperts indépendants et
que les commissions des finances des deux assemblées sont habilitées à demander à la
Cour des comptes des enquêtes spécifiques. Il est, à cet égard, révélateur de
relever que lOffice ne dispose daucun instrument nouveau qui le distinguerait
des commissions permanentes (), ce qui souligne par là-même son
caractère redondant.
Lexpertise délivrée par lOffice reste, en effet,
" isolée de la décision ", pour reprendre lexpression
de M. Pierre Avril (). Les travaux de lOffice ne peuvent donc
déboucher sur aucune décision concrète.
Relevons, enfin, que lOffice ne dispose daucune compétence
en matière de crédits budgétaires. En témoigne, à titre dillustration,
labsence de pouvoirs conférés à ses membres en matière de contrôle sur pièce
et sur place de lemploi des crédits. Comment pourrait-il, dès lors, contribuer à
évaluer les politiques publiques dans une optique de réallocation des ressources ?
En réalité, tout se passe comme si les " parrains et
marraines " de lOffice avaient voulu créer lorgane pour créer
la fonction. Cette situation " a conduit à remplacer lobjectif par la
structure sans atteindre lobjectif ", pour reprendre les propos de M.
Pierre Méhaignerie.
2.- Une indispensable évaluation de la
dépense publique
Rappelons, en effet, que lévaluation des politiques publiques
suppose que des objectifs soient, en la matière, fixés, afin détablir si les
résultats sont atteints ou non, et que les coûts des mesures mises en oeuvre soient
connus afin de déterminer sil est envisageable datteindre des résultats
identiques à un moindre coût.
a) Des retards préoccupants
- Or, sur ces deux points, ladministration française souffre de graves
retards.
Il nexiste, en effet, aucune culture en termes dobjectifs
et de missions au sein de notre administration. Celle-ci raisonne en termes de moyens
alloués, ou plus exactement de contraintes financières. Cela est notamment le cas pour
la gestion des effectifs de la fonction publique.
Corollaire de cette observation, il nexiste que très peu
dindicateurs de résultats. Comme la noté, au cours de son audition,
M. Michel Prada, ancien directeur, successivement, de la comptabilité publique et du
budget, il faudrait, au contraire, pouvoir " mesurer les résultats par
mission, par service, et par nature de moyens, avec un dispositif qui associe aux données
financières des données physiques permettant davoir des mesures de résultat et de
productivité par rapport à des objectifs [...] ". En labsence de
tels indicateurs, il est, à lheure actuelle, impossible dévaluer les
performances réalisées.
Par ailleurs, labsence de comptabilité analytique empêche
dévaluer le coût réel des mesures mises en oeuvre. M. Jean Picq,
conseiller-maître à la Cour des comptes, a estimé, lors de son audition par le groupe
de travail, que ladministration " ne sintéresse jamais au coût ".
Limpossibilité de connaître le coût des services ou des mesures mises en oeuvre,
sexplique, notamment, par le fait que ladministration nest toujours pas
vraiment dotée dindicateurs de moyens.
Cette absence de connaissance des coûts et de mesure des résultats
explique que la France nait pas de culture de gestion, et encore moins de culture de
contrôle de gestion, cest-à-dire " un compte rendu de lusage
fait des deniers publics en termes dobjectifs, de coûts complets des actions et de
mesure de leur efficacité " (). Notre administration est,
en effet, ancrée dans une tradition juridique, laquelle se traduit par des contrôles
comptables de régularité, ce qui explique que notre administration reste réfractaire à
une logique daudit.
M. Daniel Bouton, ancien directeur du budget, a fait observer,
devant le groupe de travail, que " lorsque nous regardons nos performances en
matière de gestion de dépenses publiques [...] ces performances sont [...] médiocres
sur les dix ou quinze dernières années. Lorganisation de nos administrations est
archaïque et puissamment rigidifiée ".
- Ces retards se reflètent dans notre procédure budgétaire.
Celle-ci ne donne pas lieu, en effet, de la part des
administrations, à ce que les anglo-saxons nomment un " reporting ",
cest-à-dire à une réflexion stratégique, par grande fonction, permettant
dexaminer les résultats des objectifs assignés lannée précédente aux
politiques publiques, les nouveaux objectifs fixés et les moyens requis pour les
atteindre. Soulignons, sur ce point, quen Grande-Bretagne, en revanche, chaque
administration doit faire du " reporting " de ses activités au
Parlement. Mais, une telle évolution reste inenvisageable en France tant quil
nexiste ni comptabilité analytique, ni contrôle de gestion.
Conséquence de labsence de débat par fonction ou par programme,
le projet de loi de finances reste un budget de moyens. " La
conception de la loi organique est celle dun ²
budget de moyens ² dont la structure de
présentation et les règles dexécution sont conçues en vue dassurer
linformation précise du Parlement sur la nature et le montant des crédits
alloués, la régularité de forme et de fond dans leur utilisation et lexercice
efficace des contrôles à tous les stades de la dépense " ().
Les dotations budgétaires ne sont donc pas appréciées en fonction de lefficacité
des mesures proposées.
Dans la mesure où notre procédure budgétaire, enfermée dans une
logique de moyens, ne facilite pas une approche en termes de résultat et donc constitue
un obstacle à lévaluation des politiques publiques, il convient de
sinterroger sur le point de savoir si lordonnance organique du 2 janvier
1959 ne nécessite pas une révision en profondeur, afin que les prévisions budgétaires
sarticulent autour dobjectifs.
Afin de corroborer cette assertion, il convient de noter
que les initiatives prises par ladministration pour enrichir les modalités
actuelles de la discussion budgétaire déléments dévaluation nont pas
abouti aux résultats escomptés.
Ainsi, les " blancs ", cest-à-dire, les
documents budgétaires présentant les crédits de chaque ministère sous forme de
" budget de programme ", introduits à partir de 1978 dans le cadre de
la Rationalisation des choix budgétaires (RCB), nont-ils jamais débouché sur les
performances espérées.
Pourtant, il convient de souligner que ces documents correspondaient
exactement à la vision gestionnaire susceptible de déboucher sur une évaluation des
politiques publiques. Chaque budget de programme était subdivisé en groupes de
programmes, lesquels faisaient lobjet dobjectifs, dindicateurs de coût
et dindicateurs de moyens. Soulignons, toutefois, que les
" blancs " souffraient dune lacune : labsence
dindicateurs de résultats.
La publication des blancs, progressivement tombée en désuétude, a
cessé à la suite de la réforme des documents budgétaires de 1996.
Pour expliquer cette évolution, il convient de souligner que les
blancs, introduits suite à une décision de la direction du budget, nont jamais
contribué à la préparation du projet de loi de finances, étant dépourvus
deffets obligatoires. Leur seule fonction a donc été de servir de documents
dinformation, et non de contribuer à la " rationalisation des choix
budgétaires " (RCB). Représentant une charge de travail importante pour les
ministères, ils étaient élaborés avec retard, souvent publiés après le vote du
budget et donc peu utilisés par les parlementaires, ce qui explique quils soient
progressivement tombés en désuétude. Indiquons, enfin, que le projet de la RCB, visant
à déterminer de manière globale les missions et les moyens, relevait davantage de la
" mystique technocratique " que dune vision pragmatique.
La réforme des annexes explicatives bleues, introduite à titre
expérimental en 1994 et mise en oeuvre dans le cadre de lexamen du projet de loi de
finances pour 1996, aurait dû permettre de combler les lacunes générées par la
disparition des blancs. Il nen a rien été.
Certes, cette réforme a permis daméliorer la lisibilité des
bleus : ces documents ont été allégés et simplifiés, afin de mettre en exergue
les grandeurs significatives, un certain nombre de données étant transférées dans des
bases de données accessibles par voie informatique. Mais, surtout, cette réforme
sest traduite par lintroduction, à la place des
" actions " définies dans la cadre de la RCB,
" dagrégats " regroupant les moyens affectés à une action,
destinés à permettre une analyse des politiques publiques en termes dobjectifs.
Soulignons, toutefois, que ces objectifs ne font pas lobjet de chiffrage. Ces
agrégats sont assortis dindicateurs (moyens, activité). Il manque, en revanche,
des indicateurs de résultats, susceptibles de mesurer les performances réalisées.
Relevons que, si lintroduction des agrégats va dans le bon sens,
lessentiel des données rassemblées dans les bleus reste ancré dans une vision
purement budgétaire de la dépense publique, contribuant ainsi à enfermer les débats
sur le projet de loi de finances dans une logique de moyens. Cette
" réformette " est donc largement insuffisante pour permettre au
Parlement dexercer réellement sa fonction de contrôle de gestion a priori.
b) Un changement impératif
- Le redressement de nos finances publiques, la réduction de nos besoins de
financement, ainsi que lampleur atteinte par le niveau des prélèvements
obligatoires, imposent à la France de gérer " autrement " la
dépense publique.
Or, jusquà présent, la politique de maîtrise des finances
publiques na pas débouché sur une appréciation de la dépense publique en
fonction de son efficacité.
Elle sest, en effet, traduite par des économies forfaitaires
imposées, via la régulation, aux ministères. Or, celles-ci semblent avoir
aujourdhui atteint leurs limites. Comme la relevé M. Daniel Bouton,
ancien directeur du budget, devant notre groupe de travail, il nest pas " possible
daller beaucoup plus loin dans les exercices de rognure [de la dépense
publique] année après année ". Mais, surtout, cette politique de
maîtrise de la dépense par des économies forfaitaires apparaît de plus en plus
contradictoire avec la recherche dune efficacité accrue de largent public,
dès lors que les coupes opérées le sont de manière non sélective, cest-à-dire
indépendamment de lefficacité de la dépense visée, aboutissant ainsi à remettre
en cause les services rendus et à décourager les personnels concernés.
Cest pourquoi, il apparaît désormais indispensable de changer
les règles du jeu pour accomplir de réels progrès, comme lont fait unanimement
valoir les diverses personnalités entendues par le groupe de travail. Dans une période
de raréfaction de la dépense publique, il faut désormais obtenir des économies,
dégager des marges de manoeuvre et procéder à des réallocations de ressources sur la
base de lefficacité de la dépense publique.
Il sagit là dune mission de longue haleine.
MM. Jacques Bonnet et Philippe Nasse indiquaient, en effet, dans leur audit des
finances publiques du 21 juillet 1997, que " concernant lEtat, une
maîtrise prolongée de la dépense publique compatible avec le maintien ou
lamélioration de lefficacité des services impose, à notre avis, un
réexamen en profondeur des missions et de la législation qui gouvernent ses domaines et
ses modes dintervention, ainsi que lorganisation même de ses services ".
Ce réexamen des missions assignées aux services publics passe par une
évaluation de lefficacité de la dépense publique, afin de rendre compte de
lusage des deniers publics, et par une politique de transparence, afin de débattre
des choix opérés.
- Le Parlement peut être en mesure de " servir de fer de
lance " à cette ambition, à condition, toutefois, quil se donne les
moyens dévaluer la dépense publique.
Il suffit, pour sen convaincre, de rappeler quen France, la
responsabilité de la réforme de lEtat, laquelle repose sur le thème central de
lappréciation de la dépense publique en fonction de son efficacité, varie au gré
de la composition des Gouvernements. Quant aux différents ministres, il leur est
politiquement difficile de sengager dans la voie dune telle appréciation de
la dépense publique, laquelle présuppose une redéfinition des moyens alloués à
ladministration dont ils sont en charge et des pouvoirs quelle exerce.
Or, comme la souligné devant le groupe de travail M. Michel
Prada, qui cumule la double expérience de directeur de la comptabilité publique, puis du
budget, " lorsque [les parlementaires] marquent de lintérêt
pour [un] sujet, une dynamique se produit ; dans le cas contraire, il ny
a aucun véritable contre pouvoir à la tendance de la technostructure à persévérer
dans son être et dans ses méthodes précédentes ". Le Parlement doit donc
" semparer " du thème de lefficacité de la dépense
publique et exercer ainsi ses fonctions de contrôle.
Cette mission nécessite de profonds changements. Pour citer le
Professeur Loïc Philip, elle implique que " le Parlement admette que sa
mission a changé de nature, que son rôle nest plus de faire des choix budgétaires
- ces choix en fait sont imposés et donc la discussion budgétaire a de moins en
moins de signification - mais dêtre de plus en plus un
" vérificateur ", dexercer une sorte daudit à la fois
sur la transparence et la qualité des données financières de lEtat et, peut-être
plus largement, des données financières publiques ".
En redevenant ce lieu de débat autour de la dépense publique, le
Parlement verra sa légitimité démocratique renforcée, puisquil apportera une
contribution aux exigences de transparence et de performance édictées par
larticle 15 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen :
" La société a le droit de demander compte à tout agent public de son
administration ".
RETOUR SOMMAIRE
TROISIEME PARTIE
le plein exercice, par le parlement, de sa fonction
de CONTRÔLE et dÉVALUATION des DÉPENSES publiques rendra indispensables dEs
rÉformes plus profondes touchant au fonctionnement même de lÉtat
Le Parlement peut jouer un rôle déterminant dans une démarche de
recherche dune plus grande efficacité de la dépense publique.
Nombre de réformes, dapplication immédiate, dépendent
largement de sa sphère propre. Il lui appartient donc de les rendre rapidement
effectives, afin de donner limpulsion nécessaire au développement de réformes
exigeant un effort de maturation, dans la mesure où elles touchent au fonctionnement
même de lEtat.
I.- Les rÉformes
immÉdiatement opÉrationnelles pour une nouvelle orientation du rÔle du parlement
Le contrôle budgétaire et lévaluation de la dépense publique,
qui doivent être bien distingués, peuvent être rapidement amplifiés dans le cadre
dune démarche privilégiant le développement du débat démocratique.
A.- Du contrôle à
lévaluation : des fonctions prioritaires exercées par la plupart des
parlements étrangers
Il faut que le Parlement se réapproprie son pouvoir de contrôle
budgétaire et en améliore lexercice, en lui associant un pouvoir
dévaluation des résultats des dépenses publiques.
Deux temps forts doivent concrétiser le pouvoir financier qui
sexerce à lAssemblée nationale : la validation de la programmation
globale et pluriannuelle des dépenses et des recettes, la conduite dun examen
approfondi et systématique de lutilisation des crédits.
1.- Distinguer contrôle et évaluation
LAssemblée nationale sessouffle, un mois par an, dans un
examen, quelque peu illusoire, de la deuxième partie des lois de finances, alors
quelle dispose en fait, en matière de dépenses, dune marge de manoeuvre des
plus limitée.
Elle doit reconquérir un véritable pouvoir de contrôle budgétaire,
exercé tout au long de la session annuelle, et privilégier cette activité.
Mais il faut aller plus loin et mettre en place des dispositifs
dévaluation en distinguant bien les deux démarches.
Lévaluation se différencie des différentes formes de contrôle
et de laudit organisationnel, par le type de point de vue adopté pour apprécier
laction publique. Le contrôle et laudit se réfèrent à des normes
internes au système analysé (règles comptables, juridiques ou normes
fonctionnelles), tandis que lévaluation essaye dappréhender dun point
de vue principalement externe les effets et/ou la valeur de laction
considérée.
Il faut également préciser que, contrairement à certaines formes
daudit, lévaluation na pas pour objet de porter un jugement sur la
manière dont les agents, y compris les responsables hiérarchiques, remplissent, à titre
individuel, leur mission.
On peut affiner cette distinction en reprenant les définitions
données par les textes applicables à lune et lautre activité.
La nature du contrôle qui incombe à la Cour des comptes ()
consiste, pour lessentiel, à vérifier la régularité des recettes et des
dépenses retracées dans les comptabilités publiques et à sassurer du bon emploi
des crédits, fonds et valeurs gérés par les services de lEtat et les autres
personnes morales de droit public. Elle assure également la vérification des comptes et
de la gestion des entreprises publiques.
Si lon se réfère aux dispositions sur le contrôle économique
et financier exercé par le Parlement (), qui confèrent des pouvoirs
spéciaux dinvestigation aux membres du Parlement ayant la charge de présenter le
budget dun département ministériel, on peut observer que ces contrôles portent
sur lemploi des crédits inscrits au budget de ce département.
Le concept dévaluation est, quant à lui, précisé dans un
décret () récent, qui vise à relancer et à améliorer
lévaluation des politiques publiques dans un cadre interministériel. Il est
indiqué, à larticle premier, que lévaluation dune politique publique
a pour objet dapprécier lefficacité de cette politique en comparant ses
résultats aux objectifs qui lui sont assignés et aux moyens mis en oeuvre.
On remarquera que cette définition est sensiblement la même que celle
qui figurait dans le décret () de 1990, abrogé par le précédent, selon
laquelle lévaluation a pour objet de rechercher si les moyens juridiques,
administratifs ou financiers mis en oeuvre permettent de produire les effets attendus de
cette politique et datteindre les objectifs qui lui sont assignés.
En mettant ces deux fonctions de contrôle et dévaluation au
coeur de son activité budgétaire, le Parlement devrait être en mesure de faire reculer,
dès à présent, trois facteurs dimpuissance : le déficit de connaissance, le
déficit dexamen et lautocensure.
Il doit pour cela renverser lordre de ses priorités dans la
procédure budgétaire et désigner comme moment fort du débat lexamen des
résultats des actions antérieures ou en cours et il doit se doter de nouveaux outils.
Cest ce que nous apprend la comparaison avec les parlements de
plusieurs grandes démocraties.
2.- Les exemples étrangers
On évoquera tout dabord le dispositif mis en place aux États-Unis,
non comme un modèle, mais à titre dexemple riche denseignement. Ce pays a
confié au General accounting office (GAO) la mission de développer une
activité dévaluation. Le GAO est une agence du Congrès, qui a ainsi créé une
division spécifique (100 personnes dont 76 chercheurs) et occupe aujourdhui en
matière dévaluation une position sans équivalent dans le monde. Il intervient ex
ante lors de la formulation de la politique concernée, en cours dexécution sur
le coût du programme et ex post pour juger des effets produits.
Ses évaluations ont un fort impact sur les décisions prises :
abandon du programme de développement de certains armements, réorientation des
réductions de crédits prévues par ladministration dans les budgets sociaux...
Ces succès tiennent à la position du GAO auprès du Congrès
américain : bien que disposant de la capacité juridique de sautosaisir, il
réalise 95% de ses travaux à la demande de parlementaires.
Le travail du GAO, pôle dominant de lévaluation situé en
dehors de lexécutif, est complété par celui dautres instances telles que
lOffice of management and budget, qui relève de lexécutif et est
avant tout chargé de préparer et dexécuter le budget, ainsi que trois agences
spécialisées sur lesquelles peuvent sappuyer les deux chambres du Congrès :
le Congressional research service, qui réalise des études juridiques ;
lOffice of technology assessment, qui étudie limpact des
nouvelles technologies ; le Congressional budget office, au service du
législateur pour la préparation du budget.
En Allemagne, le Parlement a joué un rôle important dans la
mise en place de dispositifs dévaluation et, depuis 1970, de très nombreux votes
de lois et de programmes dans les domaines économique, social et éducatif ont été
assortis dune obligation pour le gouvernement fédéral dorganiser une
évaluation de leur mise en oeuvre et des effets obtenus. La réalisation des travaux
dévaluation est considérée comme une tâche spécifique qui ne peut être
accomplie, sauf dans les cas simples, par les institutions traditionnelles de contrôle ou
par les services de ladministration. Linitiative de lévaluation est
généralement le fait du Parlement, mais elle peut également émaner de la Cour des
comptes ou de la Chancellerie, mais rarement du ministère chargé de la politique
concernée. Il nest pas indifférent de noter que le fait que le Parlement a joué
un grand rôle dans ce processus peut expliquer que lévaluation est peu appréciée
par ladministration fédérale, où elle est souvent confondue avec les contrôles
traditionnels. Contrairement à la France, où la démarche évaluative est totalement
centralisée au niveau de lEtat, le système allemand pèche peut-être par un
manque de base légale et une approche un peu dispersée.
Lexemple le plus éclairant est certainement le système
britannique. Le développement de lévaluation au Royaume-Uni sest
produit sous une pression constante en faveur de réformes de la gestion publique qui
nécessitaient une attention plus soutenue à la fixation dobjectifs, à
lamélioration du suivi des performances et à la mesure régulière des résultats.
Le motif principal de ces changements était le resserrement des budgets et le besoin
subséquent dafficher des résultats, associé à la recherche dune
amélioration continue des services publics. Le plus remarquable est peut-être que les
institutions centrales du gouvernement ne pilotent pas lévaluation, qui est devenue
un mode de gestion décentralisée dans de très nombreux secteurs, un véritable outil
daide à la décision dont sest également emparé le Parlement.
Le National audit office (NAO) a été créé en 1983 par
le National audit act, avec pour mission de renforcer le contrôle
parlementaire sur lutilisation des fonds publics. Il est placé sous
lautorité dun " contrôleur et auditeur général " (CAG)
nommé par le Premier ministre sur proposition de la Chambre des communes. Avant cette
réforme, linstitution supérieure de contrôle avait une activité centrée sur
laudit financier et le contrôle de régularité. Le NAO, organe indépendant, a un
mandat clair pour examiner lactivité des départements ministériels et des
organismes publics sous langle de léconomie, de lefficience et de
lefficacité. Chaque année, il transmet une cinquantaine de rapports de type value
for money au Parlement. Ce label regroupe les audits de performance, qui
allient contrôle du respect de la légalité et de la bonne gestion des organismes
publics, les examens spéciaux, qui sont des études plus courtes destinées à
analyser un dysfonctionnement particulier dans un système, les évaluations de
programmes, qui cherchent à apprécier dans quelle mesure une organisation ou
un programme a atteint ses objectifs quelles ont au préalable aidé à clarifier
(exemple : lévaluation du programme national de maintenance des ponts). Ces
travaux se déroulent tout au long de lannée.
Le NAO travaille en étroite relation avec le Committee of public
accounts (PAC), Commission des comptes publics, qui fait partie des " Select
committees " de la Chambre des communes, lesquelles ont pour objet de
contrôler laction du gouvernement et de ladministration ainsi que de gérer
lorganisation interne du parlement. Cest à cette commission que le NAO
présente ses rapports. Le choix des sujets et le contenu des rapports sont déterminés
par le CAG mais toujours en accord avec la commission. Cette dernière utilise les
rapports pour procéder à laudition des responsables du ministère ou de
lorganisme contrôlé. Ces auditions sont publiques et se déroulent en
présence du CAG et de léquipe du NAO qui a rédigé le rapport et qui aide le
président du PAC à préparer laudition. Un rapport est ensuite publié par la
Commission des comptes publics, intégrant le rapport du NAO et les éléments recueillis
lors des auditions. Le rapport contient généralement des recommandations de réforme
auxquelles le gouvernement a lobligation de répondre. Il nappartient pas au
NAO, qui ne dispose pas dun pouvoir de sanction, de porter une appréciation sur les
objectifs des politiques de lEtat quil évalue. Les programmes gouvernementaux
relèvent du pouvoir politique et cest au Parlement quil revient de les
discuter ou de les sanctionner. Il convient, à cet égard, dobserver quune
telle démarche exige un effort important, afin détablir une distinction claire
entre le fait de mettre en cause la pertinence des objectifs dune politique et celui
dexaminer lefficacité des moyens choisis pour les atteindre.
Cest une dynamique de cette nature quil faudrait mettre en
place en France, où il faut, au moins autant que chez nos voisins, maîtriser la dépense
publique, en freiner la progression et la redéployer afin quelle ait la plus grande
efficacité économique possible. LAssemblée nationale est loin dêtre
totalement démunie pour entreprendre ce renversement de tendance, qui savère
possible sans bouleversement institutionnel majeur.
B.- Renforcer le
contrôle de lAssemblée nationale à tous les stades de la procédure budgétaire
Le rôle du Parlement doit être clairement défini. Les choix
budgétaires et la préparation du budget relèvent de lexécutif et il appartient
au Parlement de débattre des grands équilibres économiques et sociaux qui encadreront
les lois de finances et de contrôler la bonne gestion de la dépense publique et ses
résultats. Le Parlement doit donc lier étroitement les décisions budgétaires qui lui
sont soumises au résultat des contrôles et des études menées à son initiative. Il a
un rôle irremplaçable à jouer en matière de contrôle de la dépense budgétaire. Un
nombre dinitiatives limitées, mais mises en oeuvre avec détermination, devrait
permettre dy parvenir. Cest incontestablement par de telles initiatives que le
Parlement retrouvera toute sa place et pourra jouer un rôle daiguillon en vue de la
poursuite de réformes plus profondes.
1.- Un débat contradictoire pour une programmation
pluriannuelle des finances publiques
LAssemblée doit sortir de la contradiction actuelle qui consiste
à multiplier les votes sur des ensembles très fractionnés de crédits et à laisser
échapper lessentiel. Elle doit désormais privilégier les grandes orientations
économiques et financières, dune part, les comptes et les résultats, dautre
part, par rapport au budget annuel lui même.
