SOMMAIRE DES COMPTES RENDUS D'AUDITIONS
DU 10 MARS 1999 AU 17 MARS 1999

__ M. Jean-Louis DEBRÉ, ancien ministre de l'Intérieur (mercredi 10 mars 1999).

__ M. Gérald NOULÉ, secrétaire général et M. Marc ASSET, membre du Syndicat National des Policiers en Tenue (mercredi 10 mars 1999).

__ M. Pierre MARCOZ, secrétaire national et M. Jean-Michel TOULLEC, membre du Syndicat National des Officiers de Police (mercredi 10 mars 1999)

__ Madame Fiammetta VENNER, journaliste à Prochoix (mardi 16 mars 1999).

__ M. Bernard COURCELLE, ancien responsable du DPS (mercredi 17 mars 1999)

__ M. Denis DUVOT et M. Jacques DEVIENNE, responsables du service d'ordre du Parti Communiste (mercredi 17 mars 1999).

__ M. Claude DUPONT, responsable du service d'ordre du Rassemblement Pour la République (mercredi 17 mars 1999).

    Audition de M. Jean-Louis DEBRÉ, ancien ministre de l'Intérieur

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 10 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Jean-Louis Debré est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Louis Debré prête serment.

M. Jean-Louis DEBRÉ : Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la mission de votre Commission d'enquête concerne les activités du service d'ordre du Front National, le département protection et sécurité, dit le DPS. Certains partis politiques, certaines organisations, certains syndicats possèdent un service d'ordre ; il s'agit, en fait, de militants et sympathisants mobilisables pour encadrer des manifestations, surveiller des réunions et éviter tout débordement ou toute action illégale.

    La question est donc de savoir, pour la période pendant laquelle j'ai occupé les fonctions de ministre de l'intérieur, si le DPS n'a pas excédé sa mission, si le Front National n'a pas constitué une organisation paramilitaire, un groupe de combat, voire une milice privée.

    Lorsque j'étais place Beauvau, les services du ministère de l'Intérieur tenaient le ministre informé, dans la mesure du possible, de tout incident qui pouvait apparaître lors des réunions du Front National ou lors des déplacements publics du président de ce mouvement. La règle que j'avais fixée était la suivante : chaque fois qu'une infraction était constatée ou pouvait être caractérisée, il convenait de saisir la justice en informant le parquet de ces faits. C'est le procureur de la République qui a l'opportunité des poursuites pénales.

    La question que je me suis posée, à propos du DPS, était de savoir si, en dehors de la saisine judiciaire, je pouvais proposer au gouvernement la dissolution de ce service. Je voudrais rappeler, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, que la dissolution administrative est une mesure de police qui ne peut être utilisée que pour des motifs très précis. La dissolution administrative d'une association est prononcée par décret du Président de la République pris en conseil des ministres ; ce décret, présenté par le ministre de l'intérieur, est contresigné par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur.

    Plus important, car cela conditionne la réponse à la question précise que vous me posez, les motifs de la dissolution administrative sont prévus et réglementés par la loi du 10 janvier 1936. Ces conditions ont été affinées par la jurisprudence du Conseil d'Etat et sont précises et contraignantes. Contrairement à la dissolution par voie judiciaire, prévue par la loi du 1er juillet 1901, la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées a été relativement peu utilisée. Cette loi a été plusieurs fois complétée et la jurisprudence du Conseil d'Etat, à différentes reprises, a fixé les limites et les contours de la possibilité pour le ministre de l'intérieur de proposer la dissolution d'une association ou d'une milice privée.

    Quelles sont ces conditions ? Peuvent être dissoutes les associations qui provoqueraient des manifestations armées dans la rue ; peuvent être dissous ceux qui, en dehors des sociétés de préparation au service militaire agréées par le gouvernement et des sociétés d'éducation physique et de sport, présenteraient, par leur forme ou par leur organisation militaire, la caractéristique de groupe de combat ou de milice privée ; ceux qui auraient pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national et d'attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement ; ceux dont l'activité tendrait à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ; ceux qui auraient pour but, soit de rassembler des individus ayant fait l'objet d'une condamnation du chef de collaboration avec l'ennemi, soit d'exalter à cette collaboration ; ceux qui inciteraient à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race, une religion ; ceux qui se livreraient sur le territoire français, ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger.

    Ainsi, en 1936, Action française, les Camelots du roi et les Croix-de-feu ont été dissous, de même que, au lendemain de la guerre, certaines organisations liées à la collaboration. Pendant la période de la IVe République, de 1947 à 1958, un certain nombre d'organismes militant pour l'indépendance de Madagascar, du Vietnam et de l'Algérie ont également été dissous. Plus tard, en 1962, cela a été le cas pour l'OAS. En juin 1968, onze organisations d'extrême gauche ont fait l'objet de dissolution. De 1968 à 1987, Occident, la Gauche prolétarienne, la Ligue communiste, Ordre nouveau et différentes organisations à caractère séparatiste ou régionaliste qui avaient eu recours à des actions violentes en Bretagne, en Corse, au Pays Basque, voire dans les Caraïbes, ont été dissoutes. A trois reprises, entre 1980 et 1987, un certain nombre de groupements ont été dissous : groupements d'extrême droite, groupements d'inspiration néo-nazi, Action directe et le SAC (Service d'Action Civique).

    Ces conditions posées par la loi, ces cas que je viens de citer, ont très souvent donné lieu à un contentieux. Le Conseil d'Etat est compétent pour examiner les recours pour excès de pouvoir formés contre ces décrets et il veille à ce que les conditions posées par la loi de 1936 soient respectées et que le décret soit juridiquement fondé.

    Les conditions prévues par la loi de 1936 n'ayant jamais été réunies pendant que j'étais ministre de l'intérieur, je n'ai pas proposé au gouvernement la dissolution administrative du DPS. Je vous rappelle qu'à cette époque, le ministre de l'intérieur était confronté à des attentats islamistes et corses, ainsi qu'à des attentats commis par les indépendantistes du Pays Basque ; le problème du Front National n'était donc pas sa première préoccupation - même s'il était une préoccupation.

    Je fais donc appel à ma mémoire et je vais essayer d'être aussi précis que possible. Je crois me souvenir - il faudrait que le ministère de l'Intérieur vous confirme ces propos - que, lors d'une réunion du Front National, dont je ne peux pas vous donner la date exacte, mais que je situe en octobre 1996, à Montceau-les-Mines - réunion organisée, me semble-t-il, par M. Bruno Gollnisch - des incidents se sont produits. C'est le seul moment où je me suis posé la question de savoir, en dehors de la saisine judiciaire - je crois me souvenir que, paradoxalement, M. Bruno Gollnisch notamment avait déposé plainte - si les conditions posées par la loi de 1936 étaient réunies et pouvaient me permettre de proposer au gouvernement la dissolution administrative du DPS. Il m'est finalement apparu que les conditions, telles que je les ai énumérées et qui sont cumulatives, n'étaient pas réunies et que la dissolution risquait d'être annulée par le Conseil d'Etat. Si je me suis interrogé, ce n'est pas uniquement parce que, à l'époque, les médias avaient diffusé des images qui m'avaient préoccupé et qui me donnaient le sentiment que l'on était passé de l'acceptable à l'inacceptable. Ce n'est pas non plus à la suite des articles de presse, mais parce que j'avais dû recevoir un rapport des services. Telles sont les informations que je puis vous fournir en ce qui concerne ce meeting d'octobre 1996. Je vous remercie.

M. le Président : Monsieur le ministre, je vous remercie. D'abord une question qui a beaucoup occupé les travaux de la Commission : vous parlez d'un « rapport des services »...

M. Jean-Louis DEBRÉ : ... un rapport ou une note.

M. le Président : L'avez-vous demandé ? La presse, plusieurs témoins affirment qu'après les événements de Montceau-les-Mines - et ce que vous venez de dire le confirme -, vous vous êtes posé la question de savoir si les conditions énumérées par la loi de 1936 étaient réunies afin de proposer la dissolution du DPS et que vous avez demandé - à l'IGPN ou aux renseignements généraux - un rapport sur l'activité du DPS. Or personne ne semble l'avoir trouvé dans les services. Vous venez de parler d'un rapport ou d'une note qui aurait conduit à votre décision : pouvez-vous être plus précis à ce sujet ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Lorsque vous êtes ministre de l'intérieur, vous recevez de nombreux rapports de vos services. Je suis incapable de vous donner l'origine de ce rapport ou de cette note. Etait-ce une note du préfet, des renseignements généraux ou d'un autre service ? Je ne sais plus. Ce que je puis vous affirmer, c'est que l'information est remontée.

    Pour être tout à fait honnête, il me semble que j'ai demandé aux services du ministère si les conditions de la loi de 1936 étaient réunies à l'occasion de ces événements. Même si je ne suis plus un juriste, je sais cependant par ma formation qu'on ne dissout pas comme cela. Si donc je me suis interrogé sur cette dissolution, c'est probablement parce que j'avais demandé qu'on me fournisse des renseignements.

Mme Odile SAUGUES : Monsieur le ministre, vous avez parlé d'une frontière entre l'acceptable et l'inacceptable ; il ne s'agit pas seulement d'une impression. Cela doit être étayé par des faits précis. Vous ne disposiez donc pas de faits suffisamment précis pour proposer cette dissolution ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Madame, sachez que mes sentiments à l'égard du Front National n'ont jamais varié. Je n'ai jamais, ni directement ni indirectement, eu la moindre complaisance avec cette formation politique, pour des raisons qui tiennent à ma famille et à mes origines, et parce qu'elle véhicule des idées auxquelles je suis totalement étranger et dans lesquelles je ne me retrouve pas. J'ajouterai que, localement et électoralement, ma circonscription est contiguë à Dreux, je sais donc ce qu'est le Front National, qui a toujours été mon adversaire. En revanche, il n'a pas toujours été l'adversaire de mes opposants socialistes... Jamais donc vous ne trouverez de ma part une phrase de complaisance à l'égard de ce parti.

    Par conséquent, j'étais extrêmement déterminé à ne rien laisser passer. Je savais ce qu'il avait pu faire dans le passé et je connaissais les agissements de cette organisation lors de la campagne électorale à Dreux - mais ces événements étaient intervenus avant ma nomination au ministère de l'Intérieur. Je veillais donc à ce qu'il reste dans la légalité, et s'il avait dépassé « l'acceptable », le « tolérable », je ne l'aurais pas ménagé. Prenons ce mot dans son acception juridique : je n'aurais pas toléré qu'il se mette dans l'illégalité, c'était d'ailleurs ma responsabilité. Je ne dis pas que le gouvernement m'aurait suivi, mais je considérais qu'il aurait été de ma responsabilité de saisir le gouvernement. Néanmoins, si pendant cette période, le Front National a fait parler de lui, je ne me souviens pas cependant d'autres manifestations particulièrement violentes qui m'auraient permis de proposer la dissolution du DPS.

M. Gérard LINDEPERG : Monsieur le ministre, il serait intéressant que l'on approfondisse le dossier de Montceau-les-Mines, car il est, à certains égards, très significatif. Bien entendu, on pourrait prendre d'autres exemples.

M. Jean-Louis DEBRÉ : D'autres exemples ? Pouvez-vous en citer d'autres qui ont eu lieu pendant que j'étais au ministère de l'Intérieur ?

M. Robert GAÏA : Wagram.

M. Gérard LINDEPERG : Oui, la réunion qui s'est déroulée salle Wagram et qui s'est terminée à l'Arc de Triomphe, par exemple.

    Plusieurs témoignages de journalistes, présents à Montceau-les-Mines ou au meeting de Wagram, ont fait état de la défaillance de la police. Ils parlent même d'une « quasi-substitution » du DPS à la police d'Etat, l'uniforme et l'équipement des membres du service d'ordre prêtant à confusion, à tel point que certains témoins ont pu être, au début, abusés.

    S'agissant de la saisine judiciaire, je n'ai pas bien compris si, après ces événements, la justice avait ou non été saisie et à partir de quels faits. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Par ailleurs, y a-t-il eu une enquête administrative sur l'attitude de la police à Montceau-les-Mines ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Mes instructions étaient précises et sans ambiguïté : chaque fois qu'un service de police, à l'occasion d'une réunion, d'une manifestation ou d'un déplacement, relevait des faits susceptibles de constituer une infraction, il devait saisir le procureur de la République. Je suis incapable de vous dire, car cela ne dépendait pas de ma responsabilité, la suite donnée à ces saisines. C'est le procureur de la République qui a l'opportunité des poursuites pénales, les services de police apportant des faits que le ministère de l'Intérieur estime relever d'une qualification pénale et pouvant donner lieu à des suites judiciaires. Il n'appartient pas à la police ou au ministère de l'Intérieur de se substituer au procureur de la République du lieu où a été commise ou relevée l'infraction.

    Mais il ne s'agit pas précisément de la question qui m'a été posée. Il m'a été demandé si, à l'occasion de la réunion de Montceau-les-Mines, en dehors de la saisine judiciaire, je m'étais interrogé sur la dissolution administrative, prévue par la loi de 1936, du DPS.

M. Gérard LINDEPERG : Y a-t-il eu une enquête sur l'attitude de la police, dès lors que plusieurs témoignages font état, d'une part, d'un retard de l'arrivée des forces de l'ordre, et, d'autre part, d'une quasi-substitution du DPS à la police d'Etat.

M. Jean-Louis DEBRÉ : Je n'ai pas souvenir d'une telle attitude. Je ne puis que vous répéter ce que je vous ai déjà dit : il m'a effectivement semblé qu'il y avait un problème puisque j'ai demandé des informations.

    Si vous souhaitez plus de précisions, je vous encourage à vérifier dans les archives du ministère de l'Intérieur. Je tiens d'ailleurs à votre disposition le bordereau que les Archives nationales envoient aux ministres pour attester qu'ils ont déposé toutes leurs archives - en effet, il a été dit dans la presse, à cette époque-là, que j'étais parti avec toutes les archives ! Je vous conseille donc d'interroger les services du ministère de l'Intérieur pour savoir, d'une part, si un rapport a été remis au ministre, et, d'autre part, si, à l'occasion de ces événements, une enquête a été demandée à l'inspection générale des services. Pour ma part, je n'en ai plus le souvenir, ayant, lorsque j'étais ministre de l'intérieur, demandé beaucoup de rapports comme c'est habituellement le cas de la part d'un ministre.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Monsieur le ministre, quand on est un ancien ministre de l'intérieur, on se doit d'avoir de la mémoire, notamment lorsqu'il s'agit de faits importants. Je vous poserai une question très simple : est-il supportable, pour un ministre de l'intérieur, de savoir que, dans certaines manifestations, une seconde police se substitue à la police nationale et peut même se trouver directement derrière elle - nous pourrons vous citer des exemples précis - ? Est-il supportable de laisser opérer sur le territoire national, une véritable police « bis » ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Puisque vous mettez en cause ma mémoire, je crois maintenant me souvenir que les événements de Montceau-les-Mines ont eu lieu le 25 octobre 1996 ; vous voyez que j'ai bonne mémoire !

    Pour moi il n'y a qu'une police, la police nationale. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours été très réservé quant à la privatisation des services de police et des polices municipales. Pour moi, ancien ministre de l'intérieur et simple citoyen, il n'est pas acceptable qu'il y ait d'autres polices. Pour moi, il n'est pas acceptable que certains aient recours à des méthodes qui relèvent du nazisme.

    Si je n'ai pas voulu être précis tout à l'heure, c'est non pas parce que je n'ai plus de mémoire, mais parce que je ne voudrais pas être pris en défaut sur la question de savoir si j'ai ou non demandé un rapport : si je vous réponds que j'ai demandé ce rapport et qu'il n'y en a pas, et si je vous dis que je n'en ai pas demandé et que vous en trouvez un, je ne veux pas que vous me disiez que j'ai menti. C'est la raison pour laquelle je vous conseille d'aller vous-mêmes chercher aux archives du ministère de l'Intérieur. En effet, quand un ministre demande un rapport sur les agissements de ses fonctionnaires, une note portant trace de cette demande est nécessairement établie.

    Enfin, sachez, madame, que je n'accepte pas, et que je n'accepterai jamais, qu'il y ait des polices parallèles. Mais nous sommes dans un Etat de droit, et, pour dissoudre une organisation quelle qu'elle soit, il convient de respecter la loi. La pire des choses aurait été que je propose au gouvernement la dissolution du DPS, qu'il y ait un recours pour excès de pouvoir et que le décret soit annulé. Cela aurait été aller à l'encontre de la République et de l'idée que je me fais de la République et de la liberté.

M. Robert GAÏA : Monsieur le ministre, nous ne sommes pas là pour vous faire un procès en « républicanisme ».

    Je voudrais revenir sur quatre événements.

    Premièrement, les événements de Montceau-les-Mines, où l'on a pu voir des personnes vêtues d'un uniforme pratiquement identique à celui des CRS, munies de boucliers et de casques. Nous avons reçu les responsables de la police et des organisations syndicales et leur avons demandé pourquoi la police n'était pas intervenue ; il nous a été répondu qu'elle intervenait sur ordre du préfet. Comment expliquez-vous que la ville ait été tenue par des personnes en uniforme qui n'étaient pas des fonctionnaires de police et que le préfet n'ait pas déclenché une action autre que la saisine judiciaire ? Il y a eu un vide, et les policiers que nous avons auditionnés ont souligné leur impuissance en indiquant que le maintien de l'ordre relevait du préfet.

    Deuxièmement, s'agissant de la réunion qui s'est tenue à Wagram, de nombreux témoins nous ont affirmé qu'il n'y avait aucun car de police, ce soir-là, devant la salle Wagram, mais que des membres des renseignements généraux se trouvaient dans la salle. Or, entre le moment où M. Bruno Gollnisch propose de se rendre sous l'Arc de Triomphe et le moment où le fonctionnaire de police qui protège la flamme du soldat inconnu est bousculé, il se passe une demi-heure, alors que les forces de police sont stationnées au Grand Palais, à cinq minutes ! Les renseignements généraux nous ont pourtant affirmé qu'ils avaient averti la préfecture de police par flash.

    Troisièmement, concernant les événements de Dreux du 17 novembre 1996, plusieurs témoins font état, une fois encore, de membres du DPS en uniforme et casqués se trouvant juste derrière le cordon de police qui protégeait des manifestants.

    Enfin, quatrièmement, le 11 novembre 1995, le DPS a procédé à des interpellations à Carpentras, avec contrôle d'identité et remise d'individus et de leurs papiers d'identité à la police !

    D'après les syndicats de policiers que nous avons auditionnés, le directeur général de la police nationale leur avait affirmé que vous aviez demandé une enquête aux renseignements généraux suite aux événements de Montceau-les-Mines. Mais, indépendamment de cette enquête, nous sommes obligés de constater qu'il y a eu une défaillance, non pas des services de police, mais des préfets qui étaient sous votre autorité.

M. Jean-Louis DEBRÉ : Je vous ai dit que Montceau-les-Mines avait été le seul moment où je me suis posé la question de savoir si les conditions exigées par la loi de 1936 étaient réunies.

    Vous me confirmez le fait que j'ai demandé un rapport sur ces événements. De la même façon, je crois me souvenir que, chaque fois qu'il y a eu un fait important concernant les activités du Front National et du DPS, je demandais des informations, pour vérifier à la fois si les conditions n'étaient pas réunies pour proposer la dissolution et s'il y avait dysfonctionnement de l'Etat.

    La responsabilité du maintien de l'ordre relève des préfets. Il est vrai que ces derniers ont tendance à se couvrir derrière la hiérarchie, mais ils n'appellent pas le ministre de l'intérieur toutes les cinq minutes pour lui demander ce qu'ils doivent faire, notamment pendant une manifestation. Ils ont une responsabilité et lorsque la manifestation est prévue, ils ont des forces de police à leur disposition. S'ils estiment qu'elles ne sont pas suffisantes, ils saisissent l'administration centrale - le directeur de la sécurité publique, le directeur général de la police, voire le ministre de l'intérieur -, et si les renforts demandés sont très élevés, la responsabilité de leur envoi relève du ministre.

    A Montceau-les-Mines, le préfet, ou le sous-préfet, a peut-être demandé des renforts de police. Je ne peux pas vous l'affirmer. Il conviendrait, là aussi d'aller chercher ces renseignements dans les archives du ministère car la demande de renfort est, en effet, faite par télégramme à la direction centrale.

    Pour ce qui concerne les événements qui se sont déroulés sous l'Arc de Triomphe, je crois que des plaintes pour violence ont été déposées. Par ailleurs, je ne crois pas que les conditions nécessaires à la dissolution du DPS étaient réunies. Il s'agissait, en outre, non pas de membres du DPS, mais du Front National.

    Qu'à chaque fois que le Front National intervient, il y ait des problèmes, c'est évident et je crois me souvenir qu'à chaque réunion, les autorités compétentes demandaient du renfort.

M. Robert GAÏA : Tel n'est pas l'objet de ma question, monsieur le ministre. Vous avez dit tout à l'heure qu'après les événements de Montceau-les-Mines, vous vous étiez posé la question de l'acceptable et de l'inacceptable au regard de la possibilité de dissolution. Mais peut-on se poser la même question quand le préfet laisse faire ce qui apparaît comme inacceptable ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Je ne peux pas vous laisser dire que les préfets ont laissé faire.

M. Robert GAÏA : Oui, mais c'est ce qui s'est passé !

M. Jean-Louis DEBRÉ : C'est votre interprétation ! Il conviendrait de reprendre les rapports du ministère de l'Intérieur pour savoir quand les renforts ont été demandés, quand ils ont été envoyés, comment ils se sont rendus à l'Arc de Triomphe, sur quel mot d'ordre, etc. C'est toujours très simple de refaire le film après !

M. Robert GAÏA : Certes, monsieur le ministre, mais les forces de police ont mis une demi-heure pour se rendre de la salle Wagram à l'Arc de Triomphe ; c'est un fait précis. Cela ne nous a pas été dit par une seule personne, mais également par les services de police.

M. Jean-Louis DEBRÉ : Je vous conseille de demander au ministère de l'Intérieur de vous fournir l'ensemble des rapports. Et interrogez les gens non pas sur des « on-dit » et des approximations, car, dans de telles situations, personne ne regarde sa montre pour savoir s'il s'est écoulé vingt ou trente-cinq minutes. En revanche, il existe des rapports de police qui relatent précisément les faits.

M. André VAUCHEZ : Monsieur le ministre, nous avons affaire à un service d'ordre très particulier ; quand le Front National organise une manifestation, le DPS est présent et il est quelquefois très difficile de faire la différence.

    Vous vous êtes interrogé sur une éventuelle dissolution du DPS après les événements de Montceau-les-Mines : vous avez donc dû, à ce moment-là, énumérer les conditions qui étaient réunies et celles qui ne l'étaient pas, au regard de la loi de 1936. Il est vrai que ces conditions se cumulent. Mais doivent-elles toutes se cumuler, en particulier pour ce qui est de l'intégrité du territoire ? Le DPS et le Front National ne sont pas favorables à un partage du territoire ; les conditions ne seront donc jamais réunies ! En revanche, à chaque manifestation, un des critères de la dissolution existe ; par exemple, le fait qu'un groupe de personnes se confonde avec la police, comme à Strasbourg. Quelles sont, à votre connaissance, la ou les conditions qui n'ont jamais été réunies ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Il m'est impossible de répondre à cette question ! Le problème était le suivant : je ne voulais pas que le décret prononçant la dissolution fasse l'objet d'un recours et soit annulé.

    Je me souviens avoir demandé une note aux juristes spécialistes de la loi de 1936 et de la jurisprudence du Conseil d'Etat, pour déterminer si, à l'occasion des événements de Montceau-les-Mines, les conditions de la dissolution étaient réunies sans risque d'annulation pour excès de pouvoir. Or, ils m'ont répondu qu'elles ne l'étaient pas ou qu'elles n'étaient pas suffisamment caractérisées pour que l'on puisse se prononcer en faveur de la dissolution.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Faut-il attendre que des violences se produisent pour intervenir ? Pourquoi autorise-t-on le Front National à avoir un service d'ordre armé, casqué, blindé, derrière la police nationale, alors que dans les partis démocratiques, les services d'ordre sont en général bon enfant ? Que se passerait-il si tous les partis souhaitaient posséder un service d'ordre plus musclé, tel que celui du Front National ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Je vous répondrai par une question : pourquoi, après les événements de Mantes-la-Jolie, le Front National et le DPS n'ont-il pas été dissous ? Nous vivons dans un Etat de droit, dont les règles sont posées par la loi. Bien sûr, nous pouvons changer la loi. Mais la police et le ministère de l'Intérieur doivent l'appliquer.

    Il est vrai qu'en tant que ministre de l'intérieur, j'ai été parfois choqué quand, dans le cadre du financement public des partis politiques, il fallait donner des subventions à des partis révolutionnaires - de droite comme de gauche, d'ailleurs - qui ne songent qu'à « casser » l'Etat. C'est une faiblesse de la démocratie, mais je préfère encore ce système au système totalitaire.

M. le Président : Monsieur le ministre, je vous poserai une dernière question relative aux sociétés privées de gardiennage liées au Front National. Vous êtes-vous préoccupé de cette question - demande de rapports ou de notes - et avez-vous pris des dispositions en la matière lorsque vous étiez ministre de l'intérieur ?

M. Jean-Louis DEBRÉ : Je me suis préoccupé de ces organismes de sécurité, de gardiennage, de convoyage de fonds, et notamment des conditions - très minimes - qui sont posées pour le recrutement des membres de ces sociétés. Je crois même avoir été à l'origine d'un décret qui a modifié les conditions de recrutement de ces agents de surveillance. Je me suis particulièrement intéressé à certains de ces organismes qui se sont développés en Corse.

M. le Président : Monsieur le Ministre, nous vous remercions.

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Audition de MM. Gérald NOULÉ, secrétaire général et Marc ASSET, membre du Syndicat National des Policiers en Tenue (SNPT)

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 10 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

MM. Gérald Noulé et Marc Asset sont introduits.

    M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Gérald Noulé et Marc Asset prêtent serment.

M. Gérald NOULÉ : Je tiens à préciser que je suis nouvellement élu à la tête de mon organisation et que je n'ai donc pas eu à connaître de faits antérieurs.

    L'activité du DPS nous intéresse au premier chef : elle touche à des problèmes de sécurité, vous comprenez bien que nous policiers, y sommes tout à fait sensibles de même que, plus largement, à l'action du Front National au sein de la police nationale.

    A titre d'information, je précise que mon organisation a été à l'origine de l'interdiction du Front National de la Police lors des élections professionnelles et que ses membres se montrent donc extrêmement vigilants.

    Nous concevons que des partis politiques ou des organisations syndicales puissent disposer de services d'ordre efficients pour éviter toutes sortes de débordements au cours de manifestations politiques ou de meetings, mais à la condition que ces derniers limitent leurs actions à un filtrage et à un service de sécurité interne. En revanche, nous ne saurions tolérer que des actions se déroulent sur la voie publique comme nous avons pu le constater, ce qu'attestent d'ailleurs des condamnations intervenues à la suite des événements de Montceau-les-Mines et Strasbourg.

    Après avoir sondé l'ensemble de nos sections départementales, je peux dire qu'a priori, elles n'ont pas de cas concrets de membres de la police nationale qui pourraient être rattachés ou qui pourraient avoir, de près ou de loin, des intérêts avec le Front National. Aussi, suivons-nous cette actualité notamment à travers la presse.

    J'insiste sur le fait que nous, policiers républicains, sommes favorables à tout de ce qui est de nature à éradiquer l'entrisme qu'opère le Front National sur les problèmes de sécurité, que ce soit par le biais de syndicats - je répète que nous sommes à l'origine de l'interdiction du Front National de la Police - ou d'organes de sécurité, pour le moins musclés, qui, sous certains aspects, s'apparentent à des milices et ne se gênent en rien pour usurper les qualités de policier - certains de leurs membres ont été condamnés sous ce chef d'accusation.

