SOMMAIRE DES COMPTES RENDUS D'AUDITIONS
DU 27 JANVIER 1999 AU 9 FEVRIER 1999

__ M. Bernard PREVOST, directeur général à la direction générale de la gendarmerie nationale et le lieutenant-colonel  ROBIQUET (mercredi 27 janvier 1999).

__ M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, ministre de l'Intérieur (mercredi 27 janvier 1999).

__ M. Jean-Marie DELARUE, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'Intérieur (mardi 2 février 1999).

__ M. Michel SOUDAIS, journaliste à Politis (mercredi 3 février 1999).

__ M. Michaël DARMON, journaliste à France 2 et M. Romain ROSSO, journaliste à l'Express (mercredi 3 février 1999).

__ M. Alain CALLES, président et M. Mouloud AOUNIT, secrétaire général du Mouvement contre le Racisme et l'Amitié entre les Peuples (M.R.A.P) (mercredi 3 février 1999).

__ M. Didier CULTIAUX, directeur général de la police nationale (mardi 9 février 1999).

    Audition de M. Bernard PRÉVOST,

    directeur général de la gendarmerie nationale et le lieutenant-colonnel ROBIQUET

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 27 janvier 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Bernard Prévost est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Bernard Prévost prête serment.

M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de me recevoir.

    Je rappellerai, dans un premier temps, les divers textes applicables aux services d'ordre et de sécurité.

    Je citerai d'abord la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées qui autorise la dissolution par décret en conseil des ministres des associations considérées comme portant atteinte à l'ordre public et à la démocratie. Cette sanction de nature administrative est complétée par différents articles du code pénal, notamment les articles 431-15, 431-17 et 431-18 qui incriminent et sanctionnent la participation au maintien ou à la reconstitution d'un mouvement dissous en application de la loi de 1936 précitée.

    Par ailleurs, une innovation importante a été introduite dans notre droit, en créant une incrimination spécifique pour une catégorie particulière de mouvements, mentionnée par la loi de 1936. Ainsi, le seul fait d'organiser un groupe de combat ou d'y participer est pénalement sanctionné, même si ce mouvement n'a pas été dissous au préalable. Pour mettre en _uvre cette nouvelle incrimination, le code pénal définit la notion de groupe de combat comme « tout groupement de personnes détenant ou ayant accès à des armes, doté d'une organisation hiérarchisée et susceptible de troubler l'ordre public ».

    En outre, les membres de services d'ordre ou de sécurité peuvent se rendre coupables d'usurpation de fonctions ou de signes réservés à l'autorité publique, respectivement incriminée et punie par différents articles du code pénal.

    Plus récemment, la loi d'orientation et de programmation n°95-73 du 21 janvier 1995, relative à la sécurité, appréhende, en ses articles 12 et 23, ces mêmes organisations, mais sous des angles différents. Les décrets d'application de l'article 12 sur le gardiennage ou la surveillance d'immeubles et de l'article 23 sur la mise en place de services d'ordre par les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif obligent les responsables, sous peine de contravention de 5ème classe, à faire assurer le gardiennage ou la surveillance d'une part, le service d'ordre de l'autre.

    Si l'évolution législative, guidée par un souci sécuritaire, affirme la nécessité d'avoir recours à des organisations privées de surveillance et de service d'ordre, elle va également dans le sens d'un encadrement étroit de celles-ci, comme en témoigne l'avant-projet de loi modifiant la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités de surveillance, de gardiennage, de transport de fonds et relative aux agences de recherches privées. Ce texte prévoit notamment de faire de la protection des personnes une activité exclusive de tout autre.

    Je traiterai, dans un deuxième temps des dispositions législatives susceptibles de s'appliquer au DPS, si les faits et les allégations ayant donné lieu à la création de cette Commission d'enquête étaient vérifiés par ses investigations approfondies.

    En premier lieu, la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées autoriserait la dissolution du DPS par décret en conseil des ministres, puisqu'il porterait atteinte à l'ordre public et à la démocratie pour l'un ou plusieurs motifs légaux suivants : la provocation de manifestations armées dans la rue ; la présentation par la forme et l'organisation militaire du caractère de groupe de combat ou de milice privée ; la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; la propagation d'idées ou de théories tendant à justifier ou à encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence.

    Si, malgré cette dissolution envisageable, des membres du DPS participaient au maintien ou à la reconstitution de ce service d'ordre, les articles du code pénal 431-15, 431-17 et 431-18 s'appliqueraient dans toute leur rigueur, les peines prévues en la matière s'échelonnant de 3 à 7 ans d'emprisonnement et de 300 000 francs à 700 000 francs d'amende.

    Par ailleurs, en l'absence même de dissolution du DPS, ses membres pourraient se voir pénalement sanctionnés pour le seul fait d'organiser un groupe de combat ou d'y participer. En effet, si les faits avancés se trouvaient vérifiés, le DPS répondrait à la définition du groupe de combat.

    Sans se livrer à une exégèse des dispositions législatives précitées, il convient toutefois de reconnaître que leur maniement est délicat. Les propos du rapporteur du projet de loi réformant les dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique, selon lesquels le nouveau dispositif pénal n'a pas pour objet de pénaliser le service d'ordre d'un parti politique, méritent d'être pris en compte.

    J'en arrive au troisième volet de mon propos, à savoir les relations entre le DPS et la gendarmerie.

    Au vu de l'ensemble des renseignements recueillis, il apparaît que la gendarmerie nationale, en tant qu'institution, n'entretient aucune relation, ni de près ni de loin, avec le DPS et ses responsables. Lorsqu'un membre influent du Front National se déplace, qu'un rassemblement ou qu'une réunion politique se déroule, nécessitant la présence du DPS, aucun contact n'est établi entre cette organisation et le commandant de groupement de gendarmerie départementale, territorialement compétent, ou son représentant. Il en va d'ailleurs de même pour les autres responsables et organisations politiques, l'interlocuteur privilégié du commandant de groupement étant l'autorité préfectorale qui est, seule, responsable de l'ordre public dans son département.

    A la connaissance de la direction générale de la gendarmerie, les unités de gendarmerie n'ont jamais eu l'occasion de constater des infractions commises par le DPS.

    Cela étant dit, j'évoquerai un cas particulier, de façon à assurer une transparence totale sur le plan individuel. Il convient de rapporter ici les faits et agissements de M. Gérard Hirel, officier de gendarmerie à la retraite depuis 1986, né dans les Côtes-d'Armor le 14 avril 1938. Après avoir quitté le service actif, M. Hirel a créé une association dans la mouvance de l'extrême-droite, dénommée Euro défense, association à vocation de défense des libertés, des opprimés, persécutés et victimes de tous ordres. Il est, en outre, responsable du DPS pour la région des Pays-de-la-Loire et chargé de mission à la direction du DPS.

    Ce monsieur s'est fait remarquer défavorablement à plusieurs reprises, en mêlant à son nom son ancien grade d'active et son ancienne appartenance à la gendarmerie nationale. Il est intervenu à différentes occasions, soit par des articles de presse, soit par des communications téléphoniques à la suite de certains événements d'ordre public. Il a également eu, en 1997, des relations difficiles avec un secrétaire général d'une organisation professionnelle de la police, M. Arajol. Cela a été consigné dans un rapport du 16 juin 1997. A cette occasion, nous avons adressé une correspondance à la direction de la police nationale et demandé au général qui commande la circonscription de gendarmerie de Rennes d'écarter M. Hirel de toute responsabilité au sein des réserves de la gendarmerie. Je terminerai mon intervention en vous citant une dernière anecdote. En septembre 1997, M. Hirel a téléphoné au centre opérationnel départemental d'incendie de secours (CODIS) de Paris, en tenant des propos incohérents et incompréhensibles, et en proférant des menaces à l'égard des unités de gendarmerie, à la suite d'une affaire mettant en cause un chasseur qui avait tué un ours dans les Pyrénées. Cette personne est avide de scandales et de provocations et a tendance à l'intempérance. Son comportement porte atteinte à l'image de marque de la gendarmerie. Cependant, il reste un cas isolé. C'est l'exception qui confirme la règle quand je vous disais que la gendarmerie n'entretenait pas de relations avec le DPS.

M. le Président : Monsieur le directeur général, je vous remercie.

    D'après mes informations, l'ancien responsable du DPS de 1990 à 1994 était M. Jean-Pierre Fabre, ex-capitaine de gendarmerie du centre de documentation de la gendarmerie nationale. Avez-vous des informations à ce sujet ?

M. Bernard PRÉVOST : Non, je n'ai aucune information, car j'ignorais cet élément.

M. le Président : Il s'agit d'un point important, car le DPS est bien connu pour son activité de renseignement ; or M. Fabre, par sa fonction, avait la possibilité de contribuer à la constitution de fichiers pour le DPS. Cette question mérite donc d'être examinée sérieusement.

M. Bernard PRÉVOST : Je ne suis pas en mesure de vous répondre aujourd'hui, mais je m'engage à vous apporter des compléments d'information concernant cette personne.

M. Christophe CARESCHE: Monsieur le directeur général, je souhaiterais en savoir un peu plus sur la confrontation entre la gendarmerie, et notamment ses unités mobiles chargées du maintien de l'ordre, et le DPS. Des rapports sont-ils établis, à l'occasion de manifestations du Front National, sur le comportement et les agissements du DPS, même si aucune infraction n'a été commise ? En effet, il serait intéressant de savoir comment vos services se comportent lors des confrontations avec ce service d'ordre. Je pense en particulier à l'incident qui s'est déroulé à Montceau-les-Mines et a opposé les unités mobiles d'intervention du DPS aux forces de maintien de l'ordre - gendarmerie ou CRS -. Vos services ont-ils été confrontés à ces unités ? Des rapports d'intervention ont-ils été établis à cette occasion ?

M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le député, je ne possède aucune information relative au comportement des personnes servant au sein du DPS. Cependant, je vais également engager des recherches à ce sujet, notamment sur les événements de Montceau-les-Mines, afin de déterminer quelles unités sont intervenues - celles de la gendarmerie ou de la police nationale - et pour savoir comment les choses se sont réellement passées. Je vous apporterai, dans les meilleurs délais, une note d'information sur ces événements.

M. le Rapporteur : Monsieur le directeur général, je vous poserai deux questions.

    Tout d'abord, je suppose que chaque unité mobile, à l'issue de son service, établit un rapport sur le déroulement des opérations et y mentionne les incidents éventuels. Par conséquent, nous souhaiterions savoir si des rapports ont été établis par les unités mobiles de gendarmerie à la suite d'événements mettant en cause les membres du DPS.

    Par ailleurs, lorsque le Front National organise une manifestation en zone gendarmerie, comment s'établissent les relations entre l'autorité administrative et les représentants du parti ? Est-ce par l'intermédiaire du directeur des renseignements généraux, du commandant de groupement ou du cabinet du préfet ? Il semble normal, en effet, que lorsque M. Le Pen se déplace, il y ait des relations entre les personnes chargées d'assurer sa sécurité et les services de police ou de la gendarmerie.

M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le député, je n'ai pas connaissance de rapports d'unités mobiles faisant part de la présence de membres du DPS ou de problèmes particuliers avec ces derniers. Je vais toutefois effectuer des recherches sur ce sujet.

    En ce qui concerne les relations entre l'autorité administrative et les représentants du Front National venant manifester en zone gendarmerie, je vous répondrai, en me fondant sur mon expérience de préfet, n'avoir jamais eu à traiter ou à surveiller des manifestations auxquelles étaient mêlés le Front National et le DPS. Le préfet, lui-même, n'est pas en relation directe avec les organisateurs d'une manifestation, ce rôle revenant soit à son directeur de cabinet, soit au directeur des renseignements généraux, ou aux deux. Juste avant l'événement, c'est souvent le commissaire de police chargé de la sécurité publique dans le secteur où a lieu la manifestation qui est en contact direct avec les organisateurs. En tous les cas, le capitaine commandant l'escadron de gendarmerie mobile n'a pas de contacts avec les organisateurs de la manifestation, pas plus que le commandant de groupement d'ailleurs. Les forces mobiles sont mises à la disposition du commissaire de police auquel revient la responsabilité de suivre et de contenir la manifestation sous l'autorité du préfet.

M. le Rapporteur : Cependant, certaines manifestations se déroulent parfois en zone rurale, dans des « châteaux » ; dans ce cas-là, le commissaire de police n'est pas compétent pour intervenir.

M. Bernard PRÉVOST : Effectivement, dans ce cas-là, c'est le commandant de brigade de gendarmerie ou le capitaine commandant la compagnie de gendarmerie départementale qui sera en contact avec les organisateurs de la manifestation.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Monsieur le directeur général, je souhaiterais vous poser deux questions qui ont trait à deux problèmes différents.

    Concernant, tout d'abord, les réunions publiques organisées par le Front National, je souhaiterais savoir si des informations relatives au DPS sont remontées à la gendarmerie ou si des infractions ont été constatées par elle à cette occasion. Par exemple, nous souhaiterions savoir si les personnes du service d'ordre se trouvant à l'entrée de ces manifestations sont ou non armées et si vous avez eu connaissance, ne serait-ce qu'à titre d'information, de cas de comportements violents, d'altercations ou de ports d'armes.

    Ma seconde question est relative aux troubles publics susceptibles de se produire à la fin de manifestations. Avez-vous déjà constaté, à cette occasion, des interventions brutales et violentes des membres du DPS ?

M. Bernard PRÉVOST : Je ne dispose pas d'informations particulières sur l'armement des membres du DPS, ni sur les débordements éventuels qui ont pu survenir à l'issue d'une manifestation du Front National.

M. André VAUCHEZ: Monsieur le directeur, je souhaiterais savoir si vos services ont repéré, parmi les membres du DPS, des salariés de sociétés de gardiennage. Par exemple, dans la région Bourgogne, à Beaune, vit un grand exploitant viticole, M. Jaboulet-Verchère, qui ne cache pas son appartenance au Front National. Nous souhaiterions savoir s'il existe un lien entre ces sociétés de gardiennage et le DPS.

M. Bernard PRÉVOST : Je ne possède aucune information à ce sujet. Cependant, puisque vous me citez un exemple précis concernant un exploitant viticole dans la région de Beaune, je m'engage à creuser la question pour vous apporter des compléments d'information.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Monsieur le directeur, vous venez de nous expliquer que vous n'aviez pas connaissance de relations éventuelles entre la gendarmerie et le DPS lors de manifestations du Front National. La situation est-elle différente avec les responsables de manifestations à caractère sportif, culturel ou même politique, s'agissant d'autres partis que le Front National ?

M. Bernard PRÉVOST : En général, les manifestations ne débouchent pas sur des violences ou des faits notables particuliers. Or les informations ne remontent que lorsque l'ordre public est troublé, par exemple lors de manifestations d'ordre professionnel au cours desquelles il arrive que des violences soient exercées.

M. le Rapporteur : Existe-t-il, de façon formelle ou informelle, à la direction générale de la gendarmerie, un service chargé du renseignement sur les services de sécurité des formations politiques extrémistes ?

    Par ailleurs, des études sont-elles réalisées par les services de la gendarmerie, par la Direction du Renseignement Militaire (DRM) ou par les différents services de sécurité militaire, sur les problèmes de relation ou d'entrisme de personnels, en retraite ou en activité, en direction du Front National ou du DPS ?

M. Bernard PRÉVOST : La gendarmerie ne dispose pas d'un service de renseignements généraux ; il existe un service spécialisé de la police nationale chargé de ces questions. Au niveau de la direction générale de la gendarmerie nationale, nous voyons remonter des synthèses sur les événements les plus importants, mais nous n'avons pas de département spécialisé, au sein de la gendarmerie, pour étudier les mouvements extrémistes.

M. le Président : Vous n'avez mené aucune enquête ?

M. Bernard PRÉVOST : Nous possédons des informations sur des événements particuliers, mais nous ne menons aucune étude particulière sur les mouvements extrémistes ; c'est de la compétence des renseignements généraux.

M. le Président : Pourtant, nombre de témoignages indiquent que le DPS recruterait ses membres notamment au sein de la police et de la gendarmerie.

M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le président, sans paraître chercher à me défausser, je rappelle qu'il existe, au sein des forces armées, un service, la Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense (DPSD), chargé d'examiner les menées internes de déstabilisation au sein des forces armées.

M. le Président : Vous n'avez pas connaissance d'enquêtes menées par cet organisme concernant la question qui nous intéresse ?

M. Bernard PRÉVOST : Non, je n'ai pas connaissance d'enquêtes émanant de cet organisme, mais il s'agit d'une question qui peut, elle aussi, être creusée et je peux demander à la DPSD la communication des études qui ont pu être menées dans ce domaine.

M. le Rapporteur : Vous n'avez jamais été approché par la DPSD sur ce sujet ?

M. Bernard PRÉVOST : Non.

M. Arthur PAECHT : Monsieur le directeur, je vous poserai deux questions.

    En zone de gendarmerie, les gendarmes sont compétents, non seulement pour les problèmes militaires, mais également pour les problèmes de sécurité. Or nous avons pu voir, notamment à travers des reportages télévisés, des manifestations de type paramilitaire regroupant des personnes en uniforme se livrant à des exercices à l'intérieur de propriétés privées. La France dispose pourtant d'une législation sur le port illégal d'uniforme. La gendarmerie, qui ne peut pas ignorer ce type de manifestation, a-t-elle déjà eu l'occasion de dresser des procès-verbaux pour port illégal d'uniforme ou tout au moins d'enquêter sur la nature de l'uniforme porté ? A-t-elle également eu l'occasion d'enquêter sur les entraînements auxquels se livrent ces personnes, qui sont des manifestations paramilitaires interdites par la loi ?

    Ma seconde question est plus personnelle : connaissez-vous le colonel Gérardin ? Il s'agit d'un colonel de gendarmerie en retraite qui a, pendant quelques années, été responsable de la sécurité de l'Elysée. Il a, par la suite, été élu du Front National dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et appelé auprès de M. Le Pen pour organiser son premier service de sécurité. Depuis, il a démissionné du Front National. Je ne l'implique donc pas du tout dans les affaires concernant le DPS. Cependant, étant donné qu'il a gardé des liens très étroits avec la gendarmerie, il a probablement dû profiter de son expérience et de ses contacts avec la gendarmerie pour organiser ce premier service de sécurité. En outre, il continue à éditer un bulletin, Le Glaive, organe des retraités de la gendarmerie qui porte la même flamme que celle du Front National. De ce fait, le symbole du Front National est étroitement mêlé à la notion de gendarmerie.

    Cela étant dit, je ne mets pas le colonel en cause, je le considère comme un parfait honnête homme, égaré et revenu, mais vous devez certainement détenir un certain nombre de renseignements sur ses activités. Je pense d'ailleurs, monsieur le président, qu'il s'agit d'une personne que l'on pourrait auditionner, dans la mesure où le colonel Gérardin critique, aujourd'hui, l'évolution du service de sécurité du Front National qu'il avait lui-même mis en place.

M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le député, en ce qui concerne la législation relative au port illégal d'uniforme, il est vrai qu'elle existe et que la gendarmerie doit l'appliquer. Cependant, quand des personnes portent l'uniforme à l'intérieur d'une résidence privée, nous n'avons pas à intervenir. Je n'ai pas de remontée d'information à ce sujet.

M. Arthur PAECHT : Vous n'avez jamais vu de reportages télévisés montrant ces personnes en uniforme défilant dans des villages ?

M. Bernard PRÉVOST : Franchement, non - je ne suis jamais devant ma télévision à l'heure des journaux télévisés -, mais cela doit certainement exister.

M. Arthur PAECHT : Vous pouvez consulter les archives !

M. Bernard PRÉVOST : Je ne détiens aucune information sur ces événements, mais je vais me pencher sur cette question afin de vous apporter des précisions.

    En ce qui concerne le colonel Gérardin, je ne le connais pas personnellement, mais j'ai entendu parler de cet ancien officier de gendarmerie retraité qui a été élu du Front National. Je sais qu'il a édité - et qu'il édite peut-être encore - un bulletin dont vous me dites qu'il est intitulé Le Glaive. Les seuls renseignements que je puis obtenir, ce sont ses états de services lorsqu'il était en activité au sein de la gendarmerie. La gendarmerie n'entretient pas de relations avec ce monsieur. Il est possible qu'il entretienne toujours des relations avec des anciens collègues, mais je ne possède aucune information concernant ses activités.

M. Arthur PAECHT : Mais vous pouvez en rechercher.

M. Bernard PRÉVOST : Bien sûr, et je le ferai.

M. Arnaud MONTEBOURG : Je voudrais revenir sur la question de vos relations avec les militaires retraités. Je lis dans un journal sérieux, Le Monde, du mois de janvier 1999, que « dix-huit des responsables départementaux actuels du service d'ordre sont d'anciens militaires, gendarmes ou policiers. L'exemple du Maine-et-Loire illustre bien cette tendance le DPS y était placé sous la responsabilité d'un lieutenant-colonel de gendarmerie en retraite, âgé de 59 ans. Le 12 décembre 1997, c'est à lui que le Front National avait confié la direction du service d'ordre pour la venue de Carl Lang à Poitiers. L'ex-officier avait envoyé au préfet de la Vienne un fax détaillant son dispositif et le prévenant qu'en cas d'agression de contre-manifestants, il les ferait dégager par la force. »

    Les exemples fourmillent et les questions qui ont été posées sont convergentes. D'anciens officiers de haut niveau de la gendarmerie évoluant au sein du Front National, disposent, à ce titre, d'une connaissance particulière, de l'intérieur, de l'appareil d'Etat
    - notre collègue Paecht a cité l'exemple d'un ancien responsable de la Garde Républicaine de l'Elysée - et de la gendarmerie, un de ses points névralgiques. Or, la gendarmerie, elle, ne semble pas connaître le comportement de ses anciens militaires. Nous pouvons donc, de ce point de vue, avoir quelques inquiétudes : même si votre réponse est tout à fait fondée en droit, nous nous inquiétons de votre méconnaissance des agissements d'anciens officiers de la gendarmerie qui peuvent, d'ailleurs, engager l'image de celle-ci. Par ailleurs, dans la mesure où un certain nombre d'informations judiciaires ont été ouvertes sur les questions d'usurpation de titre, d'uniforme et de fonction, la gendarmerie a certainement, dans le cadre de l'exécution des commissions rogatoires par les magistrats instructeurs, une connaissance assez précise d'un certain nombre d'événements, tels que ceux qui se sont déroulés à Montceau-les-Mines.

    Quelles sont, Monsieur le directeur, les informations précises que vous êtes en mesure d'apporter à la Commission d'enquête sur le degré de connaissance que les personnels retraités de la gendarmerie nationale ont de l'appareil d'Etat et sur l'utilisation qu'ils peuvent en faire dans le cadre des fonctions qui leur sont attribuées par ce curieux service d'ordre ? Quelles mesures êtes-vous en mesure de prendre, dans le respect des lois en vigueur, pour maîtriser cette fâcheuse évolution ?

M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le député, vous relatez un article du Monde faisant mention de dix-huit anciens militaires, gendarmes ou policiers concernés par les activités du DPS. Mais cela n'englobe pas tous les gendarmes ; je ne sais d'ailleurs pas combien il y a de gendarmes parmi les dix-huit personnes concernées.

    Vous vous étonnez de la méconnaissance de la gendarmerie à l'égard des activités des retraités, mais vous reconnaissez, en tant que juriste, qu'il est difficile, en droit, de suivre les activités des personnels de la gendarmerie, qui ont quitté l'uniforme. J'ai juré de vous dire tout ce que je savais, et je vous ai cité le cas de M. Hirel, ancien officier de la gendarmerie en retraite depuis 13 ans et développant des activités au sein du DPS dans le Maine-et-Loire. J'espère que les gendarmes concernés par cet article de presse sont en nombre limité.

    Vous me demandez si ces personnes ont une connaissance de l'appareil d'Etat et s'ils s'en servent pour leurs activités quand ils sont à la retraite. Oui, bien sûr, ils ont une connaissance des règlements, de l'organisation de l'appareil d'Etat, et de la gendarmerie en particulier, parce qu'ils y ont servi, mais ces connaissances perdent de leur importance au fil du temps, car les règles et le fonctionnement de la gendarmerie évoluent. Ces personnes ont certainement gardé quelques contacts personnels avec d'anciens collègues, mais la gendarmerie n'a pas une connaissance officielle de ces relations.

    Par ailleurs, il est évident que si nous avions connaissance de faits délictueux les concernant, nous interviendrions et ferions appliquer les lois. En ce qui concerne le cas particulier de M. Hirel, les mesures nécessaires ont été prises afin que tout lien avec la gendarmerie soit coupé, notamment son appartenance aux réserves de la gendarmerie.

M. Jean-Pierre BLAZY : Monsieur le directeur, je comprends qu'il ne relève pas de votre compétence de suivre les activités des gendarmes en retraite, au DPS ou ailleurs. Ma question concerne les gendarmes en activité : à votre connaissance, certains d'entre eux ont-ils des liens avec le DPS ? Disposez-vous, au sein de la gendarmerie, d'un moyen précis de savoir si de telles situations existent et d'y remédier ?

M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le député, je n'ai pas connaissance d'appartenance de personnels d'active de la gendarmerie à de telles organisations. Avons-nous un moyen de le savoir ? La gendarmerie est structurée, avec des personnels qui ont une éthique et qui connaissent leurs obligations de neutralité, de non-affichage d'opinions politiques, philosophiques et religieuses dans l'exercice de leur profession. Je suis donc quasiment assuré que ce cas ne peut pas se produire.

    Lorsque les personnels de la gendarmerie sont à la retraite, ils sont alors déliés de leur devoir de réserve et peuvent exercer des activités politiques et exprimer leurs opinions à titre personnel, tout en respectant la loi, bien entendu.

M. Robert GAÏA : Monsieur le directeur, si nous avons créé une Commission d'enquête sur les agissements, l'organisation, le fonctionnement et les objectifs du groupement de fait dit « département, protection et sécurité », et sur les soutiens dont il bénéficierait, c'est parce que la représentation parlementaire a été interpellée sur l'existence de problèmes et de faits délictueux liés au DPS.

    En vous écoutant, nous nous apercevons que vous en savez encore moins que nous ! Or nous souhaitons identifier les capillarités qui peuvent exister, non pas au niveau de l'active, mais au niveau des gendarmes en retraite. Vous nous dites qu'une fois à la retraite, le cordon ombilical est coupé ; cependant, parce qu'il s'agit de militaires, des liens peuvent encore exister dans le cadre de la réserve.

    Je suis étonné que la gendarmerie ne mène pas d'études sur une structure telle que le Cercle national des gens d'arme qui est un regroupement du Front National. Ce Cercle national des gens d'arme, en tant que structure composée de gendarmes à la retraite, entretient-il des relations avec la gendarmerie ? Est-il invité à des manifestations organisées par la gendarmerie, comme cela se fait pour les anciens combattants ?

M. Bernard PRÉVOST : Monsieur le président, je comprends bien votre souci de connaître les capillarités qui existent entre les retraités de la gendarmerie et le DPS. Vous dites, à juste titre, que les gendarmes devenant retraités sont versés dans la réserve ; cependant, il est bien connu que beaucoup de réservistes n'ont aucune activité particulière au sein des réserves. Cette question va d'ailleurs être soulevée lors de la discussion du projet de loi relatif aux réserves : les réserves des armées qui, pour l'instant, ont un volume important, et dont les personnels sont rarement convoqués et peu formés, vont se concentrer avec des personnes qui seront mieux formées, convoquées plus fréquemment et mieux connues, puisqu'elles seront moins nombreuses.

    Aujourd'hui, les gendarmes, quel que soit leur grade, sont versés dans la réserve à l'issue de leur période d'activité. Étant donné qu'ils n'ont pas d'activité, pour beaucoup d'entre eux, au sein de cette réserve, ils ne sont pas suivis par la gendarmerie.

    S'agissant du Cercle national des gens d'armes, j'en ai entendu parler, mais je ne le connais pas. Il est vrai que nous entretenons des relations fortes avec les associations de retraités et de réservistes de la gendarmerie, associations tout à fait louables qui respectent les lois de la République. Depuis quelques années, nous avons tenu à marquer un peu plus d'unicité au sein de ces associations ; elles se sont regroupées dans un comité d'entente. Toutes les manifestations publiques et rencontres auxquelles nous invitons des retraités et des réservistes se font à travers ce comité. Je puis vous affirmer que ce Cercle national des gens d'arme n'en fait pas partie.

    Vous êtes quelques-uns à regretter que la gendarmerie, au moins au niveau de la direction générale, ait une relative méconnaissance du phénomène et des relations qui peuvent exister entre des anciens gendarmes et le DPS. J'ai bien noté toutefois qu'il y avait des éléments à creuser et je m'engage à vous apporter des réponses plus complètes dans les meilleurs délais.

M. Thierry MARIANI : Mes chers collègues, reprocheriez-vous au directeur général de l'éducation nationale de ne pas savoir ce que font les retraités de l'éducation nationale ?

M. Robert GAÏA : Cette question est importante car il s'agit de soldats et concerne la réserve.

M. Thierry MARIANI : J'ai moi-même passé un certain nombre d'années dans une école militaire, mais une fois que je l'ai quittée, j'étais libre de faire ce que je voulais. Par ailleurs, les militaires prenant leur retraite assez jeunes, il est normal qu'ils aient ensuite une activité.

    A mon avis, les questions concernant la gendarmerie nationale doivent se limiter aux personnels d'active et aux cadres de réserve.

M. Robert GAÏA : Le colonel Gérardin était président du Cercle national des gens d'arme qui, entre autres, publie Le Glaive. Il me paraît donc normal que l'on s'interroge à son sujet. Les gendarmes sont des soldats.

M. Thierry MARIANI : En ce qui concerne les cadres de réserve, je pense qu'effectivement, en tant que responsable de la gendarmerie, vous pourriez obtenir des informations. En avez-vous ? En revanche, personnellement, j'estime que lorsque les gendarmes sont retraités, ils ont coupé les liens avec la gendarmerie, même si, par capillarité, il reste toujours des liens amicaux entre les anciens d'une même corporation, qu'elle soit militaire ou civile.

    En tant que député du Vaucluse, je constate que de nombreux membres du DPS font partie de polices municipales. Or la gendarmerie est en contact étroit avec les polices municipales dans les zones rurales. Auriez-vous connaissance d'une police municipale qui serait composée de nombreux membres du DPS ?

    Troisièmement, nous sommes un certain nombre de parlementaires du Midi à nous demander si les incidents qui ont lieu lors de manifestations n'ont pas été déclenchés par certains provocateurs. Or, les incidents qui ont eu lieu dans mon département, y compris en zone de gendarmerie, n'ont jamais fait l'objet de la moindre enquête. Par exemple, ceux de Bollène, dans le Vaucluse, en juin 1997, en période électorale, ont été, nous en sommes persuadés, provoqués ; or l'enquête de la gendarmerie n'a rien donné.

M. Bernard PRÉVOST : En ce qui concerne les réservistes, je n'ai pas connaissance d'individus ou d'associations proches du DPS ou de sa mouvance. La réserve de la gendarmerie est en train de monter en puissance et cela devrait être conforté par le projet de loi qui va vous être présenté sur les réserves. Actuellement, il existe deux associations de réservistes, assez récentes, l'association nationale des officiers de réserves de gendarmerie (ANORGEN) et une association des sous-officiers de gendarmerie, dont les responsables sont tout à fait dignes de confiance et avec lesquels j'entretiens de fréquentes relations. Or cette question n'a jamais été abordée et ne se pose pas. J'espère d'ailleurs qu'il en sera toujours ainsi.

    S'agissant des polices municipales, je suis désolé de vous répondre encore une fois par la négative. Je n'ai pas connaissance de liens particuliers entre certaines polices municipales et le DPS qui auraient été observés par des unités locales de gendarmerie.

    En ce qui concerne vos doutes sur certains incidents, leur traitement et les procédures qui n'auraient pas abouti, puisque vous me citez un cas précis, je vous apporterai les précisions que vous demandez.

M. le Rapporteur : Monsieur le directeur, on constate dans l'armée, comme dans d'autres corps, une remontée des intégrismes religieux et notamment catholique. Ces intégristes sont parfois appelés à rencontrer des personnes d'extrême-droite, voire du Front National. Pensez-vous que des relations se nouent par le biais des intégristes, et craignez-vous que cela puisse se développer ?

M. Bernard PRÉVOST : Il est vrai que nous pouvons observer, dans la société, le développement de certains intégrismes religieux, et vous citez certains intégrismes catholiques. Je n'ai pas connaissance de cas particuliers d'intégristes catholiques, membres de la gendarmerie qui entretiendraient des relations particulières avec le DPS. Nous sommes attentifs à ces questions, mais je n'ai aucune information à ce sujet.

M. le Président : Monsieur le directeur général, je vous remercie. Vous avez bien senti, à travers nos questions, que nous sommes soucieux d'en savoir plus. Peut-être n'y a-t-il pas plus. Cependant, une interrogation demeure : nous savons - plusieurs cas ont été cités aujourd'hui - que des retraités de la gendarmerie entretiennent des liens avec le DPS. Nous sommes donc en droit de nous demander comment des liens se créent, y compris avec la gendarmerie dans son activité habituelle.

    Vous avez pris l'engagement de nous apporter des éléments de réponse. Peut-être pourrions-nous procéder à une nouvelle audition ?

M. Bernard PRÉVOST : Je vous adresserai des compléments d'information vers la mi-février, et reste à votre disposition pour une nouvelle audition, si vous l'estimez nécessaire.

M. le Président : Monsieur, nous vous remercions.

Retour au sommaire des auditions

Audition de M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT

ministre de l'Intérieur

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 27 janvier 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Jean-Pierre Chevènement est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Pierre Chevènement prête serment.

M. le Président : Monsieur le ministre, vous avez manifesté le désir d'être entendu dans le cadre de cette commission d'enquête sur le DPS avant que celle-ci ne procède à l'audition de plusieurs hauts fonctionnaires placés sous votre autorité.

Nous avons souscrit à cette demande, dont je ne vous cache pas qu'elle a fait débat encore ce matin au sein de notre Commission qui a la totale liberté d'organiser ses travaux comme elle l'entend. Mais nous avons pensé que votre demande se justifiait et nous l'avons acceptée ; c'est pourquoi vous êtes ici aujourd'hui.

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, lors de sa séance du 9 décembre dernier, l'Assemblée nationale a débattu de deux propositions de résolution et voté la création d'une commission d'enquête sur « les agissements, l'organisation, le fonctionnement et les objectifs du groupement de fait dit « Département protection et sécurité » et les soutiens dont il bénéficierait ».

Si j'ai souhaité être entendu par votre Commission - que cela soit clair - c'est parce qu'il vous a semblé opportun d'entendre plusieurs responsables administratifs du ministère de l'Intérieur et notamment le directeur central des renseignements généraux, le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques ainsi que le préfet de police, ce qui est d'ailleurs tout à fait normal. Ces directeurs, comme vous le savez, sont placés sous l'autorité d'un ministre qui assume la responsabilité politique des actions menées : je ne pense pas vous faire faire là de grandes découvertes !

Pour la clarté des relations entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, je pense donc nécessaire que le ministre soit entendu d'abord, cela, non seulement pour la bonne règle mais aussi parce qu'il y a des précédents : par exemple, celui de la commission d'enquête créée par le Sénat sur les conditions de régularisation des étrangers en situation irrégulière qui l'a reçu, au terme de la circulaire du 24 juin 1997, à l'ouverture et à la clôture de ses travaux... Je pense que cela correspond à l'esprit de nos institutions.

Bien entendu, je n'ai aucune objection, bien au contraire, à ce que les responsables du ministère de l'Intérieur que je viens de citer soient entendus par la commission d'enquête.

Permettez-moi de commencer mon propos par un rappel : la lutte contre le Front National est un objectif de tous les républicains ! Je pense que c'est d'abord aux causes de son développement que nous devons, tous ensemble, nous attaquer.

Puis-je me permettre, à cet égard, de vous conseiller la lecture d'un petit livre que je viens de lire de Véronique Le Goaziou et Charles Rojzman « Comment ne pas devenir électeur du Front National » ? Sans simplisme, sans démagogie, ce petit ouvrage d'à peine plus d'une centaine de pages explique comment, à partir de quelles expériences, de quels raisonnements, peut naître le vote FN et comment, en tentant de retisser le lien social, on peut contribuer à le faire régresser.

Au-delà, il nous faut être sans concessions à l'égard du Front National, car il est porteur, explicitement ou de manière plus subtile, sous couvert de « différentialisme », d'une théorisation de l'inégalité qui bat en brèche les valeurs de la République. Il utilise des frustrations trop réelles face au chômage et à l'insécurité, pour répandre une idéologie proprement délirante - au sens clinique du terme - qui fait de l'immigré en général le bouc émissaire du malaise social. C'est donc, me semble-t-il, en allant au-devant des préoccupations légitimes des couches populaires qui se sentent abandonnées qu'on luttera le plus efficacement contre cette idéologie délétère. Il n'en reste pas moins qu'une grande vigilance s'impose face aux violations de la loi qui ont été ou qui viendraient à être commises.