Le débat dorientation budgétaire, tenu pour la première fois,
à linitiative du Président Laurent Fabius, en avril 1990 et renouvelé en mai
1996, puis en juin 1998, constitue une innovation dune grande importance, mais il
doit être loccasion dune plus grande transparence et dun renforcement
de la capacité dintervention du Parlement.
Ce débat doit permettre dexaminer les perspectives budgétaires
globales, dans le contexte dune programmation triennale correspondant à
lobligation fixée par le Pacte de stabilité et de croissance pour les Etats de la
zone euro.
Dans un premier temps, la Commission des finances examinerait, chaque
année, avant leur transmission aux instances communautaires, les perspectives
triennales des finances publiques, incluant lensemble des dépenses publiques
(Etat, sécurité sociale, collectivités locales).
Dans un second temps, le débat dorientation budgétaire
proprement dit, au printemps, devrait porter sur les hypothèses économiques et les
prévisions de croissance du PIB à laquelle sont mécaniquement liées les principales
recettes de lEtat. Mais le débat doit également porter sur la politique fiscale et
lévolution des prélèvements obligatoires, ainsi que sur la politique de la
fonction publique.
A cette occasion, il devrait être possible de faire apparaître la
réalité des déficits et de lemprunt, qui va bien au-delà de ce que permet de
constater larticle déquilibre de la loi de finances initiale, puisque
lemprunt doit aussi couvrir les besoins extrabudgétaires du Trésor.
Cest en tout cas ce que révèle le débat dorientation
budgétaire qui a eu lieu en mai 1996. Pour alimenter ce débat, le gouvernement avait
dû, comme on la vu précédemment, fournir un rapport innovant sur plusieurs
points, notamment en établissant une distinction, pour définir les conditions de
léquilibre, entre dépenses de fonctionnement et dépenses dinvestissement.
Toutefois, la démonstration passant par la stigmatisation des
dépenses de fonctionnement trouve ses limites lorsque lon rappelle quelles
intègrent les dépenses liées à la recherche, à léducation, à un certain
nombre de transferts sociaux (allocations non contributives) et les charges financières
de la dette elle-même. On pourra se reporter aux propos tenus, devant le groupe de
travail, par M. Daniel Bouton, ancien directeur du budget, et par M. Louis
Schweitzer, ancien directeur de cabinet du Premier ministre, qui considèrent, comme
beaucoup dauteurs, que, sagissant des dépenses de lEtat, la notion de
dépense dinvestissement na pas véritablement de signification. Cette
présentation, qui était restée relativement sommaire et artificielle, na pas
été reprise dans le rapport de même nature présenté par le Gouvernement pour le
débat dorientation budgétaire du 9 juin 1998. Sous réserve dun reclassement
approprié des dépenses, cette présentation, dont la vertu pédagogique ne doit pas
être sous-estimée, pourrait être reprise.
Pour être véritablement globale, lapproche devrait également
aborder le niveau des dépenses programmées pour la sécurité sociale et pour les
collectivités territoriales. On regrettera à cette occasion que la loi organique du 22
juillet 1996 relative au financement de la sécurité sociale, nait pas été
fusionnée avec lordonnance organique du 2 janvier 1959, ce qui aurait attesté une
volonté de vision globale des dépenses et de définition dune politique
densemble. Mais rien ne soppose à ce que, dans le cadre du débat
dorientation budgétaire, soit effectué un examen général des finances locales,
nationales, sociales et européennes.
Ce débat doit être véritablement éclairé, contradictoire et
préparé en amont, en particulier au sein de la Commission des finances.
Il devra sengager sur la base, au minimum, des documents
suivants :
le rapport de la Cour des Comptes sur
lexécution du budget de lannée précédente ;
le rapport économique, social et financier
présenté par le gouvernement incluant les comptes prévisionnels de la Nation pour
lannée en cours et les années suivantes ;
le programme triennal, éventuellement actualisé, de
finances publiques du gouvernement.
Linformation économique et financière des parlementaires
pourrait être utilement complétée par des simulations effectuées sur telle ou
telle orientation fiscale ou financière, par les organismes, notamment publics, de
prévision (OFCE, INSEE, Commissariat général du Plan), commandées en temps utile par
la Commission des finances.
La préparation de ce débat donnerait lieu à des auditions par
la Commission des finances et notamment à celles du Premier président de la Cour des
comptes, du rapporteur du Conseil économique et social qui suit la conjoncture, du
gouverneur de la Banque de France, du ministre de léconomie et des finances et du
secrétaire dEtat au budget, éventuellement du commissaire européen chargé des
affaires économiques et financières. Lorganisation de tables rondes
dexperts économiques doit être systématisée par la Commission des finances,
comme elle la fait en vue du débat dorientation budgétaire tenu en juin
1998.
2.- Un véritable contrôle de lexécution des
lois de finances
Afin de redonner tout son sens à cet exercice, le projet de loi de
règlement devrait être déposé peu de temps après la communication, par la Cour des
comptes, de son rapport sur lexécution des lois de finances qui serait présenté
au mois de mai/juin de lannée (n+1). Il est indispensable pour cela que
lintégralité des comptes définitifs des ministères, nécessaires à
létablissement de la déclaration générale de conformité qui accompagne le
projet de loi de règlement, soit remise beaucoup plus tôt à la Cour des comptes, comme
elle le réclame régulièrement. La période complémentaire dexécution du budget,
qui sest achevée, pour lexécution du budget de 1997, le 7 février 1998,
devrait dailleurs être encore raccourcie.
Le rapport de la Cour des comptes devrait donner lieu, préalablement
à lexamen du projet de loi de règlement, à des auditions par la Commission des
finances plus nombreuses que cest actuellement le cas, au minimum du Premier
président et des principaux magistrats qui ont participé à son établissement.
Mesurer lécart entre la loi de finances initiale et le budget
finalement exécuté peut nourrir non seulement les débats relatifs à la loi de
règlement, mais surtout ceux concernant le projet de loi de finances initiale de
lannée à venir. Linteraction entre la loi exécutée et celle en
préparation est évidemment propre à enrichir la fonction de contrôle du Parlement et
facilitera une analyse approfondie de la politique budgétaire suivie. LAssemblée
doit se mettre en situation de porter un jugement politique sur la réalité de la
dépense publique globale au regard des objectifs et des engagements budgétaires
pluriannuels.
Le vote du projet de loi de règlement de lexercice n pourrait
donc, à terme, intervenir avant celui du projet de loi de finances pour lannée
(n + 2), ces deux textes pouvant dailleurs faire lobjet dune
discussion générale commune.
3.- Le contrôle de lemploi des crédits
tout au long de lannée
La Commission des finances doit sefforcer de remplir de façon
plus approfondie son rôle de commission de contrôle de lemploi des crédits tout
au long de lannée. Il lui suffit de mettre plus systématiquement en pratique les
textes existants, qui pourraient toutefois être légèrement améliorés.
Il faut rendre plus effectif le pouvoir des rapporteurs spéciaux, car
il est très peu exercé en raison de lisolement dans lequel se trouvent ces
rapporteurs lorsquils se risquent à entreprendre ce travail de longue haleine, avec
lassistance dun seul fonctionnaire parlementaire. Deux modifications doivent
être mise en oeuvre.
La première modification consisterait à compléter, à
loccasion de la prochaine loi de finances, lordonnance du 30 décembre 1958,
afin détendre les pouvoirs des rapporteurs spéciaux aux rapporteurs pour avis
budgétaires des autres commissions permanentes. Rapporteur spécial et rapporteur pour
avis pourraient travailler conjointement sur chaque opération de contrôle.
Lisolement serait rompu par le caractère collectif de la démarche et la motivation
renforcée surtout si, comme il sera suggéré ci-après, dans une perspective de
renforcement de la transparence et de la démocratie, il était possible dassocier
un rapporteur spécial appartenant à la majorité et un rapporteur pour avis membre de
lopposition ou linverse. Les rapporteurs spéciaux de la Commission des
finances auraient lobligation de réaliser au moins deux contrôles de ce type par
an pour prétendre au renouvellement de leur désignation lannée suivante. La
coordination de lensemble de ces travaux par le Rapporteur général, susceptible,
le cas échéant, de prêter main forte aux contrôleurs, trouverait toute sa dimension
dans le rapport sur la loi de règlement.
En second lieu, les commissaires chargés du contrôle et le Rapporteur
général de la Commission des finances devraient préparer leurs démarches avec
laide des magistrats de la Cour des comptes investis des mêmes pouvoirs de
vérification sur pièces et sur place (art L. 111-3 du code des juridictions
financières) pour le contrôle de la gestion financière des services et des organismes
publics. Cette préparation consisterait, notamment, à éclairer les rapporteurs sur les
documents utiles à se procurer et le cas échéant sur leur interprétation. Une telle
démarche permettrait de concrétiser les dispositions de larticle 47 de la
Constitution, aux termes desquelles la Cour des comptes assiste le Parlement dans le
contrôle de lexécution des lois de finances.
Pour impulser ces travaux, une mission dévaluation et de
contrôle pourrait être créée, chaque année, au sein de la Commission des
finances.
Afin dassurer lassociation de lopposition au
fonctionnement de cette mission, un membre de lopposition sen verrait confier
la co-présidence, aux côtés du Président de la Commission des finances,
lanimation et la coordination des travaux étant assurées par le Rapporteur
général.
La mission fixerait un calendrier dauditions des fonctionnaires
responsables des grandes administrations, des directeurs détablissements publics
et/ou des ministres concernés par les problèmes qui auront particulièrement retenu
lattention des rapporteurs. Ces auditions se dérouleraient au rythme dune par
semaine de janvier à juin, soit une vingtaine au total. Elles se situeraient dans le
cadre de larticle 5 bis de lordonnance du 17 novembre
1958 (). Lopposition serait associée à la préparation des
auditions hebdomadaires de la mission, qui seraient ouvertes aux autres membres de la
Commission des finances et aux rapporteurs pour avis des autres commissions.
Il faudra incontestablement faire preuve de volontarisme et de
pragmatisme pour lancer cette " machine ", mais, très vite, cette
démarche devrait produire des résultats et être ressentie comme indispensable au
travail du Parlement.
LAssemblée nationale devra sefforcer de faire passer
lidée quelle exerce son pouvoir de contrôle dans lintérêt même des
gestionnaires et que, si elle vise à réduire les dépenses inutiles, elle pourra aussi
sincliner devant des services bien gérés et saluer les gains de productivité
réalisés.
Un moyen supplémentaire pourrait être prochainement opérationnel, il
sagit de lutilisation dInternet.
Selon le récent rapport de M. Jean-Paul Baquiast ()
établi à la demande du ministre de la fonction publique, de la réforme de lEtat
et de la décentralisation, le fonctionnement de lEtat va être bousculé par la
société de linformation et lobligation de transparence que véhicule la
" culture Internet ".
Il préconise la mise en ligne par ladministration de la
totalité des informations concernant les budgets, les dépenses, les subventions, les
effectifs... On ajoutera que pourraient également être diffusés par ce moyen, les
rapports des différents corps dinspection et les études internes réalisées sur
la productivité dans ladministration et les organismes publics.
Est-il utopique dimaginer un processus de dialogue critique entre
les commissaires rapporteurs et les responsables de ladministration, via
Internet ?
RETOUR SOMMAIRE
4.- Approfondir les liens avec la Cour des comptes
Les relations de la Cour des comptes avec le Parlement ont été
renforcées comme on la vu, en particulier avec larticle L. 132-4 du code
des juridictions financières.
Il ressort clairement de laudition par le groupe de travail, du
Premier président de la Cour des comptes que les enquêtes prévues et dont la
réalisation est, en cas de demande, obligatoire pour la Cour, ne sont
quexceptionnellement demandées par la Commission des finances de lAssemblée.
Ces enquêtes pourraient, en particulier, utilement éclairer les parlementaires sur la
sincérité des comptes de lEtat et leur permettre de vérifier si les budgets
décrivent ou non lensemble des dépenses et des recettes de lEtat ou encore
si les règles sur les marchés publics sont respectées.
Larticle L. 135-5 du même code, relatif aux transmissions de
documents par la Cour des comptes, nest pas encore, comme on la vu, appliqué
de façon satisfaisante, puisque les documents en cause ne sont transmis quavec
parcimonie à la Commission des finances.
Dans la perspective de la meilleure coopération appelée de ses voeux
par le Premier président de la Cour des comptes, il est souhaitable que le programme de
travail établi chaque année par la Cour, le soit désormais en coordination avec le
Parlement, qui devrait alors formuler ses demandes en matière denquêtes et
daudits.
Mais lAssemblée nationale, comme le font ses homologues
étrangers, doit aller au-delà de ces contrôles de régularité juridique et financière
des dépenses : elle doit sintéresser à lévaluation des politiques
publiques qui sous-tendent les dépenses autorisées et contrôlées. Il sagit de
déterminer si les objectifs fixés ont été atteints ou sont en voie de lêtre et
si les moyens mis en oeuvre sont adéquats.
C.- Introduire et
systématiser lévaluation de la
dépense publique à lAssemblée
Les parlementaires doivent se convaincre que, dans un environnement
budgétaire contraint, ils ont un rôle dintérêt général essentiel à jouer, qui
consiste à sassurer de la meilleure affectation possible des fonds publics.
Ne pouvant mesurer exactement les besoins des administrations pour
conduire les politiques engagées, les élus ont les plus grandes difficultés à trouver
les économies que lEtat pourrait faire. Ils avancent à laveuglette, se
heurtant, à chaque tentative, à des intérêts puissants, légitimes ou non. Cest
pourquoi les choix doivent être éclairés de la façon la plus objective et la plus
transparente possible. Les parlementaires doivent savoir si, en mettant en cause des
dépenses votées lannée ou les années précédentes, ils compromettent un aspect
vital du fonctionnement de lEtat ou pas.
Lopinion publique française est encore peu sensibilisée à
cette démarche évaluative propre à renforcer la compétitivité de lensemble du
pays et qui devrait échapper à toute approche partisane. Il appartient peut-être à ses
représentants douvrir la voie. Il faut pour cela une ferme volonté de transparence
et de connaissance du réel, qui ne doit pas être confondue avec une accumulation
dinformations. Traquer la dépense inutile et la mauvaise gestion ou démanteler
lempilement de structures ou de mesures injustifiées, ne sont pas des démarches
qui ont pour objet de mettre le Gouvernement en difficulté. Au contraire, dans certains
cas, elles peuvent laider à résoudre des problèmes et à rechercher le meilleur
fonctionnement possible de ladministration.
Comme il a été dit plus avant dans ce rapport, la dépense publique
ne vise pas, comme celle des entreprises, à dégager des profits, mais à satisfaire un
besoin dintérêt général. Il faut donc intégrer cet objectif, à la définition
duquel le Parlement doit avoir participé en amont, à la démarche évaluative.
Lexercice peut savérer complexe, car il implique une analyse qualitative du
" produit ", il est néanmoins indispensable.
On sen tiendra ici à lévaluation de lefficacité et
des résultats des dépenses de lEtat, même sil est de plus en plus difficile
de séparer les dépenses de lensemble des administrations publiques qui
sinfluencent réciproquement.
1.- Les exemples dévaluation à
lAssemblée
Le besoin dévaluation sest exprimé jusquà présent
sous plusieurs formes restées inachevées.
Le suivi de lexécution des lois, premier stade de
lévaluation, a été pris en compte par la circulaire du Premier ministre du
1er juin 1990, qui prévoit quaucun projet de loi ne peut être soumis au
Conseil des ministres sans quun calendrier prévisionnel des décrets
dapplication ne soit arrêté et que les dispositions essentielles de ces décrets
ne soient connues. Cette circulaire aurait dû faciliter le travail de vigilance du
Parlement mais son application est restée discrète ().
Certaines grandes lois ont prévu lobligation, pour le
Gouvernement, de déposer un rapport dévaluation afin de procéder aux adaptations
nécessaires, la reconduction du dispositif ou ladoption dune loi
complémentaire étant conditionnée par les résultats de lévaluation. La loi du
1er décembre 1988 instituant le revenu minimum dinsertion allait même plus loin,
puisquelle formulait des exigences précises, en particulier sur le volet insertion
et la lutte contre lexclusion. Mais la discussion parlementaire sur le
renouvellement de la loi en 1992 a très peu tenu compte des résultats transmis par la
Commission nationale dévaluation du RMI.
On ne reviendra pas sur le sort réservé à lévaluation à
mi-parcours prévue par la loi quinquennale relative au travail à lemploi et à la
formation professionnelle, dont il a déjà été dit que le rapport de linstance
dévaluation, publié en février 1997, na jamais été présenté au
Parlement, alors que le Gouvernement y était tenu.
La prochaine illustration concernera la loi dorientation et
dincitation relative à la réduction du temps de travail, qui prévoit, en vue de
la préparation dun deuxième texte, la présentation au Parlement du bilan des
accords sur les 35 heures avant la fin de lannée 1999.
Une autre approche concerne lobligation dassortir tous les
projets de loi, dune étude dimpact juridique, économique et financier des
dispositions envisagées. Une circulaire du Premier ministre du 21 novembre 1995 relative
à lexpérimentation des études dimpact a fait lobjet dun bilan
mitigé. Une nouvelle circulaire du Premier ministre, du 26 janvier 1998, visant au
même objet, sest avérée nécessaire pour pérenniser la procédure tout en en
révisant les modalités. Tous les projets de loi, les projets dordonnance ainsi que
les projets de décrets en Conseil dEtat qui ont un caractère réglementaire,
doivent être accompagnés dune étude visant à évaluer a priori les effets
administratifs, juridiques, sociaux, économiques et budgétaires des mesures envisagées.
Il sagit de sassurer de manière probante que la totalité des conséquences a
été appréciée préalablement à la décision à venir et que les mesures proposées
sont les plus adaptées au but poursuivi. Si ces engagements sont tenus et que les
parlementaires peuvent disposer dune telle étude, conçue non comme un rite mais
comme un véritable outil de réflexion, le travail dexamen et dévaluation de
la loi en sera considérablement enrichi.
Enfin, il faut bien constater, comme la fait le Président de la
Commission des finances de lAssemblée devant le groupe de travail, que lOffice
parlementaire dévaluation des politiques publiques, créé par la loi du 14
juin 1996, sest révélé inapte à répondre à lattente des parlementaires.
Il est donc urgent que lAssemblée nationale accède à une
véritable connaissance de la réalité des actions publiques. Plus
particulièrement elle doit se pencher sur lévaluation des charges, des pratiques,
des besoins, des objectifs et des " productions " des services, et des
missions de lEtat en général.
2.- Lindispensable évaluation des services
votés
Le Parlement, confronté au resserrement des budgets, doit se faire le
garant de lamélioration continuelle de la gestion publique ; il en résultera
nécessairement une attention plus soutenue à la fixation des objectifs, à
lamélioration des performances et à la possibilité de réaliser des économies.
Sa légitimité est dautant plus grande à semparer de cette fonction que le
but ultime de lévaluation est de renforcer la qualité et la sensibilité des
services publics aux besoins des usagers.
Les autorisations nouvelles de crédits absorbent aujourdhui une
très grande part de lénergie déployée lors des débats budgétaires. Il faut
inverser cette logique en concentrant lactivité des membres de la Commission des
finances et, au-delà, des autres commissions, sur lexamen de lefficacité de
ce qui existe et qui représente entre 90 et 95% des crédits nets du budget général.
Seule cette démarche évaluative pourra redonner un sens aux décisions relatives à une
nouvelle activité, à une nouvelle structure, ou à un nouveau service.
Si, dans le cadre de ladoption de la loi de finances initiale,
les dépenses du budget général font lobjet dun vote unique en ce qui
concerne les services votés qui recouvrent des dépenses ordinaires et des dépenses en
capital - globalisation sans doute excessive -, la Commission des finances peut
tout à fait se donner les moyens dévaluer les résultats de ces dépenses tout au
long de lannée.
Il sagirait simplement de la mise en oeuvre de deux principes
définis par la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 et à ce
titre intégrés dans le bloc de constitutionnalité, rappelés par le Professeur Loïc
Philip devant le groupe de travail : les citoyens ou leurs représentants doivent
pouvoir constater la nécessité de la contribution publique et tout agent public
doit rendre compte de son administration.
La mission annuelle dévaluation et de contrôle de la
Commission des finances examinera chaque année un certain nombre dactions publiques
transversales en commençant par les plus coûteuses et les plus opaques dans leur
fonctionnement et leurs résultats, afin den mesurer lefficacité.
Les pistes ne manquent pas. Le Professeur Loïc Philip a cité comme
objet détude prioritaire, les rémunérations dans la fonction publique et les
subventions aux entreprises publiques. M. Pierre Joxe considère, pour sa part, que
les programmes de lutte contre la toxicomanie, déjà abordés par la Cour des comptes, la
formation professionnelle, larmement ou léducation nationale sont
prioritaires, et notre collègue M. Jean-Jacques Jégou souhaiterait tout
dabord sintéresser au fonctionnement du ministère chargé du budget. Notre
collègue M. Michel Suchod a suggéré, de son côté, dévaluer
lenseignement supérieur ou certains programmes militaires. Il faudrait aussi songer
aux aides publiques aux entreprises... Il ressort clairement des débats au sein du groupe
de travail quil ne sera pas difficile de définir chaque année quatre ou cinq
domaines dexécution des services publics ou grandes fonctions collectives, pour
lesquels elle déclenchera des actions dévaluation.
Il convient de distinguer cette démarche propre à la Commission des
finances et relevant de son initiative dans le but de nourrir la discussion budgétaire,
des évaluations prévues par certaines grandes lois ou des résultats de dispositions
législatives nouvelles au regard de limpact qui en était attendu et dont la mise
en oeuvre appartient aux ministères, même si les résultats doivent être soumis au
Parlement.
Pour les services votés, il sagira dune évaluation ex
post ou portant sur lexercice en cours, qui répond à des problèmes
méthodologiques différents de lévaluation a priori.
La Commission des finances, par lintermédiaire de sa mission
annuelle dévaluation et de contrôle, doit devenir un commanditaire
dévaluations, fonctionnant selon des modalités qui peuvent sinspirer
du processus mis en place, au niveau interministériel, par le décret du 18 novembre
1998 relatif à lévaluation des politiques publiques, susvisé. Le Conseil national
de lévaluation, instance indépendante créée par le décret, assisté par le
Commissariat général du Plan propose, chaque année, au Premier ministre, un programme
dévaluation des politiques publiques pour lannée suivante. Il examine
ensuite les rapports dévaluation réalisés par différents opérateurs sous la
conduite dune instance dévaluation ad hoc et le rapport est publié
assorti de lavis du conseil.
Cest une procédure de cette nature, aussi souple et efficace que
possible, qui doit être mise en oeuvre à lAssemblée et pour laquelle les moyens
existent.
Pour chaque commande dévaluation, devra être fixé un cahier
des charges à lopérateur public ou privé choisi pour la réaliser, comprenant les
questions auxquelles il devra être répondu, les indicateurs de mesure souhaitables, les
modalités de mise en oeuvre de lévaluation, les délais de réalisation, le coût
et les modalités de financement.
Les questions devront porter sur une ou plusieurs des qualités
exigées dune bonne politique : la cohérence entre les différents objectifs
et entre les moyens juridiques, humains et financiers mis en oeuvre et ces
objectifs ; la réalisation des objectifs, au moyen de la comparaison entre la
situation initiale et lévolution constatée ; lefficacité,
cest-à-dire la mesure des effets propres de la politique, qui peut souvent être
abordée par le biais de la question de savoir ce qui se serait passé en labsence
de la politique concernée ; lefficience, sous langle du rapport
coût-avantages ou coût-efficacité ; la pertinence, qui consiste à déterminer si
la politique mise en oeuvre est adaptée aux problèmes que lon veut résoudre.
Les réponses aux questions fournies par les évaluateurs doivent être
aussi objectives et scientifiques que possible, dans le respect de règles de déontologie
qui existent pour ce type dactivité. La règle fondamentale dune bonne
évaluation est que les chiffres et les faits qui servent de base aux conclusions des
évaluateurs ne soient pas contestables. Mais lappréciation sur les objectifs des
politiques de lEtat relève, en revanche, exclusivement du commanditaire.
La mission dévaluation et de contrôle devra donc, non seulement
piloter les opérations dévaluation en fixant, le cas échéant lobligation
de fournir des rapports intermédiaires, mais débattre des résultats et procéder à
laudition des évaluateurs et, éventuellement, des responsables des politiques
évaluées.
Il reste à déterminer selon quelles modalités sera remplie cette
fonction dévaluation.
RETOUR SOMMAIRE
3.- Les moyens pour agir
Les fonctions dévaluation qui viennent dêtre décrites
sont de nature à assurer linformation de lAssemblée pour lui permettre
dexercer son contrôle sur la politique du gouvernement, dans les conditions
prévues par la Constitution. A ce titre elles entrent dans le champ dapplication de
larticle 145 du Règlement de lAssemblée nationale, relatif au rôle
dinformation des commissions permanentes.
Des crédits spécifiques permettant le financement dopérations
dévaluation sont, dores et déjà, inscrits au budget de fonctionnement de
lAssemblée nationale.