M. le Président : Vous parlez de faits qui outrepassent le rôle et l'activité des services d'ordre des partis démocratiques. Avez-vous d'autres exemples précis à nous fournir que ceux déjà longuement évoqués devant notre Commission, je pense à Montceau-les-Mines, à Strasbourg ou encore à l'affaire de Wagram ?

    Au-delà de ces événements maintenant bien repérés, nous souhaiterions apprendre des faits qui témoignent de ces débordements du DPS lors de manifestations. Disposez-vous d'informations sur cette question ?

M. Gérald NOULÉ : Sincèrement non, mais je suis responsable du syndicat depuis très peu de temps, je n'ai pas eu vraiment à connaître ce genre de problèmes. En outre, comme je vous l'ai expliqué, j'ai sondé l'ensemble de mes sections départementales pour voir si de tels faits ne s'étaient pas produits ici ou là, mais rien ne m'est remonté même si, je le précise, notre organisation est relativement bien structurée au niveau national : elle compte 800 sections syndicales, ce qui nous donne l'opportunité d'obtenir des renseignements. Or, je n'en ai pas d'autres que ceux que j'ai pu recueillir dans la presse.

    Ce qui est gênant et qui nous importe le plus, est qu'à certains endroits - et nous avons pu le constater notamment à l'occasion des événements de Strasbourg ou de Montceau-les-Mines - on observe une certaine forme de laxisme des services de police qui laissent faire les choses par commodité. C'est inacceptable mais cette situation relève des chefs de service : à eux de prendre la mesure du problème et d'adopter les mesures qui s'imposent. En revanche, au niveau de notre ministère, je suis convaincu que les dispositions sont claires, mais il faut les faire appliquer sur le terrain.

    Cela étant, je n'ai pas eu à connaître de nouveaux événements. Si tel avait été le cas, ce serait avec plaisir que je vous les communiquerais.

M. le Président : Avez-vous d'autres exemples de ce laxisme ?

M. Gérald NOULÉ : Nous avons des bruits mais nous gardons pour nous tous ce qui ne peut pas être prouvé. Il y a bien des exemples de services d'ordre où l'on fait « ami-ami » avec le service d'ordre du Front National et où il existe des échanges : ce n'est pas admissible, il faut savoir qui est qui et qui fait quoi dans cette affaire !

    Les choses seraient plus faciles si j'avais des preuves ; je ne vous cache pas que je les ai recherchées depuis que j'ai reçu ma convocation devant cette Commission, mais je n'ai malheureusement rien ! J'ai même eu l'occasion de m'entretenir avec le Directeur central des renseignements généraux que vous veniez d'auditionner et je ne peux que répéter ce qu'il a pu vous dire...

M. André VAUCHEZ : Je suis surpris que vous n'ayez pas plus d'informations, même si vous êtes nouvellement arrivé à la tête de votre syndicat, car vous représentez les policiers en tenue, donc une organisation de premier plan...

M. Gérald NOULÉ : Oui, il s'agit même de la principale organisation...

M. André VAUCHEZ : Vous êtes donc en toute première ligne. Or, ainsi que le Président vient de le rappeler il est avéré, soit par la presse, soit par les personnes auditionnées, que le laxisme a été notoirement constaté et cela à plusieurs reprises.

    Votre syndicat, dites-vous, se compose de près de 800 sections syndicales. Je suis fort surpris qu'à aucun moment, en dehors de la voie hiérarchique, à l'intérieur de votre syndicat, vous n'ayez eu d'informations très importantes à nous communiquer, d'autant que le DPS n'est pas un service d'ordre comme un autre. Par exemple, le fait que lorsqu'ils revêtent la tenue n° 2, ils peuvent être confondus avec vous, vous a-t-il amené, par le biais de votre syndicat, à présenter des requêtes auprès de vos supérieurs ou du ministère de l'Intérieur ?

M. Gérald NOULÉ : Non ; comme vous, je suis très surpris qu'aucune information ne soit remontée, y compris avant que je ne sois en exercice. En revanche, s'il est un problème dont on nous entretient souvent, c'est bien celui de l'entrisme du Front National dans la police.

    Il y a des sections, et notamment des sections d'intervention en Seine-et-Marne, dont le commandant, par le biais de la FPIP, syndicat d'extrême-droite proche du Front National, fait adhérer ses hommes, qui ont d'ailleurs assisté au récent Congrès du nouveau Front National à Marignane, au Front National : c'est cela qui m'inquiète le plus ! Cela signifie que le Front National est en train de tisser des ramifications au sein même de la police nationale mais ce n'est pas l'objet de cette Commission qui, elle, enquête sur les agissements d'un service de protection.

    Sur cette question, nous saisissons systématiquement nos supérieurs. Dernièrement, nous avons alerté le ministre de l'Intérieur sur le fait qu'un officier, commandant d'une compagnie d'intervention, a fait adhérer l'ensemble des membres de sa section à ce syndicat d'extrême-droite et qu'il a, de plus, affiché la photo de M. Bruno Mégret dans son bureau : nous attendons de savoir quelles seront les suites...

    Nous avions aussi saisi la Direction générale, mais voyant qu'elle ne donnait pas suite à cette affaire, j'ai profité de l'opportunité d'une rencontre avec le ministre pour le tenir informé de cette situation. Il s'est montré extrêmement surpris et a donné des consignes très précises à son cabinet pour suivre cette affaire de près. Cela se passe en Seine-et-Marne. Le nom de la localité m'échappe mais je vous le ferai savoir ainsi que le nom du commandant et je vous joindrai des documents.

M. le Président : Vous pouvez, dans les mêmes conditions, nous envoyer des documents ou toute information supplémentaire que vous jugeriez souhaitable de nous communiquer en fonction des questions que nous vous posons et qui vous indiquent l'état d'esprit de notre Commission.

M. Gérald NOULÉ : Naturellement !

    Cette forme d'entrisme constitue, selon nous, le plus grand danger. A ce sujet, en 1995, notre fédération a formulé des requêtes au ministre de l'Intérieur de l'époque, M. Jean-Louis Debré, pour qu'il prenne la décision d'interdire le Front National de la Police.

    Il nous a répondu qu'il avait saisi la direction des libertés publiques, et qu'il ne pouvait pas y avoir d'objection à la constitution d'un syndicat qui s'appellerait Front National de la Police ! Or la justice a pris une décision en sens contraire !

    Je demande aujourd'hui que les hommes politiques de tous bords arrêtent de jouer avec le Front National ; personne n'y gagnera et surtout pas la démocratie !

M. le Président : Ce phénomène d'entrisme du Front National dans la police qui vous inquiète - et on le comprend - semble, de toute façon être une réalité.

M. Gérald NOULÉ : Le plus inquiétant, c'est le laxisme des chefs de service vis-à-vis de situations connues.

M. le Président : On peut donc imaginer que cet entrisme amène un certain nombre de policiers à être liés au Front National et, par conséquent, au DPS ?

M. Gérald NOULÉ : Je n'en sais rien et je n'irai pas jusqu'à l'affirmer, mais on peut le supposer.

    On ne peut pas dire que le Front National est mieux ou plus représenté dans la police nationale que dans l'ensemble de la société : il n'y a qu'à regarder les résultats des élections politiques classiques pour s'apercevoir que ce parti se situe aux alentours de 15 %, ce qui n'est pas le cas dans la police ! Mais, et c'est là que réside la difficulté, dans la police, sa présence a une signification tout à fait particulière parce qu'elle touche à la sécurité des personnes et des biens. Il est évident, lorsque l'on connaît les thèses développées par ce parti, que si un nombre croissant de policiers y adhère, nos institutions vont, à terme, se trouver en péril, d'autant que le danger ne se présentera pas sous forme ouverte mais sous forme larvée...

M. le Président : Nous nous préoccupons également de ce qui se passe dans certaines mairies dirigées par le Front National où des liens peuvent se tisser entre des polices municipales et des policiers ou ex-policiers. Disposez-vous d'éléments sur ces questions ?

M. Gérald NOULÉ : Non, mais je sais qu'à Vitrolles, par exemple - les faits avaient été relatés dans la presse - les polices municipales avaient posé quelques problèmes, notamment en matière de prérogatives et de champs d'intervention. Là, il s'agit en réalité d'une forme de DPS bis. C'est la raison pour laquelle nous attendons avec un grand intérêt l'adoption du projet de loi sur les polices municipales, qui est encore en navette, pour que les situations soient clarifiées.

    C'est également la raison pour laquelle - vous me permettrez de déborder un peu le cadre de cette Commission - notre organisation n'était, au départ, pas vraiment favorable aux polices municipales. Aujourd'hui elles existent, puisque les mairies ont jugé opportun de les créer pour répondre au besoin exprimé par la population en matière de sécurité. Pourtant, défendant le principe d'équité pour l'ensemble de nos concitoyens, nous jugeons que seul l'Etat est à même d'assurer un niveau de sécurité identique sur tout le territoire : si l'on crée des polices municipales, on va encore creuser les différences entre villes riches et villes pauvres. Sans compter que certaines villes, dirigées par le Front National, n'ont pas forcément la même conception que nous de la sécurité de nos concitoyens !

    Je pense donc que la sécurité étant - ce n'est pas moi qui vais vous l'apprendre - une charge régalienne de l'Etat, elle doit le rester ; nous devons nous montrer extrêmement prudents en la matière et l'Etat doit, de toute manière, exercer un contrôle très strict sur les polices municipales : c'est le seul moyen de prévenir tout débordement.

M. le Président : Nous nous préoccupons également des sociétés de gardiennage et de sécurité, de leurs liens avec le Front National et de leur intervention dans un certain nombre de manifestations. Avez-vous des informations sur ce sujet ?

M. Gérald NOULÉ : Non, il y a quelques années nous avons insisté sur le fait que les sociétés de sécurité recrutaient des personnes qui avaient eu affaire à la justice, ce qui nous paraissait inconcevable.

    Je sais comme tout le monde, puisque je me documente et lis la presse tous les jours, que le Front National recrute dans nombre de sociétés et l'on pourrait supposer - et c'est ce qui est inquiétant - que, finalement, le Front National au travers de son DPS et de toutes les sociétés de sécurité, se constitue une sorte de réserve au cas où...

    Pour le reste, franchement, je ne dispose pas d'éléments.

M. le Président : Il avait été question, notamment du temps de l'ancien ministre de l'intérieur qui nous en a parlé, de rapports qui auraient été commandés aux renseignements généraux...

M. Gérald NOULÉ : Je sais qu'il avait commandé des rapports sur les agissements du DPS.

M. le Président : Votre syndicat n'en a-t-il jamais demandé communication ? En avez-vous eu connaissance ?

M. Gérald NOULÉ : Je n'en ai jamais eu connaissance.

M. le Président : Dans vos rapports avec votre hiérarchie, n'avez-vous jamais posé la question ?

M. Gérald NOULÉ : Non, pas vraiment ! Comme je vous l'ai expliqué, nous mettons systématiquement en avant les tentatives d'entrisme du Front National dans les structures de la police nationale, mais elles ne concernent pas forcément le DPS.

M. André VAUCHEZ : Vous parlez d'entrisme. C'est un fait dont nous sommes conscients. Ces tentatives se font parfois à visage découvert, comme ce fut le cas avec le syndicat contre lequel le ministre de l'époque n'a pas voulu engager la procédure de dissolution, et parfois de façon masquée puisque, en dépit de l'interdiction qui lui a été signifiée, compte tenu du fait qu'un syndicat ne peut pas prendre le nom d'un parti politique, ce syndicat réapparaît sous une autre forme et une autre appellation.

    La police est confrontée à un problème de fond qui est tout à fait différent dans la gendarmerie, puisque votre statut vous permet d'avoir des activités politiques à l'extérieur de votre zone d'intervention, je suppose.

    Donc, vous dites que le Front National recrute dans la police et va continuer à le faire. Or, nous ne pouvons que constater les faits, car nous travaillons sur le DPS. Certes la frontière qui le sépare du Front National est si ténue qu'elle en vient parfois à disparaître et qu'une grande partie des membres du DPS adhèrent au Front National. Aussi comment peut-on, ainsi que vous le demandez, dissoudre le DPS ? Quels moyens, quelles preuves, notre Commission peut-elle utiliser ?

M. Gérald NOULÉ : Il vous faut accumuler suffisamment de faits pour démontrer que le DPS n'est pas un service d'ordre comme les autres, mais une organisation quasiment paramilitaire qui n'hésite pas à faire le coup de poing, qui envoie des commandos çà et là dans les manifestations et qui fait du renseignement.

    Concernant la police nationale, qui me semble fondamentale pour la préservation des libertés individuelles, il nous faut être extrêmement vigilants ! Un chef de service qui entend un fonctionnaire tenir des propos à connotation raciste, revendiquer son appartenance à un parti politique - en l'occurrence au Front National puisque ceux qui adhèrent à des partis républicains n'en font pas état - et propager ses thèses au sein de la police nationale, se doit d'être intraitable !

    Nous avons des instances disciplinaires ; je peux vous garantir, même si nous nous jugeons entre nous et quoi que l'on puisse en dire, qu'elles sont intransigeantes !

    Il ne faut pas hésiter à sanctionner toute forme de laxisme : on est en train de banaliser le Front National et les thèses qu'il véhicule, notamment dans la police. Il suffirait que des directives du ministre très claires en la matière soient relayées par l'ensemble des directeurs généraux et centraux, appliquées sur le terrain par les chefs de service pour que les choses aillent un peu mieux. Il appartient aux politiques, quels qu'ils soient puisque notre pays finit par prendre goût à l'alternance, d'avoir à c_ur de traiter les problèmes de sécurité, - et honnêtement il n'y a pas de procès d'intention à faire au Gouvernement actuel sur l'insécurité dont souffrent nos concitoyens dans certains quartiers - car il faut tuer le fonds de commerce du Front National.

    Si les gens vivent mal, subissent des problèmes d'insécurité et sont, de surcroît, atteints par des difficultés d'ordre social telles que le chômage ou autres, certains vont être attirés par les chimères et le chant des sirènes de ce parti.

    Dans la police, il en va de même. Si nous avions une amélioration de nos conditions de travail, que ce soit au plan financier ou au plan des rythmes, des aménagements de services, de l'ouverture de la hiérarchie aux problèmes quotidiens des gardiens de la paix, nos collègues seraient beaucoup moins tentés d'adhérer au Front National ou d'y militer.

    Nous avons, nous, syndicats de police, une énorme responsabilité, puisque nous devons être en mesure de présenter des revendications suffisamment intéressantes aux yeux de nos collègues, pour éviter que, par dépit, déception ou sentiment de stagnation, ils soient tentés par un vote protestataire en faveur des syndicats proches du Front National. Nous sommes tous responsables dans cette affaire !

M. le Président : Notre Commission ne peut travailler qu'à partir de ce qu'on lui dit et c'est pourquoi nous insistons sur la nécessité d'avoir des cas concrets susceptibles d'étayer nos allégations sur les agissements du DPS. L'objet de la Commission est de déterminer s'ils relèvent bien de la loi de 1936 et s'ils pourraient conduire à une dissolution, indépendamment de toute une série d'autres observations que notre travail nous amènera certainement à faire.

    Nous sommes donc soucieux de partir de faits précis. Vous en citez certains un peu en marge de notre sujet mais qui s'en rapprochent, comme la diffusion des thèses du Front National au sein de la police : nous sommes preneurs d'informations plus précises, notamment sur la Seine-et-Marne. Mais aussi d'autres exemples d'actions précises, de diffusion ouverte de thèses du Front National ou de comportements irréguliers au niveau de l'encadrement : il est clair que si le Front National s'organise dans la police, cela aura un lien ensuite avec le DPS...

M. Gérald NOULÉ : Je vous communiquerai toutes les informations dont je dispose à ce sujet.

M. le Président : Concernant le laxisme dont nous avons pu vérifier qu'il semblait de mise durant des événements comme ceux de Montceau-les-Mines par exemple, nous aimerions pouvoir le cerner dans la vie quotidienne et avoir, au-delà d'événements connus, des éléments d'information plus précis.

M. Gérald NOULÉ : Sur cette question, je dispose d'informations que je ferai parvenir au secrétariat de la Commission.

    Personnellement, je peux vous garantir que Marc Asset et moi-même avons fait le tour de nos sections et je regrette que rien ne remonte. Est-ce par ignorance des faits ? Permettez-moi d'en douter ! Je crains plutôt que l'on ne nous cache les faits, par facilité et pour n'avoir pas à en répondre.

    Pourtant les choses sont simples : certains policiers tiennent des discours en prétendant qu'on n'en serait pas là avec Le Pen ! Maintenant de tels propos sont banalisés et s'ils tombent dans l'oreille d'un officier celui-ci, par facilité, va renoncer à y mettre fin. C'est ainsi qu'à terme tout cela risque d'être banalisé dans la police nationale et que nos concitoyens en viendront à avoir peur de leur police... Cela devient fort inquiétant !

M. André VAUCHEZ : Le Front National attire à lui ceux qui se sentent attaqués - quand on est au chômage on est attaqué. Donc le fait que le DPS existe et qu'il défende le Front National prouve, pour le commun des gens sensibles, que le Front National est lui aussi dans l'obligation de se défendre : tout cela est lié et c'est de là que vient le problème.

    S'il y avait le Front National et la police, sans le DPS entre eux, la face des choses s'en trouverait changée. C'est un problème de fond ! La pénétration de la police est terriblement grave !

M. Marc ASSET : Il faut cependant prendre la mesure du phénomène : les policiers républicains qui restent attachés aux valeurs de la République représentent, malgré tout, la majeure partie de notre police.

M. André VAUCHEZ : Oui, mais si vous devez attendre des ordres, vous le faites et cela a été le cas à Wagram puisque les policiers ont mis une demi-heure avant d'intervenir !

M. Marc ASSET : Vous citez le cas de policiers qui agissent dans le cadre de manifestations, en groupe. Il faut savoir que notre code de déontologie nous permet, lorsque nous jugeons un ordre illégal, de ne pas nous y soumettre.

    Malheureusement, dans le cadre d'un maintien de l'ordre ou d'une intervention groupée, cela est impensable car si ou deux ou trois refusent d'obéir, les autres passent outre et tout le monde suit selon un phénomène d'entraînement.

    Il faut savoir que dans certains services de police - il ne faut pas généraliser -, il est beaucoup plus facile de tenir un discours fasciste qu'un discours républicain et progressiste.

    J'estime donc, et je vais reprendre l'argumentation de mon collègue, que si on veut stopper l'entrisme du Front National, il faut donner des instructions très strictes aux chefs de service, aux directeurs départementaux de la sécurité publique afin que chaque manquement soit sanctionné.

    Je vais vous citer un exemple : en 1992, nous avions signalé au ministère de l'Intérieur que des membres de la FPIP étaient employés pour la formation initiale des gardiens de la paix. Nous avions été surpris de voir que l'on mettait dans des écoles de formation des gens qui, aux commissions administratives paritaires, faisaient partie de la FPIP...

    L'affaire a vite été réglée mais vous voyez que les filtres ne fonctionnent pas ! Pourquoi ? Parce que - et cela relève de la responsabilité individuelle - certains chefs ou responsables de service ayant connaissance de faits de cette nature ne prennent pas les dispositions qu'ils devraient prendre. Ce n'est qu'en corrigeant cette situation que l'on pourra, tout au moins dans la police, éviter l'entrisme et la propagation des thèses du Front National. C'est, malheureusement, le seul moyen que nous ayons.

M. le Président : Très bien, puisque vous avez parlé de manquements, nous souhaiterions en avoir des exemples concrets : ils seront utiles à notre travail.

M. Gérald NOULÉ : Nous vous fournirons toutes les informations et tous les documents de nature à porter atteinte au développement du Front National, puisque nous nous situons dans le cadre de la police républicaine : qu'il n'y ait là-dessus aucune ambiguïté !

    Cela étant, je tiens à préciser, même si cela a une incidence différente, que la police n'est pas plus sensible aux thèses du Front National que l'ensemble de la société.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

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    Audition de MM. Pierre MARCOZ, secrétaire national, et Jean-Michel TOULLEC, membre, du Syndicat National des Officiers de Police

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 10 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

MM. Pierre Marcoz et Jean-Michel Toullec sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Pierre Marcoz et Jean-Michel Toullec prêtent serment.

M. Jean-Michel TOULLEC : Je veux tout d'abord vous présenter la position du Syndicat national des officiers de police par rapport au DPS et au Front National.

    Le Syndicat national des Officiers de police (SNOP) est un syndicat majoritaire - il a recueilli 60,37  % des voix parmi les corps de commandement et d'encadrement lors des dernières élections professionnelles -, très attaché aux valeurs républicaines. Il fait d'ailleurs référence, dans ses statuts, à l'article 12 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui stipule que : « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique. Cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » Cette référence prouve que nous sommes très attachés aux valeurs républicaines et, de ce fait, nous rejetons dans notre politique syndicale tous les groupes ou partis qui prônent l'exclusion et la discrimination raciale ou autre, sous toutes leurs formes.

    Nous avons, il y a quelques années, _uvré en faveur de la dissolution du Front National de la Police. Il s'agit d'une organisation syndicale émanant du Front National qui s'était implantée au sein de la police nationale. Sa dissolution a été prononcée par le tribunal de grande instance d'Evry et confirmée par la cour d'appel de Paris, ce dont nous sommes particulièrement satisfaits.

    Nous sommes opposés à la constitution de toute forme de milices privées, au service de qui que ce soit, et favorables, dans la mesure où les élément recueillis par votre Commission le permettront, à la dissolution du DPS dont les agissements ont été particulièrement mis à jour à Strasbourg.

    Voilà, en propos liminaire, ce que je tenais à préciser à votre Commission : telle est la position officielle du Syndicat national des officiers de police vis-à-vis du DPS et de tout ce qui peut s'apparenter à ce type de milices.

M. le Président : Nous sommes soucieux, puisque l'objet de notre Commission est d'étudier les agissements du DPS et de savoir s'ils tombent sous le coup de la loi, de disposer de faits. Vous êtes favorable à la dissolution, mais avez-vous, dans le cadre de votre activité syndicale, connaissance de faits qui témoignent de ce que le DPS n'a pas le même comportement qu'un service d'ordre d'un parti classique ?

Jean-Michel TOULEC : Malheureusement non, pas de faits précis. Tout ce que je peux vous dire, c'est que la tenue ou l'uniforme dont sont revêtus les membres du DPS sont souvent proches de celle des policiers ou des gendarmes qui exercent en matière de maintien de l'ordre. Cela peut prêter à confusion dans l'esprit de nos concitoyens. L'apparence qu'ont adoptée les membres du DPS peut laisser à penser qu'ils font partie de forces de l'ordre comme les autres, pourquoi pas républicaines, et qu'ils sont amenés à faire plus que ce pourquoi ils ont été recrutés.

    En ce qui concerne des faits précis attribués au DPS, hormis les événements de Strasbourg qui ont été largement médiatisés, il n'y en a pas qui soient remontés jusqu'à notre organisation syndicale.

M. le Président : Mais, sur le terrain, vous êtes bien confrontés aux initiatives du Front National et à son service d'ordre. Il y a donc bien des éléments qui peuvent vous conduire à vous interroger sur la dissolution de cette organisation.

M. Pierre MARCOZ : Il est vrai que nous n'avons pas d'éléments concrets à vous fournir. Faire remonter tout ce qui a pu être observé supposerait de nous lancer dans une approche qui mobiliserait notre tissu de délégués syndicaux. Aujourd'hui, il est vrai que nous sommes un peu à court sur le sujet.

M. le Président : Vous ne l'avez pas fait ?

M. Jean-Michel TOULLEC : Non, nous n'avons pas saisi nos délégués officiellement. Nous n'avons pas eu de remontées. Tout ce que nous savons, c'est ce qui a été médiatisé, notamment ce qui concerne l'activité de la police municipale de Vitrolles et la confusion qu'elle a entraînée. Le SNOP avait réagi, mais cela n'a rien à voir avec le DPS. A part cela, je n'ai pas à vous communiquer de faits précis susceptibles de mettre nominativement en cause des membres du DPS, malheureusement.

    Cela étant, il est sans doute vrai que les corps que nous représentons sont moins au contact de ce genre de choses que les corps de maîtrise et d'application, gradés et gardiens, qui sont plus souvent que les officiers de police en maintien de l'ordre, appelés à être témoins des agissements et débordements de ce type de groupuscules.

M. le Président : Dans le cadre de son travail, l'attention de notre Commission a également été souvent alertée sur des comportements de forces de police qui laissent à penser qu'il existerait une certaine forme de laxisme à l'égard du DPS. Vous avez cité Strasbourg, mais on peut également penser à la manifestation à la Place de l'Etoile après la réunion de la salle Wagram, où les autorités hiérarchiques ont été informées du fait que M. Bruno Gollnisch et les militants du Front National se rendaient sous l'Arc de Triomphe, mais où il y a eu un délai relativement important avant l'intervention des forces de police. On peut aussi penser à Montceau-les-Mines, où le DPS a assuré le service d'ordre de la manifestation, les forces de police n'étant pas intervenues, sans parler de Carpentras où le DPS a interpellé, si je puis dire, une personne avant de la remettre à la police. Il existe donc un certain nombre de faits qui nous préoccupent et nous aimerions connaître votre opinion sur ces questions.

M. Jean-Michel TOULLEC : Je n'ai pas de faits précis à vous rapporter, où la police aurait fait preuve d'une quelconque mansuétude à l'égard du DPS. Si tel était le cas, je ne manquerais pas de le dénoncer - notre position sur ce point étant, de toute façon, que si des policiers, à titre individuel, faisaient partie du DPS ou avaient une attitude partisane à son égard, ils entreraient en complète infraction avec le code de déontologie de la police nationale et nous serions tout à fait favorables à ce qu'ils passent devant le conseil de discipline où nous siégeons et où nous nous montrerions particulièrement sévères à l'égard de ce type de comportements.

M. le Président : Cela a été le cas à Montceau-les-Mines, par exemple.

M. Jean-Michel TOULLEC : Tout le problème, c'est que les informations ne nous remontent pas car tout ce qui est du domaine du maintien de l'ordre relève des corps de conception et de direction. Sans entrer dans des conflits de corps, on peut dire que ce sont les commissaires de police qui prennent les décisions sous la responsabilité du préfet ; les officiers ne font qu'exécuter les ordres qu'ils reçoivent et n'ont pas d'initiatives personnelles à prendre en la matière. Aucune information ne nous est parvenue nous signalant qu'un officier aurait fait preuve de mansuétude à l'égard du DPS.

M. le Président : ... ni d'officiers qui se seraient interrogés sur les ordres qu'ils auraient reçus ?

M. Jean-Michel TOULLEC : Non !

M. André VAUCHEZ : Il est quand même notoire, d'après les auditions auxquelles nous avons procédé, que l'on observe un phénomène d'entrisme des idées du Front National. Des hommes de la police véhiculent ces idées et se permettent parfois de tenir des propos à caractère raciste durant des interventions sur le terrain. Dans les quartiers difficiles par exemple, êtes-vous au courant de tels faits et savez-vous si certains de vos collègues sont intervenus pour calmer ce type de discours ?

    Par ailleurs, s'agissant du laxisme, on nous explique qu'il est souvent dû à un ordre qui ne vient pas ! Or cet ordre, en principe, ne peut venir que des officiers. Connaissez-vous de telles situations, hormis celle de Strasbourg qui a pu être le fait de quelques-uns personnellement ?

    On a également souligné qu'au niveau de la formation des gardiens de la paix, des formateurs voire des responsables de la formation appartenaient notoirement au Front National, peut-être au DPS. Que savez-vous sur ce point ?

    Enfin, existe-t-il des syndicats d'officiers dont l'idéologie se rapprocherait des thèses du Front National ?