Mais votre commission d'enquête porte sur un objet plus limité : le groupement de fait appelé Département Protection et Sécurité (DPS), qui, au sein du Front National,
- je ne sais plus si je dois dire du Front National ou des Fronts nationaux - assure la sécurité de l'ensemble de ses actions publiques.

Beaucoup de grandes organisations ont un service d'ordre sous forme d'un réseau de personnes que l'on mobilise pour encadrer les manifestations, assurer l'entrée des réunions, bref, pour éviter que l'expression publique et collective d'un point de vue ne soit l'occasion de violences ou d'actions illégales. La question que vous posez semble être la suivante : dans le cas du DPS, le Front National n'a-t-il pas excédé cette simple fonction pour, en fait, mettre en place une véritable milice privée, voire un groupe de combat ?

Ce que j'observe sur le DPS, de la place qui est la mienne, ce sont des incidents à répétition, quelques dérives notables, un nombre limité de faits graves.

Bien entendu, mes services se tiennent informés autant que possible des incidents, des dérives, voire des faits graves dans lesquels sont impliqués soit le DPS en tant que tel, soit certains de ses collaborateurs réguliers ou occasionnels : il ne s'agit pas, en effet, d'un groupement politique, mais d'un groupement dont les comportements peuvent représenter un danger pour l'application normale de la loi.

Chaque fois qu'une infraction est caractérisée, le parquet en est informé. Je ne dispose pas, en revanche, d'informations précises sur les suites judiciaires éventuelles de ces affaires, qui échappent à la compétence de mon département ministériel : l'article 6, II, alinéa 2 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 fixe notamment comme limite au champ d'investigation d'une commission d'enquête « le respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs ». C'est pourquoi, dans l'incertitude de suites judiciaires éventuelles qui seraient en cours, je n'évoquerai les informations en ma possession que de manière anonyme quant aux personnes éventuellement impliquées : vous le comprendrez sans peine !

Que peut-on observer ? En premier lieu, des incidents à répétition dont certains ne sont pas bénins.

On peut observer d'abord l'implication dans des rixes. En mars 1994, par exemple, à l'occasion d'une campagne cantonale à Dreux, une série d'incidents oppose les membres du DPS à de jeunes beurs d'un quartier de la ville. De même, en janvier 1998, en marge de la convention nationale du FN précédant les élections régionales et cantonales, à Strasbourg, une rixe oppose des membres du DPS à des étudiants qui avaient arraché des affiches.

Il existe aussi semble-t-il quelques dérives notables dans certaines régions. Le DPS d'Alsace a sans doute été, au moins jusqu'en 1994, la structure régionale la plus emblématique de ce type de dérives. Caractérisé par des liens réguliers avec les milieux néo-nazis de l'autre côté de la frontière - voyages organisés, camps d'entraînement, réunions de nostalgiques du troisième Reich, célébration du solstice d'été etc. - il semble être le lieu d'implantation d'organisations activistes : d'abord le CNS - cercle national socialiste - sigle suffisamment explicite, puis le HVE - Heimattreue Vereinigung Elsass - en lien avec le HVD allemand - Heimattreue Vereinigung Deutschland - clairement néo-nazi. Ce dernier groupement a été interdit par le ministre de l'intérieur du Bade-Wurtemberg le 14 juillet 1993, du fait d'exercices paramilitaires durant lesquels les participants avaient été initiés à la fabrication et à l'utilisation d'explosifs. Parallèlement, les enquêtes diligentées contre le HVE amènent le Gouvernement français à prononcer sa dissolution par décret du 1er septembre 1993. Il reste que des liens existaient puisque M. Camdessoucens, responsable du DPS d'Alsace, était aussi celui de ces groupes activistes - CNS puis HVE. Cependant, à la suite de la dissolution du HVE, la responsabilité du DPS d'Alsace lui est retirée en 1994. Cette dérive du DPS d'Alsace dans l'activisme néo-nazi pendant une période, est sans doute un exemple extrême mais caractéristique.

Ici et là, on peut observer d'autres déviations. A titre d'exemple, en 1995, trois membres du DPS ont été interpellés à proximité d'un meeting de la Ligue Communiste Révolutionnaire, porteurs de deux grenades trafiquées et, le même jour, deux autres, porteurs d'un pistolet d'alarme à grenaille.

Ce type d'interpellation de membres du DPS en possession d'armes à feu se produit régulièrement une ou plusieurs fois par an, même si les armes saisies ne constituent pas toujours un arsenal. Le port d'armes est difficile à caractériser comme infraction : souvent, les intéressés, qui détiennent des armes de 4ème catégorie, sont inscrits à un club de tir sportif et peuvent donc les détenir. Mais il va de soi que le fait de porter de telles armes, ou de les avoir dans sa voiture, quand on assure le service d'ordre d'une manifestation a une signification particulière. Il semble qu'un certain laxisme existe dans la hiérarchie du DPS vis-à-vis de ces pratiques, ainsi que vis-à-vis du port d'armes blanches et d'armes par destination, pour lesquelles interpellations, poursuites et condamnations ne manquent pas.

Une autre déviation à noter est l'usurpation de fonction. Ainsi, dans la nuit du 29 au 30 mars 1997, en marge du 10ème congrès du FN à Strasbourg, quatre membres du DPS se sont prévalus de la qualité de policiers pour contrôler l'identité et fouiller deux militants qui manifestaient leur opposition à ce congrès. Ils ont été condamnés à une peine de prison avec sursis, assortie d'une interdiction temporaire d'exercice des droits civiques, civils et de famille. D'autres dérapages s'inscrivent dans le même registre : ambiguïté sur l'appartenance au service des voyages officiels, interception des liaisons radio des forces de l'ordre, etc.

Il y a eu aussi - je crois utile de le mentionner - la tentative de mettre sur pied, dans le DPS, un service de recherche de renseignements. Si plusieurs tentatives semblent avoir eu lieu, il n'existe pas d'indices d'une action de grande ampleur sur ce plan.

Je note ensuite une certaine capillarité entre le DPS et le milieu des hommes de main, via des entreprises de sécurité proches du Front National. Il arrive au DPS d'employer des personnels de ce type, plus entraînés que ses propres membres. Des guerres civiles étrangères, dans l'ex-Zaïre, dans l'ex-Yougoslavie, ou aux Comores servent parfois d'exutoire aux militants les plus tentés par l'activisme.

De même, les militants de mouvements comme le GUD - Groupe union défense - ou le PNFE - parti nationaliste français et européen - servent fréquemment de collaborateurs occasionnels au DPS. Il en est de même d'individus violents comme les skinheads. Ainsi, plusieurs des personnes condamnées pour la noyade, le 1er mai 1995, à la fin du défilé du Front National, d'un ressortissant marocain, M. Brahim Bouarram, étaient des skinheads, collaborateurs occasionnels du DPS.

En conclusion, des pratiques comme celles que je viens d'évoquer ne se situent pas toutes sur le même plan. Certaines sont des infractions, pour lesquelles les officiers de police judiciaire saisissent le parquet qui apprécie l'opportunité des poursuites. D'autres ne sont pas des infractions, mais montrent un climat d'ensemble. Pour le pouvoir exécutif, peut se poser la question de savoir si les conditions d'une dissolution administrative sont réunies. Le Gouvernement n'a pas à en délibérer.

Ce que je peux vous dire simplement, c'est que la dissolution administrative est une mesure de police qui ne peut être utilisée que pour des motifs précisément définis. Vous interrogerez sans doute le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques qui pourra être plus explicite que moi, même si je pense utile de vous livrer les éléments qui pourraient nourrir votre réflexion.

La dissolution administrative d'une association est prononcée par décret du Président de la République, pris en conseil des ministres, contresigné par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur. Une procédure contradictoire avec l'association concernée est toutefois nécessaire, sauf urgence. Les motifs de la dissolution administrative prévus par la loi de 1936 et précisés par la jurisprudence sont contraignants.

Contrairement à la voie judiciaire de dissolution prévue par l'article 3 de la loi du 1er juillet 1901, ouverte dans le cas où l'association a un objet statutaire illicite ou bien lorsqu'elle a pour objet de porter atteinte à l'intégrité du territoire ou à la forme républicaine du Gouvernement, la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées, directement inspirée des événements du 6 février 1934, a été relativement peu utilisée dans la période récente - je crois que la dernière utilisation date de septembre 1993 ; mais j'y reviendrai tout à l'heure.

La loi du 10 janvier 1936, plusieurs fois complétée, prévoit sept cas de dissolution des associations ou groupements de fait :

- 1°) ceux qui provoqueraient des manifestations armées dans la rue ;

- 2°) ceux qui, en dehors des sociétés de préparation au service militaire agréées par le Gouvernement, des sociétés d'éducation physique et de sport, présenteraient par leur forme ou leur organisation militaire le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;

- 3°) ceux qui auraient pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou d'attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ;

- 4°) ceux dont l'activité tendrait à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine - rédaction issue de l'ordonnance du 30 décembre 1944 ;

- 5°) ceux qui auraient pour but, soit de rassembler les individus ayant fait l'objet de condamnation du chef de collaboration avec l'ennemi, soit d'exalter cette collaboration - rédaction issue de la loi du 5 janvier 1951 ;

- 6°) ceux qui, soit provoqueraient à la discrimination, à la haine, ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propageraient des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence - rédaction issue de la loi du 1er juillet 1972 ;

- 7°) ceux qui se livreraient, sur le territoire français ou à partir de ce territoire à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger
- rédaction issue de la loi du 9 septembre 1986.

Son utilisation a concerné des types d'organisation très différents, et il me paraît utile de les examiner avec vous. Quelles ont été les organisations dissoutes sur le fondement de cette loi ?

- en 1936, les ligues, dont l'Action française, les Camelots du Roi, les Croix de feu, etc. ;

- en 1945, certaines organisations liées à la collaboration comme l'Association française des propriétaires de biens aryanisés ;

- de 1947 à 1958, dans une tout autre orientation, des organisations militant pour l'indépendance de Madagascar, puis du Vietnam, puis de l'Algérie dont le MNA et le FLN, ainsi, je crois, que le MTLD ;

- de 1953 à 1962, des organisations se battant au contraire contre la décolonisation de l'Indochine, puis contre l'indépendance de l'Algérie, dont, bien entendu, l'OAS ;

- le 12 juin 1968, onze organisations d'extrême gauche actives en mai 1968 ;

- de 1968 à 1973, un savant dosage d'organisations d'extrême gauche et d'extrême-droite : Occident, puis la Gauche prolétarienne puis, le même jour, la Ligue communiste et Ordre nouveau ;

- de 1974 à 1987, des organisations régionalistes séparatistes utilisant l'action violente en Bretagne, en Corse, au Pays Basque, voire dans les Caraïbes dont l'ARC, le FNLC, Iparretarak ;

- à trois reprises entre 1980 et 1987, la FANE, groupement d'extrême-droite d'inspiration néo-nazie ;

- en 1982, deux organisations très différentes, le Service d'action civique - SAC - et Action directe.

Mais il n'est pas possible de toutes les citer. La dernière dissolution est celle d'une organisation kurde pratiquant l'action violente, ainsi que je le disais à l'instant, par décret du 2 décembre 1993.

Comme le montre cette liste non exhaustive, les dissolutions sont très marquées par le contexte dans lequel elles ont été prononcées. C'est une compétence exclusive de l'exécutif. En regardant, avec le recul de l'histoire, les dissolutions intervenues, je pense que ce dernier doit veiller à n'utiliser cette possibilité qu'à bon escient.

En effet, un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat est possible contre le décret de dissolution.

A la suite des événements de 1968, le Conseil d'Etat a eu à se prononcer sur la légalité d'un décret du 12 juin 1968 pris en application de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées, qui a prononcé la dissolution de onze organismes et groupements. Il a jugé, le 21 juillet 1970, que ce décret n'est pas entaché d'excès de pouvoir en prononçant la dissolution d'associations ou groupements dont il apparaît que, tant par la diffusion de tracts et d'affiches que par les consignes données à leurs militants, ils ont provoqué à des manifestations armées dans la rue comme c'était le cas de la Jeunesse communiste révolutionnaire et du Parti communiste internationaliste.

Mais le Conseil d'Etat a annulé pour excès de pouvoir, le même jour, la dissolution par le même décret d'autres organisations, d'autres associations ou groupements de fait : il en va ainsi de l'Organisation communiste internationaliste - OCI -, du groupe « Révoltes » et de la Fédération des étudiants révolutionnaires, qui n'avaient ni provoqué à des manifestations armées dans la rue, ni eu pour but d'attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement.

Mais il nous faut - il vous faut - suivre attentivement la crise actuelle du Front National.

L'objet de votre commission d'enquête évolue avec la crise actuelle de cette organisation qui peut remettre en cause l'unité du DPS, dont la division peut donner naissance à deux services d'ordre différents. Les informations les plus récentes semblent indiquer que c'est ce qui est en train de se produire et on l'a vu récemment avec les manifestations organisées à Versailles.

Si la majorité des dirigeants régionaux et départementaux du DPS semblent avoir - après un débat sur l'opportunité d'assurer la protection du congrès de Marignane - rejoint le Front National-Mouvement national créé par M. Mégret, il est trop tôt pour savoir si la majorité des personnes qui, régulièrement ou occasionnellement, participent aux actions du DPS, feront de même.

Je ne saurais donc - mais ce conseil est sans doute inutile - que vous inviter à un suivi vigilant de ces évolutions. Je serai, pour ma part, attentif à vos travaux.

Comme je vous l'ai indiqué en commençant, les collaborateurs du ministère de l'Intérieur que vous avez sollicités répondront, dans la limite de leur compétence administrative, aux questions que vous leur poserez. Je suis, pour ma part, à votre disposition pour répondre aux autres interrogations qui ont pu vous venir à l'esprit.

M. le Président : Merci, monsieur le ministre. J'aurai une première question : vous venez de nous donner un certain nombre d'informations sur le DPS. On a parlé après les événements de Montceau-les-Mines, en octobre 1996, époque où M. Debré était ministre de l'intérieur, d'un rapport de l'IGPN - on a même parlé aussi d'un rapport des renseignements généraux - sur l'activité du DPS. Pouvez-vous nous en confirmer l'existence ?

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Non, je n'ai pas connaissance de l'existence de ce rapport.

M. le Président : Tout le monde a dit qu'il avait été remis en juillet 1997.

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : C'est possible, mais je n'ai pas connaissance de ce rapport. Je ne sais même pas d'ailleurs - je dois vous l'avouer - ce qu'étaient les événements de Montceau-les-Mines !

M. le Président : Des événements où le DPS, particulièrement signalé par sa forme violente, avait fait l'objet, à l'époque, de toute une série d'interpellations du Gouvernement.

Le fait que le ministre Debré avait, alors, engagé une enquête avait été évoqué, y compris à l'Assemblée nationale. On a beaucoup parlé de ce rapport : personnellement, je connais un certain nombre de journalistes qui l'ont eu en main. C'est pourquoi je souhaitais vous poser la question, d'autant que nous avons demandé au responsable de l'IGPN de témoigner et qu'il nous a répondu qu'il n'avait pas d'informations sur le DPS, ce qui nous a troublés...

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Le responsable de l'IGPN, c'est-à-dire, M. Marchand ? Je ferai les recherches qui paraissent s'imposer de façon à répondre à votre légitime curiosité mais je ne suis pas en mesure, aujourd'hui, de le faire.

M. le Président : Il s'agit effectivement de M. Marchand !

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Et vous avez procédé à son audition ?

M. le Président : Pas du tout. En prenant des contacts pour organiser les auditions, ce responsable nous a répondu qu'il n'avait pas d'informations sur le DPS, ce que nous avons trouvé curieux dans la mesure où ce rapport a été évoqué à plusieurs reprises !

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : L'inspection générale des services n'a, en principe, pas compétence pour éclairer le Gouvernement sur l'existence de groupes potentiellement porteurs de violences mettant en cause la légalité républicaine. Cela étant, il se peut qu'il y ait bien un rapport...

M. le Président : La presse a fait état, à l'époque, de l'IGPN et des renseignements généraux.

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : En principe, c'est la fonction des renseignements généraux que de donner à l'exécutif les éclairages dont il peut avoir besoin concernant des groupes à risques. Je tiens à préciser qu'il n'y a plus de suivi politique de la part des renseignements généraux. Seuls des groupes porteurs de violences et mettant en cause la légalité républicaine font l'objet d'une surveillance aussi attentive que possible.

Cela étant, si vous me permettez une réflexion, le fait que certains journalistes vous disent qu'ils ont détenu un rapport ne saurait faire foi : je lis tous les jours dans les journaux qu'une note de trente pages, dont on détaille abondamment le contenu, a été transmise aux services du Premier ministre alors que, s'il est vrai que j'ai rédigé une note le 30 décembre dernier, elle ne comporte que quatorze pages, ce qui prouve bien qu'elle n'a pas circulé et qu'elle est restée entre le Premier ministre et moi.

Par conséquent, il ne faut pas prendre pour argent comptant tout ce qu'on lit dans les journaux !

M. le Président : Vous parliez de surveillance particulière ; est-ce le cas pour le DPS de la part de vos services ?

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Oui !

M. Arthur PAECHT : Monsieur le ministre, vous savez que je ne doute en rien de vos convictions républicaines, ni de votre détermination sur le problème du Front National. Aussi, je voudrais revenir sur quelques éléments que vous avez exposés, dont j'ai entretenu tout à l'heure le Directeur de la gendarmerie et qui provoquent mon étonnement.

Vous avez dit : « il y a beaucoup d'événements et peu de faits graves... ». Je pense que vous voulez dire peu de faits graves sur des personnes : peu d'assassinats, de blessures ou d'attaques à main armée. Mais il y a des faits, que vous avez un peu esquissés également, qui peuvent et qui doivent être considérés comme très graves ; je veux parler du port illégal d'uniforme, de la manifestation paramilitaire, de l'entraînement surtout qui relèvent de votre compétence lorsqu'ils se produisent sur la voie publique.

Or, je repose toujours la même question. J'ai vu, comme beaucoup de gens, à travers des reportages à la télévision, des défilés dans les rues, des gens portant bottes, chaussettes et ceinturons qui me rappellent un sinistre souvenir, encadrés en particulier par des gens du DPS : à ma connaissance, cela ne donne pas lieu à des poursuites et, en tout cas, cela ne donne pas lieu à un renforcement de la législation. Pourtant, il s'agit de faits connus puisque tous les téléspectateurs de France peuvent les voir.

Je trouve ces faits inquiétants. Ils ont une valeur symbolique particulièrement grave, d'abord parce que l'on singe la puissance publique, ensuite parce que l'on s'institue, ainsi que vous l'avez dit vous-même, faux inspecteur de police en demandant l'identité des personnes et en les fouillant. Peut-être conviendrait-il de renforcer la législation pour interdire ces manifestations, en particulier sur la voie publique !

Voici donc ma question : y a-t-il une réflexion actuellement dans vos services pour revoir et adapter la législation à ce phénomène qui n'est pas nouveau, puisque vous avez rappelé que le nazisme était strictement de même nature ? Votre arsenal, aujourd'hui, vous permet-il d'exercer la répression nécessaire, et surtout la prévention, par l'interdiction de telles manifestations ? Existe-t-il une volonté de la part des services de police de faire autre chose que de protéger, à leur tour, le DPS dans ses manifestations de pseudo-puissance publique ?

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Quand j'ai évoqué un nombre limité de faits graves, je me plaçais du point de vue des violations caractérisées de la loi, pouvant entraîner, en effet, des conséquences graves telles que mort d'homme, blessures, rixes ou violences de diverse nature. Le problème que vous évoquez est différent : c'est la connotation idéologique de certaines manifestations qui ne peut échapper à un téléspectateur, par exemple, au vu de telle ou telle manifestation...

M. Arthur PAECHT : Rue de Rivoli, le jour de Jeanne d'Arc où l'on défile au pas cadencé. Que font vos services ?

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : A ma connaissance, il n'existe pas, dans la loi, de dispositions qui permettent d'interdire la marche au pas cadencé.

M. Arthur PAECHT : En uniforme !

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Y compris en uniforme. Il faut que je me tourne vers les juristes... On peut marcher à quatre pattes ou sur la tête....

M. Arthur PAECHT : Monsieur le ministre, c'est bien pourquoi j'ai parlé d'une adaptation de la législation...

Je voudrais poser une deuxième question que M. Gaïa comprendra parfaitement : les gens du même DPS, sur une place publique de Toulon, à l'occasion d'une fête du livre organisée par le Front National, protégeaient des stands où se vendaient Mein Kampf, le Juif Süss et quelques autres ouvrages de ce type dont, me semble-t-il, la vente publique avait été interdite... Or, je n'ai vu, ni le commissaire de police de Toulon, ni personne d'autre que les gens du service d'ordre du Front National qui protégeaient les stands pour que les gens puissent, en toute quiétude, contempler le spectacle sans que nous ayons la moindre possibilité de manifester notre mécontentement.

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Il appartient aux services de police de relever les infractions caractérisées - celle-là en est une - et il appartient à tous les citoyens de permettre une bonne information de la police car il est clair que les policiers ne passent pas leur temps dans les fêtes du livre ou sur les quais pour regarder ce que vendent les bouquinistes.

M. Arthur PAECHT : Les faits que je décris se déroulaient, en novembre, Place de la République, en face du commissariat central de la ville...

M. Robert GAÏA: Cela a duré trois jours !

M. Arthur PAECHT : Effectivement, et ils se produisaient pour la deuxième année consécutive ! J'avais d'ailleurs, moi-même, alerté les préfets.

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Je vous remercie de me signaler les faits. Si vous voulez le faire avec plus de précision, j'en tirerai les conséquences.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Monsieur le ministre, comme l'a dit mon prédécesseur, nous connaissons tous votre militantisme républicain.

Vous êtes aujourd'hui ministre de l'intérieur, mais vous êtes aussi militant politique. Vous avez recommandé de ne pas prendre pour argent comptant un certain nombre de choses qui nous sont rapportées. L'objet de la commission d'enquête qui est très compliqué, qui va nécessiter un travail d'investigation particulièrement difficile, exige qu'effectivement nous ne prenions pas n'importe quel propos pour argent comptant !

Lorsque nous avons voulu mettre en place cette commission d'enquête, plusieurs parlementaires ont été interrogés ou amenés à discuter avec un certain nombre d'associations ; nombre de gens sur le terrain ont exprimé leur crainte que la naissance de cette Commission soit longue au motif que le ministre de l'intérieur - en l'occurrence vous-même - n'était pas très favorable à sa création.

Je souhaiterais donc que vous confirmiez ou infirmiez cette rumeur, parce qu'il serait intéressant pour notre Commission de connaître votre sentiment et votre regard sur nos travaux, aussi bien en qualité de ministre de l'intérieur que de militant politique. Pensez-vous qu'ils peuvent, par le biais des investigations qui seront menées, apporter des éclairages intéressants sur les activités du DPS ?

Votre réponse aura le mérite de permettre à l'un des membres de cette commission d'enquête de répondre, dans le respect du secret qui nous est imposé, à des remarques de cette nature.

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Je vous ai déjà répondu, madame la députée, en vous disant que face à cette idéologie que je considère délétère - je l'ai même qualifiée de « délirante » au sens clinique du terme - il faut savoir s'attaquer aux causes qui font que des gens appartenant souvent à des couches populaires ou manquant d'une formation civique un peu élaborée, face aux immenses frustrations que représentent aujourd'hui un chômage de masse et une insécurité malheureusement trop présente dans les quartiers, sont tentés de céder aux sirènes de cette idéologie qui, à partir d'une grille de lecture extrêmement frustre, peut les séduire. Pour mener une action efficace, il faut donc répondre à cette priorité qu'est l'emploi du point de vue du Gouvernement, et au besoin légitime de sécurité, car la sécurité étant un droit pour tous, il n'y aucune raison qu'elle soit moindre pour les habitants de certains quartiers. C'est un problème très difficile qui fait l'objet d'un débat qui devrait trouver sa conclusion aujourd'hui même ; vous n'ignorez pas qu'un conseil de sécurité intérieure va se réunir tout à l'heure et je pense qu'il marquera une avancée par rapport aux orientations précédentes tout en se situant dans la même ligne.

Maintenant, tout cela ne doit pas faire obstacle à l'exercice d'une grande vigilance à l'égard de tout ce qui peut menacer les valeurs de la République, et remettre en cause la loi elle-même.

En tant que ministre de l'intérieur, je considère que mon rôle est de faire appliquer la loi dans le souci de la liberté de chacun mais en étant très rigoureux sur ce qu'elle signifie : aucune société organisée ne peut vivre sans règles admises par les citoyens et présentes à leur esprit.

Je suis donc très vigilant sur ce sujet et je pense vous avoir fourni des exemples : je n'ai pas cité de noms parce que, dans le respect de la loi, soucieux de ne pas propager des rumeurs pour disqualifier, discréditer, salir, ce qui n'a jamais été mon genre, je m'astreins à un certain code de déontologie, si je puis dire, - qui devrait être présent à l'esprit de tout homme public - et plus encore dans les fonctions que j'exerce que dans d'autres.

Tel est mon état d'esprit mais je respecte tout à fait la liberté des assemblées, notamment celle de l'Assemblée nationale, de créer une commission d'enquête sur un objet qui est lui-même, ainsi que je vous le disais tout à l'heure, en train d'évoluer. Le DPS, selon les estimations qui ont été portées à ma connaissance, représenterait environ 1 700 personnes auxquelles peut s'adjoindre un certain nombre de collaborateurs occasionnels. Je suis incapable aujourd'hui de vous dire comment il évolue, bien que l'on m'ait signalé qu'il y avait à Versailles, par exemple, 120 de ses membres pour encadrer un cortège le 17 janvier - cela dit, ce ne sont que 120 personnes dont beaucoup étaient venues de province. Je crois savoir qu'un certain nombre des responsables du DPS, notamment le plus connu dont je n'ai pas cité le nom bien qu'il ne soit un mystère pour personne, M. Bernard Courcelle, serait plutôt proche de la tendance Mégret, mais vous avez ces informations par d'autres sources qui, bien souvent, valent d'ailleurs les miennes...

M. le Président : Par la presse, monsieur le ministre...

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : C'est ce que je voulais dire !

M. le Président : Mais comme il ne faut pas toujours lui accorder crédit, nous préférons vous poser la question !

Excusez-moi mais, toujours sur la même question, vous répondez Front National alors que nous travaillons sur le DPS : le raisonnement que vous venez de tenir vaut-il, dans votre esprit, pour le DPS comme pour le Front National ? En effet, on pourrait très bien penser qu'on peut répondre au problème du Front National de la façon que vous indiquez - ce qui poserait naturellement une question pour le Front National - mais que le DPS, du point de vue de ses agissements, de son fonctionnement et des questions qui ont déjà été débattues ici, pose un autre type de problèmes au regard de la loi.

Pour aller dans le sens de Mme Perrin-Gaillard, j'ajouterai que si nous vous avons posé la question des rapports commandés par M. Debré, c'est parce que nous avions pensé que le ministre de l'intérieur de l'époque s'orientait, sur la base de ces rapports, vers une interdiction du DPS : en tout cas la question avait été posée ainsi ! Or, nous avons parfois le sentiment que, sur ce point, vous vous situez un peu plus en retrait. Naturellement un travail comme la commission d'enquête peut aussi aider le Gouvernement à approfondir sa réflexion...

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Je vous ai répondu d'une manière sans doute très décevante que je ne connais pas l'existence de ce rapport et que les faits auxquels vous faites allusion ne sont pas présents à mon esprit : je pourrais, naturellement, retrouver tout cela très rapidement et satisfaire votre curiosité, mais en l'état actuel des choses, je ne suis pas en mesure de le faire. S'agissant du DPS proprement dit, c'est un objet qui n'est pas facile à identifier aujourd'hui ainsi que je vous l'aie dit tout à l'heure.

Quant à l'interdiction - j'ignore si M. Jean-Louis Debré s'acheminait vers l'interdiction, je n'en ai jamais entendu parler - ce n'est pas à moi de répondre à la question que vous me posez : c'est une décision qui relève du Gouvernement. Je pense que je n'ai pas à faire connaître mon avis personnel en tant que militant comme Mme la députée le souhaitait. Je ne suis pas un militant, je suis ministre de l'intérieur et par conséquent c'est un débat qui doit avoir lieu - s'il doit avoir lieu - entre les membres du Gouvernement concernés, le Premier ministre, bien entendu, et le Président de la République. Pour le moment, un tel débat n'a pas eu lieu et donc je ne peux pas vous répondre.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : J'aurai plusieurs questions qui, elles aussi, ont exclusivement trait au DPS et non pas à la lutte contre le Front National, qui est un problème politique qui appelle une solution politique.

Les organisations politiques qui disposent, selon vous, de services d'ordre sont-elles recensées ? On a l'air de considérer la chose comme banale mais je connais des organisations politiques qui n'ont pas de service d'ordre...

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Moi aussi !

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : C'est une question sérieuse que je vous pose pour voir ensuite quels sont les dérapages et j'aimerais donc savoir si les organisations politiques sont répertoriées aujourd'hui comme disposant d'un service d'ordre.

Par ailleurs, est-ce que le recrutement éventuel, parmi des fonctionnaires de la police nationale en retraite, est avéré ? S'agit-il d'une filière d'approvisionnement constatée par vos services qui vous préoccupe ou d'un phénomène limité à certaines sphères de la police ?

Enfin, lorsque vous êtes amené à préparer une audition de cette nature, vous donnez des instructions afin que l'on rassemble les documents. Avez-vous le sentiment de devoir faire appel à votre légendaire autorité pour recueillir toutes vos informations ou estimez-vous qu'elles vous parviennent de manière assez spontanée ?

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : S'agissant des services d'ordre, il en existe effectivement aussi bien pour les organisations politiques que syndicales. Comme je vous l'ai dit, il n'y a aucun suivi politique d'aucun parti politique s'inscrivant dans l'arc républicain et respectueux des lois : cela n'existe plus !

Certains sont bien connus, notamment les services d'ordre syndicaux, et la police les connaît d'autant mieux qu'elle coopère avec eux étroitement, à l'occasion des manifestations très nombreuses qui se déroulent à Paris ou ailleurs. Je ne peux pas évoquer d'organisations politiques ou syndicales précises pour ne chagriner personne mais je dirai que les contacts sont extrêmement étroits, que ce sont des gens qui se connaissent depuis fort longtemps et qui ont de très bonnes relations car il s'agit de faire en sorte que ces manifestations se déroulent dans le calme : c'est en tout cas, le but recherché.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Indépendamment de la connotation idéologique, est-ce que certains abus d'autorité ont pu être constatés ?

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Oui, cela a pu se produire mais il s'agit de faits marginaux par rapport à ce qu'est le déroulement normal d'une manifestation. Cela dit, la vigilance ne s'impose qu'à l'égard de groupes qui professent la violence, n'admettent pas le fonctionnement normal des institutions et violent carrément la légalité républicaine. De tels groupes existent, même si ce n'est pas en nombre excessif car je crois qu'il faut toujours raison garder. Néanmoins, certaines organisations se situent franchement en dehors de la légalité. Il m'est arrivé de dire - c'était, je crois, la semaine dernière devant l'Assemblée nationale - qu'il y a une limite entre une société policée que nous souhaitons tous et une société policière dont nous ne voulons pas ! Il y a donc là une appréciation à porter.

S'agissant maintenant de ce que vous appelez « une filière », je récuse totalement le terme : il se peut que d'anciens policiers ou d'anciens militaires appartiennent à ce service d'ordre - il s'agirait d'ailleurs plutôt de militaires - mais personne ne peut faire obstacle à l'exercice d'un certain nombre de choix politiques qui relèvent évidemment de la sphère privée des individus. On peut simplement le déplorer.

Je crois d'ailleurs pouvoir vous rassurer si telle est votre inquiétude, en précisant que les dernières élections professionnelles, au sein de la police nationale, ont montré que la liste, qui n'est même pas FN mais d'extrême-droite, la FPIP, a fait à peine plus de 10 %, soit trois points de moins que les listes d'extrême-droite aux précédentes élections professionnelles. Donc, je ne pense pas qu'il y ait, dans la police, plus de personnes séduites par des thèses de l'organisation dite Front National que dans la moyenne de la population. Si l'on en croit les résultats de ces élections, le pourcentage serait même plutôt inférieur. D'ailleurs, est mené, dans la police, un travail constant de rappel des principes républicains, de la déontologie et - j'y veille tout particulièrement - des sanctions sévères sont très souvent prononcées pour corriger les comportements qui s'affranchissent des règles.

Pour ce qui est des instructions que j'ai pu donner pour le rassemblement de mes informations, les dossiers que l'on m'a transmis sont si volumineux que je n'ai pas pu en venir à bout ; je dois très franchement vous avouer qu'ayant aussi beaucoup d'autres occupations, surtout aujourd'hui, cela a été pour moi une lourde charge que de préparer l'exposé documenté que je vous ai présenté. Je vous demande de prendre en considération le travail supplémentaire que je me suis, en quelque sorte, infligé à moi-même, puisque vous ne m'aviez pas demandé de venir, pour que les principes auxquels je suis attaché soient respectés...

M. le Rapporteur : Monsieur le ministre, je suis très sensible à votre venue et au soin que vous avez apporté à l'exposé que vous nous avez délivré. Les deux auditions auxquelles nous avons assisté ce matin, nous ont donné le sentiment, sans doute confortable mais peut-être un peu faux, que nous en savions un peu plus que nos interlocuteurs.

Je souhaite revenir aux raisons de la commission d'enquête, c'est-à-dire savoir si le DPS relève effectivement de la loi de 1936. Vous avez souligné, ce que je comprends et ce à quoi je souscris, qu'il faut commencer par s'attaquer aux causes de sa présence : je serais parfois tenté de dire - n'y voyez de ma part aucune insolence - qu'il est peut-être parfois trop tard ! Pouvait-on lutter contre les causes du national-socialisme en Allemagne, au moment de la nuit de cristal ou d'autres événements où les SA et les SS brisaient les vitrines des commerçants juifs ?

Vous avez fait état d'incidents, de faisceaux de preuves, de rixes, vous avez critiqué le laxisme dans la hiérarchie du DPS mais je serais tenté de dire que lorsqu'Ordre nouveau a été dissous, il ne donnait pas lieu à des incidents plus graves que ceux que génère le DPS.

Pour en venir à des questions précises que nous reposerons certainement à vos collaborateurs policiers, pouvez-vous nous dire quelles sont les relations entre la police nationale et le DPS à l'occasion des manifestations organisées par le Front National ? Le directeur général de la gendarmerie nous a répondu qu'il n'y en avait aucune de la part de ses propres services et de ses commandements de groupement, mais j'aimerais savoir comment se constituent les relations entre l'organisateur d'une manifestation du Front National et le représentant de l'Etat que sont le préfet ou ses collaborateurs. Comment, par exemple, s'est organisé, l'autre jour, à Versailles, le petit service d'accueil réservé aux parlementaires à une distance de moins de 50 mètres des cars qui les transportaient ?

M. Jean-Pierre BLAZY: Notre Commission, monsieur le ministre, porte également sur les soutiens dont le DPS peut bénéficier ; ma question aura trait à d'éventuelles ramifications entre des policiers en retraite et surtout en activité et le DPS. Avez-vous les moyens - c'est certainement le cas - d'observer de tels phénomènes et quel est votre sentiment sur cette question ? Notre police est certes, pour l'essentiel, une police républicaine. Vous avez fait allusion aux résultats des élections syndicales, encore que le faible score du syndicat d'extrême-droite ne signifie pas que des policiers en tant que citoyens ne votent pas Front National, et j'en sais quelque chose dans ma ville ; concrètement, existe-t-il des possibilités de ramifications ? En constatez-vous entre des policiers en activité et le DPS, ou est-ce une vue de l'esprit ?

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : En octobre 1997, à l'occasion de la séance de questions d'actualité au Gouvernement et suite aux événements de Toulon, je vous avais interrogé sur l'activité des polices, notamment sur les polices municipales et sur ce que j'avais appelé la « police brune » parallèle à la police nationale que, vous comme moi, appelons « républicaine ».

Vous m'aviez alors répondu que vous alliez voir ce qu'il était possible de faire, d'où les nombreux débats auxquels nous avons assisté. Effectivement, je pense qu'il existe des ramifications dans la police municipale, d'une part, et dans la police nationale, d'autre part, c'est pourquoi je vous pose cette question.

M. Robert GAÏA: On tourne toujours autour des mêmes questions puisque ce sont aussi celles que je posais ce matin au Directeur de la gendarmerie : comment appréhendez-vous les capillarités possibles entre la police nationale, la police municipale et le DPS, en particulier dans certaines villes gérées par le Front National où règne une totale confusion des genres entre les deux dernières ?

M. André VAUCHEZ: Je ne reprendrai pas ces quatre questions qui convergent, mais j'aimerais aussi savoir si la police a déjà détecté des relations entre les services de gardiennage et le DPS. J'ai cité précédemment un exemple que vous connaissez, monsieur le ministre : celui de Beaune, grande cité viticole dont une grande maison est présidée par M. Jaboulet-Verchère qui est adhérent du Front National et qui, pour contrôler son immense empire, fait sûrement appel à des sociétés de gardiennage. Y a-t-il des relations entre ces sociétés et le DPS ?

