N° 1778

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 juillet 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE (1)
sur le RÉGIME ÉTUDIANT de SÉCURITÉ SOCIALE,

Président
M. ALAIN TOURRET,

Rapporteur
M. PHILIPPE NAUCHE,

Députés.

——

TOME 2
AUDITIONS

(1) Cette Commission est composée de : MM. Alain Tourret, président, Maxime Gremetz, vice-président, Jacques Heuclin, secrétaire, Philippe Nauche, rapporteur ; MM. Bernard Accoyer, André Angot, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Bauemler, Bruno Bourg-Broc, Richard Cazenave, Marcel Dehoux, Jean-Michel Dubernard, Jean-Pierre Foucher, Jean-Louis Fousseret, Germain Gengenwin, Claude Goasguen, Joël Goyheneix, Hubert Grimault, Francis Hammel, Christian Kert, Pierre Lasbordes, Bruno Le Roux, Patrick Leroy, Yves Nicolin, Robert Pandraud, Mme Catherine Picard, MM. Jean Pontier, René Rouquet, Pascal Terrasse, André Vallini.

Economie sociale.

SOMMAIRE DES AUDITIONS
Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la commission
(la date de l’audition figure ci-dessous entre parenthèses)

— MM. Raoul BRIET, directeur de la sécurité sociale au ministère de l’Emploi et de la solidarité, Dominique LIBAULT, sous-directeur du financement et de la gestion de la sécurité sociale et Philippe GEORGES, sous-directeur de l’accès aux soins (mercredi 31 mars 1999) 7
— M Jean FOURRÉ, Président de la Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance (mercredi 31 mars 1999) 20
— MM. Christian ROLLET, chef de l’inspection générale des affaires sociales et secrétaire de la Commission de contrôle des mutuelles et des instituts de prévoyance et Laurent GRATIEUX, inspecteur des affaires sociales et secrétaire général adjoint de la Commission de contrôle des mutuelles et des instituts de prévoyance (mercredi 31 mars 1999) 29
— Mme Martine AUBRY, Ministre de l’Emploi et de la solidarité (mercredi 7 avril 1999) 43
— MM. Gabriel MIGNOT, Président de la 6ème chambre de la Cour des comptes, Alain DENIEL, conseiller-maître, et Luc MACHARD, conseiller référendaire (mercredi 7 avril 1999) 54
— M. Daniel LE SCORNET, Président de la Fédération des mutuelles de France (jeudi 8 avril 1999) 67
— M. Jean-Pierre DAVANT, Président de la Fédération nationale de la Mutualité française (jeudi 8 avril 1999) 78
— MM. Michel HERMANT, Président de la Fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles, Philippe DELEMARRE, secrétaire général et Gilles MARCHANDON, délégué général (mardi 27 avril 1999) 86
— Mme Francine DEMICHEL, directrice de l’enseignement supérieur au ministère de l’Education nationale, et M. Patrick LÉVY, sous-directeur (mercredi 28 avril 1999) 98
— Mme Karine DELPAS, Présidente de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) et M. Pierre-Henri LAB, administrateur (mercredi 28 avril 1999) 112
— M. Pierre-Yves LE DOEUFF, délégué national de la Mutualité étudiante régionale (MER) (jeudi 29 avril 1999) 129
— M. Jean-Marie LE GUEN, ancien directeur médical de la MNEF, député de Paris (jeudi 29 avril 1999) 145
— M. Vincent BÉGUIN, Président de la mutuelle générale des étudiants de l’Est (MGEL) (mercredi 5 mai 1999) 160
— MM. Edouard BIDOU, Président de la société mutualiste des étudiants de la région parisienne (SMEREP), et Christian DOUBRÈRE, directeur général (mercredi 5 mai 1999) 172
— MM. Gilles JOHANET, directeur de la CNAM, et Jean-Paul PHÉLIPPEAU, directeur délégué (mercredi 5 mai 1999) 189
— MM. Philippe STOFFEL-MUNCK, Président de l’Union sociale des sociétés étudiantes mutualistes (USEM), et Vincent SALETTE, responsable des relations institutionnelles (Jeudi 6 mai 1999) 202
— MM. Corentin KERREST, président de la FAGE, et Stephen CAZADE, vice-président (mardi 11 mai 1999) 218
— MM. Philippe EVANNO, secrétaire général de l’UNI, et Jacques ROUGEOT, président de l’UNI (mardi 11 mai 1999) 229
— MM. Eddy AGNASSIA, président de l’association Promotion et défense des étudiants (PDE), et François-Xavier FERRAND, administrateur (mardi 11 mai 1999) 240
— MM. Denis KESSLER, président de la Fédération française des sociétés d’assurance, Jean-Pierre MOREAU, délégué général, et Jean-Paul LABORDE, chargé des relations avec les institutions (mercredi 12 mai 1999) 247
— MM. Pouria AMIRSHAHI, président de la MNEF, Jacques DELPY, directeur général, Michel HAUTEKIET, directeur administratif et financier, et Mme Anne-Charlotte KELLER, trésorière (mercredi 12 mai 1999) 259
— M. Matthieu SÉGUÉLA, ancien trésorier de la MNEF (mardi 18 mai 1999) 278
— M. Jean-Luc WARSMANN, ancien directeur de la MGEL, député des Ardennes (mardi 18 mai 1999) 295
— Mme Marie-Dominique LINALE, ancienne présidente de la MNEF (mardi 18 mai 1999) 310
— M. Michel ROCARD, ancien Premier ministre, député européen (mercredi 19 mai 1999) 326
— M. Olivier SPITHAKIS, ancien directeur général de la MNEF
(mercredi 19 mai 1999) 338
— M. Salomon BOTTON, directeur de cabinet de la direction générale de la MNEF (mardi 25 mai 1999) 366
— M. Philippe PLANTAGENEST, ancien chef de cabinet de l’ancien directeur général de la MNEF (mardi 25 mai 1999) 378
— M. Joël DOCKWILLER, président de la Société mutualiste des étudiants de la région Nord-Ouest (SMENO), et Didier SIMON, directeur général (mercredi 26 mai 1999) 388
— Mme Carine SEILER, présidente de l’UNEF-ID, et M. Mickaël DAHAN, vice-président (mercredi 26 mai 1999) 401
— M. Michel ZORMAN, médecin conseiller du recteur de l’académie de Grenoble, directeur du centre de santé inter-universitaire des universités de Grenoble, président de l’Association des médecins directeurs de médecine préventive (mardi 1er juin 1999) 419
— M. Jean-Michel GROSZ, ancien président de l’association les Amis de la MNEF (mercredi 2 juin 1999) 426
— Mme Corine MAILLARD, commissaire aux comptes de la MNEF (mercredi 2 juin 1999) 436
— Mme Marie-José BAILS, présidente de la Fondation Santé des Etudiants de France (mercredi 2 juin 1999) 448
— M. Daniel VITRY, président du Centre national des œuvres universitaires et scolaires (jeudi 3 juin 1999) 455

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Audition de MM. Raoul BRIET, directeur de la sécurité sociale
au ministère de l’Emploi et de la solidarité, Dominique LIBAULT, sous-directeur du financement et de la gestion de la sécurité sociale
et Philippe GEORGES, sous-directeur de l’accès aux soins

(procès-verbal de la séance du 31 mars 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Briet, Libault et Georges sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Briet, Libault et Georges prêtent serment.

M. le Président : Mes chers collègues, nous ouvrons aujourd’hui le cycle de nos auditions en entendant M. Raoul Briet, directeur de la sécurité sociale au ministère de l’Emploi et de la solidarité. Il est accompagné de deux sous-directeurs, M. Dominique Libault, sous-directeur du financement et de la gestion de la sécurité sociale, chargé en particulier de suivre le financement du régime général et des régimes de base, ainsi que de M. Philippe Georges, sous-directeur de l’accès aux soins, compétent notamment pour les questions relatives au régime complémentaire, car si le régime des étudiants est rattaché au régime général, les différentes mutuelles étudiantes proposent aussi des garanties complémentaires.

M. Raoul BRIET : Je vais introduire ce sujet en essayant de rappeler à l’intention de la commission ce que sont les principales caractéristiques et spécificités du régime étudiant, en soulignant celles de nature à poser problème et qui ont, de toute évidence, motivé la décision de mettre en place cette commission d’enquête parlementaire. Je laisserai ensuite, à M. Dominique Libault, le soin de vous rappeler l’historique et les difficultés qui s’attachent à la détermination d’un sujet que vous avez qualifié vous-même de central, à savoir les remises de gestion. Puis, pour bien éclairer la répartition des responsabilités entre l’Etat, ses services centraux, ses services déconcentrés et les autorités de contrôle, notamment la commission de contrôle, M. Philippe Georges vous dira quelques mots du partage des responsabilités s’agissant du contrôle des mutuelles.

Le régime étudiant est difficile à caractériser juridiquement. On hésite même à le qualifier de régime au sens strict du terme. Il faut se souvenir que ce régime, instauré par une loi de 1948, a aujourd’hui plus de 50 ans. Il se caractérise par des règles spécifiques s’agissant à la fois de l’affiliation, des cotisations qui sont dues, et de la gestion. En effet, le législateur de 1948 a confié la gestion du dispositif d’assurance sociale des étudiants aux étudiants eux-mêmes par délégation des caisses d’assurance maladie. Cette gestion est, en pratique, déléguée à des mutuelles, au nombre de onze aujourd’hui, qui sont en situation de concurrence les unes par rapport aux autres pour recueillir l’adhésion et gérer ensuite l’affiliation et le service des prestations aux étudiants.

Une autre spécificité du système d’assurance sociale des étudiants est de ne pas être intégré financièrement dans le régime général. Pour autant, il faut rappeler d’abord que les prestations qu’il verse sont rigoureusement les mêmes que les prestations en nature du régime général, ensuite, que la gestion effectuée par les mutuelles d’étudiants l’est par délégation des caisses primaires d’assurance maladie et, enfin, que les dépenses et les recettes de ce " régime étudiant " sont retracées dans les comptes de la caisse nationale d’assurance maladie.

Je ne vais pas m’étendre sur la question, quelque peu académique et doctrinale, de savoir si le régime étudiant de sécurité sociale est à proprement parler un régime, un régime particulier ou un mode de gestion original du régime général. Il faut garder présent à l’esprit que l’originalité et la spécificité forte de ce régime datent de son origine. En même temps, il est important de souligner que la sécurité sociale des étudiants ne concerne que le régime de base. Lorsque l’on parle des prestations en nature telles que servies par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), cela signifie que les étudiants bénéficient du même niveau de remboursement que celui assuré par la CNAM pour les salariés de l’industrie et du commerce. Donc, au sens strict, même si l’on utilise le terme de régime étudiant, il ne s’agit, en réalité, que d’un mode original de gestion du régime d’assurance maladie de base. Le fait que les mutuelles développent parallèlement, au bénéfice de tout ou partie de leurs affiliés, une couverture complémentaire maladie est un élément caractéristique de l’originalité du mode de gestion des mutuelles étudiantes. Mais le régime étudiant, au sens strict, n’est pas concerné par la partie complémentaire de la couverture sociale, qui commence au-delà des prestations du régime général.

Ce qui fonde l’originalité du régime étudiant explique aussi les difficultés que l’on a à en appréhender correctement les paramètres de gestion. D’un point de vue pratique, il faut bien mesurer le fait que la gestion des prestations en nature pour le compte de la CNAM au bénéfice des étudiants est totalement imbriquée dans la gestion d’ensemble des mutuelles. J’indique d’ailleurs que, statistiquement, seul environ un tiers des étudiants pris en charge pour le comptes des caisses primaires d’assurance maladie au titre du régime de base acquittent auprès de leur mutuelle une cotisation supplémentaire pour bénéficier d’une couverture complémentaire. La gestion de cette population pour le compte du régime général est une composante, parmi d’autres, de la gestion d’ensemble des mutuelles étudiantes. Il n’en reste pas moins que les locaux, le personnel, les moyens techniques, sont totalement intégrés. Il y a là une situation de fait, au demeurant logique.

Cette intégration n’en pose pas moins des problèmes redoutables dès lors qu’il s’agit de déterminer le bon niveau de fixation des remises de gestion versées par les caisses d’assurance maladie en rémunération des services rendus par les mutuelles. Ces difficultés sont aggravées par l’absence, dans les organismes mutualistes, de plan comptable parfaitement adapté aux différentes opérations à retracer, par l’ancienneté de ce plan comptable et par le défaut fréquent d’éléments de comptabilité analytique fiables et sincères qui permettraient d’isoler les charges afférentes à la gestion du régime étudiant et celles relatives aux autres activités des mutuelles. Quand bien même il y aurait une comptabilité analytique rigoureuse et digne de ce nom dans chacune des mutuelles, il faudrait encore s’assurer que les clefs de répartition des charges communes entre l’activité pour le compte du régime général et les autres activités des mutuelles sont sincères et établies rigoureusement.

Enfin, dernière difficulté que je ne fais que citer rapidement ; les structures qui gèrent le régime étudiant sont souvent de petite taille et elles ne placent pas les aspects gestionnaires au premier rang de leurs préoccupations.

Ce problème des remises de gestion, sur lequel M. Dominique Libault reviendra tout à l’heure, représente un enjeu de quelque 450 millions de francs. Il est d’autant plus difficile à traiter correctement que la loi de 1994 pose le principe du caractère forfaitaire des remises de gestion. Celles-ci doivent être calculées par étudiant et identiques pour tous les gestionnaires, ce qui est assez légitime, puisque ceux-ci sont en concurrence pour accueillir les populations étudiantes. Dès lors, soit on décide de placer les remises de gestion à un niveau très bas, ce qui risque de mettre en difficulté certaines mutuelles, en raison de leur activité, de leur volume d’effectifs à gérer ou d’autres caractéristiques, soit on se donne un objectif plus raisonnable consistant à les fixer à un niveau moyen, ce qui, éventuellement, permet à certaines mutuelles de couvrir plus que les charges réelles afférentes au régime étudiant, et donc de dégager des disponibilités financières qui sont leur pleine propriété.

Le problème est d’autant plus aigu que ces organismes sont des organismes mutualistes, dont l’objet social tel qu’il est défini par le Code de la mutualité est très large. Ils sont définis comme des groupements à but non lucratif qui se proposent de mener, dans l’intérêt de leurs membres ou de leur famille, une action de prévoyance, de solidarité et d’entraide en vue d’assurer notamment le développement culturel, moral, intellectuel et physique de leurs membres et l’amélioration de leurs conditions de vie. Le système de remises de gestion qui est légalement forfaitaire et uniforme pour toutes les mutuelles, quelles que soient leurs performances ou leurs situations objectives, est donc de nature à permettre de dégager des marges financières utilisées ensuite dans le respect des dispositions du Code de la mutualité dont nous venons de voir qu’il fixe aux mutuelles un objet social extraordinairement varié.

Tels sont les éléments qui caractérisent l’originalité du régime étudiant et la difficulté de pilotage de ce dispositif. M. Dominique Libault va maintenant traiter plus en détail des modalités qui ont été utilisées dans un passé récent pour déterminer, de la manière la plus pertinente, le niveau de ces remises de gestion.

M. Dominique LIBAULT : Il s’agit d’un dispositif assez complexe qui a subi de nombreuses modifications depuis quelques années. De 1948, date de création du régime étudiant, à 1985, les mutuelles recevaient 90 % de la cotisation acquittée par les étudiants. En 1984, cette cotisation atteignait 260 F, dont 90 % allaient donc à la gestion administrative. Aujourd’hui, elle est légèrement supérieure à 1 000 F, et si l’ancien système prévalait, les mutuelles percevraient donc un peu plus de 900 F par étudiant.

Ce système a été abandonné en 1984, car il était considéré comme trop dépendant de l’évolution du montant de la cotisation étudiante, que l’on peut faire évoluer pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les frais de gestion réels des mutuelles. Dès lors que les effectifs étudiants ont commencé à croître de façon assez importante, dans les années 80, un tel système devenait trop inflationniste.

En conséquence, en 1985, un arrêté a modifié le système pour indexer l’augmentation annuelle des remises de gestion sur la progression des dépenses de gestion administrative des caisses d’assurance maladie.

Dans la période qui a suivi, les effectifs des différentes mutuelles étudiantes ont évolué de façon assez différente. Grosso modo, il existe deux grands groupes de mutuelles étudiantes ; d’une part, la MNEF, seule mutuelle nationale, d’autre part, les mutuelles régionales. De 1989 à 1992, les effectifs de la MNEF ont crû de 31 %, ceux des mutuelles régionales de 60 %. Or, le montant des remises de gestion, calculé globalement, augmentait de façon indifférenciée par rapport au nombre d’étudiants. L’évolution aboutissait ainsi à un fort écart, pour le montant des remises de gestion rapporté, entre la MNEF et les mutuelles régionales. Ainsi, en 1992, la MNEF percevait 334 F par étudiant et les mutuelles régionales 216 F. Ces dernières jugeaient cette situation inéquitable. Leurs revendications ont abouti à la modification du système de 1985 et à l’adoption d’un arrêté du 31 mars 1992, qui régit actuellement le système de remises de gestion.

Ce système est relativement complexe. Il repose sur des principes généraux qui doivent être mis en œuvre dans des conventions entre la CNAM et les mutuelles. L’arrêté ne fait que fixer les modalités générales, le montant des remises de gestion étant arrêté dans une convention qui lie, pour une période pluriannuelle, la CNAM et l’ensemble des mutuelles étudiantes. A ce jour, il y a eu deux conventions ; l’une pour les années 1993 à 1995 ; l’autre pour les années 1996 à 1998. Nous sommes donc actuellement en " vacance de convention ". L’arrêté de 1992 étant toujours en vigueur, il reste à fixer, dans le cadre de ce dernier, le montant des remises de gestion pour les années 1999 et ultérieures.

L’arrêté de 1992 fixe un mode de calcul du montant des remises de gestion fondé sur trois paramètres.

Le premier est l’évolution des dépenses de fonctionnement des CPAM dans la limite d’un plafond constitué par le coût moyen de gestion des cinquante caisses primaires d’assurance maladie les plus performantes, le principe étant que l’assurance maladie délègue à un tiers une tâche qu’elle pourrait réaliser elle-même. L’idée est donc de lier l’évolution des dépenses constituées par les remises de gestion à l’évolution des dépenses de fonctionnement de l’assurance maladie elle-même.

Deuxième paramètre, les charges de travail accomplies par les mutuelles pour la gestion du régime obligatoire par rapport à l’ensemble des activités d’une CPAM. Ce critère, très difficile à cerner, consiste à essayer de mesurer par rapport aux activités d’une caisse primaire d’assurance maladie quelles sont les activités d’une mutuelle. En effet, même s’il y a une délégation de gestion à une mutuelle, celle-ci n’accomplit pas, en réalité, toutes les tâches d’une CPAM. Lorsqu’on rapporte les coûts de gestion de la caisse primaire aux coûts de gestion d’une mutuelle, on entreprend le travail un peu difficile de dire ce qui doit être pris en compte dans l’activité d’une caisse primaire que l’on va retrouver dans la mutuelle. Il y a beaucoup de missions d’une caisse primaire, par exemple en matière d’action sociale, de politique de gestion du risque, de relations avec les professionnels de santé, qui n’incombent pas à une mutuelle étudiante. Il est donc difficile de comparer stricto sensu les coûts de gestion d’une caisse primaire avec une mutuelle étudiante. A contrario, les mutuelles étudiantes vous diront qu’elles doivent faire face à des spécificités de gestion et, notamment, une rotation des fichiers plus rapide que dans une caisse primaire puisque les étudiants ne le sont, par définition, que pour une durée limitée.

Enfin, le troisième paramètre fixé en 1992 est le coût d’évolution des effectifs de chaque mutuelle étudiante pondéré par l’effort de productivité.

Il existe donc des paramètres généraux et les parties signataires des conventions, c’est-à-dire la caisse nationale d’assurance maladie et les mutuelles étudiantes, devraient s’inspirer de ces principes pour fixer le niveau des remises. Il y a, en fait, une certaine difficulté d’entente entre les mutuelles et la CNAM pour fixer le niveau de ces remises sur la base de ces principes. La CNAM, en 1993, a diligenté un audit pour essayer de distinguer le niveau d’activité entre une caisse primaire d’assurance maladie et une mutuelle étudiante, en tentant d’établir des ratios indiquant que les mutuelles avaient un coût moindre parce qu’en fait, elles ne remplissaient pas toutes les tâches d’une caisse primaire. Cet audit a été violemment contesté par l’ensemble des mutuelles étudiantes au cours de l’année 1993 et n’a donc, en réalité, que peu servi à la négociation.

La loi de 1994, dans le contexte de cette négociation, est intervenue avec le constat de niveaux de remise de gestion très différents entre la MNEF – 334 F – et les mutuelles régionales – 216 F. Partant de ce constat, le législateur de 1994 a décidé que les remises seraient d’un montant unitaire par étudiant. A l’origine, il s’agissait d’un amendement sénatorial, reprenant largement le souhait des mutuelles régionales d’arriver au niveau de remise de gestion de la MNEF, et de voir cette demande satisfaite dans un cadre législatif et non pas simplement conventionnel. Elles considéraient naturellement que l’adéquation entre le niveau élevé et le niveau bas devait se faire sur le niveau le plus élevé possible.

Après le vote de la loi de 1994, un accord est intervenu entre la CNAM et les mutuelles étudiantes qui, sans aligner tout à fait le niveau unitaire des remises de gestion sur le niveau le plus élevé – la MNEF a en effet consenti un léger effort de réduction de ses remises – a conduit cependant à le rapprocher du niveau le plus élevé, celui de la MNEF. D’où le constat que fait fort logiquement la Cour des comptes, puisque l’alignement s’est fait plutôt par le haut, d’un accroissement depuis 1994 du niveau du montant des remises de gestion.

Telle est, grossièrement retracée, la situation, caractérisée par un alignement vers le haut des remises de gestion, et une difficulté réelle à déterminer le bon niveau des remises de gestion. Comme l’a constaté la Cour des comptes dans son rapport de 1998, les négociations n’ont pas tenu compte d’une appréciation réelle du coût de l’activité développée par les mutuelles pour la gestion du régime de base. Comme le disait M. Raoul Briet, il y a là quelque chose de très difficile à appréhender compte tenu de l’absence d’une comptabilité clairement séparée.

Il est important de savoir que, dans les deux conventions successives, celle de 1993 à 1995 puis celle de 1996 à 1998, les mutuelles étudiantes s’engageaient à mettre en place une comptabilité analytique qui devait permettre d’identifier le coût de la gestion du régime de base. Cette obligation figurant à l’article 7 de la convention de 1993 et également de celle signée en 1997 pour les années 1996 à 1998, n’a pas été satisfaite. Les mutuelles étudiantes n’ont pas mis en place cette comptabilité analytique et n’ont donc pas respecté l’engagement de transparence demandé par les conventions.

Je rappelle par ailleurs que le principe même de la remise forfaitaire, outre la question de savoir si l’on est bien au niveau moyen de remise de gestion, crée la possibilité pour les mutuelles les plus performantes en termes de gestion de faire des économies et de se situer, grâce à leur efficacité, en dessous du coût moyen et de dégager ainsi des excédents, dont rien n’interdit, sur le plan légal, qu’ils servent à développer d’autres activités complémentaires. Telle est, aujourd’hui, en droit, la situation.

M. Raoul BRIET : M. Philippe Georges va vous dire un mot sur le partage des responsabilités concernant le contrôle des mutuelles.

M. Philippe GEORGES : Une loi du 31 décembre 1989, dite " loi Evin ", organise le contrôle pour tous les opérateurs en matière d’assurance de personnes habilités à opérer en France, compagnies d’assurances, mutuelles et institutions de prévoyance, qui sont des organismes à gestion paritaire.

Le contrôle a été confié à des autorités administratives indépendantes, la commission de contrôle des assurances et la commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance, qui relèvent plutôt de la mouvance du ministère des affaires sociales.

Cette commission de contrôle a une compétence relativement restreinte à l’égard des mutuelles qui avaient, en 1990, un chiffre d’affaires supérieur à 150 millions de francs ou à celles qui, gérant un risque long - invalidité, retrait par capitalisation, par exemple - sont amenées à constituer une caisse autonome mutuelle qui n’est pas dotée de la personnalité morale, mais qui est un mécanisme de cantonnement comptable des sommes affectées à la gestion du risque de long terme.

Pour les autres mutuelles, le contrôle est opéré par le préfet de région, qui recevant ainsi le statut d’autorité indépendante, bénéficie des mêmes pouvoirs d’investigation que la commission de contrôle, mais ne dispose pas de ses pouvoirs de sanction. Par conséquent, si le contrôle d’une mutuelle par le préfet de région aboutit à mettre en cause la responsabilité de ses dirigeants, le dossier doit être transmis à la commission de contrôle qui a, seule, pouvoir de sanction. De même, cette commission de contrôle a un pouvoir d’évocation, rarement utilisé à ce jour, des dossiers qui peuvent être examinés au plan local.

Ces autorités administratives, comme l’indique leur nom, sont totalement indépendantes. Le Gouvernement et l’administration n’exercent aucun pouvoir hiérarchique, même sur le préfet de région lorsque celui-ci exerce ses fonctions de contrôle. A la commission de contrôle, le Gouvernement est représenté par un commissaire du gouvernement, le directeur de la sécurité sociale. Celui-ci, sans être membre de la commission, est en mesure de faire des observations.

On peut dire que l’activité de cette commission est dense. Elle se réunit à peu près une fois par mois. Elle confie la réalisation des contrôles à l’inspection générale des affaires sociales qui a, pour ce faire, étoffé ses effectifs et fait suivre à un certain nombre de ses membres des formations spécialisées en actuariat.

Le contenu du contrôle est lui-même encadré, puisqu’il porte sur toute activité contraire aux dispositions législatives et réglementaires du Code et sur la situation financière des mutuelles. S’agissant d’opérateurs intervenant sur un marché, et donc soumis à la concurrence, ceux-ci ne doivent pas voir leurs activités entravées par une tutelle qui serait considérée comme trop étroite de la part de l’Etat. Or, le Code de la mutualité étant un document relativement court, il comporte peu de dispositions sur lesquelles la commission de contrôle peut intervenir. Comme le disait M. Raoul Briet, l’objet même des mutuelles, très large – le développement culturel de ses membres – peut conduire à des interprétations très variées. Cet élément tend à circonscrire le contrôle de ces autorités administratives. Voilà comment l’on peut caractériser rapidement le paysage juridique.

M. le Président : Je rappelle que nous recevrons également Madame la ministre de l’Emploi et de la solidarité, mais j’aimerais savoir si ce ministère exerce un véritable suivi du régime étudiant ?

Deuxièmement, le faible taux de mutualisation des étudiants - 19 %, me semble-t-il - signifie-t-il selon vous que le système actuel est adapté, ou non, aux besoins et aux moyens des étudiants ?

Troisièmement, serait-il souhaitable d’obliger les mutuelles, en particulier les mutuelles étudiantes, à cloisonner leurs différentes activités pour distinguer ce qui relève de l’assurance obligatoire, des assurances complémentaires, des activités sanitaires et sociales diverses ? Comment les mutuelles peuvent-elles rendre leurs comptes plus transparents ?

M. Raoul BRIET : En ce qui concerne le suivi du régime étudiant tel qu’il est assuré par le ministère, nous n’avons pas à proprement parler de dispositif qui permette régulièrement et systématiquement de contrôler le régime étudiant ou simplement d’être tenu informé. Nous intervenons en tant qu’administration centrale sur la détermination des paramètres principaux de définition de ce régime : qui a droit à en bénéficier ? quelles en sont les règles d’affiliation ? quelles sont les sections locales mutualistes habilitées à gérer le régime étudiant ? quel est le niveau des cotisations fixé pour les étudiants ?

Nous intervenons, dans les conditions indiquées par M. Dominique Libault, en tenant compte des relations conventionnelles qui régissent les rapports entre la CNAM et les mutuelles étudiantes, sur le processus de détermination des remises de gestion. Il n’existe donc pas à proprement parler de suivi continu, régulier et systématique du régime étudiant. Les interventions portent sur quelques-uns des paramètres juridiques et financiers déterminants pour son équilibre et sa gestion.

Le reste, ensuite, obéit à une logique de contrôle qui porte non pas sur le régime étudiant stricto sensu, mais sur l’activité et la situation financière des mutuelles qui se trouvent être gestionnaires du régime étudiant mais qui ont aussi d’autres activités. Tout cela renvoie également à ce que vient de dire M. Philippe Georges sur le partage des responsabilités entre la commission de contrôle et les préfets de région. L’on pourrait s’interroger aujourd’hui sur la pertinence des partages de compétences qui se sont opérés à l’origine en fonction d’un niveau d’activité ou d’un chiffre d’affaires qui n’a pas été régulièrement actualisé.

On peut également – je pense que le chef de l’inspection générale des affaires sociales que vous rencontrerez tout à l’heure pourra en parler plus éloquemment que moi – s’interroger sur les capacités humaines et techniques mobilisables auprès des préfets de région dans les directions régionales des affaires sociales, pour mener à bien et de manière professionnelle le contrôle d’organismes mutualistes dont il faut savoir qu’ils sont très nombreux et souvent de très petite taille.

En ce qui concerne le faible taux de mutualisation, on peut avoir un double diagnostic. On peut considérer que l’accès à une couverture complémentaire, compte tenu de leur situation financière est trop onéreux pour un grand nombre d’étudiants. La mise en place de la couverture maladie universelle permettra sans doute d’apporter une forme de réponse à ces situations difficiles. Il se peut aussi qu’il s’agisse d’un comportement lié à l’âge, justifié par le constat que, statistiquement, les étudiants sont beaucoup moins consommateurs de soins que ne l’est la population moyenne. Ils peuvent donc trouver que le jeu n’en vaut pas la chandelle.

Il s’agit cependant d’un comportement d’imprévision. Les études récentes démontrent assez crûment que l’insuffisance de prise en charge sanitaire ou de couverture sociale peut entraîner de sérieux problèmes de santé, qui ne sont pas sans rapport avec le coût que représente la couverture complémentaire.

Quant au cloisonnement des différentes activités et au souci d’avoir des comptes plus transparents, je pense que ce sujet peut assez difficilement être dissocié de la question beaucoup plus large des modalités de transposition des directives pour les organismes mutualistes dans leur ensemble. En effet, certains points que vous venez d’évoquer ont des répercussions sur le fonctionnement de l’ensemble des organismes mutualistes et pas simplement sur le fonctionnement de ceux qui se trouvent gérer le régime étudiant en même temps qu’ils gèrent d’autres risques.

L’expérience a montré aussi, dans un passé récent, que le mode conventionnel retenu pour inciter les organismes mutualistes à la tenue d’une comptabilité analytique sincère, avait démontré son inefficacité, puisque les principes posés deux fois de suite dans des documents de caractère conventionnel n’ont pas été mis en œuvre. Cette absence de comptabilité analytique se perpétue. Nous pouvons donc raisonnablement nous dire qu’il existe sûrement un mode plus impératif, éventuellement réglementaire, visant à imposer aux mutuelles cette exigence de transparence comptable. Nous y réfléchissons activement au ministère.

Encore faut-il ne pas surestimer ce que peut apporter, à elle seule, la tenue d’une comptabilité analytique. L’imbrication des activités au sein d’une mutuelle fait qu’une telle comptabilité n’est pas en elle-même suffisante. Encore faut-il être capable de s’assurer que les clefs de répartition des charges communes sont sincères. Cela appelle des appréciations qui ne vont pas toujours de soi. Par exemple, faut-il considérer que les dépenses de communication engagées par les mutuelles n’intéressent en rien la gestion du régime obligatoire des étudiants, en estimant qu’il n’est pas légitime que des dépenses de communication soient exposées pour faire face à la gestion du service public de la sécurité sociale des étudiants. Considère-t-on, au contraire, que ces mutuelles se trouvant en situation de compétition et de concurrence, une fraction de ces dépenses de communication – encore faut-il préciser laquelle – peut valablement être considérée comme relevant des charges d’une mutuelle gérant le régime étudiant ?

Des évolutions sont très probablement à envisager, y compris sur le plan juridique, pour imposer un certain nombre de principes et de normes en vue de mettre en place la comptabilité analytique. Toutefois, si elle permet de progresser dans la transparence, elle ne réduira pas totalement les difficultés que j’ai citées.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais aborder des points plus précis.

Tout d’abord, en dehors du régime de sécurité sociale étudiant, existe-t-il d’autres régimes spéciaux utilisant un système analogue de remises de gestion ? Si tel est le cas, ces régimes peuvent-ils aussi dégager des marges importantes ? En d’autres termes, la politique de filialisation conduite par un certain nombre de mutuelles du système de sécurité sociale des étudiants s’est-elle reproduite dans d’autres secteurs où existe un système de remises de gestion ? On voit bien qu’au-delà des instructions judiciaires en cours, c’est ce système qui, finalement, favorise certaines dérives qui nous vaut d’être réunis aujourd’hui.

Concernant le rôle des pouvoirs publics et celui du ministère de tutelle que vous représentez, vous avez parlé de l’échec relatif du mode conventionnel. Mais je me demande si les contrôles internes peuvent réellement être exercés, si l’on considère les problèmes de rémunération des administrateurs mis en évidence par la Cour des comptes ou les modes de fonctionnement d’organismes issus de la mutualité étudiante, dont on s’aperçoit à la simple évocation des responsabilités que chacun peut y prendre qu’ils aboutissent à un mélange des genres, les mêmes personnes participant aux différents échelons. Je m’interroge aussi sur le rôle des pouvoirs publics et du ministère de tutelle en la matière ? Si des risques de dérives et des anomalies ont été portés à leur connaissance, quelle a été leur réponse ?

M. Raoul BRIET : A propos des autres dispositifs de délégation de la gestion de la sécurité sociale et des organismes rémunérés par remises de gestion, deux exemples me viennent à l’esprit ; d’une part, les organismes conventionnels qui gèrent l’assurance maladie pour les travailleurs non salariés du monde agricole, organismes soit mutualistes soit régis par le Code des assurances, qui gèrent l’assurance maladie pour le compte de la CNAM et des caisses mutuelles régionales ; d’autre part, les mutuelles de fonctionnaires qui gèrent pour le compte du régime général l’assurance maladie des fonctionnaires.

Sur les points communs en termes de remises de gestion ou de modalités de fixation de la rémunération du service rendu, peut-être M. Libault pourrait-il faire un parallèle entre ces deux cas et le dispositif étudiant ?

M. Dominique LIBAULT : Effectivement, le même type de phénomène apparaît chaque fois que la gestion des tâches du régime de base est déléguée à un tiers. C’est le cas des mutuelles de fonctionnaires et les organismes conventionnés, qu’il s’agisse de mutuelles ou d’assurances dans le cas du régime des non salariés non agricoles.

Pour les mutuelles de fonctionnaires, un arrêté fixe les règles par rapport aux coûts des cinquante meilleures caisses primaires d’assurance maladie. Nous ne sommes donc pas très éloignés du texte de l’arrêté de 1992, avec, dans ce cas aussi, un abattement pour tenir compte de la différence d’activité entre une mutuelle de fonctionnaires et les caisses primaires d’assurance maladie. Cet abattement, sauf erreur de ma part, est de 16,5 %. Il a été fixé au début de la décennie 1990. Comme pour le régime étudiant, cet abattement n’a rien de scientifique. Nous manquons de données rigoureuses pour connaître exactement la différence de coûts entre le fonctionnement d’une mutuelle de fonctionnaires et celui d’une caisse primaire d’assurance maladie. Mais il existe bien un système de remises forfaitisé et l’on peut imaginer que des mutuelles de fonctionnaires mieux gérées que d’autres puissent effectivement en tirer bénéfice.

De même, les organismes conventionnés ont aussi des systèmes forfaitaires. L’évolution des remises a été plus rigoureuse au cours des années précédentes et cela n’a d’ailleurs pas été sans engendrer quelques contestations d’organismes gestionnaires qui viennent demander une augmentation plus élevée. Cette forfaitisation peut aussi permettre aux organismes les mieux gérés d’enregistrer des " excédents " sur la gestion du régime de base. Cependant, il est très difficile, quand on étudie leurs coûts réels, leurs documents comptables, d’appréhender la répartition entre les parts respectives du régime de base et du régime complémentaire.

Nous rencontrons donc la même difficulté de principe chaque fois qu’il y a une délégation de service public à des organismes qui gèrent à la fois le régime de base et le régime complémentaire. Il faut bien voir que, physiquement, c’est la même personne qui va saisir le décompte et qui, dans la même activité de saisie, va traiter à la fois la base et le complémentaire. Définir ensuite la part de temps attribuée à l’une ou à l’autre des activités dépend nécessairement de clés de répartition forfaitaires, qui peuvent être discutées.

En ce qui concerne la tutelle et l’intervention de la Cour des comptes, c’est peut-être difficile à percevoir de l’extérieur, mais le travail de la Cour des comptes est fondé en partie sur le travail de la tutelle. Pour établir son rapport, la Cour des comptes s’est servi des rapports départementaux des CODEC, utilisant en fait le travail des services déconcentrés de la tutelle, le ministère de la solidarité avec des inspecteurs du Trésor. Lorsque l’on veut faire un contrôle particulier de tel ou tel point concernant les organismes de sécurité sociale, en accord avec la Cour, nous le mettons au programme des Comités départementaux d’examen des comptes (CODEC). Nos services déconcentrés travaillent sur le sujet, transmettent leur résultat à la Cour qui l’exploite dans son rapport. C’est ce qui s’est passé sur la mutualité étudiante. C’est donc le travail des organismes de tutelle qui met en lumière des éléments dont se servira la Cour dans son rapport.

M. Maxime GREMETZ : Cela veut dire que la tutelle n’intervient jamais ?

M. Dominique LIBAULT : Dans ce cas, elle est intervenue, mais en amont du rapport de la Cour. Une partie du travail des services déconcentrés en région a été exploité par la Cour des comptes.

M. Maxime GREMETZ : La question qui était posée par le rapporteur était de savoir si l’on observe les mêmes dérives chaque fois que l’on a le même système. Il faudrait répondre clairement.

Vous dites que des conventions ont été passées de 1993 à 1995, puis de 1996 à 1998, et vous avez pu observer que ces conventions n’ont pas été respectées.

M. Dominique LIBAULT : Sur le plan de la mise en ordre de la comptabilité analytique …

M. Maxime GREMETZ : Ne noyons pas les choses. Soyons clairs, cette obligation n’a pas été respectée. Mais qui doit faire respecter ces conventions ? Qu’est-ce qui a été mis en place pour faire respecter ces conventions ?

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Ma première question rejoint celle de M. Gremetz. Qu’est-ce qui a été engagé pour mettre en œuvre cette comptabilité analytique dont les mutuelles ont besoin ?

Ma deuxième question sera peut-être naïve mais nous découvrons ce dossier, même si nous avons commencé à prendre connaissance de l’importante documentation qui nous a été donnée. Vous parliez des marges de manœuvre qui peuvent être dégagées par les mutuelles du fait de la mise en place de ce système de forfait. Avez-vous une appréciation sur le pourcentage de ces marges de manœuvre et sur le montant qu’elles représentent ? Pourrait-on faire, par exemple, une comparaison avec une mutuelle des fonctionnaires que je connais bien car elle prenait en charge mes frais médicaux, la MGEN ?

M. Raoul BRIET : Les conventions sont conclues entre la caisse nationale d’assurance maladie et les mutuelles étudiantes. Lorsque l’on est en situation, comme cette fois-ci, de constater que le principe et les exigences d’une comptabilité analytique n’ont pas été respectés par la partie contractante, il faut passer à un autre mode que la voie conventionnelle. Il faut passer à l’édiction par voie de décret d’une règle d’ordre public qui s’impose aux mutuelles, et qui ne soit pas à négocier. Certes, l’histoire de la gestion du régime étudiant fait beaucoup de place à la discussion, à la négociation, au contrat, et n’en fait pas beaucoup à l’édiction de normes publiques.

Il en va de même du Code de la mutualité. Cela renvoie à une autre des interrogations de Monsieur le rapporteur. Pour pouvoir sanctionner, il faut qu’il y ait un interdit. Pour cela, il faut qu’existe une règle d’ordre public, qui soit sans ambiguïté et qui puisse être assortie de sanctions adaptées. A mon sens, une des principales difficultés auxquelles on se heurte sur ce sujet et, plus généralement, sur celui du Code de la mutualité, c’est le caractère à la fois laconique et anachronique de certaines dispositions. L’insuffisante fermeté de certains principes ou de règles, d’une certaine manière, paralyse les dispositifs de contrôle quels qu’il soient : préfets de région ou commission de contrôle.

Pour reprendre l’exemple que vous citiez, celui de la rémunération des administrateurs, le principe général inscrit dans le Code de la mutualité est celui du bénévolat. Des pratiques permettent de rembourser certaines charges ou dépenses exposées à l’occasion de fonctions de bénévoles. Il existe une tentation, que l’on peut comprendre, de forfaitiser ces indemnités représentatives de frais. Sur une base juridique bien fragile, puisqu’il s’agit d’une lettre ministérielle de 1987 qui n’a d’autorité que celle qui s’attache à la lettre d’un de mes prédécesseurs, nous avons considéré que l’on pouvait tolérer une rémunération allant jusqu’à la moitié d’un SMIC mensuel ou annuel, selon la référence que l’on utilise, car cela ne paraissait pas incompatible avec le principe du bénévolat. Mais c’est une création de l’administration, qui n’est en rien fondée sur une base juridique solide et qui ne peut donc pas, en cas de non-respect, être assortie d’une sanction ferme.

Notre difficulté, le président de la Commission de contrôle y reviendra certainement tout à l’heure, est de trouver les points d’appui qui permettraient un contrôle et une sanction efficaces. Un point d’appui, c’est une règle de droit claire, stricte, imposant ou interdisant explicitement un certain nombre de pratiques ou de principes. La fragilité du corpus juridique de base rend le dispositif de contrôle peu opérant.

M. Maxime GREMETZ : Je ne comprends pas bien ; la convention de 1993 à 1995 n’a pas été appliquée, on en refait une, portant sur la période 1996-1998, qui n’est toujours pas appliquée. Mais enfin, quand on signe une convention, on fait respecter les bases sur lesquelles on s’est mis d’accord, sinon cela ne sert à rien de signer une convention ! Or, qui les fait respecter ? Qui doit les faire respecter ?

M. Raoul BRIET : Les parties ont accepté de signer à nouveau, de se donner une deuxième chance, la première ayant échoué.

M. Maxime GREMETZ : Mais la deuxième n’est pas plus appliquée !

M. Raoul BRIET : En effet. Pour ma part, je considère qu’il faut maintenant passer à un autre mode. Mais cela est laissé à l’appréciation des parties, qui sont souveraines parce qu’il n’existe aujourd’hui aucune règle d’ordre public à caractère législatif ou réglementaire, qui impose la tenue de cette comptabilité analytique aux mutuelles. Cela ne peut donc venir que d’un consentement lié à la convention.

En résumé, première convention non mise en œuvre ; deuxième convention, deuxième chance donnée. Je pense qu’il serait raisonnable de considérer qu’il n’y a pas de troisième chance et qu’il convient de passer à un autre mode.

M. Dominique LIBAULT : Il faut savoir que le non-respect de la première convention a entraîné de fortes difficultés pour établir la deuxième convention. Celle-ci ne nous a été transmise qu’en novembre 1997 pour agrément, alors qu’elle intéressait les années 1996 à 1998. Pendant ce temps-là, la CNAM a continué à verser des acomptes en 1996 sur la base du précédent accord. Nous sommes donc dans le cas où le mode conventionnel n’a pas fonctionné et où, fin 1997, il fallait régulariser et trouver un mode pour les années 1996 à 1998. Il est clair aujourd’hui qu’il n’est plus possible de continuer dans cette même voie.

On pourrait imaginer le retrait d’habilitation d’une mutuelle étudiante qui n’aurait pas satisfait à un certain nombre d’obligations mais ce n’est actuellement pas autorisé par les textes. Le Code de la mutualité ne permet pas expressément cette possibilité.

M. Maxime GREMETZ : Cette convention était bien passée avec la MNEF ?

M. Dominique LIBAULT : C’était une convention globale, signée entre la CNAM et l’ensemble des mutuelles.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Et pour 1999, on envisageait de revoir cela ?

M. Raoul BRIET : Madame la ministre pourra développer plus longuement le sujet, mais une mission conjointe réunissant l’inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale des finances a été diligentée pour apprécier précisément, au plus juste, au plus près, à partir des dépenses effectivement considérées comme relevant légitimement de la gestion du régime obligatoire, ce que devrait être le bon niveau des remises de gestion, de manière à ce que l’on dispose d’un travail d’inspection incontestable, ayant été soumis à contradiction, qui permette de fixer un niveau de remise de gestion plus réaliste. Ce travail des deux inspections générales est sur le point de s’achever. Les pouvoirs publics se sont donc mis en situation de disposer dans les semaines qui viennent d’une expertise indiscutable, sur laquelle ils pourront, d’une part, peser dans la négociation qui doit s’ouvrir entre la CNAM et les mutuelles et, le cas échéant, s’appuyer pour fixer d’autorité - parce que la puissance publique dispose de ce pouvoir - le régime des remises de gestion au niveau le plus satisfaisant, le plus réaliste. Si les négociations entre la caisse nationale d’assurance maladie et les mutuelles ne débouchent pas ou débouchent sur des solutions non satisfaisantes, l’Etat assumera ses responsabilités, en s’appuyant sur ce rapport.

M. Joël GOYHENEIX : Le manque de comptabilité analytique, d’évidence, crée une certaine opacité dans les comptes des mutuelles et peut expliquer les dérives auxquelles on a assisté. A votre sens, ces dérives sont-elles spécifiques des mutuelles étudiantes ou d’autres mutuelles peuvent-elles, éventuellement, avoir eu recours aux mêmes procédés et, donc, peut-être aux mêmes dérives ?

M. Raoul BRIET : Je n’ai pas d’éléments qui permettent de penser que les dérives que chacun connaît, ou suppose, sont à caractère général. Pour appuyer une telle affirmation, il faudrait avoir au moins des éléments d’analyse solides, dont je ne dispose pas à ce stade.

M. Joël GOYHENEIX : Pour formuler ma question différemment, existe-t-il une comptabilité analytique dans les autres mutuelles ? Le système que l’on est en train de dénoncer actuellement est-il propre aux mutuelles étudiantes ?

M. le Président : Pour compléter, avez-vous une possibilité de contrôle de la trésorerie des mutuelles car, théoriquement, les mutuelles ne font pas de bénéfices ?

M. Raoul BRIET : Les comptes des mutuelles sont connus, ils sont communiqués. Le fait qu’elles n’aient pas un objectif lucratif ne signifie pas qu’elles ne puissent pas dégager d’excédents de gestion. La question est de savoir ensuite quelle est l’utilisation des excédents de gestion et si celle-ci est conforme ou non à l’objet social de la mutuelle. Le problème se circonscrit à ce sujet.

M. le Rapporteur : M. Baeumler vous a demandé si vos services avaient une appréciation des marges qui pouvaient être dégagées sur les remises de gestion, par la MNEF ou d’autres mutuelles. Je reprends sa question.

Par ailleurs, je souhaiterais que vous puissiez communiquer à la commission l’audit réalisé par la CNAM en 1993, dont vous avez probablement été destinataires, ainsi que le texte des deux conventions précitées que vous avez eu à approuver.

M. Dominique LIBAULT : En ce qui concerne les marges, le ministère a le souci d’apprécier au mieux la réalité du coût de la gestion, et peu de sujets ont donné lieu à plus d’enquêtes dans les années récentes que les mutuelles étudiantes.

En 1994, le ministère a diligenté une première enquête IGAS sur ce sujet, notamment après le vote de la loi de 1994 qui, il faut être clair, a plutôt pris à revers le ministère, puisque le Parlement a fixé un montant forfaitaire qui a été interprété par les mutuelles régionales comme une obligation pour l’administration de fixer un montant proche de celui de la MNEF. Le ministère a donc diligenté cette enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui, il faut bien le dire, n’a pas permis d’établir clairement s’il y avait ou non des marges de manœuvre.

Ce rapport disait plutôt que le système, après investigation, ne semblait pas déboucher sur des situations aberrantes et ne concluait pas à la nécessité d’un contrôle plus poussé. Le ministère, pas totalement satisfait de ce rapport, a, premièrement, mis à l’ordre du jour des travaux des CODEC la question de la mutuelle étudiante. Leurs conclusions ont donné lieu, dans un deuxième temps, au rapport de la Cour des comptes. Troisièmement, le ministère a diligenté le rapport conjoint Inspection générale des affaires sociales-Inspection générale des finances (IGAS-IGF).

La Cour des comptes constate qu‘il n’existe pas de bases très claires, mais elle ne donne pas précisément le montant des marges. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé l’enquête conjointe IGAS-IGF. Elle nous apportera certainement quelques éléments montrant qu’il existe bien une petite marge. D’après des indications provisoires des rapporteurs, elle serait de l’ordre de 15 %. Ces montants seraient donc un peu élevés par rapport à ce que coûte réellement le service rendu par les mutuelles étudiantes, sachant que ce point sera certainement débattu et contesté par les organismes mutualistes.

M. le Président : Messieurs, il me reste à vous remercier de ces éléments d’information. Si vous avez des précisions à apporter à la commission, vous avez la possibilité de nous les adresser par écrit. Si vous disposez également de documents que vous estimez utiles pour éclairer les travaux de notre commission, j’insiste pour que vous nous les transmettiez puisque notre travail se fait sur pièces écrites et sur auditions. J’apporterai un soin particulier à les adresser à chacun des membres de la commission.

Audition de M Jean FOURRÉ,
Président de la Commission de contrôle des mutuelles
et des institutions de prévoyance

(procès-verbal de la séance du 31 mars 1999)

Présidence de M.  Alain TOURRET, Président

M. Fourré est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Fourré prête serment.

M. le Président : M. Jean Fourré préside la Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance. Cette Commission est une autorité administrative indépendante, composée de membres du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. Le Gouvernement s’y fait entendre par la voix d’un commissaire du gouvernement, en principe le directeur de la sécurité sociale. Cette institution ne date que du 31 décembre 1989.

Elle est chargée du contrôle des mutuelles et est régi par le Code de la mutualité et des institutions de prévoyance complémentaire. Elle s’assure du respect de leurs engagements financiers et examine leurs comptes. En cas de difficultés de gestion, la Commission dispose de larges pouvoirs de surveillance, voire de sanction, et peut nommer un administrateur provisoire. Elle ne dispose pas de services propres ; c’est l’Inspection générale des affaires sociales qui assure ce rôle et peut conduire contrôles et investigations à sa demande. C’est la raison pour laquelle, Monsieur le président, après vous avoir entendu, nous entendrons aujourd’hui le chef de l’IGAS.

M. Jean FOURRÉ : En ce qui concerne la compétence de cette Commission et dans l’éclairage des mutuelles estudiantines, puisque c’est votre sujet, Monsieur le président, je soulignerai un premier point. La Commission n’est compétente que pour des mutuelles au-dessus d’une certaine taille ainsi que pour les mutuelles qui ont des caisses autonomes. Je laisse de côté les institutions de prévoyance. En les joignant, cela ferait à peu près 350 institutions. Pour leur part, les préfets de région et, par délégation, les directeurs régionaux des affaires sanitaires et sociales s’intéressent à environ 5 800 mutuelles. Leur domaine est donc immense. Il est relativement restreint pour la Commission.

Il n’existe pas de relations hiérarchiques entre le niveau national et le niveau régional. Toutefois, naturellement, comme le Code réserve les sanctions disciplinaires et les caisses autonomes au contrôle de la Commission de contrôle des mutuelles, les directions régionales nous saisissent de leurs dossiers si elles estiment nécessaire, en application du Code, de prendre une sanction.

A l’inverse, lorsqu’au cours du contrôle sur place d’une mutuelle qui est sous notre contrôle, apparaissent des liens considérables avec une mutuelle placée sous contrôle régional, nous pouvons très bien le faire savoir à la direction régionale. Le Code nous permet d’évoquer. Il existe, en effet, un article sur l’évocation qui n’est d’ailleurs pas soumis à motivation. Généralement, la loi dispose que la Commission peut évoquer dans tel ou tel cas. Ici, il est simplement dit qu’elle peut évoquer. Nous en déduisons que nous évoquons ad nutum, sans exagérer.

M. Rollet vous dira, Monsieur le président, que nous avons peu de moyens – je réserve ceci pour lui –, donc, nous avons déjà pas mal de travail. Jusqu’à présent, en fonction de la capacité de travail des inspecteurs de l’IGAS, nous sommes à une vingtaine de séances par an. Avec l’équipement informatisé que nous mettons en place actuellement, nous allons procéder au contrôle sur pièces beaucoup plus souvent. A ce moment-là, nous pourrons enfin réaliser ce qui se passe pour les assurances, avec la Commission de contrôle des assurances, que j’ai l’honneur de présider également par choix du Gouvernement, où le contrôle est systématique et continu. Il porte sur tous les comptes, tous les ans, de tous les organismes, mais sur pièces. Dès lors, naturellement, c’est essentiellement un contrôle financier : respect des ratios, respect de la division des risques, respect de l’éligibilité des valeurs d’actifs en représentation des engagements, respect de la marge de sécurité, respect de la marge de solvabilité, affectation des réserves, fonds propres.

Or, outre cette mission, le Code nous donne l’obligation de veiller, non seulement aux ratios prudentiels, mais aussi à l’application exacte des règles du Code dans son entier, en ce qui concerne les institutions et les procédures internes des mutuelles. Autrement dit, par rapport au contrôle des assurances, nous exerçons à la fois un contrôle de la loi applicable aux sociétés et un contrôle prudentiel, parce que les deux sont dans le Code de la mutualité : l’assemblée générale fonctionne-t-elle bien ? Le conseil d’administration exerce-t-il entièrement sa mission ? Les élections se tiennent-elles selon le règlement intérieur ? Le règlement intérieur est-il conforme au règlement type ? Nous avons donc à assurer ces deux aspects du contrôle. Je dois dire que le contrôle de l’exactitude du fonctionnement de l’institution mutualiste exige le contrôle sur place, parce que l’on ne voit pas, dans les comptes annuels, si, par exemple, le principe de gratuité des fonctions est respecté. En revanche, on peut le voir dans la composition d’un conseil d’administration.

A ce propos, il appartient au législateur de s’interroger sur le bien-fondé du principe de gratuité des fonctions, qui était le principe fondamental de la philosophie mutualiste mais qui fut inscrit dans un Code qui date de 1945, à l’époque où la gestion d’une mutuelle n’était pas informatisée, où il n’y avait pas de mutuelles immenses, avec d’innombrables relations, notamment avec les compagnies d’assurances. Cela est-il encore possible aujourd’hui, alors que le métier d’administrateur demande souvent un travail à temps complet ? La question relève de la responsabilité du législateur. Il existe dans le Code la notion " d’indemnités spéciales ". Notre jurisprudence sur ce qui justifie une indemnité spéciale pourra vous sembler généreuse ou insuffisamment généreuse ; c’est une question de jurisprudence.

De même, ne pas rémunérer ceux qui proposent des adhésions, dans un monde de concurrence, est-ce bien encore de mise ? Je ne vous cacherai pas, Monsieur le président, que les mutuelles rémunèrent ceux qui placent les adhésions, par des biais qui ne sont pas des primes au rendement, à la guelte. La Commission de contrôle en a fait la remarque en demandant d’y mettre fin. Mais il y a mille biais : par exemple, je transfère mes représentants à un GIE ; si je contracte avec ce GIE, une partie de la valeur de la prestation de services est, à l’évidence, les rémunérations des salariés du GIE. La Commission fait-elle un reproche ? On met fin au GIE. On en créera un autre ! C’est une infraction qui se prescrit par un an. Elle est prescrite quand nous la constatons. Vous voyez, il y a là un peu de doigté à avoir dans la jurisprudence. Voici comment nous fonctionnons.

Je pourrais évoquer également la question du droit de suite. Mais là encore, quelle était la pensée du législateur ? J’ai essayé de le demander au commissaire du Gouvernement près la Commission, qui a la mémoire des travaux législatifs. C’est assez flou. Le droit de suite est ainsi conçu dans le Code de la mutualité : la Commission peut contrôler un organisme qui n’est pas une mutuelle, donc une société anonyme, un GIE, une association loi de 1901, s’il ressort du contrôle de la mutuelle elle-même qu’en se liant avec un organe extérieur, cette mutuelle a perdu son autonomie ou limité la souveraineté de ses institutions. En outre, le Code exige qu’il en résulte un risque financier. Autrement dit, j’ai l’impression que le droit de suite a été conçu par le législateur de 1945 comme dirigé vers l’amont, à l’encontre des sociétés d’assurances qui créent des mutuelles et qui les réassurent à cent pour cent, mais non vers l’aval, à l’encontre de " filiales ", constituées sous forme de sociétés commerciales, d’une mutuelle. Dès lors, ce droit de suite, nous n’avons jamais pu l’exercer, à la différence du droit d’évocation qui, je le répète, n’a pas à être motivé.

Voilà quelques difficultés. Il y en a bien d’autres. Mais je ne veux pas être trop long.

M. le Président : Vous parliez de la prescription d’un an en matière de rémunérations occultes. Est-ce parce qu’il s’agit de contraventions ?

M. Jean FOURRÉ : Oui.

M. le Président : Pourrait-on proposer la qualification de délit, pour la porter à trois ans ?

M. Jean FOURRÉ : Pas pour toutes les infractions, Monsieur le président. Ne brusquons pas les mœurs !

M. le Président : Je comprends votre prudence.

La Commission de contrôle des mutuelles a commandé à l’IGAS en 1994 un rapport sur la MNEF. Quelle était l’étendue de ce contrôle ? A-t-il porté sur les placements et prises de participation de la MNEF ? Copie de ce rapport peut-elle être communiquée à la commission d’enquête ou à son rapporteur dans le cadre des pouvoirs qui lui sont propres ?

M. Jean FOURRÉ : En 1993, un rapport a été établi pour la Commission à la suite d’un contrôle sur place à l’initiative de la Commission. Il s’agissait de la précédente Commission, mais il est bien évident qu’une Commission suit l’autre et que la Commission est unique. Je ne dirai pas que c’est un corps mystique, mais enfin presque ! Le principe de continuité s’applique et nous succédons à nos prédécesseurs. Il y avait eu un rapport auparavant, en 1987, pour le ministre.

S’agissant de sa communication à votre Commission, je demanderai, si vous le souhaitez, au secrétaire général de vous communiquer ces deux rapports. Pourquoi ? Parce qu’ils sont contradictoires ; sur chaque page figure la colonne des inspecteurs des affaires sociales, puis, la colonne des observations apportées en réponse et, enfin, les observations sur ces réponses. C’est au vu de cela que le président de la Commission signe une lettre par laquelle il dit ce qui a été délibéré.

J’ai toutefois une petite réserve, Monsieur le président, mais elle ne jouera pas en l’espèce. Le secret professionnel est fait, je crois, dans l’esprit du législateur pour protéger les personnes individuellement mises en cause mais aussi les adhérents. Or, si nous faisons savoir que la situation financière d’une institution est dans un état tel qu’il y a lieu d’envisager la mise en place d’un administrateur provisoire ou d’un plan de redressement, c’est la panique et on coule la barque. Le secret professionnel a pour but, je crois, dans l’esprit de la loi, de protéger les adhérents ou les assurés. Pourquoi cela ne jouera-t-il pas en l’espèce ? Parce que si le résultat est favorable ou n’est pas extraordinairement négatif, pourquoi ne pas le dire ? Je puis vous dire qu’en 1987, les fonds propres de la Mutuelle nationale des étudiants de France ont été négatifs de 200 millions de francs. En 1993, ils étaient négatifs de 15 millions. Au 31 décembre 1997, ils étaient conformes au ratio prudentiel.

M. le Président : Qu’est-ce que cela veut dire ?

M. Jean FOURRÉ : Cela veut dire que la MNEF s’est redressée.

M. le Président : Que signifie la conformité au ratio ?

M. Jean FOURRÉ : Cela veut dire que la MNEF a des fonds propres suffisants pour assurer sa marge de sécurité, qu’il n’y a pas de reproches à lui adresser sur ce point.

Dès lors, si vous publiez que les fonds propres sont remontés de moins 200 millions à plus quelques millions, cela ne peut pas nuire aux adhérents. Il n’en demeure pas moins que si l’on était resté à moins 200 millions, il faudrait hésiter à le dire parce que l’on menacerait leurs intérêts. Je ne sais pas ce que l’on ferait dans ce cas-là, Monsieur le président. Si vous le voulez bien, réglons les problèmes quand ils se posent.

M. le Président : En effet. Nous prenons acte que vous nous adresserez ces documents.

Le conseil d’administration de la MNEF a-t-il exercé, d’après vous, toutes ses prérogatives sur toutes les périodes que vous avez contrôlées ?

M. Jean FOURRÉ : Il y a eu un doute à un moment. Je regarde mes notes mais, probablement M. Laurent Gratieux que vous avez convoqué vous le dira-t-il. Il y a eu un doute en juillet 1998. Il résultait du rapport de 1994 et de la recommandation de la Commission que celle-ci, pour la transparence de la constellation autour de la MNEF, avait souhaité des regroupements. En conséquence, avaient été créées deux unions d’économie sociale. Puis, l’on s’est rendu compte que ces groupements introduisaient un étage supplémentaire et que cela devenait un holding à deux sous-têtes et non plus une structure à un seul étage. Ce n’était peut-être pas une bonne préconisation de la Commission. Une commission peut se tromper, Monsieur le président.

Toutefois, nous avons demandé en octobre dernier, premièrement, quels étaient les contrôles sur les deux unions et quelles étaient les délibérations du conseil d’administration sur les participations, notamment à l’Union Saint-Michel. On nous a apporté des documents représentant une pile de près de trente centimètres de hauteur. Ce sont les mêmes experts-comptables. Comment interpréter cela ? Du point de vue d’un conseil d’administration centrale, c’est plutôt une mesure qui l’aide à voir clair.

Deuxièmement, nous avons constaté que le conseil d’administration avait été informé et avait délibéré sur toutes les participations à notre connaissance des deux unions d’économie sociale dans les organismes plus lointains, alors qu’elles n’y sont pas tenues. Logiquement, le conseil d’administration examine ce qu’il met dans les unions d’économie sociale et c’est l’union d’économie sociale qui, par son contrôle, opère plus bas. A la MNEF on a opéré à travers l’étage intermédiaire.

Je ne peux pas vous dire, Monsieur le président, s’il y a d’autres participations dans ces satellites, faute de disposer du droit de contrôle sur une association de la loi de 1901 ou sur une société anonyme.

La presse a parlé de filiales. Toutes celles qui sont connues des directions régionales, celles qui ne se cacheraient pas, toutes les participations de la mutuelle centrale dans ses organes ont fait l’objet de délibérations du conseil d’administration. Les rapports étaient-ils extrêmement fouillés ou succincts ? Les délibérations ont-elles duré longtemps ou était-ce un blanc-seing ? Je n’ai que les procès-verbaux. Je ne peux pas sonder les cœurs et les reins, Monsieur le président, mais cela a été délibéré. Nous l’avons demandé en octobre et les documents ont été apportés aussitôt sur la table de la Commission.

En ce qui concerne le rapport de 1987, le redressement et les moyens du redressement, ressortissent à l’histoire de la MNEF. Celui de 1993 concerne l’information sur les satellites, c’est-à-dire l’information vue de l’intérieur de la MNEF : quelles sont vos participations ? Quelles sont les délibérations qui ont créé ces participations ? Quelles sont les délibérations qui ont approuvé des marchés ? Monsieur le président, la mutualité n’est pas soumise au Code des marchés publics. Un marché entre une mutuelle et une société anonyme n’est pas sous notre contrôle, sauf, encore une fois, par le droit de suite. Si ce marché, par exemple, est conclu pour dix ans, c’est une atteinte à l’autonomie et à la souveraineté de l’assemblée générale de la mutuelle. Une assemblée ne peut pas lier l’assemblée suivante. Mais tel n’a pas été le cas. Du moins, en contrôle sur pièces, cela ne se voit pas. C’est la raison pour laquelle, en novembre, la Commission a ordonné un contrôle sur place pour essayer de voir la réalité des marchés et des prises de participation. Tout a-t-il été délibéré pour les montant réels ? Seul un contrôle sur place permet de le dire, à condition que les documents existent. Mais je dois ajouter qu’un contrôle est un processus itératif : une commission fait des observations, on lui répond, elle demande une pièce, on lui répond. Il doit y avoir une certaine mesure de bonne foi, une certaine conscience de la part des organismes contrôlés que le contrôle n’est pas fait pour les ennuyer mais parce que la loi existe et que la loi est une garantie de leur survie, de leur solidité financière et de leur solidité à l’égard de leurs mandants. Celui qui est persuadé que la loi est bonne – et les mutualistes sont attachés à ce Code – la respecte et coopère avec le contrôle. Sinon, nous ne pourrions pas contrôler. On ne contrôle pas des armoires vides. Il faut bien que, d’une façon ou d’une autre, existe une certaine confiance. C’est ce que nous essayons de construire, avec cette réserve, Monsieur le président, que c’est le plus malade qui est le plus cachottier, comme avec son médecin.

M. le Président : C’est peut-être une aberration sur le plan du droit des sociétés. Mais, dans le droit des sociétés anonymes, existe la notion de comptes consolidés. Cette notion serait-elle susceptible d’apporter plus de transparence au sein de cet écheveau de sociétés et de démembrements de mutuelles sous forme de sociétés anonymes dans le cadre de vos pouvoirs de contrôle ?

M. Jean FOURRÉ : Je le crois, Monsieur le président, mais je craindrais de m’avancer. Le ministère et ses spécialistes sont probablement beaucoup plus compétents que moi pour le dire. En tout cas, la multiplicité des natures des personnes morales en cause est sûrement un obstacle. Prenons l’exemple de la société mutualiste. Elle n’est pas comme la société anonyme contrainte de publier des états annuels et de les déposer au greffe du tribunal de commerce. Il est vrai qu’en 1945, on ignorait l’évolution qui s’est produite jusqu’à nos jours et l’on n’estimait pas que la protection de l’épargne exigeait une information régulière à la charge du collecteur d’épargne. Cela, c’est une philosophie qui inspire la Commission des opérations de bourse, mais non le Code de la mutualité en 1945. Faut-il la faire évoluer sur l’information à laquelle l’adhérent a droit, et le public plus largement, et le candidat adhérent ? A ce moment-là, on passe par la publication des comptes. A ce moment-là, l’obstacle aux comptes consolidés est peut-être levé.

M. le Président : Cela fera certainement partie des propositions que nous aurons à faire.

M. Pierre LASBORDES : On nous a dit tout à l’heure que les deux dernières conventions signées entre les mutuelles et la CNAM prévoyaient la mise en place d’une comptabilité analytique. Il s’est avéré qu’aucune comptabilité analytique n’a été mise en place. Etait-il de votre domaine de compétence de vous assurer que cette convention était suivie ? De quel organisme dépendait cette vérification ?

M. Jean FOURRÉ : Ce n’est pas dans notre compétence parce que ce n’est pas l’application du Code. Mais si, après 1993, nous avions eu les moyens de faire un contrôle sur place, nous l’aurions bien relevé et nous l’aurions dit au ministre ainsi qu’à la Caisse nationale d’assurance maladie. C’est notre devoir. Mais, 1987, 1993, 1998 et 1999, cette mutuelle nous occupe souvent et il y en a d’autres, dont vous avez entendu parler, ne serait-ce que la Mutuelle des élus.

M. le Président : Quelle est la situation financière actuelle des mutuelles régionales ?

M. Jean FOURRÉ : Plusieurs mutuelles régionales sont en cours de contrôle par des directions régionales des affaires sanitaires et sociales – Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Val de Loire – parce que des sièges de mutuelles sont en province et d’autres sont à Paris, mais en dessous du seuil de compétence de la Commission nationale. Je crois également que la Mutuelle universitaire du logement relève des Pays-de-Loire.

Il reste que ce sont des contrôles sur les organismes mutualistes. Se posera là encore pour les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) le problème de l’accès à ce qui n’a pas le statut de mutuelle. Espérons qu’il n’y aura pas trop de conventions de droit non mutualiste avec des sociétés commerciales.

J’ajoute, Monsieur le président, que la diversification de l’action de la Mutuelle nationale des étudiants de France a été encouragée il y a cinq ans environ – je l’ai lu dans certaines de ses correspondances – par une incitation, en vue d’améliorer la vie des étudiants, à ne pas se cantonner dans un rôle mutualiste mais à entrer en action conjointe avec l’Etat, avec les universités, avec d’autres organismes d’intérêt social.

Il y a, par ailleurs, les liens avec les sociétés de gestion. Le GIE est une formule utile. Reste à s’assurer que l’ensemble des engagements hors bilan d’une mutuelle est bien soumis à l’assemblée générale. C’est cela que nous recherchons dans le contrôle sur place à la MNEF. Les engagements hors bilan, nous les connaissons. Nous avons posé la question à Madame la présidente de la Mutuelle, Mme Dominique Linale. A ce jour, nous ne disposons d’aucun document certifiant qu’il n’existe pas d’engagements hors bilan autres que ceux que nous connaissons. Car ceux que nous connaissons ne mettent pas en péril la Mutuelle. Je dirais même qu’ils offrent de fortes plus-values latentes.

M. le Président : Donc, pour répondre à la question portant sur les mutuelles régionales ?

M. Jean FOURRÉ : Actuellement, elles sont en cours de contrôle.

M. Joël GOYHENEIX : Vous disiez que la diversification des activités de la MNEF avait été encouragée. Par qui ?

M. Jean FOURRÉ : C’était une politique des universités. Je ne peux guère vous en dire plus. Vous demanderez à la MNEF ou éventuellement à M. Rollet, qui appartient à l’IGAS depuis très longtemps. Peut-être sait-il quand cette idée a été lancée.

M. le Président : Existe-t-il des mutuelles étudiantes propres aux territoires et départements d’outre-mer ? Dans l’affirmative, présentent-elles des particularités ? Nous n’avons pas encore d’informations à ce propos.

M. Jean FOURRÉ : M. Gratieux m’a donné la liste des contrôles en cours qui précise ceux relevant du contrôle de la Commission et ceux relevant des directions régionales. Je peux ainsi vous dire que la DRASS de la Réunion procède actuellement à un contrôle.

M. le Président : Vous n’avez aucun renseignement spécifique à ce sujet ?

M. Jean FOURRÉ : Les mutuelles qui sont dans la corbeille de la Commission y sont parce qu’elles gèrent une caisse autonome. Il s’agit de l’Union interrégionale et technique des mutuelles étudiantes (UITSEM), de l’Union nationale des sociétés étudiantes mutualistes (USEM), de la société mutualiste des étudiants de la région parisienne (SMEREP), de la Société mutualiste des étudiants du Sud-Ouest (SMESO) et de la Mutuelle des étudiants de Provence (MEP).

M. le Président : Après avoir refusé la désignation d’un administrateur provisoire, la Commission de contrôle a demandé à l’IGAS d’effectuer un rapport approfondi sur la MNEF. Quel est l’objet exact de ce contrôle ? Quel est son stade d’avancement ? Pourra-t-il être communiqué à la commission d’enquête avant la fin de ses travaux ?

M. Jean FOURRÉ : Pour ce qui a trait au stade d’avancement, je ne peux pas vous dire si l’on est à mi-course ou à tiers de course, plus probablement à mi-course.

L’objet du contrôle sur place est de savoir si l’ensemble des prises de participation ont été délibérées, si elles sont connues et exactement chiffrées. Il est aussi, dans la mesure où nous pouvons le faire, étant bien entendu que le Code ne l’exige pas, de voir la politique de marché, de mise en concurrence, de recherche d’économies de gestion le cas échéant, car nous n’avons aucune idée sur ce point actuellement.

Tel est donc l’objet du contrôle puisque, sur le plan prudentiel, les comptes du 31 décembre 1998 vont nous arriver. Nous les regarderons. Les comptes de 1997 ont été vérifiés. Monsieur le Président, si nous étions compétents pour les comptes de 1997, c’est parce que la MNEF avait une caisse autonome qui figurait au bilan de 1997. Puis, en juin 1998, nous avons usé de notre pouvoir d’évocation. Comme je vous le disais, l’article L. 531-1 du Code de la mutualité ne pose pas de condition à l’évocation. Soyons francs : les motifs de l’évocation, c’était que nous travaillions sur la MNEF depuis plusieurs mois et qu’il était normal de continuer. Nous n’allions pas demander à la DRASS d’Ile-de-France, qui a peu de moyens, de recommencer le travail.

Cela étant, nous avons patienté jusqu’en septembre, parce que la Cour des comptes s’intéressait aussi à cette mutuelle et il est très dur pour les agents d’une institution, même si elle est importante, d’avoir deux contrôles en même temps sur place. Quand, en outre, elle fait l’objet, éventuellement, de procédures judiciaires… De toute façon, Monsieur le président, le contrôle par l’un sert à l’autre.

M. le Président : Quelles ont été les raisons du refus de la désignation d’un administrateur provisoire ?

M. Jean FOURRÉ : C’est très simple. C’est tout simplement l’application du Code car celui-ci prévoit cette nomination en cas d’irrégularités graves ou lorsque la situation financière est telle que les organes mutualistes ne sont pas en mesure de la redresser. En trois ans de mandat, il me semble que nous n’avons nommé que trois fois un administrateur provisoire. La première s’est terminée par le transfert de portefeuille et la reprise de la mutuelle par une fédération qui l’a refinancée parce qu’il était impossible qu’elle se redresse. Il fallait donc sauver les droits, d’autant qu’il s’agissait d’une mutuelle d’adhésion pour rentes et complémentaires retraites et qu’il y avait des années d’adhésion.

Une seconde mutuelle a été mise sous administration provisoire. Comme elle n’a pas pu être reprise, l’administrateur provisoire a réussi à faire créer une nouvelle mutuelle par les assemblées générales de deux mutuelles, si bien que ce n’était pas une absorption, mais une fusion. Et l’on a sauvé tous les intérêts.

Sur la troisième, j’hésite. Demandez à M. Gratieux. Il s’agit, me semble-t-il, d’une réassurance avec prise de participation. Autrement dit, il faut une situation désespérée : le Code prévoit des difficultés financières de nature à mettre en cause l’existence de la mutuelle ou des irrégularités graves.

C’est sur le fondement d’irrégularité graves que nous avons demandé en octobre des informations sur le fonctionnement des institutions : élection de l’assemblée générale, approbation des comptes et du rapport financier, délibérations du conseil d’administration sur les prises de participation. Si, après des observations, nous constations que les organes d’une mutuelle ne fonctionnent pas, qu’ils ne veulent pas tenir d’élections, si une direction ne veut pas rapporter les affaires devant le conseil d’administration, si les délégués à une assemblée générale ne veulent pas mettre le conseil d’administration en mesure d’examiner les choses, l’y contraindre, alors il faut bien un administrateur provisoire.

Que fera-t-il ? Il tiendra des élections. Il composera une nouvelle assemblée, éventuellement, si l’on refuse de modifier les statuts qui violent gravement les statuts types, c’est-à-dire qui portent atteinte aux principes démocratiques. Rémunérer un intermédiaire, ce n’est pas une irrégularité grave pour justifier la nomination d’un administrateur provisoire. Cette nomination est une décision qui prive les organes légitimes d’une mutuelle de leurs compétences. C’est un dessaisissement de gens qui ont été élus, il faut donc des raisons solides.

En l’espèce, il n’y avait pas de raisons prudentielles. Je l’ai constaté par une lettre écrite à la Mutuelle au mois de juillet, à la suite du contrôle sur pièces, et à l’automne, la Commission, constatant les documents fournis, a estimé qu’il n’y avait pas d’irrégularité grave. Elle a pu se tromper. Mais, en toute conscience, je pense qu’elle ne s’est pas trompée. Et sa décision n’a pas été contestée.

Alors, me direz-vous, Monsieur le président, c’est peut-être l’autre qui aurait été contestée devant le Conseil d’Etat. Oui, évidemment, c’est la décision qui nuit que l’on contestera.

M. le Président : J’ai là un Code de la mutualité. Si je considère les articles. L 531-2, L. 531-3 et L. 531-4, vous estimez que nous étions dans le cadre de ce que j’appellerai l’article L. 531-3 où une injonction avec programme de redressement suffisait, et que l’on n’était pas dans le cadre des deux autres articles portant, premièrement, sur les difficultés financières de nature à compromettre le fonctionnement normal – il avait donc un fonctionnement normal – et, deuxièmement, sur la constatation d’irrégularités graves.

M. Jean FOURRÉ : C’est cela. Le programme de redressement, vous l’avez cité, peut avoir deux objets. L’objet financier n’est pas ce que nous avons mis en avant dans la lettre de juillet. Nous y avons mis une invitation à modifier les statuts en raison de l’importance de tel organisme qui n’est pas dans les statuts types, etc. Il s’agissait d’apporter des modifications allant dans le sens d’une démocratie plus réelle.

M. le Président : Nous vous remercions pour les précisions que vous nous avez apportées. Si vous avez d’autres précisions écrites à nous adresser ainsi que des propositions de réforme, ne manquez pas de nous en faire part.

M. Jean FOURRÉ : Ce sera fait, Monsieur le président. Je suis très honoré que vous ayez bien voulu m’entendre. Demain matin, nous siégeons en Commission de contrôle des mutuelles toute la matinée. Le Gouvernement, en la personne de M. Briet, a demandé à la Commission de lui faire part de propositions pour la réécriture du Code. Nous sommes au travail.

Audition de MM. Christian ROLLET, chef de l’inspection générale
des affaires sociales et secrétaire de la commission de contrôle
des mutuelles et des instituts de prévoyance et Laurent GRATIEUX, inspecteur des affaires sociales et secrétaire général adjoint de la commission de contrôle des mutuelles et des instituts de prévoyance

(procès-verbal de la séance du 31 mars 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Rollet et Gratieux sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Rollet et Gratieux prêtent serment.

M. le Président : Nous recevons maintenant M. Christian Rollet, chef de l’inspection générale des affaires sociales et secrétaire général de la commission de contrôle des mutuelles, ainsi que M. Laurent Gratieux, inspecteur des affaires sociales et secrétaire général adjoint de la commission de contrôle des mutuelles. Cette audition est commune. Elle interviendra aussi bien au titre du travail relevant de l’IGAS que du travail relevant de la commission de contrôle des mutuelles.