M. Jean-Michel TOULLEC : Le corps des officiers, pour l'instant, est très largement épargné par la percée des idées du Front National que vous avez soulignée. En effet, lors des dernières élections professionnelles, cette idéologie n'était pas représentée puisque le Front National de la Police n'avait pas été autorisé à faire acte de candidature. La FPIP, proche de cette idéologie, n'était pas présente au dernier scrutin professionnel des officiers de police, même s'il est vrai que dans d'autres corps, notamment les corps de maîtrise et d'application, au niveau de certaines régions du Sud et de l'Est de la France, elle a atteint des pourcentages très importants - ce qui lui a d'ailleurs permis d'obtenir un siège au comité technique paritaire central. Il n'y a plus que deux organisations syndicales représentatives des officiers de police depuis les dernières élections professionnelles : le SNOP qui a obtenu 60 % des voix et le syndicat Synergie officiers apparenté à Alliance CGC, qui a obtenu environ 20 % des voix.

    Quoi qu'il en soit, il n'y a pas pour l'instant, dans le corps des officiers, de syndicat qui véhicule des idées xénophobes ou d'exclusion, proches de l'idéologie du Front National. Je crois d'ailleurs qu'il s'agit d'un phénomène qui ne prend pas dans le corps des officiers et dont on sent qu'il est en régression. Il est possible que, parmi les officiers, certains individus partagent les thèses de l'extrême-droite, mais cela reste, selon moi, un phénomène tout à fait marginal.

M. André VAUCHEZ : Etes-vous d'accord avec cette idée que le laxisme dont nous avons parlé serait imputable à des retards de commandement des officiers ?

M. Jean-Michel TOULLEC : Je n'ai pas d'informations qui me permettent de corroborer ces propos et, sans vouloir me montrer plus indulgent qu'il ne faut à l'égard des officiers, je dirai qu'en matière de maintien de l'ordre, ils ne font que retransmettre à la troupe les ordres qu'ils reçoivent du commissaire de police, qui, lui-même, a reçu ses instructions du préfet. Les officiers de police ne sont donc que des exécutants en la matière, à la tête de leurs troupes, et ils ne prennent pas d'initiatives à titre personnel.

M. le Président : Concernant les polices municipales, notamment dans les villes Front National où se produit manifestement une forme d'entrisme à l'envers - dans la mesure où un certain nombre d'anciens policiers ou gendarmes s'y retrouvent souvent -, avez-vous des observations à formuler ? Détenez-vous, sur les rapports entre la police nationale et les polices municipales dans ces villes, des renseignements particuliers ?

M. Pierre MARCOZ : Hormis les événements de Vitrolles qui ont été médiatisés, il est vrai que nous n'avons pas beaucoup de détails dans la mesure où nous pratiquons un syndicalisme qui s'appuie sur des valeurs mais qui nous retient très éloignés du monde politique. Je crois que c'est d'ailleurs ce qui nous permet d'atteindre les scores que nous enregistrons lors des élections.

    Il faut cependant être clair et reconnaître que, plus nous descendons dans les services, moins nos collègues se montrent sensibles à ces valeurs. C'est toujours nous qui devons les rappeler et c'est ce qui explique un peu que nous n'ayons pas de remontées par rapport à certains événement auxquels les gens sont finalement assez indifférents - je parle pour le corps que nous représentons et non pas pour celui des gardiens de la paix qui ont une sensibilité différente de la nôtre. Nous avons une approche beaucoup plus professionnelle et technique que politique, si tant est que le Front National puisse s'inscrire dans ce dernier cadre. Je pense donc qu'il faut chercher l'explication de notre manque d'informations dans le fait que les gens n'y sont pas sensibles, parce qu'elles ne leur paraissent pas essentielles.

    Pour revenir aux valeurs auxquelles nous croyons et qui figurent dans nos statuts, il est vrai que si, nous nous les connaissons, il est permis de se demander si c'est bien le cas de tout le monde jusqu'au bas de l'échelle : c'est ce qui explique que la remontée des informations ne suive pas, bien qu'il se passe des choses. Même en étant permanents syndicaux, nous conservons en mémoire des réactions humaines par rapport à des faits de société, qui ne sont pas forcément celles que nous aurions aimé entendre.

M.  le Président : Quand vous dites qu'« il se passe des choses », à quoi faites-vous allusion ?

M. Pierre MARCOZ : A des attitudes, à des réactions, par exemple par rapport au racisme dont on ne peut pas nier qu'il est une réalité. J'aurais du mal à vous décrire des attitudes
- cela fait huit ans que je ne suis plus en service - mais c'est quelque chose qui existe, dans tous les corps. Je suis réaliste.

M. André VAUCHEZ : Nous n'avons pas la prétention de vous apprendre tout ce qui se passe dans la police ni le discours que l'on peut entendre chez certains gardiens de la paix et qui a été évoqué à plusieurs reprises, mais n'y a-t-il pas un devoir de réserve à faire observer par les officiers ?

MM. Jean Michel TOULLEC et Pierre MARCOZ : C'est évident !

M. André VAUCHEZ : En faites-vous état dans vos instances syndicales ?

M. Jean-Michel TOULLEC : Si nous n'avons pas de remontées de débordements dans ce domaine, nous n'en faisons pas état. C'est toujours la même chose : si les incidents ne nous sont pas rapportés, nous ne pouvons pas faire grand-chose.

M. le Président : Et vous-mêmes, vous intervenez lorsque vous êtes saisis de faits de cette nature ?

M. Pierre MARCOZ : Oui. Généralement, nous adressons un courrier au directeur général pour lui exprimer notre désaccord sur ce genre d'attitudes, qui nous semblent anormales. Je crois que c'est le quotidien et il mérite qu'on lui prête attention. Toutefois, comme nous sommes coupés de ces informations, nous connaissons beaucoup plus l'attitude, par exemple du DPS, à travers ce que nous voyons à la télévision que par les informations que peuvent nous transmettre nos propres collègues.

M. le Président : Quand on évoque l'entrisme du Front National dans la police, même s'il s'exerce de manière différente selon les corps, on constate que sa réalité est incontestable : il suffit de voir les résultats des syndicats qui en sont proches. Pourtant, lorsqu'on vous questionne - vous, mais aussi les représentants d'autres organisations syndicales -, la réponse est toujours qu'il n'y a pas de remontées. L'expliquez-vous par le fait que vos adhérents ne perçoivent pas toujours l'importance de la chose et, pour les autres syndicats, voyez-vous d'autres raisons au fait que cette remontée soit quasiment partout inexistante ?

M. Pierre MARCOZ : Cela est dû à une banalisation. Vous savez que, dans notre métier de policier, nous avons toujours eu à faire à d'autres groupuscules, en d'autres temps. Quand ce n'était pas encore le DPS, nous avons connu d'autres choses qui étaient notoires, consacrées et acceptées et que nous avons dénoncées dans les années 1970.

M. le Président : C'est-à-dire ?

M. Pierre MARCOZ : Egalement des services d'ordre qui supplantaient la police nationale, qui n'avaient peut-être pas la même philosophie que le DPS mais qui, sur le fond, dans le domaine technique et professionnel, nous conduisaient au même genre de situations : il fallait reconnaître qui était qui au moyen d'une tête d'épingle...

    C'était le cas il y a vingt-cinq ans. Les choses se reproduisent maintenant et il est vrai que la profession est habituée à se trouver confrontée à ce type de situations qui font partie du métier, même s'il est vrai qu'elles recouvrent autre chose. Dans notre profession, nous en voyons tellement que nous parvenons à dissocier la partie technique et professionnelle du reste.

M. André VAUCHEZ : Du fait que les vêtements du DPS prêtent à confusion, connaissez-vous des situations dans lesquelles les officiers ont eu à déplorer cette similitude, qui prête à une confusion dangereuse pour les civils ?

M. Jean-Michel TOULLEC : Nous n'avons pas de cas concrets, mais ce que vous décrivez était caractéristique des événements qui se sont déroulés à Strasbourg.

M. André VAUCHEZ : Vous en êtes-vous plaints à votre hiérarchie ?

M. Jean-Michel TOULLEC : Absolument. Sur tout ce qui concerne l'aspect, la tenue et l'uniforme, nous avons une position très ferme, qui s'applique d'ailleurs aussi aux policiers municipaux qui n'ont rien à voir avec le DPS. Nous souhaitons que toutes les forces qui exercent une quelconque action de police aient une tenue différenciée et qu'elles utilisent des moyens de locomotion autres que ceux de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Or, c'est un peu l'inverse qui se passe, puisque beaucoup de maires souhaitent imiter la police nationale, pour donner une reconnaissance à leur police municipale. La loi qui va être votée sur le sujet rejoint d'ailleurs en grande partie ce que nous souhaitons puisqu'elle vise à ce que l'on puisse clairement distinguer les choses et qu'un citoyen puisse reconnaître par la couleur de leurs vêtements - parce que la couleur a son importance - un policier national d'un policier municipal, pour ne pas parler des employés de sociétés de gardiennage qui s'efforcent, eux aussi, d'imiter notre tenue vestimentaire. Il est vrai que la tentation, pour toutes ces polices ou milices type DPS, est d'avoir l'apparence la plus proche possible de celle des policiers nationaux pour semer la confusion dans l'esprit de nos concitoyens.

M. Pierre MARCOZ : Ils veulent une apparence officielle qui leur confère plus d'autorité.

M. le Président : Et pour les sociétés de gardiennage ?

M. Jean-Michel TOULLEC : Pour les sociétés de gardiennage, c'est pareil ! Au niveau de la tenue vestimentaire, il y a beaucoup de sociétés qui cherchent à créer une confusion, par l'uniforme, de leurs membres avec les policiers nationaux, toujours pour instaurer une confusion.

M. le Président : Et quelles sont les relations entre les policiers et les sociétés de gardiennage ? Certaines d'entre elles sont dirigées par des militants d'extrême-droite.

M. Jean-Michel TOULLEC : Il y a très peu de relations avec la police. Certaines sociétés de sécurité embauchent des policiers en retraite, en provenance d'ailleurs de tous les corps, pour leur offrir ainsi une deuxième carrière. C'est un fait avéré.

M. Pierre MARCOZ : Tous les hauts fonctionnaires se reclassent bien à la fin de leur carrière, il serait difficile d'interdire aux gardiens de la paix d'en faire autant...

M. le Président : Vous parliez tout à l'heure de banalisation ; si je vous entends bien, il y a donc une certaine acceptation de la situation.

M. Pierre MARCOZ : La situation, si elle n'entraîne pas d'incidents, ne choque pas tellement. Si je vous dis cela, c'est parce que nous n'avons pas de remontées. Je pense qu'il y a vingt-cinq ans, les réactions étaient beaucoup plus vives. Si cela ne remonte pas, c'est tout simplement parce que les gens s'habituent à vivre dans ce contexte.

M. le Président : A l'époque, les réactions étaient plus fortes ?

M. Pierre MARCOZ : Oui, parce qu'il y avait eu des incidents et des contrôles d'identité illégaux. Je me rappelle qu'il y avait eu, au sein du corps des inspecteurs de police, des réactions beaucoup plus vives qu'elles ne le sont aujourd'hui. Heureusement, les réactions existent encore, mais trop peu - ce qui est un peu inquiétant.

M. Jean-Michel TOULLEC : Ceci étant, ainsi que vous l'avez suggéré, je crois que le rôle des officiers, lorsqu'ils sont témoins de comportements ou de propos racistes émanant d'autres fonctionnaires de police - notamment des corps de maîtrise et d'application dont ils assurent le commandement - est de ne pas les laisser passer. C'est à la hiérarchie, à la direction générale de la police nationale ou à la préfecture de police, de formuler un certain nombre de rappels à cet égard.

M. le Président : Et ces rappels sont-ils faits ?

M. Jean-Michel TOULLEC : Non, ils ne sont pas faits. Ils ont eu cours entre 1984 et 1986, lorsque M. Pierre Joxe était ministre de l'intérieur et que le code de déontologie a été affiché dans tous les services de police. A ce moment-là, des circulaires ministérielles ont rappelé aux commissaires, aux officiers et à tous ceux qui exerçaient des responsabilités de commandement qu'ils ne devaient rien laisser passer s'agissant de tels faits. Aujourd'hui, le code de déontologie reste affiché mais, sans aller jusqu'à dire que de tels faits sont banalisés, on les laisse passer plus facilement. Il serait donc probablement nécessaire de procéder sur ce sujet à de nouveaux rappels par la voie hiérarchique.

M. le Président : Maintenant que vous cernez mieux nos préoccupations - avoir connaissance de faits concrets touchant notamment le DPS mais pouvant également s'étendre au Front National - et si des informations vous remontaient, vous pouvez toujours les transmettre à notre Commission.

M. Jean-Michel TOULLEC : Le seul fait concret que nous ayons, et qui n'est pas à mettre au crédit du DPS, concerne un policier qui a été victime du Front National. Le commandant Pierre Laurent, chef du service des renseignements généraux de Mantes-la-Jolie, a témoigné au procès de l'agression, par M. Jean-Marie Le Pen, de la candidate socialiste, Mme Annette Peulvast-Bergeal. Il a par la suite été cité à comparaître par le Front National pour les propos qu'il a tenus lors de l'audience. Il pourrait être intéressant pour votre Commission d'entendre ce fonctionnaire de police qui connaît très bien les rouages du Front National à travers les renseignements généraux et qui serait sans doute à même de vous apporter des éclairages sur ce parti pour en avoir été la victime - car on peut dire qu'il en a souffert - ce qui ne mettrait d'ailleurs nullement en cause son objectivité.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

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    Audition de Mme Fiammetta VENNER, journaliste à Prochoix

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 16 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

Mme Fiammetta Venner est introduite.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Fiammetta Venner prête serment.

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons Mme Fiammetta Venner, qui a pénétré le DPS féminin pour témoigner de ce qui s'y passe.

    Madame, la Commission souhaite obtenir des témoignages précis et directs des méthodes et des agissements du DPS. C'est pourquoi nous vous avons demandé de venir devant nous.

Mme Fiammetta VENNER : Depuis 1990, j'effectue un certain nombre d'enquêtes - que certains sociologues appellent « enquêtes participantes », plus connues sous l'appellation de « journalisme d'investigation » - sur toutes les formes de l'extrême-droite contemporaine française et européenne dans certains cas.

    En 1990, je me suis intéressée à des groupements proches du Front National, notamment des catholiques traditionalistes, mais aussi à un groupe de skinheads d'une dizaine de personnes sur la région parisienne.

    J'ai publié trois livres sur les extrêmes-droites dans leurs apparitions contemporaines ; je dirige un réseau et un journal - ce qui rendra mon témoignage plus ou moins objectif selon la façon dont vous le considérerez - qui s'appelle Prochoix et un centre d'études, de recherches et de documentation européen. Nous avons passé des contrats avec la DG5 et disposons d'un journal qui mène des enquêtes. C'est dans ce cadre que Charlie Hebdo m'a demandé de faire le point en 1996 au sujet de rumeurs sur ce qui paraissait à l'époque ressembler à une milice ou à une organisation au sein du Front National.

    Tous les ans, j'assiste à la fête « Bleu Blanc Rouge », fête traditionnelle du Front National. Au cours de celle organisée la première semaine de septembre 1996, j'ai remarqué que s'y développait un peu plus que de coutume une jeune garde de personnes assurant la sécurité et encadrant les journalistes. C'est une fête organisée sur le modèle de la fête de l'Humanité. En effet, la façon dont le Front National a décidé de communiquer dans ses modèles institutionnels ressemble beaucoup à celle du parti communiste. Les gens qui ont créé le Front National s'en sont inspirés, se référant aux sociologues l'ayant étudié. On retrouve des mots communs comme « cellule ». C'est intéressant, s'agissant des modes de communication publique. C'est donc la même chose en plus petit. Ce n'est pas très international. Par exemple, le couscous est considéré comme le couscous cathare.

    Mais cette fête de militants frontistes n'était plus pour les journalistes officiels un lieu où l'on pouvait obtenir des informations et engager des discussions directes avec les militants pour se forger une idée de l'état des lieux, de l'opinion frontiste. Aussi, le journalisme d'investigation est rendu obligatoire, dans la mesure où l'on n'a aucune possibilité d'interviewer les militants autrement qu'encadré par des personnes de trente centimètres de plus que vous !

    Un autre fait m'avait interpellée. Au cours de l'enquête précédente que j'avais effectuée en 1990, j'avais vu au siège de l'_uvre française, dissoute, recréée, puis redissoute, un fichier informatique listant les personnes à éliminer. Ce n'était pas formulé ainsi, je ne me souviens pas de la phrase exacte, mais étaient répertoriées les personnes posant à l'époque problème à l'_uvre française.

    Circulait également une rumeur selon laquelle les DPS établissaient des fiches sur les personnalités peu recommandables. Je voulais savoir s'il s'agissait d'une rumeur ou s'il était vraisemblable que la DPS pouvait établir ce type de fiches. Vous constaterez après mon exposé que je ne le pense pas, dans la mesure où il existe d'autres structures au sein de l'extrême-droite qui les établissent et qu'il n'est nul besoin de répéter le même travail.

    En octobre 1996, l'événement de Montceau-les-Mines met en cause la DPS. A l'Assemblée, un député demande des explications. Dans un reportage de France 2, on voit des personnes, ressemblant vaguement à des policiers, qui chargent des militants. Je n'ai pas visionné la cassette, j'en ai entendu parler. Il m'a semblé que les personnes en question peuvent ressembler à des policiers lorsqu'il est tard et que tous les chats sont gris, mais qu'il ne s'agit pas exactement de tenues de policiers.

    Je décide, début novembre 1996, de demander à entrer dans la DPS version féminine. Je suis reçue par Martine Staelens, responsable numéro deux à l'époque du DPS Ile-de-France.

    Pour des raisons de sécurité des personnes impliquées dans l'enquête, je tairai le lieu ; il s'agit d'un groupe DPS de l'Ile-de-France, où j'ai participé aux _uvres féminines. Dans ce cadre, on apprend la façon dont on doit diriger un journaliste lors d'une manifestation et les principes de base que l'on enseigne aux militants. Très rapidement, j'ai eu la chance, dans la mesure où je pratique des close-combats - ma mère était professeur de judo - de pratiquer du close-combat et de l'aïkido avec d'autres membres du DPS, cette fois masculins. La distinction hommes-femmes s'opère de la même façon que chez les skinheads - ce n'est pas péjoratif -, en ce sens qu'en général les femmes sont considérées plus diplomates et donc très utiles quand la DPS veut que les choses se passent bien. Il y a deux catégories de femmes : une catégorie de femmes diplomates et sympathiques ; une autre qui, dès lors qu'elle a les capacités physiques, peut participer à des opérations coups de poing à des moments donnés.

    Dans l'organigramme, le Département protection et sécurité figure dès les années 1996. Le principe de base officiel, pas toujours respecté, est l'exigence d'un casier judiciaire vierge. On m'a, en effet, demandé un extrait de casier judiciaire, ce qui n'a pas été aisé, puisque je ne m'étais pas présentée sous mon nom. Cela dit, on ne m'a pas réclamé de carte d'identité.

    Les armes ont toujours été proscrites officiellement par la DPS.

    La première partie de l'enquête porte sur la DPS, c'est-à-dire la structure officielle du groupement. Je m'attacherai dans un second temps aux UMI.

    Dans la structure officielle de la DPS, le contrôle est ferme s'agissant du casier judiciaire, sur la façon dont cela se passe, sur une bonne répartition des tâches. Tout le monde considère les armes à feu comme dangereuses et elles sont perçues négativement. En revanche, « le matériel de camping » peut servir d'armes en cas de besoin. On y trouve des gants plombés, assez utiles ; les poings américains sont « limites », mais il y en a ; les râteaux sont efficaces pour rayer des voitures ; on y trouve également des couteaux de peintre, habituellement utilisés par les militants de divers partis pour retirer les affiches qui ne leur plaisent pas. Ils peuvent aussi servir d'objets coupants. Ajoutons une arme dissuasive, dont je ne sais dans quelle mesure elle peut se révéler mortelle : les matraques électriques. Cela ressemble à un bloc en métal, avec deux émetteurs, l'électricité passant entre les deux. On accroche quelqu'un et on lui fait passer un courant électrique. Pour nous amuser, nous le testions. On ressentait un petit choc, parce que le voltage était mis en position faible. Les personnes avec moi n'ont jamais revendiqué d'avoir tué quelqu'un, mais les UMI disent que c'est un bon moyen pour faire évanouir quelques secondes une personne au cours d'une manifestation afin de la mettre dehors. J'ignore les voltages utilisés. Ces objets ne portent aucune marque de fabrique, mais ils ne semblent pas faits artisanalement. J'ignore où on peut se les procurer - en France du moins. J'en ai trouvé aux Etats-Unis et au Liban ; les voltages étaient assez forts. Mais il s'agissait de réelles armes de combat trouvées dans des armureries. Ce n'était pas celles que j'ai vues en France.

    L'aspect le plus intéressant ne réside pas dans la façon dont sont recrutés les participants au DPS ni la façon dont on les forme, parce que l'essentiel relève de la simple sociabilité. Aller faire du close-combat dans un club de quartier ou pratiquer du karaté près de chez soi ressemble beaucoup à de la sociabilité. En revanche, il est intéressant de connaître l'origine des participants au DPS.

    Ils ont la grande illusion d'être issus du SAC. Or, aucun de ceux que j'ai vus
    - il s'agissait d'un petit groupe de la région parisienne - n'en avait fait partie. Mais tous se remémoraient le SAC comme le moment merveilleux auquel ils avaient participé alors que quasiment personne n'en provenait. En revanche, beaucoup avaient participé au groupe de vigiles auquel M. Valéry Giscard d'Estaing avait eu recours dans les années 70, pour ses meetings. Quels groupes, quels meetings ? Aucune idée, pas de détails. Tout cela s'inscrit dans une formulation et une rhétorique très « je me vante de... », « j'ai fait cela dans les années 70... ». La participation à l'OAS métropole existe dans les structures hiérarchiques. Je n'ai pas rencontré de personnes qui y avaient milité mais j'ai vu des personnes dont je sais qu'elles y ont milité. L'OAS métropole a été l'organisation un peu plus radicale et un peu plus française de l'OAS qui s'est permis des coups de poing dans les années 60. Avoir fait partie de l'OAS « métro » est un gage de respectabilité musclée pour une partie de l'extrême-droite. Par exemple, quand, en 1986, les nouveaux députés du FN sont arrivés à l'Assemblée, les attachés parlementaires n'étaient recrutés qu'à la condition d'avoir au moins fréquenté l'OAS métropole. C'est très bien vu. Cela confère une légitimité quasiment historique.

    Autre élément intéressant : la plupart des participants appartiennent à des sociétés de sécurité et de gardiennage et participent également à des services d'ordre demandés à l'occasion, par des partis, toutes tendances confondues. Cela étant, je n'ai aucune preuve sur ce que j'avance lorsque je précise « toutes tendances confondues », dans la mesure où j'ai un témoignage partial.

    Je souligne également que parmi les gens que j'ai rencontrés, il n'y avait aucun skinhead homme, ce qui s'explique par le fait que les skinheads ont été très fortement réprimés dans les années 90 en France ; la plupart ont donc un casier judiciaire. Les rapports sociaux des skinheads permettent aux filles d'échapper à la prison, dans la mesure où elles ne servent que d'alibi aux hommes pour justifier que leur petit ami n'a jamais agressé un arabe. L'une d'elle racontait : « Lorsqu'un garçon de la bande agresse un arabe, je témoigne en disant : pas du tout, c'est ce garçon-là qui m'a agressé ; ce monsieur que je ne connaissais pas m'a aidée et secourue. » Il n'y a donc pas de garçons « skin », mais quelques filles, totalement désocialisées suite à l'éclatement des bandes. Les garçons, après avoir fait de la prison, se sont réinsérés socialement. Dans le petit groupe que j'ai étudié, certains sont restés en prison, deux ou trois ont été réinsérés : ils sont boulanger, pâtissier, peut-être votant Front National, mais non intégrés dans le militantisme, contrairement aux filles totalement sorties du militantisme et de la sociabilité des garçons. Elles se sont retrouvées seules assez jeunes. Les jeunes filles appartenant au groupe étudié avaient entre 15 et 17 ans en 1990, les garçons plutôt entre 17 et 20 ans.

    On retrouve ces jeunes filles, qui ont pratiqué des arts martiaux dès leur plus jeune âge. Elles sont assez performantes. C'est là que l'on voit que le DPS féminin existe et n'existe pas : pour simplifier, les filles bourgeoises du XVIème arrondissement sont dans la diplomatie et les anciennes skinheads des banlieues appartiennent au DPS mixte.

    Au sein du DPS, on parle beaucoup de surplus militaires. Il est possible qu'en demandant, en achetant ou en étant très sage, on obtienne des insignes de CRS ou de militaires. Aucun des insignes, si ce n'est ceux des CRS, n'est très convaincant parmi ceux que j'ai vus.

    En revanche, mes hypothèses ont été confirmées sur l'intérêt de groupes policiers annexes : l'_uvre française utilise la DPS ou la DPS se sert de l'_uvre française pour savoir qui est fréquentable, qui est dangereux à l'entrée d'une BBR ou d'une grande manifestation, qui il n'y faut pas voir...

    Je trouve intéressante la piste de la FPIP, qui a viré à droite du Front National lorsque celui-ci a créé le Front National de la Police, organisation qui existe depuis maintenant dix ans et dont certains membres ont créé une section spéciale - en abrégé SS -, impliquée dans plusieurs attentats à la bombe contre des foyers Sonacotra dans le sud de la France. Je dis « impliqués », il n'y a pas eu jugement. Car si l'on se réfère au jugement et aux délibérés, on ne comprend pas grand-chose. Le responsable de la section SS est innocenté sans suite. Je peux vous fournir les noms.

    J'ai publié un livre sur les sponsors du Front National. J'ai remarqué que les membres de la FPIP tiennent un discours extrêmement violent. Ils appellent au meurtre à quasiment toutes les pages en papier glacé d'un journal qui s'appelle Police et sécurité magazine. On y trouve énormément de publicités pour EDF-GDF, Air France et la plupart des grandes entreprises publiques françaises, peut-être inconscientes de la façon dont elles ont géré leur budget de communication. Là n'est pas la question qui nous intéresse, mais chaque publicité est payée 48 000 francs, le budget d'un numéro s'élevait de 400 000 à 500 000 francs, c'était un bimensuel, cela a duré dix ans et cet argent n'est jamais arrivé dans les caisses de la FPIP. A plusieurs reprises la revue a été poursuivie, interdite, parce qu'insultant le ministre de l'Intérieur. Mais l'on n'a jamais pu conclure à l'enrichissement personnel des syndicalistes.

    L'argent a bien existé. Où est-il allé ? A quoi a-t-il servi ?

    Les DPS ont beaucoup d'argent. Lorsque l'on connaît le Front National de l'intérieur, l'on sait qu'il est peu enclin à donner de l'argent à ses adhérents et à ses militants. C'est un parti qui attend beaucoup de ses militants qu'ils subviennent à leurs besoins. Pourtant, la DPS a beaucoup d'argent, peut trouver une salle assez facilement, des salles d'entraînement alors que cela n'est pas si aisé en banlieue parisienne. J'ignore d'où vient l'argent. Mes enquêtes ne sont pas parvenues à le déterminer. Tel n'était d'ailleurs pas leur but.

    J'ai poursuivi mon enquête en décembre-janvier. En février 1997, j'ai interviewé une personne qui avait été suivie par un journaliste du sud de la France et qui déclarait être un transfuge du Front National. Je vais vous faire part de son témoignage, en vous indiquant à quel moment il ne me semble pas véridique, dans la mesure où je pense qu'il essaye de se dédouaner d'un certain nombre de choses.

    J'ai pris rendez-vous avec lui et ses amis dans une gare à Grenoble en février 1997. Son témoignage a été enregistré au début, mais le magnétophone a été détruit par les quatre personnes de l'ex-DPS. Je ne dispose donc pas des cassettes de cet entretien.

    Le principal intéressé, parmi les quatre personnes présentes, s'appelait Bob. Il m'a paru nettement moins politique que les DPS parisiens que j'ai rencontrés, véritables militants politiques d'extrême-droite.

