SOMMAIRE DES COMPTES RENDUS D'AUDITIONS
DU 10 FEVRIER 1999 AU 17 FEVRIER 1999

__ M. Renaud DÉLY, journaliste à Libération (mercredi 10 février 1999)

__ M. Philippe MASSONI, préfet de police de Paris (mercredi 10 février 1999)

__ M. Rémy BARROUX et M. Jean-Pierre BARTHONNAT, représentants de Ras l'front (mercredi 10 février 1999).

__ M. André-Michel VENTRE, secrétaire général du Syndicat des Commissaires de Police et des Hauts Fonctionnaires de la Police Nationale (mardi 16 février 1999)

__ M. Yves BERTRAND, directeur central des renseignements généraux (mardi 16 février 1999).

__ M. Gilles SAINATI, secrétaire général du syndicat de la magistrature (mercredi 17 février 1999).

__ M. Joaquin MASANET, secrétaire général de l'Union Nationale des Syndicats Autonomes de la Police (mercredi 17 février 1999).

Audition de M. Renaud DÉLY, journaliste à Libération.

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 10 février 1999)

Présidence de M. Michel SUCHOD, Vice-Président

M. Renaud Dély est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Renaud Dély prête serment.

M. Renaud DÉLY : Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je m'occupe des activités du Front National pour Libération depuis maintenant cinq ans, mais je ne m'occupe plus du DPS depuis un an - j'ai beaucoup travaillé sur ce sujet à la fin de l'année 1997. C'est la raison pour laquelle mes informations ne sont peut-être pas d'actualité. Cependant, je suis toujours, par le biais de mes enquêtes sur le Front National, en contact avec les membres du DPS, et je connais bien la manière dont ils fonctionnent, même si, depuis le début de la crise au sein du Front National, il y a des bouleversements assez importants.

    La principale expérience que j'ai eue avec le DPS remonte à la fin de l'année 1997. J'ai été contacté au début du mois d'octobre 1997 par un ancien membre du DPS qui venait d'être expulsé, à la suite d'une bagarre qui s'était déroulée pendant la fête des BBR. Il est en effet très fréquent, à cette occasion, que les différents groupes du DPS s'affrontent, souvent pour des questions d'argent et de primes promises mais non versées. Apparemment M. Bernard Courcelle lui avait fait des promesses de primes et d'emploi qui n'ont pas été tenues.

    J'ai passé environ six semaines avec lui - jusqu'à la mi-novembre 1997 -, et c'est là que j'ai découvert le fonctionnement du DPS, et notamment sa partie cachée. A la suite d'une enquête approfondie, j'ai publié son témoignage dans un article du 13 novembre 1997.

    Le DPS est composé de plusieurs groupes. Il s'agit d'abord, d'un service d'ordre « classique » - la face visible - composé de militants bénévoles en blazer bleu marine et pantalon gris, qui procèdent, à l'entrée des meetings, aux fouilles des militants, comme des journalistes, d'ailleurs. Cette activité occupe la grande majorité des membres du DPS.

    Ensuite, il existe des groupes beaucoup plus informels, qui ne s'affichent pas, appelés « groupes chocs » ou « brigades légères d'intervention », dont les membres - une trentaine dans la région parisienne et environ 200 sur le territoire national - qui sont quasi-exclusivement d'anciens militaires, anciens parachutistes ou anciens légionnaires. Ces hommes sont vêtus non pas du costume officiel du DPS - dite dans la terminologie du Front National « tenue n° 1 » -, mais de la tenue n° 2, une tenue civile plus discrète, jeans et rangers.

    Ces groupes ne sont évidemment pas au contact de la presse et des observateurs qui assistent aux réunions, aux manifestations ou aux campagnes électorales du Front National ; ils se situent en seconde ligne. Mon interlocuteur m'a expliqué que pour la campagne législative de 1997, sur la région parisienne - il m'a fourni son emploi du temps de l'époque -, il arborait tantôt la tenue n° 1, pour des manifestations anodines, tantôt la tenue n° 2, notamment sur les marchés ou pour les visites de candidats.

    Cet individu m'a par ailleurs longuement parlé du dispositif qui avait été mis en place à Mantes-la-Jolie, où il n'était pas, et m'a expliqué comment le groupe choc chargé d'assurer la protection de M. Jean-Marie Le Pen, en seconde ligne, s'était mêlé aux incidents qui ont abouti à la condamnation du président du Front National.

    Il m'a également raconté qu'il leur arrivait de mener des « missions punitives », notamment lorsque des élus ou des candidats du Front National avaient été malmenés dans le cadre d'une campagne électorale. Ils avaient alors la mission d'aller passer à tabac un certain nombre de jeunes soupçonnés d'avoir semé le trouble lors du passage du candidat du Front. Il m'a cité deux cas précis, que j'ai pu vérifier par la suite.

    Le premier s'est déroulé à Bourges. Au cours de la campagne législative de 1997, le candidat du Front National, M. Jean d'Ogny, avait été malmené. Une mission dite « punitive » a alors été montée, avant d'être annulée au dernier moment.

    Le même cas de figure s'était produit à Rouen, et des membres des groupes chocs ont été envoyés de Paris quelques semaines plus tard pour « casser », selon leur terminologie, un certain nombre de jeunes soupçonnés, à leurs yeux, d'avoir molesté les élus du Front National.

    Troisième rôle du DPS sur lequel il insistait : effectuer des missions internes et externes de surveillance et de renseignement. Cela permet à M. Jean-Marie Le Pen de s'assurer de la fidélité d'un certain nombre de cadres dont il a souvent, pas toujours à tort, douté. D'après mes informations, les renseignements externes se limitent aux responsables des associations anti-FN - Ras l'front, SOS Racisme, etc. - et aux journalistes couvrant les activités de ce parti. Ces informations sont relativement sommaires et se limitent à l'adresse, au numéro de téléphone et à deux ou trois informations d'ordre privé.

    Autre élément essentiel, le DPS a édité un certain nombre de notes intérieures interdisant la circulation et le port d'armes - notes que les responsables du DPS ne manquent pas de vous montrer. Or cet individu, membre d'une brigade légère d'intervention, m'a raconté que si la direction du DPS ne leur fournissait pas d'armes à feu, elle fermait les yeux sur celles qui pouvaient circuler ou être détenues par les membres du DPS.

    Par ailleurs, un équipement considérable leur est fourni, et s'il ne l'est pas, on incite les membres du DPS à aller l'acheter notamment dans deux magasins situés près de la place de la République. Il s'agit de l'équipement que l'on avait aperçu pour la première fois à la fin du mois d'octobre 1996, lors d'un meeting du Front National à Montceau-les-Mines ; un équipement qui s'apparente à celui des CRS, avec des bonbonnes de gaz lacrymogène, des boucliers anti-émeute et des matraques.

    Pour bien cerner les agissements du DPS, il convient donc de garder à l'esprit que ce service d'ordre est composé de deux équipes. Les membres composant la seconde équipe - l'équipe non officielle - sont présents notamment en période électorale. Par exemple, le 11 février 1998, M. Jean-Marie Le Pen commençait une tournée en Ile-de-France dans le cadre de la campagne des régionales, et avait prévu un car pour les journalistes. Nous avons pu constater, à ce moment-là, que nous étions précédés à chaque étape par une ou deux Espace, à l'intérieur desquelles se trouvaient six « molosses » - il ne s'agissait pas des membres du DPS en blazer que l'on pouvait voir officiellement entourer Le Pen.

    Nous avons également pu observer, lors d'une de ces étapes, plus précisément à Sarcelles, que ces « molosses » cachaient sous leur blouson des bonbonnes de gaz lacrymogène et des matraques télescopiques.

    En conclusion, il est intéressant de constater que le DPS n'échappe pas aux problèmes rencontrés actuellement par le Front National. Ce service d'ordre, qui était entièrement au service de M. Jean-Marie Le Pen - le surnom du DPS étant « Dépend du Président Seulement » -, est maintenant passé sous le contrôle de M. Bruno Mégret. Au siège du Front National les membres ont changé en quelques jours : M. Jean-Marie Le Pen, totalement dépourvu, a dû faire venir des personnes de province.

M. le Président : Vous avez évoqué au début de votre intervention les querelles qui ont lieu au sein du DPS, relatives aux problèmes d'argent et de primes. Iriez-vous jusqu'à dire qu'une partie des membres du DPS sont rémunérés, ou s'agit-il de gratifications ? Dans le sud de la France, on dit parfois que les membres du DPS sont également membres des polices municipales.

    Vous avez parlé de la mission de renseignement du DPS, notamment à l'égard des journalistes. Avez-vous le sentiment d'être fiché au Front National ou au DPS ?

    Enfin, d'après vos propos, on comprend que lors des meetings, M. Jean-Marie Le Pen est entouré d'une équipe officielle - blazer bleu marine, pantalon gris -, mais également, un peu plus loin, d'une équipe un peu plus musclée. Qui exerce le commandement, la coordination de ces deux équipes ? Existe-t-il une rivalité entre elles ?

M. Renaud DÉLY : Premièrement, je ne pense pas que les membres du DPS sont rémunérés pour leurs missions ; lors de mon enquête, je n'ai jamais trouvé de bulletins de paie concernant les membres de ces groupes-choc.

    En revanche, les gratifications en espèces au coup par coup sont fréquentes.

M. le Président : Elles se montent à combien ?

M. Renaud DÉLY : L'individu avec qui j'étais en contact m'a raconté qu'il avait déjà touché une enveloppe de 5 000 francs. Les membres de ces groupes chocs sont recrutés dans des milieux de « paumés » ; il s'agit donc pour eux de sommes importantes, 1 000 francs, 3 000 francs. L'individu en question avait été recruté dans ce type de milieu, il était au chômage et faisait de temps à autre un intérim dans une société de sécurité.

    Les personnes composant les groupes chocs sont souvent d'anciens militaires incapables de se recycler dans la vie civile. On les recrute notamment dans les foyers de SDF ; le nom du foyer « La mie de pain » avait beaucoup circulé. La personne dont je vous parle avait fréquenté un foyer, mais avait été contactée, au gré de ses errances, dans un bar par un responsable du Front National de la région parisienne.

    En ce qui concerne les polices municipales, il s'agit là d'un aspect que j'ai effectivement oublié de traiter et qui est important, puisque cette même personne m'avait fourni un document - une lettre de la mairie de Vitrolles - dans lequel on lui promettait un emploi au sein de la police municipale de Vitrolles. Mais comme il s'agit d'un élément incontrôlable - même pour le Front National -, cette promesse n'a pas été tenue.

    Il est vrai que dans l'ensemble des villes gérées par le Front National - les informations que j'avais pu avoir concernaient surtout Vitrolles -, beaucoup de membres du DPS sont embauchés dans la police municipale, notamment par l'intermédiaire de M. Patrick Bunel, directeur de la police municipale de Vitrolles.

    En ce qui concerne le travail d'information et de fichage du DPS à l'égard des journalistes, je puis effectivement vous citer deux ou trois anecdotes. Notamment le fait d'avoir reçu, à deux ou trois reprises, du courrier et des coups de téléphone, alors que je suis sur liste rouge et que mon nom n'apparaît pas dans l'annuaire. Par ailleurs, il a été fait allusion, au cours de conversations, à des détails de ma vie privée que ces personnes n'étaient pas censées connaître.

    En outre, un photographe du Front National prend en photo tous les journalistes assistant aux conférences de presse et aux réunions de ce parti. Celui-ci n'est d'ailleurs pas discret, car quand tous les photographes sont tournés vers la tribune, il est le seul à être tourné vers nous !

    Il y a donc un travail de fichage minimum. Cependant, en ce qui me concerne, je n'ai absolument pas le sentiment d'être épié du matin au soir.

    Quant à l'éventuelle rivalité entre les deux équipes du DPS, je parlerai plutôt d'une certaine complémentarité. D'ailleurs, le fait de participer à des actions musclées ne les empêche pas d'enfiler de temps en temps la tenue n° 1 pour faire de la sécurité dans les meetings.

    Le groupe choc avec lequel j'étais en contact était dirigé par Eric Staelens, responsable du DPS d'Ile-de-France, qui dépendait directement de M. Bernard Courcelle. J'avais interrogé ce dernier à ce sujet, et il n'avait pas démenti l'existence de ces groupes chocs. Il en avait simplement nié l'organisation rigide.

M. le Rapporteur : Monsieur Dély, avez-vous le sentiment que votre boîte aux lettres a été ouverte, que du courrier a été détourné ou retardé, ou que vous avez été mis sur écoutes sauvages ?

    Deuxièmement, avez-vous eu connaissance du fameux rapport des renseignements généraux sur le DPS ?

    Troisièmement, vous avez bien ciblé les membres des groupes chocs - anciens parachutistes et anciens légionnaires. Il doit s'agir de militaires qui n'ont certainement pas pu continuer leur engagement dans ces unités, soit parce qu'ils avaient un quotient intellectuel relativement faible, soit parce qu'ils avaient trop fait parler d'eux. Pouvez-vous confirmer cette idée ? Par ailleurs, avez-vous le sentiment qu'il y a eu, entre les organismes de soutien de la Légion et le DPS, des allers et retours - ainsi qu'entre le DPS officiel, composé d'anciens sous-officiers ou d'anciens d'Algérie, et le groupe choc ?

    Enfin, y a-t-il, en dehors des deux équipes du DPS que vous nous avez décrites, des groupes incontrôlés chargés des besognes encore plus basses ? Utilise-t-on des skinheads ou des repris de justice pour des actions très précises ?

M. Renaud DÉLY : En ce qui concerne votre première question relative aux boîtes aux lettres fouillées ou à des mises sur écoute, je n'ai pas le sentiment d'être surveillé. J'ai reçu du courrier que je n'aurais pas dû recevoir chez moi, mais ça s'arrête là.

    S'agissant du rapport des renseignements généraux, j'ai eu sous les yeux des documents que je n'ai pas pu conserver. S'agissait-il de ce fameux rapport des RG ou d'un rapport des RG ? Mais j'ai vu un document très volumineux consacré au DPS, fin 1997. Ce document confirmait les agissements obscurs du DPS et contenait des renseignements sur ses membres - leur curriculum vitae -, notamment sur leur passage dans des sociétés de sécurité et sur leurs relations avec le Groupe 11, société de M. Nicolas Courcelle, le frère de Bernard. On pouvait constater qu'un certain nombre de personnes faisaient des allers et retours entre cette société de sécurité et le DPS.

    Bien entendu, je n'ai pas pu garder le dossier, ni d'ailleurs prendre de notes.

    En ce qui concerne votre question relative au recrutement de militaires « sur une voie de garage », c'est effectivement le cas du témoin que j'avais rencontré, qui avait été rayé des cadres de la Légion pour mauvaise conduite. Vous avez donc tout à fait raison de penser que le recrutement se fait aussi dans ces milieux-là.

    Le recrutement des skinheads - que le DPS appelle des « supplétifs » -, qui était une pratique très régulière jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, a nettement diminué quand M. Bernard Courcelle est devenu responsable du DPS. C'est afin de se passer de ces individus difficilement contrôlables que M. Bernard Courcelle a tenté de professionnaliser le DPS. Cette pratique est tombée en désuétude, et notamment depuis la mort du jeune Marocain le 1er mai 1995, et la participation à l'enquête de M. Bernard Courcelle sur ce crime. Sa popularité dans les milieux skinheads a en effet considérablement chuté à cette époque.

M. Arnaud MONTEBOURG : Vous avez parlé de « missions punitives » ; s'agit-il d'une expression que vous avez vous-même formulée, ou est-ce une expression utilisée par votre source ?

M. Renaud DÉLY : Non, c'est mon témoin qui utilisait ces termes.

M. Arnaud MONTEBOURG : Pour plus de précision, vous dites que la mission de Bourges a été annulée, mais que celle de Rouen a bien eu lieu. Que savez-vous précisément sur ces faits, à partir des informations de votre source ? Il nous serait utile d'avoir des informations très précises à ce sujet, afin que nous puissions poser des questions aux autorités compétentes.

M. Renaud DÉLY : Je ne me souviens plus de la date précise - je vous la ferai
parvenir -, mais ces incidents se sont produits quelques semaines après les élections législatives de mai 1997, dans une cité des Hauts-de-Rouen. En procédant à des vérifications, il m'avait été confirmé qu'à cette date, un certain nombre de jeunes avaient été passés à tabac, et que les agresseurs n'avaient pas été identifiés.

M. Arnaud MONTEBOURG : Je vous remercie de compléter ces informations par des précisions ultérieures à destination de notre président et de notre rapporteur.

    S'agissant du rapport que vous avez eu en main, comment savez-vous qu'il provenait bien des renseignements généraux : était-il signé, ou votre source vous permettait-elle de croire avec certitude qu'il s'agissait d'un document en provenance des renseignements généraux ?

M. Renaud DÉLY : Ma source me permettait de croire que ce document provenait réellement des renseignements généraux.

M. Arnaud MONTEBOURG : Avec certitude ?

M. Renaud DÉLY : Une certitude absolue.

M. Arnaud MONTEBOURG : Ce document provenait-il des services centraux des renseignements généraux ou de la préfecture de police de Paris ?

M. Renaud DÉLY : Des services centraux des renseignements généraux.

M. Robert GAÏA : Vous avez parlé des financements que peut trouver le DPS via des sociétés de sécurité ou de la police municipale.

    Nous avons appris par la presse, il y a un an ou deux, que des membres du DPS étaient impliqués dans un trafic d'armes en Tchétchénie, voire en Croatie. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Connaissez-vous des personnes que l'on pourrait entendre sur ce sujet ?

    Enfin, étiez-vous présent à Strasbourg ? Si oui, qu'avez-vous pu remarquer ? Connaissez-vous des faits similaires de liaisons éventuelles entre la police et le DPS - ou d'usurpation d'identité - ailleurs qu'à Strasbourg, Montceau-les-Mines ou à la salle Wagram ?

M. Renaud DÉLY : Tout d'abord, je n'ai pas travaillé personnellement sur l'affaire du trafic d'armes avec la Tchétchénie. C'est un autre rédacteur de Libération, M. Didier François, spécialiste de ce type de problème, qui a enquêté à ce sujet. Il connaissait d'ailleurs très bien M. Bernard Courcelle pour l'avoir rencontré là-bas. Il serait en effet certainement intéressant d'auditionner mon confrère, qui a beaucoup travaillé sur M. Bernard Courcelle et cette affaire tchétchène - il avait d'ailleurs eu du mal à faire le rapprochement, M. Bernard Courcelle ne se présentant pas, là-bas, comme un responsable du Front National.

    J'étais en effet présent au congrès de Strasbourg, mais je n'ai pas constaté de liaisons directes entre le DPS et la police. Je n'ai pas de faits précis à vous raconter. Ce que nous sommes nombreux à avoir vu, c'est la mise en place d'une seconde équipe, le soir, pour garder les abords du palais des congrès et assurer la sécurité du parti, alors que l'on pouvait penser que cette mission revenait aux forces de l'ordre, nombreuses à ce congrès. Cette équipe du DPS était habillée en noir, avec des bonnets, etc.

M. Robert GAÏA : Devant la police ?

M. Renaud DÉLY : Lorsqu'ils se sont mis en place, il n'y avait aucun policier à proximité. Cependant, j'ai du mal à croire que la police ne les a pas vus ! Par ailleurs, j'ai souvent entendu dire qu'il existait une entente cordiale entre le DPS et la police de Strasbourg, que certains membres du DPS avaient distribué des pins de la flamme tricolore aux policiers présents, qui les acceptaient volontiers. Et évidemment, il y a l'anecdote du fan de Mme Catherine Mégret qui s'était précipité sur elle.

    Mais à l'inverse, je n'ai jamais entendu parler d'une tension entre la police et le DPS. Le DPS ayant tendance à empiéter sur les compétences de la police, les forces de l'ordre pourraient lui en faire reproche. Or je n'ai jamais assisté à une altercation entre eux.

M. le Rapporteur : Vous avez sans doute assisté à des manifestations organisées par d'autres partis politiques ou associations ; avez-vous le sentiment que la police a le même comportement à l'égard de Ras l'front, par exemple ?

M. Renaud DÉLY : Non, j'ai le sentiment que le comportement n'est pas le même ! Il y a, à l'égard des manifestants du Front National, une « neutralité bienveillante » de la part des forces de l'ordre. Il est vrai que, à chaque fois, tout semble se passer très bien entre le DPS et la police.

M. Noël MAMERE : Monsieur Dély, vous avez dit que les skinheads, les supplétifs, avaient moins d'importance qu'auparavant. M. Carl Lang est-il le responsable de ces supplétifs ?

    Par ailleurs, avez-vous entendu parler de MM. Soulas et Régis de la Croix Vaubois ?

M. Renaud DÉLY : Effectivement, le nom de Carl Lang a circulé, mais je ne sais pas s'il en est toujours le responsable - je n'en suis pas persuadé. Le nom de M. Gilles Soulas revient en effet de façon insistante. Quant à M. Régis de la Croix Vaubois, il est responsable du personnel d'une société de sécurité dans l'Essonne, l'ACDS - qui faisait d'ailleurs partie des étapes de la visite du 11 février 1998 que nous avons effectuée avec M. Jean-Marie Le Pen.

    En outre, un autre nom revient régulièrement en ce qui concerne le recrutement des supplétifs ou des membres des groupes chocs, c'est celui de M. Max Dantès - il « gérait » d'ailleurs mon interlocuteur. Il était candidat aux législatives à Paris, et a eu un parcours assez original, puisqu'il a commencé à l'extrême gauche. Il a ensuite basculé, et il fait maintenant partie de ceux qui gèrent, recrutent ou encadrent soit des skinheads, soit d'anciens légionnaires ou anciens parachutistes utilisés dans ces groupes chocs. On le voit dans tous les rassemblements un peu originaux, typiques, et susceptibles de créer des problèmes. Dans ces cas-là, il est en première ligne et gère les membres du DPS en civil
    - je pense notamment au rassemblement sur la tombe de François Duprat, au mois de mars dernier, qui a attiré une bonne centaine de crânes rasés, et au cours duquel l'un de mes confrères journalistes a été copieusement insulté et menacé.

M. Noël MAMERE : Savez-vous si M. Soulas est toujours le responsable du DPS d'Ile-de-France ?

M. Renaud DÉLY : Non, je ne peux pas vous le confirmer. J'avais le nom de M. Eric Staelens, à l'époque.

M. Noël MAMERE : Je voudrais vous poser une dernière question. On a évoqué, de manière subsidiaire, l'affaire de M. Bernard Courcelle et de la vente d'armes à la Tchétchénie ; avez-vous des informations selon lesquelles son frère aurait joué un rôle à travers la société qu'il dirige, Groupe 11 ?

M. Renaud DÉLY : Sur cette affaire tchétchène, je n'ai pas d'information de première main. Je n'ai pas travaillé sur les agissements de M. Bernard Courcelle, ou de son frère, en Tchétchénie.

M. le Président : Peut-on savoir ce qu'est devenu votre interlocuteur privilégié depuis la parution de votre article ?

M. Renaud DÉLY : Je ne suis plus en contact avec lui depuis environ six mois. A ce moment-là, il devait partir en province rejoindre sa famille. Je sais que le Front National l'a identifié, mais il ne lui est rien arrivé. M. Bernard Courcelle m'a cité son nom au cours d'un entretien - que je n'ai pas confirmé, bien entendu -, mais trop occupé par l'affaire tchétchène, il n'a pas eu le temps de s'y intéresser.

M. Robert GAÏA : Avez-vous connaissance d'un organigramme du DPS ? Par ailleurs, connaissez-vous le rôle de M. François-Xavier Sidos et de M. Lecavelier au sein du DPS ?

M. Renaud DÉLY : Je n'ai pas d'organigramme précis du DPS, mais en dessous de M. Bernard Courcelle apparaissait le nom de M. Marc Bellier. M. Eric Staelens était un nom qui revenait souvent - son épouse était d'ailleurs la secrétaire personnelle de M. Bernard Courcelle -, tout comme celui de M. Dantès.

    Par ailleurs, je n'ai jamais travaillé sur le rôle direct de M. Sidos, même si l'on peut penser que certaines de ses activités extra-politiques l'ont amené à fréquenter des personnes susceptibles de servir au DPS.

    Quant à M. Lecavelier, il s'agit d'un rival de longue date de M. Bernard Courcelle. Les toutes premières informations concernant l'expédition de M. Bernard Courcelle en Tchétchénie proviennent de M. Gilbert Lecavelier.

M. Robert GAÏA : Il était au DPS ?

M. Renaud DÉLY : Je ne pense pas, en tout cas pas tant que M. Bernard Courcelle était à la tête du DPS - puisqu'il voulait prendre sa place. M. Jean-Marie Le Pen s'en est-il servi pour affaiblir M. Bernard Courcelle ? C'est possible. Mais il est sûr que la première note anonyme, longue et détaillée, concernant l'expédition de M. Bernard Courcelle en Tchétchénie et le rôle du Groupe 11 au sein de cette expédition, provenait de M. Gilbert Lecavelier. Il y a eu un règlement de compte interne, et M. Lecavelier a souvent été utilisé semble-t-il, en électron libre, par les uns ou par les autres, notamment dans le Sud.

M. Robert GAÏA : Vous avez des exemples ?

M. Renaud DÉLY : Quand M. Bernard Courcelle a été affaibli par cette histoire tchétchène, le premier nom qui a circulé pour le remplacer a été celui de M. Lecavelier. Puis, une fois que M. Lecavelier a été écarté, un autre nom a circulé, celui de M. Denis Daude, fervent mégrétiste, conseiller municipal de Vernouillet en Eure-et-Loir. Il entretient, lui aussi, des relations étroites avec un certain nombre de « gros bras »
- skinheads ou anciens militaires ; c'est en tout cas un spécialiste des services d'ordre. M. Jean-Marie Le Pen, ayant constaté son mégrétisme, l'a écarté, mais il doit maintenant avoir un rôle important dans le service d'ordre de M. Bruno Mégret.

M. Robert GAÏA : Savez-vous s'il existe des liens entre le DPS et le MIL - mouvement initiative et liberté ?

M. Renaud DÉLY : Non, je n'ai jamais travaillé sur ce point.

M. Arthur PAECHT : Votre interlocuteur vous a-t-il fait part d'un centre de formation pour les membres du DPS ? Dans l'affirmative, existe-t-il un manuel qui récapitule à la fois les méthodes et les cibles ?

M. Renaud DÉLY : Mon interlocuteur ne m'en a jamais parlé, et je n'ai jamais constaté l'existence d'un centre de formation organisé en tant que tel. En revanche, il m'a parlé de séances d'entraînement, de tir ou d'activités physiques diverses, en région parisienne, notamment dans la forêt de Rambouillet. Il m'a également parlé d'une salle de sport très bien équipée au sein même du siège du Front National. Et je n'ai jamais entendu parler d'un manuel, qu'on ne laisserait certainement pas traîner, s'il existait...

M. Le Président : Monsieur Dély, nous vous remercions et je vous rappelle que vous pouvez nous communiquer par écrit d'autres faits précis, ou nous faire parvenir des documents complémentaires.

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    Audition de M. Philippe MASSONI,

    préfet de police de Paris

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 10 février 1999)

Présidence de M. Michel SUCHOD, Vice-Président

M. Philippe Massoni est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Philippe Massoni prête serment.

M. Philippe MASSONI : Je voudrais d'abord fixer à grands traits les missions et le cadre de l'action de la préfecture de police et de ses directions avant d'entrer dans le détail des agissements du DPS.

    La préfecture de police assume, entre autres missions, la charge du maintien de l'ordre public dans la capitale. Dans ce domaine, elle conjugue le respect des intérêts de chacun avec la défense des libertés de tous. Il lui faut, en effet, à la fois garantir le droit de manifester, assurer la sécurité des participants et des riverains et faire en sorte d'apporter le moins d'entraves possible à la vie quotidienne des Parisiens.

    C'est une mission de maintien de l'ordre qui est assurée, sous l'autorité du préfet de police, par la direction de la sécurité publique, par la direction régionale des renseignements généraux et, le cas échéant, par la direction de la police judiciaire si des infractions sont susceptibles d'être commises.

    Toute manifestation de voie publique doit faire l'objet d'une déclaration préalable obligatoire : il s'agit de l'application stricte de l'article 2 du décret-loi du 23 octobre 1935, qui prévoit que cette déclaration doit être faite quinze jours au maximum et trois jours au minimum avant la manifestation prévue.

    C'est la direction de la sécurité publique qui est chargée de recevoir les organisateurs mais j'aurai l'occasion d'y revenir tout à l'heure. C'est elle également qui soumet au préfet de police, puis met en _uvre, toutes les dispositions nécessaires pour garantir le bon déroulement de ces démonstrations.

    La direction des renseignements généraux de la préfecture de police, direction départementale et régionale de la direction centrale des renseignements généraux, est pour sa part chargée d'effectuer un travail de prévision avant chaque manifestation. Elle s'efforce de déterminer quel sera l'état d'esprit des manifestants, leur nombre et les risques d'incidents éventuels. Elle est également chargée de répondre en temps réel de son déroulement, de le décrire et d'en faire, le plus rapidement possible, une analyse. Elle a également pour mission d'assurer une vigilance constante à l'égard de certaines idéologies véhiculées par des groupes et des mouvements extrémistes.

    C'est donc au titre de ces deux missions - maintien de l'ordre d'une part, surveillance des milieux extrémistes d'autre part - que la préfecture de police a été amenée à collecter un certain nombre d'informations sur le DPS, groupement de fait qui, au sein du Front National, assurait, jusqu'à la crise de ce dernier à la fin de l'année 1998, la sécurité de l'ensemble des actions publiques du Front National.

    Le maintien de l'ordre, à l'occasion des manifestations du Front National à Paris, est donc le premier des points que je vais exposer. Il faut, à cet égard, rappeler les actions publiques du Front National avant d'évoquer les constatations qui ont pu être faites par la police de Paris sur l'action du DPS en ces occasions.

    Ces actions publiques, qui sont ou qui étaient organisées dans la capitale par le Front National - l'appellation devient aujourd'hui complexe puisqu'une partie du mouvement se dit historique par opposition à celle qui est placée sous l'autorité de M. Bruno Mégret, mais je conserverai néanmoins ce vocable général - se déclinent en trois catégories : manifestations de voie publique, rassemblements festifs, meetings et congrès.

    En ce qui concerne les manifestations de voie publique du Front National à Paris, on peut dire qu'elles sont peu nombreuses - une ou deux par an - dont la traditionnelle manifestation du 1er mai. Si l'on prend en compte les manifestations importantes, celles qui pourraient rassembler plus de mille participants et qui auraient pu être organisées par le Front National depuis 1995 par exemple, on en dénombre six : le 1er mai 1995, le défilé traditionnel avec 9 000 participants, le 13 avril 1996, la prétendue commémoration du baptême de Clovis avec 1 300 participants, le 1er mai 1996, le défilé traditionnel avec 6 000 participants, le 19 janvier 1997, la « fête de la famille » avec 1 000 participants, le 1er mai 1997, le défilé traditionnel avec 7 100 participants et le 1er mai 1998, le défilé traditionnel avec 11 000 participants. Ces démonstrations n'ont donné lieu à aucune contre-manifestation, à l'exception de celle du 1er mai 1995, au cours de laquelle quatre membres du mouvement Ras l'Front, qui s'étaient laissés enfermer dans l'Opéra de Paris le soir du 30 avril, avaient déroulé sur le fronton de cet édifice une grande banderole hostile au parti de M. Jean-Marie Le Pen.

    Au-delà des manifestations de voie publique organisées par le Front National et dont je viens de parler, il y a aussi des rassemblements festifs. Il s'agit des habituelles fêtes « Bleu Blanc Rouge », qui ont lieu à chaque rentrée de septembre. En 1995, cette fête réunissait 10 000 participants ; en 1996, 16 500 participants ; en 1997, 14 000 participants et en 1998, 11 000 participants. Pour les deux dernières éditions de ces fêtes « Bleu Blanc Rouge », des manifestations de protestation ont été organisées par le Comité national de vigilance contre l'extrême-droite ; celle de 1997 réunissait 2 000 personnes et celle de 1998, 3 500 personnes.

    La troisième catégorie, les meetings du Front National dans Paris, sont également peu nombreux. Si l'on prend en compte les plus importants - et nous les considérons comme tels à partir de plus de 500 participants -, on en dénombre neuf depuis 1995 : la campagne présidentielle, le 20 avril 1995, réunit 4 000 participants ; une réunion contre la loi Toubon, le 21 octobre 1996, réunit 800 participants ; le 22 novembre 1996, une réunion sur les « scandales en Ile-de-France », réunit 800 participants ; le 19 janvier 1997, une « fête de la famille » et un arbre de Noël réunissent 1 000 participants ; le 20 février 1997, un meeting à la Mutualité réunit 2 000 participants ; la campagne législative réunit 3 000 participants, le 22 mai 1997, et 4 000 participants le 29 mai 1997 ; le 12 mars 1998, la campagne régionale réunit 4 500 participants et le 21 janvier 1999, un meeting à la salle Wagram, en présence de M. Jean-Marie Le Pen, réunit 600 participants.