Si la mission dévaluation et de contrôle doit jouer le rôle
dinstance dévaluation et de commanditaire dévaluation, on aura compris
quil ne lui revient évidemment pas de réaliser les évaluations elle-même.
Ce travail requiert le recours à des professionnels de
lévaluation et limplication, comme en Grande-Bretagne, de réseaux
dexpertise sectoriels regroupant des universitaires, des professionnels et aussi des
représentants de ladministration déjà chargés de lévaluation de leurs
propres pratiques, est certainement la meilleure formule. Il serait utile, pour la mise en
oeuvre de ces opérations que notre Assemblée puisse disposer dune étude sur le
réseau doffre des opérateurs publics et privés exerçant en France, spécialisés
dans lévaluation des politiques publiques.
Par ailleurs, la mission dévaluation et de contrôle pourrait,
pour conduire ces actions, solliciter notamment lassistance et le concours de la Cour
des comptes, particulièrement pour ce qui touche à la méthode.
La Cour de comptes est une juridiction financière et elle consacre,
comme la rappelé devant le groupe de travail son Premier président,
lessentiel de son activité au contrôle de la régularité des opérations
décrites dans les comptabilités publiques. Toutefois, elle pratique, sur les
collectivités publiques de son ressort, des investigations qui correspondent à un
véritable audit de performance et pourrait sans aucun doute répondre, sur certains
dossiers particuliers, à des demandes de concours de la Commission des finances.
Le Commissariat général du Plan, et notamment son service de
lévaluation, pourrait également être sollicité.
Compte tenu des besoins spécifiques de la Commission des finances et
de ses missions dévaluation, le concours du Commissariat général du Plan pourrait
porter sur la préparation du cahier des charges y compris le questionnement, le choix des
opérateurs (cabinets privés ou universitaires) et laide au pilotage dans le suivi
très régulier des travaux de lévaluateur.
Les rapports dévaluation seraient débattus au sein de la
Commission des finances et complétés par laudition des gestionnaires et, le cas
échéant, celle des représentants des usagers du service public concernés, selon des
modalités comparables au travail de contrôle, mais avec un objet distinct. Les
rapports complétés par les auditions seraient publiés. Ces travaux, étalés tout
au long de lannée, devraient considérablement enrichir la connaissance des
réalités des services publics et permettre au Parlement de sortir de lautocensure
quil pratique actuellement à légard des services votés.
Il restera ensuite à valoriser les résultats obtenus,
normalement en les rendant publics - sous réserve, dans certains cas, de préserver
la confidentialité nécessaire à lefficacité même de la démarche, ainsi que
la souligné, dans son intervention devant le groupe de travail, M. Michel
Charasse, sénateur - mais aussi en les rapprochant des décisions budgétaires à
prendre, par exemple par le vote dune mesure nouvelle de diminution des crédits, ou
en prenant des initiatives telles que le dépôt dune proposition de loi ou
laudition dun ministre. Quelque chose de vraiment nouveau se produira si les
députés utilisent la connaissance acquise des résultats dune action politique
comme outil dans la discussion budgétaire, au nom de lintérêt général
quils représentent.
Enfin, en termes de moyens, il faut retenir la suggestion de
M. Michel Charasse qui considère que la Commission des finances doit pouvoir
accéder aux banques de données informatiques du ministère de léconomie des
finances et de lindustrie, ce qui permettrait le suivi, en temps réel ou presque,
des finances publiques. En tout état de cause, la Commission des finances doit se doter
dune base de données budgétaires et financières lui permettant de procéder à
ses propres simulations, tant il est vrai que linformation est source de pouvoir.
D.- Une plus grande
volonté de débat démocratique
Le Parlement est le lieu privilégié où il peut être débattu de la
globalité de la dépense publique, où les limites à la tolérance fiscale des
contribuables peuvent sexprimer et où peuvent se faire les grands arbitrages entre
les catégories de dépenses, la désignation des priorités économiques, mais aussi la
remise en cause des dépenses ou des actions inutiles.
Si les finances publiques donnent le sentiment dêtre peu
maîtrisées, cest en partie en raison de la dispersion des centres de décision, de
leur cloisonnement et de lopacité de lensemble.
Lenchevêtrement des prélèvements et des financements rend
difficile, pour le citoyen, didentifier les centres de responsabilité et accrédite
lidée de limpossibilité dune régulation politique.
Le Parlement doit sefforcer de faire progresser la réflexion
collective sur laction de lEtat - et, plus généralement, de la sphère
publique - et sur son coût, en développant sa propre capacité dexpertise
pour nourrir le débat public.
1.- Améliorer la transparence
Toutes les interventions de lAssemblée nationale en matière de
dépense publique doivent être parfaitement lisibles, cest pourquoi il ne faut pas
multiplier les organismes internes ou externes chargés des différentes actions et
choisir de concentrer les débats et les initiatives au sein des commissions, celles des
finances devant pouvoir sappuyer sur lexpérience et les travaux des autres
commissions permanentes.
La principale décision en faveur de la transparence consisterait, pour
la Commission des finances à rendre publiques, sauf exception, les auditions
auxquelles elle procédera dans le cadre de ses missions dévaluation et de
contrôle. Louverture à la presse et la retransmission par la chaîne
parlementaire des réunions hebdomadaires au cours desquelles se dérouleront ces
auditions sur des thèmes concernant de très près les rapports de lEtat et des
citoyens ne manquera pas de relancer le débat démocratique et de rendre irréversible la
réforme de certains modes de gestion publique.
Il conviendra également de publier sous forme de rapports
dinformation les résultats de ses actions de contrôle et les conclusions de ses
initiatives dévaluation.
2.- Renforcer la démocratie
La garantie, grâce au contrôle effectué sous limpulsion du
Parlement, de la meilleure affectation possible de la dépense publique est un instrument
fondamental de la démocratie, qui ne peut que rendre le plus grand service au
gouvernement, quel quil soit.
Cette démarche, pour être crédible et bénéficier dune
certaine continuité dans le temps, doit faire lobjet dun large consensus
parmi les parlementaires. Afin de donner toute son ampleur à cette nouvelle approche du
travail parlementaire et aussi de stimuler les initiatives, il serait souhaitable de renforcer,
à cette occasion, les droits de lopposition.
La coprésidence, par un membre de lopposition, de la
mission dévaluation et de contrôle y contribuera.
Il peut, en outre, être facilement envisagé, au moins dans un premier
temps, sur certains budgets et afin de stimuler les actions de contrôle, de faire
collaborer un rapporteur spécial et un rapporteur pour avis, appartenant lun à la
majorité, lautre à lopposition.
En outre, la Conférence des Présidents de lAssemblée, qui
pourrait décider de consacrer une séance mensuelle de questions au Gouvernement à
lexamen dune politique publique, à partir des travaux de la mission
dévaluation et de contrôle et en soumettant le ou les ministres responsables à
une série de questions ciblées.
Enfin, ne pourrait-on envisager que le débat dorientation
budgétaire soit conclu par le vote dune loi dorientation triennale fixant les
principales données financières de lEtat ?
3.- Concevoir un nouveau rythme dexercice du
pouvoir financier
Comme on la vu, la Commission des finances de lAssemblée
nationale, doit désormais jouer pleinement son rôle de vérification de la qualité, de
la transparence et de lefficacité des interventions financières de lEtat.
Certains pourront regretter que nait pas été retenue la
proposition de créer une septième commission permanente spécialisée dans le contrôle
des comptes publics et dans lévaluation des politiques publiques. Lautorité
dont jouit le Public accounts committee (PAC) au sein de la Chambre des communes
britannique peut en effet donner quelques regrets, étant cependant précisé quune
telle réforme nécessiterait de réviser larticle 43 de la Constitution, qui
limite à six, dans chaque assemblée, le nombre des commissions permanentes. Mais la
Commission des finances, sous limpulsion de son Président et de son Rapporteur
général, dotée de moyens renforcés et appuyée sur lexpérience des rapporteurs
pour avis des autres commissions, doit pouvoir remplir un rôle comparable, si elle
concentre ses efforts sur les nouveaux temps forts de lexamen des finances
publiques.
Afin dafficher clairement cette volonté, il est proposé de
demander à lAssemblée, par la voie dune résolution modifiant son
Règlement, le changement dappellation de la Commission des finances, de
léconomie générale et du plan en Commission des finances, de
léconomie, du contrôle et de lévaluation.
La Commission doit également adopter un nouveau calendrier de
travail annuel, rythmé par les deux nouvelles grandes phases du travail budgétaire
de lAssemblée.
La première phase se déroulerait de janvier à juin et concernerait
le contrôle des comptes et lévaluation des résultats dun certain
nombre de politiques publiques, avec notamment les auditions nécessaires. Cette phase
se conclurait, à lautomne, par lexamen et le vote de la loi de règlement du
budget exécuté au cours de lannée précédente (n-1), éclairée par le rapport
de la Cour des comptes sur lexécution des lois de finances, dans le cadre
dune discussion commune avec le projet de loi de finances de lannée (n+1).
La seconde phase débuterait avec lexamen en commission de la programmation
triennale des finances publiques et se poursuivrait, en séance publique, par le débat
dorientation budgétaire. Ce débat aurait été préparé en amont par la
Commission des finances sur la base des rapports et des simulations précédemment
évoqués et des auditions correspondantes. Cette phase sachèverait par
lexamen et ladoption de la loi de finances de lannée à venir, qui doit
être laboutissement de tous les travaux antérieurs.
Lexamen des fascicules budgétaires se déroulerait au
sein des commissions saisies pour avis. Les débats auraient lieu en présence des
ministres et sappuieraient sur les rapports des rapporteurs spéciaux et pour avis.
Ils seraient ouverts à la presse, nationale et régionale, et donneraient lieu à un
compte rendu au Journal officiel.
Une telle réforme, compte tenu du bouleversement quelle
entraîne des habitudes anciennes, peut être mise en uvre de façon progressive.
Elle pourrait être engagée dès lautomne prochain, à titre expérimental, sur un
nombre limité de budgets.
Elle ne doit pas, non plus, se traduire par une réduction par rapport
au système actuel, de la possibilité, pour les députés, de questionner le
Gouvernement. Aussi pourrait-il être envisagé, outre les questions que les députés
posent oralement au ministre au cours de son audition par la commission saisie pour avis,
que, dans le cadre dune organisation par groupe analogue à celle prévue pour la
séance publique, les députés puissent poser, à cette occasion, des questions
écrites au ministre concerné. Celui-ci aurait lobligation de publier sa
réponse au plus tard au moment de la discussion de son budget en séance publique.
Le débat en séance publique, achevant cette deuxième phase, pourrait
être consacré à lexamen des articles de la première partie de la loi de
finances, puis des articles de la deuxième partie, et au vote des crédits, à
lissue de débats plus resserrés privilégiant lexamen des politiques
publiques, de leurs orientations et de leur efficacité, débats dans lesquels
interviendraient les rapporteurs et un orateur par groupe. Lexamen des éventuels
amendements se déroulerait selon les règles habituelles.
Ces évolutions souhaitables, si elles constituent un bouleversement
des habitudes et des mentalités, ne nécessitent que très peu de modifications du
Règlement de lAssemblée et une unique réforme législative, celle étendant aux
rapporteurs pour avis les pouvoirs de contrôle des rapporteurs spéciaux.
Une forte volonté politique de la part de lensemble des
parlementaires, un peu daudace et de disponibilité, devraient permettre de faire
apparaître le Parlement comme le véritable garant de la bonne gestion de la dépense
publique et de sa légitimité.
Limité, comme pratiquement tous les parlements étrangers, dans sa
participation à la confection de la loi de finances, le Parlement doit exercer tous ses
pouvoirs pour débattre des grands choix économiques et financiers, des domaines
dintervention publique, et contrôler les résultats des dépenses. Si le Parlement
sait valoriser cette connaissance quil aura du fonctionnement des services publics,
il en résultera inévitablement un changement dans les comportements, notamment de
ladministration, vis à vis des recettes et des dépenses de lEtat, comme cela
sest passé dans de nombreux pays voisins.
Il est probable que cette impulsion contribuera à rendre inéluctable
la mise en chantier de réformes plus profondes, qui touchent au coeur même du
fonctionnement de lEtat.
II.- lurgence
de la rÉnovation
du fonctionnement de lÉtat
A.- La réforme introuvable ?
La réforme en profondeur du fonctionnement de lEtat peut être
une source déconomie et il va de soi quelle ne saurait se résumer à la
seule question des effectifs de la fonction publique.
1.- Un état des lieux complet effectué en 1994
Lamélioration de lefficacité de lEtat français,
qui nécessite une meilleure définition de ses objectifs et la modernisation de ses
structures et de sa gestion, est à lordre du jour depuis de nombreuses années.
Dans cette perspective, le Premier ministre a confié le 8 novembre 1993 à une mission de
réflexion présidée par M Jean Picq, conseiller-maître à la Cour des comptes, le soin
de faire un bilan et des propositions.
Ce travail a donné lieu à la publication en mai 1994, dun
rapport () très complet dont de nombreux aspects ont été repris devant
le groupe de travail par M. Jean Picq, qui a souligné que la mise en oeuvre de ses
propositions restait, pour lessentiel, à faire.
On reviendra ici sur les principaux éléments des réformes
proposées, aux fortes répercussions en termes de maîtrise des dépenses publiques, pour
la mise en uvre desquelles le Parlement pourrait jouer le rôle dun aiguillon
puissant.
a) Achever la décentralisation
Trois aspects de la décentralisation doivent être rapidement
améliorés : en premier lieu, la confusion entre la décentralisation par matière
(lurbanisme aux communes, les affaires sociales aux départements, la formation
professionnelle aux régions...) et la décentralisation par niveau (les collèges aux
départements, les lycées aux régions) ; ensuite, labsence de délimitation
précise des compétences propres à chaque collectivité et, en conséquence, interdites
aux autres ; enfin, les mécanismes des finances locales, caractérisées par une
proportion excessive de dépenses financée par lEtat, ce qui ne contribue pas à la
responsabilisation des acteurs locaux.
Ces trois éléments réunis expliquent lenchevêtrement des
compétences, la multiplication des financements croisés et lopacité générale du
fonctionnement du système. Ces cofinancements compliquent les procédures et favorisent
lirresponsabilité, chaque partenaire renvoyant sur lautre les raisons des
échecs et des dérapages financiers.
A ces défauts, sajoute le nombre excessif de niveaux
dadministration. Aucune des collectivités publiques ne paraît capable de résoudre
les problèmes daujourdhui : la commune est souvent trop petite, le
département trop uniforme et la région rarement de taille européenne. La nécessaire
coopération intercommunale ou la mise en place de communautés urbaines ont encore des
effets limités et, en létat, contribuent fréquemment un peu plus à compliquer
lensemble. Il y a, à lévidence, un niveau de trop.
Le rapport de la " mission Picq " présentait trois
propositions de réformes quil estimait urgent dengager :
Légiférer sur les compétences locales, afin
de fixer de manière limitative les compétences de chaque collectivité publique, en
distinguant les compétences obligatoires et les compétences facultatives, le reste leur
étant interdit. La collaboration de différentes collectivités publiques devait, selon
le rapport, rester possible, mais encadrée dans des limites précises. Les
responsabilités de chacun devaient ainsi devenir plus claires pour les citoyens.
Limiter les cofinancements : la clarification des
compétences devrait, selon M. Jean Picq, permettre de définir une collectivité
" chef de file " dans chaque domaine dintervention publique. Les
différentes collectivités publiques devaient ainsi pouvoir déterminer au sein de chaque
région le programme des investissements selon une procédure contractuelle triennale
(Etat, régions, départements et principales communes), ce programme comportant la liste
des investissements jugés prioritaires localement.
Expérimenter les politiques publiques : le rapport
présenté en 1994 appelait lEtat à tirer avantage de lexistence de
collectivités locales entreprenantes pour engager autrement les nouvelles politiques
publiques. Moyennant quelques précautions juridiques, la décentralisation peut fournir
loccasion dexpérimenter des programmes nouveaux avant de les généraliser.
Lexpérimentation du revenu minimum dinsertion en Ille-et-Vilaine a permis
daméliorer le projet avant son extension nationale. Un recours accru à
lexpérimentation permettrait de mieux prendre en compte la diversité des
situations sur le territoire et de déviter, quand cest possible, une mise en
oeuvre uniforme des politiques publiques qui paraît de moins en moins adaptée
aujourdhui.
Dans un ordre didée très proche, le rapport concluait que
lEtat doit tirer toutes les conséquences qui découlent des transferts de
compétences effectués en direction de lUnion européenne au fur et à mesure
de leur réalisation.
Lorsque des compétences dans différents domaines daction sont
ainsi transférées à léchelon européen (la politique agricole, la politique
commerciale, lenvironnement, la recherche, la monnaie, aujourdhui, bientôt
limmigration et la sécurité intérieure et probablement, un jour, la défense),
lEtat doit réduire dautant ses propres interventions et services de gestion
centraux et déconcentrés. Là encore, la juxtaposition des compétences est, selon M.
Jean Picq, source de confusion et de dépenses inutiles.
b) Renforcer le débat public et prévenir les difficultés
Gérer sous la pression des crises sociales ou économiques constitue
un sérieux reproche que lon peut adresser à un Etat, car le coût dune telle
approche est généralement considérable pour les finances publiques.
La complexité et la mobilité de la société rendent plus difficiles,
mais bien plus impératives que par le passé, lanalyse prospective et la démarche
prévisionnelle, qui devraient devenir des fonctions majeures de lEtat.
Les moyens existent, mais ils mériteraient dêtre ranimés.
Une communication du ministre de la fonction publique, de la réforme
de lEtat et de la décentralisation, au Conseil des ministres le 5 novembre
1997, est encourageante ; elle préconise ainsi : " chaque
département ministériel devra se doter dune mission de prospective et participer
à des programmes de recherche sur la gestion publique et diffuser leurs résultats ".
Cest en tout cas une première réponse aux propositions du rapport de M. Jean
Picq.
Il convient également de remobiliser dans cette démarche prospective
et danticipation, le Commissariat général du Plan qui, comme on la vu, est
par ailleurs investi de nouvelles tâches en matière dévaluation.
Mais lessentiel est de sortir ces analyses prospectives (études
démographiques, évolutions des différents secteurs économiques, mutations
industrielles, retombées de découvertes scientifiques, évolution du travail..) de
lombre et du secret dans lesquels on les tient trop souvent.
LEtat doit organiser le débat public autour des résultats des
travaux des experts et des spécialistes, qui, sans remplacer la fonction centrale du
Parlement, pourraient prendre plus souvent la forme de Livres blancs, puisque ceux,
peu nombreux, qui ont été présentés en France, ont démontré leur impact (livres
blancs sur la défense et sur les retraites, par exemple).
Le Parlement doit évidemment trouver toute sa place dans cette
réflexion et cest en particulier au moment du débat sur la programmation triennale
des finances publiques que ces études pourraient être exploitées.
Les objectifs fixés dans la programmation budgétaire seraient liés
aux besoins et aux prévisions mis en lumière par les débats. La discussion
parlementaire permettrait den discuter et surtout de
" sanctuariser " les objectifs et les engagements, de telle sorte que
les politiques appliquées ensuite puissent être jugées à laune de ceux-ci.
c) Légiférer avec mesure
Linflation législative est unanimement dénoncée ; le
déficit dévaluation de lexistant et de prise en compte des résultats
antérieurs en est une cause majeure.
Un progrès réel devrait être réalisé, si la généralisation des
études dimpact annoncée dans la circulaire du 26 janvier 1998, y compris pour les
lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, se met en place de
façon satisfaisante.
Il appartient au Parlement de veiller au respect scrupuleux de
lobligation de fournir ces études dimpact en annexe aux projets de loi et
surtout à la qualité de leur contenu, qui doit, notamment, éclairer le législateur sur
lintérêt de modifier le droit existant et sur ladéquation entre les
objectifs, quantifiés ou non, et les moyens proposés.
2.- Une réforme en permanente gestation
Comment passer des déclarations dintention aux actes, telle est
linterrogation qui simpose, en particulier, depuis la parution du rapport sur
la réforme de lEtat en 1994. Toutes les déclarations officielles sen
inspirent, mais les mesures concrètes sont encore trop peu nombreuses.
Une première tentative avait été engagée avec la circulaire du
Premier ministre en date du 26 juillet 1995 relative à la préparation et à la mise en
oeuvre de la réforme de lEtat et des services publics. La circulaire a été suivie
dun décret (), modifié en 1998.
On se limitera ici aux aspects de la réforme en rapport direct avec
lobjet des réflexions du groupe de travail.
Le Premier ministre avait fixé, en 1995, cinq objectifs prioritaires
et il paraît utile de revenir sur trois dentre eux : tout dabord,
clarifier les missions de lEtat par rapport à celles des autres acteurs publics et
à celles qui doivent relever du secteur privé (marché ou secteur associatif) ;
ensuite, réduire au maximum les tâches de gestion exercées au niveau central, pour les
transférer vers les services déconcentrés, et légiférer moins ; enfin, rénover la
gestion publique, ce qui implique la modernisation des procédures financières et des
règles de comptabilité publique, lamélioration de la procédure budgétaire, avec
une meilleure information fournie au Parlement et une meilleure lisibilité de la dépense
publique, la publication trimestrielle de la situation des comptes de lEtat et de la
sécurité sociale (ce qui a été réalisé) et la révision des modalités de la
régulation budgétaire.
La circulaire précisait également : " LEtat
veillera à mieux gérer son patrimoine et à cette fin sera créé un organisme
chargé des affaires foncières et immobilières de lEtat qui aura notamment pour
mission de mettre en place une véritable comptabilité patrimoniale de lEtat ".
Le décret du 13 septembre 1995 avait créé, pour une durée de trois
ans, un comité interministériel pour la réforme de lEtat et un commissariat à la
réforme de lEtat.
Le 29 mai 1996, le comité interministériel a publié 105 orientations
et décisions dont le groupe de travail na pu que constater, tout au long des
auditions quil a réalisées, que la plupart en sont encore à létat
débauches ou de projets, en tout cas dans les secteurs qui nous occupent, et tout
particulièrement en ce qui concerne la modernisation des outils de connaissance du
patrimoine de lEtat.
M. Jean Picq a sans doute raison lorsquil indique que
lassociation du Parlement à ces réformes est la clé de la réussite. En tout cas,
on doit déplorer la cruelle absence du Parlement comme interlocuteur dans la phase de
préparation des orientations définies en 1995.
Le 5 novembre 1997, le ministre de la fonction publique, de la réforme
de lEtat et de la décentralisation, a présenté en Conseil des ministres son
programme de réformes en indiquant quil fallait prendre en compte les mesures
adoptées au cours des dernières années, mais en changeant résolument de méthode.
Le décret du 8 juillet 1998 (), a remplacé le
commissariat à la réforme de lEtat par une délégation interministérielle à
la réforme de lEtat. Le comité interministériel pour la réforme de
lEtat, chargé de fixer les orientations de la politique gouvernementale, a été
prorogé.
Un arrêté du Premier ministre, en date du 13 juillet 1998, met en
place les différentes missions dont est chargée la délégation interministérielle à
la réforme de lEtat. Parmi ces missions figure celle qui vise à contribuer à
la rénovation des instruments et des méthodes de la gestion du patrimoine de
lEtat.
Cet objectif, comme en 1995, figure en bonne place dans le programme de
réforme de lEtat, au titre de la modernisation de la gestion publique.
Sous cette rubrique, le plan de réforme du 5 novembre 1997 prévoit
plusieurs domaines, qui doivent particulièrement retenir lattention de
lAssemblée nationale dans sa propre démarche rénovatrice.
Lamélioration de la gestion publique, pour laquelle, chaque
ministère devait, dans un délai de douze mois, présenter un plan pluriannuel de
réalisations, passe tout dabord par létablissement de contrats fixant
pour chaque ministère lévolution de ses crédits de fonctionnement et de ses
effectifs sur plusieurs années.
Ensuite, il sagit de poursuivre létude de la modernisation
du système budgétaire et comptable en vue dune connaissance du coût complet
des services.
Ladaptation de la nomenclature budgétaire est nécessaire,
afin de regrouper les crédits autour des grandes politiques publiques et pour identifier
clairement les chapitres déconcentrés.
Un programme de modernisation de la gestion du patrimoine immobilier
de lEtat est arrêté, afin daméliorer la gestion du premier
propriétaire immobilier de France.
Enfin, lEtat doit se doter dun système de comptabilité
patrimoniale.
Avant dexaminer pour quelles raisons la politique patrimoniale de
lEtat est un instrument indispensable à une gestion publique moderne et
respectueuse des intérêts des contribuables, votre Rapporteur suggère, afin de faire
jouer au Parlement son rôle dans ce vaste champ de réformes et déviter leur
enlisement, que la Commission des finances procède très prochainement à
laudition du ministre de la fonction publique, de la réforme de lEtat et de
la décentralisation ainsi que du délégué interministériel à la réforme de
lEtat, afin de faire le point avec eux sur lavancement de
ces différents chantiers, quatorze mois après leur lancement. Le sentiment est, en
effet, que les gouvernements successifs ont beaucoup glosé sur ces thèmes, mais que,
concrètement, peu de choses avancent.