    Il avait à l'époque trente-quatre ans, mesurait un mètre quatre-vingt dix. Il avait un casier judiciaire, puisqu'il avait jeté une personne du troisième étage après s'être fâché avec elle. Il n'avait aucune connaissance du close-combat, ce qui est assez surprenant, mais vu son gabarit l'on peut supposer que ce n'était pas un handicap. C'est une personne physiquement impressionnante, j'ai rarement vu quelqu'un de ce gabarit. Dans le civil, il est employé dans une société de gardiennage. En 1997, il m'a raconté de façon assez détaillée la manière dont le couple Le Chevallier était arrivé au pouvoir à Toulon, distribuant assez généreusement des postes aux militants qui le souhaitaient : gardien de cimetière, agent de la circulation... Il a confirmé mes doutes sur le port des uniformes. Il prétend que ceux-ci sont strictement similaires ; je n'ai pas trouvé qu'ils l'étaient lorsque j'en ai vu dans la région parisienne.

    Il explique être arrivé au Front National en 1995, où il a très vite été remarqué, et indique qu'on leur a prêté une salle de gymnastique pour rapatriés de l'Algérie. Il affirme qu'en août 1995, la veille du jour où M. Jean-Claude Poulet-Dachary a été assassiné, plusieurs militants DPS plus âgés et plus gradés que lui sont venus inspecter chez lui pour vérifier qu'il n'avait pas d'armes. J'essaye d'enquêter sur le meurtre de M. Jean-Claude Poulet-Dachary, ce qui est extrêmement difficile, dans la mesure où l'enquête policière piétine lamentablement.

    Bob participe en mai 1995 au DPS à Paris. C'est à ce moment qu'il fonde les UMI de Toulon, mais je pense que c'était deux ans avant, sinon il n'aurait pas eu le poste qu'il semble avoir obtenu à la mairie de Toulon.

    Les UMI, unités mobiles d'intervention, seraient la face cachée du DPS, que je n'avais pas vue à Paris. Je pense, en effet, qu'il existe trois DPS : un premier diplomatique et assez présentable ; un deuxième, dans le cadre duquel on peut participer à des opérations un peu plus coups de poing - collages d'affiches ou règlements de comptes individuels - et de sociabilité ; le troisième, les UMI. Dans ce cadre, l'utilisation des matraques électriques est très utile, car, on se demande bien à quoi peuvent servir des matraques électriques si le but consiste simplement à orienter les journalistes. Cela dit, les matraques électriques existent déjà au sein du deuxième DPS, celui des filles-garçons.

    Bob dit s'être chargé des UMI à Carpentras et indique qu'une matraque est très utile, car elle permet d'immobiliser un adversaire pendant quelques secondes en le matraquant à la cuisse. Il tombe et on peut alors l'expulser de la manifestation. Cela ne nécessite pas la constitution de fichiers ; on repère rapidement dans une manifestation les membres plus ou moins désirables ou plus ou moins connus. L'_uvre française doit pouvoir les aider, mais ils connaissent par photos les personnes indésirables.

    Les membres des UMI auraient, selon lui, un sigle UMI et un numéro reconnaissable par les DPS à l'intérieur du blouson.

    Lorsque j'ai été formée par les DPS, personne ne m'a parlé des UMI, mais je n'y suis restée qu'un mois et demi. Les réseaux de sociabilité étaient ce qui m'intéressait et je ne pense pas que l'on m'aurait proposé dans un temps aussi court de participer à une unité mobile, d'autant que je ne crois pas que les filles y soient bienvenues, même si elles font du close-combat.

M. le Président : Vous vous êtes donc intéressée au DPS pendant trois mois ?

Mme Fiammetta VENNER : J'ai commencé le 5 ou 6 décembre et terminé vers le 20 janvier.

M. le Président : Comment s'est passé votre « recrutement » ?

Mme Fiammetta VENNER : Je me suis présentée. On m'a demandé mon nom ; j'ai donné un faux nom. On m'a ensuite réclamé un extrait de casier judiciaire. Heureusement, le nom que j'avais utilisé était assez commun ; je l'ai fourni quelque temps après. Je m'étais teint les cheveux. Je pense qu'il était très facile de s'engager au DPS en décembre 1996 ; on ne subissait pas d'examen de passage, on ne vous demandait pas ce que vous aviez fait avant. Je pense que le fait d'être une fille facilitait les choses.

M. le Président : Quelle fut votre formation ?

Mme Fiammetta VENNER : Une formation militante, à moitié idéologique. Par exemple, on me demandait : « Il y a trop d'étrangers ici ; comment répondrais-tu à une telle affirmation ?... Non, tu ne devrais pas répondre de telle manière. Au lieu de dire "Il y a trop d'étrangers", il faudrait plutôt dire : "Chacun est différent et les gens sont bien chez eux." ». C'est-à-dire un discours assez policé et assez agréable, mais qui ne change rien sur ce que l'on sait déjà du Front National. Tous les militants sont incités à ce type de discours, ce qui ne les empêche pas de craquer dès qu'il y a une occasion publique.

    L'entraînement physique était absent les premiers jours. Il s'organise par réseaux de sociabilité. Des gens connus au DPS lancent : « Ce soir, justement je vais faire ceci ou cela, veux-tu venir avec moi ? » C'est à travers ces réseaux de sociabilité que l'on m'a proposé de participer à des collages d'affiches.

M. le Président : Vous faisiez donc des entraînements physiques ?

Mme Fiammetta VENNER : Oui, mais l'on ne peut dire réellement que c'était à l'intérieur des DPS ; c'était avec les DPS mais l'organisation relevait simplement de réseaux de sociabilité. Tel est l'intérêt principal des DPS, c'est-à-dire que, d'une certaine façon, tout DPS peut être lâché. Officiellement, personne n'a demandé à un DPS d'utiliser une matraque électrique ; en revanche, tout l'y incite.

M. le Président : Comment en êtes-vous sortie ?

Mme Fiammetta VENNER : Je n'ai donné ni mon adresse ni mon numéro de téléphone et, au bout de quelques semaines, je suis partie. J'étais à un endroit de l'Ile-de-France assez éloigné de Paris.

M. le Président : Avez-vous été inquiétée depuis ?

Mme Fiammetta VENNER : Pas directement par les DPS, mais la DPS est un groupe qui a recruté beaucoup de gens. Considérez-vous que Holeindre fait partie des DPS ? Il a fait partie de la structure qui a créé le DPS.

    Oui, j'ai été inquiétée par des membres du Front National, mais sur d'autres enquêtes que j'ai pu mener ou publier, soit dans mon journal, soit dans d'autres. On ne sait jamais pourquoi les gens peuvent vous inquiéter.

M. le Rapporteur : Si l'on vous montrait des matraques électriques destinées au gros bétail, seriez-vous en mesure de les reconnaître ?

Mme Fiammetta VENNER : Je ne savais même pas que l'on pouvait utiliser des matraques électriques pour gros bétail !

M. le Rapporteur : C'est en général un petit instrument tenu au bout d'une perche.

Mme Fiammetta VENNER : C'est un peu plus grand qu'une cassette audiovisuelle, moins large, cela tient dans une main1.

M. le Rapporteur : Vous évoquez les relations entre le DPS et l'_uvre française, qui regroupe tous les avatars de l'extrême-droite fasciste.

Mme Fiammetta VENNER : Ils ne sont pas fascistes, plutôt néo-nazis.

M. le Rapporteur : Effectivement, avec la famille Sidos et ses différents avatars.

    Quelles sont ces relations ? Organiques ?

Mme Fiammetta VENNER : Non, en revanche, j'ai vu des militants de l'_uvre française dans des réunions régionales des DPS. En outre, j'ai noté les mêmes assurances d'impunité de certains lieux de la part de la police, impunité aussi si l'on agissait entre telle et telle heure, parce que tel policier ne ferait rien. J'avais déjà entendu de telles phrases au sein de l'_uvre française, dont j'avais essayé d'interviewer les membres quatre ans auparavant.

M. le Président : Qu'entendez-vous par « tel policier ne ferait rien » ?

Mme Fiammetta VENNER : Il en va de même des commandos anti-avortement : vous ne pouvez savoir s'il s'agit de sentiments ou d'une réalité. Pour les commandos anti-avortement, Xavier Dor déclare : « Dans tel commissariat, je suis très bien reçu, dans tel autre très mal. ». C'est là le sentiment d'une personne suite à la façon dont ses interlocuteurs la reçoivent.

    Dans le cas précis, il semblait que c'était des alliés à l'intérieur de la police ou au sein de rondes de policiers. Mais l'on sait que la présence de l'extrême-droite chez les policiers, si elle n'est pas totale, est importante. Je suppose donc qu'ils ne font pas que voter. En tout cas l'_uvre française, au moment où j'y suis allée, en 1991 ou 1992, revendiquait parmi ses membres environ 65 % de policiers et jamais l'_uvre française n'a eu la prétention de représenter les policiers d'extrême-droite. Ce n'est pas la FPIP ni le Front National de la Police, qui est complètement minoritaire et n'existe qu'électoralement. Il ne comprend que vingt ou trente personnes ; ce sont juste les déçus de la FPIP, qui n'ont pas eu le pouvoir qu'ils estimaient leur être dû au sein d'un syndicat de police.

M. le Président : Pendant que vous étiez au DPS, avez-vous participé à des actions ?

Mme Fiammetta VENNER : Oui, des actions de protection dans le cadre de collages d'affiches, mais rien de semblable en violence avec ce que l'on pouvait connaître à Marseille, par exemple.

    On associe assez fréquemment la DPS à l'assassinat de Ibrahim Ali à Marseille. Il semble que ce ne soit pas le cas, dans la mesure où les DPS ont vraiment essayé d'éviter la présence d'armes, mais il aurait pu y avoir des matraques, des instruments plus contondants, tout le matériel de camping dont je vous ai parlé tout à l'heure.

M. le Président : Vous dites « la DPS ».

Mme Fiammetta VENNER : Ce sont là des initiales qui peuvent se traduire par le « Département police et sécurité » ou la « Division protection, sécurité ». Ce qui amuse les personnes de la ou du DPS consiste à changer les noms suivant ce qu'elles ont envie d'en faire.

M. le Président : Vous disiez que le DPS disposait de moyens importants. Vous avez cité la possibilité de louer des salles d'entraînement.

Mme Fiammetta VENNER : Le témoignage de Bob montre qu'à Toulon, c'est la mairie qui leur prête la salle. Là où je suis allée mener mon enquête, le DPS louait des salles d'entraînement à des entreprises du genre « gymnase club » pour la soirée ou pour la nuit.

M. le Président : Pour l'entraînement des membres du DPS ?

Mme Fiammetta VENNER : Pour l'entraînement. Je ne pense pas que les personnes qui louaient les salles d'entraînement connaissaient l'utilisation qui allait en être faite. La location était réglée en liquide.

M. le Président : C'est ce que vous appelez de la sociabilité ?

Mme Fiammetta VENNER : En effet.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé du journal Police et sécurité magazine. Avez-vous eu connaissance d'une société de publicité collectant la publicité pour ce journal ?

Mme Fiammetta VENNER : Officiellement, la société avait une société de presse qui ramassait les pourcentages qu'elle gardait pour elle ; c'est ce que prétendent les dirigeants. Or, quand on regarde les comptes de la société de presse, on s'aperçoit que 90 % des sommes reçues sont renvoyés en frais divers. Je ne crois donc pas une seconde que Police et sécurité magazine ait offert sur un plateau à une société de presse indépendante la possibilité de s'enrichir, d'autant que si l'on se réfère aux chiffres que l'on peut trouver sur le serveur 3617Verif, cette société a rendu l'argent.

    Tout le monde s'est trompé sur la loi portant financement des journaux syndicaux de police. Police et sécurité représentait à l'époque environ 7 % d'électeurs, ce qui n'est pas négligeable. Il prétend distribuer le journal à 40 000 exemplaires, ce qui est totalement exagéré ; il est publié à 1 000 ou à 2 000 exemplaires.

    A l'époque, tous les syndicats vivaient de la publicité. Lorsqu'ils sont nterviewés, les syndicalistes de droite et de gauche éclatent de rire et déclarent : « Un syndicat policier ne peut céder la totalité de ses bénéfices à une société de presse indépendante. C'est de la pure fiction ! »

    On s'aperçoit - c'est pourquoi ils ont été condamnés - que les membres de la société de presse bénéficiaient de cartes de police. Peut-être étaient-ils commerciaux, mais plusieurs ont été interpellés avec des cartes de policiers prêtées par les membres de la FPIP. Peut-être faudrait-il interroger ces derniers sur la question. Je pense qu'il serait intéressant de les entendre au sujet des prêts de matériels policiers auxquels ils procèdent.

M. le Rapporteur : A quelle époque cela se situait-il ?

Mme Fiammetta VENNER : La FPIP a arrêté son journal polycopié en 1989. Le premier exemplaire de Police et Sécurité Magazine est paru le 1er janvier ou mars 1991. Quoi qu'il en soit, fin 1990-début 1991. C'est à partir de ce moment que les publicités paraissent et cela jusqu'en 1995-1996 et que la FPIP est interdite. Aujourd'hui, seules paraissent quelques publicités, tout à fait légales. Il s'agissait d'une pratique courante dans ces années-là, mais ce qui est plus étonnant est qu'EDF n'a jamais financé la CUP, Alliance ou un syndicat de droite. La FPIP était le syndicat qui recevait le plus de publicités. Or, quand on lit Police et Sécurité Magazine, on est impressionné par le nombre de pages incitant à la haine.

M. Jacky DARNE : Etiez-vous au sein du DPS lorsque vous avez interviewé celui que vous appelez Bob ? En quelle qualité l'avez-vous interrogé ?

Mme Fiammetta VENNER : Non, je n'étais plus au DPS ; je l'ai interviewé en tant que journaliste.

M. Jacky DARNE : C'était donc postérieur à votre participation au DPS. Lui-même était-il alors au DPS ?

Mme Fiammetta VENNER : Non, c'était un transfuge, il avait été renvoyé du DPS après avoir postulé auprès de M. Jean-Marie Le Chevallier du fait que des personnes armées faisaient partie des DPS. C'est pourquoi je pense que les dates qu'il livre sur son appartenance à l'UMI sont fausses.

M. Jacky DARNE : A quel moment a eu lieu cet entretien ?

Mme Fiammetta VENNER : En février 1997.

M. Jacky DARNE : Le matériel d'enregistrement a été cassé. Pourquoi ? Parce que l'entretien s'est mal passé ? Est-il tombé en panne ? Quelles ont été les circonstances ?

Mme Fiammetta VENNER : Le matériel a été cassé par un membre du DPS, autre que Bob, qui s'est énervé à un moment sur mon magnétophone.

M. Jacky DARNE : A cause de vos questions ?

Mme Fiammetta VENNER : Non, à cause des réponses. L'entretien a duré quasiment cinq heures. C'est pourquoi je ne puis en parler précisément si ce n'est évoquer les grands thèmes.

M. Jacky DARNE : Vous avez indiqué qu'il avait été recruté par la municipalité de Toulon. A quel moment ?

Mme Fiammetta VENNER : Son témoignage n'est pas clair sur le sujet. Il déclare avoir été recruté à l'arrivée de M. Le Chevallier. Il ajoute : « A partir du moment où l'on est arrivé au pouvoir, on a donné des postes à qui on voulait. » Il était donc forcément là avant.

M. Jacky DARNE : Que fait-il actuellement ?

Mme Fiammetta VENNER : Je l'ai interviewé en 1997. J'ai vérifié son témoignage en 1998 au moment où Libération a publié un article, afin de mieux comprendre les questions soulevées par les journalistes. Il travaillait toujours dans une société de gardiennage pour des entreprises, à l'autre bout de la France. Je l'avais rencontré à Grenoble la première fois.

M. Jacky DARNE : Vous êtes restée peu de temps au DPS. Vous avez indiqué que vous aviez créé un centre d'études et d'observations. Le DPS est-il resté dans votre champ d'observation ou avez-vous abandonné, après parution de l'article dans Charlie Hebdo, le suivi de l'activité DPS ?

Mme Fiammetta VENNER : A priori, je ne sais pas grand-chose de l'activité de la DPS aujourd'hui. Je m'y intéresse en tant que citoyen un peu plus informé que les autres, certes, mais je n'ai pas mené d'autres enquêtes. La mienne s'est achevée en mars lors du Congrès de Strasbourg.

    Ce qui me paraissait dangereux était le port d'uniformes permettant aux DPS d'interroger des gens dans la rue, d'intervenir face à des personnes qui ne leur paraissaient pas françaises. Cela s'est avéré exact au mois de mars, puisque quatre personnes ont été arrêtées, dont trois DPS. A ce moment-là, mon enquête était, d'une certaine façon, terminée. Mon hypothèse s'est révélée juste et vraie.

    Je ne suis pas informée des buts de votre Commission, mais c'est en mars 1997 que la DPS aurait dû être dissoute. Aujourd'hui, où est la DPS ? M. Bernard Courcelle a démissionné. A l'heure actuelle, la DPS qui me semble dangereuse est celle de M. Bruno Mégret. On a d'ailleurs pu le constater à la télévision il y a quelques jours, s'agissant des personnes qui protègent M. Bruno Mégret en province. Mais ce n'est pas le résultat de l'enquête, plutôt une impression.

    Il sera difficile de parler du DPS aujourd'hui, dans la mesure où les principaux commanditaires ne sont plus là où ils devraient.

M. le Président : Lors de votre passage au DPS, des règles disciplinaires présidaient-elles au fonctionnement du groupe ?

Mme Fiammetta VENNER : Concernant le langage essentiellement, mais là encore, sans doute est-ce dû au fait qu'il s'agissait du DPS féminin. Il convenait de dire certaines choses et pas d'autres, d'apprendre à être cohérents dans le discours à tenir face aux médias. Quant à la hiérarchie, je l'ai perçue dans les souvenirs évoqués par les garçons. Les plus jeunes expliquaient qu'ils étaient directement redevables à M. Bernard Courcelle, les plus vieux à M. Jean-Marie Le Pen. C'est plutôt de l'extérieur que j'ai perçu la hiérarchie du DPS, c'est-à-dire la répartition en zones, à l'instar d'une petite armée, la hiérarchie entre chefs départementaux, régionaux et nationaux. Au niveau local et à celui d'une petite cellule, ce n'était pas aussi net, mais je ne suis pas restée suffisamment longtemps. Ce type de définition hiérarchique doit transparaître davantage au moment des grandes manifestations, des grands meetings, des BBR ou à l'arrivée de M. Jean-Marie Le Pen dans une ville et doit être davantage perceptible quand on est un garçon.

M. Robert GAÏA : Disposez-vous d'un organigramme du DPS féminin ?

Mme Fiammetta VENNER : Non.

M. Robert GAÏA : Connaissez-vous Mme Itoiz ?

Mme Fiammetta VENNER : Non. Mon premier contact est plutôt « mixte ». Je ne suis pas restée suffisamment longtemps pour percevoir toutes les réalités du DPS. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas un organigramme et une hiérarchie.

M. Robert GAÏA : A votre entrée au DPS, vous a-t-on fourni un vade-mecum du DPS ?

Mme Fiammetta VENNER : Non, on m'en a parlé, mais de l'extérieur.

M. Robert GAÏA : Vous n'avez rien vu d'écrit.

Mme Fiammetta VENNER : Non, excepté un organigramme où le DPS apparaît directement responsable auprès du Président et non auprès du bureau.

    Quant au recrutement des personnes du DPS, l'utilisation d'écrits me semble fort peu répandue.

M. le Président : La dimension raciste et xénophobe du Front National se percevait-elle au sein de votre groupe ?

Mme Fiammetta VENNER : Oui, tout à fait, de la même façon que dans les groupes de skinheads. Ce n'était pas un racisme construit comme il peut l'être dans les réunions de militants mais d'un racisme plus ancré et plus radicalisé par la présence des skins filles.

M. André VAUCHEZ : Sans doute n'avez-vous pas vu de papiers, parce qu'ils craignaient quelque chose de vous.

Mme Fiammetta VENNER : C'est possible.

M. André VAUCHEZ : Il ne doit pas être facile de vivre une telle situation. Vous avez dû totalement changer de personnalité.

Mme Fiammetta VENNER : C'est vrai. Je ne mène plus ce type d'enquête.

M. André VAUCHEZ : Vous avez précisé que l'on aurait pu avoir une action contre le DPS en 1997. C'est pourquoi nous nous interrogeons.

    Selon vous, quelles sont les facettes du DPS qui tombent sous le coup de la loi de 1936 ?

Mme Fiammetta VENNER : Essentiellement le port de l'uniforme appartenant à la fonction publique.

    J'ai étudié en détail la loi de 1936. Je ne suis ni législateur ni spécialiste en droit. Il me semble toutefois que l'utilisation par un certain nombre d'individus d'uniformes et d'instruments relevant officiellement de la force publique est répréhensible.

    S'agit-il de la milice privée d'un parti ? Oui, mais comment le prouver, hormis sur la base de témoignages privés ? J'ignore qui vous avez auditionné. Je suppose que vous avez entendu les trois personnes arrêtées à Strasbourg.

    Le sentiment d'appartenance à un groupe organisé me paraît un élément à approfondir. On relève dans les entretiens avec les membres du DPS qu'ils ont le sentiment d'appartenir à une classe plus armée, plus organisée et plus apte au « coup de poing », ce qui constitue la preuve qu'il existe une milice.

    Y a-t-il des armes ? Non.

M. André VAUCHEZ : Le sentiment d'appartenance ?

Mme Fiammetta VENNER : En cela, je pense que des entretiens avec des anciens du DPS peuvent se révéler utiles.

    La définition d'une milice au sens de la loi de 1936 est, en effet, compliquée. Dès lors qu'est organisé un service d'ordre, qu'il est musclé, il tombe quasiment sous le coup de la loi - en tout cas, vous pouvez l'utiliser. Que vous ayez envie de le faire ou non est une autre question. On l'utilise quand on veut dissoudre Ordre nouveau ou la LCR. Il n'est guère difficile de prouver que c'est un service d'ordre, qu'il est musclé. Mais vous pouvez aussi utiliser la loi à l'encontre de services d'ordre autres que ceux situés à l'extrême-droite. Après, la décision de dissoudre ou non ce service d'ordre est politique. Quant à considérer qu'il s'agit d'une milice... J'ai été élevée au Liban pendant la guerre. Il est vrai que cela ne ressemble pas à une milice de 1975, armée jusqu'aux dents, au Liban. Mais mon critère de référence n'est pas forcément un critère démocratique. Il n'en reste pas moins que c'est plus impressionnant qu'un service d'ordre normal d'un parti conventionnel, habilité à aller jusqu'à l'Assemblée nationale. Il vous appartient en tant que pouvoir politique de le déterminer. En 1997, l'Etat disposait de suffisamment d'éléments pour faire ce qu'il voulait du DPS.

M. André VAUCHEZ : Vous paraît-il dangereux pour la société ? Vous avez dit que ses membres avaient conscience de se défendre, que les armes étaient prohibées, y compris dans le troisième groupe. Imaginez que les armes soient distribuées ; pourraient-ils devenir très dangereux ?

Mme Fiammetta VENNER : Evidemment. Il faudrait y ajouter les membres du Parti nationaliste français européen et les résidus de L'_uvre française. En revanche, je n'y intègre pas les skinheads.

M. Robert GAÏA : Et le GUD ?

Mme Fiammetta VENNER : C'est assez compliqué. Le GUD est davantage porté aux actions « coups de poing ». Le recrutement étant annuel, cela dépend, mais ce sont davantage des gamins-adultes révoltés qui font le coup de poing ; dans vingt ans, ils seront avocats ou ministres !

    Il est tout à fait différent d'être éduqué au Parti nationaliste français européen et d'être au GUD. Les membres du GUD sont étudiants ; ils sont dans une université, non dans un château, en province, en train de tirer sur des pigeons toute la journée !

    Pour répondre clairement à votre question : oui, ils sont dangereux, même sans armes, d'où l'intérêt pour eux du close-combat.

M. le Président : Vous disiez que l'on pourrait dissoudre d'autres services d'ordre de partis. Avez-vous eu des contacts avec eux ?

Mme Fiammetta VENNER : Quand on sait que certains membres de la DPS sont momentanément engagés par d'autres services d'ordre de syndicats ou de partis, on se doute qu'ils n'oublient pas leurs matraques, leurs gants plombés, ou leurs coups de poing américains au placard !

    Si vous suiviez un service d'ordre d'un parti quelconque sur un an et que vous procédiez à un contrôle de « dopage aux armes », vous finiriez par trouver des éléments qui ressemblent au DPS, puisqu'il s'agit des mêmes personnes, certes pas toujours ; mais c'est le cas de certaines, pour lesquelles, être engagées, à un moment donné, pour assurer la sécurité d'un lieu, est un moyen de gagner leur vie.

M. le Rapporteur : Les chaînes de vélo sont-elles toujours en usage au DPS ?

Mme Fiammetta VENNER : Je n'en ai pas entendu parler lorsque j'ai fait récapituler à Bob les accessoires de matériel de camping. Les seules armes me paraissant étrangères à du matériel de camping étaient la matraque électrique et la batte de base-ball - quoique l'on puisse faire du base-ball au camping !

M. le Président : Madame, je vous remercie. Nous sommes preneurs de tous documents que vous pourriez nous laisser aujourd'hui ou nous faire parvenir plus tard.

M. le Président : Madame, nous vous remercions.

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Audition de M. Bernard COURCELLE, ancien responsable du DPS

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 17 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Bernard Courcelle est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Bernard Courcelle prête serment.

M. Bernard COURCELLE : Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai été chargé de mission pour la sécurité au Front National jusqu'au 6 mars 1999, date à laquelle j'ai reçu ma lettre de licenciement qui faisait suite à ma mise à pied à titre conservatoire pendant tout le mois de février. Il s'agissait d'un licenciement sec, sans indemnités ni préavis payé.

    Par ailleurs, monsieur le président, je voudrais vous faire part d'un article paru dans VSD la semaine dernière, affirmant que j'avais disparu, que la commission d'enquête parlementaire n'arrivait pas à me joindre, que mon téléphone portable ne répondait pas et que même les courriers que vous m'adressiez revenaient à l'Assemblée nationale avec la mention « parti sans laisser d'adresse ». M'inquiétant de cet article, j'ai appelé les journalistes signataires de ce petit confidentiel express, MM. Bombarde et Lecardonnel, qui m'ont répondu que c'était M. Robert Gaïa qui leur avait donné cette information2. Si cela est vrai, sachez que je trouve surprenant qu'un membre de la commission d'enquête se permette d'affirmer à des journalistes que j'ai disparu corps et biens. J'ai bien évidemment demandé au journal VSD de faire un rectificatif, qui paraîtra demain matin, précisant que l'Assemblée nationale avait pu me joindre, que j'avais reçu la convocation et signé le recommandé.

M. le Président : Nous travaillons sous le régime du secret ; par conséquent, nous nous interdisons tout contact avec la presse et ce qu'a pu dire VSD n'a aucun rapport avec la commission d'enquête.

M. Bernard COURCELLE : J'entends bien, monsieur le président. Cela fait partie des choses qui se font pour déstabiliser ou ennuyer une personne.

M. le Président : Pouvez-vous nous préciser dans quelles conditions vous êtes arrivé à la tête du DPS ?

M. Bernard COURCELLE : J'étais à l'époque chef de division sécurité au musée d'Orsay ; j'avais également contribué à la création du comité de sécurité des musées de France. C'est par l'intermédiaire d'un ami que j'ai reçu, au mois de décembre 1993, un coup de téléphone de l'ancien responsable de la sécurité du Front National, M. Jean-Pierre Fabre - ancien capitaine de gendarmerie en disponibilité - me proposant de reprendre la sécurité du Front National. Pendant mes quatre années de fonction au musée d'Orsay, j'avais réalisé un travail non négligeable, mais qui devenait rébarbatif ; je me suis donc dis « pourquoi pas ? ». J'ai eu plusieurs rendez-vous avec M. Jean-Pierre Fabre et M. Jean-Pierre Reveau, le trésorier national du Front National, puis deux rendez-vous avec Jean-Marie Le Pen. Je me suis mis en disponibilité du ministère de la culture au mois de mai et ai pris mes fonctions au DPS le 1er juin 1994.