    Ces meetings du Front National suscitent, dans certains cas, des rassemblements de protestation. Ainsi, le meeting du 20 février 1997 a donné lieu à une manifestation de 600 personnes organisée par le Manifeste contre le Front National ; le 7 février 1998, ce sont 300 personnes qui ont protesté à l'appel du Comité parisien de vigilance contre l'extrême-droite contre l'intervention du Front National de la jeunesse dans la capitale ; le 12 mars 1998, le même comité a organisé une démonstration de 600 personnes contre un meeting du Front National.

    Le DPS était, bien entendu, présent en chacune de ces occasions. La présence du DPS au cours de ces actions publiques sera étudiée, si vous le voulez bien, sous trois aspects principaux : les effectifs, l'attitude du DPS et les incidents constatés.

    Concernant les effectifs du DPS, il faut savoir que dans un article qui vous est certainement connu, signé d'Alain Sanders et publié dans le journal Présent du 5 avril 1997, le chiffre de 1 700 bénévoles a été avancé comme composant la totalité des effectifs du DPS. En fait, il semblerait que le Front National puisse compter sur 950 volontaires environ pour effectuer les missions de sécurité qui sont assignées au DPS. En Ile-de-France, selon la direction régionale des renseignements généraux, le nombre de militants mobilisables s'élève à 150 environ. Pour les grandes occasions - fêtes des « Bleu Blanc Rouge », manifestation du 1er mai -, le DPS est alors renforcé par des éléments venus de province, en particulier de Normandie, ce qui lui permet de disposer d'environ 500 militants.

    A titre d'exemple, les effectifs suivants ont été observés en certaines occasions : meeting à la Mutualité le 20 février 1997, 60 membres du DPS ; fête des « Bleu Blanc Rouge », en septembre 1996, - il s'agit du plus gros service d'ordre du DPS jamais enregistré en Ile-de-France - 450 membres, manifestation du 1er mai 1997, 200 membres ; 1er mai 1998, 350 membres ; meeting du 12 mars 1998, 80 membres ; fête des « Bleu Blanc Rouge » en septembre 1998, 380 membres.

    Le deuxième point que je voulais évoquer est celui de l'attitude générale, de l'aspect général et du comportement des membres du DPS. Ils sont aisément reconnaissables. Certains - la majorité - portent la « tenue officielle », c'est-à-dire la tenue n°1 dans leur jargon, qui se compose d'un blazer bleu marine, d'un pantalon gris, de chaussures noires, d'une cravate à dominante rouge et bleu et d'une chemise blanche. Un écusson DPS est brodé sur le blazer. Ces éléments sont chargés de la protection de M. Jean-Marie Le Pen, de l'accueil lors des meetings et de l'encadrement des manifestations de voie publique.

    D'autres utilisent une tenue, peut-on dire, moins voyante, dite tenue n°2 : ils portent un blouson bombers, un jean de couleur noire, ainsi que des rangers. Pour se reconnaître, ils utilisent un signe distinctif discret, par exemple une épingle à tête jaune fixée au niveau de la poitrine. Ces éléments composent les Unités Mobiles d'Intervention (UMI) également appelées « groupes choc » qui sont chargées de surveiller et, le cas échéant, de neutraliser, les éventuels perturbateurs. Il s'agit d'individus aguerris, professionnels de la sécurité, souvent anciens parachutistes ou légionnaires, dont certains d'ailleurs ne sont pas membres du Front National.

    Le port de casques à visière, de boucliers, de matraques, de matériel identique à celui des forces de l'ordre n'a pas été observé à Paris au cours de ces dernières années, bien qu'il l'ait été en province. Il n'a pas été constaté à Paris, non plus, par les services de police, tant sur le plan du renseignement que sur le plan de la constatation visuelle, que les militants du DPS étaient en possession d'armes de poing, détenues légalement ou non, pour ces opérations. Il arrive toutefois que des membres du DPS soient dotés de matraques télescopiques, de bombes lacrymogènes, portées avec plus ou moins de discrétion.

    On notera enfin que certains membres du DPS ont pris l'habitude de stocker des matériels « de protection ou d'intervention », tels que des bâtons, des barres de fer, des bombes lacrymogènes, des pistolets à balles de caoutchouc de marque Gom-cogne, dans des endroits discrets - des coffres de voiture, par exemple - à proximité des lieux d'intervention. Si des informations nous sont fournies sur leur présence éventuelle, il faut savoir que ce sont évidemment des matériels que nous recherchons en vue de leur neutralisation

    Les incidents portés à la connaissance de la préfecture de police ont été nombreux. Paradoxalement, peu d'entre eux sont à mettre au compte de l'antagonisme entre l'extrême-droite et l'extrême-gauche. En effet, nous veillons scrupuleusement, comme la loi nous en fait obligation, à faire en sorte que, dans le cadre de notre mission de maintien de l'ordre public, les contre-manifestations aient lieu à une distance raisonnable des démonstrations du Front National pour éviter des affrontements entre un cortège et un autre. Les organisateurs de chacune de ces manifestations - du Front National d'une part et des contre-manifestations d'autre part - se sont toujours conformés aux autorisations accordées, aux règles fixées, en dépit des velléités, voire des tentations, de quelques éléments radicaux de faire converger le cortège en direction du rassemblement du Front National.

    On relève tout au plus quelques incidents ponctuels, mais sans gravité, qui ont opposé à plusieurs reprises, place des Fêtes, à Paris, des éléments du DPS à des éléments d'extrême-gauche au cours de distributions de tracts. Dans le même ordre d'idées, une rixe a également opposé, le 1er mai 1998, à la suite de la manifestation du Front National, le DPS à des militants du Bétar, autre adversaire du Front National. Les forces de l'ordre sont intervenues rapidement pour séparer les deux camps. Ces incidents se sont produits boulevard Montmartre, à proximité du lieu de stationnement des cars transportant les délégations de province du Front National.

    En fait, les incidents les plus nombreux sont à mettre au compte des éléments les plus radicaux de l'extrême-droite :

    - le 20 avril 1995, lors du meeting de M. Jean-Marie Le Pen sur les pelouses de la porte d'Auteuil, des militants du Groupe Union Défense (GUD), groupe étudiant d'extrême-droite proche des milieux nationalistes révolutionnaires et implanté sur quelques sites universitaires, dont Assas, avaient franchi, en force, les contrôles mis en place par le DPS sans s'acquitter du droit d'entrée. C'est une attitude qui devait aboutir, quelques jours plus tard, à une véritable bataille rangée. En effet, le dimanche 23 avril au cours de la soirée de l'élection présidentielle, à proximité du siège du Front National, plusieurs militants du GUD se sont violemment heurtés au DPS, puis aux forces de l'ordre. Il y a eu, à ce moment-là, cinq fonctionnaires de police blessés ;

    - on garde en mémoire, bien entendu, la sauvage agression dont a été victime un jeune marocain, Brahim Bouarram, à l'occasion du défilé du Front National du 1er mai 1995. Les auteurs de cet homicide ont été interpellés : il s'agissait de skinheads. On peut noter que ces derniers, bien que collaborateurs occasionnels du DPS de Reims, ne faisaient pas partie du service de sécurité. On peut noter également que le responsable du DPS a fourni à la brigade criminelle des éléments qui ont permis de faire progresser l'enquête ;

    - lors de la fête des « Bleu Blanc Rouge » des 28 et 29 septembre 1996, de violents incidents ont éclaté le samedi soir, lors du concert donné par des groupes de musique skin dont Vae Victis et Fraction Hexagone. Après le départ de la presse et des différents observateurs, les 250 skins présents ont déclenché une série d'altercations, vers 23 heures, puis des rixes, parfois brutales, nécessitant l'intervention du groupe-choc du DPS. Plusieurs skins ont été blessés, ainsi que des membres du DPS qui, surpris alors qu'ils étaient isolés, ont été roués de coups par les skins ;

    - l'année suivante, de nouveaux incidents se sont produits. Le dimanche 28 septembre 1997, pendant le discours de M. Jean-Marie Le Pen, des éléments du DPS ont discrètement giflé quelques skins qui tentaient de perturber l'orateur. Le groupe skin n'a pas réagi sur le moment, mais il est revenu se poster à l'entrée de la fête et, vers 23 heures, une demi-douzaine de skins ont pris à parti le chef du DPS et l'ont blessé au visage. Le groupe-choc les a alors chargés et mis en déroute ;

    - lors de la fête des « Bleu Blanc Rouge » de 1998, le même scénario s'est répété. Le samedi 19 septembre 1998, vers 21 heures, 100 à 150 skinheads ont commencé à provoquer des incidents. Jusqu'à minuit, ils ont pu être réglés par une sorte de dialogue engagé avec ces éléments par des membres du DPS. A minuit, une bagarre a nécessité une intervention du DPS pour séparer les belligérants. Le public a été invité à quitter le site. A la sortie de la pelouse de Reuilly, le DPS est intervenu pour disperser des groupes d'agitateurs, provoquant à son tour l'intervention des forces de l'ordre sur la place du Cardinal Lavigerie dans le douzième arrondissement.

    Il est possible d'observer en toutes ces occasions que le DPS s'est efforcé, chaque fois que cela lui était possible, de régler ces problèmes en interne, les forces de l'ordre ne pouvant intervenir que lorsqu'elles avaient connaissance de faits et que ceux-ci étaient même parfois à l'origine d'une réquisition aux fins de secourir le public qui pouvait se trouver réuni dans des lieux donnés.

    Tel était le premier point que je souhaitais évoquer devant vous, monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, mais il en est un second qui entre dans la mission de la préfecture de police et particulièrement de la direction des renseignements généraux, à savoir la surveillance des milieux extrémistes de droite. Il s'agit là, comme je vous le disais, de la deuxième mission qui nous est impartie.

    La note du ministre de l'intérieur en date du 3 janvier 1995, sur la réorientation des missions des renseignements généraux, indique que toutes les questions portant sur le fonctionnement et l'organisation interne des partis ne seront plus observées par les renseignements généraux. La note précise, toutefois, que cette règle supporte deux exceptions :

    - les manifestations et les menaces à l'ordre public, point qui vient d'être évoqué ;

    - les groupes et mouvements qui ne respectent pas les principes démocratiques, et la note évoque expressément et notamment certaines idéologies véhiculées à l'extrême-droite comme à l'extrême-gauche - en particulier celles qui prônent le racisme ou l'antisémitisme ou celles qui encouragent le recours à la violence. Il nous est demandé, dans ces cas, de faire preuve d'une vigilance particulière et d'exercer une surveillance accrue.

    La direction des renseignements généraux de la préfecture de police, dont vous aurez l'occasion d'entendre prochainement le directeur à votre demande, est très attentive à l'activité des individus et des groupes qui prônent une idéologie à caractère raciste, le plus souvent assortie d'appels à la violence. Ce service, en exécution de ces directives, a entrepris de nombreuses surveillances : sur les milieux extrémistes de droite les plus radicaux - néo-nazis, ultranationalistes, skinheads ; sur les sociétés de sécurité influencées, voire dirigées par les militants d'extrême-droite - dans le cadre d'une étude nationale, les renseignements généraux de la préfecture de police ont recensé environ 70 sociétés de ce type en activité sur la région parisienne - et sur les réseaux de mercenaires, d'hommes de main qui effectuent des missions à l'étranger.

    Pour ce qui a trait à l'aile radicale de l'extrême-droite, l'expérience montre qu'un certain nombre de membres de groupuscules de l'ultra droite sont également membres du Front National. Certains ont cherché à aller plus loin en intégrant le DPS. L'ex-responsable du DPS, M. Bernard Courcelle, en prenant la tête de cette structure, le 1er mai 1994, a entrepris, si l'on en croit ses déclarations, de purger le service d'ordre de ces éléments indésirables, mais il semble qu'il n'ait pu, selon les renseignements généraux, aller jusqu'au bout des intentions qu'il affichait.

    Lors de la dernière fête des « Bleu Blanc Rouge », notamment, il a pu être noté que des skinheads avaient intégré le DPS, malgré les consignes connues de M. Bernard Courcelle. Certains membres du DPS, placés aux accès de la fête, ne se sont pas opposés à l'entrée des skinheads et des autres éléments radicaux. Il est vrai que bon nombre d'entre eux étaient adhérents au Front National. Lors des rixes que j'évoquais tout à l'heure entre les skinheads et le DPS, on a d'ailleurs pu noter que certains skins, intégrés au DPS, tentaient de prendre parti en faveur de leurs camarades.

    Les renseignements généraux ont observé, qu'en dehors des skinheads, le DPS s'appuie également sur un groupe de jeunes militants, composé en partie d'éléments violents du GUD, qui préfèrent généralement rester entre eux. Ses effectifs se montent à une vingtaine de membres.

    Au-delà de l'aile radicale et de l'extrême-droite, on peut évoquer les sociétés de sécurité et les réseaux de mercenaires.

    Ceux-ci ont retenu toute l'attention des renseignements généraux, qui ont observé que certains de leurs membres prêtaient leur concours au DPS. En effet, les dernières fêtes « Bleu Blanc Rouge », ont mis en lumière les faiblesses du DPS. Il lui était donc nécessaire de se renforcer avec des éléments extérieurs. Ainsi, en 1996, sur les 450 membres du DPS engagés, seule une centaine de militants a réellement pris part à l'encadrement de la fête. Les incidents ont été gérés par une vingtaine de membres des groupes choc.

    En fait, il est apparu que le DPS n'est efficace que lorsqu'il est entouré de professionnels de la sécurité. Ainsi, le DPS a-t-il fait appel régulièrement à des hommes de main aguerris, provenant :

    - d'abord de sociétés de sécurité amies, comme Normandy, le groupe Onze de M. Nicolas Courcelle, frère du responsable du DPS. La plupart de ces professionnels, s'ils partagent globalement la ligne du Front National - anticommunisme, lutte contre l'immigration - ne sont pas adhérents au Front National ;

    - ensuite, de réseaux de mercenaires : plusieurs mercenaires d'extrême-droite ont participé aux services montés par le DPS et, à l'inverse, il est apparu, lors du conflit qui a éclaté au Zaïre fin 1996, que des membres du DPS se voyaient proposer des missions à l'étranger par des relais de M. Bob Denard.

    On retiendra, à cet égard, que la presse a révélé que M. Bernard Courcelle avait participé à des missions parallèles auprès de milices tchétchènes, certains articles l'accusant, d'ailleurs, d'être impliqué dans une affaire de trafic d'armes international. L'intéressé a reconnu son rôle dans une interview publiée par Rivarol, dans son édition du 5 février 1999 : « j'ai mis en contact des gens ; l'un d'entre eux était plus malhonnête que les autres et s'est enfui avec une somme importante et à valoir sur une vente de matériel sensible qui n'a jamais eu lieu. »

    Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, la description du DPS qui vient d'être faite prend en compte une période qui s'étale sur quatre années, du début de l'année 1995 à la fin de l'année 1998. Le début de l'année 1995 peut être considéré comme la date de reprise en main de la structure par M. Bernard Courcelle. La fin de l'année 1998 correspond, bien entendu, à la crise du Front National, qui n'est pas sans conséquences pour le DPS.

    Après la création du Front National-Mouvement national (FN-MN) qui a été lancé début 1999 par les partisans de M. Bruno Mégret, la quasi-totalité du DPS a quitté M. Jean-Marie Le Pen pour rejoindre la nouvelle formation. Cependant, le nouveau président du FN-MN a quelque peu modifié la hiérarchie de son propre DPS, qui a maintenant pour directeur national M. Gérard Le Vert, qui est l'ancien n° 3 de ce que l'on pourrait appeler le DPS historique. Quant à M. Bernard Courcelle, licencié par M. Jean-Marie Le Pen après avoir déclaré qu'il assisterait au congrès des mégrétistes, il a pu être observé que M. Bruno Mégret ne lui a pas rendu son poste de directeur national du DPS. On notera enfin, que, pour l'Ile-de-France, les éléments radicaux cherchent à prendre la tête du DPS pour imposer au groupe FN-MN une ligne dure, avec ou sans l'aval - je ne peux pas le dire - de M. Bruno Mégret.

    Du côté de M. Jean-Marie Le Pen, la défection des cadres du DPS laisse un vide grandissant : nommé directeur national du DPS lepéniste, M. Marc Bellier est handicapé par son éloignement géographique de Paris. C'est, en fait, le n° 2 du DPS historique, M. Eric Staelens, qui garde la haute main sur le DPS lepéniste. Il semble être épaulé par quelques cadres de province, comme M. Jean-Marie Lebraud, ancien responsable du DPS de Bretagne, et M. Patrick Leblond. M. Jean-Marie Le Pen bénéficie surtout du soutien manifesté par le DPS de Marseille, que dirigent M. Gérard Barelier, coordinateur pour les Bouches-du-Rhône, et Mme Anne-Marie Itoiz, directrice nationale du DPS féminin.

M. le Président : Monsieur le préfet, vous nous avez présenté un rapport très exhaustif, notamment sur les manifestations et incidents qui auraient pu surgir, mais je pense que nous avons tout de même beaucoup de questions à vous poser.

    Celle qui me vient à l'esprit en préambule concerne la collaboration entre le Front National et les services de police. J'aimerais connaître votre sentiment sur l'état de cette collaboration, notamment lorsque se prépare une manifestation du Front National.

    Observez-vous des différences avec l'organisation des manifestations par d'autres services d'ordre ? Pour éviter la langue de bois, je résumerai franchement les choses : certains de nos interlocuteurs ont le sentiment que les rapports sont plus cordiaux, notamment sur le terrain durant les congrès et autres rassemblements, entre la police nationale et le DPS et qu'une partie des missions de contrôle est volontiers abandonnée par la première au second.

    Toujours à propos de cette collaboration entre le DPS et les services de police, M. Bernard Courcelle a fait état de son rôle déterminant dans l'arrestation des meurtriers de Brahim Bouarram, à laquelle vous avez fait allusion précédemment : qu'en est-il exactement et ce genre de collaboration est-il fréquent, souhaité et favorisé ?

M. Philippe MASSONI : Comment s'organisent les manifestations dans la capitale ? Le principe des manifestations est la liberté, l'interdiction est l'exception. Nous travaillons, dans ce domaine, sous le regard et le contrôle de la jurisprudence des tribunaux administratifs et du Conseil d'Etat.

    Par conséquent, dès l'instant où, ainsi que je vous l'indiquais tout à l'heure, dans le cadre du décret-loi du 23 octobre 1935, une déclaration de manifestation est faite quinze jours au maximum et trois jours francs au minimum avant l'événement, nous prenons en compte, dans le cadre normal du fonctionnement des institutions de la République, cette demande de manifestation. Nous l'examinons et nous regardons si elle peut, compte tenu de son thème, provoquer des réactions qui seraient susceptibles d'engendrer un événement d'une telle gravité que je sois amené à prendre un arrêté d'interdiction, souvent d'ailleurs après avoir consulté le ministre de l'intérieur.

    Le principe étant la liberté, il faut, ensuite, faire entrer en jeu un certain nombre de critères matériels. Les renseignements généraux nous disent combien il va y avoir, en principe, en fonction de tout un vécu de manifestations précédentes de même nature, de participants à cette manifestation - ce qui fournira le premier élément d'appréciation factuel. Ensuite, nous regardons quel jour de la semaine se déroule la manifestation, car il est évident qu'elle sera plus commode à organiser un dimanche - ou plus exactement, à laisser s'organiser pour éviter toute équivoque - qu'un samedi après-midi, surtout en période de fêtes et aux abords des grands magasins, sur les grands boulevards. Autrement dit, il y a des circonstances de jour, de lieu et de thème qui sont prises en compte pour l'évaluation des choses.

    Je dirai, de manière à faire sentir à votre Commission l'importance de ces données, que se déroulent à Paris annuellement 7 500 manifestations de toute nature. Parmi ces dernières, qui sont dans d'innombrables cas des manifestations festives - foires de toutes sortes, animations culturelles,... - 1 200 à 1 500 manifestations sont des manifestations revendicatives susceptibles de réunir d'une centaine à plusieurs centaines de milliers de personnes selon le thème développé.

    La vie de la capitale est une chose si délicate à gérer, le souci que nous avons, autant qu'il est possible, de la tranquillité de nos concitoyens est tel qu'il faut organiser la manifestation. Les organisateurs, une fois qu'ils ont déposé leur demande - et ce quels qu'ils soient, qu'il s'agisse des sans-papiers, des sans-logis, de l'extrême-gauche, de l'extrême-droite, des partis démocratiques, des grandes centrales syndicales telles que la CGT qui dispose d'un service d'ordre très important et très professionnel - sont reçus à l'état-major de la direction de la sécurité publique de Paris. Là, cartes en main, on regarde ce qu'ils souhaitent faire.

    Dans d'innombrables cas, nous leur faisons savoir notre désaccord sur un itinéraire et nous les menaçons, éventuellement, d'une procédure d'arrêté d'interdiction : il s'agit en fait d'une menace, car il est très difficile de prendre un arrêté d'interdiction en raison de l'obligation qui est faite de laisser les gens manifester, comme il est normal ! Je dirai que cette gestion des choses permet, dans bien des cas, de ramener des demandes excessives à des limites plus raisonnables. Par conséquent, on fixe l'itinéraire. Ensuite, on demande à l'organisateur de donner le nom et éventuellement le numéro de téléphone
    - portable si possible - de celui avec qui nous serons en contact avant l'événement et pendant le déroulement de la manifestation. Si des choses se passent qui ne nous conviennent pas - par exemple, si un itinéraire qui a été fixé, convenu, écrit et signé avec un engagement des organisateurs n'est pas respecté -, nous demandons par téléphone portable à l'organisateur de faire part au service d'ordre interne de la manifestation
    - puisqu'il en existe, nous l'espérons, pour chacune des manifestations qui se déroulent dans la capitale - des engagements qui ont été pris, de manière à ce qu'un itinéraire différent de celui qui a été convenu ne soit pas emprunté. Voilà comment les choses se passent. Cette pratique est destinée à organiser la vie dans la capitale.

    Par ailleurs, il n'y a, à ma connaissance, aucune connivence entre des fonctionnaires de police, des renseignements généraux ou de la sécurité publique avec les services d'ordre du Front National. Il existe, en revanche, comme il est normal, des contacts de terrain. On dit à M. X, repéré comme étant le chef du service d'ordre : « Il faut accélérer le cortège ; vous prenez du retard ; vos gens tournent à droite au lieu de continuer tout droit comme ils s'y étaient engagés... » Tout cela relève de la gestion classique de cortège, ni plus, ni moins, et nous le faisons avec l'ensemble des organisations. Certaines, comme les grandes centrale syndicales que j'évoquais à l'instant, sont dotées de talkies-walkies et nous pouvons, à partir d'un signal émis à un correspondant, transmettre sur l'ensemble du cortège une orientation, en fonction de son rythme ou d'incidents éventuels survenus sur le parcours.

    Voilà, d'une manière très concrète, très pragmatique, très matérielle comment les choses se déroulent.

M. le Président : C'est ce que l'on appellerait ailleurs de la cogestion !

M. Philippe MASSONI : Je peux vous dire qu'avec 7 500 manifestations chaque année dans la capitale, dont 1 200 à 1 500 manifestations revendicatives, il importe de bien regarder comment vont se passer les choses. Nous avons certains jours de 20 à 30 manifestations dans la capitale et, déjà, on nous reproche de contrarier la circulation ; ce n'est pas simple ! Ce n'est pas de la cogestion, c'est de l'organisation, monsieur le Président, si vous le voulez bien.

M. le Rapporteur : Je voudrais d'abord vous poser une question rituelle : avez-vous eu connaissance ou tenu en mains ce rapport des renseignements généraux qui aurait été demandé à ses services par M. Jean-Louis Debré, lequel aurait, dans un premier temps confirmé qu'il avait bien commandé un tel rapport, dans un deuxième temps, été évasif sur la question et dans un troisième temps, nié totalement son existence ? Les fonctionnaires rencontrés nous disent ne pas avoir eu connaissance de ce rapport ; certains journalistes nous disent l'avoir eu, ou eu en partie, tandis que d'autres affirment l'avoir touché. Que pouvez-vous nous dire à son propos, sachant très bien que de tels rapports se dégonflent, se démontent, se déchirent ?

    Ma seconde question touche au défilé parisien du 1er mai, car nous sommes un certain nombre à être choqués, même s'il n'y a pas d'incidents, de voir l'une des rues les plus prestigieuses de Paris être occupée par un défilé aux allures presque paramilitaires, sans services de police apparents, même si l'on sait parfaitement que vos services sont de part et d'autre de la manifestation pour la canaliser. Il n'en reste pas moins que nous avons l'impression que la rue est laissée à cette manifestation politico-folklorique !

    En revanche, à l'occasion d'incidents plus nets qui se sont produits à la salle Wagram, avec M. Bruno Gollnish - un défilé improvisé est parti de la salle Wagram jusqu'à l'Arc de Triomphe où le fonctionnaire de garde devant la flamme a été bousculé sans être molesté -, les forces de police sont intervenues au bout d'un certain temps qui nous paraît un peu long. En outre, on nous a dit, ce qui m'étonne au plus haut point, qu'il n'y avait aucun dispositif policier à Wagram.

M. Philippe MASSONI : Concernant le rapport Debré, je ne l'ai jamais vu, ou alors ma mémoire me fait défaut. Je n'ai connaissance, ni de son existence matérielle, ni des thèmes qu'il peut développer. Je pense que les directeurs des renseignements généraux que vous recevrez, qu'il s'agisse du directeur central ou du directeur des renseignements généraux de la préfecture de police, pourront vous confirmer ou infirmer mes propos pour le cas où ils l'auraient reçu ou contribué à son élaboration.

    Sur le défilé du 1er mai, je partage tout à fait votre avis, si je puis donner ce sentiment personnel sur le caractère tout à fait spectaculaire et très particulier de cette manifestation qui s'empare de la rue de Rivoli. J'ai posé la question à plusieurs ministres successivement sur ce qu'il convenait de faire par rapport à une telle manifestation et il m'a toujours été répondu qu'elle se déroulait depuis plusieurs années sur la même voie, dans les même formes, et qu'il était difficile de prendre une mesure de rigueur.

    Par ailleurs, il faut regarder les choses en face : il s'agit d'une manifestation qui rassemble des milliers de personnes et si l'on voulait imposer une autre voie à l'organisateur de cette manifestation, il faudrait d'abord trouver la justification de cette interdiction sur le plan juridique. Il faudrait ensuite s'opposer par la force à la tenue de ce rassemblement sur cet itinéraire et, si vous permettez ce terme fort, il s'agirait véritablement d'engager le combat dans la rue pour en imposer un autre. Je dirai que cette affaire remonte à de nombreuses années - on peut d'ailleurs sur ce point établir une fiche pour la remettre à votre Commission si cela retient son intérêt - et qu'elle a été évoquée à maintes reprises et tranchée dans le sens que je viens de vous indiquer.

    Pour ce qui a trait à la manifestation qui a été marquée par une sortie de manifestants du Front National de la place Wagram jusqu'à l'Arc de Triomphe pour y gesticuler, de manière tout à fait scandaleuse, autour de la flamme du soldat inconnu, il convient de préciser qu'il s'agissait d'une manifestation qui n'était pas prévue. Il n'était question que d'un meeting en salle qui devait se dérouler selon des modalités classiques, avec des observateurs à l'intérieur, fournis par les renseignements généraux pour rendre compte du climat de la salle et de la tenue des débats, une surveillance extérieure assurée par des forces de sécurité publique. Mais rien ne pouvait laisser prévoir que plusieurs centaines de personnes allaient ensuite partir à pied et se rendre à l'Arc de Triomphe, bousculant les gardiens de la paix qui se trouvaient là. Aucune information préalable n'avait été recueillie sur cette intention.

    Il va de soi que, depuis lors, quand il y a un meeting en salle du Front National dans Paris, les renseignements généraux ont pris en compte ce dérapage et l'ont intégré dans leurs prévisions. En conséquence, nous disposons, ici ou là, les forces nécessaires pour pallier les inconvénients qui pourraient être constatés.

    Sur cette affaire du cortège parti de la salle Wagram pour rejoindre l'Arc de Triomphe, je ne pensais pas que vous alliez m'interroger mais je peux également très facilement établir une fiche à l'intention de votre Commission et vous la faire parvenir.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Après vous avoir écouté, je n'ai pas le sentiment que le DPS vous pose véritablement des problèmes majeurs. Vous avez indiqué dans votre exposé que le DPS était un groupement de fait. Vous savez que le juge administratif a défini un certain nombre de critères cumulatifs pour pouvoir mettre en cause certains groupements de fait, et notamment pour prononcer leur dissolution. Il s'agit du caractère belliqueux de leurs membres, de l'organisation du groupement, de l'entraînement particulier paramilitaire de ses membres et de la discipline très stricte assortie de sanctions internes.

    J'aimerais donc savoir si, dans le cadre de vos fonctions, vous disposez d'éléments d'information qui nous permettraient de confirmer ou d'infirmer chacun de ces éléments s'agissant du DPS, afin que nous puissions le caractériser.

M. Gérard LINDEPERG : Ma première question portait, elle aussi, sur le meeting salle Wagram. C'est un événement dont on a déjà beaucoup parlé et les documents que vous allez nous fournir nous seront certainement extrêmement utiles.

    Ma seconde question concerne le matériel dont le DPS est équipé et que vous nous avez décrit avec beaucoup de précisions. Je voudrais savoir si ce matériel a été intercepté par la police, à combien de reprises et quelle était l'importance du matériel saisi.

M. Philippe MASSONI : Il me faut le vérifier. Je ne peux pas vous le dire de mémoire.

M. Noël MAMÈRE : Monsieur le préfet, vous avez évoqué une liste de sociétés de gardiennage proches du Front National. Vous serait-il possible de nous en donner communication ?

M. Philippe MASSONI : J'ai dit qu'elles étaient proches de l'extrême-droite, monsieur le député, donc évidemment peut-être du Front National pour certaines d'entre elles...

M. Noël MAMÈRE : Vous nous avez parlé également de mercenaires dont vous avez fait une sorte d'inventaire. Il serait peut-être utile que nous en ayons également communication.

M. Philippe MASSONI : Tout à fait, et je vais demander au directeur des renseignements généraux de se tenir prêt à répondre à ces questions particulières quand il viendra devant vous.

M. Noël MAMÈRE : Vous avez, par ailleurs, fait état d'un certain nombre de réunions organisées par le Front National où l'on s'aperçoit que l'intervention des forces de police est, en général, assez tardive, c'est-à-dire qu'elle laisse une grande place au DPS pour faire régner l'ordre à sa manière. Mon propos rejoint donc un peu la question qui vient d'être posée par ma collègue concernant la limite floue entre ce qu'est un service d'ordre d'un parti politique et ce qui peut se transformer en une milice.

    Or, on a le sentiment en écoutant les différentes personnes auditionnées jusqu'à maintenant qu'en fait, le comportement des brigades de police chargées du maintien de l'ordre sur la voie publique conduirait à faire en sorte que ce DPS se charge de la police à la place de la police. C'est une sorte de système pervers qui contribuerait à ce que le DPS se renforce dans son statut de milice.

    Enfin, au sujet de M. Bernard Courcelle et de son frère, vous avez évoqué certains événements liés à la Tchétchénie : avez-vous des renseignements supplémentaires sur leurs rôles respectifs par l'intermédiaire d'une société de sécurité, Groupe Onze, qui est soupçonnée d'avoir fourni à M. Doudaïev une certaine valise satellite qui aurait permis aux forces russes d'intercepter ce dernier et de lui ôter la vie ?

M. Philippe MASSONI : Sur ce point particulier, je vais vous répondre tout de suite. La préfecture de police n'a, à travers aucun de ses services, jamais enquêté sur l'affaire du groupe Onze et de la valise satellite dont quelques échos nous sont effectivement parvenus par la presse, pas plus qu'elle ne l'a fait sur les activités de M. Bernard Courcelle en Tchétchénie. Tout ce que je vous ai indiqué relève évidemment de sources ouvertes, de sources de presse. Cela ne veut pas dire que nous ne recherchons pas les choses et il est tout à fait évident que si un service de la préfecture de police les découvrait, il les exploiterait. Mais j'ai quelques raisons de penser que ce sont d'autres services plus spécialisés du ministère de l'Intérieur ou du ministère de la défense qui auraient sans doute pu s'intéresser à ce type de problèmes.