3.- La politique patrimoniale de lÉtat au
coeur de la réforme
Il a été indiqué à plusieurs reprises, devant le groupe de travail,
que lEtat ne serait pas en mesure de connaître précisément le montant réel de sa
dette ni le contenu et la valeur de ses actifs.
Il convient donc tout dabord de répertorier le contenu et la
qualité des informations financières et comptables disponibles, avant de tracer quelques
pistes damélioration.
a) Prendre la mesure de linsuffisance des informations
financières et comptables disponibles
Limpératif de maîtrise des finances publiques rend
indispensable une gestion plus performante du patrimoine de lEtat, mais la première
difficulté apparaît lorsque lon constate que sa consistance et sa valeur exacte ne
figurent dans aucun compte de la Nation.
Une évaluation de lINSEE, réalisée en 1992, estime à
5.700 milliards de francs la valeur brute du patrimoine de lensemble des
administrations publiques. Toutefois cette évaluation, unique en son genre, exclut de
très nombreux biens difficilement estimables.
Le passif de lEtat se décompose, pour sa part, en une dette
financière, négociable (obligations du Trésor, bons en comptes courants) ou non
négociable (bons du Trésor et emprunts à court terme, engagements de lEtat), et
une dette non financière (correspondants du Trésor et créditeurs divers). Mais il faut
y ajouter la dette gérée pour le compte de tiers, comme cest le cas des emprunts
de lancien budget annexe des postes et télécommunications.
Deux questions majeures sont aujourdhui à prendre en
compte : une exigence de sincérité de la présentation de la situation financière
de lEtat et une optimisation de la gestion de la dette. Cette double orientation ne
constitue pas seulement une priorité démocratique mais aussi économique, dans la mesure
où une part substantielle de la dette est négociée sur le marché mondial, de plus en
plus exigeant en matière dinformations et de transparence.
De surcroît, la sincérité de la présentation de la situation
financière des Etats membres de lUnion européenne est surveillée par les
institutions européennes, notamment en ce qui concerne la dette et le besoin de
financement annuel.
Enfin, ce besoin de transparence est apparu aux yeux de lopinion
à loccasion des pertes massives du Crédit lyonnais et des débats sur la reprise
de la dette de la SNCF.
Le règlement général de la comptabilité publique du 29 décembre
1962 assigne, outre la connaissance et le contrôle des opérations budgétaires et de
trésorerie, plusieurs finalités dordre patrimonial à la comptabilité publique,
comme la connaissance de la situation du patrimoine, le calcul du prix de revient, du
coût et du rendement des services. Mais, en réalité, la comptabilité de lEtat
demeure essentiellement une comptabilité de caisse, au détriment de la logique
patrimoniale.
t Dépasser la
comptabilité de caisse
Larticle 16 de lordonnance organique du 2 janvier 1959
oriente la comptabilité publique essentiellement vers la vérification de la conformité
de lexécution du budget aux autorisations de dépenses contenues dans la loi de
finances. Toutefois, depuis 1970, une comptabilité patrimoniale a été mise en place,
qui permet de décrire, de façon cependant non exhaustive, des éléments de lactif
et du passif de lEtat (les participations financières, les immobilisations
corporelles et la dette principalement). Mais cette comptabilité patrimoniale est peu
fidèle et, surtout, découplée des enjeux budgétaires, elle na quune faible
portée opérationnelle.
t Une description des
postes dactifs peu opérationnelle
Deux reproches principaux sont le plus souvent exprimés.
Les participations financières de lEtat, telles quelles
sont retracées dans la comptabilité générale de lEtat (CGE), sont réévaluées
annuellement en prenant en compte la situation nette comptable de lentreprise au
prorata du pourcentage du capital détenu par lEtat. La valeur retenue sappuie
sur le dernier bilan connu de lentreprise et il en résulte un décalage entre la
valeur de marché de la participation et celle purement comptable qui apparaît au bilan
de lEtat. Ainsi, au moment de la privatisation de quatre grandes sociétés en 1993,
un écart positif de 25% entre leur valeur de marché et leur valeur au bilan de
lEtat a été mis en évidence.
En second lieu, labsence de consolidation des participations
financières ne permet pas de donner une vision économique globale du portefeuille de
lEtat. De plus, certaines participations minoritaires et un grand nombre de
dotations ne sont pas comptabilisées.
Les immobilisations non financières ne sont pas beaucoup mieux
recensées. Aucun document ne réalise lagrégation des biens immobiliers et de leur
valeur vénale, ni ne calcule les ratios dentretien ou de maintenance.
t Une dette
sous-évaluée
La dette financière de lEtat ne représente pas la totalité des
engagements de long terme de lEtat.
Il existe de nombreuses charges de long terme dont lEtat
sacquitte en vertu dobligations juridiques ou politiques qui ne sont pas
reprises en comptabilité. Il sagit principalement des charges induites par le
régime des pensions des fonctionnaires de lEtat, mais lEtat garantit
également la dette de nombreux organismes. Ces engagements sont très partiellement
recensés dans les annexes hors bilan de lEtat et napparaissent pas dans son
bilan.
La question nest pas de demander à lEtat, à linstar
des entreprises, de provisionner toutes ses obligations, ne serait-ce que parce quil
garde la possibilité de revenir sur certaines dentre elles en vertu de ses
prérogatives de puissance publique. Certaines formes de provisionnement ont cependant
été prévues par lordonnance de 1959, sous la forme de " chapitres
réservoirs " comme les " crédits pour dépenses éventuelles,
urgentes et imprévues ". Mais ces réserves, dampleur limitée, mises à
part, lEtat pratique une politique de provisionnement minimal, alors que le
principe de sincérité budgétaire milite pour quapparaissent, à la lecture du
bilan de lEtat, les causes déventuels déséquilibres futurs.
Il est, en létat, difficile de connaître lévolution
de la situation nette de lEtat et de savoir dans quelle mesure ses dépenses
sont financées par limpôt, les recettes non fiscales ou par la dette.
LEtat ne sintéresse pas beaucoup non plus à la rentabilité de ses actifs,
et les finances publiques sont jugées à laune des seuls ratios de la dette ou du
déficit rapportés au PIB.
b) Vers une modernisation de la comptabilité
et une rénovation de la gestion
Face à ce constat dune politique patrimoniale de niveau
embryonnaire, les perspectives de réformes doivent sorienter vers la modernisation
de la comptabilité et la rénovation de la gestion.
Au préalable, on constate une nouvelle fois que la règle de
lannualité budgétaire, qui privilégie le court terme et incite à reporter le
plus tard possible, par exemple, les charges dentretien des biens immobiliers, avec
les dégradations qui en résultent, ou le paiement des fournisseurs, ce qui peut
entraîner des agios extrêmement importants, rend difficile une politique patrimoniale
efficace.
La modernisation de la gestion des administrations nécessite que ces
dernières soit véritablement gérées, notamment au moyen de la définition
dobjectifs. Il convient donc dorganiser les ministères en ce sens, et on y
sera aidé en instituant, auprès de chaque ministre, un secrétaire général de
ladministration, chargé détablir le plan stratégique des services et
des centres de responsabilité, de suivre les indicateurs de gestion, détablir les
rapports annuels et de rendre compte au ministre.
Comme cela a été constaté à dautres moments du rapport, le
moteur de la réforme doit consister à rapprocher les éléments dinformation
que constituerait une comptabilité patrimoniale de lEtat et les choix budgétaires
quelle devra éclairer. En effet, tant que les informations patrimoniales resteront
découplées du processus budgétaire, elles seront délaissées. En revanche,
ladoption dune comptabilité en " droits constatés ",
intégrant dans un même exercice budgétaire les dépenses dues mais non encore payées,
aura des répercussions capitales sur la lisibilité et la sincérité de lensemble.
Il en résultera nécessairement linscription
damortissements et de provisions, même à petite échelle, dans les projets de lois
de finances, ce qui renforcera lapproche pluriannuelle des engagements budgétaires
et permettra délargir lhorizon temporel du Parlement, mais aussi des
gestionnaires.
Comment opérer ce rapprochement ?
La programmation budgétaire triennale avec constitution dun
" budget glissant " à lintérieur de la période, souhaitée
par ailleurs, trouve, ici aussi, son plein intérêt. Mais une condition doit sy
ajouter : cette prévision glissante devrait contenir les projections de
lévolution mécanique sur trois ans, des charges et des recettes de lEtat,
alors que de telles informations sont aujourdhui limitées à lusage interne
de la direction du budget. Il en irait ainsi, en particulier, pour toutes les mesures
nouvelles proposées.
Deux autres types dinformations devraient venir éclairer le
débat budgétaire, sous forme dannexes par exemple.
Tout dabord une information sur les engagements hors bilan.
Elle évaluerait de manière synthétique les engagements financiers, à législation
inchangée, et mettrait, le cas échéant, en évidence les risques de déséquilibres
financiers futurs.
Ces informations devraient concerner trois grandes rubriques : les
engagements sociaux, essentiellement les retraites, les engagements financiers (gestion de
la dette) et, enfin les garanties assurantielles (assurance en responsabilité de
lEtat, assurance-crédit à lexportation).
En second lieu une information sur les participations de lEtat
est nécessaire. Il sagirait de récapituler lévolution en valeur de ces
participations, de recenser les engagements de lEtat avec un bilan des
recapitalisations accordées et un plan indicatif des cessions et des recapitalisations
envisagées au cours des trois années à venir.
Une approche triennale des dépenses, le développement de la
comptabilité patrimoniale et la systématisation des contrôles et de lévaluation
de la gestion publique devraient permettre de constituer une sorte de tableau de bord pour
les responsables des administrations et faire évoluer leur gestion.
Mais la dynamisation de la gestion mobilière et immobilière et le
développement des contrôles ne suffiront pas : conformément à ce qui a été
évoqué à plusieurs reprises devant le groupe de travail, il faut davantage intéresser
les fonctionnaires à agir dans le sens dune meilleure gestion.
La contrepartie du renforcement des contrôles et des responsabilités
face aux résultats dévaluation doit être une plus grande liberté daction
pour les gestionnaires et la possibilité de tirer avantage des économies réalisées.
Un mécanisme dintéressement budgétaire des grandes directions
ministérielles et des services déconcentrés doit être défini, sous forme de contrats
pluriannuels de programmation des dépenses. Cette logique de globalisation des
crédits de fonctionnement devrait même offrir des possibilités de redéploiements
des dépenses et de reports des crédits économisés sur des postes différents.
Mais leurs outils de gestion doivent également être rendus plus
efficaces par lallégement des contraintes juridiques, en particulier celles
relatives à la gestion des biens immobiliers (possibilité de choix entre crédit-bail,
achat ou location de biens) et à la gestion des effectifs (choix des contrats,
redéploiements...).
Enfin, comme il a été également suggéré, notamment, par
M. Michel Bon, Président de France Télécom et ancien dirigeant de lAgence
nationale pour lemploi, des échanges dexpériences et de bonnes pratiques
entre les ministères mais aussi avec des administrations étrangères et même avec le
secteur privé, doivent être généralisés.
Lintroduction de ces innovations, en particulier le passage à
une comptabilité en droits constatés, soulève de nombreux obstacles et nécessite des
modifications importantes de lordonnance organique. Il faudra sans doute procéder
par étape et encore une fois compter sur la mise en mouvement du Parlement dans ses
fonctions de contrôle et dévaluation pour rendre indispensables ces réformes.
La réforme de lÉtat a notamment pour finalité de promouvoir
une efficacité accrue de la dépense publique. Elle ne doit donc pas être menée sans
aborder la question de la procédure budgétaire ; elle doit, à cet égard,
déboucher sur une profonde remise en cause de nos méthodes dexamen du projet de
loi de finances.
B.- Une
procédure budgétaire rénovée, au service dune efficacité accrue de la dépense
publique
Notre procédure budgétaire souffre, en effet, comme on la vu,
de deux lacunes majeures.
Dabord, elle ne permet pas au Parlement de se prononcer sur les
enjeux stratégiques de nos finances publiques. Le Parlement nappréhende pas, dans
sa globalité, la dépense publique et nest pas en mesure de se prononcer sur ses
perspectives dévolution. Il est, à cet égard, révélateur que les contraintes
pesant désormais sur les finances publiques françaises aient été introduites par le
biais des institutions communautaires, quil sagisse de la discipline imposée
par le traité de Maastricht et par le Pacte de stabilité et de croissance, avec
lélaboration de perspectives triennales dévolution du déficit et de la
dette publique, ainsi que des prélèvements obligatoires.
Ensuite, notre procédure budgétaire ne permet pas dappréhender
la dépense publique en termes defficacité. Elle reste enfermée dans une logique
privilégiant les dépenses, et non les résultats. Outre labsence de lisibilité
des politiques publiques, il en résulte une déresponsabilisation des administrations,
qui, sous réserve de respecter les règles comptables, nont finalement guère de
compte à rendre quant à lefficacité des dépenses effectuées. Or, la période
actuelle, marquée par la raréfaction des ressources publiques, impose de sortir de cette
logique, en " changeant les règles du jeu ".
Cest vers ces deux objectifs appréhension des enjeux
stratégiques des finances publiques et évaluation de lefficacité de la dépense
publique que tendent les conclusions de notre groupe de travail relatives à
la réforme, à terme, de notre procédure budgétaire.
1.- Remédier au défaut de transparence de notre
procédure budgétaire
Afin de permettre au Parlement de se
" réapproprier " les finances publiques, il convient
daméliorer sensiblement la transparence de notre procédure budgétaire. Cette
notion de transparence recouvre deux aspects : dune part, la lisibilité des
finances publiques et, dautre part, la sincérité des comptes publics.
a) Renforcer la lisibilité des finances publiques
Comme votre Rapporteur la précédemment souligné, le Parlement
reçoit une masse dinformations considérable de la part du Gouvernement et des
diverses institutions publiques. Toutefois, ces données ne permettent pas à la
représentation nationale dappréhender les véritables enjeux inhérents à
lévolution de nos finances publiques. Aussi, ces informations devraient-elles être
accompagnées de documents de synthèse, susceptibles de permettre au Parlement de se
prononcer, de manière pertinente, en intégrant les contraintes macro-financières
encadrant les politiques publiques.
t A loccasion du
débat dorientation budgétaire
- Une consolidation des comptes publics
Il conviendrait, en premier lieu, que le Parlement puisse
disposer dune présentation consolidée des comptes publics, cest-à-dire
des comptes de lEtat et de ses établissements publics, des comptes des
collectivités locales et des comptes sociaux.
Rappelons, en effet, que la prise en compte des seules dépenses de
lEtat, comme le souligne le tableau ci-joint, ne permet plus de juger de la
réalité de la dépense publique. Les dépenses effectuées par les collectivités
locales ou via les comptes sociaux représentent une part croissante des
interventions de la sphère publique. Cest dailleurs la raison pour laquelle
les institutions communautaires raisonnent désormais en termes de dépenses des
administrations publiques, et non plus simplement sur la seule base des dépenses de
lEtat.
LA PART DES DÉPENSES
PUBLIQUES DANS LE PIB*
(en % du PIB) |
|
1987 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Etat |
22,1 |
21,9 |
21,4 |
21,4 |
21,1 |
Organismes divers dadministration
centrale |
3,3 |
4,0 |
4,1 |
3,6 |
3,4 |
Administrations publiques locales |
9,5 |
10,5 |
10,5 |
10,4 |
10,4 |
Administrations de sécurité sociale |
22,5 |
24,2 |
24,3 |
24,7 |
24,6 |
Administrations publiques (1) |
51,7 |
54,8 |
54,6 |
55,2 |
54,7 |
(1) Le total des
administrations publiques est supérieur à la somme de ses composantes en raison des
opérations de consolidation.
* Les dépenses publiques ne comprennent pas la 4ème ressource
(R 671), comptabilisée en déductions de recettes.
Source : Comptes de la Nation 1997, INSEE - Direction de la
Prévision - publiés dans " Les comptes des administrations publiques en
1997 ", n° 581 - avril 1998. |
Relevons, par ailleurs, que la dynamique des dépenses sociales est
telle quelle se traduit par un enchevêtrement croissant entre les prélèvements
sociaux et ceux opérés au profit de lEtat. Cette situation impose, par
conséquent, de recourir également à une consolidation au niveau des prélèvements.
En corollaire de cette exigence, le Parlement devrait être
destinataire dun bilan et dun hors-bilan de lEtat et des entreprises
publiques, accompagné de projections à trois ou cinq ans, dès lors que les mesures
quappelle, à cet égard, la réforme de lEtat permettront dappréhender
les masses en jeu.
Ce document devrait permettre de mesurer les engagements à long terme
de lEtat, notamment en matière de retraites de la fonction publique et de dette
publique, et dévaluer les actifs de lEtat, particulièrement dans le domaine
immobilier. Le Parlement disposerait ainsi dune analyse globale et à long terme des
comptes de lEtat lui permettant de prévoir les évolutions liées à ses
engagements à long terme, sur la base dun débat transparent et démocratique.
Soulignons, également, la nécessité de mettre en oeuvre une approche
identique pour les entreprises publiques. Il est, à lheure actuelle, impossible de
déterminer si lEtat sappauvrit ou senrichit du fait de ses
participations. Rappelons, à cet égard, que la loi portant diverses dispositions
dordre économique et financier de 1994 () prévoit, dores et
déjà, la publication des comptes consolidés des entreprises publiques, lesquels
comprennent leurs engagements hors bilan. Si quatre rapports ont déjà été déposés à
ce titre, ils ne permettent pas dappréhender la situation densemble des
entreprises publiques, car la consolidation est, pour lessentiel, présentée
entreprise par entreprise, les informations globales restant insuffisamment développées.
- Des projections pluriannuelles des dépenses de lEtat par fonction
Cette présentation des comptes publics devra être complétée par des
projections pluriannuelles, présentées par le Gouvernement au moment du débat
dorientation budgétaire.
Cette démarche est, dores et déjà, engagée pour les
" grands soldes " de nos finances publiques. Les dispositions du Pacte
communautaire de stabilité et de croissance prévoient, en effet, que chaque Etat membre
présente, à ses partenaires, des projections triennales en matière de dette publique,
de déficit public et de prélèvements obligatoires.
Il conviendrait de compléter ces documents par des projections en
matière de dépenses et de recettes, afin de sortir du cadre strictement annuel de notre
procédure budgétaire. Celui-ci peut constituer, en effet, un obstacle à la lisibilité
des politiques publiques. Des projections pluriannuelles présenteraient, par ailleurs,
lintérêt de permettre un débat sur le niveau de la dépense publique et les
moyens alloués aux grandes politiques.
A cette fin, ces projections devraient présenter des profils maxima de
dépense publique, détaillant les dépenses de lEtat, les dépenses sociales et
celles des collectivités locales. Les dépenses de lEtat seraient ensuite
ventilées par grandes fonctions, appelées, une fois la réforme de lEtat devenue
effective, à être détaillées. Ces grandes fonctions évoqueraient, notamment, les
dépenses en faveur :
des missions régaliennes de lEtat ;
de léconomie et de lemploi ;
de léducation ;
de lassistance et à la solidarité sociale ;
de la protection de lenvironnement.
Ces projections pourraient être effectuées soit à un horizon de cinq
ans, ce qui présenterait lavantage de correspondre à la durée du mandat des
députés, soit à un horizon de trois ans, ce qui paraît plus réaliste, compte tenu de
la difficulté de lexercice. Elles seraient glissantes, cest-à-dire
révisables tous les ans, afin de ne pas imposer de carcan rigide au pilotage des finances
publiques.
Cet exercice serait également mis en oeuvre en matière de recettes,
pour chaque catégorie de prélèvement.
Votre Rapporteur soulignera, enfin, la faisabilité de ce projet. La
plupart des pays industrialisés ont, en effet, introduit, dans leur procédure
budgétaire, des projections pluriannuelles, qui leur permettent de
" piloter " à moyen terme leurs finances publiques. Ainsi, à titre
dexemple, en Allemagne, les documents budgétaires sont complétés par un plan
financier, portant sur une durée de cinq ans, qui précise lévolution des
dépenses publiques ventilées en une quarantaine de fonctions. La France souffre donc de
graves retards en matière de pluriannualité, quil conviendrait de combler au plus
vite.
-
Une présentation des dépenses de lEtat distinguant dépenses
dinvestissement et de fonctionnement
Les documents budgétaires transmis au Parlement ne permettent pas de
donner une dimension stratégique aux débats budgétaires. Les enjeux véritables
napparaissent pas.
En revanche, une présentation des comptes de lEtat
sinspirant des règles en vigueur pour les collectivités locales et distinguant les
dépenses dinvestissement de celles de fonctionnement ferait très clairement
ressortir que les enjeux majeurs de la gestion de nos finances publiques résident dans la
réduction de notre dette publique. Rappelons, en effet, que la seule expérience tentée
en la matière, à savoir le débat dorientation budgétaire de 1996, soulignait que
la France avait recours à lemprunt pour financer ses dépenses de fonctionnement et
rembourser sa dette. Autrement dit, les ressources de long terme de lEtat étaient,
pour lessentiel, utilisées aux seules fins de " boucler les fins de
mois ". Tout en renouvelant ses précédentes observations sur la nécessité de
dépasser, en ce domaine, lapproche politiquement marquée retenue en 1996, votre
Rapporteur estime nécessaire que le débat puisse prendre en compte cette dimension.
Il importe, en effet, de souligner quune présentation des
dépenses de lEtat selon un tel schéma pourrait permettre de mettre en lumière les
véritables enjeux de lévolution de nos finances publiques.
Certes, cette approche devra être mise en oeuvre avec finesse. Il
convient, en effet, de prêter la plus grande attention au classement des dépenses,
notamment en matière déducation ou de recherche, afin de tenir compte de leurs
incidences économiques.
Sous cette réserve, votre Rapporteur appelle de ses voeux une présentation
des dépenses de lEtat distinguant dépenses de fonctionnement et dépenses
dinvestissement, afin de tendre, à terme, vers une section de fonctionnement en
équilibre, comme cela est la règle pour les collectivités locales ou en Allemagne.
Rappelons, en effet, sur ce point, que larticle 115 de la
loi fondamentale allemande restreint considérablement les possibilités de recours à
lemprunt, dont " le produit ne peut dépasser le montant des crédits
dinvestissement inscrit au budget ". Autrement dit, les ressources de
long terme ne peuvent financer que des dépenses à long terme (). Cette
disposition impose à ladministration allemande de présenter un budget de
fonctionnement en équilibre. Relevons, toutefois, que les responsabilités pesant sur la Bund
sont sensiblement moindres que celles relevant de lEtat français, notamment en
matière déducation, en raison du rôle joué par les Länder.
Lensemble de ces informations (comptes consolidés, projections
pluriannuelles, présentation des dépenses de lEtat distinguant dépenses
dinvestissement et de fonctionnement) devraient être transmises au Parlement lors
du débat dorientation budgétaire du printemps.
Les assemblées seraient ainsi en mesure dévoquer les enjeux
stratégiques liés à lévolution de nos finances publiques.
t Au cours de la
procédure législative
Cette démarche prospective doit également, à terme, innerver
lensemble de la procédure législative.
Celle-ci souffre, en effet, en France, dêtre déconnectée de
ses implications budgétaires, le Parlement nayant que peu déléments pour
évaluer le coût, non seulement pour léconomie, mais également pour le citoyen,
ou en matière environnementale, des lois adoptées.
Cest pourquoi, il convient dassortir les projets de loi,
soit détudes dimpact pour les textes de nature législative, soit de simulations
lorsquil sagit de projets de réforme fiscale ou touchant aux cotisations
sociales.
- A cette fin, les dispositions de la circulaire du 26 janvier 1998
relative à la généralisation des notes dimpact devront être mises en
oeuvre avec rigueur.
Rappelons que cette circulaire a pour objet " dévaluer
a priori les effets administratifs, juridiques, sociaux, économiques et budgétaires des
moyens envisagés et de sassurer, de manière probante, que la totalité de leurs
conséquences a été appréciée préalablement à la décision publique ".
Ces notes dimpact devraient notamment : " faire
le point précis de la législation ou de la réglementation applicable, afin de faire
précisément apparaître la portée des modifications apportées à létat du droit
et leur adéquation aux objectifs poursuivis ", [...] " faire
apparaître limpact des nouvelles normes au regard de lobjectif de
simplification administrative et notamment leurs conséquences en terme de formalités
incombant aux entreprises et aux autres catégories dusagers ", [...]