M. Thierry MARIANI : Tout en saluant, bien sûr, le travail que vous vous êtes imposé en venant nous voir, je vous soumettrai deux questions dont la première, qui recoupe les précédentes, est la suivante : pensez-vous qu'entre les syndicats proches du Front National et le DPS, il y ait des relations particulières ?

Par ailleurs, je suis, comme vous le savez, député d'Orange où tous les colleurs d'affiches face à qui nous avons dû nous battre, au sens propre du terme, durant la campagne électorale, sont aujourd'hui embauchés dans la police municipale de cette ville. Concernant les rapports qu'entretient la police nationale avec les polices municipales dans certaines communes, pensez-vous que ces polices mènent désormais d'autres activités ?

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : M. Grasset ne m'étonne pas - je connais son expérience et sa connaissance de la police nationale - quand il me dit qu'il en sait peut-être plus que moi : c'est fort possible !

Si je peux me permettre de lui faire une observation très amicale, je lui dirai que l'on ne peut pas mettre sur le même plan le DPS et Ordre nouveau. La dissolution de ce dernier faisait suite à des événements extrêmement violents devant le Palais des sports où il y a eu une sorte d'attaque, d'assaut lancé avec des cocktails molotov : naturellement quand il y a des faits de violence extrême, la dissolution est une décision qui s'impose plus facilement.

Avec le DPS, nous ne nous trouvons d'ailleurs pas en présence d'une organisation proprement dite mais d'un réseau multiforme et hétérogène sur tout le territoire national, constitué sous des formes associatives qui en font une réalité complexe. Je voudrais simplement évoquer le fait qu'à ma connaissance, le DPS Alsace est organisé dans la forme du droit local, c'est-à-dire que toute décision de dissolution devrait prendre en compte l'extrême variété d'organisations, qui utilisent parfois le canal associatif, ou constituent de simples groupements de fait. Je crois qu'avant d'arriver à la nuit de cristal, qui si mes souvenirs sont bons s'est déroulée le 9 novembre 1938, il faut empêcher Hitler d'arriver au pouvoir. Il est donc certainement très important de voir comment on peut, aujourd'hui, éradiquer une idéologie évidemment liée au développement d'une crise sociale d'une très grande ampleur, de longue durée et qui, elle-même, mérite d'être comprise dans un contexte plus vaste : je crois que ce travail est un préalable !

Vous avez évoqué les relations entre la police nationale et le DPS à l'occasion des manifestations organisées par le FN. A ma connaissance, elles se résument à quelque chose d'assez simple : le contact est pris par les responsables de l'organisation de la manifestation. Par exemple, pour la manifestation du 1er mai autour de la statue de Jeanne d'Arc, les contacts sont établis avec la préfecture de police, un itinéraire est assigné et des précautions peuvent être prises pour surveiller les conditions de la dispersion de la manifestation, qui peut parfois prêter à un certain nombre de violences. Je n'ai pas connaissance d'autres relations mais je ne dis pas qu'elles n'existent pas...

Je vais répondre à plusieurs questions qui m'ont été posées par les autres députés en disant que, naturellement, dans un régime républicain il y a une place pour l'exercice de la liberté individuelle, pour la vie privée ; on ne peut pas tout surveiller, tout contrôler. Par conséquent, il se peut - c'est même probable, le contraire serait étonnant - que des policiers en activité aient une idéologie de type Front National et puissent entretenir des relations avec le DPS. Je dirai qu'à partir du moment où ces relations viseraient à acheminer des informations, ce serait des comportements tout à fait contraires aux règles du service public qui justifieraient des sanctions énergiques.

Mme Benayoun-Nakache a évoqué les incidents de Toulon en octobre 1997 et le problème de la police nationale et municipale dans cette même ville. M. Mariani a posé le problème d'Orange où les colleurs d'affiches du Front National sont aussi des policiers municipaux. Vous comprendrez donc l'une des raisons qu'a le Gouvernement de proposer au Parlement un projet de loi visant à encadrer le développement des polices municipales : il s'agit d'éviter certaines déviations observables dans certaines villes.

M. Thierry MARIANI: Ce ne sont que quatre villes.

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Oui, ce sont quatre villes aujourd'hui mais elles pourraient être plus nombreuses demain et ce sont de très mauvaises habitudes. C'est la raison pour laquelle je suis partisan qu'il y ait encore plus de règles, très faciles à satisfaire par tous les maires républicains, c'est-à-dire l'agrément, l'enquête sur la moralité, etc., permettant d'éviter les dérapages et débordements tels que ceux que, vous-même, madame Benayoun Nakache, avez pu observer. Je crois que c'est très important !

Quant à la police nationale, si des fautes sont commises, des décisions peuvent être prises pour muter des responsables et veiller à ce qu'un certain nombre de comportements délictueux soient sanctionnés. Je crois pouvoir dire qu'il y a, dans la police, un attachement extrêmement fort à l'idée républicaine parce que les policiers savent très bien que c'est la condition de leur crédibilité et parce que cela procède aussi d'une formation que nous allons d'ailleurs renforcer. Les Assises nationales de la formation de la police vont se tenir le 1er février et l'un des thèmes du schéma national de la formation est la déontologie reposant sur les valeurs républicaines. C'est un gros travail qui a été réalisé et qui sera poursuivi, car il est extrêmement important que notre police soit une police républicaine.

M. Gaïa a évoqué de possibles capillarités. Je remarque une certaine culture commune chez les membres du DPS et un certain nombre de gens qui travaillent dans des sociétés de sécurité : c'est une culture de la force et de la violence qui explique peut-être ces capillarités. Il s'agit d'un milieu qui mérite d'être assujetti à quelques règles simples. Il existe d'ailleurs un projet de loi sur les sociétés de sécurité privées de gardiennage, de surveillance, ou les sociétés d'investigation qui ont maintenant pignon sur rue et dont le développement est considérable. Ce projet de loi sera examiné lorsque le calendrier parlementaire le permettra mais, à mon sens, il constitue un élément très important pour nous permettre d'éviter des dérives qui pourraient être extrêmement graves.

C'est un tout autre sujet que les polices municipales qui, en regard, m'inquiètent beaucoup moins. S'il y a quelques cas de polices municipales préoccupants aujourd'hui
- M. Mariani le soulignait - je ne pense pas que, dans l'ensemble, il y ait lieu d'être démesurément inquiet. En revanche, la prolifération de sociétés de sécurité privées commence à faire problème !

M. Vauchez m'a parlé des sociétés de gardiennage. Il y a effectivement à la tête de grandes sociétés des gens qui peuvent disposer de vigiles et le cas cité n'en est qu'un parmi d'autres...

M. André VAUCHEZ: C'est une source de financement !

M. le Président : Et de pénétration dans un certain nombre d'organismes !

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Bien évidemment !

Je pense qu'il faut avoir des règles claires par rapport à tout cela ! Le mécanisme de l'agrément et de l'autorisation est très important. Il est arrivé que l'on en fasse usage : récemment, le préfet de Haute-Corse a retiré son agrément à la société Bastia Securita dont plusieurs dirigeants avaient fait l'objet de mises en examen pour association de malfaiteurs, port d'armes illégal etc..

A partir de là, il faut appliquer la loi et elle s'applique d'ailleurs à toutes les sociétés qui se trouvent dans une telle situation !

Je souhaiterais que ce projet de loi puisse venir en discussion. Cela ne paraît peut-être pas prioritaire aujourd'hui, mais, pour moi, c'est un des éléments de garantie du respect de la légalité républicaine !

M. le Président : Monsieur le ministre, je vous remercie. Nous allons écouter certains responsables de la police et nous n'excluons pas de devoir vous questionner à nouveau au terme de nos travaux.

M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT : Je suis à votre disposition.

M. le Président : Monsieur le Ministre, nous vous remercions.

Retour au sommaire des auditions

Audition de M. Jean-Marie DELARUE,

directeur des libertés publiques et des affaires juridiques

au ministère de l'Intérieur

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 2 février 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Jean-Marie Delarue est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Marie Delarue prête serment.

M. Jean-Marie DELARUE : S'agissant de la réglementation applicable, je pense qu'aucun des membres de la Commission n'ignore la loi du 10 janvier 1936, dont l'article premier précise que peuvent être dissous par décret en Conseil des ministres les associations ou groupements de fait qui répondent à différents critères. Ces critères, complétés par la loi depuis 1936, sont actuellement au nombre de sept. Un seul critère n'a pas encore servi, à savoir le cinquième, introduit par une loi du 5 janvier 1951, qui sanctionne le rassemblement de collaborateurs ou l'exaltation de la collaboration. Tous les autres critères ont été utilisés, du dernier, en date de 1986, lequel mentionne les associations qui agissent en vue de provoquer du terrorisme en France ou à l'étranger, jusqu'aux plus anciens qui datent de la loi de 1936 elle-même et concernent les manifestations armées ou ce qui peut porter atteinte à la forme républicaine de l'Etat.

    Ces dispositions ne sont pas les seules à s'appliquer aux groupements de fait, puisque, en parallèle, existent des dispositions du code pénal qui figurent aux articles 431-13 et suivants. Elles constituent le pendant pénal à la sanction administrative de la dissolution. Ces dispositions permettent de réprimer ceux qui participent, constituent ou reconstituent les associations répondant aux critères de la loi du 10 janvier 1936. La peine encourue pour la participation à une telle association est de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende. La peine est de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 francs d'amende pour ceux qui constituent de telles associations et elle est portée à sept ans d'emprisonnement et à 700 000 francs d'amende pour ceux qui les reconstituent. Le juge pénal, comme l'autorité administrative, ont ainsi été dotés des pouvoirs nécessaires.

    En outre, d'autres dispositions du nouveau code pénal peuvent intéresser les agissements dont vous vous inquiétez. J'en cite une seule qui semble avoir été un peu oubliée, y compris du procureur de la République compétent : il s'agit de l'article 433-15 qui permet de punir par une peine d'emprisonnement et d'amende ceux qui portent des uniformes, arborent des matériels ou équipements de nature à provoquer une confusion avec les uniformes ou équipements de la police nationale et qui s'ajoute à l'article 433-14 qui punit le port illégal d'uniforme. Il existe aussi d'autres dispositions du nouveau code pénal sur lesquelles je ne veux pas insister tant elles sont d'application plus évidente.

    Vous m'avez interrogé sur l'application qui a été faite des dispositions relatives à la dissolution administrative. Sauf erreur, depuis le 10 janvier 1936, l'arme du décret de dissolution a été utilisée à 84 reprises, reflétant assez bien les différentes périodes historiques que nous avons connues. La première série de dissolutions visait les mouvements d'extrême-droite français d'avant-guerre. Les trois premiers décrets du 13 février 1936 étaient dirigés contre la ligue d'Action française, la Fédération nationale des Camelots du Roi et la Fédération nationale des Étudiants d'action française. Par la suite, des décrets de dissolution sont venus « accompagner » la période coloniale. En 1950 ont été dissoutes des associations de Vietnamiens, dans les années 1960, des organismes algériens et, plus proches de nous, des mouvements antillais en 1984 et des mouvements corses. Depuis la loi du 9 octobre 1981 permettant la constitution d'associations étrangères, des décrets ont également visé des associations étrangères déclarées en France. Les deux dernières dissolutions datent ainsi du 2 décembre 1993 et visaient deux associations kurdes : Yekkom Kurdistan et le Comité du Kurdistan.

    Il faut toutefois noter que certaines des 84 applications de la loi de 1936 n'ont pas été suivies d'effet, car elles ont été annulées par le juge administratif. Celle qui concernait les Croix de Feu en fait partie, ainsi que certaines dissolutions d'associations en 1968 - année record pour le nombre de dissolutions intervenues.

    Vous m'avez enfin interrogé, Monsieur le Président, sur la connaissance que je pouvais avoir des agissements de l'objet qui occupe votre Commission. Je ne sais pas tout ; je suis naturellement informé par les services de police, mais il vous reviendra d'interroger plus précisément sur ce point le préfet de police et le directeur central des renseignements généraux. Il m'appartient d'étudier de près ce qui vient à ma connaissance pour analyse.

    A cet égard, il faut revenir un instant au juge administratif. Pour qualifier les associations susceptibles d'être dissoutes, et dans le silence relatif de la loi du 10 janvier 1936, le juge administratif a défini quatre critères cumulatifs, à ses yeux nécessaires pour permettre à l'autorité administrative d'utiliser l'arme de la dissolution. Le premier de ces critères est l'organisation de l'association ou du groupement de fait qui doit être solidement hiérarchisé - cela va de soi. Le deuxième est une discipline extrêmement stricte des membres de l'association ou du groupement, assortie de sanctions très sévères et quasiment automatiques. Selon la troisième condition, les membres de l'association doivent être soumis à un entraînement régulier, périodique, organisé et, pour tout dire, proche de l'entraînement militaire. Le quatrième et dernier critère, qui figure déjà dans la décision « Croix de Feu », tient dans l'intention belliqueuse des responsables de l'association.

    Les agissements du DPS sont-ils de nature à remplir ces critères ? Entrent-ils directement dans la définition législative ? Je le dis très franchement devant vous : jusqu'à maintenant, nous n'avons pas jugé que ces critères étaient remplis. En matière de libertés publiques, depuis longtemps, nous savons que la liberté est la règle et la restriction de police l'exception. Il faut donc peser ces exceptions au trébuchet. J'ai pu rassembler beaucoup d'éléments à l'encontre du DPS, mais j'ai trouvé jusqu'à présent davantage d'indications mettant en cause très fortement des membres du DPS que concernant l'ensemble de cette organisation et sa stratégie - à supposer que l'on puisse appeler les choses ainsi. En outre, je ne suis pas certain que, face à ces agissements, le juge pénal, sauf en Alsace en 1997 par exemple, ait réagi avec suffisamment de vigueur. Cette absence de vigueur ne m'autorise toutefois pas à penser pour le moment - mais vous pouvez avoir une opinion inverse - que les agissements du DPS en tant que tels se rangent sous la bannière des associations ou groupements de fait qui ont déjà été dissous.

    Je suis prêt à crier ma conviction que le DPS n'a pas franchement ma sympathie. J'ai du mal à suivre certains de ses agissements que je trouve extrêmement périlleux pour notre démocratie, mais il serait peut-être tout aussi périlleux d'user avec légèreté des pouvoirs que la loi du 10 janvier 1936 a confiés au Gouvernement. Je suis prêt évidemment à revoir cette position au fur et à mesure des agissements du DPS, qui ne sont pas étrangers à mes préoccupations.

M. le Président : Pourrions-nous disposer d'une liste des dissolutions les plus significatives qui sont intervenues et de leurs motivations ?

M. Jean-Marie DELARUE : Je vous la ferai parvenir.

M. le Président : Vous avez évoqué votre appréciation sur la façon dont le DPS remplissait les critères cumulatifs que vous avez rappelés. Quel est votre rôle dans l'élaboration d'un décret de dissolution ? Disposez-vous d'un pouvoir de proposition en la matière ?

M. Jean-Marie DELARUE : Absolument. Je me considère comme responsable de la proposition que je peux faire au ministre, indépendamment de son opinion sur toute dissolution d'un groupement qui ne respecterait pas la loi. Je n'hésiterais pas à proposer au ministre la dissolution d'une association, si je devais acquérir le sentiment qu'elle se justifie.

    J'ai donc un pouvoir de proposition. Une fois que le ministre a pris sa décision, qui lui revient en propre, il me revient de rédiger le décret de dissolution.

M. le Président : Ce sont donc des questions que vous suivez dans votre activité ?

M. Jean-Marie DELARUE : Parfaitement, Monsieur le Président. Je suis ces associations en lien étroit avec les renseignements que peut me donner la police nationale, la gendarmerie, ou que je recueille de sources diverses, y compris par les médias.

M. le Rapporteur : Lors de la dernière séance de notre Commission, nous avons été surpris de croire que nous en savions plus sur le DPS que le directeur général de la gendarmerie nationale, lequel a pris note d'indications par nous fournies, parfois même que le ministre qui, certes, nous a indiqué son manque de sympathie pour le DPS, mais ne nous a pas livré de renseignements extrêmement importants.

    Citant les quatre critères cumulatifs - organisation du groupement de fait, discipline assortie de sanctions, entraînement régulier et périodique, intentions belliqueuses des responsables -, vous avez indiqué qu'ils n'étaient pas tout à fait remplis et que c'était plus des membres du DPS qui avaient commis telle ou telle faute plutôt que le DPS tout entier. Mais je serais tenté de dire : en 1981-1982, est-ce le SAC tout entier qui a défrayé la chronique ou certains de ses membres ? J'ai bien le sentiment qu'à l'époque c'était des membres du SAC, nommément désignés dans une région particulière.

    A la lecture, non des enquêtes de police ou de gendarmerie que nous n'avons pas encore, mais d'un certain nombre d'articles de presse sur le DPS, articles restés inattaqués, nous avons bien le sentiment d'être en présence d'un groupement de fait organisé et discipliné. On peut dire que c'est un bien car cela réduit un peu les risques de débordement de la part des skinheads - et c'est d'ailleurs un motif de satisfaction pour M. Courcelle que d'avoir indiqué aux services de police, sinon le nom, du moins le profil des skinheads qui ont assassiné un maghrébin à la suite d'un défilé du Front National. Quant aux entraînements réguliers périodiques, ils nous sont signalés. La télévision a consacré des émissions à ce sujet. Intentions belliqueuses des responsables : certes, les responsables n'ont pas engagé d'actions belliqueuses, pas plus que ceux du SAC il y a quelques années. En revanche, nous avons les preuves d'intentions belliqueuses de certains membres du DPS.

    Dès lors, quel est votre sentiment sur ce hiatus entre l'absence d'enquêtes ou la non-révélation de celles-ci - il ne faut pas être dupe - par les services de police ou de gendarmerie et les renseignements convergents, non attaqués, provenant de journalistes plus ou moins bien renseignés ?

M. Jean-Marie DELARUE : Deux précisions, simplement. Je crois beaucoup de journalistes suffisamment bien renseignés et, de toute façon, le nombre d'incidents publics est suffisant pour que l'on se pose naturellement des questions.

    Dans l'esprit du juge qui a dégagé le critère relatif à la discipline, le terme est à prendre en mauvaise part, comme quelqu'un privé de son libre arbitre et prêt à obéir aux ordres les plus insensés. En l'espèce, la discipline est celle qui conduirait à braver éventuellement la loi républicaine.

    Je ne sais pas ce que le ministre vous a indiqué mais je crois qu'il est suffisamment informé de ce qui se passe s'agissant du DPS.

    Je voudrais dire qu'il y a d'abord un problème réel, qui n'est pas pour moi un obstacle infranchissable. Le DPS est-il une entité indépendante du Front National ? Constitue-t-il un groupement de fait au sens même où la loi l'entend ? Les dissolutions auxquelles il a été procédé jusqu'alors ont visé des organisations prises dans leur ensemble et pour lesquelles, dans la totalité des cas, un service d'ordre éventuellement très musclé n'était pas séparable du reste de l'organisation. J'en veux pour preuve la dissolution par un décret du même jour de la Ligue communiste et d'Ordre nouveau. De mémoire, furent incriminés les agissements de services d'ordre ayant commis des actions extrêmement violentes - et même des agressions systématiques qui obéissaient à une logique très précise. Ils s'étaient d'ailleurs affrontés très durement les uns et les autres sur la voie publique, suivant en cela des consignes où l'organisation et la discipline étaient très fortes. Dans cette hypothèse, on n'a pas du tout cherché à dissoudre le service d'ordre de l'un ou de l'autre. Ce sont les organisations dans leur totalité qui ont été visées par le décret de dissolution. Peu importe de savoir s'il s'agit d'une association ou d'un groupement de fait. Le problème est de savoir si, dans une association constituée, on peut distinguer un groupe de personnes physiques qui s'appellent ou assurent fonctionnellement un rôle de service d'ordre. Certes, ce qui n'a jamais été fait pourrait se faire ; néanmoins, je souhaite attirer votre attention sur ce point.

    Sur les agissements eux-mêmes, il y a bien des actions extrêmement violentes, des usurpations de pouvoir, comme on l'a vu en Alsace en mars 1997. Des intentions visent même la forme de l'Etat républicain, mais, en l'état de mes informations, le fait me paraît caractériser davantage des individus que l'ensemble de l'organisation. Cela est si vrai que le DPS se caractérise plutôt - à l'instar peut-être de l'ensemble de l'extrême-droite - par l'anarchie et le tiraillement entre groupes rivaux, (je pense notamment aux tiraillements entre le DPS et le GUD, ou entre le DPS et certains groupuscules néo-nazis, tel le HVE dans le cas alsacien), que par une organisation unique très structurée avec une seule stratégie.

    Je rappelle que le DPS a divisé plus ou moins le territoire métropolitain en six zones, vingt-deux régions et quatre-vingt-quinze départements, avec des pleins dans certains endroits et des vides ailleurs. Mais tout ceci ne fait pas, à mes yeux du moins, apparaître au niveau national, expressément voulu par le DPS comme sans doute par le Front National, les quatre critères que j'évoquais tout à l'heure. Cela dit, je reconnais volontiers que l'appréciation peut diverger sur ce point. En tout cas, par rapport aux usages précédemment faits de la loi de 1936, nous marquerions là un pas supplémentaire. En 1982 - cas que vous citiez -, nous étions en présence d'un crime qui avait appelé l'attention sur l'organisation dont vous avez parlé. J'ajoute que les conditions dans lesquelles subsistait à l'époque cette association me paraissaient plus claires, plus dénuées d'ambiguïtés que celles qui existent aujourd'hui s'agissant du DPS.

M. Michel MEYLAN : Monsieur le directeur, à votre connaissance, d'autres organisations politiques, syndicales, ou philosophiques, ont-elles des services d'ordre similaires au DPS ? Que pensez-vous d'un Gouvernement, de quelque bord qu'il soit, qui continue à financer un parti entretenant un service de sécurité ? Iriez-vous jusqu'à conseiller au ministre de dissoudre ce parti ?

M. Jean-Marie DELARUE : Votre première question nous renvoie à l'appréciation de chacun. Tous les partis politiques et d'autres organisations ont un service d'ordre. Ces services d'ordre sont-ils de même nature que le DPS ? Vraisemblablement pas. Pour autant, cela ne fait pas tomber le DPS sous le coup de la loi de 1936.

    Deuxièmement, ces partis doivent-ils être financés ? Sauf erreur, la loi républicaine prévoit leur financement.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Monsieur le directeur, êtes-vous tenu par le secret d'Etat dans ce que vous dites ? Quelle est votre définition de l'uniforme ? Peut-on distinguer les membres du DPS par l'uniforme qu'ils porteraient alors qu'on les voit souvent en costume-cravate ? Enfin, quels sont les objectifs du DPS selon vous ?

M. Jean-Marie DELARUE : A votre première question, madame la députée, je réponds : non. Je ne suis pas tenu par le secret d'Etat, car votre Commission est secrète. Si j'étais en possession d'un élément secret - secret défense, mais le secret d'Etat, ça n'existe pas -, je vous le ferais savoir et je suppose que la Commission respecterait ce secret. En tout cas, j'estime que, sur ces sujets, nous nous devons le maximum de vérité.

    Sur l'uniforme, la cravate ne doit pas trop faire illusion. Je faisais expressément référence aux incidents de Montceau-les-Mines en 1996, au cours desquels une vingtaine de personnes sur les quarante ayant fait irruption en balayant tout sur leur passage, étaient en uniforme bleu et portaient des boucliers et des casques très proches de ceux de la police nationale. Il y aurait eu en l'occurrence matière à sanction pénale. Si vous me poussez dans mes retranchements, ce qui est votre devoir, je vais vous répondre tout net que je ne fais pas de différence entre ceux qui, au Front National, portent un uniforme et ceux qui n'en portent pas. Pour moi, ils se ressemblent tous un peu.

    Sur votre dernière question, les objectifs du DPS ont été inscrits dans des statuts. La première appellation du DPS mentionnait la défense et l'organisation des meetings. Il s'agissait de protéger les rassemblements organisés par le Front National. Plus tard est venue aussi la protection du siège du parti à Saint-Cloud. Tout cela compose les objectifs affichés. Parmi ceux qui ne le sont pas, figure vraisemblablement le souci de montrer sa force, de faire usage de provocations, notamment de la part de certaines fractions du DPS et le cas échéant de faire peur. Je crois qu'il y a là une stratégie d'intimidation propre à ce type d'organisation.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Au sujet de l'article 433-15 du code pénal, j'ai cru comprendre, d'après votre exposé, que les procureurs de la République avaient été mis en cause, dans la mesure où les sanctions pénales n'avaient pas été à la hauteur de ce qu'elles auraient pu être. Pouvez-vous nous expliquer cette absence de sanctions pénales dans le cas de port d'uniformes particulièrement lors des incidents de Montceau-les-Mines ? Par ailleurs, les renseignements que vous fournissent la police ou la gendarmerie concernant les agissements du DPS sont-ils fréquents ?

M. Jean-Marie DELARUE : Il ne s'agit pas d'un secret d'Etat, mais d'une question de respect des personnes, ce qui, pour moi, compte tout autant. Je suis assez mal à l'aise pour vous dire que tel ou tel procureur n'a pas bien agi ; ce n'est pas mon état d'esprit et je ne sais pas d'ailleurs ce qui s'est passé très précisément dans le cas de Montceau-les-Mines, sauf qu'il y avait, à mes yeux, matière à sanction pénale et qu'il n'y en a pas eue. Vous me demandez ce que l'on pourrait faire. Il suffit au parquet d'agir, c'est son rôle en cas d'infraction à la loi, mais il est maître des poursuites et de leur opportunité. Je note que le procureur de la République compétent, pour des raisons qui lui sont propres et qu'il ne m'appartient pas de juger ici trois ans après les faits, n'a pas cru bon de poursuivre. Je souhaite que les procureurs de notre pays se montrent très vigilants en ce domaine. Cela, je puis vous le dire très tranquillement. Je serais heureux si votre Commission pouvait rappeler aux responsables du parquet la vigilance nécessaire en la matière.

    La fréquence des informations qui me parviennent sur le DPS est liée aux événements, chacun donnant lieu à certaines informations de police ou de gendarmerie transmises aux ministres compétents et dont je suis en principe destinataire. Les dépêches ont été abondantes au moment du congrès du Front National à Strasbourg ; elles le sont un peu moins ces temps-ci, car on connaît les démêlés actuels du DPS. Je suis très exigeant vis-à-vis des renseignements généraux pour qu'ils me fournissent les informations nécessaires. C'est parfois plus compliqué avec la gendarmerie nationale, dans la mesure où le ministre de l'intérieur n'est pas forcément destinataire de toutes les informations dont la gendarmerie est dépositaire, mais c'est là affaire de bon voisinage et nous y arrivons. C'est aussi affaire de vigilance, et je suis à cet égard un peu exigeant.

M. le Président : On a parlé d'un rapport de l'IGPN sur le DPS. En avez-vous été saisi ?

M. Jean-Marie DELARUE : Je n'ai pas en mains ce rapport. Je reçois surtout, assez régulièrement, des informations des renseignements généraux et c'est sur cette base que je fonde mon information.

M. le Président : Vous ne l'avez pas eu en mains : cela signifie-t-il qu'il existe, mais qu'on ne vous l'aurait pas communiqué ?

M. Jean-Marie DELARUE : La réponse est difficile car si, les propos du Président sont vrais, je ne peux pas répondre - par définition !

M. Jacky DARNE : Monsieur le directeur, vous avez en partie répondu à la question que je voulais vous poser sur l'autonomie relative du DPS par rapport au Front National : en quoi son organisation structurée, départementalisée, en fait ou non un organisme distinct du Front National ? Une autre façon d'approfondir cette question consiste peut-être à se pencher sur les flux financiers qui alimentent une organisation de plusieurs milliers de personnes qui se déplacent et portent, pour certaines, l'uniforme. Ces financements sont-ils assurés directement par le Front National ou par un autre biais ?

M. Jean-Marie DELARUE : C'est là le nerf de la guerre, si vous m'autorisez ce jeu de mot volontaire. S'agissant des effectifs du DPS, les responsables du Front National parlent souvent de trois mille personnes. Vous interrogerez sur ce point M. Bertrand, mais les estimations en ma possession sont nettement moindres, de l'ordre du tiers, ce qui d'ailleurs ne change rien à la nature du problème.

    Plusieurs strates composent ce millier de personnes. Pour l'essentiel, il s'agit de militants, pour certains franchement néo-nazis, d'autres de l'extrême-droite classique, plus traditionnellement française. Il est demandé à ces militants d'assurer eux-mêmes leur propre équipement. L'uniforme est peu répandu, hormis la cravate et le blazer, mais ces personnes disposent de systèmes de communication à distance, de bombes lacrymogènes, voire de pistolets à balles de caoutchouc, mais ils sont réservés à certaines personnes.

    Pour le surplus, les déplacements notamment, ce sont les cotisations et autres sources de financement normales du parti qui y pourvoient. A ma connaissance, nulle séparation ne démarque le financement du Front National de celui du DPS. Selon mes informations, la relative impécuniosité du DPS est pour lui un gros problème. Il rencontre souvent des difficultés à se procurer les sources de financement nécessaires, ce qui le maintient concrètement - au-delà de l'organisation hiérarchique - sous la coupe des secrétaires départementaux ou régionaux du Front National. Les subsides fournis à un niveau du DPS dépendent bien souvent des apports fournis par les responsables du Front National au même niveau géographique. C'est ce qui me faisait dire que la séparation est assez difficile à opérer. Sans avoir à ajouter d'éléments sur ce point, il se peut que les derniers événements changent sensiblement la donne.

M. Robert GAÏA : Monsieur le directeur, je ne mets pas en doute votre engagement républicain, d'autant que, parmi les trois responsables déjà auditionnés, vous êtes peut-être celui qui nous ouvre, avec pondération, quelques pistes. Pour ce qui est de l'Arlésienne, autrement dit le fameux rapport des RG, il serait curieux que, après avoir entendu trois responsables, ce soit la presse qui nous l'apporte. Il est tout de même étonnant que, sur le DPS, la presse paraisse mieux informée.

    Je m'étonne de n'avoir rien entendu jusqu'à présent sur la structuration et l'organisation de la fête « Bleu Blanc Rouge », qui marque le déploiement complet du DPS dans son action ? De quelles informations disposez-vous sur ce sujet ?

    Avez-vous entendu parler de fichage de la part du DPS ?

    Quels sont, d'après vous, les liens financiers ou autres que le DPS peut entretenir avec les sociétés de surveillance et de gardiennage ?

    Dans les villes gérées par le Front National, la loi ne permet pas de contrôler le recrutement d'employés municipaux membres du DPS. Peut-être cependant que la police ou les renseignements généraux disposent d'informations sur ce sujet. En revanche, le recrutement des policiers municipaux nécessite un agrément des procureurs. D'après les informations dont vous disposez, y a-t-il capillarité possible entre membres du DPS et policiers municipaux recrutés ?

    Vous déclarez que les critères de mise en _uvre de la loi de 1936 sont cumulatifs. Un certain nombre de juristes font remarquer que tel n'a pas toujours été le cas. Pour le SAC, en particulier, vous l'avez dit vous-même, la dissolution est intervenue à la suite de la tuerie d'Auriol. C'est un événement fort qui a produit une décision politique sans que les critères cumulatifs soient réunis. Il en a été de même pour Ordre Nouveau, suite à une manifestation au Palais des sports. Dès lors, ces critères constituent-ils effectivement une jurisprudence ? Ont-ils permis à d'autres structures d'échapper à l'application de la loi de 1936 ?

M. Jean-Marie DELARUE : Je ne vais peut-être pas répondre de façon satisfaisante à toutes vos questions, mais je veux livrer les informations en ma possession.

    Les fêtes « Bleu Blanc Rouge » ne sont pas les seuls moments où le DPS fait montre d'ostentation. Il suffit de se souvenir du défilé de la rue de Rivoli le 1er mai, de salons du livre « Bleu Blanc Rouge », ainsi que des sessions dans le château de Neuvy racheté par le Front National pour ses « anciens combattants ». Ce service d'ordre a donc fait plusieurs apparitions au grand jour. Je suis incapable de vous dire comment, dans ces moments-là, se structure le rôle du DPS. Je ne pense pas que cela présente quelque originalité particulière, mais peut-être que je me trompe.

    A votre question sur les actions de fichage du DPS, je veux avancer deux réponses. La première, c'est que je n'en sais rien : le savoir suppose une connaissance assez intime du DPS que je n'ai pas, pas plus que la police. La seconde, c'est que, connaissant ce type d'organisation, je serais étonné qu'il ne se livre pas au fichage. Mes propos ne s'appuyant sur aucune preuve, ils appellent donc beaucoup de précautions.

    Des liens précis, personnels et humains, existent avec certaines sociétés de gardiennage qui ne sont pas très éloignées de l'extrême-droite. Je ne crois pas, je ne sais pas, s'il en existe d'ordre financier. A ma connaissance, les principaux flux financiers proviennent du Front National, y compris des différentes sources de collecte de cette organisation, notamment auprès de sociétés qui, par conviction ou pour tout autre raison, rétrocèdent au Front National une partie de « dons » - terme qui, en la circonstance, sonne un peu faux. Que des sociétés de gardiennage, qui sont agréées par le préfet, se livrent à de tels faits, cela ne m'a pas été indiqué.

    Sur les policiers municipaux des villes tenues par le Front National, je crois que le procureur de la République a opposé des refus d'agrément de tel ou tel candidat, peut-être pour des faits privés ou pour une appartenance déjà musclée au DPS - je l'ignore. Il convient toutefois de s'interroger sur le caractère suffisant des agréments par les procureurs ; c'est la raison pour laquelle le projet de loi sur le polices municipales que vous avez examiné en deuxième lecture la semaine dernière prévoit également un agrément du préfet.

    Je crois la capillarité entre les deux milieux vraisemblable. Malheureusement, la question de l'agrément initial du procureur de la République paraît seconde ; il faudrait lui donner la possibilité de le retirer.

M. Robert GAÏA : L'agrément permet cependant une photographie.

M. Jean-Marie DELARUE : L'agrément du procureur, comme tous ceux qui émanent du parquet, se fonde sur la production du casier judiciaire. Dès lors que rien n'y figure, je présume que l'agrément est accordé. L'agrément du préfet peut se fonder sur des indications un peu plus précises, mais je crois davantage à la vertu de l'agrément retiré qu'à la vertu de l'agrément donné. Nous sommes dans un pays où les agréments s'octroient facilement mais se retirent extrêmement difficilement. Je ne verrais que des avantages à ce que, dans le sujet qui nous occupe, l'on passe à un système d'agrément retiré beaucoup plus facilement.

    Enfin, dans l'esprit du juge - il l'a redit récemment -, les critères pour l'application de la loi de 1936 sont cumulatifs. La direction des libertés publiques ou plus largement le ministère de l'Intérieur ont-ils toujours soigneusement fait application du cumul de ces critères ? Je vous laisse apprécier. Confronté à l'exigence de la liberté d'association, que je tiens à défendre, et à la menace grave à l'ordre public, il me revient de défendre le caractère cumulatif de ces critères ; c'est mon travail. On peut naturellement s'écarter de cette ligne pour des raisons x ou y qu'il ne m'appartient pas de juger - et le ministre en jugera peut-être ainsi un jour, comme il a pu le faire en 1982. Mais je n'ai, quant à moi, pas d'autre rôle que de recommander au ministre de l'intérieur d'appliquer la règle de droit, qui est, en l'espèce, clairement cumulative.

M. le Président : Sur la question du gardiennage, on a parlé tout récemment d'un rapport du ministère de l'Intérieur. En avez-vous eu connaissance ?

M. Jean-Marie DELARUE : Des rapports sur cette question ont été produits, en vue notamment d'une refonte de la loi du 12 juillet 1983 sur les sociétés de gardiennage qui sera vraisemblablement - je l'espère du moins - soumise au Parlement avant la fin de l'année.

    Plusieurs rapports existent, mais dans mon esprit, ce projet de loi - non encore soumis à l'arbitrage interministériel et dont je m'interdis donc de parler devant vous, même s'il ne s'agit pas d'un secret d'Etat - est une des réponses au sujet qui vous occupe. Les sanctions de retrait d'agrément prévues dans la loi de 1983 pour certains membres des sociétés de gardiennage qui pourraient dévier du droit chemin sont, à mes yeux, insuffisantes. On ira plutôt dans le sens du renforcement de ce type de mesures. C'est une des réponses aux questions que vous vous posez, mais ce n'est pas la seule.

M. le Président : Peut-on avoir communication de ces rapports ?

M. Jean-Marie DELARUE : Naturellement. Ils émanent, sauf erreur, de l'inspection générale de l'administration et des renseignements généraux. A priori, leur communication ne pose aucun problème.