    En ce qui concerne le caractère tardif des interventions de la police, je crois qu'il faut qu'il n'y ait pas d'équivoque, monsieur le député : nous intervenons chaque fois que nous voyons quelque chose. Pour autant, il est tout à fait évident que dans une fête telle que celle des « Bleu Blanc Rouge », qui se déroule sur la pelouse de Reuilly, il peut se produire, à l'intérieur de la fête, en un endroit donné, un affrontement. Or, nous n'avons pas le désir d'être présents, en uniforme, à l'intérieur de la fête des « Bleu Blanc Rouge » : il nous en serait fait le reproche et l'on dirait que nous assurons la sécurité, par nos effectifs en uniforme, à l'intérieur de l'enceinte de cette fête ! En revanche, si nous avons une information qui nous laisse à penser qu'une bagarre éclate et que des violences s'exercent, si nous avons une réquisition nous demandant d'intervenir pour porter secours à des gens en difficulté ou en danger, alors nous entrons aussitôt !

    Il est évident qu'à l'intérieur d'une fête où se réunissent 10 000 à 11 000 personnes, nous ne pouvons pas contrôler chaque mètre carré. Nous avons donc des forces à l'extérieur, prêtes à intervenir s'il y avait une sortie de la fête, un défilé ou un départ vers une manifestation violente mais à l'intérieur de la fête, l'organisateur règle, à sa manière, les premiers problèmes qui se posent. Nous intervenons très vite, soit sur une observation que nous faisons - une information qui nous arrive car nous avons à l'intérieur de la fête, vous l'imaginez bien, des hommes des renseignements généraux en civil ou des informateurs qui peuvent, par les moyens les plus rapides, nous alerter - soit si nous sommes requis par les organisateurs. Si les choses se produisent en un coin sombre, dirais-je - ces incidents éclatent généralement dans la nuit, je vous ai fourni, tout à l'heure, des indications sur les jours et heures où ils s'étaient produits -, il est très difficile de voir ce qui se passe.

    Concernant les sociétés de gardiennage, je dirai au directeur des renseignements généraux qu'il vous fournisse des informations à leur sujet et je pense que le directeur central vous en donnera également : je ne les ai pas, en cet instant, en ma possession.

    Il faudra que je me renseigne sur le matériel qui aurait pu être intercepté. Je n'ai pas en tête la liste de ce que nous aurions pu intercepter, ici ou là, à la faveur de manifestations. Nous savons qu'il y a du matériel, nous avons le désir de le rechercher, non seulement pour le Front National mais pour tous les manifestants, car il ne pourrait être toléré que, sur la voie publique à Paris, soit stocké dans des voitures, des sacs ou des cabines téléphoniques - cela peut arriver - du matériel. Nous le recherchons et si je n'ai pas en tête que nous avons pu en saisir à un moment ou à un autre, cela sera vérifié.

    Vous m'aviez interrogé, madame la députée, sur les caractéristiques du groupement de fait et notamment sur le caractère belliqueux, la hiérarchie, la discipline, les sanctions, l'entraînement. Je vous ai fait part, dans le cadre de mon exposé liminaire, d'une synthèse de ce que nous savions sur ces questions-là, mais il conviendrait peut-être effectivement, si cela retient l'intérêt de votre Commission, d'affiner certains points et d'aller plus loin. Je crois que vous en êtes au début de vos travaux et vous allez probablement, au fil des jours et des semaines, vous engager sur des choses beaucoup plus précises : nous allons nous attacher à vous aider. En l'état actuel, je vous ai décrit le caractère belliqueux des membres du DPS, à travers toutes les descriptions très factuelles et très techniques que je vous ai faites pour éviter de sombrer dans l'imprécision et le flou, m'étant fait une règle de ne délivrer que des informations précises. La hiérarchie, la discipline et les sanctions apparaissent ici. L'idéal serait qu'elles puissent le faire à travers des documents internes au Front National et au DPS. Pour ma part, je n'en dispose pas et j'ignore si quelque service du ministère de l'Intérieur peut en détenir mais, nous, nous ne les avons pas. Pour ce qui est des entraînements, il faudrait que la question soit posée aux spécialistes qui suivent ces questions-là.

M. Jean-Pierre BLAZY : Monsieur le préfet, je voudrais tout d'abord revenir sur les sociétés de gardiennage : vous avez indiqué qu'en Ile-de-France, elles étaient 70 à avoir des relations directes avec le DPS. Ce chiffre de 70 est déterminé à partir de combien de sociétés au total sur la région ? Par ailleurs, pourrions-nous avoir la liste de ces sociétés qui, j'imagine, sont quelque peu surveillées par les renseignements généraux. Comment pouvez-vous avoir connaissance des relations directes qu'elles entretiennent avec le DPS ?

    J'aimerais également savoir si, à votre connaissance, des fonctionnaires de police ou d'anciens fonctionnaires de police sont membres du DPS et s'ils y ont, ou ont eu, des responsabilités.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : J'aimerais revenir rapidement sur un point de votre exposé, monsieur le préfet : vous avez dit que, finalement, le défilé du 1er mai était une vieille habitude s'inscrivant dans le cadre des défilés nationaux...

M. Philippe MASSONI : Je n'ai jamais dit « nationaux », madame la députée ! Ce n'est pas un défilé national !

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Enfin, vous avez dit que c'était une habitude. On voit évoluer au fil des défilés les participants qui, je suppose, sont suivis de près, d'autant qu'à mon avis le Front National, du fait des idées qu'il véhicule, n'est pas un parti comme les autres. J'ai toutefois le sentiment qu'on laisse faire les choses car on connaît le parcours, les méthodes et que ce défilé apparaît, somme toute, comme étant assez « popote »...

    Par ailleurs, j'aimerais connaître les relations qu'un préfet de police de Paris peut entretenir avec la presse et savoir si elle vous donne des informations.

M. Arnaud MONTEBOURG : Monsieur le préfet, je reviens sur les incidents de la salle Wagram : nous souhaiterions ne pas nous contenter d'une fiche - même si nous n'avons rien contre les fiches de la préfecture de police de Paris - mais avoir une copie, d'une part des enquêtes de commandement à la suite de ces incidents et d'autre part, de l'ensemble des documents internes à vos services - renseignements généraux et sécurité publique puisque les deux directions semblent avoir été concernées par ces incidents - afin que nous comprenions la façon dont les faits se sont déroulés.

    Je reviens également sur l'incident Brahim Bouarram. D'après vous, cette affaire qui remonte à mai 1995, a-t-elle été mise à profit pour étudier un projet d'interdiction pour l'année suivante de cette manifestation qui pose tant de problèmes, ainsi que vous le disiez, aux ministres de l'intérieur successifs, toutes tendances et sensibilités politiques confondues ? Ces incidents ont-ils permis d'envisager, soit à l'intérieur de vos services, soit au niveau du cabinet du ministre, une interdiction ultérieure, même si les skinheads ont été, semble-t-il - et c'est un point sur lequel il nous faudra être davantage renseignés - identifiés grâce à la coopération de l'individu Courcelle de façon à minimiser les conséquences politiques de ces incidents graves, qui ont d'ailleurs donné lieu à des poursuites judiciaires encore pendantes ? Sur le plan administratif et juridique, cette possibilité a-t-elle fait l'objet d'une étude et, si oui, a-t-elle eu des suites politiques ?

M. Philippe MASSONI : Sur les sociétés de gardiennage, il en existe 70 qui ont été identifiées par les renseignements généraux de la préfecture de police comme ayant des liens avec l'extrême-droite - je n'ai pas dit avec le DPS car cette donnée étant trop typée et trop nette, on ne peut pas aller jusqu'à ce niveau et ce degré de précision, en l'état actuel des choses. Peut-être y a-t-il une enquête menée au niveau national qui peut faire apparaître d'autres sociétés comme pouvant avoir des liens avec l'extrême-droite, puisque je n'ai parlé que de celles qui concernent l'Ile-de-France.

    Y a-t-il des fonctionnaires ou d'anciens fonctionnaires de police qui sont membres du DPS ? Je n'ai pas connaissance de la chose au moment où je vous parle, mais je voudrais vous dire simplement que j'ai pris l'assurance, avant de me rendre à votre convocation, de demander au directeur de l'Inspection Générale des Services s'il avait connaissance de procédures qui auraient pu être élaborées à titre administratif et qui mettraient en cause des fonctionnaires de police dans des relations qu'ils pourraient avoir avec le DPS ou avec l'extrémisme de droite d'une façon plus générale. Il m'a répondu par un écrit de sa main : « Il n'y a pas d'affaires en cours ou passées concernant le DPS à l'Inspection Générale des Services de la préfecture de police. »

    Nous avons trois affaires qui sont en fait des affaires d'extrême-droite et sont pendantes à l'Inspection Générale des Services, à ma demande. Il y a une affaire Pattedoie, une affaire Guérand et une affaire Bailleul. La première affaire concerne l'interpellation et le placement en garde à vue, en 1997, du gardien Bernard Pattedoie, secrétaire national de la FPIP, qui avait été l'auteur d'un coup de feu à l'intérieur d'un restaurant asiatique, 45, rue Championnet dans le dix-huitième arrondissement. Il n'est pas, à notre connaissance membre du DPS. Il est extrémiste de droite et détaché permanent à la FPIP.

    La deuxième affaire concerne Carine Guérand, qui a été entendue par le service régional de police judiciaire de Rouen. Elle était agent administratif affectée à la sous-direction des affaires immobilières et mobilières de la préfecture de police. Elle a été entendue, en qualité de témoin, dans le cadre d'une affaire criminelle, puisqu'elle était la concubine de Régis Kerhuel, membre d'un groupe de skinheads qui avait, en 1990, au Havre, fait ingurgiter à un malheureux Mauricien un mélange de bière et de soude qui avait provoqué sa mort.

    La troisième affaire implique un certain M. Gérard Bailleul, ex-agent technique contractuel à la direction de la logistique, qui exerçait d'ailleurs des fonctions syndicales au sein d'un groupement syndical démocratique et républicain. Nous nous sommes aperçus qu'il avait, en quelque sorte, un comportement personnel extrêmement différent des orientations générales du syndicat auquel il appartenait - le Syndicat Général de la Police (SGP). Il avait ainsi affiché dans les locaux de la direction de la logistique un tract intitulé « repentailles », comportant des propos à caractère raciste et antisémite. Il a été mis fin, sans délai, sur mes ordres, au contrat qui le liait à l'administration, indépendamment, bien entendu, des poursuites judiciaires qui sont pendantes et du jugement moral que l'on peut porter sur ces faits. Je dois dire que cette décision a été prise en accord complet et immédiat avec le syndicat et son secrétaire général, qui tombait véritablement des nues en découvrant une telle affaire.

    Voilà ce que l'on peut dire sur les affaires en cours entre l'extrême-droite, au sens général du mot, et les fonctionnaires de police.

    Sur le défilé du 1er mai, je voudrais qu'il n'y ait pas d'équivoque entre nous : je n'ai nulle tendance à considérer ce défilé comme un défilé « popote », comme un défilé banal, comme un défilé dont on doit prendre l'habitude et contre lequel on ne peut pas s'élever ! Moi, je constate des faits qui sont archivés dans la mémoire des renseignements généraux et de la direction de la sécurité publique : depuis telle année, le défilé se déroule de telle façon. Il se déroule sous le regard du public et des caméras, il est largement diffusé et on voit qui le compose, comment les gens se comportent, quel est l'âge moyen des participants. Effectivement, la sociologie de ce défilé peut évoluer au fil des années - il y a plus ou moins de personnes âgées selon les moments -, mais tout ceci est public.

    Ce défilé s'inscrit dans le cadre des 1 200 à 1 500 manifestations revendicatives - le terme étant pris au sens large -, qui se déroulent à Paris et il faut, compte tenu du nombre de personnes qu'il rassemble - de 5 000 à 15 000 - savoir où il peut avoir lieu. Il a lieu un 1er mai, dans une rue calme à cette date, et ne constitue donc pas de gêne pour les parisiens. Même s'il neutralise une partie de la voie publique, ce n'est que pour un temps contrôlé, ce qui nous permet d'engager le minimum de forces possible et d'en libérer pour assurer d'autres missions ailleurs. Tout le dispositif a été, bien entendu, soumis, par le préfet de police, à l'appréciation successive de plusieurs ministres de l'intérieur : je dirai qu'il n'y en a pas un seul à qui je n'ai demandé, directement ou par la voie de son cabinet : « Que fait-on, cette année, pour le défilé du 1er mai ? ». Je reviens à ce que je disais tout à l'heure : si la décision était prise d'interdire le défilé ou de le faire sur un autre itinéraire, il faudrait « engager le combat » avec dix, vingt, trente unités de renfort, ce qui ne serait, ni simple, ni facile.

    Sur la presse, je répondrai que nous la respectons. La préfecture de police conduit une politique de communication depuis que je suis préfet de police, et j'ai suivi en cela mes prédécesseurs. Cette politique s'inspire d'un principe de transparence, ce qui signifie que tout ce qui peut être dit est dit. Nous taisons ce qui peut nuire à l'honneur des personnes ou au développement d'une enquête. A cette exception près, tout est dit et je crois pouvoir indiquer que les journalistes parisiens, provinciaux et nationaux qui nous consultent sont accueillis au service de communication de la manière la plus cordiale, la plus ouverte, et que nos services leur fournissent toute la documentation dont ils ont besoin, dans cet esprit de transparence auquel nous sommes très attachés.

    Dans l'information au bénéfice du Gouvernement et dans un esprit de sauvegarde de la sécurité nationale, tous les éléments d'information doivent être pris en compte. Il y a, comme on dit en termes de renseignement, du renseignement ouvert et du renseignement fermé. Il est tout à fait évident que la presse constitue une source de renseignements ouverts extrêmement précieuse et que nous aurions mauvaise grâce - nous serions des imbéciles - si nous ne la lisions pas, ne la découpions pas, ne l'utilisions pas à notre profit, parce qu'elle comporte très souvent des analyses pertinentes et des dossiers réalisés par d'excellents enquêteurs ! Nous en faisons donc notre profit, et nous les validons et les évaluons. C'est dans cet esprit que je cite comme un élément matériel, que j'ai d'ailleurs contredit, l'article d'Alain Sanders auquel je faisais allusion dans mon propos introductif : nous l'avons pris comme un élément descriptif du Front National et du DPS et nous avons contredit ou, au contraire, approuvé sur certains points ses allégations.

    Pour autant, on ne peut schématiser les choses en disant que les renseignements généraux se contentent de la presse pour réunir leurs informations. Ce n'est nullement le cas et je peux indiquer que, dans les milieux extrémistes de droite comme de gauche d'ailleurs, ou encore dans les milieux terroristes, des techniques de pénétration sont appliquées, qui sont extrêmement fines et extrêmement dangereuses, par recrutement d'agents et infiltration de fonctionnaires. Vous pouvez donc être assurés que nous allons très au-delà de l'aspect de surface dans le contrôle des événements qui pourraient présenter un caractère grave pour la sauvegarde de la République. Nous allons très loin et c'est d'ailleurs tout à fait notre devoir.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Monsieur le préfet, j'aimerais que vous puissiez nous donner un récapitulatif des faits signifiants constatés par les forces de police et ayant fait l'objet d'un début de procédure judiciaire, c'est-à-dire pour lesquels les procureurs ont été saisis, et, le cas échéant, ont ouvert des poursuites, afin que nous puissions ensuite, avec le ministère de la justice, voir, dans les limites de notre compétence, ce qu'il en est advenu. Ce serait très intéressant dans la mesure où cela qualifierait un certain nombre de faits.

    Au-delà de la violence physique dont ont pu faire preuve les membres du DPS, j'aimerais savoir si vous avez des éléments d'information sur le contenu idéologique de leur formation. En d'autres termes, est-ce que des documents ou des manuels liés à l'entraînement et ayant un contenu idéologique ont pu être saisis ?

M. Philippe MASSONI : Je considère cela comme une commande et je vais essayer de satisfaire votre demande, monsieur le député.

M. le Président : Monsieur le préfet, je n'ai pas le sentiment que vous m'ayez répondu sur la question de savoir si M. Bernard Courcelle avait vraiment joué un rôle dans l'arrestation des meurtriers de Brahim Bouarram...

M. Arnaud MONTEBOURG : Ni sur les enquêtes de commandement...

M. Philippe MASSONI : J'ai pris bonne note de votre requête à laquelle je ne peux pas satisfaire à l'instant, mais je vais les retrouver.

M. Arnaud MONTEBOURG : ... ni sur l'analyse des conséquences du meurtre de Brahim Bouarram pour la suite de l'organisation de la manifestation.

M. le Président : En effet, y a-t-il eu un début de réflexion sur une éventuelle interdiction du DPS, à la suite de cette affaire ?

M. Philippe MASSONI : On a regardé évidemment ce qui s'était passé. Une enquête judiciaire a aussitôt été ouverte et, pour répondre immédiatement à votre question, je confirmerai que M. Bernard Courcelle, selon ce que m'a dit le directeur de la police judiciaire, a fourni des informations, par procès-verbal, qui ont permis de faire progresser l'enquête. Je n'en sais pas davantage. C'est une affaire qui relève des autorités judiciaires et qui a été conduite sous l'autorité d'un juge d'instruction : la justice pourrait vous en dire plus, ou le directeur de la police judiciaire, ou le chef de la brigade criminelle qui a conduit l'enquête. Je ne connais pas le détail des déclarations. Je sais que M. Bernard Courcelle a fait des déclarations et M. Patrick Riou, directeur régional de la police judiciaire, m'a confirmé qu'elles avaient été fort utiles.

    Par ailleurs, nous avons bien entendu fait une analyse de l'affaire de la salle Wagram, navrante et totalement inattendue. Je vais m'efforcer de retrouver les documents qui permettraient, éventuellement, de mieux cerner ce que nous avons pensé à l'époque d'un telle initiative.

    Maintenant, sur la question de savoir, s'il fallait interdire le défilé du 1er mai, à partir de cet incident Bouarram, je dirai d'une manière très factuelle que l'enquête judiciaire n'a pas établi, à ma connaissance, qu'il y ait un lien direct entre l'organisation de la manifestation qui passait par là et le fait qu'un groupe de skinheads de Reims ait jeté à l'eau M. Brahim Bouarram. Pour être clair, je n'ai pas connaissance du fait que l'enquête judiciaire ait impliqué les organisateurs du défilé lui-même dans cette affaire. Voilà ce que je peux vous dire en l'état actuel de mes connaissances du dossier.

M. le Président : Monsieur le préfet, nous vous remercions.

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    Audition de MM. Rémy BARROUX et Jean-Pierre BARTHONNAT,

    Représentants de Ras l'front

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 10 février 1999)

Présidence de M. Michel SUCHOD, Vice-Président

MM. Rémy Barroux et Jean-Pierre Barthonnat sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Rémy Barroux et Jean-Pierre Barthonnat prêtent serment.

M. Rémy BARROUX : Le mouvement que nous représentons, le mouvement Ras l'front, est un réseau de quelque 170 collectifs en France qui diffuse un mensuel tiré à environ 20 000 exemplaires. L'extension de ce réseau, qui est un réseau de collectifs de terrain existant à l'échelle des villes, des quartiers, voire maintenant des communes rurales, nous met évidemment, depuis de longues années, en contact direct avec le Front National. L'un de nos objectifs en effet, à la création de ce mouvement - il y a de cela, maintenant, neuf ans, c'était en 1990 - était d'observer, sur le terrain, la progression du Front National et de ses idées.

    Nous avions, en effet, montré que le Front National ne progressait pas seulement par un mouvement idéologique mais aussi par un travail de terrain conduit par un réseau militant. Nous l'avions analysé dans le livre de Mme Anne Tristan, intitulé « Au front », qui était le résultat d'une plongée de cette dernière dans les quartiers nord de Marseille, au sein du Front National, où elle a milité pendant six mois. Mme Anne Tristan est la directrice de publication de notre mensuel.

    C'est à partir de ce constat du travail réel mené par le Front National auprès de la base et du milieu associatif, que nous avons créé ce mouvement qui est donc directement confronté, dans ses activités quotidiennes et hebdomadaires, au travail militant du Front National.

    Qui dit Front National dit un ensemble de structures, à savoir les directions auxquelles nous sommes évidemment moins confrontés, les réseaux, les fédérations, les sections et cette organisation totalement parallèle au Front National qu'est le DPS. Comme vous le savez, si elle « colle » maintenant au Front, elle avait antérieurement son propre organigramme, ses propres responsables départementaux, tous liés à la direction nationale et au Président, M. Jean-Marie Le Pen.

    Voilà donc la nature de notre travail de terrain, de notre militantisme. Le fait que, systématiquement ou presque, nos collectifs appellent à des manifestations unitaires, avec l'ensemble des forces disponibles, pour accueillir, qui M. Jean-Marie Le Pen, qui M. Bruno Mégret, explique que nous soyons à la fois en contact avec le quotidien du mouvement Front National et avec ce qui est plus exceptionnel, quand il s'agit de manifestations ou de meetings centraux de campagne tenus par les uns ou les autres.

    Ce travail nous amène à porter une appréciation sur le rôle du DPS mais une appréciation que l'on peut dire immergée dans la compréhension globale du Front National. Nous nous intéressons au DPS comme structure de protection et de renseignement, bien évidemment, mais aussi à l'ensemble du Front National et au degré de violence qu'il génère, que ce soit par ses idées et propositions politiques ou par sa structure militante, puisque la violence exercée par ce parti est, pour l'essentiel bien souvent, le fait de militants qui ne sont pas membres du DPS : Ibrahim Ali a été victime de colleurs d'affiches qui n'étaient pas membres du DPS, à Marseille, et Brahim Bouarram de skinheads qui, eux non plus, n'appartenaient pas au DPS, en marge d'une manifestation, le 1er mai 1995, à Paris.

    Il s'agit d'une structure qui encadre le parti, ses actions et qui peut être défensive ou offensive si la situation le requiert. C'est ce qui s'est passé notamment à la sortie d'un meeting, Salle Wagram, lorsque certains militants ont gagné l'Arc de Triomphe où ils ont adopté une attitude plus offensive. Cela correspond aussi à la conception globale qu'ils ont de la protection de leurs initiatives puisqu'elle est basée, notamment, sur la connaissance et donc sur le renseignement des « réseaux adverses » comme ils les appellent. Elle repose sur un travail intensif de fichage de l'ensemble des militants et personnes susceptibles, un jour, de leur porter tort par leur action démocratique, tels que des adhérents de Ras l'front, des syndicalistes, des journalistes, des membres de partis politiques ou des élus locaux.

    Nous avons une vision assez claire de ce travail des militants du Front National d'après leur presse que nous suivons de près et les textes que nous avons pu nous procurer, ce qui nous permet de dire qu'il s'agit effectivement d'un travail organisé, centralisé au plus haut niveau.

    De surcroît, nous avons l'insigne honneur d'avoir fait l'objet d'un livre d'Emmanuel Ratier, diffusé assez largement dans les réseaux du Front National, qui porte le nom de notre mouvement et qui se vante, dans l'ensemble de la presse du Front National, de livrer 2 500 noms de militants et de militantes de Ras l'front. Cela prouve bien que ce travail de fichage et de suivi personnel ou personnalisé est organisé par le mouvement et aussi par le DPS dont l'une des tâches est, précisément, d'organiser la sécurité et le fichage des opposants.

    Notre connaissance du Front National et de son service d'ordre DPS est quotidiennement alimentée par la lecture de cette presse ou les informations que nous pouvons obtenir par les contacts sur le terrain.

    Nous avons, évidemment, moult exemples de la façon dont travaille le DPS du fait que nous organisons des manifestations contre le Front National, ce qui nous permet de bien comprendre comment le système se met en place. On voit comment le DPS est officiellement chargé par le mouvement de prendre contact avec les autorités locales, ce qui en soi peut tout à fait se comprendre pour un service d'ordre quel qu'il soit, si ce n'est que cette prise de contact s'accompagne bien souvent de complicités, de travail sur le terrain, voire de répartition des tâches. Les membres du DPS sont pour beaucoup des professionnels passés par la gendarmerie, la police, les services de sécurité avec qui ils conservent des contacts. J'imagine que les journalistes que vous avez auditionnés vous ont fourni des informations sur ce point.

    Nous sommes chargés aussi de suivre ces éléments-là qui, ne serait-ce que par la publication du livre auquel je faisais référence - les écrits de M. Ratier - ou d'autres publications du même ordre, nous mettent évidemment directement sous la menace, non pas nécessairement du DPS mais d'éléments du Front National, militants ou sympathisants...

    Ces menaces se traduisent parfois dans les faits par des pressions, des coups de téléphone, voire des violences physiques contre nos militants, le mot étant entendu au sens large, c'est-à-dire des personnes qui, sur le terrain, prennent le risque, à visage découvert, de dire qu'elles sont contre le Front National.

    La situation de Vitrolles est à cet égard exemplaire, puisque cette ville dirigée par le Front National a pu y installer le système d'une façon plus cohérente pour lui, notamment sous l'impulsion de M. Bunel, en charge du service de sécurité et du service d'ordre sur place. Nos camarades sont régulièrement menacés par téléphone, ont leurs pneus de voiture constamment crevés ; vous aurez tout loisir, si vous le souhaitez, d'interroger l'un ou l'une d'entre eux ; il pourrait vous raconter le quotidien dans cette ville, avec l'interaction du DPS, des militants du Front National et de la police municipale qui est placée sous les ordres de la mairie.

M. le Président : Vous nous avez parlé de 2 500 militants ou sympathisants de Ras l'front qu'on se vante d'avoir fichés. Vous-même, pensez-vous l'être, ou pouvez-vous aller jusqu'à dire que vous en avez la preuve ?

    Avez-vous, par ailleurs, subi des menaces, des man_uvres d'intimidation verbale ou écrite de la part de membres du DPS, à l'encontre des personnes membres de votre organisation ; je n'entends pas par là les injures qui auraient pu être proférées au cours d'une manifestation qui met les gens face à face, mais les menaces ultérieures ?

M. Rémy BARROUX : Je suis cité, personnellement, un grand nombre de fois dans ce livre, y compris sous des pseudonymes que je n'utilise pas. J'apparais au moins une dizaine de fois sous des appellations diverses mais également sous mon vrai nom, Rémy Barroux ; nous avons pour principe en effet, dans notre mouvement, d'assumer notre engagement et donc d'apparaître sous notre vrai nom et publiquement, notamment dans la presse, quand il le faut et évidemment à l'échelle d'une ville.

    Donc cette présence de noms sans publication de l'adresse - mais cette dernière est facile à se procurer, le fait de s'engager contre le Front National ne supposant pas une paranoïa totale qui conduit à disparaître ou à se mettre sur liste rouge - les gens ont des responsabilités familiales et professionnelles - permet à n'importe qui de la retrouver par minitel !

    Ces 2 500 noms ne correspondent pas tous à des adhérents de Ras l'front. Comme le Front National a une conception très large de ses opposants, ils peuvent tout aussi bien désigner des syndicalistes que des gens du manifeste de M. Cambadélis. Cette publication s'est en effet accompagnée de menaces, de pressions, de coups de téléphone aux uns et aux autres. Le fait que ce livre soit très largement diffusé dans leurs réseaux - il est présenté et mis en vente à chaque meeting - fait qu'au-delà du cercle assez restreint qui entoure M. Ratier et du cercle qui assure la sécurité du Front, n'importe quel militant, y compris le plus fou, peut se procurer l'ouvrage et en tirer les conclusions qu'il voudra !

    Donc, oui, il y a eu des menaces ! Personnellement j'ai reçu souvent, et antérieurement à la publication du livre qui n'a pas provoqué une accélération particulière, des coups de téléphone, soit à mon domicile, soit plus fréquemment sur mon portable dont le numéro n'est pas communiqué. Ceci me laisse à penser, puisque des gens se vantaient de m'appeler du Siège de St-Cloud, que mon numéro est bien enregistré quelque part sur une liste dont je n'ai, évidemment, pas eu connaissance, sans quoi j'aurais immédiatement porté plainte auprès de la CNIL...

    Cela dit, je porte à votre connaissance une circulaire du Front National à usage exclusivement interne, adressée seulement aux secrétaires nationaux de fédération - c'est donc une note assez intime - qui date de mars 1997, où il est dit que le Front National travaille sur la riposte aux attaques dont il est l'objet : Ras l'front est cité assez largement et il est donné deux conseils aux secrétaires départementaux : « face aux contre-manifestants, précautions à prendre :

    « 2) vous munir d'un appareil photo pour photographier les meneurs en cas d'incidents » - quand on fait des photos c'est pour les ranger ensuite quelque part...

    « 3) repérer les véhicules des contre-manifestants, avant ou après les incidents et en noter les numéros de plaque minéralogique ». J'imagine que si l'on note des numéros de plaque minéralogique, ce n'est pas pour les jeter juste après, mais évidemment pour les archiver et, éventuellement, se livrer à un travail d'identification.

    Cette circulaire du mouvement qui décline ainsi dix points est tout à fait officielle : il ne s'agit pas de la circulaire de deux individus paranoïaques !

    Donc, nous avons, par le biais du livre, de cette circulaire et des pratiques du Front National - des militants nous ont prévenus que nous étions connus et photographiés - la preuve que ce travail de fichage est opéré. A qui doit-il servir ?

    L'une des missions officielles du DPS est précisément de surveiller et de renseigner sur les réseaux opposés au Front National et de contrôler le fonctionnement interne du mouvement, mais cet aspect nous importe moins. On se doute bien qu'un fichier existe. Nous avons eu par divers journalistes ou indiscrétions, sinon la preuve, car il ne s'agit pas de preuve, du moins la confirmation de son existence et du fait que certains de nos noms, dont le mien, y figureraient en bonne place.

    Pour ce qui est des menaces, il faut savoir que bien évidemment ces gens-là ne signent pas leurs lettres de menace. Nous en recevons quotidiennement à travers notre boîte postale ce qui est, j'imagine, le lot de tout journal public, surtout lorsqu'il travaille contre le Front National. Dans les villes, en outre, nous avons enregistré des pressions, voire des agressions contre des militants, que ce soit à Vitrolles, dans le Poitou, par exemple, ou à Saint-Etienne.

    Maintenant, - et c'est là j'imagine toute la complexité de votre travail - dire si les auteurs de tels actes sont ou non-membres au DPS, nous n'en avons évidemment pas la preuve patente : ce sont des gens qui se revendiquent du Front National et qui sont donc, de près ou de loin, liés aux structures du mouvement.

    On pourrait même dire en exagérant que si, probablement, au sein du DPS, une partie de la formation consiste à réguler, à former à la violence - tout service d'ordre se forme d'ailleurs collectivement sur ces questions-là -, il arrive que les menaces émanent de personnalités extérieures à une structure collective : j'ai évoqué l'exemple des colleurs d'affiches.

    Nous avons conscience, depuis le début de notre combat, c'est-à-dire depuis 1990, que le Front National est un parti violent par ses traditions, par ce qu'il propose et par la composition de ses militants. Je crois que le Front National est le seul mouvement à avoir précisé dans un guide interne destiné à ses militants qu'il était nécessaire de laisser ses armes à la maison pour aller coller ; le RPR, le PS, le PC ont peut-être des guides du militant, et c'est une bonne chose que d'avoir ce matériel de formation, mais le Front National lui, explicitement, informe ses militants qu'il est préférable de laisser ses armes à la maison faute de quoi, si l'on se fait « piquer », on s'expose à des problèmes juridiques et on encourt des peines. Celles-ci sont d'ailleurs détaillées dans les deux pages suivantes qui font référence à des textes de loi : cela indique de façon évidente que le profil des militants de ce mouvement les incite à croire qu'ils pourraient être tentés de venir avec leurs armes et leur attirail personnel.

M. le Rapporteur : Merci pour ces informations !

    J'aurai deux questions, outre celle que je pose à tout le monde : avez-vous eu connaissance du fameux rapport des renseignements généraux sur le DPS dont M. Jean-Louis Debré a confirmé l'existence avant de la mettre en doute puis de la nier, et dont les fonctionnaires de police que nous rencontrons déclarent ne rien savoir ?

    Deuxièmement, en ce qui concerne le fichage, avez-vous le sentiment ou la preuve d'être l'objet d'écoutes téléphoniques, de détournement ou de retard de courrier, ou encore de filatures de la part de membres du DPS ou du Front National ?

    Troisièmement, quelles sont les relations officielles ou officieuses entretenues entre les services de police, d'une part, et le DPS, d'autre part, ou - pourquoi pas, puisque l'un de vos prédécesseurs a parlé d'une « connivence amicale ou affectueuse » ? - des policiers membres du DPS ?

M. Rémy BARROUX : Sur le rapport, je ne pourrai pas faire mieux que M. Chevènement. Il se trouve qu'il nous a été certifié par diverses sources que ce rapport existait, que nous l'aurions d'ailleurs un jour et que nous pourrions travailler plus tranquillement parce qu'il y aurait une sorte de mise sous surveillance par ce biais. Voilà ! Ne l'ayant pas eu personnellement entre les mains, je ne saurais dire exactement comment il se présente, ni combien il a de pages.