" [présenter] une analyse globale des appels micro-économiques et
macro-économiques des mesures proposées ", précisant le coût
induit par ces mesures et leurs effets sur lemploi, [...] " préciser
les conséquences budgétaires des nouvelles dispositions non seulement pour lEtat,
mais également pour les collectivités locales, les établissements publics, les
entreprises publiques ou les comptes sociaux. ", [...] présenter un " bilan
coût-avantages [...] dun point de vue quantitatif et qualitatif "
[...], ainsi que les principales mesures alternatives, et comporter, enfin, " un
dispositif de suivi dévaluation de la mise en oeuvre du texte ". Ces
études dimpact seraient jointes, de manière systématique, à lensemble des
projets de loi transmis au Parlement.
Définies de manière ambitieuse, ces notes dimpact répondraient
aux voeux du Parlement. Encore faut-il que la circulaire précitée soit appliquée, et ce
de manière rigoureuse. Relevons, à cet égard, que notre assemblée na pour
linstant noté quune concrétisation limitée de ce dispositif.
- Les projets de réforme concernant les prélèvements fiscaux et sociaux
devraient systématiquement faire lobjet de simulations.
Dans un premier temps, celles-ci seraient élaborées par le ministère
des finances, notre assemblée conservant la faculté deffectuer une
contre-expertise avec ses moyens propres et, le cas échéant, en recourant à un
organisme extérieur. Rappelons, à cet égard, que chaque commission permanente dispose
des crédits budgétaires lui permettant de procéder à de telles études.
A terme, toutefois, il semble nécessaire que la Commission des
finances puisse se doter de ses propres programmes de simulations. A cette fin, il serait
souhaitable, dune part, quelle puisse bénéficier dun accès direct aux
bases de données fiscales globales du ministère des finances et, dautre part, de
mettre en place les logiciels permettant, à partir de ces données, deffectuer de
telles simulations.
Cet effort de transparence, assurant une lisibilité accrue de nos
finances publiques, ne saurait suffire, à lui seul, à redonner au Parlement le rôle qui
doit être le sien en matière budgétaire : il convient également de veiller à ce
que les données qui lui sont transmises soient correctement évaluées.
b) Améliorer la sincérité des comptes publics
La plupart des personnes auditionnées par notre groupe de travail ont
souligné les insuffisances de notre procédure budgétaire. Chaque gouvernement recourt,
en effet, à des degrés divers, à des artifices comptables, afin dafficher un
déficit public moindre.
t Lindispensable
réforme de lordonnance organique
Il serait souhaitable dintroduire des règles strictes de
reddition des comptes publics simposant au Gouvernement. A cette fin, un vaste
chantier de réforme de lordonnance organique du 2 janvier 1959 est ouvert aux
parlementaires.
Lobjet de notre groupe de travail nétait pas de chercher
à retracer, de manière exhaustive, les différents artifices auxquels recourent les
différents gouvernements. Aussi, votre Rapporteur nabordera-t-il que les
principales lacunes inhérentes aux règles de présentation des comptes publics, telles
quelle ont été mises en exergue par les personnalités entendues par le groupe de
travail.
- Notre comptabilité publique enregistre, pour lessentiel, comme on
la vu, des flux de trésorerie. Elle ne permet donc pas dappréhender les
opérations qui ne sont pas encore dénouées ou les charges futures, liées aux
amortissements des investissements ou aux provisions pour charges à payer.
Aussi serait-il nécessaire dintroduire une comptabilité
dexercice en droits constatés, rattachant charges et produits à
lexercice du fait générateur ().
Indiquons, dailleurs, que cette réforme est inéluctable :
la directive SEC 1995, relative au nouveau système des comptes européens, vise à
rendre obligatoire, à partir de 1999, les calculs du besoin de financement des
administrations publiques en droits constatés, en sus des mécanismes de comptabilité de
caisse.
- Certaines dotations budgétaires font lobjet de sous-évaluations
chroniques, régulièrement dénoncées par la Cour des comptes. Ceci est notamment le cas
pour certains crédits évaluatifs. Aussi conviendrait-il dévaluer plus
correctement les différentes dotations budgétaires.
- La distinction introduite entre dépenses budgétaires et
dépenses de trésorerie donne, également, lieu à des opérations visant à réduire
les charges prises en compte par le budget de lEtat. Ce fut notamment le cas lorsque
lEtat, prenant en charge une dette importante de 110 milliards de francs de la
sécurité sociale, transforma un mécanisme davances à court terme en un prêt à
long terme, dont le montant napparaissait pas dans le budget. Aussi conviendrait-il
dengager une réflexion sur cette distinction, afin de définir avec davantage de
rigueur les opérations de trésorerie.
- En matière de recettes, lune des critiques la plus fréquemment
émise concerne la procédure des fonds de concours. Les montants des principaux
fonds sont, en effet, connus à lavance et pris en compte, en interne, par
ladministration dans ses évaluations de recettes. Il serait donc souhaitable que
les montants correspondants soient désormais inscrits en recettes, au moins pour les
fonds de concours supérieurs à 100 millions de francs.
- Lensemble des ressources napparaît pas dans le projet de loi de
finances transmis au Parlement. Ainsi, contrairement aux dispositions de
larticle 31 de lordonnance organique, il ne comporte aucune évaluation
" des ressources demprunts et de trésorerie ", mais
simplement une autorisation de principe de recourir à lemprunt. Le Parlement est
ainsi dans lincapacité de se prononcer sur le niveau dendettement réel de la
France. Aussi conviendrait-il dinscrire en loi de finances initiale le montant des
emprunts envisagés, en assortissant ces indications dinformations concernant les
méthodes de gestion de la dette.
Cette réforme doit, non seulement, être mise en oeuvre, mais
également pouvoir faire lobjet de sanctions. Lune des lacunes majeures de
notre procédure budgétaire réside, en effet, dans le fait quaucun organe
indépendant ne se prononce, a priori, sur les projets gouvernementaux.
t La consultation
préalable de la Cour des comptes
Aussi conviendrait-il de prévoir quun organe impartial soit
saisi, ex-ante, du projet de loi de finances présenté par le Gouvernement. En
raison de ses compétences en matière de contrôle juridictionnel des comptes et de
contrôle administratif de la gestion publique, la Cour des comptes est, selon votre
Rapporteur, lorgane le plus compétent pour émettre un avis sur la sincérité des
projets de loi de finances du Gouvernement. Cette proposition a, dailleurs, été
avancée par M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, au cours de
ses auditions par notre groupe de travail.
La Cour serait ainsi amenée à se prononcer sur la sincérité des
données budgétaires présentées dans le projet de loi de finances.
Cette procédure, par sa seule existence, devrait suffire à prémunir
lexécutif contre toute tentation de " manipulation " des
comptes publics. Le caractère préventif de la saisine de la Cour des comptes, chargée
dévaluer ex-ante le projet de loi de finances du Gouvernement, devrait
pouvoir se traduire par une plus grande fiabilité des données présentées.
Au-delà de cette exigence de transparence accrue des finances
publiques, il convient de sinterroger sur les moyens mis à la disposition du
Parlement pour améliorer les performances de la dépense publique. Compte tenu de la
pesanteur qui caractérise notre procédure budgétaire, cet exercice appelle une
rénovation en profondeur de cette dernière.
2.- Améliorer les performances de la dépense
publique
Le niveau atteint par la dette publique, le poids des impôts et des
charges, la raréfaction progressive des ressources publiques et labsence de marges
de manoeuvre budgétaires nous imposent de modifier la logique même de notre gestion
publique, en privilégiant une logique defficacité.
a) Placer le Parlement au coeur du débat sur lefficacité
de la dépense publique
En raison de sa légitimité, le Parlement doit être au coeur de ce
processus dévaluation de la dépense publique. Comme la souligné
M. Louis Schweitzer, lui seul est, en effet, en mesure dexprimer, dans la
continuité, les points de vue des différentes forces politiques de notre pays. Pour
autant, cet exercice se révèle particulièrement complexe, tant notre procédure
budgétaire est éloignée dune logique defficience de la dépense publique.
t Une logique
dobjectifs, de résultats et de contrôle
- En létat actuel de ses modalités de fonctionnement, notre procédure
budgétaire semble, en effet, particulièrement inadaptée à un examen des moyens
alloués à lEtat au regard de leur efficacité.
Lévaluation de lefficacité de la dépense publique
suppose, en effet, que des objectifs soient fixés et que les résultats atteints soient
mesurables, afin de déterminer dans quelle mesure ces objectifs sont remplis et à quel
coût.
Or, notre procédure budgétaire reste enfermée dans une logique de
moyens, dispersés entre ministères et non pas répartis par fonction. Par ailleurs, si
les modalités dexamen du projet de loi de finances autorisent la remise en cause de
la dépense publique, la distinction opérée entre services votés et mesures nouvelles
constitue, non pas en droit, mais en fait, un obstacle majeur à cette remise en
cause : limmobilisme est la règle, lexamen des services votés
lexception.
Ladoption des services votés par ministère, et non plus
globalement, pourrait contribuer à casser cette logique.
- Cette logique a désormais atteint ses limites. Il semble, désormais,
difficile, compte tenu des économies déjà réalisées, daller plus loin dans cet
exercice mécanique. Ce sont donc véritablement les règles du jeu budgétaire quil
faut modifier, en réexaminant les missions assignées à ladministration, afin
dallouer en conséquence les ressources publiques.
- Ce changement impose de fixer des objectifs à ladministration.
A cette fin, il convient de substituer, à terme, à la présentation
budgétaire actuelle par nature de charges ou par destination, une logique de
programmes et dacteurs, soit au sein dun ministère, soit au sein de
plusieurs dentre eux lorsquil sagit de politiques transversales.
Ces programmes feraient lobjet dune structure
dobjectifs définis en début de législature, et sur lesquels le Parlement
serait appelé à se prononcer. Cette structure, objective et cohérente, comprendrait des
indicateurs de moyens, de résultats et dobjectifs, définis de manière
précise et chiffrée, et appelés à servir de référence au contrôle, a posteriori,
de lefficacité de la dépense publique. Soulignons que seule une telle structure
est en mesure de déboucher sur le nécessaire triptyque " objectifs,
résultats, contrôle ", en substituant à une logique budgétaire de dépenses
une logique comptable de résultats.
Dès lors, en effet, ladministration serait plus fortement
soumise à une obligation de résultats et placée en situation de rendre compte de son
action, à la fois en termes de coût et de résultat.
Cette responsabilité devrait se traduire, chaque année, par un effort
de la part de ladministration pour rendre compte de son action (à limage du
" reporting " anglo-saxon), à loccasion de
lexamen, à lautomne, du projet de loi de finances pour lannée
suivante. Chaque administration présenterait à la représentation nationale un plan
stratégique récapitulant les résultats atteints lannée précédente, le
coût des mesures mises en oeuvre, les objectifs fixés pour lannée suivante,
assortis des moyens requis.
Le Parlement serait ainsi en mesure dallouer les crédits
budgétaires en prenant en considération la performance des programmes, voire de les
octroyer en fonction dune hiérarchisation des dépenses publiques.
Afin de permettre une telle évolution, il conviendrait,
sagissant de la recevabilité financière des initiatives parlementaires,
dadmettre la compensation entre charges, comme cest déjà le cas en matière
de ressources. Ainsi, il serait possible de " transférer " la
dépense là où elle paraît la plus efficace, à condition de rester dans le cadre
dune enveloppe constante.
t Une démarche
progressive
- La poursuite de cet objectif constitue une démarche exigeante.
Ladministration devra, davantage encore que ce nest le cas, sinterroger
sur le coût de ses actions et rendre compte de ses résultats.
Par ailleurs, une telle réforme suppose, concrètement, que
ladministration se dote des moyens de mettre en oeuvre une
" budgétisation par objectif ". Ladministration devra donc
introduire une comptabilité analytique, afin dévaluer le coût des actions
entreprises, et se prêter à un contrôle de gestion, destiné à établir un bilan des
actions menées. Or, notre administration souffre, sur ces deux points, de graves retards.
M. Christian Sautter a indiqué, au cours de son intervention, quune logique
" objectifs - résultats - contrôle " était, dores et déjà,
appliquée en matière demploi-jeunes et de logements sociaux à construire. Mais,
ces exemples restent lexception.
Autrement dit, cette logique dévaluation permanente de la
dépense publique, quappellent de leurs voeux les membres de notre groupe de
travail, doit sinscrire dans une logique de moyen terme : ce sera un processus
long et difficile.
- Pour y parvenir, il ne sagit pas dinstaurer brutalement une
révolution dans lorganisation de notre administration. Une telle approche serait
totalement irréaliste et impraticable.
Seule une évolution progressive semble pertinente. Celle-ci serait
susceptible demprunter trois voies, de manière concomitante.
Le Gouvernement doit, en premier lieu, poursuivre, de manière plus
poussée, ses travaux de regroupement des dépenses publiques sous forme dagrégats.
Ainsi, progressivement, les documents budgétaires transmis au Parlement, les
" bleus ", correspondront-ils mieux à une logique dobjectifs et
de résultats.
Par ailleurs, à loccasion du lancement dune nouvelle
politique ou de la réforme de lune dentre elles, lexécutif devra
sefforcer de présenter ses actions sous forme de programmes et de missions,
assortis dindicateurs de moyens de résultats et dobjectifs.
Enfin, les travaux dévaluation de la dépense publique que notre
Assemblée entend mettre en oeuvre au cours du premier semestre de chaque année,
devraient également se concrétiser par lintroduction dune structure
dobjectifs, en coordination avec ladministration concernée.
Cette approche pragmatique devrait se traduire, dans un premier temps,
par la coexistence dune présentation de la dépense publique sous forme de
programme et par ministère. A terme, il conviendra, sans doute, de ne retenir que la
seule approche par programme et par auteur, assortie dune structure
dobjectifs.
b) Introduire une gestion plus souple de la dépense publique
En contrepartie des contraintes qui lui seront désormais assignées,
ladministration devrait disposer dune plus grande autonomie de gestion. Des
efforts ont, dores et déjà, été menés en ce sens, avec linstauration des
centres de responsabilité, par la circulaire du 23 février 1989, et des contrats de
service, par la circulaire du 26 juillet 1995. Ils doivent être poursuivis et
étendus à lensemble de ladministration, afin que celle-ci bénéficie
dun budget global et, sur certains aspects, pluriannuel.
t Prévoir une
globalisation des crédits
La plupart des intervenants devant notre groupe de travail ont
souligné les inconvénients de lexcessive spécialisation des crédits
budgétaires. Elle fait obstacle à toute souplesse dans lexécution des dépenses,
limite la marge de manoeuvre des ordonnateurs et laisse peu de place à linitiative.
Dès lors que les services administratifs se verraient jugés sur les
résultats obtenus, il serait possible, au contraire, de déconcentrer et de globaliser
davantage les crédits () . Cette globalisation devra, notamment,
concerner les crédits de fonctionnement, y compris les crédits de personnel. Les
gestionnaires seront ainsi en mesure darbitrer entre les différentes catégories de
moyens, ce qui représenterait une avancée décisive, et dintroduire un
intéressement des services aux gains de productivité réalisés, ce qui devrait
constituer une incitation au changement.
t Développer une
approche pluriannuelle
Une approche pluriannuelle des crédits doit également être mise en
oeuvre, afin de donner aux gestionnaires des garanties quant aux moyens dont ils disposent
et conférer ainsi à leur action une visibilité dont ils sont actuellement dépourvus.
Cette approche pluriannuelle devrait, notamment, porter sur les
crédits de fonctionnement, et donc de personnel.
Cette mesure présenterait un autre intérêt majeur : celui
déviter les surconsommations de crédits observées en fin dannée, afin
dépuiser les enveloppes budgétaires octroyées et obtenir leur reconduction. Une
gestion pluriannuelle des crédits de fonctionnement se traduira, au contraire, par leur
report automatique, supprimant ainsi ces effets pervers.
Les mécanismes actuellement retenus pour définir les autorisations de
programme pourraient être transposés aux crédits de fonctionnement. En tout état de
cause, il y aurait lieu de faciliter les reports de crédits.
Votre Rapporteur tient, toutefois, à rappeler que les marges de
manoeuvre offertes aux gestionnaires via la globalisation et la pluriannualité des
dotations budgétaires dont ils bénéficient, ne sont envisageables que si des objectifs
sont assignés aux services concernés et leurs résultats évalués. Autrement dit,
lautonomie des gestionnaires doit être la contrepartie de leur plus grande
responsabilisation.
La rénovation de la procédure budgétaire et des règles de gestion
publique ne saurait suffire, à elle seule, à garantir une efficacité accrue de la
dépense publique. Encore faut-il, en effet, que les décisions de la représentation
nationale ne deviennent pas lettre morte une fois arrêtées.
3.- Rendre lexécution budgétaire plus
respectueuse
de lautorisation délivrée par le Parlement
Les marges de manuvre extrêmement larges dont jouit, à cet
égard, le pouvoir exécutif en cours dexécution suscitent de nombreuses
difficultés. Sans doute serait-il souhaitable dengager à ce propos une ambitieuse
réforme de lordonnance organique, afin de contenir lautonomie du Gouvernement
en matière dexécution, dans le respect des nécessités liées aux exigences du
réglage conjoncturel.
A court terme, toutefois, deux séries de mesures devraient être mises
en uvre, de manière consensuelle, afin de rendre lexécution budgétaire plus
respectueuse de lautorisation budgétaire délivrée par le Parlement.
a) Tenir informé le Parlement de lexécution du budget
A cette fin, les Commissions des finances du Parlement pourraient,
régulièrement, procéder à laudition du ministre chargé du budget sur
lexécution de celui-ci.
Cette procédure informelle permettrait de faire le point sur les
résultats atteints par ladministration au regard des objectifs impartis, une fois
les réformes proposées par notre groupe de travail mises en uvre.
Ces auditions présenteraient également lintérêt
dobtenir des informations précises et pertinentes sur le niveau de
léquilibre budgétaire, lequel est aujourdhui devenu un élément essentiel
de la conduite de la politique budgétaire. La représentation nationale serait ainsi
informée, au plus tôt, déventuels dérapages.
b) Encadrer la mise en oeuvre des mesures de régulation
budgétaire
La régulation budgétaire fait lobjet de vives critiques, en
raison des atteintes quelle porte aux prérogatives du Parlement, remettant en
partie en cause lautorisation délivrée par le Parlement, et des difficultés
quelle suscite en matière de gestion publique, savérant parfois
contreproductive en termes defficacité.
Aussi conviendrait-il dencadrer les pouvoirs de régulation
budgétaire du Gouvernement.
Notre groupe de travail na pas retenu des propositions visant à
prohiber toute mesure de régulation budgétaire, jugées irréalistes au regard des
contraintes pesant sur la gestion publique et des exigences communautaires en matière de
déficit.
Elle na pas non plus jugé totalement adaptée la suggestion
visant à créer un fonds de régulation budgétaire, sur le modèle du fonds
daction conjoncturel (FAC) des années 1981 et 1982. Bien quune telle
procédure permette au Gouvernement de disposer de marges de manuvre pour faire face
aux aléas de la conjoncture et ce, en respectant les prérogatives du Parlement, la
constitution de réserves ne semble plus adaptée au contexte actuel. Les expériences
passées montreraient plutôt quune telle procédure constitue, dans une certaine
mesure, une incitation à réaliser des dépenses supplémentaires. Or, tel nest
évidemment pas notre objectif.
Afin de tenir compte du caractère durgence attaché à certaines
mesures de régulation, notamment lorsque des annulations de crédits ont pour objet de
gager des mesures nouvelles décidées par le Gouvernement, notre groupe de travail
demande à celui-ci de tenir informées les commissions des finances des deux assemblées
préalablement à toute mesure de régulation budgétaire, que celle-ci soit formelle ou
informelle.
Par ailleurs, il paraît souhaitable quau-delà dun montant
très significatif - par exemple 10 milliards de francs - dannulations
cumulées de crédits, voire de virements, au sein du budget général, soit rendu
obligatoire le dépôt dun projet de loi de finances rectificative. On peut, en
effet, estimer quau-delà dun tel montant, les modifications apportées à la
loi de finances initiale ne sauraient relever que du seul organe institutionnel investi de
lautorité budgétaire, à savoir le Parlement.
Soulignons, enfin, que linstauration de la session unique permet
de rejeter lun des arguments généralement avancés à lencontre de cette
proposition, le Gouvernement ayant fait valoir, dans le passé, que le rythme de travail
du Parlement ne correspondait pas au calendrier de lexécution budgétaire.
*
* *
Lensemble des mesures proposées constitue un changement
considérable.
Elles ne sauraient donc être toutes mises en uvre
simultanément. A cet effet, les réformes de moyen terme seraient préparées par une
mission de la Commission des finances, avec laide des administrations compétentes,
et seraient mises en uvre, en liaison avec le Gouvernement et le Sénat, au fur et
à mesure de leur adoption. Elles ont vocation, dans la mesure du possible, à
sappliquer avant le terme de la présente législature.
Soulignons, enfin, que les mesures envisagées permettront au Parlement
de débattre, de nouveau, des choix fondamentaux, alors quactuellement, la décision
politique et les arbitrages budgétaires fondamentaux lui échappent largement. Notre
procédure budgétaire devrait ainsi retrouver une plus grande légitimité démocratique.
RÉSUMÉ DES PROPOSITIONS
Les réformes présentées ici sont inspirées par le souci dune
meilleure efficacité de la dépense publique, efficacité indispensable en elle-même,
indispensable aussi si on veut limiter les prélèvements et les déficits. Elles
répondent à la volonté de mettre les fonctions de contrôle et d'évaluation au
cur de l'activité budgétaire du Parlement.
Elles s'inspirent souvent dexemples étrangers, en particulier de
l'expérience britannique qui a permis à la Chambre des Communes, en collaboration avec
le National Audit Office (N.A.O) créé en 1983, de renforcer son contrôle sur
l'utilisation des fonds publics.
Les propositions formulées partent de lidée quun
renforcement des missions de contrôle et dévaluation exercées par le Parlement,
notamment par ses commissions, peut donner limpulsion nécessaire à des réformes
plus profondes touchant au fonctionnement même de lEtat.
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I - Les réformes à mettre en uvre
immédiatement
1.1. Développer les activités de contrôle du Parlement
1.1.1.) contrôler l'emploi des crédits tout au long de
l'année
créer chaque année, au sein de la Commission des
finances, une mission dévaluation et de contrôle, chargée dauditionner les
responsables politiques et administratifs sur la gestion de leurs crédits et de mener des
investigations approfondies sur quatre ou cinq politiques publiques. La mission établira
un calendrier de ses auditions, qui auront lieu chaque semaine durant tout le premier
semestre. Les auditions seront ouvertes aux membres de la Commission des finances et aux
rapporteurs pour avis des autres commissions ;
étendre les pouvoirs de contrôle des rapporteurs
spéciaux de la Commission des finances aux rapporteurs pour avis des autres commissions.
Les contrôles sur pièces et sur place seront menés, autant que possible, conjointement
par les deux rapporteurs et coordonnés par le Rapporteur général. Ils donneront lieu à
un compte-rendu devant la commission. Le renouvellement des rapporteurs spéciaux dans
leurs fonctions sera subordonné à un minimum de deux contrôles sur pièces et sur place
par an.
1.1.2.) mieux contrôler l'exécution des lois de finances,
en avançant le vote de la loi de règlement à l'année N + 1.
Laccélération de larrêté des comptes et lanticipation de la
déclaration de conformité doivent permettre à terme le vote de la loi de règlement
avant celui de la prochaine loi de finances, dans le cadre dune discussion commune.
1.1.3.) resserrer les liens avec la Cour des comptes
intégrer, autant que possible, les demandes du Parlement
dans le programme de travail établi annuellement par la Cour des comptes ;
préparer les contrôles sur pièces et sur place des
rapporteurs budgétaires et les auditions de la mission dévaluation et de contrôle
avec le concours des magistrats de la Cour des comptes ;
appliquer pleinement larticle L. 132-4 du code des
juridictions financières, qui prescrit à la Cour de procéder aux enquêtes qui lui sont
demandées par les commissions des finances et de leur communiquer ses constatations et
observations.
1.2. Evaluer la dépense publique
1.2.1.) privilégier l'évaluation des services votés, qui
représentent plus de 90% du budget, plutôt que la seule discussion des mesures nouvelles
mener un programme annuel d'évaluations, portant sur des
actions publiques transversales (exemples : programmes militaires, formation
professionnelle, aides aux entreprises, etc.). Ce programme portera chaque année sur
quatre ou cinq domaines. Il sera arrêté par la mission dévaluation et de
contrôle ;
fixer un cahier des charges à l'opérateur, public ou
privé, choisi pour conduire les évaluations ;
débattre des résultats, en procédant à l'audition des
évaluateurs et des responsables des politiques évaluées.
1.2.2.) se donner des moyens efficaces pour agir
tirer les enseignements des évaluations, par exemple par
l'audition d'un ministre, le vote d'une mesure nouvelle, le dépôt d'une proposition de
loi ;
doter la Commission des finances dune banque
informatique de données budgétaires et financières, lui permettant de procéder à des
simulations ;
permettre laccès direct de la Commission des
finances aux banques de données du ministère des finances.
Pour marquer sa volonté dexercer pleinement ses attributions, la
Commission des finances, par modification du Règlement de lAssemblée nationale,
sappellera désormais Commission des finances, de léconomie, du contrôle et
de lévaluation.