M. Christian ROLLET : Je souhaite diviser mon exposé introductif en trois parties. Je serai bref, puisque disposé ensuite à répondre à toutes vos questions.

La première partie traitera du fonctionnement pratique du contrôle des mutuelles. La question est suffisamment complexe pour que nous vous en disions quelques mots. Nous avons d’ailleurs préparé une note à ce sujet, qui nous permettra de rester brefs. Dans une deuxième partie, plus concrète, je rappellerai les contrôles récents, terminés ou en cours. Il n’est peut-être pas inutile, compte tenu de leur nombre, de faire le point. Je souhaite enfin consacrer la troisième partie de mon intervention à l’information de votre commission et aux différents problèmes juridiques qu’elle peut poser.

Le contrôle des mutuelles dont je vais parler, c’est le contrôle administratif. Je ne traiterai donc pas du contrôle juridictionnel exercé par la Cour des comptes dont vous avez certainement entendu parler, par ailleurs. Ce contrôle administratif s’est complexifié depuis la loi de 1989, dite loi Evin. En effet, avant cette loi, c’était l’IGAS qui assurait le contrôle des mutuelles pour le compte du ministre en charge de la protection sociale, avec le concours, le cas échéant, des inspecteurs des services déconcentrés du ministère des affaires sociales, les inspecteurs des affaires sanitaires et sociales.

Depuis la loi de 1989, il existe un partage de compétences. Le ministre reste compétent pour le régime obligatoire. Dans le cas des étudiants mais aussi dans le cas des fonctionnaires, la gestion de ce régime obligatoire est confiée à des mutuelles. L’exercice de cette fonction relève donc bien de la compétence du ministre. Le contrôle que peut faire l’IGAS dans ce cadre se fait donc à la demande, sur saisine du ministre. En revanche, la partie purement mutualiste relève dorénavant de la compétence de la commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance, ou des préfets de région.

La commission de contrôle comprend cinq membres nommés pour six ans. Le président est un membre du Conseil d’Etat. Le secrétaire général se trouve être, en raison de ses fonctions, le chef de l’IGAS et un secrétaire général adjoint est désigné parmi les membres de l’IGAS. Il s’agit de M. Laurent Gratieux. Le commissaire du Gouvernement, c’est le directeur de la sécurité sociale qui assiste aux réunions de la commission.

Le partage des compétences entre la commission et les préfets de région obéit à une règle fixée par le Code : dès lors qu’une mutuelle gère une caisse autonome ou que son chiffre d’affaires dépasse un certain montant - en 1990, le montant était de 150 millions de francs -, c’est la commission de contrôle des mutuelles qui est compétente. Cela représente 115 institutions. Je parle sous le contrôle technique de Laurent Gratieux, que j’autorise à m’interrompre si je me trompe.

En revanche, toutes les autres mutuelles, les plus petites, c’est-à-dire 5 600 institutions, relèvent des préfets de région, en fonction de l’implantation des sièges desdites mutuelles. Ce qui est remarquable, c’est qu’il n’existe pas de liens hiérarchiques entre la commission et les préfets. Habituellement, les préfets représentent le Gouvernement et l’Etat dans les départements et les régions. En l’occurrence, ils détiennent un pouvoir propre, que leur confère la loi. Naturellement, cela n’empêche pas des liens pratiques de travail de se nouer entre la commission et les inspecteurs chargés des contrôles dans les régions. Disons que l’on fonctionne un peu en réseau, mais la commission n’impose ni le contrôle de telle ou telle mutuelle au préfet ni telle ou telle solution juridique face à un contrôle.

Les contrôles de la commission ou des préfets portent essentiellement sur deux points, qui sont assez distincts dans la pratique. Ils concernent, d’une part, la régularité du fonctionnement institutionnel ; je citerai à cet égard les exemples qui reviennent fréquemment. Le contrôle peut porter sur le fonctionnement démocratique des instances, la régularité de leur composition, la régularité de leurs réunions, la tenue de pièces, de procès-verbaux et autres, la régularité des élections des instances et également la non lucrativité de l’activité mutualiste. Ce sont quelques exemples du contrôle de régularité du fonctionnement.

D’autre part, il existe un contrôle prudentiel, plus technique, qui vise à s’assurer que les mutuelles provisionnent des sommes suffisantes pour faire face aux prestations à payer, que la contrepartie des provisions existe bel et bien en des actifs sûrs et liquides ; enfin, on vérifie que les mutuelles ont une marge de sécurité financière supérieure ou égale à 10 % des cotisations nettes de réassurance, chiffre qui pourrait augmenter si la directive européenne était transposée.

La commission et le préfet  disposent de pouvoirs d’investigation précis et importants. Ainsi, les commissaires aux comptes sont déliés du secret professionnel vis-à-vis des contrôleurs missionnés par la commission, en pratique vis-à-vis des inspecteurs de l’IGAS. Par ailleurs, la commission dispose de pouvoirs de sanctions énumérés précisément dans le Code, ces sanctions pouvant être de type symbolique – avertissement ou blâme – ou franchement plus graves, du type retrait d’agrément ou désignation d’administrateur provisoire.

Je termine ce survol, qui sera assorti d’une note détaillée que je vous remettrai, en indiquant que l’article L. 951-13 du Code de la sécurité sociale précise que toute personne qui participe ou a participé aux travaux de la commission est tenue au secret professionnel sous les peines prévues aux articles 226-13 et 14 du Code pénal, ce secret n’étant pas opposable à l’autorité judiciaire.

J’en viens à la présentation des contrôles intervenus depuis 1990, année de la mise en place de la commission.

Pour mémoire, mais ce sont des documents très importants, la Cour des comptes a engagé récemment deux types de travaux.

Le premier, qui a fait l’objet d’une partie du rapport public 1998 sur la sécurité sociale, s’appuie sur les travaux des CODEC, comités départementaux d’examen des comptes, auxquels contribuent les fonctionnaires des services déconcentrés du ministère des affaires sociales, en général avec ceux du ministère des finances. Il existe là tout un réseau de contrôles déconcentrés qui ont permis, par voie d’agrégation, à la Cour des comptes d’avoir une vision assez générale de la gestion du régime étudiant.

Plus récemment, un contrôle de la MNEF a été diligenté, dont la phase contradictoire est proche de la fin. Je ne dispose pas d’éléments précis à ce sujet mais le relevé de constatations provisoires, suivant la formule consacrée, a été remis au mois de septembre à la MNEF. La procédure doit être sur le point de s’achever ces jours-ci. Je n’en fais état que pour mémoire puisque j’ai consacré mon exposé aux rapports administratifs.

Les rapports administratifs sont, forcément, de type différent. Je les distinguerai en fonction de leur saisine.

Tout d’abord, il y a les rapports sur saisine ministérielle. Ceux-là portent sur le régime obligatoire, puisque c’est la seule compétence qui revient au ministre en la matière. Ils sont au nombre de deux. Le premier, datant de 1996, est un rapport de l’IGAS (n° 96.024) consacré aux remises de gestion des mutuelles étudiantes. Le second, conjoint entre l’IGAS et l’Inspection générale des finances (n° 99.038), porte également sur les remises de gestion allouées aux mutuelles d’étudiants. Celui-ci est en phase contradictoire, c’est-à-dire que la première partie est rédigée, que les mutuelles sont en train de répondre et que l’on peut penser que, dans quelques semaines, il sera totalement achevé.

D’autres rapports sont établis sur saisine de la commission de contrôle. J’en ai dénombré quatre. Le premier (n° 92.030) date de mai 1992 et porte sur le contrôle de l’UITSEM, une union de mutuelles qui regroupe trois mutuelles régionales importantes : la SMERA Rhône-Alpes, la SMEREB Bourgogne, la SMECO Centre-Ouest. Le deuxième (n° 93.104) est un rapport de l’IGAS qui a trait au contrôle de la MNEF. Il existe également un rapport, qui n’est pas un rapport de contrôle mais d’information, sur la crise interne à la SMEBA Bretagne-Atlantique, qui a été réalisé par la direction régionale des affaires sanitaires et sociales des pays de Loire. Enfin, il y a la mission en cours, dont M. Fourré a dû vous parler, demandée le 9 novembre par la commission en vue d’évaluer les engagements financiers et de toute nature de la MNEF, et les risques associés. Cette mission est en cours. La première colonne du rapport n’est pas encore rédigée. Les rapporteurs sont actuellement à la MNEF, en train d’y travailler.

La troisième catégorie de rapports, ce sont ceux faits sur saisine des préfets de région. J’en ai dénombré sept ou huit, suivant la classification.

Pour strictement se limiter aux mutuelles étudiantes, nous avons un rapport de juillet 1994 consacré à la SMEBA par la DRASS des pays de Loire, un contrôle d’octobre 1995 de la SMENO par la DRASS Picardie, un nouveau contrôle de 1997 de la même SMENO toujours par la DRASS Picardie et un contrôle de la GEM, Garantie des étudiants mutualistes, réalisé en janvier 1998 par la DRASS Provence-Alpes-Côte-d’Azur.

Je juge cependant utile de signaler à votre commission que trois ou quatre autres contrôles sont en cours : un contrôle de la DRASS Ile-de-France portant sur la MIF, Mutuelle interprofessionnelle et la MIJ, Mutuelle interjeunes, un contrôle de la MUL, Mutuelle universitaire du logement, diligentée par la DRASS des Pays-de-Loire ainsi qu’un contrôle de l’UTMP, Union technique mutualiste professionnelle, diligentée par la DRASS Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Je mentionne ces contrôles parce que s’ils ne portent pas directement sur des mutuelles étudiantes, ils s’intéressent à ce que je qualifierais de " mutuelles sœurs " de la MNEF. Ce sont, à peu près, les mêmes responsables qui dirigent les différentes instances MNEF, MIF, MIJ, MUL, UTMP.

La première partie de ces rapports vient d’être terminée. Elle a donc été adressée aux mutuelles concernées pour la phase contradictoire. À l’issue de cette procédure contradictoire, la commission a décidé, comme le Code le lui permet, d’évoquer ses rapports au cours d’une séance à venir. Même s’il ne s’agit pas à proprement parler de mutuelles étudiantes, je trouvais utile de les signaler en raison de leurs liens avec la MNEF.

Cela représente donc une production assez abondante.

La question que je souhaiterais traiter en terminant cet exposé introductif, c’est celle de l’information de votre commission et des modalités pratiques de cette information.

Le problème posé est, à la lumière de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de concilier les obligations qui pèsent sur les membres de l’IGAS. En effet, ceux-ci sont tenus de déférer aux convocations de la commission pour une audition et aussi de communiquer les documents de service au rapporteur. C’est une première obligation très claire. L’autre ne l’est pas moins : ils sont tenus de respecter la séparation des pouvoirs – or, une instruction judiciaire est en cours dans le cadre de la MNEF – ainsi que le secret professionnel, lequel s’applique à tout fonctionnaire, et est, en outre précisé dans le cadre des travaux de la CCMIP par un article du Code que j’ai évoqué tout à l’heure.

La question est assez complexe. Je me permets d’indiquer comment nous la voyons, après en avoir longuement discuté avec mes collègues qui prennent, évidemment, très au sérieux ces questions.

En ce qui concerne l’audition éventuelle de rapporteurs, le partage est très difficile à faire entre les informations d’un même document qui seraient divulgables et celles qui ne le seraient pas, soit au titre du secret professionnel, soit au titre de l’instruction judiciaire. Par ailleurs, il est prévu des peines assez sévères qui s’appliquent, à titre personnel, puisque nous sommes en matière pénale. Les membres de l’IGAS qui, à l’occasion d’une audition, viendraient à enfreindre les règles de protection de certaines données prennent des risques personnels. Cela me conduit à penser que leur audition, en pratique, s’avérerait difficile. Si votre commission souhaitait néanmoins entendre les auteurs de certains rapports, ceux qui sont achevés, les membres de l’IGAS concernés me paraîtraient devoir s’en tenir à des observations de caractère général, en tout cas, excluant les informations de nature à mettre en cause des personnes, directement ou indirectement, ou encore des données comptables et financières non divulgables.

En revanche, en ce qui concerne la communication du rapport, il y a une règle administrative constante, qui veut que l’autorité qui saisit, qui est donc destinataire du rapport, décide de sa diffusion. C’est donc à Madame la ministre ou au président de la Commission de contrôle, suivant les cas, d’apprécier la communicabilité des rapports.

Dans le cas d’espèce, s’agissant de rapports qui contiennent, au moins en partie, des données protégées par le secret professionnel, il me semble que la procédure prévue au deuxième alinéa du II de l’article 6 de l’ordonnance, à savoir la communication des documents au rapporteur de la commission s’applique de façon assez claire. Il me semble que c’est cette procédure qu’il faudrait retenir, sous réserve du respect des procédures judiciaires car, bien sûr, la séparation des pouvoirs s’impose absolument.

Donc, à condition que les rapports soient achevés, c’est-à-dire procédure contradictoire terminée, comme je l’ai dit précédemment, c’est à Madame la ministre de se prononcer et de répondre directement à la question de la communication des rapports qui relèvent de sa compétence – le rapport n° 86-024 et le rapport conjoint avec l’Inspection général des finances, dont nous attendons la sortie. Si Madame la ministre validait mon analyse, ces rapports devraient pouvoir être transmis au rapporteur de votre commission dès lors qu’ils seraient achevés, dans la mesure où ils ne relèvent pas de l’instruction judiciaire en cours, qui porte spécifiquement sur la MNEF et sur les rapports entre la MNEF et certaines sociétés commerciales.

Monsieur le président, je vous assure avoir fait le maximum pour me fixer une ligne de conduite en restant fidèle aux textes qui s’imposent à moi.

M. le Président : Je vous remercie de votre exposé, qui nous interpelle en effet en ce qui concerne la communicabilité des rapports. Nous allons, bien sûr, demander à Mme Martine Aubry, en tant que responsable de son administration, que l’ensemble des rapports nous soit adressé, et il faudra sans doute pour le rapport conjoint une autorisation conjointe des ministres des affaires sociales et des finances. Usant de ses pouvoirs spéciaux, Monsieur le rapporteur prendra connaissance de l’ensemble des informations qui seront mises à sa disposition.

Vous nous avez adressé un certain nombre de documents. Reste un problème que nous nous sommes posé, celui de la comptabilité analytique. Nous avons l’impression de nous retrouver en face de mutuelles dont les règles propres, en termes de comptabilité, ne semblent pas être satisfaisantes. Si les choses étaient mieux prises en amont, peut-être y aurait-il moins de difficultés ensuite. Si plus de transparence pouvait exister en termes de comptabilité analytique, ne serait-ce pas déjà un progrès très important ? Cela pourrait-il être, à votre avis, l’objet d’une réforme du Code de la mutualité ?

M. Christian ROLLET : Il paraît évident qu’une comptabilité analytique, qui sépare bien les dépenses relatives aux deux types de gestion, gestion du régime obligatoire et gestion du régime mutualiste complémentaire, serait de nature à améliorer grandement la connaissance des coûts. C’était d’ailleurs prévu. Cette question est évoquée depuis de nombreuses années.

M. le Président : Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait alors que tout le monde nous en parle ?

M. Laurent GRATIEUX : C’est la source de toutes les difficultés. Tout le monde en a conscience depuis des années et il semble que l’on n’ait guère changé les choses.

M. Christian ROLLET : Je n’en connais pas les raisons, nous les avons constatées, mes collègues et moi-même. Ce n’est pas techniquement une affaire impossible, pas plus compliquée que dans bien d’autres situations. Je ne vois donc pas de raisons vraiment techniques à cette absence de comptabilité analytique.

M. Laurent GRATIEUX : Je travaille uniquement pour la commission de contrôle donc, a priori, la question des remises de gestion n’est pas de mon ressort. Je soulignais simplement que, pour la comptabilité analytique, tout le problème est de définir des clefs de répartition des dépenses qui reflètent la réalité. C’est plus complexe qu’il n’y paraît, parce qu’il faut savoir que les tâches de liquidation des prestations réalisées dans les mutuelles entre le régime complémentaire et le régime obligatoire sont extrêmement imbriquées. Il faudrait donc pouvoir en même temps contrôler l’évaluation des clés de répartition, ce qui exige tout un système. De plus, les mutuelles étudiantes sous-traitent parfois une partie de leurs activités de gestion à d’autres mutuelles, voire d’autres prestataires de services. L’évaluation des coûts de gestion est donc techniquement complexe.

M. Pierre LASBORDES : Je suis surpris de votre réponse parce qu’à deux reprises dans les conventions de 1993 et de 1996, obligation avait été faite aux mutuelles qui l’avaient acceptée de mettre en place une comptabilité analytique et on découvre, maintenant, que c’était trop compliqué à mettre en œuvre. N’y a-t-il pas volonté délibérée de ne pas la mettre en place parce que l’on pourrait être amené à revoir ce régime ? Il est assez étonnant que les parties signent à deux reprises l’engagement de créer une comptabilité analytique et que l’on constate, après deux échecs, que sa mise en place est impossible. C’est surprenant car généralement, dans une convention, on ne met pas des choses irréalisables. De plus, théoriquement, une sanction aurait dû être prévue. Or, on ne voit rien de ce type.

M. Christian ROLLET : La question doit être posée aux acteurs directement concernés.

M. le Président : Nous poserons bien entendu la question à Madame la ministre.

M. Christian ROLLET : J’ajouterai une précision qui reprend la remarque de M. Laurent Gratieux. Nous en avons parlé ensemble avant de venir, c’est donc une question qui ne nous surprend pas : la comptabilité analytique aurait pu être mise en place incontestablement. Mais si tel avait été le cas, il ne faudrait tout de même pas s’imaginer qu’elle aurait été la solution miracle. Si nous avions, grâce à une comptabilité analytique, un coût précis de la gestion du régime obligatoire, il serait intéressant de le comparer avec les remises de gestion. Cela ne voudrait pas dire pour autant que l’on doive se satisfaire de cette mesure. Si la mutuelle est mal gérée, si l’ensemble des mutuelles sont mal gérées, nous verrons seulement apparaître un coût élevé, peut-être moins élevé que les remises de gestion, mais la question de fond est de savoir comment améliorer les performances des mutuelles ou comment leur permettre de rendre le même service un moindre coût. Or, elles ne sont pas assujetties aux règles des marchés publics.

M. le Président : On nous l’a expliqué.

M. Christian ROLLET : Elles ne mettent pas en concurrence les prestataires auxquels elle s’adresse. C’est peut-être là que l’on peut trouver quelques marges de manœuvre pour faire baisser les coûts.

M. le Président : Ces éléments nous ont été indiqués ; nous les signalerons dans notre rapport car il y a véritablement là des propositions d’amélioration que chacun s’accorde à souligner et qui ne semblent pas difficiles à mettre en œuvre. Je ne vois pas en quoi il est difficile de soumettre à concurrence, selon des règles que nous devons tous respecter, la réalisation de prestations extérieures.

M. Joël GOYHENEIX : Je partage l’étonnement de mon collègue et le fait que la comptabilité analytique ne soit pas une condition suffisante pour régler tous les problèmes n’enlève rien à sa nécessité. La question que je souhaite vous poser m’a été inspirée par M. Fourré. Lors de son exposé, celui-ci nous a dit que la diversification des activités de la MNEF avait été encouragée. Je lui ai demandé par qui. Il m’a conseillé de m’adresser à vous pour avoir la réponse, ce que je m’empresse de faire.

M. Christian ROLLET : M. Fourré faisait allusion à des rapports antérieurs, notamment celui de 1994. Ce dernier, comme des rapports plus anciens consacrés à la MNEF, a mis en évidence, mais cela sautait aux yeux, que la gestion de la MNEF était particulièrement opaque. La MNEF engageait des fonds dans de nombreuses sociétés commerciales qui, peu à peu, ont constitué un réseau de plus en plus complexe. Le rapporteur de l’époque, face à ce foisonnement qui compliquait son travail, voire le rendait impossible puisque nous n’avons pas compétence pour contrôler des sociétés commerciales – je parle de mémoire et je vous renvoie à son rapport – disait qu’il serait bien que la MNEF regroupe ses participations. D’une certaine façon, elle l’a fait, en créant l’Union d’économie sociale Saint-Michel et, aujourd’hui, la MNEF nous dit qu’elle a gagné en transparence, comme le demandaient les rapporteurs de l’IGAS, en créant cette union d’économie sociale qui regroupe je ne sais combien de participations.

C’est une réponse sans doute opportune, mais qui ne fait que compliquer les choses parce que nous, nous avons trouvé un écran supplémentaire. Maintenant, on voit bien l’union d’économie sociale mais l’on ne sait plus ce qu’il y a derrière. A la limite, c’est encore pire en termes de connaissance de la situation d’avoir un écran supplémentaire, mais on peut dire, formellement, que cela répondait à une recommandation du rapport de 1994 !

Je pense cependant que l’on n’a pas à faire une histoire de cette affaire. La gestion de la MNEF reste très compliquée, pour ne pas dire opaque. Elle s’est encore complexifiée et malgré l’apparence de réunification simplificatrice, il reste que le nombre, le montant, le volume des engagements de la MNEF dans des sociétés commerciales a augmenté depuis le rapport en question. La réponse de la MNEF est donc, à mon avis, purement formelle.

M. Joël GOYHENEIX : M. Fourré ne faisait absolument pas allusion à cette union d’économie sociale. Il parlait à ce moment là d’encouragements de la part des pouvoirs publics qui demandaient aux mutuelles d’apporter des services supplémentaires au monde étudiant.

M. Christian ROLLET : Cela ne peut pas être l’IGAS. Ce sont les ministres. Je pense qu’il est exact que, pour certaines opérations destinées au milieu étudiant hors du secteur de la santé ou de l’assurance maladie, comme notamment la Carte Jeunes, les gouvernements ont trouvé en la MNEF un partenaire. En l’occurrence, l’IGAS n’y est strictement pour rien. Nous faisons notre métier de contrôle, nous ne prenons pas de décision. Pour répondre sans fuir à votre question, je pense que c’est vrai dans un certain nombre de cas, ce qui ne veut pas dire non plus que toutes les opérations de la MNEF se soient faites avec la bénédiction du gouvernement.

M. Joël GOYHENEIX : Pour revenir sur la dernière partie de votre exposé, j’ai bien entendu vos réserves quant à l’éventuelle audition des auteurs des rapports. Mais je souhaite, personnellement, que notre rapporteur puisse, dans le cadre de ses pouvoirs qui sont plus larges que les nôtres, les auditionner en notre nom.

M. le Président : Le président a, en effet, l’exact pouvoir d’un membre de la commission, à la différence du rapporteur, auquel il peut tout de même donner la parole !

M. le Rapporteur : Je souhaite préalablement, concernant le problème du secret, rappeler que l’article 6 de l’ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées indique que le secret peut être opposé au rapporteur pour des affaires relevant de la défense nationale et de la sécurité de l’Etat, intérieure et extérieure, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs. Notre analyse n’est peut-être pas parfaitement symétrique à la vôtre, mais nos points de vue finiront bien par concorder.

Sur le fond, vous avez fait état de l’opacité du système et ma question portera sur l’ensemble du système de sécurité sociale étudiant. Cette opacité et l’existence d’écrans entre la " mutuelle-mère ", dirai-je même si l’expression est impropre, et un certain nombre d’activités est-elle une règle commune à toutes les mutuelles étudiantes ? Au vu des rapports établis par les autorités régionales, dont nous demanderons la communication, qui ont porté sur les différentes mutuelles régionales – SMEBA, SMENO, etc. – et à partir des éléments que vous avez pu rassembler, notamment sur l’UITSEM en 1992, quelles recommandations techniques, en tant que service d’inspection de l’Etat et en tant que praticiens du contrôle, feriez-vous aux parlementaires que nous sommes pour améliorer la transparence ?

M. Christian ROLLET : Je vous répondrai en tant que chef d’un corps de contrôle et " commissionné " par la commission de contrôle. Il me semble que l’on pourrait réexaminer les modalités de ce que l’on appelle le droit de suite. Le droit de suite, c’est la possibilité, lorsque nous allons contrôler l’emploi d’un fonds public – subvention ou remise de gestion puisque les fonds de la sécurité sociale y sont assimilés – d’aller voir, au-delà de l’institution qui en est la première bénéficiaire, d’autres institutions qui, indirectement, en ont bénéficié parce que la première a elle-même subventionné, aidé ou participé à d’autres structures. Ce droit de suite est évidemment bien réglementé par les textes. Mais les textes concernant l’IGAS en tant que corps de contrôle du ministre des Affaires sociales sont finalement plus souples, et permettent plus facilement, au moins sur le papier, d’exercer ce droit de suite. Le Code de la mutualité, lui, a prévu un dispositif très contraignant, qui exige pour aller faire des contrôles dans une société commerciale, que les liens entre la mutuelle et la société en question soient tels qu’ils mettent en péril l’équilibre financier de la mutuelle. Pour prouver cela a priori il faut réunir beaucoup d’éléments qu’un rapporteur ne peut pas trouver comme ça.

C’est incontestablement un obstacle qui s’est présenté très concrètement dans le cas de la MNEF, peut-être dans d’autres cas également, mais tous ces textes sont assez récents, on n’en a pas encore beaucoup l’usage. On pourrait harmoniser le droit de suite accordé à l’IGAS défini récemment par une loi de 1996, donc encore très peu usitée, pour ne pas dire pas du tout, avec le droit de suite prévu dans le Code de la mutualité qui règle les contrôles pour le compte de la commission de contrôle et celui de la Cour des comptes et qui lui répond à une réglementation différente. Il y a certainement lieu de regarder si l’on peut faciliter les contrôles en élargissant les possibilités d’exercice de ce droit de suite. C’est un débat difficile entre les pouvoirs de contrôle et le respect de libertés telles que la liberté d’entreprise, le secret professionnel, etc. Voilà une piste qui me paraît relever du législateur.

Par ailleurs, je pense que les mutuelles étudiantes, en général, se diversifient et ont des structures assez ramifiées. La MNEF est peut-être le plus beau fleuron dans le genre, mais les autres qui sont plus récentes et qui n’ont pas la même envergure le font aussi, je pense.

Mon analyse est plutôt sociologique, mais il me semble qu’il n’est pas facile de proposer à des étudiants une couverture maladie complémentaire car généralement ceux-ci sont en bonne santé et ne pensent pas tellement à accroître l’étendue de leur couverture sociale en cas de maladie, d’autant qu’un régime obligatoire leur est donné. Ce n’est pas une préoccupation prioritaire. En revanche, ils pensent à se loger, à leurs loisirs, à des aspects de la vie étudiante assez éloignés de la santé. Les mutuelles rivalisent donc d’efforts pour les attirer par le biais de services qui ne sont pas des services d’assurance. D’où la nécessité de créer des structures ad hoc dans le domaine du logement, des voyages etc. C’est l’analyse socio-économique que j’en fais.

M. le Président : D’un point de vue éthique, estimez-vous qu’il revient au système de la sécurité sociale ou aux mutuelles d’assurer tous ces services, qui sont par ailleurs indispensables pour les étudiants ? Il y a là un véritable problème de fond.

M. Christian ROLLET : Pour ce qui est de la sécurité sociale, la réponse est clairement non, mais il n’y a pas de réponses techniques en la matière.

Est-ce à des organismes mutualistes d’assurer l’ensemble de ces services ? L’article premier du Code de la mutualité définit les objectifs et les buts de la mutualité de manière très large. Il s’agit de tout ce qui concerne la solidarité entre les adhérents. Je n’ai plus les termes exacts en tête, mais cet article autorise les mutuelles à prendre des participations dans les sociétés commerciales. Pour cette raison, on ne peut pas condamner les mutuelles qui le font car c’est au fronton même des règles de la mutualité.

Autant il me paraît évident que la sécurité sociale, intervenant au titre du régime d’assurance maladie obligatoire, n’a pas à se mêler du logement des étudiants ou de leurs voyages, autant je serais plus réservé pour les organismes mutualistes. Cela mériterait un débat de fond et de repréciser le Code dans ses articles les plus fondamentaux.

M. le Président : Le problème vient du fait que, face au système plus ou moins archaïque de contrôle et à une présentation plus ou moins archaïque des comptes, les besoins ne cessent de s’accroître. Or, j’ai ici l’article premier du Code de la mutualité qui vise le " développement culturel, moral, intellectuel et physique des membres, amélioration de toutes leurs conditions de vie ". Cet objectif peut tout recouvrir.

C’est dans ce cadre que nous devrons faire des propositions. Il n’est pas question de remettre en cause cet article premier. En revanche, nous devons réfléchir, en nous inspirant de la législation sur les sociétés anonymes, à l’application aux mutuelles de règles plus rigoureuses – présence de commissaires aux comptes, obligation d’établir des comptes consolidés – et à l’obligation de mettre en place une comptabilité analytique plus transparente. D’autre part, le contrôle a posteriori en rafale me paraît épouvantable et très éprouvant. Certaines mutuelles en ont trois en même temps : judiciaire, audits de la Cour des comptes, contrôles de l’IGAS ou d’autres corps de contrôle. N’y aurait-il pas de nouveaux dispositifs à mettre en place en amont tout en respectant l’article premier du Code de la mutualité qui constitue en quelque sorte un acquis social et sera toujours considéré comme tel.

M. Laurent GRATIEUX : En ce qui concerne l’objet social des mutuelles, la transposition des directives européennes apportera sans doute un élément de réponse, qui conduira à distinguer au sein des activités des mutuelles, celles qui relèvent des activités d’assurance et celles qui relèvent d’autres types d’activités avec, éventuellement une distinction entre œuvres liées à des activités d’assurance – prestations en nature peut être, comme établissements ou centres de santé, etc. – et les autres œuvres qui n’ont rien à voir avec des prestations de santé, qui sont, comme on le voit dans certaines mutuelles, des agences de voyages, des centres de vacances, des maisons de retraite pour personnes âgées, etc. C’est là une hypothèse sur laquelle un groupe de travail réfléchit actuellement et Madame la ministre pourra vous dire mieux que moi où en sont les discussions. Il y aura vraisemblablement une proposition qui conduira à limiter le champ de l’objet social des mutuelles.

Je ne reviens pas particulièrement sur les contrôles sur le régime obligatoire. Il nous semble cependant qu’il faudrait au moins instaurer, soit sous forme de comptabilité analytique, soit sous forme de comptabilité séparée proprement dite, une méthode qui permette de distinguer clairement les opérations qui relèvent du régime obligatoire de celles qui relèvent de la gestion du régime complémentaire. Il est clair que les prestations et les cotisations versées au titre du régime obligatoire n’entrent pas dans les comptes des mutuelles. Elles entrent mais uniquement en " compte de tiers ", si je puis dire. Elles n’entrent pas dans le résultat des mutuelles. En revanche, ce qui entre dans ce résultat, ce sont, effectivement, d’un côté, les charges de gestion du régime obligatoire et, de l’autre, les remises de gestion.

Est-il possible d’instaurer une seconde comptabilité distincte des opérations de gestion du régime obligatoire ? Techniquement, c’est un peu complexe parce que, évidemment, les tâches de liquidation, par exemple, sont très imbriquées entre régime complémentaire et régime obligatoire. En tout état de cause, s’il n’est pas possible d’instaurer une comptabilité distincte, il est toujours possible d’instaurer, avec les réserves que j’ai formulées tout à l’heure, une comptabilité analytique qui permettrait au moins de mieux apprécier les coûts.

Je crois également qu’il conviendrait de réfléchir sur les contraintes de service public que l’on peut imposer aux mutuelles. On ne voit pas très bien pourquoi les mutuelles qui gèrent des régimes de sécurité sociale ne sont pas astreintes aux mêmes contraintes que des caisses de sécurité sociale qui gèrent le régime de sécurité sociale. Je pense notamment aux marchés publics.

M. le Rapporteur : A propos des responsabilités que peuvent exercer, au sein des organismes dans lesquels les mutuelles ont des participations majoritaires, les administrateurs de ces mutuelles, avez-vous le sentiment que le régime d’incompatibilité actuel est suffisant ou vous semblerait-il souhaitable d’en instaurer un plus efficace ?

M. Christian ROLLET : Cette question fait partie des points sur lesquels on pourrait revoir la réglementation. En principe, les administrateurs exercent leurs fonctions à titre bénévole. Ils peuvent être défrayés et une indemnité leur est versée, mais dans des limites étroites, lorsque l’on peut prouver qu’il y a des sujétions particulières. Honnêtement, nous avons le sentiment que cette règle n’est pas respectée, et pas simplement dans les mutuelles étudiantes, mais dans toutes les mutuelles.

Le problème de la rémunération des administrateurs est un problème sérieux parce que les mutuelles manquent d’administrateurs. La tâche d’administrateur est complexe et prenante. Il n’y a guère que les retraités qui puissent, à titre bénévole, donner de leur temps pour la gestion d’une mutuelle. Mais il n’est pas nécessairement souhaitable que les mutuelles soient gérées uniquement par les retraités.

A partir du moment où la règle est très stricte, elle est largement enfreinte et l’imagination est alors très fertile pour trouver des biais indirects de rémunération des administrateurs, comme, par exemple, les faire rémunérer par des sociétés commerciales. De plus, il peut y avoir des conflits d’intérêts. Tout cela n’est effectivement pas sain.

Il nous semble qu’il conviendrait d’être un peu moins sévère sur le caractère strictement bénévole de l’administration d’une mutuelle, d’autant que l’administrateur a une responsabilité personnelle ; il engage la mutuelle dans les actes les plus importants de la vie mutualiste. Cela mérite peut-être qu’on le rémunère, dans des conditions raisonnables. Mais, en tout cas, si l’on pouvait mettre fin à toutes les voies détournées de rémunération des administrateurs, parfois d’ailleurs d’un montant non négligeable, ce serait une bonne chose.

M. le Président : Permettez-moi de vous interrompre : quel est, selon vous, le temps passé par un administrateur au sein d’une mutuelle ?

M. Laurent GRATIEUX : Il est extrêmement variable selon les mutuelles. En fait, il existe deux cas de figure très tranchés. Celui de la mutuelle où l’administrateur est une personne non rémunérée, qui fait cela en plus de ses activités professionnelles et qui, généralement, n’assure pas une présence réelle. Ce cas constitue aussi une situation à risque puisque le personnage clé de la mutuelle devient le directeur ou le directeur général qui réussit, par ce biais, à tenir tous les leviers de commande. Cette situation ne constitue pas toujours une solution extrêmement favorable si l’on se réfère au fonctionnement démocratique qui caractérise en principe une mutuelle.

Il existe également la situation inverse où les administrateurs s’impliquent réellement dans le fonctionnement de leur mutuelle. J’en contrôle une en ce moment qui est dans ce cas. Les administrateurs sont présents pratiquement cinq jours sur cinq et exercent des fonctions qui sont, en réalité, à la fois des fonctions d’administration et de direction, mais où s’est mis en place un système de rémunération des administrateurs.

M. le Président : De quel ordre sont ces rémunérations ?

M. Laurent GRATIEUX : Je ne vais pas entrer dans le détail d’un dossier qui est encore en cours de contrôle, mais il peut y avoir des rémunérations par une structure tierce ou par des systèmes de mise à disposition.

M. le Président : Ce n’est pas très sain. Un administrateur n’a pas à être là tous les jours.

M. Christian ROLLET : Sans doute. Mais il lui faut tout de même être relativement présent ou alors il ne faut pas lui laisser les responsabilités qu’il a aujourd’hui. Il a des responsabilités propres, il engage la mutuelle. Lors de la dernière séance de la commission de contrôle des mutuelles, nous avons auditionné les représentants d’une mutuelle. Ils ont décliné leurs titres, directeur général et directeur financier. Le président de la commission leur a demandé s’ils avaient un mandat de leur président. Ils étaient très étonnés de la question et n’avaient manifestement pas de mandat du président. Ils ne l’avaient même pas demandé. Ils considéraient qu’ils engageaient la mutuelle. Le président Fourré a accepté de les entendre puisqu’ils étaient là et certainement très compétents, mais en leur indiquant que leurs propos n’engageaient pas la mutuelle. Il faut donc approfondir cette question.

Dans un établissement public, c’est clair, c’est le directeur général qui engage l’établissement. J’ai été directeur d’un établissement public. J’avais un conseil d’administration. Il était absolument évident que ce n’était pas le président du conseil d’administration, qui était présent, qui me dictait les décisions importantes. Il en était informé, bien sûr, mais prendre les décisions, c’était le rôle du directeur. Ce n’est pas le cas du régime des mutuelles.

M. Joël GOYHENEIX : Il me semble que l’on peut très facilement rapprocher le problème des administrateurs des mutuelles de la problématique de l’indemnisation des élus. Soit l’élu d’une collectivité locale n’est pas là, c’est le secrétaire général qui est le véritable patron, et c’est un affaiblissement net de la démocratie, soit on veut qu’il soit là et on lui donne effectivement les moyens d’y être, sauf à ce qu’il soit bénévole et seuls alors les retraités peuvent le faire. C’est la même chose dans une mutuelle. Le fait qu’un administrateur ne vienne qu’en pointillés constitue un affaiblissement réel de la démocratie. Il y a certainement un vide juridique dans lequel les gens se sont engouffrés.

M. le Président : Mais pour l’élu, tout est réglementé. On ne pourrait pas concevoir qu’un maire puisse toucher d’un autre établissement public ou d’une autre collectivité des indemnités pour lui permettre d’accomplir son travail de maire de façon plus complète.

M. Christian ROLLET : M’adressant au législateur, je pense pouvoir dire qu’il serait certainement utile de modifier la situation actuelle, qui est malsaine.

M. le Président : Nous en prenons acte. Je terminerai sur une dernière question concernant la trésorerie des mutuelles. Pourriez-vous nous parler du contrôle de cette trésorerie, et éventuellement des décisions d’affectation ? Exercez-vous un contrôle de la trésorerie des mutuelles?

M. Laurent GRATIEUX : Nous n’exerçons pas de contrôle de trésorerie à proprement parler. Il existe une règle prudentielle dans le Code de la mutualité, qui oblige les mutuelles à avoir, à leur actif, un certain nombre d’actifs dits réglementés pour " représenter " - c’est le terme employé par le Code - les provisions pour prestations à payer, c’est-à-dire les prestations dues mais non réglées, ainsi que le fonds de réserve ou les cotisations perçues d’avance. C’est la réglementation des placements. Pour le reste, il n’y a pas de réglementation particulière concernant la trésorerie.

Evidemment, lorsque nous contrôlons une mutuelle, nous examinons sa situation de trésorerie. Mais, généralement, les mutuelles, comme toutes les entreprises d’assurance, ont rarement des problèmes de trésorerie parce qu’elles encaissent les cotisations avant de payer les prestations. Donc, normalement, une mutuelle doit avoir une trésorerie excédentaire.

M. le Président : Excusez-moi, mais pendant un temps, il va y avoir de l’argent. Y a-t-il un contrôle des décisions d’affectation, des placements, de l’utilisation de cet argent ?

M. Christian ROLLET : Bien sûr.

M. le Président : Supposons qu’il y ait 25 millions à un moment donné, est-il possible pour une mutuelle de les placer pour qu’ils rapportent et exercez-vous un contrôle sur de telles décisions ?

M. Laurent GRATIEUX : Les mutuelles sont bien entendu libres de placer leurs trésoreries et heureusement qu’elles le font, dans l’intérêt de leurs adhérents. Les placements doivent toutefois obéir à des règles qui ne concernent pas la totalité des placements, mais seulement ceux qui doivent couvrir, si je puis dire, les provisions. Ces placements, pour les mutuelles qui ne gèrent que le risque santé, sont, en gros, des obligations françaises et des titres du marché monétaire négociables. Mais, au-delà de ce qui est nécessaire pour couvrir les provisions, les mutuelles peuvent placer librement. Elles peuvent faire des investissements, voire prendre des participations dans des sociétés. Nous n’avons pas les moyens d’empêcher cela.

Le Code ne distingue pas les placements faits uniquement dans le but de rapporter un certain rendement financier des prises de participations qui sont, à mon avis, d’une nature un peu différente puisque, derrière l’idée de prise de participation, il y a éventuellement celle de prise de contrôle de sociétés commerciales. A mon avis, il y a là deux choses différentes et le Code de la mutualité ne réglemente pas les prises de participation. Dans le Code des assurances, en revanche, il est prévu qu’une société d’assurance ne peut pas prendre plus de 50 % du capital d’une société, pour les mutuelles, il n’existe pas de règle similaire.

M. Christian ROLLET : Il faut bien rappeler que les mutuelles sont des organismes de droit privé. Par conséquent, le contrôle effectué par un corps comme l’IGAS est très réglementé, plus qu’ailleurs. Je fais là exception de la partie régime obligatoire car dans ce domaine où l’argent public est concerné, notre contrôle, notamment quand il s’exerce sur des mutuelles des étudiants, est par définition beaucoup plus approfondi. Nous ne rencontrons là aucun obstacle juridique car nous étudions l’usage qui est fait de l’argent public, qui est celui de la sécurité sociale.

En revanche, nous sommes beaucoup plus contraints lorsque nous regardons la gestion mutualiste. D’ailleurs, les mutuelles ne se privent pas de nous le rappeler. La loi Evin, qui a créé la commission de contrôle, a voulu protéger l’adhérent. Il existait un certain nombre de scandales, surtout dans d’autres pays et le législateur a cherché à prévenir les risques d’incapacité de la mutuelle à honorer ses engagements vis-à-vis de ses adhérents. Le contrôle s’inscrit dans cette optique. Cela peut nous amener à aller très loin dans l’examen d’un placement, à dire que tel placement est très risqué, qu’il est contraire aux règles fixées dans le Code, mais au-delà même des règles, nous pouvons critiquer tout ce qui est de nature à se retourner contre l’adhérent, à augmenter les risques d’incapacité de la mutuelle à remplir ses engagements.

M. le Rapporteur : A propos de l’utilisation de l’argent public, les personnes qui vous ont précédés, nous ont donné le sentiment qu’en faisant des efforts de gestion, d’organisation, les mutuelles arrivaient à dégager des marges sur le montant des remises de gestion qui leur étaient accordées. Ces marges ainsi dégagées restent-elles de l’argent public ou passent-elles dans le domaine privé de la mutuelle ? Quelle est, pour vous, la frontière légale entre l’aspect argent public dans le cadre de la remise de gestion pour gérer un service public, et les marges dégagées dessus ?

M Christian ROLLET : Du point de vue du principe, il me semble que les remises de gestion doivent servir exclusivement à la gestion du régime obligatoire. Dans la pratique, comme nous l’avons vu, pour toute une série de raisons liées au manque de rigueur de gestion et de contrôle, on ne sait pas dire exactement si le coût de gestion de ce régime excède ou pas les remises de gestion.

Nous disposons tout de même maintenant, et avec le rapport qui va sortir, d’une masse de simulations. Nous n’avons pas de comptabilité, nous avons des simulations. Ces simulations conduisent, suivant les clefs de répartition et suivant les méthodes, à dire que les remises de gestion sont supérieures ou égales au coût. Une des simulations tend à dire que, grosso modo, c’est le bon niveau correspondant aux dépenses réelles. D’autres disent que les remises sont excessives. Mais, vous aurez les chiffres. Toutefois, l’excédent n’est pas considérable. Il n’y a pas de trésor caché.

Certes, tous les corps de contrôle ont le sentiment que l’on pourrait faire mieux avec l’argent donné ou faire aussi bien avec moins d’argent. Nous n’avons pas d’éléments comptables pour le prouver. Nous pouvons montrer dans quels domaines des améliorations de gestion nous semblent possibles, mais cela ne représentera pas des centaines de millions d’économie.

M. le Président : Lorsque l’on nous parle d’une marge de 15 %, cela vous semble exagéré ?

M. Christian ROLLET : C’est peut-être la partie haute de la fourchette.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions pour l’intérêt de vos déclarations. Vous pouvez transmettre à la commission vos observations et vos propositions, et lui faire parvenir tous les documents que vous jugerez utiles, en plus de ceux cités par Monsieur le rapporteur.

Audition de Mme Martine AUBRY,
Ministre de l’Emploi et de la solidarité

(procès-verbal de la séance du 7 avril 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

Mme Aubry est introduite.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, Mme Aubry prête serment.

M. le Président : Madame la ministre, dès le 4 mars dernier, en séance publique, vous avez exprimé la position du Gouvernement sur le régime de sécurité sociale des étudiants, non pas sur le principe d’une commission d’enquête, mais sur le fond, soulevant alors bon nombre de questions.

Nous souhaitons maintenant connaître plus en détail l’analyse que fait le Gouvernement des dysfonctionnements actuels des mutuelles étudiantes et des moyens d’y remédier.

Mme Martine AUBRY : Messieurs les députés, je tiens tout d’abord à rappeler l’intérêt que le Gouvernement porte aux travaux et propositions de votre commission d’enquête pour améliorer encore le régime de sécurité sociale des étudiants. Nous sommes tous attachés à sa pérennité.

Ce régime particulier permet de prendre en compte la spécificité de la population étudiante, qui, par le biais de ses mutuelles, est très étroitement associée à la gestion de sa couverture sociale. En vertu des principes généraux de la mutualité, cette représentation se fonde sur des règles démocratiques, sur l’absence de tout but lucratif et sur la solidarité entre les adhérents. Ce sont donc ces principes majeurs que nous devons avoir à l’esprit lorsque nous examinons le fonctionnement actuel des mutuelles, en l’occurrence des mutuelles étudiantes.

Les divers rapports réalisés sur les mutuelles étudiantes, qu’ils émanent de la Cour des comptes ou de l’IGAS, ont tous émis une appréciation favorable sur la qualité du service rendu. En effet, la gestion du régime de base par les mutuelles présente des avantages évidents : un accueil personnalisé, des facilités de contact, une possibilité de dialogue, la proximité, une unité d’interlocuteurs et une simplification pour les remboursements.

Cela dit, c’est bien parce qu’il est attaché au régime de sécurité sociale étudiant que le Gouvernement porte une attention particulière aux dysfonctionnements qui pourraient aboutir, si nous n’y prenions garde, à la remise en cause de la délégation de gestion dont bénéficient les mutuelles d’étudiants, ce que nous ne souhaitons bien évidemment pas.

Le Gouvernement entend en particulier agir pour que les mutuelles étudiantes soient gérées dans des conditions qui assurent la maîtrise de leurs coûts de gestion et la transparence. Il est par ailleurs de leur intérêt comme de celui de leurs affiliés qu’elles puissent être soumises à un contrôle efficace.

C’est pour ces raisons qu’à la suite du rapport général de la Cour des comptes sur la sécurité sociale, remis fin 1998, et qui s’interrogeait, à propos des mutuelles, sur le niveau des remises de gestion et leur adéquation avec le coût réel du service rendu, j’ai, conjointement avec le ministre de l’Economie, des finances et de l’industrie, diligenté une mission de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales sur les coûts réels de la gestion du régime de base par les mutuelles étudiantes et sur les moyens de contrôler, de manière fiable et pérenne, l’évolution de ces coûts pour les années à venir.

Le rapport vient de m’être remis – il est à votre disposition. Il confirme entièrement le diagnostic de la Cour des comptes, en estimant que les remises de gestion sont trop élevées et proposant une diminution de 306 F à 260 F par étudiant, du même ordre de grandeur que celle que suggérait la Cour des comptes.

Ce rapport établit que les dépenses de communication des mutuelles – soit 14 % de leurs charges de gestion – sont liées à une logique commerciale qui n’est pas cohérente avec leur mission d’organismes délégataires de la sécurité sociale en matière de santé, ce qui fait qu’elles ne doivent pas être financées par les remises de gestion.

Le rapport constate également que le nombre important de mutuelles d’étudiants entraîne des surcoûts et des retards dans la mise en œuvre de l’informatisation. Chaque mutuelle développe ou fait développer ses propres outils informatiques. Ces développements progressent au rythme des possibilités financières des mutuelles qui sont limitées, et débouchent parfois sur des problèmes de comptabilité avec le système de la CNAM. Par ailleurs, la redondance de développements différents, pour satisfaire un même cahier des charges, s’avère in fine très coûteuse.

Le rapport suggère donc de soumettre les mutuelles d’étudiants à de véritables contrats d’objectif, qui ne se bornent pas, comme actuellement, à définir le montant des remises de gestion : ces contrats devraient fixer des objectifs en termes de mise à niveau informatique et de productivité. Dans ce cas, la CNAM pourrait voir son rôle élargi à celui de prestataire de service, et assurer, contre rémunération, la conception et le développement des outils informatiques des mutuelles. Une autre possibilité, selon le rapport, serait que les mutuelles se regroupent pour développer ensemble leur réseau informatique.

Plus globalement, des objectifs mesurables devraient être fixés en termes de qualité du service rendu aux étudiants, comme cela existe pour les caisses d’assurance maladie dans le cadre des conventions d’objectif et de gestion.

Je souhaite que les conclusions de ce rapport servent de base à l’élaboration du prochain contrat pluriannuel entre la CNAM et les mutuelles d’étudiants, qui doit fixer le montant des remises de gestion pour l’exercice 1999 à 2001 – soit trois ans. Ce rapport sera donc soumis à la CNAM dans les prochains jours.

Ce rapport IGF-IGAS a aussi le mérite plus général de mettre en lumière le fonctionnement original du régime de sécurité sociale des étudiants dans le paysage actuel de la sécurité sociale.

Comme pour le régime des fonctionnaires, la gestion du régime de base des étudiants est déléguée aux mutuelles, qui sont au nombre de deux par région : la MNEF, seule mutuelle nationale, et une mutuelle régionale. Les étudiants ont donc le choix de leur mutuelle d’affiliation, alors que les fonctionnaires, eux, ne disposent que d’une mutuelle par ministère. Ce fonctionnement déporte sur le régime de base la concurrence qui existe sur le marché du régime complémentaire. L’étudiant qui prend une assurance complémentaire la souscrit, en règle générale, auprès de la mutuelle grâce à laquelle il est affilié au régime de base.

Le Gouvernement n’a pas l’intention de remettre en cause cette concurrence : à condition d’être maîtrisée, notamment en ce qui concerne les dépenses de communication, celle-ci doit en effet permettre une qualité de service performante et des coûts de gestion réduits.

Enfin, nous porterons attention aux conclusions de votre commission pour atteindre les objectifs que nous nous fixons : que les mutuelles étudiantes satisfassent aux principes traditionnels de la mutualité ; que le coût du service soit le plus faible possible, pour une meilleure qualité du service rendu aux étudiants ; que les remises de gestion s’appuient sur la réalité des coûts et soient utilisées à bon escient.

M. le Président : Vous venez de rappeler que la mutuelle étudiante intervient à un double titre : pour la gestion, par délégation du régime général de sécurité sociale, et pour une couverture mutuelle complémentaire. Or on a souvent évoqué la difficulté voire l’impossibilité de dissocier, au travers des comptes des mutuelles, cette double activité. N’y a-t-il pas là, selon vous, une situation qui a trop longtemps rendu toute procédure de contrôle inefficace ?

Mme Martine AUBRY : De fait, au cœur de la question dont nous traitons aujourd’hui se pose le problème du contrôle des mutuelles.

Il existe actuellement un double système de contrôle, qui n’est pas coordonné et ne permet pas, sans doute, de porter une appréciation claire, à tout moment, sur la gestion des mutuelles.

La gestion du régime obligatoire des étudiants par les mutuelles qui reçoivent à ce titre les remises de gestion est soumise au contrôle de l’IGAS. Je signale à ce propos que le rapport demandé en 1995 à l’IGAS et remis en avril 1996 n’avait pas formulé de remarques critiques sur la dépense consentie en faveur de chaque mutuelle au titre des remises de gestion. C’est sans doute ce qui explique que mon prédécesseur n’ait pas remis en cause ce système avant la signature du contrat d’objectif entre la CNAM et les mutuelles étudiantes, pour la période 1996-1998. Il a fallu attendre le rapport de la Cour des comptes pour que nous nous intéressions véritablement à ce problème et que nous diligentions l’enquête commune IGAS-IGF.

Quant au contrôle de l’activité complémentaire, il est effectué par la commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance, qui veille au respect des dispositions législatives et réglementaires du Code la mutualité.

Au titre de l’article L. 531-1-5 du Code de la mutualité, la commission de contrôle des mutuelles peut s’intéresser à d’autres activités que le régime complémentaire : aux filiales, par exemple, mais seulement si elle est convaincue que leur fonctionnement altère l’autonomie de fonctionnement ou de décision de la mutuelle en question. Ces conditions restrictives expliquent sans doute que la commission de contrôle n’ait jusqu’ici jamais fait usage de ce droit de suite. Par ailleurs, pour des engagements inférieurs à 150 millions de francs de prestations, c’est le préfet de région où est installé le siège social de la mutuelle qui effectue ce contrôle.

La coordination et la complémentarité des contrôles que nous pouvons réaliser aujourd’hui sur les mutuelles – essentiellement sur le régime de base – m’apparaissent insuffisantes pour nous permettre d’y voir clair dans le fonctionnement des mutuelles. D’autant qu’aucun des deux contrôles effectués, par l’Inspection générale d’une part, par la commission de contrôle d’autre part, ne peut donner lieu à un droit de suite, sauf preuve quasi certaine de l’existence d’un problème majeur.

Au-delà de la nécessaire coordination des différents contrôles s’impose donc la nécessité d’une gestion plus transparente des mutuelles. Elle passerait d’abord par la mise en place d’une comptabilité analytique, avec séparation des différentes activités, afin que l’on puisse mieux apprécier le coût de gestion et l’efficacité de chacune des mutuelles, et vérifier que les remises de gestion sont bien utilisées au titre du seul régime de base. Sur la base du rapport d’inspection et des travaux de votre commission d’enquête, je pense que nous trouverons les moyens d’améliorer cette transparence.

M. le Président : Madame la ministre, vous acceptez donc de remettre à la commission le rapport de l’IGAS daté de 1996 et le rapport conjoint IGAS-IGF de 1999 ? Par ailleurs, pensez-vous souhaitable de soumettre les mutuelles aux règles des marchés publics ?

Mme Martine AUBRY : Je vous remets bien volontiers un exemplaire de chacun de ces rapports.

Aujourd’hui, les mutuelles ne sont pas soumises au Code des marchés publics. Elles sont régies, il faut bien le dire, par des dispositions assez peu strictes quant à la séparation entre l’ordonnateur et le comptable.

Le Gouvernement est tout à fait favorable à un renforcement des contraintes et des sécurités s’appliquant aux mutuelles. Cela passe d’ailleurs par une réforme de l’habilitation : celle-ci, aujourd’hui de plein droit, pourrait être conditionnée à des garanties.

Faut-il aller jusqu’à soumettre les mutuelles au Code des marchés publics ? N’est-ce pas incompatible avec le Code des mutuelles ? Je n’ai pas encore de réponse sur ce point ; une expertise est nécessaire pour le déterminer. En tout cas, même si le Code des marchés, en tant que tel, juridiquement, ne s’applique pas, il va de soi qu’il faut plus de transparence dans le mode de fonctionnement et l’appel aux marchés.

M. le Président : Quelle a été votre position concernant la nomination d’un administrateur provisoire de la MNEF au deuxième semestre de 1998 ?

Mme Martine AUBRY : J’ai reçu, le 29 juillet 1998, une lettre du président de la Cour des comptes qui, au vu de premières constatations, m’indiquait qu’il était amené à saisir le parquet concernant la gestion de la MNEF.

Au vu de cette information et des articles de presse à ce sujet, et avant même que la commission de contrôle des mutuelles et la Cour des comptes n’aient rendu leurs rapports, il m’est apparu que la politique de diversification de la MNEF comportait des risques financiers. Que pouvait-on craindre ? Sans doute une faiblesse du contrôle interne suite à la politique de diversification, des relations privilégiées avec certains fournisseurs ou prestataires, et l’attribution systématique d’indemnités aux administrateurs qui nous avait été signalée et qui avait été signalée par la presse.

Aussi, le 14 septembre 1998, j’ai demandé au directeur de la sécurité sociale, commissaire du Gouvernement auprès de la commission de contrôle des mutuelles, de proposer à celle-ci de nommer un administrateur provisoire. Le 17 septembre, le commissaire du Gouvernement a demandé à la commission d’engager une procédure contradictoire en vue de désigner un administrateur provisoire à la MNEF. La commission de contrôle a décidé d’attendre l’envoi des documents faisant état des faits relevés par la Cour des comptes. Je signale que je n’ai moi-même reçu le rapport provisoire de la Cour que le 21 septembre.

Le 29 septembre, la commission de contrôle a décidé d’engager à l’encontre de la MNEF la procédure contradictoire susceptible d’aboutir à l’envoi d’une injonction ou à la désignation d’un administrateur provisoire du fait du manque de transparence et de contrôle évoqué par la Cour des comptes.

Le 22 octobre, la commission de contrôle a entendu la MNEF, dans le cadre de la procédure contradictoire, et ses membres ont alors décidé à l’unanimité de nommer un administrateur provisoire à la MNEF.

Cette décision se fondait sur deux raisons : le caractère non probant des documents soumis par la MNEF pour contrecarrer les risques financiers qu’avait relevés la Cour des comptes, d’une part ; la négligence des dirigeants de la MNEF, qui, selon cette commission, faisait courir à la mutuelle des risques financiers, d’autre part.

Bien évidemment, le commissaire du Gouvernement m’a rendu compte des conclusions de ces réunions. Par ailleurs, après le 22 octobre, le président de la Commission de contrôle a confirmé par lettre au directeur de la sécurité sociale la décision de la commission.

Or le 3 novembre, la commission de contrôle, au vu du mémoire déposé par la MNEF le 23 octobre, a finalement renoncé à nommer un administrateur provisoire.

Elle a alors décidé d’engager " un contrôle approfondi sur pièces et sur place de la MNEF afin notamment d’évaluer, de manière précise et exhaustive, les engagements de toute nature de la mutuelle auprès de ses filiales, sous-filiales et autres partenaires commerciaux ou associatifs et les risques qui leur sont associés ". Nous attendons ce rapport provisoire qui, d’après ce que je sais, devrait être soumis fin avril pour donner lieu à une réponse contradictoire.

Tout me laissait penser que la commission nommerait un administrateur provisoire. J’avais d’ailleurs moi-même téléphoné au président de la commission pour lui préciser que le commissaire du Gouvernement s’exprimerait au nom du Gouvernement en demandant la nomination d’un administrateur provisoire ; je ne voulais pas qu’il y ait d’ambiguïté en la matière. J’ai donc été très étonnée, le 3 novembre, d’apprendre que la commission de contrôle renonçait à désigner cet administrateur provisoire. Peut-être a-t-elle eu des éléments justifiant sa demande de contrôle sur pièces actuellement en cours ? Mais je ne peux donner d’appréciation sur cette décision.

M. le Président : La presse a fait état de nombreuses prises de participation de la MNEF dans des sociétés commerciales dont l’activité semble éloignée - pour ne pas dire très éloignée - de son objet social. Pouvez-vous nous apporter des éclaircissements sur ce point ?

Mme Martine AUBRY : Sur ce point, je n’ai d’information, comme vous, que par la presse. Mais je pense que ce qui est vrai pour la mutualité étudiante vaut pour d’autres mutuelles. C’est ce qui m’amène à penser que la réflexion que nous menons actuellement sur la mutualité étudiante devra s’étendre à l’ensemble des mutuelles.

J’ai d’ailleurs été amenée, lors de l’anniversaire de la mutualité française, il y a quelques mois, à dire combien j’espérais voir perdurer les principes de la mutualité, grâce à une plus grande transparence dans le fonctionnement des mutuelles et grâce à un contrôle plus démocratique en interne et plus ouvert sur l’extérieur. La mutualité aurait tout à y gagner, notamment dans le débat européen où nous défendons l’originalité que représentent les mutuelles.

Selon le Code de la mutualité, l’objet social d’une mutuelle est de mener, dans l’intérêt de ses membres ou de leur famille, une action de prévoyance, de solidarité et d’entraide, ce qui, aux termes du même Code et du même article, peut la conduire à assurer le développement culturel, moral, intellectuel et physique de ses membres et l’amélioration de leurs conditions de vie.

Sans doute le Code de la mutualité légitime-t-il donc les mutuelles à mettre en place des œuvres sociales telles que des établissements de santé, des centres d’optique, des crèches, des centres de vacances, et même des activités visant le développement culturel et sportif des étudiants.

En revanche, il me semble – mais je ne sais cela que par la presse, je le répète – que les investissements dans des agences de voyage, des sociétés de courtage d’assurance, des sociétés de communication devraient être contrôlés au regard de la mission même de la mutualité. C’est peut-être un des points qu’il nous faudra préciser lors de la modernisation du Code de la mutualité que j’ai annoncée lors de la célébration du centenaire de la loi du 1er avril 1898 sur les sociétés de secours mutuel. Recadrer cette loi permettrait d’éviter des dérives qui, apparemment, ne sont pas le fait des seules mutuelles étudiantes.

M. le Président : En quoi la mise en place prochaine de la couverture maladie universelle (CMU) remet-elle éventuellement en cause la spécificité du régime étudiant ?

Mme Martine AUBRY : La couverture maladie universelle ne bouleverse en rien la spécificité du régime étudiant, qui demeurera ce qu’il est pour le régime de base. Il en va de même pour le régime complémentaire : les étudiants, comme l’ensemble des Français, resteront adhérents à leur régime complémentaire. Et lorsque leurs ressources se situeront en dessous du plafond, qu’ils seront indépendants fiscalement et n’habiteront pas avec leur famille, ils pourront bénéficier de la CMU comme tout autre Français remplissant les mêmes conditions.

Les mutuelles étudiantes ne seront donc pas gênées par le développement de la CMU. A l’inverse, comme toutes les mutuelles, elles pourraient être amenées à gérer la CMU pour certains étudiants, si elles se portent candidates pour le faire.

M. le Président : Le régime étudiant de sécurité sociale est " à la croisée des chemins ", selon le rapport de la Cour des comptes qui ajoute : " Le cadre des financements que les pouvoirs publics entendent accorder à la mise en œuvre d’une politique visant la prise en charge globale des conditions sanitaires et sociales des étudiants appelle un véritable réexamen ". Comment le Gouvernement analyse-t-il ces appréciations ?

Mme Martine AUBRY : Je ne sais pas très bien ce qu’entend la Cour des comptes par " croisée des chemins ". Le Gouvernement, pour sa part, entend maintenir le régime de sécurité sociale étudiant, sur la base même des principes de la mutualité. Il apparaît en effet, tant au Gouvernement qu’à l’IGAS ou à la Cour des comptes, que ces principes apportent un plus en termes de qualité des services rendus aux étudiants.

Pour autant, il convient de progresser dans certains domaines : le financement des remises de gestion, la transparence de la gestion – sans doute avec la mise en place d’une comptabilité analytique, non suffisante mais nécessaire –, les conditions de contrôle de l’ensemble des mutuelles, afin de permettre un contrôle externe dans la plus grande transparence et leur accorder ainsi une certaine légitimité. Sur ce point, le Gouvernement attend les propositions de la commission d’enquête.

Nous comptons donc travailler sur l’ensemble de ces points, en renforçant la mutualité étudiante et non en la remettant en cause. D’ailleurs, l’ensemble de la mutualité souhaite moderniser ses principes, qui ont maintenant cent ans, afin de mieux asseoir sa crédibilité.

M. le Rapporteur : Il apparaît que les trois grands sujets sont l’efficacité des contrôles, les remises de gestion et la filialisation de certaines activités. Vous paraît-il souhaitable que les mutuelles étudiantes en viennent à bien cloisonner leurs différentes activités : l’assurance obligatoire, l’assurance complémentaire, et les diverses activités sociales ?

Mme Martine AUBRY : Il me semble que c’est la base de tout contrôle. Sans une gestion et des comptes séparés pour les trois domaines que sont le régime obligatoire, le régime complémentaire et la gestion des autres activités, nous en resterons là où nous en sommes aujourd’hui.

Je signale d’ailleurs que la mise en place de la comptabilité analytique, nécessaire à la séparation comptable, était prévue dans les deux contrats d’objectif précédents : 1993-95 et 1996-98. Ce qui n’a pas été fait. Peut-être cela tient-il au fait que les dispositions législatives ne donnent au Gouvernement aucun pouvoir de sanction ni même un pouvoir d’incitation, ce qui devra être revu lors de la réforme du Code des mutuelles. La comptabilité analytique devra donc être mise en place, accompagnée des dispositions législatives adéquates.

La comptabilité analytique permettra d’apprécier et même de comparer les coûts de gestion des mutuelles, mais aussi de séparer leurs différentes activités, et donc de vérifier que ce qui est imputé au régime de base en relève bien. Pour autant, nous ne souhaitons pas que les remises de gestion diffèrent de ce qu’elles sont aujourd’hui en vertu de l’égalité de traitement. Elles doivent être identiques pour toutes les mutuelles.

La comptabilité analytique révèlera la bonne ou la mauvaise gestion de certaines mutuelles, permettant aux meilleures d’entre elles de proposer aux étudiants des services de meilleure qualité. C’est par ce biais et non par celui des dépenses de communication – qui me paraissent excessives – que doit pleinement jouer la concurrence.

Je le répète, nous devons faire en sorte que la concurrence joue sur la qualité des services et leur étendue, et ne dépende pas d’une politique de communication qui, me semble-t-il, n’a rien à faire dans un métier comme celui-là. Nous aurons également besoin de préciser l’objet possible des filiales.

M. Robert PANDRAUD : Madame la ministre, vous nous avez dit que le rapport d’enquête de l’IGAS de 1995-96 n’avait rien relevé d’anormal, et qu’il avait fallu un rapport de la Cour des comptes pour s’inquiéter. Une telle situation aurait été impensable il y a encore dix ans. Ce fait ne remet-il pas en cause l’existence de l’IGAS, et même de tous les corps d’inspection ministériels ? Ne vaudrait-il pas mieux, pour plus d’efficacité, une inspection générale dépendant du Premier ministre, avec des personnels compétents ? Le contrôle souvent " tatillon " et a posteriori de la Cour des comptes n’est en effet pas très utile pour les ministres, quel qu’en soit l’intérêt pour le public.

Mme Martine AUBRY : Le rapport de l’IGAS de 1995 n’était à l’évidence pas d’une qualité extrême, car les problèmes aujourd’hui soulevés auraient dû l’être alors. Je vous rejoins donc sur ce point.

Cela dit, moi qui suis dans ce ministère depuis 1975, je me réjouis de voir que l’IGAS reçoit, depuis quelques années, certains des meilleurs élèves de l’ENA et les autres fonctionnaires de l’IGAS sont nommés parmi les meilleurs du ministère de l’emploi et de la solidarité. Or aujourd’hui, ce corps est d’une grande qualité. C’est lui qui a mis au jour, à titre d’exemples, l’affaire de l’ARC, qui a fait un rapport de qualité sur la Corse, sans oublier plusieurs saisines du procureur sur toutes sortes de problèmes et de mauvaises gestions.

Si nous avons demandé une mission commune IGAS-IGF, c’est que cela paraissait nécessaire au vu du rapport de la Cour des comptes. Pour autant, il me semble important de pouvoir disposer d’une inspection générale particulière aux affaires sociales, y compris pour des affaires financières. Il faut connaître le fonctionnement des hôpitaux, par exemple, pour bien les contrôler, y compris sur leur gestion. Or la grande majorité des rapports qui me sont remis sont de bonne qualité, et parfois même d’une qualité extrêmement bonne.

En conséquence, même si nous avons parfois intérêt à réunir l’expertise de plusieurs inspections générales ou à mieux coordonner leurs travaux, je crois nécessaire de continuer à conforter l’IGAS pour des missions spécifiques au ministère de l’emploi et de la solidarité.

M. Bruno BOURG-BROC : Madame la ministre, vous nous avez dit que la majorité des mutuelles n’avaient pas perdu leur crédibilité. Les mutuelles régionales, à votre connaissance, sont-elles exemptes des dérives éthiques perpétrées par la MNEF et certaines de ses filiales ? Par ailleurs, quel est votre sentiment personnel sur le nécessaire pluralisme des mutuelles étudiantes et les modalités de réforme des remises de gestion ?

Mme Martine AUBRY : Concernant les mutuelles régionales, je n’ai pas d’informations particulières autres que celles que j’ai pu lire dans le rapport de la Cour des comptes, lequel souligne que la plupart des mutuelles mènent une politique de diversification. Celle-ci est-elle légitime, dans le cadre de leur mission, ou va-t-elle au-delà ? Je n’ai pas d’élément particulier pour le savoir.

Les rapports sur les mutuelles régionales, demandés par le président de la Commission de contrôle, sont achevés – je l’ai appris hier – et sont actuellement soumis à procédure contradictoire. Ils seront examinés par la commission de contrôle en mai. Ce sont des rapports provisoires sur la Mutuelle interprofessionnelle de France (MIF), sur la Mutuelle Interjeunes (MIJ), sur l’Union technique des mutuelles professionnelles (UTMP).

Or le chef de l’Inspection générale des affaires sociales, qui est membre de la commission de contrôle des mutuelles, a eu connaissance de ces rapports et m’a informé qu’il avait décidé de saisir le procureur.

Ce sont là les seuls éléments dont j’aie connaissance. Je n’ai pas moi-même ces rapports provisoires. Ils ont été diligentés par les préfets - puisqu’il s’agit de petites mutuelles - à la demande du président de la Commission de contrôle, qui les a maintenant en main.

M. Robert PANDRAUD : Juridiquement, qui saisit les parquets ? Vous ?

Mme Martine AUBRY : Non. C’est le chef de l’IGAS qui, étant membre de la commission de contrôle et en tant que tel, a décidé, au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale, de saisir le procureur. Il m’a informé par lettre, hier, qu’il avait décidé, au vu de ces rapports, de saisir le procureur. Il n’a pas à m’en demander l’autorisation, ni même obligation de m’en informer.

Pour en revenir aux questions posées par M. Bourg-Broc, j’ai toujours pensé que la concurrence était une bonne chose. Il me semble donc bon que les mutuelles se fassent concurrence sur ce qui doit apporter un plus aux étudiants : sur la qualité et la quantité des services rendus. Mais elles n’ont pas à se faire concurrence par le biais de dépenses de communication en vue d’" attirer la clientèle " – dépenses dont la part s’élève tout de même à 14 % des charges de gestion, selon la Cour des comptes.

Aussi, si nous parvenons à cadrer les diversifications possibles ainsi que le montant des dépenses, nous devrions parvenir à une concurrence profitant à l’amélioration des coûts de gestion et à la qualité du service rendu, et pas à autre chose. C’est donc dans cet esprit qu’il nous faut travailler sur la réforme du Code de la mutualité.

S’agissant du montant des remises de gestion, le système prévu n’a jamais été appliqué parce qu’il est inapplicable. Aussi, maintenant que nous savons avec certitude, grâce aux rapports de la Cour des comptes et de l’IGAS-IGF, que les remises de gestion apparaissent trop importantes, il convient d’en modifier le mode de calcul.

A mon sens, il faut maintenir une égalité de traitement, et donc un montant de remise de gestion identique pour toutes les mutuelles. Le système forfaitaire devrait donc être maintenu. Mais il faudra désormais prendre en compte le résultat des comptabilités analytiques, afin de déterminer le coût de gestion réel du système de base – puisque s’agissant des remises de gestion, seul le système de base est concerné.

Ce système forfaitaire permettra aux mutuelles les plus performantes de dégager une marge, et donc de proposer des services complémentaires. Il ne me paraît d’ailleurs pas illégitime que ces mutuelles puissent bénéficier d’une prime d’intéressement à la bonne gestion, qui se retrouverait dans le service rendu aux étudiants. Faire l’inverse reviendrait, par le biais de remises de gestion plus importantes, à aider ceux qui sont les moins performants, ce qui n’irait pas dans le bon sens.

Nous allons donc maintenant travailler à la réforme du système de remises de gestion, qui, bien évidemment, doit être directement lié au coût de gestion du régime de base. Coût de gestion qui ressortira de la comptabilité analytique qu’il faut à l’évidence mettre en place et les propositions de la commission d’enquête sur ces points seront les bienvenues.

M. Yves NICOLIN : Il semble que les avantages accordés par la CNAM à la MNEF, entre 1985 et 1995, s’élèvent à près de 150 millions de francs, sur la base d’une somme forfaitaire de 317 F par étudiant en 1998. Vous venez de dire que la concurrence était une bonne chose. Entendez-vous demander à la MNEF de rembourser le trop-perçu, ou entendez-vous demander à la CNAM de rattraper l’inégalité subie par les mutuelles régionales indépendantes pendant toutes ces années ?

Par ailleurs, la délégation de gestion de la sécurité sociale aux mutuelles étudiantes implique que soit renégociée, chaque année, la somme forfaitaire versée par les étudiants. Suite à la renégociation de fin 1998 entre les caisses et les mutuelles, cette somme forfaitaire a été fixée à 317 F. Pour 1999, les mutuelles étudiantes sont encore dans l’incertitude alors que nous sommes déjà au mois d’avril. Peut-on imaginer que cette renégociation ait lieu en amont et que la CNAM annonce, en début d’exercice budgétaire, le niveau des remises, de façon à faciliter l’établissement et le vote de leur budget par les mutuelles ?

Mme Martine AUBRY : Je n’étais pas chargée de ce secteur avant 1994. Ce que j’ai cru comprendre, c’est qu’en 1994, le Gouvernement a décidé, sur la base d’un rapport, de fixer l’ensemble des remises de gestion à hauteur de celle de la MNEF, considérant que les autres remises de gestion étaient insuffisantes pour permettre un bon fonctionnement du régime de base.

Quant au dernier rapport IGAS-IGF, il indique que le passage de 306 F à 260 F par étudiant ne devrait mettre en péril aucune des mutuelles. Nous travaillerons donc sur cette base. Il est vrai que nous avons pris un peu de retard pour fixer le niveau du forfait, mais il m’a semblé utile d’attendre les conclusions du rapport IGAS-IGF pour pouvoir le soumettre à la CNAM avant que ne soit renégocié le contrat avec les mutuelles.

Venant tout juste de recevoir ce rapport IGAS-IGF, nous n’avons pas encore pu consulter les mutuelles, mais a priori, le montant de 260 F par étudiant paraît un chiffre vraisemblable. C’est donc sur cette base que la CNAM devrait discuter avec les mutuelles étudiantes.

Quant à ce que vous qualifiez de " trop perçu " par la MNEF, personne, jusqu’ici, n’a dit que la MNEF avait reçu des remises de gestion trop importantes. D’ailleurs, si le précédent Gouvernement a réévalué les remises de gestion à hauteur de celle de la MNEF, c’est bien qu’il estimait plutôt que c’était les autres qui étaient insuffisantes.

Je ne pense pas qu’on puisse revenir, des années plus tard, sur ce qui a permis, tout de même, un bon fonctionnement, et ce en faveur d’un très grand nombre d’étudiants en France. Je ne me suis donc pas posé cette question. L’important est désormais de mettre en place des règles transparentes, fiables et crédibles pour l’avenir.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Tout d’abord, je vous remercie pour la clarté de vos propos. Qu’en est-il, selon vous, de la qualité et de l’étendue des services rendus par les mutuelles d’étudiants ? De plus, de quelles réactions devraient-elles faire preuve pour mieux répondre à l’évolution des problèmes sanitaires et sociaux du monde étudiant ?

Mme Martine AUBRY : En tant que ministre, je n’ai affaire aux mutuelles étudiantes que pour ce qui concerne le régime de base. Or aucun rapport, ni celui de la Cour des comptes ni celui de l’IGAS, ne conteste la qualité du service rendu pour le régime de base par les mutuelles.

Il me semble qu’elles fonctionnent correctement, tant au niveau du service rendu à l’étudiant – proximité, écoute – que de la rapidité des remboursements. Sur ce terrain, en tant que ministre de la Santé, je n’ai pas de raison de considérer que les mutuelles étudiantes ne remplissent pas bien cette fonction. Le coût de gestion, en revanche, est un problème qu’il faut examiner de plus près, comme je l’ai déjà dit.

Pour le reste, il est important que les mutuelles continuent à jouer un rôle pour tout ce qui a trait à l’épanouissement des étudiants, dans les domaines culturel, sportif et même de prévention en matière de santé. Tout ce qui y contribue me paraît aller dans le bon sens.

En revanche, il convient d’éviter que leur mission, sortant du domaine de la mutuelle et du développement culturel, social, personnel de l’étudiant, ne s’étende au marché classique. C’est en ce sens qu’il va nous falloir travailler si nous souhaitons rester dans le cadre strict de ce que doivent être des mutuelles.

M. le Président : Merci, Madame la ministre, pour ces explications et pour les rapports que vous nous remettez. Je souhaite en effet que les membres de cette commission d’enquête disposent du maximum de pièces écrites ; c’est là la véritable transparence.

Audition de MM. Gabriel MIGNOT,

Président de la 6ème chambre de la Cour des comptes,

Alain DENIEL, conseiller-maître,

et Luc MACHARD, conseiller référendaire

(procès-verbal de la séance du 7 avril 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Mignot, Deniel et Machard sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Mignot, Deniel et Machard prêtent serment.

M. le Président : Messieurs, je tiens à ce que vous sachiez que nous avons reçu de la MNEF le relevé des constatations provisoires que la Cour lui a adressé en juillet 1998, document confidentiel et provisoire qui a été remis à chacun des membres de cette commission. Nous considérons cela comme l’équivalent d’une déposition orale, soumise au régime général des auditions devant notre commission.

Vous avez la parole, Monsieur le président, afin de nous présenter un bilan des différents types de contrôle ainsi que des procédures engagées par la Cour auprès des mutuelles étudiantes.

M. Gabriel MIGNOT : Je vais tout d’abord vous présenter rapidement l’état des travaux de la Cour sur la gestion du régime de sécurité sociale par les mutuelles étudiantes.

La compétence de la Cour est de droit pour contrôler les institutions qui gèrent les régimes légaux obligatoires de sécurité sociale. Les mutuelles exerçant cette mission par délégation pour la population étudiante relèvent donc du contrôle de la Cour des comptes : soit directement, pour les organismes nationaux, soit au travers des comités départementaux de contrôle des organismes de sécurité sociale, pour les sections locales.

Cette compétence, normalement, ne vaut que pour le régime légal et obligatoire de sécurité sociale. Mais, dans la mesure où les comptes de ces institutions ne distinguent pas les opérations de gestion relatives au régime légal et obligatoire de sécurité sociale, d’une part, de celles relatives au régime complémentaire, d’autre part, la Cour peut contrôler l’ensemble des opérations de ces institutions.