    Néanmoins, il y a eu un autre rapport sur les officines de sécurité dont certaines sont évidemment assez proches du Front National, soit par le biais de militants qui en font partie professionnellement - je pense à Thibault de la Tocquenay, par exemple et son entreprise de sécurité en Ile-de-France - soit par le biais du frère de M. Bernard Courcelle, M. Nicolas Courcelle. Ce rapport doit exister puisque la presse - il me semble qu'il s'agissait de L'événement du jeudi - en a reproduit des extraits en fac-similé, ce qui indique que l'original doit bien exister même s'il ne portait pas tant sur le DPS que sur les services de sécurité extérieurs.

    A votre deuxième question, je répondrai par l'affirmative : oui, nous avons des preuves de menaces ; des lettres arrivent à la boîte postale, adressées soit à moi personnellement, soit au mouvement en général, et qui, quand elles annoncent « On va vous faire la peau ! » sont des choses presque naturelles ! Il y a eu, en revanche, des menaces plus précises, qui sont apparues d'ailleurs au lendemain de la publication du livre de M. Ratier. Elles touchaient notamment des personnes de la commission syndicale, donc des gens qui travaillent en direction du secteur syndical et qui ont reçu des lettres personnalisées de menaces de mort. Chaque fois que nous recevons des lettres de ce type, nous essayons, évidemment, autant que faire se peut, de porter plainte, même si leur origine est tout à fait incertaine puisqu'elles ne comportent bien sûr ni adresse, ni numéro de téléphone.

M. le Rapporteur : Je parlais plutôt de filatures !

M. Rémy BARROUX : De par notre activité publique, puisque l'un des buts du réseau est de diffuser notre journal, - ce qui se fait uniquement sur les marchés, le week-end notamment, et aussi bien sur Paris que sur l'ensemble du pays - il arrive souvent que des militants identifiés comme appartenant à Ras l'front soient raccompagnés discrètement jusque chez eux, ce qui pourrait aller plus loin si nous n'y prenions pas garde.

    Il est donc vrai aussi que nous mettons en place un minimum de sécurité autour de notre activité, par lucidité et réalisme, et que nous évitons de trop faciliter ce travail-là : il m'est arrivé d'avoir, en bas de chez moi, des gens que je pouvais identifier comme étant du Front National pour surveiller mes allées et venues ; ces individus ne sont pas nécessairement identifiables en tant que DPS, car s'ils sont facilement repérables en uniforme, puisqu'ils ont l'insigne honneur d'en porter un, rien, lorsqu'ils sont « en civil », ne les distingue d'un militant classique du Front National.

    Par ailleurs, il y a une tradition dans l'extrême-droite, issue notamment des mouvements étudiants des années 70 selon laquelle la répartition du travail du service d'ordre des mouvements qui s'en réclamaient - je pense aussi bien au PFN qu'aux organisations étudiantes comme le GUD - se faisait globalement de la façon suivante : les tâches sérieuses et militaires étaient déléguées aux hommes, alors que le travail d'observation et de renseignement était généralement confié aux femmes réputées plus discrètes et donc moins identifiables. J'ignore si cette organisation perdure au sein du DPS et du Front National, néanmoins le DPS compte des militantes qui ont notamment pour tâche de pratiquer les fouilles féminines à l'entrée des meetings.

M. André VAUCHEZ : Vous avez évoqué les deux crimes les plus tristement connus, à Marseille et à Paris, comme n'étant pas le fait de membres du DPS. Nous avons, par ailleurs, entendu dire également que M. Bernard Courcelle avait fait des rapports intéressants, en particulier à propos du crime perpétré contre M. Bouarram.

    Vous avez précisé, en outre, qu'effectivement le Front National, parti politique, et le DPS étaient des structures parallèles. Cependant, notre enquête porte effectivement sur les différentes méthodes appliquées par le DPS. Ne pensez-vous pas que ce dernier serait, ainsi que vous l'avez évoqué dans votre propos liminaire, un organisme de formation à la défense, à la riposte et à l'attaque peut-être ? Tous ces gens qui sont « à la limite » du droit s'exonèrent de la sanction, puisque les rares actions menées dans ce sens ont échoué, et que ce sont des « groupuscules obscurs », pour reprendre la formule de plusieurs autres intervenants, qui accomplissent la mauvaise besogne ?

    Concernant la circulaire du FN qui rappelait les méthodes de fichage à suivre lors des manifestations, vous avez dit qu'elle était « officielle » : avez-vous pu vous la procurer, peut-elle nous être communiquée et est-elle signée ?

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Je voudrais passer une commande à Ras l'front. D'abord, si nous pouvions, pour les besoins de l'enquête, avoir cette circulaire, cela serait fort utile. Ensuite, il serait également intéressant de pouvoir étudier ce guide interne auquel vous avez fait allusion.

    Cela dit, je voudrais revenir sur une question posée par M. le Rapporteur à laquelle vous avez omis de répondre. Il s'agit de cette espèce de complicité que vous avez soulignée entre les forces de l'ordre et le DPS. Quand on entend les responsables des forces de l'ordre, on a tendance à imaginer que, finalement, ils font ce qu'on leur demande de faire à partir de ce qu'ils voient ou de ce dont ils ont connaissance. En conséquence, on ne parvient pas à suivre réellement la logique de ce qui se passe au fil du temps lors des manifestations importantes. Pourriez-vous nous apporter des informations sur cette complicité que vous avez constatée entre les forces de police et le DPS ? On nous dit très souvent qu'il existe une complicité mais pas de faits particulièrement marquants susceptibles de la prouver... Je pense donc que vos militants et vous-même êtes en mesure de nous expliquer comment, à travers votre réseau, vous avez pu le constater.

    Pour ma part, je crois beaucoup aux actions de réseaux tels que les vôtres, et je ne doute pas que vos 170 collectifs à travers la France peuvent apporter des informations extrêmement précises. Vous avez évoqué votre action, que je connais, en Poitou-Charentes dont je suis originaire. Il serait bon de nous faire parvenir des documents écrits ou des photos, récupérés par vos militants à l'occasion de manifestations, illustrant nettement le caractère belliqueux et la démarche d'un certain nombre de membres du DPS : voici donc encore une commande.

    Enfin, avez-vous connaissance de l'existence d'exercices d'entraînement des membres du DPS ? Savez-vous ce qui se passe au château de Neuvy-sur-Barangeon et avez-vous eu l'occasion, non seulement d'en entendre parler, mais encore de le constater ? Disposez-vous de documents à ce sujet et, si oui, pourriez-vous également nous les faire parvenir afin de nous instruire sur ce problème que nous n'avons pas encore pu résoudre ?

M. Rémy BARROUX : Je vous prie de m'excuser d'avoir, non pas éludé, mais omis la question sur la complicité. Le problème est évident : nous ne pouvons pas, aujourd'hui, dire que nous avons la preuve de la collusion entre la police et le DPS. Nos constatations sont de nature subjective et relèvent de l'observation qui, contrairement à ce qui se passe au Front National, n'est pas assortie chez nous d'une paranoïa totale justifiant des milliers de photographies et des kilomètres de bandes vidéo sur ce parti.

    Néanmoins, lorsque nous voyons le DPS en activité, c'est-à-dire, non pas dans ses formations internes que nous ne suivons pas, mais lors de ses apparitions extérieures d'accompagnement d'initiatives du mouvement comme des meetings, des manifestations ou des initiatives plus privées telles que des congrès ou des assemblées générales fédérales, il est évident qu'il y a contact entre les forces de l'ordre et les responsables du DPS. Je dirai même que c'est encouragé puisque l'une des tâches assignées aux responsables fédéraux, tant du FN que du DPS, est de prendre contact en permanence avec les responsables des forces de sécurité.

    Ensuite, nos camarades nous racontent souvent qu'en telle ou telle occasion le contact se double d'une connivence visible : il reste permanent, alors qu'un responsable de service d'ordre prend éventuellement contact une fois avec les forces de l'ordre - c'est en tout cas ainsi que nous procédons, nous, pour nos manifestations, - pour que chacun explique son dispositif, à la suite de quoi, sauf cas d'impérieuse nécessité, le contact s'arrête !

    Or, il s'avère que durant le meeting de Grenoble, il y a deux ans et demi, et dans le Val-d'Oise, notamment, on nous a signalé l'existence, entre certains militants du DPS et les forces de l'ordre, de contacts plus qu'amicaux, voire de répartitions physiques sur le terrain puisqu'à certains endroits le DPS était présent là où la police ne l'était pas. Cela peut d'ailleurs donner lieu à ce que l'on a vécu à Strasbourg où le DPS a justifié ses opérations de contrôles d'identité par le fait que des adhérents de Ras l'front traînaient sur le parking de l'hôtel, qu'ils étaient donc en charge d'assurer le travail que la police n'assurait pas !

    A ce propos, je tiens d'ailleurs à dire que la conception du Front en matière de sécurité est de se substituer partiellement aux forces de l'ordre, aux forces républicaines. Cette violence est revendiquée par le président du FN lui-même quand il dit : « quand la police ne fait pas son travail, nous serons en charge de le faire à sa place », ce qui a notamment justifié, il y a six ou sept ans, une attaque d'une contre-manifestation par le Front National dont certains membres de la direction ont chargé. Cet acte qui avait fait des blessés, dont un très gravement, parmi les manifestants antifascistes avait été légitimé par le président Le Pen lui-même, au motif que le mouvement devait se substituer à la police qui n'aurait pas fait son travail...

    Ce mouvement et son DPS sont donc dans un jeu permanent de chien et chat avec les forces de l'ordre : il y a eu tantôt une répartition des rôles et une complémentarité ; tantôt reprochant à la police de ne pas faire son travail, le DPS s'arroge de ce fait, le droit de l'accomplir à sa place. Il existe tout un processus de « mythification » au sein du mouvement du DPS qui est vécu, non pas comme un service d'ordre, mais comme un corps militaire qui aurait ses victoires et le moins possible de défaites.

    Nous pouvons inviter nos collectifs à faire remonter le maximum d'informations concernant le fonctionnement de ce mouvement et de son service d'ordre DPS au cours des dernières années.

    Sur les stages de formation, bien évidemment, nous n'y sommes pas invités. Mais, au travers de ce qui se lit dans la presse du Front National, à laquelle vous avez accès, qu'il s'agisse de National-hebo, Français d'abord ou Rivarol où M. Bernard Courcelle s'exprime, cette semaine, notamment sur la Tchétchénie et sur « l'affaire Pingeot », on s'aperçoit qu'une formation existe. Il y a des circulaires, des convocations à des assemblées de formation où l'on traite aussi bien du recrutement, de l'étude des casiers des uns et des autres, car les responsables prennent conscience qu'il n'est pas prudent d'embaucher des gens au casier trop lourd s'ils doivent être interpellés par la suite, que des achats de matériels ou des tenues que chacun doit d'ailleurs payer etc..

    Y a-t-il des stages en tant que tels ? Je ne saurais le dire ici. Je crois qu'il y a « une fraternité d'armes » qui fait que souvent, ils s'entraînent dans les mêmes stands de tir. En revanche, pour ce qui est du château de Neuvy, il reçoit plutôt des mouvements de jeunes comme les Cadets du CNC ou le FNJ pour y suivre certains stages - mais pas tous, d'autres ont lieu en province - qui comportent aussi un élément physique important comme de longues marches, des courses d'orientation, du rafting et nombre d'autres exercices. Cette formation globale du mouvement intègre aussi bien les questions physiques que théoriques ; les formes de communication occupent également une place importante.

    Pour ce qui est des mouvements jeunes, nous avons donc l'intime conviction et la preuve, parce qu'ils s'en vantent, de l'existence de stages de formation. Je doute qu'il y en ait au niveau du DPS, dont les membres ont, pour beaucoup, une formation individuelle, qui peut être liée à leur carrière passée - anciens policiers, anciens gendarmes, anciens militaires - et qui fait partie de leur bagage personnel. Nous n'avons pas trace de stages collectifs où l'on ferait du maintien de l'ordre ou de l'apprentissage de maintien de l'ordre...

    S'agissant de la photocopie de la circulaire, nous n'avons évidemment pas été demander à M. Jean-Marie Le Pen de l'authentifier. Il s'agit d'une circulaire qui s'appelle Fédé-infos, datée de mars 1997, qui porte le numéro huit, qui est un supplément au bulletin cadre « Directives nationales » et dont nous avons photocopié les quatre pages ayant trait à la protection du mouvement, donc à la conception offensive de la protection du mouvement : pour nous, évidemment, le fait d'établir un fichier de photos et de plaques d'immatriculation avec les noms afférents constitue une agression par rapport à la sécurité de ceux qui s'engagent dans le combat contre le Front National. En effet, comme on le voit à l'occasion du déchirement de ce parti, l'avenir de ces fichiers demeure tout de même assez incertain puisqu'ils peuvent tomber à peu près entre toutes les mains.

    Le guide du militant est, en effet, interne puisqu'il n'est pas en vente dans les librairies, y compris celles du Front National. Il n'y a aucun problème à vous communiquer une photocopie, notamment du passage qui précise bien que pour les actions type collage, il est souhaitable de n'être pas pris avec ses armes dans un contrôle d'identité.

    Je vous informe, par ailleurs, de l'existence de neuf guides édités à destination des cadres du mouvement et non pas des militants, qui incluent à peu près tout ce qu'un bon cadre du Front National doit savoir depuis l'animation, l'organisation jusqu'aux comptes ; ils ne concernent pas spécifiquement le DPS mais l'activité du FN.

    Ils sont cependant intéressants pour vous, même si leur lecture est fastidieuse parce qu'ils sont nombreux et épais : toute la partie organisation et animation du mouvement qui s'étend sur deux ou trois volumes, fait apparaître clairement la place du DPS dans le fonctionnement du mouvement. Les responsables DPS sont conviés à la préparation des initiatives, sont associés à leur encadrement et l'on a bien affaire à une sorte de structure extérieure vers laquelle le mouvement se tourne pour organiser les choses : en cas de préparation de meeting ou de manifestation, il est demandé que fassent partie de la structure le secrétaire fédéral du Front et le secrétaire fédéral du DPS. Une sorte de complémentarité des deux structures s'établit donc, même si ces gens-là n'étant pas si nombreux, il s'avère aussi que des militants sont, en effet, chargés de responsabilités dans le mouvement, comme dans le DPS. Les membres du DPS ne sont pas tous forcément extérieurs et d'ailleurs sur beaucoup de listes municipales, des gens apparaissent publiquement dans la ville comme appartenant au DPS tout en ayant des mandats politiques. Il n'y a pas une séparation tranchée du politique et du militaire. Ils n'ont probablement pas assez de militants pour cela...

M. Jean-Pierre BLAZY : Je voudrais justement, malgré la réponse que vous venez d'apporter aux questions ou aux remarques de Mme Perrin-Gaillard, aller dans le même sens car nous devons, dans le cadre de notre commission d'enquête, produire des faits objectifs, des preuves. Si nous partageons avec vous très certainement le souci de prouver que le DPS est une organisation dangereuse, il nous faut absolument les moyens d'en faire la démonstration.

    Par conséquent, il est indispensable que vos collectifs répartis sur le territoire, puissent nous apporter très précisément des faits objectifs.

    Par exemple, vous nous avez parlé tout à l'heure du Val-d'Oise dont je suis député et - si j'ai bien compris vos propos - de la collusion entre des fonctionnaires de police et des gens du DPS: il faut pouvoir la prouver !

    Je vais vous poser des questions très précises auxquelles vous ne pourrez sans doute pas répondre maintenant, mais auxquelles vos collectifs pourront, peut-être, apporter des réponses objectives.

    Vous nous avez dit que vos militants ont été menacés : y a-t-il des témoignages qui pourraient être produits sur des agressions physiques ?

    Vous avez mentionné les rapports entre les sociétés de gardiennage et les stands de tir : est-ce que, sur ce sujet, on peut apporter des informations objectives ?

    Vous avez, il y a un instant, fait allusion à d'anciens fonctionnaires de police, à d'anciens gendarmes qui seraient membres du DPS : pouvez-vous, encore une fois, nous citer des fait précis car nous avons vraiment besoin de faits objectifs et je me permets d'insister sur cet aspect essentiel des choses !

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je voudrais, pour ma part, revenir sur la question des fichiers. Sur quoi fondez-vous votre conviction que certaines personnes de Ras l'front seraient fichées ?

    Vous avez parlé des tenues, qui ressemblent à celles de la police nationale. Est-ce que vous auriez des idées sur la façon et les lieux où elles sont fabriquées ?

    Enfin, étant de Toulouse, je connais bien votre mouvement ; j'y ai vu vos militants encadrer les manifestations contre le Front National de manière assez homogène et efficace, mais il me donne l'impression d'être, par rapport au Front National, dans la situation de David face à Goliath. Dans l'encadrement des manifestations, la lutte me semble inégale entre les militants de vos rangs et des gens puissamment armés. Quel est votre sentiment sur ce point ?

    Enfin, est-ce que Ras l'front compte se scinder pour faire face à deux DPS, l'un de M. Bruno Mégret, l'autre de M. Jean-Marie Le Pen ? C'est une boutade quoique...

M. le Président : Avant que vous ne répondiez, je tiens à dire que la comparaison avec David et Goliath est extrêmement rassurante puisque c'est David qui l'a emporté, naturellement.

M. Rémy BARROUX : S'agissant de la scission, M. Bruno Mégret vient d'annoncer la création du DPA qui fera donc pièce au DPS, - le S étant remplacé par le A qui signifie Accueil ; l'appellation Département Protection Accueil, rendra, j'imagine, les choses beaucoup plus conviviales. Il est apparu que les secrétaires départementaux du DPS qui, comme je le disais, travaillent en relation permanente avec les secrétaires départementaux du Front National, ont comme vivier militant une partie des militants du Front National et ont suivi peu ou prou la tendance politique de leur fédération, ont rallié, pour une bonne part d'entre eux, le mouvement de M. Bruno Mégret, M. Bernard Courcelle en tête.

    Cela va être suivi par Ras l'front et pas simplement sous l'angle DPS-DPA mais aussi sous l'angle de la partition politique, pour savoir comment ces deux mouvements vont réagir dans les mois qui viennent.

    La seule chose que l'on peut dire, et là ce n'est pas une boutade, c'est que la naissance de ces deux mouvements ou plus exactement la concurrence que ces deux mouvements vont devoir développer sur le terrain pour regagner leurs militants, leurs sympathisants et leurs électeurs, va évidemment causer - et nous sommes en train de le constater - un regain de militantisme des uns et des autres pour ceux qui ne sont pas éc_urés et qui n'ont pas abandonné le combat. Cela va représenter une menace plus importante - il y aura plus de collage pour gagner « la bataille des murs » - qui se traduira par une agitation militante plus forte nous mettant naturellement plus à découvert.

    Il existe d'autre part, un risque non négligeable que les mouvements de jeunesse notamment développent une attitude plus radicale. En tout cas c'est ce qui ressort de la lecture de leur presse dès aujourd'hui, avec la naissance annoncée à la Mutualité, jeudi dernier au meeting du GUD, d'un mouvement de la jeunesse nationaliste, une sorte de confédération, regroupant les mouvements de jeunesse et essayant de regagner sur le terrain - ce que le FNJ de M. Maréchal n'avait pas fait - une légitimité militante, voire militaire.

    C'est quelque chose d'important pour nous et pour l'ensemble de la société évidemment.

    Concernant les tenues, nous n'avons idée, ni du couturier qui en a dessiné le patron, ni du lieu où elles sont fabriquées. La seule chose sûre est que, non seulement elles font partie du fantasme - ils ont un bras armé, une sorte de police officielle qui en a les aspects - mais que tout militant FN peut se les procurer : le DPS a une boutique qui vend la casquette, le sac de sport, l'écusson etc. Il suffit pour cela d'écrire à l'adresse qui figure dans leur presse, le tout étant en vente libre, par correspondance, et permettant d'entretenir le fantasme de ce corps d'élite que serait ou qu'aurait été le DPS.

    Je ne récuse pas la comparaison avec David et Goliath. Je voudrais juste préciser que, par volonté politique, le 1er mai 1995, Ras'l front a décidé de montrer la vulnérabilité du Front : quand M. Jean-Marie Le Pen allait, devant ses militants, non seulement prendre la tête de la Fête de Jeanne d'Arc, mais également donner la consigne de vote pour le deuxième tour des élections présidentielles, il avait semblé opportun à notre mouvement de mener une opération spectaculaire qui consistait à dérouler deux banderoles sur la place de l'Opéra portant l'inscription « non au fascisme, non au racisme » dans le but de démontrer que, même devant tous les militants du DPS réunis, - ils étaient à peu près un millier à entourer la place de l'Opéra - il était toujours possible, de manière organisée, de mettre en évidence leur vulnérabilité et de prouver que l'idée que l'on ne pourrait pas les empêcher de progresser était erronée et devait être abandonnée.

    Donc, je pense que ce geste technique - lorsqu'on pose une banderole, il s'agit essentiellement d'un geste technique - les a mis fort en colère, notamment au sein du DPS : cette prétendue structure d'élite s'était fait prendre en défaut par des militants de Ras l'front qui avaient pu, du haut du toit de l'Opéra, déployer leurs banderoles. Cet élément, par la suite, a joué un rôle dans leur perception de notre mouvement, si j'en crois ce qu'on a pu lire dans la presse qu'ils diffusent, dans leurs circulaires où ils ciblent essentiellement Ras l'front, ou plus récemment dans Minute où M. Le Gallou répondant à une question sur les problèmes de M. Cohn-Bendit à la Hague, a écrit : « il est drôle de voir un agitateur d'extrême-gauche subir dans le Cotentin ce que les dirigeants et les élus du Front National sont habitués à subir partout : nous avons Ras l'front ; M. Cohn-Bendit a les ouvriers du nucléaire et les chasseurs du Cotentin. J'ai plus de sympathie pour eux que pour Ras l'front ! »

    Ce constat de M. Le Gallou est à l'image de ce que nous essayons de faire, à savoir harceler démocratiquement le Front National et faire en sorte qu'il ne puisse pas apparaître sans qu'il y ait des contreparties associatives, syndicales et politiques.

    Sur les tenues nous n'en savons donc pas plus !

    S'agissant du fichier, nous sommes intimement convaincus qu'ils ont des renseignements sur nous, que nos militants sont fichés. Je ne peux pas vous dire si le fichier est à Saint-Cloud ou s'il existe au niveau des fédérations ou des sections de ville. Le livre de M. Ratier le prouve, même si je redis qu'il ne contient pas de renseignements privés, tels que l'adresse, et qu'il n'a reproduit que des renseignements disponibles en préfecture.

    En effet, puisque tous nos collectifs sont des associations loi 1901 - nous avons à c_ur que ce soit des associations structurées juridiquement - nous sommes tenus de déposer deux, voire trois noms. Il lui a donc été facile de se procurer ces listes auxquelles il a éventuellement ajouté des noms paraissant dans la presse régulièrement, au niveau local ou national, pour établir une sorte d'immense fichier de 2 500 noms. Donc, ce fichier existe, au moins au niveau de M. Ratier.

    Par ailleurs, la circulaire dont je vous ai lu une partie indique à l'évidence qu'ils prennent des renseignements systématiques sur les militants qui manifestent contre eux, que ce soit par le biais des plaques d'immatriculation ou des photos : j'ai en mémoire une lettre officielle du Front National qui nous est arrivée, il y a quelques années de cela, dans le XVIIIème arrondissement de Paris, nous incitant à arrêter de le montrer du doigt sur les marchés de l'arrondissement. Dans cette lettre que nous avions d'ailleurs transmise, en son temps, à la CNIL qui ne nous a jamais répondu, il nous était précisé : « Nous avons photographié vos militants, nous saurons nous en servir, le cas échéant ! » Cette lettre était signée Front National et frappée du sigle Front National. Cela montre bien, même si cela remonte à quelques années, - je crois qu'elle doit avoir six ans - la manière de travailler du Front National à l'encontre des milieux qui lui sont hostiles.

    Pour ce qui est de la collusion, - j'insiste sur les mots parce qu'ils sont importants - je parle, pour ma part, d'apparente complicité, et non pas de collusion, entre les forces de l'ordre et le Front National puisque les choses ne sont pas avérées. Dans les moments où nous nous trouvons face au Front National, c'est-à-dire à proximité physique et géographique, la plupart du temps, nous avons pu constater que les forces de l'ordre, contrairement à ce qu'elles devraient faire, c'est-à-dire avoir un homme sur deux alternativement, le dos tourné en direction des deux mouvements pour empêcher toute confrontation que nous ne souhaitons d'ailleurs pas, font généralement face aux contre-manifestants antifascistes, le dos appuyé sur le service d'ordre du Front National comme si, de fait, le danger ne saurait ou ne pourrait venir de cet élément-là !

    Nous le constatons physiquement dans à peu près toutes les manifestations. Par ailleurs, il y a eu, en effet - et nous aurons à c_ur de faire remonter ces informations pour vous - des moments où les discussions entre responsables de forces de l'ordre et responsables des services d'ordre du Front National nous semblaient aller au-delà de la modération et de la retenue qu'un contact entre une structure politique et le service d'ordre républicain de la police se doit d'observer.

    Enfin, ainsi que je le disais, sur Vitrolles qui est une ville test pour nous et pour le Front National, il apparaît que les éléments de collusion entre DPS et police municipale sont assez patents, en termes d'échange de services et de répartition des rôles, lors d'initiatives publiques de la mairie Front National.

M. le Président. Monsieur Barroux, je vous remercie de votre prestation. Nous serions très intéressés si vous pouviez nous communiquer la copie de la circulaire ainsi que les éléments issus des neuf manuels du Front National.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Monsieur le Président, si vous me le permettez, j'aurai une dernière question. M. Barroux vient de préciser que les forces de l'ordre font face aux militants de Ras l'front et tournent le dos aux forces de sécurité du DPS... Cela me choque parce que cela revient à dire que le danger viendrait des contre-manifestants !

M. le Rapporteur : Je crois pouvoir intervenir ! Je ne veux pas dire qu'il n'y a pas connivence mais lorsqu'il y a manifestation autorisée, car il s'agit de manifestations autorisées, la contre-manifestation ne l'est pas et il peut y avoir un élément technique qui veut que l'on protège la manifestation, même si elle est ignoble comme celle du Front National, de la contre-manifestation ; c'est un peu le principe de la police et, par conséquent, il faut voir s'il y a seulement adossement ou adossement amical comme vous le dites, mais on ne peut pas reprocher à la police de surveiller les contre-manifestants.

M. le Président : Sinon, il y aurait affrontement et dégénérescence...

M. Jean-Pierre BLAZY : Pour ma part, j'insiste pour que vous nous transmettiez des dossiers comportant éventuellement des témoignages et des documents photographiques et toutes les preuves concrètes existant sur des faits précis, c'est absolument indispensable pour la Commission.

M. le Rapporteur : Oui, ce serait intéressant que nous disposions de photographies de manifestations car il nous faut des documents et des preuves palpables...

M. Rémy BARROUX : Si nous n'en avons pas, nous pourrons toujours vous fournir les lieux et les dates des manifestations afin que vous puissiez interroger les journalistes locaux : ils sont d'ailleurs nos principaux fournisseurs car la presse locale couvre abondamment ce genre d'événements !

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

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Audition de M. André-Michel VENTRE,

secrétaire général du Syndicat des Commissaires de Police

et des Hauts Fonctionnaires de la Police Nationale

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 16 février 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. André-Michel Ventre est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. André-Michel Ventre prête serment.

M. le Président : Monsieur Ventre, votre syndicat représente les corps de conception et de direction de la police, c'est-à-dire notamment les commissaires de police. Il a obtenu plus de 78 % des voix aux dernières élections professionnelles.

    Nous vous avons demandé de venir pour recueillir votre point de vue sur le DPS, les problèmes qu'il pose, ses méthodes et les relations qui s'établissent entre ce service d'ordre et la police, notamment au cours des manifestations. Nous nous interrogeons également sur les liens qui peuvent exister entre le DPS et certains membres ou anciens membres de la police nationale.

M. André-Michel VENTRE : Le DPS est une structure qui, a mes yeux et à ceux de nombreux de mes collègues, reste relativement secrète et méconnue de ce fait, et dont je suis peu familier.

    Vous avez souligné la caractéristique du syndicat que je dirige - sa grande représentativité. Il en revêt une seconde que je souhaite évoquer dès le début de mon audition : tout débat à caractère politique ou religieux y est interdit en vertu de l'article 5 de nos statuts. Tout positionnement d'un adhérent ou d'un groupe d'adhérents y est banni de la façon la plus formelle, à titre individuel et collectif.

    En contrepoint et de manière indirecte, je pense que j'arriverai mieux en répondant à vos questions, à vous livrer quelques informations sur le sujet qui vous préoccupe.

M. le Rapporteur : Vous affirmez, et nous nous en réjouissons, que tout débat politique ou confessionnel était interdit au sein de votre syndicat, mais les institutions de la République font-elle aussi l'objet de cette interdiction ? Vous dites par ailleurs être peu familier de la question qui nous occupe. Je le comprends parfaitement. En effet, à entendre la plupart des hauts fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, nous avons souvent acquis le sentiment qu'ils étaient peu familiers de la question.

    Cela nous inquiète. Certes, le DPS est une structure secrète. Il a néanmoins légèrement défrayé la chronique. Je veux citer l'affaire de Montceau-les-Mines, marquée par un hiatus assez long entre la présence du DPS assurant seul les fonctions de police et l'arrivée des renforts de police. Je voudrais citer également l'affaire de la salle Wagram, une manifestation s'étant rendue jusqu'à l'Arc de Triomphe où un gardien de la paix a été bousculé. Bref, je suis un peu inquiet, et je le dis franchement. Je pense que les responsables de la police en savent plus qu'ils ne veulent en dire sur le DPS. Je suis surtout très inquiet de ce manque de curiosité. Le DPS est secret et peu connu. Il semble se constituer en une sorte de police parallèle arborant un uniforme qui ressemble à celui des CRS, avec une touche de milicien d'il y a quelques décennies.

    Je voudrais donc tout de même savoir ce que vous pensez de cette structure qui travaille parfois dans une illégalité dangereuse. Nous avons par exemple appris que des membres du DPS ont remis à la police des skinheads extrêmement turbulents. Je ne voudrais pas croire que le DPS joue le rôle d'une police supplétive. Ce sont ces questions que nous nous posons dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire pluraliste. Lors des discussions au sein de votre syndicat, avez-vous évoqué ce service d'ordre qui n'est tout de même pas celui du RPR, du PS ou de la CGT ?

M. André-Michel VENTRE : Si le DPS est bien connu en tant que service d'ordre, il l'est moins comme service de renseignement au profit du Front National, qui est un parti politique tout à fait autorisé par la République à l'instant où je vous parle. Ce que nous pouvons savoir ne peut dès lors résulter que d'une pratique normale des lois. Pour être secrétaire général du syndicat des commissaires de police, je n'en suis pas moins un commissaire de sécurité publique, peu familier de la mission de renseignement qui est plus pratiquée par mes collègues des renseignements généraux et de la surveillance du territoire.

    Dans le débat soulevé en 1993-1994 à propos des renseignements généraux, notre syndicat avait défendu l'idée qu'il convenait qu'ils s'intéressent aux partis politiques, dans la mesure où certains évoluent à la marge de la République. L'Etat ne peut pas se priver de la possibilité de connaître ce qui se passe dans ces partis, à la charnière entre deux mondes, l'un ouvert, l'autre fermé. Je regrette que le syndicat des commissaires de police ait été brocardé à l'époque par ceux qui n'ont pas bien compris ces propos. Nous voulions simplement insister sur la nécessité pour l'Etat d'assurer sa propre défense, sa propre sécurité, notamment par un regard sur « le milieu fermé », auquel le DPS me paraît appartenir.

    Pour en revenir à la connaissance que nous, syndicalistes, pourrions avoir, j'ai bien compris le caractère un peu caustique de la question posée ; nous n'en restons pas moins des policiers, toujours tenus de prouver ce qu'ils avancent. Je n'évoquerai pas ce que je ne puis, immédiatement, prouver par des faits objectifs. J'ajoute que ce que je connais du DPS me laisse accroire que les liens qu'il peut entretenir avec la police ou que la police peut entretenir avec lui ne sont pas de même nature que ceux qu'il peut entretenir avec des militaires très spécialisés de l'armée française par exemple. Le DPS compte beaucoup plus d'anciens parachutistes que de policiers. Cela dit, j'ignore combien de policiers entretiennent des liens plus ou moins étroits avec le DPS.

    J'ajoute qu'à ma connaissance fort peu de commissaires de police entretiennent un lien établi avec le Front National et le DPS. Les seules preuves d'une appartenance politique peuvent provenir du dépôt de candidatures à des scrutins locaux et nationaux et, ainsi que vous le savez, le statut du corps des commissaires de police ne permet pas à ses membres de se présenter à une élection d'une façon aussi libre que les autres fonctionnaires.