1.3. Renforcer le débat démocratique
1.3.1.) conduire les travaux de la mission dévaluation
et de contrôle en toute transparence
ouvrir à la presse les auditions de contrôle et
d'évaluation ;
retransmettre les réunions hebdomadaires de la mission sur
la chaîne de télévision parlementaire ;
publier les rapports d'évaluation, avec le compte rendu
des auditions et des débats auxquels ils auront donné lieu.
1.3.2.) élargir les droits de lopposition
confier à un membre de lopposition la co-présidence
de la mission annuelle dévaluation et de contrôle, aux côtés du Président de la
Commission des finances, lanimation et la coordination des travaux étant assurées
par le Rapporteur général ;
associer lopposition à la préparation des auditions
hebdomadaires de la mission ;
dans le cadre des contrôles sur pièces et sur place,
faire collaborer un rapporteur spécial de la majorité et un rapporteur pour avis de
l'opposition (ou inversement).
1.3.3.) consacrer chaque mois une séance de questions au
gouvernement à l'examen d'une politique publique, en soumettant, pendant une heure,
le ministre concerné à une série de questions ciblées.
1.4. Rénover lexercice du pouvoir financier
1.4.1.) privilégier la discussion des grandes orientations
économiques et financières
examiner chaque année, en Commission de finances, avant
transmission à Bruxelles, les perspectives triennales des finances publiques, incluant
lensemble des dépenses publiques (Etat, sécurité sociale, collectivités
locales) ;
organiser chaque année, en séance publique, un débat
dorientation budgétaire, sur la base des rapports présentés par la Cour des
comptes (exécution de la loi de finances précédente) et le Gouvernement (rapport sur
les orientations budgétaires ; perspectives triennales des finances publiques).
Ne pourrait-on envisager que ce débat soit conclu par le vote
dune loi dorientation triennale des finances publiques ?
mieux préparer ce débat en amont, en Commission des
finances, sur la base de simulations commandées à des organismes de prévision, ainsi
que d'auditions et de tables rondes d'experts.
1.4.2.) pratiquer un nouveau rythme d'exercice du pouvoir
financier, associant mieux les commissions et s'appuyant sur deux grandes phases de
travail
La première phase sera consacrée, de janvier à juin, au
contrôle des comptes et à l'évaluation des politiques publiques et se conclura, à
lautomne, par le vote de la loi de règlement.
La seconde phase débutera, en mai-juin, avec le débat
dorientation budgétaire et s'achèvera, à lautomne, par le vote de la loi de
finances.
L'examen des fascicules budgétaires se déroulera au sein des
commissions saisies pour avis. Les débats auront lieu en présence des ministres et
sappuieront sur les rapports des rapporteurs spéciaux et pour avis. Ils seront
ouverts à la presse, nationale et régionale, et donneront lieu à compte rendu au Journal
officiel. Une procédure de questions écrites permettra aux députés dobtenir
réponse au plus tard le jour de la séance publique.
Le débat en séance publique se concentrera sur l'examen des articles
de la première partie de la loi de finances, puis des articles (rattachés ou non) de la
deuxième partie, et sur un examen resserré des crédits, privilégiant lexamen des
politiques publiques, leurs orientations et leur efficacité. Le débat en séance
publique sera ainsi l'aboutissement des travaux menés en amont, en commission.
RETOUR SOMMAIRE
II - LES RÉFORMES DE MOYEN TERME
Ces réformes, qui participent de la réforme de lEtat,
nécessitent le plus souvent une modification des textes régissant lorganisation du
débat budgétaire, en particulier de lordonnance organique du 2 janvier 1959
relative aux lois de finances, et lintroduction dans la sphère publique de
méthodes plus modernes de gestion.
2.1. Améliorer la transparence et la signification des comptes
publics
2.1.1.) garantir la sincérité des informations budgétaires
consulter la Cour des comptes sur les projets de loi de
finances et les comptes annexés, au regard de leur sincérité ;
passer dune comptabilité de trésorerie à une
comptabilité en droits constatés (obligation de rattachement à lexercice, comme
pour les collectivités locales) ;
mieux appliquer le principe duniversalité
budgétaire, en évaluant la totalité des recettes (fonds de concours par exemple) et des
dépenses (crédits évaluatifs, amortissements, provisions, etc.) ;
inscrire en loi de finances le montant des emprunts
envisagés, en précisant les méthodes de gestion de la dette ;
consolider les comptes de lEtat, des établissements
publics et des entreprises publiques.
2.1.2.) renforcer linformation du Parlement
établir chaque année, dans le cadre dune
comptabilité patrimoniale, un bilan et un " hors-bilan " de
lEtat, accompagnés de projections à trois ans, afin dévaluer le patrimoine
de lEtat et ses engagements à long terme (droits à pension, garanties,
etc.) ;
accompagner le budget de perspectives dévolution des
principaux postes (personnel, charges de la dette, etc.) à lhorizon de trois à
cinq ans ;
assortir toute réforme touchant à la fiscalité ou aux
cotisations sociales de simulations ;
présenter annuellement un plan stratégique par
ministère, exposant les résultats atteints lannée précédente par rapport aux
objectifs annoncés, ainsi que les objectifs fixés et les moyens requis pour
lannée suivante.
2.2. Centrer la discussion budgétaire sur lefficacité de la
dépense publique
adopter les services votés par ministère et non plus
globalement ;
substituer à terme, à la présentation actuelle par
nature de charges ou par destination, une présentation des crédits par programme et par
acteur, permettant une évaluation a posteriori ;
introduire des indicateurs de résultats et de moyens,
précis et chiffrés, pour les crédits de chaque programme, la structure dobjectifs
devant être présentée au Parlement en début de législature ;
permettre des redéploiements de crédits, en autorisant
les parlementaires à opérer des compensations entre dépenses publiques, comme ils sont
autorisés à le faire en matière de ressources publiques ;
distinguer entre les dépenses de fonctionnement et les
dépenses dinvestissement. Parvenir à terme à un équilibre de la section de
fonctionnement, comme cest la règle en Allemagne ou dans les collectivités
locales ;
assortir les projets de loi dune étude dimpact
de qualité, précisant ladéquation entre les objectifs et les moyens mis en
uvre.
2.3. Rendre lexécution budgétaire plus respectueuse de
lautorisation donnée par le Parlement
fournir aux commissions des finances des deux Assemblées
une information préalable sur les opérations de régulation budgétaire ;
au-delà dun certain seuil dannulations ou de
virements de crédits, rendre obligatoire le dépôt dun projet de loi de finances
rectificative ;
entendre régulièrement, en commission de finances, le
ministre chargé du budget sur lexécution des recettes et des dépenses et sur les
résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés.
2.4. Rendre la gestion publique plus souple et mieux contrôlable
2.4.1.) permettre aux gestionnaires davantage de souplesse dans
lemploi des crédits
globaliser les crédits de fonctionnement, dans le cadre
denveloppes réparties par programme et par acteur et non plus par nature de
crédits, à charge pour les gestionnaires de respecter leurs objectifs et den
rendre compte ;
tendre vers une pluriannualité des dépenses de
fonctionnement et faciliter les reports de crédits, de manière à éviter les
gaspillages de fin dannée.
2.4.2.) moderniser les méthodes de gestion
nommer auprès de chaque ministre un secrétaire général
de ladministration, chargé détablir le plan stratégique des services et des
centres de responsabilité, de suivre les indicateurs de gestion, détablir un
rapport annuel dactivité et de rendre compte au ministre ;
tenir une comptabilité analytique permettant de connaître
avec précision le coût des services rendus ;
introduire dans chaque administration et chaque
établissement public un contrôle de gestion, afin de passer dune logique de
dépenses à une logique de résultats.
*
* *
Lensemble de ces réformes constitue un changement considérable.
Les réformes à mettre en uvre immédiatement seront appliquées dès la prochaine
loi de finances (loi de finances pour 2000). Les réformes de moyen terme seront
préparées par une mission de la Commission des finances, aidée par les administrations
compétentes, et elles seront mises en uvre, en liaison avec le Sénat, au fur et à
mesure de leur adoption. Elles devront entrer en application avant le terme normal de la
présente législature (loi de finances pour 2002).
RETOUR SOMMAIRE
DÉCLARATIONS DE GROUPES
POLITIQUES
________
MM. Dominique Baert et Gérard Fuchs au nom du Groupe
socialiste
Groupe R.P.R.
Groupe U.D.F.
Groupe Démocratie Libérale
MM. Jacques Brunhes et Christian Cuvilliez
au nom du Groupe communiste
OBSERVATIONS DE MM. Dominique BAERT et Gérard
FUCHS AU NOM du Groupe socialiste
Constitué à linitiative du Président de lAssemblée
Nationale, le groupe de travail a situé sa réflexion dans un double cadre : prendre en
considération la nécessité de réductions et de réorientations de la dépense
publique, suivant des critères defficacité ; prendre acte que lactivité
budgétaire du Parlement ne permet pas, en létat actuel de son fonctionnement, un
contrôle de lefficience des dépenses et des recettes de lEtat : ce contrôle
est pourtant partie intégrante de la légitimité démocratique du Parlement. Le groupe
de travail a procédé à de nombreuses auditions de personnalités ayant une expérience
dans le domaine du contrôle budgétaire et de lévaluation, y compris des
représentants du Gouvernement (MM. les Ministres de léconomie et du budget), dont
certaines suggestions convergent avec les propositions formulées dans le rapport. Il a
également souhaité sappuyer sur une analyse des systèmes étrangers, et en
particulier de lexemple britannique, où une collaboration étroite entre le National
Audit Office et la Chambre des Communes a permis une amélioration du pouvoir de
contrôle exercé par le Parlement sur lutilisation des fonds publics. Le groupe de
travail présente ses conclusions en deux étapes de réforme. Aucune modification
législative nest nécessaire pour la mise en oeuvre des premières propositions,
dont nous rappelons ici les principales.
Proposition importante, sera créée au sein de la Commission des
finances, une mission dévaluation et de contrôle, chargée dauditionner
régulièrement les responsables politiques et administratifs sur la gestion de leurs
crédits, avec en particulier un objectif fonctionnel dévaluation de quelques
grandes politiques publiques (quatre ou cinq par an). Les auditions auront lieu au cours
du premier semestre, qui sera consacré au contrôle et à lévaluation, en
préalable à la phase de discussion et de vote du projet de loi de finances. Les moyens
à la disposition de cette mission seront tout dabord les pouvoirs de contrôle des
rapporteurs spéciaux de la Commission des finances, qui seront étendus aux rapporteurs
pour avis des autres commissions, et une collaboration plus étroite avec la Cour des
comptes. Dans un premier temps il est clair quavant tout, les possibilités de
contrôle existantes auront à être mieux utilisées.
Sans être exhaustifs, tant les propositions du groupe sont nombreuses,
deux pistes daction apparaissent particulièrement novatrices et stimulantes.
Le contrôle budgétaire doit dabord être évaluatif : le groupe
privilégie, à juste titre, une évaluation de la dépense plutôt quun simple
contrôle. Comparer entre les objectifs des politiques, leur réalisation effective, et
les moyens mis en oeuvre : ce nest peut-être pas une idée neuve, mais cest
incontestablement une idée insuffisamment mise en oeuvre jusquà maintenant. Ce
doit devenir une priorité, car seule lévaluation permettra dorienter les
crédits vers les mesures les plus efficaces au moindre coût !
La réduction des dépenses publiques apparaît alors comme un
résultat de lévaluation et non comme une finalité pour elle-même : et cest
comme cela que le comprend le groupe socialiste.
Cette évaluation devra être large et sans exclusive : elle portera
bien sûr sur les mesures nouvelles, mais également sur les services votés (car ils
représentent 90% du budget !) à partir dune approche transversale et fonctionnelle
des politiques publiques (ex. programmes militaires, formation professionnelle, aides aux
entreprises... )
Dautre part, le contrôle budgétaire doit être plus ouvert et
démocratique notamment via un élargissement des droits de lopposition. Une
co-présidence de la mission dévaluation et de contrôle, laquelle proposerait des
thèmes dévaluation qui seraient retenus, serait confiée à un membre de
lopposition ; de même quil est prévu de faire collaborer un rapporteur
spécial de la majorité et un rapporteur pour avis de lopposition (ou inversement)
dans le cadre des contrôles sur pièces et sur place. Autant davancées
essentielles qui non seulement honoreraient notre vie démocratique, mais feraient
progresser incontestablement la réalité du contrôle parlementaire du budget de
lEtat. Elles assureraient de surcroît la continuité et le suivi des évaluations
mises en oeuvre au-delà des alternances. Et cela, concomitamment avec une transparence
renforcée des travaux menés dans le cadre de la mission dévaluation (ouverture à
la presse, retransmission télévisée).
Au-delà de ces propositions dapplication immédiate, les
réformes envisagées pour le moyen terme participent dun double objectif de
réforme de lEtat et des méthodes de gestion des crédits au sein de
ladministration, et de renforcement des supports du contrôle exercé par le
Parlement (information, présentation clarifiée des comptes publics, comprenant en
particulier une comptabilité patrimoniale).
En se félicitant des travaux qui ont été menés, les représentants
du Groupe socialiste de lAssemblée Nationale au sein du groupe de travail
soutiennent ces initiatives de modernisation et de renforcement du rôle de
lAssemblée nationale dans lexercice de son pouvoir budgétaire. La mutation
qui se dessine est dimportance, pour la réalité du travail parlementaire, et donc
pour notre démocratie. Cest pourquoi, le Groupe socialiste a la ferme volonté que
lEtat puisse " dépenser mieux " pour " prélever
moins ".
Dominique Baert Gérard Fuchs
Député du Nord Député de Seine-Maritime
CONTRIBUTION DU GROUPE RPR
I.- sur les pouvoirs de contrôle et dÉVALUATION
DE LA DÉPENSE PUBLIQUE
Plusieurs propositions formulées par le groupe de travail
mériteraient dêtre approfondies :
* Consolider la place du débat dorientation
budgétaire grâce à une meilleure information de lAssemblée nationale.
Le débat dorientation budgétaire, institué en 1996,
pourrait à lévidence être enrichi si les députés disposaient, lors de sa
préparation, dinformations plus étendues et plus diversifiées, émanant notamment
du Gouvernement, mais aussi de la Cour des comptes et dorganismes extérieurs.
* Développer lévaluation des dépenses publiques
regroupées en " grandes actions publiques ".
Cette idée est à lévidence intéressante, mais ne relève
pas de la nouveauté. Elle sinspire largement, sinon quant aux moyens du moins quant
aux objectifs, des missions de lOffice parlementaire dévaluation des
politiques publiques créé sous la précédente législature.
* Développer le principe dauditions par la
Commission des finances de responsables administratifs et politiques.
* Améliorer la publicité faite aux débats de la
Commission des finances.
En revanche, une proposition appelle des remarques et nécessiterait
dêtre précisée :
Il sagit de celle concernant lextension aux rapporteurs
pour avis des pouvoirs dévolus aux rapporteurs spéciaux. Dautant quil faut
compléter cette proposition par lidée de les faire fonctionner en tandems,
lun deux appartenant à la majorité, lautre à lopposition.
Tout dabord, cette proposition ne précise pas les modalités de
répartition des postes de rapporteurs spéciaux entre la majorité et lopposition.
A ce jour, le rôle de lopposition reste mineur dans ce partage, celle-ci devant se
contenter dun faible nombre de rapports spéciaux, représentant de surcroît une
part infime des dépenses publiques. A cet égard, il serait justifié de répartir les
différents rapports (nombre, poids des budgets) à la proportionnelle des groupes.
Par ailleurs, la proposition faite ne règle pas le cas où le
Gouvernement serait confronté à lexistence de plusieurs oppositions distinctes à
lAssemblée.
Enfin, elle ne fait pas état des moyens qui pourraient être affectés
à lexercice de ces nouvelles prérogatives.
II.- SUR LA PROCÉDURE DEXAMEN DU PROJET DE LOI DE
FINANCES
La principale proposition de modification de la procédure
dexamen du projet de loi de finances faite par le Groupe de travail consisterait à
limiter à une simple explication de vote la discussion dans lhémicycle des
fascicules budgétaires.
Par conséquent, le débat sur le projet de loi de finances se
focaliserait dans lhémicycle sur les articles de la première partie, ainsi que sur
les articles rattachés ou non.
Une telle réforme nest pas acceptable pour deux raisons
principales :
Elle affaiblirait le caractère démocratique de
lexamen du projet de loi de finances, en privant de temps de parole dans
lhémicycle un grand nombre de députés. Dans le cas du Groupe RPR et selon la
procédure actuelle, ce sont environ la moitié des membres du Groupe qui
sinscrivent chaque année dans la discussion générale des fascicules ou sur les
questions. Elle déséquilibrerait de manière excessive les rôles respectifs des
différentes commissions dans ce débat, au profit dune seule. Traditionnellement en
effet, lexamen des articles de la première partie et des articles non rattachés se
concentre entre les mains dun nombre réduit de députés.
Elle diminuerait la transparence de la procédure
dexamen du budget, dans la mesure où les fascicules budgétaires seraient examinés
par une commission ad hoc composée de la Commission des finances et des
commissions saisies pour avis, et non en séance publique dans lhémicycle.
POSITION DU GROUPE UDF
Première observation : Le fil directeur de la réforme doit rester
centré sur lefficacité de la dépense publique et sur le renforcement des moyens
du contrôle parlementaire. Cela passe notamment par le renforcement des liens entre la
Cour des comptes et la Commission des finances, par le suivi des mesures concrètes mises
en place par les administrations à la suite des observations édictées dans les
différents rapports de la Cour des comptes ou des missions de lInspection
générale, par une exigence de transparence encore accrue, par la généralisation
détudes dimpact des conséquences financières de tout projet gouvernemental.
Deuxième observation : Il est nécessaire que la réforme de la
procédure budgétaire se fasse par étapes. Elle devrait être expérimentée dans un
premier temps sur les budgets de quelques ministères seulement avant de se généraliser.
La réforme doit avoir pour objectif lallégement de la procédure budgétaire pour
la rendre plus efficace et lisible. Ainsi, la phase des questions budgétaires en séance
publique pourrait utilement faire lobjet dune procédure écrite où le
député déposerait auprès de la Commission compétente au moins une semaine avant, le
texte de sa question. La réponse serait remise le jour de lexamen du budget
concerné et publiée au Journal officiel.
Troisième observation : Lefficacité du contrôle ne sera
effective que si les droits de lopposition sont renforcés, quil sagisse
du choix des études de la " mission dévaluation et de
contrôle " mais aussi de laugmentation significative du nombre des
rapports spéciaux confiés à lopposition.
En revanche la proposition formulée dune coprésidence de la
" mission dévaluation et de contrôle " semble secondaire.
Quatrième observation : Les contrôles sur pièces et sur place
doivent être réservés aux rapporteurs spéciaux associant autant que possible les
rapporteurs pour avis des autres commissions. En revanche, lextension du contrôle
à tous les rapporteurs pour avis rendrait difficile les relations avec les
administrations compte tenu du nombre de rapporteurs.
CONTRIBUTION DU GROUPE DÉMOCRATIE LIBÉRALE
Le groupe Démocratie Libérale a jugé opportune linitiative du
Président de lAssemblée nationale, Laurent Fabius, de réunir les représentants
de tous les groupes parlementaires pour conduire une réflexion sur le contrôle
parlementaire et lefficacité des dépenses publiques.
Chacun saccorde à penser, en effet, que le contrôle
parlementaire a été impuissant à endiguer la progression continue et inquiétante des
dépenses publiques et corrélativement, celle des prélèvements obligatoires. Dans le
même temps, lefficacité des services publics malgré leurs coûts croissants
apparaît tout à fait insatisfaisante.
Les auditions auxquelles le groupe de travail a procédé ont montré
un très large accord des personnalités entendues sur le diagnostic : la gestion
publique repose sur des principes et des méthodes aujourdhui dépassés.
Laction publique ne se voit pas assigner dobjectifs clairs, ses résultats ne
donnent pas lieu à un examen périodique susceptible de remettre en cause les
orientations ou les choix.
Aussi, lamélioration du contrôle parlementaire ne peut-elle
avoir de portée quau prix de profondes réformes en amont. Il apparaît
indispensable aujourdhui de réformer notre organisation administrative et nos
finances publiques.
En premier lieu, il convient que lEtat et tous les organismes
publics soient astreints à des obligations comptables aussi exigeantes que celles des
entreprises. On ne gère, ni ne juge une gestion sans une véritable comptabilité,
exhaustive et sincère, qui fait totalement défaut aujourdhui. Les obligations
comptables, en particulier celles de présenter un bilan et un hors-bilan doivent donner
lieu à un contrôle externe confié à des commissaires aux comptes professionnels et
leur respect doit engager la responsabilité personnelle et pénale des agents.
En second lieu, les services publics doivent être organisés de sorte
que leurs objectifs soient clairement définis, objectifs sur lesquels leurs responsables
sengagent. Un organisme indépendant du Gouvernement rattaché au Parlement, doit en
permanence apprécier les résultats obtenus, au regard des objectifs affichés. Le
contrôle de gestion utilisant une comptabilité analytique généralisée, doit être
systématique.
Ces conditions remplies, le contrôle parlementaire aurait les moyens
de sexercer avec efficacité. Lexamen de la loi de finances, quil
sagisse de la loi de finances initiale ou de la loi de règlement, pourrait perdre
le caractère formel qui est aujourdhui le sien, sagissant de la partie
dépenses, et porter sur ladéquation des moyens aux objectifs poursuivis.
Mais, en tout état de cause, il faudrait que le rôle de
lopposition dans lexercice de ce contrôle soit affirmé, car elle est
évidemment plus à même que la majorité dêtre vigilante à légard de
laction gouvernementale.
Ainsi, sans nier lintérêt des travaux qui ont été conduits,
sans contester que les propositions du rapporteur général vont, dans lensemble,
dans le bon sens, le Groupe Démocratie Libérale estime que les mesures envisagées sont
insuffisantes, quelles ne sont pas de nature en elles-mêmes à corriger une
situation très dégradée.
Il relève aussi, que la volonté gouvernementale dengager des
réformes améliorant la gestion publique fait totalement défaut. Dans ces conditions, il
ne peut quexprimer son profond scepticisme vis-à-vis de la portée du présent
rapport et des propositions quil contient.
OBSERVATIONS DE MM. JACQUES BRUNHES ET CHRISTIAN
CUVILLIEZ AU NOM DU GROUPE COMMUNISTE
Les réformes proposées par le groupe de travail traduisent un
changement significatif dans le sens du renforcement des droits du Parlement. Les
députés communistes qui ont toujours souhaité que lAssemblée Nationale puisse
exercer un véritable pouvoir tant dans les orientations économiques du budget que dans
le suivi de son exécution approuvent cette démarche démocratique.
Le budget est un acte majeur de la politique nationale. Son annualité
reste un principe. En même temps l'action de lAssemblée nationale doit être
sérieusement dépoussiérée dun certain nombre de formalismes qui lencadrent
depuis trop dannées.
Dans le cadre européen, le contrôle parlementaire doit répondre à
un véritable droit et non faire de lAssemblée un instrument de mise en uvre
du Pacte de stabilité pour peser à sens unique vers une réduction de la dépense
publique.
Les propositions du groupe de travail appellent les remarques suivantes
de notre part.
Contrôle du Parlement aux divers stades de la procédure
budgétaire.
t Le débat
dorientation budgétaire de mai-juin doit faire lobjet dun véritable
projet de loi fixant les grandes orientations et les hypothèses économiques à retenir,
les évaluations de ressources et de charges ainsi que les données de léquilibre
financier.
Cette loi déterminant les grands axes de la loi de finances discutée
en octobre serait votée par le Parlement.
t Le parlementarisme
rationalisé a montré ses limites. Larticle 40 de la Constitution doit être
révisé pour autoriser les amendements créant ou aggravant une charge publique sous
réserve quune ressource de substitution équivalente dans sa nature et son montant
soit créée.
Les amendements passibles de larticle 40 devraient en tout état
de cause pouvoir être discutés en séance.
Plusieurs mesures du groupe de travail sont excellentes comme rendre
identique les droits des rapporteurs spéciaux et des rapporteurs pour avis dans le suivi
du budget.
Il est important de renforcer les droits des députés. Il faudrait
permettre à chaque groupe de demander des études à lINSEE, au Commissariat du
Plan, ou à un autre institut sur lévaluation dune question économique.
Chaque commission permanente, chaque groupe devrait pouvoir saisir la
Cour des Comptes pour une étude ou un contrôle.
Pour élaborer ses propositions, chaque groupe doit pouvoir obtenir des
ministères un chiffrage exact des mesures quil propose, notamment en matière
fiscale. Il doit avoir accès aux services dexpertise des ministères.
Les études dimpact devront être généralisées sur les projets
de loi et les propositions inscrites en séance publique. Assortir toute réforme fiscale
dune simulation est également souhaitable, comme le suggère le groupe de travail.