M. le Président : Pour une fois que l'on peut en saisir un qui existe !...

M. Henri PLAGNOL : Je ne sais si le directeur des libertés publiques peut me répondre, mais, faute d'avoir les mystérieux rapports, voyez-vous une objection à ce que la Commission demande communication des différents procès-verbaux de police et de gendarmerie ayant constaté des faits divers au titre desquels est impliqué le DPS ? Sans cela, la Commission ne pourra pas engager un travail sérieux.

M. Jean-Marie DELARUE : De ma part, pas d'inconvénient. Votre demande s'adresse davantage aux directeurs généraux de la gendarmerie et de la police nationale auxquels je la transmettrai bien volontiers. Je ne vois pas de difficultés, encore que le terme procès-verbal ne soit pas celui qui convient, mais l'on songe à des relevés de situation à la suite d'incidents qui ont pu se produire.

M. André VAUCHEZ : Je prolonge les questions sur le gardiennage. J'ai l'impression que vous ne savez pas trop d'où vient l'argent du DPS, hormis du militantisme FN. Je me dis qu'il est facile de s'en procurer avec ces sociétés de gardiennage qui se développent à grande vitesse. Il en est même qui font payer des stages à de pauvres personnes qui espèrent ainsi obtenir un travail et qui reviennent souvent avec des idées curieuses.

    Vous avez évoqué la Bourgogne. Nous y comptons un membre du Front National dont la société est extrêmement riche - sur ses revenus personnels, je ne sais
    rien - : il s'agit de M. Jaboulet-Verchère, dont les propriétés s'étendent sur la ville de Beaune, proche de Montceau-les-Mines. Je ne suspecte rien, mais il est évident qu'un problème de gardiennage se pose à cet exploitant immensément riche et qui pourrait financer de telles sociétés ou le DPS directement.

    Avez-vous également une idée des professions des cadres du DPS ?

M. Jean-Marie DELARUE : Merci de me donner l'occasion de revenir sur ce point. Il faut savoir ce que signifieraient des comptes financiers communs aux sociétés de gardiennage et au DPS. Je n'ai pas évoqué une source unique de financement du Front National. J'ai parlé des cotisations. Le Front National récolte de l'argent auprès de personnes morales, notamment d'entreprises, et une association a été développée par le Front National pour s'occuper de cet unique objet. Enfin, comme indiqué au début de cette séance, des financements publics interviennent.

    Si vous me dites que de prospères entreprises de gardiennage versent des dons au Front National par l'intermédiaire du canal officiel, je ne saurais pas vous démentir. Simplement, j'ignore qui et pour quel montant. Si vous me dites qu'il y a des passages camouflés, des subventions cachées, je vous répondrai qu'a priori, je ne le crois pas et en tout cas, je vous avoue que je n'en sais rien. Je crois en revanche à des capillarités par les hommes : des employés de société de gardiennage viennent prêter main forte sur demande ou par conviction au service d'ordre du Front National. Là, pour moi, s'arrête l'évidence de la capillarité - elle est déjà substantielle. Mais sur le plan financier, je vous redis que je n'en connais pas.

    Sur l'origine des cadres du DPS, il n'y a aucune surprise à avoir : on retrouve les gens que l'on rencontre très traditionnellement à l'extrême-droite avec - et c'est un sujet de préoccupation pour moi - un pourcentage un peu accru par rapport à la moyenne nationale de militaires ou d'anciens militaires, d'anciens gendarmes et d'anciens policiers. A ma connaissance, une dizaine de délégués départementaux sur quatre-vingt-quinze relevait de ces catégories et un peu moins, peut-être huit, de sociétés de gardiennage. Ce sont là des pourcentages non négligeables, c'est beaucoup, même beaucoup trop, et je dois dire que tout ceci est difficilement compréhensible, notamment quand certaines de ces personnes sont encore en activité.

M. le Président : Avez-vous des exemples de personnes en activité ?

M. Jean-Marie DELARUE : Je ne sais plus si c'est encore le cas, mais il y a quelques années, un cadre du DPS était brigadier de police.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Vous nous avez fait part de votre exigence par rapport aux informations dont vous souhaitiez disposer. Dans le cadre des principaux événements dont vous avez eu à connaître, vous est-il arrivé de demander des informations complémentaires ou de vous étonner qu'un rapport ne soit pas assez précis sur tel ou tel aspect ? Y a-t-il une sorte d'itération et, quand elle se produit, comment les choses se passent-elles avec les services de police ou de gendarmerie ?

    Peut-on établir une typologie entre les grandes manifestations publiques qui bénéficient d'un service d'ordre - telle la fête « Bleu Blanc Rouge » - et les interventions du DPS dans d'autres cas ? Pourriez-vous nous donner la liste des interventions musclées qui relèveraient de la seconde catégorie, car il est extrêmement important que, sur ces événements, nous disposions d'informations les plus précises, quitte à nous bâtir un jugement propre sur la manière dont les faits sont transmis et analysés.

    De qui dépendaient, selon vous, les instructions données au DPS ? Est-ce directement du président du Front National, du délégué général, de quelqu'un de son cabinet ? Quelle est la nature des relations entre la direction du parti et le DPS ? Sur certaines opérations, avez-vous acquis la preuve d'un lien ?

    Sur l'entraînement et la sélection, des documents d'instruction et de formation ont-ils été saisis ? Quelle est la nature de la prose diffusée à ceux qui sont entraînés pour devenir membre du DPS ? Peut-être sont-ils trop malins pour avoir écrit des manuels ; sinon, existe-t-il des manuels de comportement ou de doctrine ?

    Enfin, détenez-vous des informations sur l'origine des instructeurs au sein du DPS ?

M. Jean-Marie DELARUE : Depuis ma prise de fonctions, il n'y a pas eu d'occasion d'itérations. C'est lié, je crois, à la crise que connaît à l'heure actuelle le Front National. Les dernières occasions d'itération qui eurent lieu dans ma direction datent du congrès du Front National à Strasbourg en mars 1997. L'examen poussé a alors porté notamment sur les incidents survenus dans la nuit du 9 au 10 mars à Ostwald. Je n'ai pas eu l'occasion, sur des événements très récents, d'aller au-delà des renseignements que m'indiquaient les sources traditionnelles, notamment de la Direction centrale des renseignements généraux.

    Sur la typologie des interventions, je me permettrai d'ajouter une troisième ligne à la distinction judicieuse que vous avez faite, monsieur le député : celle des agissements un peu désordonnés de membres du DPS qui utilisent leurs forces à des fins non officielles. Je conviens volontiers avec vous que, pour les grandes manifestations publiques, le costume et la cravate sont de mise. Dans la seconde catégorie de manifestations, on veut montrer plus de vigueur et on se livre à ce que j'appelais la stratégie de la provocation. C'est notamment le cas lors de meetings organisés par le Front National. Il s'agit, non seulement d'employer la parole, mais aussi de montrer sa force. Enfin, les agissements auxquels j'ai fait référence à l'instant composent une troisième catégorie. C'est cette troisième catégorie qui l'emporte de très loin. Vous interrogerez M. Bertrand. Sans doute les renseignements généraux pourront-ils vous dresser une typologie de cette nature étayée sur des faits précis.

    La question des directives reçues par le DPS est extrêmement variable dans le temps et dépend du rôle que joue le DPS, qui est assez fluctuant. Je crois que le DPS a eu trois responsables, dont l'un d'entre eux pour quelques mois seulement, à savoir M. Fabre. Le premier, M. Jean Jeanbart pour les années 1985 à 1993, et le troisième, M. Bernard Courcelle depuis 1994, ont joué un rôle considérable dans l'élaboration de la doctrine. Je ne sais pas tout à cet égard, mais je crois que certaines doctrines d'emploi provenaient du secrétariat général du mouvement, notamment du temps ou M. Carl Lang assurait ce rôle ; pour les décisions les plus importantes, le président du Front National lui-même a pu donner les consignes. Mais c'est extrêmement variable selon les moments et l'importance des directives à donner.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Le DPS, c'est la bande à Le Pen ou la bande à Mégret ?

M. Jean-Marie DELARUE : Mon rôle ne consiste pas à analyser l'anatomie du Front National, je parle donc avec beaucoup d'approximation. Selon mes informations, il y avait, comme dans beaucoup de domaines, la bande à Le Pen et la bande à Mégret. Chacun sait, par exemple, que le DPS du Calvados était étroitement lié à M. Bruno Mégret ; que d'autres, en revanche, étaient beaucoup plus liés à M. Jean-Marie Le Pen ; que d'autres encore n'étaient liés à personne si ce n'est à des « idéaux » qui, nous l'avons vu, notamment en Alsace, allaient bien au-delà. Derrière cette façade - qui est plus que cela puisqu'elle est cause de désordres publics, j'y insiste -, le DPS est traversé de courants contradictoires et de tendances antagonistes.

    Sur l'entraînement et la sélection, je n'ai pas vu - mais peut-être cela existe-t-il - de manuel du parfait petit DPS ! Je ne peux pas vous répondre sur ce point.

    Quant aux instructeurs, ils ont varié aussi dans le temps. Depuis les premières années de la DOM, puis de la DPS, enfin du DPS depuis 1993, on a varié beaucoup et M. Bernard Courcelle s'est attaché à donner une respectabilité, du moins apparente, à ses cadres. C'était moins le cas à l'époque précédente où l'on a recruté un peu tous azimuts, c'est-à-dire dans les « prolongés » de l'Algérie française, dans les « cadres » du GUD, et éventuellement à d'autres sources. Mais je ne peux pas vous en dire plus sur la situation actuelle.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Monsieur le directeur, vous nous avez indiqué que l'organisation était en quelque sorte décentralisée et comprenait des responsables départementaux et régionaux. Pensez-vous utile que la Commission auditionne certains préfets, qui sont censés savoir ce qui se passe dans leur circonscription ?

M. Jean-Marie DELARUE : Sans doute ne serait-il pas inutile d'interroger le préfet de la région Alsace où se sont produites les déviations à mes yeux les plus graves qui puissent être, lesquelles se sont traduites par une dissolution intervenue en 1993 - non pas du DPS local mais d'une association qui lui était passablement liée. Un ou deux préfets pourraient vous donner des exemples et vous expliquer la manière dont évolue le DPS dans leur circonscription. A priori, je n'y vois que des avantages.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Monsieur le directeur, à votre connaissance, il n'y a plus de gendarmes ou de policiers, cadres du DPS à ce jour en activité ; ils sont retraités, du moins ont-ils cessé d'être en activité. Ces personnes font-elles partie d'associations regroupant des policiers ou des gendarmes à la retraite ? Si oui, y sont-elles actives, autrement dit sont-elles membres du bureau de l'association ou du bureau de l'union des retraités ?

M. Jean-Marie DELARUE : Je ne connais malheureusement pas la réponse. Je suis obligé de vous renvoyer à mes propos antérieurs, du reste assez navrants et que je regrette de devoir tenir : la composante d'extrême-droite irrigue une bonne part de la société française et, dans la partie de la société française qu'elle irrigue, se trouve la composante militaire, gendarme et policière. Vous savez mieux que moi qu'un syndicat de policiers n'est guère éloigné de ces idées. Vous me parlez d'anciens policiers ; je vous réponds que, sans appartenir au DPS - car nous essayons d'y veiller maintenant -, l'idéologie de certains policiers en activité n'est vraisemblablement pas très éloignée des choses dont nous parlons à cette heure. C'est un élément à prendre en compte. Mais ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, à savoir qu'il existerait une capillarité entre policiers actifs et DPS. Non, je ne le crois pas. Mais des idées sont communes, car, encore une fois, l'extrême-droite ne se limite pas au DPS.

    Parmi les personnes que j'ai désignées précédemment comme ayant appartenu à l'armée, à la gendarmerie ou à la police, j'ignore si certaines jouent un rôle particulier dans des associations d'anciens policiers. Il conviendrait de procéder au cas par cas, ce que je ne puis faire, même si les renseignements généraux pourraient vraisemblablement nous fournir des informations. A priori, c'est affaire d'engagement personnel, individuel plutôt qu'élan collectif. Nous sommes là dans de petits nombres - j'ai évoqué une dizaine de personnes. C'est pourquoi je parle d'engagement personnel, mais je n'écarte pas l'hypothèse que vous avancez.

M. Robert GAÏA : Dans le même ordre d'idées, avez-vous eu des soupçons sur le fait que des membres du DPS ou d'une structure du DPS devant faire l'objet d'une mesure de justice ou d'une perquisition en auraient été avertis au préalable par les services de police ?

M. Jean-Marie DELARUE : Il appartient à tout fonctionnaire ayant connaissance de faits répréhensibles de les porter à la connaissance du procureur de la République. Si tel avait été le cas, je l'aurais fait immédiatement.

M. Robert GAÏA : Et des soupçons ?

M. Jean-Marie DELARUE : Non, je ne soupçonne pas a priori. Si une telle information me parvenait, sous diverses formes, je n'aurais guère d'hésitation sur les suites à donner.

M. le Rapporteur : Pour poursuivre nos investigations, nous excluons le fait que le DPS est un service d'ordre de patronage sans danger. Comme on peut le voir le 1er mai, rue de Rivoli, en l'absence complète de membres des forces de police - ce qui, personnellement me choque - le Front National en uniforme célèbre la malheureuse Jeanne d'Arc avec des personnes en blazer. Je dois dire que pour les républicains que nous sommes, c'est quelque peu inquiétant.

    Cela mis à part, le DPS étant un service d'ordre un peu plus musclé, raciste et extrémiste que d'autres, deux solutions se présentent : soit celle de la dissolution avec les inconvénients juridiques que vous signaliez, et l'on ne peut vous taxer d'être bienveillant à l'égard de cette formation ; mais effectivement, cela n'aboutirait qu'à dissoudre un service d'ordre qui s'appelle DPS. Si, le surlendemain, le Front avait un service d'ordre dénommé PSD, on serait gros Jean comme devant. Cette solution peut satisfaire quelque temps certains d'entre nous... Il y a par ailleurs la solution que vous esquissez, consistant à être beaucoup plus ferme à l'égard des exactions et des actes répréhensibles que commettent certains membres du DPS, en rappelant aux procureurs leurs obligations en ce domaine
    - vous avez cité Montceau-les-Mines -, et en rappelant aux préfets et aux différents chefs de service de police de porter un regard plus aigu sur ces problèmes. En tant que citoyen, quel est votre sentiment sur ces deux possibilités ?

M. Jean-Marie DELARUE : Je ne puis dissocier ma fonction de ma réponse. Encore une fois, je suis obligé de considérer que la liberté d'association peut présenter des inconvénients, voire des inconvénients graves, et je souscris parfaitement à votre propos sur l'idée que le DPS n'est pas un service d'ordre de patronage - au reste, je n'en connais que peu ! La violence fait partie intrinsèque de la mission d'un service d'ordre - violence contenue éventuellement, mais violence tout de même. Mais je ne confondrai pas le DPS et des services d'ordre d'autres organismes ou partis politiques. Il relève en effet d'une nature un peu différente.

    Vous me demandez mon point de vue de citoyen. Je vous le donne : la liberté d'association n'est pas sans inconvénient, disais-je, mais c'est une liberté que je chéris au même titre que les autres libertés. En revanche, que nous rappelions aux personnes chargées du maintien de l'ordre public et à celles chargées d'en poursuivre les infractions que précisément le DPS n'est pas un service d'ordre comme les autres, je n'y vois que des avantages. J'observe d'ailleurs que, dans l'affaire d'Ostwald de mars 1997, les personnes concernées ont été condamnées par le juge de première instance. La Cour d'appel a suivi, sauf erreur. C'est un exemple à suivre. Je ne parle pas évidemment de la tragédie du défilé du 1er mai et du jeune Marocain jeté dans la Seine, fait qui fut, lui aussi, réprimé. Mais ne l'eût-il pas été, nous ne serions plus en démocratie.

    Peut-être faut-il rappeler à la fois aux forces de l'ordre et aux procureurs la nécessité d'agir avec un peu plus de vigilance ; on verra bien ce que fera le juge. Une telle solution, dans mon esprit de citoyen, me paraît plus conforme à l'état actuel des choses que l'autre branche de l'alternative que vous évoquiez.

M. le Président : On pourrait aussi lier les deux.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Quand une affaire a donné lieu à une instruction et à une décision de justice, a-t-on accès au constat des faits jugé délictueux ?

M. Jean-Marie DELARUE : Il n'est pas possible d'avoir accès aux pièces du dossier pénal tant que l'affaire n'est pas close, car le secret de l'instruction serait méconnu. Si elle est close, vous ne pouvez avoir accès, en vertu de l'article R.156 du code de procédure pénale, aux pièces pénales que sur autorisation du procureur de la République. Mais il arrive au procureur de la République de donner cette autorisation.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : C'est un élément qui me semble très important pour la suite de nos travaux. Nous sentons bien la nécessité de nous saisir de faits précis, faute de quoi nous donnerons le sentiment d'obéir à des réflexes ou d'être animés par des jugements personnels. Dans un premier temps, une commission d'enquête doit se fonder sur des faits, qu'il convient ensuite de qualifier. Il me semble essentiel que nous disposions de la liste des événements sensibles nécessitant de notre part un examen particulier.

M. le Président : Je vous propose d'interpeller madame la Garde des Sceaux sur les affaires où le DPS a été impliqué, celles qui sont jugées comme celles qui ne le sont pas, afin de savoir si, pour celles qui ont été jugées, nous prolongeons dans le sens que vous souhaitez.

M. Arthur PAECHT : Monsieur le directeur, je voudrais revenir sur la question de la liberté d'association. Celle-ci s'inscrit dans le cadre de la loi. Selon vous, quels sont les critères à partir desquels on peut considérer que l'activité d'une association ne s'inscrit plus dans le cadre de la loi ? En l'occurrence, qu'est-ce qu'une association paramilitaire ou parapolicière, qui, elle, est interdite par la loi ? Comment procède-t-on à la distinction ?

M. Jean-Marie DELARUE : Une appréciation d'opportunité doit être portée. Dans le silence de la loi du 10 janvier 1936, j'ai rappelé précédemment que le juge avait posé un certain nombre de critères cumulatifs, qui tiennent à l'organisation de l'association, à la discipline qu'elle fait régner parmi ses membres, à l'entraînement dont ils font l'objet et qu'ils assurent, aux intentions et à la stratégie que développent les responsables de l'association. Ces critères cumulatifs doivent permettre de ranger une association sous le régime de dissolution prévu par l'article premier de la loi du 10 janvier 1936. Si, par hasard, ces critères laissaient encore planer un doute, le juge administratif a parfois recours à des critères supplémentaires que sont des faits matériels, tel le port d'uniformes. Sous réserve d'exception, ces critères cumulatifs ont été mis en _uvre dans les décrets de dissolution. Par conséquent, comme je l'ai indiqué, je n'entends pas m'écarter de ces critères dans la proposition que je serai amené à présenter au ministre de l'intérieur.

Mme Odile SAUGUES : De quels réels moyens d'investigation disposons-nous s'agissant d'affaires dont vous avez dit, monsieur le directeur, qu'elles ont été jugées ? Nous avons parlé de celle d'Ostwald. Certes, elles ont été jugées, mais ne sont pas terminées, puisqu'un conseiller régional d'Auvergne a eu la possibilité de se représenter à des élections. Il a fait appel et on attend toujours les résultats. Peut-on débattre de ces affaires ? Quelles sont nos réelles possibilités d'investigation ?

M. Jean-Marie DELARUE : En effet, tant que les affaires ne sont pas closes, on ne peut connaître des pièces de la procédure pénale. Je rappelle que c'est là aussi une garantie du justiciable. Aux termes de l'article 11 du code de procédure pénale, le secret de l'instruction doit être sauvegardé. Par conséquent, il faut bien admettre qu'il convient de laisser le juge opérer tant qu'une affaire est en cours. Pour ce qui est des autres affaires, avec l'autorisation du procureur, vous pouvez connaître ce dont il est question. Je souscris à l'appréciation qui a été portée sur la nécessité de disposer de faits.

    Si vous le permettez, puisque l'occasion m'en est donnée à propos d'affaires en jugement, je suggère une autre piste à la Commission, celle de savoir si le juge pénal, lorsqu'il est saisi de tels faits, use bien de toutes les ressources qui sont à sa disposition. J'ai cité au début de mon propos les sanctions pénales dont s'assortissait l'infraction de constitution ou de reconstitution de groupes armés. L'article 431-18 du nouveau code pénal prévoit qu'il est possible d'appliquer aux personnes qui enfreignent la loi des peines complémentaires. Il faudrait se demander - c'est l'élection que vous évoquiez, madame la députée, qui m'y fait penser - si le juge pénal a pris soin de mettre en _uvre ces peines complémentaires. Naturellement, il ne revient pas à une commission d'enquête parlementaire d'exiger du juge, mais sans doute faut-il rappeler opportunément la possibilité qui lui est offerte de décider ces peines complémentaires.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Autrement dit, tant que le DPS n'a pas agi dans le cadre d'une manifestation du Front National par exemple, nous ne disposons d'aucun moyen de coincer qui que ce soit. Sans agissements avérés, le DPS peut continuer d'évoluer. Selon moi, si nous essayons d'en savoir plus sur le DPS, c'est pour en savoir plus sur le Front National, les deux étant étroitement liés.

    Selon vous, monsieur le directeur, la Commission ne devrait-elle pas étudier plus précisément ce qui se passe dans les départements et les régions ? Le 5 février, nous attendons, à Toulouse, la venue de M. Jean-Marie Le Pen. Militants et élus vont donc redescendre dans la rue battre le pavé. M. Jean-Marie Le Pen descend avec son organisation. Il vient pour un dîner patriotique et républicain. Le fait qu'il s'approprie ces termes est en soit déjà choquant. Concrètement, députée de la Haute-Garonne, quels moyens ai-je pour savoir de quoi sera conçu son service d'ordre, car j'imagine qu'il va descendre armada à l'appui ?

M. Jean-Marie DELARUE : D'une façon générale, les mesures administratives peuvent être ordonnées sans qu'il y ait d'agissements. Je vous dirai très nettement, car telle est ma conception, que, s'agissant de libertés publiques, je n'imagine aucune sanction administrative qui ne soit prise sans référence à des agissements et qui se fonderait seulement sur des intentions ou des velléités. Une mesure aussi grave que la dissolution d'une personne morale - seules 84 sont intervenues en l'espace de soixante ans dans notre pays - nécessite de reposer sur des faits avérés, quels que soient les agissements de ce groupement envers lequel je n'éprouve, je le répète, aucune sympathie. De ces faits, nous disposons de quelques éléments. C'est pourquoi la Commission que vous formez aujourd'hui a sa raison d'être.

    Vous déclarez par ailleurs que le DPS est inséparable du Front National. J'ai indiqué que cela constituait à mes yeux une difficulté du problème que vous avez à examiner : c'est parce qu'il est inséparable du Front National que la question de la dissolution du DPS pose quelques difficultés. Je ne dis pas que les idées du DPS, en supposant qu'il en ait qui lui soient propres, seraient plus extrémistes que celles du Front National. Tel n'est pas du tout mon point de vue. Simplement, le Front National est un parti politique, auquel la République verse des subsides et qui n'a, jusqu'à présent, enfreint aucune règle de légalité majeure. C'est bien ce caractère indissociable qui fait problème.

    Enfin, au sujet de la venue de M. Jean-Marie Le Pen à Toulouse, je ne puis vous indiquer de combien de personnes il sera accompagné. La logique même de l'organisation telle que je la connais consiste à faire venir peu de gens de très loin, mais plutôt à rameuter - pardonnez-moi l'expression, mais, après tout, elle me semble assez appropriée - les bénévoles des régions environnantes et, bien entendu, de la Haute-Garonne. Vous vous trouverez face au noyau habituel.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Il a été fait allusion au château de Neuvy où des rassemblements ont lieu au grand jour. Dans ce château, certes propriété privée, se passent des choses qui pourraient ressembler à des entraînements. N'est-ce pas là un fait avéré ? Comment peut-on intervenir ou poursuivre ? Ce seul fait ne peut-il nous laisser penser d'ores et déjà que c'est une organisation qui entraîne, qui fait porter des uniformes à ses membres ?

M. Jean-Marie DELARUE : Je vais sans nul doute vous décevoir, mais je suis obligé de redire que je conçois mon rôle comme la défense de l'état du droit tel qu'il est. L'entraînement est à relativiser : il ne s'agit pas d'un entraînement systématique, tout au long de l'année. Il n'en reste pas moins qu'il y a des faits avérés dans le château de Neuvy. Cet entraînement est, d'après moi, l'une des conditions, l'un des critères, mais il n'est pas le seul. Je vais vous paraître étroit de pensée, mais je considère encore une fois que la dissolution de l'association est une arme délicate à manier et je suis obligé de m'en tenir à ce que le juge a déjà eu l'occasion à plusieurs reprises d'indiquer. C'est une condition nécessaire, mais non suffisante.

    Cela étant, si, dans cette propriété, se déroulaient des faits répréhensibles appelant une intervention du juge, il appartiendrait à tout citoyen de les porter à la connaissance du procureur et, éventuellement, au parquet d'intervenir. Je pense, parmi d'autres, à des faits de maltraitance.

M. le Président : Le rapport que vous n'avez pas eu en mains ne contiendrait-il pas des informations sur ces faits avérés ? Sur la question des faits avérés, nous allons engager les démarches nécessaires afin de savoir ce qu'il est possible de porter à la connaissance de la Commission.

    Monsieur le directeur, nous vous demanderons de nous fournir la liste des interdictions, les rapports sur le gardiennage et les procès-verbaux des faits.

M. Jean-Marie DELARUE : Souhaitez-vous que je donne suite à la demande de M. Donnedieu de Vabres sur la typologie et sur les faits qui permettraient de la bâtir ? Je suis naturellement à votre disposition pour ce faire, mais il convient que je contacte les renseignements généraux à ce sujet. Vous pourriez, si vous le souhaitez, poser directement la question à M. Bertrand.

M. le Président : Naturellement. Je vous remercie.

Retour au sommaire des auditions

Audition de M. Michel SOUDAIS,

journaliste à Politis.

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 3 février 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Michel Soudais est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Michel Soudais prête serment.

M. Michel SOUDAIS : M. le président, M. le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, en guise de propos liminaire, je souhaiterais me présenter. Je suis les activités du Front National depuis janvier 1988, travail que j'ai accompli pour différents organes de presse, notamment pour Politis - hebdomadaire où je travaille à plein temps depuis le 1er novembre -, et Le Parisien, pour lequel j'ai suivi ces activités durant trois ans, de 1993 à 1996. Par ailleurs, en tant que pigiste, j'ai été amené à collaborer à une multitude de journaux, dont les Dossiers du Canard Enchaîné. J'ai ainsi participé à la rédaction du dossier consacré à M. Jean-Marie Le Pen et au Front National, paru en octobre 1992, ainsi qu'au dernier dossier publié sur ce sujet, en octobre 1998, consacré plus spécifiquement à M. Bruno Mégret.

    Au cours de cette période qui m'a amené à suivre les activités de ce parti un peu partout en France, notamment dans ses grandes manifestations, j'ai effectivement côtoyé le DPS, puisque ce service d'ordre est de toutes les manifestations et extrêmement présent à l'accueil du siège de ce parti. Les relations que j'ai pu avoir avec les membres du DPS ont été, tout d'abord, inexistantes ; je me contentais de leur présenter ma carte de presse aux différentes manifestations. Cela étant dit, j'ai été témoin d'un certain nombre d'incidents.

    Le premier remonte au congrès que ce parti a tenu à Nice, en mars-avril 1990. Le jour de l'ouverture, l'un de mes collègues de L'Evénement du jeudi, M. Richard Bellet, a été insulté et frappé par un membre du DPS qui lui avait déchiré son polo, au motif qu'il travaillait pour un journal qui ne lui plaisait pas. Cet incident avait donné lieu à quelques articles dans les quotidiens de l'époque, ainsi qu'à un article que j'avais publié dans les Dossiers du Canard sur le service d'ordre du Front National. Jusqu'à ce que la presse s'intéresse un peu plus au DPS, cet article a longtemps été la seule référence sur le sujet. Je suis d'ailleurs disposé à répondre à toutes vos questions pour préciser ce que j'avais pu écrire.

    J'ai ensuite constaté que ce service d'ordre chargé, soi-disant, d'assurer la sécurité des meetings, notamment à l'intérieur des manifestations organisées par le Front National, était bien souvent absent quand nous, journalistes, nous nous faisions agresser. Ainsi, à la suite d'un article qui avait déplu à des personnes proches du Front National, paru dans Le Parisien, en septembre 1993, j'ai été violemment agressé à la fête des « Bleu Blanc Rouge » (BBR), le 25 septembre 1993, par quatre jeunes, plutôt proches du Groupe Union Défense (GUD). J'ai eu dix jours d'arrêt de travail. Je n'ai été tiré d'affaire que par deux conseillers régionaux du Front National qui me connaissaient ; à aucun moment le DPS n'est intervenu, alors que quelques-uns de ses membres ne se trouvaient pas très loin de cette agression, qui a eu lieu au beau milieu de la fête. La même mésaventure a failli se reproduire à la fête des BBR en 1997. J'étais avec quatre collègues sur un stand, quand quelques membres du Front National, dont un membre du comité central, nous ont tendu un traquenard et ont cherché à nous provoquer. Aucun membre du DPS n'est intervenu quand les mots ont commencé à fuser et que des crachats sont partis. Cela m'a conduit, à plusieurs reprises, à m'étonner du travail effectif réalisé par le DPS, en tout cas dans sa mission principale de service d'ordre.

    A la suite de différents incidents, dont le plus grave a été la noyade du jeune Marocain, Brahim Bouarram, le 1er mai 1995, j'ai écrit un article dans Le Parisien, pour faire le point sur ce qu'était le DPS. A l'époque, sur la foi d'informations que j'avais pu obtenir, j'écrivais que cet organisme était chargé, notamment, de faire du renseignement sur les membres du Front National et sur ses adversaires. Cette affirmation n'a jamais donné lieu à contestation, tout comme l'ensemble de ma production. En effet, bien qu'ayant écrit un livre sur le Front National en novembre 1996 - dans lequel, il est vrai, je ne parlais pas du DPS - et quelques centaines d'articles sur le sujet, je n'ai à ce jour, jamais été contesté en justice, alors que ces personnes sont, en général, assez tatillonnes.

    Non seulement ce papier n'a pas été contesté, mais j'ai pu constater par la suite, dans un ouvrage publié en mai 1997 aux éditions Picollec, par un dirigeant important du Front National, M. Roland Gaucher, que ce dernier, qui avait dirigé National Hebdo et qui était, à l'époque de la publication de ce livre, conseiller régional de Franche-Comté, écrivait que le DPS était à la botte de M. Jean-Marie Le Pen. Il précisait même aux pages 191 et 192 : « Le DPS assume une double mission : fonctionner comme un service d'ordre, assurer la protection des réunions, des fêtes et des meetings, et opérer comme un service de renseignement. Cette organisation est directement rattachée au président du Front, elle est indépendante du secrétariat et de la délégation générale. Ses membres adressent leurs messages à Montretout ou s'y rendent pour y faire part de leurs observations. D'une façon générale, on peut dire que si le DPS opère avec dévouement, compétence et courage dans son rôle de service d'ordre, son travail consiste pour l'essentiel à fournir des renseignements sur tel ou tel membre ou responsable du Front au président de cette organisation. Il semble beaucoup moins renseigné sur les membres d'organisations adverses ». M. Roland Gaucher cite alors le MRAP, la LICRA, la Ligue des droits de l'homme, SOS Racisme, Ras l'front, le SCALP, etc. Il ne nie à aucun moment le fait que le DPS est également chargé de faire du renseignement sur ces adversaires.

    Quelles sont les raisons pour lesquelles, selon moi, le DPS n'est pas un service d'ordre comme ceux des autres partis ? La raison principale est qu'il s'agit d'un service d'ordre constitué en permanence en tant qu'organisation - même s'il n'est pas déclaré en tant que telle -, et non pas uniquement pour encadrer des manifestations ponctuelles, puisqu'il s'agit d'un dispositif mobilisable 24 heures sur 24. Par ailleurs, il remplit des missions non seulement de maintien de l'ordre, mais également de police interne et externe, à travers la recherche de renseignements.

    Du fait de son caractère permanent, un certain nombre de membres du DPS sont rémunérés à plein temps, quoi que le Front National en dise. Il est, en effet, difficile d'imaginer que des militants « bénévoles » - puisqu'ils sont présentés ainsi - puissent être en permanence au siège du parti, dont ils assurent notamment la garde, et partir sur des missions en province. En effet, j'ai pu constater, notamment au meeting tenu par M. Jean-Marie Le Pen à Metz, le 11 décembre 1998, au cours duquel il s'est comparé à César, que les membres du service d'ordre étaient des Parisiens. Ils étaient dans la salle et tournaient autour des tables prêts à faire rasseoir la personne qui aurait eu la velléité de critiquer ou d'élever la voix.

M. le Président : Vous nous avez expliqué qu'au début de votre travail, les relations avec les responsables du DPS et du Front National étaient inexistantes. Avez-vous eu, depuis, des contacts plus précis ?

M. Michel SOUDAIS : Je n'ai pas eu de contact avec le premier dirigeant du DPS, M. Jean Fort, dont j'avais rappelé, dans les Dossiers du Canard, le parcours politique un peu particulier - qui n'est pas rare au sein du Front National -, puisqu'il avait été notamment inquiété pour ses activités au temps de l'OAS. Il n'avait pas souhaité donner suite à mes demandes de rencontre pour la rédaction de ce papier.

    En revanche, j'ai eu l'occasion de rencontrer son successeur, M. Jean-Pierre Fabre, qui a assuré la direction du DPS pendant quelques mois, en 1993. A ce moment-là, je travaillais sur un autre Dossier du Canard Enchaîné. Ce monsieur s'était montré très sensible au fait et très gêné que ce journal ait cité son nom à deux reprises comme nouveau dirigeant du DPS. Il avait alors souhaité rencontrer la journaliste chargée des questions de défense, puisqu'il s'agissait d'un capitaine de gendarmerie en disponibilité. Comme je venais d'être agressé quelques jours auparavant à la fête des BBR, cette journaliste, avec qui je travaillais sur ce numéro des Dossiers du Canard, m'a demandé de venir avec elle pour lui dire ce que je pensais de l'organisation de son service. L'entrevue a eu lieu le 21 décembre 1993. A l'occasion de cette rencontre, M. Jean-Pierre Fabre a affirmé avoir quitté la charge de la direction du DPS, parce qu'il n'avait pas été entendu par M. Jean-Marie Le Pen. D'après ses dires, il lui aurait remis un livre blanc sur la sécurité au sein du Front National, lui demandant qu'une véritable formation soit donnée aux membres du DPS, et que ceux-ci soient recrutés « avec des casiers judiciaires vierges ». M. Jean-Marie Le Pen ne lui ayant pas donné gain de cause, il avait quitté sa fonction.

    M. Jean-Pierre Fabre était très gêné que l'on cite son nom, car il était capitaine de gendarmerie en disponibilité depuis mars 1993. Auparavant, il était responsable du centre de documentation pédagogique de l'école de gendarmerie de Maisons-Alfort. Lorsqu'il avait demandé sa disponibilité, son projet n'était pas de diriger le DPS ; il écrivait des ouvrages, du genre policier, mettant en valeur la gendarmerie - quelques-uns ont d'ailleurs dû être publiés. Il avait, sur cette base, conçu le projet, appuyé par le Service d'Information et de Relations Publiques des Armées (SIRPA) gendarmerie, de susciter une série télévisée qui valoriserait, non pas les membres de la police nationale, mais ceux de la gendarmerie dans la France rurale. Lorsqu'il était à la direction du DPS, et afin de garder l'anonymat, il avait pris un pseudonyme, tout comme son prédécesseur qui se faisait appeler colonel Janbart, alors qu'il s'appelait Jean Fort.

    Ensuite, j'ai eu de nombreux contacts avec M. Bernard Courcelle, notamment à la suite du meurtre de Brahim Bouarram, le 1er mai 1995, et en 1997, lorsque le DPS faisait l'actualité, lors du congrès de Strasbourg et dans les semaines qui ont suivi. Les relations que l'on peut avoir avec cet homme ne sont pas mauvaises. A partir du congrès de Strasbourg, en 1997, au moment où le DPS a commencé à être mis sur la sellette, et où il a été question de créer une Commission d'enquête sur ce service d'ordre, j'ai senti que M. Bernard Courcelle était excessivement sur ses gardes. J'ai pu me faire confirmer que les membres du service d'ordre faisaient attention à leurs agissements, évitant, par exemple, de sortir avec des armes de poing, alors qu'ils le faisaient avant.