M. le Rapporteur : Certes, les services de police ne s'intéressent plus aux partis politiques, mais ils continuent de s'intéresser aux formations qui, en marge des partis politiques, recèlent un certain parfum de violence. De même, s'il est vrai qu'un policier ne peut avancer que les informations dont il a la preuve, vous n'êtes pas ici en qualité de commissaire de police, mais en tant que secrétaire général d'un syndicat.

M. André-Michel VENTRE : Vous le savez, le secrétaire général du syndicat des commissaires de police n'est pas un syndicaliste professionnel. Il ne peut se démarquer de sa qualité première de fonctionnaire de police. Telle est la position que je défends. Il ne saurait être question pour moi de pratiquer le syndicalisme en électron libre et d'oublier d'où je viens. Je suis commissaire et je le reste, même dans mes fonctions syndicales.

M. le Rapporteur : Vous êtes comme les prêtres ! Je conçois cette position. Mais notre Commission n'a pas pour objet de savoir si tel ou tel policier, gendarme, parachutiste ou légionnaire est membre du DPS, mais pour déterminer si le DPS, organisation tout de même séparée du Front National, répond aux conditions de la loi de 1936. Nous vous interrogeons comme nous interrogeons les représentants des différents syndicats de la police nationale ou ceux de la magistrature.

M. André-Michel VENTRE : Je l'ai bien compris ainsi. D'où ma réponse un peu ambiguë et peu précise. Au regard de la loi de 1936, je ne peux qu'être imprécis. Nous avons une connaissance du DPS par ses agissements sur la voie publique, dont vous avez rappelé quelques exemples. Là, le policier de sécurité publique fait appel à ses souvenirs. Lorsqu'une manifestation se déroule, la police doit toujours avoir un contact avec ses organisateurs - c'est un devoir. Il est vrai qu'à l'occasion de manifestations organisées par le Front National, le contact avec le DPS a pu avoir lieu à divers niveaux, mais il s'agit de contacts apparents, imposés par l'organisateur lui-même, et l'événement nous commande d'en passer par là ; nous n'avons pas la liberté de choisir notre interlocuteur et devons nous adresser à celui qui se présente devant nous.

    Vous dire le sentiment profond d'un commissaire de police sur la voie publique en train de gérer une manifestation de ce type et qui s'adresse à un membre du DPS, je ne pourrai vous donner que le mien, ce qui n'avancera guère votre Commission.

M. Yves NICOLIN : Vous avez dit que le DPS était un service d'ordre. En cas de manifestation prévue et lorsque les services préfectoraux missionnent des forces de l'ordre sur place, est-il naturel que des contacts s'établissent entre ces forces et le DPS ?

    Savez-vous si certains de vos collègues ont été amenés à informer la hiérarchie préfectorale d'agissements du DPS contraires à la loi ?

    Le DPS a-t-il, à votre connaissance, commis des actes répréhensibles ?

    Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer que le DPS est un service de renseignement ?

M. André-Michel VENTRE : Je ne puis vous livrer ni des faits, ni des dates, ni des noms, mais des rumeurs sont venues jusqu'à moi et circulent dans les instances syndicales que je dirige ; elles évoquent des demandes de renseignements, par personnes interposées, parvenues sur le bureau de commissaires des renseignements généraux ou de sécurité publique. Non motivées légalement, elles n'ont pas été satisfaites. Lorsque les voies hiérarchiques normales - judiciaires, administratives préfectorales ou administratives centrales - transmettent des demandes, elles respectent des procédures ; à défaut, la demande n'est pas satisfaite et il faut dénoncer à l'autorité hiérarchique la demande non motivée. Par contre, comment obtenir du fonctionnaire ou de sa relation qui a transmis la demande le nom de celui pour qui elle agit ? Je n'ai pas été moi-même directement sollicité, je peux donc difficilement vous répondre.

    En ce qui concerne les contacts avec le DPS à l'occasion d'une manifestation, je réponds que, si le DPS apparaît comme étant le service d'ordre de l'organisateur, nous ne pouvons procéder autrement ; c'est notre interlocuteur obligé. En principe, dans une manifestation publique, nous entrons en contact avec l'organisateur, mais s'il nous renvoie sur son service d'ordre, nous sommes contraints de procéder ainsi car nous avons une obligation de résultats.

    Quant à savoir si certains de mes collègues ont été amenés à informer leur hiérarchie d'agissements du DPS contraires à la loi, je dis non. J'ai pu en entendre parler, mais c'est là aussi une question de rumeurs. J'imagine qu'un commissaire de police ayant connaissance d'une illégalité commise par le DPS ou par qui que ce soit en informerait de manière privilégiée le procureur de la République. C'est ainsi que je conçois les choses.

M. le Président : Sur la question des renseignements, et sans donner de cas précis, vous avez parlé de demandes de renseignements adressés à des commissaires hors les procédures prescrites.

M. André-Michel VENTRE : Tout à fait, elles étaient verbales.

M. le Président : Emanaient-elles de supérieurs hiérarchiques ?

M. André-Michel VENTRE : En général, non.

M. le Président : Vous n'avez pas pu estimer les pourcentages relatifs de parachutistes et de policiers dans le DPS, mais vous avez parlé de liens, ce que vos propos sur les renseignements attestent.

M. André-Michel VENTRE : Parlons net et clair. Aux élections professionnelles de 1995, le Front National de la Police a obtenu 7 % des voix. Comment pourrions-nous soutenir la thèse de l'absence de liens entre la police nationale et le Front National ? Ce chiffre à lui seul résume la question. Il faut ajouter que la FPIP, autre syndicat traditionnellement classé à l'extrême-droite, a dépassé 9 % en 1995.

    Cela permettait à beaucoup d'entre nous d'avancer que, si le Front National de la Police avait été légalisé aux élections de 1998, on pouvait craindre une explosion du vote d'extrême-droite dans les rangs de la police nationale. Nous nous sommes finalement réjouis - peut-on parler ainsi ? - que l'interdiction du Front National de la Police ait limité à 10 % le vote d'extrême-droite reporté sur la FPIP en 1998. Encore faut-il préciser que le taux de participation a singulièrement augmenté entre 1995 et 1998. Ainsi, les 10 % obtenus par la FPIP en 1998 correspondent à quelques voix près aux 15 % de l'extrême-droite en 1995. C'est donc un vote qui n'a ni progressé, ni diminué.

M. Jean-Pierre BLAZY : Notre Commission travaille sur le DPS et les soutiens dont il peut bénéficier et non sur le Front National.

    Vous avez indiqué que vous ne connaissiez pas de policiers ayant de liens directs avec le DPS. Même si là n'est pas notre préoccupation principale, pourriez-vous nous donner des noms de fonctionnaires de police ou d'anciens fonctionnaires de police, membres du DPS ?

    La loi du 10  janvier 1936 indique que pourrait être dissous tout groupement présentant une organisation militaire ou revêtant un caractère de groupe de combat ou de milice privée. De par votre expérience, pensez-vous que le DPS s'apparente à ce type d'organisation ?

M. André-Michel VENTRE : (Après une longue hésitation) Répondre par oui ou par non me semble impossible, du fait d'abord de ma méconnaissance trop grande de cette structure. Le fait que le DPS ait recruté majoritairement parmi le personnel militaire me laisse à penser qu'il y règne sans doute une ambiance et des règles militaires ou paramilitaires, mais, conscient du fait que je ne saurais avancer de preuves, je suis très franchement gêné pour vous répondre.

    Je pourrais citer des fonctionnaires de police, membres du Front National, mais pas de membres du DPS. J'ajoute, pour avoir discuté avec des collègues qui travaillent aux renseignements généraux sur les milieux fermés, que cette structure a le sens et le goût du secret. Très sincèrement, je n'ai pas de noms à vous livrer.

M. Robert GAÏA : Nous essayons de nous en tenir aux faits. Vous indiquez que le recrutement du DPS s'opère chez d'anciens militaires. Les noms d'anciens gendarmes responsables régionaux du DPS nous ont été livrés. Vous êtes affirmatif sur les militaires et vague sur les policiers. Dès lors, devons-nous interroger les gendarmes pour qu'ils nous livrent des noms de policiers ?

    Sur des faits précis, des enquêtes de commandement ont été menées. D'autre part, un certain nombre de fonctionnaires de police ont été traduits en conseil de discipline. Le syndicaliste que vous êtes est-il au courant ?

M. André-Michel VENTRE : Mon syndicat ne siège que dans les seules instances disciplinaires qui intéressent les commissaires de police. Depuis que je siège en commission administrative paritaire, c'est-à-dire depuis 1995, aucun commissaire n'a été traduit devant un conseil de discipline pour les faits que vous évoquez. Au surplus, pour les seules sanctions du premier groupe - blâmes et avertissements - qui ne viennent pas en conseil de discipline, le syndicat que je représente en est tenu informé et, là encore, aucun commissaire de police n'a été impliqué depuis 1995.

    Je n'ai pas eu non plus connaissance d'enquêtes de commandement portant sur des commissaires de police pour de tels faits.

M. Robert GAÏA : Donc, il n'y a pas eu d'enquêtes de commandement à Montceau-les-Mines, à Strasbourg, à Bourges, dans l'affaire de la salle Wagram...

M. André-Michel VENTRE : Ne me faites pas dire de ce dont je ne suis pas informé. Les enquêtes de commandement appartiennent à l'administration. J'en suis informé quand celle-ci veut bien me les communiquer. Elles ne sont pas contradictoires et, sincèrement, les commissaires de police n'ont pas les mêmes réflexes que les autres fonctionnaires de la police nationale quand ils sont confrontés à un problème disciplinaire. Ils préfèrent, à bien des égards, un règlement « amiable » avec l'administration, avec un directeur général ou central plutôt que la confrontation directe en conseil de discipline. Il est vrai que, dans ce cas, le syndicat que je dirige n'est pas informé.

M. Robert GAÏA : Et sur l'appartenance de militaires ou de policiers au DPS ?

M. André-Michel VENTRE : Je ne me fais pas d'illusion, mais je ne dispose d'aucun fait précis. Lorsque je parle de personnels pouvant prêter leur concours au DPS, je fais allusion à des retraités et à des actifs.

M. Robert GAÏA : Au sujet des militaires seulement ?

M. André-Michel VENTRE : Je n'accuse pas l'armée, cela pourrait aussi bien être le cas pour des policiers. Mais je ne puis vous apporter la preuve de faits matériels pouvant étayer ce sentiment.

M. le Président : Pouvez-vous attester des activités de renseignement du DPS ? Au sein de la police, des personnes liées au Front National, voire au DPS, utilisent-elles des procédures illégales ?

M. André-Michel VENTRE : Il y a pu avoir des demandes de renseignements non motivées, mais de là à avancer que le lien est établi matériellement entre la demande de renseignement et le DPS, il y a un cheminement sur lequel je ne vous ai pas apporté le moindre détail.

M. le Président : Vous avez tout de même évoqué dès le départ le rôle de renseignement du DPS.

M. André-Michel VENTRE : On peut le supposer. Mais le secrétaire général du syndicat des commissaires de police qui est devant vous ne peut citer précisément les dates, les lieux, les personnes et le nombre de cas de ce type. Ces informations me sont revenues sur le mode de la rumeur et non comme des faits objectifs et précis.

M. Gérard LINDEPERG : Je suis assez surpris. Cela fait bientôt quarante-cinq minutes que nous vous auditionnons et nous n'avons obtenu aucun élément précis. Dans toutes les auditions précédentes, des informations précises sur les équipements ou matériels utilisés et sur des comportements nous ont été livrées.

    Un certain nombre d'événements qui ont défrayé la chronique - Carpentras, salle Wagram à Paris, Strasbourg ou Montceau-les-Mines - ont mis à jour des « connivences » entre la police et le DPS. Dans une organisation telle que la vôtre, j'imagine que des débats collectifs se sont engagés sur ces questions nouvelles et importantes. Je m'étonne que nous n'arrivions pas à obtenir d'éléments précis. Ces faits vous étaient-ils connus, ont-ils donné lieu à une réflexion ?

M. André-Michel VENTRE : Sur les événements de Strasbourg, comment les faits nous sont-ils revenus ? Tout simplement par la presse et les images télévisées de France 3, où l'on voyait un CRS saluer Mme Catherine Mégret avec beaucoup de chaleur, ce qui nous a vraiment révélé la proximité qui pouvait exister entre une compagnie de CRS et le Front National.

    Le syndicat des commissaires de police et des hauts fonctionnaires de la police nationale n'est pas une agence de renseignements. Il a vocation à défendre les intérêts matériels et moraux de ses mandants. Si des commissaires de police étaient impliqués dans de tels incidents, il y aurait eu débat. C'est un propos libre de ma part et devant être compris comme tel. Pour le reste, il faut bien savoir comment fonctionnent la police nationale et les syndicats internes. Suite aux événements de Strasbourg, des enquêtes de commandement ont été menées ; elles ont donné lieu à des sanctions qui se sont révélées, curieusement, peu en rapport avec les faits avérés - ce que je regrette d'ailleurs.

    Les syndicats de police ont une attitude étrange vis-à-vis des problèmes disciplinaires. Notre syndicat n'hésite pas à voter des révocations avec l'administration. Les cas de révocation de commissaires pour des fautes relativement bénignes sont nombreux. Dans d'autres corps, la défense syndicale est plus puissante et permet d'étouffer les affaires et leurs conséquences. Je regrette profondément que, souvent, nous n'allions pas au fond des choses, mais cela n'est jamais de mon fait ni de celui du syndicat des commissaires. Je peux vous fournir la liste des commissaires de police récemment sanctionnés par la commission de discipline et les motifs des sanctions : aucun n'a été sanctionné pour des faits de proximité avec le DPS ou avec qui que ce soit lié avec le DPS. Pour le reste - et je le regrette -, le commissaire n'est pas, contrairement à une légende, le maître de la police ; c'est un haut fonctionnaire entre les mains de l'Etat. C'est à celui-ci qu'il revient de rendre des comptes, notamment sur sa gestion du pouvoir disciplinaire dans d'autres corps de policiers.

M. le Président : Selon vous, les sanctions après Strasbourg étaient insuffisantes ?

M. André-Michel VENTRE : Si un commissaire de police avait été amené à saluer aussi ouvertement que le fit ce CRS un membre du directoire du Front National, il eût encouru une sanction beaucoup plus lourde que celle prononcée. Le représentant syndical qui est devant vous l'aurait très certainement demandée, tout simplement parce que nos statuts prévoient notre neutralité et nous invitent à une extrême prudence dans les manifestations.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu connaissance d'un certain rapport des renseignements généraux sur le DPS ?

    Votre syndicat a-t-il traité du problème du DPS comme pouvant intenter aux intérêts de la police, dont les commissaires sont partie prenante ?

M. André-Michel VENTRE : Les rapports des renseignements généraux sur de tels thèmes sont jalousement gardés et la direction centrale ne transmet pas ces rapports au syndicat des commissaires.

    Effectivement, il y a eu débat au sein de notre syndicat à la suite des événements de Strasbourg. Nous nous attendions, à la vérité, à des sanctions plus fortes que celles qui furent prononcées. Nous avons été fort déçus de constater que la police nationale avait été à ce point négligée, car je crois qu'il y a une image de la police nationale à sauvegarder en tant que service de l'Etat neutre et impartial. Cette image n'a pas été sauvegardée comme nous aurions aimé qu'elle le fût.

M. Robert GAÏA : On parle beaucoup de ce CRS photographié à Strasbourg avec Mme Catherine Mégret ; c'est un problème interne à la police. Mais c'est, en l'occurrence, plus un lien entre le Front National et la police qu'un lien avec le DPS. Il y a plus grave à cette occasion : il s'agit de l'usurpation de fonctions s'accompagnant de contrôles d'identité et de véhicules. Sur ce point, en avez-vous été témoin ? Connaissez-vous des faits similaires ?

M. André-Michel VENTRE : Non, d'une part, je ne suis jamais passé par Strasbourg ; d'autre part, j'ai souvenir que cette usurpation de qualité a trouvé son épilogue devant le tribunal de grande instance de Strasbourg.

M. Robert GAÏA : Je ne mets pas en cause les commissaires ; je vous demande si, dans votre organisation syndicale, ces problèmes ont été posés, ou si vous avez été informés de problèmes similaires ?

M. André-Michel VENTRE : Même si nos statuts nous interdisent d'avoir des débats politiques, ils ne nous interdisent pas de savoir qui est chez nous. Un commissaire qui commettrait de tels agissements serait exclu...

M. Robert GAÏA : Tel n'est toujours pas mon propos. Avez-vous eu connaissance, par vos syndiqués, d'autres faits du même ordre ?

M. André-Michel VENTRE : Sur les nombreuses manifestations gérées par le DPS, des informations sont remontées selon lesquelles les membres du DPS se conduisent souvent ainsi. Cela va plus loin que l'usurpation de qualité ou de fonctions, cela va jusqu'à l'utilisation de méthodes policières dans certains cas. Dans une manifestation que le DPS souhaite véritablement sécuriser, ses membres procèdent à des palpations de sécurité pour savoir si la personne qu'on laisse entrer est porteuse ou non d'objets.

M. le Président : Les commissaires de police entretiennent naturellement des relations avec tous les organisateurs de manifestations. Etes-vous en train de nous dire que le DPS présente une spécificité par rapport aux autres services d'ordre ?

M. André-Michel VENTRE : La majorité des services d'ordre fonctionnent à la limite de la légalité. Quand vous entrez dans une manifestation sportive ou culturelle, vous passez sous des portiques, c'est une pratique tout à fait légale. En revanche, quand des femmes ou des hommes procèdent à des palpations de sécurité à l'entrée d'un stade, on peut toujours se demander dans quel cadre juridique ces personnes agissent.

M. le Président : Les événements de Strasbourg illustreraient, selon vous, des méthodes que l'on retrouve partout où intervient le DPS ?

M. André-Michel VENTRE : Dont on entend souvent parler.

M. le Président : Strasbourg n'est donc pas un fait isolé ; ce sont des méthodes que l'on retrouve donc, mais qui ne font pas forcément l'objet de rapports, si je comprends bien.

M. André-Michel VENTRE : Je n'ai jamais eu entre les mains de tels rapports et, à ma grande honte, je ne me suis jamais préoccupé de savoir si ces rapports existaient, mais j'imagine qu'ils ont été établis. Strasbourg n'est qu'un fait ; il en existe d'autres.

M. le Rapporteur : Dans quel cas les organisateurs d'une manifestation peuvent-ils procéder à des palpations de sécurité ? Dans une propriété privée, dans une manifestation privée ?

M. André-Michel VENTRE : Dans un lieu privé oui, car le maître de maison est chargé de la sécurité du lieu, mais ce pouvoir ne va pas jusqu'à la fouille à corps - assimilée à une perquisition - qui n'est possible que dans le cas du flagrant délit ou sur commission rogatoire. Dans le cadre d'une enquête préliminaire, il faut obtenir l'accord de la personne fouillée. Mais la palpation de sécurité est évoquée dans la réglementation des contrôles d'identité. L'ancien règlement intérieur des gradés et gardiens l'évoque également, car il s'agit d'assurer la sécurité des personnes contrôlées et des fonctionnaires de police.

    Peut-on ou non procéder à la palpation de sécurité à l'entrée d'un lieu public ou semi-public ? A mon sens, ce n'est pas juridiquement fondé.

M. le Président : C'est une pratique habituelle du DPS ?

M. André-Michel VENTRE : En tout cas de beaucoup de services d'ordre chargés de la sécurité dans des lieux donnés, notamment dans des stades.

M. le Président : Vous évoquez des stades. Nous parlons ici des organisations politiques. Dans ce cas, il s'agit d'usurpation de qualité. Des faits vous sont-ils remontés ?

M. André-Michel VENTRE : J'en ai souvent entendu parler. C'est la réponse que je puis faire, qui respectera à la fois le droit et les faits.

M. le Président : Comme sur la question des renseignements tout à l'heure ?

M. André-Michel VENTRE : Le renseignement est une matière beaucoup plus volatile. Faire du renseignement signifie qu'il y a des informations à recueillir. J'en reste à ce que je vous ai déjà dit : il est indispensable que l'Etat puisse se prémunir contre des agissements qui pourraient porter atteinte à sa sécurité. De ce point de vue, il doit commander à ses policiers, notamment des renseignements généraux, d'enquêter sur un milieu fermé tel le DPS.

M. le Président : Monsieur, nous vous remercions.

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Audition de M. Yves BERTRAND,

directeur central des renseignements généraux

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 16 février 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Yves Bertrand est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Yves Bertrand prête serment.

M. Yves BERTRAND : Je sais que vous avez procédé à des auditions, notamment de mon directeur général. Peut-être certains de mes propos ont-ils déjà été portés à votre connaissance.

    J'ai préparé une synthèse pour tenter de vous expliquer le mécanisme du DPS depuis sa création officielle qui remonte au deuxième semestre 1985.

    L'histoire permettant de comprendre ce qui se passe actuellement, je procéderai d'abord à un bref rappel historique.

    Le DPS a été créé en 1983 sous l'appellation « Défense Opérationnelle des Meetings ». M. Roger Holeindre, vieux baroudeur de l'extrême-droite française et du Front National, en a été le premier initiateur. La création de l'organisation a correspondu au début de la montée en puissance du Front National.

    C'est à partir du deuxième semestre de 1985 que le DPS a pris sa nouvelle appellation. Il fallait alors préparer les élections législatives de 1986. Le FN, au fil des différents scrutins et depuis les années 1979-1981, connaissait une progression assez spectaculaire. L'organisation s'est donc appelée « DPS » et son premier responsable fut M. Jean Faure, vieil activiste et ancien membre de l'OAS. M. Jean Faure a exercé ses fonctions de 1985 à 1993. De 1993 à mai 1994, c'est un capitaine de gendarmerie en retraite, M. Jean-Pierre Fabre, qui a pris la tête du DPS et, de 1994 à 1999, M. Bernard Courcelle. Depuis janvier 1999, M. Marc Bellier a succédé à ce dernier, suite à la partition et à la scission intervenues au sein du DPS.

    J'aborderai, dans un deuxième temps, la question des effectifs et de l'organisation du DPS. S'agissant des effectifs, ont été cités les chiffres de 2 000, 3 000 ou 3 500 personnes. Les renseignements généraux pensent que les effectifs actuels se situent autour d'un millier de gardes - c'est le nom des membres - et de cadres.

    Le DPS est organisé sur le modèle d'une administration, selon le principe du double commandement. Au plan départemental, le DPS est placé sous l'autorité d'un secrétaire départemental, secrétaire politique du Front National ; au plan national il est placé sous l'autorité directe du président. Tel était le cas avant la partition, jusqu'au mois de janvier 1999.

    La discipline du DPS est prévue par un règlement intérieur qui date de 1986, complété par des directives de fonctionnement d'avril 1986. J'en citerai une, qui permet de comprendre l'évolution actuelle et est susceptible d'éclairer les questions que vous vous posez, notamment au sujet des dysfonctionnements de cette organisation : « Toute activité de membres ou de sections DPS ne doit en aucun cas contrevenir aux lois sous peine d'exclusion. ». En outre, la présentation d'un extrait du casier judiciaire, prévue par l'article 3 du règlement intérieur, et le principe du double parrainage, prévu à l'article 4, figurent également au nombre des règles de fonctionnement du DPS, mais elles ont connu des dérives. J'évoquerai par exemple deux cas de dysfonctionnements, parmi les plus graves. M. Christian Launay, responsable du DPS de Saône-et-Loire, en fut exclu après avoir arboré un drapeau à croix gammée à Chalon-sur-Saône en 1989 ; on le retrouve néanmoins au sein du DPS quelques années plus tard, ce qui montre que le règlement intérieur et les circulaires d'application ne sont pas toujours respectés. M. Claude Jaffre, responsable du DPS d'Auvergne, fut mêlé aux incidents de Strasbourg le 29 mars 1997, lors desquels il procéda à des contrôles d'identité de militants antifascistes. Malgré ces bavures, il n'a pas été exclu du DPS, ni du Front National.

    J'en viens à un problème de fond. Pourquoi ces dysfonctionnements alors qu'il existe un règlement intérieur et des circulaires ? Deux faits expliquent en partie les dérives.

    En septembre 1993, le patron du DPS, M. Jean-Pierre Fabre, a autorisé, par une instruction écrite, le recrutement d'auxiliaires non-membres du Front National, disposition reprise par M. Bernard Courcelle dans une note du 5 janvier 1996 autorisant à recourir à des auxiliaires. « Auxiliaires », cela signifie, d'une part, des militants de l'extrême-droite ou des personnes dont le passé judiciaire ou la déontologie ne font l'objet d'aucun contrôle et, d'autre part, des personnes appartenant à des sociétés de gardiennage et de sécurité. Ainsi, à côté de membres titulaires, qui font partie du DPS et sont membres du Front National, fut autorisé à deux reprises, par des autorisations écrites, le recrutement d'auxiliaires. Là se trouve une des causes, parmi d'autres, des dérives constatées au cours des années. Le Front National, prenant conscience de ces dérives, a essayé de les pallier en prétendant effectuer un audit interne, notamment à la fête des « Bleu Blanc Rouge » des 19 et 20 septembre 1998. Fut alors consigné sur un cahier, pour preuve de leur bonne foi, l'ensemble des dérives constatées, cela en réaction aux dysfonctionnements que nous recensons, notamment depuis 1992.

    Le problème des auxiliaires conduit à se concentrer sur les professionnels de la sécurité et sur les militants de l'extrême-droite néo-nazie. C'est pourquoi nous avons procédé à un recensement et tenté de réaliser un audit de la structure du DPS au niveau de l'encadrement. Il porte sur 79 cadres du DPS. Vingt-trois proviennent officiellement des professions de sécurité. Il s'agit de personnes issues, soit de la fonction publique
    - militaires, gendarmes, policiers - soit de sociétés de gardiennage ou de surveillance. Sur ces vingt-trois personnes, l'on compte dix militaires, dont un officier supérieur de gendarmerie à la retraite, le lieutenant-colonel Gérard Hirel, l'un des responsables qui a rallié M. Bruno Mégret, trois officiers et six sous-officiers en retraite. Ont été également recensés quatre policiers, dont trois ont été révoqués ; l'un reste en activité, en tant que gardien de la paix au commissariat de police de Clermont-Ferrand. S'ajoutent neuf agents de sécurité appartenant à des sociétés de gardiennage et de surveillance. Voilà pour l'audit que nous avons réalisé.

    J'en viens maintenant à l'apparence du DPS et au problème de la tenue de ses membres qui s'est posé notamment à Montceau-les-Mines, en Saône-et-Loire.

    Il existe deux tenues : la première, la tenue d'honneur, est la tenue habituelle et se compose d'un pantalon et d'un blazer avec des écussons. La seconde est la tenue d'intervention (la TUMI), tenue arborée lors des incidents en Saône-et-Loire, où on avait l'impression de voir des CRS. C'est pratiquement une tenue de policier.

    Les incidents de Montceau-les-Mines du 25 octobre 1996 ont été provoqués par ce groupe qui protégeait une conférence de M. Bruno Gollnisch. A l'époque, M. Gérard Le Vert dirigeait le service d'ordre du DPS ; il est aujourd'hui responsable du DPA (Département Protection Assistance) de M. Bruno Mégret. Le service que je dirige s'est rendu compte, après analyse, qu'il y avait, dans ce groupe, énormément de supplétifs, soit des personnes issues de sociétés de gardiennage, soit des militants de groupes néo-nazis. Il était d'ailleurs frappant de constater, lors de ces incidents, la violence de la réaction de ces personnes face aux militants anti-fascistes.

    Je voudrais maintenant revenir sur le problème des supplétifs, notamment à travers la question des liens entre le DPS et la mouvance mercenaire, où l'on retrouve des personnes qui gravitent dans les milieux des sociétés de sécurité, de gardiennage et de surveillance. Je reviendrai d'ailleurs sur les sociétés en question, me contentant, pour l'instant, de vous citer l'OST, la société Ambassy ou encore la société Acting out international qui vient de changer de nom. On y trouve des anciens mercenaires, tels que M. Serge Leleu, M. Pierre Olioni, M. Jean-Claude Sanchez, M. Bernard Courcelle, que l'on observe depuis plusieurs années sur les différents théâtres de recrutement de mercenaires pour le Zaïre, la Tchétchénie, etc.. Bien que n'appartenant pas eux-mêmes au DPS, les supplétifs sont intervenus au cours des événements que j'ai évoqués et lors des incidents qui surviennent parallèlement.

    S'agissant ensuite de la mouvance néo-nazie que l'on trouve parmi les supplétifs, je citerai, pour mémoire, M. Camdessousens, gardien de la paix qui dirigeait des mouvements néo-nazis alsaciens, tels que le Cercle national socialiste, devenu le HVE (Heimattreue Vereinigung Elsass), et dissous en 1993. Je citerai encore M. Robert Ottaviani, rédacteur en chef du journal du DPS, Le Lien, qui appartient à la mouvance skinhead, et M. Régis Kerhuel, aujourd'hui en prison pour le meurtre d'un Mauricien. Il faut enfin citer M. Gérard Le Vert, qui vient de prendre la tête du DPA de M. Bruno Mégret. Militant de l'extrême-droite la plus radicale, M. Gérard Le Vert est un personnage intéressant. Des épisodes de sa vie politique méritent d'être cités : il se rend en Bavière, chez un ancien SS, dans les années 1990 ; il assiste en 1994 à la messe du Grand-Bornand, messe commémorative des miliciens fusillés en Haute-Savoie, et à des cérémonies en Autriche en mémoire des soldats allemands et autrichiens tués entre 1940 et 1945 ; il participe au pèlerinage sur le site archéologique du Mont Beuvray, en Saône-et-Loire, où on le voit avec une quarantaine de personnes ; il assiste encore à des célébrations de solstices d'été dans sa propriété de Saône-et-Loire.

    J'évoquerai ensuite le problème du rapport aux armes des membres du DPS. C'est ainsi que je qualifierai en effet le goût prononcé de la mouvance DPS à l'égard de la possession d'armes, dans certains cas autorisée, que je distinguerai du port d'armes, qui est interdit. Il existe une véritable attirance des membres du DPS pour les clubs de tir, les sociétés de tir et pour des armes de sixième catégorie ou des armes par destination. Des sociétés amies, assez liées au Front National, lui fournissent des armes. Des dérives ont pu se produire dans cette relation avec les armes, ce qui est un vrai problème, encore que le DPS devienne de plus en plus prudent. Il est clair, en effet, si l'on observe la relation statistique des incidents, que les constatations de flagrant délit en la matière diminuent au fil des ans. Il n'en reste pas moins que le rapport aux armes est une donnée qui mérite d'être soulignée.

    J'en viens maintenant à la situation actuelle. La partition intervenue au sein du Front National aboutit à l'existence de deux services de sécurité : le premier, qui conserve son appellation de « DPS », est attaché à M. Jean-Marie Le Pen et dirigé par M. Marc Bellier, assisté de M. Jean-Marie Lebraud ; le deuxième, le DPA, attaché à M. Bruno Mégret, est dirigé par M. Gérard Le Vert. Si l'on fait une analyse quelque peu politique, on voit que cette partition présente une connotation idéologique. Ainsi, avant même la partition, les services que je dirige avaient constaté que M. Bruno Mégret s'était déjà constitué son petit service d'ordre autour de lui, à Vitrolles, qui présentait les caractéristiques de ce qui est aujourd'hui le DPA, formé d'un noyau composé des groupes les plus néo-nazis du DPS.

    Sans vouloir être trop schématique, je résumerai ainsi la situation actuelle, que l'on observe d'ailleurs tout autant s'agissant des deux Fronts nationaux. Le Front National de M. Jean-Marie Le Pen est formé de la vieille extrême-droite, issue de l'OAS et des anciens monarchistes alors que le Front National de M. Bruno Mégret est une extrême-droite très idéologique, qui regroupe « les intellectuels » de l'extrême-droite, anciens de la nouvelle droite, du club de l'Horloge - bien que M. Yvan Blot soit revenu chez M. Jean-Marie Le Pen -, anciens du GRECE (Groupe de Recherches et d'Etudes sur la Culture Européenne), autant de personnes qui puisent leurs références idéologiques chez des philosophes ou des politiciens tenants de théories élitistes et racistes. On assiste ainsi à une coupure de générations, que l'on retrouve au niveau du service d'ordre : le service d'ordre de M. Bruno Mégret, le DPA, a récupéré toute la jeune génération, issue du GUD (Groupe Union Défense), des mouvements d'extrême-droite et même du FNJ (Front National de la Jeunesse), M. Jean-Marie Le Pen ayant gardé les plus vieux et les plus anciens. C'est un peu schématique, mais je crois que cela correspond à la réalité. La partition s'appuie ainsi sur les différentes strates qui ont composé le Front National au fil des ans : le Front National, parti de la vieille extrême-droite, a en effet récupéré toutes les strates de l'extrême-droite, y compris les dernières générations des « Horlogers », du GRECE, et les partisans des théories de Julius Evola. Aujourd'hui, ces derniers se retrouvent autour de M. Bruno Mégret.