Les propositions pour développer lévaluation de la dépense
publique sont positives.
Pour assurer le débat démocratique.
Les réformes visant à renforcer les droits de lopposition vont
également dans le bon sens.
Par contre, les députés communistes ne sont pas favorables au renvoi
en commission de lexamen des fascicules des budgets dépensiers. Pour pallier le
formalisme de certains débats, cest la partie de la discussion portant sur des
questions-réponses et qui traite souvent de problèmes locaux qui pourrait être
remplacée par lorganisation au moins une fois par an dune séance de la
commission compétente ouverte à la presse et au public et où le ministre répondrait à
des question ciblées.
Le débat et le vote en séance publique sur les différents budgets
doivent être maintenus. Cest important pour la démocratie.
Sagissant de la mise en uvre du budget voté, la pratique
gouvernementale de procéder à des gels, des annulations ou des transferts de crédits
qui sont validés en fin dannée par la loi de finances rectificative donne
aujourdhui au contrôle parlementaire un caractère formel.
Est donc décisive la proposition quau-delà dun certain
seuil de régulation, soit rendue obligatoire en cours dannée la discussion
dune loi de finances rectificative.
Si lefficacité de la dépense publique est un objectif juste, il
ne saurait être seulement décliné en termes européens.
Le budget de lEtat ne peut être assimilé à celui des
collectivités locales. Que les dépenses de fonctionnement soient toujours a priori
en équilibre ferait porter sur les seules dépenses dinvestissement les problèmes
du déficit et pourrait compromettre la politique de croissance.
Enfin, le rôle actuel du Parlement sur le montant de la participation
de la France au budget de lUnion européenne nest pas satisfaisante,
sagissant dun des premiers postes de la loi de finances (95 milliards pour
1999) qui conditionne la marge dinitiative sur les autres budgets. Cest
pourquoi la Commission des finances devrait être associée à la détermination de son
montant.
Si la mission de la Commission des finances est spécifique dans le
contrôle parlementaire, il ne faudrait pas que le rôle des autres commissions
permanentes se trouve amoindri dans la démarche nouvelle qui est engagée et dont
lobjet nest pas seulement financier. Cest pourquoi toutes les
commissions devraient être mieux associées à la réforme.
Une dernière observation, aussi intéressantes que soient les
modifications proposées en matière financière, elles ne sauraient faire oublier que la
réforme première concerne le rôle et la place du Parlement dans les institutions
nationales.
Jacques BRUNHES Christian CUVILLIEZ
Liste des
personnalités entendues par le Groupe de travail
Le compte rendu de ces auditions est publié dans le Tome II du
présent rapport
M. François de CLOSETS, journaliste (22 octobre 1998)
M. Jacques MÉRAUD, membre honoraire du Conseil économique et
social (22 octobre 1998)
M. Jean-Claude THNIG, Président du Conseil scientifique de
lévaluation (22 octobre 1998)
M. Guy CARCASSONNE, Professeur à lUniversité de
Nanterre-Paris X (29 octobre 1998)
M. Laurent DOMINATI, député, Président de la mission
dinformation commune sur les moyens dinformation des parlements étrangers en
matière économique et sociale (septembre 1994-mai 1995) (29 octobre 1998)
M. Jean-Claude TRICHET, Gouverneur de la Banque de France (29
octobre 1998)
M. Michel PRADA, Président de la Commission des opérations de
bourse, ancien directeur de la comptabilité publique et du budget (5 novembre 1998)
M. Loïc PHILIP, Professeur à lUniversité
dAix-Marseille (5 novembre 1998)
M. Philippe AUBERGER, député, ancien Rapporteur général de la
Commission des finances, de léconomie générale et du plan de lAssemblée
nationale (1993-1997) (5 novembre 1998)
M. Jean ARTHUIS, sénateur, ancien ministre de léconomie et des
finances (19 novembre 1998)
M. René Barberye, Président du directoire du Centre national des
caisses dépargne et de prévoyance (CENCEP), ancien directeur de la comptabilité
publique (19 novembre 1998)
M. Pierre JOXE, Premier président de la Cour des comptes
(24 novembre 1998)
M. Jean PICQ, conseiller-maître à la Cour des comptes, Président de
la mission sur les responsabilités et lorganisation de lEtat (novembre
1993-mai 1994) (10 décembre 1998)
M. Augustin BONREPAUX, député, Président de la Commission des
finances, de léconomie générale et du plan de lAssemblée nationale (10
décembre 1998)
M. Daniel BOUTON, Président de la Société générale, ancien
directeur du budget (10 décembre 1998)
M. Louis SCHWEITZER, Président de Renault, ancien directeur de cabinet
du Premier ministre (7 janvier 1999)
M. Michel CHARASSE, sénateur, ancien ministre du budget
(7 janvier 1999) ()
M. Michel BON, Président de France Télécom, ancien directeur de
lAgence nationale pour lemploi (ANPE) (7 janvier 1999)
M. Jacques DELORS, ancien ministre de léconomie et des
finances, ancien Président de la Commission européenne, Président de la Fondation Notre
Europe (13 janvier 1999)
Sir John BOURN, Contrôleur et Auditeur général du Royaume-Uni,
Président du National audit office (NAO) (13 janvier 1999)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de léconomie, des
finances et de lindustrie, et M. Christian Sautter, secrétaire dEtat au
budget (13 janvier 1999)
*
* *
RETOUR SOMMAIRE
ANNEXE
ELÉMENTS DE COMPARAISON ENTRE LES SYSTÈMES BRITANNIQUE ET FRANÇAIS
DÉVALUATION
Extraits des actes du colloque franco-britannique
organisé par le Conseil scientifique de l'évaluation, Paris, janvier 1998
l.- Observations générales
1.1. L'évaluation fait preuve d'une grande vitalité
en Grande-Bretagne. La pratique en est plus développée qu'en France et répartie à tous
les niveaux de l'administration et des services publics ; les moyens financiers et
humains qui lui sont consacrés sont plus importants (), et ses résultats
sont utilisés de manière plus systématique à des fins de gestion et de préparation
des décisions publiques. L'évaluation est diverse, dans ses objets (politiques,
programmes, activité des services et établissements publics, pratiques
professionnelles), ses modalités (combinaison d'expertise interne et de recours à
l'expertise externe) et ses finalités.
1.2. L'évaluation britannique se caractérise par
un grand pluralisme, tant au niveau des lieux d'expertise que des autorités passant
commande d'évaluation. La diversité des " clients " et des financeurs de
l'évaluation confère à celle-ci un caractère polycentrique (). Les
principaux lieux et acteurs de l'évaluation sont :
le National Audit Office (équivalent britannique de
la Cour des Comptes) ;
lAudit Commission (organisme indépendant,
sans équivalent dans d'autres pays, qui évalue de manière totalement externe
l'efficience des services gérés par les collectivités locales) ;
le Trésor (équivalent de la direction du Budget), qui
diffuse des normes méthodologiques pour le développement de l'évaluation ex-ante et
ex-post dans l'administration ;
les organismes d'inspection ;
les services d'études et de recherche dépendant de
l'administration ;
certaines collectivités locales.
Par contraste, la conception française du pluralisme s'exprime
davantage dans les procédures d'évaluation elles-mêmes, notamment sous la forme de lévaluation
partenariale (à l'exemple des évaluations menées dans le cadre des Contrats
de plan État-régions), à travers le mandat étendu confié à des comités de pilotage
pluralistes.
1.3. L'une des spécificités du modèle britannique
est l'implication dans le développement de l'évaluation de réseaux d'expertise
sectoriels regroupant des universitaires, des professionnels et l'administration. Dans des
domaines tels que la santé et l'éducation, les professionnels ont une longue tradition
d'évaluation de leurs propres pratiques.
1.4. L'utilisation des résultats des évaluations
à des fins budgétaires ou gestionnaires est beaucoup plus directe et systématique qu'en
France. L'évaluation a souvent pour client direct le financeur d'une action (ex -
Further Education Funding Council). Cette orientation budgétaire se traduit
notamment par le rôle du NAO à travers les audits de performance et autres value for
money studies. La Nouvelle gestion publique (New Public Management, réforme de
la gestion publique mise en oeuvre dans les années 80) s'est traduite par une plus grande
instrumentalisation de l'évaluation à des fins " managériales ". Il
serait cependant erroné de ramener l'évaluation britannique au concept de "value
for money ", et les évaluations présentées au cours du séminaire relèvent en
fait d'une large gamme de finalités (accountability, monitoring des actions
publiques, auto-formation des réseaux d'acteurs).
Le contraste demeure néanmoins fort avec les évaluations françaises
(qu'elles soient interministérielles, ministérielles ou régionales), qui n'abordent que
rarement la question de l'efficience des politiques et programmes publics, et sont
rarement utilisées pour préparer des décisions budgétaires.
1.5. En ce qui concerne les méthodes, le pluralisme
des démarches et des outils est la règle dans les deux pays. L'évaluation est
généralement considérée comme nécessitant la mise en oeuvre conjointe de méthodes
quantitatives et qualitatives. Les principales différences sont, d'une part,
l'utilisation plus systématique des approches comparatives en Grande-Bretagne. Bien
qu'ils ne soient pas aussi fréquemment mis en oeuvre qu'aux Etats-Unis, les protocoles
expérimentaux avec groupe de contrôle équivalents sont d'une pratique plus courante
qu'en France.
2.- Institutions et usages de l'évaluation au Royaume-Uni :
une vue d'ensemble
Christopher Pollitt
Professeur et co-directeur, Centre for the Evaluation of
Public Policy and Practice (CEPP),
Brunel University, Uxbridge.
2.1. Les institutions : hypothèses pour un débat
Puisque nous sommes ici pour discuter, je vais commencer par proposer
un schéma très simple afin de susciter le débat. En m'appuyant sur la théorie
contemporaine des organisations, je suggère que l'institutionnalisation de l'évaluation
dans le secteur public a été très différente selon les pays :
aux Etats-Unis, l'évaluation s'est institutionnalisée
- principalement selon le modèle du marché ;
en France, l'évaluation s'est institutionnalisée
principalement de manière hiérarchique ;
au Royaume-Uni, l'évaluation s'est institutionnalisée
principalement sous la forme d'un ensemble de réseaux sectoriels.
Bien sûr, cette caractérisation est trop simple. Bien sûr, il y a
des éléments de hiérarchie, de marché et de réseau dans les communautés évaluatives
des trois pays considérés. Néanmoins, ces trois stéréotypes pourraient bien receler
une part d'utile vérité - et ont au moins l'intérêt de me fournir une grille pour
décrire l'évaluation au Royaume-Uni.
Quelques mots supplémentaires sont nécessaires avant de continuer à
raisonner sur la base des contrastes que je viens de suggérer. Aux Etats-Unis,
l'évaluation est depuis longtemps un commerce (business). De nombreuses firmes,
partenariats et centres universitaires existent et sont en compétition pour obtenir des
contrats des gouvernements et des organismes para-étatiques. L'évaluation est un service
à vendre et la réputation méthodologique est l'un des arguments de vente du "
produit ".
C'est à nos collègues français de dire comment les choses se passent
en France, mais j'ai été frappé par le passage suivant dans un article écrit en 1995,
intitulé " Évaluation à la française " :
" En France, l'évaluation a été institutionnalisée selon
des modalités qui sont typiques du style d'administration publique de ce pays.
L'évaluation s'est développée parce que son institutionnalisation a précédé son
application à des politiques concrètes " ().
Pour ce qui est du Royaume-Uni, il y a eu peu d'institutionnalisation
" descendante " (top-down). L'évaluation s'est plutôt bien développée
dans quelques secteurs, mais beaucoup moins dans d'autres, à travers des réseaux variés
mais sans noyau central unique et évident. Bien que l'argent circule, ce qui modifie
certainement les pratiques, il y a toujours pas mal de " confort "dans
cette situation, et on est encore loin d'avoir un marché concurrentiel pleinement
développé au sens américain. Je compléterai dans un instant cette description
sommaire, mais je dois d'abord préciser rapidement dans quel sens j'emploie les mots.
2.2. L'évaluation, une notion mouvante
Il y a des débats sans fin, à la fois au sein des institutions et
entre elles, quant au sens du terme " Evaluation ". Le Petit guide de
l'évaluation des politiques publiques de Conseil scientifique de l'évaluation ()
illustre très bien cela en rassemblant un certain nombre de définitions alternatives
très contrastées tirées de différentes sources françaises. Et il y a beaucoup
d'autres exemples - le guide du Trésor britannique de 1988 dit que l'évaluation ex-ante
devrait être appelée " appraisal " (),
et non évaluation (). La Commission Européenne, d'un autre côté,
appelle " évaluations " les analyses ex-ante, concomitantes et
ex-post(). Alors qu'un autre organisme européen, la Banque
européenne d'investissement, insiste sur le fait que seules les analyses ex-post peuvent
être qualifiées d'" évaluations ", les études concomitantes devant
être appelées " monitoring ". Un certain nombre de définitions
soulignent la nécessité pour l'évaluation d'être " objective " ou
" scientifique ", alors que d'autres insistent sur la dimension du
jugement. En contraste, quelques unes mettent l'accent sur les potentialités
" participatives " ou " partenariales " de
l'évaluation. Certaines soulignent que l'évaluation doit être
" externe ", alors que d'autres admettent l'évaluation
" interne " et même " l'auto-évaluation ".
Il n'y a pas " une seule bonne réponse " en face
de ces diverses possibilités - chaque définition est taillée en fonction de la
politique, des objectifs et des présupposés culturels de l'auteur institutionnel
concerné. Pour les besoins de ce séminaire, je vais adopter une approche large qui
inclut les études ex-ante, concomitantes et ex-post, et qui permet aussi à
l'évaluation d'avoir pour objet des politiques, des programmes, des institutions, ou
même des groupes d'individus. Je vais donc emprunter à un universitaire allemand une
définition de travail inclusive de l'évaluation :
" Les évaluations (...) ont pour but d'appliquer les
théories, méthodes et techniques des sciences sociales pour porter des jugements
relatifs à l'utilité, l'efficacité et la responsabilité dans les organisations
gouvernementales et non gouvernementales, dans le but de stimuler l'apprentissage
collectif " ().
2.3. Les objets de l'évaluation
Une autre source de variation - souvent négligée dans la
littérature académique - est la nature de l'objet type de l'évaluation.
Evaluer un programme (l'implantation d'industries de pointe dans les zones
défavorisées) est différent d'évaluer une institution particulière (est-ce que
telle école est performante ?), et les deux diffèrent de l'évaluation d'un process
(est-ce que les médecins font de bons diagnostics pour les douleurs abdominales ?).
Et évaluer une politique aux objectifs plus larges (par exemple, aider les
personnes défavorisées à vivre aussi normalement que possible) peut être encore
différent de tout cela. Du point de vue de l'évaluateur, l'objet de l'évaluation peut
avoir une influence significative sur le choix des méthodes, sur le type de relations
qu'il ou elle aura à gérer, ainsi que sur les publics auxquels devra s'adresser le
rapport final. Il me suffit de dire ici que des évaluations de tous ces différents types
sont pratiquées au Royaume-Uni. Certains organismes d'évaluation peuvent être
spécialisés dans l'évaluation de l'un ou l'autre de ces types d'objet, mais plusieurs
ont la volonté et la capacité d'évaluer des objets de différentes natures.
2.4. La configuration institutionnelle au Royaume-Uni
Il n'existe au Royaume-Uni aucune organisation ou autorité centrale et
dominante qui contrôle ou supervise l'ensemble des activités d'évaluation. Il n'y a pas
non plus un groupe de grandes et prestigieuses firmes d'évaluation dotées de moyens
importants telles que le Brookings Institute ou la RAND Corporation aux
Etats-Unis. Il se fait beaucoup d'évaluation, sous des formes très variées, mais elle
n'est pas orchestrée depuis un petit nombre de centres de décision. Une grande partie
est centrée sur un secteur particulier, bien que l'une des tendances les plus
intéressantes des cinq années passées ait été un développement des échanges
d'expériences entre secteurs (cross-sectoral learning) (la création de la
Société britannique d'évaluation en est l'un des symptômes).
Cela n'est pas du tout pour nier que l'évaluation a sa place dans les
institutions centrales au coeur de l'exécutif. L'initiative la plus spectaculaire a
probablement été le Central Policy Review Staff, créé par le Premier
Ministre Heath en 1970 et supprimé par le Premier Ministre Thatcher en 1983 ().
Depuis 1983 les Premiers ministres conservent leurs propres équipes d'analyse des
politiques au n° 10 Downing Street ; celles-ci mènent souvent dans des délais
brefs des évaluations de politiques publiques dans une perspective fortement politisée.
Les unités qui travaillent au sein du Cabinet Office conduisent aussi parfois des
examen de politiques (policy review) qui méritent d'être appelés évaluation.
Toutefois, ce genre d'activité de haut niveau est largement soustrait à l'examen du
public, et a tendance a s'adapter aux modes politiques, et en particulier aux
préférences du Premier ministre et du Gouvernement ().
Dans le secteur public, de temps en temps, le Trésor publie un guide
de l'évaluation. Ceci est spécialement important pour les organismes publics qui veulent
mener des évaluations à caractère économique (ils doivent généralement se conformer
à l'approche recommandée par le Trésor) mais le " Livre vert " (c'est le nom
du guide) peut très bien rester totalement inconnu des autres évaluateurs, même au sein
du gouvernement central.
De plus comme nous le dirons sans doute d'autres
contributeurs à ce séminaire des unités appartenant à certains ministères
(spécialement la santé, l'éducation et l'emploi, et la coopération) jouent un rôle
majeur en tant que commanditaires et pilotes de l'évaluation dans leurs domaines. Ils
sont au centre de réseaux complexes auxquels participent aussi bien des professionnels
que des universitaires, définissent des priorités sectorielles et, dans certains cas,
des " styles sectoriels " de pratique évaluative, et lancent
également des appels d'offres pour les évaluations qu'ils financent.
Il faut également mentionner le National Audit Office et
l'Audit Commission. Ces deux organismes conduisent d'importants programmes d'audits de
performance, dont au moins quelques uns entrent dans la définition de l'évaluation que
j'ai proposée il y a quelques instants (). Le NAO réalise environ
50 analyses d'efficience (value for money studies) chaque année pour le compte du
Parlement (). LAudit Commission publie chaque année un plus
petit nombre d'études spéciales sur les gouvernements locaux et le National Health
Service ().
Par ailleurs, de manière partiellement ou totalement indépendante de
l'Etat central, beaucoup d'autres évaluations sont réalisées. De nombreuses autorités
locales possèdent leurs propres unités d'analyse des politiques et d'évaluation.
Certaines professions, spécialement la profession médicale et les enseignants, ont une
longue tradition d'évaluation de leurs propres pratiques, et les institutions
professionnelles concernées continuent d'encourager ce genre de travail, parfois en
concertation avec les départements ministériels, parfois de leur propre initiative ().
Par exemple, depuis 1989, l'audit médical des médecins hospitaliers et des
généralistes est exigé, et le collège des médecins a produit une somme importante de
conseils à l'intention de ses membres sur ce sujet. Au cours des cinq ou six dernières
années, le Gouvernement et la profession ont joint leurs efforts pour promouvoir une
conception de la pratique médicale fondée sur l'observation (a philosophy of
" evidence-based medecine "). Dans le domaine éducatif,
l'auto-évaluation des établissements scolaires a été très à la mode pendant quelque
temps au cours des années 80, et des études d'efficacité à plus grande échelle
ont continué à être menées avec des hauts et des bas depuis les années 70. Il
existe un vaste réseau d'évaluateurs dans le domaine de l'éducation, basé
principalement dans les universités et les instituts. Un développement notable au cours
de la dernière décennie a été l'intérêt croissant pour l'évaluation du milieu
professionnel des travailleurs sociaux.
Une grande variété de modèles et d'approches est utilisée dans ces
travaux. A une extrémité du spectre se trouve l'expérimentation clinique randomisée en
médecine - scientifique, quantitative, orientées vers l'identification des effets
et la mesure de l'efficacité. Des protocoles expérimentaux ou quasi-expérimentaux
peuvent également se rencontrer dans d'autres domaines - les programmes d'aide à la
création d'emplois, par exemple, ou dans le domaine de la prévention du crime ().
A l'autre extrémité du spectre, typiquement dans le champ de l'éducation, de la
formation permanente et de la garde des enfants, des groupes locaux et des institutions
pratiquent des formes d'auto-évaluation très participatives, principalement centrées
sur l'amélioration des processus, ou le développement des personnes ou des équipes.
L'éducation, l'apprentissage et l'emploi sont des domaines particulièrement
intéressants, parce qu'ils fournissent des objets qui se prêtent à la fois à la
recherche quantitative " dure " (hard edged) et à des
approches participatives et " développementales ".
2.5. L'évaluation et la Nouvelle gestion publique (New Public
Management, NPM)
L'évaluation est quelquefois considérée comme une simple composante
de la Nouvelle gestion publique. Dans cette perspective, l'évaluation est une phase d'un
processus cyclique de management rationnel (" planifier, réaliser,
examiner " comme le dit une célèbre maxime managériale). Il ne fait aucun
doute que, dans un certain nombre de pays - et tout particulièrement au Royaume-Uni,
les réformes de la gestion publique ont fait porter une attention plus soutenue à la
fixation des objectifs, l'amélioration du suivi des performances et l'évaluation
régulière (). L'un des motifs de ces changements est le resserrement des
budgets et le besoin subséquent d'afficher des " résultats ". Qui
plus est, quelques uns des systèmes les plus populaires pour améliorer la qualité et la
sensibilité aux besoins des usagers des services publics formulent la nécessité
d'analyser en détail les processus existants comme base d'une " amélioration
continue " (Total Quality Management, benchmarking, re-engineering) ().
Il en résulte que la pression continue en faveur des réformes de la
gestion publique a certainement aidé à promouvoir l'évaluation. De fait, au cours des
années 80, on peut observer que de plus en plus d'évaluations ont revêtu un caractère
managérial. Parallèlement, les firmes de conseil en management ont commencé à jouer un
rôle plus important dans les évaluations commanditées par le Gouvernement. Il est assez
intéressant d'observer que, bien que le NPM mette en avant la nécessité d'évaluer
comme faisant partie intégrante d'une bonne gestion, les réformes de la gestion publique
elles-mêmes ont souvent (et dans de nombreux pays) échappé à l'évaluation
systématique.
Ce serait pourtant une erreur que d'associer de manière trop exclusive
le récent développement de l'évaluation à la tendance
" managériale ". Comme on l'a indiqué plus haut, l'évaluation au
Royaume-Uni repose sur plusieurs types d'initiatives et revêt de nombreuses formes (en
fait, il ne serait pas trop hasardeux de considérer quelques uns des développements
intra-professionnels en matière d'évaluation comme des tentatives calculées de la part
des professionnels concernés pour prévenir le risque de se voir imposer des évaluations
de style managérial par le Gouvernement ou d'autres organismes financeurs). L'évaluation
a été influencée de manière significative par le NPM, mais elle a aussi sa propre
existence en dehors de l'idéologie managériale.
2.6. Remarques conclusives
Selon le tableau que j'ai essayé de brosser, les institutions
centrales du Gouvernement ne pilotent d'aucune manière l'évaluation au Royaume-Uni, bien
que leur influence soit importante. Il existe de nombreux centres d'expertise
indépendants, quoique probablement aucun dont la taille, les ressources et le
savoir-faire puisse rivaliser avec les institutions et corporations américaines les plus
renommées. La plupart des évaluations ont lieu au sein de réseaux sectoriels, bien que
les échéances d'expériences entre les secteurs paraissent se multiplier. Une grande
variété d'objets, d'approches et de méthodes coexistent.
Si cette description est acceptée comme approximativement exacte, nous
pouvons revenir à la question implicitement posée par la
" provocation " d'ouverture. Est-ce que les configurations
institutionnelles et le cadre culturel de l'évaluation sont, en France, semblables, ou
différents, de ce que l'on observe au Royaume-Uni ? Et s'ils sont différents,
quelles sont les causes sous-jacentes des caractéristiques spécifiques de l'évaluation
dans chacun des deux pays ?
3.- Le contrôle du bon usage des fonds public par le National
Audit Office
Sous sa forme et avec sa dénomination actuelle, le National Audit
Office a été créé en 1983 par le National Audit Act, avec pour
mission de renforcer le contrôle parlementaire sur l'utilisation des fonds publics.
Avant cette réforme, linstitution supérieure de contrôle (the
Exchequer and Audit Department) avait une activité centrée sur
laudit financier et le contrôle de régularité. Le NAO a un mandat clair pour
examiner lactivité des départements ministériels et des organismes publics sous
langle de léconomie, de lefficience et de lefficacité. Chaque
année, le NAO transmet 50 rapports de type Value for money au Parlement britannique.