M. le Président : Avez-vous vu personnellement des membres du DPS avec des armes de poing ?

M. Michel SOUDAIS : Je n'ai jamais vu d'armes de poing. En revanche, j'ai pu voir un autre type de matériel. Le 11 février 1998, M. Jean-Marie Le Pen a effectué une tournée en Ile-de-France pour les élections régionales. Lorsque nous sommes arrivés à Sarcelles, les membres du DPS étaient très excités, peut-être à cause de la réputation de cette ville, alors que nous étions dans le vieux village et que M. Jean-Marie Le Pen venait faire un discours devant la mairie. Ils ont alors sorti du coffre de leur véhicule des bonbonnes lacrymogènes - de la taille d'un extincteur de voiture - qu'ils ont ensuite cachées sous leur blouson. D'après les témoignages qui m'ont été rapportés, ils en font régulièrement usage, comme, par exemple, sur le marché de la place des Fêtes à Paris ; les journalistes d'une télévision locale, Télé Bocal, que je connais bien et qui étaient présents, m'ont d'ailleurs contacté et envoyé des photos pour voir si je n'identifiais pas l'un de leurs agresseurs. Or, l'un de ces agresseurs est un membre du DPS très connu que l'on voit régulièrement au siège du Front National, mais dont je ne connais pas le nom. Les journalistes de cette télévision locale pourraient, mieux que moi, vous parler du type de matériel employé.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Vous nous avez expliqué que le DPS n'était pas un service d'ordre comme ceux des autres partis politiques, ses membres étant disponibles en permanence et donc rémunérés à plein temps.

M. Michel SOUDAIS : Non, les membres du DPS ne sont pas tous rémunérés. Seuls quelques-uns, plus que ne le reconnaît en tout cas le Front National, le sont.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Pouvez-vous nous apporter des informations complémentaires à ce sujet ? D'où vient l'argent avec lequel ils sont rémunérés ? Deuxièmement, vous nous avez expliqué les raisons pour lesquelles M. Jean-Pierre Fabre avait quitté ses fonctions de responsable du DPS, M. Jean-Marie Le Pen ayant refusé de prendre en compte son livre blanc. Avez-vous eu connaissance de ce livre blanc ? D'autre part, dans ce livre blanc, M. Jean-Pierre Fabre proposait de recruter des personnes ayant un casier judiciaire vierge. Est-ce à dire que le recrutement se faisait - et se fait peut-être toujours - auprès de personnes ayant eu des démêlés avec la justice ? Enfin, le château de Neuvy-sur-Barangeon, propriété privée, abrite, de temps en temps, des hôtes du Front National et du DPS. Avez-vous eu l'occasion d'assister aux activités qui se dérouleraient à l'intérieur de cette propriété, d'entraînement notamment, qui laisseraient penser que le DPS est entraîné comme une milice parallèle ?

M. Michel SOUDAIS : D'où vient l'argent ? Je dois avouer qu'il s'agit d'une question que les journalistes se posent régulièrement, et à laquelle il n'est pas facile de répondre ; je crois que, comme moi, aucun de mes collègues n'a les moyens de le savoir. Ce que nous pouvons constater, c'est que le budget du Front National, tel qu'il est présenté à la commission ad hoc et publié au Journal officiel, est un budget important. Il comprend notamment 41 430 000 francs de subventions publiques, auxquelles s'ajoutent des dons, des cotisations d'adhérents, des reversements d'élus, etc.

    S'agissant des membres du DPS dont je suppose qu'ils sont rémunérés à plein temps, je ne fais que constater qu'une dizaine d'entre eux sont régulièrement au siège de ce parti. Si ces personnes sont en permanence au siège, je vois mal de quoi ils peuvent vivre. Pour certains membres du DPS que nous voyons dans toutes les manifestations, il s'agit de fonctionnaires connus ; l'un d'entre eux est à la direction du Front National RATP, et ses horaires peuvent lui permettre d'être très présent. Tel n'est pas le cas de ceux que l'on voit en permanence, et qui n'ont aucune autre occupation connue que d'être des gardes au siège du parti. J'ai évoqué cette question, parce que l'on entend souvent dire que le DPS ne compte que deux ou trois permanents. Il y en a plus. Je tenais à en informer la Commission. Cela étant dit, la grande majorité des membres du DPS sont des militants qui ont des occupations très variées. J'ai pu constater que l'un d'entre eux, dirigeant important en Bourgogne, était conseiller régional et médecin de profession. Un dirigeant lyonnais du DPS est ingénieur climatologue au CNRS. Beaucoup sont restaurateurs ; certains sont hôteliers et ferment leur hôtel quand il s'agit de donner un coup de main. D'autres encore sont d'anciens policiers, comme M. Philippe Caplain, responsable du DPS dans les Hauts-de-Seine, qui est passé par tous les groupuscules extrémistes de l'extrême-droite, de la F.A.N.E. (Fédération d'Action Nationale et Européenne) à l'_uvre française, au P.F.N (Parti des Forces Nouvelles) pour atterrir au Front National. Moyennant quoi, il a fini par être radié de la police et a travaillé un moment à la RATP, après être passé par des sociétés de sécurité.

    En ce qui concerne le livre blanc de M. Jean-Pierre Fabre, je ne l'ai jamais eu, ce dernier n'ayant pas voulu me le communiquer. Je le citais, car si la Commission venait à l'entendre, elle pourrait peut-être avoir l'idée de lui en parler.

    S'agissant des casiers judiciaires, comme pour l'argent, il est difficile d'obtenir ce genre d'informations. Tant que je n'ai pas pu les vérifier, je ne les écris pas. Néanmoins, un certain nombre d'informations de bonnes sources, qui demanderaient à être recoupées, font état du lourd passé de certaines personnes. Prenons le cas du nouveau directeur national du DPS, M. Marc Bellier qui a remplacé M. Bernard Courcelle. Lorsque j'avais rédigé les Dossiers du Canard en octobre 1992, M. Marc Bellier était déjà quelqu'un de connu, puisqu'il s'occupait du Sud de la France pour le DPS. Il avait chapeauté la campagne des régionales de M. Jean-Marie Le Pen dans le Sud, et son nom avait été avancé pour remplacer M. Jean Fort qui était donné sur le départ. A la suite de ces informations, une lettre confidentielle, La lettre de Nationalisme et République, rédigée par un certain Michel Schneider - qui n'aimait pas M. Jean-Marie Le Pen à l'époque et qui s'en était séparé en faisant un certain nombre de révélations -, aujourd'hui adjoint de M. Jean-Jacques Susini dans les Bouches-du-Rhône, écrivait : « Marc Bellier, responsable DPS pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), succéderait bientôt à Jean Janbart, malade, à la tête de la DPS nationale ; c'est la police qui va être contente ! ». J'ai cherché à savoir ce qu'il pouvait y avoir derrière cette remarque, et effectivement, la police connaissait bien M. Marc Bellier non seulement pour des faits remontant aux années soixante-dix, notamment pour des histoires de m_urs, d'escroqueries, de chèques volés, mais également parce qu'il avait été responsable du service d'action civique dans le Sud.

    Cela étant dit, je tiens à mettre en garde la Commission : je n'ai pas pu vérifier personnellement un certain nombre d'informations qui m'avaient été communiquées à cette époque, n'ayant pas la possibilité d'aller vérifier aux greffes des tribunaux si les condamnations étaient bien réelles - avec toujours la crainte qu'elles soient amnistiées. Il m'a toujours semblé qu'il n'était pas mauvais de m'informer sur les personnes que j'avais en face de moi, compte tenu du fait que nous, journalistes, sommes, sinon espionnés - on a parfois des doutes, il y a des phénomènes troublants qui peuvent se produire dans notre boîte aux lettres -, du moins surveillés, notamment lorsqu'on nous photographie en conférence de presse.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Que se passe-t-il concernant votre boîte aux lettres ?

M. Michel SOUDAIS : Je peux en parler, mais je ne pourrais pas affirmer qu'il s'agit d'actes commis par des membres du DPS, même si je suis certain qu'ils émanent de personnes d'extrême-droite. A la fin de l'été 1997, j'ai pu constater de visu, alors que j'avais déjà remarqué que le courrier arrivait avec quelques jours de retard, que le courrier tombait deux fois dans ma boîte aux lettres, à une demi-heure d'intervalle. J'ai interrogé la factrice qui m'a assuré qu'elle n'était pas passée une demi-heure auparavant. Il s'agit d'une vieille technique : on prend le courrier, on l'inspecte et on le remet dans la boîte au moment où le facteur passe. Ces incidents se sont déroulés à un moment où j'avais déménagé, changé de situation de famille, et où j'étais pigiste ; je travaillais donc pour différents journaux. J'étais également très sollicité à la suite de la publication de mon livre pour donner des conférences, notamment par des associations antiracistes et par des partis politiques (PS, RPR, ...) en manque d'information sur le Front National.

    En ce qui concerne le château de Neuvy-sur-Barangeon, je m'y suis rendu uniquement pour les universités d'été du Front National de la jeunesse. J'ai décrit ce qui s'y passait dans mon livre, qui n'a pas été contesté : levée des couleurs, garde-à-vous, avec tout un cérémonial le matin. Beaucoup de sports se pratiquaient dans la nature, tels que le volley et le foot, mais je n'ai pas pu tout voir, ce château étant une grande propriété.

M. Gérard LINDEPERG : Vous avez notamment fait mention de deux membres du DPS qui seraient, l'un gendarme en disponibilité, l'autre ancien policier. Au-delà de ces personnes qui sont en recul par rapport aux institutions, pensez-vous qu'il puisse y avoir certaines connivences avec, par exemple, les unités de maintien de l'ordre de la police ? Par ailleurs, existe-t-il, à votre avis, une articulation entre le Cercle des combattants, dont M. Roger Holeindre est le responsable, et le DPS ? Enfin, avez-vous des informations consécutives à l'éclatement du Front National, et donc du DPS ?

M. Michel SOUDAIS : En ce qui concerne d'éventuelles connexions avec des services de police, je vous citerai un exemple bien précis, que la Commission peut parfaitement vérifier. Le 11 novembre 1995, le Front National décide de manifester à Carpentras. Il investit une grande partie de la ville dès le matin, alors qu'en périphérie se tient une contre-manifestation. En fin de matinée, juste avant l'arrivée de M. Jean-Marie Le Pen qui doit tenir une conférence de presse à la permanence du Front National de Carpentras, ville dans laquelle le leader du Front National est M. Marc Bellier, plusieurs militants sont déjà dans la rue et l'investissent complètement, traitant la voie publique comme une annexe de la permanence du Front National. Lorsque je suis arrivé avec des collègues, dont M. Serge Faubert, nous avons pu constater que les membres du DPS avaient interpellé, sur la voie publique, un jeune punk, au motif qu'il se trouvait dans la rue et qu'il n'avait rien à y faire. Ils l'avaient isolé dans un local en face de la permanence, fouillé - ils avaient trouvé un couteau dans sa poche, ce qui prouvait ses mauvaises intentions ! -, menotté, et lui avaient confisqué ses papiers d'identité. Ce jeune garçon a ensuite été remis à la police nationale, en ma présence. Les membres du DPS lui ont enlevé les menottes à la sortie du local, pour le remettre libre à la police. J'ai ensuite constaté qu'un membre supplétif du DPS, recruté dans les milieux proches du GUD et des skinheads - un de mes agresseurs de 1993, et qui a eu des ennuis, notamment à Vitrolles lors de l'agression du barrage des routiers -, a remis les papiers d'identité du jeune punk à un membre du DPS plus âgé, plus présentable, qui les a remis à la police nationale. Dans ce cas précis, cette dernière savait très bien que le jeune avait été interpellé par le DPS et qu'il avait été fouillé, puisque ses papiers d'identité lui avaient été remis à part. Voilà un exemple à partir duquel je m'interroge sur les pratiques autorisées au sein d'un service d'ordre, qui n'est que le service d'ordre d'un parti politique !

M. le Président : Vous disposez certainement d'autres exemples précis à ce sujet. Nous sommes en effet soucieux de disposer d'éléments très précis. Cependant, notre temps étant compté, peut-être pourriez-vous les communiquer par écrit à la Commission ?

M. Michel SOUDAIS : Je vais vous citer un autre exemple, tout en rappelant au préalable, qu'à cette période-là, le plan Vigipirate était déclenché. Lors de l'université d'été du Front National à Toulon, fin août 1995, mes collègues et moi-même avons été très surpris de constater que, malgré les détecteurs de métaux, les membres du DPS pratiquaient une fouille systématique sur toutes les personnes qui rentraient, y compris sur les journalistes. Et certaines femmes, membres du DPS, s'acharnaient longuement sur le sac de mes cons_urs, regardant notamment à l'intérieur de leur carnet d'adresses. Voilà une pratique qui, en termes juridiques, me paraît à la limite de la légalité.

    Je peux vous faire part d'un autre événement auquel j'ai personnellement assisté, dont j'ai fait état dans Le Parisien du 23 octobre 1996 et qui m'a convaincu que de nombreux membres du DPS étaient capables de commettre des actes illégaux sur ordre. Le 21 octobre 1996, se déroulait salle Wagram un meeting pour protester contre les atteintes aux libertés. Il était alors question d'un renforcement de la loi contre le racisme, décidé par M. Jacques Toubon. A l'issue de ce meeting, M. Bruno Gollnisch a demandé aux participants de se rendre à la place de l'Etoile - il était 22 heures 30 - sans que cet acte soit annoncé aux différentes autorités concernées. Lorsque tous les militants sont arrivés sous l'Arc de Triomphe, le seul policier présent qui gardait la flamme a, bien entendu, tenté de s'interposer pour éviter le dépôt clandestin d'une gerbe. Mal lui en a pris, car sur l'ordre de M. Bruno Gollnisch, qui s'est adressé à son garde du corps, qui a ensuite transmis cet ordre aux membres du service d'ordre, deux membres du DPS ont pris le policier, l'ont bousculé sans ménagement et éloigné de la flamme. Ce geste n'a pas eu l'air de déranger le moins du monde les membres du DPS qui, par ailleurs, avaient l'air de bons pères de famille.

M. Robert GAÏA: Aucune demande n'avait été déposée auprès de la préfecture ?

M. Michel SOUDAIS : Aucune ! Vous n'êtes pas sans savoir que depuis que Le Canard Enchaîné a rendu compte de la manière dont avait été espionné un comité directeur du parti socialiste, le ministre de l'Intérieur a décidé que les renseignements généraux ne suivraient plus l'activité des partis politiques. De ce jour, je ne vois plus aucun policier des renseignements généraux suivre les activités du Front National. Cela a permis au Front National, à deux ou trois reprises, de mener ce genre d'opération surprise qui, auparavant, aurait été ébruitée, ce qui aurait permis à la police de prendre les devants. Le Front National a ainsi pu, par exemple, occuper illégalement la Cour des comptes.

M. Michel MEYLAN: Avez-vous été témoin, lors de manifestations, d'une complaisance des forces de police à l'égard du DPS ? Par ailleurs, avez-vous des informations sur l'organigramme du DPS en province ?

M. Michel SOUDAIS : Je répondrai positivement à votre première question, dans la mesure où un dialogue s'instaure régulièrement entre les forces de l'ordre et le DPS ; le dispositif est beaucoup plus lâche pour les manifestations du Front National que pour des manifestations de gauche. Si l'on peut qualifier de « complaisance » des personnes qui sympathisent, oui, il y a complaisance : l'on peut assister régulièrement à des scènes de sympathie, de fraternité entre des membres du DPS et des forces de l'ordre.

    S'agissant de l'organigramme du DPS en province, je dois dire qu'il est assez difficile à connaître. Cependant, avec l'éclatement du Front National et la guerre des communiqués à laquelle on a pu assister, on a découvert un certain nombre de responsables du DPS en province, car ils ont envoyé des communiqués pour dire vers qui allait leur préférence. Je pourrais, effectivement, vous mettre par écrit un embryon d'organigramme avec quelques noms de grands responsables.

M. le Rapporteur : A propos de M. Jean-Pierre Fabre, savez-vous quel était son passé, avant sa mise en disponibilité, et ce qu'il est devenu, après ses relations avec le SIRPA gendarmerie pour la création d'émissions de télévision ?

    En vous écoutant, nous avons le sentiment qu'il y a une sorte de poupée gigogne : un DPS relativement honorable, composé d'hommes d'une cinquantaine ou d'une soixantaine d'années, anciens militaires, anciens d'Algérie ; une deuxième vague de personnes plus jeunes, plus « sportives » et plus « dynamiques » ; et, enfin, une troisième bande qui est un ramassis de personnes issues des milieux de l'extrême-droite la plus raciste et rétrograde. Pouvez-vous nous renseigner à ce sujet ?

    S'agissant de M. Caplain, avez-vous connaissance de sa date de radiation ?

    En ce qui concerne les événements de Carpentras, les policiers qui avaient récupéré le jeune punk étaient-ils des policiers en tenue ou en civil ? Cette rue était-elle investie par des forces de police, en tenue ou en civil ? Par ailleurs, pouvez-vous nous faire parvenir des photos ou des articles de presse sur cet incident qui me paraît très intéressant ?

    Enfin, s'agissant de l'incident qui a eu lieu après la réunion salle Wagram, on peut admettre que les renseignements généraux obéissent aux ordres du ministre et ne suivent plus les manifestations politiques, mais n'y avait-il pas, à Wagram, des unités de la préfecture de Paris ? En général, pour de telles réunions ou manifestations, il y a un certain nombre de cars de police.

M. Michel SOUDAIS : Je ne sais pas ce qu'est devenu M. Jean-Pierre Fabre. J'avais appris à l'époque qu'il avait déjà été responsable du service d'ordre d'une grande manifestation des anti-89, organisée le 15 août 1989 dans Paris. Je ne sais pas si, à ce moment-là, il était en activité ou en vacances !

    S'agissant du DPS et de ses poupées gigognes, il y a eu, au début, une tentative d'organisation sur le papier. Je peux communiquer à la Commission un vieux document qui prétendait, au début, fixer une organisation extrêmement rigide et militarisée, avec des ordres, un certain nombre de grades, une codification des insignes. Cette organisation a cependant partiellement cédé devant les faits et n'a pu empêcher l'apparition d'un certain amateurisme. Ainsi, bien souvent, le DPS fait appel à ce que j'appelle des supplétifs, à savoir des personnes qui sont peu recommandables - connues comme telles d'ailleurs -, pour des manifestations ponctuelles. Ceci ne signifie pas que tous les casiers judiciaires des membres permanents du DPS sont vierges. Je vous ai cité des exemples tout à l'heure, et il y aurait d'autres cas, notamment celui d'un responsable parisien à qui étaient confiés les « groupes-chocs », M. Eric Staelens - que je citais dans les Dossiers du Canard sous son pseudonyme, M. Robert. Ce personnage a eu des démêlés avec la justice pour diverses escroqueries, dont je n'ai jamais jugé utile de faire état.

    En revanche, quels sont les supplétifs ? M. Serge Ayoub a été régulièrement présent, notamment à la fête des « Bleu Blanc Rouge » de septembre 1993, dans l'enceinte de laquelle il se déplaçait avec un talkie-walkie fourni par le DPS. Je l'ai également remarqué dans plusieurs meetings parisiens, en plus du meeting de Saint-Ouen-l'Aumône, dont je faisais mention dans les Dossiers du Canard. Autre cas très intéressant, celui de M. Régis Kerhuel. Leader des skinheads du Havre, il était régulièrement appelé lors des fêtes des BBR pour servir de physionomiste. Il était chargé de repérer les skinheads, qu'il connaissait très bien, pour les neutraliser. M. Régis Kerhuel, soupçonné de meurtres , a été emprisonné en juin dernier, et était donc absent à la fête des BBR de septembre 1998 qui a donné lieu à une gigantesque bagarre entre skinheads et membres du DPS.

    S'agissant de Carpentras, je vous confirme qu'il s'agissait de policiers en tenue qui se déplaçaient dans une voiture de police. Je ne suis pas certain qu'il y ait eu des articles de presse relatant cet incident, mais il doit exister une scène filmée pour la télévision - soit l'arrestation, soit la livraison du jeune à la police. Par ailleurs, la rue était investie par les membres du Front National, et il n'y avait pas de policiers dans cette rue.

    Enfin, à Wagram, il n'y avait ni gardes mobiles ni CRS sur les lieux. Je m'en souviens d'autant plus, qu'au dernier meeting de M. Jean-Marie Le Pen, dans cette même salle Wagram - sûrement en souvenir de ce qui s'était passé en 1996 -, il y avait plusieurs cars qui s'étaient positionnés entre la salle Wagram et la place de l'Etoile.

M. Robert GAÏA: Vous nous avez dit que M. Bernard Courcelle était inquiet de savoir qu'une Commission d'enquête sur le DPS allait sans doute être mise en place. A votre avis, pourquoi était-il inquiet et que craignait-il ? Deuxièmement, connaissez-vous des sociétés de sécurité qui sont liées avec le Front National ? Troisièmement, vous avez parlé des fouilles qui ont eu lieu à Toulon à l'entrée d'une manifestation. Pensez-vous que la police était au courant, et est-ce qu'il existe des liens entre le DPS et la police ? Enfin, avez-vous eu connaissance d'un rapport des services de renseignements généraux sur le DPS ?

M. André VAUCHEZ: Connaissez-vous des personnes travaillant dans des sociétés de sécurité qui seraient membres du DPS ? Vous avez parlé de la Bourgogne : connaissez-vous M. Jaboulet-Verchère ? Enfin, avez-vous connaissance d'un document périodique qui pourrait être, sous couvert du DPS, adressé aux gendarmes et, en particulier, aux gendarmes retraités ?

M. Noël MAMÈRE: Avez-vous confirmation que MM. Marc Bellier et M. Jean-Pierre Fabre étaient auparavant membres du RPR ? A propos des sociétés de sécurité qui pourraient être en connexion avec le Front National, avez-vous des informations sur la société de sécurité ACDS, dont le propriétaire a fermé boutique et est aujourd'hui soupçonné d'escroquerie à l'assurance ? Par ailleurs, connaissez-vous la société de sécurité Ambassy, dirigée par M. Soulas, celui-là même qui a organisé les manifestations de policiers contre M. Badinter, qui est, paraît-il, un bon réservoir de membres du DPS et est aujourd'hui avec M. Mégret, après avoir été un responsable du DPS très actif en Ile-de-France ? Avez-vous assisté aux manifestations du Front National à Nîmes, lors des élections régionales de 1992 ? Il semblerait que trois compagnies de CRS n'ont pas bougé pendant que le Front National prenait possession de la rue. Ne pensez-vous pas qu'il serait utile, étant donné les porosités qui semblent se produire entre certains représentants de la police et le Front National, d'auditionner des représentants départementaux de la sécurité publique, en particulier ceux du Gard et des Bouches-du-Rhône ?

M. Odile SAUGUES: Je souhaiterais savoir si vous avez des informations complémentaires concernant d'anciens membres du SAC et leur collaboration avec le DPS. Vous avez, en effet, cité M. Marc Bellier.

M. Michel SOUDAIS : Je ne saurais pas vous dire précisément pourquoi M. Courcelle était inquiet à l'idée de l'ouverture d'une Commission d'enquête sur le DPS. Je le suppose simplement. En effet, le DPS n'est pas une organisation très transparente et il faut bien se rappeler ce qu'en disait M. Roland Gaucher, à la suite de journalistes jusqu'alors contestés ; il pouvait donc avoir des inquiétudes. Je souligne également que le DPS filme régulièrement des contre-manifestants et que l'on peut voir des personnes dont on sait qu'elles sont proches du DPS dans d'autres manifestations. Ainsi, je me suis étonné de voir que le photographe du Front National, photographe professionnel, certes, mais qui arbore un badge DPS dans les manifestations du Front National, prît des photos lors de la manifestation contre les lois Debré ! D'ailleurs, lors de cette dernière manifestation, il s'est sauvé dès que je me suis approché de lui !

M. le Rapporteur : Quel est le nom de ce photographe ?

M. Michel SOUDAIS : M. Franck Landouch. Il a été blessé lors de la dernière fête des BBR, dans la bagarre entre skinheads et membres du DPS, les skinheads l'ayant pris pour un DPS !

    S'agissant des sociétés de sécurité, j'ai pu constater, notamment en 1988, que le DPS entretenait des rapports avec la société Normandy, dirigée alors par un certain M. Lousteau, décédé depuis, et dont le fils est candidat du Front National depuis quelques années dans les Hauts-de-Seine. Lors de la tournée de février 1998 de M. Jean-Marie Le Pen dans les départements d'Ile-de-France, il a fait une station dans un dépôt de l'ACDS de l'Essonne, pour illustrer le problème de l'insécurité. A cette occasion, nous avons pu constater que M. Régis de la Croix Vaubois, conseiller régional de la Nièvre, était directeur du personnel de l'ACDS ; il avait organisé cette visite en accord avec son patron, qui était également présent. J'ai entendu parler de la société Ambassy, mais je ne la connais pas particulièrement. En revanche, je puis vous citer le Groupe Onze, dirigé par le frère de M. Bernard Courcelle ; je n'ai pas pu constater qu'il y avait des passages de l'un à l'autre, hormis le fait qu'on les retrouve sur quelques dossiers, notamment quand il est question d'envoyer des mercenaires au Zaïre en 1997. En effet, un certain nombre de personnes d'extrême-droite - GUD, DPS - ont été envoyées comme mercenaires, probablement par l'entremise de personnes qu'elles connaissaient dans les milieux qu'elles fréquentaient. On peut citer, à cet égard, le nom de M. François-Xavier Sidos, qui était au cabinet de M. Jean-Marie Le Pen et est apparu plusieurs fois avec un badge du DPS ; il était le lieutenant « F. X. » de M. Bob Denard dans le dernier coup d'Etat aux Comores.

    S'agissant des relations qui peuvent exister à Toulon entre le DPS et la police, je n'ai pas grand-chose à vous dire. Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu des choses de ce genre ; mais il est vrai que, passé le sas d'entrée, étant donné la multiplicité des contrôles qui nous étaient imposés, nous n'avions pas très envie de ressortir.

M. le Président : Je voudrais pour ma part, compléter la question relative à l'existence d'un rapport établi par les renseignements généraux sur le DPS. L'Evénement du jeudi de mai 1997 cite le Canard Enchaîné en disant qu'il avait révélé « qu'un inspecteur des renseignements généraux avait puisé dans les archives de son service pour alimenter le fichier du DPS ».

M. Michel SOUDAIS : Selon toute hypothèse, et étant donné les fonctions qu'il occupait à l'époque, il peut s'agir de M. Frédéric Jamet qui était secrétaire général du Front National police. Il a été, à une époque, à la direction des renseignements généraux de la préfecture de police de Paris, chargé de faire des notes de synthèse. M. Frédéric Jamet était un militant d'extrême-droite avant d'être mis à ce poste, et s'est révélé ensuite membre du Front National. Je crois qu'il est actuellement en prison pour des braquages. S'agissant du fameux rapport, j'en ai, bien sûr, entendu parler, mais je ne l'ai jamais eu en main. Les journalistes qui suivent régulièrement les activités du Front National ont effectivement entendu parler d'un rapport que M. Jean-Louis Debré disait avoir demandé, avant de nier avoir fait cette demande. Malgré le contrordre, on a appris qu'il était demandé à certains fonctionnaires de l'établir malgré tout, ce rapport devenant ainsi encore plus secret qu'il ne l'était. Il est donc difficile d'y avoir accès. Sachez tout de même que les renseignements généraux, s'ils ne s'occupent plus des partis politiques, s'occupent en revanche de la violence politique ; or celle-ci peut les amener à s'intéresser à tout ce qui concerne le service d'ordre et les personnes violentes qui tournent autour du Front National.

M. le Rapporteur : Croyez-vous sérieusement que, malgré les ordres, les renseignements généraux ne s'occupent plus des partis politiques ?

M. Michel SOUDAIS : Ce que je peux vous dire, c'est qu'avant cette décision, un fonctionnaire des RG assistait à l'ensemble des conférences de presse et des réunions publiques sur la région parisienne, accompagné régulièrement d'un adjoint, qui pouvait changer. J'ai côtoyé cette personne de 1988 à 1994, puis il a arrêté et nous n'avons jamais vu personne d'autre. Néanmoins, un fonctionnaire des renseignements généraux s'est présenté au congrès de Marignane et a demandé à y assister, avec un badge de presse, ce qui lui a été refusé.

    S'agissant des événements de Nîmes, je n'ai rien à vous dire, puisque je n'y étais pas. Quant à la Bourgogne, je puis vous dire que les deux grands responsables du DPS ont choisi un camp différent : M. Christian Launay est resté fidèle à M. Jean-Marie Le Pen, tandis que M. Gérard Le Vert dirige maintenant le DPS de M. Bruno Mégret. Je dois d'ailleurs vous préciser que, lors de sa dernière conférence de presse, vendredi dernier, M. Bruno Mégret a annoncé son intention de changer le nom du DPS. Je lui ai demandé si c'était pour ne pas avoir à supporter l'héritage qu'allait bientôt dévoiler la Commission d'enquête parlementaire ; il a répondu par une pirouette ! Manifestement, il s'agit là d'une des motivations de ce changement.

    En ce qui concerne un journal qui serait envoyé aux gendarmes à la retraite, en liaison avec le DPS, je suppose que vous voulez parler du Glaive, le bulletin du Cercle national des gens d'armes. Ce journal n'a plus de relation avec le Front National depuis déjà plusieurs années, depuis que ses dirigeants, MM. Jean-Jacques Gérardin et Bernard Lefèvre, ont pris leur distance avec le Front National, en 1995, à la suite de l'élection de Toulon, car ils n'appréciaient pas le choix de M. Jean-Marie Le Chevallier.

    Je ne sais pas si M. Jean-Pierre Fabre vient du RPR, mais je sais qu'il y en a d'autres, tels que le responsable du DPS dans le Val-d'Oise, un cadre de banque. Il fait partie des membres du DPS que l'on veut nous présenter comme des bons pères de famille. Il était conseiller municipal à Villiers-le-Bel et se présente toujours là-bas.

    Enfin, j'avais parlé du SAC dans les Dossiers du Canard d'octobre 1992, non pas de ma propre initiative, mais parce qu'un ancien cadre important du Front National, qui a travaillé auprès de M. Jean-Pierre Stirbois et qui était là dans la période charnière de l'organisation, de 1983 à 1986, M. Jean-François Touzé, avait lui-même expliqué que, au départ, le DPS avait été formé avec l'appui d'anciens membres du SAC, mais que ceux-ci n'étaient pas restés longtemps. A l'époque, M. Daniel Volan avait tout de même été entendu par une commission similaire sur le SAC et sa déposition figurait dans le rapport. M. Daniel Volan était passé au Front National à la fin des années quatre-vingts.

M. Thierry MARIANI: Je souhaite simplement vous dire que M. Marc Bellier était membre du RPR, puisque j'ai milité avec lui il y a 20 ans dans le Vaucluse !

M. le Président : La télévision Télé Bocal, dont vous avez parlé tout à l'heure, vous a-t-elle présenté des photos ou un document audiovisuel ?

M. Michel SOUDAIS : Les journalistes de Télé Bocal m'ont envoyé une photo par fax. L'agression du DPS sur le marché de la place des Fêtes a eu lieu le 15 février 1998, et je suis persuadé que vous pouvez leur demander des documents.

M. le Président : M. Soudais, nous vous remercions pour votre collaboration. Je vous rappelle que, si vous avez d'autres informations qui pourraient nous intéresser, notamment sur l'organigramme du DPS en province et sur des faits précis qui pourraient nous être utiles pour la suite de nos investigations, vous pouvez nous les faire parvenir par écrit.

Retour au sommaire des auditions

Audition de MM. Michaël DARMON, journaliste à France 2,

et Romain ROSSO, journaliste à l'Express.

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 3 février 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

MM. Michaël Darmon et Romain Rosso sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Michaël Darmon et Romain Rosso prêtent serment.

M. Romain ROSSO : Je suis journaliste à l'Express et je couvre les activités du Front National depuis environ quatre ans, c'est-à-dire depuis l'élection présidentielle de 1995 et la victoire aux municipales du Front National à Marignane, Toulon et Orange.

    En tant que journaliste chargé de suivre les activités du Front National, je suis confronté quotidiennement aux agissements politiques du Front National, de ses militants, sympathisants et dirigeants, ainsi que du DPS. En écrivant dans notre livre L'après Le Pen paru au Seuil il y a un an un chapitre sur le DPS, nous avons voulu montrer, dans le cadre de la thématique que nous développons - le processus de l'après Le Pen qui s'enclenchait -, qu'à l'époque de l'écriture du livre, l'appareil DPS était intégralement aux mains du président du Front National. C'était son pouvoir propre et il en avait le contrôle absolu.

    Le DPS est à notre avis emblématique du projet de société que souhaite développer le Front National : une société ultra-sécuritaire, très contrôlée, « fliquée ». L'activité officielle du DPS est effectivement d'assurer la sécurité des meetings, des réunions et des manifestations, mais il a également une activité souterraine, moins connue, qui est le renseignement interne. N'ayant confiance qu'en très peu de monde, M. Jean-Marie Le Pen se sert du DPS pour faire remonter toutes les informations qui circulent sur le territoire national et dans les fédérations. Il souhaite être au courant des bruits, des rumeurs, des « engueulades » entre les uns et les autres ; au besoin, il dépêche des personnes qui lui sont proches pour régler telle ou telle affaire.

M. Michaël DARMON : Je suis journaliste à France 2 et je couvre également les activités du Front National pour le service politique de la chaîne depuis 1995, après l'élection présidentielle, à partir des municipales. A ce titre, j'ai été amené à couvrir l'actualité et toutes les affaires qui entourent la vie de ce parti.

    En ce qui concerne plus particulièrement le DPS, j'ai été témoin, pour la première fois, des agissements de la partie un peu plus souterraine et clandestine du service d'ordre du Front National au cours d'un meeting à Montceau-les-Mines, tenu par M. Bruno Gollnisch le 25 octobre 1996. M. Bruno Gollnisch commençait avec ses militants une série de réunions publiques à travers la France pour protester contre le projet de loi Toubon visant à lutter contre les déclarations sur l'inégalité des races.

    Nous étions à Montceau-les-Mines, un peu par hasard, pour compléter un sujet que nous étions en train de monter sur M. Bruno Gollnisch à la suite des incidents qui avaient eu lieu aux Champs-Elysées quelques jours plus tôt, lorsqu'il avait bousculé un policier après une réunion à la salle Wagram. Ces images n'avaient pas encore été diffusées. Bien entendu, les incidents qui se sont déroulés à Montceau-les-Mines ont pris le pas sur les premières images que l'on a ensuite englobées dans le même sujet.

    Nous arrivons ce soir-là au centre nautique vers 21 heures, alors qu'une cinquantaine de manifestants anti-Front National étaient déjà devant le centre nautique. Lorsque M. Bruno Gollnisch arrive avec banderoles et slogans, ses gardes du corps et des gens du DPS en tenue classique qui l'entourent chargent les manifestants avec des gaz lacrymogènes et des extincteurs. Cette petite charge, assez violente, ne dure pas très longtemps - trois, quatre minutes -, juste le temps pour M. Bruno Gollnisch d'entrer dans la salle.

    Je le suis à l'intérieur de la salle pour filmer l'accueil qui lui est réservé, puis je ressors voir si le calme est revenu. Ce que je découvre alors est étonnant : le nombre des membres du DPS a augmenté - ils étaient maintenant une quarantaine de personnes - et surtout, ce qui nous frappe, leur accoutrement ressemble étrangement à celui des CRS : casques, boucliers en plexiglas, matraques, tenues noires et bottes. C'étaient vraiment des CRS déguisés. Toute la presse était partie, ; nous commençons donc à filmer.

    Nous assistons aussitôt à une confrontation qui a lieu entre les membres du DPS et une cinquantaine de jeunes - visiblement du quartier voisin, de l'autre côté du terre-plein. La stratégie du DPS est double : un groupe est chargé de contenir l'avancée des jeunes manifestants vers le centre nautique, tandis que le second protège l'accès du centre, en détournant les voitures qui n'étaient pas identifiées comme venant assister au meeting. Cela dure une heure et demie à deux heures pendant lesquelles on nous laisse filmer et faire des interviews. On a vu pour la première fois cette activité particulière du service d'ordre du Front National.

    Ce qui nous a aussi beaucoup étonnés, c'est l'absence de la police nationale.

M. le Président : Elle n'était pas du tout présente ?

M. Mickaël DARMON : Pas du tout... J'ai pourtant été témoin de coups de fil passés au commissariat par des membres du Front National dans la salle, pour signaler, certes avec leur logorrhée habituelle, des troubles à l'ordre public. Or les policiers ne sont pas venus. Lorsque nous sommes partis - après une interview de M. Bruno Gollnisch nous confirmant qu'il avait demandé lui-même à ses gens de faire le « nettoyage » en l'absence de la
police -, nous avons vu, vers minuit, les CRS rassemblés à 300 mètres du centre nautique. C'était mon grand étonnement et j'en ai fait mention dans le reportage. Pendant deux heures et demie, cette zone de Montceau-les-Mines était devenue une zone de non-droit parce qu'une organisation parapolicière émanant d'un parti politique avait tenté de régler l'ordre et s'était affrontée à des personnes.

    C'était la première fois que je découvrais l'existence de ce groupe secret du service d'ordre du Front National. Après ces incidents, j'ai contacté M. Bernard Courcelle qui m'a confirmé l'existence de ce qu'il appelait les UMI - Unités Mobiles d'Intervention -, et dont il avait ordonné la remise en activité suite aux récentes déclarations de M. Alain Juppé à Montpellier. Celui-ci avait désigné, devant les lycéens, le Front National comme étant un parti xénophobe, raciste, antisémite et avec lequel il ne fallait avoir aucune relation. M. Bernard Courcelle estimait donc qu'il y avait une légitimité à protéger les réunions lepénistes qui allaient dorénavant être l'objet d'attaques physiques. C'était sa conception du complot permanent contre ses militants. Ces unités devaient donc, selon ses ordres, sortir ponctuellement en cas de besoin.