    Quelles conclusions - provisoires bien sûr - peut-on tirer ?

    Nous allons assister au mois de juin à une bataille politique pour les élections européennes. Seront en présence une liste conduite par M. Jean-Marie Le Pen et une liste menée par M. Bruno Mégret. M. Jean-Marie Le Pen continue d'exercer son charisme auprès des militants de base, qui, s'ils ont eu du mal à choisir entre M. Bruno Mégret et M. Jean-Marie Le Pen, restent, dans leur ensemble, plutôt favorables à M. Jean-Marie Le Pen. Tout au contraire, une partie de l'encadrement - les plus jeunes et les plus motivés - a rejoint M. Bruno Mégret.

    La bataille politique à laquelle nous allons assister risque d'avoir des conséquences. Crédité par les sondages de 6 à 7 % des voix, M. Jean-Marie Le Pen par son charisme, est susceptible de faire un meilleur score que M. Bruno Mégret, qui, toujours d'après les sondages, n'arrive même pas à atteindre 5 % des voix. Néanmoins, même s'il n'atteint pas 5 %, M. Bruno Mégret représente un danger supérieur à celui qui s'attache à M. Jean-Marie Le Pen. En effet, celui-ci a soixante et onze ans et dirige un Front National destiné à disparaître à terme, même s'il garde un certain prestige auprès des électeurs et réalisera un meilleur score aux européennes. Mais l'armature, le bastion idéologique et l'encadrement sont passés du côté de M. Bruno Mégret. A terme, le danger se situe donc plutôt du côté des mégrétistes. J'en veux pour preuve « la qualité » des gens qui l'ont suivi ; il ne s'agit pas des vieilles lunes de l'extrême-droite lepéniste, anciens de tous les combats, de l'OAS et de ce qui a suivi après.

    Telle est ma conclusion. N'y voyez nulle certitude. C'est une analyse fondée sur la partition du Front National et sur celle qui a suivi des deux services d'ordres, les personnes qui ont suivi M. Bruno Mégret étant liées idéologiquement à celles qui l'ont suivi au service d'ordre.

M. le Président : Je vous remercie de nous avoir donné des éléments assez précis, tant historiques que relatifs au fonctionnement du DPS.

    Je me dois de vous poser une question : qu'est devenu ce qui est un peu un serpent de mer au sein de notre Commission, à savoir  un rapport des renseignements généraux, notamment après l'affaire de Montceau-les-Mines ? Ce rapport existe-t-il et, s'il existe, peut-on en avoir connaissance ?

M. Yves BERTRAND : Il existe, non un rapport, mais plusieurs rapports. L'activité du DPS fait l'objet d'un suivi constant depuis plusieurs années. Il est légitimé par les textes, notamment par la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995 et par un décret et une circulaire de 1995, qui me donnent toutes attributions pour suivre l'activité de tout ce qui ressemble à des milices, ce que nous appelons des « groupes à risques ». Cela signifie que si nous ne suivons pas le Front National, qui est un parti politique, nous suivons le DPS.

M. le Président : Une surveillance particulière s'attache donc aux activités... ?

M. Yves BERTRAND : ... de tout ce qui ressemble à des milices.

    Nous suivons également l'activité de sociétés de protection et de gardiennage et de tout ce qui peut porter atteinte à l'ordre public et à la sécurité intérieure de l'Etat. Nous suivons donc le DPS en cette qualité, et pas seulement lui.

    Depuis 1992, et même avant, nous avons élaboré plusieurs notes sur le DPS. Vous évoquez un rapport ; il existe en effet un rapport, qui fait l'objet de réactualisations. J'ai la chance d'avoir en face de moi l'ancien directeur général de la police nationale : à l'époque déjà, nous rédigions des notes sur le service d'ordre du Front National. Je pourrais vous en fournir plusieurs, l'essentiel étant toutefois qu'elles soient à jour. C'est pourquoi j'ai procédé à une réactualisation la semaine dernière à l'invitation de mon directeur général. Je suis prêt à vous la livrer. Vous disposerez d'une information à jour, qui ne remonte pas aux incidents, qui datent, de Montceau-les-Mines.

M. Robert GAÏA : Qui nous intéressent.

M. Yves BERTRAND : Je rechercherai dans mes archives ce qui a été écrit à l'époque sur ces incidents et vous le fournirai.

M. le Président : D'après ce que nous avons entendu, le rapport demandé après les incidents de Montceau-les-Mines l'aurait été de manière précisément à apporter une réponse à la question qui nous préoccupe, puisque nous sommes confrontés au problème de savoir si le DPS tombe sous le coup de la loi pour des activités illégales. A ce titre, j'aimerais d'ailleurs connaître votre sentiment, puisque vous avez décrit l'activité du DPS. Je vous remercie donc de nous fournir un rapport actualisé. Mais un rapport a-t-il été élaboré dans la finalité de répondre à la question posée à l'instant ?

M. Yves BERTRAND : Sur les incidents de Montceau-les-Mines, je vous fournirai la note écrite à l'époque à ce sujet par les renseignements généraux. Je vous fournirai également le rapport actualisé, qui a été effectué à la suite de l'audition et à la demande de M. Didier Cultiaux. Il tient compte de la partition actuelle du DPS. C'est en quelque sorte le résumé de ce rapport, qui est beaucoup plus complet, que je vous ai fait aujourd'hui. Il comprend une liste - la plus exhaustive possible - des incidents depuis 1992. Je suis prêt à vous la fournir aussi. Il met également en lumière les liens avec les sociétés de sécurité. A ce sujet, il convient d'être prudent car ce que j'ai lu dans la presse est parfois sans fondement. J'ai distingué trois types de sociétés : celles quoi ont des liens structurels avec le Front National, c'est-à-dire les sociétés de sécurité dont on peut considérer qu'elles sont quasiment des filiales du Front National, celles qui entretiennent des relations privilégiées avec le Front National et celles qui ont des contacts avec ce parti. Je pourrai également vous fournir ces informations.

    Au titre des liens structurels, nous avons recherché les entreprises considérées comme des filiales du Front National et n'avons dénombré que trois ou quatre sociétés. Nous avons trouvé le groupe Onze France, dont le gérant était M. Nicolas Courcelle, le frère de Bernard ; le groupe Normandy et le groupe SPGM, que les renseignements généraux considèrent comme liés structurellement.

    Viennent ensuite des sociétés qui entretiennent des relations privilégiées avec le Front National et sont noyautées par l'extrême-droite. Je citerai l'OGS, Ambassy, Action Organisation Intervention... Au total, nous avons recensé entre dix et quinze sociétés ayant, soit des relations structurelles, soit des liens privilégiés avec le Front National.

    Sur les incidents, nous avons procédé par année en nous attachant à la relation la plus exhaustive possible des incidents recensés mais en ne retenant que ceux qui avaient une certaine consistance. Il en est survenu huit en 1992, six en 1993, un en 1994, deux en 1995, cinq en 1996, six en 1997 et deux en 1998. Pour cette dernière année, nous constatons les précautions prises par le DPS au fil des mois, afin d'éviter les incidents. Tout cela fait l'objet d'une relation, la plus exhaustive possible que je vous fournirai.

    Vous avez évoqué une éventuelle dissolution judiciaire ou administrative. Je pense que vous avez entendu sur la question le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'Intérieur. Je puis vous dire deux choses : en tant que service des renseignements généraux, nous communiquons des informations, non seulement sur le DPS, mais également sur l'ensemble des groupes à risques. Je pense notamment aux islamistes intégristes. Le DPS n'est pas le seul groupe confronté à une menace de dissolution. Je communique donc systématiquement les renseignements à la DLPAJ (Direction des Libertés Publiques et des Affaires Juridiques), laquelle apprécie s'il y a matière à dissolution. Jusqu'à maintenant, il me semble qu'elle n'a pas trouvé suffisamment d'éléments - elle retient une position très juridique, comme il est normal - pour aboutir à une décision de dissolution. Quoi qu'il en soit, nous communiquons les informations dont nous disposons, non seulement sur le DPS, mais également sur l'ensemble des groupes à risques extrémistes, quels qu'ils soient, aussi bien d'extrême-droite que d'extrême-gauche, ou fondamentalistes islamiques ou encore le PKK. Une relation systématique est faite à la DLPAJ, mais la décision ou l'appréciation juridique ne m'appartiennent pas.

M. le Rapporteur : Monsieur le directeur, nous avons achoppé sur la question du rapport sur le DPS, tous vos prédécesseurs ayant jusqu'à présent indiqué qu'il n'y avait jamais eu de rapport, ce qui nous avait quelque peu surpris. J'avais le sentiment qu'il n'y avait pas un seul rapport, doré sur tranche, mais plusieurs. Pourquoi donc cette attitude des précédents témoins auditionnés ? Y a-t-il eu commande d'un rapport par l'ancien ministre de l'Intérieur qui, dans un premier temps, semble avoir dit « oui », dans un second « peut-être », dans un troisième « non » ? Par conséquent, depuis un mois environ, nous avions l'impression fausse, que vous avez levée en grande partie, que l'on ne voulait pas nous dire grand-chose. Pourquoi, selon vous, cette fumée dispersée devant nous jusqu'il y a quarante minutes et que la personne auditionnée avant vous a amplifiée au point que la fumée a formé un nuage ?

M. Yves BERTRAND : Vous avez entendu M. Philippe Massoni, préfet de police de Paris, et M. Didier Cultiaux, directeur général de la police nationale.

M. le Rapporteur : Je parlais de M. André-Michel Ventre.

M. Yves BERTRAND : Il ne connaît rien au DPS. Il est secrétaire général de syndicat. Il est normal qu'il n'ait pas eu connaissance du rapport.

    M. Philippe Massoni, en tant que préfet de police, n'a pas à en avoir connaissance, puisqu'il s'agit de travaux effectués par l'administration centrale, de notes rédigées par la DCRG.

    Depuis 1992, et même avant, nous avons procédé au suivi constant du service d'ordre du Front National comme d'autres, suivi réactualisé en permanence. Mes services viennent de rédiger une note sur le DPA et sur la façon dont nous prévoyons son évolution. Il n'y a ni mystère ni secret : nous suivons le DPS, je continuerai de le suivre et je suivrai le DPA comme tous les groupes à risques qui ressemblent de près ou de loin à des milices et qui peuvent porter atteinte aux institutions de la République. Nous assurons donc un suivi constant du DPS et de ses dérives. C'est notre rôle et notre honneur. Je vous communiquerai dans les jours qui viennent la synthèse réactualisée, la liste des incidents, les liens avec les sociétés de gardiennage et de surveillance que nous avons observés, c'est-à-dire un travail réactualisé et le plus complet possible. Il reprendra tout ce qui a été fait depuis 1992, date à laquelle j'ai pris la tête de ce service. Il existait, je crois, un suivi antérieur, moins marqué toutefois. Il n'y a pas de mystère. Mais il est normal que M. André-Michel Ventre ne connaisse absolument rien aux affaires du DPS et qu'il n'ait rien eu à dire ; il est secrétaire général d'un syndicat. Quant à M. Philippe Massoni, en tant que préfet de police, il n'a à en connaître que sur les affaires de Paris. Les seuls à être au courant sont le directeur général de la police nationale et moi-même, en tant que directeur central des renseignements généraux. Je m'engage donc à vous communiquer toutes les informations importantes et nécessaires à votre Commission.

M. Robert GAÏA : Monsieur le directeur, merci de lever une angoisse qui devenait récurrente ! Nous entendions parler de ce rapport, que seuls les journalistes avaient vu, alors qu'aucun des fonctionnaires de police n'en avait entendu parler.

    Vous avez indiqué que vous alliez nous faire parvenir une synthèse réactualisée. Serait-il possible de nous fournir les rapports d'étape, pour apprécier l'évolution de la pensée des renseignements généraux ?

    Dans les communes gérées par le Front National, disposez-vous d'un rapport sur les liens entre le DPS et la police municipale, éventuellement la police nationale ? Un travail a-t-il été effectué sur le sujet par les renseignements généraux ?

M. Yves BERTRAND : Non, je n'ai pas procédé à des travaux spécifiques sur les rapports entre le DPS et la police municipale des communes d'Orange, de Vitrolles, de Toulon, et de Marignane. Cela n'a pas été fait de façon précise.

M. Robert GAÏA : Vous ne disposez d'aucune note ?

M. Yves BERTRAND : A ma connaissance, non, mais, puisque vous me posez la question, je regarderai.

M. Robert GAÏA : Ce serait étonnant, la presse ayant beaucoup publié.

M. Yves BERTRAND : A Vitrolles, un petit DPS s'est constitué...

M. Robert GAÏA : A Toulon, le DPS est géré par un commissaire de police et un ancien major en retraite...

    J'en viens à ma seconde question. Vous avez évoqué le problème des mercenaires. Les personnes que nous avons auditionnées avant vous nous ont dit que vous pouviez nous apporter quelques lumières sur le rapport entre la Tchétchénie et le DPS d'une part, et sur l'ex-Yougoslavie et le DPS, d'autre part.

M. Yves BERTRAND : Il existe en fait trois affaires : l'une au Zaïre, où M. Bernard Courcelle se serait livré à un recrutement de mercenaires ; la deuxième en Tchétchénie pour des activités similaires, la troisième en Tchétchénie encore, où il est accusé d'escroquerie dans une affaire de vente d'armes. Certes, nous disposons d'éléments, mais la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) en sait beaucoup plus que les renseignements généraux, car il s'agit de domaines relevant plus spécifiquement de leur compétence, qui font apparaître des affaires de « barbouzerie ». J'ai eu connaissance d'éléments, en tant que directeur des renseignements généraux, mais je ne pourrai pas vous en faire une relation exhaustive, dans la mesure où ils débordent largement le cadre de mes attributions. Je note cependant vos demandes de renseignement.

M. le Président : De qui cela relève-t-il ?

M. Yves BERTRAND : Ces affaires de recrutement de mercenaires et de ventes d'armes revêtent un aspect DGSE qui m'échappe pour l'essentiel. Nous disposons parfois d'informations ; nous les livrons, mais je ne suis pas compétent sur l'ensemble du sujet. D'autres en savent plus que moi.

M. Robert GAÏA : Cela dit, peut-être êtes-vous compétent au sujet de l'affaire du restaurant Pétrossian.

M. Yves BERTRAND : Je ne suis pas au courant ; rappelez-moi les faits.

M. Robert GAÏA : Un hold-up a eu lieu dans un restaurant qui ne reçoit que des cartes bleues avec les Russes et les Pays de l'Est.

M. Yves BERTRAND : Je regarderai.

M. le Rapporteur : Viendrait s'ajouter le rachat de certains actifs de Pétrossian par des Italo-américains liés à la mafia.

M. Yves BERTRAND : En l'occurrence sont concernés l'Office central de répression de la grande délinquance financière et tous les organismes de lutte contre la mafia. Je ne suis qu'un petit élément, mais je consulterai les informations dont je dispose. Nous traitons de la mafia des pays de l'Est, mais la DST (Direction de la Surveillance du Territoire) et la DCPJ (Direction Centrale de la Police Judiciaire) en traitent la plus grande part.

M. Jean-Pierre BLAZY : Monsieur le directeur, vous avez parlé du rapport aux armes des membres du DPS, puis des sociétés de tir. De même que vous avez des renseignements sur les sociétés de gardiennage, en disposez-vous sur ces sociétés de tir, qui entretiennent des liens assez étroits avec le DPS. Pourriez-vous dresser un inventaire de ces sociétés ?

    Parmi les noms que vous avez cités, vous avez évoqué M. Jean-Claude Sanchez. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur le personnage ?

    Selon vous, le DPS, de par son fonctionnement, peut-il s'apparenter à une milice privée, à un groupe de combat ? A-t-il une organisation militaire ?

M. Yves BERTRAND : M. Jean-Claude Sanchez était, me semble-t-il, le responsable DPS de Haute-Savoie, impliqué dans une histoire de recrutement de mercenaires au Zaïre, je crois. C'est à ce titre que je l'ai cité.

M. Jean-Pierre BLAZY : Et actuellement ?

M. Yves BERTRAND : Il n'y est plus, je crois, mais je pourrai vous le dire.

    Au sujet des sociétés de tir, il convient de faire preuve d'une certaine prudence. J'ai parlé de certaines sociétés de gardiennage et de surveillance, en distinguant celles liées structurellement au Front National, celles qui entretiennent des liens et celles qui avaient quelques liens. En revanche, je ne pense pas qu'il faille appliquer ce raisonnement aux sociétés de tir, car nous enquêterions sur des personnes qui n'ont rien à voir avec l'extrême-droite. Le rapport aux armes s'opère parce que les membres du DPS se rendent dans ces sociétés de tir. Je suppose qu'ils peuvent même se rendre dans la société de tir où s'entraîne la police nationale ; il suffit pour cela de payer une cotisation. Mais je ne pense pas que les sociétés de tir soient directement impliquées au même titre que les sociétés de surveillance et de gardiennage dans la mouvance d'extrême-droite. Il faut être prudent. Nous nous sommes intéressés à ces sociétés, non pas seulement au sujet du DPS, mais surtout à cause des jeunes intégristes islamistes qui avaient également un rapport aux armes et qui allaient s'entraîner au tir dans le même esprit. Mais les sociétés elles-mêmes ne peuvent être soupçonnées au travers de leurs dirigeants - je ne le crois pas. Cela dit, parmi les personnes qui vont s'entraîner et qui adhèrent, certaines font partie du DPS. Il peut y avoir aussi des islamistes fondamentalistes. Le rapport aux armes se trouve là, mais la société elle-même n'est pas en cause. Pour l'heure, je n'ai donc pas procédé à des enquêtes sur l'ensemble des sociétés de tir, parce que je ne crois pas qu'elles soient impliquées directement avec l'extrême-droite ou d'autres groupes à risques.

    Pour ce qui est de l'organisation du DPS, si nous la suivons depuis 1992 avec autant d'attention, c'est précisément pour essayer de déceler tout ce qui pourrait avoir quelque ressemblance avec une milice. Je parle de milice aux sens propre et figuré, y compris la milice des années 1940. L'uniforme porté par les hommes du DPS à Montceau-les-Mines souligne cette ressemblance. Ressemblance encore sur le plan sémantique : le DPS est organisé en sections, en dizaines et en gardes, les gardes étant ceux qui appartiennent au DPS, autrement dit les hommes de base ; de telles appellations existaient dans la milice des années 1940.

    Pour répondre à votre question sur le plan juridique, je ne puis vous dire que l'on pourrait utiliser le dispositif législatif ou réglementaire, car seul le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques est habilité à le faire. Ma réponse n'est pas un moyen de me « défiler ». Je suis dans la même situation pour l'ensemble des groupements ou associations à risque qui portent atteinte aux institutions, notamment les mouvements extrémistes et les mouvements extrémistes islamistes. Nous livrons les renseignements dont nous disposons à la DLPAJ qui les étudie afin de déterminer si les groupes en question répondent aux critères d'une dissolution. Nous les aidons au maximum. Jusqu'ici, la DLPAJ n'est pas parvenue à une conclusion visant à la dissolution. Vous avez auditionné M. Jean-Marie Delarue. Ses réponses sont toujours prudentes. Les éléments ne sont pas apparus jusqu'ici totalement décisifs. Ma mission consiste à fournir des éléments d'information. Il appartient ensuite à la DLPAJ d'apprécier sur le plan juridique et de prendre une décision.

M. le Président : Il existe d'autres services d'ordre de partis. Les suivez-vous comme des groupes à risques ?

M. Yves BERTRAND : Si vous me disiez que l'UDF porte atteinte aux institutions républicaines, cela ferait rire tout le monde! Hormis le Front National, plus aucun parti en France ne défile dans une tenue proche de celle des policiers. Mais si, demain, un parti politique, fût-il démocratique, voulait se doter d'un service d'ordre du même type, nulle raison qu'on ne le suive pas !

M. Arthur PAECHT : Nous protestons avec la plus grande véhémence ! (Rires. )

M. le Président : Le DPS se présente comme un service d'ordre. Une décision a bien été prise de le suivre en tant que groupe à risque. Quelqu'un a fait la distinction entre les services d'ordre de parti et le service d'ordre du Front National ?

M. Yves BERTRAND : La distinction se fait d'elle-même. Aujourd'hui, aucun syndicat ni aucun parti ne ressemble de près ou de loin à un groupe à risque. Nul besoin de demander le conseil de la DLPAJ. J'ai recensé plus de trente incidents. Pas un seul parti ne nous a fourni les mêmes éléments. Mais si, demain, un parti politique se dotait d'un service d'ordre et commençait à provoquer ce type d'incidents, nous enquêterions immédiatement, de notre propre chef puisque cela entrerait dans le cadre de notre mission, c'est-à-dire surveiller tout groupe qui risque de porter atteinte à la forme républicaine et aux institutions. Tel est le critère. Il ne s'agit pas d'une persécution à l'égard de tel ou tel courant politique. Par exemple, lorsque des hooligans ou des skinheads parviennent à prendre la forme d'une organisation, nous procédons de même : nous les suivons et nous essayons de les détecter. C'est une forme de prévention.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Monsieur le directeur, disposez-vous de renseignements sur la manière dont ils sont entraînés ? Qualifiez-vous ceux qui forment le noyau dur de « gros bras » ou reçoivent-ils des instructions et ont-ils une idéologie? Est-ce l'un des lieux où s'élabore l'idéologie du Front National ?

    D'autre part, comme je l'avais demandé au directeur général de la police nationale, il serait intéressant pour nous de disposer d'un tableau faisant apparaître les faits constatés, accompagnés de la nature du constat tiré, et les faits ayant donné lieu à une procédure judiciaire, ce qui, du reste, nous confrontera à un problème de compétences et nourrira les questions à poser au ministère de la Justice. Soit on butera sur l'instruction en cours ; soit, en l'absence d'instruction en cours, il sera intéressant de disposer du constat de la qualification des faits, élément le plus important.

M. Yves BERTRAND : Vous soulevez trois sujets : l'entraînement, l'idéologie et les suites judiciaires.

    Pour ce qui concerne l'entraînement, le DPS est très hiérarchisé, très organisé : en direction centrale depuis 1993 - auparavant, le terme consacré était celui de direction nationale - en directions zonales, régionales et départementales. On se croirait dans l'administration ! Les directions régionales dépendent de la zone et les directions départementales sont rattachées au secrétaire fédéral et au directeur central, qui dépend, quant à lui, directement du Président du Front National. A l'échelon inférieur, on trouve les groupes, les dizaines et les gardes de base. Lorsque nécessaire, il est fait appel aux supplétifs.

    L'entraînement est le fait des membres du DPS eux-mêmes, qu'il s'agisse des anciens militaires, anciens de l'OAS, activistes de toutes les guerres ou de ceux qui ont un rapport aux armes. L'entraînement découle des séances de tir qui se déroulent dans un cadre normal. Il n'existe pas de sociétés de tir dépendant directement du Front National ; cela reste certes à étudier, mais je n'y crois pas. Les membres du DPS adhèrent à une société de tir et s'entraînent en permanence. Ils font très attention à ne pas se faire prendre pour port d'armes, même s'ils en détiennent. Nous avons constaté à plusieurs reprises, notamment à Strasbourg, à Montceau-les-Mines - je noterai la série d'incidents - la détention d'armes de sixième catégorie et d'armes par destination, que l'on trouve en permanence. L'affaire de Montceau-les-Mines était à ce titre très significative, de même que l'incident de Strasbourg où des grenades lacrymogènes, des pistolets G27 et G54 étaient en possession de membres du DPS. Ce sont des personnes qui éprouvent un attrait certain pour les armes, ce que j'ai appelé un rapport aux armes. J'ai employé ce terme et je le maintiens. Le fait que le DPS compte beaucoup d'anciens militaires, des professionnels de la sécurité joue : dans l'étude évoquée qui porte sur 79 personnes, on en trouve 29. Reporté à une population de mille, imaginez le nombre de personnes concernées !

    L'entraînement découle donc de l'organisation et de la hiérarchie d'une part, du rapport aux armes d'autre part. Ces personnes manient davantage les armes que le stylo bille ! Elles choisissent de servir au DPS. Elles s'entraînent, entretiennent leur forme physique. Les membres des unités mobiles d'intervention, les UMI créées en leur sein, subissent même un entraînement bien plus poussé que les simples gardes.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Des manuels d'instruction ont-ils été saisis par vos services ?

M. Yves BERTRAND : Non.

M. Robert GAÏA : Les UMI subissent-elles un entraînement collectif ?

M. Yves BERTRAND : Je crois que les UMI ont organisé un entraînement collectif et qu'il s'agit de groupes pointus sur ce plan.

M. Robert GAÏA : Avez-vous des exemples de lieux d'entraînement ?

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Au Château de Neuvy-sur-Barangeon ?

M. Yves BERTRAND : Oui, en effet, il existe des châteaux où, de temps en temps, sont organisés des stages de remise à niveau. Il en existe deux ou trois.

    Pour ce qui est du troisième point, l'idéologie, j'ai montré, dans mon propos liminaire, l'étroite relation politique entre le DPS et le Front National que l'on retrouve dans le cadre de la partition, comme le montre le lien entre les deux branches du DPS et les deux camps actuellement en présence : d'une part, le DPS de M. Jean-Marie Le Pen qui incarne une vieille extrême-droite sur le déclin ; même si elle fait 7 ou 8 % aux élections, c'est le passé. D'autre part, un DPA plus cimenté idéologiquement, à l'armature beaucoup plus forte et qui, selon moi, se situe beaucoup plus à l'extrême-droite.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Je suis d'accord avec cette typologie, mais il s'agit là des forces politiques. En ce qui concerne les « gros bras », quel est leur rapport avec l'idéologie ? Sont-ils très idéologisés ? Que le GRECE, les amis de M. Bruno Mégret soient dans cet état d'esprit est une chose, mais ce n'est pas le DPS.

M. Yves BERTRAND : Si, parce qu'on retrouve la partition au sein du DPS. Toute cette extrême-droite « culturelle » est issue d'un courant politique né après les années 70 : c'était le GRECE, ce fut ensuite le Club de l'Horloge et tout un courant solsticien païen. Cette ligne de fracture scinde le DPS : les tenants de ces courants sont partis chez M. Bruno Mégret, tandis que les autres sont restés chez M. Jean-Marie Le Pen. Ce dernier a plutôt gardé à ses côtés les catholiques traditionalistes, les personnes issues de la mouvance monarchiste et également les anciens de l'OAS, comme M. Jean-Jacques Susini. Les autres, la jeune génération, ont rejoint M. Bruno Mégret. Je présente la scission un peu schématiquement, mais je crois que c'est le reflet de la réalité. La fracture du Front National se retrouve au niveau des services d'ordre.

    Le « gros bras », le garde de base, lui, ne sait rien de tout cela. Il reste fidèle à M. Jean-Marie Le Pen et ce qui se passe l'ennuie quelque peu. Il a vu que des cadres sont partis chez M. Bruno Mégret ; il ne prend pas position, d'autant qu'il ne sait rien du courant de l'extrême-droite païenne, solsticienne et anti-chrétienne, affaire des cadres qui ont rejoint M. Bruno Mégret. Car l'encadrement s'est séparé en fonction du critère que je viens de vous dire. On s'est rendu compte, à l'occasion de la partition du Front National et du DPS, que M. Bruno Mégret avait réussi un travail d'entrisme au sein du Front National, qu'il avait conquis l'appareil, sans que M. Jean-Marie Le Pen s'en aperçoive. Lorsque M. Jean-Marie Le Pen a désigné M. Bruno Gollnisch comme secrétaire général, celui-ci ne contrôlait strictement rien. Les gens, à l'intérieur, le disent aujourd'hui : il avait un secrétaire général qui ne contrôlait plus rien car l'appareil était passé chez les mégrétistes. Le problème de M. Bruno Mégret est qu'il n'a pas eu les militants et qu'il n'aura pas les électeurs, parce que le charisme lui fait défaut. Cela dit, il a l'appareil. S'il arrivait à faire plus de 5 %, cela lui assurerait une pérennité politique après les européennes : même si le soir des élections M. Jean-Marie Le Pen gagne, l'avenir ce sera M. Bruno Mégret. Mais c'est là une analyse qui sort du simple cadre du DPS : je m'occupe des partis par ricochet, parce que vous me posez la question. Il est vrai que je préférerais que cela ne figurât pas au procès-verbal.

    S'agissant des faits transmis à la justice, je ne dispose pas d'éléments sur les suites judiciaires qui leur ont été données. Au niveau départemental, instruction a été donnée aux services de la police judiciaire et de la sécurité publique de saisir systématiquement les parquets en cas de délit ou de crime : dès qu'ils l'ont pu, ils ont poursuivi. Cependant, c'est à vous qu'il appartient de demander au ministère de la Justice quelles suites ont été données. Pour ma part, je peux vous faire part de la relation de tous les incidents relevés, mais les suites judiciaires sortent de ma compétence.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Lors de son audition, M. Jean-Marie Delarue a déclaré que les quatre critères définis par le juge administratif et permettant de prouver l'existence d'un groupement de fait et d'une milice n'étaient jamais tous réunis à la fois dans le cas du DPS, ce qui empêche de juger qu'il s'agit d'un groupement de fait, voire d'une milice. Il a relevé que, si des éléments mettaient en cause des membres du DPS, il ne s'agissait pas pour autant d'éléments d'ensemble ou d'une stratégie définie. Or, à vous entendre, j'ai l'impression que votre analyse, à travers vos différents travaux, est différente et qu'existent précisément une stratégie du DPS, une histoire collective, des actions collectives, ne serait-ce que les entraînements. Avez-vous discuté avec M. Jean-Marie Delarue de ces divergences d'appréciation et comment les expliquez-vous ?

    Ma deuxième question concerne l'audit réalisé sur 79 cadres. Vous avez précisé que l'on trouvait parmi eux des fonctionnaires retraités. Font-ils partie d'associations, les avez-vous identifiés et y assurent-ils une quelconque promotion de leurs activités ?

    Toujours d'après cet audit, ont été identifiés, parmi les cadres du DPS, quatre policiers, dont trois révoqués et un toujours en exercice au commissariat de Clermont-Ferrand. Comment expliquez-vous, que, s'il est identifié et a des actions de cette nature, il n'ait pas, lui aussi, été révoqué ?

    S'agissant du recrutement des supplétifs, pensez-vous que, dans les années qui viennent, DPA ou DPS pourraient trouver, par exemple dans les zones ou les banlieues défavorisées, un terreau de recrutement pour poursuivre leurs actions ? Je voudrais connaître votre sentiment.

M. Yves BERTRAND : Il n'existe pas de divergence d'analyse avec M. Jean-Marie Delarue. Peut-être me suis-je mal fait comprendre. Quand je dis qu'ils s'entraînent au tir, j'ai bien précisé que le fait de se rendre dans une société de tir n'était pas une infraction. Ils deviennent bons tireurs, mais être bon tireur ne constitue pas une infraction. L'infraction réside dans le fait d'utiliser ses compétences et tirer sur un adversaire ! Il en va de même pour les personnes qui font du paint ball : elles se déguisent en Indiens le dimanche ou vont jouer à la guerre. Sont en cause le rapport aux armes, leur attrait pour les armes. Ils peuvent détenir des armes, dès lors qu'ils ne sont pas pris en flagrant délit de port d'arme ni en train de tirer avec une arme dans une manifestation...

    M. Jean-Marie Delarue est juriste ; je lui fournis des éléments. Nos analyses ne divergent pas. M. Jean-Marie Delarue est animé du même souci que tous les directeurs des libertés publiques et des affaires juridiques successifs. Les renseignements généraux proposent des éléments. Souvent, nous avons l'impression que cela tient juridiquement alors que le juriste, souvent conseiller d'Etat comme M. Jean-Marie Delarue, nous informe que ce n'est pas le cas. S'entraîner dans un club de tir ou dans un château n'est pas un élément suffisant. S'il est vrai qu'un certain nombre des incidents recensés depuis 1992 ont fait l'objet de poursuites judiciaires déclenchées par les parquets, parce qu'il y avait flagrant délit, l'on ne peut affirmer pour autant que nous sommes confrontés à une stratégie globale de prise du pouvoir. Le DPS, ce n'est pas le 6 février 1934 ! D'où l'exposé très juridique du ministre démontrant la difficulté à réunir l'ensemble des éléments : de multiples incidents se succèdent, mais il s'agit d'éléments quelque peu isolés, certains plus graves que d'autres, telles les affaires de Strasbourg ou de Montceau-les-Mines notamment. Mais de là à aboutir à la dissolution administrative ou judiciaire, c'est un autre problème. Je ne puis vous répondre sur ce point. Mais, encore une fois, il n'y a pas de divergence avec M. Jean-Marie Delarue, qui a reçu l'ensemble des notes. J'ignore quel a été le contenu de son exposé, mais...