Ce qui signifie a contrario que si ces organismes avaient pris la précaution de bien distinguer, dans leurs frais de gestion, de manière à les rendre transparents, ce qui relève de la gestion du régime légal et ce qui relève des opérations accessoires du régime complémentaire, la Cour ne pourrait contrôler que la gestion par ces organismes du régime légal de sécurité sociale.

Au cours des années 1995, 1996, 1997 et 1998, nous avons donc contrôlé l’ensemble des mutuelles étudiantes : la MNEF, qui gère à peu près la moitié de la population affiliée, et les sept mutuelles régionales qui se sont constituées à partir de 1971.

Ces contrôles débouchent sur deux types de production écrite.

Le premier, c’est l’insertion que nous avons fait figurer dans le rapport de 1998 sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 : il s’agit là d’une insertion de portée générale, qui vise à donner une vue d’ensemble de la manière dont la sécurité sociale étudiante est gérée dans notre pays. Sauf exception, donc, les considérations de ce type n’identifient pas les problèmes particuliers à tel ou tel organisme, mais soulèvent les problèmes généraux liés à ce type d’opération. Pour nous, cet exercice est terminé puisqu’il a été publié dans le cadre du rapport public de 1998.

Le second type de production correspond à une procédure traditionnelle et classique de la Cour des comptes, à savoir les observations propres à la gestion de chacune des mutuelles – de la MNEF principalement, mais aussi des autres mutuelles.

Nous avons donc adressé, courant 1998, des relevés de constatations provisoires à chacun de ces organismes, en leur demandant de bien vouloir nous faire part de leurs réactions ; nous avons reçu leurs réponses.

En ce qui concerne la MNEF, nous avons même, à la demande des intéressés, procédé à une audition de sa présidente et de son directeur général. Nous en sommes maintenant à la phase terminale de cet exercice, à la préparation des observations définitives propres à chaque mutuelle, et très probablement, d’un référé, c’est-à-dire une lettre qui sera adressée aux ministres compétents – Madame la ministre de l’Emploi et de la solidarité, Monsieur le ministre de l’Education nationale et Monsieur le ministre de l’Economie et des finances.

Ces documents devraient être adressés dans quelques semaines à leurs destinataires. Compte tenu de la forte probabilité que ces documents deviennent publics – même si la Cour ne les publie pas –, nous avons jugé bon de prolonger un peu la procédure en notifiant à chaque institution et à chaque personne nommément mise en cause les extraits les concernant du texte que nous envisageons de publier. Ainsi, l’ensemble des personnes mises en cause aura eu la possibilité de s’exprimer avant la mise au point du texte définitif.

C’est en ce sens que la " diffusion " du relevé de constatations provisoires et des réponses de la MNEF peut poser problème, dans la mesure où les personnes mises en cause par ces documents pourraient légitimement se retourner contre les auteurs de la " diffusion ", s’il s’avérait que celle-ci leur faisait grief.

Je résumerai très brièvement l’insertion relative aux mutuelles dans notre rapport de 1998.

Le dispositif mis en place en 1948 repose sur le principe que la spécificité du monde étudiant justifie que la gestion du régime général de sécurité sociale soit confiée à des organismes gérés par les étudiants. Ce principe, qui s’applique à d’autres groupes professionnels, étant admis, nous avons relevé des dysfonctionnements ou déviations qui, selon nous, méritent un réexamen de l’ensemble du dispositif de la part des pouvoirs publics.

Ces dysfonctionnements tiennent tout d’abord au fait que certaines dispositions institutionnelles, inscrites dans les textes, ne sont pas respectées ; et, selon nous, à tort.

Ainsi, les dispositions qui prévoient la représentation des caisses primaires de sécurité sociale dans les sections locales mutualistes n’ont jamais été appliquées. Les textes prévoyaient en effet la possibilité de faire participer à ces sections des personnes " extérieures " au milieu étudiant, mais " intéressées " à cette gestion, ce qui est le cas des caisses de sécurité sociale, puisqu’elles prennent en charge le déficit du régime et ses frais de gestion.

Les textes légaux relatifs aux mutuelles disposent que les habilitations nécessaires aux mutuelles pour ouvrir une section locale relèvent du ministère de l’éducation nationale, alors que la tutelle d’ensemble du dispositif relève du ministère de la solidarité. Or la coordination entre ces deux ministères n’est pas tout à fait satisfaisante sur ce point.

Enfin, l’affiliation au régime est constatée par le fait que l’étudiant est inscrit dans un établissement agréé. L’agrément des institutions revêt donc une grande importance. La procédure d’agrément ne fonctionne pas très bien, et surtout, elle ne fait pas l’objet d’un suivi centralisé : l’administration de l’éducation nationale ne connaît pas l’ensemble des établissements agréés, ensemble qui détermine celui des personnes relevant du régime de sécurité sociale étudiant.

Au-delà de ces difficultés institutionnelles, les principales critiques de la Cour portaient sur les conditions et les formes de la diversification. S’agissant plus particulièrement de la MNEF, les causes du phénomène sont multiples.

Il y a la tendance des pouvoirs publics à passer par le canal des mutuelles pour faire face – plus ou moins bien – aux problèmes sociaux ou socio-culturels des étudiants, problèmes réels et qui d’ailleurs s’accroissent avec l’augmentation et la diversification de la population étudiante. Face à des minorités fragiles, les pouvoirs publics délèguent souvent aux mutuelles le traitement des problèmes qu’elles rencontrent.

Il existe en outre une volonté des dirigeants de se constituer des zones d’action autonomes souvent éloignées de l’objet social des mutuelles. Cette tendance est générale alors que, paradoxalement, pour 98 % d’étudiants affiliés à la sécurité sociale, seuls 27 % adhèrent à la partie mutuelle complémentaire.

Il y a enfin la concurrence qui s’est développée entre les différentes mutuelles. Naturelle, en quelque sorte, cette concurrence a eu des aspects positifs mais aussi des aspects négatifs, puisqu’elle a amené les mutuelles à dépenser des sommes importantes pour défendre leur part de marché.

S’agissant de la gestion administrative, la Cour a relevé deux domaines critiques.

Le premier est l’articulation entre l’université et les mutuelles pour l’inscription. L’inscription est en effet un processus complexe, coûteux et assez mal géré ; les cotisations encaissées par les universités ou les écoles arrivent dans les caisses de la sécurité sociale après de trop longs délais, les textes applicables ne sont pas toujours bien respectés.

Le second concerne les conditions de la gestion déléguée et la question des remises de gestion.

Les remises de gestion sont calculées de manière forfaitaire. Or la situation actuelle présente deux caractéristiques : les remises de gestion correspondent à un forfait, identique par étudiant pour l’ensemble des mutuelles, alors que pendant longtemps, la MNEF a bénéficié d’une remise de gestion plus élevée que les autres ; par ailleurs, le montant de ces remises de gestion n’est pas fondé sur des analyses, des pièces, des preuves, des comptes rendus permettant d’établir le compte du coût effectif de gestion des institutions.

Les mutuelles étudiantes répondent qu’elles ne sont pas les plus chères. C’est un fait qui s’explique d’abord par les particularités de l’assuré social étudiant, mais il n’est pas normal qu’en dépit des efforts de la CNAM notamment, l’ensemble des mutuelles aient refusé de justifier, au fond, leurs coûts de gestion.

Or notre analyse montre que, souvent, les remises de gestion versées par la CNAM représentent une part très importante de l’ensemble des coûts de gestion et, dans certains cas, les dépassent même : c’est-à-dire que dans certaines institutions, les recettes normalement consacrées au coût de la gestion administrative du régime légal dépassent le coût de la gestion administrative d’ensemble. Cela est contraire à l’objet même des remises de gestion, qui, censées couvrir les seules activités de gestion de la sécurité sociale obligatoire, devraient toujours être inférieures au coût de gestion total puisque celui-ci inclut le coût de gestion des activités mutualistes.

Face à ces constats, nous avons donc demandé aux pouvoirs publics de réagir. Les réactions ont été modestes. Il semble en fait que les pouvoirs publics ne souhaitent pas remettre en cause la délégation de gestion accordée aux mutuelles étudiantes. Ils ont reconnu qu’un problème existait s’agissant des remises de gestion, mais aucune proposition concrète n’a été formulée à la suite à nos observations.

M. le Président : Merci, Monsieur le président. Ainsi que je vous l’ai dit, nous disposons tant du rapport " général " que du rapport " spécial " de la Cour des comptes.

Les deux dernières conventions passées entre les mutuelles étudiantes et la CNAM prévoyaient la mise en place d’une comptabilité analytique. Pour quelles raisons, selon vous, cela ne s’est-il pas fait ? Et quelles sont les conditions techniques à respecter pour élaborer une comptabilité analytique adaptée aux mutuelles étudiantes ?

M. Gabriel MIGNOT : L’obstacle a tenu au refus des mutuelles de justifier leurs dépenses. En 1991, la CNAM avait décidé de revaloriser les remises de gestion mais, en contrepartie, demandait que les mutuelles acceptent un audit ; certaines l’ont accepté, notamment la MNEF, mais ont contesté les résultats, d’autres ont refusé l’accès des auditeurs à leurs comptes. Il ne s’est donc rien passé. La CNAM a plusieurs fois demandé au ministre de tutelle une aide pour obtenir ces justifications, et notamment la mise en place d’une comptabilité analytique, mais la tutelle n’est pas intervenue de façon suffisamment efficace pour que cela aboutisse.

Nous constatons donc que les acteurs qui avaient intérêt à obtenir ces justifications et cette transparence, soit n’ont pas voulu forcer la mauvaise volonté des intéressés, soit sont restés passifs. Toujours est-il que nous ne savons pas pourquoi ils n’ont pas été plus loin.

M. Alain DENIEL : La comptabilité actuelle des mutuelles ne sépare pas le régime obligatoire du régime mutualiste. Mais le problème d’une comptabilité permettant de déterminer de manière claire les coûts de gestion effectifs du régime obligatoire ne peut pas être résolu. En effet, l’opacité du système comptable général induit des difficultés pour appréhender les différents coûts intermédiaires.

Par ailleurs, une comptabilité analytique suppose de résoudre des problèmes généraux de répartition et de coefficients de répartition, lesquels, dans l’opacité actuelle de la comptabilité des organismes de sécurité sociale, ne peuvent pas être déterminés avec précision.

M. le Président : Pourquoi, dans vos recommandations, n’insistez-vous pas sur ce problème de la comptabilité analytique précisément ?

M. Luc MACHARD : Créer une comptabilité analytique sans laisser la tutelle ou la commission de contrôle, contrôler la manière dont sont établies les clés de répartition, c’est créer de l’opacité là où aujourd’hui il y en a peut-être un tout petit peu moins dès lors que l’on peut contrôler l’ensemble des comptes.

Créer une comptabilité analytique implique de faire la part entre les coûts propres au régime obligatoire, d’une part, et au régime complémentaire, d’autre part. Ceci suppose de demander à l’agent de base de distinguer, pour chaque opération, le temps qu’il pense devoir imputer au régime obligatoire ou au régime complémentaire, de lui demander, pour chaque facture, à quel régime elle doit être attribuée. Très vite, les agents se lassent de remplir les fiches qu’on leur a remises pour ce faire.

Aussi, le directeur administratif et financier de la MNEF, considérant que toute partition est arbitraire, estime que la bonne clé de répartition est de 3/4–1/4 et qu’il est en mesure de le démontrer sans risquer d’être contredit par quiconque.

Or comment contrôler les clés de répartition du temps de travail, des charges d’informatique, des charges d’affranchissement, par exemple ? C’est impossible. Les clés seront donc arbitraires. Dans ces conditions, le problème du contrôleur se sera alors déplacé vers la manière dont auront été déterminées les clés de répartition, ce qui introduit encore plus de technicité dans le contrôle. Sans compter que nous n’aurons plus la même capacité à analyser les pièces comptables qu’actuellement.

La mise en place d’une comptabilité analytique nous ferait perdre de l’information. Cela permettrait aux mutuelles de dire qu’elles ont satisfait à cette demande et n’ont plus de comptes à rendre pour le reste, alors que nous, en aval, nous n’aurions plus les moyens d’accéder aux mêmes pièces comptables et à la même information financière.

M. le Président : Normalement, dans un groupe de sociétés, on doit parvenir à des comptes consolidés, avoir une vision globale de l’ensemble. Quand une mutuelle crée des sociétés anonymes, SARL ou autres, pour répondre à certains besoins, avez-vous cette vision d’ensemble, lorsque vous procédez à vos contrôles ? Si non, quelles réformes proposer pour qu’une appréhension globale soit possible ?

M. Gabriel MIGNOT : Avant de parler des succursales ou des filiales, il faut parler des institutions elles-mêmes.

L’objectif, c’est la transparence, c’est-à-dire qu’un tiers puisse contrôler les clés de répartition. Il faut bien sûr pouvoir aussi contrôler l’ensemble des comptes de gestion, ce qui est le cas aujourd’hui, dès lors qu’ils ne sont pas séparés.

Si l’on évolue vers un système avec des comptes de gestion séparés, un pour le régime légal et un pour le régime annexe, il faudra alors que le contrôle porte sur la manière dont on affecte une dépense, soit au régime légal, soit au régime complémentaire. C’est cela, qu’il faut exiger. Le contrôleur doit pouvoir accepter ou non la ventilation que fait l’organisme entre frais de gestion consacrés au régime obligatoire ou aux dépenses complémentaires.

Les contrôleurs externes doivent donc pouvoir vérifier l’affectation des dépenses sans avoir à s’en remettre à l’institution. Car cette dernière, elle, ira au plus simple : elle affectera ses dépenses en fonction du rapport entre les prestations versées au titre du régime obligatoire et celles versées au titre du régime complémentaire. Or rien ne prouve qu’il en soit ainsi.

Quant à la transparence des filiales, elle tient avant tout au droit des sociétés : il convient de s’assurer que, dans chacune de ces sociétés, la comptabilité et le droit des sociétés s’appliquent.

De plus, il faut se demander quelles filiales, quelles associations-satellites sont acceptables au regard de la mission principale de l’organisme et de la transparence de sa gestion. En effet, si on a recours à ces solutions pour faire échec au contrôle, si elles conduisent à des opérations qui vont au-delà de l’objet social de la société, c’est alors le principe même de ces filiales qui est contestable.

Au niveau général, le problème est celui du contrôle.

En fait, les mutuelles devraient avoir obligation de s’entendre avec la CNAM sur la clé de répartition et donc sur l’affectation des charges entre le régime légal et le reste. Bien sûr, il y a des cas où le forfait sera toujours la règle ; on ne détaillera pas tout au franc près. Et si la CNAM estime qu’elle doit vraiment payer ce qu’elle verse, pourquoi vouloir être plus royaliste que le roi ? Mais le problème, c’est qu’elle ne sait pas ce qu’elle paie !

M. le Président : Comment en est-on arrivé à cette situation ? Pourquoi les dysfonctionnements n’ont-ils pas été enrayés très rapidement ? Des règles du droit des sociétés peuvent-elles être transposées pour assurer plus de transparence ?

M. Gabriel MIGNOT : Il faut bien distinguer la gestion des institutions de sécurité sociale des différentes initiatives qu’elles ont prises par ailleurs. Ce sont là deux sujets tout à fait différents.

Un premier problème est celui du fonctionnement des instances des mutuelles. Les instances dirigeantes disposaient-elles d’une information suffisante en quantité et en qualité ?

En réalité, l’instance qui décide en droit sur ces questions, c’est le conseil d’administration. Or il l’a fait, à notre avis, dans des conditions tout à fait critiquables. En effet, l’information transmise au conseil d’administration était insuffisante, et laissait donc une marge de manœuvre beaucoup trop grande à l’exécutif, au directeur ou à ses collaborateurs.

Un exemple. On nous a dit ne pas pouvoir nous garantir qu’il y ait à la MNEF un lieu où sont répertoriés les dossiers qui auraient pu être remis aux administrateurs avant les séances. Il y a bien des délibérations, mais aucune preuve que les administrateurs les aient reçues. Autre exemple : on a fait approuver par le conseil un apport de fonds à une filiale alors qu’en réalité, cette filiale transférait cet argent à une autre filiale, transfert jamais évoqué devant le conseil d’administration.

La première condition est donc un fonctionnement correct des instances dirigeantes. La présence au conseil d’administration de quelques personnes extérieures à l’institution, au conseil d’administration, serait de nature à exercer une pression en faveur de cette transparence.

Pourquoi la CNAM ne serait-elle pas administrateur de la MNEF ? Elle devrait avoir un droit de regard, puisqu’elle paie les remises de gestion.

Une autre condition pour que ce conseil fonctionne normalement, dans le cadre normal du droit des sociétés, serait que les commissaires aux comptes fassent leur travail, que les opérations d’évaluation des actifs, en cas de cession ou d’acquisition, se fassent selon les règles : avec des experts véritablement indépendants, ce que des instances vraiment indépendantes devraient exiger.

M. Jean-Louis FOUSSERET : L’objet de cette commission d’enquête est de savoir si de l’argent public ne s’est pas " évaporé " du fait de remises de gestion trop importantes par rapport au coût réel. Madame la ministre nous a expliqué que le coût réel de gestion pourrait être non pas de 306 F mais de 260 F. Vous nous expliquez, pour votre part, les difficultés à mettre en place une comptabilité analytique. Mais comment peut-on parler, dans ces conditions, d’un surcoût de 15 % ? Que pouvez-vous nous dire de la réalité des coûts de gestion ?

Par ailleurs, que répondre aux mutualistes qui indiquent que les remises de gestion faites aux mutuelles étudiantes se situent plutôt dans la moyenne inférieure des remises faites aux mutuelles en général ?

M. Gabriel MIGNOT : Nous n’avons pas été en mesure, au terme de nos investigations, de déterminer le vrai coût de gestion, tant du régime légal que du régime complémentaire. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons voulu examiner l’ensemble des dépenses.

Au vu des comptes d’ensemble, il est certain que la somme des recettes que ces organismes peuvent affecter à leur gestion administrative dépasse ces dépenses administratives, dans certains cas ; dans les autres cas, elles en sont tellement proches que compte tenu des incertitudes, on peut estimer que les remises de gestion sont trop élevées.

Mais nous n’avons pas fourni d’évaluation. Ce que nous avons souhaité mettre en valeur, c’est qu’il n’existait pas de dispositif de contrôle et d’examen contradictoire entre la CNAM et les gestionnaires. La solution serait donc d’instaurer une transparence entre celui qui paie et celui qui reçoit. On ne peut en dire davantage pour le moment.

Par ailleurs, nous avons examiné toutes les dépenses en nous demandant si elles paraissaient justifiées. Aurait-on pu gérer pour moins cher ? Sur ce point, nous avons fait différentes remarques, que vous connaissez. Mais nous n’avons été en mesure de contrôler que les comptes des mutuelles et pas ceux de leurs filiales, car il y en a trente cinq.

M. Luc MACHARD : Mettre en place une comptabilité analytique supposerait que les mutuelles communiquent leurs comptes à la CNAM, ce qui, jusqu’ici, n’a jamais été le cas. Or elles ne l’accepteront pas plus demain qu’aujourd’hui.

M. le Président : Sauf si elles y sont contraintes.

M. Luc MACHARD : Mais dès lors qu’elles auront mis en place cette comptabilité analytique, elles auront un excellent argument de droit pour refuser tout contrôle allant au-delà de cette comptabilité analytique. Et se posera alors un problème d’une autre nature, ainsi que je l’ai déjà expliqué.

Par ailleurs, outre le conseil d’administration, il existe un autre organisme, la commission de contrôle des mutuelles, qui a pour mission de contrôler la manière dont les mutuelles utilisent leurs finances disponibles.

Les mutuelles sont censées appliquer des ratios de liquidité ; c’est un verrou. Qui dit liquidité, dit disponibilités immédiates. Or à la MNEF, certains ratios de liquidité sont descendus jusqu’à 0,39 alors que le minimum légal est de 1. Les 0,6 manquants sont bien passés quelque part. Jusqu’au contrôle de la Cour, c’est-à-dire jusqu’à une époque récente, l’émotion suscitée par ces faits a tout de même été toute relative. Ce verrou n’est donc peut-être pas suffisant, mais pourtant, il y avait matière à s’étonner que des sommes correspondant à 122 % des fonds propres soient affectées à autre chose que la gestion de la mutuelle.

Mais la comptabilité analytique comporte encore un autre niveau d’opacité. En effet, si on parvient à séparer les comptes du régime obligatoire de ceux du régime complémentaire, tout engagement financier que la mutuelle souhaitera faire sera bien entendu imputé, artificiellement, sur le compte du régime complémentaire. Ce faisant, on empêchera tout contrôle, fût-ce celui de la Cour des comptes.

C’est dire que la mise en place d’une comptabilité analytique sans garanties sérieuses est une fausse bonne idée. Car à l’opacité sur la communication des documents, à l’opacité sur la détermination des clés de répartition, à l’opacité sur le contrôle des pièces s’ajoutera celle sur toutes les activités que les mutuelles souhaiteront soustraire à toute instance de contrôle quelle qu’elle soit.

M. Joël GOYHENEIX : La comptabilité analytique nous apparaissait comme un moyen de contrôle imparable, et voilà que vous nous expliquez que loin d’apporter plus de transparence, elle pourrait au contraire permettre de cacher un certain nombre de choses. Dans l’hypothèse où il y aurait une comptabilité analytique, que conviendrait-il de faire pour que la Cour des comptes puisse, de fait, contrôler au-delà du régime obligatoire ?

M. Luc MACHARD : Si on ne leur impose pas de réelles conditions de transparence, les organismes peuvent s’opposer à un contrôle qui, jusque-là, était possible, en partie, parce que les comptes n’étaient pas séparés.

Le problème est un peu le même que pour le contrôle des associations. Quand une association vous livre un compte d’emploi parfait, bien séparé de ses autres activités – surtout pour celles qui bénéficient de la générosité publique –, on est obligé de s’en contenter. La lecture du rapport public sur le contrôle de l’ARC montre bien les difficultés qu’il a fallu surmonter pour pouvoir démontrer ce qui se passait à l’écart du compte d’emploi, particulièrement bien présenté.

M. Gabriel MIGNOT : Le contrôle est de la responsabilité de celui qui paie les remises de gestion. La Cour des comptes n’examinera pas tous les comptes tous les ans. C’est un garde-fou, mais pas une solution de gestion quotidienne. Il faut donc que l’organisme qui délègue ait le droit de contrôler qu’il paie ce qu’il doit payer à l’organisme qui bénéficie d’une remise de gestion. Le vrai contrôleur, c’est celui qui paie !

M. le Rapporteur : Pensez-vous que les possibilités de contrôles actuelles sont suffisantes ? Avez-vous le sentiment que les différents organismes de contrôle ont un droit de suite suffisant ? En effet, qui dit remise de gestion dit argent public, ce qui pourrait justifier le contrôle de l’ensemble des activités de la structure.

Par ailleurs, la séparation entre régime obligatoire, régime complémentaire et activités " sociales à vocation multiple " est-elle souhaitable, afin d’empêcher l’amalgame que permet une comptabilité unique ? Je ne pense pas là à la comptabilité analytique, mais bien à la séparation du fonctionnement de ces trois catégories d’activité.

De plus, concernant les filiales, les outils législatifs vous semblent-ils suffisants pour que les membres des instances ne puissent pas se renvoyer l’ascenseur en permanence ? Sachant que des membres d’un conseil d’administration prennent des décisions sur la base d’informations incomplètes, et que les mêmes personnes se retrouvent dans les conseils d’administration de différentes filiales ou de sous-filiales, on peut se demander si cela ne justifierait pas d’intervenir au niveau législatif.

Enfin, s’agissant des activités diversifiées des mutuelles, on a l’impression d’être dans une espèce de no man’s land juridique. D’un côté, jouent les règles de la comptabilité publique, qui valent pour un certain nombre d’organismes ; d’un autre côté, existe le droit des sociétés stricto sensu. Mais les mutuelles, étudiantes en particulier, semblent être dans un système bâtard, ne relevant ni tout à fait d’un régime, ni tout à fait de l’autre. Ceci engendre une confusion qui peut permettre, finalement, un éloignement de l’objet de départ assigné par le Code de la mutualité.

M. Gabriel MIGNOT : Tout d’abord, nous n’avons pas une vue d’ensemble du phénomène mutualiste : les mutuelles étudiantes n’en représentent qu’une petite partie.

Cela dit, se pose un problème général, au vu de ce qui a été possible dans les mutuelles étudiantes : le dispositif permet des diversifications critiquables – hors de tout problème d’honnêteté intellectuelle. Pour autant, je ne me sens pas à même de dire ce qui devrait être fait à l’égard de la mutualité en général.

L’important à mes yeux, je le répète, serait de permettre au payeur d’avoir un droit de regard beaucoup plus fort. Mais encore faut-il qu’il l’exerce. En effet, la CNAM paie non seulement les frais de gestion au travers des remises de gestion, mais elle paie aussi l’essentiel des prestations, puisque le régime est déficitaire à 80 % – les cotisations couvrant environ 20 %. Qu’il s’agisse de la gestion administrative ou de la gestion technique, les organismes payeurs devraient avoir un pouvoir entier de contrôle pour leur propre compte.

Par ailleurs, il me semble que le conseil d’administration devrait être composé de manière à ne pas être trop " endogame " – remarque qui dépasse la seule mutualité étudiante. Les textes prévoyaient que les caisses primaires soient présentes dans les sections locales. Rien n’a été prévu au niveau national. Mais on peut se demander pourquoi ces institutions ne seraient pas présentes au conseil d’administration.

On peut aussi prévoir, ce qui existe dans beaucoup d’établissements publics, la présence d’un commissaire du gouvernement : quelqu’un qui soit présent au conseil et qui, de temps en temps, s’étonne, pose des questions.

Tout cela peut paraître un peu bureaucratique, mais des solutions existent.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Entre 1992 et 1996, les coûts de gestion ont fortement évolué sans que ce soit en rapport avec l’évolution du nombre d’ayants-droit. Quelle est votre appréciation là dessus et, plus généralement, quel est votre sentiment sur la gestion quotidienne, ordinaire, de ces mutuelles ? Enfin, pouvez-vous dire un mot sur l’absence de séparation entre le comptable et l’ordonnateur.

M. Gabriel MIGNOT : Pour ce qui concerne la gestion technique, notre bilan d’ensemble a été positif. La gestion par les mutuelles étudiantes des prestations maladie nous a paru globalement bonne, en dépit de quelques faiblesses.

J’ai déjà mentionné une des difficultés, à savoir l’inscription puis l’encaissement des cotisations : le dispositif n’est pas bon, parce que les universités ou écoles qui perçoivent ces droits doivent ensuite les reverser à l’organisme de sécurité sociale, ce qui prend un temps assez long. Par ailleurs, comme les prestations, en réalité, sont payées par les caisses de sécurité sociale, le mécanisme induit des erreurs : des opérations de régularisation d’un montant significatif sont donc nécessaires, dans des conditions qui ne sont pas parfaites. Mais peut-on faire mieux dans ce domaine ? Je n’en suis pas convaincu.

M. Luc MACHARD : Concernant les dysfonctionnements dans la gestion elle-même, il est à noter que le régime se fait concurrence à lui-même, concurrence qui est coûteuse. Les mutuelles régionales sont financées par les remises de gestion, chacune dans sa région ; et il en va de même pour la MNEF. S’organise alors une concurrence de plus en plus coûteuse, avec une progression de 60 % sur trois ou quatre ans de certaines charges financée par les remises de gestion.

Le régime se fait donc concurrence à lui-même alors que les caisses primaires d’assurance maladie pourraient très bien prendre en charge la gestion de ce régime en totalité, et alors que les caisses primaires elles-mêmes mettent en place des informations destinées aux étudiants, et qu’elles jouent, parfois, le rôle de premier guichet quand il n’y a pas de mutuelle étudiante dans le ressort de la CPAM.

La question qui se pose est donc celle de l’opportunité : pourquoi a-t-on souhaité continuer à confier le régime étudiant à des mutuelles concurrentes, mutuelles qui sont de plus en plus financées par des remises de gestion grâce à des fonds publics, et de moins en moins financées par des fonds mutualistes ? La question de l’usage des fonds pour se faire concurrence à soi-même se pose donc bien.

Par ailleurs, toujours à propos des dysfonctionnements du régime, se pose le problème des ayants-droit majeurs autonomes(ADMA).On a monté là une usine à gaz dont personne ne se sort véritablement, ni les mutuelles d’étudiants, ni les mutuelles parentales, ni, à certains égards, les CPAM. Il y a lieu de clarifier le dispositif une bonne fois pour toutes : ou revenir en arrière, ou le rendre clair. Toujours est-il qu’il y a là dysfonctionnement, que cela coûte et que personne ne sait gérer cela correctement.

Un autre problème tient au fait, déjà évoqué par le président Mignot, que les URSSAF reçoivent des établissements des sommes dont elles ne connaissent pas l’exact décompte et qu’elles n’ont pas les moyens de vérifier en l’absence de listes des étudiants ayant versé leurs cotisations.

Si une université paie tardivement, elle peut soit avoir gardé les fonds dans ses caisses, soit en avoir fait autre chose pendant un certain temps – il est de règle que les fonds publics ne doivent pas produire de rendement financier. Quelles qu’en soient les raisons, règlements tardifs par les étudiants, étrangers en particulier, remboursement de cotisations payées deux fois, qu’il y ait négligence ou erreur, il y a là une déperdition d’information qui peut entraîner des problèmes financiers en plus ou en moins, ce que l’on ne sait pas. Or c’est crucial, car si tous les établissements d’enseignement supérieur de ce pays font des erreurs ne serait-ce que sur 1 % ou 2 % des droits d’inscription qui leur sont versés, la méconnaissance par les URSSAF des droits qu’elles doivent percevoir, au bout du compte, peut être très importante.

M. Jean-Louis FOUSSERET : Savez-vous combien coûte la gestion d’un assuré social par la CPAM ?

M. Gabriel MIGNOT : Cela figure dans notre rapport – dans la partie sur les réponses. Cela va de 250 F à 800 F. Le niveau des remises de gestion versées aux mutuelles étudiantes est inférieur à celui des autres mutuelles qui gèrent aussi le régime de base telles que les mutuelles de fonctionnaires.

M. Luc MACHARD : Les CPAM ne gèrent pas les mêmes populations. Il faut donc s’efforcer de déterminer ce que coûterait la gestion d’un étudiant par la CPAM.

Je crois que la CNAM parvient à faire cela assez bien. La réponse à votre question est donc dans tous les documents que la CNAM a réalisés sur ce sujet depuis quatre ou cinq ans.

M. Gabriel MIGNOT : Concernant la hausse des remises de gestion, nous n’expliquons pas cette hausse, nous la constatons.

Nous constatons qu’au départ de la période, la MNEF bénéficiait d’un taux de remise de gestion très supérieur à celui des mutuelles régionales. Aussi, ce qui devait arriver arriva : les mutuelles régionales s’en sont plaintes, à la suite de quoi on a tout aligné sur le niveau de la MNEF moins quatre francs. Ce qui explique qu’au travers des comptes, nous ayons immédiatement vu la situation des mutuelles régionales s’améliorer ce qui leur a donné les moyens de se diversifier. Mais pour notre part, nous ne savons toujours pas quel serait le bon niveau.

M. Alain DENIEL : Sur l’absence de séparation entre le comptable et l’ordonnateur, critiquée à la MNEF, je souhaite rappeler qu’il y a une sphère publique dans laquelle fonctionne le principe de la séparation de l’ordonnateur et du comptable, complété par le principe de la responsabilité du comptable ; responsabilité qui, sans être une garantie absolue, n’en est pas moins très importante, s’agissant de la gestion des fonds publics. Il existe par ailleurs la sphère des sociétés, dans lesquelles interviennent le commissaire aux comptes, les conseils d’administration, avec, là aussi, des contrôles qui peuvent être efficaces.

Et puis il y a une sphère intermédiaire, dans laquelle on peut d’ailleurs compter les organismes de sécurité sociale eux-mêmes, outre les mutuelles et les associations, même s’il convient de différencier les premiers de ces dernières.

Pour les organismes de sécurité sociale – je parle des caisses privées, car les caisses publiques, en tant qu’établissement public, bénéficient des règles de la comptabilité publique –, la règle de séparation entre ordonnateur et comptable existe, le principe de responsabilité du comptable existe. Mais ce principe n’est pas mis en cause de la même manière que dans les organismes publics. Il s’agit alors d’une responsabilité plutôt moindre que celle du comptable public, mais qui, néanmoins, imprègne la culture des organismes de sécurité sociale. En effet, le comptable d’un organisme de sécurité sociale pense à la mise en cause éventuelle de sa responsabilité, ce qui permet d’assurer une certaine sécurité.

En revanche, en ce qui concerne les mutuelles, le principe de séparation n’existe pas, pas plus que le principe de mise en cause de la responsabilité. Les commissaires aux comptes n’ayant à examiner que la régularité des comptes, il n’existe aucune appréciation de la gestion, pour les mutuelles.

Au contraire, s’agissant des caisses de sécurité sociale, les comités départementaux d’examen des comptes (CODEC) non seulement vérifient la régularité des comptes, mais portent aussi une appréciation sur la gestion.

C’est donc au conseil d’administration de chaque mutuelle d’exercer un contrôle sur la gestion. Et s’il ne le fait pas, on se trouve effectivement dans une situation où les contrôles étant moindres, les tentations sont plus grandes.

M. Joël GOYHENEIX : La tendance à la diversification que vous avez mentionnée a-t-elle été générale, ou a-t-elle surtout concerné certaines mutuelles ?

M. Gabriel MIGNOT : Le phénomène est particulièrement frappant à la MNEF. Dans les mutuelles régionales, de taille très inférieure, les diversifications sont moins importantes. Trois ou quatre ont fait des opérations de diversification significatives, de même nature mais d’une ampleur beaucoup plus faible que la MNEF. Et une ou deux, déjà, ont des filiales en très grande difficulté.

La tentation est générale, mais la situation la plus critique est celle de la MNEF.

M. le Rapporteur : Presque tout le monde semble admettre le principe de l’égalitarisme dans le niveau de remise de gestion. Or il me semble qu’il ne coûte pas la même chose à l’unité de gérer 100 ou 100 000 dossiers.

M. Gabriel MIGNOT : La pratique était inverse : la MNEF recevait beaucoup plus alors qu’elle avait 50 % de l’effectif et que les autres avaient un petit effectif. C’était un effet d’échelle négatif.

M. le Rapporteur : Cet égalitarisme absolu de la remise de gestion par étudiant, avec le nombre pour seul discriminant, vous semble-t-il justifié ? Par ailleurs, sur quelles mutuelles étudiantes la Cour est-elle en train de travailler ? Toutes les mutuelles régionales sont-elles concernées ?

M. Gabriel MIGNOT : Nous ferons des lettres définitives sur chacune des sept mutuelles régionales, avec des petites notes sur les unions techniques. Mais nous ne travaillons que sur ce qui relève de la sécurité sociale, et pas sur les mutuelles (MIJ, MIF et autres) qui ont un autre objet.

Quant au forfait par tête d’étudiant, c’est une solution forfaitaire qui est déconnectée de l’appréciation des conditions concrètes de gestion de chaque organisme. Est-ce à dire qu’il faille évoluer vers un montant propre à chaque organisme ? Cela supposerait une espèce d’investigation généralisée qui, sans doute, serait discutable.

Si les comptes vis-à-vis de la CNAM pouvaient être transparents, on verrait très vite dans quelle fourchette peut se situer la remise de gestion.

M. Luc MACHARD : C’est le plus mauvais système à l’exception de tous les autres. En effet, s’il y avait indexation sur la gestion, le système deviendrait inflationniste : tous les organismes seraient assurés de recevoir exactement la contrepartie de leurs dysfonctionnements ou de leurs dérives. Aussi, s’il n’est pas souhaitable de les aligner toutes, au moins est-on à peu près sûr que les moins bien gérées sont contraintes de faire des efforts.

M. Gabriel MIGNOT : On peut poser la même question à propos des frais de gestion à l’intérieur de la CNAM pour les différentes CPAM : est-ce que leur système est le bon ? Cela pose le problème de la pugnacité des gestionnaires et des contrôleurs. De toute manière, il n’y a pas de système parfait.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions pour cette audition.

Audition de M. Daniel LE SCORNET,
Président de la Fédération des mutuelles de France

(procès-verbal de la séance du 8 avril 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Le Scornet et Cresson sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Le Scornet, ainsi que M. Cresson, qui l’accompagne, prêtent serment.

M. Daniel LE SCORNET : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, je vous remercie d’avoir bien voulu auditionner la Fédération des mutuelles de France.

Mon témoignage sera un témoignage de principe et, pour une part, indirect, car aucune des mutuelles adhérentes à la Fédération des mutuelles de France, soit 800 mutuelles, n’est habilitée, ou n’a demandé une habilitation à gérer des assurances sociales étudiantes telles que la loi les définit.

Cependant, mon témoignage est aussi un témoignage intéressé, un témoignage impliqué, un témoignage engagé, pour deux raisons essentielles : d’une part, chacune des mutuelles de France intervient dans le domaine de la complémentarité au régime obligatoire des jeunes, y compris des jeunes étudiants, sans gérer le régime étudiant de façon déléguée ; d’autre part, la Fédération des mutuelles de France a initié avec une quinzaine d’organisations – syndicales, mutualistes, dont des mutuelles étudiantes et de jeunes – un séminaire national de réflexion sur le devenir des systèmes de protection sociale pour la jeunesse, dont la jeunesse étudiante. Nous étudions, au cours de ce séminaire, des propositions visant une protection sociale pleine et entière des étudiants et de la jeunesse qui, pour notre part, ne nous semble pas encore aujourd’hui satisfaisante.

Il existe, en effet, dans ce domaine, un manque d’autonomie de la jeunesse, qui est très lié à des questions de protection sociale, puisque les jeunes, notamment les étudiants, n’ont généralement pas de ressources autonomes. Il nous paraît donc opportun que le Parlement ait décidé d’une enquête sur le régime étudiant afin de pouvoir répondre aux nombreuses questions qui se posent sur sa gestion – encore que le rapport de la Cour des comptes de 1998 ait déjà donné des éléments et des recommandations dont certaines que nous partageons j’aurai l’occasion d’y revenir –, afin d’en avoir une vision administrative, mais aussi, c’est par ce point que je commencerai, Monsieur le président, une analyse du principe lui-même.

Notre première remarque concernant les assurances sociales étudiantes, qui sont calquées sur le régime général quant à leur niveau et leur périmètre d’intervention en ce qui concerne la maladie et la maternité, est qu’elles ne permettent pas, de notre point de vue, de faire face réellement à la capacité d’accès aux soins précoce et de qualité de la population étudiante. C’est le premier point que nous voudrions mettre en avant. Toutes les études existant aujourd’hui – elles sont assez nombreuses –, je me réfère notamment au rapport du Haut comité de la santé publique, montrent que nous sommes, dans ce domaine de la santé de la jeunesse au sens physique et mental du terme, dans une situation qui, sans verser dans le catastrophisme, est préoccupante, relativement grave.

Ainsi, le Haut comité de la santé publique constate que la jeunesse prise dans son ensemble est dans une situation historiquement tout à fait nouvelle, y compris du point de vue de sa santé, puisque pour la première fois peut-être dans l’histoire moderne, une catégorie de la population, sa jeunesse, risque de voir régresser et non pas progresser son état de santé.

Notre première remarque est donc de dire que, certes, votre enquête sur le régime de protection sociale des étudiants doit certainement viser les moyens, c’est-à-dire étudier toutes les caractéristiques administratives de gestion de ce régime, mais qu’elle doit aussi viser les fins, c’est-à-dire savoir si la protection sociale étudiante telle qu’elle est organisée aujourd’hui, permet réellement de faire vivre " en sécurité sociale ", au sens le plus fort du terme, les populations étudiantes. On peut aussi se demander si elle permet à la grande majorité des jeunes de pouvoir être étudiants, parce que l’un des obstacles, pour l’ensemble des jeunes, à l’accès aux études supérieures - ce qui peut être un objectif d’une société développée comme la nôtre - peut résider aussi dans le niveau de la protection sociale donnée aux étudiants.

C’est là le premier point sur lequel je souhaitais insister : une enquête pas seulement sur les moyens mais sur les fins.

Nous pensons qu’une vérification des finalités elles-mêmes du régime étudiant est nécessaire. Les étudiants bénéficient-ils aujourd’hui d’un statut social, au sens fort du terme, qui leur permet de vivre en bonne santé et en sécurité sociale ? Toutes les enquêtes disponibles et notre expérience en tant que Mutuelles de France nous font dire que tel n’est pas le cas.

La novation que représentera la CMU qui est en discussion au Parlement va créer une situation nouvelle de ce point de vue. Pour une large part, cette couverture maladie universelle sera dirigée vers ces populations jeunes, vers les populations étudiantes, puisque ce sont les populations les moins solvables, celles qui, bien qu’affiliées à des régimes de sécurité sociale, n’ont pas accès aux soins ou retardent leurs soins pour des raisons financières -pas seulement financières mais surtout financières. Les Mutuelles de France se sont donc engagées pour que la CMU soit vraiment une rupture avec la situation actuelle, qui engendre un retard considérable de soins ; il n’y a pas seulement non accès aux soins, il y a retard d’accès aux soins, en particulier pour les populations jeunes et l’on sait que, pour l’état de santé de la jeunesse, le problème de la précocité de l’accès aux soins et à la prévention est un problème fondamental.

La CMU est certainement une condition absolue de lutte contre ce que le rapport de la Cour des comptes note et que nous constatons nous aussi, c’est-à-dire un phénomène de démutualisation relative des étudiants. Il ne suffit pas d’affilier les étudiants à un régime de sécurité sociale – il faut le faire dans de meilleures conditions que celles qui existent aujourd’hui, je pourrais répondre à des questions dans ce domaine –, il faut aussi qu’ils accèdent à la mutualisation. Il faut bien que le couple " sécurité sociale-mutualité " soit pleinement assuré, en particulier pour les populations de jeunes.

Dans ce cadre, nous pensons qu’il reste un énorme effort à faire de remutualisation de ces populations, pas seulement d’affiliation au régime dans de bonnes conditions, mais aussi de remutualisation afin de trouver le couplage efficace entre sécurité sociale étudiante et mutualité étudiante. Tout ce qui fragiliserait ce couplage essentiel, irait à l’encontre très certainement, d’une capacité d’accès aux soins et aussi à la maternité, car je pense également à cet autre phénomène que chacun a en tête, qui est relativement préoccupant, qui est la date tardive du premier enfant pour les jeunes femmes. Aujourd’hui, on a son premier enfant à 29 ans. C’est dû à des facteurs très divers, mais l’une des raisons est aussi le statut social de la jeunesse et son statut de protection sociale. Le désir d’enfant est considérable dans ce pays, y compris dans la jeunesse, il va bien au-delà de la reproduction des générations, mais la capacité réelle de pouvoir mettre au monde un enfant est très liée au niveau et à la qualité de la protection sociale des personnes considérées. C’est particulièrement vrai des jeunes étudiantes qui ne peuvent, vues les conditions socio-économiques actuelles, faire droit à leur désir d’enfant, au cours d’une période où leur fertilité est à son apogée.

Voilà, sur le principe, les positions qui sont les nôtres.

Pour ce qui est de la gestion du régime au niveau administratif, c’est peut-être dans un jeu de questions réponses que nous en parlerons. Les recommandations de la Cour des comptes méritent, pour certaines, d’être précisées. Je vous ferai connaître nos propositions à ce sujet. Des propositions des mutuelles étudiantes nous semblent devoir être prises en compte. Puis, il y a les propositions que nous pouvons faire nous-mêmes.

Avec votre permission, Monsieur le président, je souhaiterais disposer de quelques minutes pour donner un point de vue plus prospectif.

Il nous semble que la première grande question, qui était d’ailleurs posée par la Cour des comptes est de savoir s’il reste justifié dans un monde différent de celui de 1948, de coupler le régime étudiant – le quasi-régime étudiant puisqu’il ne s’agit pas d’un régime spécial ni particulier mais d’un régime adossé au régime général – à la gestion déléguée des mutuelles ? Cela a-t-il encore valeur ?

Pour nous, non seulement ce concept a encore sa valeur, mais c’est une chance considérable pour permettre réellement l’accès aux soins et à la prévention des populations. Il faut au contraire, me semble-t-il, amplifier ce couplage plutôt que de le mettre en cause. C’est une des premières positions de la Fédération des mutuelles de France. La Cour des comptes le dit elle-même. En ce qui concerne la gestion des prestations dans ce cadre-là, son jugement est globalement favorable. Ce n’est pas ce système couplé en matière prestataire qu’elle dénonce, puisque la qualité et la rapidité de la prestation est assumée. Il n’y a là aucune raison de remettre en cause la synergie entre régime étudiant et mutuelles étudiantes.

La CMU nous semble devoir être étudiée de façon très précise pour permettre réellement d’aboutir – le projet de loi est en discussion, c’est le moment d’y réfléchir – au choix partenarial qui a été fait – c’est-à-dire le fait que chaque assuré puisse être à la fois assuré et mutualiste, qu’il puisse avoir l’ensemble de ces droits. Il faut que ce droit commun puisse aussi être appliqué en matière de mutuelles étudiantes. L’acuité du regard des parlementaires nous paraît sur ce point très importante.

Sans excuser les dérives commerciales et assurantielles qui ont effectivement pénétré le monde mutualiste – chacun en a les exemples en tête –, il ne faut pas négliger le fait que le champ sur lequel les mutuelles ont été amenées à intervenir a été soudainement et brutalement mis en situation concurrentielle, ce qui a conduit nombre de mutuelles et parfois, la Cour des comptes le dit, à la demande des gouvernements successifs, à prendre des initiatives qui dépassaient, en fait, leurs missions.

Aussi, deuxième grand axe prospectif, il nous semble qu’il faut faire très attention pour les mutuelles étudiantes, comme pour le mouvement mutualiste dans son ensemble, à créer un champ qui justement ne permette pas ces dérives. Le contrôle sur les mutuelles ne suffit pas, leur champ d’activité lui-même doit être assaini.

Dans ce domaine, ce qui attend le Parlement, c’est-à-dire la modification du Code de la mutualité à la suite de la transposition des directives européennes sur les assurances à la mutualité, doit permettre de revaloriser les missions de la mutualité. Dans ce cadre, nous proposons – dans une perspective d’assainissement pour les mutuelles étudiantes mais aussi pour tout acteur dans ce domaine – de faire ce que nous appelons une spécialisation du risque santé, c’est-à-dire faire en sorte que, sur ce risque, l’on trouve les mesures légales, tant au niveau national qu’au niveau européen, qui permettent que quels que soient les acteurs qui interviennent sur ce champ, puisque concurrence il y a, ils puissent le faire dans un cadre éthique qui soit normé de façon légale forte.

Deux mots sur ce cadre éthique : il nous semble que des règles de non-sélection, de non-exclusion doivent être imposées à l’ensemble des opérateurs ; il nous semble qu’il ne faut pas qu’un opérateur, quel qu’il soit, puisse consolider le risque santé sur l’ensemble de son portefeuille, parce que cela introduit des distorsions de concurrence terribles, qui conduisent ensuite l’ensemble des acteurs à mener des politiques qui ne sont pas des politiques éthiques ; et il nous semble qu’il ne faut pas dissocier les activités d’assurance du risque, des activités d’action sur le risque et de prévention. Or, vous le savez, la directive pose un problème grave, dans ce domaine, pour le mouvement mutualiste puisqu’elle demande que l’on dissocie les activités d’assurance du risque des activités de réalisation, qui doivent être, pour la mutualité étudiante, des réalisations fortes en matière notamment de contraception et de médecine préventive. Il y a donc là un cadre éthique à défendre.

Votre commission d’enquête qui cherche à donner pleine efficacité au régime étudiant ne peut pas s’abstraire du cadre lui-même dans lequel les mutuelles étudiantes et le régime de sécurité sociale étudiant vont devoir intervenir.

Cependant, cela ne sera pas totalement suffisant. Nous pensons que le cadre éthique dont je viens de parler, la CMU avec la volonté d’aller vers un partenariat qui permette une remutualisation très forte de ces populations, ne suffiront pas pour aboutir à l’accès aux soins de qualité pour l’ensemble des populations concernées. Nous sommes bien face à un problème assez large, qui est celui du régime général, certes, mais qui peut être traité de façon plus spécifique concernant le régime étudiant.

Nous savons que les problèmes de santé de la jeunesse sont des problèmes essentiels. Si une population est à préserver, c’est bien les jeunes, parce que toute leur vie en sera déterminée. Les niveaux de couverture du régime général sur lesquels s’adosse le régime étudiant sont insuffisants. Il serait bon, dans le cadre d’une évolution générale de la sécurité sociale française, d’avoir un premier axe d’amélioration qui viserait, d’ores et déjà, le régime étudiant. Puisqu’il y a spécificité, pourquoi les niveaux et les périmètres d’intervention du régime étudiant en matière auditive, d’optique ou dentaire dont on sait que ce sont des domaines où le régime général est d’une faiblesse insigne, ne font-ils par l’objet d’un effort spécifique ? Je pense aussi à la santé mentale dont on sait qu’elle a, au sein de la jeunesse, un rôle tout à fait décisif à jouer.

Il nous semble donc que, là aussi, il y a des efforts nouveaux à faire, qui permettraient d’améliorer le régime étudiant tout en offrant aussi une meilleure mutualisation généralisée de tous les étudiants et d’obtenir une efficacité beaucoup plus forte du régime.

C’est évidemment un domaine passionnant pour le mouvement mutualiste, parce que c’est l’avenir même des formes de protection sociale qui sont en jeu, si l’on cerne bien la situation de la jeunesse vis-à-vis de la protection sociale. Il nous semble que reste posé, par delà les problèmes d’assurance maladie et de maternité, le problème de la sécurité sociale de la jeunesse car, aujourd’hui, la jeunesse dans son ensemble, étudiante et non étudiante, est en situation de grande dépendance. Les jeunes dépendent essentiellement des ressources de leurs parents. Vous pouvez avoir vingt-six ou vingt-huit ans et être totalement dépendant, être en absence totale d’autonomie. Or, l’autonomie a un rôle décisif en matière de santé. Elle joue un rôle décisif évidemment pour la liberté personnelle, pour la liberté de choix, mais également dans le domaine de la santé.

C’est la raison pour laquelle nous réfléchissions – peut-être aurai-je l’occasion de répondre à quelques interrogations à ce sujet – à ce que pourrait être une branche jeunesse de la sécurité sociale. Il serait très étonnant que, depuis 1948, il n’y ait rien de nouveau à faire en matière de sécurité sociale pour une population qui s’est complètement transformée, tant quantitativement que qualitativement, puisque la jeunesse dure beaucoup plus longtemps et que les problèmes d’autonomie se posent. Nous pensons donc – c’est la base d’une réflexion qui pourrait englober le régime étudiant mais aussi le déborder – que les problèmes des ressources des étudiants sont posés, que, par exemple, le problème des cotisations des étudiants au système de retraites est posé, etc.

M. le Président : Votre exposé liminaire est effectivement très intéressant et nous allons vous poser quelques questions.

Pouvez-vous nous rappeler votre position concernant la transposition des directives européennes au secteur mutualiste ? En quoi, selon vous, l’application de ces directives modifierait-elle substantiellement l’économie générale des mutuelles étudiantes ? Nous recevrons M. Michel Rocard sur ce sujet, mais nous souhaitions connaître auparavant votre position à ce sujet.

M. Daniel LE SCORNET : Notre position n’est pas de ne pas nous conformer aux exigences communautaires, elle est de trouver une transposition qui permette, comme d’ailleurs Monsieur le Premier ministre a demandé à M. Michel Rocard de l’étudier, de trouver le moyen de se conformer à ces exigences communautaires tout en sauvegardant et en développant les bases mutualistes françaises.

Dans ce cadre, notre proposition essentielle est donc de rester dans l’esprit des directives, en en changeant légèrement la lettre. L’esprit des directives, c’est la spécialisation de l’assurance du risque. Nous, nous proposons d’aller plus loin et de spécialiser le risque santé lui-même pour les raisons que j’ai essayé d’exposer rapidement. C’est-à-dire qu’il s’agirait de faire en sorte que tous les opérateurs qui interviennent sur ce risque - assurances privées, institutions de prévoyance et mutuelles - soient tenus à intervenir selon les mêmes règles. C’est cela que nous recherchons.

Nous ne cherchons pas à ce que tous les opérateurs soient alignés, ce qui est un peu le sens actuel des directives, mais nous souhaitons que l’on harmonise plutôt leur champ d’intervention pour qu’il y ait une réelle capacité de concurrence mais sur des règles qui excluent les phénomènes de sélection et d’exclusion, qui excluent les phénomènes de consolidation du risque maladie sur le reste d’un portefeuille, ce qui permet à certains opérateurs actuellement, par exemple, de cibler effectivement les populations jeunes en bon état de santé, et de laisser aux mutuelles les autres populations – nous sommes là dans des situations qui ne sont pas conformes à l’éthique et à l’efficience du système ; des règles qui permettent aussi, ce que la directive ne permet pas pour l’instant et c’est la raison pour laquelle nous proposons une spécialisation, de laisser les mutuelles étudiantes gérer à la fois les services de prestations, mais également un certain nombre de réalisations qu’elles ont mis en place dans le domaine essentiel de centres de santé ou de centres de contraception, par exemple.

La directive dissocierait ces deux opérations. Or, il nous semble que l’action sur le risque, celle qui permet d’agir préventivement sur le risque est tout à fait interne à l’opération d’assurance en termes mutualistes. Nous ne sommes pas des compagnies d’assurances, nous ne sommes pas seulement des gestionnaires du risque, nous sommes essentiellement un rassemblement de personnes engagé dans la promotion de la santé de la personne humaine. Il s’agit, pour nous, non seulement d’assurer contre le risque mais aussi de le réduire. C’est donc la voie que nous proposons : avoir une spécialisation du risque santé qui permettrait aux mutuelles étudiantes de pouvoir joindre totalement leurs activités d’assurance du risque et d’action sur le risque.

M. le Président : Ma seconde question portera sur l’une des pistes de réforme du cadre légal des mutuelles, qu’est la mise en place d’une comptabilité analytique permettant de séparer régime obligatoire et régime complémentaire. Sa mise en place vous paraît-elle compatible avec votre souhait de ne pas dissocier les activités d’assurance du risque et les activités de réalisation ?

M. Daniel LE SCORNET : Tout à fait, Monsieur le président. C’est tout à fait possible, dans le cadre d’une comptabilité analytique sur nos propres réalisations que nous souhaitons. Notre idée n’est pas de confondre les gestions, elle est de ne pas les séparer. Au niveau comptable, il est tout à fait normal et sain que toutes les opérations soient bien perçues dans leur réalité. Il ne s’agit pas pour nous d’avoir un fonds commun où l’opacité règne. C’est même exactement l’inverse. Nous sommes évidemment pour des comptabilités analytiques de l’ensemble des opérations.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Cela ne pose-t-il pas trop de problèmes ?

M. Daniel LE SCORNET : Pour ce qui concerne les Mutuelles de France, cette comptabilité analytique est déjà réalisée. Nous comptons parmi nous des mutuelles qui gèrent le régime obligatoire, pour ce qui concerne la fonction publique hospitalière et territoriale, par exemple, dans une situation de gestion déléguée. Nous connaissons donc bien cette formule, puisque des mutuelles affiliées à la Fédération des mutuelles de France le font. Elles séparent tout à fait, de façon analytique, leur activité de prestation de sécurité sociale, leur activité de prestations complémentaires et leur activité de réalisations. C’est tout à fait possible. Je veux simplement dire que l’on ne doit pas les séparer dans la mission elle-même et dans la capacité d’utiliser l’action sur le risque pour réduire l’assurance du risque. C’est cela que nous visons, il n’y a aucune volonté d’opacité comptable, bien évidemment !

M. le Président : Jugez-vous satisfaisants les mécanismes de contrôle actuels des mutuelles ? Quelles améliorations pourraient être apportées ? Ne faut-il pas étendre ces contrôles à tous les placements financiers des mutuelles ainsi qu’aux filiales dans lesquelles elles sont majoritaires ?

M. Daniel LE SCORNET : Ma réponse est oui. Tout ce qui peut permettre à la commission de contrôle d’avoir une vision totalement exhaustive de la situation financière et de l’utilisation des fonds mutualistes nous semble devoir être privilégié. Nous avons tout intérêt, dans tous les sens du terme, à ce que cette clarté soit faite.

Dans ce domaine, il y a certainement des novations à trouver, pas seulement au niveau de la commission de contrôle. Par exemple, les textes disent, et n’ont jamais été appliqués, notamment dans le domaine étudiant, que les organismes de sécurité sociale devraient être représentés dans les sections locales mutualistes. Pourquoi ne le faisons-nous pas ?

Inversement, parce qu’étant mutualiste, je suis pour la réciprocité, pourquoi des représentants étudiants ne sont-ils pas représentés dans les organismes de gestion des caisses primaires et de la caisse nationale ? Il faut trouver des bases démocratiques et légitimes. Faisons- le.

M. Bruno BOURG-BROC : Indépendamment du fond que vous venez d’aborder, vous avez dit tout à l’heure, avec une certitude forte, que le désir d’enfant va, dans ce pays, bien au-delà de la capacité de reproduction. Sur quoi appuyez-vous cette certitude, parce que cela paraît un peu contraire à la réalité ?

Vous avez également souligné que les jeunes étaient dans une grande dépendance et que l’autonomie avait un rôle décisif en matière de santé. Avez-vous une conception d’un statut de l’étudiant dans lequel la sécurité sociale au sens large du terme aurait son rôle ?

Par ailleurs, vous avez souligné que des dérives commerciales et assurantielles avaient touché le monde de la mutualité. De quelles informations autres que celles que nous avons pu lire dans la presse disposez-vous pour parler de ces dérives ?

Enfin, que pensez-vous du système des remises de gestion allouées aux mutuelles étudiantes ? Le système actuel vous paraît-il équitable ?

M. Daniel LE SCORNET : Avec la modestie des savoirs qui sont les miens, sur le désir d’enfant, il existe des enquêtes nationales de l’INED et d’autres instituts. Il ne s’agit pas du tout d’une vision subjective. On sait que le désir d’enfant en France est d’un point supérieur à la descendance finale qui continue à tourner cependant autour de 2,1, alors que toutes les enquêtes montrent que le désir d’enfant s’établit à 2,9.

Le Conseil économique et social dont je suis membre est en train de travailler sur cette question, et l’on s’aperçoit qu’au niveau européen, il existe le même décalage, même si, comme vous le savez, par exemple, dans les pays du sud, les descendances finales sont beaucoup plus faibles qu’en France. Pourtant, partout, le désir d’enfant est régulièrement d’un point supérieur à ce qu’il est constaté. On peut donc penser que des conditions économiques et sociales modifiées, offrant aux personnes la possibilité de faire droit à leur désir d’enfant, permettraient d’aborder les problèmes démographiques de façon assez nouvelle.

Mon expérience mutualiste me fait dire, que, surtout dans cette tranche des vingt à trente ans, le désir d’enfant est fort, mais les couples, quel que soit leur statut, hésitent terriblement tant qu’ils n’ont pas d’assurance économique, de garanties et de sécurité, pour passer à l’acte de conception d’un enfant. On peut donc penser, en constatant que l’âge moyen auquel on a un premier enfant est de vingt-neuf ans, ce qui peut être préoccupant pour des raisons biologiques, que ce n’est pas en soi quelque chose de purement naturel, lié seulement aux changements de mentalité, même si ceux-ci sont forts. Dans un pays libre et démocratique, on pourrait créer les conditions socio-économiques qui permettent d’assouvir plus le désir d’enfant. C’est une analyse qui n’est pas seulement subjective, mais étayée par des études tant nationales qu’européennes.

Votre deuxième question est en partie liée à la première, car, en effet, la catégorie de la population qui est vraiment en dépendance au sens fort du terme, c’est-à-dire qui dépend pour sa vie de quelqu’un d’autre, c’est la jeunesse. On a beaucoup parlé de la dépendance des personnes âgées, qui est un véritable problème. Je sais que l’on n’a pas trouvé de solution satisfaisante au niveau législatif dans ce domaine. Mais le phare est peu mis et nous ferons tout pour que cela change et peut-être une telle commission d’enquête y participera-t-elle, sur cette situation de grande dépendance de la jeunesse.

Les aides, y compris les aides sociales qui existent pour les jeunes, sont importantes. Elles sont même en augmentation, puisque, hier, M. Claude Allègre a annoncé qu’un effort financier considérable serait consenti dans le domaine des bourses. Mais ces aides sont orientées vers les parents et non vers le jeune. Or, nous considérons, quant à nous, qu’à partir de dix-huit ans, voire de seize dans les conditions que définit la loi aujourd’hui, il y a maturité et majorité. Reste un problème clé à résoudre – c’est la raison pour laquelle nous avons un séminaire sur le sujet – pour faire en sorte que la personne humaine ait des droits économiques et sociaux qui lui soient propres et non dérivés de quelqu’un d’autre. Il y a bien un problème d’autonomie de la jeunesse. Plus que pour un statut social de l’étudiant, que nous ne négligeons pas bien évidemment, nous sommes pour une protection sociale de la jeunesse dans son ensemble, qui permettrait de mettre en place ce qui pourrait être une branche jeunesse de la sécurité sociale qui mette la jeunesse en autonomie et en sécurité. Cela me paraît très important.

En ce qui concerne les dérives commerciales et assurantielles, entendons bien ce que nous disons : depuis une vingtaine d’années, le secteur de la santé complémentaire est dans une situation concurrentielle et même hyper-concurrentielle. Toutes les institutions financières aujourd’hui, quelles qu’elles soient et quel que soit leur mode, interviennent sur ce champ. La concurrence est terrible. Qu’il y ait concurrence ne nous pose pas de problème en soi, mais qu’il y ait concurrence dans les termes où cette concurrence s’exerce, c’est-à-dire en permettant à certains des opérateurs de sélectionner les populations, d’exclure, de refuser l’assurance, de consolider une partie de leurs résultats de la branche maladie sur l’ensemble de leur portefeuille, conduit effectivement à ce que le champ d’activité emprunte de plus en plus aux techniques assurantielles qui font que l’on tarifie en fonction du risque, donc en fonction de l’âge, de la maladie et, bientôt, en fonction du risque de la maladie puisque les savoirs prédictifs vont monter. M. Jean-Claude Boulard a d’ailleurs rappelé avec force dans son rapport sur la CMU reprenant les positions de la Fédération des mutuelles de France, qu’elle allait certes régler certains problèmes mais ne les réglerait pas tous.

Nous avons, devant nous, un problème peut-être plus important, celui de la sélection et de la tarification différentielle dans le champ du complémentaire en fonction des risques et des facteurs de risque. Dans ce domaine, effectivement, les dérives concurrentielles ont fait que, comme les mutuelles se sont trouvées confrontées à cette sélection et à cette exclusion pratiquées par certains opérateurs, elles ont eu tendance elles aussi, c’est tout à fait indéniable, à appliquer progressivement des pratiques plus assurantielles et moins solidaires, moins mutualistes que celles que nous confèrent notre mission.

C’est la raison pour laquelle nous demandons que le Code de la mutualité interdise les opérations de sélection et d’exclusion des adhérents en matière de mutualité. Le Code de la mutualité le permet actuellement. La loi de juillet 1990 permet tout à fait aujourd’hui de faire des discriminations à l’assurance et à l’emploi en matière de santé. Nous demandons au législateur d’intervenir sur ce point. Un cadre juridique neuf pourrait certainement empêcher cette dérive assurantielle de l’ensemble du champ.

Quant aux dérives commerciales, à mon avis, elles n’ont pas lieu d’être. Encore une fois, je prends au sérieux ce que dit le rapport de la Cour des comptes. Le fait qu’elles aient pu exister est certainement lié au fait qu’il y a eu des encouragements publics de différents gouvernements successifs, visant à demander aux mutuelles, notamment aux mutuelles étudiantes et à la MNEF, d’intervenir dans des champs très divers. Cela a conduit à des choses répréhensibles, peut-être répréhensibles dirai-je, puisque je suis dans une situation de témoignage et que des opérations judiciaires sont en cours. Il est possible qu’il y en ait eu à la faveur de telle ou telle opération, mais de façon marginale dans le champ dont je viens de parler, ce qui ne remet pas en cause l’ensemble des propositions qui sont les nôtres. D’ailleurs, la Cour des comptes n’a pas mis en cause le service de prestations des mutualistes. C’est un point très important.

Je terminerai par le problème des remises de gestion.

Il y a une interrogation, la Cour des comptes elle-même le dit, sur le point de savoir si le système des remises de gestion du régime étudiant tel qu’il est calculé, c’est-à-dire de façon peu claire, n’a pas été l’élément qui aurait permis aux mutuelles de pouvoir mener des diversifications avec de l’argent public. C’est ainsi que je comprends la question.

Ce que nous pouvons en dire actuellement – j’en parle de façon d’autant plus objective que, je le rappelle, aucune de nos mutuelles ne gère de façon déléguée un régime étudiant –, c’est que les niveaux de remise de gestion alloués aux mutuelles étudiantes sont des niveaux égaux ou inférieurs à ceux alloués aux mutuelles de la fonction publique d’Etat, territoriale ou hospitalière, qui gèrent elles-mêmes le régime délégué – pas exactement dans les mêmes conditions, j’en conviens. Je ne crois donc pas, sauf étude plus poussée, qu’il y ait là une surdotation massive aux mutuelles étudiantes en matière de remises de gestion. En revanche, je pense que ce système de remises de gestion peut encore être clarifié pour que ce soient les coûts réels de la gestion qui soient pris en compte.

M. André ANGOT : Nous avons bien compris votre vibrant plaidoyer en faveur de l’action des mutuelles dans le domaine de la santé publique des populations étudiantes. Le problème, c’est que le fait générateur de notre commission d’enquête a été les dérives qui ont été constatées dans certaines mutuelles, du fait de la création par ces mutuelles de nombreuses filiales qui avaient des compétences dans des domaines tout autres que celui de la santé.

Ne pensez-vous pas qu’il serait bon que le législateur intervienne dans ce domaine et fasse des propositions pour recentrer le rôle des mutuelles sur la santé publique et pour les mutuelles étudiantes sur la santé des étudiants et des jeunes et que l’on clarifie le système en limitant l’intervention des mutuelles dans des domaines qui ne devraient pas être de leurs compétences et qui poseront d’ailleurs problème dans le cadre de la transposition des directives européennes ?

M. Daniel LE SCORNET : Je suis franchement favorable à un recentrage, y compris avec l’aide du législateur, de l’activité du monde mutualiste en général, et du monde mutualiste étudiant en particulier, sur ses missions telles que le législateur les a définies. Encore faut-il s’entendre sur ces missions.

Nous avons une vision de la santé qui est une vision moderne, qui est celle non seulement de l’assurance du risque santé, mais aussi de l’action sur les déterminants de la santé, qui sont des déterminants environnementaux, mentaux, etc.

Pour moi, recentrage ne veut pas dire diminution de la mission de la mutualité, il faut mieux la spécifier et peut-être l’ouvrir plus encore, par exemple, dans le domaine de la prévention. Il faudrait pouvoir confier à la mutualité des missions plus claires, plus fortes en matière de prévention de la santé humaine. Il reste en la matière un travail formidable à entreprendre. C’est la raison pour laquelle, si la commission d’enquête a été créée, j’en ai tout à fait conscience, à la suite de dysfonctionnements constatés au sein d’une ou plusieurs mutuelles étudiantes, le législateur a été sage de se donner le cadre large d’une réflexion sur le régime social des étudiants parce que, s’il ne fait aucun doute que les dysfonctionnements doivent être clarifiés et traités, il ne faudrait pas qu’ils cachent, ce qui est pour moi l’essentiel, c’est-à-dire l’état de santé de la population concernée, qui n’est pas du tout à la hauteur d’une démocratie moderne et riche comme la nôtre et qui demeure un très grand sujet de préoccupation.

Il faut enquêter non seulement sur les mutuelles, mais aussi sur le régime social obligatoire des étudiants qui, à mon avis, est un régime qui n’a plus la dimension, les niveaux, les périmètres conformes à notre société. Nous ne sommes plus en 1948.

M. le Rapporteur : Le Code de la mutualité définit un objet très large aux mutuelles ; celles-ci, qu’elles soient étudiantes ou non, peuvent intervenir dans des domaines très variés suivant la façon que l’on a d’interpréter les textes. C’est le principe de base.

Ensuite, on s’aperçoit que les mutuelles ne sont pas, dans ce type d’activités, soumises, par exemple, à la réglementation applicable aux établissements publics – c’est-à-dire Code des marchés, séparation de l’ordonnateur et du comptable – mais elles ne sont pas plus soumises aux règles qui régissent le droit des sociétés avec un certain nombre de limites. Nous avons eu, au cours d’auditions précédentes, l’impression que la législation en vigueur concernant la gestion des mutuelles avait pu être l’un des facteurs expliquant les dérives et les excès constatés dans la gestion de certaines mutuelles étudiantes, en particulier de la MNEF. Quel est votre sentiment à cet égard ?

M. Daniel LE SCORNET : J’entends que les règles ne sont pas les mêmes que celles des établissements publics, mais le Code de la mutualité est un code très élaboré qui permet un contrôle très strict de la mutualité. Je ne pense donc pas que le cadre législatif soit en lui-même à l’origine des dérives constatées. Je pense plutôt au non-respect des textes, y compris pour les contrôles. Par exemple, pourquoi n’a-t-on pas appliqué ce croisement des représentations entre sécurité sociale et mutualité, qui est pourtant inscrit dans la loi ?

En fait, je pense que les systèmes de sécurité sociale, le régime général lui-même, n’ont plus les bases démocratiques et légitimes qui permettent réellement de réguler le système. C’est mon sentiment, mais cela déborde la question posée.

Cela étant, je peux vous assurer que le Code de la mutualité permet un contrôle très strict des opérations mutualistes.

C’est en agissant réellement sur les fondements des politiques et pas seulement sur les aspects administratifs que nous pouvons avoir un système efficient. J’ai la crainte, vous me donnez l’occasion de l’exprimer, que l’on ne soit trop polarisé sur les problèmes de dysfonctionnements administratifs, à juste titre d’ailleurs car il faut les traiter, et que l’on perde de vue l’objectif de rénover profondément les niveaux, les garanties et les missions de ces grands organismes. J’ai cette crainte, c’est la raison pour laquelle je me suis permis de faire le plaidoyer dont vous avez parlé ; plaidoyer, croyez-le, qui recherche une vérité qui ne soit pas seulement fondée sur des aspects administratifs, mais bien sur la logique d’évolution du champ lui-même qui, d’un point de vue politique, me semble le plus déterminant.

Monsieur le président, puis-je ajouter quelques mots ?

M. le Président : Monsieur le président, vous avez une minute pour conclure.

M. Daniel LE SCORNET : Je voudrais attirer votre attention sur un aspect important de la question. Le régime étudiant, de façon assez surprenante, n’affilie pas, loin s’en faut, tous les étudiants à son régime : 40 % des étudiants ne sont pas affiliés au régime étudiant. Je pense que c’est une faute. On l’explique par l’existence d’étudiants salariés, mais pourquoi ne pas donner une complétude au régime étudiant ? Pourquoi ne pas donner, y compris aux étudiants salariés, qui sont souvent salariés dans des conditions précaires, qui font des aller-retours entre la situation d’étudiant et celle de salarié, une continuité avec le régime général en donnant ainsi au régime étudiant sa base réelle qui est celle des étudiants ? Le fait que 40 % des étudiants ne soient pas au régime étudiant me semble être une question qui devrait attirer l’attention du législateur.

Un autre aspect me paraît tout aussi aberrant dans ce système, c’est cette course à l’affiliation à laquelle on assiste chaque année. Je ne comprends pas pourquoi l’on ne pourrait pas donner des bases pluriannuelles d’adhésion au régime étudiant, ce qui permettrait de le simplifier considérablement. Je ne comprends pas pour quelle raison les boursiers dont le nombre va encore augmenter, qui sont exonérés de la cotisation de sécurité sociale étudiante, doivent quand même faire l’avance de cette cotisation pour en être remboursés seulement plus tard. Ce sont là des points qui mériteraient vraiment modernisation et clarification.

En conclusion, oui, ayons un regard profondément politique sur l’évolution de ces systèmes mais n’oublions pas l’approche technique et modernisatrice sur des questions qui sont amples et dont je n’ai pas encore beaucoup entendu parler, alors qu’elles me semblent les plus importantes.

M. le Président : Nous vous remercions, Monsieur le président, de cette audition et de la foi avec laquelle vous défendez votre position.

Audition de M. Jean-Pierre DAVANT,
Président de la Fédération nationale de la Mutualité française

(procès-verbal de la séance du 8 avril 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M. Davant est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Davant prête serment.

M. le Président : Monsieur le président, vous pourrez dans un exposé liminaire nous présenter brièvement la Mutualité française, avant de nous donner votre sentiment sur le régime étudiant de sécurité sociale et sur les axes de réforme que vous préconisez. Puis, nous nous livrerons au jeu des questions et réponses.

M. Jean-Pierre DAVANT : Monsieur le président, vous m’avez demandé de présenter la Mutualité française. Je ne peux le faire que brièvement. Le Conseil d’Etat lui reconnaît la représentativité du mouvement mutualiste français à hauteur de 82 %. La Mutualité française est composée de grandes mutuelles de la fonction publique, de mutuelles interprofessionnelles, de mutuelles d’artisans, de commerçants et de professions libérales. Elle couvre donc quasiment toutes les couches sociales de la population.

La fédération a un rôle politique de coordination de l’ensemble du mouvement des mutuelles adhérentes, donc également un rôle de représentation auprès des pouvoirs publics, un rôle d’interlocuteur auprès des médias et de représentation auprès des autorités européennes. Elle n’a pas, contrairement à ce que l’on peut penser, vocation à s’immiscer dans la vie des mutuelles, puisque le principe de base d’une mutuelle, c’est que ses adhérents sont souverains. Ils s’expriment, chaque année, lors de l’assemblée générale et ce sont eux qui déterminent les grandes orientations de la mutuelle. La mutualité est basée sur un principe démocratique. Bien évidemment, tout cela se fait avec le support législatif qu’est le Code de la mutualité ; c’est la loi qui régit le fonctionnement des groupements mutualistes.

Je ne pense pas qu’il soit pertinent d’aller plus avant dans la description de la Mutualité française. Cela nous prendrait beaucoup de temps.

M. le Président : La transposition des directives européennes portant sur l’assurance vie et l’assurance non vie, au secteur mutualiste, n’est pas encore réalisée. Quelle est votre opinion à ce sujet ? Je vous indique, comme je l’ai dit à votre prédécesseur, que nous entendrons M. Michel Rocard sur cette question. En quoi, selon vous, l’application de ces directives, si elle devait avoir lieu, modifierait-elle substantiellement l’économie générale des mutuelles étudiantes ?

M. Jean-Pierre DAVANT : Je ne sais pas en quels termes se fera demain la transposition. C’est le Parlement qui aura au bout du compte le dernier mot. M. Michel Rocard présentera au Premier ministre un rapport le mois prochain et, normalement, celui-ci devrait donner lieu à un projet de loi qui sera débattu à l’automne. Nous discutons avec M. Michel Rocard, que nous revoyons d’ailleurs lundi prochain. Je ne pense pas que ce problème concerne uniquement les mutuelles étudiantes. Si l’on transpose sans nuance des directives qui ont été fabriquées pour les sociétés commerciales d’assurance, on handicape et l’on dénature considérablement le mouvement mutualiste. Tout le monde en est conscient, aussi bien le Gouvernement que le Président de la République. D’autant que ce serait une situation tout à fait paradoxale, puisqu’en France, dans le domaine de la santé notamment, c’est la mutualité qui est largement majoritaire après la sécurité sociale.

Vous dire de quelle manière cette transposition affectera le mouvement mutualiste, je ne peux le faire aujourd’hui. Je ne pourrai vous le dire que lorsque le projet de loi aura été adopté.

M. Robert PANDRAUD : Vous nous parlez, Monsieur le président, du projet de transposition. Nous en discuterons certes à l’automne. Mais quelle sera notre marge pour en discuter ? Quelle sera, d’après vous, la portée des directives de Bruxelles ?

Vous savez bien, comme nous, que nous ne faisons, en la matière, que de la figuration. Entre la directive, les décisions postérieures de la Cour européenne de justice et les décisions des cours souveraines de France qui disent que nous sommes subordonnés à toute la réglementation européenne, nous essaierons, comme pour l’électricité, de passer au travers des gouttes, mais avec une marge d’indépendance très limitée.

Vous me répondrez que la Commission vient de changer et qu’elle peut ne pas être aussi ultra-libérale qu’elle l’était quand elle considérait que tous les produits étaient des actes commerciaux. Je le souhaite et je m’en réjouirais. Je pense que M. Romano Prodi aura une meilleure connaissance des problèmes que M. Santer et ses collaborateurs, mais je n’en suis pas sûr. Nous allons nous retrouver avec une loi de transposition et nous répéterons " Bruxelles, Bruxelles ! " en sautant sur nos tabourets, comme le disait un jour, sur les mêmes problèmes, le Général de Gaulle.

M. Jean-Pierre DAVANT : Monsieur le ministre, je ne peux abonder dans le sens de ce que vous venez d’avancer, car je pense que le Parlement français a une marge réelle puisque nous avons, de notre côté, fait un pas en avant en disant que nous acceptions que la transposition de ces directives se fasse dans le droit français de manière à ce qu’elle satisfasse aux obligations de la France vis-à-vis de Bruxelles, mais de sorte qu’en même temps, elle ne gomme pas des siècles d’histoire sociale en France et que l’on puisse établir une distinction entre les compagnies commerciales des assurances et les mutuelles.

C’est aussi le problème de la liberté d’entreprendre, de l’initiative privée même, puisque la mutualité ressort de l’initiative privée, et il faut accepter que cette liberté d’entreprendre s’organise différemment. Il faut accepter également que les Françaises et les Français puissent choisir entre deux modèles, dans la clarté et la transparence la plus absolue. Le Parlement a, à mon sens, une réelle marge d’initiative, d’autant que ce problème a été largement alimenté par un débat franco-français, puisque c’est la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) qui a déposé toute une série de plaintes à Bruxelles pour régler, selon elle, le problème de la concurrence avec la mutualité. Ce n’était pas très libéral, tout cela !