M. le Président : Vous avez donc été licencié sec au mois de mars : pouvez-vous nous préciser dans quelles conditions vous quittez vos fonctions et si vous jouez encore un rôle quelconque dans le DPS ou le DPA ?

M. Bernard COURCELLE : Absolument aucun. Je ne joue de rôle ni dans le DPA ni dans le DPS. Certains membres du DPS, et même du DPA d'ailleurs, m'appellent pour me demander quelques conseils, mais j'ai cessé toute activité dans ce domaine et je suis maintenant à la recherche d'un emploi.

    Dès le mois d'octobre 1998, j'ai dit à Jean-Marie Le Pen et au bureau politique du Front National que vouloir bouter M. Bruno Mégret en dehors du Front National risquait de provoquer une scission et de casser l'élan donné pour les élections européennes. Ensuite, lorsque la décision a été prise d'exclure M. Bruno Mégret du parti, je leur ai fait part de mon mécontentement, plus encore quand certaines personnes qui étaient sous ma responsabilité - les membres du DPS, qui sont des bénévoles - et qui avaient rejoint M. Bruno Mégret, ont été traitées de traîtres et de félons. Je ne pouvais pas accepter ce genre de propos, alors qu'il s'agissait de personnes qui, depuis dix, quinze ou vingt ans, s'étaient dévouées corps et âme au service d'ordre, sans aucune rémunération et ne récoltant que des ennuis. Je ne supportais pas non plus que l'on dise que les membres du service d'ordre devaient être à la botte du bureau politique du Front National. Ce sont des personnes libres qui font ce que bon leur semble. Elles suivent un mouvement, des idées, et non pas uniquement un homme.

    Je disais donc haut et fort ce que je pensais, tout en continuant à assurer la sécurité des meetings du Front National. Lorsque j'ai annoncé que je me rendrais au congrès de Marignane pour information, puisque j'étais en vacances, ils ont prononcé ma mise à pied.

M. le Président : Avez-vous travaillé pour la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) ? Qu'en était-il au moment où vous dirigiez le DPS ?

M. Bernard COURCELLE : Non, je n'ai pas travaillé à la DPSD. J'ai été officier de sécurité de la division armement chez Luchaire, comme garde du corps de M. Daniel Dewavrin, président du directoire de cette société. Il était menacé d'assassinat par Action directe et était, me semble-t-il, le troisième nom sur la liste des personnalités à assassiner dressée par Action directe, après le général Audran et M. Besse qui avaient déjà été assassinés. Lorsque j'ai quitté l'armée, on m'a proposé d'assurer la sécurité de la division armement chez Luchaire. Etant donné qu'il s'agit d'un établissement classé en régime restrictif, et soumis à des contrôles de la DPSD et de la Direction de la surveillance du territoire (DST) en matière de sécurité industrielle, j'étais en contact avec des officiers de la DPSD qui assuraient la surveillance et le respect du confidentiel défense. Mais je n'ai jamais été rémunéré par la DPSD et n'ai jamais travaillé pour elle.

M. le Président : Etes-vous toujours en contact avec ces personnes ?

M. Bernard COURCELLE : Non, c'était entre 1986 et 1988. Les officiers et les inspecteurs avec qui j'étais en contact ont, depuis, changé d'affectation.

M. le Président : Votre action aux Comores était...

M. Bernard COURCELLE : Je ne suis jamais allé aux Comores.

M. le Président : Vous n'avez aucune relation avec ce qui s'est passé aux Comores ?

M. Bernard COURCELLE : Des camarades, des personnes que je connaissais faisaient en effet partie de la garde présidentielle aux Comores, mais, personnellement, je n'ai jamais participé, de près ou de loin, à une action dans ce pays. Je connaissais certains sergents, que j'ai commandés lorsque j'étais officier parachutiste à Mont-de-Marsan, ainsi qu'une autre personne qui est, par la suite, devenue mon beau-frère. J'ai eu un contact avec Bob Denard qui m'avait appelé à mon domicile, dans les Yvelines, lorsque j'étais chez Luchaire, parce que des bruits couraient disant que je voulais reprendre la garde présidentielle et que j'étais en liaison avec Paul Barril - que je ne connais pas et n'ai vu qu'une fois lorsqu'il avait sa société Secret. Je ne connais pas non plus le commandant Christian Prouteau. Il s'agissait de délires, de fantasmes écrits dans La lettre de l'Océan indien et dans d'autres journaux.

    Au total, si je connaissais certaines personnes qui étaient là-bas, je n'ai, pour ma part, jamais mis les pieds aux Comores.

M. le Président : Et pour la Tchétchénie ?

M. Bernard COURCELLE : S'agissant de la Tchétchénie, sachez que j'ai gagné tous mes procès, contre Canal Plus, Le Nouvel observateur et l'Evénement du jeudi. Ils sont condamnés à me payer des dommages et intérêts à hauteur de 69 000 francs, 30 000 francs et 40 000 francs. Ces procès pour diffamation sont maintenant jugés. Certains petits journalistes étaient trop contents de mouiller le Front National avec une histoire complètement rocambolesque.

    Je suis en effet allé en Tchétchénie pour effectuer un audit en sécurité pour un possible consortium pétrolier franco-américain. J'avais alors sympathisé avec certains militaires et avec le président Doudaïev. Lorsque j'y suis retourné, il y a trois ans, c'était pour tourner un film sur le massacre du peuple tchétchène. J'accompagnais deux journalistes indépendants étant donné que j'avais des contacts avec la résistance tchétchène, puisque je connaissais le général Doudaïev et l'actuel président, qui était colonel à l'époque. Certes, il y a une mafia tchétchène en Russie, mais en Tchétchénie, vivent des personnes extrêmement courageuses et que j'appréciais.

    Les événements du Kosovo, bien que dramatiques, n'ont rien à voir avec ce qu'ont subi les Tchétchènes : des femmes et des enfants étaient enfermés dans des caves dans lesquelles on mettait le feu, et les exécutions sommaires n'étaient pas rares. C'était absolument monstrueux. Ce film est d'ailleurs passé à « Envoyé spécial ».

M. le Rapporteur : Monsieur Courcelle, pourriez-vous nous indiquer avec précision votre parcours dans l'armée, depuis votre engagement jusqu'à votre cessation d'activité ? Dans quelle unités avez-vous servi ?

M. Bernard COURCELLE : Ma carrière militaire a été très courte. J'ai fait mon service militaire à Coëtquidan, pour être officier de réserve. En tant qu'aspirant, j'ai été affecté au 6ème régiment parachutiste d'infanterie de marine et j'étais chef de section au combat. J'ai bénéficié de deux contrats ORSA (Officier de réserve en situation d'activité) - j'ai été sous-lieutenant, puis lieutenant à Mont-de-Marsan - jusqu'en 1981. Puis j'ai obtenu des contrats d'engagement spécial au titre des réserves, en tant qu'instructeur parachutiste en 5ème région militaire, c'est-à-dire dans les CIPM de Nice, Marseille, Perpignan, Bastia et Montpellier, et ce jusqu'en 1985.

    J'ai ensuite pris une année sabbatique pendant laquelle je suis allé au Maroc travailler avec un ami qui y possédait une station balnéaire. Puis je suis rentré en France où j'ai été embauché chez Luchaire, de février 1986 jusqu'à octobre 1988. En 1988, quand Luchaire a été rachetée par le GIAT, j'ai été licencié pour motif économique. Je suis resté un an au chômage, puis j'ai été embauché au musée d'Orsay comme chef de la division sécurité. Après le musée d'Orsay, le Front National.

M. le Rapporteur : Vous n'avez donc jamais été aux Comores, mais de nombreux membres du DPS et du Front National y sont allés. Vous ne pouvez donc pas ignorer ce qui s'est passé. Je cite quelques noms : François-Xavier Sidos, Gilles Rochard, Jean-Claude Sanchez. Quelles étaient vos relations avec ces personnes, notamment avec M. Sanchez ?

M. Bernard COURCELLE : Je n'ai jamais eu de relation particulière avec M. Sanchez, qui était un DPS de base. Et je n'ai appris son déplacement aux Comores qu'après.

M. le Rapporteur : C'est pourtant un ancien parachutiste et un ancien responsable du DPS de Haute-Savoie.

M. Bernard COURCELLE : Quand je l'ai connu, il n'était qu'un DPS de base, avec quelques petites responsabilités de chef d'équipe. En général, j'avais affaire aux responsables régionaux.

M. le Rapporteur : Et de ses relations avec M. Nicoletto, vous ne savez rien ?

M. Bernard COURCELLE : Je ne connais pas Nicoletto.

M. le Rapporteur : Il est pourtant un grand spécialiste dans le domaine du mercenariat et du trafic de stupéfiants. Vous n'avez jamais eu de relation avec lui ?

M. Bernard COURCELLE : Jamais, au grand jamais. Quel intérêt ?

M. le Président : Vous n'avez pas non plus de relations avec les frontistes qui sont allés au Zaïre ?

M. Bernard COURCELLE : Lorsque j'étais responsable de la sécurité au Front National, je ne voulais pas entendre parler de ce genre d'affaires. Si certaines personnes y sont allées, si M. Sidos en savait plus que moi à ce sujet, c'est leur problème. L'affaire de la Tchétchénie avait déjà fait beaucoup de bruit. Canal Plus, Karl Zéro et M. Ravion étaient trop contents de saisir la balle au bond pour ennuyer le Front National et je ne pouvais donc pas me permettre d'être en permanence en liaison avec ces personnes qui cherchent l'aventure. Ce sont des personnes que je connais, naturellement, mais je n'ai jamais voulu m'intéresser à ce genre d'affaires, ni y participer, de près ou de loin.

M. le Rapporteur : Comment se fait-il qu'un officier qui a toujours été à la lisière de tout ce qui concerne le renseignement soit si peu intéressé par le mercenariat, les militants d'extrême-droite et les anciens parachutistes qui sont par ailleurs des mercenaires ? Vous avez un tempérament d'homme d'action et de renseignement : comment se fait-il que vous n'ayez jamais voulu en entendre parler ?

M. Bernard COURCELLE : C'est très simple : dès que je suis entré au Front National, ma famille, mon fils - que j'élève seul - ont subi les pires pressions, au seul motif que j'étais responsable de la sécurité du « diable », des « fachos », etc.. Ils ont été menacés, insultés, provoqués ; mon fils a été frappé à deux reprises à la sortie du lycée, uniquement parce qu'il était mon fils - il avait alors 14 ans ! J'imaginais donc bien les proportions que cela pouvait prendre si je m'intéressais à autre chose.

    Il n'était déjà pas facile de faire fonctionner le service d'ordre correctement, si en plus je me permettais de me disperser... Par ailleurs, médiatiquement, cela aurait été terrible. Je connaissais certaines personnes, auxquelles j'avais d'ailleurs conseillé de ne pas aller dans ces pays et d'être prudentes. Elles partaient quand même, cela ne me regardait pas.

M. le Rapporteur : Vous êtes donc parti en Tchétchénie pour effectuer un audit à la demande d'un vague consortium. Y a-t-il eu un contrat signé ?

M. Bernard COURCELLE : Nous sommes bien loin du DPS ! Ma vie aventureuse vous intéresse fortement ! Cela n'a rien à voir avec le service d'ordre du Front National, c'était bien avant. Je ne vois pas le rapport !

    Un dénommé Fradin m'avait parlé d'industriels français qui se rendaient sur place et qui voulaient investir. Il organisait des voyages pour ces personnes. C'était en 1992-1993.

M. le Président : Vous n'y êtes jamais retourné lorsque vous étiez au DPS ?

M. Bernard COURCELLE : J'ai essayé d'y retourner une fois avec un journaliste d'Arte, à nouveau pour tourner un film, au mois de février 1995. Nous sommes allés jusqu'en Azerbaïdjan, mais nous n'avons pas réussi à passer la frontière.

M. Robert GAIA: Vous n'y êtes jamais allé avec M. Signard ?

M. Bernard COURCELLE : Je ne suis jamais allé en Tchétchénie avec M. Signard.

M. Jacky DARNE : Monsieur Courcelle, vous nous avez dit que vous aviez été licencié. Cela signifie donc que vous étiez salarié : quel était votre employeur, quelle était la nature de votre contrat de travail, quel type de délégation aviez-vous et quelle rémunération perceviez-vous ?

M. Bernard COURCELLE : J'étais salarié de l'association Front National, en tant que chargé de mission de Jean-Marie Le Pen pour la sécurité. Je ne connais pas le contrat de travail par c_ur, mais mon salaire brut était légèrement supérieur à 20 000 francs, et mon salaire net était de 16 957 francs. J'ai d'abord eu un contrat à durée déterminée, puis à durée indéterminée.

M. Jacky DARNE : Ce qui était dans le champ de votre contrat, c'était donc la responsabilité du DPS ?

M. Bernard COURCELLE : Non, j'étais chargé de mission, responsable de la sécurité du Front National.

M. Jacky DARNE : Que représente le DPS pour vous ?

M. Bernard COURCELLE : Le DPS regroupe des bénévoles et des volontaires qui assurent le service d'ordre du Front National lors des meetings. Il s'agit d'une mosaïque de personnes qui viennent de différents corps de métier et ont de 18 à 70 ans. Nous les contactons à chaque fois que l'on a besoin de constituer un service d'ordre. Mais, pour avoir 20 membres à disposition sur un site, il faut en contacter au moins 60, car ils ne sont pas toujours disponibles : ils ont une vie de famille et travaillent. Il faut qu'ils puissent se libérer.

M. Jacky DARNE : A qui rendiez-vous compte de l'exécution de votre contrat de travail ?

M. Bernard COURCELLE : Je rendais compte à Le Pen uniquement. Il n'y avait aucun intermédiaire entre nous, ce qui est somme toute normal quand il s'agit d'organiser un service d'ordre. Il me laissait faire, il avait confiance. Je le voyais néanmoins régulièrement pour lui rendre compte de nos activités et lui faire des comptes rendus de marche - les effectifs, les incidents, les blessés, les plaintes déposées, etc.

M. Jacky DARNE : En tant que responsable du DPS, avez-vous procédé à des recrutements, c'est-à-dire à des négociations de contrats de travail que vous avez préparés et fait signer pour assurer des fonctions liées à la sécurité, au service d'ordre ?

M. Bernard COURCELLE : Il n'y a pas de salariés au service d'ordre. Seuls ma secrétaire et moi étions salariés. Les seuls personnels de « sécurité » salariés sont ceux qui assurent l'accueil du siège, en permanence. Cela représente un effectif de cinq personnes.

M. le Rapporteur : A partir de quel moment et pour quelles raisons avez-vous décidé qu'il ne fallait pas forcément être frontiste encarté pour être membre du DPS ?

M. Bernard COURCELLE : C'était une question d'argent. Tout d'abord, on demandait aux membres - bénévoles - du service d'ordre d'acheter un costume, voire deux vestes, car lorsque l'on prend des _ufs sur la figure, il convient d'être présentable quand les autorités arrivent ! Cela représentait un investissement d'au moins 1 000 francs. Je ne voulais donc pas leur demander, en plus, d'acheter une carte à 260 francs - ou à 100 francs, s'il s'agissait d'une carte privilégiée. Beaucoup d'entre eux avaient peu de moyens, certains étaient même chômeurs ou Rmistes. Il arrivait également qu'on leur donnât une carte gratuite.

M. le Président : Vous avez tout de même décidé, en janvier 1996, dans une note, que le service d'ordre du Front National pourrait faire appel à des personnes extérieures au Front National, et pas simplement pour les raisons que vous venez de citer.

M. Bernard COURCELLE : Je n'ai pas fait de note dans ce sens-là.

M. le Président : Si, le 5 janvier 1996.

M. Bernard COURCELLE : Pouvez-vous m'en rappeler les termes exacts ? J'ai écrit que l'on pouvait faire appel à des personnes extérieures ?

M. le Président : Oui.

M. Bernard COURCELLE : Vous me surprenez. Je suis curieux de voir cette note, car il n'y avait pas de raison de faire appel à des personnes extérieures. S'il s'agit de personnes qui désirent assurer le service d'ordre en tant que sympathisants, et qui ne sont ni encartés ni militants, pourquoi pas, mais uniquement comme auxiliaires ou observateurs.

M. le Rapporteur : Quelles ont été vos relations avec M. Gérard Le Vert, qui était un responsable du service d'ordre, connu pour ses opinions très extrémistes, au-delà même de la ligne du Front National, puisque c'est un sympathisant de mouvements néonazis, en relation avec un ancien officier SS en Bavière, qui a participé à des cérémonies à la mémoire de miliciens ?

M. Bernard COURCELLE : J'entretiens d'excellentes relations avec Gérard Le Vert. C'est une personne d'aplomb, solide et non pas un excité, comme on aimerait bien le faire croire. C'est tout de même le fils du général Le Vert, bien connu dans la Légion, le cousin du juge Le Vert ; il ne peut donc pas se permettre de faire n'importe quoi. Je ne l'ai jamais vu ni entendu avoir des attitudes ou des paroles laissant penser qu'il cautionne cet extrémisme particulier. Je n'ai jamais eu de relations avec lui dans ce domaine. Il a toujours été une personne très correcte, d'aplomb, sachant diriger ses gens. C'est un type que je trouve très bien.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Tout d'abord, je voudrais savoir comment le musée d'Orsay vous a recruté. Ma deuxième série de questions porte sur le recrutement des membres du DPS : recrutement des membres du service d'ordre ? Les rencontriez-vous ? Comment les membres du DPS sont-ils sélectionnés pour chaque réunion du Front National ? Quels sont les critères que vous prenez en compte pour appeler tel ou tel individu ? Contrôlez-vous leur identité, leur casier judiciaire, par exemple ?

    Enfin, on nous a dit - et nous avons vu - que vous aviez des armes : de quels matériels disposez-vous ?

M. Bernard COURCELLE : J'ai trouvé ce travail au musée d'Orsay par les petites annonces du Figaro. J'ai contacté une entreprise de chasseurs de têtes - rue de Pontieux, me semble-t-il, qui m'a convoqué et m'a fait passer un premier entretien, puis deux autres. J'ai passé des tests. J'ai ensuite été présenté au secrétaire général du musée d'Orsay, Mme Villers. Après deux entretiens avec Mme Villers et Mme Besse, la responsable du personnel, j'ai obtenu un rendez-vous avec Mme Françoise Cachin, alors conservateur général du musée d'Orsay - et non avec Mme Anne Pingeot. Après cet entretien, j'ai reçu une lettre m'indiquant que j'avais été choisi pour le poste de chef de division sécurité. Je suis entré dans mes fonctions le 1er mai 1990.

    En tant que chef de division sécurité, j'avais la responsabilité des 250 ou 300 agents de surveillance ; c'était du 24 heures sur 24, avec les équipes de nuit et les week-ends. Le lundi était le jour de fermeture au public, mais il fallait tout de même une présence du personnel de surveillance. Je devais également organiser toutes les expositions, mettre en place le système de protection contre les dégradations, surveiller tout le dispositif d'hydrométrie, contrôler les accès et surveiller les _uvres d'art. Pendant ma période de responsabilité, les dégradations ont d'ailleurs diminué de 70 % et il n'y a pas eu de vol.

M. Robert GAIA : Vous avez démissionné ?

M. Bernard COURCELLE : Je me suis mis en disponibilité pendant un an. Si ma nouvelle fonction au Front National ne m'avait pas convenu, je serais retourné au musée d'Orsay. Au bout d'un an, un peu sous la pression, je suis resté, alors que je n'en avais pas vraiment envie.

    S'agissant du recrutement, nous demandons à toutes les personnes souhaitant faire partie du service d'ordre de nous fournir un extrait de leur casier judiciaire. Si nous ne l'obtenons pas, nous refusons systématiquement la candidature. Etant donné qu'il s'agit d'un service d'ordre de bénévoles et de volontaires, nous avons mis en place une structure au niveau régional et départemental, afin d'entrer facilement en contact avec eux. Par ailleurs, nous les prévenons qu'il ne s'agit pas de quelque chose de facile, qu'il n'y a pas de rémunération et qu'une fois qu'ils sont repérés comme membre du Front National, ils doivent s'attendre à des critiques, des menaces et des harcèlements de la part de nos adversaires politiques qui utilisent tous les moyens possibles, allant même jusqu'à uriner dans nos boîtes aux lettres.

    Pour préparer une réunion, une fois que le nombre de personnes nécessaires a été déterminé, le responsable départemental ou régional contacte les personnes nécessaires à la constitution du service d'ordre. S'il ne trouve pas suffisamment de personnes, il fait appel aux membres du DPS de la région voisine. Ce que je souhaitais éviter autant que possible, car cela engendre des frais supplémentaires qui ne leur étaient pas remboursés. On ne leur remboursait que les frais d'essence et le casse-croûte.

M. Jacky DARNE : Avec quel budget cela se faisait-il ?

M. Bernard COURCELLE : Je n'avais pas de budget. Je me contentais de réunir toutes les factures, de les vérifier, puis de les donner au trésorier du Front National qui les réglait. Je n'ai jamais eu de compte ou de délégation signature - sauf pendant la campagne présidentielle, pour payer les frais et les locations de voitures.

M. Jacky DARNE : Le coût du service d'ordre n'est donc connu que par le trésorier ?

M. Bernard COURCELLE : Oui. Je lui transmettais les factures et ne faisais pas de comptabilité.

M. Jacky DARNE : Vous est-il arrivé de manquer de bénévoles pour assurer le service d'ordre et avez-vous eu recours à des sociétés privées ?

M. Bernard COURCELLE : Faire appel à des sociétés privées coûte cher ; c'était donc hors de question. Je m'y suis toujours opposé. Certains auraient aimé que l'on procède ainsi, parce que c'était des amis à eux, mais je ne l'ai jamais voulu. De toute façon, le trésorier, et même Jean-Marie Le Pen, s'y seraient opposé.

M. le Président : Vous auriez pu faire appel à ces sociétés sans les payer.

M. Bernard COURCELLE : Des personnes peuvent se présenter comme bénévoles à titre individuel.

M. le Président : D'après nos informations, c'est sous la direction de Jean-Pierre Fabre, en septembre 1993, qu'il a été décidé que les membres du DPS pouvaient ne pas être militants du Front National.

M. Bernard COURCELLE : C'est-à-dire ne pas obligatoirement prendre la carte.

M. le Président : Il était donc possible de faire appel à des auxiliaires, ce que vous auriez confirmé dans une note du 5 janvier 1996, par laquelle vous décidiez qu'à partir de cette date, le service d'ordre du Front National pouvait faire appel à des personnes extérieures.

M. Bernard COURCELLE : Ces personnes devaient au moins être des sympathisants et adhérer au programme politique du Front National.

M. le Président : Avez-vous déjà fait appel au Groupe Onze, société de sécurité dirigée par votre frère ?

M. Bernard COURCELLE : Quels fantasmes ! Je n'ai jamais fait appel à la société de mon frère, c'était le meilleur moyen pour le mettre dans l'embarras. D'ailleurs, depuis que je suis au Front National, il a perdu un nombre de contrats considérable, pour le seul fait d'être mon frère.

M. Le Président : Le rapport de police qui vient d'être établi sur les sociétés privées et leurs rapports avec l'extrême-droite indique pourtant clairement que des membres de ces sociétés privées participent au service d'ordre du Front National.

M. Bernard COURCELLE : Mais ils ont le droit d'y participer à titre individuel ! La société de mon frère embauche des personnes pour des missions ponctuelles ; ils ne sont pas salariés titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée du Groupe Onze. Il n'y a quasiment pas de salariés dans ces sociétés, hormis le secrétariat. Et cela se passe de la même façon dans toutes les sociétés de sécurité : les gens sont appelés ponctuellement et souvent rémunérés à la prestation.

M. le Président : Certains de ceux-là ont pu participer au service d'ordre du Front National ?

M. Bernard COURCELLE : Ils ont pu y participer en tant que sympathisants, à titre individuel, mais pas en mission pour une société de sécurité.

M. le Président : En avez-vous eu connaissance ?

M. Bernard COURCELLE : Bien entendu. Je sais que des personnes qui ont travaillé pour mon frère sont venues nous donner un coup de main, notamment pour la manifestation du 1er mai. Ils se sont présentés et ont été acceptés comme auxiliaires. Ce qui n'a rien à voir avec une société qui travaille pour le Front National. Le Groupe Onze n'a jamais travaillé pour le Front National.

M. Noël MAMERE : Vous dites que vous n'avez pas de relations particulières avec des sociétés de sécurité et que les membres des sociétés de sécurité qui viennent travailler pour le DPS sont bénévoles, mais il semblerait que le Front National ait des relations particulièrement privilégiées avec deux sociétés de sécurité - trois avec celle que dirige votre frère - qui ne vous sont pas inconnues : d'une part, la société ACDS et M. Régis de La Croix Vaubois. Ce monsieur n'a aucune relation avec le Front National ?

M. Bernard COURCELLE : Si, il est conseiller régional.

M. Noël MAMERE : D'autre part, la société Ambassy, dirigée par M. Gilles Soulas, l'homme qui assure le réservoir des membres du DPS d'Ile-de-France ; vous ne connaissez pas ?

M. Bernard COURCELLE : M. Gilles Soulas ne faisait pas partie du service d'ordre. Il a ses propres activités et je ne lui ai jamais demandé de me procurer des effectifs pour la sécurité.

M. Noël MAMERE : Quelle est son activité ?

M. Bernard COURCELLE : Il a une librairie.

M. Noël MAMERE : Qui s'appelle comment ?

M. Bernard COURCELLE : Je vous en prie, monsieur Mamère !

M. Noël MAMERE : Il a une librairie qui s'appelle L'Aencre et qui diffuse des livres nazis.

M. Bernard COURCELLE : Et alors ? Cela ne concerne pas le DPS ! Je me fiche de la librairie de M. Soulas !

M. Noël MAMERE : C'est un ancien responsable du DPS Ile-de-France.

M. Bernard COURCELLE : Bien avant mon arrivée au DPS.

M. Noël MAMERE : Il a donc un rapport avec le DPS.

M. Bernard COURCELLE : Bien avant que je ne sois là.

M. Noël MAMERE : Quant à la société de votre frère, il semblerait que le Groupe Onze ait joué un rôle relativement important, quoique occulte, dans ce qui s'est passé entre vous et les Tchétchènes.

M. Bernard COURCELLE : Nous entrons à nouveau dans des fantasmes et des délires !

M. Noël MAMERE : La mort de M. Doudaïev ne s'est pas passée dans n'importe quelle circonstance...

M. Bernard COURCELLE : Soyez prudent, monsieur Mamère, il ne faut pas dire n'importe quoi !

M. Noël MAMERE : Et vous, essayez de répondre correctement à une commission d'enquête parlementaire qui représente la nation et ne vous comportez pas comme s'il s'agissait d'une balade !

M. Bernard COURCELLE : Ah, mais certainement ! Je suis d'ailleurs ravi qu'elle ait été créée, afin d'éclaircir certains points.

M. Noël MAMERE : Pouvez-vous répondre à la question concernant la société Groupe Onze et son rôle dans l'opération que vous avez menée en Tchétchénie ?

M. Bernard COURCELLE : Quelle opération ? Vous me parlez de la mort du général Doudaïev, vous me parlez du Groupe Onze : qu'essayez-vous de me dire, monsieur Mamère ?

M. Noël MAMERE : J'essaie de comprendre les choses. J'essaie de comprendre pourquoi on a trouvé 120 kilos de tolite chez M. Frédéric Jamet qui était membre du FN police et qui avait des relations avec vous. J'essaie de savoir à quoi servaient ces 120 kilos de tolite et quelles relations vous aviez avec lui.