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Il a indiqué la nécessité de réunir les quatre critères. Or, l'entraînement, même s'il est individuel, est un critère qui vient s'ajouter aux trois autres.

M. Yves BERTRAND : J'ai établi un état statistique, qui fait apparaître que les incidents diminuent depuis 1992. Il n'y en a pas eu en 1998. Ce qui montre leur prudence.

    S'agissant des fonctionnaires qui sont cadres du DPS, sur les quatre policiers, trois ont été révoqués. Le quatrième est en activité et membre du DPS. S'il se contente de mettre son blazer et de garder la salle lorsque se tient une réunion d'un candidat du Front National aux élections cantonales, ce n'est pas un acte répréhensible. Il en irait différemment si on le surprenait dans une manifestation avec son arme de service en train de menacer des personnes. Pour l'heure, il est en activité, gardien de la paix à Clermont-Ferrand. Il est signalé. Les autres, appartenant à la FPIP, syndicat de police principalement composé de néo-nazis, ont été révoqués.

    S'agissant des militaires, de la gendarmerie notamment, le lieutenant-colonel Gérard Hirel, actuellement à la retraite, est passé chez M. Bruno Mégret. S'il se contente de diriger le service d'ordre sans enfreindre la loi, que faire à l'égard d'un retraité faisant partie du DPS ? On compte aussi quelques sous-officiers. La question relève des autorités militaires. Nous avons transmis les notes à la DPSD (Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense), service de renseignement de l'armée au nom duquel je ne puis vous répondre. L'armée connaît les militaires qui sont membres du DPS. Parmi les fonctionnaires de la police, trois sur quatre ont été révoqués. On ne peut dire que l'on n'a rien fait !

    En réponse à votre question sur le recrutement dans les banlieues défavorisées, c'est là une hypothèse à laquelle je ne crois pas. Le danger ne vient pas de là. Je ne pense pas - telle est ma conviction - que le Front National, les idées extrémistes ou néo-nazies arrivent à infiltrer les banlieues défavorisées. Pour l'heure, nous n'y avons pas constaté d'exemples d'infiltration de l'extrême-droite.

M. le Rapporteur : Je m'interroge sur les critères cumulatifs, évoqués par M. Jean-Marie Delarue.

    Organisation propre ? Le DPS a sa propre organisation : on est membre du DPS, on en porte les insignes, on y est inscrit. Organisation hiérarchisée ? Le DPS l'est sans nul doute ; vous en avez fait la démonstration. Discipliné ? Il a tendance à l'être. Entraîné ? Il l'est. Restent deux critères un peu plus flous. Les intentions belliqueuses d'abord : on s'est aperçu que, dès qu'il le pouvait, il en était animé. Armé ? Là, on bute ; il s'agit davantage d'un rapport aux armes que d'un système armé. Mais sur six critères cumulatifs, on en trouve quatre et demi, dirais-je.

M. Yves BERTRAND : A cela près que l'existence des deux derniers critères - intentions belliqueuses, critère le plus important, et le rapport aux armes - doit être prouvée par un flagrant délit d'usage d'armes de quatrième catégorie. Or, en ce qui concerne l'intention belliqueuse, le règlement intérieur du DPS comme les circulaires d'application indiquent qu'il est précisément là pour protéger les personnes. Si l'intention belliqueuse a été certaine à Strasbourg, où le DPS a procédé à des contrôles d'identité, et à Montceau-les-Mines, qui est une vieille histoire, il reste qu'en 1998, nous n'avons pas pu la constater.

M. le Président : M. André-Michel Ventre a dit que, même s'il n'avait pas de faits précis à nous fournir, néanmoins, selon certaines conversations, d'après la rumeur, les comportements relevés à Strasbourg étaient plutôt habituels.

M. Yves BERTRAND : L'affaire de Strasbourg était grave. On n'a pas constaté d'affaire aussi grave depuis. Il s'agissait de contrôles d'identité, de menaces, de violences, de brutalités. Ils ont contrôlé des militants. Il s'agissait d'une usurpation de fonction.

M. le Président : M. André-Michel Ventre a parlé d'utilisation de méthodes policières par le DPS dans des villes autres que Strasbourg au cours de manifestations du Front National. Vous relatez, ce qui est bien normal, les faits les plus significatifs. Mais M. André-Michel Ventre semblait dire qu'il était assez habituel que le DPS, lors des manifestations du Front National, adopte un comportement du type de celui repéré à Strasbourg. De la même manière, il nous a fait part - mais plutôt comme des bruits qui reviendraient au syndicat - de demandes de renseignements adressées aux commissaires, à l'intérieur de la police donc, sans que cela passe par les procédures normales.

M. Yves BERTRAND : Le DPS demanderait des renseignements ? Cela ne tient pas debout ! Imaginez que le DPS appelle les renseignements généraux pour un passage fichier ! A moins que cela ne se fasse avec des complicités internes. Si on le sait, on leur envoie l'IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) et on révoque le fonctionnaire. C'est de la « tricoche » ! Il faut employer les mots adéquats. M. André-Michel Ventre dit cela ; moi, je n'en ai pas eu connaissance.

M. le Président : Il n'était pas dans l'état d'esprit de s'épancher sur ces questions et était même plutôt réticent ! Cela a donc évidemment attiré notre attention qu'il nous parle de cette pratique.

M. Yves BERTRAND : A la DCRG (Direction Centrale des Renseignements Généraux), il existe un service de documentation des fichiers. Nous imposons aux demandeurs de fournir leur identité et leur qualité. Si une demande de renseignement passe par un circuit de « tricoche », cela se fait donc hors hiérarchie. J'ai moi-même fait révoquer un commissaire et plusieurs inspecteurs qui pratiquaient ce type d'activités pour gagner de l'argent.

    M. André-Michel Ventre dénonce ce fait. Qu'il me donne des exemples et nous ferons diligenter une enquête par l'IGPN. Il se peut aussi qu'il s'agisse d'amitiés dans des commissariats. C'est possible, car certains syndicats de police sont proches de l'extrême-droite ; il peut donc y avoir des complicités de ce type, que la hiérarchie, non seulement ne cautionne pas, mais condamne. Il est possible que, via certaines complicités internes à la police, ils arrivent à se procurer des renseignements. C'est possible, mais c'est de la « tricoche ». Si des exemples nous sont donnés, nous sommes prêts à demander une enquête à l'IGS (Inspection Générale des Services) à la préfecture de police à Paris ou à l'IGPN à la Centrale.

M. le Président : L'IGPN a-t-elle mené des enquêtes sur des questions liées au DPS ?

M. Yves BERTRAND : Non. A ma connaissance, les seuls services travaillant sur le DPS sont ceux des renseignements généraux, ce qui est normal d'ailleurs, excepté sur les questions qui m'ont été posées relatives aux affaires d'armes, pour lesquelles la DST et la DGSE sont également compétentes ; ce volet m'échappe.

    L'accès à des fichiers ou à la documentation hors du circuit officiel ne pourrait résulter que de pratiques que nous appelons « tricoche » et qui ne concerneraient pas que ce seul aspect, car la « tricoche » est un mal qui peut toucher d'autres sujets. Ce n'est pas par le circuit officiel que les informations ont pu être livrées.

M. le Président : Ce n'est pas ce que nous disait M. André-Michel Ventre.

M. Yves BERTRAND : Je lui en parlerai. Ayant été tous deux entendus par la Commission, nous pouvons procéder à un échange. S'il dispose d'exemples précis, qu'il me les fournisse et nous pourrons faire procéder à une enquête par l'IGPN.

M. le Président : Ma question n'avait pas ce but. Nous sommes tenus par le secret.

M. Yves BERTRAND : De toute façon, il ne s'agit plus d'une question de secret, mais de déontologie. Si quelqu'un a connaissance de faits de cet ordre, il est de son devoir de les dénoncer et de susciter une enquête interne.

M. le Président : C'est ce qu'il nous a dit lui-même. Il parlait de faits rapportés.

M. Yves BERTRAND : Evidemment, il y a des sympathisants du Front National au sein de la police. Mais, en cas de demandes de renseignements, nous demandons l'identité et la qualité et que nous soit indiqué au nom de qui la démarche d'accès au fichier est engagée, ce qui doit permettre d'éviter ce type de pratiques.

M. Robert GAÏA : Pouvez-vous faire un point sur les financements du DPS ?

    Vous avez évoqué les liens du DPS avec l'armée. Pourriez-vous nous fournir des précisions, de même que sur M. François-Xavier Sidos et sur M. Gilbert Lecavellier ?

M. Yves BERTRAND : M. François-Xavier Sidos a rejoint M. Bruno Mégret. Il vient d'une mouvance très extrémiste.

    M. Gilbert Lecavellier est un vieux « brisquard » ; on entend parler de lui depuis la fin des années 60 !

M. Robert GAÏA : N'est-ce pas un DPS bis ?

M. Yves BERTRAND : On retombe sur d'anciennes pratiques, SAC (Service d'Action Civique) et autres. On sort du DPS.

M. Robert GAÏA : Toujours sous le sceau du secret, on nous a dit que M. Gilbert Lecavellier avait réalisé des enquêtes pour le DPS.

M. Yves BERTRAND : Je le connais comme un personnage qui déborde largement le cadre du seul DPS. Il est connu des services de renseignements depuis très longtemps. Je vous ferai part des informations dont je dispose sur les liens qui le lient au DPS.

    Le problème du financement du DPS est aujourd'hui dépassé. Chacun des services d'ordre connaît des problèmes de financement. M. Bruno Mégret est en train de chercher des sources de financement pour le DPA, et le DPS est en train de subir les effets financiers de la partition. Il y a là une réactualisation à effectuer.

M. le Président : Monsieur, nous vous remercions.

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Audition de M. Gilles SAINATI

secrétaire général du syndicat de la magistrature

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 17 février 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Gilles Sainati est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Gilles Sainati prête serment.

M. Gilles SAINATI : Avant tout, je souhaiterais rappeler dans quel contexte le syndicat de la magistrature peut avoir des informations sur le DPS. Je représente un syndicat de magistrats de gauche, faiblement implanté dans les tribunaux de grande instance (TGI) de villes où le Front National est au pouvoir. Nous avons en effet très peu de magistrats syndiqués dans le Sud-Est. Cependant, nous avons une longue histoire de lutte contre toute forme de discrimination et d'organisation antirépublicaine. Ainsi, nous soutenons depuis un an M. Albert Lévy, substitut à Toulon, qui a connu les déboires que l'on sait en matière de lutte contre le Front National et qui a fait l'objet de procédures qui peuvent paraître parfois bizarres.

    Lorsque j'ai reçu votre convocation concernant le DPS, je me suis rapproché de nos syndiqués implantés dans les TGI de communes gérées par le Front National, ou par des personnes qui lui sont proches, pour voir si dans ces TGI, on pouvait constater une manifestation d'une organisation comme le DPS. Effectivement, sur Toulon notamment, le DPS intervient en marge, ou à côté, de la police municipale. Ces personnes interviennent en uniforme bleu lors de congrès ou de manifestations publiques du maire de Toulon, par exemple. Il a été constaté qu'existait un risque de confusion grave entre les services de police nationale, les CRS, les services de police municipale - qui ont un statut particulier - et cette organisation, service d'ordre du Front National.

    Il est possible aussi que des procédures judiciaires aient pu permettre de constater ces faits à l'occasion d'investigations policières. Mais je n'ai pas d'informations précises en la matière. Et même si j'en avais, elles seraient couvertes par le secret de l'instruction. Néanmoins, je pense que, pour savoir s'il y a ou aurait eu des informations allant dans ce sens, la Commission parlementaire pourrait utilement se rapprocher à ce sujet de la direction des affaires criminelles et des grâces.

    Concernant le DPS en lui-même, se posent différents problèmes.

    Premièrement, nous avons un regard critique vis-à-vis des services privés de sécurité, qui fournissent depuis maintenant de nombreuses années des prestations commerciales. Ne serait-ce qu'à ce stade, on sait déjà qu'il existe des problèmes de confusion grave au moment des interpellations par ces services privés, notamment relatifs aux difficultés d'articulation avec l'arrivée de la police nationale en cas d'interpellation sur des faits délictueux. D'après les informations que nous avons recueillies sur le DPS, le problème est encore plus grave. En effet, le DPS est une milice privée ayant des visées politiques, qui, d'après ce que nous avons pu noter, dans un premier temps - en tout cas, jusqu'en 1997 -, conduisait manifestement des actions qui étaient du ressort de la police nationale, actions d'arrestation notamment ainsi que d'autres sur la légalité desquelles on peut s'interroger.

    D'autres syndicats de magistrats pourront certainement vous apporter des éléments. En tout état de cause, voilà tout ce que le syndicat de la magistrature peut vous dire sur le DPS. Mais notre syndicat, je le rappelle, est faiblement implanté dans les villes du Sud-Est, où l'on observe effectivement une organisation structurée du DPS, comme à Toulon ou à Nice, villes dans lesquelles on pourrait constater des phénomènes du même type.

M. le Rapporteur : Avant tout, monsieur le secrétaire général, nous vous remercions d'être venu. Les autres organisations syndicales de la magistrature n'ont pas cru devoir le faire parce que, semble-t-il, elles ne connaissaient pas le DPS et n'en avaient jamais entendu parler. Nous en avons pris bonne note.

    Pour nous, la question est de connaître le fonctionnement du DPS et ses agissements coupables, mais aussi de voir s'il correspond aux dispositions prévues par la loi du 10 janvier 1936 et, remplit, semble-t-il, les critères cumulatifs dégagés par la jurisprudence. C'est, du moins, la position de la direction des libertés publiques du ministère de l'Intérieur. Aussi aurai-je quelques questions à poser au juriste que vous êtes.

    Quel est votre sentiment, lorsque des membres du DPS, je n'ose dire « arrêtent » mais saisissent un manifestant ou un punk, comme cela s'est passé il y a quelques mois à Carpentras, et le remettent aux services de police ? N'est-ce pas curieux de leur part mais aussi de la part des services de police qui prennent ce jeune sans rien dire ? Par ailleurs, que savez-vous, ou que croyez-vous savoir du rôle de M. Bernard Courcelle dans l'arrestation des meurtriers du malheureux Brahim Bouarram ?

M. Gilles SAINATI : Sur cette dernière question, je ne saurais vous répondre, faute d'informations.

    Sur la première question, les collègues avec lesquels j'ai pu discuter hier, lors d'un déplacement à Toulon pour faire le point sur le sujet, confirment ce que vous venez de dire, c'est-à-dire que le DPS intervient lors de manifestations publiques et se permet des arrestations. Cela pose d'ailleurs un problème de ports d'armes de sixième catégorie, puisqu'il aurait été constaté que ces membres du DPS étaient équipés de menottes, instrument réservé à la police nationale dans le cadre d'une arrestation et du code de procédure pénale. Ces échos nous sont revenus de manière précise, de Toulon notamment. De ce point de vue, il n'y a aucune ambiguïté : il y a une confusion complète avec les pouvoirs de police nationale : le fait d'arrêter quelqu'un relève de la puissance publique et du code de procédure pénale, qui prévoit les formes juridiques de l'interpellation. A aucun moment, il n'est prévu qu'une milice privée ou une société privée puisse la pratiquer.

    C'est en cela que je disais tout à l'heure que les problèmes posés par le DPS ont un lien avec le statut des sociétés de surveillance. Lorsque l'on assiste à des interpellations et à des arrestations dans des grandes surfaces faites par des sociétés privées de surveillance, se pose toujours initialement le problème de légalité dans la procédure. Certes, tout citoyen peut remettre quelqu'un dont il pense qu'il a commis un délit ou une infraction à l'autorité publique, la police nationale ou la gendarmerie. Encore faut-il que cette dénonciation soit faite dans des formes légales, c'est-à-dire sans violence préalable. Tout le problème est là : l'arrestation avec des menottes ou par la force pose problème parce que, par la suite, on peut douter toujours de l'existence de l'infraction, qui aurait pu être dénoncée.

    Il y a donc, à mon avis, utilisation par le DPS d'une force publique dont ils n'ont pas à user. C'est l'une des choses les plus précises que l'on peut reprocher au DPS.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : : Vous avez dit que dans les villes comme Toulon, il existait une « force » qui pouvait, par l'uniforme qu'elle portait, entraîner des confusions avec la police municipale.

M. Gilles SAINATI : Et avec la police nationale.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : : Aujourd'hui, il existe des outils pour punir cela, le port de l'uniforme de la police constituant un acte répréhensible. Pourquoi ces personnes, que l'on voit porter ces uniformes, ne sont-elles pas punies comme elles devraient l'être ? Par peur, par négligence ? Comment l'expliquez-vous ?

    Vous êtes allé à Toulon très récemment. Pensez-vous, à travers les propos de vos collègues, qu'il y ait une réelle complicité entre les forces de la police nationale et ces personnes ? Avez-vous des éléments qui peuvent nous éclairer à ce sujet ?

    En dehors des villes où le Front National est implanté, avez-vous, par l'intermédiaire des syndiqués de votre mouvement, quelques faits à nous livrer, qui auraient pu remonter de constatations faites, par exemple, à l'occasion de manifestations qui ont pu avoir lieu ici ou là ?

M. Gilles SAINATI : A Toulon, des constatations précises ont pu être faites. En revanche, dans des villes où se sont tenues des manifestations telles que des meetings du Front National et où il y a eu intervention de ce service d'ordre qui, semble-t-il, se déplace systématiquement lorsqu'ont lieu des meetings, il n'y a pas eu de constatations identiques à ce qui a pu être observé sur Toulon. Ailleurs qu'à Toulon, ces forces ne se sont pas déployées pour procéder à des arrestations, mais sont restées cantonnées dans les endroits où avaient lieu les meetings. La police nationale, qui était autour, a pu travailler normalement, selon les formes réglementaires.

    Nous en venons à votre deuxième question : comment se fait-il que dans des villes comme Toulon, on assiste à ce type de débordements ? Je suis incapable de répondre de manière définitive à cette question. Nous nous la posons justement à propos d'une certaine porosité du corps judiciaire aux idées du Front National. Cette réflexion, récente, est en cours dans notre instance. On peut évidemment se la poser pour la police nationale. Il est vrai que, souvent, les personnes qui sont responsables de police municipale sont d'anciens commissaires de police à la retraite ou qui, après une carrière d'un certain nombre d'années, s'occupent de police municipale. Compte tenu des liens qui existaient antérieurement entre ces personnes, anciens membres de la police nationale ou de la gendarmerie, et celles qui sont encore en poste, on peut dire que souvent, les procédures qui devraient être mises en place ne le sont pas et donc sont vouées à un échec certain. A Toulon, c'est peut-être le cas.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Vous êtes affirmatif ?

M. Gilles SAINATI : C'est le fruit d'une réflexion élaborée après une observation de plusieurs mois. Effectivement, on se pose la question ; on peut penser que, peut-être, ce serait une explication. Elle paraît assez cohérente, puisque, dans la police municipale que l'on connaît, on a souvent d'anciens officiers de police nationale. Ainsi, le responsable de la police municipale de Toulon, dont je n'ai plus le nom en tête, est un ancien commissaire de police. Or, on sait très bien que la police municipale de Toulon est très proche des unités du DPS. Un effet de corps peut certainement jouer et expliquer que les collègues en poste dans la police nationale ne fassent pas la même chose que dans d'autres villes.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : En est-il de même des magistrats ?

M. Gilles SAINATI : Pour les magistrats, nous avons eu l'affaire concernant M. Albert Lévy. Nous avons été surpris de la procédure tout à fait aberrante dont il était l'objet, mais elle est en cours et nous n'avons pas à la commenter davantage. Il y a eu aussi cette fameuse insulte raciste et antisémite d'un avocat général près la Cour de cassation. On peut d'ailleurs s'interroger sur ce qu'il fait à ce niveau de la hiérarchie judiciaire après avoir formulé de tels propos, sachant, en outre, qu'il est connu pour être membre d'un syndicat très à droite dans la magistrature.

    De telles réflexions, qui sont très graves, nous poussent à penser qu'il existe une porosité claire et nette entre les idées du Front National et une partie, infime peut-être mais, en tout cas, significative, de la magistrature.

M. le Président : D'après le syndicat de police que nous avons reçu hier, le CRS qui avait salué ostensiblement Mme Catherine Mégret lors du congrès de Strasbourg du Front National n'avait pas fait l'objet d'une procédure disciplinaire suffisamment rigoureuse. Pensez-vous que ce phénomène de porosité qui existe manifestement dans la police, et dont vous dites qu'il existe dans la magistrature, ait des effets sur le traitement judiciaire des affaires ?

M. Gilles SAINATI : Il est clair que cela a des effets. Actuellement, le parquet, par l'intermédiaire des procureurs de la République, a un pouvoir important d'appréciation de l'opportunité des poursuites. Le principe d'opportunité des poursuites a pu jouer dans le cas que vous citez. Il ne faut pas généraliser ni être alarmiste mais nous pensons que cela a pu jouer dans certains cas.

M. le Rapporteur : Comment expliquez-vous cette porosité de l'institution judiciaire à l'égard d'une formation d'extrême-droite ? J'explique ma question : les douaniers, par exemple, sont moins « poreux » que les magistrats ou les policiers. On a même parfois le sentiment que l'armée, dont, pourtant, certains éléments sont très à droite, est moins « poreuse » que l'institution judiciaire. C'est une question que l'on peut se poser en tant que citoyen. On vous pensait, vous, magistrats, mieux protégés que les policiers, par exemple.

M. Gilles SAINATI : Je ne sais pas si pour la gendarmerie nationale, une des composantes de l'armée, le problème ne se pose pas de manière identique.

    Tout d'abord, je pense que cela peut s'expliquer par un climat général. Il y a encore quelques années, les personnes qui tiennent maintenant de tels propos ouvertement à l'audience ne l'auraient pas fait. Cela se produit même dans des endroits où le Front National n'est absolument pas implanté, ou très peu. Par exemple, je suis juge d'application des peines à Montpellier et nous avons eu récemment des substituts qui, à l'audience, ont tenu des propos négationnistes. Nous sommes très surpris. J'ai essayé d'y réfléchir : comment se fait-il que ces personnes puissent tout à coup, tenir ce genre de propos en public, et à l'audience en plus, lors de réquisitions publiques ? C'est bien un problème de climat général : si ces personnes avaient peut-être déjà ces idées, maintenant, elles les énoncent tout haut, alors qu'il y a encore quelques années, elles se seraient censurées. C'est un premier point, mais un point qui vaut pour tous les corps de l'administration.

    En deuxième lieu, il est important de noter que, dans la magistrature, ces attitudes peuvent être observées dans des régions précises, globalement dans le Sud-Est de la France. On objectera que l'affaire mettant en cause le procureur général près la Cour de cassation a eu lieu à Paris. Il convient cependant de rappeler que ce dernier appartient à l'Association Professionnelle des Magistrats (APM), qui regroupe des personnes très à droite, dont les réflexions, à mon sens, sortent parfois du cadre de la République. En tout état de cause donc, il serait intéressant d'étudier les mouvements dans la magistrature. Comme vous le savez, les magistrats du siège sont inamovibles. Mais les magistrats du parquet ne bougent pas beaucoup non plus, certaines personnes faisant l'intégralité de leur carrière dans le ressort d'un même tribunal, ou dans une même région. En l'occurrence, sur Nice, Toulon et Grasse, il est intéressant de noter qu'il y a très peu de mouvements ; les magistrats sont en place depuis de très nombreuses années. Finit alors par s'installer cette espèce de - je ne dirai pas connivence - mais de porosité que l'on constate. Si l'on est déjà sensible à des idées extrémistes ou très à droite, en restant plus de quinze ans dans des fonctions importantes dans un tel environnement, on finit par devenir extrémiste ou très à droite.

    C'est une explication qu'il serait facile de vérifier, les mouvements de magistrats étant parfaitement connus : il suffit de voir, dans les TGI de cette région, s'il y a eu beaucoup de mouvements de personnes aux postes importants. Les premières constatations devraient vous permettre de voir qu'un nombre important d'entre elles est en poste depuis plus de dix ans, si ce n'est au même poste, en tout cas, dans une région un peu élargie entre Toulon, Grasse, Draguignan. Je suis magistrat du siège, donc par définition inamovible, mais je pense qu'il faut avoir le courage de changer au moins de fonction et d'essayer, dans son parcours de carrière, de bouger pour ne pas rester dans un climat qui peut parfois être détestable. S'agissant des régions que j'ai citées, elles sont tout de même suffisamment connues pour avoir, en matière politique, des opinions majoritaires très antirépublicaines.

M. le Président : C'est M. Bartoloméi que l'on fait bouger dans le Sud-Est...

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Notre débat porte davantage sur la prégnance des idées extrémistes dans la magistrature, que sur le DPS proprement dit, mais il est intéressant d'avoir votre point de vue sur le contexte dans lequel peut évoluer le DPS.

    Vous disiez que désormais, dans ces régions, l'on entend, tenus en audience publique, des propos que l'on entendait pas il y a quelques années. Peut-on aller jusqu'à penser que c'est une forme de propagande, simplement de la provocation ou encore le contexte de ces villes, qui fait que les gens se sentent moins « critiquables » que dans un autre milieu ?

M. Gilles SAINATI : Je ne parlais pas seulement des TGI des villes gérées par le Front National ou qui en sont proches puisque, comme je le disais, cela s'est également produit à Montpellier et l'on ne peut pas dire que M. Georges Frèche soit très proche des idées du Front National ! Deux de nos substituts - cela a été dit dans la presse, il n'y a donc pas de secret particulier - y ont récemment tenu à l'audience des propos absolument étonnants, carrément négationnistes, pour d'ailleurs requérir une relaxe dans un dossier où il y avait matière à condamner... Le tribunal n'a pas suivi le procureur mais il n'en reste pas moins que ces propos ont été tenus en audience publique par une personne qui est procureur de la République. Nous sommes surpris parce que, le connaissant un peu depuis quelques années, nous nous demandons ce qui s'est passé tout à coup. Je ne pense pas qu'il s'agisse de propagande ; ce sont des choses qu'il devait penser - on est surpris de l'apprendre - et qu'il dit publiquement désormais. Même s'il ne faut pas être affirmatif tout le temps, - tout est gris et non pas noir ou blanc - de fait, il y a actuellement, dans la magistrature en France, des personnes qui sont très sensibles aux idées d'extrême-droite. On les retrouve dans un syndicat, l'APM, qui a connu une scission. Il y a maintenant, semble-t-il, deux syndicats de ce type. Je ne sais pas ce qu'il en est exactement mais, en tout cas, l'histoire récente, et notamment l'affaire concernant M. Albert Lévy, montre qu'au plus haut niveau de ce syndicat, des propos antisémites ont été tenus. Il doit donc bien y avoir, au sein de l'APM, des personnes qui tiennent ce type de propos, cette affaire ne faisant, finalement, que retracer l'ambiance générale d'un syndicat, qui ne se présente d'ailleurs pas comme tel puisque cette organisation s'intitule « l'association professionnelle des magistrats ».

M. André VAUCHEZ : Vous nous orientez sur un sujet auquel je ne m'attendais pas. Il est vrai que - c'est un fait scientifique - les milieux interviennent sur l'homme, dès lors que celui-ci oublie de penser. Il serait bon que nous nous interrogions dans cette enceinte pour savoir comment mettre fin à de telles dérives.

    Pour ce qui est du DPS, ce qui nous intéresse, c'est d'avoir des preuves. Vous citez des villes comme Toulon, mais je pense, hélas !, qu'il y en a d'autres, et que le DPS a fait des coups de force sur l'ensemble de la France. Avez-vous connaissance de personnes ayant été manipulées, bousculées, ... par le DPS, qui auraient porté plainte et dont la plainte aurait conduit à un jugement ?

M. Gilles SAINATI : Nous sommes un syndicat de magistrats. Nous ne pouvons pas procéder à ce genre de recensement.

M. André VAUCHEZ : Je ne parle pas de recensement, mais de cas dont vous auriez eus connaissance.

M. Gilles SAINATI : Très honnêtement, je ne peux vous donner de réponse. Je pense que cela doit exister. La personne qui pourrait vous répondre de manière tout à fait objective est le directeur des affaires criminelles et des grâces à la Chancellerie puisque, compte tenu de l'organisation des parquets, de tels cas doivent remonter au niveau des affaires criminelles et des grâces.

M. le Président : En tant que syndicat, je crois que vous vous êtes prononcés pour la dissolution du DPS ?

M. Gilles SAINATI : En effet. Le choc est frontal entre le syndicat de la magistrature et le Front National puisque celui-ci nous a assignés en justice, arguant du fait que nous ne serions pas un syndicat et n'aurions pas droit à l'article L.122-4 du code de travail. Nous sommes assignés devant le TGI de Paris depuis le mois de septembre. Mais ceci est en marge de la question qui vous occupe.

    Pour ce qui est de la dissolution du DPS, je rappelle que, d'une part, nous n'avons jamais été favorables aux sociétés privées de surveillance dont nous estimons qu'elles devraient être régies par un statut particulier très précis. D'autre part, nous sommes pour la suppression d'une société de surveillance qui a des idées antirépublicaines et une idéologie tout à fait contraire à ce que l'on devrait appliquer et vivre en France. Nous sommes donc pour la dissolution de ce type d'organisation de fait - il est en effet difficile d'identifier une structure, au sens juridique du terme.

M. le Président : La question qui est posée à notre Commission, c'est d'examiner, au regard de la loi de 1936, si les critères dégagés par la jurisprudence pour la dissolution d'autres organisations sont réunis dans le cas du DPS. Vous proposez la dissolution ; quelle est votre opinion sur cette question qui fait manifestement débat ?

M. Gilles SAINATI : La première chose serait de recenser les faits et les procédures qui ont été jugées définitivement, qui permettraient de constater des agissements contraires aux lois de la République. C'est un premier point ; nous ne l'avons pas fait, parce que nous réagissons surtout à l'actualité, quand nous avons des informations.

    Concernant plus précisément la dissolution, dès l'instant que nous avons une organisation de fait qui, tout d'abord, est armée - puisque l'on a tout de même constaté des ports d'armes de sixième catégorie et des choses qui posent problème -, qui, ensuite, pratique des arrestations arbitraires, qui aboutissent à une confusion claire et nette avec les services de police nationale, et qui enfin, est proche d'une organisation ayant une idéologie raciste et antirépublicaine, nous estimons que la conclusion que l'on pourrait tirer, c'est que cette organisation ne devrait pas exister. Tout cela nécessite cependant de mener une instruction plus précise et de mettre en parallèle tous ces faits.

    Il ne faut pas se cacher que, dans le cas d'une éventuelle dissolution du DPS, ses membres iraient ailleurs, notamment dans les polices municipales qui leur sont très proches. En effet, il y a souvent un lien, et des échanges de services, entre les polices municipales de ces villes et le DPS.

M. le Rapporteur : On peut effectivement se poser la question de savoir si les critères cumulatifs sont retenus ou non. On peut aussi se poser la question de savoir si le DPS est plus utile tel qu'il est, pour contenir les agissements d'extrémistes encore plus extrémistes que lui, même si l'on n'en a pas le sentiment quand on le voit se retirer chaque fois que des skinheads s'en prennent à des journalistes ou des militants antifascistes. Ainsi, soit on le garde comme soupape de sûreté, soit on demande sa dissolution, tout en sachant bien que, s'il était dissous de façon administrative ou judiciaire, telle l'hydre, il se reconstituerait dans la semaine qui suit.

M. Gilles SAINATI : Cela dit, la dissolution revêt un caractère symbolique important qui ne peut pas être nié et entraîne une déstabilisation de ce type d'organisation, qui peut aboutir à calmer les choses par la suite.

M. Robert GAÏA : Vous évoquez la nécessité d'être vigilant s'agissant des sociétés de sécurité et de se pencher sur la législation qui les régit. Quelles seraient, selon votre syndicat, les grandes lignes d'une législation plus dure dans ce domaine ?

M. Gilles SAINATI : Premièrement, les employeurs de sociétés de sécurité qui embauchent des salariés doivent faire une déclaration dans un délai de trois mois. Or, en tant que juge d'application des peines, je me pose des questions lorsque je vois des probationnaires être embauchés dans ce type de sociétés. Pourquoi cela peut-il fonctionner comme cela ? Tout simplement parce que des employeurs, au mépris de la législation sociale, utilisent ce type de personnes pendant trois mois, le temps qu'il faut pour déposer la demande d'agrément auprès de la préfecture. C'est ainsi qu'il existe dans ces sociétés un turnover important de personnes qui échappent à l'obligation d'agrément. On ne voit pas s'ils ont un casier judiciaire.