M. le Président : Pouvons-nous nous procurer votre reportage ?

M. Michaël DARMON : Bien entendu, le sujet a été diffusé au 20 heures du 26 octobre 1996. Il dure deux minutes trente secondes.

    A la télévision, nous avons revu les UMI autour du congrès de Strasbourg du Front National en mars 1997. Elles protégeaient, la nuit, les abords du palais des congrès
    - j'en avais diffusé quelques images. Nous les voyions de très loin, mais on pouvait assez bien distinguer que les membres composant ces UMI étaient habillés de la même façon qu'à Montceau-les-Mines, avec des casques. Par ailleurs, nous avons vu également, pas très loin des UMI, des CRS qui protégeaient, eux aussi, les abords du palais des congrès. Cela a fait ainsi l'objet d'un sujet que vous pouvez également vous procurer à l'INA.

M. Romain ROSSO : Le lundi 21 octobre 1996, M. Bruno Gollnisch a organisé un meeting, salle Wagram à Paris, contre le projet de loi antiraciste de M. Toubon. Je me souviens tout à fait bien de l'ambiance particulièrement électrique de cette soirée-là. Pour en caractériser l'esprit, j'emploierais le terme : « séditieux ». C'était en quelque sorte le 6 février 1934 de M. Bruno Gollnisch, qui a pris la décision de faire une manifestation illégale.

    L'esprit était bien insurrectionnel. M. Bruno Gollnisch, particulièrement excité, avait verbalement menacé toutes les personnes - les députés, les journalistes, les magistrats, les policiers - approuvant ou appliquant cette loi, et avait terminé son meeting en chantant des couplets plutôt méconnus de La Marseillaise faisant référence aux « hordes d'étrangers ». Cela avait une connotation particulière dans ce contexte. Il a ensuite exhorté les participants aux mots de : « Aux armes, citoyens ! » à se rendre sous l'Arc de Triomphe pour déposer une gerbe sur la tombe du soldat inconnu. 400 personnes sur un millier ont bien suivi. Il s'agissait en fait d'un acte tout à fait prémédité puisqu'est apparu, à la sortie de la salle, un car-podium.

    Arrivé en haut des Champs-Elysées, M. Bruno Gollnisch, entouré des 400 militants chauffés à blanc, donne l'ordre à quatre membres du DPS d'écarter le policier en faction devant la tombe du soldat inconnu manu militari. Ce fonctionnaire a été écarté sans ménagement ; il n'a pas été frappé, il a été molesté ; il a d'ailleurs dû établir un rapport sur cet incident.

    Le samedi suivant, le Front National, qui tenait son conseil national à la Maison de la chimie, s'est aussi rendu en délégation devant l'Assemblée nationale pour chanter La Marseillaise et déposer une motion. On assistait alors à une sorte de pression psychologique de la part du Front National qui reprenait possession de la rue en quelque sorte, parce qu'il n'arrivait pas à se faire entendre dans les urnes.

    A cette époque, en octobre 1996, M. Bruno Gollnisch est secrétaire général depuis un an. Il a été imposé à ce poste par la vieille garde du Front National qui ne voulait pas du candidat de M. Jean-Marie Le Pen ; il s'agissait déjà de contrer l'influence de M. Bruno Mégret. M. Bruno Gollnisch devait donc faire ses preuves dans l'appareil pour devenir le véritable numéro deux à la place de M. Bruno Mégret. Etant d'un tempérament du type Action française, il a été tenté par ce type d'agissements. Il faut savoir qu'après ces événements, M. Bruno Gollnisch s'est considérablement fait « remonter les bretelles ». Voilà le contexte politique de ces événements.

M. le Rapporteur : A propos de Montceau-les-Mines, avez-vous, par la suite, contacté le commissaire de police pour lui demander les raisons de son inaction inadmissible ? Avez-vous eu à ce sujet d'autres informations de la part des services de police, sur un comportement qui aurait pu mériter un passage devant le conseil de discipline ?

M. Michaël DARMON : Lorsque je suis rentré à Paris, j'ai contacté M. Claude Guéant, qui dirigeait la police nationale. Je n'ai pas eu l'autorisation de l'interviewer ; il m'a fait savoir que ses supérieurs ne souhaitaient pas que je le rencontre ; mais quand je lui ai demandé son commentaire sur ces incidents, il m'a répondu : « ce sont des événements regrettables, il faut que l'on soit plus vigilant pour que cela ne se reproduise pas ». Voilà la seule réaction officielle que j'ai pu obtenir de la part des services de police.

M. Romain ROSSO : J'ai moi-même essayé de contacter le préfet pendant le week-end, mais je n'ai eu qu'une fin de non-recevoir de la part des autorités locales.

M. le Rapporteur : Salle Wagram, avez-vous pu constater l'absence de cars de police qui auraient dû être présents pour une telle manifestation ?

M. Romain ROSSO : Il me semble effectivement me souvenir qu'il n'y avait pas de forces de police à la sortie de la salle Wagram. En revanche, ce dont je suis certain, c'est que le policier qui gardait la flamme sous l'Arc de Triomphe était tout seul. Pendant un quart d'heure, les manifestants ont chanté La Marseillaise, déposé la gerbe, et M. Bruno Gollnisch est monté sur son car-podium pour chanter à nouveau La Marseillaise. Puis ils se sont dispersés. Tous ces événements se sont passés vers 23 heures, 23 heures 30.

M. le Rapporteur : Les forces de police sont arrivées combien de temps après ?

M. Romain ROSSO : Il faut bien compter une demi-heure entre le départ de la salle Wagram et l'arrivée de la police. En fait, les renforts sont arrivés au moment de la dispersion !

M. le Rapporteur : Et combien de temps faut-il pour aller à cette heure-là en voiture du Grand Palais, où sont stationnées les forces de police, à l'Arc de Triomphe ? (...)

M. Robert GAÏA : Messieurs, vous nous avez parlé de la seconde fonction du DPS qu'est le renseignement et le fichage ; avez-vous des faits précis à nous communiquer ? Par ailleurs, suite aux événements de Montceau-les-Mines et de Strasbourg, avez-vous eu connaissance d'une enquête de l'IGPN ? Enfin, avez-vous connaissance d'un rapport des renseignements généraux sur le DPS ?

M. Michaël DARMON : S'agissant des activités de renseignement interne du DPS, nous avons eu connaissance de deux faits marquants.

    Le premier concerne la vie de la majorité municipale à Toulon. Dans le courant de l'année 1996, M. Jean-Marie Le Chevallier était en froid avec le siège du Front National car il refusait l'arrivée de cadres envoyés par Saint-Cloud pour encadrer l'équipe municipale. Cela faisait suite à la confrontation qui avait débuté entre MM. Jean-Marie Le Pen et Jean-Marie Le Chevallier dès le lendemain de l'élection, sur l'application du programme du Front National. Apparemment, c'est le DPS qui a réglé le conflit, puisque M. Bernard Courcelle est descendu à Toulon et a eu une explication entre quatre yeux avec M. Jean-Marie Le Chevallier. Depuis, les choses se sont calmées. Il s'agit d'un exemple concret de question politique réglée par le chef de la police interne du parti.

    Le second fait marquant concerne l'internement en hôpital psychiatrique en octobre 1996 de M. Michel Collinot, membre du bureau politique du Front National. Cette personne, apparemment un peu fragile, s'était enfermée dans une auberge, menaçant de dévoiler des tas de secrets - notamment concernant l'ARC ou sur la vie du Front National. Les membres du DPS font le siège de l'auberge, en coordination avec MM. Bruno Gollnisch et Bernard Courcelle - descendu spécialement de Paris - et avec la femme de M. Michel Collinot - qui est décédée depuis -, ils décident de l'interner en hôpital psychiatrique. Il y passe dix jours pendant lesquels il a quelquefois l'occasion de téléphoner. Il m'a appelé de cet hôpital et m'a envoyé une lettre dans laquelle il disait qu'il était interné sur ordre de Gollnisch, Courcelle, Le Pen et compagnie. Lorsqu'il est sorti de l'hôpital, il m'a rappelé et donné une interview un peu fracassante, chargeant notamment M. Bernard Courcelle et les membres du DPS qui avaient participé activement à son internement. Bien entendu, il a aussitôt démissionné du parti. Pendant son internement, j'avais également eu l'occasion d'avoir son épouse au téléphone qui m'avait confirmé la manière dont le DPS était intervenu : l'entrée par effraction dans la chambre, son mari menotté et embarqué, et la présence d'un médecin et d'un gendarme. Les procédures pour interner avaient l'air d'être respectées mais c'était des gens du DPS qui menaient l'action.

    Voilà un autre exemple des activités du DPS, qui va au-delà de la simple sécurité dans les meetings. Nous avions considéré, avec la rédaction, qu'il convenait de le mentionner, car cela témoignait d'une vie interne très particulière au sein de ce parti d'extrême-droite. Par ailleurs, le DPS tient M. Jean-Marie Le Pen informé de tous les ragots, les rumeurs et les rapports de force qui existent au sein du parti. M. Jean-Marie Le Pen exigeait de M. Bernard Courcelle de tout lui faire remonter - son titre exact était d'ailleurs « chargé de mission auprès du président du Front National ». Il lui faisait régulièrement son rapport en tête à tête.

M. Romain ROSSO : Le travail de renseignement qui est effectué est un travail administratif, de service. Du fait de l'organisation régionale et départementale du DPS, les responsables locaux du DPS font des notes sur tout ce qui se passe. Ils font remonter ces notes par la voie hiérarchique. C'est presque un fonctionnement administratif en réalité, même si toutes les informations ne remontent pas.

    A cet égard, je vous citerai un cas précis que je n'ai jamais relaté dans un article. Dans le Gard, quatre membres du DPS - d'environ 60, 70 ans -, anciens légionnaires, ne s'entendaient pas avec le FNJ local. Il se trouve qu'une des réunions FNJ de Nîmes a mal tourné, en ce sens que les jeunes présents ce soir-là ont commencé à célébrer le néonazisme en faisant circuler des tracts et en chantant des chansons du IIIème Reich. Le membre du DPS présent ce soir-là pour assurer la sécurité est frappé par ce qui se passe, ferme les fenêtres pour ne pas que ces chants sortent de la salle, décide d'annuler la réunion, consigne les cassettes, les photos, les tracts et en réfère au secrétaire départemental. Or cette information n'est pas remontée par la voie hiérarchique. Il m'a appelé pour me raconter cette histoire. Il craignait beaucoup les conséquences de sa dénonciation, de son rapport. Il a donc déménagé une première fois. Et à la suite de nos différents contacts - je suis descendu à Nîmes plusieurs fois - il m'a donné quelques éléments faisant état de cet incident. Il a subitement disparu, je n'ai plus eu aucune nouvelle. Je pense vraiment que les membres du DPS - c'est ce qu'il m'avait dit - craignent les UMI. C'est ce qui explique que, du jour au lendemain, il ait changé de numéro de téléphone et sans doute déménagé car il avait eu des menaces et sa voiture avait subi des dommages.

    En ce qui concerne Toulon et l'enquête parallèle sur la mort mystérieuse de M. Jean-Claude Poulet-Dachary, éminence grise de M. Jean-Marie Le Chevallier, je voudrais dire qu'il y a eu en réalité plusieurs enquêtes parallèles.

    Troisièmement, je souhaitais vous dire qu'à ma connaissance, je ne pense pas que l'IGPN ait eu à enquêter sur les incidents de Montceau-les-Mines. Qu'aurait-elle pu faire ? Une enquête sur la non-décision politique du préfet - car je pense bien qu'une telle décision de non-intervention n'a pas été prise par le commissaire de sa propre initiative. L'IGPN serait intervenue si les forces de police avaient été engagées et si la confrontation avait dérapé. En ce qui concerne Strasbourg, je n'ai pas d'éléments d'information à vous apporter.

M. Robert GAÏA : Nous avons vu, à Strasbourg, l'image d'un CRS accueillant Mme Catherine Mégret ; y a-t-il eu une enquête de l'IGPN ?

M. Romain ROSSO : Je ne sais pas s'il y a eu une enquête, mais le CRS a été mis à pied. Il s'agissait d'images diffusées par Canal Plus montrant un CRS saluer chaleureusement Mme Catherine Mégret qui sortait de sa voiture...

M. Michaël DARMON : Il lui dit : « On est content de vous voir ici à Strasbourg », et il la prend en photo.

M. Romain ROSSO : En ce qui concerne une éventuelle enquête interne des services du ministère de l'Intérieur, vous savez comme moi que depuis l'épisode malheureux relatif au parti socialiste en 1993, la surveillance des activités politiques par les renseignements généraux est interdite. Le Front National pose donc problème aux RG, puisqu'ils ne peuvent plus couvrir les réunions et manifestations de ce parti. Officiellement, le Front National n'est pas couvert. En revanche, le ministère de l'Intérieur comporte un certain nombre de sections qui surveillent la violence politique. Je pense que certains membres du DPS sont fichés à ce titre.

M. Robert GAÏA : Les renseignements généraux ont-ils établi un rapport sur le DPS ?

M. Romain ROSSO : A ma connaissance, une enquête a été faite. J'en ai eu des bribes. Mais je ne peux pas vous indiquer la teneur de ce rapport. Il a été diligenté par M. Jean-Louis Debré, de façon discrète.

    La question qui se pose est la suivante : le Front National est-il un parti républicain ? Il appartient au ministre de l'intérieur de l'interpréter. L'enquête a sans doute été menée par le biais d'un certain nombre d'éléments du DPS fichés pour violence politique. Mais elle a vraisemblablement été arrêtée lorsque les services du ministère de l'Intérieur ont constaté que ces éléments étaient plus ou moins impliqués dans l'appareil du Front National.

M. Robert GAÏA : Vous avez eu ce rapport ?

M. Romain ROSSO : Je n'ai eu que des bribes de ce rapport.

M. le Président : Des bribes écrites ?

M. Romain ROSSO : Je n'ai pas de document.

M. le Président : Vous avez eu ces bribes par l'intermédiaire de fonctionnaires ?

M. Romain ROSSO : Malheureusement, je sais que je témoigne sous serment, mais je ne peux pas dévoiler mes sources.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Dans les premières auditions qui ont eu lieu, on nous a parlé de membres du DPS comme de simples éléments de l'organisation du Front National utilisés à l'occasion, en tant que de besoin. Or vous parlez de l'appareil DPS et des membres du DPS ; vous semblez décrire une notion beaucoup plus proche du groupuscule organisé et hiérarchisé. Sur quoi vous fondez-vous pour pouvoir qualifier de la sorte ce groupement ?

    Par ailleurs, quelles sont les relations financières qu'il peut y avoir entre le Front National et le DPS ? Et quels sont les apports financiers que le DPS peut recevoir en tant que groupement ?

    Avez-vous connaissance d'une discipline très stricte, voire de sanctions - dès lors qu'il y a une hiérarchie -, qui seraient appliquées aux membres du DPS en cas de manquement aux ordres ?

    Enfin, avez-vous pu constater des activités d'entraînement dont on peut quelquefois entendre parler ? Disposez-vous d'éléments d'information, notamment sur le château de Neuvy ?

M. Michaël DARMON : En ce qui concerne l'organisation du DPS, dans ses grandes lignes, il s'agit effectivement d'un groupement organisé en tant que service clairement identifié au sein du Front National. M. Bernard Courcelle était le responsable du DPS jusqu'à il y a encore quelques jours, et il était assisté de M. Marc Bellier - qui vient de prendre sa place - qui dirigeait la zone Sud. Le DPS est organisé en grandes zones, régions et départements.

    Le recrutement se fait sur la base du bénévolat. Il faut être militant du Front National pour être au DPS « version quotidienne » et assurer la protection des réunions et des manifestations. D'autres critères ont été définis, mais je ne pense pas qu'ils soient toujours suivis tels que le casier judiciaire vierge - il y a beaucoup d'entorses -, un minimum d'aptitude physique et le fait d'avoir de la courtoisie et de bons rapports humains. Le recrutement a lieu après des tests. Après avoir été recrutés, les membres du DPS reçoivent une carte du DPS et un uniforme pour les meetings. Ils assistent à des sessions de formation sur l'organisation de réunions publiques, sur des notions d'évacuation et de tenue de meeting à grande échelle. Ils sont formés, de façon un peu rudimentaire, à la gestion des foules. Il s'agit donc bien d'un groupe identifié.

    En termes de communication politique, il convient de savoir que lorsque M. Bernard Courcelle est engagé par M. Jean-Marie Le Pen, il lui explique qu'il a une chance de pouvoir crédibiliser l'image de son parti avec un service d'ordre courtois qui assure la protection des militants et des familles, en en éliminant tous les éléments skinheads, nombreux dans la première version militante et pionnière du service d'ordre. Cette position explique non seulement l'enquête menée par M. Bernard Courcelle en 1995, après le meurtre d'un jeune marocain à Paris le 1er mai, mais également pourquoi une partie des skinheads de France le détestent, parce qu'il ferait le jeu des grands partis et des flics disent-ils. L'image du DPS devait être débarrassée de son côté « folklorique ».

M. Romain ROSSO : S'agissant du financement, à partir du moment où le DPS est un service du Front National, directement affecté au président, il bénéficie vraisemblablement d'une enveloppe de fonctionnement. Néanmoins, les responsables locaux du DPS n'ont besoin de rien pour fonctionner, puisqu'il s'agit pour la plupart de militants qui paient eux-mêmes leurs déplacements. Le Front National fonctionne comme cela. Par ailleurs, vous savez que les militants paient pour participer aux manifestations du Front National ; or le DPS récolte en liquide la moitié du produit de la vente des drapeaux - à savoir la quête organisée à la sortie de chaque meeting par le DPS. Chacun est prié de verser son obole au parti en versant de l'argent dans les drapeaux bleu, blanc, rouge.

    En ce qui concerne le château de Neuvy - ancienne propriété de Bokassa -, il a été acheté par une association satellite du Front National regroupant des anciens combattants, - le Cercle national des combattants - dirigé par M. Roger Holeindre, aujourd'hui vice-président du Front National. A ma connaissance, deux types de formation s'y déroulent : la formation des cadets d'Europe - l'association scout de M. Roger Holeindre -, et celle du FNJ.

M. Michaël DARMON : Pour ce qui est des sanctions qui seraient appliquées aux membres du DPS, je sais que ce principe est édicté. On nous a expliqué que lorsque les membres du DPS manquent à la discipline, ou sont un peu trop tête brûlée et en dehors de la ligne établie par M. Bernard Courcelle, ils peuvent être exclus. Je peux vous citer l'exemple de ce fameux Dominique qui avait témoigné à la une de Libération en évoquant les pratiques moins connues des membres du DPS avec les armes, mais je ne sais plus s'il est parti ou s'il a été exclu du DPS.

    Officiellement, les armes sont interdites chez les gens du DPS. On peut supposer qu'ils s'entraînent dans des centres de tirs. Ils peuvent avoir des armes personnelles. Pour ma part, dans les manifestations auxquelles j'ai assisté, je n'ai jamais vu d'armes à feu - je n'ai vu que des matraques, des battes de base-ball ou des bonbonnes de gaz lacrymogène.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Lors de la manifestation de Montceau-les-Mines, outre la violence physique, avez-vous pu assister à des violences verbales - insultes ou interjections racistes, xénophobes, antisémites ?

    Deuxièmement, vous avez beaucoup insisté sur le rôle de police d'information que remplit le DPS, qui est chargé d'assurer à certains égards, le respect de la ligne du chef. Dans la galaxie du Front National, quel est pour vous le lieu où s'élaborent les propos xénophobes, racistes ou nazis ? Est-ce au sein du DPS, des UMI ou d'autres associations ? Comment faites-vous la part des choses ?

M. Michaël DARMON : A Montceau-les-Mines, je n'ai pas entendu de propos antisémites, racistes ou xénophobes, pour la seule bonne raison que les membres du DPS se vivent comme une élite. Ils se croient les mieux armés pour pouvoir affronter des situations de crise, d'émeute, d'affrontement que leur action politique suggère. Ils sont donc restés étonnamment calmes et courtois. D'ailleurs, nous avons pu filmer toute la soirée, autour d'eux. Nous les avons même interviewés, sans aucun problème. Je fréquente les réunions du Front National depuis trois ans, et je puis vous affirmer que les remarques racistes qui peuvent fuser ne viennent jamais des membres du DPS. Ils sont choisis pour leur sang froid. Je dirais même que ceux qui étaient ce soir-là à Montceau-les-Mines avaient un comportement sécuritaire, ils étaient investis d'une mission, ils formaient une élite.

    Cela m'amène à vous dire un mot sur le recrutement de ces brigades particulières - ceci nous a été expliqué par M. Bernard Courcelle entre autres. Je n'ai pas de chiffres, mais il y a un certain nombre de policiers à la retraite, d'anciens militaires, de gendarmes, de parachutistes. C'est un type de population dont le métier était d'être dans ces structures et qui est habituée à garder son sang froid et à exécuter ses missions sans états d'âme et sans faire de déclaration politique dans l'action. Les membres du DPS sont conscients de cette séparation des pouvoirs ; il y a les politiques et eux, ce sont les « flics ». Cela s'est ressenti lors de la scission : le vrai désarroi était chez eux.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Y a-t-il des femmes au sein du DPS ?

M. Michaël DARMON : Tout à fait, des femmes sont affectées à la sécurité des meetings pour fouiller les femmes à l'entrée. On l'a vu à Strasbourg. La responsable, qui d'ailleurs a dû prendre du grade il y a quelques jours, est Mme Anne-Marie Itoïs, responsable DPS que l'on voit depuis des années. Il y en a d'autres, mais pas beaucoup.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Les hommes qui composent le DPS et ses unités spéciales sont-ils jeunes ?

M. Michaël DARMON : Les hommes composant les UMI ont entre 20 et 30 ans. Il s'agit d'hommes assez jeunes, plus ou moins rompus aux professions de vigile ou de garde. La plupart sont d'anciens militaires en cours de recyclage.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Vous suivez le Front National depuis longtemps : êtes-vous toujours crédibles auprès d'eux ? Etant donné que vous êtes connus et reconnus, pouvez-vous toujours obtenir des renseignements ? De même, puisque tout le monde sait que vous vous occupez des activités du Front National, arrivez-vous à avoir un certain recul pour juger tout ce qui s'y passe ?...

M. Michaël DARMON : Votre question, en fait, est la suivante : avons-nous des valeurs républicaines qui nous font dire que ce parti d'extrême-droite n'est pas le nôtre ?...

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Non, pas du tout !

    Vous avez parlé du CRS qui avait accueilli Mme Catherine Mégret en la photographiant. Cela prouve que la préfecture est au courant des déplacements du Front National et qu'elle sait qu'une organisation va être mise en place. Comment expliquez-vous le fait que, parfois, il n'y a aucun CRS présent ?

M. Michaël DARMON : Précisément, je ne me l'explique pas !

    Nous sommes, Romain Rosso et moi-même, comme beaucoup d'autres confrères, des journalistes, c'est-à-dire qu'on ne filme pas, on ne montre pas, on ne rencontre pas forcément des personnes et des événements qui nous plaisent en tant que citoyens. Nous sommes affectés par le hasard de nos parcours à la couverture du Front National. Si, en 1995, ce parti a obtenu cinq millions de voix, ce n'est pas du ressort de la presse. Il convient aussi de se poser des questions. Quoi qu'il en soit, les politiques n'ont pas décidé de dissoudre le Front National. Il nous appartient donc de l'observer et de le fréquenter pour obtenir des informations.

    Il est vrai que, lorsqu'on débarque dans les meetings, nous sommes reconnus. Ils savent très bien qu'on n'est pas « forcément » de leur bord - on ne l'a jamais caché - mais on essaie de faire notre métier le mieux possible, c'est-à-dire en vérifiant les informations. Ce qui est un mystère, c'est que plus on « tape » sur eux, plus ils nous fournissent des informations - même celles qui sont à leur désavantage ! Les informations que l'on recueille sur le fonctionnement interne du Front National n'émanent pas de Ras l'front, mais du Front National lui-même ! A partir de là, je vous laisse juge de notre éventuelle crédibilité.

M. Romain ROSSO : Quant au fait de savoir si le préfet est au courant ou non des déplacements des membres du Front National, tout dépend de la nature du déplacement. A Strasbourg, il s'agissait du dixième congrès du Front National, qui avait vu défiler contre lui plus de 50 000 personnes ! Le préfet a donc évidemment pris les mesures nécessaires pour couvrir une telle manifestation.

M. Robert GAÏA : Pensez-vous que les problèmes de ventes d'armes sur l'ex-Yougoslavie ou la Tchétchénie sont des actes isolés, ou existe-t-il un rapport avec le DPS ?

M. Michaël DARMON : Je n'ai pas enquêté à ce sujet, je ne dispose donc d'aucun élément.

M. le Rapporteur : En vous écoutant, messieurs, on a un peu l'impression de relire des ouvrages des années trente décrivant les SS comme des personnes correctes, faisant leur travail de maintien de l'ordre sans aucun mot déplacé contre les israélites.

    Avez-vous eu le sentiment d'avoir été suivi, écouté, ou la renommée de vos rédactions est-elle suffisante pour vous protéger ?

M. Romain ROSSO : Personnellement, je n'ai eu aucun souci, que ce soit dans ma vie professionnelle ou dans ma vie privée.

M. Michaël DARMON : Ma réponse est sensiblement la même que celle de mon collègue, à une exception près : à la fête des BBR de 1997, j'ai été agressé physiquement par des militants du Front National que je n'ai jamais identifiés. J'avais manifestement été reconnu comme étant un journaliste, et j'ai été attaqué par deux personnes qui m'ont donné des coups. Rapidement, de nombreuses personnes sont intervenues et nous ont séparés.

M. Romain ROSSO : Pour conclure, je voudrais ajouter qu'à notre avis, les événements de Montceau-les-Mines ne sont pas extrapolables au niveau national. Je pense que de nombreuses pratiques condamnables sont l'objet de personnes particulières. Nous avons en effet le sentiment que le système DPS est beaucoup plus emblématique qu'opérationnel. Je sais bien qu'il a fallu très peu de personnes à Fidel Castro pour renverser le régime cubain ; néanmoins nous n'avons pas le sentiment que ces personnes sont capables de ce type d'action.

M. Michaël DARMON : Nos enquêtes ne nous donnent pas le sentiment que l'on est en face d'un groupe qui va renverser le régime.

M. Romain ROSSO : En revanche, un certain nombre de pratiques se sont révélées condamnables.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

Retour au sommaire des auditions

    Audition de M. Alain CALLÈS, Président et de M. Mouloud AOUNIT, secrétaire général du Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (MRAP)

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 3 février 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

MM. Alain Callès et Mouloud Aounit sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Alain Callès et Mouloud Aounit prêtent serment.

M. Mouloud AOUNIT : Je voudrais dire, en préalable, au nom du MRAP et aussi des associations qui se mobilisent depuis plusieurs années pour que la lumière soit faite sur l'activité du DPS, combien nous accueillons favorablement l'existence de votre Commission et combien est grande notre attente de voir éclater la véritable nature du DPS.

    Par ailleurs, nous estimons que votre Commission est saine pour la République car l'actualité met en relief le fait qu'il est difficile de trouver une cohabitation entre la République et une milice armée qu'elle abrite en son sein et qui, de surcroît, risque d'être un danger, non seulement pour les individus, mais aussi pour une certaine idée de le République. Ainsi que certains faits viennent de le confirmer, il s'agit plus que d'une milice, d'un organe dont l'activité dépasse le strict cadre du service d'ordre.

    En outre, nous nous réjouissons de l'existence de votre Commission car nous en attendons un effet préventif. Nous ne vous cachons pas que nous craignions, eu égard à ce que l'actualité nous a renvoyé sur l'activité du DPS, qu'une bavure puisse se produire. Nous nous félicitons qu'il n'y ait pas eu de catastrophe irréparable et nous formons l'espoir que l'activité et les conclusions de votre Commission puissent l'éviter.

    Pour ce qui concerne le MRAP, je dirai que sa position de fond, à partir des faits que nous savons et qui vont vous être relatés, consiste à plaider « simplement » pour la dissolution du DPS. C'est son objectif et, à cet effet, il a mobilisé un collectif d'avocats qui travaillent à la rédaction d'une note - que nous vous ferons parvenir - tendant à mettre en relief le fait que les activités du DPS ne sont pas conformes à la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et aux milices privées, ni aux dispositions du nouveau code pénal sur la constitution d'un groupe de combat.

    La question de la dissolution est éminemment politique puisqu'elle relèvera, en dernier ressort et au-delà de votre avis, du président de la République. Nous estimons néanmoins que les activités du DPS sont indissociables des services qu'il rend au parti qu'est le Front National. Selon nous, le DPS agit pour le compte du Front National et, tant la personnalité de son président que les activités du DPS établissent une corrélation étroite entre les deux organisations. Le Front National et le DPS révèlent leur vraie nature, ils ne peuvent pas être considérés comme un parti et un service d'ordre comme n'importe quels autres. Il s'agit d'un parti et d'un service d'ordre violents, racistes et dangereux.

M. le Président : Il est toujours possible de nous transmettre la note à laquelle vous avez fait allusion : c'est une question, je ne vous le cache pas, qui donne lieu à débat puisque la jurisprudence, de ce point de vue, impose des critères cumulatifs pour appliquer la loi de janvier 1936. Par conséquent, c'est un problème de droit très important qu'il nous faudra aborder et, si le collectif d'avocats que vous avez fait travailler peut nous donner son sentiment sur cette question, nous le recevrons bien volontiers.

    Mais, puisque vous avez également parlé de faits et que nous devons travailler aussi, au-delà de la position, de l'orientation ou de la vision objective des uns ou des autres, à partir des réalités et donc des faits qui témoignent des agissements du DPS, nous sommes curieux de vous entendre sur cette question qui nous préoccupe beaucoup.

M. Alain CALLÈS : Je ne sais pas trop par quoi commencer car la presse a relaté pas mal de faits concernant des actes de violence, d'usurpation de fonctions de police, de renseignements ou de fichage.

M. le Président : Je peux peut-être vous aider : nous avons déjà recensé un certain nombre de faits connus que nous allons sans doute étudier de manière un peu plus approfondie. Si vous avez sur ces faits connus des informations qui peuvent nous être utiles, il serait intéressant que vous nous les communiquiez. Mais nous sommes aussi intéressés à connaître des faits qui, moins montés en épingle dans les médias, nous permettraient de mieux appréhender ce qui se passe sur le terrain.

M. Alain CALLÈS : Dans le cadre de mon activité au MRAP, je me suis très longuement occupé des relations extérieures avec les associations partenaires, et j'ai organisé, soit au nom du MRAP, soit au nom de collectifs, soit encore conjointement ou en soutien avec eux, une centaine de manifestations.

    A travers cette expérience, et sans avoir eu à m'occuper directement du fonctionnement d'un service d'ordre, j'ai une certaine pratique de ce qui se met en place au sein d'un collectif. J'ai donc l'expérience de ce qu'est un service d'ordre et de ce que signifie travailler avec un service d'ordre d'organisations politiques, syndicales, associatives diverses et variées. Je n'ai jamais rencontré un service d'ordre qui présente les critères cumulés que sont le port d'uniforme, les violences, la hiérarchisation des hommes, l'usurpation de fonctions de police, l'existence d'unités mobiles d'intervention, qui interviennent en tant que formation de combat, qui reçoivent une formation offensive de combat assurée le plus souvent au sein même de l'organisation - les services d'ordre recrutent certes aussi des « gros bras », mais ils ont acquis une expérience en dehors de leur organisation. L'accumulation de ces critères me semble assez bien dénoter ce que peut être le DPS.

    Il s'agit quand même d'une milice de plus de 2 000 personnes, et je ne connais aucun service d'ordre d'organisation - y compris les plus importantes - qui soit en mesure d'aligner un tel effectif : quand on arrive à réunir une centaine de personnes, c'est un grand maximum pour une immense manifestation nationale regroupant plusieurs dizaines d'associations. Les pratiques sont aussi étonnantes. Je pense, par exemple, à ce que j'ai vu lors de la manifestation de soutien à M. Jean-Marie Le Pen, au moment de son procès à Versailles, où le DPS qui encadrait le rassemblement disposait, sur une ligne complètement droite, tous les cinq à dix mètres, un homme alternativement de face et de dos de part et d'autre. Je n'avais jamais vu employer une telle technique par un autre service d'ordre, à l'exception de la gendarmerie turque, ce qui ne me paraît pas particulièrement rassurant ! Cela dépeint une atmosphère générale qui me paraît extrêmement importante, car un point isolé peut ne pas sembler très grave alors que, les effets cumulés, sont, selon nous, effectivement significatifs d'une pratique de milice.

    Pour ce qui est des actions de renseignements, j'ai quelques faits, non exhaustifs, à vous communiquer. Dans le cadre des élections municipales de Vitrolles, durant toute la durée de la campagne, quelqu'un a photographié systématiquement toute personne qui serrait la main du candidat socialiste, M. Anglade. Il s'agit bien d'une opération de fichage systématique ! Je pense que vous connaissez aussi les événements de Strasbourg où des membres du DPS, dont l'un était conseiller régional d'Auvergne, ont usurpé des fonctions de police pour contrôler des manifestants anti Front National.

    J'appartiens au Comité national de vigilance contre l'extrême-droite qui regroupe trente à quarante organisations politiques, syndicales, associatives. Ce comité s'est longtemps réuni au siège du parti des radicaux de gauche (PRG) rue Duroc - il fallait bien trouver un lieu. Nous nous sommes rendus compte que l'une des personnes présentes aux réunions était un membre infiltré qui avait accès à tout le fichier du comité national de vigilance. C'est une démonstration assez claire de l'existence d'une activité de renseignement et de fichage, donc d'usurpation de fonctions de police.

    A l'époque le coordinateur du comité national de vigilance était M. Jean-Marc Sabaté, qui a quitté ses fonctions au sein du PRG pour faire carrière dans la préfectorale. Il serait en mesure de vous fournir plus de renseignements sur l'individu qui, pendant longtemps, a mené cette activité de renseignement et sur son pedigree puisqu'il s'agissait de quelqu'un connu des services de police.

M. le Président : Il travaillait au PRG ?

M. Alain CALLÈS : Plus exactement, il a réussi à travailler au PRG pour pouvoir s'occuper de cette question et mettre la main sur tous les fichiers !

M. le Président : Il y a des partis qui ont besoin d'un service d'ordre...

M. Alain CALLÈS : Je peux vous citer un autre exemple assez éclairant sur ce qui se passe lorsqu'un membre quitte le Front National. Une ancienne secrétaire de M. Jean-Marie le Chevallier a été renvoyée par M. Poulet-Dachary. A compter de la date de son limogeage, elle a été harcelée, épiée, tous ses contacts de voisinage ont été surveillés et elle a véritablement connu une vie d'enfer, ce qui montre bien comment cette police agit, dès que des gens veulent quitter le Front National.

M. Mouloud AOUNIT : Il faut aussi parler de l'affaire survenue le 1er mai 1995 quand des jeunes, sortis du cortège du Front National, ont jeté M. Brahim Bouarram dans la Seine à Paris. Le MRAP s'était porté partie civile dans le cadre de ce procès où il a été procédé à l'audition de M. Bernard Courcelle. Un des jeunes qui était sur le banc des accusés a affirmé qu'on lui avait ordonné de faire disparaître toute trace de son appartenance au Front National et au DPS. Le passage à l'acte qui s'est produit ce jour-là, illustre de façon dramatique, une forme de prolongement de la violence des idées prônées et des slogans proférés, ainsi que le lien étroit entre le Front National et le DPS.

M. Alain CALLÈS : Le MRAP a établi une liste des exactions du DPS que nous vous ferons parvenir. Elle fait état d'événements moins connus tels que des agressions du service d'ordre de M. Jean-Marie Le Pen, notamment à Dieppe en 1987, ou la participation à une fusillade avec fusil à pompe lors d'un meeting à Orléans, le 6 mars 1993. Le 27 février 1995, un membre du DPS a été condamné par la cour d'appel d'Orléans à six mois de prison avec sursis pour coups et violences volontaires avec arme. Le 14 décembre 1995, cinq membres du DPS sont gardés à vue à Toulon, dans le cadre d'une affaire criminelle. Le 16 septembre 1996, deux membres du DPS agressent à coups de couteau un policier d'origine antillaise lors d'un contrôle routier à Nanterre. A Vitrolles, outre ce que je vous ai relaté précédemment, des personnes proches du couple Mégret ont effectué des « cassages de gueule » de camionneurs grévistes - il s'agit de faits vérifiés et patentés. A Vitrolles encore, des membre du DPS s'en prennent concrètement et physiquement à des militants des droits de l'homme, le 23 mai 1997. A l'occasion des dernières élections législatives, on a vu également un certain nombre de lieux d'expression tels que les marchés où, jusqu'à présent, les partis démocratiques parvenaient à s'exprimer d'une manière plurielle, être complètement investis et nettoyés par des membres du DPS arrivant en camionnette pour chasser tout le monde : je pense à ce qui s'est passé place des Fêtes à Paris et dans un certain nombre d'autres marchés, notamment parisiens. Enfin, il faut mentionner le nom de M. Fréderic Jamet, ancien responsable du syndicat Front National de la Police, qui a été mis en examen en février 1998 pour association de malfaiteurs.