M. Bernard COURCELLE : Monsieur Mamère, monsieur le président, ce n'est pas parce que M. Jamet est venu dans les locaux du Front National, que je le connaissais et que je travaillais avec lui. Ce qu'a fait M. Jamet le concerne et ne concerne pas le DPS et moi encore moins ! Je n'ai jamais voulu avoir de rapport avec le FN police. Jamais ! Que les choses soient bien claires et bien distinctes ! J'avais assez de travail avec le service d'ordre à faire en sorte que les membres soient disciplinés et fassent leur travail correctement, pour ne pas me mêler de ces histoires. Je n'ai jamais voulu entrer dans ces affaires et dans ces jeux. Et je n'ai jamais eu de rapport particulier ou privilégié avec M. Jamet.

    Par ailleurs, mon frère s'est rendu en Tchétchénie, en 1992-1993, avec sa société, pour accompagner des industriels qui faisaient de la prospection. Tout le monde pensait, en effet, que, si ce pays devenait autonome, il y avait de nombreuses choses à faire.

M. Noël MAMERE : Dans quel type de sécurité, la société de votre frère est-elle spécialisée ?

M. Bernard COURCELLE : Gardiennage, sécurité rapprochée, etc.

M. Noël MAMERE : Y compris radios, satellites, etc. ?

M. Bernard COURCELLE : Mais non, monsieur Mamère. Il n'y a que deux maisons en France qui construisent des téléphones satellites ! Et c'est l'Etat qui les construit.

M. le Président : Il est étonnant que vous soyez en relation avec tout ce monde et que vous ne soyez jamais concerné par ce qu'ils font.

M. Bernard COURCELLE : Vous connaissez beaucoup de monde à l'Assemblée nationale alors que vous n'êtes pas forcément en relation avec tout ce qui s'y passe !

M. le Président : Certes. Mais vous avez décidé d'ouvrir le DPS à des personnes non membres du Front National ; vous avez des relations évidentes avec toute une série de sociétés de gardiennage ; vous reconnaissez que des membres de ces sociétés peuvent participer au service d'ordre...

M. Bernard COURCELLE : Monsieur le président, il ne faut pas faire d'amalgame qui ne correspond pas à la réalité. Si des individus, à titre personnel, se portent volontaires pour assurer le service d'ordre d'une manifestation, si leur casier judiciaire est vierge et s'ils sont sympathisants du programme politique du Front National, je ne vais pas chercher plus loin. Je ne leur demande pas qui ils connaissent ni pour qui ils travaillent.

M. le Rapporteur : Monsieur Courcelle, je me réjouis de votre prudence à la tête de ce service d'ordre : pas d'armes, casier judiciaire vierge. Mais quelles étaient vos relations avec des mouvements de droite radicale, des mouvements néonazis ?

M. Bernard COURCELLE : Très mauvaises.

M. le Rapporteur : Pourtant, M. Gérard Le Vert, à qui vous trouvez beaucoup de qualités, avait des relations avec des mouvements néonazis - peut-être avant votre arrivée -, clairement identifiées par les services français et allemands qui nous ont souligné ses fréquentes venues chez des anciens officiers SS ou chez d'anciens combattants de la Waffen-SS autrichiens.

M. Bernard COURCELLE : Tout le monde savait, dans mon entourage, qu'il ne fallait pas me parler de ces choses-là. Ma première tâche, lorsque je suis arrivé au DPS, a été d'exclure tous les néonazis, ces skinheads imbéciles, ces petites frappes ridicules qui pensaient trouver un écho chez nous, que je n'acceptais pas et que même Jean-Marie Le Pen n'acceptait pas. Je lui en ai d'ailleurs fait part dès nos premiers entretiens. Je me suis fait un plaisir de mettre dehors tous ces petits racistes primaires, ce qui m'a valu des déconvenues, car certains me tendaient des embuscades.

M. le Rapporteur : Etes-vous plus un spécialiste du service d'ordre, de par votre métier et votre vocation, ou un militant frontiste ?

M. Bernard COURCELLE : Je suis plus un spécialiste du service d'ordre qu'un militant frontiste.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Considérez-vous que le Front National est un parti comme les autres ?

M. Bernard COURCELLE : Oui, il s'agit d'un parti légal.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Vous avez dit que les membres du DPS devaient être disciplinés. Qu'entendez-vous par là ?

M. Bernard COURCELLE : Il s'agit, lorsqu'on assure une mission de sécurité, d'écouter le responsable du secteur ; que l'on soit chargé de la sécurité incendie, de l'évacuation, du contrôle d'accès ou du parking, il convient d'exécuter les ordres donnés.

    Par exemple, les personnes chargées du contrôle d'accès ne doivent pas faire rentrer tous leurs copains et copines, mais simplement les personnes munies d'un ticket. Celles qui sont près d'une bouche incendie ne doivent pas quitter leur poste si on leur donne l'ordre de rester là pendant une heure. Il s'agit d'avoir une discipline pendant la réunion. C'est la même chose pour les personnes chargées du secourisme.

M. le Président : Y avait-il des sanctions ?

M. Bernard COURCELLE : Les personnes qui abandonnaient leur poste n'étaient jamais rappelées, bien entendu. Cela est beaucoup trop grave. Car, si le rôle des membres du DPS était, d'une part, de faire de l'ordre parmi ses propres militants ; il s'agissait également dans l'hypothèse d'une agression - un service d'ordre aurait d'ailleurs bien servi à certains, au cours d'une campagne -, de protéger les militants et les personnalités ou les élus, sans pour cela se substituer aux forces de l'ordre.

    Leur rôle principal est donc d'assurer la sécurité sur un site, avec un secteur bien déterminé. D'ailleurs, avant chaque réunion, un président de séance est nommé, il se met en rapport avec la préfecture ou les services de police compétents pour déterminer les tâches à accomplir.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Existe-t-il un système de formation ? Vous dites en effet que vous recrutiez des chômeurs ou des Rmistes, qui venaient bénévolement : les formiez-vous donc au secourisme, ou encore au maniement des armes, aux techniques de combat, etc. ?

M. Bernard COURCELLE : Tout d'abord, je voudrais dire que ce n'est pas parce qu'un individu est au chômage ou au RMI que c'est un abruti !

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je n'ai pas dit cela !

M. Bernard COURCELLE : Les seules formations qui ont eu lieu étaient relatives à la réglementation des établissements recevant du public. Elles étaient assurées par un ingénieur en sécurité civile, M. Marcel Peuch. En outre, par l'envoi régulier des comptes rendus du Journal Officiel, je tenais les responsables au courant de la réglementation et de la législation concernant les services d'ordre, les matériels à utiliser et à ne pas utiliser, etc..

    Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, il n'y a pas de formation au combat, au tir, etc. Cela n'existe pas. Je n'en ai jamais ordonné et je les ai toujours déconseillées, sachant que cela serait mal interprété. En outre, nous n'avions pas les moyens. Il était déjà très difficile d'organiser des réunions d'information pour les cadres.

    C'est la raison pour laquelle, parmi les nouveaux volontaires, nous choisissions les personnes qui avaient leur diplôme de secourisme (IGH1, IGH2, ERP1, ERP2). La sécurité des militants sur les sites et dans les réunions était, à mes yeux, essentielle. Au total donc, le service d'ordre assurait, d'une part, l'ordre parmi nos propres militants et, d'autre part, leur sécurité sur les sites des réunions - sécurité incendie, contrôle d'accès, surveillance, évacuation.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Fouille à corps ?

M. Bernard COURCELLE : Forcément. Sur le site, la fouille à corps est autorisée, alors qu'elle ne l'est pas sur la voie publique. Nous utilisions donc des gants, des portiques, des détecteurs de métaux et les gens ouvraient eux-mêmes leur sac. Il est hors de question que les gens entrent avec quoi que ce soit ; vous savez qu'il y a aussi des provocateurs qui peuvent lancer une bombe lacrymogène dans la salle.

M. le Président : Et concernant Montceau-les-Mines et les images que nous avons vues à la télévision - une UMI (unité mobile d'intervention), je suppose -, il s'agissait d'un rassemblement spontané de membres du service d'ordre, qui n'ont jamais eu de formation ? Le groupe que nous avons vu à la télévision faisait du maintien de l'ordre à la place de la police, comme cela, spontanément ? Ils n'ont jamais eu de formation ?

M. Bernard COURCELLE : Il n'y a jamais eu de poursuites judiciaires contre les membres du service d'ordre.

M. le Président : Je ne vous parle pas des poursuites judiciaires. Vous nous dites qu'il s'agit d'un service d'ordre bon enfant de militants qui sont responsables des problèmes de sécurité... Ce que nous avons vu à la télévision, à Montceau-les-Mines, c'était tout de même bien organisé ? Il y avait bien là un groupe d'hommes qui, manifestement, maîtrisaient les questions de service d'ordre !

M. Bernard COURCELLE : A douze contre trois cents !

M. le Président : A douze ?

M. Bernard COURCELLE : Douze ou vingt, oui. Contre deux cents ou trois cents personnes qui jetaient des cailloux et qui ont cassé un mur de la municipalité pour jeter des parpaings ! Nous avons même eu une personne dans le coma, et un autre blessé par arme à feu, monsieur le président.

M. le Président : Monsieur Courcelle, répondez aux questions. Il y avait douze, vingt - ou un peu plus - personnes casquées, avec le même uniforme et qui, manifestement, avaient une maîtrise du service d'ordre. C'était spontané ? Il n'y avait aucune formation ?

M. Bernard COURCELLE : Les personnes qui étaient sur place avaient une trentaine d'années, elles savaient donc rester calmes ; ce n'était pas de jeunes excités.

    Par ailleurs, monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, sachez que les personnes de la région de Montceau-les-Mines connaissent les adversaires politiques et les jeunes qui viennent en général hurler devant nos réunions. Et il est fréquent, particulièrement à Montceau-les-Mines, que l'on nous jette des pierres ou des billes d'acier tirées avec des frondes. C'est la raison pour laquelle le responsable de la manifestation, qui savait ce qui pouvait se passer, a conseillé aux membres du DPS qui avaient des casques de les mettre dans leur coffre de voiture et de prendre des boucliers pour protéger, au cas où ce serait l'Intifada, la personnalité présente - en l'occurrence M. Bruno Gollnisch - lorsqu'elle sortirait et entrerait dans son véhicule. Les précautions étaient prises, car nous connaissions les individus qui allaient être sur place.

    Et cela n'a pas raté. Les journalistes qui ont filmé se sont protégés derrière le service d'ordre, qui s'est défendu. La police n'est pas intervenue, parce que le préfet avait donné l'ordre au commissaire de ne pas bouger, ce qui est totalement scandaleux et anormal. Un des nôtres est tombé dans le coma parce qu'il a pris une bille ou un caillou dans la tête. C'est à ce moment-là qu'ils ont appelé les pompiers. Les pompiers se sont fait attaquer et n'ont pas pu arriver sur place. Il a fallu que le personnel du service d'ordre fasse une simili-charge pour dégager les pompiers. Et quand les pompiers sont repartis avec le blessé, ils ont été de nouveau attaqués. C'est à ce moment-là que le responsable des pompiers a téléphoné au commissariat et a hurlé ; les voitures de police sont alors arrivées. Mais ils avaient l'ordre de ne pas bouger. Les gens étaient véritablement en train de se faire lyncher ; il a donc bien fallu mettre un casque et prendre un bouclier pour se défendre.

M. le Président : Ce n'est pas la question que je vous posais. Je ne vous posais pas de question sur le déroulement des événements de Montceau-les-Mines, sur lesquels nous pourrons revenir tout à l'heure.

    Manifestement, lorsque nous regardons les images, on voit bien qu'il y avait un groupe d'hommes qui, par leur tenue et par leur expérience, maîtrisaient les questions de service d'ordre. Je répète ma question : il n'y a pas d'entraînement ?

M. Bernard COURCELLE : Non, il n'y a pas d'entraînement. Mais les personnes sont aguerries puisque nous sommes toujours attaqués lors des manifestations. Il n'y a pas une réunion sans actes de violence contre nous. C'est sans arrêt : on nous jette des pierres, des cailloux, des _ufs congelés. Ceux qui sont à l'extérieur et qui surveillent les parkings sont souvent agressés. Les forces de l'ordre font en général très bien leur travail et arrivent à séparer les belligérants.

    Lorsque nous avons des blessés graves, on n'en parle jamais. D'ailleurs, à Montceau-les-Mines, M. Gérard Le Vert a été blessé à la main par arme à feu ; on n'en a pas parlé. Il a porté plainte, des mains courantes ont été faites... Le commissaire a insisté pour faire des mains courantes et il n'a jamais pu déposer une plainte ; il aurait dû insister.

M. Robert GAIA : Nous avons bien compris que vous n'aviez aucun contact avec le Groupe Onze, si ce n'est des contacts familiaux.

M. Bernard COURCELLE : Oui, monsieur le député.

M. Robert GAIA : Et avec le Groupe Onze International, vous avez des contacts ?

M. Bernard COURCELLE : C'est la même chose, c'est mon frère. C'est une filiale du Groupe Onze.

M. Robert GAIA : Oui, mais c'est M. Thierry Rouffaud qui la dirige.

M. Bernard COURCELLE : Peut-être oui ; je ne sais pas qui est l'adjoint de mon frère.

M. Robert GAIA : Pour revenir au Zaïre ou aux voyages exotiques, il n'y a eu aucun contact avec cette personne ?

M. Bernard COURCELLE : Cela n'a rien avoir avec le DPS, ni avec moi.

M. Robert GAIA : Connaissez-vous Mme Diane Roazen ?

M. Bernard COURCELLE : Oui.

M. Robert GAIA : Vous aviez des relations avec cette personne ?

M. Bernard COURCELLE : Je l'ai vue en Tchétchénie et au salon du Bourget.

M. Robert GAIA : Avec M. Fradin ?

M. Bernard COURCELLE : Avec M. Fradin, oui. C'est eux qui organisaient le salon.

M. Robert GAIA : Connaissez-vous la société Joy Slovakia ?

M. Bernard COURCELLE : Ah ça, c'est celle de Marty Cappiau, je connais de nom.

M. Robert GAIA : Vous n'avez jamais travaillé pour elle ?

M. Bernard COURCELLE : Non.

M. Robert GAIA : Même à l'époque de Luchaire ?

M. Bernard COURCELLE : Même à l'époque de Luchaire. A cette époque, j'étais le garde du corps de Daniel Dewavrin, j'avais pas mal de souci, car Action directe voulait le tuer. J'assurais donc une protection armée. Cela faisait des journées assez tendues, auxquelles s'ajoutait la sécurité de la division armement.

M. Robert GAIA : Je prends acte de votre efficacité, car lorsque vous protégez quelqu'un, il ne meurt pas !

    En revanche, M. Jean-Pierre Poulet-Dachary est mort. Avez-vous mené une enquête interne au niveau du DPS ?

M. Bernard COURCELLE : J'ai essayé, en effet, d'obtenir quelques informations, mais cela n'a pas donné grand-chose.

M. Robert GAIA : Etes-vous au courant d'une seconde enquête qui aurait été menée pour le Front National par M. Gilbert Lecavelier ?

M. Bernard COURCELLE : Non, je ne suis pas au courant. Je suis ravi de l'apprendre.

M. Robert GAIA : Vous devez le savoir... Enfin, vous nous avez dit que vous ne vouliez en aucun cas vous substituer aux forces de l'ordre. Mais, à Montceau-les-Mines, vous étiez en uniforme et vous avez agi comme les forces de l'ordre. Et vous venez de dire que le préfet avait reçu l'ordre du ministre de ne pas intervenir.

M. Bernard COURCELLE : Non, je n'ai pas dit cela, monsieur le député. J'ai dit que le préfet aurait donné l'ordre aux policiers de ne pas intervenir.

M. le Rapporteur : Quelle est votre déclaration définitive, monsieur Courcelle : « le préfet a donné l'ordre aux policiers de ne pas intervenir » ou « le préfet aurait donné l'ordre aux policiers de ne pas intervenir » ?

M. Bernard COURCELLE : On m'a dit que le préfet aurait donné l'ordre aux policiers de ne pas intervenir. Je ne peux pas en être certain, je n'étais pas dans le bureau du préfet.

M. Robert GAIA : Monsieur Courcelle, vous nous avez bien décrit le rôle de tout service d'ordre classique. Vous prenez contact chaque fois qu'il y a une manifestation.

M. Bernard COURCELLE : Moi ou mes responsables.

M. Robert GAIA : Vous faites donc une déclaration préalable, puis vous avez un contact au niveau de la préfecture ou des services de police, avec un référant chez vous. Ce qui veut dire, si l'on revient aux événements de Montceau-les-Mines, qu'à un moment donné votre référant a fait appel...

M. Bernard COURCELLE : Tout à fait.

M. Robert GAIA : J'en viens maintenant aux événements de Strasbourg, où des contrôles d'identité ont été effectués à l'extérieur d'un site que vous aviez à protéger.

M. Bernard COURCELLE : Cela n'a rien à voir avec le service d'ordre. Cela a été effectué à titre individuel et ne nous concerne pas. Ils ont commis la grosse erreur de ne pas attendre les gendarmes, que j'ai appelés moi-même. Ces personnes m'ont appelé de l'hôtel Hilton, où il y avait d'ailleurs une alerte à la bombe, pour me dire que des individus traînaient. Je dois vous informer que, la veille, des véhicules avaient été cassés. Des personnes étaient venues se renseigner pour savoir dans quel hôtel étaient hébergés les membres du Front National et avaient crevé les pneus et cassé les pare-brise des véhicules. Tout cela est très fréquent...

    Lorsque les deux membres du DPS qui assuraient la sécurité - et ce, pour la première ou deuxième fois - ont aperçu ces personnes, ils m'ont demandé ce qu'il fallait faire. Je leur ai dit d'appeler les gendarmes et de ne pas se mêler de ce que ces rôdeurs faisaient. Ils sont ensuite allés voir les personnes qui se présentaient et qui étaient passées par-dessus la grille. Ils auraient dû les bloquer et attendre les gendarmes mais n'auraient pas dû aller fouiller la voiture, etc.. Une fois qu'ils avaient effectué la fouille, ils sont rentrés à l'hôtel et les gendarmes sont arrivés après. Les articles 122 du code pénal et 73 du code de procédure pénale sont très explicites : ils auraient dû attendre les gendarmes. Ils ne les ont pas attendus, tant pis pour eux. Ces deux membres étaient en dehors de la mission de sécurité. Je suis responsable de ce qui se passe dans le service d'ordre pendant la réunion, et si des individus commettent des actes délictueux en dehors, c'est de leur responsabilité propre.

M. Robert GAIA : Pouvez-vous nous parler des liaisons entre la police et votre responsable à Montceau-les-Mines ?

M. Bernard COURCELLE : Vous aurez tout le loisir d'interroger le responsable qui était présent à Montceau-les-Mines la semaine prochaine, puisqu'il s'agit de M. Gérard Le Vert
- lui et M. Christian Launay m'ont affirmé que le commissariat les avait assurés que les effectifs seraient présents. Lorsque les jeunes ont commencé à jeter des cailloux et à se regrouper, le commissariat a été appelé par le responsable politique local et par M. Bruno Gollnisch lui-même. Rien à faire : les policiers ne se déplaçaient pas. Il a fallu que les pompiers viennent pour l'un des nôtres qui avait reçu un caillou ou une bille dans la tête et était dans le coma pour que les policiers se déplacent.

M. Robert GAIA : C'est à ce moment-là que vous avez acheté les uniformes ?

M. Bernard COURCELLE : Il n'y a jamais eu d'achat d'uniformes.

M. le Président : Il y a bien une tenue n° 2 ?

M. Bernard COURCELLE : La tenue n° 2 se compose d'un blouson, que je préfère bleu marine - je déteste les « bombers » noirs -, de jeans et de baskets. La tenue n° 2 est portée par les personnes qui sont en surveillance extérieure - parking, jardins publics, etc.

M. le Président : A Montceau-les-Mines, les membres du DPS avaient quelle tenue ?

M. Bernard COURCELLE : Les membres qui accompagnaient les personnalités, qui étaient en contact avec le public, étaient en tenue n° 1.

M. le Président : Et ceux que nous avons vu à la télévision, quelle tenue avaient-ils ?

M. Bernard COURCELLE : La tenue n° 2, c'est-à-dire qu'ils n'étaient pas en costume.

M. le Président : Tenue n° 2, cela signifie : pas de costume, casque bouclier, matraque ?

M. Bernard COURCELLE : La tenue n° 2 ne veut pas dire casque et bouclier obligatoires ! Je suis devant une assemblée qui est totalement opposée au Front National, et risque donc d'être juge et partie ! Mais quand je vous dis certaines choses, ayez la grâce au moins de...

M. Robert GAIA : Monsieur Courcelle, on vous entend suffisamment dans la presse...

M. Bernard COURCELLE : Moins que vous !

M. Robert GAIA : On vous entend souvent ! Je suis surpris que vous ne nous disiez pas : « A Montceau-les-Mines, il y a eu une bavure ». Vous dites toujours le contraire ! Vous aviez des membres casqués, en uniforme, avec des matraques, qui s'identifient aux forces de l'ordre, et vous me dites que ce n'est pas la tenue n° 2 !

M. Bernard COURCELLE : C'est la tenue n° 2. Ils étaient dans cette tenue, et quand il a commencé à pleuvoir des cailloux, ils ont mis leur casque et pris leur bouclier.

M. le Rapporteur : Combien étiez-vous en réalité : 20 contre 300, comme vous le prétendez, ou 40 contre 60, comme l'estiment les services de police ?

M. Bernard COURCELLE : Je n'étais pas sur place, c'est ce que l'on m'a rapporté.

    Je tiens à préciser qu'il n'y a pas d'uniforme. La nuit, avec un blouson bleu marine et des jeans, tout le monde se ressemble. Une erreur avait d'ailleurs était commise par FR3, qui prétendait, à Strasbourg, que les membres du DPS avaient le même uniforme que les forces de police. Pour appuyer ces propos, le journaliste de FR3 du journal du soir avait fait un arrêt sur image, sur laquelle un personnage était encerclé - un policier -, puis un autre - un membre du DPS. Or, il y avait très peu de différence, et pour cause puisqu'il s'agissait de deux policiers, le deuxième étant un membre de la brigade canine de Strasbourg qui était venue faire le déminage ! Evidemment, le service juridique du Front National n'a pas porté plainte contre FR3, ni fait de démenti...

M. Robert GAIA : Et en ce qui concerne M. Jean-Pierre Poulet-Dachary ?

M. Bernard COURCELLE : Je n'ai jamais pu savoir ce qui s'était exactement passé. Mais je ne pense pas que ce soit les membres du DPS qui aient fait une chose pareille.

Mme Odile SAUGUES : Vous venez de dire que vous êtes devant une assemblée hostile au Front National et que nous risquerions d'être juge et partie. Je voudrais tout de même vous rappeler qu'il y a des faits avérés et que nous devons les examiner. Je crois donc que vous êtes en train de retourner la situation ; il faudrait cesser ce jeu !

M. Bernard COURCELLE : Loin de moi cette pensée.

Mme Odile SAUGUES : Par ailleurs, vous aurez du mal à me persuader de votre mode de recrutement ; vous nous dites que les membres du DPS ne sont pas payés, ni forcément encartés, ni militants, qu'ils reçoivent des coups, qu'ils sont brimés, que leur famille peut en subir les conséquences, etc.. Que viennent-ils donc chercher chez vous ? Quel est le lien qui les unit ? Tout cela me paraît difficile à croire !

M. Bernard COURCELLE : Tout cela est pourtant la vérité, madame la députée. Les membres du DPS ne sont pas payés et je souhaite à tous les partis politiques d'avoir autant de bénévoles.

Mme Odile SAUGUES : Ils paient même leur costume !

M. Bernard COURCELLE : Absolument, ils achètent même leur costume. Vous pouvez interroger tous les DPS de France, vous aurez la même réponse ! Ils suivent le Front National ; il s'agit pour eux d'une façon de militer. S'ils font partie du service d'ordre, c'est qu'ils sont militants ; vous ne pouvez pas dire le contraire. Pour ceux qui ne sont pas encartés, ce seul geste de bénévolat est un acte de militantisme.

M. Jacky DARNE : Vous nous avez expliqué que vous étiez intervenu pour éliminer une population « à risque » du service d'ordre. A l'inverse, les meilleurs éléments ne sont-ils pas, quant à eux, recensés pour constituer un deuxième niveau dans l'organisation du service d'ordre ? Car nous savons tous qu'il existe un premier service d'ordre
- l'encadrement de manifestations publiques qui ne posent pas de problème -, et, par ailleurs, un niveau supérieur qui nécessite des personnes plus aguerries, plus entraînées et plus équipées, susceptibles d'intervenir dans des cas plus difficiles.

M. Bernard COURCELLE : Où nous sommes particulièrement agressés.

M. Jacky DARNE : Plusieurs personnes que nous avons auditionnées ont utilisé un certain nombre de qualificatifs pour ce second niveau d'organisation, notamment les « unités mobiles d'intervention ». Comment êtes-vous structurés lors des missions les plus difficiles ? Quelles sont-elles ? Comment recensez-vous les membres du service d'ordre les plus aptes à assurer ces missions ?

M. Bernard COURCELLE : Les missions les plus difficiles sont celles où nous sommes agressés. Nous devons protéger les militants. Les bons éléments ressortent d'eux-mêmes ; ce sont ceux qui gardent la tête froide, qui restent calmes, savent protéger les militants et parer aux plus mauvais coups.

    Par ailleurs, il n'y avait pas d'UMI, je n'ai jamais monté de groupe UMI lorsque j'étais au DPS. Avant mon arrivée, il y a eu des gens qui s'appelaient les UMI parmi les membres du service d'ordre ; il s'agissait des personnes les plus aguerries et qui intervenaient lors des violentes agressions.

    Comme je vous l'ai expliqué, les membres du DPS sont disposés pour assurer la sécurité de tous les militants - incendie, contrôle d'accès, surveillance, etc. Les personnes les plus calmes, les plus aguerries ou qui possèdent une certaine expérience professionnelle - qu'elles soient pompiers, anciens policiers, anciens salariés d'une société de sécurité ou même sportifs - sont positionnées dans les zones les plus difficiles. Cela se passe ainsi dans les services d'ordre, notamment à la C.G.T., qui dispose d'un très beau service d'ordre.

    C'est à cet effet que j'ai écrit différentes notes pour interdire les armes. Je ne voulais pas entendre parler d'armes, ni d'objets pouvant être considérés comme armes par destination.

M. le Président : Vous craigniez donc l'utilisation d'armes ?

M. Bernard COURCELLE : Tous les responsables de services d'ordre craignent ce genre de chose. J'en ai parlé avec des collègues d'autres services d'ordre de partis politiques. Et il est normal qu'il appartienne aux responsables de veiller à ce que ce genre de choses n'arrive pas. D'ailleurs, si l'un d'entre eux est arrêté avec une arme sur lui, il est hors de question que nous le défendions ou le protégions.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Si des membres du service d'ordre étaient pris avec des armes, les renvoyiez-vous ?

M. Bernard COURCELLE : Absolument, que ce soit en cas de détention d'armes, d'ébriété, d'abandon de poste, de non-respect des consignes ou de langage non conforme.

M. Robert GAIA : Vous avez fait des circulaires ?

M. Bernard COURCELLE : Bien entendu, pour interdire les armes, pour exiger de la correction dans la tenue, l'attitude et le langage, l'obéissance au chef de secteur, pour que les membres du service d'ordre ne se substituent pas aux forces de l'ordre, qu'ils ne dépassent pas leur périmètre, etc.. C'est en cela que les personnes qui ont effectué un contrôle d'identité à Strasbourg ont eu tort de ne pas attendre l'arrivée de la police, conformément aux articles 122 du code pénal et 73 du code de procédure pénale. Ils ont été défendus, mais pas félicités, loin de là.