M. Robert PANDRAUD : Vous savez très bien que les grandes sociétés d’assurance s’apprêtent à lancer tout un ensemble de recours devant la Cour européenne de justice.

M. Jean-Pierre DAVANT : Je ne le crois pas.

M. Robert PANDRAUD : Si ce ne sont pas les sociétés françaises, ce seront les filiales allemandes qui les déposeront.

M. Jean-Pierre DAVANT : Je ne le pense pas, Monsieur le ministre.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, je voudrais connaître votre sentiment sur l’objet même de la commission d’enquête, qui est partie de problèmes constatés très médiatiquement au sein d’une mutuelle étudiante, la MNEF, puis d’autres mutuelles régionales. Il semblerait qu’il y ait des aspects communs dans ce que l’on a pu appeler des dérives de comportement par rapport à l’objet de la mutualité française – je ne parle pas là de la fédération mais de la mutualité au sens général du terme, dérives qui peuvent être soumises à des interprétations diverses.

Par ailleurs, il semblerait, d’après les premières auditions que nous avons faites, que trois grands sujets se dégagent.

Le premier, tout d’abord, a trait aux remises de gestion accordées aux mutuelles qui gèrent des régimes de sécurité sociale, notamment le régime de sécurité sociale étudiant, au niveau de ses remises de gestion et à l’utilisation qui peut être faite ultérieurement des marges qui se dégagent de la gestion du régime obligatoire.

Ensuite, se pose le problème de l’efficacité des contrôles avec, d’un côté, la Cour des comptes qui peut contrôler le régime obligatoire et, de l’autre, la commission de contrôle des mutuelles, en sachant que, dans les comptes des mutuelles étudiantes, il n’existe pas de séparation, au moins comptable, entre le régime général et le régime complémentaire. Il est donc très difficile de s’y retrouver dans l’écheveau de leurs différentes activités.

Enfin, le troisième problème est celui de la " filialisation " et de ses dérives plus ou moins commerciales qui font dire à la Cour des comptes qu’il semblerait qu’il y ait eu un éloignement de l’objet premier de la mutualité et que ce soit là que commencent les difficultés. Cette filialisation n’a pas été l’apanage du seul système mutualiste étudiant. Les mutuelles, quelles qu’elles soient, ne sont pas soumises, par exemple, au Code des marchés publics ou à d’autres réglementations concernant les établissements publics, comme, par exemple, la séparation de l’ordonnateur et du comptable. Elles ne sont pas non plus soumises au droit des sociétés, notamment pour ce qui concerne la consolidation des comptes, etc. Qu’en pensez-vous ?

Pour finir, il me semble avoir lu dans la presse que vous étiez favorable à une réunification du système mutualiste étudiant. Pourriez-vous nous faire connaître votre sentiment à ce sujet ?

M. Jean-Pierre DAVANT : En ce qui concerne le contrôle des mutuelles, j’ai aussi lu la presse et j’ai également pris connaissance d’initiatives personnelles de parlementaires qui ne paraissaient pas conformes à la réalité du contrôle des mutuelles.

Les mutuelles sont contrôlées par la commission de contrôle des mutuelles qui dispose d’un bras d’intervention qui est l’IGAS. Les règles varient en fonction de la taille des mutuelles. Les plus importantes doivent produire chaque année un état de l’ensemble de leurs comptes financiers et l’adresser au bureau de la mutualité et au ministère. La seule mutuelle qui ne le faisait pas régulièrement, était d’ailleurs la mutuelle des élus. On sait ce qu’il en est advenu. Mais refermons cette parenthèse. Pour les autres mutuelles, cela se fait auprès des DRASS. Les mutuelles sont également obligées d’avoir un commissaire aux comptes qui certifie leurs comptes.

Ce tour d’horizon des contrôles ne serait pas complet si je ne vous disais pas que, dans le droit mutualiste, figure la nécessité de faire élire une commission de contrôle qui ne peut être composée d’administrateurs. Il y a donc séparation des pouvoirs. Cette commission de contrôle intervient lors de l’assemblée générale après le commissaire aux comptes, qui lui, remet son rapport lors de l’assemblée générale qui va certifier les comptes.

De plus, les mutuelles qui gèrent le régime obligatoire de sécurité sociale – mutuelles des artisans, des commerçants, des professions libérales, mutuelles de la fonction publique et mutuelles étudiantes – étant donné qu’elles gèrent des fonds publics, sont soumises aux mêmes règles que tout établissement gérant des fonds publics par délégation.

Il faut donc séparer les deux activités des mutuelles : celle qui relève de l’initiative mutualiste privée – les mutuelles étant des organismes privés, à ce titre, elles doivent donc fonctionner conformément au Code de la mutualité – et celle qui, en plus, consiste à gérer des fonds publics de la sécurité sociale et qui sont soumises au contrôle de la Cour des comptes.

Les mutuelles, pour qui peut faire la comparaison entre le secteur commercial, le droit commercial et le droit mutualiste, sont tout aussi vérifiées et soumises à autant de contraintes – qui sont tout à fait justes et dont je me félicite – que n’importe quel autre secteur.

J’ajoute, parce qu’il me paraît important de le dire devant des parlementaires, que c’est le Parlement qui, en 1993-1994, a supprimé, à l’initiative d’un certain nombre de groupes, l’obligation d’adhérer à un service fédéral de garantie. À l’époque, il y avait la volonté de mettre en place une caisse mutualiste de garantie obligatoire pour l’ensemble des mutuelles et, sous la pression de la FMF et de la FNIM, des groupes parlementaires proches de ces organisations ont fait supprimer cette obligation, dans le cadre d’un DMOS. La Mutualité française, pour ce qui la concerne, a gardé un service fédéral de garantie en son sein. Il est obligatoire pour toutes les mutuelles qui adhèrent à la Mutualité française mais, évidemment, notre pouvoir d’investigation vis-à-vis des mutuelles adhérentes à la Mutualité française s’en trouvent légèrement écorné du fait que la représentation parlementaire en a levé d’elle-même l’obligation. Voilà pour ce qui concerne le contrôle.

Le problème de la filialisation est un faux problème. Les mutuelles peuvent avec, soit des partenaires publics, soit des collectivités locales, soit des intervenants d’économie sociale, soit des intervenants du secteur commercial, créer des filiales. Mais cela doit se faire dans le cadre de la loi qui régit le mouvement mutualiste, c’est-à-dire dans le cadre du Code de la mutualité et dans le cadre du champ d’intervention du mouvement mutualiste.

De plus, celles qui créent des filiales peuvent évidemment se voir parfois contrôlées par le fisc dans la mesure où ces filiales prennent un caractère commercial. Mais c’est le fisc, à ce moment-là, qui remet en cause ces situations.

De mon point de vue, et d’après ce que j’ai pu en lire dans la presse, la discussion théorique ne doit pas porter sur le problème de la filialisation. Il existe une loi qui permet un certain nombre de choses et qui n’en permet pas d’autres. Il faut commencer par appliquer la loi et toute la loi. Ensuite, c’est une question d’opportunité politique. On peut, à l’intérieur de la mutuelle juger qu’il n’aurait pas fallu faire cela et qu’il aurait été mieux de faire ceci, mais si une majorité s’est dégagée pour cela et si cela s’inscrit dans le cadre de la loi, je ne vois pas en quoi cela peut être mis en cause.

En ce qui concerne le problème des remises de gestion, je ne sais pas ce que l’on reproche aujourd’hui aux mutuelles étudiantes. J’aurais donc du mal à vous faire des propositions en la matière.

En revanche, je peux dire qu’il ne me choquerait pas qu’à partir du moment où il s’agit de fonds publics, l’on renforce les contraintes et la transparence. Je pense qu’il faut absolument maintenir la gestion de la sécurité sociale étudiante dans le cadre des mutuelles étudiantes, parce que cela rend service aux étudiants et que c’est important.

Je ne sais pas si la CMU dont vous allez bientôt débattre au Parlement ne va pas remettre tout cela en cause et considérablement bouleverser la situation, y compris rendre caduc ce débat sur les mutuelles étudiantes. A ma connaissance, il y a peu d’étudiants qui gagnent plus de 3 500 francs par mois. S’ils s’inscrivent tous à la CMU, gérée dans les caisses primaires, nous n’aurons plus à débattre de l’avenir de la sécurité sociale étudiante et des mutuelles étudiantes, ce que je regrette. Je voulais attirer votre attention sur ce point puisque vous m’interrogez sur ces questions.

Il y a également à prendre en considération, dans la délégation de gestion, la situation qui a été faite aux mutuelles de la fonction publique où la transparence est la plus totale et la plus complète. Les mutuelles de la fonction publique gèrent, de par la loi de 1947, par délégation de la CNAM, la sécurité sociale des fonctionnaires. Elles négocient avec cette dernière des remises de gestion calculées sur la moyenne des cinquante caisses les plus performantes et l’on attribue ces remises de gestion aux mutuelles de la fonction publique pour gérer par délégation la sécurité sociale des fonctionnaires. Il y a un droit d’investigation permanent de la CNAM, de l’IGAS et de la Cour des comptes. Cela me paraît être le modèle à retenir.

En ce qui concerne la réunification du mouvement mutualiste étudiant, j’ai pour ma part, une conception de la mutualité, que je ne suis d’ailleurs pas le seul à avoir puisque nous la partageons majoritairement au sein de la Mutualité française, selon laquelle le mouvement mutualiste est adulte, majeur et indépendant de tout courant religieux, philosophique ou politique ; ce qui conduit la Mutualité française à prendre position sur toute une série de questions quelle que soit la majorité politique en place.

En clair, la Mutualité française n’est pas la courroie de transmission d’une organisation syndicale ni d’aucun parti politique. Je regrette la situation actuelle où 400 000 jeunes mutualistes pour plus de 2 millions d’étudiants sont répartis dans différentes mutuelles étudiantes. Cela révèle la politisation excessive qui a, de tout temps, régné au sein des mutuelles étudiantes, et conduit inexorablement la mutualité étudiante à la déconfiture. Les partis politiques ont une grosse responsabilité en la matière. C’est la raison pour laquelle, en tant que président de la Mutualité française, soucieux de l’avenir du mouvement, et parce que ces jeunes d’aujourd’hui, qui ne sont pas mutualistes, seront les cadres de demain dans les entreprises et les administrations, il m’importe de participer et d’aider, si c’est possible, au renouveau de la mutualité dans le milieu étudiant. La MNEF est toujours adhérente à la Mutualité française ainsi que d’autres mutuelles étudiantes comme la SMEBA et j’ai effectivement indiqué, dans une interview au mois de septembre dernier, que je prendrais l’initiative de rassembler autour d’une table les représentants des mutuelles étudiantes pour discuter avec eux sur la possibilité, au moins dans un premier temps, de faire coopérer ces mutuelles entre elles, au seul profit et intérêt des étudiants, et de voir s’il y a la possibilité ensuite d’aller vers une réunification.

Je n’ai pas grand espoir d’arriver à cet objectif, mais j’essaierai parce que je crois que c’est l’intérêt de la mutualité et celui des étudiants.

M. Robert PANDRAUD : Monsieur le président, avez-vous une estimation, même relative, du nombre de fonctionnaires mis à disposition des mutuelles de la fonction publique ?

M. Jean-Pierre DAVANT : Non. Je n’ai pas l’estimation. Mais puisque vous posez cette question, je pense que vous devez avoir une idée sur le bien-fondé d’une telle situation.

M. Robert PANDRAUD : Cela plaide plutôt en faveur de l’unité parce que plus vous avez de mutuelles, plus vous finissez par mettre de fonctionnaires à disposition. Vous voyez bien à quelle administration, je fais allusion.

M. Jean-Pierre DAVANT : Mais généralement, Monsieur le ministre, dans la fonction publique il existe une mutuelle par grand ministère. Il n’y a donc là une pluralité…

M. Robert PANDRAUD : Pas toujours.

M. Jean-Pierre DAVANT : Je sais qu’il existe dans ce secteur aussi la volonté de politiser, donc de créer des mutuelles libérales ou d’autres inspirations mais, je vous l’ai dit, la Mutualité française représente 82 % du mouvement mutualiste en France et toutes les grandes mutuelles de la fonction publique y sont adhérentes.

Il est vrai que les mutuelles de la fonction publique disposent, bien souvent, d’agents mis à disposition mais, dans bien des cas, elles remboursent également l’administration. C’est le cas de la mutuelle générale de l’éducation nationale, qui rembourse les salaires de ces agents au ministère de l’éducation nationale. Il est vrai également que, dans certains cas, il n’y a pas de remboursement. Cela me paraît tout à fait légitime aussi, car je vous rappelle qu’il existe des dispositions qui datent de la Libération qui font que l’Etat employeur a délégué aux mutuelles la gestion des services sociaux des administrations, que les mutuelles jouent un rôle éminemment social dans leurs administrations. Je ne vois pas pourquoi l’Etat employeur ne serait pas mis à contribution, comme le sont les entreprises du secteur privé dans le cadre des comités d’entreprise, qui n’existent pas dans la fonction publique. Je ne vois pas ce qu’il y a de choquant dans cette situation.

M. Robert PANDRAUD : Je n’ai pas dit que j’y voyais quelque chose de choquant.

M. Jean-Pierre DAVANT : Non, mais je sais que se développent, Monsieur le ministre, des théories en ce sens, d’ailleurs alimentées par les anciens responsables de la MNEF. L’Etat employeur met à disposition des mutuelles, un certain nombre d’agents pour accomplir des missions sociales au profit des salariés de son secteur. Là encore, il faut que ce soit tout à fait transparent. Que des policiers participent à la gestion de la mutuelle générale de la police, à l’encadrement social – la mutuelle de la police fait beaucoup de choses pour les orphelins, pour l’ensemble des personnels de la police –, cela me paraît tout à fait logique, que ce soit dans la police comme dans toutes les autres administrations d’ailleurs.

M. le Rapporteur : Il semblerait que parmi les étudiants qui peuvent bénéficier du régime de couverture complémentaire proposé par les mutuelles étudiantes, un certain nombre ne le fassent pas, pas forcément pour des raisons financières mais simplement parce que les mutuelles parentales étendent les droits dans le temps et offrent souvent des prestations qui, du point de vue de l’étudiant du moins, sont plus intéressantes que celles fournies par les mutuelles étudiantes. Cette situation de quasi-concurrence entre les mutuelles parentales et la mutualité étudiante, vous semble-t-elle devoir être encouragée ou régulée ?

M. Jean-Pierre DAVANT : Tout d’abord, je répondrais qu’un principe est à la base de l’adhésion mutualiste, celui de la liberté de choix. Je choisis librement d’être à une société commerciale d’assurance, à une mutuelle ou à une institution de prévoyance, ou je choisis de n’être nulle part et de me contenter des maigres remboursements de médecine ambulatoire de la sécurité sociale. Ce principe de liberté, je pense qu’il faut le maintenir.

Nous avons essayé entre nous de réguler cela, puisque si un Français sur deux est mutualiste, la moitié ne l’est pas. C’est tout de même plus intéressant d’aller chercher des adhérents chez M. Bébéar, le patron d’Axa que de les prendre à la mutuelle du voisin, qui est aussi adhérente à la fédération.

Je suis pour la mutualisation des étudiants. Je suis donc pour l’existence d’une grande mutuelle rassemblant les étudiants parce que, pour peu que cette mutuelle fonctionne comme elle devrait fonctionner, je pense que l’on y fait aussi l’apprentissage de la responsabilité de la vie.

Depuis un certain temps – je vous l’ai indiqué tout à l’heure en vous disant que seulement 400 000 étudiants étaient mutualistes – les étudiants se sont détournés de leur mutuelle, de toutes leurs mutuelles. Pour quelles raisons ? Ils voient bien que les mutuelles étudiantes prolongent soit des clivages politiques, soit des clivages syndicaux, et ce mélange est nuisible.

Je pense qu’un citoyen peut être engagé politiquement – c’est mon cas. Il faut qu’il soit syndiqué ; il n’y en a pas suffisamment en France, cela posera aussi à terme un problème pour la vie de la nation. Et il faut qu’un citoyen adhère à une mutuelle. Les choses sont parfaitement compartimentées.

Que voient les étudiants ? Premièrement, ils voient les mutuelles étudiantes partir à la pêche à l’inscription à chaque rentrée universitaire, avec des arguments qui n’ont rien de mutualiste, qui parfois n’ont rien à voir avec l’idéologie non plus mais sont purement commerciaux et parfois même accompagnés d’arguments physiques.

Deuxièmement, lorsque l’on parle avec des étudiants, on se rend compte que les mutuelles étudiantes sont très chères pour des couvertures qui ne les satisfont pas. Pourquoi ? Je ne suis pas totalement sûr de la réponse, mais il est vrai que la diversification fait que, quand on fait beaucoup de choses, on ne fait plus son vrai métier et ce vrai métier devient cher. C’est sans doute la raison qui incite certains à rester dans les mutuelles parentales. Si les mutuelles étudiantes étaient plus attractives, je pense qu’ils choisiraient plutôt d’être dans des mutuelles étudiantes. Si les mutuelles étudiantes avaient des propositions attractives dans le domaine de la prévention, de l’éducation sanitaire, et même dans le domaine de la culture, car je pense que cela fait aussi partie des éléments qui participent de la santé des individus, si elles étaient plus centrées sur les véritables problèmes quotidiens des étudiants, les étudiants reviendraient dans les mutuelles.

Je déplore cette situation. Je suis intervenu très peu dans ce débat. On m’a fait beaucoup intervenir, c’est certain, mais je suis personnellement intervenu très peu. Je suis intervenu publiquement une fois à travers l’interview que vous mentionnez et, une autre fois, en province, il y avait des journalistes de l’AFP et je l’ignorais. Je suis donc intervenu sur le sujet deux fois, mais ma seule inquiétude aujourd’hui, et elle est profonde, c’est de voir la mutualité étudiante disparaître.

Pour être très précis dans ma réponse à votre question concernant les mutuelles parentales, le jour où une grande mutuelle étudiante retrouvera toute sa place au sein de la fédération de la Mutualité française, prendra sa place au conseil d’administration, dans les commissions, dans la vie de la mutualité, les mutuelles parentales seront tout à fait raisonnables et favoriseront cette mutuelle. C’est évident.

M. Robert PANDRAUD : Les mutuelles peut-être, mais pas obligatoirement les parents qui pensent qu’avoir des enfants affiliés à la mutuelle dont ils font partie, c’est mieux que de les voir livrer à la surenchère des mutuelles étudiantes. Je vous garantis bien que j’ai toujours fait en sorte que mes enfants adhèrent à ma mutuelle, et pas aux autres.

M. Jean-Pierre DAVANT : Bien souvent, ce sont les parents qui paient les cotisations. Je me souviens que lorsque mon fils était à la MNEF, je payais ses cotisations. Je lui avais d’ailleurs conseillé d’adhérer à la MNEF. Je crois que, pour les jeunes, faire ce geste d’adhérer à sa mutuelle, c’est aussi un geste d’indépendance, de responsabilité et d’apprentissage de la vie.

M. Robert PANDRAUD : Certes, mais je considérais que les mutuelles de la fonction publique étaient plus sérieuses. Ce n’est pas vous qui me direz le contraire.

M. Jean-Pierre DAVANT : Je ne vous démentirai pas.

M. le Président : Nous n’irons pas au-delà. Monsieur le président, je tiens à vous remercier pour tous les éclaircissements et réponses que vous avez bien voulu apporter à nos questions.

Audition de MM. Michel HERMANT, Président de la Fédération
nationale interprofessionnelle des mutuelles, Philippe DELEMARRE,
secrétaire général et Gilles MARCHANDON, délégué général

(procès–verbal de la séance du mardi 27 avril 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Hermant, Delemarre et Marchandon sont introduits

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Hermant, Delemarre et Marchandon prêtent serment.

M. Michel HERMANT : Monsieur le président, messieurs les députés, vous avez souhaité entendre notre fédération sur l’organisation et le fonctionnement du système de protection sociale des étudiants. Permettez-moi tout d’abord de vous décrire le paysage mutualiste français actuel. Il est composé de trois organisations relevant toutes du Code de la mutualité : la FNMF, la FMF et notre fédération, la FNIM qui rassemble aujourd’hui près de 2,5 millions de personnes protégées.

Le mouvement mutualiste français est un mouvement de liberté. Il a combattu pour son pluralisme à travers trois courants désormais représentés par trois fédérations, chacune disposant de sa propre philosophie, de sa propre éthique et de sa propre conception de l’action mutualiste dans notre pays comme en Europe.

La création de ces différents courants est donc née de la volonté de citoyens responsables qui souhaitaient la création d’un fédération pour représenter leur propre conception de la société. C’est donc tout naturellement que j’affirme que notre fédération mettra tout en œuvre pour défendre le pluralisme mutualiste au sein du mouvement des mutuelles interprofessionnelles, ainsi qu’au sein du mouvement étudiant.

S’agissant du mouvement mutualiste étudiant, notre fédération n’accepterait pas que l’on remette en cause la spécificité du régime de sécurité sociale étudiant, géré en vertu d’une loi de 1948 par délégation, par des mutuelles d’étudiants, relevant du Code de la mutualité. En effet, délégation de gestion et pluralité de la mutualité étudiante sont pour nous les deux caractéristiques de ce régime particulier de protection sociale de la population jeune. Nous ne voyons pas, après étude approfondie du dossier, les avantages réels qui résulteraient de la disparition de la spécificité de gestion de la sécurité sociale étudiante, en maladie et maternité, par les mutuelles étudiantes.

Nous nous interrogeons sur les motifs réels qui conduiraient à la remise en cause du pluralisme mutualiste du régime de sécurité sociale étudiant. Nous en voulons d’ailleurs pour preuve la déclaration de Mme Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la solidarité, du 18 septembre 1998 : " Je peux vous assurer que le Gouvernement est très attaché à garantir la pérennité des mutuelles étudiantes ".

La délégation de gestion par le régime général présente des avantages pour les étudiants qui sont reconnus par la Cour des comptes : unité d’interlocuteur, simplification pour les remboursements, proximité, facilité de contact, possibilité de dialogue, meilleure prise en compte des problèmes spécifiques de la population étudiante.

Monsieur le président, messieurs les députés, c’est donc à partir des dernières déclarations du ministre de la Santé que notre organisation va vous développer maintenant son analyse de la situation des étudiants.

M. Philippe DELEMARRE : Monsieur le président, votre commission a ciblé son enquête sur l’organisation et le fonctionnement du système de protection sociale des étudiants. Aussi, afin de répondre très ouvertement à vos questions, nous avons étudié différents documents mis à notre disposition. Tout d’abord, le rapport de la Cour des comptes ; ensuite, les débats auxquels le Parlement s’est livré lors de la création de la commission d’enquête ; enfin, la lettre de Mme Martine Aubry, du 18 septembre 1998, concernant la gestion du régime étudiant.

Premier point, l’historique du régime étudiant. En 1948, la loi a créé ce régime de sécurité sociale des étudiants. Elle a prévu qu’il serait rattaché au régime général de sécurité sociale et que les prestations seraient confiées à des mutuelles étudiantes, sous la responsabilité et le contrôle des caisses primaires d’assurance maladie.

A la libération, le législateur a ainsi voulu " prendre en compte les besoins spécifiques de cette population " étudiante qui n’est plus scolarisée, qui n’est pas encore active et que certains ont définie comme une population de jeunes en situation de formation. Pourquoi, dès lors, la spécificité des besoins et des attentes des étudiants reconnue en 1948 aurait-elle disparu en 1999, même si ces derniers ont bien évidemment évolué ?

Ainsi, entre 20 et 28 ans les étudiants bénéficient de la sécurité sociale. Un débat est ouvert depuis maintenant plusieurs années pour délimiter le périmètre de ce régime. Sur cette question, notre fédération estime que tout usager du service public de l’enseignement supérieur devrait pouvoir bénéficier de la sécurité sociale étudiante, quelle que soit l’université – ou l’établissement d’enseignement – et quel que soit son ministère de rattachement – ministère de l’enseignement supérieur, ministère de l’agriculture ou de la culture. Il s’agirait là d’un progrès social pour les jeunes étudiants en situation d’usagers de l’enseignement supérieur. D’autre part, lorsqu’on veut, comme le prévoit le projet du ministre de l’Education nationale, instituer, dans les premiers cycles, des passerelles entre les différents enseignements, la question du rattachement ou non au régime de sécurité sociale étudiant ne devrait pas se poser. Il conviendrait, selon nous, dans un souci de clarification, d’établir la liste des établissements faisant partie du service public de l’enseignement supérieur dont tout usager relèverait du régime étudiant de sécurité sociale.

Le champ du régime a été élargi à deux reprises. La première fois un décret de 1994 a porté la limite d’âge de 26 à 28 ans pour tenir compte de l’allongement de la durée des études. La seconde fois, une loi de 1995 a pris en considération la situation un peu particulière de certains étudiants de 18-20 ans ayant droit à majorité autonome (ADMA), en donnant à ces jeunes la possibilité, lorsqu’ils sont dans l’enseignement supérieur, de bénéficier du régime étudiant.

Ces deux exemples montrent bien que si l’on pouvait reconfigurer le périmètre du régime, ce serait une bonne chose, à la fois pour les gestionnaires et pour les étudiants qui bénéficient de ce régime.

De 1975 à 1997, la population étudiante est passée de 976 000 à 2,126 millions de personnes. On constate, par ailleurs, un allongement de la durée des études supérieures et, de plus en plus souvent après l’obtention de son diplôme, l’étudiant qui n’a pas encore trouvé d’emploi ne sait pas trop à quel régime il va s’affilier pendant cette période. Ne pourrait-on pas régler ce problème en continuant d’accorder le bénéfice de la protection sociale étudiante aux titulaires d’un bac + 8, âgés en principe de 26 ans, qui ne trouvent pas immédiatement un emploi ?

Parmi la population jeune, on compte 1,4 million d’assurés sociaux et 2,1 millions d’étudiants, répartis sur 500 sites d’enseignement supérieur qui ont été traités dans le cadre du plan Universités 2000, et vont l’être à nouveau dans le cadre du plan Universités du troisième millénaire (U3M).

Chaque région réfléchit actuellement sur la répartition et le nombre de ses universités et la gestion des étudiants, et l’exemple de l’Ile-de-France est tout à fait significatif de cette démarche. La question de la répartition et de la gestion de ces 1,4 million d’étudiants assurés sociaux du régime étudiant nous paraît importante à souligner devant votre commission.

Quel constat peut–on établir s’agissant de ces étudiants, par rapport à la protection sociale et à leur protection santé–sanitaire ?

Je me référerai, encore une fois, à des travaux qui ont été effectués par des experts de l’Observatoire de la vie étudiante. Ceux–ci ont constaté, dans leurs récents rapports, qu’il existait un risque de précarisation sociale incontestable. Nous avons d’ailleurs nous–mêmes travaillé avec les services de Mme Martine Aubry afin de savoir quelle part de la population étudiante serait concernée par la CMU. Quoi qu’il en soit, il convient que tous les acteurs se mobilisent pour empêcher qu’un jeune qui sort du secondaire se retrouve en situation de précarisation, inacceptable en cette fin de siècle.

Préalablement à cette audition, nous avons pris contact avec un certain nombre d’organisations étudiantes syndicales pour connaître leurs positions. Nous avons été étonnés de l’unanimité en ce qui concerne les deux aspects suivants : maintien du régime étudiant spécifique et gestion spécifique par les mutuelles étudiantes du régime. Constatant que le monde syndical étudiant faisait l’unanimité sur ces questions, il serait de ce fait incompréhensible que notre mouvement s’oppose à cette démarche des syndicats étudiants.

Venons–en maintenant aux rapports que nous avons pu lire sur le régime étudiant.

Nous avons lu dans la presse que l’un des gestionnaires mutualistes étudiants avait rencontré des difficultés. Tout d’abord, nous avons constaté que cette campagne médiatique était notamment fondée sur un rapport de la Cour des comptes. Nous prenons donc acte des constatations de la Cour, et si celle–ci a engagé une procédure judiciaire, nous n’avons pas à nous prononcer.

Le gestionnaire en question a–t–il commis des fautes ? Si oui, quelles sont–elles et quelles doivent être les sanctions ? C’est à la justice de trancher ; pour notre part, nous ne prenons pas partie sur cette question.

En revanche, il est certain que l’amalgame qui a été fait par les médias nous a interpellés. C’est pour cette raison que nous avons cité la lettre de Mme Martine Aubry du 18 septembre 1998, au moment où la Cour des comptes transmettait à la justice un dossier concernant ce gestionnaire. Dans cette lettre, deux grands principes étaient réaffirmés par le Gouvernement : la pérennité du régime, et sa gestion par un mouvement pluraliste étudiant.

S’agissant de la mutuelle gestionnaire qui a rencontré des difficultés, celle-ci a, semble–t–il, procédé à des élections, auxquelles auraient participé 30 000 à 40 000 étudiants – ce qui n’est pas négligeable –, au cours desquelles, le président, le bureau, le conseil d’administration et l’assemblée générale ont été renouvelés. Un assainissement est donc en cours.

Cet élément est important, car il répond bien au grand principe de la mutualité : des élections démocratiques, un bénévolat et une volonté de s’inscrire dans le cadre même du Code de la mutualité et de son article L. 111-1, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.

Si nous constatons, à un instant donné, en un lieu donné, avec des hommes donnés, un dérapage, que la justice soit rendue. Nous ne porterons pas de jugement en ce domaine. Cela dit, il ne faudrait pas pour autant jeter l’opprobre sur l’ensemble du régime étudiant et sur l’ensemble des mutuelles gestionnaires.

Nous avons repris les rapports de la commission de contrôle des mutuelles, et il ne nous a pas semblé que de tels dérapages et de telles constatations aient été systématiquement dénoncés dans ses rapports établis aussi bien sous la présidence de M. Holleaux que sous celle de M. Fourré.

La Cour des comptes, quant à elle, a, effectivement, évoqué un certain nombre de difficultés sur la gestion de ce régime par les mutuelles. A ce stade, je souhaiterais rappeler que les textes constitutifs du Code de la mutualité remontent à 1948, et n’ont, depuis, jamais fait l’objet d’une révision, notamment en ce qui concerne l’objet de la mutualité.

La mutualité est un groupement de mutuelles à but non lucratif qui vivent avec les cotisations de leurs membres et qui se proposent de mener, dans l’intérêt de leurs membres et de leurs familles, des actions de prévoyance, de solidarité et d’entraide. Cet objet s’étend à la prévention des risques sociaux liés à la personne et à leur réparation ; à un encouragement de la maternité, à la protection de l’enfance, de la famille, des personnes âgées et du handicap. Enfin, l’article L. 111-1 du Code de la mutualité fait référence au développement culturel, moral, intellectuel et physique des membres de la mutualité, ainsi qu’à une amélioration de leurs conditions de vie. Ce troisième élément doit être au cœur de nos débats, car il va éclairer l’un des aspects de la vie du régime étudiant.

Mme Martine Aubry a déclaré le 4 mars 1999 devant les parlementaires que le caractère spécifique de la population étudiante et le fait d’être géré par des mutuelles étudiantes répondaient aux principes traditionnels de la mutualité, à savoir l’absence de but lucratif, la solidarité entre les adhérents, une représentation fondée sur des règles démocratiques.

On peut donc estimer que si les mutuelles gestionnaires ont répondu à ces grands principes en développant en particulier des prestations qui les respectent, il n’y a probablement pas eu, de leur part, de dérapages ou à tout le moins ces dérapages peuvent-ils être aisément corrigés.

On connaît les points forts du système mutualiste étudiant : accueil personnalisé, facilité de contact, possibilité de dialogue, proximité, interlocuteur unique, simplification des remboursements. Dans son rapport, la Cour des comptes dit avoir effectué des contrôles en septembre 1998, et indique que les Codec ont rendu un avis portant une appréciation " favorable sur la qualité du service rendu, même si certains aspects de la gestion du régime méritent d’être modernisés ". A cet égard, la mise en place d’une gestion rigoureuse, exemplaire et transparente répondrait bien à cette nécessité.

La déclaration de Mme Martine Aubry et le rapport de la Cour nous paraissent clairs : oui au maintien de la spécificité du régime social étudiant, oui à sa gestion par délégation par la mutualité pluraliste. Cependant, nous sommes ouverts à des évolutions dans la gestion de ce régime pour y rendre la démocratie, la liberté, la solidarité, l’entraide, la responsabilité plus transparentes. Nous sommes prêts à étudier ce point.

S’agissant de l’accroissement des services et prestations proposés aux étudiants, il convient de rappeler que ceux-ci se sont développés, la plupart du temps, sur la base du troisième alinéa de l’article L. 111-1 que j’évoquais tout à l’heure faisant plus largement référence au bien-être de l’étudiant et concernant aussi bien le domaine intellectuel que celui du logement, ou de la politique sanitaire.

Je serai bref en ce qui concerne les remises de gestion. Il y a sans doute une clarification à faire sur le niveau de la remise de gestion. Toutefois, je rappellerai simplement que le coût moyen de gestion des caisses primaires est de 426 F, le coût moyen des cinquante caisses primaires les mieux gérées est de 353 F, et celui des mutuelles de fonctionnaires comparables au régime étudiant est de 700 F. Nous sommes donc favorables à ce que ces remises soient étudiées dans le cadre d’un partenariat rénové, d’un dialogue constant entre les régimes obligatoires et les régimes complémentaires, comme nous le faisons actuellement dans le partenariat Sesam-Vitale.

Je terminerai sur ce point en insistant sur le fait que la diversification des services des mutuelles doit s’effectuer dans une transparence totale, exclusive de toute prise d’intérêts particuliers.

Dès lors que l’on respecte, dans le développement de ces services, le fait que les administrateurs ne sont pas rémunérés, que les personnels salariés ne perçoivent pas de complément de rémunération, que la structure créée est identifiée et isolée de manière comptable, que la transparence est garantie, ni les pouvoirs publics, ni la Cour des comptes, ni l’IGAS, ni la commission de contrôle ne condamnent ce type de diversification des activités des mutuelles.

J’insisterai à ce sujet sur l’action des mutuelles concernant la gestion du logement des étudiants. Un journal titrait il y a quelques jours : " Coup de cafard sur les cités universitaires ". Cet article soulignait qu’en Ile-de-France, sur 320 000 étudiants, 90 000 d’entre eux cherchent à se loger dans des conditions financières accessibles alors qu’on ne peut obtenir que 10 000 à 15 000 logements provenant du secteur public. Peut-on dans ces conditions condamner les structures mutualistes qui se diversifient ? Nous ne le pensons pas, à la condition, bien sûr, que cette activité soit totalement transparente.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie pour la qualité de vos exposés. Nous avons déjà auditionné un certain nombre de personnes, et nous commençons à percevoir plus clairement la situation de la mutualité, ses dysfonctionnements, et quelques solutions. Je vous poserai donc des questions plus techniques. Est-il nécessaire, ou pas, d’imposer à la mutualité le respect du Code des marchés publics, notamment dans le cadre de ses diversifications ?

M. Philippe DELEMARRE : N’étant pas directement gestionnaire de ce régime–là, nous n’avons pas étudié cette question. Les organismes mutualistes relèvent du droit privé et il ne nous semble, par exemple, que lorsque les mutuelles de fonctionnaires, qui sont un peu la référence du régime étudiant, passent un certain nombre de contrats, les dispositions du Code des marchés publics leur soient applicables.

Si la mesure était envisagée pour la mutualité " gestionnaire en général " d’un régime obligatoire, nous trouverions que c’est un système certes lourd, mais qui permettrait peut–être la clarification d’un certain nombre de situations. Nous ne voyons donc pas d’inconvénient si aucun argument technique ne s’y oppose à ce que cette réflexion s’engage.

M. le Président : Quel est votre sentiment sur le fait de rapprocher les règles comptables de la mutualité de celles des sociétés commerciales, en imposant notamment aux mutuelles l’établissement de comptes consolidés et la publicité des résultats ? En effet, certaines mutuelles créent un certain nombre de sociétés à responsabilité limitée, de sociétés anonymes, de sociétés en nom collectif qui elles–mêmes prennent des participations, qui prennent d’autres participations de participations, etc. Il n’y a alors plus de possibilité de contrôle.

M. Philippe DELEMARRE : Notre fédération a toujours défendu le principe d’une totale transparence. Nous sommes donc favorables à la publication des résultats, à condition que cette exigence s’applique à l’ensemble des acteurs – nous sommes en effet dans un milieu où la concurrence est vive autour de l’offre de santé entre les différents secteurs et, vous le savez, le taux de mutualisation des étudiants reste faible.

S’agissant des comptes consolidés, je crois que les mutuelles étudiantes régionales qui n’ont pas mis en place la comptabilité analytique ont eu tort. Si, en outre, elles n’ont pas transmis leurs comptes à la caisse nationale, elles ont eu tort. Mais tel ne doit pas être le cas. Je crois qu’il y a simplement eu une prise de conscience un peu tardive, à la fois de la part des gestionnaires et des contrôleurs eux-mêmes ; il aurait été préférable de leur dire de transmettre leurs comptes. Je suis certain qu’elles l’auraient fait. Les comptes consolidés nous semblent également un élément de transparence de gestion.

M. le Président : Concernant la suppression de l’obligation pour les mutuelles d’adhérer à une caisse de garantie, quel est la position de votre fédération ?

M. Michel HERMANT : Notre fédération propose en effet aux mutuelles de rester membres d’un système fédéral de garantie qui permet de prévenir et d’être accompagné au niveau des risques. Nous nous prononçons clairement en faveur du maintien des systèmes fédéraux de garantie.

M. le Président : Venons-en au statut des administrateurs de mutuelles et au vide juridique qui l’entoure. Quel doit être véritablement le rôle d’un administrateur ? Doit-il passer l’essentiel de son temps à cette tâche et être rémunéré en conséquence ? Si oui, doit-on fixer un montant maximum ? Faut-il au contraire poser le principe d’un simple remboursement de frais ? Dans ces condition l’administrateur peut-il être indemnisé par des filiales ?

Nous souhaitons réellement approfondir cette question du statut des administrateurs et faire des propositions au ministre.

M. Michel HERMANT : Il s’agit, Monsieur le président, véritablement d’un de nos sujets de préoccupation. Il convient avant tout de distinguer l’administrateur d’une mutuelle, d’une union de mutuelle ou d’une fédération car selon la taille la situation est à analyser différemment, notamment pour les petites structures.

La situation des administrateurs dans les mutuelles interprofessionnelles n’est guère tenable telle qu’elle est conçue actuellement. En effet, on risque fort d’aboutir à ce que seuls les retraités ou les travailleurs non salariés puissent véritablement participer à l’engagement et à la responsabilité mutualiste si une solution n’est pas trouvée.

M. Philippe DELEMARRE : Si l’on prend actuellement le régime des fonctionnaires, quand un fonctionnaire devient administrateur d’une mutuelle à plein temps, il peut y avoir mise à disposition et celle-ci peut ou non faire l’objet de remboursement de la mutuelle au ministère.

Prenons maintenant le cas des personnes qui travaillent et vont ensuite faire du bénévolat dans une mutuelle. Nous considérons que celui qui a exercé des responsabilités au niveau national ou à la tête d’une structure importante a une charge de travail par définition plus importante et qu’il convient désormais d’aborder la question de sa rémunération.

Sur ce point, nous prenons comme référence l’instruction fiscale du 15 septembre 1998 sur les associations qui constitue un précédent indiscutable, le Conseil d’Etat s’étant prononcé à ce sujet à la suite du rapport Goulard, le ministre ayant ensuite établi une instruction fiscale qui s’applique maintenant au système associatif.

Nous sommes favorables à des règles claires. Si une assemblée générale décide d’indemniser, il faut que cette indemnisation soit calculée dans le respect des textes sur la base de règles clairement établies. Le système associatif reconnaît le principe d’une indemnisation égale aux trois quarts du SMIC, quel que soit le nombre de mandats. Cela nous paraît être un bon système, qui pourrait être transposé aux mutuelles.

Pour répondre très directement à la question des filiales, nous pensons que si l’on admet les cumuls de rémunérations, on met en place un système qui ne répond pas aux principes mutualistes. Par conséquent il serait préférable de prévoir un mode unique de rémunération reconnu par l’administration fiscale et sociale, voté en assemblée générale, accepté par tout le monde et dont le montant correspondrait au niveau des compétences et des responsabilités exercées. Les directives européennes rappellent d’ailleurs cette notion de compétence et de personnalités qualifiées.

Faut–il prévoir une indemnisation pour les administrateurs étudiants qui n’ont pas de revenus ? Nous pensons également que celle-ci doit être calculée selon des règles claires, qu’elle ne doit pas être cumulable avec des rémunérations par des filiales diverses et variées, et qu’elle doit être raisonnable – les trois quarts du SMIC nous paraissent un montant convenable pour un étudiant qui s’engage dans la vie mutualiste.

Il est évident que le statut du mutualiste et du bénévole doit être modifié, sinon nous n’aurons plus de bénévoles. Il convient donc de l’organiser afin que personne ne puisse se trouver en situation difficile.

M. le Président : J’en viens à la question du pluralisme des mutuelles étudiantes. A côté de la grande mutuelle nationale qu’est la MNEF, il existe une dizaine d’autres mutuelles régionales ainsi que la possibilité de créer d’autres mutuelles. Or nous avons le sentiment que la concurrence à laquelle les mutuelles se livrent n’est pas forcément favorable aux étudiants, et qu’elle aboutit à une débauche de dépenses.

M. Philippe DELEMARRE : Nous avons posé cette question à nos différents interlocuteurs. Il nous semble, d’abord, que la démonstration du coût plus élevé pour l’étudiant qui résulterait de la concurrence n’est pas évidente. En revanche, il est clair que la sensibilisation de la population étudiante à travers des actions d’information ou de prévention concernant la protection sociale, la protection sanitaire, la protection de santé, a bénéficié de cette forme de pluralisme. On le constate notamment sur les garanties proposées aux étudiants.

Un étudiant me comparait un dépliant de mutuelle, de 1974, où la partie sécurité sociale est séparée de la partie mutualiste avec celui de 1999 : ce sont deux mondes. Et il ne me semble pas qu’il y aurait eu un tel progrès social s’il n’y avait pas eu cette sorte d’émulation entre les différentes mutuelles étudiantes.

Par ailleurs, les étudiants ont des sensibilités multiples, et ils le montrent à travers le pluralisme syndical. Le pluralisme mutualiste correspond mieux à leurs aspirations. Le libre choix, l’indépendance, l’autonomie sont des éléments fondamentaux d’un statut social de l’étudiant. Le statut social de l’étudiant, c’est la liberté de choix de la filière professionnelle ; c’est la même chose en matière de santé.

Il est significatif de voir à quel point les campagnes de prévention menées sur l’hépatite, le sida ou le VIH ont été utiles et bénéfiques, parce qu’organisées avec des intervenants multiples : les CPAM et les services de médecine préventive universitaires.

M. le Président : Les étudiants étrangers ont–ils les mêmes droits que les étudiants français ?

M. Philippe DELEMARRE : Je ne suis pas un expert en la matière. Ce que je sais, c’est que les étudiants étrangers transitent, sur le plan local, par les consulats ou les ambassades, et ensuite par le CNOUS. C’est ce dernier qui ventile les étudiants étrangers sur le territoire national en les affectant à des centres.

S’agissant du régime général, ils bénéficient des mêmes prestations que les nationaux, mais ils ont une garantie adaptée en matière de couverture complémentaire. Il y a peut–être là une amélioration à prévoir, il paraît également que le système n’est pas très bon, s’agissant de la répartition des affectations entre les différents centres universitaires.

Je me demande d’autre part s’il ne conviendrait pas de replacer les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) et le centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) sous l’égide des universités. Il y a un anachronisme à les maintenir totalement en dehors des universités. Il me semble qu’il faut conserver au sein de l’université une gestion des œuvres sociales, sous forme d’une section, d’une division ou d’un département car elles sont au cœur de la vie quotidienne de l’étudiant. Le système parallèle de la médecine préventive universitaire (MPU) dont j’ai entendu parler par les syndicats étudiants, qui n’en sont pas très contents, ne me paraît pas satisfaisant et la réforme actuellement en cours est salutaire.

Je ne dis pas pour autant que les CROUS ont failli à leur mission en matière de restauration ou de logement. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient et ils ont rempli une mission difficile depuis 1945.

M. le Président : La protection sociale étudiante actuelle est–elle selon vous satisfaisante ? On nous a beaucoup parlé d’un état sanitaire des étudiants qui laisserait à désirer. Pourquoi le taux d’adhésion aux mutuelles étudiantes est–il si faible ?

M. Philippe DELEMARRE : Les chiffres de la protection sanitaire des étudiants sont maintenant connus. Selon l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) : environ 10 % des étudiants assurés sociaux se trouvent dans une situation précaire en matière sanitaire – ce qui, bien entendu, n’est pas négligeable, puisqu’elle représente 100 000 personnes.

Sur ce sujet, la FNIM estime que la CMU, en particulier pour les étudiants boursiers, doit jouer à fond, en faisant bénéficier de la gratuité ceux qui en ont réellement besoin. Nous pensons d’ailleurs à cette occasion qu’il ne serait peut–être pas inintéressant pour cette population jeune, qui n’est pas facile à fixer, non pas de se rendre dans les caisses primaires, mais d’aller voir la section locale mutualiste qui est leur interlocuteur naturel, pour obtenir une information sur la CMU et pour pouvoir en bénéficier. Au fond, les sections locales mutualistes étudiantes devraient être pour les jeunes le " quatrième mousquetaire " de la sécurité sociale. Elles pourraient obtenir une sorte de référent social.

Sur le terrain, je souligne qu’il existe une action réelle, conjointe, coordonnée, des différents acteurs – caisses primaires, médecine préventive universitaire, sections locales mutualistes.

J’ai parlé tout à l’heure du problème de prévention. En ce qui concerne le sida, les campagnes de prévention ont été élaborées très en amont bien avant le dépistage afin que les jeunes concernés soient alertés au plus tôt.

Au cours des états généraux de la santé des étudiants, qui se sont tenus récemment à Paris à la maison de la mutualité, on s’est rendu compte que les principaux problèmes que rencontrent les étudiants sont le stress, l’inquiétude fasse à l’avenir, le tabac, l’alcool. Il s’agit de facteurs qui nécessitent, dans le cadre d’un partenariat rénové entre la CNAM et les mutuelles, la mise en place d’un système de prévention réalisé en coordination entre les CPAM, MPU et sections locales mutualistes étudiantes. Il pourrait être réglé en particulier grâce à l’action des médecins référents et de la CMU.

Deuxième question, la concurrence. La stagnation du nombre des étudiants adhérents à la mutualité étudiante correspond à une évolution du système de protection sociale, en matière de santé, dans notre pays. Les contrats collectifs se sont considérablement développés depuis 1945, tout comme les contrats familiaux proposés aux fonctionnaires ou au secteur privé. Ces organismes proposent aux jeunes des contrats à tarifs réduits dont le montant est à la limite de la concurrence déloyale par rapport à certaines organisations mutualistes ou assurancielles et qui sont sans aucun rapport avec la consommation médicale du jeune. Je rappelle que la consommation médicale d’un étudiant est de l’ordre de 2 400 F par an. Il y a donc une contradiction à proposer une garantie, dans un contrat dit familial, à 300 ou 400 F.

Toutefois si on analyse le taux de mutualisation par région, on constate d’assez fortes disparités. Il m’a été signalé que dans la région lyonnaise, 63 % de la population étudiante était couverte par les mutuelles étudiantes. Dans d’autres régions au contraire, la couverture n’est que de 30 %.

Nous croyons, là encore, que ce phénomène d’émulation entre les différentes mutuelles étudiantes peut avoir des effets positifs s’il est mieux organisé. Prenons l’exemple, en termes de gestion, de Sesam-Vitale : il est évident que la mise en place du réseau Sesam-Vitale obligera ces organismes mutualistes à se moderniser et à faire des efforts de gestion et des gains de productivité. On peut réfléchir d’ailleurs à des systèmes d’applications informatiques proposés par le régime général d’assurance maladie à l’ensemble des sections locales. On aurait ainsi, à la fois une économie de gestion et une concurrence saine.

M. le Président : Ce que vous avez dit sur le stress est particulièrement intéressant, car lorsque j’étais professeur, le taux de suicide des étudiants était déjà très élevé. L’absence totale de prévention en la matière est très douloureusement ressentie et il reste beaucoup à faire à ce sujet.

M. Philippe DELEMARRE : Je pense qu’il s’agit moins de la question du suicide que de la peur de l’avenir. Je me suis intéressé, à la demande de la DRASS, au problème du suicide dans la région Auvergne où l’on compte environ 430 suicides par an. Ce chiffre est élevé, mais par comparaison le nombre d’étudiants stressés et ayant peur de l’avenir est relativement beaucoup plus important et préoccupant. Sur ce point on peut dire que la situation est dramatique. Les états généraux de la santé ont bien fait ressortir ce problème de l’étudiant qui a véritablement peur de l’avenir. Il convient donc de mener, avec l’aide des parlementaires et des pouvoirs publics, une action sur ce terrain.

M. le Président : Lors d’une précédente audition, on nous a parlé du désir d’enfants des étudiantes, contrarié dans la réalité par l’absence de confiance dans la couverture médicale et sociale.

M. Philippe DELEMARRE : C’est la raison pour laquelle j’insistais sur le rôle important du médecin référent et du système de la CMU pour cette population. A travers ces deux outils, on pourrait arriver à mettre en place des réseaux de santé, de soins coordonnés, ainsi que cette notion de référent sanitaire et social dans le cadre de la CMU.

Il me semble très important que ce référent social existe pour une population en état de stress et de peur de l’avenir. Je voudrais également souligner que les conseils d’administration des structures mutualistes sont composés par des étudiants et que leur renouvellement est très fréquent, ce qui permet à ces conseils de rester en contact avec les étudiants. Vous ne pourrez jamais faire en sorte qu’un administrateur de caisse primaire ait les mêmes relations avec le milieu universitaire que ces responsables mutualistes étudiants qui, par définition, partagent les conditions de vie et bénéficient du système de protection sociale de leurs congénères, qui adhèrent à la mutuelle. C’est un lien personnel très fort. Lorsqu’on évoquait, aux états généraux de la santé, le stress, la peur de l’avenir, le repli sur soi, la solitude de l’étudiant dans son logement, on sentait sur ces thèmes la compréhension de tous. Le jeune ne veut plus vivre dans 8 m² d’un immeuble de 1945. Il préfère 18 m² dans un immeuble neuf. Dans ce domaine, l’ALS a joué un rôle formidable. Et nous nous sommes battus contre les mesures visant à modifier l’ALS – le fait que 550 000 familles qui ont un enfant dans l’université avec l’ALS ne peut pas être rayé d’un trait de plume.

Avec des moyens qui restent à définir, nous préconisons d’une façon générale la créations de centres spécifiques, destinés aux besoins des étudiants, la création de points de rencontre dans la section locale mutuelle ; l’accueil, le guichet CMU pourrait se trouver, avec l’aide de la caisse primaire et de la MPU, dans cette section locale. La population jeune serait ainsi prise en charge, ce qui est indispensable en matière de prévention.

M. le Président : J’aimerais en revenir à des aspects plus techniques. Estimez–vous que le mécanisme de contrôle des mutuelles est satisfaisant ? Sinon, quel mécanisme préconiseriez-vous ?

M. Philippe DELEMARRE : Qui contrôle ces sections locales mutualistes : l’IGAS, la Cour des comptes, l’IGF, le CRC, les DRASS et les CPAM ! Voilà le problème ! Ma réponse est donc simple : ne peut–on avoir un organe de contrôle unique et sérieux qui soit le seul interlocuteur – un peu comme pour les mutuelles classiques ?

Bien entendu, il est indispensable que les sections locales acceptent de jouer le jeu de la transparence totale en présentant une comptabilité analytique et des comptes consolidés, ainsi qu’une répartition des charges entre régime obligatoire et régime complémentaire. Dès lors que les étudiants auront en face d’eux un interlocuteur à l’écoute de leurs problèmes, les mutuelles étudiantes joueront le jeu de la transparence.

M. le Président : Il a été suggéré, au cours de nos précédentes auditions, de faire participer des personnes extérieures au conseil d’administration – notamment de la CNAM. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

M. Philippe DELEMARRE : Il est vrai que la situation des sections locales mutualistes est particulière. Il ne serait pas anormal d’y organiser la représentation des conseils d’administration des caisses primaires et de la CNAM.

Je rappelle cependant qu’à la caisse nationale, et dans les caisses primaires, tous les organismes complémentaires ne sont pas représentés, puisque notre fédération, par exemple, n’a pas accès au conseil d’administration de la CNAM – elle ne participe qu’au conseil de surveillance.

Il y a donc là une représentation à organiser, mais il ne faut pas que cela gêne le fonctionnement des organismes des régimes obligatoires. La solution ne serait–elle pas plutôt dans un comité technique consultatif permanent qui se réunirait parallèlement aux conseils d’administration ?

Régis par ordonnances, l’organisation et le fonctionnement des conseils d’administration sont difficiles à modifier. En revanche, on pourrait organiser un conseil des sections locales où seraient représentées les structures régionales qui gèrent les régimes obligatoires – CANAM, MSA, CNAM. On voit d’ailleurs avec la mise en place de Sesam-Vitale, qu’il est indispensable de pouvoir recourir à ce type d’instance réunissant les différents acteurs.

On pourrait aussi estimer que la CNAM et les CPAM se rencontrent régulièrement avec les sections locales, dans une instance ad hoc. Ainsi l’établissement de comptes rendus consécutifs à ces réunions permettrait d’exercer un suivi et une comparaison entre différentes mutuelles.

M. le Président : Ma dernière question portera sur les exonérations de taxe professionnelle et d’impôt sur les sociétés pour les mutuelles. A partir du moment où l’on veut réformer le régime associatif, il convient de se poser également cette question pour les mutuelles.

M. Philippe DELEMARRE : Il s’agit là d’une question très difficile, Monsieur le président, car nous sommes en pleine réflexion sur deux aspects de ce dossier : d’une part, la transposition des directives européennes, et, d’autre part, le problème de la fiscalité de la mutualité.

Certaines directives européennes, comme les directives relatives aux provisions et aux marges de solvabilité, ont été transposées directement dans le Code de la mutualité.

Nous ne voulons pas avoir tout à la fois à respecter les obligations nouvelles résultant de la transposition des directives européennes et à supporter une fiscalisation croissante trop importante. Il faut rappeler que la mutualité est fondée sur des principes contraignants, tels que la non-sélection des risques, la non–exclusion dans les contrats mutualistes, la noncompensation des risques, dont les autres opérateurs du marché s’affranchissent.

Le système doit donc être équilibré entre ce qui est du ressort de la fiscalité, que l’on pourrait éventuellement faire évoluer, et ce qui est du ressort des directives européennes. Il ne faudrait pas que nous cumulions des charges ou des obligations nouvelles de toute part.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.

Audition de Mme Francine DEMICHEL,
directrice de l’enseignement supérieur au ministère de l’Education
nationale, et de M. Patrick LÉVY, sous-directeur

(procès-verbal de la séance du 28 avril 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

Mme Demichel et M. Lévy sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, Mme Demichel et M. Lévy prêtent serment.

Mme Francine DEMICHEL : Monsieur le président. mesdames et messieurs les députés, je rappellerai tout d’abord les caractéristiques principales du régime de la sécurité sociale étudiante, défini par la loi de 1948 dont on sait que les principes sur lesquels elle repose n’ont guère changé.

Même s’il n’y a pas un " métier étudiant ", car il n’est pas question de l’exercice d’une profession, il existe néanmoins dans le système français, sinon un " statut ", comme d’aucuns le disent, du moins une condition étudiante spécifique. Ainsi dans le cadre du régime général, la spécificité du régime de la sécurité sociale étudiante repose sur deux idées que nous sommes d’ailleurs en train d’approfondir et de reprendre dans le cadre du plan social étudiant, à savoir, celle de la globalisation de la situation étudiante, et celle de la responsabilisation de l’étudiant.

La globalisation correspond au fait que l’on ne peut pas découper en tranches la situation d’un étudiant. L’étudiant, en effet, poursuit des études mais, en même temps, il a une vie propre. Il se trouve confronté à des problèmes sanitaires, à des problèmes de logement, de restauration ; il a des activités extra-universitaires, sportives, culturelles... Il est donc nécessaire de prendre en compte cette situation globale.

Parallèlement, et de façon d’ailleurs assez articulée, on considère, dans le cadre de ce régime, qu’il convient de responsabiliser les étudiants car c’est finalement la communauté universitaire étudiante qui est la mieux à même de répondre aux besoins globaux de l’étudiant, d’où cette idée de responsabilisation.

Ces principes conservent encore tout leur sens aujourd’hui.

Le champ d’application individuel du régime étudiant de sécurité sociale obéit à l’idée qu’entre vingt ans et vingt-huit ans, il y a obligation d’avoir une sécurité sociale propre sauf si l’on relève d’un régime salarié ou si l’on est ayant droit d’un conjoint qui est lui-même assuré mais non-étudiant, mais ce sont là des situations relativement marginales.

Nous tentons aujourd’hui d’étendre ce régime aux étrangers. En effet, la politique du ministre est d’essayer d’attirer en France davantage d’étudiants étrangers dont le nombre chute de façon importante d’année en année ; nous en avons perdu plus de 10 %. La France est parmi les pays développés qui attirent le moins d’étudiants étrangers. Or, il faut bien dire que le régime de sécurité sociale y est assez compliqué puisque ne bénéficiaient jusqu’alors de la sécurité sociale étudiante que les étudiants étrangers dont le gouvernement avait passé une convention avec notre pays.

Nous travaillons actuellement à un texte, soumis pour le moment à la signature des deux ministres concernés, qui permettra à tout étudiant étranger, en situation de séjour régulière, de bénéficier de plein droit du régime de sécurité sociale étudiante.

Il y a donc tout à la fois une volonté d’élargir et de simplifier le régime de la sécurité sociale étudiante.

Le champ d’application institutionnel détermine véritablement la spécificité du régime étudiant avec l’intervention de ce que nous appelons dans notre jargon administratif de l’Education nationale un guichet unique qui permet aux mutuelles d’entrer dans la chaîne d’inscription des étudiants, de sorte que ces derniers paient en même temps, grâce à ce système, leur cotisation de sécurité sociale et s’ils le souhaitent, la cotisation à la mutuelle et sont remboursés de façon unique. C’est une formule qui simplifie considérablement la gestion par l’étudiant de son propre régime de sécurité sociale.

Ce système s’est mis en place conformément à la définition de l’étudiant comme celui qui est inscrit dans un établissement habilité par l’Etat. Il existe donc une liste d’établissements actuellement au nombre de 4 051, dont l’habilitation est accordée conjointement par le ministère de l’Education nationale et par le ministère des Affaires sociales et qui concerne 997 communes.

Les étudiants inscrits dans ces établissements habilités vont donc pouvoir bénéficier du régime de sécurité sociale selon un système qui lie très fortement le statut d’étudiant avec une habilitation nationale et le régime de sécurité sociale étudiante.

Sur un plan financier la cotisation annuelle s’élevait pour la rentrée universitaire 1998-1999 à 1 050 F.

A ce propos, je souligne que nous avons introduit, pour la rentrée 1999, des bourses à taux zéro dont pourront bénéficier 11 500 étudiants, qui se situent au-dessous des catégories sociales pouvant bénéficier du régime des bourses. Ces derniers seront exonérés des droits d’inscription et des droits de sécurité sociale, cela afin d’améliorer le système d’aides en faveur d’un certain nombre d’étudiants qui sont à la marge du régime de sécurité sociale.

Le fonctionnement de ce guichet unique relève de l’exclusivité des mutuelles, ce qui a soulevé le problème du régime de libre concurrence avec les assurances.

Il convient de préciser qu’aucune habilitation générale valable pour l’ensemble du territoire n’a été accordée à ce jour à une mutuelle étudiante. Si la MNEF est implantée dans la plupart des académies, les arrêtés d’habilitation, pris en sa faveur depuis 1949, ont toujours porté l’indication nominale des centres universitaires où elle était habilitée à jouer le rôle de section locale de sécurité sociale étudiante. Les mutuelles régionales ont, pour leur part, une compétence limitée au maximum à trois académies. Aujourd’hui, on dénombre dix mutuelles régionales, regroupées au sein de deux fédérations.

On est donc dans un régime de compétition, mais seulement entre mutuelles. Dans ce système chaque établissement détermine lui-même, selon le principe de l’autonomie des établissements défini par la loi Savary de 1984, les mutuelles présentes dans la gestion de ce guichet unique.

Par conséquent, l’administration n’intervient à aucun titre dans le choix des mutuelles arrêté par l’établissement : il s’agit réellement d’un choix autonome. Il est évident que les mutuelles régionales ont plus de chances d’être présentes dans les universités de leur région que dans une université parisienne, encore que les grandes universités parisiennes introduisent actuellement davantage de concurrence entre mutuelles.

Cela étant, il y a une exclusivité des mutuelles et aucune intervention des assurances et je crois que ce régime qui a soulevé des problèmes se justifie assez fortement par le fait que nous nous situons dans le cadre d’une mission de service public et que la sécurité sociale étudiante doit vraiment remplir une mission de service public.

D’ailleurs, la Cour des comptes, dans le rapport dont vous avez eu connaissance, spécifie bien que l’une des dérives des mutuelles est de ne pas avoir séparé nettement ces missions de service public des missions qui seraient des missions marchandes.

Par ailleurs, il faut bien prendre conscience que la situation de l’étudiant a profondément changé. D’abord, le nombre des étudiants a considérablement augmenté, même si une stabilisation, voire une baisse des effectifs est attendue pour les années qui viennent. Nous sommes dans une université de masse avec presque 2,2 millions d’étudiants dont 1,3 million sont affiliés au régime de la sécurité sociale, soit plus de la moitié. Ensuite, la population étudiante n’est plus socialement homogène. Le modèle de l’étudiant classique que nous avons connu – fils de la classe moyenne, voire de la bourgeoisie, doté d’une culture universitaire, informé de ce qu’était l’université ou les grandes écoles et qui arrivait dans un milieu familier – est complètement révolu.

Aujourd’hui, un certain nombre d’étudiants subissent un véritable dépaysement, ce qui explique qu’ils soient pris en charge dans toutes les dimensions de leur vie.

C’est ainsi que l’on observe, par exemple, deux phénomènes relativement nouveaux puisqu’ils remontent à une dizaine d’années. Premièrement, il y a une précarisation très importante d’une frange des étudiants qui n’étant pas boursiers sont, soit brutalement exclus de leur famille, soit sujets à des pressions qui les poussent à la quitter, soit encore issus de familles en situation de rupture.

De ce fait, ils se retrouvent dans des situations que l’on ne sait plus comment traiter ce qui nous a conduit à mettre en place, pour la rentrée 1999, une allocation d’études qui va être gérée par des commissions locales telles que l’université ou le CROUS dans lesquelles il serait également souhaitable de retrouver les mutuelles en raison de l’urgence qu’il y a à réagir – et pas uniquement au plan financier – à certaines situations extrêmement difficiles auxquelles est confronté un certain nombre d’étudiants.

Deuxièmement, une aggravation de l’état de santé général des étudiants. Compte tenu de la condition sociale de leur famille, les étudiants, notamment dans le premier cycle, abordent leurs études avec de très fortes réactions d’angoisse. On enregistre une très nette augmentation des maladies liées au stress, des maladies nerveuses, voire mentales, des étudiants, qui est tout à fait préoccupante.

Cela suppose, pour nous, d’avoir une vision beaucoup plus globale d’un milieu qui est devenu assez disparate. Je considère que les mutuelles étudiantes qui fonctionnent sur le principe du compagnonnage ou de l’examen par les pairs répondent de la façon la mieux adaptée à ces situations.

Pour toutes ces raisons, même s’il y a eu incontestablement des dérives, même s’il faut que le ministère des Affaires sociales qui organise le contrôle sur les mutuelles – l’Education nationale ne faisant que les choisir – doit tout à la fois les simplifier, les accélérer et les accentuer, notamment par une comptabilité analytique de façon à ce qu’il n’y ait pas de mélanges entre les comptes visant les rapports marchands et ceux visant la gestion du service public au sens strict, je considère, personnellement, que notre système est encore le meilleur pour gérer cette situation de masse qu’est la sécurité sociale étudiante aujourd’hui.

Actuellement, l’ensemble de la sécurité sociale étudiante représente 4 milliards de francs dont environ 27 % sont couverts par les cotisations, le reste relevant du régime général. Il s’agit donc évidemment d’un enjeu national, même si l’enseignement supérieur intéresse au premier chef l’Education nationale.

Pour ce qui est des perspectives, j’estime qu’il y a un certain nombre d’améliorations à apporter. Assez modestement, puisque notre intervention se situe un peu en bout de course dans ce système dont l’Education nationale ne possède pas l’entière maîtrise, je dirai qu’il y a eu des excès, d’ailleurs parfaitement relevés par la Cour des comptes.

Concernant le problème du montant des remises de gestion, il y a eu des abus, mais je crois, sans vouloir exonérer les mutuelles, qu’il faut bien prendre en compte le fait qu’un tiers du fichier étudiant change tous les ans entre ceux qui sortent du système, ceux qui y entrent, sans parler de ceux qui quittent leur famille, changent de domicile etc. C’est une proportion énorme qui prouve combien cette population est mobile et difficile à cerner, et qui explique objectivement certains dysfonctionnements, tels que les retards ou les écarts constatés dans la gestion des fichiers.

Sur l’ensemble du régime, il faut effectivement qu’il y ait davantage de transparence, et que notamment les contrôles sur la gestion des mutuelles soient plus adaptés.

Un prochain arrêté des ministres des Affaires sociales et de l’Education nationale va modifier notamment le système en vigueur pour les établissements privés habilités, qui était extrêmement compliqué et qui sera remplacé par un système quasi-automatique de contrôles a posteriori plus qualitatifs, plus rapides et moins lourds que les contrôles menés a priori.

Un certain nombre d’améliorations de ce genre s’imposent et, de façon générale, il convient d’introduire davantage de transparence dans la gestion des fonds.

Pour ce qui me concerne, voyant les choses de l’Education nationale, ce que je souhaiterais, c’est qu’il y ait un plus grand partenariat au niveau local pour assurer la gestion de la santé des étudiants.

Aujourd’hui la gestion de la santé des étudiants doit être collective et locale, c’est-à-dire conduite au plus près du terrain, car les grandes règles qui sont fixées nationalement ne peuvent pas rendre bien compte d’une situation qui est extrêmement diverse. Lorsque vous prenez les étudiants de Nanterre, de Saint-Denis ou de l’Ecole polytechnique, il s’agit toujours d’étudiants mais il est certain que leurs problèmes de santé ne sont pas les mêmes.

Sur la base d’une part de l’amélioration de la gestion des mutuelles qui est souhaitée par la Cour des comptes, et d’autre part de ce que nous mettons en place avec le plan social étudiant, il faut parvenir à créer un véritable partenariat local de prévention de la santé étudiante J’entends par là que toutes les activités et tous les domaines doivent être couverts jusqu’aux activités sportives, car le manque d’équipements sportifs n’est pas sans effets sur la situation qui prévaut aujourd’hui : il faut consentir un effort considérable pour en équiper les universités françaises. Je veux également parler du problème de la prévention des maladies sexuellement transmissibles ou de la prévention de la tuberculose – dont on sait qu’elle est en recrudescence – car tous ces aspects de prévention sont insuffisamment traités au niveau collectif et local !

En conséquence, j’ai l’intention d’introduire, à travers le plan social étudiant, de vraies bases pour mener une action préventive. Selon moi, la sécurité sociale étudiante remplit ses fonctions en matière curative – je pense que lorsqu’un étudiant est malade, il est correctement soigné – mais que des progrès doivent être réalisés dans le secteur de la prévention où les mutuelles étudiantes doivent intervenir, livrer leur sentiment et participer à une action qui, encore une fois, ne peut être que collective et locale.

C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du plan social étudiant, nous nous efforcerons d’articuler cette nouvelle gestion des mutuelles en matière de sécurité sociale étudiante avec le plan national que nous tenterons de mettre en place dès la rentrée 1999.

M. le Président : Madame la directrice, je vous remercie pour cet exposé liminaire très clair. J’aurai un certain nombre de questions à vous poser et j’aimerais notamment, concernant le titre d’étudiant, connaître votre sentiment sur une proposition qui nous a été faite hier au cours d’une des nos auditions, visant à conserver ce titre jusqu’au premier emploi qui suit les études. Qu’en pensez-vous ?

Mme Francine DEMICHEL : Je crois qu’il faut conserver un cadre strict. Un étudiant, c’est quelqu’un qui est inscrit dans une formation pour faire des études. Il est vrai que le problème se pose de la couverture sociale des étudiants qui, après avoir terminé leurs études, sont en recherche d’emploi mais il faudrait trouver une autre justification pour leur accorder une couverture sociale. Si l’on dilue la notion d’étudiant, on va avoir un régime qui ne sera plus clair et, selon moi, tout le système actuel qui repose sur la notion de communauté étudiante n’y résistera pas. En outre, je vous signale que l’étudiant, lorsqu’il sort de l’établissement où il a poursuivi ses études, reste couvert pendant encore douze mois.

Il y a le problème du chômage mais, spontanément, je vous répondrai que l’on ne peut pas demander, non plus, au système de l’Education nationale de répondre à tous les problèmes de la société. Il faut considérer qu’il y a un type de régime de sécurité sociale étudiante, qu’il convient de l’améliorer mais qu’il faut vraisemblablement le maintenir dans son cadre d’autant plus que l’on s’attend, dans l’enseignement supérieur, à une multiplication des reprises d’études qui vont se traduire par un accroissement de la population adulte. Actuellement relativement faible, cette population dite " en formation continue " va augmenter, elle est couverte, par un régime de sécurité sociale qui est son régime salarial ou éventuellement un régime de congé formation ou autre.

Par conséquent, je me demande s’il ne conviendrait pas plutôt d’aller chercher la solution du côté de ces dispositifs de formation continue dans le cadre d’une activité salariale, permettant une reprise d’études avec une couverture, plutôt que de s’orienter vers une prolongation du statut étudiant au-delà de douze mois, à laquelle, a priori, je ne suis pas personnellement très favorable.

Je reste plutôt favorable à ce que le statut d’étudiant, avec ses avantages mais aussi ses obligations, qui sont de s’inscrire pour suivre des études et de les réussir, soit maintenu dans son homogénéité.

M. le Président : Je voudrais également vous interroger sur le logement social étudiant puisque loger 2 millions d’étudiants ne va naturellement pas sans poser des problèmes considérables et que, parmi les activités des mutuelles, le logement est une des préoccupations importantes.

Avez-vous l’impression que ce besoin est actuellement correctement assuré et existe-t-il, dans le cadre du régime social étudiant, lato sensu, une possibilité de mieux traiter cette question ?

Mme Francine DEMICHEL : Actuellement, nous recevons les recteurs et les présidents d’université sur U3M et le logement social est au cœur de toutes les préoccupations. Or, dans ce domaine, on constate qu’un très gros effort a été réalisé et un net progrès a été accompli dans toutes les régions à l’exception de l’Ile-de-France et de Paris !

On distingue deux catégories de logements sociaux : les logements sociaux type " CROUS traditionnel " pour lesquels les étudiants paient globalement entre 300 F et 500 F et une seconde catégorie de logements sociaux réalisés par des entreprises privées avec les PLA ordinaires pour lesquels les étudiants doivent débourser davantage puisque le montant à payer est de l’ordre de 800 F. C’est pour nous un vrai problème car nous devons parvenir à mettre en place un système où la part de l’étudiant soit inférieure à 800 F.

Cela étant dit, nous poursuivons la politique de logement social. Vous savez que le ministre souhaite qu’un quart du budget qui sera consacré à U3M soit réservé uniquement à la vie étudiante ce qui veut dire au logement étudiant, à la restauration étudiante, aux bibliothèques universitaires et à l’aménagement des campus et des sites, etc.

Le logement est donc l’une de nos préoccupations mais je pense que, dans ce domaine, les mutuelles ont incontestablement un rôle à jouer, car elles connaissent l’environnement et la situation sociale des étudiants. D’après les informations qui me sont parvenues – nous n’avons pas encore le retour de tous les recteurs – le problème prioritaire aujourd’hui est celui de la réhabilitation du parc social existant.

La population étudiante a changé. Du temps où j’étais étudiante et où je résidais en cité universitaire, on acceptait que les toilettes soient dans le couloir et un certain nombre d’autres contraintes alors que les étudiants actuels, faisant partie d’une société qui a connu une évolution du confort, exigent, par exemple, ce qui est normal, des chambres avec des douches intégrées.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : La séparation des garçons et des filles !

Mme Francine DEMICHEL : Oui, ils redemandent, ce qui est assez curieux, des cités pour filles et des cités pour garçons au motif que les filles ne veulent pas être confrontées à des harcèlements sexuels : c’est assez intéressant... Je me suis rendue dans une cité de Nice où les filles demandaient à avoir au moins des étages séparés parce qu’elles trouvaient les garçons un peu entreprenants. Il y a donc un problème de réhabilitation du parc et l’effort réalisé en matière de logement étudiant doit absolument être poursuivi. Les recteurs demandent 500 logements environ par ville universitaire, ce qui n’est pas énorme si on pense au parc qui serait nécessaire. Il est intéressant de noter, en outre, que la demande est assez diversifiée, de nombreux étudiants ne voulant plus habiter dans des résidences universitaires de 300 à 500 chambres, situées sur les campus, souhaitent plutôt des logements en ville dans des petites résidences d’une trentaine de chambres, intégrées dans le tissu urbain.

Il y a donc là une réflexion à mener : il me semble que l’on ne satisfera pas la demande étudiante en continuant à raisonner en termes de grandes cités universitaires, comme celle d’Antony, telles qu’on les a réalisées dans les années 1970, quand on parquait les étudiants à la périphérie des villes. Aujourd’hui, la demande est différente et si nous ne réfléchissons pas, en ne procédant pas à une analyse qualitative du logement, nous allons nous trouver, comme c’est parfois déjà le cas, avec des résidences inoccupées au motif que les jeunes ont évolué, que leurs comportements et leurs besoins ont changé.

M. le Président : Je souhaitais également vous poser une question sur les problèmes spécifiques à la maternité puisqu’un grand nombre de jeunes étudiantes sont susceptibles d’avoir des enfants. A ce sujet, nous avons entendu citer des chiffres très inquiétants et nous avons mesuré la difficulté qu’éprouvent les étudiantes à concrétiser leur désir d’enfant, faute de couverture et de protection sociales.

Quelle est votre appréciation sur cette question ?

Mme Francine DEMICHEL : Nous ne possédons pas de données précises sur ce point. Nous mettons en place depuis un an des groupes de travail sur la santé étudiante, mais nous en savons peu sur la maternité.

Je peux néanmoins témoigner de mon expérience de présidente de l’université de Saint-Denis, université dite de Lettres et Sciences humaines qui est fréquentée majoritairement à 55 % par des filles.

A cette époque j’ai vu arriver – mais je pensais que c’était un phénomène propre à cette université – des étudiantes attendant un bébé et qui avaient besoin d’aide. C’est par un système de cagnotte, grâce à un fonds spécial, le FAV – Fonds d’aide à la vie étudiante – qui est prélevé sur droits d’inscriptions d’étudiants, que nous aidions alors les jeunes femmes enceintes qui se trouvaient dans une situation difficile, qui avaient quitté leurs parents ou qui n’étaient pas totalement couvertes du point de vue social.

S’agit-il d’un problème important ? Sans doute, puisqu’il a été soulevé, mais il faudrait interroger les responsables des CROUS et surtout les assistantes sociales car ce sont elles qui, soit dans les universités, soit dans les CROUS, reçoivent ces étudiantes. Il faut savoir, en effet, que beaucoup d’étudiants qui se trouvent en situation difficile ont du mal à l’avouer : il est dur de reconnaître que l’on demande quelque chose ! Or, ces jeunes femmes qui se trouvent en quelque sorte en situation de mendicité préfèrent se confier et s’en remettre aux assistantes sociales.

Dans l’enseignement supérieur, nous manquons actuellement d’assistantes sociales : nous en réclamons tous les ans à l’occasion du budget mais l’insuffisance en médecins et en assistantes sociales persiste. Le problème est encore plus aigu pour les secondes que pour les premiers car en ce qui concerne les médecins, il est possible d’obtenir des systèmes de convention alors que les assistantes sociales doivent être là en permanence.

Certains garçons se trouvent également en situation difficile, notamment lorsque, à la suite d’accidents de voiture ou de moto, ils rencontrent des difficultés à reprendre le travail.

Sur tous ces problèmes très divers, il n’y a guère que les assistantes sociales qui puissent intervenir.

M. le Rapporteur : S’agissant du logement social étudiant et de son évolution, vous souhaitez, si je vous ai bien compris, que les mutuelles s’impliquent dans ce domaine. Or, il se trouve que cela fait partie des dossiers où la diversification a posé quelques problèmes d’opacité de gestion et j’aimerais que vous nous expliquiez comment les mutuelles pourraient intervenir à ce sujet sans retomber dans les mêmes travers.

Mme Francine DEMICHEL : Il y a eu incontestablement des dérives de gestion par manque de contrôles mais je considère, néanmoins, que dans une telle affaire il ne faut pas " jeter le bébé avec l’eau du bain ".

Les mutuelles étudiantes étant composées d’étudiants et gérées par eux, il s’agit donc maintenant de faire en sorte que ces derniers participent à la vie étudiante et s’y impliquent davantage, sans toutefois qu’ils deviennent des professionnels des mutuelles : nous sommes d’accord pour convenir que c’est seulement lorsque des professionnels gèrent les mutuelles que l’on aboutit à des dérives. Il n’en reste pas moins que les étudiants sont les usagers au quotidien du logement social étudiant et qu’il faut donc penser à eux. Alors que déjà, pour la plupart, ceux-ci se trouvent dans une situation extrêmement difficile, désorientés à leur entrée à l’université ou dans une école du fait de ne pas savoir ce qui les attend, confrontés à des difficultés de travail, à un milieu social inconnu, si de surcroît ils arrivent dans un logement qui ne correspond pas à leurs attentes et à leurs besoins, nous ne ferons qu’accroître les difficultés.

J’ai ainsi constaté que beaucoup d’étudiants – y compris des étudiants boursiers, c’est-à-dire des étudiants aidés qui habitaient dans une résidence universitaire – vivaient, par exemple, très mal la rupture de Noël et que, restés sur place et se sentant isolés, du fait que l’université était fermée et que leurs copains avaient regagné leur famille, ils étaient très souvent amenés à arrêter leurs études.