    Tel est le bilan que l'on peut dresser de ces exactions, mais il y en a certainement eu beaucoup d'autres.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Vous avez mentionné un certain nombre de critères cumulatifs qui permettraient de sanctionner une organisation comme le DPS. L'identification du DPS en tant que groupement organisé est claire si je suis vos propos. Il nous faut aussi disposer d'informations sur la discipline stricte au sein de cette organisation, sur les entraînements de ses membres - notamment au château de Neuvy-sur-Barangeon - et sur leur caractère belliqueux, dont je pense que nous avons compris, à travers vos propos, qu'il était pour vous, comme pour d'autres d'ailleurs, avéré.

    J'aurais aussi souhaité savoir si vous estimez que, dans les affaires mettant en cause des membres du DPS dont vous nous avez parlé, la justice a été défaillante. A Orléans par exemple, la condamnation d'un membre du DPS à six mois de prison avec sursis seulement pour des actes de violences avec arme peut sembler trop légère.

    Enfin, concernant les finances du DPS, êtes-vous en mesure de nous apporter des éléments d'information précis sur ses différentes sources de financement ?

M. Michel MEYLAN : Est-ce que tous les témoignages que vous nous apportez sont parus dans la presse ou bien ont été vécus et rapportés par vos adhérents ?

M. Alain CALLÈS : Il y a un peu de tout, mais tous les éléments que je vous ai livrés ont été vérifiés et croisés. Dans la mesure où nous avons rédigé un argumentaire dans lequel ces éléments figurent, nous avons fait en sorte qu'il soit inattaquable. Nous disposons aussi de la liste des condamnations d'un certain nombre de membres du Front National mais, malheureusement, la loi nous oblige à retirer un certain nombre de noms. Lorsqu'une personne a été condamnée depuis plus de deux ans pour une période inférieure à six mois, on ne peut plus la citer. Comme les membres du DPS ont généralement bénéficié de condamnations peu importantes, j'ai dû élaguer de ma liste plus de noms qu'il n'en est resté !

M. le Président : Mais vous pourriez nous les communiquer par écrit puisque nous travaillons sous le régime du secret.

M. Alain CALLÈS : Oui mais je ne les ai plus, car j'avais sorti ces noms du disque dur de mon ordinateur pour éviter une erreur de manipulation. Si quelqu'un avait pu les publier, cela aurait fait encourir au MRAP des condamnations pénales. Cela étant, je dois quand même pouvoir les retrouver.

    Sur l'entraînement des membres du DPS, il est vrai que nous ne disposons pas de beaucoup d'informations directes. Nous avons eu connaissance, épisodiquement, de l'existence de lieux de formation, notamment dans l'Essonne, au nord d'Etampes. Des comités ont pu en repérer localement. A travers nos contacts avec la gendarmerie - toujours sur le plan local -, nous avons toutefois cru comprendre qu'une non-intervention permettait de fixer et d'identifier les gens, ce qui peut aussi se défendre. C'est d'ailleurs la réponse que nous avait apportée le commandant de la légion de gendarmerie de l'Essonne, il y a trois ou quatre ans, lorsque des personnes d'extrême-droite exerçaient des pressions sur une famille turque.

    Je me souviens, néanmoins, que dans le cadre de recrutements d'employés municipaux, notamment à Toulon, il avait été fait très expressément mention de la nécessité pour les candidats d'avoir la carte du Front National puis de suivre une formation pour devenir gardien de cimetière : vous mesurez l'intérêt de recevoir un formation de combat pour exercer une telle fonction...

    Je tiens à souligner qu'au niveau de l'organigramme fourni par le Front National, le DPS est directement rattaché au président du Front National, donc la relation est claire !

    Pour ce qui a trait au financement, je n'en sais pas grand-chose mais je pense que vous voulez peut-être me faire parler des ventes d'armes à la Tchétchénie et de l'implication de M. Bernard Courcelle. Nous savons effectivement ce qu'en a relaté la presse, ainsi que d'autres points que je vous livrerai à titre indicatif. A l'occasion d'une rencontre dans les locaux de Radio courtoisie M. Bernard Courcelle aurait proposé à Mme Marie Bennigsen, présidente de SOS Tchétchénie, des armes contre monnaie sonnante et trébuchante. Cette personne, qui est très remontée puisqu'elle n'a pas obtenu les armes, pourrait indiquer à votre Commission comment se sont déroulées des transactions financières non négligeables relatives à un trafic d'armes.

M. Mouloud AOUNIT : Sur le plan juridique, je tiens à vous rappeler les dispositions du nouveau code pénal qui sont très précises. L'article 431-13 définit un groupe de combat dans les termes suivants : « un groupement de personnes détenant ou ayant accès à des armes, doté d'une organisation hiérarchisée et susceptible de troubler l'ordre public. » L'article 431-14 punit de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 F d'amende le fait de participer à un groupe de combat. En outre, il est prévu des peines d'interdiction des droits civiques. Il convient d'ajouter que le Front National peut être pénalement condamné, en tant que personne morale, en raison des infractions commises en son nom par le DPS. Enfin, est notamment prévue par l'article 431-21 la confiscation des biens mobiliers et immobiliers appartenant à ou utilisés par le groupe de combat. Or, je ne connais aucune condamnation du DPS sur ces bases du code pénal.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : On parle de groupes armés possédant des armes. Avez-vous, dans les faits que vous rapportez, vu des membres du DPS en possession d'armes et, si oui, lesquelles ? S'agit-il d'armes à feu, de couteaux ou de bombes lacrymogènes ? Avez-vous eu l'occasion, au cours de manifestations, de voir des personnes portant des armes ?

M. Alain CALLÈS : Nous n'en avons pas vu directement mais il est vrai que nous ne sommes pas les mieux placés pour cela : pour ce qui me concerne, j'évite le plus souvent de m'exposer.

M. André VAUCHEZ : Vous avez fait état de deux procès en regrettant - et je pense que nous sommes beaucoup à le faire - que la sanction n'ait pas été à la hauteur de ce que l'on pouvait espérer. S'agissant du meurtre de Brahim Bouarram, les personnes condamnées l'ont-elles été en prenant en compte le fait qu'elles appartenaient au DPS ? Ne peut-on pas faire reconnaître que c'est le DPS qui est responsable de l'accident survenu sur la Seine ? De même, pour le procès de 1995 sur les événements d'Orléans, a-t-on condamné un homme, une fois de plus, sans mettre en cause le DPS ?

M. Mouloud AOUNIT : Concernant le procès de Brahim Bouarram, les auteurs de l'assassinat n'ont pas été condamnés parce qu'ils appartenaient au Front National ou au DPS. Même s'il ne nous appartient pas d'en juger, les condamnations pour un crime que j'appelle une ratonnade délibérée, volontaire et organisée, n'ont été que de cinq et sept ans de prison, ce qui permettra à leurs auteurs, compte tenu des remises de peine, d'être libérés d'ici deux ans.

M. le Rapporteur : C'est une décision de la cour d'assises et on ne peut pas accuser les magistrats !

M. Mouloud AOUNIT : Je vous donne le point de vue de notre organisation sur ce verdict de cinq et sept ans qui a sanctionné ce crime raciste que l'on peut véritablement qualifier de « ratonnade ».

M. André VAUCHEZ : Le DPS n'a pas été mis en cause ?

M. Mouloud AOUNIT : Non, et comme c'est trop souvent le cas, même le commanditaire du crime, le Front National, n'a pas été mis en cause dans ce procès. On peut me rétorquer que l'on ne juge pas le Front National, mais des personnes sur des faits : les auteurs de ce crime n'ont pas été poursuivis parce qu'ils appartenaient au DPS. Il faut toutefois souligner qu'un certain nombre des jeunes inculpés appartenaient au service d'ordre du Front National ou adhéraient au Front National. Il n'est pas inutile de montrer l'imbrication des choses qui ont conduit à cette tragédie qui n'est pas un fait divers.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Dans les affaires jugées par la justice, vous disiez que les personnes incriminées étaient jugées sur des faits réels, non sur leur appartenance au Front National ou au DPS. Or, lorsque je suis appelée à témoigner à un procès contre le Front National, il est fait mention de mon appartenance politique en tant que députée. Il faut s'interroger sur cette différence de traitement.

M. Mouloud AOUNIT : Il faut toutefois préciser que M. Bernard Courcelle a été entendu par le juge en tant que responsable du DPS dans le cadre du procès.

M. Alain CALLÈS : Et dans les actes du procès figure ce propos : « Tu ne fais pas mention de ton appartenance au DPS ! » Ce n'est pas un motif de condamnation mais ce sont des déclarations qui sont versées au dossier.

M. Alain CALLÈS : Si vous le permettez, j'aurais deux suggestions à faire à votre Commission.

    Je vous recommanderais de vous rapprocher de Mme Anne Kerloc'h, journaliste à Charlie Hebdo, qui a travaillé avec quelqu'un dont le nom n'est pas apparu : il s'agit d'une personne qui s'est fait embaucher pour travailler au DPS. Elle pourrait vous parler du recrutement, des achats de surplus d'armée et, éventuellement, des armes et des uniformes. Pour ne pas diffuser son nom dans la presse, les articles étaient rédigés en commun et signés seulement par Mme Anne Kerloc'h. Par ailleurs, je voudrais évoquer le cercle des gens d'armes. On y trouve des gradés qui ont été cadres du Front National : je pense notamment au colonel Gérardin ou au capitaine Fabre qui a été mis en disponibilité.

    Je voudrais terminer mon propos en vous faisant part d'une déception : je trouve dommage qu'on nous dise que le rapport des renseignements généraux sur le DPS ne contiendrait rien de plus que la liste des dirigeants départementaux du DPS, alors que ledit rapport est réactualisé tous les deux mois. Je vois mal comment il est possible de réactualiser un rapport vide sur la base d'informations vides depuis que M. Jean-Louis Debré l'a commandé.

    Cela me fait penser à une expérience départementale : lors d'une réunion de la cellule départementale contre le racisme à laquelle je participais, le directeur départemental des renseignements généraux ne faisait état dans son rapport que d'un cas d'acte raciste, alors que le directeur départemental de la sécurité publique avait relevé lui treize cas, soit un de plus que le MRAP !

    Pour ce qui me concerne, je ne parviens pas à croire qu'il y ait un rapport vide des renseignements généraux alors que d'autres personnes peuvent avoir accès à plus d'informations. En clair, il existe un rapport officiel destiné à l'extérieur qui ne contient rien et un autre document à usage interne. Il y a également un rapport parisien rédigé en décembre 1998 sur l'évolution du Front National consécutive à sa scission.

    Sur ce point, je m'interroge beaucoup et, pour être tout à fait franc, je trouve qu'il y a vraiment une carence contre laquelle votre Commission peut faire beaucoup.

M. le Président : Si vous avez des informations supplémentaires sur ce rapport, nous les accueillerons très volontiers car, depuis le début de nos travaux, nous essayons vainement de le traquer. Quoi qu'il en soit, la presse affirme qu'il existe mais, jusqu'à présent, personne ne l'a vu !

M. Alain CALLÈS : Je connais des gens qui l'ont vu !

M. le Président : Si c'est le cas, dites-nous qui...

M. Mouloud AOUNIT : Vous avez interrogé ce matin quelqu'un qui l'a vu !

M. le Président : Ses réponses n'étaient pas aussi catégoriques !

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Il a dit qu'il voulait protéger ses sources.

M. Alain CALLÈS : Donc, il vous faut pousser les rédacteurs du rapport.

M. le Président : Il va de soi que, s'il y a rétention d'informations - puisque c'est bien de cela dont il s'agit -, nous avons pouvoir pour faire les observations qui s'imposeraient, mais encore faudrait-il que nous ayons des éléments qui nous permettent de contredire de manière assez catégorique l'affirmation qui nous a été faite depuis le début de nos travaux selon laquelle ce rapport n'existait pas. Nous sommes très désireux, non seulement de connaître ce rapport, mais encore et surtout de savoir pourquoi on nous empêche d'y avoir accès.

    Si vous disposez, sur les points qui sont venus en discussion, soit par l'intermédiaire par vos militants, soit par suite d'expériences que vous pouvez avoir dans telle ou telle région, d'informations supplémentaires touchant à des faits qui nous permettraient de mieux cerner la réalité de l'activité du DPS, nous vous en saurions gré car notre Commission doit travailler sur la base de faits vérifiables, quitte à pousser pour cela ses investigations sur le terrain.

M. Alain CALLÈS : A ce propos, je crois que vous pourriez vous rapprocher du directeur de campagne de M. Anglade à Vitrolles, qui, je pense, peut posséder un certain nombre de documents. Il faut en effet savoir que le DPS a été hébergé à la mairie de Vitrolles après les élections. Toujours à Vitrolles à l'occasion de la campagne électorale, les gens du DPS qui sont sortis d'une voiture après une course poursuite avec une moto étaient armés. Il y avait plusieurs témoins.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

Retour au sommaire des auditions

    Audition de M. Didier CULTIAUX,

    directeur général de la police nationale

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 9 février 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Didier Cultiaux est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Didier Cultiaux prête serment.

M. Didier CULTIAUX : Dans le cadre des manifestations dont l'organisation relève de leur responsabilité, les partis politiques ont tous le souci d'avoir un service d'ordre. Dans un régime démocratique et républicain, cela ne peut se réaliser que dans le strict respect des lois de la République, à la fois dans la lettre et dans l'esprit. Si le Front National fait l'objet des préoccupations des pouvoirs publics, c'est parce qu'il dégage un substrat de rejet, de haine et de racisme. S'y ajoutent des modes de recrutement anciens liés à une mouvance de l'extrême-droite qui draine des personnes au comportement contraire à la loi, contraire à l'éthique, et qui peuvent faire courir des risques non négligeables à l'ordre public, surtout dans des situations d'affrontement ou tout simplement de rencontre et d'opposition.

    Ainsi que vous le savez, le Département Protection Sécurité (DPS) a officiellement un statut, avec ce nom et cette structure, depuis le 1er septembre 1993. Existait auparavant une organisation du nom de « Défense Organisation des Meetings » (DOM), mise sur pied en 1984 par M. Roger Holeindre, dont on connaît le passé au sein de l'OAS. Avant ce statut de 1993, il existait donc seulement une structure de fait qui s'appelait déjà DPS, Défense-Protection-Sécurité.

    Le statut de 1993 et le mode de fonctionnement du DPS frappent par le rattachement direct de cette organisation au Président du Front National, auquel le directeur central du DPS rend directement compte. Existent également des responsables régionaux et départementaux et, depuis 1997, une structure intermédiaire comprenant six responsables zonaux.

    Dans les statuts, il est indiqué que la mission du DPS est d'assurer l'ordre général, de protéger les personnes et les biens, en évitant toute provocation, en agissant avec sang-froid, fermeté, courtoisie et en bonne coopération avec les pouvoirs publics. Il a également vocation au renseignement, à l'extérieur, sur les menées des opposants actifs au Front National et, à l'intérieur, sur la vie interne des fédérations et de ses cadres. On voit donc que c'est à la fois un service d'ordre et un service d'information interne et externe. Les événements récents révèlent l'importance qui s'attache aux enjeux de l'information.

    Nous ne disposons pas du nombre exact des personnes rattachées à cette structure. Il est évalué à un millier, sous réserve des événements les plus récents qui peuvent en démobiliser certains, mais aussi en remobiliser d'autres - difficile à dire à ce jour ! La répartition géographique est hétérogène. En effet, on constate que l'on recrute plus aisément dans ce que l'on peut appeler « l'arc méditerranéen », que l'Alsace constitue véritablement un fief et que, ici et là, l'influence et le charisme de tel ou tel responsable peuvent jouer et attirer un plus grand nombre de personnes que l'on ne pourrait l'imaginer au regard des adhérents et des militants. Ceci conduit, en fonction des manifestations de masse du Front National, à faire venir des membres du DPS de telle ou telle partie de la France, donc à créer de véritables transferts en tant que de besoin. Il est d'ailleurs à noter qu'un des éléments de tension interne au DPS tient au règlement des frais de déplacement : la question des transports ne se passe pas très bien dès lors que des frais sont engagés.

    Au vu des manifestations, nous avons la conviction que des sympathisants gravitant en couronne autour du DPS appartiennent à telle ou telle société de surveillance et de sécurité, dont un certain nombre s'est développé ces dernières années. Si ces sociétés de surveillance ne sont pas forcément sollicitées en tant que telles pour venir renforcer le service d'ordre dans le cadre d'une manifestation, il n'en demeure pas moins que des personnes appartenant à ces sociétés de sécurité ou de surveillance peuvent être sollicitées et s'y rendre, sinon dans un cadre économique et juridique, du moins à titre personnel.

    S'agissant des activités du DPS, je souhaiterais rappeler en préalable qu'au regard du principe républicain de liberté d'opinion et d'expression, la police nationale
    - ceci est vrai pour la préfecture de police comme pour l'ensemble des services placés sous mon autorité en termes de sécurité publique ou encore pour les services de renseignements généraux - a le souci d'établir des contacts préalables avec les organisateurs de manifestations, pour éviter des mécomptes et des tensions, qui peuvent être de plusieurs ordres. Par exemple, se posent les problèmes du lieu d'une manifestation fixe, de l'évolution et de l'itinéraire d'un cortège, ou encore du choix d'un édifice enclavé dans une cité où doit se dérouler une manifestation ; se posent également des problèmes liés à des éléments dits d'entrée et de sortie, sachant qu'ils sont de la responsabilité des organisateurs de la réunion politique. Il ne s'agit en rien, quelle que soit la formation politique concernée, de se substituer aux organisateurs, mais, par des contacts préalables, de connaître leurs intentions, éventuellement le volume de la réunion, de considérer également les risques de part et d'autre et d'en tirer les conséquences pour l'organisation de telle ou telle manifestation politique. Je rappelle que, s'agissant de cortèges et de contre-manifestations, mon collègue, M. Patrice Magnier, aujourd'hui préfet de la Région Centre, et, à l'époque, préfet de la Région Alsace, préfet du Bas-Rhin, avait été confronté à ce type de problèmes. Malgré ces contacts et ces précautions, il arrive néanmoins que les résultats, en termes de paix civile, ne soient pas à la mesure des espoirs, ne serait-ce que parce que certains olibrius prennent des initiatives ou adoptent des comportements violents, qu'ils aient ou non des allures extérieures de skinheads.

    Si nous examinons les faits mettant en cause le DPS - je crois que le ministre de l'Intérieur lui-même vous en a rendu compte dans son intervention -, on relève des dérives notables et un nombre limité de faits graves, que ce soit lors de campagnes électorales, pendant lesquelles des gens violents sont impliqués dans des rixes, à l'occasion d'actes de campagnes électorales, comme le collage d'affiches, ou encore en marge de rencontres politiques, qu'elles soient de caractère local, régional ou national ou enfin dans un tout autre cadre.

    Pour revenir au cas de l'Alsace, que je connais pour avoir été sous-préfet de Sélestat, j'ai pu y constater, en un nombre très limité d'années - une décennie environ - une évolution très préoccupante, marquée par le développement d'éléments quasiment paramilitaires et néo-nazis flirtant avec le HVD (Heitmattreue Vereinigung Deutschland) allemand. A l'époque, le responsable du DPS en Alsace était M. Camdessoucens qui fut d'ailleurs ensuite écarté par les responsables du Front National eux-mêmes.

    Un autre risque n'est pas à négliger - au reste, les organisateurs y sont également attentifs -, il s'agit des ports d'armes : armes blanches, armes à feu, armes par destination. Un certain nombre d'affaires font apparaître des pratiques laxistes et une carence du contrôle, ce qui explique que dans un état de droit comme le nôtre, les interpellations, les poursuites et les condamnations n'ont d'ailleurs pas manqué.

    Bien que le cas soit peu fréquent, nous avons également connu une affaire d'usurpation de fonction en 1997, lorsque des membres du DPS s'étaient prévalus de la qualité de policier pour fouiller des personnes. Ils ont été condamnés par la justice.

    S'agissant maintenant des populations concernées par le service d'ordre, on y trouve toutes sortes de gens : des personnes travaillant pour des sociétés de sécurité proches du Front National, certaines étant d'ailleurs parties jouer aux mercenaires, qui aux Comores, qui dans l'ex-Zaïre, qui en ex-Yougoslavie. L'on constate, par ailleurs, des pénétrations croisées entre le Front National et des mouvements comme le Groupe Union Défense, plus connu sous le nom de GUD, ou le Parti nationaliste français et européen. Ces collaborateurs peuvent être réguliers ou occasionnels. On dénombre également des personnes, modestes, qui, pour certaines, me semblent très intéressées, de longue date, par la pratique des armes et que l'on a pu voir ici ou là dans tel club sportif, sans que pour autant nous disposions d'un recensement total.

    Au titre de la mission qui est la mienne, je n'insisterai pas sur le cadre juridique, qui est la préoccupation des législateurs que vous êtes. Les textes définissant les fondements d'une dissolution administrative ou judiciaire sont connus : pour la dissolution judiciaire, il s'agit de la loi de 1901 sur les associations ; en ce qui concerne la dissolution administrative, vous connaissez les termes de la loi du 10 janvier 1936, à plusieurs reprises modifiée et les cas afférents. Pour ma part, en tant que haut fonctionnaire, il m'appartient, dans ma stricte mission républicaine de paix publique et d'ordre public, de faire en sorte que tous les services aient un comportement déontologique irréprochable et que, si des faits sont manifestement contraires à la loi, les auteurs en soient identifiés, interpellés et livrés à la justice pour être poursuivis.

    Je voudrais maintenant insister sur les événements les plus récents, dans la mesure où ce qui se passe actuellement au Front National est révélateur d'une décomposition-recomposition, dont tous les termes ne sont pas encore connus.

    Le premier fait prémonitoire de la scission du DPS a eu lieu à la fin de l'année 1998, quand un certain nombre de personnes de l'entourage de M. Jean-Marie Le Pen, n'acceptant pas la décision de licenciement prise à leur encontre, ont voulu protester et que M. Bernard Courcelle, directeur national du DPS, a refusé de prendre parti. Les conséquences n'ont pas manqué, puisque, le 12 janvier, M. Gérard Le Vert, responsable du DPS en Saône-et-Loire, a été désigné nouveau responsable national du DPS. M. Bernard Courcelle s'est retrouvé dans une situation inconfortable et M. Gérard Le Vert est devenu le patron du DPS auprès de M. Bruno Mégret. Ce fut la première division à laquelle nous avons assisté au sommet. Parallèlement, on peut estimer qu'une bonne moitié des personnels du DPS a basculé du côté de M. Bruno Mégret et de ses troupes. Tel est, en tout cas, le sentiment que l'on retire des appels à concours lancés pour le congrès de Marignane des 23 et 24 janvier. Parallèlement, une recomposition a été effectuée par M. Jean-Marie Le Pen à son niveau, puisqu'il a désigné M. Marc Bellier, jusqu'alors responsable du DPS pour le Grand Ouest, nouveau directeur national du DPS, assisté de M. Jean-Marie Lebraud.

    On constate que ces personnes, qui entretiennent des relations rudes avec autrui, en entretiennent d'abord de rudes entre elles. Les règlements de compte ne manquent pas, à l'heure actuelle, entre les uns et les autres et les relations sont sans aménité. Si l'on y ajoute les menaces mutuelles, voire les représailles à l'encontre de certains membres du DPS, qui avaient pris parti pour tel ou tel camp, on peut dire que la division est réelle et que l'on se situe dans un phénomène de décomposition-recomposition très symbolique. En effet, dans un mouvement qui comprend plusieurs cercles d'adhérents, de sympathisants, de votants, le DPS, avec son millier de personnes, apparaissait comme un noyau de repérage. Or, il est clair que, dans ce noyau, la coupure est forte et durable, obligeant une partie des gens à choisir leur camp.

    Je terminerai par une remarque, ayant suivi ces questions ces derniers temps. La situation actuelle reflète bien la nature humaine : au niveau des patrons, des hiérarques nationaux et zonaux, on est sommé de choisir son camp. Ainsi, pour les responsables zonaux, on est à trois contre trois. Au niveau régional aussi, il faut choisir, mais, au niveau départemental, on voit des responsables qui restent dans leur coin et regardent la guerre des chefs en se demandant quand et comment il faudra prendre parti. Au niveau des gens simples que j'évoquais, qui sont un peu la masse de man_uvres du DPS, ils sont dans l'expectative, se disant que demain, il fera jour et qu'il sera alors plus facile de voir ce qu'il faut faire. L'on assiste donc à une gradation dans les prises de position selon la place dans la hiérarchie, mais je ne pense pas vous étonner en vous le disant. C'était une simple contribution à l'information que je souhaitais vous livrer en cette déclaration liminaire.

M. le Président : Je vous remercie. Je souhaiterais vous poser une question qui est devenue, aux yeux des membres de notre Commission, un véritable serpent de mer. Votre exposé liminaire montre qu'existe une surveillance particulière du DPS de la part de vos services, ainsi que nous l'avait d'ailleurs expliqué le ministre de l'Intérieur. Nous avons eu vent - en tout cas, la presse l'a souvent relevé - qu'après les événements de Montceau-les-Mines, des rapports sur l'activité du DPS avaient été élaborés, notamment par l'Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) et par les renseignements généraux. Plus récemment, on nous a parlé d'un rapport sur les sociétés de gardiennage. Avez-vous eu connaissance de ces rapports ? Comment est organisée votre surveillance des activités du DPS ? Si ces rapports, ou du moins un système cohérent d'informations, existent, quels sont-ils et pouvons-nous en avoir communication ?

M. Didier CULTIAUX : L'organisation de la surveillance est une mission bien intégrée au sein des renseignements généraux, qui ont une structure départementale. Dans le cadre des directives générales qu'ils peuvent recevoir du directeur central des renseignements généraux, les responsables départementaux portent un regard singulièrement attentif sur les éléments dont la surveillance leur est demandée et font remonter les informations qui leur apparaissent significatives. Classiquement, il existe deux formes d'informations : d'une part, les informations « recommandées » sur des sujets dits « majeurs » ou « d'actualité », d'autre part, de la part des fonctionnaires qui savent faire leur métier, les informations « d'initiative ». Ensuite, parmi les différentes sections de la direction centrale des renseignements généraux, certaines sont amenées à réaliser des synthèses et des rapprochements. En tant que directeur général de la police nationale, j'en reçois un certain nombre et, dès lors qu'elles sont significatives ou utiles, je les communique au cabinet de M. le ministre. Mais, je ne conserve pas les rapports, puisque je dois fonctionner à l'instar d'une pompe aspirante et refoulante. Néanmoins, dans la mesure où vous allez auditionner M. Yves Bertrand, directeur central des renseignements généraux, notamment sur le sujet des sociétés de gardiennage, qu'elles soient inspirées par le Front National ou que certains de ses membres aient une propension à travailler avec lui, il sera en mesure de fournir à votre Commission toute information utile. D'ailleurs, si vous le permettez, tenant compte de la marque d'intérêt que vous portez à cet aspect des choses, je le lui signalerai pour que son audition soit aussi riche que possible sur ce point.

M. le Président : Des synthèses existent donc ?

M. Didier CULTIAUX : Nous devons travailler avec un minimum de synthèses. Mais je ne suis pas chargé du classement et de l'archivage. Je reviens sur un point capital de notre organisation : si aucune section spécialisée de la direction centrale ne procédait, à un moment donné, à la synthèse, à la fois géographique et thématique des informations recueillies, elles n'auraient point de lisibilité. Et lorsque nous parlons du Front National, nous parlons bien d'un mouvement à l'implantation géographique nationale. Par conséquent, nous sommes obligés d'en étudier les ramifications.

    J'observe au passage - c'est là un sentiment personnel - que les sociétés de surveillance et de sécurité sont le plus souvent d'implantation locale ou régionale. L'on a assisté ces dernières années en France à la floraison des sociétés de surveillance et de sécurité, qui posent d'ailleurs problème quant à leurs motivations, leur usage, le recrutement et la formation de leurs membres. Le souci du ministre de l'Intérieur, que je partage totalement, est, chaque fois que possible, à travers la puissance publique, de préparer aux métiers de la sécurité par des programmes d'insertion professionnelle, pour former de véritables professionnels de la sécurité et non de petites gouapes reconverties ou des voyous en puissance. Car il est certain que, dans ces sociétés de surveillance et de sécurité, on trouve, comme dit l'expression, « de tout pour faire un monde » ! Pour cette raison, le Front National peut y trouver des appuis ou des connivences en tant que de besoin. J'insiste souvent sur le fait que les personnes travaillant dans ces sociétés qui ont des sympathies pour le Front National et, éventuellement, offrent leur contribution, le font, non pas à travers la raison sociale de la société, mais à titre personnel, avec le groupe de « copains ».

M. le Rapporteur : Monsieur le directeur général, je vous remercie d'avoir su allier l'information nécessaire à notre Commission aux précautions et à la prudence inhérentes à vos fonctions.

    Je voudrais entrer plus avant dans le vif du sujet. On a parlé de serpent de mer, je ne sais s'il s'agit de l'Arlésienne ou du furet : un rapport a-t-il été commandé par M. Debré, ministre de l'Intérieur, sur le DPS aux renseignements généraux ? Ce rapport a-t-il été fourni ? Existe-t-il ? Certains disent l'avoir vu ; il en est même un qui me dit l'avoir touché ! S'agit-il d'un rapport broché ou d'une nébuleuse de notes avec ou sans synthèse, ou encore d'une intoxication, soit de la part de différents services, soit de la part de la presse ?

    Plus précisément, au sujet des incidents qui ont émaillé la vie quotidienne du DPS, certains éléments attirent mon attention : c'est, à Montceau-les-Mines, l'absence de la police pendant des événements qui ont duré relativement longtemps et au cours desquels le DPS a été maître de la situation ; c'est le désagréable spectacle de la rue de Rivoli, lors de la fête de Jeanne d'Arc, livrée aux membres du Front National et du DPS ; c'est, à Toulon, la vente de livres interdits sous les fenêtres du commissariat ; c'est, à Carpentras, la remise d'un punk par des membres du DPS à la police ; c'est enfin, à Paris, salle Wagram, une manifestation du Front National en l'absence de tout policier, à l'extérieur comme dans la salle, qui va déposer une gerbe à l'Arc de Triomphe. Et l'on attend environ trois quarts d'heure avant de voir arriver les forces supplétives de sécurité qui, si ma mémoire est bonne, sont pourtant basées du côté du Grand Palais.

    Voilà des questions que nous nous posons, que nous sommes forcés de nous poser sur les contacts, certes nécessaires, entre la police et toute formation politique à l'occasion de manifestations, mais qui nous semblent en l'occurrence aller au-delà. En effet, on peut parfois parler de connivence entre le DPS et des policiers en exercice ou d'anciens policiers, des gendarmes ou d'anciens gendarmes, des parachutistes ou d'anciens parachutistes - je grossis le trait. Voilà ce qui nous inquiète. Si nous commençons à comprendre ce qu'est le DPS, je me soucie, pour ma part, de dérapages concernant des faits précis, sur lesquels nous n'avons reçu, jusqu'à maintenant, aucune réponse plausible.

M. Didier CULTIAUX : Je répondrai à la fin de votre propos : n'y voyez pas malice, mais il est vrai qu'un ancien lieutenant-colonel de gendarmerie était, jusqu'à une date récente, responsable régional du DPS. De la même manière, je suis persuadé que des policiers appartiennent au Front National, soit qu'ils aient leur carte, soit qu'ils soient des sympathisants. Le préfet de Seine-et-Marne que j'ai été avant d'être nommé directeur général de la police nationale en a, sinon rencontré au point qu'ils s'affichent de la sorte, du moins les a sentis ou ressentis, ou, comme on dit dans la police, « reniflés » ! D'ailleurs, lorsque j'étais en Seine-et-Marne et depuis que j'officie place Beauvau, j'ai pris un certain nombre de dispositions pour que les encadrements changent et que la surveillance et la vigilance soient plus fortes ici ou là.

    J'en viens à une observation générale. J'appartiens au corps préfectoral depuis vingt-huit ans. J'ai appris, jusqu'à preuve du contraire, que l'autorité préfectorale, territorialement compétente, a l'entière responsabilité des forces de sécurité publique placées sur son territoire, soit en permanence, soit mises à sa disposition en tant que de besoin. A ce sujet, je rappelle que j'ai l'honneur, avec la cellule CAP 2 de mon cabinet, de gérer l'ensemble des forces mobiles du territoire. Par conséquent, lorsque l'on me dit que des policiers, voire des gendarmes, ou encore des fonctionnaires, ont eu des comportements non déontologiques ou non conformes à la loi, ma réaction est double : en ma qualité, pour les forces qui sont concernées, je demande une enquête de commandement. C'est mon droit permanent de directeur général de la police nationale, droit que j'exerce. Par ailleurs, l'autorité préfectorale dépendant du ministre de l'Intérieur lui-même, celui-ci est à même de demander à tout moment un rapport de circonstances au préfet concerné, ce qu'il ne manque pas de faire. Pour avoir eu connaissance de rapports de collègues, je souligne que certains - pas tous - ont l'amabilité d'envoyer en double leur rapport, l'un au cabinet du ministre, l'autre à moi-même, notamment lorsque la sécurité publique est en cause.

    Par conséquent, - peut-être parce que je me fais une haute idée de mon métier et de notre responsabilité -, j'estime que, dans ce type d'affaire, il convient de vérifier, à chaque fois, si nous sommes confrontés à des personnes ayant eu des comportements d'inertie, de complaisance ou de complicité coupable et, dans les cas où les faits étaient prévisibles, quelles sont les raisons pour lesquelles ils n'ont pas fait face - absence d'instructions précises, manque de diligence -. Telle est l'idée que je me fais du métier et de la chaîne hiérarchique de la responsabilité dans un Etat républicain.

M. le Président : Vous ne répondez pas aux questions précises de M. le rapporteur. Vous venez ici pour parler du DPS. Je suppose que vous avez fait établir le bilan de ses activités et des problèmes qu'il peut induire. Des cas font apparaître des comportements troublants des forces de police à l'égard du DPS. Nous souhaiterions avoir votre opinion sur ces faits. Si vous n'êtes pas en mesure de nous la donner aujourd'hui, nous pouvons vous laisser le temps de vérifier ces informations. Mais nous souhaitons savoir ce qu'il en est, en tout cas ce qu'il en a été. Par exemple, au sujet des événements de Montceau-les-Mines, nous avons été très étonnés d'apprendre que le service du DPS, dans les conditions que vous devez savoir, a officié pendant près de deux heures et demie sans que les forces de police, situées à quelques centaines de mètres, n'interviennent. Question troublante ! Nous souhaiterions obtenir des réponses.

M. Didier CULTIAUX : Quels autres cas encore ?

M. le Président : Le meeting de la salle Wagram avec le dépôt d'une gerbe à l'Arc de triomphe et la bousculade d'un policier.

M. Didier CULTIAUX : Le préfet de police relève directement du ministre de l'Intérieur.

M. le Président : Il y a eu l'affaire de Carpentras, où des témoins nous disent que des membres du DPS ont interpellé un punk sur la voie publique, l'ont fouillé et finalement remis aux forces de police, en leur remettant les papiers qu'ils avaient trouvés sur cette personne. Voilà au moins trois cas qui ont été cités et sur lesquels nous souhaitons des réponses précises. Ajoutons la fête du livre à Toulon, où tout se passe devant le commissariat de police sans que cela n'appelle aucune intervention.

    Nous aimerions également savoir s'il est habituel, comme l'a déclaré M. Bernard Courcelle, que l'arrestation des meurtriers de Brahim Bouarram se soit opérée dans les conditions qu'il a relatées, c'est-à-dire qu'il ait concouru, en quelque sorte, à cette arrestation. Cela fait beaucoup d'événements sur lesquels nous souhaiterions des réponses précises.

M. Didier CULTIAUX : Je ne répondrai pas sur les faits intervenus à Paris ; il existe à Paris un préfet de police qui dépend directement du ministre de l'Intérieur. Je vous devrai des réponses personnelles et écrites sur les trois autres cas qui viennent d'être cités.

M. le Rapporteur : Et s'agissant du rapport ?

M. Didier CULTIAUX : J'ai le regret de vous dire que je ne l'ai ni vu, ni touché, mais peut-être ai-je eu tort ! Cela fait exactement 366 jours que j'ai pris mes fonctions. Depuis, j'ai fait en sorte qu'il y ait une vue d'ensemble sur le sujet et que le ministre de l'Intérieur soit informé. Ce qui m'a intéressé, au poste où je suis, c'est ce qui s'est passé en 1998. Si j'avais eu à connaître des événements antérieurs, c'eût été uniquement à travers des procédures disciplinaires. Parmi celles-ci, dont je tiens la statistique et la synthèse à votre disposition pour 1998, je n'ai point traité de cas de la sorte l'année passée. Celles-ci portaient sur des faits éventuellement antérieurs à 1998, qui, compte tenu du régime de traitement des affaires de la police, remontent - au mieux ou au pire - à 1997.