M. Robert GAIA : Pourriez-vous nous communiquer ces circulaires ?

M. Bernard COURCELLE : Je ne suis plus à mon bureau, mais je vais demander à ma secrétaire et vous les faire parvenir.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Pourriez-vous nous dire où les membres du DPS se fournissent en matraques électriques ?

M. Bernard COURCELLE : Très peu de membres utilisent des matraques électriques. Je n'en ai jamais acheté, je n'en ai jamais fait acheter. De telles matraques s'achètent dans toutes les armureries.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Avez-vous une idée du nombre d'anciens militaires, notamment anciens gendarmes, qui pouvaient vous apporter leurs compétences ?

    Par ailleurs, avez-vous été amené à faire du renseignement, aussi bien en interne qu'en externe ?

M. Bernard COURCELLE : Faire du renseignement demande toujours beaucoup de moyens...

    S'agissant de la compétence du personnel de sécurité, on constate que les militaires sont davantage présents dans le Sud de la France, le Sud-Ouest - la région bordelaise - et, parfois, en Alsace-Lorraine. Il est vrai que, par leur formation, les anciens militaires, les anciens gendarmes sont habitués à garder un certain sang-froid et savent régler le conflit de bonne façon. Plus il y avait d'anciens militaires et d'anciens gendarmes, plus j'étais satisfait. Ce sont des personnes sur lesquelles on peut compter et qui connaissent la législation, notamment les gendarmes.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Les acceptiez-vous, s'ils étaient en activité, au sein du DPS ?

M. Bernard COURCELLE : Je déconseillais aux militaires en activité de faire partie du DPS, car cela risquait de leur poser des problèmes de carrière. Je ne souhaitais pas non plus recruter des policiers en activité. Des gendarmes en activité, il n'y en avait pas.

M. Robert GAIA : Et des gendarmes de réserve ?

M. Bernard COURCELLE : Oui, peut-être.

M. le Président : Il y avait également des agents de société de sécurité...

M. Bernard COURCELLE : Oui.

M. le Président : ...qui étaient des responsables départementaux du DPS : au 1er décembre 1998, il y en avait neuf.

M. Bernard COURCELLE : Cela est tout à fait possible ; je n'ai pas de détails aussi précis en mémoire.

    S'agissant des activités de renseignement, pour qui et envers qui ? Lorsqu'on avait l'intention de nommer un responsable départemental ou régional, nous essayions d'avoir des renseignements, par ses amis notamment, nous menions ce que les gendarmes appellent une enquête d'environnement afin de savoir s'il s'agissait d'une personne calme et responsable. Nous demandions également à la personne de nous faire un curriculum vitae. Mais nous ne faisions pas d'enquêtes approfondies ; nous ne sommes pas une administration et n'avions pas les moyens de faire du renseignement au deuxième ou troisième échelon.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Avez-vous été amené à surveiller des personnes ?

M. Bernard COURCELLE : Non. « Surveiller », c'est-à-dire mettre en place un dispositif pour les suivre... ?

M. le Président : Certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont dit que les membres du DPS prenaient régulièrement des photos.

M. Bernard COURCELLE : Les photos sont prises lors des manifestations, sur la voie publique. C'est autorisé.

M. le Président : Ma question ne porte pas sur le fait de savoir si cela est autorisé, mais de déterminer si un système a été mis en place avec prises de photos.

M. Bernard COURCELLE : Ce n'est pas véritablement un système. J'aurais aimé offrir un appareil photo à chaque responsable départemental, ou un caméscope pour filmer leur manifestation, puis faire un debriefing.

    Ponctuellement, oui, des photos sont prises dans des manifestations, mais pas dans le but précis d'espionner. D'identifier, oui, dans certains cas. Et cela nous a été utile, l'année dernière, d'identifier les personnes du Bétar qui nous ont agressés au cours de la manifestation du 1er mai. Nous avons pu donner pas mal de photos à la police.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Le Front National se livre-t-il, lui, à des actions de surveillance ?

M. Bernard COURCELLE : Pas avec moi. Je n'ai jamais autorisé ce genre de pratiques. Nous ne sommes pas officiers de police judiciaire, nous n'avons pas à faire ce genre d'activités répréhensibles.

M. le Président : Une journaliste, qui s'occupe du Front National, nous a dit avoir eu des problèmes avec son courrier, son téléphone et que des pressions étaient exercées sur ses parents. Cela a cessé lorsqu'elle est intervenue auprès d'une dirigeante du Front National. Tout cela est indépendant du DPS ?

M. Bernard COURCELLE : Si l'on m'avait demandé de faire une chose pareille, j'aurais refusé tout net. Ce n'est pas dans mes principes. Si certains prennent la liberté de faire ce genre de choses, sachez que je n'apprécie pas. J'ai d'ailleurs eu quelques mots avec certaines personnes, même au sein de l'établissement.

M. André VAUCHEZ : Il faut reconnaître, monsieur Courcelle, que le service d'ordre du Front National est particulier.

M. Bernard COURCELLE : Pas autant que le Béthar.

M. André VAUCHEZ : Vous avez déclaré que sa première mission était de protéger ses militants. Cela veut-il dire que vous ne faites pas confiance à la police républicaine ?

    Quant à l'autre mission dévolue à un service d'ordre, qui consiste à éviter les débordements lors de manifestations, c'est le problème de tous les partis politiques : on évite que nos militants, emportés par leur élan, ne se livrent à des débordements. Or, il semble que vous la mettiez en deuxième position.

    S'agissant des costumes, vous faites apparemment tout pour maintenir une certaine confusion : pourquoi ne pas éviter cela en trouvant une tenue qui convient à ce type de manifestation, par exemple, une tenue fluo ?

    Apparemment, l'interdiction des armes est pour vous un leitmotiv. Pourquoi insistez-vous particulièrement sur ce point ? Est-ce parce que vous employez un grand nombre de personnes issues des sociétés de gardiennage qui pourraient détenir des armes ? N'est-ce pas davantage lié au sentiment, très répandu au sein du Front National et du DPS, que vous êtes agressés en permanence et que le danger vient de l'extérieur ? Vous disposez en effet de matériels dits de défense, notamment de matraques électriques. Que pouvez-vous dire sur ce sujet ? Cette paranoïa de l'agression permanente n'est-elle pas porteuse de danger, notamment en cas de débordement, comme à Strasbourg ?

    Enfin, on entend parler, au Front National et au DPS, de « barbouzes » : y a-t-il des personnes, autour du DPS, qui peuvent être appelées ainsi ?

M. Bernard COURCELLE : Les événements de Strasbourg étaient vraiment très bénins.

    Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai dit que le premier rôle du service d'ordre était d'assurer l'ordre au sein de nos propres militants. Il s'agit d'un service d'ordre interne qui n'a pas vocation à faire de la sécurité extérieure, ni à s'occuper de qui que ce soit sur la voie publique. Il contrôle ses propres militants pour éviter ses propres débordements. Il est fréquent que les services d'ordre de FO, de la CGT ou du parti communiste contrôlent leurs propres militants. Dans tous les partis politiques, il y a des brebis galeuses que l'on se doit de contrôler ; c'est la moindre des choses de la part de personnes responsables de la sécurité d'une manifestation en liaison avec les forces de l'ordre.

    Lorsque je parle de protéger nos militants, cela veut dire leur assurer une sécurité réelle, que ce soit en matière d'évacuation ou d'incendie. Vous savez très bien que dans les meetings, il y a toujours des incidents : des femmes enceintes qui s'évanouissent, des enfants qui se coupent, et parfois des choses plus graves. La première chose est donc de veiller au confort et à la sécurité des personnes qui assistent à ces réunions.

    Il nous est demandé d'être en liaison avec les forces de l'ordre pour coordonner ce qui doit être fait, surtout s'il s'agit d'une manifestation sur la voie publique, par exemple d'un défilé.

    En cas d'agression, si les effectifs des forces de l'ordre ne sont pas suffisants
    - du fait de la mauvaise volonté d'un préfet, d'un directeur départemental de la police ou d'un directeur départemental de la sécurité publique -, et que les contre-manifestants arrivent à s'en prendre physiquement à nous, notre devoir est de protéger nos propres militants. Vous savez notamment qu'il y a de nombreuses personnes âgées au Front National. Ceci ne relève pas d'une paranoïa d'agressions permanentes ; ce sont des faits réels. Il y a quand même eu plus de onze tués parmi les militants du Front National, parfois de façon abjecte et répugnante - à coups de pied dans la tête jusqu'à ce que mort s'ensuive ou à coups de fusils, par exemple.

    Tels étaient mes soucis permanents. Tout le reste, les délires d'enquête sur les journalistes, etc., c'est complètement loufoque ; je n'avais pas de temps à perdre avec ce genre d'activité. Je n'ai pris que très peu de vacances durant ces cinq dernières années, parfois pas même 15 jours de vacances par an. Il y avait toujours une action politique du Front National quelque part en France : sans être physiquement présent, je devais être joignable en permanence et répéter sans cesse les consignes relatives à la réglementation.

M. André VAUCHEZ : Si vous insistiez sur le fait que les armes étaient interdites, c'est bien parce que vous pensiez que les membres du DPS étaient fragiles ?

M. Bernard COURCELLE : Demandez aux responsables des autres services d'ordre, que ce soit celui du parti communiste, du parti socialiste ou du RPR : ils craignent tous qu'un individu vienne avec une arme.

M. Arthur PAECHT : Monsieur Courcelle, je voudrais revenir sur le recrutement de vos bénévoles. Vous nous avez dit que vous refusiez les individus type skinhead. Ma question est simple : pourquoi ? Est-ce parce que vous estimiez qu'ils n'étaient pas capables d'assumer cette tâche ou parce qu'ils étaient porteurs de signes qui faisaient référence à l'idéologie nazie, au racisme, à l'antisémitisme et que vous réprouvez ces thèses ?

    Si vous condamnez ces thèses, je voudrais que vous m'expliquiez comment certains faits peuvent se produire. Il s'agit d'une aventure qui m'est arrivée personnellement. Je me suis présenté en « tenue n° 2 » à la fête du livre organisée par le Front National à Toulon, place de la Liberté, quand une personne du DPS, en tenue n° 1, a montré une photo à son collègue et est venu me trouver pour me dire « tu n'entres pas là, tu n'as rien à faire ici ! », en ajoutant quelques qualificatifs faisant allusion à mes origines étrangères. Je suis reparti et j'ai envoyé mon épouse, qui est corse, elle, et qui, manifestement, n'avait pas été photographiée, afin d'entrer voir ce que l'on vendait. On y vendait « Mein Kampf », « Le Juif Süss » et autres ouvrages de la même veine.

    Si vous réprouvez les thèses nazies, comment se fait-il que le DPS protège ce type de manifestation ? N'y a-t-il pas là une contradiction entre l'image que vous voulez nous donner aujourd'hui, rassurante par certains côtés et la réalité, déplaisante, telle que l'ai vécue ?

M. Bernard COURCELLE : S'agissant des jeunes de type skinhead qui se présentaient
- sachant que beaucoup de jeunes ont aujourd'hui le crâne rasé - il n'y a qu'à voir certains sportifs ...

M. Arthur PAECHT : Il y a néanmoins des variantes : avec ou sans croix gammée !

M. Bernard COURCELLE : Oui, si vous voulez, on peut pousser le détail jusque là...

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Parce qu'il s'agit d'un détail pour vous ?

M. Bernard COURCELLE : Je vous en prie, madame... Je pense que cette Assemblée est de plus haute volée.

    S'agissant donc de votre première question, certains skinheads sont des jeunes qui sont peu ou pas contrôlables ; de ce fait, ils ne sont pas les bienvenus dans un service d'ordre. En effet, nous ne voulons pas de jeunes qui ne respectent pas les consignes et qui ne cherchent qu'à se battre avec les contre-manifestants. Pour ce qui concerne leurs motivations et les raisons de leur agressivité à l'égard de certaines franges de la population, c'est un autre domaine. Pour ma part, je ne les accepte pas parce qu'ils ne sont pas contrôlables.

    D'autres peuvent avoir une apparence assez proche de celle des skinheads tout en ayant une once de réflexion ; ceux-là, s'ils ne sont pas des excités qui tendent le bras dès qu'ils ont bu trois bières, nous les acceptons. En parlant de bras tendu, il convient de savoir que des provocateurs, issus des partis de gauche, s'introduisent dans nos manifestations et se font photographier le bras tendu en se faisant passer pour des membres du service d'ordre ou des militants du Front National. Une enquête l'a prouvé.

    S'agissant de l'idéologie, sachez que je ne suis ni nazi ni raciste, que je suis né au Cameroun et que j'ai de nombreux amis africains. Je n'ai pas d'amis nazis, mon père est décoré de la légion d'honneur et de la fourragère de la croix de guerre et s'est battu contre les Allemands. J'ai été élevé de bonne façon, dans les traditions républicaines et ce genre d'attitudes nazillonnes ne m'intéresse pas.

    Les thèses du Front National ne sont pas des thèses de nazis, sinon le parti n'existerait pas. Le Front National est un parti autorisé, légal. J'adhère au programme politique de ce parti, mais je ne suis pas en accord avec les individus qui se réfèrent aux nazis et à l'Allemagne ; le Front National n'a d'ailleurs rien à voir avec le parti nazi allemand.

M. Arthur PAECHT : Expliquez-moi alors pourquoi le DPS protège une manifestation où sont exposés des ouvrages prônant le nazisme ?

M. Bernard COURCELLE : Lorsqu'un responsable politique du Front National - et notamment le maire de la ville - organise une manifestation, on sollicite des personnels de sécurité pour protéger à la fois les militants et le site. Mais, tous les DPS de base n'adhèrent pas forcément à ce qui se passe. Les membres du service d'ordre sont là pour assurer une sécurité physique des lieux et non pas une police politique.

M. Arthur PAECHT : Et en quoi étais-je dangereux ?

M. Bernard COURCELLE : Je n'en sais rien !

M. le Président : Puisque M. Paecht a été pris en photo, c'est qu'il y a bien du renseignement extérieur qui est effectué.

M. Bernard COURCELLE : Je ne suis pas du tout au courant de ce genre de pratique. Je n'ai jamais autorisé ce genre d'attitude, je n'ai jamais ordonné de prendre des photos de qui que ce soit. Maintenant, si un responsable politique donne une photo à une personne qu'il connaît en lui donnant l'ordre d'empêcher l'individu en question de rentrer... Ce n'est pas du ressort du DPS. Et je le regrette, car si j'avais été au courant de cette affaire, je n'aurais certainement pas abondé dans ce sens.

M. Noël MAMERE : En conclusion, d'après les différentes réponses que vous avez apportées à des questions très précises, il semble que vous n'aviez finalement pas beaucoup de pouvoir sur les hommes que vous dirigiez ; chaque fois qu'ils agissaient en dehors du règlement, vous exprimez votre incapacité à les contrôler. Et ce que vient de dire M. Paecht en est un exemple.

    Vous vous êtes attaché à démontrer que le DPS respectait les lois. J'aimerais savoir si vous étiez à la manifestation du Front National de Carpentras, le 11 novembre 1995, et si vous confirmez qu'au cours de cette manifestation, le DPS a arrêté un jeune homme, lui a demandé ses papiers d'identité, l'a fouillé, menotté et livré à la police ?

    En outre, étiez-vous à la salle Wagram le 22 octobre 1996, lorsque M. Bruno Gollnisch a demandé à ses troupes de se rendre à la place de l'Etoile, alors que, ce n'était pas prévu et que les autorités de police n'étaient pas prévenues ?

    Couvrez-vous ces deux manifestations qui ont provoqué des incidents totalement en dehors de la légalité républicaine ?

M. Bernard COURCELLE : J'étais à Carpentras, mais pas à la salle Wagram.

M. Noël MAMERE : Enfin, je souhaiterais savoir quel est le sens que le Front National donne au mot « supplétif », si vous connaissez M. Dantès, qui serait le responsable des groupes chocs, et que sont ces groupes chocs, enfin si vous confirmez ce qui a été dit dans la presse par M. Charles Pellegrini, à savoir qu'il a joué un rôle d'intermédiaire dans votre arrivée au DPS ?

    Je ne vous pose pas de question sur la société Normandy qui, paraît-il, travaille avec le Front National.

M. Bernard COURCELLE : Je n'ai jamais travaillé avec cette société.

M. Noël MAMERE : M. Loustau, vous ne connaissez pas ?

M. Bernard COURCELLE : De nom, oui.

M. Noël MAMERE : Vous vous croisiez de temps en temps ?

M. Bernard COURCELLE : Non.

M. Noël MAMERE : Comme M. Le Pen croisait les personnes de la société ACDS quand il leur rendait régulièrement visite...

M. Bernard COURCELLE : M. de La Croix Vaubois y était directeur du personnel, je crois.

M. Noël MAMERE : Il était donc normal que M. Le Pen s'y rende ! Il s'agissait en quelque sorte d'une visite de courtoisie.

M. Bernard COURCELLE : Pourquoi pas ?

    Monsieur le Président, j'étais effectivement à Carpentras le 11 novembre 1995. Une personne a bien été interpellée et menottée, non pas par les membres du DPS, mais par les policiers des services des voyages officiels qui accompagnaient M. Le Pen.

M. Noël MAMERE : Ce n'est pas ce qui disent les personnes que nous avons auditionnées.

M. Bernard COURCELLE : Je me souviens d'une personne interpellée dans une rue perpendiculaire à la place par les policiers des services des voyages officiels.

M. Noël MAMERE : Ce n'est pas ce qui a été dit par la presse et par les témoins que nous avons auditionnés.

M. Bernard COURCELLE : La presse... En ce qui concerne la réunion qui s'est tenue à la salle Wagram, où je n'étais pas, j'ai été entendu par la 4ème DPJ. Je crois qu'une instruction judiciaire est en cours et je me demande si la commission a le droit d'en parler.

    S'agissant des groupes chocs, sachez qu'ils n'existent pas. Il ne s'agit que des délires de ce fameux Dominique publiés par Libération.

M. Noël MAMERE : Vous ne connaissez pas M. Dantès ?

M. Bernard COURCELLE : Je ne le connais pas.

M. Noël MAMERE : Et les supplétifs ?

M. Bernard COURCELLE : Je n'ai jamais employé ce terme. J'avais un service d'ordre composé de volontaires et de quelques auxiliaires.

M. Noël MAMERE : M. Carl Lang, par exemple, n'a aucune relation avec ces supplétifs ?

M. Bernard COURCELLE : Posez-lui la question ! Personnellement, je n'ai jamais employé ce terme. M. Carl Lang ne s'occupait pas du service d'ordre, ou alors bien avant mon arrivée.

    Quant à M. Charles Pellegrini, il connaissait M. Jean-Pierre Fabre professionnellement : le premier était commissaire à la brigade de répression du banditisme et le second était capitaine de gendarmerie. Ils avaient en outre le même éditeur. Effectivement, c'est lui qui a donné mon nom à Jean-Pierre Fabre. Il est vrai que, comme l'a dit M. Charles Pellegrini à la télévision, je m'ennuyais alors au musée d'Orsay. C'était d'ailleurs au moment où vous disiez que j'étais garde du corps de Mme Anne Pingeot, ce qui est totalement faux.

M. Noël MAMERE : Dans quelles conditions avez-vous été amené à protéger Mme Veil en 1989 et Mme Anne Pingeot en 1994 ?

M. Bernard COURCELLE : Je n'ai jamais protégé Mme Anne Pingeot, monsieur le Président. Mme Pingeot était l'un des sept conservateurs du musée d'Orsay et s'occupait des sculptures.

M. Noël MAMERE : Alors pourquoi avez-vous dit que vous avez été appelé à le faire à différentes reprises et que vous avez même eu l'occasion d'apercevoir l'ancien président de la République ? C'est ce que disent et vous font dire dans leur livre MM. Romain Rosso et Michaël Darmon. Vous ne leur avez pourtant pas fait de procès ?

M. Bernard COURCELLE : J'ai répondu sur ce point au journal de 20 heures de LCI.

    J'avais été averti par un officier de sécurité de l'Elysée que Mme Anne Pingeot, conservateur au musée d'Orsay, avait une fille de François Mitterrand. J'en ai gardé le secret absolu. On m'avait simplement demandé, dans l'hypothèse ou sa fille viendrait, de faire particulièrement attention. Il est vrai que, sa mère travaillant souvent très tard, après les heures de fermeture, je lui facilitais l'accès du musée.

    Par ailleurs, lorsque j'ai aperçu le président François Mitterrand au musée d'Orsay, c'était non pas pour des visites privées avec Mme Anne Pingeot, mais pour des visites tout à fait officielles. Je n'ai jamais eu de relations privilégiées avec l'Elysée.

M. Noël MAMERE : Avez-vous protégé Mme Veil ?

M. Bernard COURCELLE : J'ai en effet participé, en tant que garde du corps, à sa campagne européenne de 1989.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Monsieur Courcelle, avez-vous eu l'occasion de vous rendre au château de Neuvy-sur-Barangeon, et dans quelles circonstances ? D'autre part, pourquoi, quand l'un de mes collègues a parlé de M. Gilbert Lecavelier, avez-vous levé les yeux ? Enfin, quelles sont, à votre avis, les perspectives d'évolution du DPS ?

M. Bernard COURCELLE : Je peux vous répondre, mais cette question ne m'intéresse absolument plus ! Je pense que la scission va s'accroître et que la force vive du militantisme, les « bosseurs » sont partis en majorité chez M. Bruno Mégret. Comme disait ce dernier « M. Le Pen est comme une diva qui rate sa sortie ». Ils vont mener leur campagne européenne et obtenir environ 6 ou 7 % chacun.

    Vu la manière dont se termine mon passage au Front National en tant que responsable de la sécurité, alors que j'ai tout fait pour qu'il y ait un service d'ordre qui tienne la route et respecte la législation, alors que j'y ai sacrifié beaucoup de mes loisirs, beaucoup de temps, beaucoup d'argent - un certain nombre de choses ne m'ayant jamais été remboursées -, alors que cela a provoqué des tensions importantes au sein de ma famille - mes frères, mes s_urs, ma mère, malade, et mon fils que j'élève seul, ont été touchés - je dois vous dire que ce qui se passe au DPS m'est un peu égal !

M. le Président : Si je comprends bien, vous vous êtes efforcé de faire en sorte que le DPS fonctionne comme un service d'ordre parfait, même si toute une série de questions se sont posées, mais manifestement en dehors de votre responsabilité. Ne craignez-vous pas qu'après votre départ, ce qui s'est produit à Montceau-les-Mines, à Strasbourg se reproduise et que ce que vous avez « réussi à empêcher » ne flambe d'un coup ?

M. Bernard COURCELLE : Je pense avoir empêché beaucoup de choses.

    Il y a deux réponses possibles. Premièrement, certaines personnes, me sachant parti, ainsi que d'autres responsables qui savaient tenir leurs groupes, pourront se sentir autorisées à commettre quelques excès. Mais je ne le pense pas ; quelques responsables raisonnables devraient les en empêcher, sachant qu'il y a toujours des conséquences médiatiques et parfois judiciaires qui nuisent à l'image de marque du parti. Il est vrai que certains n'en ont rien à faire...

    Deuxièmement, je ne vois pas ce que peut faire le DPS avec ce qui lui reste comme effectifs. Je ne sais pas qui ils vont recruter.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Vous êtes au chômage. Savez-vous ce que vous allez faire ? Vous avez beaucoup d'amis au Front National...

M. Bernard COURCELLE : J'en ai même au RPR, au parti socialiste et au parti communiste. Mais pas chez les Verts !

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Ne craignez-vous pas que votre fonction d'ancien dirigeant du DPS ne vous pose des problèmes pour retrouver du travail ?

M. Bernard COURCELLE : Certainement. Un passage au Front National n'est pas forcément un atout dans un curriculum vitae ! Mais, en tant que responsable de sécurité, je ne pense pas être mal perçu.

M. le Président : Vous avez des relations et une expérience !

M. Bernard COURCELLE : Bien entendu, je me fais un peu de souci, mais il existe des grandes entreprises qui pourraient avoir besoin de mes services.

    M. Gilbert Lecavelier est une personne que je n'apprécie pas beaucoup. Il a un parcours et un passé pour le moins controversés, un peu louches. Il est considéré comme indicateur, ancien barbouze, etc. Il aime bien jeter l'opprobre sur toutes les personnes qui lui font un peu d'ombre au niveau de ses sociétés de sécurité. Je n'ai pas voulu avoir de contact avec lui et je ne veux pas entendre parler de ce monsieur qui a essayé de me mettre des bâtons dans les roues.

    Quant au château de Neuvy-sur-Barangeon, possédé par l'association Saint-Louis, c'est un endroit où se déroulent diverses réunions pendant l'été, telles que la fête du FNJ (Front National de la jeunesse), la fête du CNC (cercle national des combattants), ainsi que des formations. J'essayais d'organiser deux ou trois formations par an pour les cadres et les responsables en matière de sécurité incendie et de réglementation. M. Marcel Peuch en était le responsable. Je les réunissais également lorsqu'il y avait de grosses manifestations à organiser, telles que le 1er mai ou la fête des BBR qui demandent un effectif de 500 personnes pour la sécurité et beaucoup de préparation. M. Peuch se déplaçait également pour assurer des formations à la sécurité incendie sur place pendant les week-ends.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Monsieur Courcelle, la journaliste dont nous vous parlions tout à l'heure, nous a raconté qu'à l'occasion d'un déplacement en province avec le Front National, elle s'était arrêtée dans le même hôtel que M. Le Pen. Elle avait eu la surprise de constater que l'aubergiste s'était transformé en membre du DPS pour la réunion. Cela me paraît tout de même extraordinaire !

    Deuxièmement, étiez-vous présent lors du grave incident concernant Mme Annette Peulvast-Bergeal ?

    Troisièmement, comment s'organisent les contacts avec les préfectures pour organiser les meetings ?

    Enfin, vous avez employé le terme « DPS de base » ; il y aurait donc des DPS d'élite ? Qu'entendez-vous par « bosseurs » ? Et puisque vous qualifiez certaines personnes de « racistes primaires », c'est donc qu'il y en a des secondaires ?

M. Bernard COURCELLE : Je vais faire le professeur de français... Les « racistes primaires » sont les racistes acharnés, bêtes, sans réflexion aucune. Les « bosseurs » sont des personnes qui travaillent, qui se lancent dans le militantisme bénévole. « DPS de base » n'est pas un terme méprisant. Il qualifie les membres qui n'ont pas de responsabilité particulière. Le DPS de base a une mission ponctuelle - garder une porte - le contraire du chef d'équipe et des responsables. C'est très mesquin, vos petites questions !

    J'étais effectivement présent à Mantes-la-Jolie. Je ne peux pas en parler, car l'affaire est encore devant la justice. Il en va de même, monsieur le président, pour l'affaire tchétchène ; j'ai gagné en justice pour diffamation publique contre tous les journaux et les télévisions.

    Pour chaque réunion - la dernière à laquelle j'ai participé a eu lieu le 17 février 1999, à Versailles - nous prenions contact avec le chef de cabinet de la préfecture, ainsi qu'avec le commissaire de police ou le directeur départemental de sécurité publique, pour déterminer le parcours, les moyens mis en place, le nombre supposé de militants participant à la manifestation. Je donnais également le nombre de personnels de sécurité présents sur place et les noms de responsables qui étaient directement en liaison avec la police. Nos relations étaient très courtoises, car nous parlions non pas de politique, mais de technique. A Strasbourg, étant donné qu'une importante contre-manifestation était prévue, j'ai pris contact avec le directeur de cabinet du préfet et le préfet lui-même. Tout s'est très bien passé autour du Palais des congrès.

M. le Rapporteur : Monsieur Courcelle, je serais presque tenté de vous féliciter pour la qualité technique de votre intervention, même si je ne suis pas totalement dupe : quand on est dans l'action, on doit connaître le passé de ceux qui vous accompagnent dans ladite action. Votre absence de curiosité à l'égard d'anciens membres du PFNE, de l'_uvre française, qui sont des mouvements néonazis, ou de mouvements alsaciens néonazis dissous, me laisse quelque peu perplexe.