J’estime donc que l’on ne peut pas penser le logement étudiant, aujourd’hui, indépendamment de la façon dont l’étudiant souhaite mener sa vie. Il faut, en effet, bien prendre en compte que ce sont des adultes responsables mais, en même temps, extrêmement fragilisés : les étudiants de premier cycle , par exemple, sont actuellement beaucoup plus fragiles, pour de multiples raisons dont les difficultés de l’emploi, qu’ils ne l’étaient, il y a vingt ans !

En conséquence je défends la participation des mutuelles, non pas en tant que mutuelles mais en tant que mutuelles étudiantes.

Si vous étudiez les analyses de l’Observatoire de la vie étudiante, par exemple, qui a engagé des études sur les résidences universitaires et sur la précarisation, vous constaterez qu’il en ressort une recherche d’un mode de vie que je qualifierai d’assez " communautariste ", l’adjectif étant pris au sens large. Je ne suis pas compétente pour définir les modalités de participation des mutuelles mais je prétends que si on ne les implique pas dans un processus de construction de la vie étudiante de masse, on sera de nouveau confronté aux erreurs du passé avec des résidences universitaires sans liens avec la vie étudiante.

J’ai assez confiance dans les étudiants pour organiser quelque chose qui corresponde aux besoins réels de l’ensemble de leurs camarades : c’est à ce titre que j’assume ma position et non pour justifier ce qui s’est passé. N’ayant pour source d’informations que la presse, et juriste de formation, je préfère observer la plus grande prudence sur le sujet et attendre que des décisions soient prises par la justice.

A mon avis, il faut rechercher une implication forte des étudiants.

Vous me permettrez d’insister et de dire que nous sommes, en France, dans un système extrêmement étatique dans lequel on considère que les fonctionnaires et l’Etat de façon générale peuvent donner des réponses aux besoins des gens sans avoir à les consulter. C’est ainsi que certains architectes construisent des appartements où ils ne mettent jamais les pieds par la suite et où d’ailleurs – c’est le cas en Seine-Saint-Denis, département que je connais bien – je doute qu’ils accepteraient eux-mêmes de vivre...

Il faut donc éviter de commettre une telle erreur pour les étudiants et à cette fin, il faut les responsabiliser et leur donner la possibilité de s’impliquer et de faire des choix. Pour ce qui nous concerne, nous tentons de conduire un groupe de travail sur le logement étudiant parce que nous sentons bien qu’il existe à la fois des besoins quantitatifs et qualitatifs mais que ce n’est pas nous – l’Etat et les ministères – qui pouvons y répondre.

Comment voulez-vous, dans ce genre d’actions, entendre la voix des étudiants si ce n’est par le canal des mutuelles ? Qu’on le veuille ou non l’expression de leurs besoins passe par elles...

M. André ANGOT : Vos réponses m’étonnent quelque peu... Je crois, pour ma part, que la construction de logements est un métier et que la couverture sociale en est un autre. On pourrait très bien laisser aux mutuelles le soin de faire ce qu’elles savent faire, c’est-à-dire la protection sociale, la couverture maladie et la couverture complémentaire et créer des structures autour des offices d’HLM, par exemple, qui sont très spécialisés dans la construction, quitte à ce que dans la conception et la gestion interviennent des comités d’étudiants et à ce que les mutuelles participent à la gestion de ces bâtiments, voire à leur conception et à leur fonctionnement.

Il me semble particulièrement difficile d’être compétent dans tous les métiers et on a bien vu les dérives qui en ont résulté.

Par ailleurs, concernant le manque de logements étudiants, j’ai cru comprendre qu’il était qualitatif, ce qui est indéniable mais aussi quantitatif. Sur ce dernier aspect, j’aimerais savoir si vous anticipez et prenez en compte la baisse de la démographie étudiante qui s’annonce pour les années à venir, puisqu’on sait que la fréquentation baisse régulièrement dans les collèges et les lycées et qu’automatiquement ce phénomène va se répercuter sur l’enseignement supérieur.

Mme Francine DEMICHEL : Je répondrai par l’affirmative à votre seconde question. Pendant quelques années, nous allons enregistrer une baisse qui se trouvera compensée par le gros effort que nous allons consentir en direction de la formation des adultes qui, eux, n’ont pas besoin de résidences étudiantes puisqu’ils sont insérés dans la vie professionnelle. Donc, incontestablement, les besoins vont baisser quantitativement.

Cela étant dit, il reste des régions où les besoins restent très forts, notamment l’Ile-de-France, où pratiquement très peu de choses ont été faites en matière de logement étudiant mais nous devrions parvenir, dans le cadre du Plan U3M, à améliorer considérablement la situation des logements étudiants.

Certes, la construction est un métier, et chacun doit exercer ses compétences, mais il n’est pas question dans mon esprit de laisser les étudiants construire directement, mais de les faire participer via les mutuelles à la gestion de ce besoin en logements.

Bien sûr que les sociétés d’HLM savent construire mais le temps de construction est souvent assez long et un délai important peut s’écouler entre le moment où le besoin s’exprime et celui où il est satisfait.

Pour dire les choses nettement, je vais vous citer un exemple. Nous essayons de régler le problème de l’université de Paris XIII qui est située à Villetaneuse et qui jouxte une cité HLM, devenue une cité de transit avec toutes les conséquences que cela suppose : très peu de familles, de la délinquance et des agressions permanentes et quotidiennes sur le campus universitaire où, par voie de conséquence, se multiplient les rondes de sécurité avec chiens de garde etc.

Cette situation n’est pas acceptable et nous nous efforçons, avec l’accord du Préfet, du recteur et de toutes les autorités compétentes de récupérer cette cité HLM, dont les habitants seraient relogés dans Villetaneuse, pour en faire une résidence universitaire destinée à abriter des étudiants et des enseignants étrangers. Cela fait maintenant près de deux ans que nous tentons de régler le problème. Tout le monde se renvoie la balle et en attendant, l’affectation de ces centaines de logements puisqu’il s’agit d’un ensemble très important, est impossible.

A priori, si on veut faire des logements étudiants dans le parc HLM, il faut que le rythme de réponse et de construction soit plus rapide, car ce qui m’inquiète beaucoup, au niveau des dossiers que j’ai eu à traiter avec les cités HLM, c’est le retard qui est pris et le fait que l’on considère parfois que la population étudiante est une population qui n’est pas nécessairement prioritaire, ce qui est normal, dans le cadre des logements sociaux d’un département ou d’une ville.

C’est pour toutes ces raisons peut-être que je ne me montre pas plus confiante dans le système de gestion des HLM mais, a priori, je maintiens que si l’on pouvait trouver un système mixte, susceptible d’intégrer une participation des organismes étudiants, ce ne serait pas plus mal !

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Je voudrais préalablement dire, en tant que président d’un office HLM, que nous savons aussi construire très vite et prendre en compte les besoins de nos locataires. Maintenant, je n’oublie pas non plus qu’il y a dans le domaine du logement un savoir-faire d’un certain nombre de mutuelles et de filiales de mutuelles : je pense notamment à la MGEL qui est l’une des mutuelles connues en Alsace et qui réalise des constructions de logements qui, à Mulhouse, par exemple, ont vraiment donné pleine satisfaction.

Mais, le débat se poursuivra sur cette diversification des activités des mutuelles et nous aurons l’occasion d’en reparler.

J’en viens à ma première question qui portera sur les dérives et le problème des abus. Vous avez réclamé plus de transparence et de contrôle et j’aimerais que vous puissiez préciser votre pensée, notamment sur la manière dont ces contrôles doivent être effectués.

Ma seconde question concernera, en dehors du logement, les réponses que votre ministère envisage d’apporter aux besoins des étudiants en matière aussi bien de santé physique et morale que d’animation culturelle et sportive dans les campus et les cités.

Mme Francine DEMICHEL : Je pense qu’à l’avenir il faut diversifier les formules de logement et parvenir à mettre sur pied un système susceptible de répondre à des attentes et à des délais différents car le système unique, en cas de blocage, paralyse tout !

Sur la transparence et le contrôle, j’ai lu le rapport de la Cour des comptes – je rappelle au passage que nous n’exerçons aucun contrôle sur les mutuelles, cette fonction incombant au ministère des Affaires sociales – et qu’à l’Education nationale, nous avons certainement moins d’informations que vous et pas plus que la presse.

J’approuve les conclusions et les exigences émises par la Cour des comptes : je crois qu’il faut que les comptes soient plus rigoureux, qu’il y ait une comptabilité analytique et davantage de transparence quant à l’utilisation des remises de gestion qui doivent être beaucoup plus claires qu’elles ne le sont aujourd’hui, ce qui ne signifie pas qu’il ne doit pas y avoir d’activités dans le secteur marchand mais qu’elles doivent être bien séparées des autres types d’activités de service public où la compétence n’est pas partagée et où la concurrence n’existe pas.

Cela étant, sur les mécanismes de contrôle, je sais par expérience que les contrôles de l’administration centrale tels que nous les effectuons, et qui sont des contrôles théoriques, généraux et par voie de textes – ils sont d’ailleurs très peu nombreux puisque nous avons à faire à des établissements de l’enseignement supérieur qui sont autonomes – sont assez largement inefficaces ! Je crois beaucoup plus aux contrôles de terrain pour voir concrètement comment les choses se passent et, de ce point de vue, les évaluations et les contrôles de la Cour des comptes ou des cours régionales des comptes sont sans doute plus efficaces que les nôtres.

Pour ce qui est de la diversification des activités proposées aux étudiants, elle constitue l’un de nos objectifs. C’est pourquoi d’ailleurs une carte de l’U3M leur est consacrée. Il faut en effet savoir qu’en France, la part réservée à des activités non théoriques, non intellectuelles, est assez faible, y compris dans l’emploi du temps. Quand on étudie l’emploi du temps des classes préparatoires, on est effrayé et on se demande quand les étudiants peuvent bien trouver le temps d’aller au cinéma ou de pratiquer un sport. On touche là au problème de la surcharge des activités intellectuelles qui, bien qu’un peu moindre dans l’emploi du temps des universités, reste encore très pesante.

Cette situation suppose un changement de fond dans notre système, qui passe par l’allégement des programmes dans le supérieur – je ne parle pas du secondaire. Comme chaque acteur du système veut ajouter sa spécialité ou sa matière, cela se fait au détriment des activités extrathéoriques. Par conséquent, si l’on n’installe pas les équipements sportifs au pied des amphithéâtres, les étudiants ne pourront pas s’y rendre. Si, à défaut d’être inscrits dans un club, solution réservée aux plus fortunés, il leur faut traverser toute la ville pour pratiquer une discipline sportive, ils n’y auront pas accès ! Il nous faut donc envisager de " terminer les campus " en y construisant des équipements sportifs et autres.

Quelques expériences de ce genre ont été tentées dans le passé : à Grenoble, par exemple, une piscine avait été construite, mais faute d’entretien, des accidents sont survenus et elle a dû être temporairement fermée.

Notre souhait est donc, dans le cadre des contrats d’établissement, du contrat de plan Etat-Région, de financer de tels équipements en accord avec les régions. Il est à noter que les villes ont fait un gros effort en mettant leurs équipements à disposition mais, vous le savez mieux que moi, elles mettent d’abord ces équipements à disposition du secondaire et des élèves des lycées et ensuite seulement à disposition des universités et de l’enseignement supérieur !

Un effort très important doit donc être accompli sur les campus. C’est ce que nous appelons la politique des sites universitaires, " terminer un site universitaire" , c’est vérifier qu’il est doté d’une maison de l’étudiant, d’un lieu d’animation théâtrale, musicale ou autre, ainsi que d’équipements sportifs et non pas seulement, comme c’est aujourd’hui le cas, du mur d’escalade qui rencontre beaucoup de succès, mais qui se multiplie surtout au motif qu’il occupe peu de place.

Les jeunes ressentent un très fort besoin d’activités sportives et demandent d’ailleurs instamment que l’on finance les Services universitaires des activités physiques, sportives et de plein air – SUAPS – pour qu’ils puissent s’inscrire à des stages de voile, de ski etc. Vous n’ignorez pas, non plus, l’actuel engouement pour les filières STAPS – Sciences et techniques des activités physiques et sportives – qui sont celles de l’enseignement supérieur qui rencontrent actuellement le plus de succès.

C’est un peu surprenant, également un peu angoissant car il faut trouver des débouchés, mais cela correspond quand même à un besoin réel d’une partie des jeunes, garçons et filles, qui cherchent dans ce type d’activités à se réaliser de façon personnelle au sein d’une société qui ne leur propose pas toujours des perspectives qui les motivent.

Cet effort doit être accompli relativement tôt car les jeunes – je pense toujours aux étudiants du premier cycle parce que ce sont eux qui sont dans la situation la plus difficile – ont vraiment besoin d’avoir une pratique sportive ou une pratique musicale, activité dont vous savez qu’elle est très peu développée en France.

Nous allons donc nous attacher à réaliser cet effort et à le financer et vous pourrez d’ailleurs bientôt constater, puisque vous serez les premiers à être informés de ces mesures, qu’U3M comportera de nombreuses demandes d’équipements sportifs.

M. Bruno BOURG-BROC : Même si vous n’avez cessé d’en parler tout au long de votre exposé, j’aimerais savoir, madame la directrice, quels seraient, si on vous demandait de résumer l’essentiel du statut étudiant que vous auriez la liberté de bâtir, les trois ou quatre points que vous retiendriez.

Mme Francine DEMICHEL : Un statut dans lequel l’étudiant serait davantage participant qu’il ne l’est aujourd’hui. Je crois qu’il faut développer la prise en charge par l’étudiant de son destin en tant que tel. Pendant cette vie étudiante, les étudiants dans leur majorité sont encore trop passifs et se comportent trop souvent comme des assistés ; ils attendent de l’Etat ou des uns et des autres un certain nombre de choses qui doivent leur être apportées.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Ils attendent aussi des parents !

Mme Francine DEMICHEL : Oui, lorsque les parents répondent, parfois ils ne répondent pas et dans ce cas, la situation se complique !

Je pense profondément que l’enseignement est excellent en France et que nous n’avons pas de problèmes de niveau des études mais un problème d’orientation des étudiants. Cela relève de la responsabilité des étudiants. Il faut donc que nous les aidions et si nous y parvenons, s’ils participent à leur cursus de formation, si, au lieu d’attendre qu’on les oriente, ils réfléchissent un peu en amont, ce sera un réel progrès.

Tout tient à un problème d’orientation et de responsabilisation et je crois que c’est sur ce thème qu’il faut travailler, beaucoup plus que sur le système de formation dont je pense qu’il fonctionne bien ! Je crois qu’il faudrait incontestablement accroître la participation, c’est pourquoi nous avons proposé qu’il y ait des vice-présidents étudiants dans les instances universitaires afin qu’ils s’approprient l’université et que cette dernière ne soit plus seulement le lieu des enseignants mais devienne également celui des étudiants. Je me résumerai donc en disant que je souhaite un statut plus participatif.

Pour ce qui me concerne, je pense que cela ne vous étonnera pas, je considère que l’on ne peut pas, en France, et je n’y suis pas, personnellement, favorable, envisager un système où il y ait un autofinancement plus important des universités par le biais des droits d’inscription – le principe de gratuité du service public étant très fortement ancré dans la société française on ne peut pas le remettre en cause – mais qu’il est indispensable que les universités elles-mêmes, en tant qu’institutions, se soucient davantage de l’étudiant qu’elles ne le font aujourd’hui.

Actuellement, vous le voyez bien, les universités et les universitaires dans leur ensemble, délivrent un savoir sans se préoccuper de la vie de l’étudiant, ce qui aboutit à un système cloisonné avec les CROUS d’un côté, qui s’occupent de la restauration, et du logement, et de l’autre côté les assistantes sociales, qui pallient les difficultés d’un autre ordre. C’est en ce sens que j’ai usé du terme de globalisation.

Le ministre de l’Education nationale veut " mettre l’étudiant au centre du système " mais, pour ce faire, il faut que les universitaires prennent conscience qu’ils ne sont pas là simplement pour délivrer un savoir mais qu’ils délivrent un savoir à des gens qui sont dans une situation sociale bien déterminée, qui ont une vie propre, ce qui nécessite davantage d’échanges.

C’est dans cette direction qu’il convient d’améliorer le système car, pour le reste, j’estime qu’il est de bonne qualité et qu’il est à peu près au point.

M. Joël GOYHENEIX : Madame la directrice, par rapport au manque de contrôles, régulièrement dénoncé, des mutuelles dans leurs activités, que penseriez-vous de la présence de l’Education nationale dans les conseils d’administration des mutuelles comme c’est envisagé pour la sécurité sociale ?

A défaut de l’Education nationale, les établissements publics autonomes que sont les universités ne pourraient-ils pas être représentés, soit de façon consultative, soit d’une autre façon ?

Mme Francine DEMICHEL : Il faut noter que l’article R. 381-29 du Code de la sécurité sociale prévoit la participation d’un représentant du ministère chargé de l’éducation nationale ou du ministre chargé des universités au conseil d’administration de chaque section locale universitaire. Je serais assez favorable à la présence d’un président d’université ou d’un directeur d’école.

Je pense, d’une façon assez générale que les organismes doivent, je ne dirai pas être cogérés, car le terme a été assez galvaudé, mais qu’ils doivent faire l’objet d’une participation concrète, et pouvoir rendre, ensuite, des comptes de leur activité. Je crois assez à cette formule et au fait que, sur le terrain, les gens s’assoient autour d’une table et envisagent les conséquences de leurs actes.

M. le Président : Madame la directrice, nous vous remercions de votre présence et de la qualité de vos explications dont nous nous efforcerons de faire le meilleur usage.

Audition de Mme Karine DELPAS,
Présidente de l’Union nationale des étudiants de France
(UNEF) et de M. Pierre-Henri LAB, administrateur

(procès-verbal de la séance du 28 avril 1999)

Présidence de M. Alain Tourret, Président

Mme Delpas et M. Lab sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, Mme Delpas et M. Lab prêtent serment.

Mme Karine DELPAS : Je présenterai, rapidement, tout d’abord l’Union nationale des étudiants de France – UNEF – dont je suis la présidente. Ce syndicat existe depuis 1907, il a connu, au cours de son histoire, un certain nombre de recompositions, notamment avec la scission de 1971 qui a conduit à la création d’un autre syndicat : l’UNEF–ID – UNEF indépendante et démocratique.

Nous sommes héritiers de cette histoire et nous avons aujourd’hui repris notre place au sein d’une mutuelle qui s’est créée à la Libération avec le mouvement étudiant, à savoir la MNEF – Mutuelle nationale des étudiants de Franc – où nous n’avions plus de représentants étudiants depuis 1984.

Nous avons fait ce choix – et cela rejoindra la question posée sur le régime étudiant – parce que nous avons le sentiment qu’aujourd’hui, à travers les questions de santé et de protection sociale, les mutuelles jouent un rôle déterminant, à la fois dans la structuration du mouvement étudiant et dans la qualité de vie et d’études d’une grande majorité des étudiants.

L’UNEF avait contribué avec d’autres, et en tout cas avec le mouvement étudiant, à la création d’une mutuelle au moment de la mise en place d’un régime étudiant de sécurité sociale spécifique.

Nous avons le sentiment qu’il faut préserver aujourd’hui parce qu’il présente un certain nombre d’atouts pour le monde étudiant et permet, en tout cas, de prendre en compte en termes de santé et de protection sociale toute une série de spécificités de la vie des étudiants. C’est également lui qui a permis, dans l’histoire, de mobiliser les étudiants et d’obtenir un certain nombre d’acquis en matière d’accès aux soins, que ce soit la création de centres de soins et d’hôpitaux pour les étudiants, ou le remboursement de l’IVG, qui s’inscrivent dans l’histoire du mutualisme et du régime étudiants.

Aujourd’hui, avec 2 millions d’étudiants, on a bien pris conscience qu’en dix ans l’enseignement supérieur s’est considérablement massifié et qu’avec l’arrivée à l’université de nouvelles couches sociales et d’étudiants vivant dans des milieux très défavorisés, les besoins en termes de santé et de protection sociale ont évolué par rapport à ceux qui pouvaient s’exprimer à la création de ce régime étudiant et de la MNEF notamment.

A l’origine, la MNEF a dû faire face à des défis dans l’enseignement supérieur qui correspondaient à ceux de l’époque. Aujourd’hui, les enjeux ne sont plus les mêmes et des difficultés nouvelles se sont substituées aux anciennes. Elles sont dues à l’arrivée à l’université d’étudiants issus de couches sociales défavorisées et sont déjà liées à la possibilité d’avoir accès à une protection sociale. La question ne se pose pas tant pour le régime de sécurité sociale puisqu’il est obligatoire dès l’âge de 18 ans, que pour les régimes sociaux complémentaires dont sont dépourvus un nombre croissant d’étudiants – actuellement de 15 % – comme chaque rentrée universitaire permet de le vérifier.

Il est donc difficile pour certains étudiants d’avoir accès à la protection sociale. A cela vient s’ajouter toute une série d’autres problèmes relatifs à l’accès aux soins, à la fréquence des visites médicales, aux soins dentaires, optiques etc.

Des besoins nouveaux s’expriment donc en matière de santé mais également, et de plus en plus, en matière de restauration et de logement.

Pour ce qui nous concerne, nous estimons qu’aujourd’hui, le régime étudiant peut répondre à ces enjeux en dépit d’une série de faiblesses dont la première est son coût.

Si je parlais des difficultés liées à la possibilité d’avoir accès au régime de protection sociale, c’est qu’il faut savoir que, depuis 1984, la sécurité sociale étudiante est payante. Aujourd’hui, l’étudiant paie 1 050 F de sécurité sociale qui ne comprennent pas les frais d’accès à un régime complémentaire. Cette somme dont l’étudiant doit s’acquitter à chaque rentrée universitaire équivaut à la moitié des frais d’inscription.

Sans être très experte en matière de protection sociale, je dois dire que nous avons également le sentiment que le régime étudiant de sécurité sociale ne va jusqu’au bout du rôle qui devrait être le sien et qu’il se repose trop sur les régimes complémentaires pour pallier ses déficiences.

Pour résumer brièvement mon propos, je soulignerai que nous sommes très attachés à ce que le régime étudiant, même s’il doit être amélioré, soit maintenu, car il répond à un besoin.

A la fois par le biais de la sécurité sociale et des mutuelles, il peut être directement géré par les étudiants – même si cela n’a pas été sans poser de difficultés ces dernières années, comme on a pu le vérifier avec les récentes affaires liées à la MNEF – et il permet aux étudiants d’avoir directement prise sur les choix qui sont faits concernant leur régime de protection sociale. Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il y a lieu de le préserver, de le renforcer et de l’améliorer.

Au nombre des priorités en faveur de l’amélioration de la protection sociale étudiante, nous mettons en avant les questions de coût puisque nous sommes depuis des années fortement engagés dans la défense de la gratuité de la sécurité sociale étudiante. Même si nous avons conscience des dépenses énormes que cela représente, nous estimons qu’il convient de s’interroger sur le rôle de l’Etat en la matière. Il nous semble tout à fait contradictoire, en effet, de demander aux étudiants de financer leur régime de sécurité sociale et de mutuelles car nous partons du fait – auquel nous sommes très attachés – que ce ne sont pas des travailleurs, mais des jeunes de 18 à 30 ans en formation, qui représentent l’avenir de la société, envers lesquels il faudrait engager des moyens financiers conséquents.

Il y a également besoin d’améliorer l’accès aux régimes complémentaires mais cette question relève aussi de la responsabilité des mutuelles.

Pour ce qui nous concerne, sentant qu’il était important pour les étudiants de reconquérir – puisque les choses se posent en ces termes – une mutuelle qu’ils ont contribué à créer, il y a cinquante ans, nous avons fait le choix de reprendre pied dans la MNEF avec la volonté de pouvoir œuvrer à la transparence et à la démocratie et de placer cette mutuelle au service des étudiants.

Nous commençons à découvrir certaines choses. Comme tout le monde nous avons suivi les événements récents à travers la presse et nous nous efforçons, aujourd’hui, de jouer notre rôle de syndicat en permettant aux étudiants d’être informés et de maîtriser les questions qui se posent au niveau de la gestion de la MNEF, de sa politique mutualiste, et de faire en sorte d’avoir assez de poids pour que cette mutuelle redevienne une mutuelle au service des étudiants.

M. le Président : Je vous remercie de ce très bon exposé liminaire, mais je voudrais maintenant aller un peu plus loin.

Sur cette protection sociale des étudiants vous venez de nous dire que vous étiez essentiellement attachée à la diminution de son coût mais sur la qualité des prestations, avez-vous un certain nombre de propositions à formuler ?

On a, par exemple, beaucoup parlé du logement social étudiant et d’un certain nombre de prestations complémentaires qui peuvent être apportées aux étudiants par le biais des mutuelles : au nom de votre syndicat pouvez-vous nous faire quelques suggestions sur ce point ? Pensez-vous, par exemple que le logement social doit constituer une obligation de l’Etat, qu’il doit être pris en charge par les étudiants ou qu’il doit l’être par les mutuelles, par les sociétés d’HLM ? Quelle est votre appréciation sur le sujet ?

Mme Karine DELPAS : J’ai envie de dire qu’il doit être pris en charge par tous s’il le faut. Nous avons regardé quelles étaient les prérogatives des mutuelles et il est vrai que, dans le Code de la mutualité, aujourd’hui, trois missions incombent aux mutuelles étudiantes au nombre desquelles les œuvres sociales. Elles peuvent donc s’occuper des questions de logement, de restauration, de services complémentaires, au-delà des stricts services de santé.

A l’UNEF, nous ne sommes pas opposés au fait que les mutuelles étudiantes prennent en charge une série de questions au-delà des affaires de santé, mais tout dépend de la façon dont elles le font. Or, aujourd’hui, la MNEF a décidé d’avoir un pied dans le logement et la restauration mais par le biais de filiales qui ne sont donc pas directement sous la tutelle des étudiants. C’est surtout ce à quoi nous souhaitons nous attaquer avec l’idée que la MNEF – je parle d’elle parce que c’est sur cette mutuelle que nous avons décidé de nous engager, mais c’est valable pour d’autres – puisse s’engager dans d’autres domaines que ceux de la santé mais en le faisant en partenariat avec les CROUS et avec l’Etat et, en tout cas, en décidant que son conseil d’administration et ses instances de direction aient les moyens d’assurer la gestion de ces questions pour qu’elles ne relèvent pas de filiales qui échappent totalement aux étudiants.

Nous avons envie de nous attaquer à ce problème, tout en sachant que nous ne réglerons pas la question du logement en confiant aux mutuelles étudiantes le soin de la gérer. Je pense que la solution n’est pas de laisser les mutuelles gérer, seules dans leur coin, mais qu’elle passe par la création de partenariats nouveaux entre les CROUS et les sociétés HLM pour que plusieurs organismes réfléchissent ensemble à des mesures d’aide sociale, à des mesures de financement du logement social étudiant et que les choses se passent en termes de complémentarité et non de concurrence.

Aujourd’hui, beaucoup de logements sont gérés par des mutuelles avec des loyers finalement beaucoup plus élevés que ne pourraient en demander des HLM, des particuliers, voire le CROUS.

Quoi qu’il en soit, tout en restant dans le giron du service public, il y a besoin de renouer des partenariats différents de ceux qui existent actuellement.

M. le Président : Au cours de toutes les auditions auxquelles nous avons procédé, il a été souligné que, globalement, la santé des étudiants était de plus en plus déficiente : souscrivez-vous à cette analyse ? Sachant que l’on nous a beaucoup parlé de stress, de peur de l’avenir, de suicides, que pourrait-on envisager, selon vous, en matière de prévention et y a-t-il, selon vous, des actions urgentes à mettre en œuvre ?

Mme Karine DELPAS : Avec 2 millions d’étudiants, c’est actuellement un jeune sur deux qui traverse les établissements d’enseignement supérieur. En termes de santé, cela se traduit par le fait que l’enseignement supérieur est confronté aux mêmes problèmes que ceux qui se posent à l’ensemble de la jeunesse ce qui exige la mise en place de politiques de prévention, notamment sur les risques liées à la consommation de tabac et d’alcool, sur les maladies sexuellement transmissibles etc.

Il y a donc effectivement besoin d’une part, de donner aux mutuelles les moyens de jouer complètement leur rôle en matière de prévention, d’autre part, de se reposer la question du rôle des médecines préventives dans les établissements universitaires qui sont souvent méconnues des étudiants.

Dans le cadre du plan social étudiant, un débat vient d’avoir lieu sur la suppression de la visite médicale obligatoire en première année, au cours duquel nous sommes parvenus, avec d’autres, à obtenir qu’elle demeure obligatoire, au moins une fois pendant le DEUG, ce qui nous paraît essentiel pour que les étudiants, au moins, connaissent les lieux. Ce n’est pas une chose qui va de soi, dans de nombreuses universités les locaux de médecine préventive sont excentrés et méconnus parce qu’au moment des inscriptions, ils ne sont pas présentés aux étudiants au même titre que les autres services. Il y a donc besoin de redonner aux médecines préventives et aux mutuelles les moyens d’assurer complètement leur rôle sur tous les risques que j’ai évoqués et sur les problèmes liés au stress qui, les conditions d’études se dégradant et la peur de l’avenir lié au chômage faisant son chemin dans la tête des étudiants, se multiplient rapidement. Au lieu de les régler à coup de cachets et de consultations de médecins généralistes, il serait effectivement intéressant de réserver aux soins psychologiques une place dans les universités ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

M. le Président : Je souhaiterais vous poser une question relative à la maternité dans le monde étudiant car c’est un sujet qui m’inquiète, compte tenu de tout ce qui nous a été dit. Nous avons notamment entendu parler de désirs forts de maternité chez certaines jeunes femmes qui n’y donneraient pas suite faute de bénéficier d’une protection sociale satisfaisante.

Est-ce, selon vous, une réalité et des réflexions sont-elles menées à ce sujet au sein de votre syndicat ?

Mme Karine DELPAS : Je n’ai pas en tête de chiffres précis !

M. le Président : D’après ce qui nous a été indiqué, il y a un désir de maternité évalué à 2,9 enfants dont pas même une moitié ne se concrétise en raison des difficultés inhérentes à la situation étudiante...

Mme Karine DELPAS : Un bon nombre d’équipements, tels que les crèches, qui étaient mis par les universités à la disposition des jeunes femmes avec un enfant pour leur permettre de poursuivre leurs études, ont été supprimés : je peux citer l’exemple de l’université de Toulouse, où j’ai suivi mes études et où la crèche a été fermée ; celle de Paris VIII se trouve, elle, menacée de suppression, ce qui donne lieu à un débat. Dans ce domaine, il y a donc effectivement des choses à faire, d’une part pour préserver les structures là où elles existent, d’autre part pour en créer là où elles n’existent pas, car si on met en relation le nombre de jeunes femmes qui arrêtent leurs études et celui des jeunes femmes qui ont en charge un enfant, ils ne coïncideront pas exactement mais illustreront le fait que beaucoup de jeunes mères arrêtent d’étudier faute d’espaces et de lieux de prise en charge d’enfants.

Des difficultés d’ordre financier se posent aussi, mais il est indéniable que lorsque des crèches existaient au sein des universités, elles permettaient au moins de résoudre une partie du problème.

M. le Rapporteur : Tous les chiffres dont nous disposons montrent le faible taux d’adhésion aux mutuelles, qui tirent la plupart de leurs revenus de l’affiliation au régime étudiant de sécurité sociale et la concurrence importante qui s’exerce entre elles.

Cette concurrence a entraîné avec le temps une flambée des dépenses de communication Je comprends bien qu’au niveau des mutuelles un rôle primordial soit réservé à l’assurance complémentaire, à la vie étudiante et à tout ce qui figure dans le Code de la mutualité mais, selon vous, est-il encore pertinent, aujourd’hui, que le régime de base de la sécurité sociale et les remises de gestion soient toujours affectés aux mutuelles étudiantes et ne doit-on pas leur demander de se consacrer essentiellement à leur rôle d’intervenants en matière de prestations complémentaires et à l’amélioration matérielle et morale de la situation de leurs adhérents, comme le prévoit le Code de la mutualité ?

Mme Karine DELPAS : Si la question porte uniquement sur les dépenses de communication et de mise en concurrence entre les mutuelles, je pense effectivement qu’il n’est pas bon que les mutuelles, comme c’est le cas depuis des années, se mettent en concurrence sur un régime qui, étant obligatoire, servira les mêmes prestations quel que soit le choix des étudiants.

En même temps, si les mutuelles dépensent autant pour avoir des affiliés c’est parce qu’ils représentent leur principale source de financement : c’est là que se situe le principal problème ! Aujourd’hui, les mutuelles devraient avoir des moyens pour exister en-dehors des remises de gestion accordées par le régime général de sécurité sociale, ce qui m’amène à me poser des questions sur la manière dont l’Etat décide de se réengager ou non dans les questions de protection sociale étudiante et donc sur les moyens qu’il octroie aux mutuelles. Même si je ne suis pas convaincue qu’il faille poursuivre cette mise en concurrence, je reste néanmoins attachée au maintien du régime étudiant de sécurité sociale : il y a donc une formule qui reste à trouver entre les mutuelles et on pourrait y réfléchir ensemble. Pour ma part, je ne suis pas opposée à ce que les différentes mutuelles étudiantes se retrouvent autour d’une table, avec la CNAM, pour réfléchir à la question du régime étudiant de sécurité sociale.

M. le Rapporteur : Tout à l’heure, vous avez évoqué la MNEF dans laquelle l’UNEF s’est réinvestie, en faisant état de filialisations à plusieurs étages sur lesquelles les étudiants n’avaient aucune prise.

Selon vous, quelles réformes seraient de nature à améliorer le fonctionnement démocratique des instances des mutuelles étudiantes de façon à ce que les conseils d’administration puissent exercer toutes leurs prérogatives, ce qui ne semble pas avoir été le cas, d’après nos différents renseignements, en particulier à la MNEF ?

Mme Karine DELPAS : Pierre-Henri Lab pourra répondre à cette question certainement beaucoup mieux que moi, qui ne maîtrise pas totalement le poids que peuvent avoir les décisions parlementaires pour modifier les questions de fonctionnement.

M. Pierre-Henri LAB : Je me dois de préciser que, depuis le 2 avril, je suis membre du conseil d’administration de la MNEF et Secrétaire général adjoint du bureau de la mutuelle.

C’est une tâche qui n’est pas aisée car, ainsi que le disait Karine Delpas tout à l’heure, en tant que militant de l’UNEF, notre expérience dans le mutualisme s’était seulement bornée à des échanges notamment avec la FMF – Fédération des médecins de France – et la mutuelle familiale sur les questions de santé étudiante avec une approche qui n’avait rien de gestionnaire. Depuis le 2 avril, j’exerce à la MNEF des responsabilités nouvelles et je m’attache essentiellement à découvrir les dossiers et à comprendre comment les choses fonctionnent.

Je constate, en tout cas pour la MNEF car j’ignore comment cela se passe ailleurs, que le contrôle réel des étudiants sur leur mutuelle est difficile du fait que la santé est devenue un métier, que la gestion de l’assurance maladie requiert des gens qualifiés qui ont suivi des études appropriées et qui ont une expérience. Il faut savoir que la MNEF regroupe 700 salariés qui ont des compétences, des savoir-faire, ce qui n’est pas nécessairement le cas des étudiants, qui n’en sont qu’au stade de la formation.

On se heurte donc à ce type de difficultés et je crois qu’il ne faudrait pas oublier un point qui n’est peut-être pas primordial par rapport au sujet qui nous occupe aujourd’hui mais qui a son importance : la formation des adhérents et, en tout cas des militants mutualistes, pour leur permettre d’avoir tous les outils nécessaires à la maîtrise des dossiers.

Par ailleurs, je pense qu’il convient aussi de réfléchir à la manière de mettre fin au système de filialisation ou, pour le moins, à la façon dont il se pratique. D’après ce que j’ai découvert à la MNEF il s’agit d’une nébuleuse de sociétés anonymes, avec en leur sein des représentants du conseil d’administration, qui parviennent finalement à vivre sans obligatoirement rendre de comptes au conseil d’administration de la MNEF, lequel est pourtant majoritaire dans leur financement. J’estime que cela pose problème et que la difficulté tient en grande partie au type de structures qui se mettent en place pour développer certaines activités.

Je pense aussi qu’il y a un problème de démocratie interne s’agissant du lien existant entre le conseil d’administration et l’adhérent de base de la mutuelle. Au fond, actuellement, presque rien ne contraint le conseil d’administration d’une mutuelle à rendre régulièrement compte de façon approfondie à ses adhérents sur l’orientation de la politique de la mutuelle et de l’utilisation de l’argent de ses adhérents ou de l’argent du régime de base pour la mutuelle étudiante.

S’il y a un effort à faire – et d’après ce que je comprends, cela vaudrait pour l’ensemble du mouvement mutualiste – il doit vraiment viser à instaurer un lien plus régulier entre élus et adhérents de la mutuelle et à interdire cette forme d’indépendance prise par les filiales et sociétés anonymes, qui conduit la machine à devenir incontrôlable et à s’emballer complètement, au point d’aboutir aux situations que l’on connaît aujourd’hui.

Il y a, en outre, sans doute également besoin de redéfinir les domaines dans lesquels peut intervenir une mutuelle. Je pense qu’une mutuelle doit avant tout améliorer la santé de ses adhérents, que la mission première de la MNEF est la santé des étudiants et non pas d’investir, comme elle a pu le faire, dans des filiales d’assurances automobiles ou autres et dans différentes activités dont je n’ai pas encore pu prendre connaissance...

M. le Rapporteur : Ma dernière question sera multiple : avez-vous le sentiment qu’aujourd’hui, d’une part le conseil d’administration auquel vous participez a les moyens de connaître ce qui se passe en aval au niveau des filiales – je comprendrai que compte tenu de la date à laquelle vous avez été élu, vous ne puissiez pas répondre de façon exhaustive – et, d’autre part que dans la composition actuelle du conseil d’administration, il serait judicieux que puissent entrer, outre des étudiants, des représentants de la CNAM qui est l’un des grands financeurs du système de sécurité sociale étudiante et, éventuellement, des représentants de l’université en tant que représentants de l’Etat ? Cela vous semblerait-il une bonne chose ou plutôt une formule de nature à diminuer l’intervention des étudiants ?

Enfin, avez-vous des propositions à formuler sur le fonctionnement de la Commission de contrôle des mutuelles et sur ses prérogatives actuelles, qui ne lui permettent pas d’aller voir ce qui se passe précisément au niveau des filiales ?

M. Pierre-Henri LAB : Pour ce qui concerne le conseil d’administration de la MNEF, il y a une volonté de prendre connaissance de l’ensemble des dossiers portant sur les affaires dans lesquelles elle est investie. Il y a également une volonté de se mettre en accord avec la législation, à la suite des critiques qui ont été formulées, notamment sur la gestion de la mutuelle.

Le conseil d’administration s’est donné les moyens d’avoir une réelle prise sur le fonctionnement de la mutuelle - il faut dire qu’il a été pas mal aidé en cela par M. Delpy, le nouveau directeur général qui se cantonne à son rôle et qui laisse au conseil d’administration le soin de prendre les décisions politiques sans chercher à influencer le contenu desdites décisions. Les choses se sont donc trouvées facilitées par rapport à la façon dont elles fonctionnaient auparavant.

Des premiers changements ont d’ailleurs été opérés puisque l’association les Amis de la MNEF a perdu de son poids : cela s’est vu notamment lors des décisions relatives au licenciement du directeur général, puisque l’assemblée générale a procédé à une modification statutaire pour supprimer certaines prérogatives de l’association.

Des modifications sont donc en train d’intervenir. Pour l’instant, ces changements ne vont sans doute pas assez loin, je ne pense pas qu’il s’agit d’une volonté politique de ne pas les mener à leur terme mais d’une question de temps, pour permettre d’abord de les réaliser, ensuite, de voir quelle direction prendre.

Sur la question de la présence d’un administrateur de la CNAM ou du ministère de tutelle au sein du conseil d’administration de la mutuelle, je ne pense pas que ce soit une bonne chose en soi mais je considère, en revanche, qu’il conviendrait de réfléchir sur les responsabilités des ministères de tutelle car si la MNEF en est arrivée là où elle en est aujourd’hui, cela relève de la responsabilité des élus précédents mais aussi de celle des ministères de tutelle – mais la justice fera son travail – qui ne sont pas beaucoup intervenus jusqu’alors – en tout cas, ce n’est pas apparu publiquement – pour formuler des observations sur le fonctionnement de la mutuelle et " remettre de l’ordre dans la maison ".

A mon avis, il serait utile de développer les liens avec la CNAM, peut-être en permettant aux étudiants d’assumer pleinement la gestion de leur régime et d’accéder à une forme de représentation au sein de la CNAM puisqu’elle prend des décisions – elle émet, par exemple, un vote sur le montant de la cotisation à la sécurité sociale étudiante – sans que les étudiants soient associés au débat.

Il y a besoin de débats et, puisque vous m’interrogiez précédemment sur la façon pour les étudiants de se réapproprier le régime étudiant et de le faire vivre, j’estime que le régime de base doit, bien sûr, rembourser les soins mais aussi déterminer comment les cotisations doivent être utilisées dans le cadre de la prévention. On réfléchit avec la CNAM à la mise en place de campagnes de prévention sur les campus, concernant le sida, les problèmes d’optique, les problèmes dentaires etc. Il y a toute une réflexion à engager là-dessus !

Pour ce qui est du contrôle du fonctionnement démocratique des mutuelles et de leur développement dans le cadre du Code de la mutualité, il est sans doute nécessaire de renforcer le pouvoir de la commission de contrôle des mutuelles, mais, pour ce qui est du développement du régime étudiant et des activités qui sont en phase avec les attentes et les besoins de santé des étudiants, il s’agit de renforcer les liens entre les étudiants, la CNAM et les ministères de tutelle de façon à ce que les premiers puissent exprimer leurs problèmes et que chacun, en fonction de ses prérogatives, prenne ses responsabilités et, si je puis dire, " mette la main à la pâte ".

M. Bruno BOURG-BROC : J’ai quatre questions à vous poser auxquelles vous venez d’ailleurs de répondre partiellement.

Pourriez-vous nous rappeler chronologiquement la nature institutionnelle des relations de votre organisation avec les mutuelles, et, en particulier, avec la MNEF ?

Est-ce que, pour autant que vous le sachiez, vos prédécesseurs avaient les moyens, s’ils étaient observateurs attentifs, de déceler les dérives qui auraient eu lieu et quels étaient leurs éléments d’appréciation pour ce faire ?

Vous avez dit, tout à l’heure, que la MNEF était en fait une sorte de nébuleuse de sociétés anonymes : il s’agissait donc d’un système commercial, capitalistique qui n’avait plus rien de social ?

Quelles seraient, à votre avis, les grandes lignes d’un statut social étudiant idéal ?

Mme Karine DELPAS : Je pense pouvoir répondre en partie à ces questions.

Sur la nature de nos liens institutionnels, même si je ne maîtrise pas toutes les données, je sais qu’effectivement des représentants de l’UNEF étaient membres des instances dirigeantes de la MNEF jusqu’en 1984. A partir de cette date, il nous a été impossible – car cela ne relève pas d’un choix – de nous présenter à des élections, compte tenu du fait que les critères pour pouvoir déposer une liste n’étaient pas rendus publics et que c’était un vrai parcours du combattant que d’arriver à se présenter, à telle enseigne que, tant localement que nationalement , il est arrivé un moment où nous n’avons plus été en mesure de déposer des listes pour reprendre notre place dans cette mutuelle

M. Bruno BOURG-BROC : Certains ont pourtant pu le faire !

Mme Karine DELPAS : Visiblement oui, certains ont pu se présenter, puisqu’il y a eu des élus étudiants, souvent d’ailleurs avec une liste unique... C’est bien ce que nous avons trouvé problématique ces dernières années !

Plus tard, la chose est redevenue possible parce qu’après toutes les " affaires ", le processus électoral est reparti sur des bases un peu plus transparentes et démocratiques. Nous nous sommes d’ailleurs battus, au moment où toute cette affaire a éclaté, en faveur de la nomination d’un administrateur provisoire et nous avons fait partie des rares organisations qui se sont mobilisées pour obtenir une mise sous tutelle, considérant que les choses avaient été trop loin et jugeant surtout aberrant – et c’est peut-être là qu’il y aurait aussi besoin de redonner plus de poids à la Commission de contrôle en la matière – qu’avec toutes les affaires qui avaient été rendues publiques, ce soit le conseil d’administration incriminé dans lesdites affaires qui mette en place le processus électoral pour renouveler les instances dirigeantes. Vous avouerez qu’il y a là un gros problème de transparence et de démocratie !

Nous n’avons pas très bien compris pourquoi nous sommes passés d’un moment où il y aurait pu y avoir un administrateur provisoire à un moment où il n’y en pas eu mais, quoi qu’il en soit, c’est à ce moment-là que nous avons décidé de nous présenter. Sur la nature de nos liens avec la MNEF, je dirai que notre présence dans les directions s’est arrêtée en 1984, et a repris avec les dernières élections. Localement, il existe quelques académies où nous avons été présents plus longtemps, jusqu’en 1989 parfois, notamment à Limoges et à Toulouse. Ensuite, nous avons eu avec cette mutuelle des échanges de nature publicitaire pour des publications. Il s’agissait de liens financiers contractuels très clairs concernant la présence d’une publicité dans la publication du guide de l’étudiant qui paraît une fois par an.

Nos rapports se sont limités à cela et à quelques discussions sur le fond pour échanger nos appréciations sur les questions de protection sociale comme on aurait pu le faire avec n’importe quelle autre mutuelle ou organisme universitaire, ou pour prendre quelques initiatives dans les universités en vue d’organiser ensemble des parcours santé ou de sensibiliser les étudiants à des questions de protection sociale.

Nos prédécesseurs avaient-ils les moyens de déceler des dérives ? J’ignore à quel moment elles ont commencé mais compte tenu du fait que nos derniers représentants ont siégé dans les instances dirigeantes jusqu’en 1984, très honnêtement, je dois dire que je ne sais pas qui se trouvait à l’époque à la direction de l’UNEF. Donc je ne suis pas en mesure de répondre à cette question mais je ne pense que nos prédécesseurs syndicaux, étant donné la nature de leurs liens avec la MNEF, n’étaient pas aptes à déceler quoi que ce soit.

Peut-être ont-ils eu à connaître de financements accordés à des syndicats étudiants, et des millions de francs attribués à l’UNEF-ID car tout le monde était au courant. Ni la MNEF, ni les syndicats étudiants ne se sont jamais cachés de ces opérations dont je pense qu’elles se sont faites dans la légalité... Au-delà, je ne crois pas qu’ils aient eu les moyens de déceler quoi que ce soit, même s’ils se sont inquiétés, sinon des dérives, du moins de la manière dont la MNEF gérait les logements étudiants et les questions de restauration mais sans avoir aucune information au fond sur la manière dont les choses se déroulaient.

Pour les autres questions, je laisserai répondre Pierre-Henri Lab.

M. Pierre-Henri LAB : La MNEF système capitalistique ? Oui, malheureusement, la MNEF l’est devenue partiellement. Je ne pense qu’elle l’ait été totalement parce que c’est une mutuelle qui est tout de même tenue de gérer le régime étudiant et, en même temps, de rembourser ses adhérents et de leur servir des prestations en termes de soins, ce qui fait qu’il y avait un minimum de services requis.

Dans beaucoup de sections locales de la mutuelle, des étudiants mutualistes continuaient de s’investir et d’intervenir quotidiennement sur des questions de santé en organisant dans les universités des initiatives de prévention et de sensibilisation. En conséquence, je dirai qu’il y avait un peu de MNEF. Sur le terrain, il y avait une mutuelle qui avait une certaine efficacité et une certaine présence et qui, finalement, intervenait sur ses missions premières et il y avait une MNEF très opaque sur laquelle, jusqu’au début du mois, nous n’avions pas d’autres informations que celles publiées par la presse et qui s’apparentait davantage à une sorte de trust de gros groupes financiers qu’à l’image que l’on se fait, peut-être naïvement, d’une mutuelle étudiante, ou d’une mutuelle en général.

Vous décrire comment cela fonctionne précisément, j’en serais incapable parce que je commence seulement à le comprendre ! La seule chose que je sais, c’est qu’il existe une filiale apparemment un peu plus importante que les autres, l’UES Saint-Michel qui, en gros, est chargée de contrôler pour la MNEF – d’après ce que je comprends mais je peux me tromper – la gestion de ses parts dans une autre série de sociétés anonymes qui touchent quasiment à tous les domaines d’activité, y compris des domaines très éloignés de la santé tels que celui des communications, des assurances – ce qui est particulier pour une mutuelle – et différents secteurs d’activité.

Ce système de filiales ne devrait pas, à mon sens, continuer très longtemps puisque le conseil d’administration a décidé d’y mettre fin en se séparant de toutes les filiales qui n’ont rien à voir avec les étudiants ou, pour le moins, avec leurs problèmes, et en réorientant celles qui peuvent être intéressantes pour eux, notamment celles qui concernent le logement et la restauration, dans un autre cadre, avec la volonté - en tout cas c’est celle de l’UNEF et je pense de la majorité du conseil d’administration – que ces filiales se développent dans un partenariat avec les CROUS et le ministère de l’Enseignement supérieur, de façon à leur conférer le caractère social qu’elles n’avaient pas jusqu’à présent.

Cela se traduira certainement par une modification des structures qui gèrent le logement, qui gèrent la restauration et, sans doute, par la disparition des sociétés anonymes.

Pour donner un exemple plus précis, je sais que le ministère de la Jeunesse et des Sports ambitionne de travailler sur le dossier Carte Jeunes et de lui donner un autre contenu puisque, apparemment, la MNEF, qui est actionnaire majoritaire de Carte Jeunes SA n’a pas rempli ses obligations dans la convention. Il semble que ce ministère veuille reconsidérer l’avenir de la Carte Jeunes afin de la rendre plus performante, la MNEF, quant à elle, n’envisage pas de se maintenir dans l’ancien système, c’est-à-dire dans le cadre d’une société anonyme à but lucratif.

On voit donc naître une volonté, là où il peut être utile de s’investir, de le faire dans un cadre à caractère social et non plus lucratif.

M. Bruno BOURG-BROC : Et sur le statut social ?

Mme Karine DELPAS : C’est un vaste sujet de définir le statut étudiant idéal !

M. Bruno BOURG-BROC : J’aimerais que vous en définissiez juste les grandes lignes.

Mme Karine DELPAS : Pour aller très vite, nous avons le sentiment que le statut social de l’étudiant idéal devrait répondre à deux questions.

Premièrement, on attend qu’il s’intéresse à la justice sociale et à l’égalité des chances en permettant réellement, par le biais du logement étudiant et de l’attribution de bourses, c’est-à-dire par des aides directes, de combler les différences entre étudiants.

Nous sommes donc très attachés à demeurer dans un système d’aides inégalitaires distribuées en fonction des ressources et des besoins de chacun.

Deuxièmement, on attend qu’il réponde aux aspirations des deux millions d’étudiants.

Aujourd’hui, avec un jeune sur deux qui passe par l’université, il est impossible de concevoir un statut social comme on l’aurait fait il y a trente ans puisqu’il y a besoin de prendre en compte toute une série d’exigences en termes de qualité de vie.

On parle beaucoup de la question de l’autonomie et de l’indépendance des étudiants mais, pour ce qui nous concerne, nous ne sommes pas favorables à l’idée d’accorder un revenu minimum étudiant à tous les étudiants. Nous préférons que chacun bénéficie d’une aide que ce soit une aide aux transports ou un accès à la culture et aux loisirs à coûts réduits.

Nous insistons également pour revoir la question du logement puisqu’actuellement moins de 10 % des étudiants sont logés par le CROUS : nous voyons donc là une urgence, à la fois en termes d’aide sociale, de justice sociale et de prise d’autonomie et d’indépendance des étudiants. Il faut en effet parvenir à donner plus de moyens aux étudiants pour leur permettre d’acquérir un logement indépendant, que ce soit par le biais du CROUS ou celui de sociétés HLM ou autres.

Nous attendons donc du statut étudiant qu’il réponde à ces deux enjeux et nous sommes inquiets en voyant le plan étudiant qui se met en place, car nous trouvons que si les objectifs affichés sont bons, ils ne vont assez loin au vu des besoins.

Nous relevons notamment que l’un de ses buts est d’atteindre 30 % d’étudiants boursiers en quatre ans. Quand on sait que 40 % des étudiants sont salariés et que 70 % d’entre eux sont salariés au moins une fois dans l’année et employés pour des travaux saisonniers ou autres pour payer leurs études, nous trouvons que ce n’est pas ambitieux, notamment au vu des urgences et des conditions de vie et d’études de milliers d’étudiants...

Si nous devions tout de suite pointer des urgences en matière de statut social étudiant, nous mettrions l’accent sur les questions de logement, sur celles des bourses de manière à obtenir des bourses pour la moitié des étudiants et nous demanderions, enfin, de répondre à une série d’exigences en émettant, pourquoi pas, l’idée d’un passeport étudiant favorisant l’accès à la culture, qui pourrait passer par une révision et une extension de la Carte Jeunes qui n’est actuellement accessible qu’aux adhérents de la MNEF, ce qui n’est pas juste ! Bref, nous nous attacherions à tous les aspects de la vie étudiante qui ne se résument pas à une aide sociale directe.

M. le Président : Avez-vous mené une réflexion spécifique sur les étudiants étrangers ?

Mme Karine DELPAS : Nous sommes favorables à ce qu’ils puissent avoir accès au régime de sécurité sociale et aux mutuelles et à ce que la carte d’assuré social leur donne droit à un titre de séjour : c’est une revendication qui porte sur la carte d’étudiant. Pour caricaturer nous demandons qu’une carte d’assuré social égale une carte de séjour, comme une carte d’étudiant, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

M. le Président : Sans limitation du nombre ?

Mme Karine DELPAS : Sans limitation du nombre.

M. André ANGOT : M. Lab a, en partie, répondu aux questions que je m’apprêtais à poser. Notre commission d’enquête a été mise sur pied, d’une part, pour analyser un certain nombre de dérives qui se sont produites dans certaines mutuelles étudiantes et, d’autre part, pour faire un certain nombre de propositions.

On a bien vu – et vous l’avez rappelé – que le Code de la mutualité permettait aux mutuelles de s’investir dans un certain nombre d’activités d’œuvres sociales : c’est ainsi que les mutuelles étudiantes ont investi dans des filiales qui concernaient l’assurance, les voyages, le logement, la restauration, dans des entreprises de communication, voire dans des imprimeries.

J’aimerais, quand on constate que les entreprises, qu’elles soient privées ou publiques, se recentrent sur leur activité de base et délèguent à des entreprises privées tout ce qui est périphérique comme la restauration, le transport, parfois le nettoyage : c’est le cas à Air France ou à la SNCF, par exemple, connaître vos souhaits sur ce point.

Ne pensez-vous pas que nous pourrions préconiser, d’une part, une séparation des activités pour vous permettre de vous recentrer sur la couverture maladie et tout ce qui touche à la santé, d’autre part, le dessaisissement d’un certain nombre d’activités exercées par des filiales plus ou moins contrôlables ?

Mme Karine DELPAS : Je pense qu’effectivement, il faut supprimer les filiales ou mettre fin aux activités de celles qui n’ont rien à voir avec le monde étudiant mais qui touchent à des questions d’informatique, d’imprimerie et autres, bref, à celles qui ne concernent pas les questions de santé et d’œuvres sociales.

Pour les autres, il y a déjà besoin de les réorienter, ainsi que le disait Pierre-Henri Lab, avant d’en confier directement la gestion à la mutuelle pour que les étudiants puissent avoir une prise dessus. On peut également décider de les supprimer, mais alors il convient de renforcer le rôle de l’Etat, ainsi que celui des CROUS car on ne réglera pas la question en confiant les affaires de restauration et de logement à des sociétés privées où les étudiants n’auraient aucun poids.

Donc, soit on décide que la MNEF continue à œuvrer, que les mutuelles étudiantes continuent à prendre en charge tout cet aspect des choses mais on se pose la question de savoir comment faire en sorte que les étudiants pèsent réellement sur les choix de gestion ; soit on décide directement d’y mettre fin auquel cas on doit renforcer les missions des CROUS et des services publics qui existent déjà et qui ont ces prérogatives.

M. André ANGOT : Je ne prétendais pas qu’il fallait tout déléguer à des entreprises privées : il peut s’agir d’associations – par exemple, en matière de logement, d’offices d’HLM – au sein desquelles les étudiants seraient fortement représentés, notamment pour tout ce qui concerne la conception et le fonctionnement des résidences universitaires, de façon à ce qu’il y ait une nette séparation entre le rôle de protection sociale et les activités annexes qui n’ont, a priori, rien à voir avec la protection sociale.

M. Pierre-Henri LAB : Si vous me permettez d’intervenir sur cette question, je dirai que si une mutuelle comme la MNEF s’investit dans des questions de logement et de restauration, dans des conditions autres que celles qui ont prévalu jusqu’à présent et avec l’idée de répondre aux exigences étudiantes, c’est une bonne chose.

En effet, si on prend les problèmes dont souffrent les étudiants, on s’aperçoit que la malnutrition augmente, que certains étudiants ont recours à des banques alimentaires – même si cela concerne une minorité d’entre eux, c’est un phénomène relativement nouveau – et que pour d’autres, qui ne font pas même un repas par jour, le choix se pose de manger ou d’acheter un livre.

A mon avis, si on ne donne pas à l’étudiant accès à un logement décent, à un logement de qualité, mais qu’on lui octroie seulement, comme c’est souvent le cas en région parisienne, un logement très éloigné de son lieu d’études, on augmentera indirectement chez lui le stress et, par voie de conséquence, les problèmes de santé.

Donc, qu’une mutuelle participe, peut-être pas en termes de financement – encore que cela puisse se discuter puisque le mutualisme c’est aussi la solidarité, et qu’il peut être souhaitable que cette solidarité étudiante s’exprime aussi sur les questions de logement et de restauration – et qu’elle ait son mot à dire sur la façon dont sont définis ce logement et cette restauration me paraît important, puisqu’elle est directement concernée par les dégâts qu’ils peuvent provoquer sur la santé. Mais je crois savoir qu’en application des prochaines directives européennes, le système va devoir être modifié.

M. le Président : La directive européenne va être lourde de conséquences : c’est évident !

Il me reste une question à vous poser. Puisque vous êtes un syndicat appelé à représenter les étudiants, non seulement de France métropolitaine, mais également des DOM-TOM, êtes-vous au courant de problèmes qui leur sont spécifiques ?

Mme Karine DELPAS : Très sincèrement, non !

M. Pierre-Henri LAB : Non !

M. le Président : Ce n’est pas un piège : ne le prenez pas comme tel.

M. Joël GOYHENEIX : J’ai été un peu inquiet à la suite de l’une des affirmations de M. Pierre-Henri Lab quand, après avoir expliqué, judicieusement je crois, que dans une mutuelle comme la MNEF employant 700 professionnels, le rôle du conseil d’administration était peut-être plus théorique qu’autre chose, il a été amené à déclarer qu’actuellement le conseil d’administration de la MNEF avait un véritable pouvoir parce qu’on avait changé son directeur général et que la personne qui avait pris sa place laissait faire le conseil d’administration.

Avez-vous donc d’éventuelles propositions à formuler pour que le conseil d’administration d’une mutuelle puisse effectivement jouer son rôle ? En effet, la question que l’on peut se poser est de savoir si, finalement, une mutuelle peut répondre aux enjeux qui sont aujourd’hui ceux de la protection sociale.

M. Pierre-Henri LAB : Personnellement, je pense que le conseil d’administration d’une mutuelle peut jouer son rôle à deux conditions.

Premièrement, il faut que les élus au sein de ce conseil d’administration aient un lien avec les adhérents. Le lien qui pouvait unir précédemment les élus et les adhérents à la MNEF avant ces élections, existait peut-être mais ne m’est pas apparu. Ce que je constate aujourd’hui, c’est que nous avons un conseil d’administration auquel participent des étudiants qui ont prouvé depuis des années qu’ils étaient aptes à siéger dans des conseils d’administration d’université, à siéger dans les CROUS. Leur expérience de gestion a besoin d’être renforcée dans le cadre de la formation des élus mutualistes, des relais militants et des organisations qui travaillent avec eux, mais le lien avec l’adhérent de base existe.

M. Joël GOYHENEIX : Entendons-nous, dans les CROUS et ailleurs, les étudiants participent et participent bien à la gestion, mais dans une mutuelle, ils gèrent seuls.

M. Pierre-Henri LAB : Dans les CROUS, des réformes sont prévues puisque le ministre de l’Education nationale propose d’en confier la présidence à des élus étudiants et que dans les universités on mette en place des vice-présidences étudiantes qui ont souvent des compétences, notamment concernant la vie étudiante, la vie de l’université, le contenu des diplômes, l’élaboration de maquettes de diplômes et également la gestion budgétaire de l’université.

S’il y a un mouvement, c’est parce qu’il y a aussi une demande des étudiants. Lorsque, pour amener les étudiants à croire en leurs représentants au sein des conseils d’administration des universités, à croire en leur capacité à peser réellement sur les décisions, le ministre prône le renforcement des prérogatives des élus étudiants, il lance sans doute une dynamique susceptible de permettre à un plus grand nombre d’étudiants de participer, par exemple, aux élections parce qu’il y aura une clarification des compétences de chacun.

Si on dresse le constat, au niveau des CROUS et des universités, qu’il y a besoin d’associer davantage les étudiants et de leur confier de lourdes responsabilités – parce qu’être président d’un CROUS ce n’est pas une mince affaire, c’est une charge qui était assumée jusqu’à présent par les recteurs d’académie – c’est parce qu’ils sont en mesure de le faire. Si les étudiants sont capables de gérer un CROUS, ils seront capables de gérer une mutuelle.

En revanche, il conviendrait peut-être de réfléchir, dans le cadre des règlements intérieurs des mutuelles et des statuts de la mutualité, sur le lien qui existe entre salariés et élus qui n’est pas toujours très clair puisqu’on a parfois l’impression que les élus se comportent comme des salariés. Comme c’est une occupation permanente, de ce point de vue-là, on court peut-être le risque que la gestion d’une mutuelle devienne une affaire de professionnels et que cela nuise à la démocratie. Il est donc sans doute nécessaire de réfléchir à la façon d’empêcher ce genre de dérives et de garantir, pour le mutualisme étudiant, que les responsabilités sont bien dans les mains d’étudiants réels et non pas d’étudiants qui n’en auraient que le statut.

M. le Président : Qui doit diriger : l’administrateur ou le directeur ?

M. Pierre-Henri LAB : Personnellement, je pense que c’est l’administrateur, qui est élu sur le base d’une orientation.

M. le Président : Il doit diriger, gérer ou surveiller ?

M. Pierre-Henri LAB : Il doit diriger et surveiller, encore que tous les salariés n’aient pas forcément besoin d’être surveillés. Il doit s’intéresser à la gestion de la mutuelle pour vérifier que les décisions politiques prises par le conseil d’administration sont appliquées.

M. le Président : Quand je parle de surveillance, je fais référence au conseil de surveillance et non pas au terme tel qu’on l’entend en parlant de l’activité d’un surveillant de collège.

M. Pierre-Henri LAB : Bien sûr ! Je pense que l’on a également besoin d’administrateurs qui s’impliquent dans la mutuelle au-delà d’une simple prise de décision ou du simple contrôle de leur application.

M. Joël GOYHENEIX : Il faut donc que les administrateurs y consacrent du temps. Devraient-ils être rémunérés ?

M. Pierre-Henri LAB : Non, car être élu n’est pas un travail. On peut admettre une indemnité proportionnelle au nombre d’heures que l’élu passe dans sa mutuelle. Il conviendrait, en tout cas, de l’indemniser de façon à ce qu’il ne perde pas d’argent ; il est tout à fait normal de rembourser un billet de train...

M. le Président : Ce sont les frais réels !

M. Pierre-Henri LAB : On peut concevoir une indemnité lorsque l’administrateur s’investit de façon importante mais ce sont des choses auxquelles nous n’avons pas encore eu le temps de bien réfléchir, et je vous livre là mon point de vue personnel.

M. le Président : En tant qu’administrateur quel est votre système de rémunération, d’indemnisation ?

M. Pierre-Henri LAB : Je perçois une indemnité qui a été proposée à l’assemblée générale et qui se monte à 7 000 F nets par mois.

Actuellement, je passe entre onze et douze heures par jour à la mutuelle, ce qui me laisse peu de temps pour étudier !

M. le Président : Sans vouloir être taquin : êtes-vous encore étudiant ?

M. Pierre-Henri LAB : Je suis encore étudiant, même s’il est vrai que ce n’est pas facile. Cette année, je suis inscrit en maîtrise d’histoire et en première année d’économie et si mes études sont parfois chaotiques parce que je ne parviens pas toujours à mener les deux choses de front, petit à petit j’avance et je me considère donc comme étudiant. Mes parents n’ont pas la possibilité de m’aider à la hauteur de mes besoins et donc...

M. le Président : Permettez-moi de vous interrompre : les 7 000 F que vous percevez, c’est la mutuelle qui vous les verse ?

M. Pierre-Henri LAB : Oui, sur décision de l’assemblée générale.

M. le Président : C’est le cas pour chaque administrateur ?

M. Pierre-Henri LAB : Non, uniquement pour les membres du bureau.

M. le Président : C’est-à-dire le président, le vice-président, le trésorier et le secrétaire général, sans doute ?

M. Pierre-Henri LAB : Exactement !

M. le Président : Il y a donc quatre personnes qui perçoivent une indemnité d’environ 7 000 F. Les autres administrateurs touchent-ils quelque chose ?

M. Pierre-Henri LAB : Pas à ma connaissance, mais je ne peux vous répondre avec certitude.

M. le Président : Pouvez-vous occuper deux postes d’administrateur, par exemple l’un au titre de l’UNEF, et l’autre dans une des filiales de la MNEF ?

M. Pierre-Henri LAB : Et percevoir à ce titre une indemnité ? Non, je suis appelé à représenter la MNEF par délégation du président dans différentes structures...

M. le Président : La MNEF vous désigne-t-elle pour la représenter en tant que membre du conseil d’administration dans un certain nombre de filiales ?

M. Pierre-Henri LAB : J’ignore s’il est possible de percevoir une indemnité supplémentaire, à ce titre. Ce que je sais, c’est que, personnellement, je le refuserais parce que je le ferai en tant qu’élu de la MNEF et non pas en tant que salarié, porteur de parts d’une société privée ou défenseur des intérêts de tel ou tel groupe.

M. le Président : Et, à votre connaissance, est-ce que cette pratique a pu avoir lieu auparavant ?

M. Pierre-Henri LAB : Pour l’instant, je n’en ai pas eu connaissance.

Mme Karine DELPAS : J’aimerais formuler une observation.

Cette question de l’indemnité est compliquée. Le débat se pose également à l’université puisqu’il est proposé de valoriser les expériences associatives dans le cursus : la chose n’est pas encore nettement tranchée et pose problème. J’ai envie de dire, dans l’absolu, que si l’on pouvait parvenir à un système idéal où des élus ou des étudiants pourraient s’engager dans le tissu associatif, syndical, mutualiste ou autre sans qu’il soit besoin de dégager des moyens financiers de la part de ces organisations, ce serait très bien. En même temps, nous sommes dans une société où 40 % des étudiants sont obligés de se salarier pour payer leurs études, donc à moins de dessiner un étudiant idéal pouvant se permettre d’accéder à des postes de responsabilité sans besoins d’argent, il serait discriminatoire de supprimer les systèmes de rémunération ou d’aides. En conséquence, comme ce n’est pas très juste, je serais tentée de dire : élevons la proportion des étudiants boursiers à 50 % et nous pourrons supprimer, dans une série d’organisations et de mutuelles, les systèmes d’indemnités qui répondent aux besoins de ceux qui s’engagent et s’investissent !

Cela étant, le débat n’est pas simple parce que nous avons un peu l’impression d’être pris en otages entre ce qui serait bien dans l’idéal et ce qui se passe dans la réalité où il n’est pas forcément évident pour tous ceux qui souhaitent s’engager d’en trouver le temps et les moyens.

M. le Président : En tant que présidente de l’UNEF, touchez-vous une indemnité comparable ?

Mme Karine DELPAS : Je touche une indemnité mais qui n’est pas comparable. Je suis indemnisée par l’UNEF, ce qui n’est pas le cas de tout le monde puisque l’attribution des indemnités fonctionnent, pour dire les choses rapidement, un peu comme un système de bourses : il est proportionnel à ce dont chacun dispose déjà. Pour prendre un exemple, si un secrétaire national de l’UNEF est aidé par ses parents ou occupe un emploi salarié - ce qui est le cas pour beaucoup ; il y a fort peu de personnes indemnisées - il ne perçoit pas d’indemnités.

M. le Président : On étudie donc la situation au cas par cas mais le plancher est de combien ?

Mme Karine DELPAS : De 4 500 F

M. le Président : Je vous remercie pour la clarté de vos explications et la qualité de vos exposés.

Audition de M. Pierre-Yves LE DOEUFF,

délégué national de la Mutualité étudiante régionale (MER)

(procès-verbal de la séance du 29 avril 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M. Le Doeuff est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Le Doeuff prête serment.

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les députés, les dysfonctionnements relevés à la MNEF, dont la presse s’est largement faite l’écho et dont la justice s’est saisie, sont à l’origine de la création, le 4 mars dernier, d’une commission d’enquête parlementaire.

L’Assemblée nationale a cependant émis la volonté d’étendre ses investigations à l’ensemble du régime étudiant de sécurité sociale.

Dans un premier temps, nous avons regretté que cette extension du champ d’investigation jette a priori une suspicion injustifiée sur nos structures, alors qu’aucun des contrôles dont elles ont fait l’objet au cours des derniers mois n’a entraîné la saisine de la justice, pénale ou civile. Je rappelle que la mutualité étudiante régionale (MER) est une union de mutuelles régies par le Code de la mutualité, qui rassemble trois mutuelles régionales : la SMEREP dont le siège social est à Paris, la SMESO dont le siège social est à Toulouse et la MGEL dont le siège social est à Nancy.

Les errements d’une équipe dirigeante, fût-elle celle de la plus importante des mutuelles étudiantes, ne sauraient suffire à justifier la remise en cause du régime étudiant de sécurité sociale.

En commission ou dans l’hémicycle, plusieurs membres de votre Commission ont d’ailleurs relevé les risques d’un tel amalgame. Un article paru dans Le Monde du 24 avril dernier titrait d’ailleurs sur les dérives de gestion des mutuelles étudiantes et faisait référence aux conclusions du rapport conjoint de l’IGAS et de l’IGF dont nous regrettons vivement de n’avoir pas été destinataires à ce jour.

Nous avons donc partagé la crainte de certains parlementaires de voir ces affaires devenir le prétexte à une uniformisation du régime étudiant, mais nous sommes heureux que le débat parlementaire ait pu fournir au ministre de l’Emploi et de la solidarité l’occasion d’affirmer sa volonté de maintenir le pluralisme de la mutualité étudiante.

Dans un second temps, cependant, nous avons saisi tout l’intérêt qu’il pouvait y avoir à ce que la représentation nationale fasse le point sur le bien fondé et les conditions de gestion du régime étudiant de sécurité sociale. Ce dernier est d’origine parlementaire puisque ce sont trois propositions des trois plus grands groupes parlementaires de l’époque (MRP, SFIO et Parti communiste français) qui, en 1948, en ont jeté les bases.

Cinquante ans après sa création, le régime étudiant est à la croisée des chemins : sur ce point, nous rejoignons les conclusions du rapport de la Cour des comptes, sur lesquelles je ne reviendrai pas dans ce propos liminaire. Vous avez pu, je l’espère, prendre connaissance des réponses de nos mutuelles !

Pour tout dire, j’ai eu initialement l’intention de répondre aux premières conclusions du rapport de la Cour des comptes, mais après avoir suivi attentivement, dans l’hémicycle, le débat sur la couverture maladie universelle, j’ai pris toute la mesure de l’ampleur du sujet.

Il m’a alors semblé que, compte tenu des objectifs et des moyens assignés à la couverture maladie universelle, celle-ci allait bouleverser profondément le régime étudiant dans la mesure où la CMU va concerner tout particulièrement les bénéficiaires du régime étudiant.

Il m’est donc apparu – indépendamment des questions qui se posent sur la situation actuelle et sur les errements et les dérives constatées par la Cour des comptes – que nous sommes plus que jamais à la croisée des chemins et que toute l’architecture que nous pourrons bâtir à l’issue des travaux de votre Commission devra prendre en compte l’incidence de la couverture maladie universelle, qui va profondément modifier l’ensemble de l’assurance maladie.

La seconde évolution est liée à la mise en place du système Sésame vital qui va changer profondément la définition de notre rôle, notamment en ce qui concerne l’affiliation et l’immatriculation des assurés sociaux. Il nous semble important d’anticiper sur ce point et je me félicite que la représentation nationale ait décidé de se saisir de ce dossier pour voir comment le régime étudiant peut répondre à ces évolutions.

Je crois qu’il convient effectivement, aujourd’hui, de se poser d’abord la question de la pertinence de l’existence d’un régime spécifique pour les étudiants et ensuite de s’interroger, à l’aune des évolutions que je viens de citer, sur les modifications législatives, peut-être importantes, qui s’imposeraient.

Je crois important, cinquante ans après, de rappeler que le législateur a voulu confier la gestion du régime à ses bénéficiaires, dans le droit fil des ordonnances de 1945 qui confiaient aux salariés une part importante de la gestion du régime de protection sociale.

Il m’apparaît important aujourd’hui de conserver ce rôle pour deux raisons.

Premièrement, nous nous adressons à une population de deux millions d’étudiants qui a besoin d’être représentée. Elle l’est par ses organisations étudiantes, présentes dans l’ensemble des structures de concertation dans l’enseignement supérieur et, plus largement, dans d’autres structures, mais il est certain que le fait que les étudiants aient en charge la gestion de leur régime de protection sociale est un élément important de la légitimation de l’ensemble des élus étudiants, qu’ils soient associatifs, syndicalistes, ou mutualistes.

C’est là un élément que je juge essentiel pour la mutualité, surtout au moment où nous allons devoir transposer les directives européennes. Ce problème concerne plus largement l’ensemble de la mutualité mais nous verrions avec tristesse remettre en cause la légitimité originelle des gestionnaires du régime étudiant comme, éventuellement, par extension, celle des organisations syndicales au sein des régimes paritaires car cela reviendrait à ouvrir une brèche !

Deuxièmement, nous sommes aujourd’hui confrontés à une précarité étudiante qui se développe – je pense, puisque vous les avez auditionnés, que Mme Demichel et M. Lévy ont dû vous parler des problèmes sanitaires et sociaux des étudiants – dont nous-mêmes avons pris conscience relativement tardivement du fait de son apparition soudaine : on assiste, actuellement, à des situations que moi-même, qui ai quitté il y a assez peu de temps l’université, n’ai pas connues. La couverture maladie universelle va répondre en très grande partie à cette question, ce dont nous nous réjouissons mais il est évident que – et je crois que cela fait également partie de l’architecture de la CMU – tout le volet prévention constituera dans les années à venir pour l’ensemble des organismes gestionnaires d’un régime obligatoire et d’un régime complémentaire, une tâche énorme à accomplir.

Or, cette prévention sera d’autant mieux assurée qu’elle sera préconisée par les représentants des étudiants eux-mêmes. C’est là un point très important qui vient encore justifier la corrélation que je vous propose d’établir entre les travaux de cette Commission et ceux qui sont engagés sur la CMU.

Quoi qu’il en soit, on constate aujourd’hui un certain nombre de carences, notamment en ce qui concerne la lourdeur du système, relevée par la Cour des comptes, sur lesquelles nous pouvons faire des propositions. Je soulignerais tout d’abord, sur cette question, la volonté des acteurs qui ne fait pas défaut, qu’il s’agisse des caisses primaires, de la Caisse nationale, des établissements d’enseignement supérieur ou de nous-mêmes, face à une situation difficile.

Les services des établissements d’enseignement supérieur se trouvent progressivement dépassés par l’ampleur de la réglementation sur les régimes sociaux et sur le régime étudiant en particulier. Il s’agit d’une question technique, mais lorsqu’on avait imaginé cette gestion du régime, en 1948, il y a avait 50 000 étudiants contre 2 millions aujourd’hui, ce qui confère une autre ampleur au problème, alors que la période de la rentrée universitaire n’étant pas extensible, elle s’étend toujours sur trois mois.

Il nous semble donc important de confier aux gestionnaires du régime étudiant, c’est-à-dire aux mutuelles étudiantes, une part importante des fonctions qui sont aujourd’hui attribuées aux établissements d’enseignement supérieur. Cette gestion est très lourde pour eux et la mise en place de la CMU n’allégera pas la tâche.

Je pense que nous serions à même d’apporter une contribution efficace en liaison avec les caisses primaires, avec lesquelles nous ne nous situons nullement dans une logique d’affrontement mais bien plus dans une logique de partenariat.

A cet égard, nous avons d’ailleurs constaté, notamment ces deux dernières années, une évolution notable de nos relations avec les Caisses primaires, tant au niveau des conseils d’administration qu’à celui des services, qui ont bien compris tout l’intérêt qu’il y avait à travailler en collaboration puisque nous avons des légitimités et des approches différentes.

Ils ont également pris conscience qu’il n’était pas si simple de gérer le régime étudiant. Je crois que, pendant longtemps, parce qu’ils avaient une pratique du métier et que, notamment Sésame vital faisait peser un certain nombre de craintes sur les personnels, les services des caisses primaires d’assurance maladie ont eu la tentation de récupérer la gestion du régime étudiant, pensant que serait autant d’activités qui permettraient de justifier le maintien d’un certain nombre d’emplois. Je crois, parce que Sésame vital est certainement plus complexe à gérer qu’on ne l’avait pensé au départ qu’il y a, aujourd’hui, du travail pour tout le monde.

Nos rapports ont donc considérablement évolué et nos travaillons beaucoup en partenariat, même si, çà et là, quelques difficultés persistent.

Pour remédier à cette lourdeur, des modifications législatives peuvent donc être apportées pour redonner plus de place aux mutuelles étudiantes.