M. le Président : Mais l'agrément est pour la société.

M. Gilles SAINATI : Oui, mais il y a ensuite sur chaque salarié que l'employeur embauche une petite enquête administrative, ce qui paraît logique. Et l'on constate là un turnover très rapide, ce qui fait que ces sociétés embauchent des gens en dehors de tout cadre légal. Je ne parle même pas des personnes qui sont embauchées à la sortie des boîtes de nuit de manière complètement illégale. C'est un premier point important : s'agissant de la déclaration à la préfecture, il y a un vide juridique qui aboutit à des pratiques qui sont contraires à la loi et sont finalement sources d'insécurité. En effet, voir des gens qui ont été condamnés pour des violences volontaires entrer dans une société de surveillance, cela pose problème, ne serait-ce que quant à leur capacité à se maîtriser ou à se contrôler.

    Le deuxième problème concerne leur intervention aux côtés des forces de l'ordre, lorsqu'ils interviennent, par exemple, dans les grandes surfaces. Nous sommes surpris de voir ce type de situations, de plus en plus fréquentes, dans lesquelles les sociétés privées de surveillance interviennent lorsqu'elles ont l'impression qu'une infraction est constituée. Parfois, cela donne lieu à des méprises importantes puisqu'elles font venir les services de police nationale ou de gendarmerie pour que la personne soit mise en garde à vue - c'est ce qui se passe -, alors que les faits qui ont été ainsi révélés n'étaient absolument pas fondés. Se pose donc un problème d'articulation entre l'intervention de ces sociétés pour la défense d'un espace commercial privé et la procédure pénale elle-même.

    Se pose également le problème du port d'armes. La plupart des membres de ces sociétés ne porte pas d'armes, mais des jets ou des bombes lacrymogènes qui sont tout de même assez invalidantes. Des procédures de plus en plus nombreuses font état de situations où ils en ont fait usage parce que la personne qu'ils interpellaient leur résistait au motif que, n'étant pas de la police, ils n'avaient pas à la traiter comme ça. Une rixe s'en suivait, au cours de laquelle ils utilisaient ces jets. Ce sont là des violences qui interviennent en l'absence de tout cadre légitime.

    Se pose donc, d'une part, le problème du contrôle de ces sociétés qui se sont développées de manière anarchique et, d'autre part, celui du port d'armes ou, en tout cas, celui de l'utilisation de la force par ces personnes. Or, ces espèces de débordements sont assez fréquents.

M. Robert GAÏA : Hier, le secrétaire général du syndicat des commissaires s'interrogeait à propos des bases juridiques des fouilles opérées par les membres de ces sociétés. Avez-vous, en tant que syndicat de la magistrature, écrit quelque chose au sujet d'une législation qui serait nécessaire ? Vous demandez, si j'ai bien compris, un agrément préalable, de même type que pour les polices municipales ?

M. Gilles SAINATI : Tout à fait.

M. Robert GAÏA : Par le procureur ?

M. Gilles SAINATI : Oui.

M. Robert GAÏA : Avez-vous un texte à ce propos ?

M. Gilles SAINATI : Je regarderai si nous avons un texte à ce sujet mais, de toute façon, nous pourrions vous l'écrire sans aucun problème parce qu'il est vrai qu'il faut absolument une législation plus précise en la matière.

M. le Président : Monsieur, nous vous remercions.

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Audition de M. Joaquin MASANET,

secrétaire général de l'Union Nationale des Syndicats Autonomes de la Police

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 17 février 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Joaquin Masanet est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Joaquin Masanet prête serment.

M. le Président : Votre syndicat a obtenu 32,91 % des voix lors des élections professionnelles parmi les gardiens de la paix. Nous avons donc souhaité vous entendre pour que vous nous fassiez part de votre expérience concernant les activités du DPS et le comportement de ses membres. Nous souhaiterions également savoir quelle relation existe entre les membres de la police et ceux de ce service d'ordre.

M. Joaquin MASANET : Je vous remercie de nous recevoir devant cette Commission. Je souhaiterais faire un exposé situant le DPS par rapport aux organisations syndicales de la police nationale, le Front National police, qui a été dissous, la FPIP, fédération professionnelle indépendante de la police, et le SPPF.

    En tant que fonctionnaires de police républicains, nous nous posons la question de l'opportunité de laisser faire le DPS, service d'ordre du Front National. A ce jour encore, on y voit des fonctionnaires de police - il y en a partout, malheureusement - : toutes les manifestations du Front National sont filmées, et l'administration ne prend pas de dispositions à l'encontre des fonctionnaires qui participent à ce service d'ordre. Il me semble que pour y participer, il faut au moins en épouser les idées.

    C'est un gros problème : le lendemain ou le surlendemain, ces collègues reviennent dans les compagnies ou les services de police. Leur comportement vis-à-vis des quartiers dits sensibles ou difficiles incite aussi à développer des idées xénophobes, etc.

    Notre souhait serait que l'on puisse dissoudre ce service d'ordre - nous l'avons dit aussi au directeur général - ou lui imposer une autre tenue distincte de celle des CRS ou des autres fonctionnaires de la police. Cela ne peut pas durer au sein de la police nationale.

    C'était le préambule.

    J'ai écrit et nous avons dit au ministre de l'intérieur, à propos de tous les fonctionnaires qui font partie de ce service d'ordre, qu'il existe un devoir de réserve chez nous : on ne peut pas être fonctionnaire de police et, en dehors des heures de travail, être payé ou rémunéré pour un autre service de sécurité, qui, de surcroît n'épouse pas du tout les idées républicaines, mais celles du Front National.

    Il faut faire très attention parce que, d'après les informations dont nous disposons, il y en a dans chaque département. Bien sûr, il n'y a rien de particulier dans le département de Strasbourg ou celui de Marseille, mais dans chaque service, vous avez des gens de ce service d'ordre du Front National et l'administration est bien au courant. Ce peut être des gardiens de la paix, des officiers, qu'il s'agisse de lieutenants, de capitaines ou de commandants et je pense que l'administration devrait prendre ses responsabilités, aujourd'hui comme hier, et les sanctionner. On ne peut pas faire deux métiers : assurer la sécurité de tous nos concitoyens et, après, participer à un service d'ordre, celui du Front National, de surcroît !

    Pour ce qui est des noms, la Commission pourrait entendre des gens qui ont quelque chose à voir, de près ou de loin, avec la FPIP : en l'occurrence, son secrétaire général, M. Philippe Bitauld, ainsi que MM. Besson, Quesada et Tridon, qui font tous partie du Front National, pour savoir ce qu'ils pensent du DPS et surtout de ses idées xénophobes. Il faudrait s'interroger sur les dispositions prises à l'égard de M. Laurendeau, fonctionnaire qui, en 1994, lors d'une patrouille de police, est allé participer à la réunion d'un parti politique, le Front National ; à ma connaissance il n'a jamais été traduit par l'administration devant une instance disciplinaire. Pourtant, je ne crois pas que l'on doive aller participer à une réunion politique lorsqu'on est en service, sauf si l'on y est invité pour assurer un service d'ordre.

    Ce laxisme de la police permet aux gens qui appartiennent à ce service d'ordre de le faire presque ouvertement.

    Il faut aussi poser à notre directeur général la question de leur présence au sein de la police nationale. J'insiste car ces services d'ordre comprennent des fonctionnaires, comme on peut le voir à Vénissieux.

    Je n'ai pas de noms, mais les renseignements généraux, la police judiciaire existent et, au cours de chaque manifestation du Front National, des films, des cassettes sont à la disposition de tout le monde. L'administration peut savoir s'il y a des fonctionnaires de police ou non.

    C'est ce que je veux vous dire sur le DPS.

    Nous souhaiterions, bien sûr, que ce service d'ordre du Front National disparaisse purement et simplement de l'échiquier. Il n'y a aucune raison qu'on laisse M. Bruno Mégret ou M. Jean-Marie Le Pen se constituer un service d'ordre comprenant des fonctionnaires de police. Nous nous affirmons comme une police républicaine, nous ne voulons pas d'une police des xénophobes. On voit bien le risque d'un laisser-aller dans toutes les compagnies et au cours des services que l'on effectue ; parfois, des paroles malheureuses sont prononcées dans des quartiers dont nous essayons d'assurer la sécurité, et la délinquance augmente.

M. le Président : Vous avez donc des exemples précis de fonctionnaires de police, gardiens de la paix ou officiers, qui font partie du DPS.

M. Joaquin MASANET : Les noms que je vous cite sont ceux de fonctionnaires de police qui, si vous les interrogez, ne vous diront pas qu'ils font partie du service d'ordre. Tous ces gens-là - le Front National de la Police n'existant plus depuis 1997 parce qu'il portait le nom d'un parti politique - la FPIP, le SPPF, constituent des organisations d'extrême-droite, des ramifications du Front National et parmi eux, il y a des fonctionnaires de police, qui se permettent de parler sous des pseudonymes. Dernièrement un article est sorti, à Lyon : à Vénissieux, les gens du DPS vont recruter des fonctionnaires de police dans les compagnies républicaines de sécurité ou dans les commissariats. Ils en parlent librement dans le journal.

    Voyons ! Si l'on est fonctionnaire de police et que l'on n'arrive pas à dire qu'untel ou untel participe, on aboutira, comme on l'a vu, à des affaires comme celle de M. Jamet, fonctionnaire de police très bien noté alors que tout le monde connaissait - ou peut-être pas ! - son comportement à l'extérieur. Et après enquête, on s'est rendu compte qu'il y avait des ramifications avec le Front National et l'extrême-droite européenne.

    Les gens ne se cachent pas pour dire qu'ils font partie du Front National et que s'ils peuvent donner un coup de main pour assurer le service d'ordre, ils le font. Toutes les manifestations politiques sont filmées. Si la police nationale n'est pas capable de savoir ceux qui appartiennent au DPS, où va-t-on ? C'est laisser faire tout et n'importe quoi. Que l'on ne soit pas surpris après du comportement de certains collègues policiers sur le terrain !

    Il faut à un moment donné prendre des dispositions. Il faut des policiers républicains. Je ne dis pas que tous ceux qui sont au DPS ne sont pas des policiers républicains mais il faut leur rappeler qu'ils sont fonctionnaires de police, et que, donc, ils ne peuvent pas assurer ce service d'ordre.

    L'exemple doit aussi venir de la hiérarchie. Hier, on nous disait qu'il ne fallait pas faire partie des sociétés de gardiennage. Vous savez très bien que les fonctionnaires de police sont formés chez nous, et quelques années après, certains, de quelque niveau qu'ils soient, partent dans des sociétés de gardiennage. Est-il normal d'assurer une formation à un fonctionnaire pendant des années pour le voir partir dans un service d'ordre xénophobe comme le DPS ? Je ne le pense pas. Nous ne développons pas ce genre de police et à chaque fois que nous en avons des exemples précis, nous le signalons à l'administration.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Lorsque, en réponse à la question de M. le président, vous parlez de « fonctionnaires qui participent au service d'ordre », cela veut-il dire que vous savez, par des cassettes, par ouï-dire, ou au moyen de rapports, etc., que des fonctionnaires en activité ont pu à un moment donné assurer le service d'ordre du Front National pendant ou en dehors de leurs heures de travail ?

M. Joaquin MASANET : Oui, absolument.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Il s'agit, entre autres, des noms que vous nous avez cités ?

M. Joaquin MASANET : Je vous cite le nom de personnes issues d'une organisation syndicale d'extrême-droite, parce qu'à une époque, nous les avons connues. Ces personnes ont été révoquées, puis réintégrées dans les années 1993-1994. On connaît leur origine et leur appartenance. La police des polices, l'IGPN, travaille aussi, et pourrait certainement vous répondre sur ce point.

    Ce que j'ai lu tout à l'heure sur un fonctionnaire de police est réel et concerne un garçon auquel l'administration a demandé pourquoi il s'était rendu à cette réunion d'un parti politique. Bien que cela ne soit pas mentionné, il s'agissait du Front National et tout le monde sait qu'il s'y est rendu avec deux autres collègues en 1994 et qu'il n'a pas été traduit en conseil de discipline.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Jusqu'à présent, nous avions connaissance de retraités qui participaient au DPS, mais nous n'avons jamais eu l'occasion d'entendre ici que des fonctionnaires en activité avaient ce type d'activité parallèle. C'est la raison pour laquelle nous insistons. C'est là une piste qui nous intéresse. Il faut donc qu'il n'y ait aucune confusion.

M. Joaquin MASANET : Je vous le dis. Il faut avoir le courage de ses actes. Mais
- comme l'a dit M. le président, tout est secret - je regrette que l'administration ne prenne pas de décisions à l'encontre de ces fonctionnaires. Lorsque j'interroge l'administration, on me répond que ceux qui participent au DPS sont des retraités. Je regrette mais il y a des ramifications dans la police nationale. Il y a des fonctionnaires en activité qui ont des liens avec le DPS. C'est pourquoi mon organisation demande la dissolution de ce DPS.

    S'agissant des tenues, il faut bien différencier le service d'ordre d'un parti du service d'ordre de la police nationale ! Or, les membres du DPS portent exactement les mêmes tenues !

    Où les achètent-ils ?

    C'est incroyable que personne ne dise rien et qu'on laisse faire ! Un fonctionnaire peut faire partie du RPR, du parti socialiste, du parti communiste ou autre, mais non d'un parti divulguant les idées du Front National ! Quand nous avons fait appel devant le tribunal pour dissoudre le Front National de la Police, nous avons gagné. Ces gens étaient en activité et ont certainement des liens avec le DPS. Il y a eu d'autres services d'ordre qui ont été dissous ou éliminés. Pourquoi pas le DPS ?

    Vous savez très bien aussi que des fonctionnaires de police en activité sont affectés à la sécurité de M. Jean-Marie Le Pen.

    Enfin ! Toutes les manifestations de M. Jean-Marie Le Pen, si j'ai bien compris, sont filmées et l'on ne pourrait pas savoir si ceux qui assurent sa sécurité sont des fonctionnaires de police ou non ? Je souhaiterais que ce ne soit que des retraités. Malheureusement, il y a des fonctionnaires de police en activité, la montée du Front National au sein de la police le montre. Nous sommes face à une situation où la délinquance augmente et où les comportements et les propos tenus par certains fonctionnaires de police appartenant au DPS ne sont pas dignes d'une police républicaine. Je ne voudrais pas que demain l'on dise qu'il ne faudrait plus de police nationale à cause de ses idées.

    Je maintiens que des fonctionnaires de police en activité font partie de ce service d'ordre. Chacun doit prendre ses responsabilités, que ce soit le ministère de l'Intérieur pour donner des noms, pour les filmer, pour les traduire en conseil de discipline, ou les organisations syndicales ; puisque avec Alliance et l'UNSA Police, nous sommes majoritaires au sein de la police nationale, nous les traduisons devant le conseil de discipline.

    Vous savez très bien que tout a été caché. Je prends le cas de M. Laurendeau parce que j'ai le papier. On sait qu'il s'est rendu avec un véhicule de police à une réunion politique du Front National ; il n'a jamais été traduit devant le conseil de discipline.

M. le Président : Y a-t-il eu une enquête de l'IGPN sur ce cas ?

M. Joaquin MASANET : Je ne sais pas. Je n'ai que les papiers que l'on veut bien me fournir.

    Mais il faut arrêter de dire qu'il n'y a que des retraités au DPS. Il suffit de les regarder : que tous ces « costauds » soient des retraités, ça m'étonnerait, moi qui suis plus près de la sortie que de l'entrée ! (Sourires.)

    Il faut savoir ce que l'on veut faire du DPS au niveau de l'Etat et du ministère de l'Intérieur. Je suis un homme libre. Je dis ce que l'on voit et je ne voudrais pas que l'on dise demain que dans la police nationale, il y a des racistes. Que ce soit l'organisation syndicale Alliance, concurrente à la nôtre, ou la nôtre, nous voulons une police républicaine, nous ne voulons plus voir ce que l'on voit aujourd'hui. C'est une aberration de laisser faire ces gens-là, autour de Mégret ou de Le Pen.

M. Gérard LINDEPERG : Ce que vous nous dites représente une avancée par rapport à ce que nous avions entendu jusqu'à présent. Dans la plupart des auditions précédentes nous essayions d'établir ce que nous appelions, avec beaucoup de précautions et de subtilités, des « connivences ».

    Vous faites des affirmations extrêmement vigoureuses sur des participations actives, directes. Nous avons bien reçu votre acte de foi républicain mais l'important pour notre Commission, c'est d'avoir des éléments concrets et précis. Vous avez donné quelques noms mais au-delà de la déclaration de caractère général, pouvez-vous nous renseigner sur l'importance quantitative de ces participations ? Avez-vous des exemples précis, tangibles, palpables, vérifiables, quitte pour la Commission à élargir ses auditions à certaines que nous n'avions pas prévues ?

M. Joaquin MASANET : Je vous ai invité à entendre les gens dont j'ai cité les noms, qui font partie d'organisations syndicales, dont la FPIP. Posez-leur la question. Ils sont en activité et appartiennent au Front National.

M. Gérard LINDEPERG : Vous n'en connaissez pas ?

M. Joaquin MASANET : J'en connais, mais je n'ai pas de pièces me permettant de dire, précisément, qui a participé à telle ou telle manifestation. Je peux même en citer qui ne sont pas loin d'ici, en Île-de-France, mais je n'ai pas de preuves.

    Je n'ai pas de preuve écrite permettant d'affirmer que tel commandant de telle compagnie d'intervention fait partie du DPS.

    Mais aujourd'hui, avec les systèmes vidéo, on filme toutes les manifestations, sportives, artistiques, etc. Je suppose que les manifestations de partis politiques comme le Front National sont filmées et que des membres de la police, des renseignements généraux assistent à ces réunions. Ne peuvent-ils pas savoir s'il y a des fonctionnaires de police dans le DPS ? Je regrette mais, quitte à me répéter, je ne pense pas que tous ceux qui encadrent M. Bruno Mégret ou M. Jean-Marie Le Pen sont des retraités. Je n'ai pas de preuve. Je sais qui participe, mais nous n'avons rien d'écrit. Faut-il absolument attendre que se produisent des événements comme on en a vu par le passé ? Il faut savoir ce que l'on veut : veut-on dissocier le service de sécurité du Front National, le DPS, des fonctionnaires de police ? La police nationale a une tenue. On a essayé de distinguer les polices municipales et la police nationale, et on ne pourrait pas le faire avec le service d'ordre du Front National ! Ses membres sont tous en treillis et portent les mêmes tenues que ceux qui font du maintien de l'ordre. Est-ce normal ?

    Il faut distinguer les tenues puis il suffira de regarder sur les films, ceux qui seront en tenue différente. Quand on veut trouver quelqu'un, on le trouve.

M. Robert GAÏA : Pour revenir aux faits, on nous a signalé dans une audition précédente que quatre fonctionnaires de police avaient été reconnus membres du DPS. Trois ont été révoqués, un est encore en poste à Clermont-Ferrand.

    Par le biais de vos secrétaires départementaux, auriez-vous une étude quantitative sur le nombre de fonctionnaires de police membres du DPS ? Je précise bien du DPS, pas du Front National.

    Vous avez dit qu'un certain nombre de fonctionnaires de police étaient rémunérés pour ces activités.

M. Joaquin MASANET : Absolument.

M. Robert GAÏA : Votre hiérarchie nous a dit qu'il est difficile d'empêcher quelqu'un de faire ce qu'il veut en dehors de ses heures de travail. Mais dès lors qu'une rémunération est versée, le problème est différent. Pourriez-vous, d'ici la fin de la commission d'enquête, par le biais de vos secrétaires départementaux, nous donner le nombre de fonctionnaires membres du DPS rémunérés en tant que tels ? Et non rémunérés ?

    Par ailleurs, un autre syndicat de police qui ne concerne pas le corps que vous représentez, nous a dit qu'une défense syndicale très ferme empêchait d'obtenir la révocation, lorsqu'on déférait en commission de discipline des fonctionnaires pour des agissements liés au DPS, contrairement à certains corps de police, où l'on trouve beaucoup plus de révocations. Qu'en pensez-vous ? Êtes-vous offensif aussi dans les commissions de discipline ? C'est une observation qui s'adresse aux syndicats en général.

M. Joaquin MASANET : Lorsque je siégeais en conseil de discipline au nom de mon organisation syndicale - ce n'est plus le cas aujourd'hui - nous demandions la révocation de quiconque appartenait à l'extrême-droite, en fonction de la gravité de sa faute, bien sûr. J'avais révoqué M. Provence, CRS à l'époque où je siégeais - je siégeais pour les CRS - pour des faits relatifs à une manifestation, etc. Il a été réintégré trois ou quatre ans après.

    Sur ce sujet, mon organisation est claire : dès l'instant où nous avons des faits constitués, nous demandons la révocation pour ne pas nuire à l'image de la police nationale. Nous voulons une police nationale républicaine et je crois que les autres organisations ont le même comportement que nous, du moins au niveau du corps de maîtrise et d'application.

    Pour ce qui s'est passé à Lyon, c'était la commission administrative paritaire de Lyon, qui avait siégé pour ces gens-là. Trois ont été révoqués et un est encore en poste, me semble-t-il, à Clermont-Ferrand. Nous procédons à un examen département par département, ainsi que dans les territoires d'outre-mer, mais il est très difficile de connaître le nombre de fonctionnaires faisant partie du DPS et de savoir s'ils sont rémunérés. Je ne dispose que d'informations sur des gens dont je sais qu'ils appartiennent à ces services d'ordre d'extrême-droite mais sans en avoir la preuve écrite, aucune mention DPS ne figurant dessus.

M. le Président : C'est le DPS qui nous intéresse.

M. Joaquin MASANET : Sur le DPS, nous sommes en train de faire une étude. Je n'ai pas plus d'éléments. Je ne peux vous communiquer les noms dont je dispose car je n'ai rien de concret à leur sujet.

M. le Président : En nombre ?

M. Joaquin MASANET : Je ne sais pas. Nous sommes en train de quantifier leur nombre, département par département. Quand nous l'aurons, je vous l'enverrai au titre de l'UNSA Police, sans donner les noms, sauf si j'ai des preuves.

    Je lisais l'autre jour l'article d'un journal lyonnais dont le titre était Il faut donner un grand coup de balai au Front National. Il y est indiqué que le DPS va chercher des fonctionnaires de police, élus en 1989 ou 1998 au conseil municipal de Villeurbanne aux côtés de M. Pierre Vial. C'est connu, on lit cela dans tous les journaux. Il doit être possible aux chefs de service de savoir qui en fait partie, en discutant ...

M. le Rapporteur : A Strasbourg, un CRS est allé féliciter Mme Catherine Mégret. Savez-vous s'il y eu à son encontre une procédure disciplinaire et quel en a été le résultat ?

M. Joaquin MASANET : J'ai demandé la révocation de cet individu de la CRS 23, âgé de cinquante ans et qui avait adhéré chez nous. Je l'ai exclu de l'organisation à laquelle j'appartiens, c'est-à-dire le syndicat national indépendant et professionnel des CRS. Quand je l'ai reçu, je lui ai dit que je demanderais sa révocation, mais cet avis n'a pas été suivi par l'administration. Il a eu deux mois d'exclusion, je crois. Pour ma part, je l'aurais révoqué. J'aurais pris des mesures draconiennes à son encontre.

M. le Rapporteur : Quelle avait été la demande de l'administration à son sujet ?

M. Joaquin MASANET : Je vous enverrai le compte rendu de la commission.

    J'ai apporté quelques cas ici de fonctionnaires de police ayant attaché des personnes à des radiateurs, qui n'ont jamais été révoqués par le conseil de discipline ! Et ils n'ont pas attaché des blancs !

M. le Président : Si vous avez des éléments concernant des faits qui touchent plus précisément au DPS, nous sommes preneurs, naturellement.

M. Joaquin MASANET : J'ai évoqué une procédure tout à l'heure concernant M. Laurendeau datant de 1994. Le fait qu'il s'était rendu à une réunion politique du Front National ne figurait pas sur le compte rendu signé du directeur !

M. le Président : Il y a eu une procédure.

M. Joaquin MASANET : Je vous en ai lu le passage tout à l'heure. Vous avez le nom, M. Laurendeau, vous pouvez le convoquer, il est toujours en activité dans le Val-de-Marne.

    Et je vous ferai parvenir le dossier à propos de la CRS 23, située à Charleville-Mézières.

M. Jacky DARNE : Mon propos rejoint celui de mes collègues. Nous apprécions votre intervention peu diplomatique et sans ambiguïté, mais nous sommes tous à la recherche de faits précis qui permettent d'étayer votre intervention. C'est évidemment ce qui nous manque.

    Il ressort de votre intervention une critique sous-jacente de la hiérarchie : finalement, des personnes se compromettent dans des services d'extrême-droite, la hiérarchie devrait le savoir grâce aux vidéos et il ne se passe rien. Comment cela se peut-il ? Doit-on considérer qu'il y a des sympathies à tous les niveaux de la hiérarchie ou que le laxisme de tel ou tel responsable empêche les sanctions lors de poursuites disciplinaires, par exemple ?

    Vous utilisez en parlant du CRS de Strasbourg l'expression « j'ai demandé sa révocation ». Comment se déroule le processus de décision ? J'imagine que c'est un responsable hiérarchique qui demande et qu'ensuite, le conseil disciplinaire s'exprime à une majorité. Qui a la possibilité de saisir ce conseil disciplinaire ? Au niveau départemental, vous avez constaté que certains comportements étaient répréhensibles et ne faisaient l'objet d'aucune sanction. Il existe donc des cas où vous estimez que les poursuites devaient être engagées et ne l'ont pas été ?

    De même, au début de votre intervention, vous avez regretté que les policiers soient ensuite recrutés par des services d'ordre et des sociétés de gardiennage. Là encore, puisqu'il ne s'agit plus de fonctionnaires en activité, avez-vous des cas précis montrant qu'après avoir eu des responsabilités au sein de la police, certaines personnes ont eu des responsabilités précises - au DPS, c'est ce qui nous intéresse plus particulièrement - qui témoignent de comportements répréhensibles du point de vue de la déontologie, si ce n'est du point de vue légal ?

M. Joaquin MASANET : Sur les sociétés de gardiennage, il ne s'agit pas des sociétés de gardiennage du DPS. Ce sont des fonctionnaires de police qui ont été dans l'administration depuis des années et qui, à un moment donné, demandent une mise en disponibilité pour travailler dans des sociétés de gardiennage. Pourquoi avoir formé des fonctionnaires de police pour les voir partir après dans différentes sociétés de gardiennage, que ce soit chez Danone, chez Carrefour ou autres ? Il y a quelques années, on demandait aux fonctionnaires de police, gradés et gardiens, de constituer un dossier sur l'activité ultérieure, avant d'accorder une mise en disponibilité.

    Le DPS n'a rien à voir avec les sociétés de gardiennage. Je dis que nous avons formé des fonctionnaires de police auxquels on donne l'autorisation de se mettre en disponibilité pendant un à six ans, pour partir dans des sociétés de gardiennage.

    Il ne s'agit pas de fonctionnaires en retraite qui peuvent faire ce qu'ils veulent. Mais je précise qu'il y a quelques années, les gens en activité ne pouvaient pas se mettre en disponibilité pour entrer dans des sociétés de gardiennage. Aujourd'hui, c'est possible grâce au nouveau règlement d'emploi. Vous n'empêcherez donc pas un fonctionnaire de police de demander une mise en disponibilité pour partir dans une société de gardiennage. Est-ce que ce n'est pas une incitation ? Je crois plutôt que notre intérêt est de garder les fonctionnaires parmi nous et de les mettre dans des quartiers sensibles.

    Je vous transmettrai des informations sur la procédure suivie devant le conseil de discipline afin que vous voyiez ce qu'a écrit la hiérarchie.

    Affirmer que la hiérarchie couvre tel ou tel fonctionnaire de police appartenant au DPS - de toute façon, on ne peut pas le savoir précisément - me paraît aller un peu loin. La hiérarchie ne veut pas que l'on sache que, dans telle compagnie ou tel commissariat, les élections professionnelles ont révélé un fort pourcentage de votes Front National comme à la CRS 54, où une soixantaine de fonctionnaires avaient voté pour la FPIP. En effet, on demande ensuite des comptes au chef de service, parce que l'administration ne veut pas de tels gens.

    Mais je ne pense pas que la hiérarchie comporte plus de membres appartenant au Front National que les autres catégories de fonctionnaires ; ce serait une catastrophe pour la police nationale.

M. le Président : Vous avez parlé de dirigeants de la FPIP qui avaient été révoqués et réintégrés. Avant leur révocation, il y a eu certainement des enquêtes de l'IGPN ?

M. Joaquin MASANET : Oui : « Enquête administrative suite aux incidents ayant émaillé la manifestation de la fédération professionnelle indépendante ». Vous pouvez les demander à l'administration.

M. le Président : Justement. Nous avons demandé à la direction de l'IGPN de venir devant cette Commission, elle nous a répondu qu'elle n'avait aucune information sur la question du DPS.

M. Joaquin MASANET : Il ne s'agit pas de membres du DPS. Il y a des fonctionnaires de police qui se sont présentés au Front National, des gens qui sont en activité encore aujourd'hui. Ils ne sont peut-être pas au DPS, mais ils sont en activité.

    C'est le cas de M. Philippe Bitauld. Demandez à l'administration.

M. le Président : Dans ce cas, y a-t-il une enquête de l'IGPN ?

M. Joaquin MASANET : Bien sûr. Il y a une « enquête administrative suite aux incidents ayant émaillé la manifestation ».

M. le Président : De quelle année cela date-t-il ?

M. Joaquin MASANET : Par arrêté du 17 juin 1991, de l'avenue Trudenne à la place de la Résistance à Paris. Enquêteur : Daniel Martinez.

    Ange Quesada, Bernard Pattedoie...

M. le Président : Qu'avaient-ils fait ?

M. Joaquin MASANET : C'était une manifestation.

    « Aux alentours du 12 juin 1991, M. Philippe Bitauld, président de la FPIP, déposait à la préfecture de police de Paris une déclaration de manifestation prévue le 17 juin, suite à une manifestation... Malgré cette interdiction, un rassemblement avait lieu le 17 juin 1991 ».

    Des gens ont été sanctionnés.

    La comparution devant le conseil de discipline de MM. Philippe Bitauld, Girod, Schuler, Benoit, Patrick Extreme, Patrick Allier et Michel Tridon, prouve que, même s'ils ne font pas partie du DPS, ils font bien partie d'une organisation syndicale proche du Front National.

    De même, pourquoi ne pas écouter M. Laurendeau, fonctionnaire de police en activité dans le Val-de-Marne et lui demander ce qu'il pense du DPS ? Il représente une organisation qui s'appelle le SPPF.

    J'ai cité M. Philippe Bitauld, parce que cela peut vous donner des informations. Vous pouvez essayer de l'entendre.

M. le Rapporteur : Celui qui avait été révoqué en 1991 a-t-il été réintégré depuis ?

M. Joaquin MASANET : Bien sûr, il a été réintégré en 1995, il est toujours en activité et président de la FPIP. Il vient siéger avec nous au Comité technique paritaire. Demandez tout cela à l'administration qui vous communiquera les dossiers, puisque vos travaux sont secrets.

M. le Président : C'est secret mais ce n'est pas pour cela que l'on nous donne les éléments. En tout cas, vous nous aidez à les chercher.

M. Joaquin MASANET : Je vous enverrai la traduction devant le conseil de discipline. Vous pouvez la demander à l'administration. On y expose la raison de la révocation.

    Je siège en conseil de discipline, j'ai donc toutes les procédures que je ne peux vous donner pour des raisons de confidentialité, mais vous pouvez les demander à l'administration.

    Pourquoi ont-ils été réintégrés ?

M. André VAUCHEZ : Monsieur a beaucoup insisté sur le problème de la tenue qui représente un vrai problème.

    Qu'un policier puisse être candidat aux élections municipales est permis par votre statut. Pourquoi pas, hélas, pour le Front National ? Il peut très bien se trouver dans un meeting comme devant être utilisé par le Front National au sein du DPS, et la boucle est bouclée.

M. Joaquin MASANET : Exactement. De toute façon, un fonctionnaire de police a le droit de se présenter à une élection politique quelle qu'elle soit. On sait alors tous ceux qui se sont présentés sous l'égide du Front National, non ? Je crois rêver aujourd'hui. Quand on m'envoie les affiches, je regarde : « Front National : pour les Français d'abord, Olivier Kubertsky ». Il est toujours en activité et s'est présenté sous l'égide du Front National aux élections municipales, même s'il a démissionné le 16 mai 1996 du conseil municipal des Ullis. Et je ne pense pas qu'il ait démissionné du Front National.

M. le Président : Nous vous remercions pour l'aspect catégorique de vos déclarations et, nous le voyons bien, de votre engagement.

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