M. Bernard COURCELLE : Monsieur le rapporteur, sachez que le fait de m'occuper de la sécurité des militants du Front National sans adhérer à tout ce que vous venez de citer, m'a causé quelques petits ennuis.

M. le Rapporteur : Je vous le concède et je serais presque tenté de vous poser la question suivante : « faut-il dissoudre le DPS » ?...

M. Bernard COURCELLE : Il n'existe plus !

M. le Rapporteur : Vous avez fait partie du 6ème régiment parachutiste d'infanterie de marine (RPIMA). N'avez-vous jamais été détaché au 1er Hussard parachutiste, dans les Dragons ou au 1er RPIMA ?

M. Bernard COURCELLE : Non, monsieur le rapporteur.

M. le Rapporteur : Je souhaitais enfin préciser que s'agissant de l'incident survenu après la réunion salle Wagram, le 21 octobre 1996, c'est une enquête administrative, et non judiciaire qui a été diligentée.

M. le Président : Monsieur Courcelle, je vous remercie.

M. Robert Gaïa, député du Var, mis en cause par M. Bernard Courcelle, a demandé que soit annexé au procès-verbal de ce dernier, le courrier qui lui a été adressé par M. Philippe Lecardonnel, journaliste à V.S.D..

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Audition de MM. Denis DUVOT et Jacques DEVIENNE,
responsables du service d'ordre du Parti Communiste

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 17 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

MM. Denis Duvot et Jacques Devienne sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Denis Duvot et Jacques Devienne prêtent serment.

M. Denis DUVOT : Pour bien définir comment les choses se déroulent chez nous, je reviendrai d'abord sur les termes : nous n'avons pas de « service d'ordre », nous n'avons pas de « service de sécurité », nous avons une « équipe d'accueil sécurité ». Nous tenons à bien préciser ce point parce que, lorsque nous organisons nos initiatives, nous développons une conception d'accueil des participants pour que, dans ce cadre, tout se passe pour le mieux. Ce terme d'accueil est pour nous essentiel.

    Par ailleurs je voulais indiquer que ce sont nos militants qui participent à ces activités. Nous n'avons pas d'équipes structurées et pour chaque initiative, nous faisons appel à nos organisations pour nous fournir des militants, hommes et femmes, correspondant aux critères de l'initiative en question : manifestation, rassemblement, congrès, réception, soirée électorale, etc..

    Nous n'avons donc pas d'équipes structurées mais des militants que nous appelons en fonction de l'initiative que nous prenons.

    Enfin, pour bien préciser les choses, j'indique que j'ai la responsabilité de l'accueil sécurité pour le comité national du parti communiste français dont je suis membre, en tant que membre du comité national, et que M. Jacques Devienne, l'un des responsables de nos services généraux au sein du comité national, est la cheville ouvrière de cette activité qui consiste à assurer le relais entre le comité national et les organisations pour les demandes que nous faisons ainsi que, sur place, avec nos militants participant à l'initiative. Enfin, M. Devienne travaille en étroite collaboration avec les forces de police pour l'organisation de nos initiatives ; il prend les contacts nécessaires, en amont et sur le terrain, pour bien définir le rôle des uns et des autres afin que tout se passe - et nous revenons à la notion d'accueil - dans les meilleures conditions possibles.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : L'accueil sécurité que vous organisez est essentiellement fondé sur l'organisation en amont des réunions, et, sur le terrain, vous avez des militants recrutés en fonction de la manifestation. Vous n'avez donc pas de fichier !

    Avez-vous eu l'occasion de donner à ces personnes des directives leur permettant de bien savoir jusqu'où elles peuvent aller ? Avez-vous pu observer que certains des vôtres devaient être « tenus » et lorsque, par exemple, vos militants ou votre parti appellent à des contre-manifestations face au Front National, donnez-vous des directives particulières ? Si oui, lesquelles ? Redoutez-vous la présence d'armes de part et d'autre ? Comment sélectionnez-vous vos militants ?

M. Jacques DEVIENNE : Nous n'avons jamais pris seuls l'initiative de manifestations contre le Front National. En règle générale, elles sont organisées par plusieurs organisations et font l'objet de réunions préalables, comme c'est le cas pour toute organisation de manifestation. Elles respectent un parcours établi en accord avec la préfecture de police de Paris lorsqu'elles se déroulent à Paris, ou avec les directions départementales lorsqu'elles ont lieu en province. Nous nous en tenons toujours au lieu de dislocation fixé pour éviter tout contact, notre but n'étant pas de chercher le contact avec le Front National mais de donner de l'ampleur à la manifestation organisée, car c'est cela qui est « politiquement » intéressant. Donc, pour nous, il est hors de question d'aller jusqu'au contact, ce qui répond à votre question sur la peur des armes.

M. le Président : Respectez-vous certains critères dans l'appel aux militants ?

M. Denis DUVOT : Oui, et cela rejoint cette forme d'initiatives que sont les contre-manifestations puisque nos critères sont essentiellement politiques. Il s'agit de la capacité de compréhension de l'initiative prise, c'est-à-dire non pas de critères physiques mais uniquement de critères politiques. C'est en fonction de l'initiative politique que nous demandons à nos organisations de nous fournir des militants dont le profil correspond à l'initiative.

    Je précise bien que, que pour les contre-manifestations au Front National, nous sommes opposés à toute démarche qui entraînerait les gens que nous appelons à manifester à aller au contact avec le Front National. Si de telles initiatives nous étaient proposées, nous refuserions d'y participer : elles ne répondent pas à notre conception des choses. Nous pouvons prendre des initiatives pour permettre aux gens d'exprimer leur désaccord par rapport au Front National, mais aller au contact avec le Front National ne correspond pas à notre façon de faire... C'est d'ailleurs sur cette base, comme M. Devienne vient de le dire, que nous organisons nos actions en étroite collaboration et liaison avec les forces de police.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu des contacts avec les membres du DPS à l'occasion de manifestations, ou, le cas échéant avec des militants d'extrême-gauche prêts à en découdre, ou avez-vous toujours mis des barrières pour vous en séparer ?

M. Denis DUVOT : Avec le DPS nous n'avons aucun contact !

M. le Rapporteur : Entendons-nous bien, quand je parle de contacts, je fais allusion à des contacts violents...

M. Denis DUVOT : D'après mon expérience sur cette responsabilité, non !

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : La personne que nous avons auditionnée avant vous a pourtant déclaré qu'elle pouvait avoir un contact pour l'organisation de certaines manifestations avec des organisations politiques et syndicales...

M. Denis DUVOT : Je confirme que, pour ce qui nous concerne, nous n'avons jamais eu de contacts. Cela a pu être le cas avec d'autres, mais pas avec nous.

M. le Président : Avez-vous des armes ?

M. Denis DUVOT : Non !

M. le Président : Y a-t-il des signes distinctifs dans votre service « accueil sécurité », qui ne s'est pas toujours appelé ainsi ?

M. Denis DUVOT : C'est depuis 1976 que nous avons fait évoluer la formule. Ce changement ne tient pas simplement aux mots.

M. Jacques DEVIENNE : Pour répondre à votre question, les membres du service accueil sécurité portent généralement un badge distinctif.

M. André VAUCHEZ : Un brassard ?

M. Jacques DEVIENNE : Non, depuis très longtemps, nous n'utilisons plus les brassards dans les manifestations. Nous avons recours à des badges communs à tous les membres de la manifestation ou, lorsque cette dernière justifie un encadrement de ce qui est à proprement parler le cortège du parti communiste, à des badges du parti communiste qui changent en fonction de l'initiative, soit qu'ils comportent la date, soit qu'ils comportent un signe distinctif.

M. le Président : Vous avez dit que le recrutement se faisait sur des critères politiques. Or, il s'agit d'un service qui travaille aussi sur la sécurité. On peut donc se poser la question du passé des militants et de leur éventuel rapport personnel aux armes. Vous montrez-vous vigilants sur cet aspect de la question ?

M. Denis DUVOT : Oui, je répète nous demandons sur la base de critères politiques
- d'ailleurs ce n'est pas nous qui opérons les choix mais nos organisations politiques à qui nous demandons de nous donner, pour telle initiative, cinq ou dix personnes - et ce n'est qu'ensuite que Jacques Devienne, pour ce qui est du comité national ou, en province, les responsables politiques, expliquent à nos camarades ce qu'est l'initiative, comment nous l'envisageons, quelles sont les règles impératives à respecter.

    Bien sûr, nous avons le souci d'être attentifs à tout ce qui pourrait empêcher la bonne tenue de la manifestation, non pas sous l'angle des armes que nous ne détenons pas
    - elles ne sont pas notre affaire - mais sous l'angle de la circulation - il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas d'accrochages avec des automobilistes impatients -. Il faut aussi assurer les premiers secours puisqu'au cours d'une manifestation des gens peuvent être pris de malaises, afin que des spécialistes soient à même d'apporter les premiers soins et de prendre les dispositions utiles.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Comment fonctionne le service accueil sécurité au cours de meetings : êtes-vous amenés à fouiller les participants, à vous intéresser à leur curriculum vitae, et quel est votre point de vue sur ce type de manifestations ?

M. Jacques DEVIENNE : Nous ne fouillons jamais puisque c'est illégal ! Nous avons le droit de palper mais pas de fouiller. Il nous est parfois arrivé, notamment au moment de Vigipirate, de faire ouvrir les sacs mais tout dépend de l'initiative : lorsque nous organisons un acte avec les Algériens, comme cela a été le cas dernièrement, nous sommes beaucoup plus attentifs que lors d'un meeting plus ordinaire qui se limite à des prises de parole. Nous nous adaptons au site et à la nature de l'initiative. L'essentiel est toujours d'être vigilant à l'entrée et de regarder d'un peu plus près en cas de doute, mais cela ne va pas au-delà.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Pour l'organisation des meetings, est-ce que vous avez des contacts avec d'autres services de sécurité de partis ou de formations syndicales ou politiques ? J'aimerais également savoir quelle est, dans le service accueil et sécurité, la proportion de femmes et d'hommes et si vous avez différentes strates d'organisation selon que les manifestations sont plus ou moins musclées.

M. Jacques DEVIENNE. Mis à part le DPS, avec qui c'est évidemment exclu, je crois avoir eu des contacts avec tous les autres partis ou organisations syndicales, à l'exception du RPR.

    Maintenant, il est de plus en plus fréquent, lorsque cinquante organisations appellent à un rassemblement commun, qu'il y ait des réunions pour la préparation de la manifestation et de la sécurité avec l'ensemble des organisations concernées.

    Nous avons eu pour la première fois des assemblées avec des organisations de droite, lors de la manifestation pour Israël qui s'est tenue au Trocadéro.

    En ce qui concerne la composition du service Accueil sécurité, je dirai que nous n'avons pas assez de femmes mais que nous en cherchons. Nous livrons bataille dans ce sens, car cela influe aussi sur l'image que nous souhaitons donner ; mais le poids des choses fait qu'il nous reste encore du chemin à parcourir dans ce domaine.

M. le Président : La Constitution va vous imposer la parité !

M. Jacques DEVIENNE : Je le voudrais bien !

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Le contact avec les préfets est-il facile ?

M. Jacques DEVIENNE : C'est un contact très « service public ». C'est-à-dire qu'à la préfecture de police, avec qui se préparent les plus grosses manifestations, j'ai un contact direct avec la Direction de la sécurité publique de Paris puisqu'il faut signer un accord de manifestation : cela se passe dans les règles d'un service public qui crée les conditions pour que la manifestation ait lieu, dès l'instant où elle est autorisée par le préfet de police.

M. Denis DUVOT : Concernant les strates d'organisation, nous n'avons pas d'équipe numéro un, deux ou trois.

    Nous n'avons pas d'équipes structurées. Lorsque nous pensons qu'un acte comporte des risques particuliers, nous demandons que parmi les militants que nous envoient nos organisations, il y ait un certain nombre de camarades responsables, de dirigeants. Nous pensons en effet que c'est avec les responsables politiques que nous pouvons régler les affaires, puisqu'il ne s'agit pas de capacité physique mais d'aptitude à éviter l'affrontement. Nous refusons, en effet, je le répète, de placer ceux que nous appelons à manifester dans une situation dont nous porterions une part de responsabilité et qu'ils auraient, à juste raison, le droit de nous reprocher.

M. André VAUCHEZ : Sur ce point précis, on peut dire que le service accueil et sécurité est en fait constitué, si je comprends bien, en vue d'éviter tout débordement venant de l'intérieur ; n'exercez-vous pas, dans votre service d'ordre, une vigilance particulière vers l'extérieur dont vous pourriez craindre une attaque ?

M. Denis DUVOT : Si, bien sûr ! Lorsqu'on organise une manifestation, on doit assurer la protection de la manifestation mais aussi veiller à ce qu'il n'y ait pas d'incident. De ce point de vue, d'ailleurs, les forces de police nous aident.

M. André VAUCHEZ : Vous cherchez l'appui des forces de police ?

M. Denis DUVOT : Tout à fait !

M. Jacques DEVIENNE : Ils nous disent souvent - et nous sommes d'accord avec eux - qu'ils ont tout autant intérêt que nous à ce que les choses se passent bien et, de ce point de vue, un officier de sécurité est généralement détaché pour maintenir le contact et régler avec la police tous les problèmes susceptibles de se poser au cours du déroulement de la manifestation : il est déjà arrivé qu'il nous prévienne qu'il avait repéré des petits groupes d'agitateurs...

M. André VAUCHEZ : D'accord, mais ce n'est pas votre contribution...

M. Jacques DEVIENNE : Nous aussi, nous regardons.

M. André VAUCHEZ : Vous êtes vigilants mais vous n'avez personne pour intervenir en cas de problème ?

M. Jacques DEVIENNE : Non !

M. André VAUCHEZ : Tout à l'heure, M. Bernard Courcelle nous a appris qu'il n'était pas facile d'entrer dans certains meetings du PC et que lui-même avait été refoulé.

M. Denis DUVOT : J'ignore où cela a pu se passer, mais si cela est vrai, je peux comprendre que nous ayons dit à M. Bernard Courcelle, le connaissant, qu'il valait mieux qu'il n'entre pas dans un lieu où sa présence risquait de provoquer des incidents.

M. le Président : Avez-vous des moyens de reconnaissance ?

M. Denis DUVOT : Non, nous n'avons pas de photos mais certaines personnalités, telles M. Bernard Courcelle ou d'autres, apparaissent dans la presse.

    Par exemple, il y a de cela quelques années, à la fête de l'Humanité, dont nous ne sommes pas, en tant que comité national, organisateurs puisque c'est le journal l'Humanité qui s'en charge, mais pour la tenue de laquelle nos militants sont forcément sollicités, nous avons eu la visite de M. Samuel Maréchal accompagné d'une autre personne dont j'ai oublié le nom : nous lui avons dit que nous allions assurer sa visite pour qu'il n'y ait pas d'incidents, ce que nous avons fait pendant deux heures et demi, mais nous ne l'avions pas invité.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Considérez-vous, messieurs, que le DPS est une organisation semblable aux autres services de sécurité des partis traditionnels et démocratiques ?

M. Denis DUVOT : Pour ma part, non ! Je n'ai jamais entretenu de relations avec ses membres mais d'après ce que j'ai lu, ce que j'ai entendu, ce que j'ai appris sur tout ce qui se passe malheureusement lors des initiatives prises par le Front National, je pense qu'il s'agit plutôt d'un groupe armé, quadrillé qui, de mon point de vue, outrepasse la loi en prenant des initiatives qui lui sont contraires : je me souviens d'incidents à la suite desquels on disait que les membres du DPS étaient presque aussi organisés que des forces de police et dotés d'un matériel correspondant au leur, ce qui est totalement interdit.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Lorsque vous avez assuré l'accueil sécurité d'un événement, êtes-vous amené à faire un rapport sur son déroulement et à qui, ou bien n'y a-t-il aucune suite ?

M. Denis DUVOT : C'est comme cela ! Il n'y a aucune suite.

M. le Rapporteur : Avez-vous suivi une formation particulière pour exercer ces missions ?

M. Denis DUVOT : Ni l'un, ni l'autre n'avons suivi de formation : j'ai une formation de technicien en organisation scientifique du travail, ce qui n'a donc rien à voir.

M. le Président : Pour une part, si !

M. Jacques DEVIENNE : Et moi, j'ai un CAP de maçon...

M. le Président : Nous vous remercions !

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    Audition de M. Claude DUPONT,
    responsable du service d'ordre du Rassemblement Pour la République

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 17 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Claude Dupont est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Claude Dupont prête serment.

M. Claude DUPONT : Au RPR, ce qui fait office de service d'ordre s'appelle « le service de protection ». Il ne regroupe que des bénévoles, quelle que soit la région concernée. Ses membres sont issus de toutes les catégories sociales. Il a plus, dirons-nous, une approche « d'urbaniste » qu'une approche de service d'ordre « à l'ancienne » : nous veillons surtout à la bonne organisation du site, de manière à ce qu'en cas d'incident, les évacuations puissent se faire sans contrarier les services de secours.

    En ce qui concerne le service dit « d'ordre », je crois que cette appellation répond à une conception dépassée puisque, à l'heure actuelle, les affrontements interpartis n'existent pratiquement plus, compte tenu notamment du poids des médias et de la présence des caméras de télévision. Pour ma part, je considère, en revanche, que « l'arme conventionnelle » de demain à laquelle devront faire face les services d'ordre est le terrorisme et, en conséquence, je veille, dans la formation de nos compagnons du service, à ce qu'ils puissent exercer une surveillance maximale sur le déroulement des opérations. Il faut, par exemple, qu'ils puissent interpeller quelqu'un qui pénétrerait dans un vestiaire et y déposerait un attaché-case avant de disparaître.

M. le Président : Vous évoquez la formation des compagnons du service. Comment ce service est-il donc organisé ?

M. Claude DUPONT : Je fais remplir à toute personne désireuse de participer au service de protection un bulletin de candidature avec trois photos, une pour mon fichier alphabétique, une autre qui apparaît sur le bulletin de candidature et une troisième pour le badge que nous remettons lors de chaque réunion, meeting ou déplacement.

    Le service est organisé en fonction de régions qui sont nos « régions service de protection » et qui ne tiennent pas toujours compte du découpage administratif de la France, pour la bonne raison que je veille à ce que les effectifs soient bien contrôlés par les responsables locaux. En effet, comme je ne demande pas d'extrait de casier judiciaire aux postulants, - puisque celui qui a payé a payé si je puis dire -, je veille à ce que les responsables locaux assurent un suivi des membres du service afin de m'informer, par exemple, des éventuelles difficultés financières de l'un qui a une entreprise, ou des relations sentimentales de l'autre qui est tombé amoureux d'une femme de nationalité iranienne par exemple.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : J'aimerais savoir si vous menez des enquêtes sur les personnes qui font acte de candidature pour entrer dans votre service d'ordre. Mais, si j'ai bien compris, la réponse est négative...

M. Claude DUPONT : Il est bien évident que je demande son avis au secrétaire départemental ou au député de la circonscription dans laquelle réside cette personne.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : En qualité de responsable de cette organisation, recevez-vous des émoluments ?

M. Claude DUPONT : Pour ce qui me concerne, je suis salarié du RPR depuis 1982, et uniquement dans ce cadre-là.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Et votre unique fonction est de vous occuper de l'organisation de manifestations ?

M. Claude DUPONT : De manifestations, de meetings, du déplacement de personnalités. C'est à moi, par exemple, qu'il revient de fournir des chauffeurs en cas de problèmes horaires.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Disposez-vous d'un budget qui vous permet de rembourser les déplacements des uns et des autres et peut-on dire qu'il s'agit en quelque sorte, au sein du RPR, d'une section spécialisée ?

M. Claude DUPONT : Effectivement, j'ai un budget.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Au cours de manifestations, j'aimerais savoir si vous pratiquez des fouilles, si vous faites ouvrir les sacs et si vous opérez, par ailleurs, des opérations de filtrage ?

M. Claude DUPONT : Il est bien évident que, dans certains cas, nous faisons un filtrage sur présentation du badge. Il est vrai néanmoins que, contrairement à l'époque du plan Vigipirate durant lequel nous pratiquions la fouille systématique des sacs, il est difficile, à l'heure actuelle, de l'imposer pour les réunions ouvertes au public.

    Nous restons cependant très attentifs : nous fouillons la salle, dès qu'une pause le permet, ainsi qu'à la fin de chaque réunion, pour nous assurer qu'aucun objet ne traîne... et également pour voir si quelqu'un n'a pas oublié quelque chose !

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Lorsque vous devez organiser des meetings ou des déplacements, quels sont les contacts que vous avez avec les autres organisations syndicales ou politiques, notamment avec leurs services d'ordre et comment s'établissent les contacts avec les préfectures ?

M. Claude DUPONT : Je rédige un courrier de courtoisie au préfet et, suivant les responsabilités, au colonel de gendarmerie ou au directeur départemental de la police urbaine (DDPU). Je fournis le maximum de détails sur le déroulement de la manifestation et leur précise que je ne veux pas pénaliser le citoyen pour une réunion politique en bloquant trop de forces de police. Mais le patron reste, soit le DDPU, soit le colonel de gendarmerie qui décide des effectifs à mettre en place, ce n'est pas moi !

M. le Président : Mais vous disposez bien de votre propre service pour assurer la protection du meeting ou de la manifestation ?

M. Claude DUPONT : Certes, mais l'effectif du service présent sur place est fonction, non point comme on le faisait autrefois, du nombre de participants, mais, de la disposition du site. Nous devons être en mesure d'assurer la surveillance du parking public, du parking personnalités, des entrées, les filtrages, la surveillance de la scène et éventuellement des salles de commission, de sorte qu'un éventuel terroriste puisse sentir qu'il entre dans une nasse et décide de remettre la chose à plus tard !

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Tout à l'heure, vous disiez que toutes les couches socio-professionnelles étaient représentées dans votre service de protection. J'aimerais que vous affiniez davantage cette réponse : jeunes, retraités... qui sont-ils ? Je souhaiterais également que vous nous disiez s'il vous est arrivé de faire appel à des sociétés de gardiennage ou de sécurité pour l'organisation de vos meetings et que vous nous donniez votre appréciation personnelle sur le DPS du Front National. Considérez-vous qu'il fonctionne comme un service d'ordre normal d'un parti politique ?

M. Claude DUPONT : Je ne peux pas vous répondre sur le DPS, pour la bonne raison que je n'ai jamais eu affaire à lui ! Je ne sais pas comment il fonctionne. J'ai juste eu, une fois, un problème avec le Front National dont les membres étaient venus distribuer des tracts dans les galeries marchandes et sur la place du Palais des Congrès, c'est-à-dire sur la voie publique et dans un lieu public, pendant un de nos congrès qui se tenait à la Porte Maillot. Nous ne pouvions pas les empêcher de le faire. J'ai donc simplement vu la responsable, qui était, je crois, Mme Martine Lehideux et nous avons négocié leur départ dans la demi-heure suivante.

M. le Président : Et les sociétés de gardiennage ?

M. Claude DUPONT : A une époque, le secrétaire général a loué les services d'une société de gardiennage.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : A quelle époque ?

M. Claude DUPONT : A l'époque où M. Alain Juppé était secrétaire général.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : De quelle société s'agissait-il ?

M. Claude DUPONT : De la société de l'ancien commissaire Ottavioli qui fournit les deux huissiers de garde de nuit, rue de Lille, mais je ne saurais pas vous dire son nom.

M. le Président : Vous ne faites plus appel à ses services ?

M. Claude DUPONT : Personnellement, je n'y ai jamais eu recours. A l'époque, lorsque M. Alain Juppé appelait des gens de cette société, c'était, si je puis dire, « pour tenir la scène », pendant que les bénévoles s'occupaient des extérieurs. C'est un petit problème particulier...

M. le Président : Ce n'est pas un dispositif qui avait l'air de vous agréer...

M. Claude DUPONT : Non, parce que quand il y a deux services différents, c'est qu'il existe une faille dans le dispositif.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Et qu'en est-il des différentes catégories socioprofessionnelles ?

M. Claude DUPONT : C'est très mélangé. Vous trouvez des fonctionnaires de police ou de simples militants qui sont très attentifs : cela tient à la personnalité de chaque individu. Dans les casinos, les physionomistes sont payés très cher ce qui prouve bien qu'il est difficile de trouver des gens attentifs et physionomistes...

M. le Rapporteur : Quelle était votre formation avant 1981-1982 ? Apparteniez-vous déjà à un service de sécurité ?

M. Claude DUPONT : Je ne vais pas vous cacher que j'étais officier au premier régiment étranger de parachutistes et que j'ai participé au putsch d'Alger. J'ai ensuite été condamné à dix années de détention et j'ai fait cinq ans et sept mois de prison, à la Santé, à Fresnes et au pénitencier de Saint-Martin de Ré. A ma sortie, n'étant plus tellement couvert, j'ai exercé des petits métiers ici et là, avant de créer un département de correcteurs d'édition dans une société d'intérim. C'est là que j'ai fait la connaissance d'un proche du général de Benouville, qui m'a fait rentrer au groupe Marcel Dassault. M. Marcel Dassault m'a alors demandé d'être responsable du service d'ordre de M. Valéry Giscard d'Estaing durant sa campagne présidentielle ce qui m'a permis de rencontrer différentes personnes et d'occuper la position qui est la mienne actuellement.

M. le Rapporteur : Vous considérez-vous plus comme militant ou comme un technicien ?

M. Claude DUPONT : Comme un technicien !

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD. Vous avez répondu qu'il pouvait se trouver des fonctionnaires de police parmi les membres de votre service. Avez-vous beaucoup de fonctionnaires de police et de gendarmerie ? Comment les appréciez-vous et comptez-vous davantage sur eux que sur d'autres en raison de leurs compétences ? Par ailleurs, êtes-vous amené, lors de manifestations ou de meetings, à réunir en amont les personnes qui vont être présentes sur les lieux et quelles sont les consignes que vous leur donnez ? Abordez-vous, le cas échéant, la question des armes ?

M. Claude DUPONT : Je peux dire que, dans le service que je dirige, toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées. Sur toute la France, je dois compter sept chefs d'entreprise, des serveurs, des fonctionnaires de police... je crois n'avoir qu'un seul gendarme. Cela étant, c'est sur le terrain que j'opère la sélection. Il est évident que, si quelqu'un ne fait pas l'affaire, bénévole ou pas, je ne le reconvoque pas.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : « Bénévole ou pas » : est-ce à dire que tout le monde n'est pas bénévole ?

M. Claude DUPONT : Si, ce sont toujours des bénévoles ; mais je veux dire que bien que l'on ne puisse pas traiter un bénévole comme quelqu'un de rétribué, je suis parfois obligé de refuser certaines personnes.

    S'agissant des armes quelle que soit la profession des membres du service de protection, même pour les fonctionnaires de police, elles ne sont pas autorisées : là-dessus, il n'y a pas d'exception !

M. le Président : Vous avez décrit rapidement votre parcours dont on voit bien qu'il comporte des étapes très diverses...

M. Claude DUPONT : Le Canard enchaîné en avait parlé lorsque je suis rentré dans la maison, je ne vais donc pas le cacher !

M. le Président : Dans le service de sécurité du RPR, y a-t-il des personnes qui ont eu un peu la même histoire que la vôtre ?

M. Claude DUPONT : Oui, mais les personnes que j'ai connues à l'époque sont, aujourd'hui, installées surtout dans les Alpes-Maritimes.

M. le Président : Nous vous remercions.

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1 Mme Fiammetta Venner a indiqué postérieurement à son audition que les matraques utilisées par les membres du DPS étaient identiques aux matraques utilisées pour le bétail.

2 Par courrier du 28 mars 1999, M. Philippe Lecardonnel a démenti cette information : cf. p.346.