Le rapport de la Cour des comptes ayant relevé la difficulté de mettre en cohérence les cotisations versées aux établissements et reversées par la suite aux URSSAF et la réalité des personnes gérées, nous avions envisagé, mais c’était avant le débat sur la CMU, de proposer la gestion par les mutuelles étudiantes de leur cotisation sociale par paiement fractionné, de façon à permettre aux étudiants de ne pas avoir des frais trop importants au moment de la rentrée universitaire.

Cette proposition nous semble aujourd’hui devoir être atténuée dans la mesure où nous mettions alors en corrélation l’ensemble des frais de rentrée universitaire dont la cotisation à une garantie complémentaire constitue, nous le savons, une part importante. Or, avec la CMU, nos effectifs de mutualistes vont baisser de manière très importante puisqu’il n’y a pas de raison que des étudiants qui bénéficient d’une couverture gratuite s’acquittent dorénavant chez nous d’une couverture complémentaire et que ceux qui ne bénéficieront pas de la CMU seront dans une situation financière relativement correcte. Ce problème se trouvera donc largement atténué mais cette piste peut être conservée.

J’en viens maintenant à la question du financement et de la rémunération des mutuelles étudiantes. N’ayant pas eu communication de l’intégralité du rapport de l’IGAS et de l’IGF – j’ignore si, comme la presse, vous en avez été destinataires – je n’ai pas connaissance de l’ensemble du processus qui a conduit à justifier la somme de 260 F annoncée par Le Monde, comme étant le coût unitaire d’un étudiant géré.

A la lecture des travaux de la Cour des comptes et d’un certain nombre d’études que nous avons réalisées au niveau interne, je crois comprendre que le grand reproche fait aux mutuelles étudiantes est un manque de clarté, un manque de transparence et – d’après ce que j’ai lu dans la presse – l’absence de comptabilité analytique.

Sur ce point, je m’inscris en faux : si nous n’avons pas la comptabilité analytique, préconisée par la CNAM pour les caisses primaires, ce n’est pas par mauvaise volonté mais c’est tout simplement parce qu’elle est impossible à mettre en place, les caisses primaires aujourd’hui ne gèrent pas un régime complémentaire mais seulement un régime obligatoire. D’ailleurs, la Cour des comptes a pu le constater. D’après les éléments qui me sont parvenus suite aux contrôles de l’IGAS et aux entretiens que ses représentants ont eus avec nos mutuelles membres, eux-mêmes ne seraient pas parvenus à mettre en place une telle comptabilité.

Dans ces conditions, si nous pouvons approcher la réalité des coûts de manière plus précise que cela n’a été le cas jusqu’à présent, il serait néanmoins irréaliste de prétendre que nous serions capables de distinguer très précisément dans nos comptes ce qui relève de la gestion du régime obligatoire et ce qui relève de la gestion du régime complémentaire !

Je vous citerai un exemple très précis : lorsque nous avons une agence dans une ville universitaire et que nous gérons et le régime obligatoire et le régime complémentaire, il nous faut des locaux, mais si nous avions à gérer le seul régime obligatoire, il en irait exactement de même : ils ne seraient ni plus grands, ni plus petits ; le montant de la facture électrique serait identique, et il est donc extrêmement difficile de donner des clés de répartition.

Nous avons quelques données – nous savons aujourd’hui que les frais de personnel concernent 85 % des frais de nos structures – et par ce biais nous pouvons approcher au plus juste le coût du régime étudiant.

Vous me permettrez d’ouvrir une parenthèse : on se pose la question de savoir si le régime étudiant est payé au juste coût ce qui est, certes, un élément important, mais je tiens tout de même à préciser que toutes les études qui ont été menées – et la CNAM l’a reconnu dans une commission de gestion, en 1996 – prouvent que nous coûtons moins cher qu’une caisse primaire, toutes choses étant égales par ailleurs.

Effectivement, il y a eu des approches différentes et des chiffres différents ont été avancés au cours des dix dernières années, mais il n’empêche que c’est un constat. Fréquemment, on nous dit que c’est normal puisque nous gérons une population en meilleur état de santé, plus jeune et qui consomme donc moins.

Lors d’une étude très récente, dont les résultats m’ont, d’ailleurs, moi-même surpris, nous avons constaté qu’il y a quatre ans, seulement six étudiants sur dix bénéficiaient au moins d’un remboursement annuel – ce qui signifie que quatre étudiants sur dix figuraient dans le fichier mais ne demandaient aucun remboursement – contre plus de neuf étudiants sur dix aujourd’hui, ce qui prouve que la consommation médicale étudiante, parallèlement à la consommation médicale nationale, a progressé de manière significative.

Nous sommes confrontés à cette progression de la consommation médicale des étudiants, notamment dans le domaine psychologique ou psychiatrique qui constitue un phénomène très important assez mal connu et mal perçu et sur lequel je pense qu’il nous faudra travailler ensemble.

Aujourd’hui, il convient de le considérer comme une des conséquences de la démocratisation de l’enseignement supérieur – que je ne regrette en rien, pour ma part – tant il est vrai que des populations nouvelles arrivent à l’université, qui n’ont pas les repères pédagogiques, qui n’ont pas les repères culturels qu’ont pu avoir les générations précédentes. Il s’ensuit un mal-être des étudiants qui s’accompagne d’une automédication que nous ne maîtrisons pas et de problèmes psychologiques très importants.

Ce mal-être étudiant que l’on ne sait pas encore trop comment traiter, est très dur à vivre individuellement. Il entraîne des prises en charge onéreuses et représente des sommes importantes, y compris avec des solutions telles que l’ALD, et ne doit pas être omis dans le panier de soins de la CMU.

Pour en revenir à la définition du coût de gestion, j’insiste sur le fait que nous coûtons globalement moins cher que les caisses primaires.

La Cour des comptes a établi les coûts, sur l’année 1996-1997 et a constaté que nous rendions un service tout à fait comparable à celui des caisses primaires – dont acte – mais que les remises de gestion avaient augmenté de manière considérable ces dernières années, ce qui est vrai.

Mais si les pourcentages d’augmentation ont été forts sur les trois ans précédant 1996, c’est tout simplement parce qu’il y a eu à régler le problème de la discrimination entre la MNEF et les mutuelles régionales. A ce propos, je me réjouis une fois encore que la représentation nationale dans son ensemble ait mis un terme à cette discrimination, même si nous regrettons que cela ait pris autant de temps et nécessité l’intervention du Parlement pour y parvenir.

Il faut en effet rappeler qu’entre 1985 et 1995, les mutuelles régionales, toutes choses égales par ailleurs si l’on compare les effectifs, ont perçu par rapport à la MNEF 150 millions de francs de moins, ce qui n’était pas négligeable et que, s’il y a eu rattrapage à partir de 1995, une première tranche de 13 millions de francs a été votée entre 1992 et 1993 avec alignement du montant des remises de gestion sur le montant accordé à la MNEF, c’est à la suite d’une décision politique, les mutuelles régionales n’ayant pour leur part demandé que l’égalité de traitement.

Il faut également souligner que cette année 96-97 est particulière puisque c’est celle où est intervenu le vote sur les ayants droit majeurs autonomes, qui a fait considérablement augmenter nos effectifs, alors que les coûts induits ne figuraient pas encore dans l’intégralité de nos comptes.

Cela a entraîné un certain nombre de décalages puisque nous touchons les remises de gestion dans un délai de plusieurs mois mais qu’elles sont imputées sur l’exercice, ce qui augmente d’autant les revenus sans que les charges ne viennent totalement s’inscrire, en augmentation des coûts de gestion. Il aurait été sans doute préférable de lisser sur deux ou trois exercices cet examen, notamment sur les exercices récents, puisque je tiens à ajouter que, depuis deux ans, nous avons été conduits à faire des investissements lourds, notamment informatiques, pour répondre la mise en place de Sésame vital et du répertoire national de l’assurance maladie, qui sont autant d’évolutions à mettre en œuvre, qui coûtent très cher et pèsent aujourd’hui sur nos revenus.

Si vous le voulez bien, Monsieur le président, je m’arrêterai là car je crains d’avoir été un peu long, mais je suis tout prêt à répondre à vos questions.

M. le Président : J’ai bien entendu qu’en tant que délégué national de la MER, vous représentiez trois groupes : la MGEL, la SMESO et la SMEREP.

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Tout à fait ! J’ajouterai une petite précision : la SMEREP est également membre de l’autre union de mutuelles régionales, l’USEM.

M. le Président : En tant que délégué général, pouvez-vous nous dire quels ont été, pour les trois dernières années, les directeurs généraux de ces trois mutuelles ?

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Depuis 1996, la MGEL n’a pas de directeur général. A la tête de la SMEREP, M. Christian Doubrère exerce cette fonction, tandis que M. Christian Fardou est, depuis plusieurs années, directeur général de la SMESO.

M. le Président : La MGEL n’a pas de directeur général depuis 1996 ?

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Non, et ce n’est un secret pour personne : Jean-Luc Warsmann était directeur général de la MGEL ; il a été élu député et, depuis cette date, il n’a pas été remplacé à ce poste. Les élus étudiants ont pris " le relais "  et je sais qu’ils sont actuellement en train de recruter un directeur administratif et financier qui ferait fonction de directeur général.

M. le Président : J’aimerais dans un premier temps vous poser quelques questions un peu générales pour aborder progressivement, dans un second temps, des points plus particuliers.

Actuellement, il y a peu d’étudiants couverts par des mutuelles étudiantes. A quoi tient, selon vous, une telle situation ?

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Effectivement, nous constatons la poursuite de la dégradation du ratio entre le nombre de mutualistes et celui des assurés sociaux. Nous le regrettons et nous l’expliquons par plusieurs facteurs.

Premièrement, il faut se rendre compte qu’en 1948 avec 50 000 étudiants, il n’y avait pas de marché étudiant alors qu’aujourd’hui, avec 2 millions de jeunes, ce marché de l’assurance maladie des étudiants existe pour tous les acteurs économiques intervenant dans ce secteur. Ces derniers, il y a encore dix ans, ne s’intéressaient pas à cette population, ils ont décidé de lui proposer aujourd’hui un certain nombre de produits et nous avons donc à faire face à une concurrence nouvelle.

Les mutuelles et assureurs des mutuelles parentales se servent notamment de l’argument commercial suivant : " nous continuons à couvrir vos enfants ". Ils s’y sont engagés d’abord jusqu’à vingt ans, pour arriver à vingt-six ans aujourd’hui. Or, dans la mesure où certains jeunes sont couverts par la mutuelle de leurs parents, ils ont peu de raisons de faire appel aux mutuelles étudiantes.

Deuxièmement – et nous faisons notre mea culpa –, je crois que nous avons oublié – je dis nous parce que j’estime que c’est également valable pour la MNEF – le discours sur la solidarité, sur l’importance et la signification de l’acte de se mutualiser. Nous avons passé cet aspect sous silence, précisément parce que nous étions dans un système de concurrence à laquelle il nous fallait répondre et que les choix stratégiques étaient sans doute aussi un peu différents.

Quoi qu’il en soit, nous n’avons plus tenu ce discours-là et les étudiants ont donc eu tendance à estimer qu’à leur âge leur santé ne justifiait pas de prendre des garanties complémentaires et, en évaluant les risques, qu’ils étaient suffisamment couverts par le régime obligatoire.

Troisièmement, nous avons connu un problème, que la Cour des comptes a relevé, de garanties chères ou élevées mais qui s’explique. Nous sommes entrés dans une espèce de cercle vicieux en ayant de moins en moins d’étudiants mutualisés chez nous, alors que tout l’intérêt de la mutualisation est d’avoir le maximum d’adhérents pour mutualiser plus facilement le risque. Dans la mesure où un certain nombre d’étudiants s’estimant les moins exposés à la maladie font le choix de ne pas prendre de garanties complémentaires, il est permis de penser, a contrario, que ceux qui font le choix de se mutualiser savent parfaitement ce qu’ils vont consommer.

Donc, pour respecter nos ratios, nous avons dû fixer le prix de nos garanties assez haut, alors que, dans le même temps, des grands groupes de mutuelles ou d’assurances pouvaient " faire du dumping " sur des produits d’assurance. De plus, contrairement à nous qui n’avons nos adhérents que pendant deux ou trois ans, ces groupes conservent – et c’est d’ailleurs leur ambition – ces étudiants, une fois qu’ils sont salariés et peuvent tabler sur le fait qu’ils auront un taux de cotisation un peu plus élevé.

Quatrièmement, ce phénomène s’explique par des raisons financières, ce qui est, à mon sens, plus grave. En effet, si les étudiants ne prennent pas de couverture chez nous pour des raisons de concurrence, mais qu’ils sont couverts par ailleurs, c’est un moindre mal. En revanche, s’ils n’ont pas de couverture par ailleurs, la situation est beaucoup plus inquiétante et elle se produit, soit pour des raisons économiques auxquelles la CMU répondra, soit parce que certains étudiants ont une sorte de sentiment de surpuissance sanitaire.

Il y a également un paramètre qui intervient de façon importante dans les calculs auxquels les gens se livrent. Entre 1984 et aujourd’hui, le montant de la cotisation de sécurité sociale obligatoire a été multiplié par 3,5, ce qui n’est pas sans effets psychologiques. En effet, lorsque vous payez une cotisation 300 F, la chose passe " comme une lettre à la poste " et se fond quasiment dans les frais d’inscription. Ce n’est plus le cas lorsque la barre des mille francs est franchie. Les étudiants se sont dit : " je paie déjà 1 000 F pour ma garantie obligatoire, si je verse 1 400 F pour ma garantie complémentaire cela va faire un total de plus de 2 400 F, or, qu’est-ce que je consomme, dans l’année, pour ce montant ?... "

Jusqu’à une date récente, nous faisions partie de la commission qui décidait avec les organisations étudiantes et les tutelles, du montant de la cotisation. Nous avions alors tiré la sonnette d’alarme en signalant que nous atteignions des taux très importants et que, s’il était vrai que l’augmentation n’était pas considérable – elle est de 3 % ou 4 % tous les ans – on franchissait néanmoins des seuils psychologiques importants.

J’ajouterai qu’il y a aujourd’hui un projet d’arrêté, soumis à la signature de la ministre, qui exclut les mutuelles étudiantes du processus préparatoire concernant la cotisation étudiante, ainsi que du processus préparatoire à tout projet réglementaire étudiant, ce que nous regrettons amèrement, surtout au moment où votre Commission d’enquête est saisie de cette question.

M. le Président : Concernant les activités des mutuelles, le Code de la mutualité de 1948 est extrêmement large et permet de multiples diversifications. Sur ce sujet, je voudrais connaître votre avis et savoir ce que les mutuelles de votre fédération ont entrepris comme diversifications et si, au vu de celles qui ont eu lieu, il a été décidé un retour en arrière et un recentrage sur vos activités de base.

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Sur la diversification, je distinguerai deux points.

Premièrement, il est vrai, comme vous le disiez, que le Code de la mutualité assigne aux mutuelles un objet très large. Il faut comprendre, en effet, que la mutualité n’est pas une fin en soi mais qu’elle est un mode d’organisation, c’est-à-dire que ce sont des gens qui décident de mettre en commun des moyens pour répondre à un certain nombre d’attentes de leurs adhérents. Le principal problème, à la naissance de la mutualité, était effectivement celui de la santé et, historiquement, nous sommes donc liés à ce contexte. Pour autant, le fait de dire que toute diversification serait une extension et une dérive de l’objet initial de la mutualité constitue, me semble-t-il, un contresens.

Deuxièmement, je soulignerai que cette diversification est relativement ancienne et qu’elle s’est mise en place lorsqu’il a été décidé de procéder à la démocratisation et donc à la massification de l’enseignement supérieur. Dès lors, un certain nombre de problèmes se sont fait jour et notamment celui du logement. Il est très important de se rappeler qu’il y avait à l’époque une énorme pénurie de logements étudiants : les CROUS qui n’avaient pas encore fait leur mue – ils ne l’ont faite que ces dernières années – ont répondu aux besoins plus tardivement que les mutuelles, plus promptes à réagir parce qu’organisées en petites structures à composition étudiante et ne dépendant pas du secteur public.

Quand un conseil d’administration dit qu’il y a un problème parce que les étudiants ne parviennent plus à se loger, qu’est-ce que vous faites ? J’ai suivi mes études à Toulouse et je me souviens parfaitement qu’à l’époque, au moment de la rentrée universitaire, la ville était sillonnée par ce qu’on appelait " les vendeurs de listes " qui proposaient des logements : on mettait des semaines et des semaines avant de trouver un logement et certaines personnes profitaient de cette situation.

Nous avons donc décidé de répondre à cette demande et d’informer un certain nombre d’acteurs et de promoteurs immobiliers qu’ils pouvaient être présents dans ce secteur, sous réserve qu’ils acceptent que nous donnions un label aux constructions. De ce fait, nous valorisions des produits dans le milieu universitaire au moment de la rentrée, sur lesquels nous engagions notre image.

C’est ainsi qu’à Toulouse, nous avons décidé – la solution n’a pas été forcément généralisée – de promouvoir des résidences étudiantes telles qu’elles existent aujourd’hui, de dimensions moyennes, composées de petites studettes et comprenant – c’est un point auquel nous nous sommes attachés – des salles informatiques, des salles de réunions et des salles de sport.

Des voix divergentes se sont exprimées, certaines pour dire qu’il fallait simplement s’occuper de la gestion desdites résidences et d’autres pour dire qu’il fallait mettre un peu d’argent dans la construction.

Par la suite, le marché nous a dépassé largement, mais aujourd’hui, nous ne souffrons plus de pénurie de logements étudiants.

Nous avions connu la même situation, bien avant, dans le domaine de l’assurance, que ce soit l’assurance auto-moto ou l’assurance habitation.

Lorsque nous avons proposé des assurances spécifiques pour les résidences universitaires au tarif de 100 F par an, ce produit n’existait pas encore sur le marché.

Aujourd’hui, on nous reproche, au motif que cela n’était pas notre métier, d’avoir fait de l’assurance, mais il ne faudrait pas perdre de vue que lorsque nous avons proposé des produits en matière d’assurance automobile beaucoup moins chers, personne ne voulait assurer les jeunes conducteurs. Nous étions des pionniers, et ce n’est que par la suite que le marché nous a rejoints même si, effectivement, on peut nous reprocher cette diversification.

Après les remarques de la Cour des comptes et parfois même bien avant, nous étions déjà revenus en arrière. Je me souviens notamment d’une période où les mutuelles étudiantes s’étaient lancées dans le secteur du voyage avec un certain nombre de partenaires. Nous nous sommes rendus compte que cela n’était pas notre métier, que nous avions une certaine connaissance du milieu étudiant mais que nous ne pouvions pas tout faire et nous avons donc décidé d’arrêter.

Il en a été de même concernant l’informatique, à partir des demandes qui s’exprimaient pour répondre à un certain nombre d’attentes telles que Sésame vital ou autres, nous avions développé des services informatiques importants et certaines mutuelles l’ont fait en filialisant. Nous nous sommes aperçus – pas tout de suite évidemment car il y a toujours un certain temps de latence – que ce n’était pas notre vocation, que c’était quelque chose de trop lourd à gérer et que nous devions arrêter cette activité et nous adresser à des prestataires extérieurs.

A la différence de la MNEF, nous sommes des petites structures. Une structure telle que la SMEREP à Paris a un effectif, si je ne me trompe pas, qui est de l’ordre de 100 à 150 salariés. Elle est donc facile à gérer, contrairement à la MNEF qui, avec ses 800 salariés, se trouve confrontée à des problèmes d’une autre ampleur, notamment au moment des prises de décisions et des choix stratégiques.

Certains regrettent effectivement ce morcellement des mutuelles régionales, qui a fait dire que nous ne mettions pas en commun un certain nombre de moyens. C’est exact mais, en même temps, la légèreté de nos structures permet de réagir plus rapidement et ce d’autant que nous n’avions pas les moyens de nous engager lourdement sur de nombreux dossiers.

M. le Rapporteur : Les mutuelles regroupées au sein de la MER relèvent-elles du contrôle de la commission de contrôle des mutuelles ou des préfets de région à travers les services ?

A votre connaissance, y a-t-il eu des contrôles approfondis effectués récemment sur les trois mutuelles que vous représentez et si oui, quelles en sont les conclusions ?

Enfin et plus généralement, que pensez-vous du mode de contrôle des mutuelles et en particulier des pouvoirs de la commission de contrôle ou des préfets de région, relatifs au contrôle des activités annexes filialisées ?

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Votre première question recouvre deux aspects.

Vous savez que pour que la commission de contrôle des mutuelles et des organismes de prévoyance intervienne, il faut que la mutuelle ait réalisé, soit plus de 150 millions de francs de prestations au cours d’une année, soit qu’elle dispose d’une caisse autonome.

Des trois mutuelles de la MER, seule la SMESO, qui a une caisse autonome, relève de la commission de contrôle, encore que cela reste à vérifier puisque j’ai lu, il n’y a pas très longtemps, que la liste des organismes date de 1992. Nos organismes ont grossi depuis et je pense que certains d’entre eux, qui pourraient donc relever de la commission de contrôle, n’en dépendent pas du fait du retard intervenu dans la mise à jour de cette liste.

La SMESO, pour la première fois, je crois, est soumise en ce moment-même à un contrôle dont les conclusions ne sont évidemment pas encore communiquées. Hormis des informations qui nous ont été réclamées, il n’y avait pas eu, jusqu’à ce jour, de contrôle sur place et sur pièces concernant nos institutions.

Pour ce qui est du contrôle des DRASS, je dirai que nous en avons eu peu et qu’ils portaient sur quelques aspects liés à certains points relatifs au respect du Code de la sécurité sociale mais, arrivé relativement récemment dans la structure, je n’en connais pas toute l’histoire. Ces contrôles sont surtout intervenus dans le cadre des travaux préparatoires de la Cour des comptes.

Les contrôles dont nous faisons annuellement l’objet portent essentiellement sur la gestion de l’assurance maladie. Il s’agit là, en revanche, de contrôles très rigoureux des caisses primaires avec lesquelles nous travaillons.

Sur les questions de diversification, je n’ai pas connaissance de conclusions très précises.

M. le Rapporteur : Je crois savoir que vous êtes aussi salarié de la SMESO ?

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Vous êtes bien informé puisque je suis salarié à mi-temps de la MER et de la SMESO.

M. le Rapporteur : La concurrence à laquelle se sont livrées les mutuelles régionales et la MNEF semble avoir abouti, d’après ce qu’on peut lire dans le rapport de la Cour des comptes, dans celui de l’IGAS et dans un certain nombre d’enquêtes administratives qui ont eu lieu, à une augmentation extrêmement importante, au cours des dernières années, des frais de communication et de promotion. Une part très significative des revenus des mutuelles étudiantes provient de l’acte d’affiliation qui, sans être forcément, et on l’a vu tout à l’heure, très en rapport avec un acte d’adhésion, permet néanmoins à une mutuelle d’avoir un certain nombre de ressources. Or, il semblerait, aux dires de l’IGAS, que ces frais de communication, par rapport à ce qu’on pourrait appeler " la marge mutualiste ", qui représente le rapport entre ce que vous percevez en termes de cotisation mutualiste pour la protection complémentaire et ce qui est réellement dépensé, soient extrêmement importants puisque, d’après nos renseignements, ils s’élèveraient, par rapport à cette marge mutualiste à 68 % pour la MNEF, à 36 % pour la SMEREP, à 70 % pour la MGEL, et à 45 % pour la SMESO.

Sans être nécessairement comparables, ces chiffres montrent malgré tout que les frais de communication par rapport à la marge mutualiste sont très importants, ce qui pourrait signifier qu’ils ont pu être en partie financés par les remises de gestion : c’est du moins la thèse que l’on pourrait développer ....

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Sur cette thèse, je ferai deux observations.

Premièrement, concernant les frais de communication, je soulignerai que le journal Le Monde – c’est la source à laquelle que je me réfère, puisque je n’ai pas été destinataire du rapport de l’IGAS – note que les frais de communication sont effectivement, à la MNEF, de 51,2 millions de francs pour 850 000 assurés sociaux – je mets à part les mutualistes, mais comme c’est relativement marginal et de toute façon comparable, les ordres de grandeur ne varieront pas – soit en moyenne 70 F par assuré, tandis qu’ils s’élèvent pour l’ensemble des mutuelles régionales à 28,8 millions de francs pour 750 000 assurés, ce qui fait passer la moyenne aux alentours de 40 F. C’est une différence qui est assez notable pour la souligner !

Deuxièmement, s’agissant de la marge mutualiste – je tire mes informations cette fois du rapport de la Cour des comptes – celle de la MNEF est évaluée à environ 3 millions de francs, celle de la SMES0 à 13,7 millions de francs, celle de la SMEREP à 5 millions de francs, et celle de la MGEL à 6 ou 7 millions de francs – ce qui porte à 25 millions de francs le total pour nos seules trois mutuelles à comparer avec les 3 millions de francs de la MNEF. Je ne veux pas répondre pour la MNEF, mais il apparaît énorme d’attribuer à la SMESO – et c’est un différend que nous avons avec la Cour des comptes – 45 % de frais de communication sur le régime obligatoire avec une marge mutualiste de 13,7 millions de francs : nous ne comprenons toujours pas comment ce chiffre a été trouvé.

En outre, on trouve beaucoup de choses sous le vocable de frais de communication. Je me référerai une fois de plus à l’article du journal Le Monde qui, citant le rapport de l’IGAS, fait état de la " multiplicité des sommes modiques de communication de la MGEL ". Il nous semble y avoir une antinomie entre " somme modique " et " multiplicité " mais, au-delà, il faut voir que nous sommes totalement immergés dans le monde étudiant et notamment, dans le milieu associatif, et que nous aidons énormément toutes les initiatives étudiantes.

Dans ces conditions, effectivement, pour répondre d’ailleurs à certain nombre de remarques des tutelles, nous avons inscrit des sommes en subvention, à la suite de quoi on nous fait remarquer que c’était inapproprié puisque notre logo figurait sur les documents proposés lors des manifestations et qu’il fallait les réintégrer en dépenses de communication, ce qui a immédiatement fait gonfler les montants affectés à cette ligne.

Il n’en demeure pas moins vrai que les frais de communication sont importants, mais que nous sommes dans un système concurrentiel, à la différence d’autres structures délégataires d’un régime obligatoire, qui n’y figurent pas, ou très marginalement.

Il faut également considérer que ces dépenses de communication représentent in fine des services rendus à l’étudiant. En effet, sous ce compte nous avons mis – et je reconnais qu’on peut nous le reprocher – comme en atteste encore une fois l’article du Monde, les partenariats passés avec un certain nombre d’entreprises telles que Mac Donald, partenariats partagés puisqu’il y avait aussi des accords MNEF-mutuelles régionales avec cette firme...

Il faut savoir que nous payons, et souvent cher, l’accord avec Mac Donald pour offrir des réductions très importantes aux étudiants. On peut le regretter puisqu’on nous a fait savoir que, pour la santé, la formule n’était pas idéale, ce que j’admets, partiellement toutefois, car cela correspond à une demande des étudiants. C’est également vrai dans un tas d’autres domaines. C’est le cas, par exemple, lorsque nous prenons en charge un certain nombre d’opérations de communication pour obtenir des réductions sur des places de cinéma. Si des réductions sont consenties par les groupes UGC ou autres – je les cite de mémoire – c’est parce qu’en échange, nous acceptons de prendre en charge un certain nombre de frais de communication. Donc, nous ne faisons pas de la communication pour faire de la communication, mais bien pour rendre un certain nombre de services à l’étudiant. En outre, je tiens à signaler que toutes nos campagnes de prévention, que nous aurions sans doute dû mieux identifier comme telles, apparaissent en frais de communication au motif qu’elles nécessitent l’édition d’un certain nombre de brochures et de plaquettes, ce qui n’est pas tout à fait juste !

Je crois donc qu’il faut tenir compte de tous ces aspects.

M. le Rapporteur : Est-ce que ce type de partenariats se poursuit ou se développe ?

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Non, je pense qu’il est plutôt en régression. Nous avons pris conscience, de nous-mêmes, de cette dérive commerciale, non seulement parce que certains s’y sont opposés pour des raisons de principe, mais également parce que nous avons constaté qu’elle était commercialement contre-productive dans la mesure où elle brouillait totalement notre image. Il était donc temps de faire marche arrière ! Cette prise de conscience coïncide effectivement avec le moment où la Cour des Comptes et vous-mêmes vous êtes saisi de cette question, mais nous avions un peu anticipé. Cela étant, la Carte Jeune qui propose de plus en plus de réductions est quand même bien une initiative de l’Etat : on se dit, par conséquent, que notre démarche partenariale n’est pas, non plus, totalement illégitime.

M. le Rapporteur : Dans le rapport conjoint de l’IGAS et de l’IGF que vous n’avez manifestement pas reçu, mais qui a été distribué aux commissaires de cette commission d’enquête, il est fait état d’actions dites " de communication ", un peu coûteuses de la SMESO, telles qu’en 1996-1997, la réalisation de matériel promotionnel à Hong Kong et à l’île Maurice qui semblerait avoir nécessité l’envoi sur place de plusieurs responsables chargés de superviser l’opération.

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Je ne suis ni président, ni directeur général de la SMESO et si vous envisagez de les auditionner, je pense que vous pourriez leur poser la question mais je vais, néanmoins, vous répondre.

Je connais ce problème puisque je suis salarié de cette maison.

Concernant l’île Maurice, il faut savoir que la SMESO est habilitée à gérer le régime étudiant de l’île de la Réunion – ce qui n’est pas tout à fait effectif, en raison des problèmes internes de la caisse de sécurité sociale de l’île de la Réunion, que connaissent les gens qui s’intéressent un peu aux DOM, qui paralysent complètement depuis deux ou trois ans son fonctionnement. Pour ce faire, nous nous rendons une ou deux fois par an sur place.

Or, il se trouve que nous avons profité de l’un de ces déplacements, sachant comme tout le monde que les coûts de fabrication de certains produits sont moins élevés à l’île Maurice qui se trouve à quarante-cinq minutes de vol de l’île de la Réunion, pour y envoyer un salarié étudier ce qui pouvait s’y faire. Vous pourriez nous faire la remarque que nous ne défendons pas l’industrie française, mais je crois que tout le monde aujourd’hui est confronté à cet état de fait.

Du fait de l’éloignement, nous nous sommes d’ailleurs aperçus que c’était un projet difficile à gérer puisque nos commandes n’étaient pas prises en compte assez rapidement. C’est donc une solution qui n’a pas été retenue. Il faut donc bien comprendre que les frais de déplacement ont été assez limités ...

Pour ce qui a trait à Hong Kong, nous avions, pendant quatre ou cinq ans, à l’occasion de la campagne de rentrée - offert à tous les étudiants adhérents des agendas.

La première année, comme nous trouvions le produit assez intéressant, nous avions fait appel à un certain nombre de structures de ventes de ce produit en France où personne ne les fabrique. Parallèlement, nous avons eu connaissance d’un salon, à Hong Kong, qui présentait une gamme de ces objets pour un prix unitaire tel qu’il devenait plus avantageux de les commander sur place que de passer par des intermédiaires français et le volume de fabrication était important puisque la SMESO comptait à l’époque entre 45 000 et 50 000 adhérents. Le seul ennui était qu’il fallait nous montrer très vigilants pour obtenir la même qualité de fabrication que celle de nos industries et que – tel a été le cas notamment la première année – le manque de confiance nous obligeait à envoyer des salariés vérifier la qualité de la livraison avant son envoi sous containers.

Je tiens quand même à dire qu’il n’y a eu que cinq voyages effectués au cours de ces années, ce qui équivaut à la somme de 32 000 F, ce qui, étalé sur plusieurs années, nous semble très modique.

M. le Rapporteur : Nous avons vu, lorsque nous avons étudié les rapports sur la MNEF que cette dernière entretenait des relations très proches avec un syndicat étudiant, l’UNEF-ID, qu’elle subventionnait d’ailleurs, ainsi qu’avec d’autres organisations syndicales étudiantes avec lesquelles elle conduisait une politique de communication.

Au niveau des mutuelles régionales, est-ce que le même type de système, par rapport aux organisations étudiantes existe, et comment fonctionne-t-il ?

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Il n’est pas identique et cela pour plusieurs raisons.

Il faut, je crois, rappeler d’abord que nous sommes, nous, issus essentiellement des corporations d’étudiants en médecine, en pharmacie, en droit et en dentaire, qui sont très morcelées. Quiconque connaît un peu le syndicalisme étudiant vous confirmera que c’est un mouvement qui ne s’est jamais fédéré de façon importante au niveau national ce qui explique notre morcellement et la régionalisation de nos mutuelles.

Par conséquent, nous sommes beaucoup plus près du terrain et nous aidons – nous le reconnaissons très volontiers – les associations à la base : c’est un système dont je dirai qu’il est très subsidiaire ce qui n’empêche pas la MER d’entretenir aussi un certain nombre de relations avec des structures nationales, notamment avec la FAGE, mais aussi avec des associations monodisciplinaires, type Association nationale des étudiants en médecine de France, en pharmacie, droit ou autres, pour des sommes il est vrai qui ne sont pas comparables à celles de la MNEF, encore qu’il conviendrait peut-être de faire la consolidation de ce que toutes les mutuelles ont apporté ce qui n’est pas simple, d’autant que simultanément la MNEF apporte une aide locale.

Cela étant, nous n’aidons pas à hauteur de 1 million de francs, chiffre qui, je crois, a été relevé pour l’UNEF-ID, les structures avec lesquelles nous travaillons.

M. le Président : Je terminerai sur le problème du contrôle en vous posant deux sortes de questions.

Il y a actuellement cinq contrôles. Seriez-vous favorable à ce que, en dehors de l’IGAS, un contrôle général puisse s’exercer et quel contrôle vous semble le plus approprié ?

Par ailleurs, faut-il que les conseils d’administration s’ouvrent, en particulier sur la CNAM et, éventuellement, sur un certain nombre d’organismes du monde universitaire ou étudiant ? Par exemple : seriez-vous disposé à ouvrir les conseils d’administration à des personnes extérieures comme des représentants de la CNAM, cela pourrait-il empêcher d’éventuels dysfonctionnements ?

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : D’abord, malheureusement ce n’est pas parce qu’il y a des tutelles dans les organismes que celles-ci empêchent forcément les dérives : on l’a vu avec certaines grandes banques mais, néanmoins, je ne me défausserai pas sur cette question.

Pour ce qui est du nombre d’organes de contrôle, ainsi que je l’ai dit dans mon propos liminaire, je pense que la CMU va changer beaucoup de choses et que la place et de la CNAM et des Caisses primaires dans le contrôle va être significativement élargie puisque notre activité de mutualistes purs va être considérablement réduite et que nous n’allons plus nous déplacer dans la " gestion obligatoire ". En effet, même si la CMU relève des deux secteurs, je pense que nous allons vers un contrôle plus approfondi de la CNAM et des caisses primaires, ce qui va pas aller sans nous poser de problèmes dans la mesure où nos financements provenaient des garanties mutualistes, et notamment de la marge mutualiste qui va disparaître.

Il est évident que les sommes que nous allons recevoir au titre de la gestion des étudiants CMU vont relever du régime obligatoire et se trouver soumises au contrôle de la tutelle. Il est clair que la CMU va – et personnellement je considère que c’est un bien – effectivement nous obliger à nous recentrer.

Je reste convaincu que les sommes que l’on a pu constater en dépenses de communication vont être largement réorientées en dépenses de prévention, ce dont, personnellement, je ne peux que me réjouir fortement.

Sur la question de savoir qui est le plus à même d’exercer les contrôles... personnellement, j’ai rencontré les responsables et de la Cour des comptes, de l’IGAS et de l’Inspection des finances et, si je peux me permettre de le dire, j’ai beaucoup aimé travailler avec Luc Machard à la Cour des comptes, mais ce n’est pas la mission de la Cour des comptes que de contrôler toutes les mutuelles.

Aujourd’hui, j’ignore si le contrôle des DRASS est le plus approprié, la mutualité est un milieu particulier et les DRASS ont l’habitude de contrôler des organismes totalement publics. Or, il me semble que lorsque le public et le privé se trouvent mêlés, il faut des gens familiers de cette structure mixte un peu particulière : c’est une évidence ! Peut-être que la Commission de contrôle étendue à nos organismes pourrait constituer une solution.

Cela étant, ainsi que je vous l’ai dit , je pense que les dérives provenant de l’élargissement des activités seront moins nombreuses car, très honnêtement, je pense qu’avec la CMU, notre champ va considérablement évoluer.

M. le Président : Pardonnez-moi de vous interrompre mais que pensez-vous de l’application du Code des marchés publics à la mutualité ?

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Cela me paraît difficile, parce que les structures mutualistes sont des structures privées, ce qui rend la chose compliquée. En outre, je ferai remarquer que ce n’est pas parce que nous ne sommes pas soumis au Code des marchés publics que, sur les grands marchés, nous ne procédons pas à des appels d’offres. Lorsque la Cour des comptes est venue, elle s’en est inquiétée. Qu’on améliore les choses en fixant des règles un petit peu plus claires, cela s’impose : nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, réfléchissent à une réforme du Code de la mutualité. Les changements devraient, à mon sens, plutôt s’inscrire dans le cadre d’une telle réforme, qui concernerait tout le monde et non pas les seules mutuelles étudiantes !

M. le Président : Effectivement, une telle modification s’appliquerait à l’ensemble des mutuelles.

M. Pierre-Yves LE DOEUFF : Pour les gros marchés, nous procédons à des appels d’offres – nous l’avons fait notamment pour la communication et l’informatique – car il est clair que nous ne sommes pas là, non plus, pour dépenser outre mesure.

Pour ce qui a trait à l’ouverture des conseils d’administration, je vous avoue que je suis un petit peu gêné parce que nous tenons à conserver quand même notre indépendance, à moins d’obtenir une large réciprocité qui n’est pas forcément acquise.

Les textes d’ailleurs prévoient, à l’article L. 381, que nous devrions être consultés par les caisses primaires et la CNAM avant toute prise de position qui nous concerne ce qui, actuellement, n’est pas le cas. La CNAM n’applique pas les textes sur ce point.

Nous voulons bien nous ouvrir mais, de l’autre côté, il faudrait aussi une plus grande ouverture, je rappelle quand même qu’avec 2 millions d’étudiants nous pesons un certain poids.

Sur la présence de personnalités, de recteurs ou leurs représentants, c’est une chose qui est déjà prévue dans les textes sur les sections locales universitaires, à ceci près que nous avons la plus grande peine à les faire fonctionner. Ces sections sont constituées mais les textes ne disent strictement rien sur leur pouvoir et leurs compétences. J’ai lu dernièrement la jurisprudence et la doctrine sur ce point, notamment une thèse qui remonte à 1958 mais qui est intéressante, et qui dit globalement que l’on ne peut pas confier à une section locale le rôle de gestionnaire de la mutuelle : dans ces conditions, quel rôle lui confier ?

Pour ce qui nous concerne, nous avons imaginé, à la SMESO, une formule que nous sommes en train de mettre en place afin de voir, avec les acteurs présents, c’est-à-dire le représentant de la caisse primaire et celui du recteur, ce qu’il est possible de faire, notamment sur les questions de prévention, entre les actions menées par les caisses primaires et les nôtres, et, ainsi, mieux travailler.

De là à ouvrir largement le conseil d’administration des mutuelles, il y a un pas qui me paraît d’autant plus difficile à franchir que, dans ce cas, et vous en êtes d’accord, c’est aussi le Code de la mutualité qu’il faudrait transformer pour l’ensemble de la mutualité ce qui serait, à mon sens, assez difficile, encore que nous serions prêts à y travailler : pourquoi pas ?... Pour ce qui concerne nos conseils d’administration, nous ne nous situons pas dans un champ clos.

M. le Président : Monsieur le délégué général, je vous remercie pour cet entretien qui nous a beaucoup apporté. Soyez certain que la commission d’enquête saura tirer profit de vos observations.

Audition de M. Jean-Marie LE GUEN,
ancien directeur médical de la MNEF, député de Paris

(procès-verbal de la séance du 29 avril 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M Le Guen est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Le Guen prête serment.

M. Jean-Marie LE GUEN : Mes chers collègues, j’ai effectivement souhaité être entendu par votre commission parce que, pendant dix-sept ans, j’ai travaillé dans une des mutuelles gérant le régime de sécurité sociale étudiante et qu’il m’a semblé qu’à partir de là, je pouvais peut-être apporter un certain nombre de réflexions qui, j’espère, contribueront à la formation de votre propre jugement.

En outre, disons-le, puisque mon nom a été cité, ici ou là, dans des articles de presse qui me prêtent quelques déclarations, je serai également heureux de dire un certain nombre de choses devant vous sur ce sujet.

Permettez-moi de présenter d’abord en quelques mots mon action et de retracer mon curriculum vitae et, en l’occurrence, la manière dont j’ai été amené à travailler à la MNEF.

Je suis docteur en médecine, j’ai terminé mes études à la fin des années 1970 et, parallèlement, j’ai poursuivi des études d’économie de la santé jusqu’à l’obtention d’un DESS. J’ai commencé à travailler à temps partiel à la CNAM pour mettre en œuvre des éléments de politique de prévention en direction des jeunes.

Dans les années 70, j’avais occupé des responsabilités au sein du mouvement étudiant et, plus tard, en 1982, j’ai donc été engagé comme directeur médical de la MNEF.

J’y assumais des responsabilités de deux ordres : premièrement, des responsabilités opérationnelles, concernant la gestion d’un certain nombre de centres de santé, allant des dispensaires jusqu’aux centres de planning familial en passant par les bureaux d’aide psychologique universitaire – les BAPU, structures un peu particulières au milieu étudiant ; deuxièmement, des responsabilités plus fonctionnelles consistant à mettre en œuvre une réflexion et une politique en matière d’éducation pour la santé et de prévention en direction des étudiants.

Quelques années plus tard, mon activité m’a également amené à travailler avec la Fédération nationale de la mutualité française où j’étais le rapporteur du laboratoire d’innovations sociales, qui avait vocation à définir les politiques de prévention en matière de santé.

J’ai donc assumé ces responsabilités pendant les années 80 avant d’être, ainsi qu’un certain nombre d’entre vous le savent, élu député en tant que suppléant de Paul Quilès entre 1988 et 1993, ce qui m’a conduit à abandonner notamment mes responsabilités opérationnelles de gestion des centres de santé.

Après avoir été battu aux élections législatives de 1993, j’ai à nouveau exercé un certain nombre de responsabilités, qui n’étaient pas cette fois d’ordre opérationnel, mais de conseil et d’orientation sur la politique de santé en travaillant à temps partiel à la MNEF ainsi qu’au Haut conseil de santé publique dont les premiers rapports ont commencé à aborder la question de la santé des jeunes, problème qui avait été très largement occulté durant toutes les années 70 et 80.

En juin 1997, j’ai été élu député et j’ai donc abandonné mes fonctions : je suis aujourd’hui en situation de congé sans solde.

J’ai tenté de structurer mes réflexions par rapport aux événements, à partir des observations personnelles que me permettent ma connaissance du milieu et de la structure mais également à la lecture des rapports de la Cour des comptes, de l’IGAS et de l’IGF tels que je les ai découverts dans la presse et des commentaires divers qui les accompagnaient.

Ces rapports qui, a priori, me semblent justes – je crois que la description de la situation y est exacte – appellent de ma part trois observations. Ils mettent en évidence, parfois de façon insuffisante, de graves dysfonctionnements de notre système sur lesquels je dirai un mot ; ils apportent une appréciation discutable, au sens premier du terme c’est-à-dire dont on peut discuter, de faits réels ; ils négligent un certain nombre de caractéristiques qui définissent aujourd’hui la sécurité sociale et les mutuelles étudiantes.

J’aimerais donc revenir sur ces trois points mais souligner d’abord que tout cela intervient dans une profonde mutation du milieu étudiant puisque globalement, à la fin des années 70, le nombre des étudiants a triplé pour passer de 700 000 à un peu plus de 2 millions en 1995. Cette multiplication par deux, dans les années 80, puis par trois au cours de la décennie suivante, se traduit par un bouleversement qualitatif et quantitatif du milieu étudiant qui est tout à fait considérable.

D’ailleurs, si l’on regarde l’histoire du mouvement étudiant et de la mutualité étudiante, il est aisé de s’apercevoir qu’elle est assez liée aux différentes évolutions démographiques et sociologiques – la périodicité 45-68, la périodicité 68-95 et peut-être la suivante – et qu’elle est toujours en relation avec les évolutions quantitatives et qualitatives du mouvement étudiant.

Les éléments qui sont les plus préoccupants sont de deux ordres.

Premièrement, même si nous sommes un certain nombre à avoir attiré l’attention sur ce sujet, le problème de la santé des jeunes et des étudiants reste, à mon avis, un problème relativement préoccupant et insuffisamment pris en compte par notre système, à la fois de couverture sociale et d’actions globales.

C’est d’autant plus net que l’on voit arriver à l’université des jeunes plus nombreux, issus de milieux sociaux plus défavorisés, dans des situations économiques plus précaires : il y a indiscutablement, là, un manque considérable d’actions sanitaires et sociales et de prise en compte de la protection sociale des jeunes en général, et des étudiants en particulier qui pose un certain nombre de problèmes. Il est donc permis de s’interroger sur l’adéquation exacte des moyens par rapport à l’objectif qui est celui de la santé et ce, d’autant que nous sommes en plein débat sur la CMU qui a un effet indirect mais incontestable sur les problèmes des étudiants.

Deuxième point, très préoccupant pour les mutuelles elles-mêmes, la démutualisation importante du milieu étudiant qui est mise en évidence, notamment dans le rapport de la Cour des comptes qui souligne un phénomène tendanciel lourd qui concerne les deux types de structures mutualistes existantes.

Cette démutualisation, à mon sens, est, en fait, encore beaucoup plus importante qu’elle n’apparaît dans le rapport de la Cour des comptes, dans la mesure où il ne faut pas oublier la multiplicité de systèmes de couverture très différents proposés à ceux qui sont mutualisés. A la différence des mutuelles comme les nôtres, les mutuelles étudiantes proposent, à des tarifs et des niveaux de remboursement variables, différents produits, dans une logique qui est assez proche de la logique assurancielle avec des couvertures minimales, des couvertures moyennes et des couvertures maximales.

En conséquence, quand on parle de taux de mutualisation, on fait référence à des taux de mutualisation cumulés. Or, si nous voulons avoir une approche objective de la couverture réelle des jeunes, il ne faudrait pas parler de ceux qui sont couverts au minimum avec, souvent, une assurance invalidité-accident pour l’essentiel et une couverture santé relativement faible.

Le problème de la démutualisation m’apparaît donc tout à fait important et soulève de multiples interrogations, y compris sur les ratios, la sécurité sociale…

Ces deux questions sont importantes. Elles pèsent relativement lourd sur la situation de la mutualité et de la sécurité sociale étudiantes.

Par ailleurs, je note qu’un certain nombre de remarques, contenues dans les rapports précités, sont faites dans un contexte où il me semble que l’on feint de parler de choses en oubliant la réalité, de sorte que les situations qui sont décrites, d’ailleurs d’une façon qui prête à discussion et à contestation, sont souvent traitées abstraction faite du contexte dans lequel se développent et se sont développées depuis trente ans la sécurité sociale étudiante et les mutuelles.

Il faut bien retenir que les mutuelles étudiantes ne sont pas des caisses primaires d’assurance maladie : elles ont une délégation de service public, elles gèrent la sécurité sociale, mais ce sont des structures de droit privé qui agissent dans une logique et selon des pratiques qui ne sont pas celles d’une caisse primaire d’assurance maladie.

Par conséquent, les critiques qui sont formulées et qui sont totalement compréhensibles – je pense aux interrogations sur les ratios et les remises de gestion – concernent non seulement la mutualité étudiante, mais aussi toutes les mutuelles qui gèrent les régimes de sécurité sociale et, de ce point de vue, puisqu’il n’y a pas de différences de nature à ce niveau, si l’on doit regarder ce que fait telle ou telle mutuelle étudiante, on doit le faire en se rappelant qu’il ne s’agit pas d’un organisme de sécurité sociale.

On peut trouver cela scandaleux, problématique et tout ce que l’on voudra mais il faut rapporter les choses à ce qui est comparable, notamment, par exemple, lorsque l’on parle de filiales : à ma connaissance, la mutualité française et un certain nombre de mutuelles gérant la sécurité sociale ont des filiales et il convient donc de ramener les choses à ce qui est la norme. Or, la norme, c’est la mutualité et non pas les caisses primaires.

En outre, nous sommes peut-être et vraisemblablement dans un système aberrant, mais organisé par les pouvoirs publics, de concurrence intensive.

La première forme de concurrence vient du fait que l’on a le choix – chaque année, puisque la problématique de la sécurité sociale étudiante est d’y adhérer chaque année et non pas de façon définitive – entre deux centres de sécurité sociale, conformément à une concurrence organisée par les pouvoirs publics depuis vingt-cinq ans.

Cette concurrence, au demeurant, se trouve encore accrue au niveau de la couverture complémentaire avec, d’une part les mutuelles parentales, tous les systèmes mutualistes et notamment les mutuelles de fonctionnaires qui essaient de garder le plus longtemps possible les enfants de leurs affiliés - jusqu’à vingt-six ou vingt-sept ans –d’autre part avec les organismes privés qui, de plus en plus, essaient d’être présents sur ce secteur, qui n’est pas, en soi, le plus intéressant pour des raisons économiques mais qui est, en revanche tout à fait stratégique puisqu’il scelle le premier contact d’un jeune adulte avec un système de sécurité ou de protection sociale.

Ce problème souligné par les différents rapports constitue donc, selon moi, une évidence et il est le fait d’un contexte de concurrence organisé maintenant depuis vingt-cinq ans.

Il est un autre fait essentiel : le désengagement massif de l’Etat au cours des trente dernières années. Même s’il y a eu, à tel ou tel moment, telle politique plus volontariste que telle autre, il n’en reste pas moins vrai qu’on n’est plus du tout dans une situation comparable à celle qui a prévalu à l’âge, peut-être d’ailleurs idyllique du mouvement étudiant, celui d’avant 1970. Il y avait alors – je sais qu’un certain nombre de collègues s’en souviennent – une politique sociale bien organisée, une aide directe mais également indirecte relativement bien structurée, notamment autour des CROUS qui prenaient en charge les étudiants, leur logement, leur restauration, leurs loisirs.

Des structures associatives existaient aussi à cette époque, qui étaient mises en place par les mutuelles étudiantes ou, en tout cas, par la mutualité étudiante avant 1970, c’est-à-dire par la MNEF qui, à ce moment-là gérait des logements étudiants, et qui avait lancé différentes structures dont la structure dite " uniclub " qui était un concept précurseur de l’office du tourisme et des voyages universitaires.

C’est sous la poussée démographique et du fait de l’attitude distanciée qu’adoptait la société à l’égard de ses jeunes que l’ensemble des éléments directs ou indirects de l’action sociale, depuis les années 70, a largement décru en pourcentage, en moyens, en volontarisme, en actions et, d’une façon générale en préoccupations et qu’il y a eu un désengagement massif de l’Etat.

C’est dans ce contexte qu’il convient, à mon sens, de juger, y compris pour réagir, la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Il reste encore un paramètre qui me semble relativement ignoré et sur lequel je ne crois pas illégitime de réfléchir : le fait que la mutualité étudiante, d’une façon générale, a un autre rôle que celui de simple caisse primaire ou d’organisatrice de prévoyance complémentaire.

Indiscutablement, son rôle est plus large avec, évidemment, une dimension pédagogique d’appréhension des phénomènes de protection sociale pour les jeunes.

Je ne suis pas certain, je vous le dis franchement, que le jour où nous nous retrouverons dans une situation où la sécurité sociale étudiante sera gérée par d’autres structures que les mouvements étudiants quels qu’ils soient, les choses ne seront pas d’une autre nature à l’université, y compris au niveau des relations avec les organismes de protection sociale.

De surcroît, c’est une école d’insertion sociale, citoyenne, politique du mouvement étudiant et, historiquement, il suffit de voir les conseils d’administration de l’UNEF et de la MNEF dans les années 40-50-60-70 pour prendre conscience que, quelles que soient les sensibilités politiques, il y a eu indéniablement une école de prises de responsabilités au sein de ces structures.

Le débat qui se déroule, à l’heure actuelle, semble ignorer le fait que ces structures mutualistes étudiantes sont, depuis des années, des interlocuteurs, à mon avis, très importants pour les pouvoirs publics concernant l’ensemble des questions touchant, certes au statut de l’étudiant, mais aussi à tout ce qui se rapporte aux réformes universitaires.

De ce que j’en ai vu, je ne connais pas de gouvernement depuis vingt ans qui n’ait eu des discussions approfondies avec les responsables étudiants ou administratifs des mutuelles étudiantes lorsqu’il s’agit d’aborder une quelconque réforme de l’université. Il n’est pas besoin de vous rappeler ici le caractère extrêmement sensible, pour notre société, de la vie universitaire et de la vie étudiante : ce sont des dimensions qui existent et qu’en tant que responsable politique, j’estime important de le rappeler.

Voilà, au terme de cette présentation générale ce qui me semble être particulièrement important concernant l’objet de la commission d’enquête. J’imagine que, je n’ai pas répondu à l’ensemble de vos questions ou que je me suis exprimé de façon un peu trop elliptique et je vais donc m’efforcer de répondre à toutes vos interrogations.

M. le Président : Je vous remercie de cet exposé liminaire très complet. Je vais être amené à vous poser, bien évidemment, un certain nombre de questions sur la MNEF qui a été à l’origine de la création de cette commission et sur le régime étudiant de sécurité sociale.

En ce qui concerne la MNEF, il y a eu mise en cause, tant par les rapports qui nous ont été communiqués, que par la presse, de méthodes de gestion, de pratiques et de prises de participation, semble-t-il incontrôlées, qui ont abouti à ce que nous pourrions appeler une sorte de nébuleuse opaque de la MNEF.

Quel est votre sentiment et quel a été, au moment où vous étiez directeur médical de la MNEF, votre appréhension de ces problèmes ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Premièrement, je n’ai, quant à moi, exercé aucune responsabilité de gestion dans l’un des domaines que vous évoquez, les seules responsabilités de gestion qui m’incombaient dans les années 80 concernaient les dispensaires ; par la suite je n’ai plus eu que des activités de nature fonctionnelle, de conseil, que j’ai exercées à temps partiel.

Deuxièmement, concernant la filialisation, je crois qu’il convient de distinguer parmi les filiales, d’une part celles dont la création résulte apparemment de critères de gestion et, n’ayant personnellement pas eu à en juger ou à en débattre, je ne porterai aucune appréciation sur le sujet estimant d’ailleurs que je n’ai pas les éléments pour le faire, d’autre part celles dont la création relève de la stratégie de développement de la MNEF qui, à ma connaissance, fut aussi menée par l’ensemble des mutuelles étudiantes comme d’ailleurs par un certain nombre de mutuelles autres qu’étudiantes qui sont intervenues d’une façon ou d’une autre pour élargir la gamme des services rendus aux étudiants.

Cette politique résulte des points que j’ai évoqués, c’est-à-dire à la fois de la concurrence exacerbée et le désengagement de l’Etat.

A ma connaissance, un bon nombre de ces activités ont été poursuivies ouvertement, et je ne parle pas du contenu et des éléments de gestion à l’intérieur de ces structures qui prêtent sans doute et même sûrement à discussion, mais des orientations stratégiques.

Lorsque la MNEF s’occupe du logement étudiant, lorsqu’elle s’intéresse à la vie sur les campus, aux différentes installations en milieu étudiant ou à ce qu’on a appelé la Carte Jeunes, elle le fait au vu, au su, et parfois à la demande, des différents pouvoirs publics !

Par conséquent, on a assisté à la mise en œuvre d’un certain nombre d’actions économiques qui ont été engagées pour répondre à des besoins qui n’étaient pas assumés par l’Etat et dont les uns et les autres pensaient, notamment les pouvoirs publics et les responsables des mutuelles étudiantes, qu’ils ne devaient pas relever de la seule logique du marché mais faire l’objet d’une intervention mixte. Cela été le cas en matière de logement, d’aménagement de campus ou pour la Carte Jeunes. Autant de questions pour lesquelles, l’Etat n’intervenant pas, des structures dites " d’économie sociale " ou contrôlées par l’économie sociale ont vu le jour dans un cadre qui, à ma connaissance – mais ce point donne aussi matière à examen de votre part – était parfaitement légal.

Ceux d’entre nous qui ont eu à connaître du discours sur l’économie sociale, qui s’est développé pendant toutes les années 80, avec la création de cadres légaux et des unions d’économie sociale, savent que ces dispositifs ont été mis en œuvre, à tort ou à raison, c’est une autre question, pour favoriser les capacités d’intervention des structures d’économie sociale dans l’économie marchande.

Donc, face à l’explosion du nombre des étudiants, il fallait conduire une politique du logement étudiant et je constate que cette dernière lorsqu’elle n’est pas quelque peu organisée – et selon moi, peu et insuffisamment – par les structures étudiantes, l’est totalement par l’Etat qui se prononce en faveur du marché.

Vous êtes pour la plupart des élus de zones comprenant de grandes ou de petites universités et vous avez tous vu apparaître dans les programmes de promotion immobilière et fleurir dans les journaux les annonces de ces fameuses structures de logements étudiants, le tout solvabilisé par des mécanismes de défiscalisation et sur la base de l’ALS – problème majeur qu’heureusement vous n’avez pas à traiter – du type loi Méhaignerie ou autre... On a ainsi une intervention directe du privé, souvent avec des moyens publics, que ce soit par l’ALS ou la défiscalisation des différentes politiques immobilières mises en place.

Etait-ce utile ? Etait-ce légitime ou pas ? Cela mérite débat ! Je pense qu’il y a eu, sans doute exacerbé par la concurrence, un alignement général ou trop général sur une logique d’économie de marché. Je comprends que cela puisse choquer, à la fois parce que cela concerne les étudiants et parce que cette politique a été le fait de filiales, structures de nature différente qui mettent en relief, surtout si l’on assimile une mutuelle étudiante à une caisse primaire d’assurance maladie et à un organisme de sécurité sociale pure, une dérive tout à fait importante. Mais, encore une fois, il faut rapporter cette situation au contexte juridique, politique, financier et de concurrence dans laquelle elle s’est produite.

M. le Président : J’aurai une question complémentaire : la situation financière de la MNEF, aurait été, selon la Cour des comptes, très préoccupante jusqu’à 1996. Etiez-vous au courant de ces difficultés et en parlait-on au conseil d’administration ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Personnellement, je n’assistais pas au conseil d’administration ! Je rappellerai, en simplifiant, que la MNEF, l’UNEF et le mouvement étudiant ont vécu en symbiose totale, de 1945 à 1968, y compris – je le dis pour ceux d’entre vous qui connaissent l’histoire du mouvement étudiant – avec les événements qui se sont déroulés entre 1958 et 1968 à l’intérieur de l’UNEF et qui correspondaient à une évolution. Notre collègue Péricard connaissait à fond le sujet mais il y avait de nombreuses personnes, dont je ne citerai pas les noms ici, qui étaient membres du conseil d’administration et qui ont aussi bien suivi cette histoire du côté de la MNEF et de l’UNEF...

A la fin des années 60, le mouvement étudiant évoluant vers la " groupuscularisation ", la radicalisation, le cadre syndical explosant, la MNEF s’est trouvée elle-même totalement emportée par cette dérive groupusculaire, minoritaire. Elle a assez rapidement creusé un déficit de gestion qui, pour l’époque et compte tenu de la structure, était relativement important.

Que s’est-il passé ? Pour des raisons à la fois politiques – je ne porte pas de jugement – et de gestion, les pouvoirs publics ont créé une mutualité concurrente pensant ainsi contraindre la MNEF au redressement et, d’un certain point de vue, à une normalisation de la situation.

C’est effectivement ce qui s’est produit à ceci près que cela a mis quinze ans ou vingt ans pour se faire. J’ai connu la MNEF, en tant que responsable, puisque j’en étais vice-président sanitaire et social, dans les années 78-79, à une période où, chaque année, au mois de juillet, il n’y avait plus un sou en caisse au point qu’il fallait discuter avec le président de la CNAM, le Secrétaire d’Etat chargé des problèmes de sécurité sociale, éventuellement le Ministre de l’Education nationale pour qu’un chèque arrive et permette de payer les salaires des trois mois suivants.

Tout cela a fait que la MNEF a accumulé, durant les années 70 jusqu’au milieu des années 80 un passif, qui, à ma connaissance, n’a effectivement été résorbé que beaucoup plus tard!

Quand j’étais responsable des centres de santé de la MNEF, il y avait, tous les trois ans environ, des contrôles de l’IGAS qui nous expliquaient qu’il fallait absolument fermer les centres de santé qui étaient déficitaires. Je veux dire par là que l’action de l’Etat, directe ou indirecte, consistait à pousser la MNEF à procéder à une normalisation, à faire en sorte que sa gestion soit plus rigoureuse et l’essentiel de ma fonction, à l’époque, consistait à éviter de fermer l’ensemble des centres de santé de la MNEF en essayant parfois d’améliorer leur gestion, mais aussi en tenant un discours politique, pour m’opposer aux fermetures. Le déficit était alors de 3 ou 4 millions de francs qui portaient sur les œuvres sociales, problème d’ailleurs que nous allons retrouver dans toutes les structures mutualistes.

Par conséquent, la MNEF a vécu avec un passif social, parce qu’il y avait une convention collective assez laxiste et parce que l’absence totale de gestion dans les années 70, qui est indéniable, avait creusé un trou relativement important dans la gestion du système. Elle l’a traîné pendant assez longtemps avec des pouvoirs publics qui recommandaient aux mutuelles de se normaliser, de remettre en cause un certain nombre d’acquis et de se montrer efficaces en prouvant qu’elles détenaient une part de marché.

Personnellement, j’ai vécu une époque qui a été extrêmement douloureuse quand, ainsi que je vous le disais, au début des années 80, on a fait sauter l’idée de la cotisation complémentaire unique ce qui a eu des effets dévastateurs.

Auparavant, il existait une sécurité sociale, puis une cotisation complémentaire unique. La concurrence a amené d’autres mutuelles à proposer une cotisation supérieure et une cotisation inférieure, moyennant quoi la donne s’est trouvée totalement bouleversée, les étudiants n’ayant pas une grande expérience et n’appréciant pas leurs besoins de santé. Les jeunes de vingt ans se répartissent en deux catégories : ceux qui ne sont jamais malades et qui, s’ils n’ont pas d’argent, vont faire tout de suite l’économie sur le poste de protection sociale, et ceux qui sont malades, en général atteints d’affections chroniques, et qui, effectivement, vont en toute connaissance de cause " acheter " de la protection sociale.

A partir de là, dès que la concurrence s’exerce, surtout sur la base de plusieurs niveaux de cotisation, l’équilibre du système se dégrade, les étudiants gros consommateurs de soins vont être les seuls à acheter de la cotisation sociale, ceux qui sont pauvres mais qui s’estiment non-malades ne vont pas en acheter, ce qui va venir alourdir le prix de la prévoyance complémentaire pour aboutir notamment, par un phénomène de cercle vicieux, à la démutualisation à laquelle je faisais allusion antérieurement.

Pour ce qui me concerne, j’ai donc connu cette rupture causée par l’abandon de la cotisation unique et la MNEF s’est alignée en proposant des cotisations multiples ce qui a constitué indiscutablement, une remise en cause du système car s’il n’y a plus la péréquation entre le plus malade et le moins malade, entre le plus riche et le moins riche, c’est toute la philosophie du système qui disparaît.

Pour autant, c’était cette logique inéluctable qui prévalait. Fallait-il accepter de la suivre ou non ? Quelle était la solution ?

A propos de la santé des étudiants, je voudrais insister sur un point qui est très important, voire, à mon avis, scandaleux : la consultation de neuropsychiatrie. Parmi les soins, il y a les petits soins, le dentaire, l’orthoptie, etc. – on connaît le problème puisqu’il renvoie au même débat que la CMU – et des soins extrêmement lourds et douloureux qui relèvent de la neuropsychiatrie.

La consultation psychiatrique est très chère. Elle n’est pas remboursée dans de nombreux cas et vous imaginez combien pouvait peser, sur une cotisation mutualiste dont j’ignore le montant actuel mais qui, à l’époque, était de l’ordre de 1 000 F ou 1 500 F, le remboursement de 100 F par semaine d’une telle consultation...

Toutes les mutuelles – je ne sais pas qui a commencé et peu importe – ont fini par ne plus rembourser ces soins et se sont tournées vers l’Etat et la sécurité sociale pour leur demander de les prendre en charge : la demande est restée lettre morte et aujourd’hui, la consultation psychiatrique n’est pas prise en charge ! Il y a bien les structures BAPU dont je parlais tout à l’heure mais elles représentent une goutte d’eau dans la mer par rapport aux demandes de santé mentale en milieu étudiant.

C’est là un point qui vous montre que nous sommes rentrés dans un système qui est, à mon sens, critiquable, mais qui était inévitable même s’il vraisemblable que, moralement et politiquement, les responsables étudiants n’auraient pas dû l’accepter.

M. le Président : A propos de cette consultation neuropsychiatrique, beaucoup d’intervenants ont souligné l’augmentation du stress des étudiants, de la peur de l’avenir et des difficultés qui s’illustrent dans le cadre d’une éventuelle prise en charge psychiatrique.

Durant la période où vous avez été directeur médical, avez-vous senti cette montée en puissance de l’angoisse étudiante ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Absolument et parallèlement à cette montée en puissance, on notait un désintérêt massif de tous les pouvoirs publics pour les problèmes de santé des jeunes et notamment des étudiants qui étaient regardés comme étant des privilégiés.

On voyait encore les étudiants des années 70 et 80 comme ils étaient dans les années 60 alors qu’en réalité, il y avait précarisation, massification et qu’effectivement le chômage des jeunes, l’angoisse de l’hypercompétition universitaire notamment, engendrait le stress. En outre, on assistait à une évolution dans l’analyse des causes de morbidité : on sait maintenant que les facteurs comportementaux figurent parmi les causes majeures d’aggravation de la santé, mais on reste incapable de les traiter même si on distribue quelques brochures et si on organise des opérations telles que les Messagers de la santé. Sans même parler de la toxicomanie dans sa partie la plus médiatique, il faudrait aussi mentionner, par ailleurs, tous les autres problèmes liés à la consommation pharmaceutique, au sommeil, à l’hygiène, à la nutrition, aux excitants, au tabac, etc.

Tous ces comportements sont largement aggravés et massifiés chez les jeunes mais il a fallu le premier rapport du Haut conseil de santé publique pour que l’on commence à dire que la santé des jeunes était une des priorités de santé publique.

Ce premier travail scientifique réalisé par des experts est sorti en 1994, et il ne s’agissait que du niveau théorique du rapport, c’est-à-dire de la prise de conscience intellectuelle. Dans la réalité des politiques de santé et, a fortiori, dans celle des politiques de protection sociale, ces données ne sont absolument pas prises en compte : vous connaissez, comme moi, la faiblesse de l’intervention sanitaire sur l’ensemble des campus, que ce soit celle de la médecine préventive universitaire ou des autres structures... C’est une préoccupation qui a été insuffisamment prise en charge par l’ensemble des mutuelles étudiantes – c’est la vérité – mais dans un contexte où, il faut bien le dire, elle n’intéressait pas grand monde !

M. Bruno BOURG-BROC : Mes questions seront très brèves pour permettre à M. Le Guen de prendre son temps pour répondre.

C’est parce qu’ils étaient inquiets de ce qui s’était passé ou de ce qui se passe à la MNEF que plusieurs de nos collègues ont demandé la création d’une commission d’enquête et que la majorité de l’Assemblée a souhaité élargir le débat à l’ensemble du système de sécurité sociale étudiante. C’est à ce niveau-là que vous venez de placer le débat et, à cet égard, votre conception était intéressante mais je voudrais la compléter par quatre questions.

Pensez-vous que le système de remises de gestion qui existait était un système équitable avant 1992, voire après ?

Dans votre exposé, vous avez tenu des propos très durs sur la concurrence : y voyez-vous des aspects positifs ? Peut-elle présenter un intérêt et dans quelles limites ?

On vous a prêté, à propos de la MNEF, l’expression " pouponnière du parti socialiste " : pourriez-vous nous fournir des explications sur ce que vous avez voulu dire par là ?

Enfin, quels sont ou quels étaient, à votre connaissance, les rapports entre la MNEF et Taiwan ? 

M. Jean-Marie LE GUEN : Quand vous parlez d’un système de gestion équitable, vous faites allusion à la sécurité sociale étudiante par rapport à la CNAM ou entre les structures de sécurité sociale étudiante ?

M. Bruno BOURG-BROC : Les deux, si vous le voulez bien !

M. Jean-Marie LE GUEN : Je crois que le système est relativement pervers puisqu’on dit " voilà, vous avez tant d’argent pour gérer en fonction du nombre d’affiliés ". Dans la mesure où vous renouvelez chaque année votre nombre d’affiliés, si cela ne pousse pas à l’intensification de la communication, je ne sais plus de quoi on parle...

Maintenant existe-t-il une autre formule ? Je l’ignore ! Il y a toujours eu, entre les mutuelles, des débats sur ce sujet dont je ne suis pas spécialiste. Il est clair qu’à un moment donné, certains se sentaient particulièrement défavorisés, à un autre moment d’autres mais globalement, à vue de nez, j’aurais tendance à dire, que cela s’est fait raisonnablement, il y a peut-être eu des négociateurs plus habiles que d’autres mais cela fait partie du jeu. Honnêtement, je ne me sens pas capable de juger.

Vous semblez trouver par votre question sur la concurrence une contradiction dans mon discours. Je crois que l’existence de la concurrence est légitime au plan du pluralisme. Je considère que le milieu étudiant ayant, de temps en temps, peut-être tendance à être légèrement – quelle que soit la minorité agissante – dominateur et peu partageux au plan idéologique, il est assez légitime que les pouvoirs publics organisent le pluralisme.

En même temps, cette concurrence, telle qu’elle se présente aujourd’hui, est un peu folle et on ne peut pas ne pas être d’accord avec la Cour des comptes quand elle s’étonne que l’on paye 100 F d’un côté, 100 F de l’autre pour que chacun dépense des trésors d’imagination en termes de commercialisation d’un produit qui est un produit public et unique. Il est vrai que c’est un peu aberrant : il faut tout de même le reconnaître !

J’ai bien précisé que je trouvais que les rapports de l’IGAS et de la Cour des comptes oubliaient le rôle joué, dans leur diversité et dans leur pluralisme, par les différentes mutuelles, s’agissant de l’apprentissage de la vie de citoyen et de la connaissance du système de sécurité sociale.

Je n’ai donc pas de réponse technique à vous fournir mais je pense qu’il faut organiser le pluralisme, l’encadrer pour faire accepter la concurrence comme cela s’est fait jusqu’à présent, le pluralisme étant considéré comme un moindre mal...

Je pense avoir ainsi répondu à vos deux premières questions.

Je suis heureux que vous m’ayez interrogé sur " la pouponnière "...

M. Bruno BOURG-BROC : C’est bien pourquoi je l’ai fait !

M. Jean-Marie LE GUEN : ... parce que j’ai la faiblesse de penser que mon expérience peut servir à d’autres.

Je tiens à dire très solennellement ici, comme je l’ai dit à beaucoup d’entre vous que, non seulement je n’ai évidemment jamais donné d’interview, ni tenu les propos qui ont été rapportés, mais que j’ai même dit le contraire !

Nous, responsables politiques, – j’ai la faiblesse de penser que je ne suis pas le seul à pouvoir me retrouver dans ce genre de situation – sommes parfois confrontés à une catégorie de journalistes qui n’ont plus aucun scrupule, ni même la moindre conscience de ce qu’ils font et de ce qu’ils ne font pas.

Lorsque j’ai eu ce journaliste au téléphone, il était hors de question que je lui accorde une interview. Vous me répondrez que j’ai pu parler " off ". Cela peut arriver et j’aurais pu le faire, quitte à le regretter par la suite, mais cela n’a pas été le cas !

Il m’a interrogé en ces termes : " La MNEF, c’est en quelque sorte la pouponnière du parti socialiste ? " – ce n’est d’ailleurs pas un mot que j’aurais employé – et je lui ai alors répondu : " vous pouvez le dire pour moi… " puisque j’ai été salarié de la MNEF relativement jeune avant d’être député en 1988, et qu’ayant ensuite été battu j’y suis retourné, mais si j’avais été aux PTT ou à EDF c’eût été exactement la même chose et j’ai poursuivi : " ...mais vous ne pouvez pas le dire pour le parti socialiste, car ce n’est pas la réalité ".

Or, le lendemain, on pouvait lire strictement l’inverse dans l’édition du Parisien qui, au passage, était sortie un samedi matin. J’appelle la rédaction – si je vous raconte le détail de l’affaire c’est que je l’ai vécue extraordinairement mal car c’est une sorte de violence qui s’exerce sur vos propos – où je ne trouve personne puisque les bureaux sont fermés le samedi. De son côté, Le Monde avait bouclé son édition à dix heures trente, sans me joindre mais en reprenant mes propos en dernière page, Le Parisien étant sorti à neuf heures, de même que France-info qui les diffusait en boucle...

J’appelle l’AFP à midi pour rédiger un communiqué de démenti mais on me répond que l’agence ne peut pas démentir des propos qu’elle n’a pas, elle-même, rapportés. Mon communiqué est passé à seize heures.

Le dimanche, j’ai joint directement un responsable de la rédaction du Parisien à qui j’ai fait valoir que son journal m’avait mis dans une situation effroyable et à qui je dis : " Je ne souhaite pas aller plus loin dans la polémique qui oppose la politique à la presse, je vous demande simplement de bien vouloir dire, premièrement, que je n’ai pas donné d’interview, deuxièmement que je démens certains points ", ce qui laissait une porte ouverte. On me fait savoir que le correctif serait apporté et, de bonne foi, je ne m’inquiète pas alors des modalités exactes du droit de réponse.

Le lendemain, lundi, un article sort où l’on peut lire : " Le Guen n’assume pas... " Voilà quel a été mon droit de réponse ! Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ?

A partir de là, la polémique politique était légitime. Simplement si vous voulez bien noter que je démens formellement devant votre commission les propos que l’on m’a prêtés, j’en serai heureux.

Sur Taiwan, je dirai que me suis intéressé aux problèmes des relations avec ce pays, dans les années 88-89. Je suis député d’une circonscription où vit une communauté chinoise très importante – mais ne croyez pas que Taiwan ait une influence considérable dans la communauté chinoise française – et il se trouve que je m’y suis intéressé et que j’ai été sensible à sa situation.

Nous étions et nous restons dans un contexte délicat quant à nos relations diplomatiques entre Paris, Pékin et Taiwan. Sans rentrer dans le détail, puisque ce n’est pas l’objet direct de la commission d’enquête, je dirai simplement qu’avec un certain nombre d’amis, de sensibilités tout à fait différentes, nous pensions qu’il était utile de revigorer les liens avec ce pays qui évolue vers une démocratie – je crois qu’un certain nombre d’entre vous savent ce qui s’y passe – et qui, à mon avis, présente des caractéristiques politiques et économiques utiles et intéressantes.

A ce moment-là, on nous a demandé de mettre en œuvre une association d’amitié France-Taiwan pour tenter de stimuler un peu les relations, notamment culturelles, et il s’est trouvé que, pour établir les statuts et avoir un lieu administratif, il a été décidé – je n’ai pas eu le temps de m’en occuper – de retenir un local de la MNEF puisque c’était un de ses membres qui s’était chargé d’établir le statut – plus exactement, je lui avais demandé d’étudier la chose – mais nous étions des personnalités très diverses puisqu’à l’époque, il y avait MM. Pierre Bergé, François Missoffe, Jacques Cresson, à nous intéresser à ce sujet

Le seul rattachement de la MNEF à cette association a donc été une domiciliation administrative qui n’a jamais correspondu à rien d’autre, avec l’idée – je crois que M. Bourg-Broc mesure tout l’intérêt que cela pourrait présenter – de développer aussi des échanges culturels et scientifiques. L’aspect universitaire était donc une dimension potentiellement intéressante.

M. le Rapporteur : Dans le rapport de la Cour des comptes, il est fait état d’un certain nombre de cumuls de fonctions et de rémunérations d’administrateurs de la mutuelle. Il est également fait état de particularités du contrat de travail de l’ancien directeur général, de frais de déplacement et de subventions à diverses associations ainsi que d’un mauvais fonctionnement de la mise en concurrence de certains fournisseurs, puisqu’il y avait filialisation et que cela a coûté, semble-t-il, plus cher à la mutuelle d’en passer par là que par une concurrence réelle : j’aimerais recueillir votre sentiment sur ces différents points et connaître ce que vous en saviez.

M. Jean-Marie LE GUEN : Pour un temps partiel, un travail à deux tiers de temps, ma rémunération, après douze ans de présence salariale dans l’entreprise, s’élevait 18 000 F nets par mois et je ne cumulais pas d’autres salaires dans cette structure.

Je ne connaissais pas et je ne connais d’ailleurs toujours pas, hormis ce que je peux en lire dans les journaux, les salaires des autres responsables, ni le train de vie qui était le leur.

Par conséquent, rapportant les choses à moi-même, étant donné mon salaire qui n’était pas exagéré pour mon niveau de qualification de deux choses l’une : soit j’étais au courant et j’étais un très mauvais négociateur sur mes propres indemnités, soit, compte tenu d’une telle différence, je n’étais vraisemblablement pas au courant et effectivement je ne l’étais pas
– comme je ne le suis pas aujourd’hui. Je ne connais pas exactement les éléments qui sont reprochés. Le rapport que j’ai pu voir, essentiellement à travers la presse, était celui qui portait sur le régime étudiant de sécurité sociale.

Pour le reste, je crois quand même – mais vous me direz que c’est le lot commun – qu’il faut étudier les faits d’assez près parce que je vois bien, dans la presse par exemple, que certaines choses sont avancées qui sont notoirement fausses ou qui résultent d’amalgames tout à fait exagérés.

Pour ce qui est des rémunérations, je peux vous parler de la mienne, mais pour les autres, je n’avais, ni à en décider, ni à en connaître...

M. André ANGOT : Dans votre propos liminaire, vous avez souligné l’importance des mutuelles qui impliquent les étudiants dans la gestion de leur santé et de leurs problèmes sociaux. Or, nous avons reçu la présidente de l’UNEF qui a reconnu et déploré que, dans les années 90-95, la représentation étudiante au conseil d’administration n’avait plus aucune prise sur les décisions et la gestion de la MNEF, qui vivait pratiquement en circuit fermé autour de son directeur général.