Extrait de l'intervention de David Goldsworthy
National Audit Office
3.1. Les différents types d'examen de type Value for money
" Ce que fait le National Audit Office sous le
label value for money peut être rangé dans la classification suivante :
Les audits de performance - Typiquement, ils
examinent si une organisation, ou un aspect d'une organisation, fonctionne ou non de
manière efficiente. Les études de cette catégorie s'efforcent de fournir au Parlement
la garantie que l'organisation travaille de manière appropriée. De telles études
évaluent dans quelle mesure une organisation respecte ses propres règles ou se conforme
à un modèle de bonne gestion. Ils peuvent faire des recommandations en vue de
l'amélioration des procédures. Par exemple, une récente étude sur les opérations de
rénovation de la Corporation de développement Urbain de Leeds et Bristol a examiné
comment ces structures géraient la rénovation et fait des recommandations pour aider de
futures structures du même type à mener à bien une rénovation dans de meilleures
conditions ;
Les examens spéciaux - Ce sont des études plus
courtes destinées à analyser un dysfonctionnement particulier dans un système. Parfois,
une telle étude permet d'identifier un problème qui pourrait survenir dans d'autres
circonstances. Par exemple, une étude sur la construction de la New British Library a
mis en évidence des dépassements massifs de coûts et de délais causés par un
contrôle de gestion insuffisant ;
Les évaluations de programme - Ces opérations
cherchent à apprécier dans quelle mesure une organisation ou un programme atteint ses
objectifs. Parfois, de telles études prennent en compte la question du rapport
coût/efficacité et, quand les objectifs sont mal définis, elles aident à les
clarifier. Par exemple, l'évaluation du programme d'entretien des ponts de l'agence des
autoroutes a cherché à savoir si un programme national de maintenance des ponts
améliorait l'état des ponts, et si le programme était géré de manière
efficiente.
3.2. Value for money et évaluation
Une partie de la difficulté de comparer les études value for money
et l'évaluation réside dans l'élasticité des deux concepts. La courte littérature
sur ce sujet tend à établir de fausses dichotomies et de faux contrastes, comparant,
selon les préjugés des auteurs, des versions idéalisées de l'un avec les versions
opérationnelles de l'autre. Dans un tel scénario, les études value for money apparaissent
limitées parce qu'elles ne parviennent pas à fournir une mesure rigoureuse, sur une base
expérimentale, de l'efficacité d'un programme, et, d'un autre côté, les évaluations
formatives réalisées en interne ne répondent pas aux besoins des décideurs parce
qu'elles n'évaluent pas bien les coûts. En pratique, peu d'études traitent de tous les
aspects d'un programme et beaucoup de ce que l'on appelle évaluation est identique à ce
que l'on appelle value for money. Si l'évaluation est un terme valise englobant
toutes les formes d'examen qui cherchent à informer les décideurs au sujet de la raison
d'être ou de la valeur d'un projet, d'un programme, d'une politique ou d'un produit,
alors les études value for money constituent un sous-ensemble de
l'évaluation. Toutefois, ce sous-ensemble présente des caractéristiques spécifiques,
en relation avec le contexte dans lequel le National Audit Office intervient, la
manière dont il a cherché à remplir son mandat et le profil des compétences (the skill
mix) de son personnel ".
4.- L'évaluation des politiques et des pratiques dans le secteur
sanitaire et social
La responsabilité de l'évaluation dans le domaine sanitaire et
social incombe principalement au Ministère de la Santé, bien que d'autres acteurs
interviennent également (organismes de recherche, universités, fondations, etc.).
L'évaluation repose sur plusieurs types d'outils : les informations d'origine
managériale ou politique (management and political feedback), les suivis
statistiques, le suivi financier, les inspections et la recherche évaluative.
Extraits de l'intervention de Jenny Griffin,
Head of Policy Research Programme
Department of Health, London
4.1. Une exigence croissante d'évaluation
" Les départements ministériels sont soumis à de fortes
pressions pour évaluer leurs politiques, y compris des pressions du Trésor pour faire la
preuve de leur efficience (value for money and cost effectiveness), ainsi
qu'à une exigence croissante de la part du public pour que les décisions
gouvernementales, par exemple dans le domaine de la qualité de l'air, soient fondées sur
de solides évaluations scientifiques.
En Angleterre, tous les ministères dépensiers ont d'importants
programmes d'évaluation en cours de réalisation, et c'est aussi le cas pour le
Département de la Santé. Le programme d'évaluation du département de la santé couvre
l'ensemble du domaine de compétence du Secrétariat d'Etat à la santé [exercer la
tutelle du National Health Service, protéger et promouvoir globalement la santé de la
population, définir la stratégie et les politiques en matière de services sociaux (social
care services)]. Actuellement, les évaluations en cours sont les suivantes :
des projets de recherche évaluative relatifs au Children
act (qui organise les soins pour les enfants en difficulté ou à risque) ;
le Community Care Act (qui définit le cadre
législatif du soutien social aux personnes âgées fragiles et aux personnes
dépendantes) ;
le Mental Health act (qui organise les services de
soin médical et de soutien pour les malades mentaux) ;
la nouvelle stratégie d'organisation des services de
cancérologie ;
toutes les initiatives prises pour renforcer les soins
primaires en Angleterre ;
les stratégies de gestion des ressources humaines au sein
du NHS et des services sociaux ;
la stratégie dite " Santé de la nation ", dans
le champ de la santé publique. "
4.2. L'organisation de la recherche évaluative
" La demande de recherche évaluative des Ministres de la
santé est importante. Ils considèrent que l'évaluation scientifiquement robuste va dans
leur propre intérêt. Les hauts fonctionnaires font des offres de financement de
recherche pour des évaluations qui correspondent à leurs exigences et à celles du
Ministre. Les priorités du programme de recherche sur les politiques, qui inclut
l'évaluation, sont fixées en tenant compte des critères suivants :
les priorités ministérielles et l'adéquation aux
objectifs du département de la Santé ;
l'ampleur et l'importance du problème en terme d'impact
présent ou potentiel sur l'état de santé ou les conditions de vie sociale ;
la définition d'une stratégie précise pour introduire
les résultats de la recherche dans l'activité politique courante ou la formulation d'une
politique future ;
les délais envisagés ;
la faisabilité de la recherche ;
le retour d'investissement attendu de la recherche ;
la contribution possible d'autres budgets de recherche, par
exemple ceux d'organisations publiques non rattachées au ministère comme le Laboratoire
de la santé publique (Public Health Laboratory Service).
Un Comité de recherche ministériel, composé de hauts fonctionnaires
et de ministres fixe des priorités en utilisant ces critères. (...). Les cahiers des
charges [de la recherche évaluative] sont rédigés en étroite collaboration avec les
fonctionnaires en charge de politiques particulières, qui seront les utilisateurs de
l'évaluation. Le choix des contractants se fait sur la base d'un appel d'offres
concurrentiel et d'un examen par les pairs, et les comités d'appel d'offres sont souvent
constitués de membres de l'administration, des services et d'universitaires. Il est vital
que l'évaluation par un département ministériel soit considérée comme aussi ouverte
et indépendante que possible. Toutes les évaluations sont confiées à des organismes de
recherche universitaires (academic institutions). Aucune étude n'est réalisée en
interne ".
5.- L'évaluation dans le domaine de l'éducation
Le système éducatif britannique fait désormais l'objet dun
ensemble très complet de procédures dévaluation. Les évaluations dites "
systémiques ", les plus nombreuses et les plus importantes, sont réalisées par des
corps d'inspection coordonnés par l'Office for Standards in Education, dont les
pratiques du Further Education Funding Council (cf. ci-dessous) fournissent un
bon exemple. En outre, des activités ou projets pédagogiques particuliers qui
bénéficient du mécanisme dit Categorical funding mechanism font l'objet
dévaluations particulières, soit "horizontales" (concernant un ensemble
de projets du même type), soit "verticales" (évaluation dun seul
projet). Pour Murray Saunders, qui intervient en tant quévaluateur dans le cadre du
categorical Funding, le développement des procédures dévaluation peut
être vu comme la manifestation dune perte de confiance dans lexpertise des
professionnels de léducation.
5.1. L'évaluation et la crise de " l'autorité
professionnelle "
Murray Saunder,
Directeur du Centre for the Study of Education and training
Head of the Department of Educationnal Research
Lancaster University
" La croissance de l'activité d'évaluation dans le domaine
de l'éducation peut être vue comme participant d'une tendance plus générale à la
responsabilisation sur une base plus ouverte et plus objective (assertive) ainsi
qu'au contrôle de la manière dont les ressources sociales sont utilisées. Il est
intéressant de remarquer que cela reflète un changement dans l'équilibre du pouvoir au
détriment des détenteurs de l'expertise technique au profit de ceux qui contrôlent et
utilisent les ressources. Ce processus pourrait être qualifié d'hégémonie
consumériste, dans la mesure où les utilisateurs et les commanditaires se sont vu
reconnaître un droit de contrôle légitime plus étendu sur la qualité et la
spécification de l'expertise. D'où le fait que les utilisateurs attendent désormais
davantage de leurs droits légitimes et de leur pouvoir d'intervention dans un domaine qui
était autrefois considéré comme réservé à la décision fondée sur l'expertise.
Jusqu'ici, les "experts" ont bénéficié d'une sorte
d'immunité (behavioural immunity), qui s'exprime par un degré important
d'autonomie, justifiée (et acceptée par le public et les décideurs politiques) par la
conscience de leur "autorité professionnelle". Pour l'essentiel, cela équivaut
à un contrat implicite entre le commanditaire, l'usager, le client, etc., et l'expert. On
leur fait confiance pour fournir des résultats globalement acceptables, fondés sur
l'expertise, sans avoir besoin d'une régulation ou évaluation externe. Le concept de
"professionnel" dont on fait ici usage se réfère à un ensemble de valeurs
qui, en effet, équivalent à un contrat. Si un individu est considéré comme un
professionnel, cela signifie qu'il a intériorisé un ensemble de valeurs incluant des
principes de conduite qui lui confèrent une capacité d'autorégulation.
Les choses ont changé. L'évaluation est de plus en plus une activité
procéduralisée (a designated activity), menée par un nombre croissant
d'individus et d'organismes. Elle participe d'une crise générale de la légitimité de
l'expertise, particulièrement prononcée dans le contexte éducatif britannique. Il s'est
produit une rupture dans le contrat tacite qui caractérisait les rapports de
lutilisateur et de lexpert. Les attentes du premier navaient pas
dautres fondements que les valeurs collectives incorporées à lidée
dexpert professionnel. Lévaluation et la responsabilisation par des
vérificateurs externes participent dun nouveau fondement de la légitimité,
essentiellement coercitive et scientiste, cest-à-dire fondée sur des critères
quasi-objectifs, sur la démonstration et les résultats davantage que sur la confiance.
Une fois que la confiance dans le professionnel saffaiblit, quel autre moyen peut-on
mettre en oeuvre pour réguler la qualité dun service ou dune expertise que
la vérification " objective " ?
5.2. L'inspection au Further Education Funding Council
Le Further Education Funding Council a été crée en 1992. Il est
responsable de la répartition des fonds dEtat (3 milliards de livres par an)
et de la qualité de lenseignement pour lensemble du secteur de la Further
Education, qui comprend 450 collèges de secteur (établissements publics) qui
dispensent un enseignement qui va des dernières années de lenseignement de base
(secondaire) à lenseignement supérieur et professionnel. Ils reçoivent
environ 4 millions délèves chaque année, soit 68% de la population
scolarisée de 16 ans et plus. Le Council emploie 74 inspecteurs.
Extrait de l'intervention de Mark Griffiths
The Further Education Funding Council.
1. Les principes de l'inspection
" Les principes suivants guident toute l'activité
d'inspection :
les inspections sont planifiées en concertation avec le
collège et tiennent compte de son organisation ;
les objectifs et critères de succès que se donne
lui-même le collège, ainsi que le rapport établi en interne sur la qualité de
l'enseignement, sont pris en compte pour établir le contexte de l'évaluation ;
le processus d'inspection inclut l'observation directe de
l'enseignement, la confrontation des performances du collège aux engagements pris dans sa
charte et l'évaluation de la stratégie du collège pour contrôler et améliorer sa
prestation.
2. Qualité et Standards
Le travail de l'inspection repose sur des jugements sur la qualité et
les standards. Les standards concernent prioritairement le niveau scolaire attendu et
effectivement atteint par les étudiants, ils peuvent être évalués en fonction des
points suivants :
l'étendue et le niveau d'approfondissement de
l'enseignement, tel qu'ils ressortent des documents de cours ;
les connaissances attendues des étudiants et les
compétences impliquées par les épreuves d'évaluation et questions d'examen ;
les réponses des étudiants aux examens et autres formes
d'évaluation ;
la rigueur manifestée dans la notation des épreuves
d'examen et autres évaluations ;
le contrôle de la notation par des procédures internes et
externes.
Le concept de standard est relativement strict : atteindre des
standards élevés et un objectif ; atteindre des standards minimaux est une
obligation ; les standards sont mesurables et vérifiables et il est légitime de comparer
directement les standards atteints par des établissements menant aux mêmes
qualifications.
La qualité est interprétée en termes d'expérience des étudiants et
peut être évaluée en fonction des points suivants :
les compétences manifestées dans le management des
tâches éducatives et d'enseignement ;
le degré de réponse aux besoins des étudiants ;
le soin avec lequel les étudiants sont orientés vers des
filières dans lesquelles ils ont des chances de réussir ;
les conseils et le soutien intellectuel et éducatif fourni
aux étudiants ;
les compétences académiques et pédagogiques manifestées
par les professeurs ;
l'adéquation de l'environnement aux objectifs
d'enseignement ;
la diversité et le caractère approprié des ressources
matérielles utilisées dans l'enseignement.
La qualité est plus floue que les standards ; atteindre une bonne
qualité est une aspiration ; la qualité, quoique non mesurable, peut être soumise
à un jugement professionnel et les comparaisons de qualité entre les institutions
doivent tenir compte des différences dans les missions et les valeurs ".
6. L'évaluation au Ministère de l'intérieur (Home
Office)
Le Home Office est responsable de la justice criminelle, de
la police, de la prévention du crime, de la prévention de la toxicomanie, des prisons,
de la liberté surveillée, de l'immigration et des naturalisations. Lévaluation
dans les domaines considérés est le fait d'acteurs diversifiés, au sein de
l'administration (corps d'inspection, direction en charge de la recherche et des
statistiques, cellule de réflexion stratégique qui choisit et renseigne des indicateurs
de performance pour la Police), et à l'extérieur (Audit commission, National
Audit Office, Universités).
Extrait de l'intervention de Nick Tilley
Crime and Social Research Unit
The Nottingham Trent University, Nottingham
Les fonctions de l'évaluation :
" Les différentes formes de l'activité évaluative ont des
fonctions diverses et complémentaires :
Contrôle : L'adage qui dit que "ce qui
est compté compte " (what gets counted counts) a quelque validité. Il ne
fait aucun doute que la fixation d'objectifs nationaux par le ministère de l'intérieur
et la mise en place d'indicateurs de performance pour en mesurer l'atteinte ont eu un
impact significatif sur les performances de la police. Le choix d'une batterie
d'indicateurs est un moyen de définir des priorités. En matière de police, par exemple,
l'utilisation d'un indicateur de récurrence des agressions a réussi à faire porter
l'attention des services sur cet enjeu. Les aspects de la performance qui ne sont pas pris
en compte par les indicateurs risquent d'être négligés ;
Mettre en oeuvre la responsabilité : l'utilisation
de sommes importantes d'argent public requiert des mécanismes de responsabilité (accountability).
Laudit de l'activité des services du ministère de l'intérieur et des
organismes bénéficiaires de subventions répond pour partie au besoin de contrôler les
irrégularités. L'audit contribue également à l'évaluation de l'efficience et de
l'efficacité des services fournis ;
Identifier et diffuser les bonnes pratiques, et
s'assurer de pratiques satisfaisantes : l'inspection de routine permet
d'identifier de "bonnes" (et de "mauvaises") pratiques, et de donner
des directives aux fournisseurs de service pour qu'ils emploient des moyens plus adaptés
en vue d'atteindre leurs objectifs ;
Informer ceux qui conçoivent les politiques et
répartissent les crédits : les efforts réalisés par la Direction des
statistiques et de la recherche pour produire des évaluations approfondies et rigoureuses
des politiques et de programmes permettent d'identifier les types d'action efficaces. Il
sagit de préparer les décisions concernant les politiques ou les programmes qui
ont un enjeu financier important ;
Tirer des enseignements des innovations : le
système de justice criminelle doit faire face à d'épineux problèmes de pratique et de
fourniture de service. Le besoin existe de capitaliser au niveau national les
enseignements tirés des innovations locales, qu'il s'agisse de projets spéciaux ou de
modifications apportées aux schémas habituels de fonctionnement des services. Une partie
du travail de la Direction des statistiques et de la recherche (notamment à travers
l'Unité de développement de programmes) est consacrée à cette tâche, en particulier
pour ce qui concerne la réduction de la criminalité. La plus grande partie du
travail d 'évaluation du groupe de recherche sur la police y est consacrée, dans le
cadre du programme à long terme Police Operations Against Crime. Une grande
partie de l'évaluation interne aux services de police et de liberté surveillée a pour
but l'amélioration des pratiques ;
Evaluations critiques de modèles de pratique : la
plus grande partie du travail d'évaluation conduit en interne fait l'objet d'une
publication et ceci permet l'exercice d'une certaine forme de responsabilité vis-à-vis
du public. Cependant, si cette évaluation est menée par les services du ministère ou
financée par lui (ou par toute autre agence gouvernementale), le risque existe qu'elle ne
soit pas perçue comme tout à fait indépendante. Les études d'évaluation réalisées
par les universités ou d'autres organismes de recherche indépendants (tels que le Policy
Studies Institute ou la Police Foundation) et financées par le Conseil pour
la recherche économique et sociale ou des fondations philanthropiques peuvent répondre
au besoin d'une évaluation encore moins suspecte de partialité".
7.- L'évaluation dans le domaine de la sécurité sociale
En matière de Sécurité sociale, tous les nouveaux programmes de
dépense font l'objet dune évaluation ex-ante. Chaque évaluation est
réalisée sous la responsabilité des fonctionnaires chargés délaborer et de
mettre en oeuvre la politique. Pour les programmes importants, lévaluation
sintègre dans une procédure de management de projet. Dans tous les cas, le projet
dévaluation est soumis au Trésor. Le recours à la technique de lappel
doffres pour sélectionner les équipes de recherche est systématique.
Léquipe de projet comprend un " research laison officer " qui
joue le rôle médiateur entre les équipes de recherche et leurs clients. Du point de vue
méthodologique, les évaluations reposent de plus en plus fréquemment sur la
réalisation dune étude pilote, qui nécessite la mise en oeuvre expérimentale du
programme par un sous-ensemble de ses cibles potentielles. Pour autant, la réalisation
dune évaluation suivant un véritable protocole expérimental se heurte à
dimportantes difficultés et demeure exceptionnelle.
7.1. L'éthique et les méthodes de la recherche
évaluative
Extrait de l'intervention de Peter Craig
Social research branch, Departement of Social Security
" La recherche évaluative au Département de la Sécurité
sociale utilise les méthodes de recherche habituelles (mainstream). La plupart des
évaluations, quelle que soit leur importance, reposent sur une combinaison d'enquête à
grande échelle (postales, par téléphone ou par entretien) et de recherche qualitative
à plus petite échelle, s'appuyant quelquefois sur l'analyse secondaire d'études
existantes ou de données administratives. Les échantillons sont souvent tirés des
fichiers de bénéficiaires, dont l'utilisation pour la recherche est prévue dans les
Social Security Acts. En pratique, les contraintes imposées à la diffusion de
l'information sont plus étroites que celles requises par la loi. La participation des
individus aux enquêtes, que l'échantillon soit ou non tiré à partir d'un fichier de
bénéficiaires, est fondée sur le principe du consentement éclairé. Dans le cas d'une
enquête par entretien avec un échantillon tiré des fichiers de bénéficiaires, par
exemple, les futurs éventuels enquêtés reçoivent une lettre d'information qui explique
le but de la recherche et l'identité du commanditaire, fournit des assurances de
confidentialité, et leur laisse la possibilité de refuser l'entretien avant de recevoir
la visite de l'enquêteur.
L'évaluation ayant à mesurer l'impact net d'une politique au bout
d'un certain temps de mise en oeuvre, une seule interrogation (a cross section survey) d'une
population cible est rarement adaptée. Les évaluations de grande ampleur nécessitent
une série d'interrogations étalées sur plusieurs années pour établir une base de
comparaison à partir de laquelle on peut ensuite observer les effets de la politique au
cours du temps. L'évaluation du 1995 Pension Act, par exemple, qui a introduit un
ensemble de modifications dans les pensions de retraite versées à divers titres (state,
occupationnal and personal pensions), a nécessité une série d'enquêtes auprès des
employeurs entre 1994 et 1998, des recherches qualitatives auprès des administrateurs des
organismes de retraite, des bénéficiaires et des professionnels impliqués dans le
contentieux les demandes de renseignements, ainsi que des enquêtes auprès des femmes et
des avocats concernés par la question des pensions de divorce. La recherche menée pour
l'évaluation du programme Jobseekers Allowance a nécessité des enquêtes
auprès de deux cohortes de demandeurs d'emploi, l'une tirée avant et l'autre après la
modification du dispositif. Chaque cohorte est interrogée deux fois à six mois
d'intervalle, de sorte que l'on peut comparer les effets des régimes pré et post JSA pour
des paramètres tels que la sortie du chômage ".
7.2. Le champ d'application des protocoles expérimentaux
Extrait de l'intervention de Robert Walker
Center for research in Social Policy
Loughborough-University
" Le champ d'application possible de l'expérimentation pour
la réalisation d'études pilotes dans le domaine des politiques de Sécurité sociale est
sévèrement limité. Non seulement les protocoles expérimentaux sont très difficiles à
mettre en oeuvre, mais les chances sont minces de les voir répondre aux besoins
d'évaluation qui apparaissent lors du développement de nouvelles politiques.
On peut attendre de l'expérimentation qu'elle fournisse des résultats
clairs seulement dans les situations où la politique est soit évidemment efficace, soit
un irrémédiable désastre. Même dans ces cas, les résultats peuvent très bien être
ambigus si l'environnement de la politique est complexe ou susceptible d'être affecté
par des changement exogènes, tels qu'une augmentation ou une chute de la demande finale.
Qui plus est, lorsqu'il y a un besoin d'évaluer des effets de système (system-wide
effects) ou des effets au niveau du comportement individuel, l'expérimentation n'a
pas grand chose à offrir. De plus, il n'est pas sûr que les résultats d'une étude
coût/bénéfice - que l'expérimentation seule permet - puissent être
agrégés au niveau national avec un degré de fiabilité suffisant. Si l'on ajoute à
cela que l'expérimentation est coûteuse et longue, il devient très difficile de
recommander que l'évaluation devienne un outil d'usage fréquent pour développer la
politique de Sécurité sociale.
Ceci ne conduit pas nécessairement à dire qu'il est impossible de
mener des études pilotes avant la mise en oeuvre généralisée d'une politique.
Toutefois, la réalisation d'études pilotes sera toujours difficile, il est peu
vraisemblable que les résultats seront définitifs et le risque inhérent à la décision
politique demeurera.
Par ailleurs, il n'est pas du tout certain que les études pilotes
doivent prendre la forme de protocole expérimentaux ou quasi-expérimentaux (qui se
heurtent à beaucoup des problèmes rencontrés dans l'expérimentation véritable). Il
est difficile de justifier le coût supplémentaire de l'expérimentation comparée à
d'autres approches. Dans bien des circonstances, il est vraisemblable que les protocoles
avec un seul groupe (N.D.T. : sans groupe témoin), tels que pratiqués dans les
études pilotes administratives, peuvent suffire pour produire l'information nécessaire
à l'évaluation prospective de la politique, à savoir répondre à des questions telles
que : "avec quel effet apparent ?" et "à quel coût
unitaire?". De plus, la compréhension peut être améliorée par le recours à une
forme ou l'autre d'évaluation " naturaliste "(realistic).
Il se peut que les études pilotes, quel que soit leur type, doivent
être considérées seulement comme une option de dernier recours. Il faut d'abord mettre
à contribution les recherches existantes pour aider à la formulation des objectifs de la
politique et pour développer des modèles relatifs à la manière dont une politique
particulière pourrait fonctionner. Ces modèles pourraient être testés en utilisant des
techniques pluralistes incluant le dialogue avec les responsables, les bénéficiaires
potentiels et les autres acteurs de la politique. Ces modèles, convenablement
spécifiés, pourraient alors être utilisés pour élaborer des modèles économétriques
qui pourraient être utilisés pour tester des variantes de la politique et mener des
analyses coût/bénéfice au niveau global. C'est seulement si des incertitudes
significatives demeurent à ce stade qu'il convient d'envisager une étude pilote. Et
même dans ce cas, on pourrait bien trouver des arguments pour de nouvelles recherches
fondées sur des méthodologies pluraliste ou naturaliste. La rapidité, le coût et le
besoin de comprendre peuvent contrebalancer l'espoir d'une mesure précise des résultats
".
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