    Pour ma part, ce qui m'a le plus intéressé, en tout cas depuis le mois de décembre, c'est le phénomène de décomposition-recomposition au sein du DPS - thème de mon exposé dans la dernière partie de mon intervention liminaire - qui me semble, au cours des deux derniers mois, un élément nouveau et important.

M. Robert GAÏA : Monsieur le Directeur, nous ne sommes pas là pour apprécier vos convictions républicaines que nous ne mettons nullement en doute. Nous sommes obligés de traiter les cas de manière factuelle.

    Au sujet des événements intervenus à Strasbourg, vous avez fait part d'une usurpation d'identité de la part de membres du DPS ; dans le même temps, un policier a été suspendu.

M. Didier CULTIAUX : Oui.

M. Robert GAÏA : Il y a donc eu un rapport de l'IGPN.

M. Didier CULTIAUX : Oui.

M. Robert GAÏA : Est-il toujours en votre possession ?

    Je dirai la même chose de Carpentras. Y a-t-il eu un rapport de l'IGPN ? Je pose la même question s'agissant de Toulon, où, en mai 1997, le Front National distribuait des tracts dans le poste de commandement du commissariat. Un rapport de l'IGPN a été produit. Peut-on en disposer ? Existe-t-il toujours en archives ? Nous pouvons, le cas échéant, poser ces questions à votre prédécesseur.

M. Didier CULTIAUX : La continuité de l'Etat existe.

    Je n'ai pas eu à connaître des faits de mai 1997, en termes disciplinaires, depuis que je suis en poste, c'est-à-dire depuis le 8 février de l'année dernière.

M. le Président : Précisément, la continuité de l'Etat existant, vous pouvez les connaître ?

M. Didier CULTIAUX : Oui, comme je l'ai d'ailleurs dit. Rassurez-vous : je suis à la tête de ma maison et je suis capable de retrouver ce dont j'ai besoin au regard des demandes formulées.

M. Robert GAÏA : Dans les villes tenues par le Front National, quelle est votre analyse des rapports éventuels entre police nationale et police municipale ?

    Vous avez parlé des sociétés de surveillance et des passages, soit individuels, soit plus organisés, entre le DPS et les sociétés de surveillance. Pouvez-vous citer des noms de sociétés vous apparaissant particulièrement liées au DPS ?

    Enfin, connaissez-vous M. François-Xavier Sidos ?

M. Didier CULTIAUX : M. François-Xavier Sidos est, autant que je sache, un membre du DPS. C'est une personne relativement jeune - moins de quarante ans. Il a mené, en son temps, des activités outre-mer et a été stipendié comme mercenaire.

M. Robert GAÏA : C'est le numéro deux de M. Bob Denard.

M. Didier CULTIAUX : Au sujet des sociétés de surveillance, je reviens sur ce qui a été dit tout à l'heure. Je n'aime pas l'à peu près, encore moins devant la représentation nationale : j'ai bien noté votre souci en la matière et, dans la mesure où vous auditionnerez M. Yves Bertrand, je ferai en sorte que vous obteniez des informations précises, notamment sur la taille et la nature de ces sociétés. Cela réclame une analyse relativement fine car il existe plusieurs cas de figure.

    Les polices municipales représentent douze mille personnes. Elles sont rarement de grande taille. Il faut surtout aller dans le Midi pour en trouver de plus de cent personnes, ce qui, d'ailleurs, fait parfois problème en termes de fonctionnement. On le voit au travers du projet de loi sur les polices municipales. Bien des agents des polices municipales sont des personnes ayant recherché un emploi ; elles ont le goût de servir, n'ont pas, en général, d'engagement politique préalable, même s'il est vrai que, dans le système « mayoral » qui est le nôtre, le pouvoir municipal est traditionnellement fort et qu'il emporte souvent personnalisation, influence et liberté relative de choix, même si l'on a développé des statuts des personnels territoriaux. Il reste probable qu'ici ou là, des personnes ont pu être choisies en fonction de leur appartenance politique, avec tout ce que cela représente de complaisance, allant du collage d'affiches à des engagements qui vont plus loin et sortent de la réserve républicaine. Pour être en contact avec la plupart de mes collègues préfets, entre autres M. Hubert Fournier, dans le Var, je ne peux manquer d'y être attentif. Je crois que nous pourrions trouver des phénomènes de ce genre dans d'autres polices municipales de l'arc méditerranéen.

M. le Président : M. Robert Gaïa vous a posé une série de questions sur l'IGPN. Des fonctionnaires de police ayant été sanctionnés, l'IGPN a produit des rapports. Le directeur de L'IGPN, que nous avons contacté pour être entendu par notre Commission, nous a répondu qu'il n'avait aucune information à nous fournir sur le DPS. Que pensez-vous de ce comportement ?

M. Didier CULTIAUX : Je rappelle qu'une Commission parlementaire dispose de ses pouvoirs propres, bien définis. J'ajoute que votre serviteur est là, que le directeur, chef de l'IGPN, est placé sous mon autorité, que ses activités sont dirigées par mes soins et présentent un caractère clair, net et quasi automatique, notamment en ce qui concerne les procédures disciplinaires. Il existe un mythe de l'IGPN en la matière : ce qui importe, c'est la tenue d'un conseil de discipline. Excepté pour les sanctions de première catégorie, telles que le blâme ou l'avertissement, un seul document, celui du rapporteur, fait foi. C'est celui qui est présenté devant le conseil de discipline composé à parité de représentants des syndicats et de membres de l'administration.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Nous ne sommes pas là pour analyser la pénétration du Front National dans les catégories socioprofessionnelles. Ce qui retient l'attention de notre Commission, ce sont les faits qui éclairent les pratiques du DPS. Il serait intéressant que la Commission dispose d'un tableau des faits signifiants, révélateurs d'un comportement illégal du DPS constatés par la police nationale, remontant sur plusieurs années. Nous souhaiterions donc que vous donniez l'instruction à vos services de recenser ces faits dans les rapports et procès-verbaux des années récentes. La continuité de l'Etat devrait rendre possible son élaboration.

    Nous voudrions également savoir ce qu'il est advenu des faits illégaux constatés par les personnels placés sous votre autorité : ont-ils été transmis au parquet ? Une information a-t-elle été ouverte ? Ce recensement des faits, et le tri qui a été fait parmi eux, doit être le point de départ de notre travail. Je répète en effet qu'il ne s'agit pas pour nous de mettre en cause l'attitude de tel ou tel fonctionnaire de police ou de gendarmerie, même si le rapport abordera sans doute ce point. Ce sont les faits qui sont l'objet de notre sujet initial ; or, les faits émanant des services chargés de les constater nous manquent. Nous ne suspectons rien ni personne a priori, mais nous souhaitons recouper les informations dont nous disposons via toutes sortes d'officines ou de circuits de presse, qui sont parfois honnêtes, mais qui peuvent aussi parfois se laisser manipuler. Ce tableau des faits signifiants constitue pour nous le début de nos travaux. Je ne parle pas des rapports de l'IGPN, car j'imagine bien ce qu'il a pu en advenir ; je parle des faits constatés. Qu'on nous donne les procès-verbaux de ce qui s'est passé à Montceau-les-Mines, à Strasbourg, ce qui a été constaté. Ne croyez surtout pas que nous souhaitons déraper vers le comportement des préfets, du préfet de police ou du ministre de l'intérieur. Tel n'est pas notre état d'esprit. Pour la préparation de la réunion d'aujourd'hui, vos services vous ont-ils fait remonter un certain nombre de faits, parfois antérieurs à votre prise de fonctions, et que vous souhaitez porter à notre connaissance comme étant utiles à la poursuite de nos investigations ?

M. Didier CULTIAUX : Vous avez mis l'accent sur des faits qui vous ont frappés, comme ils nous ont frappés, du type de ceux de Montceau-les-Mines, Carpentras ou de la fête du livre à Toulon. Alors que je n'étais pas encore en poste, j'avais quant à moi été très attentif aux événements de Strasbourg qui n'étaient pas d'une simplicité biblique. Pour le reste, je crois que nous sommes en présence d'une série de petits faits et d'incidents à répétition, pour reprendre la formule indiquée par le ministre de l'Intérieur. Je m'efforcerai de vous donner satisfaction, mais vous comprenez qu'isoler des faits intervenus au cours des cinq dernières années, parmi un grand nombre de cas traités, et rechercher ensuite ceux qui ont donné lieu à des poursuites - avec l'aléa concernant le résultat judiciaire, que je connais dans certains cas, mais pas toujours - constitue un travail considérable, plus analytique que synthétique.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Pour nous, c'est un début. Nous nous tournerons ensuite vers le ministère de la Justice pour savoir le traitement judiciaire qui a été réservé à ces faits.

M. Didier CULTIAUX : J'ai bien compris votre demande qui porte sur des « faits illégaux signifiants », c'est-à-dire des éléments significatifs, et non, si vous me pardonnez l'expression, des babioles.

M. Noël MAMÈRE : Dans votre exposé introductif, vous avez évoqué le DPS comme un service d'ordre, mais aussi d'information. Avez-vous connaissance de faits relatifs à des activités de « fichage » ou de renseignements auxquelles se serait livré le DPS sur ceux qu'il considère comme ses ennemis, ses adversaires ou ceux qu'il faut combattre ?

    Nous avons évoqué à plusieurs reprises les connexions entre le DPS et les sociétés de surveillance ; avez-vous entendu parler d'une société du nom de « Ambassy » ?

M. Didier CULTIAUX : Oui, j'en ai entendu parler.

M. Noël MAMÈRE : Et d'une autre du nom de « ACDS » ? La première serait dirigée par M. Soulas qui aurait aujourd'hui rejoint M. Bruno Mégret après avoir tenu une librairie nazie s'appelant « L'Aencre », à Paris. La seconde, l'ACDS, est une société dans laquelle M. Jean-Marie Le Pen aurait ses habitudes.

    Avez-vous des renseignements précis sur des manifestations où les services de la police ne seraient pas intervenus en temps voulu ; on a évoqué Carpentras et Toulon ; il faudrait aussi examiner ce qui s'est passé à Nîmes en 1992, lors de la préparation des élections régionales ?

    Enfin, serait-il possible de disposer de quelques rapports écrits de vos correspondants départementaux de la sécurité publique sur l'arc méditerranéen, en contact quasi quotidien avec le DPS ? Ils savent ce qu'est le DPS, connaissent ses agissements ; il serait donc intéressant de disposer de renseignements précis.

M. Didier CULTIAUX : En règle générale, sauf incidents graves, les rapports n'émanent pas de la sécurité publique. Celle-ci n'établit des rapports que lorsqu'existent des demandes d'enquêtes particulières en cas d'incidents graves, tels ceux intervenus à Carpentras ou à Montceau-les-Mines. Sinon, ce sont plutôt les services des renseignements généraux qui font remonter l'information. Je regarderai, dans les synthèses encore disponibles, les éléments significatifs qui peuvent vous être utiles. Je note donc votre demande au sujet de l'arc méditerranéen.

    Effectivement, j'ai bien en tête les connivences de la société de surveillance Ambassy et j'ai entendu parler de l'ACDS, mais je ne dispose pas des éléments d'actualisation utiles en la matière. Lorsque l'on se présente devant une Commission comme la vôtre, sans être assuré des centres d'intérêts des parlementaires, on n'est pas toujours capable de répondre à tel point particulier. Mais je note que je vous dois l'information sur les deux sociétés citées, ainsi que sur d'autres qui nous préoccupent.

    Indiscutablement, le rôle d'information figure dans les statuts du DPS et dans la volonté de ses dirigeants, qui souhaitent savoir qui ils recrutent dans leurs propres services et vérifier la fiabilité des personnes embauchées, au regard de leurs buts propres. Naturellement, n'ayant pas vocation à pénétrer chez autrui, en des lieux privés, pour vérifier si des fichiers sont tenus, je n'en ai pas la preuve. Je souhaiterais cependant vous donner ma conviction de citoyen : je suis persuadé que, d'une manière ou d'une autre, des fiches sont tenues sur un certain nombre de personnes, d'abord au sein du DPS, mais même au-delà. Ma conviction trouve sa source dans l'observation des événements de ces dernières semaines. Le spectacle des dissensions, des déchirements, des coups mutuels portés, des déballages, incite à croire que ces personnes, même si elles se connaissent et ont la mémoire longue, ont dû la rafraîchir à partir de documents en leur possession.

    S'agissant de l'information extérieure, il est plus difficile de se prononcer. On se situe là dans le problème de l'information « ouverte » ou « fermée » : quels sont les éléments qui relèvent de l'information publique sur la vie de telle ou telle personne, son comportement, ses prises de positions - cette information étant formée à partir d'observations personnelles, de visu ou d'articles de journaux ? Quels sont ceux qui relèvent de l'information obtenue à partir de surveillances ou de contacts provoqués avec des tiers dans le but d'obtenir telle confidence, de « tenir » quelqu'un, voire éventuellement de le faire chanter ? Difficile à dire. Néanmoins, étant donné qu'appartiennent à cette mouvance des personnes qui ont montré, en d'autres circonstances, qu'elles n'avaient pas de grandes références morales, je pense que, parmi ces personnes issues de différents milieux, qui, pour certaines, se sont retrouvées en retrait de la société et ont vécu de manière souterraine, il doit y avoir plus que des prurits en la matière, et certainement des tentatives réussies. Si ma conviction est plus affirmée pour le fichage interne que pour l'information externe, j'estime que les deux existent néanmoins.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Vous êtes censé être informé de tous les mouvements sur le territoire national, notamment des déplacements des dirigeants de parti politique en province. Dès lors, quand M. Jean-Marie Le Pen décide d'aller à Toulouse, par exemple, et se déplace avec le DPS ou retrouve sur place un service d'ordre local, départemental, voire régional, le préfet, alors en alerte, déploiera sans doute des forces de l'ordre. Disposez-vous d'un fichier particulier recensant les personnes appartenant au DPS ?

M. Didier CULTIAUX : On dit beaucoup sur les fichiers de la police, mais la CNIL (Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés), dont la composition vient d'être renouvelée, ne passe pas un mois sans visiter mes services. Elle visite également les services déconcentrés. Si je tenais des fichiers contraires à la loi, je pourrais être immédiatement poursuivi, pour avoir donné de tels ordres ou laissé perdurer des systèmes illégaux. Or, un fichier tel celui que vous décrivez serait illégal.

    En revanche, je voudrais répondre sur deux points. Lors d'un déplacement, à des fins publiques, d'une personne importante, il est clair que le préfet est prévenu et, que, sinon son directeur de cabinet, du moins le directeur départemental de la sécurité publique, voire un responsable des renseignements généraux, se rapproche des organisateurs, qui ont pignon sur rue. S'agissant plus précisément du DPS, dans le cas où la direction locale du Front National est manifestement défaillante, la direction centrale du DPS fait savoir que telle personne viendra et sera habilitée à superviser l'organisation de l'événement pour éviter tout trouble à l'ordre public.

    Le second élément de réponse pourra vous paraître curieux. Nous avons un Service de Protection des Hautes Personnalités (SPHP). Nous sommes amenés à désigner des personnes pour être aux côtés de personnalités qui courent des risques du fait de leurs activités publiques. M. Jean-Marie Le Pen en fait partie. Selon notre déontologie, l'accompagnateur de M. Jean-Marie Le Pen n'est pas un informateur sur sa vie au quotidien. Il nous prévient uniquement dans la demi-journée en cas d'incident ou s'il estime qu'existe un risque de trouble à l'ordre public qui aurait pu échapper à un responsable national ou local de la police.

M. le Président : Est-il normal qu'un policier qui exerce cette fonction participe, comme cela a été le cas à Mantes-la-Jolie, au coup de poing contre la candidate socialiste ?

M. Didier CULTIAUX : Ces événements ont fait l'objet d'une procédure judiciaire et ont été appréciés dans leur entier par l'autorité judiciaire. Je m'en tiens là. C'est une affaire que j'ai moi-même étudiée et pour laquelle j'avais demandé que des clichés me soient apportés. Un responsable local des renseignements généraux, M. Laurent, a été impliqué et a dû témoigner. Tout cela a donc été exposé devant la justice, qui a pu apprécier.

M. le Président : Voilà le type de faits que nous aimerions connaître pour mieux apprécier les gens qui nous intéressent.

M. Didier CULTIAUX : Je voudrais dire, au passage, combien peut être difficile la mission d'un policier du SPHP en la matière. Je veux témoigner, en ma qualité de directeur général de la police nationale, que dans ce service, les candidats à la relève ne sont pas si nombreux.

M. Arnaud MONTEBOURG: Monsieur le directeur général, vous avez fait état d'un certain nombre de faits que vos services sont à même de connaître. M. Noël Mamère et M. Renaud Donnedieu de Vabres ont insisté sur le caractère précis des informations que nous souhaiterions obtenir de vos services. Je voudrais insister, à mon tour, sur le fait qu'il serait utile à la Commission d'avoir connaissance d'un certain nombre de documents internes à la police nationale, notamment des rapports dits « d'enquêtes de commandement », documents sur la base desquels toutes les autres autorités peuvent travailler : autorité judiciaire lorsqu'elle est saisie, autorité disciplinaire en cas de saisine de l'IGPN.

    Peut-être n'avez-vous pas ressenti l'irritation de plusieurs membres de la représentation nationale présents dans cette Commission, lorsque le Président Hermier a fait état des réactions du directeur de l'IGPN n'ayant, semble-t-il, rien à nous dire. Je crains qu'il ne soit amené à nous donner des informations contre son gré, s'agissant de toute la procédure d'instruction sur les faits qui nous intéressent. En effet, l'IGPN est un organe d'instruction, sur le plan déontologique, des écarts commis par les membres de la police nationale à l'occasion d'événements qui peuvent surgir dans l'exercice de leurs fonctions. Le conseil de discipline est effectivement un aboutissement mais il ne traite que de faits sélectionnés sur une base juridique et susceptibles d'être sanctionnés. Mais qu'en est-il de tout le reste, qui aurait pu, d'ailleurs, donner lieu à d'autres développements - ce que nous ignorons puisque tout cela se déroule en interne - sur lesquels le directeur de l'IGPN semble vouloir garder une curieuse pudeur devant la représentation nationale qui, je le rappelle, a des pouvoirs d'investigations sur pièces et sur place ?

    La réponse avancée en défense de l'attitude du directeur de l'IGPN me paraît juridiquement contestable. Il est nécessaire que le directeur de l'IGPN vienne nous apporter l'ensemble des documents internes, sur la base desquels il y a eu, ou non, des procédures disciplinaires. Etant juriste, et de qualité, puisque préfet, vous savez que, dans certains cas, on ne peut trouver matière à condamnation, alors qu'il y aurait matière à intéresser la Commission sur des faits qui sont la « matière brute ». Les rapports d'enquête, les enquêtes de commandement, les premières recherches de l'inspection générale de la police nationale, voilà ce qu'il nous faut ! Je le dis de manière vive, afin que le message sorte au-delà de ses murs et porte jusqu'à vos subordonnés.

M. Didier CULTIAUX : Monsieur le député, je suis imperturbable, car, si j'ai appris peu de choses à l'école et à la faculté de droit, j'essaie de l'utiliser : la hiérarchie et la responsabilité hiérarchique ont un sens.

    Vous évoquez la « matière brute », mais l'important est de savoir si les procédures débouchent sur le plan judiciaire ou disciplinaire ou sur les deux plans. Jusqu'à preuve du contraire, seuls font foi les rapports finaux qui concernent les décisions que la hiérarchie doit prendre. Pour la révocation d'un commissaire, c'est le Président de la République qui est compétent ; pour les autres personnes, c'est le ministre de l'intérieur. Les sanctions d'un autre niveau relèvent de ma compétence. Par conséquent, je maintiens ma position, et si vous estimez devoir effectuer des vérifications sur pièces et sur place, je me tiens à votre disposition. Cela dit, je considère que seul fait foi le rapport de présentation à un conseil de discipline ou le document de saisine de la police judiciaire en cas de « basculement » à l'IGS (Inspection Générale des Services) pour la préfecture de police ou à l'IGPN pour le reste de la police nationale.

M. Arnaud MONTEBOURG: Tout cela me paraît fort contestable pour une raison simple : nous ne cherchons pas à établir des sanctions disciplinaires, mais à comprendre le fonctionnement des procédures. Donc, ce qui fait foi, pour nous, c'est la totalité de la procédure, y compris les éléments qui n'auront pas été retenus par l'inspection générale. Mais « Brisons-là ! », pour citer Molière.

    Vous aviez, en réponse à la question de M. Robert Gaïa sur les polices municipales, indiqué qu'il était vrai que, dans certaines zones, et notamment dans le Sud de la France, les recrutements s'opéraient sur une base faiblement républicaine - j'exagère sans doute les propos que vous avez tenus. Je voudrais connaître les recours que l'autorité préfectorale a exercés sur ce type d'écart. A-t-elle tenté de le faire et y a-t-il eu des déférés sur ces recrutements qui peuvent, en effet, sembler violer l'Etat de droit ?

M. Didier CULTIAUX : Je dois interroger, à la fois, la direction générale des collectivités locales et la direction générale de l'administration, car la statistique sur le nombre et la nature des déférés est tenue par ces services en ce qui concerne le contrôle de légalité. Nous nous situons là, en effet, dans les conditions de recrutement du personnel communal.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Vous avez expliqué qu'un des éléments de tension au sein de cette organisation tenait aux frais de déplacement, ce qui pose le problème du financement du DPS. Avez-vous des informations sur ce sujet ?

    Vous avez parlé du port d'armes blanches et à feu. Lorsque des ports d'armes ont été constatés, des enquêtes de vos services ont-elles permis d'identifier l'origine de ces armes ? Et, si oui, qu'en est-il ?

    Je souhaiterais évoquer le problème des jeunes des quartiers modestes qui pourraient être tentés par le DPS, voire par le Front National. Vous avez dit que le recensement de ces personnes n'était pas encore totalement effectué. Dans le cadre de la décomposition-recomposition du Front National, le DPS voudrait-il commencer à recruter des jeunes de quartiers modestes pour gonfler ses rangs ? Quelle est l'ampleur du phénomène et faut-il craindre une telle évolution ?

M. Didier CULTIAUX : Dans les comptes généraux du Front National, figurent très certainement des sommes versées, notamment, à des permanents du DPS, que l'on trouve au niveau de la direction centrale, des directions zonales et régionales, mais pas toujours à l'échelon départemental. Il faut bien, en effet, qu'existe un minimum d'argent versé par le siège pour payer les permanents. Dans le cadre de la décomposition-recomposition du Front National, cet aspect constitue un élément de pression et de chantage très clair : si certains quittaient M. Jean-Marie Le Pen pour rejoindre M. Bruno Mégret, il s'agissait de savoir si ce dernier, et un certain nombre de financiers présents autour de lui, prendraient le relais du paiement des salaires. Toutes ces personnes, certes mues par une idéologie, souhaitent néanmoins assurer leurs fins de mois !

    Indiscutablement, le Front National a acquis, depuis des années, une technique éprouvée de création d'événements, de mise en place de rencontres payantes, de telle sorte que non seulement les frais de la manifestation sont couverts, mais qu'en outre, un bénéfice peut être dégagé, permettant ainsi de régler une partie des frais de transport ou de sécurité, y compris lorsqu'il est fait appel à des sociétés tierces. Il n'en reste pas moins que, dans un certain nombre de circonstances, l'on demandait à des gens de parcourir avec leur voiture 400 ou 500 kilomètres pour participer à un service d'ordre, sans pour autant leur donner quoi que ce soit quand ils présentaient la facture de défraiement. J'ai eu vent de toutes sortes de situations de ce genre, qui ont créé des difficultés et des dissensions.

    S'agissant du port d'armes, je vous rappelle qu'à la différence de la détention d'armes - disposer d'une arme chez soi -, il est régi de manière très précise, y compris en ce qui concerne la classification des armes. Les forces de sécurité - de police ou de gendarmerie - sont habilitées à demander la justification de port d'armes. En l'absence de justification et d'autorisation, l'on se trouve en présence d'un port d'armes illégal. Dans ce cas, le fonctionnaire de sécurité, s'il a la qualité d'officier de police judiciaire (OPJ) doit constater l'infraction et, s'il ne l'a pas, appeler immédiatement un OPJ en vue de faire établir la procédure. Si tel n'était pas le cas et si j'avais connaissance d'errements en la matière et de constats béats de témoins complaisants - nous parlions précédemment de procédures disciplinaires - j'en tirerais immédiatement les conséquences.

    S'agissant du mode de recrutement du DPS, je crois que, sur le millier de personnes qui compose cette organisation, quelques centaines sont d'origine modeste et ont suivi, par influence, d'autres personnes, selon un phénomène de bande, en quelque sorte : on voit quelqu'un sortir du groupe et entraîner avec lui trois, cinq, sept, voire dix personnes. Je ne dispose pas, actuellement, des identités de ces personnes - comme je vous l'ai dit, je ne tiens pas de fichier en la matière - pas plus que je n'ai de chiffrages. Je crois cependant que vous avez mis l'accent sur un aspect important qui doit tous nous préoccuper, à savoir la dimension nationale-populiste de ce type de mouvement qui fait appel aux instincts les plus simples et qui, face à des formes de désespoir et de ghettoïsation conduisant à ce que l'on a appelé, aux Etats-Unis, le phénomène de backlash, de réaction, peut trouver des adhérents de façon relativement facile. On peut supposer que des gens avertis du DPS, soit du Front National, soit du Front National-Mouvement national, seront tentés de le faire. J'ai le sentiment, à l'examen de la situation à Vitrolles par exemple, que des tentatives ont déjà été lancées, et qu'elles ont, pour partie, réussi.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Connaissez-vous les financiers de l'entourage de M. Jean-Marie Le Pen ? Je reviens sur le port d'armes : d'après vos propos, les personnes du DPS arrêtées avec des armes avaient l'autorisation de les porter.

M. Didier CULTIAUX : Non, certaines ont été condamnées. Je pourrai retrouver les cas pertinents. Mais il est très clair que le besoin de respectabilité et de prudence est tel que toutes les précautions sont prises, par un certain nombre de gens afin d'éviter qu'un membre du DPS ne « tombe » pour une infraction aussi « bête » que le port illégal d'armes.

    Un des financiers du Front National, assez important, a basculé du côté de M. Bruno Mégret ; il appartient à la hiérarchie du Front National-Mouvement national. Cela dit, je ne dispose pas de la liste des protecteurs ou sympathisants de ces mouvements qui leur versent des sommes conséquentes.

M. Robert GAÏA : Vous avez insisté sur la séparation entre les deux DPS. Au sujet des permanents du DPS, l'on sait que, si tous obéissent à une adhésion idéologique, il existe néanmoins deux profils, les activistes baroudeurs et les professionnels de la sécurité. Dans le cadre de l'actuelle scission, pouvez-vous dire qui part où ? Etes-vous en mesure de qualifier les deux DPS ?

M. André VAUCHEZ : Vous avez évoqué le problème des sociétés de gardiennage. Vous nous avez expliqué que ces sociétés recevaient de l'argent pour assurer la sécurité d'un meeting. Je croyais que c'était plutôt l'inverse : avez-vous des exemples de cas où les sociétés de gardiennage apportent de l'argent au DPS ? Pensez-vous qu'il existe une interpénétration entre la filière de la drogue et les collecteurs de fonds ?

M. le Rapporteur : Il ne faut pas qu'une personne auditionnée se méprenne sur nos intentions : nous avons été chargés par l'Assemblée nationale d'une commission d'enquête sur les agissements du DPS, pour connaître son fonctionnement, ses errements, ses dérèglements, et savoir s'il peut et doit être dissous, conformément à la loi de 1936. Quelles que soient nos vies antérieures, nous constituons le premier pouvoir de l'Etat, celui désigné par les citoyens, qui choisit le Gouvernement ou lui retire sa confiance. C'est dire l'importance de notre rôle. Nous ne sommes pas l'Inquisition, nous ne cherchons noise à personne, mais nous avons parfois le sentiment d'une certaine prolixité de nos amis journalistes, qui en disent peut-être plus qu'ils n'en savent, et d'une certaine prudence des fonctionnaires, qui paraissent en savoir beaucoup plus qu'ils n'en disent.

    Le fait que les renseignements généraux ne puissent plus contrôler l'activité des partis politiques ne les gêne-t-il pas dans leur contrôle du DPS ?

M. le Président : Existe-t-il des liens entre la Fédération Professionnelle Indépendante de la Police (FPIP) et le DPS?

M. Didier CULTIAUX : Lors des élections professionnelles de mars 1998, la FPIP a enregistré un score ne dépassant pas les 10 % dans la police nationale. Dans des unités comme les forces mobiles, les taux de participation ont atteint 80 % de votants, dont 70 % des voix se sont portées sur des syndicats républicains majoritaires. La FPIP siège au Comité Technique Paritaire central, où elle a un représentant. Elle est traitée comme un syndicat qui a l'onction du suffrage professionnel, mais non comme un syndicat habituel et républicain. Nous voyons bien - je l'ai relevé lors de campagnes d'affichage, dans des commissariats, faits que j'ai dénoncés, interdits et auxquels j'ai mis fin - qu'il y a de véritables éléments de provocation et, manifestement, une connivence entre la FPIP et le Front National. Il est évident que certains membres de la FPIP peuvent être tentés de participer à des services de bénévoles du DPS. Pour l'instant, je n'ai pas eu à le constater, mais, si tel devait être le cas - au reste, j'y ai sensibilisé les fonctionnaires de police -, j'en tirerais les conséquences nécessaires.

    J'en viens à la relation toujours sulfureuse entre les renseignements généraux et les partis politiques, à savoir ce qui relève de l'information en milieu fermé ou en milieu ouvert. Nous sommes des observateurs de la vie politique, en même temps que des fonctionnaires très attentifs à tout ce qui peut troubler l'ordre républicain, en général, et l'ordre public en particulier. Dès lors qu'il existe des risques sérieux, nous devons faire un effort d'information avec les moyens qui sont les nôtres aujourd'hui. N'ayant pas connu d'autre école que celle appliquée à l'heure actuelle, je ne me sens nullement gêné, mais il est possible que des anciens, connus de certains, parlent encore du bon vieux temps et d'autres méthodes plus commodes. Elles ont disparu, sont proscrites et nous devons agir comme nous le faisons aujourd'hui.

    Il n'y a aucune méprise de ma part. J'ai bien compris la mission de la commission d'enquête et, par conséquent, ce qui en forme l'axe. J'ai simplement indiqué que j'étais un haut fonctionnaire, que je voyais bien le cadre juridique du sujet qui vous intéresse, notamment en matière de dissolution administrative et judiciaire et que je n'insistais pas sur ce point. J'ai bien senti à travers vos questions que vous vouliez mieux prendre la mesure du phénomène sur la base de faits, que vous vouliez bannir le maximum de subjectivité et obtenir le maximum de preuves d'agissements coupables et d'errements regrettables. A travers votre grille de questions, en même temps pour moi grille de lecture, je comprends les réponses que vous souhaitez.

    Sur la question précédente, si dans d'autres domaines, tels que la lutte contre l'économie parallèle dans un certain nombre de quartiers, nous pouvons relever le mélange des genres entre la délinquance, les comportements déviants et la filière, économique et financière, de la drogue, mes collaborateurs, comme moi-même, ne l'avons pas relevé jusqu'à présent, dans le domaine que nous avons abordé aujourd'hui. Vais-je vous dire qu'il ne faut jamais injurier l'avenir ? On peut imaginer que telle personne qui voudrait jouer un rôle un peu mythomaniaque use de ressources inavouées provenant de la drogue pour se mettre en avant, par exemple. C'est une hypothèse que je ne peux pas exclure. Mais aujourd'hui, il n'en est rien.

    En ce qui concerne la galerie des portraits du DPS et de ce qu'il advient des deux DPS dans le contexte actuel, quel profil l'emportera d'un côté et de l'autre ? Actuellement, le partage me paraît relativement identique. Nous sommes cependant très attentifs sur ce point. En effet, à l'occasion de la campagne nationale pour les élections européennes, les deux partis seront concurrents par rapport à leur électorat, et vont, chacun, par des moyens dissuasifs, voire forts, tenter d'empêcher l'autre concurrent. On assistera probablement à une course à un recrutement plus important pour faire face aux besoins des différentes manifestations et il est à craindre que ces recrutements, faits de bric et de broc et à la va-vite avec un encadrement insuffisant, conduisent à des mécomptes et, donc, à des troubles de l'ordre public. C'est l'une de mes préoccupations.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Imaginez-vous que puissent exister des infiltrations, des relations, voire des transversalités avec le milieu des sectes, mouvance, elle aussi, extrémiste ?

M. Didier CULTIAUX : Bien des personnes ici sont averties de la chose : le Front National a commencé en balbutiant et c'est une élection européenne à la proportionnelle qui lui a permis d'entrer dans sa masse critique électorale. Cela faisait toutefois des dizaines d'années que l'extrême-droite, qui n'avait pu se fédérer en un seul parti, était constituée de multiples groupuscules. Il est certain que beaucoup d'entre eux ont, le moment venu, rejoint le Front National, parce qu'ils y ont vu des leviers d'action et une idéologie. Je parlerai plutôt de ce qu'on a appelé l'idéologie païenne, école de pensée de l'extrême-droite, que d'éléments dits « de secte » avec tout ce que cela suppose de sphères d'influence, de coteries ramassées en petits blocs et faisant retraite en tel ou tel lieu. Pour autant, il ne faut pas négliger la présence de véritables idéologues dans les différents courants du Front National. Je le dis d'autant plus volontiers que j'ai été frappé, à cet égard, par des exemples tirés de ma jeunesse. J'ai été au lycée Louis-le-Grand, puis à la faculté de droit d'Assas, où toute une partie des jeunes faisait partie de ces mouvances. On les y a retrouvés trente ans après, quasiment intacts dans leur idéologie et dans leurs fantasmagories premières. Cela paraît extraordinaire, mais tel est ce que j'ai constaté. Cela relève donc plutôt d'un phénomène idéologique que de sectes.

M. le Président : Monsieur le directeur, nous vous remercions. Nous attendons de vous des réponses précises aux questions posées et sur les faits qui ont été cités.

    Je veux m'associer aux propos de M. le Rapporteur. Nous vous avons beaucoup questionné sur les rapports de la police et du DPS. N'y voyez pas je ne sais quel détour de notre objectif. Tout simplement, nos auditions ont permis de soulever des faits qui nous préoccupent et vous étiez le premier à pouvoir nous apporter des réponses sur les cas précis que nous voulons approfondir.

    Comme vous l'avez sans doute ressenti, au terme de trois semaines d'auditions, nous avons quelque peu le sentiment d'une rétention d'informations.

M. Didier CULTIAUX : Je vais essayer de la dissiper, car, pour ceux qui me connaissent, ce n'est pas vraiment dans mon tempérament, singulièrement vis-à-vis de la représentation nationale. Je voudrais simplement dire avec mon c_ur que je n'ai jamais ressenti de votre part d'élément de suspicion vis-à-vis d'une grande institution comme la police nationale en général, mais plutôt le souci qu'elle soit, dans tous ses compartiments et à tous ses niveaux, exemplaire. Comment un directeur général de la police nationale ne pourrait-il partager cette préoccupation et cet objectif ?

M. le Président : Nous en sommes convaincus. Mais, le débat parlementaire a évoqué la question d'une recommandation de la dissolution du DPS, qui ne peut être prise à la légère. Il ne nous appartient pas de la prendre, mais de la recommander. Nous ne pouvons le faire que dans la mesure où nous disposons des faits qui nous permettent d'apprécier la question. Les journalistes nous en livrent beaucoup. Mais, Monsieur le directeur, ce sont les services de l'Etat qui doivent nous confirmer si ces faits recouvrent quelque réalité. Nous souhaitons très vivement disposer d'un plus grand nombre d'informations sur les questions qui peuvent nous permettre d'apprécier une question aussi importante que celle du devenir même du DPS. Après plusieurs auditions et au point où nous sommes rendus, je souhaitais vous adresser cette remarque, mais n'y voyez aucune suspicion à votre égard.

M. Didier CULTIAUX : Pas du tout.

M. le Président : Telle est, je crois, la manière dont travaillent les Commissions d'enquête avec les services de l'Etat, notamment lorsqu'il s'agit de services de la police. Au fur et à mesure de notre travail, les questions se précisent et notre collaboration va s'approfondir. Ainsi, nous disposerons des éléments qui nous permettront de produire le rapport le plus documenté et le plus fiable possible.

M. Didier CULTIAUX : Notre rôle est bien de favoriser le travail parlementaire ; je ferai de mon mieux.

M. le Président : Je vous en remercie.

Retour au sommaire des auditions

Retour au sommaire général des auditions

Retour au sommaire général du rapport