M. Jean-Marie LE GUEN : Je n’étais pas au conseil d’administration. Je crois néanmoins savoir que, dans l’histoire politique de la MNEF, l’UNEF-SE n’a effectivement pas toujours été très intégrée.

M. le Président : C’est ce que nous avons cru comprendre hier...

M. Jean-Marie LE GUEN : De son propre point de vue, elle ne peut pas avoir tort. Maintenant est-ce qu’elle représente elle-même l’ensemble de l’UNEF ou l’ensemble du milieu étudiant ? L’affirmer me paraît encore exagéré...

Ce qui est très important pour l’avenir c’est la réunification des deux UNEF qui est en train de s’annoncer : c’est un événement et une étape importante, en tout cas pour la gauche du mouvement étudiant.

Je crois quand même qu’il y a peu de structures mutualistes, quoi qu’on en dise ou qu’on en pense, qui aient été aussi proches des préoccupations, je ne dirai pas de l’ensemble des étudiants, mais d’une bonne partie des étudiants. En tout cas, il y a eu moins de distance entre la MNEF et une grande partie des représentants politiques et syndicaux du milieu étudiant qu’entre telle ou telle autre mutuelle de fonctionnaires avec ses propres organisations syndicales !

A la limite, si j’ai bien compris d’ailleurs, l’un des problèmes reprochés à la MNEF est d’avoir eu des liens peut-être un peu trop proches avec certains syndicats étudiants. Bref, autant je nie pour ce que j’en ai eu à connaître l’existence de liens réels entre la MNEF et le parti socialiste, autant je reconnais la réalité de ceux qui unissent la MNEF et la gauche étudiante : cela est tout à fait clair ! C’est notoire et c’est même institutionellement organisé – nous en avons parlé tout à l’heure avec M. Bourg-Broc – à partir du moment où l’on met des mutuelles concurrentes sur une orbite qui est plutôt d’une certaine sensibilité politique. Je pense que c’est à la fois peu souhaitable mais difficilement évitable, sans poser à nouveau le problème du pluralisme.

Il faut savoir que, dans le milieu étudiant, la tendance spontanée au pluralisme n’est pas si évidente que cela, du moins à travers l’expérience que j’en ai.

M. le Rapporteur : Après votre exposé liminaire et les différentes questions de mes collègues, j’aimerais avoir votre sentiment sur ce qui, selon vous, pourrait constituer les réformes indispensables à réaliser dans le fonctionnement de la mutualité en général et de la mutualité étudiante en particulier, et qui porteraient sur un éventuel recentrage des activités autour de l’esprit qui a présidé à l’élaboration du texte sur la mutualité, car les termes qui datent de 1948 n’ont plus tout à fait la même signification aujourd’hui.

M. Jean-Marie LE GUEN : Je pense qu’il y a une interrogation à avoir sur le niveau de couverture sociale et sur l’action sanitaire et sociale.

Comme j’ai essayé de le démontrer dans mon propos liminaire, la logique doit aller vers une prise en charge beaucoup plus forte, par la collectivité nationale, des besoins de santé des étudiants ce qui ne signifie pas, pour être clair, qu’il faille complètement supprimer la part complémentaire. Je suis également défavorable à la suppression d’une certaine forme de gestion par les étudiants du régime de sécurité sociale étudiante. En revanche, il faut peut-être envisager un niveau de couverture plus important et très certainement la création d’un fonds d’action sanitaire et sociale qui, je vous le signale, n’existe pas alors que les caisses primaires et la caisse nationale en ont un.

Il y a là matière à réflexion et j’estime qu’on ne peut pas laisser, aujourd’hui, à la part complémentaire la satisfaction des besoins de santé quand on sait que plus on est jeune, plus il faut se soigner de façon préventive, quand on sait que les soins dentaires et autres doivent être effectués durant la jeunesse, qu’ils doivent donc être couverts ; or, c’est le contraire qui se passe aujourd’hui, surtout si on est pauvre.

Il y a, selon moi, s’agissant du niveau de couverture, d’une part, et des actions sanitaires et sociales, d’autre part, une réforme d’ampleur à mettre en œuvre, ce qui présuppose que des normes soient adoptées et que la chaîne des procédures d’affiliation qui est infernale et coûteuse – mais je ne veux pas rentrer dans les détails, d’autant que je ne suis pas spécialiste en la matière – soit repensée par rapport à l’affiliation et à l’information des étudiants.

Enfin, je pense qu’il faut sans doute mettre sur pied une intervention plus directe de l’Etat et ou de la Caisse nationale au sein des conseils d’administration.

On peut imaginer des structures de ce type mais je reste pour le maintien de la gestion par les étudiants d’un régime étudiant, même s’il n’est pas totalement aligné sur celui des salariés.

Ces éléments doivent, à mon avis, être pris en compte mais jusqu’à plus amples informations, je dirai qu’il y a peu de structures qui aient été aussi contrôlées que les régimes étudiants de sécurité sociale : si vous considérez l’ensemble des rapports de l’IGAS ou les déclarations annuelles, vous verrez que tout cela est quand même invraisemblable et je ne parle pas ici des éléments qui donnent lieu à enquête de la justice – qu’elle fasse son travail – mais du système général sur lequel, excusez-moi de le dire, mais ce sera peut-être ma conclusion, on découvre quoi ?

On découvre des faits qui étaient notoirement connus alors que, tout à coup, on vient expliquer, campagne de presse à l’appui, contexte politique à l’appui, que tout cela est extraordinairement bizarre et qu’il y a des dérives. Il peut y avoir des dérives, je ne le nie pas mais on en trouvera aussi ailleurs et pas seulement dans le régime étudiant de sécurité sociale ! Pour le reste, les faits sont notoirement connus et contrôlés par les structures.

Je suis plutôt favorable à ce que l’Etat soit présent au conseil d’administration ou à la Caisse nationale mais est-ce, en soi, une garantie ? C’est une autre question ! L’Etat est-il d’ailleurs tellement capable de bien gérer ses propres affaires ?

M. le Président : Nous terminerons sur cette réflexion, Monsieur le député, qui conduira peut-être à la constitution d’une commission beaucoup plus vaste que celle-ci...

Audition de M. Vincent BÉGUIN,
Président de la mutuelle générale des étudiants de l’Est (MGEL)

(procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M. Béguin est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Béguin prête serment.

M. Vincent BÉGUIN : Je souhaiterais, tout d’abord, vous présenter l’historique de la mutuelle générale des étudiants de l’Est pour bien situer le contexte et préciser par la suite notre sentiment concernant le régime étudiant en général ainsi que notre opinion sur le problème des remises de gestion.

La MGEL a été créée en 1948, après le vote de la loi instituant la sécurité sociale étudiante. La MGEL est à l’origine uniquement basée à Nancy, en situation de monopole dans cette région.

En 1970, les sociétés étudiantes mutualistes sont créées. La MGEL a alors l’occasion de s’implanter sur l’ensemble du territoire Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne où la MNEF s’implante également.

En 1987, date importante pour moi, je découvre la MGEL : celle-ci compte environ 20 000 affiliées en sécurité sociale. A partir de cette date, notre mutuelle a connu un fort développement jusqu’en 1996 avec 92 000 étudiants. Depuis, la situation a légèrement évolué.

Autrefois minoritaire, par rapport à la MNEF, la MGEL représente aujourd’hui 70 % des affiliés dans sa zone géographique. C’est une particularité de la MGEL car, au niveau national, l’ensemble des SMER, les mutuelles étudiantes régionales, sont à peu près à l’équilibre avec la MNEF.

Je compléterai ce rapide aperçu par l’historique du système des remises de gestion dont nous avons bénéficié. Les remises de gestion représentent les sommes que nous reverse la CNAM pour le traitement des dossiers des assurés sociaux que nous assurons pour son compte. Jusqu’en 1985, le principe d’égalité était respecté, chaque mutuelle touchant environ 90 % de la cotisation de chaque assuré social. A l’époque, cela représentait à peu près de 260 francs par affilié. En 1985, un décret a modifié le système d’affectation des remises par capitation et instauré un système de budget global, établi indépendamment du nombre d’affiliés.

Entre 1984 et 1988, le nombre d’étudiants a progressé de 19 %. Dans le même temps, le nombre des affiliés de la MNEF augmente de 1 %, avec des remises de gestion qui progressent de 26 %. Les sociétés étudiantes mutualistes régionales augmentent leurs effectifs de 55 % pour un montant de remise de gestion qui progresse en moyenne de 43 %. En 1988, la MNEF perçoit 338 francs par assuré social et la MGEL, 140 francs, puis 170 francs au cours des années suivantes, après rattrapage.

Entre 1988 et 1991, il n’y a globalement pas d’augmentation des remises de gestion. C’est le creux de la vague pour les mutuelles régionales dont les effectifs progressent. La MNEF entre 1988 et 1992 voit ses effectifs progresser de 31 % et la MGEL de 122 % ; les remises de gestion par assuré social étaient, en 1991, respectivement de 342 francs pour la MNEF et de 170 francs pour la MGEL.

Les chiffres globaux, pour l’ensemble des mutuelles régionales, montrent un effectif qui progresse de 60 % pour un montant moyen de remise de 217 francs en 1991. L’ensemble des mutuelles régionales, notamment celles qui progressaient de manière importante, ont alors connu de graves problèmes liés à cette inégalité. Nous-mêmes avons connu un déficit d’exploitation dans ces années-là : – 3,8 millions en 1990-1991 jusqu’à
– 5,3 millions de francs en 1993-1994, avant que le principe d’égalité ne soit établi.

Pendant cette période, nous n’avons jamais dégradé la qualité de nos prestations, mais nous avons dû faire appel, bien entendu, à de nombreux contrats aidés pour permettre d’assurer ce service. Le 31 mars 1992, un arrêté fixe un autre mode de répartition des remises de gestion, mais ne pose toujours pas le principe d’égalité. A l’époque, la MNEF perçoit 335 F et la MGEL 235 F.

Différentes mesures balai permettent un rattrapage pour les années 1988 à 1991. En 1994, la loi du 18 janvier et un accord signé entre la CNAM, la MNEF et les sociétés mutualistes étudiantes régionales instaure enfin le principe d’égalité. Aujourd’hui, le montant est d’environ 320 Fpar assuré social pour toutes les mutuelles.

Après cette petite présentation, je vous donnerai notre sentiment concernant les remises de gestion. Pour nous, le principe d’égalité doit être respecté de manière stricte entre les mutuelles. Nous pensons qu’une mutuelle étudiante qui assure un service donné, quelle que soit sa zone géographique, a les mêmes contraintes d’organisation. Elle peut avoir des coûts de gestion différent qui dépendent de son organisation et de ses performances, mais doit être rétribuée de la même façon pour un service identique.

En revanche, nous sommes partisans de la fixation d’un montant négocié entre les partenaires, caisse d’assurance maladie, MNEF, mutuelles étudiantes régionales, et calculé sur la base de données telles que le coût des assurés sociaux dans les caisses primaires. Ce montant doit être, à notre avis, réaliste et assujetti à des objectifs de productivité et de qualité. En tant que société privée, nous sommes tout à fait conscients qu’au vu de l’augmentation générale des dépenses de sécurité sociale, il est logique de demander aux mutuelles régionales de faire des efforts de productivité. C’est un fait que nous nous contestons pas.

A cet égard, je reviendrai sur le montant fixé en 1994, qui nous a beaucoup été reproché. Je tiens à préciser que nous n’avons jamais insisté pour obtenir un tel montant. En revanche, nous avons toujours souhaité que le principe d’égalité entre les mutuelles étudiantes soit respecté et que le montant accordé de remise de gestion soit réaliste.

En fonction d’un montant qui serait fixé par accord négocié entre les différents partenaires, nous pensons que chaque mutuelle doit faire preuve, avec les montants alloués, d’ingéniosité pour offrir aux étudiants le meilleur service, en fonction bien entendu d’un cahier des charges établi par le ministère de tutelle, et fixant des objectifs de qualité et de productivité.

Une autre de nos exigences serait que le système, quelle que soit la manière dont il est instauré, soit durable pour nous permettre de faire des prévisions budgétaires sur cinq ans, sans qu’il y ait en permanence des remises en cause.

Une autre idée consiste à se servir de la comptabilité analytique mise en place dans les mutuelles pour calculer le montant de ces remises de gestion. Pour nous, la comptabilité analytique doit rester un outil de gestion interne et ne doit pas servir à ce calcul. Cela, à notre avis, risquerait de donner une prime à la mauvaise gestion. Une mutuelle qui gérerait mal ses assurés sociaux, avec des coûts de gestion et de production élevés, toucherait des remises de gestion élevées. Cela ne nous semble pas de bonne méthode.

Je terminerai enfin mon exposé par la politique, au sens noble du terme, conduite par notre mutuelle.

Nous considérons que le rôle d’une mutuelle étudiante va bien au-delà de sa simple mission de caisse de sécurité sociale qui, bien entendu, reste importante. La mutuelle, à notre avis, a une mission plus générale, qui est de faciliter l’intégration de l’étudiant dans la société.

Différents rapports, en particulier celui du CREDES, ont attiré l’attention des pouvoirs publics sur le mauvais état de santé des étudiants. Cela est dû à ce qu’ils vivent dans un univers instable, qu’ils sont victimes du stress causé par l’inquiétude à propos de leur vie professionnelle future et qu’ils ont également des revenus irréguliers.

Cet état de santé nous préoccupe. C’est pour cela que nous pensons que le devoir des mutuelles, en plus d’assurer le traitement de l’assurance maladie, qui est l’aspect curatif du problème, est de développer tous les services qui peuvent, d’une manière ou d’une autre, aider l’étudiant à mieux vivre dans la société. Cela passe, bien entendu, par la prévention contre les maladies, où nous assurons notre rôle dès que cela est possible, en menant toute action utile – par exemple, la prévention contre le SIDA, l’alcoolémie, etc. –, mais cela passe également par tout ce qui peut permettre l’intégration dans la vie associative. C’est pourquoi nous développons les partenariats avec des associations. Nous améliorons les conditions de vie des étudiants, nous participons à la rédaction du guide des étudiants en relation avec les organismes parapublics. Nous avons également créé des services " jobs et stages ", des services de logement ; nous avons négocié des partenariats pour obtenir des réductions chez les commerçants ou dans les transports en communs. Nous avons ainsi été les premiers à obtenir des tarifs dans les bus à Nancy, où il n’existait aucun tarif pour les étudiants.

Pour nous, ces deux aspects, prestations d’assurance maladie et développement des services, sont indissociables. Nous estimons qu’il nous faut nous préoccuper à la fois de l’aspect médical et curatif, mais aussi de l’étudiant avant qu’il ne soit malade. A notre sens, le fait qu’une mutuelle régionale subventionne une association sportive contribue à améliorer les conditions de vie, et à faire reculer les maladies.

En conclusion, au vu des résultats obtenus par notre mutuelle depuis une dizaine d’années, il semble que notre politique concernant les services apportés aux étudiants réponde bien à leurs attentes. Cela est d’autant plus vrai qu’il n’y a pas de renouvellement par tacite reconduction. Chaque année lors de l’inscription, il suffit à l’étudiant qui n’est pas satisfait de cocher une case pour changer de mutuelle. La sanction serait donc immédiate si nous ne remplissions pas notre mission.

M. le Président : Nous vous remercions de cet exposé introductif très complet.

Vous êtes le président de la MGEL. Etes-vous élu ou nommé ? Quel est votre statut par rapport à celui d’un directeur général ?

M. Vincent BÉGUIN : Les statuts de notre mutuelle sont en accord avec le Code de la mutualité. En ce qui concerne l’organisation au sein de la MGEL, nous avons une assemblée générale élue, constituée de délégués élus parmi les adhérents. L’assemblée générale élit à son tour le conseil d’administration, qui lui-même élit son président.

M. le Président : Faut-il être étudiant pour être président ?

M. Vincent BÉGUIN : Traditionnellement, oui.

M. le Président : J’ai là votre curriculum vitae. Je ne pense pas que vous soyez encore étudiant à 33 ans. C’est le sens de ma question.

M. Vincent BÉGUIN : Non, je ne le suis plus. C’est la conjoncture qui a voulu cela. Ce n’est effectivement pas l’usage, il est plutôt de tradition que les présidents soient étudiants, ce qui n’est plus vrai, dans mon cas, depuis quelques années.

M. le Président : Il n’y a pas d’obligation statutaire ?

M. Vincent BÉGUIN : Ce n’est pas une obligation dans nos statuts.

M. le Président : Êtes-vous rémunéré par la mutuelle ?

M. Vincent BÉGUIN : Aucunement, je suis totalement bénévole. Je ne touche aucune rémunération et aucun membre du conseil d’administration de la MGEL ne touche de rémunération alors que nos statuts prévoient cette possibilité dans le cas de membres qui seraient salariés, pour compenser une perte qu’ils pourraient subir par ailleurs, mais nous n’avons jamais voulu appliquer cette règle parce que nous considérons que c’est la porte ouverte à des abus.

M. le Président : Mais vos frais sont remboursés ?

M. Vincent BÉGUIN : Les frais de déplacement, bien sûr.

M. le Président : Je vous remercie de ces précisions. Votre activité mutualiste vous demande combien de temps ? Nous avons reçu un administrateur de la MNEF qui disait travailler 11 à 12 heures par jour. Est-ce votre rythme de travail ?

M. Vincent BÉGUIN : Je mentirais si je vous disais cela. Cela me prend en moyenne une à deux heures par jour, parfois, une partie de mes soirées ainsi que mes week-ends. Mais je pense que le fonctionnement de la mutuelle repose en grande partie sur le travail des services administratifs, du personnel d’encadrement et des employés, qui font très bien leur travail et fournissent régulièrement des comptes rendus d’activités, ce qui me permet de me tenir au courant de tous les dossiers.

M. le Président : En tant que président, exercez-vous un véritable contrôle de ce que font vos administratifs ?

M. Vincent BÉGUIN : Oui, bien sûr. Le personnel d’encadrement, que ce soient les chargés de développement de chaque ville, les responsables d’agence ou les gestionnaires me dressent régulièrement un compte rendu d’activité, tant en ce qui concerne l’état de la trésorerie, que les résultats, le nombre d’affiliés ou encore l’état des liquidations pour savoir s’il n’y a pas de retard dans le traitement des feuilles de soins dans certaines villes. Je suis tenu au courant régulièrement, ainsi que tous les administrateurs qui le souhaitent.

M. le Président : Hormis l’activité de remboursement des soins, il y a les activités annexes dont vous avez indiqué qu’elles étaient très importantes...

M. Vincent BÉGUIN : Tout à fait.

M. le Président : Vous avez une vision très large des activités mutualistes. Ces dernières sont-elles prises en charge directement par la mutuelle ou par des sociétés indépendantes ? Par exemple, comment faites-vous pour le logement social ?

M. Vincent BÉGUIN : La question est intéressante. En fait, les deux cas se rencontrent.

Nous avons toujours voulu conduire une politique de développement d’un certain nombre de services. Vous citiez le cas du logement. Nous sommes fiers d’avoir, par exemple, fait reculer dans l’Est de la France les vendeurs de listes d’adresses qui font payer très cher un service qui est nul, consistant simplement à fournir des adresses à l’étudiant qui ne reçoit aucun service en contrepartie. Nous offrons ce service gratuitement, que ce soit du côté des propriétaires ou des étudiants.

Tant qu’un service se développe pour répondre à un besoin et qu’il s’inscrit directement dans l’objet de notre mutuelle, sans dégager des marges bénéficiaires, qu’il reste un service au sens premier du terme, c’est la MGEL qui s’en charge directement.

Par contre, lorsque le service devient important et que, pour répondre correctement à la demande étudiante, nous avons besoin de le professionnaliser, nous créons une filiale. Cela a été le cas de MGEL-Logement. Il y existe donc le service logement qui est simplement un fichier d’adresses et MGEL-Logement qui est une union économique et sociale.

M. le Président : Qu’est-ce qu’une union économique et sociale ?

M. Vincent BÉGUIN : C’est une société dont le conseil d’administration est géré aux trois quarts par des partenaires sociaux, donc des membres des communautés publiques ou associatives.

M. le Président : L’une des questions que se pose la commission concernant ce logement social étudiant est de savoir s’il revient aux étudiants de gérer et de créer le logement social ou si cela doit être délégué à des organismes d’HLM. Qu’en pensez-vous ?

M. Vincent BÉGUIN : Les deux peuvent être complémentaires. Le logement social des HLM répond à un besoin évident de l’ensemble de la population des étudiants.

Pour leur part, lorsque les mutuelles étudiantes gèrent des organismes qui permettent d’avoir accès au logement, elles le font de manière très ciblée. Notre politique est de créer des logements dans le but de les proposer aux étudiants à des loyers très faibles de manière à favoriser plutôt les étudiants les plus défavorisés. Nous organisons nos résidences étudiantes avec l’idée d’offrir un service complet à l’étudiant : nous avons un employé qui gère la résidence et qui, en même temps, gère une salle de sport, une salle d’informatique, ou autre.

C’est donc un service que nous proposons dans des proportions qui n’ont rien à voir avec les offres que peuvent fournir les HLM. Nous ne pourrions prendre en charge le logement d’un nombre d’étudiants trop important. Donc, le CROUS ou les organismes d’HLM ont nécessairement aussi leur rôle à jouer.

M. le Président : D’un coté, vous parlez de l’augmentation des membres appartenant à des mutuelles – même si elle est faible, on constate une augmentation dans pratiquement toutes les mutuelles – et, de l’autre, vous soulignez la dégradation très forte de la santé des étudiants. N’avez-vous pas le sentiment d’un certain échec de votre action ?

M. Vincent BÉGUIN : Votre question amène deux réponses.

Nous avons constaté, en effet, une nette progression du nombre d’affiliés. Par contre, actuellement, nous assistons plutôt à une démutualisation. Le nombre d’étudiants adhérant aux mutuelles baisse. Nous pourrons y revenir.

Par contre, la dégradation de la santé des étudiants, qui serait l’échec de notre politique, est, à mon avis, difficilement imputable au seul fait des mutuelles. La société, en général, en est certainement responsable. Cette dégradation est liée au chômage qui se profile à l’horizon pour les étudiants à la fin de leurs études, aux maladies graves qui sont apparues, etc. Actuellement, elle se constate surtout avec l’augmentation des maladies psychologiques, psychiatriques ou neuro-psychiatriques. Nous assistons à de nombreux suicides. C’est cet aspect du problème qui est, à mon avis, un phénomène général de société.

M. le Président : Nous avons beaucoup entendu parler de ce phénomène qui préoccupe les commissaires, qui sont parents et qui ont été étudiants. Que préconisez-vous pour remédier à ce stress de plus en plus fort, à ces besoins psychiatriques, à l’absence de prise en charge du coût de la consultation, par exemple, car ce sont des consultations qui coûtent cher ?

M. Vincent BÉGUIN : Il n’existe malheureusement pas de recette miracle pour endiguer ce phénomène de manière drastique. En revanche, nous y participons tous les jours en améliorant la vie de l’étudiant, en lui offrant un service complet en un seul lieu, en lui facilitant les démarches administratives.

Nous offrons, par exemple, un service emploi qui permet d’organiser des débats sur l’emploi des étudiants, d’offrir des formations à des taux très avantageux sur les techniques de recrutement. Nous mettons à la disposition des étudiants – c’est peut-être moins vrai ces dernières années avec l’augmentation de l’informatisation à domicile – des ordinateurs pour que les étudiants puissent taper leur CV. Ce sont des exemples assez anecdotiques mais c’est ce que nous essayons de faire tous les jours. Même lorsque nous offrons des places de cinéma ou de concert à tarif réduit, c’est dans le but d’instaurer un mieux vivre pour les étudiants.

Toutes ces actions aident certainement l’étudiant mais, il est vrai, dans une mesure qui est difficilement chiffrable au vu de la dégradation de la société en général. C’est un phénomène plus profond et il est difficile de répondre en tant que mutuelle de manière radicale et visible à ce phénomène.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Vous êtes en train de réaliser une opération immobilière à Mulhouse dont le maire me disait combien il était satisfait de votre travail. Peut-être pourriez-vous nous parler de la situation de ces structures qui prennent en charge la construction de logements pour étudiants, leur situation financière notamment ?

Vous essayez de veiller à ce que les loyers soient les plus bas possibles, mais vous devez malgré tout rencontrer les mêmes problèmes que les logements HLM aujourd’hui. Vous avez dû emprunter à un taux du même ordre et l’évolution de ces loyers doit être sensiblement inférieure à l’évolution des charges de ces emprunts.

M. Vincent BÉGUIN : Il est utile de préciser que ne nous sommes jamais propriétaires des logements. Notre filiale logement travaille uniquement en sous-location, ce qui nous permet de diminuer nettement le risque financier.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Vous n’êtes pas propriétaires. Comment cela se traduit-il concrètement ?

M. Vincent BÉGUIN : Concrètement, dès la construction nous entrons en partenariat dans un projet avec un organisme HLM ou autre, à qui nous louons les logements pour un ensemble de résidences. Nous sommes donc locataires et nous sous-louons aux étudiants. Notre problème principal est celui du taux de remplissage de ces résidences qui, d’après les derniers chiffres que j’ai eus, est très satisfaisant.

M. le Président : Vous arrivez à vous en sortir ? Cela m’étonne.

M. Vincent BÉGUIN : Avec ce principe, nous arrivons à nous en tirer puisque nous touchons un léger bénéfice sur la sous-location qui permet largement de couvrir nos frais, mais nous n’avons pas d’investissement concernant ces résidences.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Vous avez retracé l’évolution des remises de gestion. Le montant fixé aujourd’hui vous paraît-il réaliste ? Prend-il véritablement en compte les dépenses qu’entraîne la gestion des assurés dont vous avez la responsabilité ? Vous permet-il de dégager des excédents que vous employez dans les diverses activités que vous développez ?

Nous avons entendu la semaine dernière un de nos collègues député, qui avait été responsable d’une mutuelle. Un de nos actuels collègues n’avait-il pas des responsabilités également au sein de votre structure ?

M. Vincent BÉGUIN : Tout à fait, puisque Jean-Luc Warsmann, actuellement député, a été directeur général de la mutuelle jusqu’en 1996.

M. André ANGOT : Il sera auditionné la semaine prochaine.

M. Vincent BÉGUIN : Pour répondre à votre question concernant les remises de gestion, nous pensons qu’actuellement, le taux qui a été fixé est satisfaisant. Je pense même qu’il serait possible de réaliser des gains de productivité et de baisser légèrement dans les années à venir le montant de ces remises de gestion.

Pour calculer ce montant, il faut savoir que par rapport aux caisses primaires qui font un travail classique de sécurité sociale, nous remplissons tout de même une mission spécifique. Nous sommes les seuls organismes de sécurité sociale à avoir un taux de renouvellement de l’ordre de 20 % par an. Cela veut dire que pour chaque étudiant qui s’inscrit, il faut ouvrir de nouveaux droits, ce qui est une opération longue et compliquée. Nous avons également un rôle pédagogique à remplir. Ainsi, la plupart des étudiants qui acquièrent leur majorité sociale remplissent une feuille de maladie pour la première fois et, souvent, il faut les aider à la remplir correctement. Notre rôle est donc un peu différent de ce que peuvent faire les autres centres de sécurité sociale.

Concernant le calcul du taux de ces remises, votre question sous-entend le problème de la comptabilité analytique. Il est possible de mettre en place une comptabilité analytique. Cependant, dans le cas du traitement des assurés sociaux, elle est assez difficile à réaliser parce que lorsque l’on traite une feuille de soins, on le fait pour la part sécurité sociale et pour la part mutuelle. Calculer précisément le temps passé par une décompteuse sur tel ou tel aspect, sachant que c’est la même personne qui fait le décompte, et que nous ne faisons aucune distinction entre l’affilié au régime de base non mutualiste et l’étudiant mutualiste, de manière à ne pas contrevenir aux règles d’égalité et faire le ratio entre les deux est donc très difficile.

Dans le cas où serait mise en place une comptabilité analytique basée sur des clefs de répartition, qui seraient de toute manière subjectives, celles-ci varieraient énormément d’une année à l’autre. Nous avons récemment connu un accroissement important du nombre des ayants droit majeurs autonomes (ADMA) en raison de la majorité sociale des étudiants à dix-huit ans, auquel il nous a fallu faire face brusquement d’une année sur l’autre. Nous n’avions absolument pas prévu cette augmentation très importante des affiliés. C’est le genre de problèmes qui font que nous avons du mal à faire la distinction entre les deux activités.

Depuis que les remises de gestion ont été réajustées, la MGEL obtient des résultats positifs. Au-delà des réserves obligatoires qui nous sont imposées, il est vrai que cela nous permet de développer tout un ensemble de services, mais ce développement se fait aussi bien sur le montant des remises de gestion que sur celui des cotisations, qui est encore plus élevé que celui des remises de gestion que nous percevons.

M. le Rapporteur : La concurrence entre les mutuelles étudiantes régionales ou nationales, a, semble-t-il, entraîné des augmentations très élevées des dépenses de communication pour toutes ces mutuelles. D’après les chiffres fournis par l’IGAS, ces dépenses d’information et de communication dans la gestion de votre mutuelle atteindraient 19 % des dépenses et correspondraient à 70 % de la marge mutualiste, en volume financier.

En clair, les inspecteurs de l’IGAS estiment que vos dépenses de communication et de promotion ne peuvent pas avoir été financées par la seule marge mutualiste et l’ont donc été par les remises de gestion. Car si cela avait été le cas, la marge mutualiste, c’est-à-dire le rapport entre la cotisation des adhérents et les prestations de couverture complémentaire, n’aurait été pratiquement consacrée qu’à cela.

Quel est votre commentaire sur ce point ?

M. Vincent BÉGUIN : Nous avons répondu au rapport de l’IGAS à ce sujet. Mais le budget global des produits de la MGEL s’établit aux alentours de 73 millions. Le budget global de communication est d’environ 7 millions.

Dans ce budget de communication, 19 % seulement, soit 1,3 million sont réellement des dépenses de communication, par exemple, telles que la campagne de rentrée universitaire pour essayer, il est vrai, d’attirer les étudiants vers nous plutôt que vers la concurrence. C’est le système de concurrence qui veut cela.

Les autres dépenses sont, comme je vous le disais tout à l’heure, ce qu’un article appelait une accumulation de dépenses modiques. On pourrait répondre qu’il vaut mieux des dépenses modiques qu’une accumulation de dépenses somptuaires. Elles sont, en fait, réalisées pour financer tous les services dont je vous ai parlé, les partenariats pour obtenir des réductions pour les étudiants ou encore les partenariats avec les associations. Nous ne donnons jamais directement d’argent aux associations, en général, notre participation se fait en nature – édition d’affiches, de tracts - de promotion de leurs activités. Il est donc vrai que nous faisons vivre le milieu associatif, avec ce budget de communication global. En outre, ce budget de communication comprend également tout ce qui est dépenses de fournitures administratives, comme les papiers à en-tête qui servent à toute la mutuelle.

Le rapport de l’IGAS conclut, parce que les coûts de gestion sont élevés par rapport à nos marges mutualistes, que nous utilisons les remises de gestion pour financer les dépenses de communication. Nous ne pensons pas que cela suffise pour déduire que nous utilisons les remises de gestion pour financer nos dépenses de communication.

M. le Président : A la suite du rapport de l’IGAS, avez-vous pris des mesures ?

M. Vincent BÉGUIN : A quel sujet ?

M. le Président : Par exemple, le rapport de l’IGAS estime que trop d’activités sont périphériques, que trop d’argent est dépensé en matière de communication. Globalement. Des mesures ont-elles été prises par votre mutuelle ?

M. Vincent BÉGUIN : Non. Nous avons répondu sur le fond à ce rapport. Dès lors que nous ne nous considérons pas en faute et que nous pensons être en accord avec nos statuts et l’objet de notre mutuelle, nous n’avons pas jugé utile de modifier notre manière de faire.

Nous agissons en transparence. Nous n’avons jamais cherché à dissimuler ces dépenses. Elles peuvent servir aussi bien à subventionner des associations publiques ou parapubliques, pour réaliser des opérations que celles-ci ne pourraient réussir à financer seules. Nous pensons que la remarque est exagérée, en tout cas, pour notre compte.

M. le Rapporteur : Le choix qui a été fait a été celui de ne pas accorder de subventions directes mais de prendre en charge les publications d’associations, étudiantes, sportives, de syndicats étudiants...

M. Vincent BÉGUIN : Non, pas celles des syndicats étudiants.

M. le Rapporteur : Le type d’aide directe, comme celle que la MNEF versait, par exemple, à l’UNEF-ID, ou indirecte, à des structures syndicales existe-t-il à la MGEL ?

M. Vincent BÉGUIN : Pas du tout. De plus, notre politique est de ne jamais subventionner directement des syndicats étudiants. Quand nous subventionnons des associations, notre politique de communication est ciblée. Nous préférons faire un travail de terrain important auprès des associations, en partenariat. Les sommes engagées sont toujours peu importantes. Nous considérons que faire des opérations de communication très lourdes au moment de la rentrée, comme des publicités qui passent dans les cinémas, constitue une dilution de la communication. Faire une publicité qui touche toute la population, alors que seule une partie de cette population, les étudiants, est visée, c’est de l’argent perdu. Nous préférons cibler davantage nos opérations et faire un travail de terrain. Nous n’avons jamais subventionné de syndicat pour la bonne et simple raison que notre objet n’est pas politique. Nous ne pourrions pas représenter 85 % des étudiants en Lorraine si nous avions une couleur politique affichée. C’est impensable.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais savoir si l’union économique et sociale à laquelle vous avez fait allusion gère directement la filiale qui s’occupe des voyages, et celle qui s’occupe du logement ou si l’UES a confié cette gestion à des sous-filiales, dont le statut ne serait plus un statut d’économie sociale mais, par exemple, un statut de SA ?

M. Vincent BÉGUIN : Non, il n’existe aucune sous-filiale à la MGEL.

M. le Rapporteur : Tout est au niveau des unions économiques ?

M. Vincent BÉGUIN : Il existe une union économique et sociale pour MGEL-Logement, pour MGEL-Voyage. En revanche, la société de courtage d’assurance est une SA, Vitale Assure. Mais il s’agit de filiales au premier niveau. Il n’existe pas de sous-filiale et toute la comptabilité de nos filiales est transparente. De plus, le conseil d’administration, aussi bien que l’assemblée générale, reçoivent des rapports d’activité et des rapports financiers réguliers de ces filiales à chaque réunion, de façon à ce qu’il y ait une totale transparence.

M. le Président : Donc, dans votre mutuelle, il n’existe aucune société anonyme ayant une activité propre dont vous n’avez pas le contrôle ?

M. Vincent BÉGUIN : Aucune.

M. le Rapporteur : Dans le rapport de l’IGAS, il est fait allusion à l’informatique, en particulier au développement des logiciels de liquidation. Il semblerait que pour faire le même acte de liquidation, il n’ait pas été possible que les mutuelles s’entendent entre elles et que chacune ait développé son propre produit, avec – dit le rapport, qui fait allusion à un logiciel qui aurait été développé – des prestations onéreuses versé à un ancien salarié, concepteur du système. Qu’en pensez-vous ? Ne conviendrait-il pas de faire en sorte que l’ensemble de la mutualité étudiante puisse fonctionner sur le même système pour effectuer une même opération qui est celle de la liquidation de prestations ?

M. Vincent BÉGUIN : Cette remarque de l’IGAS permettrait certes de diminuer les coûts de l’informatique. Toutefois, ce n’est pas simple pour plusieurs mutuelles de s’associer autour d’un même système informatique. Il y a des problèmes de confidentialité et de possession des fichiers qui sont difficiles à résoudre.

Il me paraît en revanche exagéré lorsqu’on estime important le coût de notre système informatique, de parler d’un " petit système ". Quand on a en charge 100 000 affiliés sociaux, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’un petit système informatique. Je pense que l’IGAS raisonne là en termes de sécurité sociale. L’ensemble des CPAM sont, en effet, uniformisées autour d’un même système, mais leur travail de liquidation est moins complexe parce qu’elles ont des activités très homogènes, alors que chaque mutuelle offre des garanties qui lui sont propres. Les systèmes sont donc différents.

A ce jour, les tentatives de rapprochement que nous avons faites avec certaines mutuelles en vue de travailler sur un même système n’ont pas abouti. C’est un aspect que nous ne perdons pas de vue et que nous essayons de mettre en place si c’est possible.

M. le Président : En ce qui concerne le secteurs d’activité de votre mutuelle, avez-vous vocation à vous installer partout, ou simplement dans un certain nombre de régions de l’Est de la France ?

M. Vincent BÉGUIN : Je ne sais pas si, statutairement, nous sommes tenus de respecter une zone géographique mais, dans les faits, nous nous en sommes toujours tenus aux régions Alsace, Lorraine, Champagne-Ardenne, et nous n’avons jamais cherché à nous développer au-delà. Nous avons toujours pensé qu’il était plus important de bien nous implanter dans notre zone, qui est déjà suffisamment vaste. Aller plus loin poserait le problème de la concurrence avec d’autres mutuelles régionales, ce que nous n’avons jamais souhaitée jusqu’à présent.

M. le Président : Avez-vous une politique d’absorption ? Est-ce que cela existe chez les mutuelles ?

M. Vincent BÉGUIN : Je ne peux pas dire que cela n’existe pas chez les autres mutuelles, je ne peux parler qu’en mon nom propre et affirmer qu’au sein de la MGEL, cela n’a jamais existé. Lorsque nous nous sommes étendus de la Lorraine à l’Alsace-Lorraine et à la Champagne-Ardenne, cela s’est fait par décision des pouvoirs publics. Cela n’a jamais été par absorption de mutuelles. Pour le moment, nous n’avons jamais eu cette volonté d’hégémonie.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous expliquer les liens qui existent aujourd’hui entre la MGEL et la MVS – mutuelle vitalité santé ?

M. Vincent BÉGUIN : La MVS est une mutuelle qui s’adresse aux " post- étudiants ". Elle a été créée par décision de la MGEL, mais elle a une activité indépendante. Ce n’est pas une filiale, c’est une mutuelle totalement indépendante, soumise au même Code de la mutualité que les autres mutuelles.

M. le Président : Qu’en est-il de la situation des étudiants étrangers ? Avez-vous un fort pourcentage d’étudiants étrangers ? Tout étranger a-t-il les mêmes droits qu’un Français en ce qui concerne votre mutuelle ?

M. Vincent BÉGUIN : Je ne connais pas le pourcentage exact du nombre d’étudiants étrangers. Statutairement, à la MGEL, tous les étudiants ont les mêmes droits.

M. le Président : Tout étudiant étranger, quels que soient les rapports qui peuvent exister entre son pays et la France, a les mêmes droits ?

M. Vincent BÉGUIN : Cela dépend ensuite des obligations légales. Si l’étudiant a besoin de clarifier sa situation, son dossier sera examiné. Mais, pour autant, il n’y a aucune discrimination. Mais je ne suis pas assez technicien de ce dossier pour pouvoir vous répondre plus précisément.

M. le Président : Autre question souvent évoquée, celle de la maternité des étudiantes, et notamment le problème des crèches et de la manière dont les enfants sont accueillis et dont les étudiantes sont aidées pendant leur grossesse et après. Conduisez-vous des actions spécifiques en la matière ? Dans votre secteur, des crèches ont-elles fermé, comme cela nous a été indiqué ? Quelle est votre appréhension du problème des jeunes mères étudiantes et de celles qui attendent des enfants ?

M. Vincent BÉGUIN : Dans la plupart de nos garanties, nous offrons des primes de naissance qui contribuent à améliorer un peu le statut de la mère étudiante. Pour le reste, je n’ai pas connaissance d’actions spécifiques. Je ne suis pas très renseigné sur ce dossier.

M. le Président : Nous avons parlé du logement social étudiant. Y a-t-il un pourcentage de logements réservé pour les jeunes mères avec leurs enfants ?

M. Vincent BÉGUIN : Non, il n’y a pas de pourcentage réservé. Par contre, nous essayons de proposer des logements plus spacieux pour les mères étudiantes, de deux ou trois pièces où, éventuellement, plusieurs étudiants peuvent s’associer, et où des mères étudiantes peuvent s’installer avec leurs enfants.

M. le Président : Vous en avez ?

M. Vincent BÉGUIN : Oui, nous n’avons pas uniquement des studios.

M. le Président : Dans lesquels vous avez des mères avec leurs enfants ?

M. Vincent BÉGUIN : Je ne sais pas. Je pourrais poser la question et vous répondre ultérieurement.

M. le Président : Volontiers, j’aimerais avoir une réponse à ce sujet, car c’est une question qui m’intéresse. D’autant que Mme Demichel nous a indiqué que la tendance était plutôt à la suppression des crèches dans les universités, ce qui nous inquiète.

M. André ANGOT : Pour revenir sur un des points de votre gestion critiqués par l’IGAS, vous nous avez expliqué à propos des frais de communication, qu’il s’agissait plus d’une question de présentation comptable que d’imputation directe de frais de communication puisque vous mettez sous la même rubrique tous les frais de communications nécessaires à la publicité lors des rentrées scolaires mais aussi tous les frais nécessaires aux fournitures administratives de votre mutuelle. C’est, à mon avis, plus la globalisation qui fait peur que la réalité des dépenses de communication.

M. Vincent BÉGUIN : Il y a deux aspects. Il est vrai qu’il y a une globalisation de ce que l’on appelle " la communication ", placée sous la responsabilité d’un directeur de la communication, mais qui est tout de même détaillée par actions dans des lignes budgétaires spécifiques.

De toute manière, sur le fond, l’IGAS est surtout critique quant au fait que nous financions des associations, que ce soit par le biais de dépenses de communication ou autrement. Il nous semble que, pour l’IGAS, ces sommes dépensées pour les associations sont en dehors de l’objet d’une mutuelle.

M. le Président : Monsieur le président, je vous remercie et vous indique que vous pouvez à toutes fins utiles adresser à la commission tout élément susceptible de compléter ses informations.

M. Vincent BÉGUIN : Si cela vous intéresse, j’avais rédigé une petite note de synthèse que je peux vous laisser.

M. le Président : Très volontiers. Je la remettrai à tous les membres de la commission.

Audition de MM. Edouard BIDOU,
Président de la société mutualiste des étudiants
de la région parisienne (SMEREP),
et de Christian DOUBRÈRE, directeur général

(procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Bidou et Doubrère sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Bidou et Doubrère prêtent serment.

M. Edouard BIDOU : J’aimerais tout d’abord revenir sur le contexte de la création de cette commission d’enquête parlementaire, et faire deux remarques.

La première est qu’il s’agit d’un cas spécifique au sein de la mutualité étudiante. La Cour des comptes a, en effet, souhaité donner des suites judiciaires aux conclusions de son rapport sur la MNEF. La justice suit son cours, nous n’avons pas à nous prononcer là-dessus, mais cela nous inquiète, et j’insiste sur le fait qu’il faut faire la différence entre le dysfonctionnement d’une mutuelle et le régime étudiant de sécurité sociale, qui fonctionne dans les dix autres mutuelles étudiantes. Il faut éviter, si je puis dire, de " jeter le bébé avec l’eau du bain ".

Ma seconde remarque concerne plus généralement la protection sociale qui repose aujourd’hui sur un système qui craque de partout et montre ses limites. Il appartient aux institutions mais aussi aux citoyens que nous sommes de veiller à sa pérennité, en tout cas de s’efforcer à le faire évoluer dans les meilleures conditions. Nous sommes entièrement d’accord avec les différentes conclusions du rapport de la Cour des comptes concernant les mutuelles étudiantes, à l’exception, et vous le comprendrez, de celle qui pose la question du maintien du système étudiant. J’espère vous démontrer le bien-fondé de notre position au cours de cette audition.

Il est, en effet, indispensable de faire évoluer ce système. Pour répondre plus largement à votre question, il est nécessaire de vous décrire la façon dont nous fonctionnons, de vous exposer ce qu’est la mutualité étudiante régionale, comment nous la vivons et comment le régime de sécurité sociale subvient aux besoins des étudiants dans le domaine sanitaire et social.

Nous nous adressons à des jeunes qui prennent progressivement leur autonomie, qui peu à peu deviennent adultes et qui, au-delà du strict et nécessaire accès aux soins et à leur remboursement, ont besoin aussi de découvrir les différents repères leur permettant de gérer leur santé, de découvrir et de connaître les limites de leur organisme et aussi de connaître le système de santé qui sera le leur. Il nous faut donc leur apporter ces repères et leur donner les informations nécessaires pour devenir des citoyens autonomes.

Nous croyons fermement que le rôle de la mutualité étudiante gérant le régime de sécurité sociale étudiant s’inscrit dans trois objectifs, répondant à trois missions complémentaires entre elles : la première est d’assurer un bien-être à l’étudiant pendant ses études ; la seconde est de multiplier les opérations de prévention et d’information, afin de faire prendre conscience à l’étudiant que la santé est un capital qu’il convient de préserver et d’entretenir tout au long de sa vie ; la troisième est d’apporter une meilleure connaissance du système de santé aux jeunes en les amenant à prendre conscience des enjeux qui entourent leur protection sociale afin de leur faire adopter demain un comportement responsable et citoyen.

Aujourd’hui, on ne peut plus se limiter à une approche strictement basée sur les soins, en tout cas pour des jeunes. On ne peut plus se satisfaire du simple accès aux soins et de leur remboursement. Aujourd’hui, le jeune a besoin d’autres informations.

Grâce à notre développement et notre implantation, nous sommes, sur le terrain, en contact constant avec l’étudiant, au moment des inscriptions, mais aussi tout au long de l’année avec des accueils, physiques comme téléphoniques. Nous répondons à leurs questions, les aidons lors des démarches de remboursement que nous leur renvoyons, nous leur faisons parvenir régulièrement des informations leur expliquant le système de santé et la façon de l’utiliser. Tous les jours, des étudiants qui, comme moi, composent la mutuelle étudiante, et connaissent le système de santé peuvent donner des renseignements sur place dans l’université.

Pour donner quelques exemples concrets, je citais tout à l’heure la nécessité de connaissance du système pour être autonome. Cela se traduit par des actions d’explication régulières sur ce qu’est ce système de santé, le tiers payant, comment se fait un remboursement, ce qu’est le secteur 1 ou 2, sur la façon d’utiliser le système à son juste niveau, en fonction de ses besoins et de ses attentes.

Autre exemple : aujourd’hui, lorsque l’on parle de la santé des étudiants, on pense aux problèmes de suicide. C’est malheureusement une réalité. Nous avons entrepris une campagne pour informer et donner aux présidents et responsables des universités les outils nécessaires pour découvrir les personnes à risque.

Il nous semble important de ce point de vue – c’est notre axe de développement – de travailler sur le bien-être de la personne, de faire comprendre à l’étudiant ce qu’est son capital santé, ce qui peut aujourd’hui l’affaiblir et la manière dont il peut le maîtriser.

Nous travaillons pour ce faire en relation avec une centaine d’associations, qui sont autant de relais sur le terrain, et qui fonctionnent sur le système des pairs : ce sera un étudiant qui parlera de la santé à un autre étudiant. Ce sont des méthodes reconnues en santé publique.

Ce système, qui existe maintenant depuis plusieurs années, nous permet de répondre à de nouveaux besoins parce que, finalement, un soin suffit-il à expliquer à l’étudiant ce qu’est le système de santé et comment l’utiliser, et lui permet-il d’acquérir une autonomie ? Le soin à lui seul permet-il de lutter contre le suicide ou de faire comprendre à l’étudiant ce qu’est son capital santé, qu’il lui faut le préserver au maximum, et l’utiliser en pleine conscience ?

Tout cela, ce sont des axes que nous avons développés parce que nous-mêmes, étudiants, étions confrontés à certaines limites quant à nos besoins en santé. Mais aujourd’hui, le système tel qu’il est – pour répondre au problème du régime de sécurité sociale et de son évolution – ne permet pas l’adéquation avec nos attentes et avec notre conception plus large de la santé. Des évolutions sont nécessaires.

L’une des principales modifications serait la simplification du système.

Aujourd’hui, une multitude d’acteurs intervient entre le moment où l’étudiant s’affilie et celui où il reçoit ses remboursements. Cette complexité est source de nombreux problèmes. Comment voulez-vous expliquer à quelqu’un ce qu’est un système quand il est persuadé par avance que celui-ci est complexe et qu’il n’a toujours pas sa carte de sécurité sociale. Pour lui, " la sécu ", c’est compliqué. C’est déjà ce qu’en pensent ses parents. Plus tard, il ne sera donc pas responsabilisé.

D’autre part, plus le système est complexe, plus il y a de personnes pour se renvoyer la balle. Où est la responsabilité ? On ne sait pas au bout du compte, quels sont les problèmes de coût, quels sont les problèmes de santé parce que, lorsque quelqu’un ne peut pas accéder à des soins parce qu’il n’a pas pu apporter sa carte au bon moment parce qu’elle s’est perdue, comme c’est le cas parfois, cela crée des problèmes importants. La simplification est donc, à mon avis, la base, une simplification fondée sur les critères proposés par le rapport de la Cour des comptes.

Autre point capital, il faut inscrire cette sécurité sociale étudiante dans une régionalisation de l’approche de la santé pour trois raisons. La première est qu’il faut être attentif en permanence et laisser les personnes s’exprimer sur leur santé. La dimension régionale permet cette proximité. La deuxième est que, demain, cette proximité nous permettra en tant qu’institution de sécurité sociale d’adapter nos services et notre implication dans la santé en fonction de ces besoins, et donc, d’être bien plus souple. La troisième, qui me semble tout aussi capitale que les deux précédentes, est que cette proximité se fait aussi avec les autres acteurs de la santé. Cela veut dire qu’aujourd’hui, non seulement on peut mener une action vers un objectif précis – par exemple, le suicide – mais il faut aussi faire en sorte que cette action soit en cohérence avec l’ensemble des actions que mènent les autres acteurs.

Aujourd’hui, l’étudiant reçoit de multiples messages. S’ils vont tous dans le même sens, c’est tout de même plus cohérent et plus efficace. De plus, tout le monde n’est pas réceptif à une idée par les mêmes messages et la pluralité dans ce domaine est nécessaire. De ce point de vue, une cohérence entre les acteurs devient indispensable pour mener à bien des missions de sécurité sociale étudiante.

Il me paraît essentiel aussi qu’aujourd’hui, les étudiants bénéficient d’une approche équilibrée entre la prévention, prise au sens large, et le curatif. Malheureusement, si les étudiants en profitent, certains jeunes restent en marge, tout simplement parce qu’ils ne sont pas étudiants alors qu’ils ont le même âge. Est-il normal que les gens de l’alternance ne profitent pas de ce système ? J’estime, pour ma part, qu’il faut élargir ce système à quelques-uns.

Je pense avoir abordé les différents points dont je souhaitais vous parler.

En conclusion, je reviens, tout d’abord, sur cette notion d’amalgame pour redire qu’il ne faut pas tout mélanger. Ensuite, je pense qu’il faut revenir sur cette vision très biomédicale, dépassée pour des jeunes. C’est comme cela que nous l’avons ressentie, et c’est comme cela que notre action a évolué, même si derrière le système n’a pas changé. Enfin, il faut simplifier et régionaliser car, aujourd’hui, c’est capital pour être efficace et savoir pourquoi on dépense l’argent.

M. le Président : Quel est votre statut en tant que président ? Êtes-vous encore étudiant en médecine ?

M. Edouard BIDOU : Je suis étudiant en médecine, interne en troisième année de santé publique. Il me reste trois semestres à effectuer.

M. le Président : Pour être président de votre mutuelle, faut-il être étudiant ?

M. Edouard BIDOU : Il faut être étudiant. C’est une obligation statutaire.

M. le Président : Percevez-vous une rémunération en tant que président de la mutuelle ?

M. Edouard BIDOU : Il ne s’agit pas d’une rémunération, j’ai une indemnité forfaitaire de 5 000 F.

M. le Président : Les administrateurs de votre mutuelle perçoivent-ils également une indemnité ?

M. Edouard BIDOU : Un autre administrateur perçoit une indemnité. Mais c’est tout.

M. le Président : Pensez-vous qu’il faille s’acheminer vers un bénévolat total ou pas ?

M. Edouard BIDOU : Je vais vous parler de mon cas, tout simplement.

Avec le temps que je consacre à la mutuelle, on peut dire que j’ai deux boulots. Mon boulot d’interne que je fais régulièrement et celui de président. Aujourd’hui, mes confrères font des gardes et des remplacements, que je ne fais pas. J’aurais du mal à faire mon travail de mutualiste si je n’avais pas une indemnité.

M. le Président : A l’intérieur de votre indemnisation forfaitaire, que représentent les frais réels ?

M. Edouard BIDOU : Les frais réels ?

M. Christian DOUBRÈRE : Un tiers.

M. le Président : Donc, en réalité, vous touchez à peu près 3 500 F.

M. Edouard BIDOU : Oui, c’est cela.

M. le Président : Le président de la MGEL, qui lui n’est plus étudiant, nous disait qu’ils avaient pris comme décision que seuls des bénévoles exerceraient cette fonction au sein de leur mutuelle.

M. Edouard BIDOU : En effet. C’est un choix par mutuelle, me semble-t-il.

M. le Président : Oui. C’est la raison pour laquelle je voulais avoir votre avis à ce sujet. Les administrateurs qui sont avec vous sont des étudiants. Verriez-vous un inconvénient à ce que parmi ces administrateurs, il y ait des personnes non étudiantes, par exemple, des représentants de la CNAM ?

M.  Edouard BIDOU : Non.

M. Christian DOUBRÈRE : Si je puis me permettre, il y a deux formules susceptibles d’être envisagées.

D’une part, il existe ce que l’on appelle le comité des sept, qui est le comité de la section locale, autrement dit le conseil d’administration de la section locale universitaire qui, très honnêtement, ne se réunit pratiquement jamais, mais dont le but est strictement limité à discuter de l’avenir du régime. Ce pourrait être le moment de les réunir dans chacune de nos structures. Sauf erreur de ma part, cela doit faire, chez nous comme pratiquement chez tous nos confrères, entre dix et douze ans qu’ils ne se sont pas réunis.

En revanche, nous avons chaque année dans nos instances nommé des étudiants, puisqu’il faut que les quatre étudiants qui siègent à ce comité des sept soient eux-mêmes au régime étudiant. Il est parfois difficile de trouver des étudiants qui soient au régime parce que, vous le savez, de nos jours, l’étudiant qui n’est pas salarié devient relativement rare, surtout en fin d’études et il faut bien reconnaître que le recrutement des administrateurs mutualistes se fait plutôt parmi les étudiants de deuxième et troisième cycles que chez ceux de premier cycle.

S’agissant de représentants de la CNAM au sein du conseil d’administration, il faudrait que cette disposition s’applique à l’ensemble des mutuelles et je ne suis pas sûr que toutes soient aussi ouvertes que nous pour l’accepter.

M. le Président : Tout à fait, une telle réforme ne toucherait pas uniquement les mutuelles étudiantes. Une des propositions sur laquelle nous travaillerons pourrait être effectivement l’ouverture des conseils d’administration.

M. Edouard BIDOU : Lors de mon exposé liminaire, lorsque je parlais de régionalisation, je parlais d’ouverture. Il s’agissait de faire en sorte que les différents acteurs ayant des responsabilités dans le domaine de la santé travaillent ensemble. Faire en sorte que certains administrateurs puissent intervenir ou, en tout cas, être observateurs au sein d’autres conseils est, en effet, une des propositions qu’il faut faire avancer.

M. Christian DOUBRÈRE : En dehors de la CNAM, il serait peut-être utile aussi d’avoir des représentants des DRASS, des gens de terrain en matière de prévention et d’action sanitaire et sociale, de manière générale.

M. le Président : Ce sera une des propositions sur laquelle la commission aura à se prononcer. Le champ d’action géographique de la SMEREP est-il limité ou celle-ci a-t-elle vocation à agir sur toute la France ?

M. Christian DOUBRÈRE : La création de la mutuelle remonte aux années 70. Les statuts de l’époque prévoyaient la régionalisation stricto sensu. Depuis, plus rien dans le Code de la mutualité ne l’exige, mais nous l’avons conservé dans nos statuts. Notre périmètre, c’est l’Ile-de-France.

M. le Président : En Ile-de-France, que représentez-vous par rapport aux autres mutuelles ?

M. Christian DOUBRÈRE : En nombre d’affiliés, le comptage est facile puisqu’il n’y a que deux mutuelles. Pour l’année 1998-1999, nous devrions être aux alentours de 170 000 à 180 000 étudiants affiliés, soit 50 à 51 %.

En nombre d’adhérents mutualistes, nous devons être aux alentours de 53 à 55 % des mutualisés dans les mutuelles étudiantes, d’après ce que nous estimons, puisque, comme chacun sait, une bonne partie des étudiants relève de la mutuelle de leurs parents, qu’il s’agisse des mutuelles de la fonction publique, de cadres ou d’entreprise.

M. le Président : Comment fonctionne votre mutuelle pour ce qui est des activités complémentaires qui concernent la vie sociale de l’étudiant ? Travaillez-vous avec des filiales ? Avez-vous des participations dans certaines sociétés ? Comment faites-vous ?

M. Christian DOUBRÈRE : Nous avons un peu changé notre fusil d’épaule depuis quatre ans. Nous avons péché, comme d’autres, en pensant qu’il fallait diversifier nos activités pour être maître de ce que nous proposions aux étudiants.

Nos assemblées générales et les conseils qui se sont succédés ont jugé que tout cela était bien onéreux et assez éloigné de notre objet social, même si l’article premier du Code de la mutualité est très clair à ce sujet ; il s’agit d’un bien-être général, de la même manière que la notion de santé ne se limite pas, comme l’a dit Edouard Bidou, aux seuls soins mais à une notion de bien-être.

Nous nous sommes retirés. Nous avions des participations dans des sociétés de courtage d’assurance, que nous avions faites avec nos amis lyonnais de la SMERRA. Nous avions également une participation dans une coopérative d’achat de matériel hi-fi, vidéo, etc., pour permettre à l’étudiant de trouver du matériel moins cher qu’ailleurs. Nous avons eu aussi une expérience, assez désastreuse, il faut bien le reconnaître, en matière de voyage.

Tout cela s’est arrêté assez rapidement parce que l’assemblée générale de la SMEREP a souhaité que l’on se recentre très clairement et précisément sur la santé.

L’optique est aujourd’hui totalement différente : nous avons préféré privilégier des partenariats avec des gens dont c’est le métier de faire de l’assurance, du voyage, du logement, etc., notre objectif étant d’essayer de faire le bon choix pour les étudiants. En effet, ce qui nous préoccupe, c’est de trouver le partenaire fiable, qui assurera à l’étudiant une baisse des prix que nous obtenons parce que nous apportons une masse d’étudiants.

Cet effet de masse, on le trouve d’ores et déjà dans nos garanties mutualistes. Il est évident que tout contrat de groupe d’assistance, de responsabilité civile, qui est obligatoire dans l’enseignement supérieur, permet bien sûr de tirer les prix vers le bas à partir du moment où l’on est plus nombreux.

Ce sont d’ailleurs quelques fois des contrats pas seulement régionaux mais nationaux.

M. le Président : Quelle est votre activité dans le logement social ?

M. Edouard BIDOU : Nous n’en faisons pas.

M. Christian DOUBRÈRE : Malheureusement, le foncier à Paris et en Ile-de-France est tel que, sincèrement, l’occasion ne s’est pas présentée. Les CROUS, les villes, les départements ou la région sont mieux placés que nous de ce point de vue, ne serait-ce que pour obtenir des terrains gratuits ou à moindre prix.

M. le Président : Nous recevions récemment le représentant d’une mutuelle, qui nous disait que l’une de ses activités était d’essayer d’obtenir des réductions de prix pour les étudiants dans les transports en commun. Cela entre-t-il dans le cadre de vos activités ?

M Christian DOUBRÈRE : Nous avons eu la chance de faire partie de Carte Jeunes et que cette carte ait obtenu un accord pour toute l’Ile-de-France. Nous espérons, pour la pérennité de Carte Jeunes SA, que ce genre d’accord – et je pense que l’idée venait des ministères de la jeunesse et des sports et des transports – ne se limitera pas à l’Ile-de-France où, il est vrai, le problème était important. Mais cette possibilité d’accoler un certain nombre d’avantages liés à une carte doit exister de la même manière à Lyon, Marseille ou ailleurs.

M. le Président : Existe-t-il des activités que fait la MNEF et que vous avez refusé de faire ?

M. Edouard BIDOU : Nous n’en avions pas beaucoup de ce type-là !

M. Christian DOUBRÈRE : Je n’en sais rien. Mais je pourrais prendre l’exemple des maisons des jeunes et de la santé.

Edouard Bidou disait que notre conception de la santé est une conception d’information pour que les gens connaissent l’ensemble du système dans lequel ils vont aller plus tard, puisque leur vie d’étudiant est de trois à six ou sept ans, pas plus. Les maisons des jeunes et de la santé sont des centres de soins et d’information limités à des campus ou, en tout cas, à des lieux de vie étudiants, qui nous semblent placer l’étudiant dans une sorte de ghetto. Notre optique est plutôt de le préparer à vivre. Franchement, vu ce qui existe au niveau médical et sociomédical, en particulier en région Ile-de-France, proposer que les médecines préventives universitaires fassent du soin ou qu’il y ait des centres de soins dans les campus, cela nous paraît un peu à côté de la plaque.

En revanche, comme vous le savez peut-être, la SMEREP s’est investie en reprenant la gestion du centre de soins de la caisse d’allocations familiales, rue Viala. C’est une grosse opération. Ce faisant, nous avons souhaité inviter les étudiants à venir dans un centre de soins ouvert à tous, comme d’ailleurs devraient l’être tous les centres de soins. Cela va donc de la vieille dame avec sa carte Paris Santé à l’étudiant qui, malheureusement, a parfois lui aussi la carte Paris Santé.

M. Edouard BIDOU : En ce qui concerne ces maisons des jeunes et de la santé, l’approche de la SMEREP se différencie complètement de celle de la MNEF.

Nous cherchons, parce que nous l’avons ressenti comme cela, à faire en sorte que l’étudiant s’inscrive progressivement dans le système de santé. C’est une action d’éducation que l’on doit mener tous les jours. Ce n’est pas à un moment donné, dans une structure, que se conduit une action de prévention. C’est tous les jours, tout au long de la vie étudiante qu’il faut entamer et poursuivre cette activité. C’est comme cela que l’on fait des choses efficaces. Je pense que le côté : " J’ai un bobo, je vais dans un endroit fait pour moi " va à l’encontre de l’insertion des jeunes en société. Ce n’est vraiment pas ce genre de démarche que nous défendons.

M. le Président : Je reviens sur la santé mentale des étudiants, les nombreux suicides, le stress. J’ai là les chiffres. Pour les vingt à vingt-quatre ans, en France, il y a eu en 1985, 685 suicides, en 1990, cela a diminué à 552, et c’est remonté en 1995 à 600.

Tout le monde nous a parlé de ce véritable problème. Avez-vous mené des actions spécifiques ? Quelle est votre expérience en la matière ? Que proposez-vous dans le cadre de vos maisons ? Que faites-vous pour essayer de remédier à ce problème de santé mentale des étudiants ?

M. Edouard BIDOU : Le problème de la santé mentale des étudiants est un problème capital. Il est vrai que l’étudiant, parce qu’il quitte ses repères, sa famille et rentre à l’université soumis aux pressions que l’on connaît aujourd’hui, est dans une situation de faiblesse psychologique. Il y a d’une part les malades psychiatriques souffrant d’une pathologie, qui risquent de passer à l’acte, dans ce cas, c’est le médecin qui doit intervenir auprès de ces étudiants malades. Ce sont donc des cas à repérer. Mais, il y a aussi les étudiants qui ne sont pas malades, mais qui peuvent avoir une faiblesse passagère. Il faut tout faire pour les aider.

Or, malheureusement, beaucoup d’étudiants qui ne sont pas malades, passent à l’acte. Il faut donc travailler sur l’environnement dans lequel ils sont. Cela veut dire que l’on ne doit pas travailler seul, mais sensibiliser l’ensemble de la communauté universitaire pour essayer de découvrir et de connaître celui qui peut avoir ce type de problème.

C’est ce que nous faisons aujourd’hui. Nous essayons de mettre en place différentes sensibilisations. Nous travaillons avec la Croix-Rouge et d’autres personnes sur les campus. Nous travaillons également avec le Fil Santé Jeunes qui est aussi un lieu d’écoute de l’étudiant à n’importe quel moment. On le trouve dans toutes nos brochures. A tout moment, l’étudiant sait qui appeler et il aura au bout du fil quelqu’un capable de lui répondre - un psychologue, un psychiatre ou une assistante sociale.

M. Christian DOUBRÈRE : Il s’agit pour nous, en fait, de compléter tout ce qui existe déjà. Autour de nous, il y a des associations. Il s’agit d’arriver à faire savoir aux gens qu’ils ne sont pas seuls.

Comme pour la prévention sur les MST, le SIDA, le tabagisme, et autres, il s’agit de faire passer l’information la plus régulière. On nous reproche souvent d’être coûteux en matière d’information, mais le problème c’est qu’une information qui n’est pas permanente, n’est pas bonne. En matière de MST et de SIDA, vous savez sans doute que les pouvoirs publics ont parfois tendance à dire que le message est passé et que l’on peut arrêter. Nous considérons, pour notre part, surtout au vu des générations que nous avons à traiter, que tous les jours, il y a un garçon ou une fille qui s’éveille à quelque chose, et que s’il n’a pas entendu ce message-là, il s’éveillera et se réveillera très mal, parce qu’en l’occurrence, il attrapera ce qu’il n’aurait pas dû attraper.

En matière de bien-être de l’étudiant, lorsque j’étais étudiant il y a une vingtaine d’années, l’emploi était quasiment assuré. Aujourd’hui – je parlais de Paris-Santé tout à l’heure pour les étudiants – j’ai été surpris il y a six ou sept ans lorsque la mairie de Paris nous a demandé de prendre en charge le traitement de la partie sécurité sociale de ces ayants droit. Je pensais avoir deux ou trois dossiers par mois. En fait, la SMEREP compte aujourd’hui 600 étudiants qui ont la carte Paris-Santé.

Cela veut donc dire que ce bien-être n’existe plus, que se pose véritablement un problème de précarisation dans ce milieu étudiant. Au niveau du coût que représente l’intervention de nos mutuelles à l’attention de ces populations, cela veut dire qu’il faut aller les chercher où ils ne sont pas. Qui dit précarité dit désocialisation. On retrouve la même problématique en matière de toxicomanie. Ce sont des gens qui ne peuvent plus avoir de contact.

Edouard Bidou parlait d’un accord avec la Croix-Rouge et les CROUS puisque ce sont des partenaires tout à fait naturels avec leurs assistantes sociales et leurs services médicaux. Il s’agit pour nous d’aller chercher les gens que l’on ne voit plus, les gens gris, qui se laissent aller. Dans les résidences universitaires, ce sont ceux qui ne sortent plus de leur chambre, sauf pour aller aux cours et en revenir. Ils ne descendent plus au restaurant universitaire parce que deux fois 14,50 F par jour, pour eux, ce n’est pas possible.

C’est cette situation qui ne va plus ; certes, elle ne concerne qu’une faible marge de la population étudiante, mais à partir du moment où l’on a décidé de massifier l’accès à l’enseignement supérieur, on ne peut pas se permettre de laisser des gens ainsi au bord de la route. Sinon, ce n’était pas la peine de les amener là.

M. le Président : Avez-vous des liens spécifiques avec un syndicat étudiant ?

M. Edouard BIDOU : Personnellement ?

M. le Président : Non, je ne parle pas de vous personnellement.

M. Edouard BIDOU : Comme vous aviez ma biographie entre les mains ... Il est vrai que je suis passé par quelques associations plutôt que des syndicats.

M. le Président : Je parlais de la SMEREP.

M. Edouard BIDOU : Pas en particulier. Il nous arrive de travailler avec tous les syndicats et associations d’étudiants.

M. le Président : Versez-vous des subventions à des associations ou des syndicats étudiants spécifiques ?

M. Christian DOUBRÈRE : A tous ceux qui veulent bien s’occuper de santé avec nous.

M. Edouard BIDOU : Pour nous, cela fait partie de la politique de santé. Ils doivent être des relais, puisqu’ils sont des leaders d’opinion. Chaque fois que nous travaillons avec eux, c’est dans ce sens. Cela dépasse les clivages de syndicat.

M. le Président : Je précise ma question. Versez-vous éventuellement des subventions à l’UNEF, l’UNEF–ID ou d’autres syndicats ?

M. Christian DOUBRÈRE : Non. Il n’y a pas de subventions versées régulièrement. En revanche, il y a des conventions de partenariat avec des associations de terrain dans les écoles et dans les facultés, mais pas avec les organisations nationales. Il arrive aussi que ce soient nos unions qui, éventuellement, signent des conventions avec des syndicats étudiants reconnus. En ce qui nous concerne, nous sommes plutôt en relation avec les associations de terrain, qui sont ou non affiliées à une organisation nationale.

M. le Président : Des associations qui travaillent à l’intérieur de facultés ?

M. Christian DOUBRÈRE : Il peut aussi s’agir d’écoles, bureaux des élèves, de structures qui appartiennent à la FAGE, ou à d’autres. Ce peut être aussi des associations sportives, car souvent les sportifs sont plus concernés par la santé, ou culturelles puisque le festif a encore une certaine importance dans le milieu étudiant. Tout le monde sait comment peut finir un gala. C’est l’occasion de faire passer un petit message de santé sur le tabac, l’alcool, et le reste !

M. le Président : Quel est votre budget de communication ? Estimez-vous qu’il est normal ou trop important ?

M. Christian DOUBRÈRE : Cela dépend ce que l’on appelle " communication ". Le rapport de l’IGAS que nous aurions aimé recevoir, mais qui a été publié dans Le Monde récemment – on imagine que c’est le bon – parlait d’un certain nombre de dépenses, sans dire à quoi elles servent.

Premièrement, il faut ramener ces sommes à ce que nous sommes en tant que structure. On cite 51 millions pour d’aucuns, soit de l’ordre de 60 à 63 F par affilié. En rapportant les 28 millions de dépenses de communication de l’ensemble des mutuelles régionales au nombre d’affiliés, nous obtenons 28 au 30 F par personne. Cela fait une petite nuance au niveau du montant.

Deuxièmement, comme cela figurait dans le rapport de la Cour des comptes, qui aura au moins eu cette utilité-là, car c’est la première fois que j’en ai la confirmation, les SMER sont majoritaires au sein du monde mutualiste étudiant, c’est-à-dire que nous mutualisons plus. C’est un point important pour nous. Edouard Bidou parlait tout à l’heure d’accès aux soins. L’accès aux soins, ce n’est pas seulement l’accès au régime de sécurité sociale, c’est aussi l’accès à une couverture globale.

Vous examinez en ce moment le projet de loi relatif à la CMU. C’est une avancée majeure pour le monde étudiant de penser que tous ceux qui étaient en dehors de cette protection globale, vont pouvoir être protégés à cent pour cent.

M. le Président : Comment vous situez-vous vis-à-vis de la CMU ?

M. Edouard BIDOU : En plein accord. C’est une bonne chose que des étudiants accèdent à une couverture totale. Mais ce n’est pas parce que, demain, des gens bénéficieront d’une couverture complémentaire maladie qu’ils vont accéder à des soins. Cela demande plus que ça. Il faut être volontaire. Il faut aller chercher les gens pour améliorer leur santé. Il faut leur expliquer ce que c’est, comment utiliser le système, etc.

Si on leur donne seulement un ticket gratuit leur permettant d’aller chercher des soins, c’est bien mais ce n’est pas une réponse suffisante.

M. Christian DOUBRÈRE : Nous sommes en plein accord avec la CMU, à condition que l’on ne sépare pas les catégories d’étudiants, ce qui est déjà le cas. Edouard Bidou expliquait que certains sont déjà exclus parce qu’ils sont soit en alternance soit en apprentissage, alors qu’ils sont de la même génération, et qu’ils sont aussi des étudiants, des " travailleurs en formation ", comme on les appelle.

Si demain la CMU conduit à marquer les étudiants au front, en signalant qu’ils ont moins de tant de revenus en les adressant en complémentaire à la caisse primaire du coin, j’avoue que je ne suis pas particulièrement d’accord avec cette vision des choses. Pas plus que je ne partage la vision de l’assureur. Nous sommes là pour assurer des soins à des gens et à des jeunes en formation et pas pour faire du dumping et attirer des gens pour les garder soixante ans.

L’objectif de la mutualité étudiante en cette matière est très clair. Nous ne gardons les étudiants que de trois à six ans, en fonction de leurs études. Tous les investissements que nous faisons, nous les faisons pour les étudiants et pour la façon dont ils vivront en tant que citoyens dans la société dans laquelle ils vont s’insérer, certainement pas pour capter une population et faire ensuite la mutuelle des jeunes nationale II ou la mutuelle générale II, etc.

A propos de la CMU, il faut aussi faire attention au petit détail juridique suivant : seront-ils adhérents de la mutuelle qui les accueillera en complémentaire maladie ? Chez nous, être adhérent, cela veut dire qu’il faut avoir mis ne serait-ce qu’un franc. Je sais que cela faisait partie de vos discussions de savoir s’il devait y avoir une cotisation, ne serait-ce que symbolique. Un franc, ce n’est pas peine de le collecter, cela coûtera plus cher de le collecter que de ne pas le faire payer mais il est vrai que, juridiquement parlant, il reste ce petit détail : que deviendra l’étudiant géré par nous en complémentaire maladie ? Sera-t-il un adhérent alors que l’autre aura mis de sa poche x francs pour être couvert, sans parler des effets de seuil qui sont aussi pour nous des problèmes. Je crois que vous réfléchissez aussi sur la façon de sortir du système pour éviter les effets de seuils.

M. Bruno BOURG-BROC : Ma première question revêt un caractère historique. Jusqu’à il y a quelques années, il existait des différences de remise de gestion importantes entre la MNEF et les SMER. Comment expliquez-vous cela ? Depuis, un rattrapage s’est opéré, qui s’est effectué par le haut. Pourquoi ?

Ma seconde question a un caractère plus philosophique. Qu’estimez-vous apporter de plus aux étudiants avec la SMEREP ou avec une des mutuelles étudiantes telles qu’elles sont organisées actuellement, qu’un centre de sécurité sociale classique ?

M. Christian DOUBRÈRE : Je me permets de répondre à votre première question puisqu’elle est plus historique et que cela fait un certain temps que je suis dans cette maison.

L’inégalité de traitement est due, si ma mémoire est bonne, à un arrêté de 1985, qui ne prenait plus en compte le principe du paiement par tête d’affilié mais qui était établie selon une équation du style l’âge du capitaine, un peu compliquée à comprendre, y compris pour les pouvoirs publics qui, de temps en temps, n’ont pas très bien su comment calculer nos remises de gestion.

Quand nous avons obtenu l’égalité de traitement – on fait le même métier, on est payé de la même manière, cela paraissait logique et était inscrit dans la loi –, nous n’avions pas de revendication autre que cette égalité de traitement. Notamment, nous n’avions pas de revendication sur le niveau de cette égalité. On peut difficilement cacher qu’effectivement, le nivellement s’est fait par le haut, probablement pour permettre à tous de vivre. Il aurait peut-être été dangereux de niveler par le milieu ou par le bas. Pour ce qui nous concerne, comme nous avions la chance d’être au milieu de la fourchette, nous n’étions pas en péril financier particulier.

En revanche, l’année sur laquelle les rapports de la Cour, de l’IGAS et de l’IGF se basent est la première année du plein rattrapage. Autrement dit, elles ont travaillé sur l’année 1996-1997, qui est la pire des années sur laquelle examiner nos comptes. C’est une année pour laquelle nous avons touché un rattrapage de 12 millions de francs sur 42 millions de francs de remises de gestion, touchés en mars 1998 pour l’exercice 1996-1997. Et ce fut la première année d’affiliation des ayants droit majeurs autonomes (ADMA), dont nous ne savions pas combien ils seraient, combien nous en aurions, et quel montant de remise de gestion nous serait versé les concernant.

Il n’est pas évident d’avoir une vision budgétaire de la SMEREP. Je puis le dire puisque c’est moi qui en ai la charge. Nous avons maintenant des équations à trois inconnues : qui va venir ? A quel prix ? Avec quel taux d’abattement ?

Je vous rappelle d’ailleurs qu’à ce jour, au 5 mai 1999, nous n’avons pas de contrat d’objectif pluriannuel. Le dernier s’est achevé au 31 décembre 1998.

Le grand reproche qui nous est adressé est de ne pas avoir de comptabilité analytique. Mais qu’est-ce que c’est qu’une comptabilité analytique ?

Lorsque quelqu’un fait un métier global de gestion de sécurité sociale concernant le régime obligatoire et le régime complémentaire, il a une gestion globale. On sait, en revanche – ceux que vous entendrez après nous vous l’expliqueront mieux que nous – que le régime obligatoire à des spécificités largement supérieures au régime complémentaire. Le régime complémentaire, c’est de la bête copie, si je puis dire, d’un certain nombre de renseignements qui ont été préfabriqués par le régime obligatoire. Nous, nous faisons un remboursement global. Les investissements que nous avons faits depuis dix ans et que nous ferons demain pour Sesam Vitale, pour le RSS, etc., ce sont des investissements qui, bien évidemment, ne concernent que le régime obligatoire (RO).

Le rapport de L’IGAS, pour ne prendre que cette ligne-là, prend 80 % des frais informatiques à la charge du RO. Que ferons-nous avec 20 % sur le régime complémentaire ? Je ne sais pas puisque, en l’occurrence, l’informatique représente chez nous 95 % du régime obligatoire et pas 80/20. Qu’est-ce que l’informatisation d’un régime complémentaire, même avec 55 000 ou 60 000 mutualistes ? C’est quasiment nul, un ordinateur AS/400 y suffirait largement, avec trois personnes derrière. Mais c’est un message que nous avons beaucoup de mal à faire passer.

Pour en venir à la question précise du montant des remises de gestion, l’année 1996-1997 nous a vu " déborder " d’argent. On n’a pas pris le temps et le soin d’examiner les quatre années précédentes, puisque, globalement, le reproche qui nous est adressé consiste à dire que nous utilisons le surplus versé par la sécurité sociale pour payer la mutuelle. Mais il suffit de regarder nos comptes pour constater que nos marges mutualistes paient très largement nos communications et les éventuels investissements que certains font en matière de diversification, ce qui n’est pas notre cas, comme vous avez pu le constater.

Il est sûr et certain qu’après la loi Veil de 1993, durant les vingt-quatre mois qui ont suivi, il nous a fallu absorber les cinq points de baisse. Nous l’avons fait grâce à des fonds mutualistes pris sur les réserves de gestion que des générations avaient accumulé depuis l’année 1971, comme n’importe quelle tontine que représente une mutuelle d’assurances. La seule différence, c’est qu’en général, les tontines se font sur des gens qui sont tous là alors que, dans ce cas précis, ce sont ceux de 1970 qui ont payé pour ceux de 1990.

M. Edouard BIDOU : En ce qui concerne votre deuxième question, Monsieur le député, le fait que nous gérions nous-mêmes notre régime de sécurité sociale étudiante a permis tout simplement, et cela se voit dans les faits, d’avoir une vision un peu différente de la santé, plus adaptée à nos besoins. C’est ainsi que nous avons pu développer une prévention bien plus adaptée et répondre à ce qu’attend un jeune, un étudiant de l’an 2000, pour pouvoir bien utiliser le système de santé en termes d’information et de prévention.

De même, notre implication dans le monde étudiant, puisque nous sommes nous-mêmes étudiants, est l’outil nécessaire pour mener à bien notre action. Si nous étions complètement étrangers à ce monde et à ses besoins, nous ne pourrions pas le faire. Aujourd’hui, je suis étudiant, les administrateurs aussi ainsi que les personnes avec lesquelles nous travaillons. Tous ces gens sont des relais qui permettent de faire avancer ces problèmes de santé. Cette implication existe parce que c’est nous-mêmes qui gérons ce régime de sécurité sociale étudiant.

Enfin, le troisième aspect qui nous semble capital est celui de la responsabilisation. Nous sommes conscients de ce qui se passe, nous pensons que la collectivité, ce n’est pas un vain mot, les dépenses sont une chose mais la solidarité, cela existe et c’est ensemble que nous nous défendrons mieux.

Le résultat de cette gestion par des étudiants, ce sont tous ces éléments qui nous permettent d’avoir un système non seulement adapté mais qui défend aussi la solidarité, un système auquel nous sommes vraiment attachés.

M. Christian DOUBRÈRE : Quant à la concurrence, puisque vous nous demandez ce que nous apportons de plus, je dirai que notre présence est un plus, c’est-à-dire que la concurrence dans ce domaine assure, tant en matière complémentaire qu’en régime obligatoire, un service de qualité. Conformément au principe de concurrence, quand on fait mal son métier, on est éjecté du marché. Bien que la santé ne soit pas un marché, pas plus que la sécurité sociale et sa gestion, il s’agit d’apporter le meilleur service. Regardons ce qui existait avec une mutuelle unique : non-remboursement des visites, attente du lundi matin pour l’ouverture du centre de soins et non-présence sur les campus universitaires. Aujourd’hui, la présence de deux mutuelles permet, la concurrence aidant, d’apporter un meilleur service à ces étudiants.

On nous reproche d’être coûteux en matière de concurrence. Je pense que la représentation nationale constatera qu’elle retrouvera ailleurs et qu’elle récupérera l’investissement fait sur cette génération.

M. le Rapporteur : Vous avez dit que vous aviez eu à une époque des tentatives de diversification et que vous aviez fait machine arrière. Aujourd’hui, quelles filiales ont été conservées ? Pour quel type d’activité ? Sous quel statut ?

M. Christian DOUBRÈRE : Il reste trois participations essentielles, dont deux sont imbriquées l’une dans l’autre. Nous avons aujourd’hui deux UES qui sont des SARL de l’économie sociale. L’une est l’USCJ, le Club, dont je suis le gérant, qui est là pour porter les parts de notre capital dans Carte Jeunes SA, en commun avec la SMENO, la SMEBA, la SEM, qui est une mutuelle nationale, et la SMERAG qui est la petite dernière des SMER, aux Antilles et en Guyane. Elle porte notre représentation capitalistique à l’intérieur de Carte Jeunes SA. Nous sommes, j’imagine que vous le savez, porteurs de 35 % des parts et la MNEF 65 %.

Notre deuxième diversification, si je puis dire car il ne s’agit pas vraiment d’une diversification mais plutôt d’une gestion parallèle – une mutuelle, c’est pour faire de la santé –, concerne, nos accords avec UGC pour des places de cinéma, avec Bouygues Télécom, avec la Société générale, etc. Ils sont gérés à travers l’UES dite Fortuny, du nom de la rue du siège social. J’en suis également le gérant, à titre gratuit.

Ces deux UES sont là pour gérer ce qui ne relève pas strictement de la santé.

Notre troisième diversification correspond à une obligation légale. Il s’agit du centre de santé dont j’ai parlé qui est géré par une association Etudes et Santé. Ce n’était pas la peine d’intégrer cette structure à la mutuelle pour que la législation européenne nous la fasse ressortir dans quelques mois.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous aujourd’hui des procédures de contrôle des mutuelles en général, des mutuelles étudiantes en particulier, et du fait que vous soyez soumis à un double système de contrôle, puisque le régime général est contrôlé par l’IGAS et le régime mutualiste par la commission de contrôle des mutuelles, avec toutes les imbrications existant entre les deux régimes qui ne permettent pas de savoir facilement ce qui relève de l’un ou l’autre. Ce contrôle vous semble-t-il parfaitement adapté pour s’assurer de façon correcte de la gestion d’argent non pas public mais au moins collectif ?

M. Christian DOUBRÈRE : Nous sommes à la fois sur-contrôlés, et mal contrôlés peut-être.

Sur-contrôlées, je dois avouer que, depuis un an, nos activités ont été un peu stoppées. Demain, des échéances s’imposent à nous – Sesam-Vitale, le RSS. Certains rapports disent que nous ne sommes pas prêts, encore faudrait-il nous laisser le temps de nous préoccuper de notre métier de gestion du régime obligatoire et ne pas nous demander de passer notre temps à faire des tonnes de photocopies pour des organismes de contrôle différents. On pourrait effectivement globaliser et faire en sorte qu’il n’y ait qu’un organisme de contrôle : la commission de contrôle, la DRASS, l’IGAS, la Cour des comptes, peu importe qui, mais que ce soit effectivement un contrôle global.

En tout cas, je crois que cela a été remarqué, tous les contrôleurs, quand ils arrivent, reçoivent le paquet cadeau de l’ensemble de nos statuts. Nous n’allons pas procéder de manière sélective. Notre gestion étant globale, nous n’avons strictement rien à cacher.

En revanche, il reste un point purement technique, le contrôle de la sécurité sociale, le contrôle de l’application à l’intérieur de nos mutuelles des normes CNAM – plan de contrôle interne dit PCI. Il s’agit vraiment de technique, savoir si l’on a bien remboursé la vignette bleue à 35 % et pas de la mousse à raser et, demain, si le flux arrivant par le RSS de tel ou tel médecin a bien été renvoyé correctement à son destinataire, soit par tiers payant soit au destinataire assuré. Tout cela est purement technique et évoluera en fonction des avancées technologiques.

Pour ce qui du contrôle global, il serait plus cohérent qu’un seul organisme nous contrôle, peut-être plus longtemps, peut-être plus à fond. Ce n’est pas à nous de nous prononcer mais il est vrai que, comme je l’ai écrit au nom du conseil d’administration dans une de nos réponses, certains nous disent que nous investissons trop, d’autres que nous sommes trop " liquides ". Nous ne savons plus que faire. Les uns disent que nous devrions faire de la location parce que nous ne sommes pas assez " liquides " et les autres nous reprochent de ne pas faire assez de " gras " et se demandent comment nous vivrons demain si nous avons un gros pépin.

On pourrait normaliser la situation en réformant le Code de la mutualité sur ce point qui ne concerne pas spécifiquement le régime étudiant, car nous ne sommes pas les seuls gestionnaires du régime obligatoire. Nous sommes même de toutes petites structures.

Monsieur le président nous demandait si nous ouvririons nos conseils. Tout d’abord, il suffit de nous le demander : la loi, c’est la loi, nous l’appliquons. Reste ensuite à savoir s’il s’agit de commissaires extérieurs inspecteurs permanents dans un conseil, car on ne peut pas être juge et partie. L’ouverture d’un conseil ne peut pas se faire à des contrôleurs, ce sont des partenaires qui sont dans le conseil pour aller ensemble vers la partie gestion et la partie information et prévention, cela évitera peut-être les doublons, à condition toutefois que l’on soit bien conscient de la spécificité du régime.

Edouard Bidou expliquait fort justement tout à l’heure que l’intérêt majeur du régime étudiant résidait dans le fait qu’une génération s’adresse à ses pairs alors que, sauf erreur de ma part, lorsque vous êtes pour la première fois immatriculé au régime général, votre centre de sécurité sociale est loin de vous envoyer une lettre vous disant: " Je m’appelle Untel, si vous avez besoin de moi vous pouvez me contacter. Les centres de soins de votre quartier sont les suivants, vous pouvez avoir le tiers payant là, la liste des pharmacies de garde est systématiquement affichée à tel endroit ... " Pour ma part, en tant qu’assuré social, je n’ai rien reçu du tout.

M. le Rapporteur : La plupart des mutuelles étudiantes proposent des paniers de prestations différentes selon le niveau de cotisation de l’étudiant, est-ce le cas de la SMEREP ?

M. Edouard BIDOU : Nous en avons quatre.

M. le Rapporteur : Cette diversité de prestations offerte à des étudiants en fonction d’un tarif plus ou moins élevé vous paraît-elle appartenir à une logique mutualiste, ou à une logique assurantielle ?

M. Edouard BIDOU : Si elles étaient adaptées à chacun, elles seraient du type assurantiel. En l’occurrence, le risque est toujours collectif, on le mutualise. Il se trouve que les besoins des uns et des autres ne sont pas tous les mêmes. En revanche, elles sont adaptées à certaines populations. Les deux premières permettent un accès aux soins primaires, de base. Tout le monde en a besoin. En revanche, les deux dernières correspondent à des soins, qui sont peut-être plus de confort ou qui répondent à des besoins plus spécifiques.

M. Christian DOUBRÈRE : On a parlé d’argent collectif. La mutuelle, c’est bien de l’argent collectif. Certains ont déjà beaucoup de difficultés à payer les premières garanties qui sont l’accès aux soins les plus courants – les soins dentaires, le généraliste et les médicaments sans parler, bien sûr, de l’hospitalisation. Ces gens ont fait cet effort de mutualisation parce qu’ils sont prévoyants, mais ils ne sont pas à même de payer pour celui qui aura besoin d’un petit peu plus.

Nous avons parlé de psychiatrie. La presse s’en est fait l’écho, à une époque nous avons eu l’obligation de nous désengager du remboursement de la psychiatrie pour la raison très claire que nos camarades de la MNEF s’étaient totalement désengagés. A la Fondation de santé des étudiants de France dont l’essentiel des établissements accueille des étudiants en difficulté mentale, pas un n’était adhérent à la MNEF, mais tous adhérents aux SMER, qui continuaient à rembourser les forfaits journaliers psychiatriques et les séances des centres médico-psychologiques.

Comme le disait Edouard Bidou, l’important pour nous est de rester attachés à la non-sélection du risque.

Vous nous compariez, parce que nous offrons plusieurs garanties, aux assurances. Il suffit de reprendre l’exemple qui s’est produit il y a quatre ou cinq ans dans l’université de Paris II, lorsqu’un assureur, que je ne citerai pas, avait proposé une garantie d’où étaient exclues toute femme en état de maternité, toute personne ayant eu un accident depuis moins de deux ans et qui avait eu des séances de kinésithérapie et, bien sûr, cerise sur le gâteau, toute personne porteuse du VIH. Ce n’est pas vraiment l’esprit de la mutualité, encore moins de la mutualité étudiante.

A l’inverse, si l’on veut pouvoir donner l’accès à chacun, il faut arriver à moduler avec son état de santé, son taux de prévoyance et ses moyens financiers, mais il ne faut pas que quelqu’un puisse être exclu de l’accès à cette complémentaire maladie. On peut faire des efforts sur la répartition des paiements sur l’année et tout un tas de choses, pour autant, cela reste tout de même une somme à sortir.

M. le Rapporteur : A titre indicatif, quel est le tarif le plus bas et le plus élevé ?

M. Christian DOUBRÈRE : De 570 F à 1 700 F. Il existe aussi une garantie B+, qui est véritablement une garantie de confort, de l’ordre de 3 000 F. Il y a douze adhérents.

M. Edouard BIDOU : Mais quand même douze la prennent.

M. Christian DOUBRÈRE : Ce sont des consommateurs de secteur 2, des gens qui ont des besoins spécifiques – suivi gynécologique, dermatologique, etc. – coûteux, dans une région où le secteur 2 est relativement développé. C’est d’ailleurs une garantie qui est totalement déficitaire. Ce sont les autres qui paient. La loi nous oblige à équilibrer chacune de nos garanties. Je dois avouer que, de ce point de vue, la loi n’est pas toujours respectée.

M. Joël GOYHENEIX : C’est une mutualisation un peu étonnante, parce que cela sous-entend que la mutualisation sert surtout à ceux qui ont les moyens de payer l’adhésion à 3 000 F, puisque ce régime est totalement déficitaire.

C’était une parenthèse. Mes questions sont les suivantes : quel est le montant du budget de la mutuelle ? Combien comptez-vous de salariés au sein de la mutuelle ? Croyez-vous que les élus, mutualistes étudiants, ont les moyens réels de contrôle par rapport aux salariés de la mutuelle ?

M. Edouard BIDOU : Christian Doubrère répondra plus spécifiquement à votre question concernant le budget. Les salariés sont au nombre de cent vingt-trois. Je ne les connais pas tous, mais j’en connais beaucoup.

A partir du moment où l’élu comprend que son rôle est important et primordial et qu’il fait son travail, il a tous les moyens. Si je ne m’en occupe pas, il est clair que cela fonctionne quand même, mais j’ai une autre conception de mon rôle.

M. Joël GOIHENEIX : Je vais poser la question autrement : vous êtes interne, combien d’heures passez-vous par semaine à la mutuelle ?

M. Edouard BIDOU : J’y suis tous les soirs, tous les midis. C’est infernal, mais c’est nécessaire, sinon, je ne serais pas président. Heureusement, on me laisse partir lorsque j’ai des rendez-vous dans la journée. Mais j’évite de le faire. En général, les gens qui travaillent avec une mutuelle étudiante comprennent que les rendez-vous se prennent à partir de 18 heures. Donc, tous les soirs, à partir de 18 heures. Quand j’ai des rendez-vous avec les salariés, ils attendent parfois très tard le soir, parce que nous n’avons pas le choix. Et c’est aussi les week-ends.

M. Christian DOUBRÈRE : Pour compléter la réponse, je pense qu’un élu étudiant aura les moyens de gérer sa mutuelle en fonction de l’équipe administrative qu’il aura. Si l’équipe administrative ne lui dit rien, l’étudiant ne saura rien. Ce n’est pas le cas chez nous.

M. Joël GOYHENEIX : D’après ce que vous dites, vous pensez quand même que c’est l’équipe administrative qui a le pouvoir.

M. Christian DOUBRÈRE : Non.

M. Joël GOYHENEIX : Soit elle informe le président, soit il ne saura rien.

M. Christian DOUBRÈRE : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Effectivement, si une équipe administrative fait de la rétention …

M. Edouard BIDOU : Elle en a la capacité …

M. Christian DOUBRÈRE : Elle en a la capacité, mais on a d’autres exemples d’équipe administrative qui n’informait pas forcément les élus !

A l’inverse, aujourd’hui, devant vous, vous avez un patron et un employé. En l’occurrence, je suis nommé en conseil et je peux aussi être révoqué par le conseil. Plus j’aurais tendance à faire de la rétention d’information, plus je serai proche de la sortie. Cela me paraît très clair.

De plus, le seul avantage de l’équipe administrative est d’assurer la continuité de l’institution et de participer à la formation des élus. Edouard Bidou parlait des heures du soir. Effectivement, cela fait partie de notre travail, en tant que salariés, de passer du temps à la formation de nos élus.

Quant au budget, il se sépare en deux parties. D’un côté, les remises de gestion qui atteignent entre 40 et 45 millions de francs selon les années et des cotisations de mutualistes, qui s’établissent entre 45 et 50 millions de francs suivant les années.

M. Edouard BIDOU : C’est un budget global de l’ordre de 100 millions de francs.

M. le Rapporteur : Sur le plan statutaire, des choses curieuses ont pu être observées dans d’autres mutuelles, concernant le statut du directeur général, notamment sa responsabilité et sa démission, qui nécessitaient l’intervention d’un autre organisme que le conseil d’administration de la mutuelle. A la SMEREP, le directeur n’est-il responsable que devant le conseil d’administration ou d’autres instances doivent-elles donner leur avis ?

M. Christian DOUBRÈRE : Il n’existe pas d’association des anciens de la SMEREP.

M. le Rapporteur : Merci.

M. Christian DOUBRÈRE : Je suis " virable " sur le champ à la première réunion du conseil.

M. le Président : Monsieur le président, Monsieur le directeur général, je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à notre invitation ainsi que de toutes les précisions que vous nous avez apportées, qui nous serviront dans la rédaction de notre rapport.

Audition de MM. Gilles JOHANET, directeur de la CNAM,
et Jean-Paul PHÉLIPPEAU, directeur délégué

(procès-verbal de la séance du 5 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Johanet et Phélippeau sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Johanet et Phélippeau prêtent serment.

M. le Président : Au cours d’un exposé liminaire, vous pourrez nous présenter votre approche de ces problèmes et nous exposer votre sentiment sur le régime étudiant de sécurité sociale, ses atouts, ses faiblesses, sur la façon dont il peut être conforté, s’il faut le conforter, les axes de réforme que vous préconisez ainsi que les problèmes qui se posent, tant au niveau national qu’européen.

Je souhaiterais, en particulier, que vous abordiez la question de l’organisation de ce régime, de son coût ainsi que le rôle des différents partenaires, leur concurrence, etc.

M. Gilles JOHANET : Monsieur le président, vous m’avez invité à faire un exposé liminaire. Il sera très bref. Puisqu’il n’y a absolument rien de défendable dans le système actuel de gestion de la sécurité sociale étudiante, il n’y a pas lieu de perdre son temps.

Tout d’abord, c’est un système dont nous ne sommes pas maîtres. C’est sa caractéristique première. Je n’utiliserai pas naturellement le mot qualité. Vous connaissez l’arrêté de 1992. Vous connaissez la loi de 1995. Le montant des remises de gestion est fixé par l’Etat. Ce montant est non seulement uniforme mais il est surtout, point capital majeur qui pourrit la totalité du dispositif, déconnecté de la réalité des coûts de gestion et n’a pas à être justifié par les bénéficiaires de cette provende.

La deuxième caractéristique de ce système est sa totale opacité qui lui permet très logiquement de subsister. Considérer que l’assurance maladie ne peut en aucun cas refuser la création de sections locales universitaires ni, bien entendu, a fortiori remettre en cause le principe de cette délégation de gestion dépasse l’entendement. Cette situation surréaliste est pourtant confortée par des règles d’application qui font, par exemple, qu’une section locale universitaire peut être créée de droit dès lors qu’il y a mille étudiants dans une circonscription de caisse. A partir de ce seuil théorique de mille étudiants, on peut créer une, deux, voire dix sections locales universitaires, sachant, évidemment – et c’est la disposition ultime qui assure la complétude de ce dispositif ! – que cette section locale universitaire peut n’être que virtuelle, n’avoir aucune réalité, sauf évidemment financière pour recevoir l’argent de l’assurance maladie.

S’agissant du fonctionnement de ce régime, il est bien évident que la réglementation extraordinairement fouillée qui a permis, à travers ses multiples évolutions depuis des années, d’assurer un traitement financier convenable des sections universitaires, n’a pas été bien contraignante quant à leurs obligations pour la fourniture d’éléments aussi élémentaires que la comptabilité analytique.

J’ai vécu personnellement un épisode extrêmement intéressant, en 1993, quand, avec l’accord du ministre d’Etat, pour calculer les remises de gestion, nous avons obtenu des sections locales étudiantes la possibilité de faire un audit de leurs coûts. Malheureusement, cet accord avait sans doute été donné un peu rapidement, puisque, au vu des résultats de cet audit, qui n’étaient pas entièrement favorables aux mutuelles étudiantes, celles-ci ont alors considéré qu’il était beaucoup plus simple de reprendre leur parole, et de ne pas tenir compte de ce rapport. J’ai pu apprécier, à l’époque, la solidité et la constance de l’engagement de l’Etat, non pas du côté de l’intérêt général, mais de l’intérêt financier des sections locales étudiantes ! Ce souvenir date de 1993, mais il reste pour moi d’une fraîcheur absolue.

Je dirais enfin que ce système n’incite aucunement à l’optimisation de la gestion comme l’IGAS et la Cour des comptes l’ont constaté et comme l’indiquent divers éléments tout à fait probants. On observe, par exemple, que les sections locales mutualistes n’accordent aucun intérêt particulier aux techniques de télétransmission et à ce que l’on appelle dans notre jargon l’interface magnétique puisqu’elles n’ont, effectivement, pas d’intérêt à agir. De ce point de vue là, nous retrouvons une conséquence du fait de n’avoir aucune obligation de rendre des comptes, à qui que ce soit, de l’action menée durant un exercice ce qui n’encourage évidemment pas cette optimisation.

Nous ne sommes pas maîtres de la situation ; le système conduit à une passivité absolue des acteurs ; il n’existe aucune incitation à l’optimisation de la gestion. Une fois énoncés ces trois principes, il est évident que nous ne pouvons que nous rallier à ce que dit la Cour des comptes : le système doit être reconsidéré dans son principe.

Nous aurions la volonté d’optimiser la gestion du système étudiant d’assurance maladie, qui nous coûte à peu près 420 millions par an, si nous faisions gérer ses comptes par les caisses primaires d’assurance-maladie, car cela réduirait les coûts de gestion au minimum de la moitié. Nous serions alors dans un système où l’on voudrait réduire le déficit, optimiser la gestion de l’assurance maladie des étudiants et tâcher d’éviter que, médiatiquement ou politiquement, le service public soit rendu comptable de carences de gestion dont il n’est nullement maître ; il est évident que la Cour a raison de dire que le système devrait être reconsidéré dans son principe.

Si une telle innovation, une telle modernisation apparaissent hors de portée, il serait alors peut-être souhaitable de donner une réalité à cet attachement au principe, proclamé spasmodiquement par l’Etat, du respect de l’autonomie de l’assurance maladie et de permettre, par conséquent, à la CNAM de négocier réellement avec les mutuelles étudiantes. S’agissant de l’affiliation, il faudrait à tout le moins reconnaître le principe de la résiliation quand la section locale universitaire n’existe pas – ce serait un minimum. Il conviendrait, ensuite, en raisonnant à partir des coûts réels, de donner la possibilité à la CNAM de calculer les remises de gestion des sections locales étudiantes exactement comme sont calculées les remises de gestion des caisses primaires afin d’arriver à une équité et une égalité de situation, aujourd’hui hors de portée. Cela nécessiterait, naturellement, d’astreindre sans délai les mutuelles étudiantes à la tenue d’une comptabilité analytique et, tant que celle-ci n’est pas présentée, de pouvoir pratiquer des abattements sensibles sur la remise calculée à partir des coûts réels. Il serait bon, enfin, de prévoir vis-à-vis des mutuelles étudiantes, comme cela existe pour les associations que nous subventionnons, une possibilité de contrôle par l’assurance maladie, sur pièces et sur place, des comptes et de l’existence des sections locales étudiantes.

Monsieur le président, je vous avais dit que mon exposé introductif serait bref, j’en ai terminé.

M. le Président : La teneur de votre discours me conforte dans l’idée qu’il était indispensable pour notre commission de vous entendre.

En premier lieu, je voudrais savoir si la position que vous adoptez au nom de la CNAM, est connue depuis longtemps de votre ministère de tutelle. Est-ce là votre position depuis les derniers rapports de la Cour des comptes et de l’IGAS ou est-ce une position de principe que la CNAM défend depuis longtemps ?

M. Gilles JOHANET : Il ne s’agit pas d’une position a priori. C’est un constat a posteriori établi au vu de ce que nous vivons dans nos relations avec les mutuelles étudiantes.

Je faisais référence à l’audit de 1993. Cet audit traduisait déjà la volonté de prendre en compte les coûts réels et non pas celle d’aligner uniformément vers le haut le montant des remises de gestion comme cela s’est fait à partir de 1985 puis a été conforté en 1992.

Le rapport de l’IGAS ne nous satisfait pas. Dès lors qu’il postule qu’il n’est pas nécessaire de changer les textes, nous éprouvons un véritable malaise, parce que nous considérons pour notre part qu’il faut les modifier radicalement. Bien entendu, lorsque ce rapport indique que la remise de gestion devrait être fixée autour de 270 F si l’on intègre les dépenses de communication – 260 F sans le sponsoring des courses à voile, etc. – au lieu de 320 ou 340 F, c’est mieux que si c’était pire. Nous sommes des pragmatiques, nous préférons 260 F, mais ce n’est pas un changement de nature des relations entre les mutuelles et la CNAM, changement qui doit absolument s’instaurer. Si nous passons, comme nous le demandons, au coût réel, et si nous abandonnons l’uniformité du montant des remises de gestion, nous changeons de logique. Nous passons à une logique du service rendu, nous quittons la logique de rente.

M. le Président : Nous avons pourtant entendu beaucoup de témoins, mais vous êtes les premiers à tenir ce langage. Avez-vous fait part de cette position à votre ministre de tutelle ? Une réflexion allant dans ce sens est-elle conduite au sein d’autres organismes ? Quelle est, à votre avis, l’écoute du ministère à ce sujet ?

M. Gilles JOHANET : Nous venons de recevoir officiellement le rapport de l’IGAS, mais nous n’y avons pas encore répondu officiellement. Par contre, c’est tout à fait logique et ce n’est pas nouveau, il existe des relations de travail, constantes et quotidiennes, entre la CNAM et le ministère, qu’il s’agisse des services ou du cabinet. Le ministère ne peut donc ignorer que, depuis des années, la CNAM continue de trouver ce système radicalement insatisfaisant.

Permettez-moi, monsieur le président, de dire que si ma position est la seule allant en ce sens, c’est peut-être parce que c’est celle du financeur. J’ose croire, par hommage à la logique, que celle du bénéficiaire est différente !

M. le Président : Vous ne manquez pas d’humour à ce sujet.

M. Gilles JOHANET : Cela vaut mieux !

M. le Président : Si des délibérations ont été prises par la CNAM à ce sujet, je souhaiterais les obtenir. De même, je vous demanderais de nous faire parvenir l’audit de 1993, qui sera certainement très instructif pour les membres de la commission.

A quoi sont dues, d’après vous, les dérives dans la gestion des mutuelles étudiantes, s’agit-il de dérives consubstantielles au système ou peuvent-elles être évitées ?

M. Gilles JOHANET : Si l’on ne change pas de système, on ne peut les éviter. Elles sont bien consubstantielles au système. Dès lors que l’on construit un système totalement opaque et ne comportant aucune incitation à optimiser la gestion, il est logique que cette gestion ne soit pas bonne. Dès lors que, d’emblée, on verse une remise de gestion d’un montant supérieur pour de nombreuses mutuelles au coût de la gestion de la part obligatoire, on admet, implicitement mais de façon irréfutable, que des transferts d’une section à l’autre, pour parler de façon économique et non comptable puisque la comptabilité ne reflète pas la réalité, sont légitimes ; légitimes, pas seulement logiques !

La dérive est donc consubstantielle au système.

M. le Rapporteur : D’autres organismes mutualistes bénéficient de remises de gestion de la CNAM et gèrent des régimes obligatoires, le système est-il mieux maîtrisé par la CNAM, y-a-t-il la même opacité ou cette situation est-elle spécifique à la gestion du régime de sécurité sociale étudiant ?

M. Gilles JOHANET : Je ne vous dirai pas que le système des remises de gestion avec les autres mutuelles est entièrement satisfaisant et ne présente absolument aucun problème. Cependant, la spécificité du régime étudiant vient du fait que les remises de gestion ont été calculées à partir du nombre d’étudiants, alors que les étudiants sont des assurés qui n’ont pas un profil de consommation égal à celui des adultes que l’on va trouver à la MGEN ou à la MGPTT. Les jeunes sont des " consommants " plus faibles et ils consomment moins souvent, il va donc y avoir moins de décomptes, a fortiori, de cellules actes. Il y a aussi beaucoup moins d’ayants droit, car peu d’entre eux sont mariés ou chargés de famille. Donc, compter par assuré et non par bénéficiaire, et a fortiori par décompte, c’est-à-dire par nombre de remboursements dans l’année, crée une situation de rente.

Par assuré, les mutuelles étudiantes ne sont pas chères, elles sont même moins chères que les caisses primaires. Certes, dans les mutuelles étudiantes, il peut y avoir quelques assurés " coûteux ", mais il n’y a pas de personnes âgées, ce sont elles qui coûtent très cher en gestion.

Si l’on compare les coûts par décompte, ce qui égalise la situation, les caisses primaires vont de 21 à 25 F et les mutuelles sont à 38 F. L’écart est absolument considérable.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Les mutuelles, en général ?

M. Gilles JOHANET : Non, les mutuelles étudiantes.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Qu’en est-il de la MGEN, par exemple ?

M. Gilles JOHANET : Justement, il est très intéressant de constater que nous avons pour les mutuelles générales, comme pour les mutuelles étudiantes, un plan sur neuf ans de réduction des remises de gestion. Avec les mutuelles générales, nous avons obtenu de bons résultats. La MGEN, par exemple, a remonté d’une vingtaine de place et se retrouve maintenant classée largement dans la première moitié, peut-être même dans les vingt premières caisses.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Concrètement, pour la MGEN, le montant des remises de gestion est-il conforme exactement aux coûts de gestion de l’assuré ?

M. Jean-Paul PHÉLIPPEAU : Non, il n’est pas conforme aux coûts de gestion. M. Johanet disait que le système n’était pas satisfaisant non plus en ce qui concerne les sections locales mutualistes de fonctionnaires. Le contrat de plan pluriannuel étant venu à échéance, nous travaillons actuellement avec les mutuelles sur la période suivante. Un des sujets de négociation est de remettre sur la table les éléments de chiffrage, pour actualiser les coûts réels supportés par les mutuelles. La grande différence par rapport aux sections locales mutualistes étudiantes, c’est qu’avec les sections locales mutualistes de fonctionnaires, nous avons une approche mutuelle par mutuelle. Les remises de gestion ne sont donc pas alignées de façon uniforme, elles prennent bien en compte l’activité du service rendu par chacune des mutuelles sur la base des justificatifs que celles-ci fournissent.

C’est pour cette raison que nous pouvons dire que la qualité de gestion de la MGEN est largement meilleure que celle des autres mutuelles de fonctionnaires, car nous disposons des éléments qui permettent de l’établir même si, dans un dispositif de financement d’un service rendu, il reste encore des efforts à faire pour se rapprocher encore des coûts réels et fixer au mieux le montant des remises de gestion.

Quoi qu’il en soit, ce système reste plus satisfaisant que le système mutualiste étudiant pour lequel on a procédé, à partir des remises de gestion déjà servies à la MNEF, a une uniformisation par le haut pour fixer le montant de celles servies aux SMER, lorsque celles-ci sont venues en concurrence.

M. Joël GOYHENEIX : Rassurez-nous : dans ce classement, les mutuelles étudiantes sont les plus mauvaises ? Ou existe-t-il des systèmes encore plus mauvais ?

M. Gilles JOHANET : Peut-être faudrait-il regarder la batellerie ? La controverse idéologique est violente entre les mutuelles étudiantes et la caisse de la batellerie. Mais la caisse de la batellerie est d’une portée très réduite. Il ne reste plus beaucoup de " bateleurs ", comme dit le président !

M. André ANGOT : Vous parlez du système aberrant d’égalité de traitement entre les mutuelles, mais ne pensez-vous pas qu’en attribuant à chaque mutuelle une somme équivalente au coût réel du traitement de ses dossiers, on risque d’encourager la mauvaise gestion car les mutuelles qui réussiront à faire passer dans leurs comptes des coûts élevés de gestion de dossier bénéficieront d’une somme plus élevée que celles qui réalisent de gros efforts de gestion ?

Par ailleurs, lorsque vous parlez de certaines mutuelles de fonctionnaires qui ont des coûts de gestion très inférieurs, pouvez-vous nous affirmer que ces mutuelles ne bénéficient pas de personnels mis à leur disposition par leur administration centrale ?

M. Gilles JOHANET : Monsieur le député, la sécurité sociale étant, à de si nombreuses reprises, appelée à financer des actions publiques qui ne relèvent pas de la sécurité sociale, si d’aventure, via des mutuelles de fonctionnaires, elle bénéficiait d’une action publique financée par d’autres ministères, nous trouverions là un prêté pour un rendu un peu inattendu mais ô combien bénéfique, nous plongeant dans un état de béatitude que je ne saurais prolonger. Mais je ne peux pas me prononcer sur l’intensité de cette gracieuseté que nous ferait le ministère de l’éducation nationale.

Sur votre première question, il est tout à fait vrai que si nous étions amenés à financer sur la base des coûts réels dans une situation de payeur aveugle, situation que nous connaissons très bien pour la vivre dans de très nombreux domaines, l’inflation des dépenses serait absolument garantie. Mais cela, personne ne le demande, pas même les mutuelles étudiantes. Nous souhaiterions, en fait, un financement au coût réel, assorti d’objectifs à réaliser tels que l’équipement en interface magnétique – les caisses fonctionnent à 30 % en interface magnétique, cela coûte moins cher et permet des économies, les mutuelles étudiantes sont à zéro – ou la mise en place d’une comptabilité analytique soumise à un contrôle et séparant la gestion de la part du régime obligatoire de la gestion de la part complémentaire. Si tel était le cas, nous n’irions pas à l’inflation parce que nous sommes convaincus que nous sommes capables de maîtriser un tel dispositif.

M. le Rapporteur : Pour vous, le système actuel est aberrant. Selon vous, quelles modifications législatives, notamment du code de la mutualité, du fonctionnement des conseils d’administration et du partenariat avec les mutuelles étudiantes – si tant est que vous souhaitiez que celles-ci puissent perdurer – faudrait-il apporter pour améliorer la transparence du système et pour arriver à un coût plus juste ?

M. Gilles JOHANET : Si l’on analyse la situation de l’amont vers l’aval, sans exiger des choses tout à fait indigestes comme la possibilité pure et simple pour l’assurance maladie de juger de l’opportunité de la passation d’un contrat de délégation de gestion avec les mutuelles étudiantes, et si l’on admet que la création des mutuelles étudiantes est de droit, je pense qu’il serait bon de revoir les critères de création des sections locales universitaires sur deux points.

Il faudrait revoir le seuil de mille étudiants dans la circonscription de caisse, qui actuellement ne signifie plus rien. Aujourd’hui, avec le développement du nombre d’étudiants et le plan Universités 2000 de déconcentration des universités, toute ville de plus de 30 000 habitants compte mille étudiants. Je ne critique pas ce seuil en soi, je constate seulement qu’il aggrave la seconde disposition qu’il faudrait modifier, celle qui fait que la section locale étudiante peut être totalement virtuelle, ne pas avoir de conseil d’administration.

A ce moment-là, on commence à toucher au fond. J’ai cru comprendre, même si la logique de la création du régime étudiant ne m’apparaît pas spontanément, que sa légitimité venait du fait qu’il assurait aux étudiants une sécurité sociale de proximité, plus proche d’eux. Je m’interroge. Comment une section locale universitaire qui n’existe pas peut-elle être proche des étudiants ? Cette percée conceptuelle nous dépasse, et j’avoue ne pas la maîtriser. Donc, le premier point concerne la réalité de ces sections locales universitaires.

Deuxième point, il est indispensable d’établir une situation d’équité, c’est-à-dire de faire en sorte que le financement des mutuelles étudiantes s’opère sur les mêmes critères que le financement des CPAM. Il est tout de même paradoxal que les établissements de service public soient astreints à une obligation de transparence et de compte rendu auxquelles les concessionnaires de service public ne sont pas astreints. C’est un paradoxe extraordinairement provocant.

De ce point de vue, l’analyse des coûts réels ex ante, l’obligation d’un plan comptable séparant les sections obligatoire et complémentaire – donc, d’une comptabilité analytique – et la possibilité pour l’assurance maladie de résilier, en cas d’urgence, selon des critères que pourra définir le législateur ou plutôt le pouvoir réglementaire car cela me semble relever plutôt de l’article 37 de la Constitution, la délégation par remise de gestion dès lors que ces différentes conditions ne sont pas réunies nous semblent indispensables. Nous sommes d’accord pour que les critères soient définis ex ante contradictoirement et ne restent pas entièrement à notre main mais les réformes dont je viens de parler seraient de nature à assainir considérablement la situation.

Nous pourrions en ajouter d’autres. Par exemple, il ne serait pas totalement insolite que les mutuelles étudiantes soient obligées de publier leurs comptes, et de les publier d’une façon claire, accessible aux étudiants, au moins aux étudiants en comptabilité, ce serait une première étape.

Nous comprenons bien, pour tenir compte des réalités, la nécessité de prévoir une transition d’un an ou deux, et de retenir dans un premier temps le montant de remise de gestion proposé par l’IGAS à 260 F pour ne passer au coût réel qu’en deux ou trois étapes. Nous sommes d’accord pour ménager ces transitions car nous ne cherchons pas à casser les mutuelles étudiantes, mais à sortir d’une situation inacceptable.

M. le Président : La spécificité du régime étudiant vous paraît-elle devoir ou pouvoir être maintenue par rapport au projet de loi relatif à la CMU, actuellement en discussion ?

M. Gilles JOHANET : Franchement, je n’y ai pas trop réfléchi.

M. le Rapporteur : À plusieurs reprises au cours de votre exposé, vous avez fait allusion à des sections locales mutualistes qui n’existaient pas et n’avaient que l’apparence de l’existence. J’aimerais que vous précisiez ce que vous entendez par là.

M. Gilles JOHANET : La mutuelle étudiante est une mutuelle qui, théoriquement, est gérée par des étudiants élus. La section locale universitaire est théoriquement gérée par un conseil d’administration. Mais rien ne garantit la création effective de ce conseil d’administration. Nous pouvons donc avoir une section locale universitaire composée exclusivement d’un ou deux gestionnaires délégués et payés par Paris.

M. le Rapporteur : Cela existe ?

M. Gilles JOHANET : Oui.

M. le Rapporteur : Où ?

M. Gilles JOHANET : Nous pouvons vous en établir la liste.

M. Jean-Paul PHÉLIPPEAU : Je crains que l’absence de conseil d’administration ne soit très généralisée. La mutuelle nationale existe, mais la section locale chargée de la gestion du régime obligatoire n’existe pas en tant que telle. Elle existe en tant qu’outil de gestion, elle n’existe pas juridiquement, avec un conseil d’administration. Il arrive même que la mutuelle délègue à une société de services le traitement de ses dossiers, notamment l’informatique. Donc, en réalité, nous avons sur place une structure de gestion minimale, qui fonctionne avec un minimum de frais et qui délègue les prestations de services. Il n’y a pas la section locale mutualiste gestionnaire du régime général étudiant.

M. Gilles JOHANET : Théoriquement, d’après l’article R. 381-29 du code de la sécurité sociale, le conseil d’administration comprend sept membres dont quatre étudiants, un représentant du ministère de l’éducation nationale, un représentant de la CPAM et un représentant des autres régimes " classiques ". Faute d’une comptabilité analytique, la CPAM a ainsi la possibilité d’avoir potentiellement un droit de regard sur la gestion des dépenses et des comptes. Le fait que ces conseils d’administration ne soient pas mis en place est très révélateur.

Cela étant, pour ne rien vous cacher, je ne suis pas demandeur de cette disposition. Je trouve que c’est une parfaite confusion des genres, d’ailleurs assez fréquente dans l’administration française où le financeur, plutôt que d’instaurer une relation client-financeur, ou client-fournisseur, avec, en l’espèce, les mutuelles étudiantes, va chercher une place dans un conseil d’administration chez le bénéficiaire, qui en fait ne lui assure pas grand-chose. Mais enfin, c’est mieux que si c’était pire. Nous avons le pire, c’est-à-dire que nous n’avons même pas cela. Mais ce n’est pas un idéal.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Le système présente cependant un intérêt parce que le montant de ces remises de gestion permet de dégager des excédents qui permettent de financer toute une série d’activités dont profitent les étudiants, dans le domaine de l’animation culturelle, avec la Carte Jeunes, dans celui du logement, etc. Il y a certes eu quelques dérives mais, globalement, quelle appréciation portez-vous sur ces activités ?

M. Gilles JOHANET : Une appréciation extraordinairement négative, pour deux raisons.

D’une part, je suis absolument convaincu que l’utilité sociale marginale de ces activités n’a rien d’optimale pour la sécurité sociale. Avant de financer ces activités, on ferait bien mieux de mettre ces ressources sur les appareils dentaires des enfants, par exemple, où des besoins ne sont pas couverts en ce moment.

D’autre part, je trouve totalement malsain, même si l’utilité sociale marginale de ces activités était optimale, que cela se fasse en catimini. C’est pourtant ce qui se passe.

M. le Rapporteur : Vous n’êtes donc pas demandeur de la présence de la CNAM dans les conseils d’administration des mutuelles étudiantes ou autres, gestionnaires d’un régime obligatoire ?

M. Gilles JOHANET : Je vous le confirme : je ne suis pas demandeur. Je suis pour des relations claires entre eux et nous, sans aucune confusion des institutions.

M. le Rapporteur : Il semblerait cependant, d’après ce qui nous a été dit, que le conseil d’administration de la MNEF n’ait pas joué son rôle. Il existait, se réunissait, mais son pouvoir de contrôle réel sur les activités de la structure administrative n’aurait pas été des plus performants.

M. Gilles JOHANET : Je ferai assez volontiers une assimilation à la situation de la CNAM. Il n’est venu à l’idée de personne, jusqu’ici, de proposer que l’Etat siège au conseil d’administration de la CNAM en tant qu’administrateur. En revanche, il n’est venu à l’idée de personne de considérer comme anormal que l’Etat ait auprès du conseil d’administration des commissaires du Gouvernement. Je considère, personnellement, comme tout à fait normal que non seulement il y ait des commissaires du Gouvernement mais qu’il y ait aussi un contrôleur d’Etat.

Chacun est dans son rôle : celui de l’Etat est de contrôler ; nous, nous sommes financeur. Nous pouvons, à ce titre, contrôler l’emploi des dépenses. Nous devons donc avoir accès à la comptabilité. En revanche, ce n’est pas notre rôle de contrôler la politique des mutuelles étudiantes. Cela relève de l’Etat.

Je serai donc très précis : je ne trouve ni utile ni même sain que l’assurance maladie soit administrateur des mutuelles étudiantes. Je trouverai inattendu que l’Etat ne soit pas présent auprès de ces conseils d’administration, que ce soit comme commissaire du Gouvernement ou d’une toute autre façon. Mais cela, c’est l’Etat, ce n’est plus nous.

M. André ANGOT : Vous considérez que les activités annexes des mutuelles ne relèvent pas de la politique de la santé puisqu’elles ne lui apportent rien. Pourtant, toutes les organisations étudiantes que nous avons entendues de même que les dirigeants des mutuelles nous ont tous bien convaincus que faire participer les étudiants à des associations sportives ou culturelles, les faire bénéficier de la Carte Jeunes pour avoir des réductions au cinéma ou dans des activités culturelles, leur proposer des logements qui répondent mieux à leurs besoins, avait un effet bénéfique sur leur santé, notamment en ce qui concerne les troubles psychologiques et psychiatriques qui sont de plus en plus nombreux dans le milieu étudiant. Il y a donc là une légère différence d’appréciation entre vous et les organisations étudiantes.

M. Gilles JOHANET : Je ne pense pas qu’il soit problématique que nous ayons une différence d’appréciation, du moment que nous en sommes intellectuellement maîtres. Que les responsables des mutuelles étudiantes voient en quelque sorte midi à leur porte me paraît normal. Cela n’a rien de choquant. Il est logique que les responsables des mutuelles étudiantes cherchent à obtenir le maximum de ressources pour améliorer la santé des étudiants.

Là où nous commençons à percevoir, dans leur propre logique, une petite faille, c’est quand la conception de l’amélioration de l’état de la santé des étudiants va jusqu’à payer des places de cinéma. Je me réfère à la définition de l’OMS qui vise l’état complet de bien-être ; je ne pense pas que l’action publique soit de poursuivre pour chacun l’atteinte de l’état de béatitude ! Même si des films peuvent y contribuer, il y a des limites à poser.

Mais je n’irai pas au-delà. Je n’ai pas dit que les activités annexes des mutuelles étudiantes n’apportaient rien dans le domaine de la santé. Je ne l’ai pas dit et je ne le pense pas. Mais je suis tenu, en tant que gérant du régime général, de faire une approche comparative. Qu’est-ce qui est le plus important : développer des activités sportives et culturelles pour les étudiants ou, par exemple, assurer aux quelque trente départements qui n’en ont pas des examens de santé aux plus pauvres, à ceux qui ont moins de 2 500 F par mois ? On n’est plus aux 3 500 F de la CMU ! Qu’est-ce qui est le plus prioritaire ?

J’ai besoin d’argent pour étendre cette action à ces trente départements qui n’ont pas ce minimum d’examens de santé périodiques qui est pourtant un moyen incomparable de dépistage de situations de précarité dans le domaine de la santé. Il nous faut une trentaine de millions, pas plus. Alors, excusez-moi, mais je ne vous suis pas, je ne finance pas le cinéma des étudiants.

M. le Président : Il existe certainement d’autres postes de budget où vous pourriez obtenir ces 30 millions. D’après ce qui nous a été indiqué, la santé des étudiants n’est pas bonne actuellement. Tout le monde nous a signalé l’état de santé extrêmement précaire des étudiants, assorti d’exemples qui posent problème. On nous a, par exemple, indiqué qu’il n’y avait plus de visite médicale obligatoire pour les étudiants de première année, qu’un certain nombre d’actes de prévention étaient extrêmement médiocres, qu’en ce qui concerne la santé mentale des étudiants, sur laquelle beaucoup ont insisté, les problèmes s’accentuent, année après année, liés à l’augmentation du nombre des étudiants qui atteint aujourd’hui 2,2 millions ; ces jeunes ont peur de ne pas trouver d’emploi, ce qui engendre un stress important. Lorsque j’étais à l’université, étudiant puis enseignant, il n’y avait pas de difficulté pour trouver un emploi. Les étudiants stressés étaient peu nombreux.

L’autre élément sur lequel nous avons eu à réfléchir est celui de la santé des jeunes mères étudiantes, et du désir de maternité qu’elles ne peuvent pas réaliser en raison des très grandes faiblesses du système de protection sociale qui leur est accordé. Nous avons posé des questions sur le logement étudiant et la possibilité pour ces jeunes femmes d’y accueillir leurs enfants. Nous n’avons pas reçu de réponses très satisfaisantes à ce sujet.

La santé des étudiants qui appartiennent à des couches très défavorisées de notre population et qui sont à rapprocher des personnes que vous citiez tout à l’heure semble globalement inquiétante. Êtes-vous d’accord avec ce diagnostic ? Que proposeriez-vous pour améliorer la situation ?

M. Gilles JOHANET : Monsieur le président, je ne partage pas tout à fait votre constat. Quand on regarde les enquêtes de l’INED ou de l’INSEE, on se rend compte que les étudiants n’appartiennent pas encore aux milieux très défavorisés de la population. Il y a une surreprésentation des catégories socioprofessionnelles privilégiées (CSP) encore manifeste. La population étudiante appartient en moyenne à des catégories socioprofessionnelles plus favorisées que la moyenne de la population française.

Vous dites que la santé n’est pas bonne. Je ne connais pas de CSP dont la santé est bonne. C’est extrêmement important car cela veut dire que l’appréciation qui doit être portée sur la santé des étudiants doit toujours être comparée à l’appréciation de la santé portée sur tous.

Vous dites qu’il existe un stress lié à la peur de ne pas trouver d’emploi. J’ai, pour ma part, lu des choses très pertinentes sur le fait que le stress de perdre son emploi pour l’actif est au moins aussi fort que le stress ne pas trouver d’emploi pour l’étudiant.

Je ne vous dis pas que la santé des étudiants est bonne, mais je vous dis que je n’ai pas de données à l’heure actuelle me permettant de considérer que cette santé est d’un niveau moins bon que celles des autres CSP, corrigée naturellement de l’âge sinon je défavorise complètement l’examen de la situation des étudiants. Je ne dispose pas d’éléments m’indiquant qu’elle s’est dégradée, relativement ou absolument, dans un passé récent.

Vous parlez des jeunes mères étudiantes. Nous trouverons certes des cas individuels douloureux. Mais, Monsieur le président, à regarder les statistiques de l’INED, comment peut-il y avoir un problème massif des jeunes mères étudiantes alors qu’il n’existe plus de jeunes mères dans ce pays ?

Je ne dis pas qu’il n’existe pas de problèmes de santé chez les étudiants. Mais quand on gère le régime général, on est tenu de comparer la situation de tous. Je parlais tout à l’heure des plus pauvres, des appareils dentaires des enfants, on pourrait aussi parler des appareils auditifs des personnes âgées.

Cela dit, je voudrais ajouter deux considérations. Premièrement, même si la santé des étudiants était la plus mauvaise de France, cela ne justifierait en rien l’absence de transparence dans l’emploi des deniers sociaux par les mutuelles étudiantes. Deuxièmement, il est terrible que l’on en arrive en 1999, dans ce pays, sans savoir quelle est la santé des étudiants. On peut aussi bien avoir un lamento continu qu’un borborygme militaire – " De mon temps, tout allait bien. Circulez, il n’y a rien à voir ! ". Au fond, il n’existe pas de constat scientifique, d’épidémiologie, nous permettant de connaître grossièrement l’état de santé de cette catégorie prise en elle-même et surtout, plus finement, de la comparer à celles des autres CSP.

Tout à l’heure, un membre de la commission se demandait si les activités sportives et culturelles ne participaient pas à l’amélioration de la santé. S’il y a 20 ou 30 millions de marges de manœuvre, mettons-les dans les observatoires régionaux de la santé et faisons un programme spécifique de connaissance et d’enquête sur la santé des étudiants. Il sera unique en France, c’est vrai, mais tant pis, cela améliorera en profondeur l’état de santé des étudiants, et ainsi, on commencera par le début, et pas par le cinéma !

M. Joël GOYHENEIX : Vous avez insisté sur la nécessité d’une comptabilité analytique, ce qui paraît effectivement tout à fait logique. En même temps les différents intervenants que nous avons reçus, y compris ceux de la Cour des comptes, ont décrit la difficulté qu’il avait à la mettre en place dans la mesure où la gestion d’un dossier étudiant est la même, qu’il s’agisse de son assurance de base ou de ses assurances complémentaires. Avez-vous des propositions à formuler pour la mise en place de cette comptabilité analytique ?

M. Gilles JOHANET : Je comprends cette objection. Je n’ai jamais prétendu que ce soit facile. Le problème est de savoir si c’est impossible. Or cela n’a absolument rien d’impossible.

Tout d’abord, en ce qui concerne les prestations normées, qui constituent l’essentiel de la dépense, c’est-à-dire les prestations de base obligatoires et les prestations complémentaires, je cherche où est la difficulté. La nomenclature comptable ne pose absolument aucune difficulté. Évidemment, il faut savoir maîtriser la nomenclature comptable ! Cela demande un savoir-faire, mais je suppose que c’est un pré requis.

Ensuite, il y a les basculements entre l’action sanitaire et sociale, de base et complémentaire. Certes, mais la portée de cette ventilation est réduite et l’on peut se mettre d’accord avec les mutuelles étudiantes sur une clé de répartition. Je ne vois vraiment pas ce qu’il peut y avoir de dirimant.

Mais j’admets volontiers que c’est moins simple que s’il n’y a aucune règle et que l’on peut gérer, au jour le jour, dans une seule caisse pour tout le monde.

M. le Rapporteur : Comment se fait-il qu’aucune mesure de rétorsion n’ait été prise à la suite du non-respect de l’obligation de mettre en place une comptabilité analytique prévue dans les conventions passées à deux reprises entre la CNAM et les mutuelles étudiantes.

Parmi les suggestions qui nous ont été faites, certains intervenants parlaient de la possibilité d’une séparation comptable des différentes activités, distinguant les activités du régime général, les activités complémentaires et de prévoyance, et les activités que je qualifierai de plus ludiques, opérations immobilières et autres. À votre avis, jusqu’où peut aller l’argent de la CNAM dans le domaine de la prévention ? Une action de prévention existe au niveau des CPAM, pourquoi n’existerait-elle pas au niveau des mutuelles étudiantes ? Dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons introduit un amendement qui permettait la prise en charge d’un certain nombre d’actions de prévention par la caisse nationale d’assurance maladie.

M. Gilles JOHANET : Je voudrais vraiment qu’il n’y ait aucun quiproquo. Je ne conteste pas la légitimité d’une action de prévention vis-à-vis des étudiants. Nous demandons seulement que soit clairement distinguée la prévention qui dépend du régime de base – car la loi et la Constitution imposent aux mutuelles étudiantes comme à la CNAM, le respect du principe d’égalité – et la prévention du régime complémentaire, facultative, qui irait aux seuls étudiants bénéficiant de ce régime complémentaire.

Nous éviterions ce qui s’est produit dans d’autres régimes contrôlés par la Cour des comptes il n’y a pas si longtemps, à savoir la reproduction d’étourderies où l’on voit l’argent du régime de base servir à financer des actions relevant du régime complémentaire. Je fais ici référence bien évidemment à la MSA, tout le monde l’a compris !

Avoir trois niveaux d’activités ne nous pose aucun problème. Nous demandons seulement que ces trois niveaux soient distingués. D’ailleurs, depuis son redressement, la MSA y parvient de façon tout à fait satisfaisante. Ce n’était pas spontané, mais la confusion n’était pas pour autant fatale.

Pour revenir à votre première question relative aux engagements prévus dans la convention de 1993, qui n’ont pas été respectés par ces mutuelles, c’est une " technologie " que la CNAM maîtrise très bien, qui consiste à imposer les obligations sans sanctions. C’est un peu le syndrome du carnet de santé.

Je dois dire que c’est un plaisir assez particulier que de signer benoîtement des textes qui imposent des obligations en évitant soigneusement de prévoir des sanctions ! Nous avons pour cela un goût très modéré. A partir du moment où la CNAM n’a pas le droit de résilier, ni celui de contrôler, et où le coût est uniforme, nous sommes dans une situation ridicule. Croyez-moi, nous ressentons vraiment très vivement le caractère ridicule de la situation et, voyez-vous, Monsieur le rapporteur, je voudrais vraiment éviter de revenir devant une commission parlementaire dans cinq ans où l’on me dira : " A la suite du rapport de l’IGAS de 1999, vous avez passé une convention prévoyant un montant de 260 F de remise de gestion. Il y a un nouveau scandale avec la Smouillep, et vous n’avez rien fait pendant l’exécution de la convention ". C’est pour cela que je prends date et que je suis absolument ravi que tout soit enregistré.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais pouvoir à nouveau rencontrer M. le directeur délégué lorsque nous en serons à élaboration des propositions.

M. Gilles JOHANET : D’autant, Monsieur le rapporteur, que nous aurons à ce moment-là pris position officiellement sur le rapport de l’IGAS et que nous sommes tenus de vous communiquer cette prise de position.

M. le Président : A votre avis, quel système de contrôle par l’Etat devrait être mis en place pour être effectif et sérieux ?

M. Gilles JOHANET : Le système de contrôle de l’Etat est organisé et sérieux. N’y voyez aucunement un esprit corporatiste ou partisan, mais je ne puis que rendre hommage à la qualité des travaux de la Cour des comptes, qu’il s’agisse de la MNEF, de la MSA ou d’autres demain. Je ne peux mettre en doute la qualité et la complétude des travaux de l’IGAS. Leur limite vient de ce que les champs de compétence de la Cour et de l’IGAS, sont immenses et que, la périodicité des contrôles est donc faible. C’est pour cela qu’en termes de contrôle, nous souhaiterions très vivement que l’audit général de la CNAM puisse avoir des conséquences sur les mutuelles étudiantes.

M. le Président : En fait, je pensais en vous interrogeant à la commission de contrôle des mutuelles et au rôle de son président.

M. Gilles JOHANET : Je ne me prononcerai pas sur ce sujet, monsieur le président, si vous me le permettez.

M. le Président : Auriez-vous une observation à formuler sur le problème de la nomination éventuelle d’un administrateur provisoire concernant la MNEF.

M. Gilles JOHANET : Je ne peux pas dire avoir vraiment suivi la question.

M. Jean-Paul PHÉLIPPEAU : Personnellement, moi non plus. Mais la CNAM n’a pas été sollicitée dans cette période, ni sur ces événements ...

M. le Président : Madame la ministre nous a fait savoir qu’elle avait été très surprise qu’un administrateur n’ait pas été nommé.

M. Gilles JOHANET : Oui, mais il s’agissait d’un dossier, comme il est logique, géré par le ministère. Nous, nous avons comme chaque jour ouvert notre journal, et avons appris qu’il y avait une possibilité que nous ayons été escroqués. C’était au début de l’année, nous nous sommes immédiatement portés partie civile, mais notre capacité d’action dans ce domaine ne va pas beaucoup plus loin.

M. le Président : Monsieur le directeur, je tiens à vous remercier particulièrement pour l’entretien très franc que vous nous avez réservé. Nous prendrons connaissance avec le plus grand intérêt de la position officielle de la CNAM sur le rapport de l’IGAS et nous nous réservons la possibilité de vous rencontrer à nouveau au moment de la rédaction du rapport et des propositions que nous comptons faire.

Audition de MM. Philippe STOFFEL-MUNCK, Président
de l’Union sociale des sociétés étudiantes mutualistes (USEM),
et Vincent SALETTE, responsable des relations institutionnelles

(procès-verbal de la séance du 6 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Stoffel-Munck et Salette sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Stoffel-Munck et Salette prêtent serment.

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Je vais commencer par vous présenter très brièvement ce qu’est l’USEM et la situer dans le cadre des mutuelles régionales.

Comme vous le savez le régime étudiant de sécurité sociale est géré par la MNEF et par les mutuelles régionales.

Aujourd’hui, les mutuelles régionales gèrent les prestations santé d’à peu près 55 % de la population étudiante, la MNEF assurant les 45 % restant. L’USEM est une union qui rassemble neuf des onze mutuelles régionales existant à ce jour, les deux autres se trouvant au sein d’une autre union, la MER.

L’USEM est un lieu d’échange d’informations, de concertation et de coordination des actions des mutuelles régionales. Elle a de plus en plus un rôle d’interface dans la mesure où notre fonction est d’aller chercher de l’information pertinente au niveau national et de la faire redescendre vers les mutuelles régionales, et dans l’autre sens, de la faire connaître à nos interlocuteurs institutionnels au niveau national.

Dans cette dernière fonction d’interface vers les institutionnels, le rôle de l’USEM consiste à essayer de faire mieux connaître les SMER, car, de tradition girondine et plutôt discrètes, elles souffrent parfois d’un manque de notoriété au niveau national en dépit de leur importance sur le terrain ce qui entraîne une insuffisante prise en compte de ses problèmes.

L’USEM a toujours joué ce rôle mais il s’est particulièrement développé ces dernières années, notamment vis-à-vis du monde politique
– personnellement, je suis président de l’USEM depuis septembre 1995 – en raison des mutations du monde étudiant et de l’assurance maladie, ce qui, contrairement au cas de la MNEF, n’était pas traditionnellement dans la culture des mutuelles régionales.

Depuis environ trois ans, nous nous attachons donc à rattraper notre déficit de notoriété afin de défendre mieux les intérêts de la population étudiante qui nous constitue et qui nous a fait confiance.

Cela a conduit à renforcer les moyens de l’USEM. Elle n’a aucune action économique, car telle n’est pas sa vocation, mais elle dispose désormais, ce qui n’était pas le cas avant, de 2 salariés et demi qui lui permettent de donner plus d’ampleur à son action et plus de permanence à son travail bien qu’elle reste, on peut le dire, une petite structure.

L’existence de cette commission d’enquête sur le régime étudiant est, pour nous, une opportunité extrêmement bien venue car elle nous permet d’exposer les caractéristiques majeures de la gestion du régime étudiant par les mutuelles régionales et d’espérer qu’en seront tirées rapidement, conformément à ce qu’avait dit Mme Martine Aubry, les conséquences juridiques et législatives pour améliorer le système en faveur des étudiants.

Je développerai deux points : d’une part, la légitimité de la gestion par les mutuelles régionales – en essayant de définir en quoi consiste cette légitimité, en rappelant ce qui a fait notre force et en dégageant les éléments qu’il conviendrait peut-être de prendre en compte dans votre réflexion – et, d’autre part, les améliorations du régime qui nous semblent opportunes.

La légitimité de la gestion par les mutuelles régionales est de trois ordres.

C’est, tout d’abord, une légitimité sociale, car, dans la mesure où notre mode de fonctionnement est axé sur l’échelon régional et non pas national, cela nous permet d’être peut-être plus proches des campus et des étudiants. Cette idée de proximité, voire d’osmose, entre les mutuelles régionales et le monde étudiant fait qu’a travers nos structures, si j’en juge par comparaison avec ce que j’ai vu ailleurs, les étudiants se trouvent beaucoup plus impliqués dans la vie de leur mutuelle.

Il s’agit, en outre, d’une légitimité sociale, non seulement en raison de notre composition et de notre échelon, mais également en raison de l’ampleur de notre action car il y a belle lurette qu’un étudiant n’attend plus de sa mutuelle une simple action financière, de remboursement des prestations, mais qu’il exige aussi que la mutuelle régionale s’implique dans tous les aspects de la qualité de vie étudiante, faisant ainsi sienne la définition large de la santé, au sens retenu par l’Organisation mondiale de la santé, à savoir toute cette idée de bien-être, aussi bien physique que moral. Cette conception coïncide avec le principe même de la mutualité puisque le premier article du code de la mutualité donne pour vocation aux mutuelles de s’assurer, entre autres choses, du développement culturel, moral, intellectuel et physique de leurs adhérents.

Cette légitimité sociale s’explique aussi par une forte collaboration avec les associations locales, beaucoup plus qu’avec les associations nationales, ce qui résulte encore du choix que nous avons fait de nous situer à l’échelon régional.

Nous travaillons en étroite collaboration avec les associations de terrain ce qui fait des mutuelles régionales un élément de structuration important du monde étudiant sur le terrain.

Pour faire une comparaison, je dirai que là où la MNEF a une importance très grande vis-à-vis des syndicats au plan national, traditionnellement le travail des mutuelles régionales a consisté à structurer le terrain associatif à l’échelon local, ce qui leur a permis d’intervenir sur toutes les questions liées à la lutte contre le mal-être étudiant au sens large du terme.

Il s’agit ensuite d’une légitimité économique mais je serai plus bref sur ce point. Le pluralisme de gestion du régime étudiant de sécurité sociale impose l’exigence de la plus grande qualité au moindre coût. En conséquence, nous avons, sans arrêt, dû chercher à faire mieux avec les mêmes moyens ou avec moins de moyens.

Pour reprendre des comparaisons que vous connaissez, je dirai, pour ce qui est, par exemple, de la gestion du régime obligatoire, que le niveau de remises de gestion des mutuelles régionales fut, avant qu’il y ait égalité de traitement, extrêmement faible, ce qui a bridé considérablement leur capacité à bien gérer le régime. Le fait est qu’à l’heure actuelle, le niveau de remises de gestion des mutuelles régionales – comme celui de la MNEF d’ailleurs – est de 320 F. Il est intéressant de rapprocher ce chiffre des niveaux de remises de gestion d’autres régimes délégués, 624 F pour la mutuelle de la fonction publique pour 1994, ou du coût moyen de gestion par une CPAM, 722 F de coût moyen de gestion, chiffre datant également de 1994.

Le niveau moyen des 50 meilleures CPAM s’établissait également autour de 620 F.

Bref, nous avons un chiffre de 320 F en 1998 et nous ne parvenons pas à obtenir des chiffres de comparaison plus récents. Ils nous intéresseraient pourtant et, comme nous n’arrivons pas à en avoir communication, si jamais la commission avait l’occasion de se les procurer, ce serait utile pour nous d’en avoir connaissance, ne serait-ce que pour évaluer où nous nous situons nous-mêmes.

Il s’agit, enfin, d’une légitimité technique dans la mesure où nous avons des délais de remboursement très brefs puisque nous parvenons à rembourser les prestations dans un délai qui va de 48 heures à une semaine maximum, le délai normal étant plutôt de 48 heures.

Voilà ce qu’il y a de bien et je pense d’important dans le fait que les mutuelles régionales soient gestionnaires du régime délégué de sécurité sociale des étudiants !

Mais certaines choses peuvent être largement améliorées.

Je ferai trois séries de propositions qui vont tout à fait dans le sens du rapport de la Cour des comptes.

Premièrement, la simplification.

Il y a des choses à simplifier dans la gestion du régime. C’est un régime qui comprend de nombreux intervenants ce à quoi on pourrait remédier rapidement et j’en prendrai un exemple : les opérations d’immatriculation et d’affiliation.

A l’heure actuelle, lorsqu’un étudiant va s’inscrire dans son université, il rentre dans le bureau de la scolarité, il y remet ses formulaires et il choisit son centre d’affiliation – mutuelle régionale ou MNEF... Par la suite, cette information est collationnée par les universités qui nous la transmette sur support papier ou, plus généralement, sur bande informatique, ce qui prend déjà un certain temps. Mais il convient surtout de noter que ce n’est pas cette opération qui va déclencher l’ouverture de droits parce que l’université transmet également l’information à la Caisse primaire d’assurance maladie, laquelle procède aux opérations d’affiliation et nous envoie, seulement après, les éléments susceptibles de nous permettre d’ouvrir les droits.

Ces opérations prennent plusieurs mois, ce qui fait qu’un étudiant qui a payé sa cotisation à la sécurité sociale et qui s’est normalement inscrit, pendant un délai de latence de trois ou quatre mois, ne percevra pas automatiquement de prestations au motif que nous n’aurons pas reçu de la Caisse primaire d’assurance maladie les éléments nous permettant de lui ouvrir des droits à coup sûr.

S’il nous envoie une feuille maladie, nous nous verrons obligés de la lui renvoyer en lui demandant une copie de son certificat de scolarité attestant son inscription.

Une telle situation entraîne des complications, des désagréments, et ce que nous proposons idéalement serait de faire en sorte que la chaîne se réduise et que ce soit directement les mutuelles étudiantes qui procèdent aux opérations d’affiliation. Nous aurions ainsi immédiatement l’information, sans attendre que les universités ou la CPAM nous la transmettent, mais surtout nous disposerions d’une information sûre, c’est-à-dire que nous saurions immédiatement et pertinemment si l’étudiant est bien affilié chez nous, si ses droits sont ouverts ce qui permettrait de le rembourser sur-le-champ et enlèverait, de surcroît, du travail aux universités qui se plaignent de manière récurrente que les opérations d’affiliation au régime étudiant de la sécurité sociale ne sont pas nécessairement dans leur vocation naturelle, alors qu’elles sont évidemment dans la nôtre.

J’ai donné cet exemple de simplification mais il y en a d’autres : le régime des ayants droit majeurs autonomes, comme l’a très pertinemment relevé la Cour des comptes et comme nous l’avons dit, est un régime qu’on pourrait simplifier.

Parallèlement à la simplification, il est un deuxième axe d’amélioration qui passe par une plus grande implication de la mutualité, et spécialement de la mutualité régionale, auprès des différents intervenants dans les domaines sanitaires et sociaux.

Je vous donnerai, cette fois, un seul exemple : celui de la médecine préventive universitaire (MPU). Au fur et à mesure que nous sentions évoluer le milieu étudiant, au fur et à mesure de ses attentes, nous avons mené de plus en plus d’opérations de prévention et constaté fréquemment combien l’étudiant gérait mal ses différents problèmes de santé qui vont d’un manque d’hygiène alimentaire à une consommation excessive d’antidépresseurs et autres.

Les médecines préventives universitaires travaillent bien en certains endroits et s’endorment un peu en d’autres. Elles ont été remises en cause, l’année dernière, et nous avons dit que nous étions prêts, que nous étions une interface dans le monde étudiant, que nous étions en osmose avec lui, nous avions une capacité à communiquer et à sentir les attentes des campus sans doute plus forte que n’importe qui, parce que, précisément, d’une part, la thématique de la santé est notre vocation et que, d’autre part, eu égard à la manière dont nous sommes organisés, nous travaillons sur le terrain.

Nous avons donc soutenu que si l’on voulait faire des campagnes de communication sur la prévention, il fallait nous y associer du fait de notre expérience et de notre positionnement qui sont de nature à donner un impact beaucoup plus important à la diffusion des messages comme nous avons pu le vérifier dans les endroits où cela s’est fait...

L’idée que nous avions soutenue était donc de dire : " Insérez-nous, d’une manière ou d’une autre, dans le cadre de la médecine préventive universitaire, nous avons la volonté de lui consacrer de l’énergie de manière à l’impulser, à avoir des actions et à mieux adapter sa communication vis-à-vis du monde étudiant ! "

Il y aurait d’autres exemples, notamment concernant les CROUS, l’idée de faire siéger les mutuelles étudiantes de manière systématique dans les Conseils des études et de la vie universitaire (CEVU) mais je reste sur l’exemple des MPU parce que le décret n’est toujours pas publié, alors qu’il a pourtant été rédigé, et qu’il n’a pas pris en compte cette proposition, ce que nous avons regretté dans le cadre des états généraux de la santé que nous avons organisés, il y a quelques semaines, tout comme l’ont regretté les MPU : les mutuelles ne sont pas à l’intérieur du système et c’est regrettable !

Après la simplification et la plus grande implication de mutuelles dans les domaines qui relèvent de leur vocation, je citerai un troisième axe d’amélioration qui suppose – et cette commission témoigne, à mon avis, que l’on va dans le bon sens – une plus grande considération pour l’étudiant dans le régime étudiant de sécurité sociale.

Il y a quelque chose que l’on ne peut pas ne pas souligner, c’est que, très souvent, on a le sentiment que l’étudiant est toujours considéré comme la cinquième roue du carrosse, qu’on s’en occupe quand on en a le temps, qu’on prend en compte les spécificités du rythme de vie universitaire quand on y pense. L’exemple de Sesam-Vitale est patent de ce point de vue : nous avons eu les pires difficultés à obtenir des informations, à faire valoir nos spécificités, et à faire comprendre, notamment, que, pour un étudiant, le régime se déroule par année universitaire et que, par conséquent, la carte valable trois ans, ou un régime d’ouverture de droits calé sur l’année civile ne pouvait pas marcher.

Nous avons rencontré les pires difficultés pour faire passer de tels messages et les mutuelles régionales en particulier, alors qu’elles représentent 55 % de la population étudiante actuelle, ont eu le plus grand mal à rentrer dans le système du répertoire national d’identification de l’assurance maladie.

Il en a été de même vis-à-vis de la CNAM : c’est extraordinaire que l’on fonctionne depuis des années – et cela, la Cour des comptes l’a très heureusement fait remarquer – dans un flou total, avec des remises de gestion qui ne sont pas fixées par un contrat d’objectifs pluriannuels qui vaut pour l’avenir mais par des conventions qui valident parfois rétroactivement la pratique qui s’est instaurée les années précédentes, ce qui n’est certainement, ni une méthode commode, ni le meilleur gage d’une gestion sérieuse, optimale – notamment en matière de gestion prévisionnelle – du régime.

Par conséquent, s’il pouvait ressortir de votre commission d’enquête qu’il faudrait un peu plus de considération pour les spécificités du monde étudiant, et pour les spécificités de l’étudiant, eu égard à son régime de sécurité sociale, ce serait une troisième amélioration, qui, bien que ne pouvant pas être inscrite dans les textes, serait, je pense, très appréciable pour l’étudiant !

M. le Président : Monsieur le président, je vous remercie pour cette présentation très claire, tant sur l’analyse que sur les propositions.

Quels sont vos rapports avec la CNAM ? Sont-il bons et avez-vous l’impression d’être en phase avec la CNAM, avec son directeur et la politique qu’il conduit actuellement ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Nous avons félicité, comme il est normal, le nouveau directeur, M. Johanet, pour sa nomination et demandé à le rencontrer, mais nous n’avons même pas obtenu de réponse. D’une manière générale, les rapports dépendent des interlocuteurs : il y a beaucoup de gens de bonne volonté mais, néanmoins, le sentiment d’être la cinquième roue du carrosse persiste parfois ce qui fait que les relations seraient, à mon avis, largement améliorables.

M. le Président : Hier, le directeur de la CNAM nous a indiqué que la meilleure des solutions serait de supprimer toutes les mutuelles étudiantes, qu’elles coûtaient un argent fou au système général de la sécurité sociale - le chiffre de 400 millions de francs a été évoqué - et que l’une des meilleures solutions consisterait à rattacher le système étudiant au système général de sécurité sociale. Il a estimé, par ailleurs, que les remises de gestion étaient totalement aberrantes, beaucoup trop importantes et ne correspondaient à rien. Quelle est votre appréciation là-dessus ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Cela appelle plusieurs commentaires.

D’abord, tant qu’à avoir ce genre de discours, j’estime qu’il vaudrait mieux le tenir directement aux intéressés. C’est pourquoi je pense qu’il serait bon que cette personne puisse nous recevoir pour que nous lui expliquions.

M. le Président : On peut également admettre qu’il le tienne devant la représentation nationale …

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Absolument, mais nous aurions été également heureux de pouvoir en discuter directement : cela viendra peut-être...

Dire qu’on simplifiera en supprimant tout est effectivement une solution, mais c’est une solution extrême qui ne serait pas nécessairement bien ressentie par le monde étudiant qu’elle priverait de quelque chose d’utile et pas seulement en termes de politique ou autres.

Le travail de proximité que nous avons mené depuis des années est un travail que les CPAM n’auraient pas engagé.

J’ai été salarié de l’université puisque j’étais en doctorat et, pour avoir relevé du régime général pendant un certain temps, je peux vous dire, par expérience, qu’il y a une très nette différence entre l’accueil dans une CPAM et l’accueil dans une mutuelle étudiante.

Le travail des mutuelles étudiantes répond mieux aux besoins de la population étudiante, du fait qu’elle est effectivement très peu encline aux démarches administratives, qu’elle est mobile, qu’elle se déplace souvent, qu’elle réclame souvent. J’imagine très mal les CPAM s’occuper de cette population et si, sur le principe, elles peuvent se dire preneuses, je me demande si elles ne penseraient pas, au bout d’un certain temps, en voyant vraiment les étudiants débarquer dans leurs locaux, que le cadeau était empoisonné.

Pour ce qui est du coût de gestion, il appelle des comparaisons. Eu égard à la manière dont nous nous sommes organisés, nous sommes contraints d’essayer de faire toujours mieux : les remises de gestion sont donc tendanciellement à la baisse. Si le directeur de la CNAM veut faire des économies, ce qui est à mon avis une bonne chose, il faut qu’il aille là où les économies sont peut-être les plus importantes à faire et, de ce point de vue, je me demande si le choix du régime étudiant de sécurité sociale est un choix très pertinent, car c’est un régime qui me semble économiquement bien géré.

M. le Rapporteur : Toujours sur cette problématique des relations entre la mutualité étudiante et la CNAM, j’aurai plusieurs questions à vous poser.

Premièrement, vous appelez de vos vœux un passage de contrat clair avec la CNAM. Il se trouve que les mutuelles étudiantes ont passé à deux reprises, semble-t-il, des conventions avec la CNAM, lesquelles n’ont pas été respectées par la mutualité étudiante, en particulier en matière de comptabilité analytique et que certaines mutuelles étudiantes n’ont même pas répondu à la CNAM sur ce thème, mais je vous accorde qu’elles n’appartenaient pas à l’USEM.

Je veux bien admettre que vous vouliez des contrats, mais on reste sceptique, lorsque l’on sait que les conventions qui ont été signées n’ont pas été respectées et comme elles ne comportaient pas de clauses contraignantes, les choses sont restées en l’état et l’on entame probablement la négociation d’une nouvelle convention qui risque de rester autant lettre morte que les deux précédentes. J’aimerais avoir votre sentiment sur ce point.

Deuxièmement, sur les remises de gestion, ce que nous explique la CNAM – et nous ne sommes pas ici pour être ses avocats mais pour vous exposer les questions que nous nous posons – c’est que les remises de gestion par affilié ne représentent pas forcément la même chose dans le monde étudiant et dans le régime général puisque ce dernier se caractérise par le fait que, sur un affilié, il y a plusieurs ayants droit, alors que le régime étudiant se caractériserait plutôt par l’inverse, c’est-à-dire que sur un affilié il n’y aurait qu’un ayant droit.

Par conséquent, la remise de gestion calculée par affilié n’est pas tout à fait représentative de la même chose dans les CPAM et dans le régime de sécurité sociale étudiante.

Enfin, toujours par rapport à la CNAM, ne vous semblerait-il pas, finalement, plus licite que le régime obligatoire soit géré par les CPAM et que les mutuelles étudiantes gèrent le régime complémentaire et tout ce qui touche au développement moral, intellectuel et physique de ses adhérents ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Sur le premier point qui se référait au non-respect de la première convention et, notamment sur la question de la comptabilité analytique, je dirai que c’est un problème technique qui est difficile à régler. La CNAM – mais là encore, on retrouve le syndrome de la cinquième roue du carrosse – a souhaité que cette comptabilité analytique soit mise en place et a été chargée de son installation que nous devions assumer en coopération avec elle. Il faut tout de même savoir que c’est elle qui ne nous a pas relancés et que ce sont les opérateurs de la CNAM qui, ayant souvent autre chose à faire, ont peu à peu laissé filer ce dossier effectivement complexe.

La première personne à m’en avoir parlé a été le Directeur adjoint de la sécurité sociale, M. Dominique Libault qui est revenu à la charge en insistant pour que nous mettions en place, avec la CNAM, ce système de comptabilité analytique.

Sur la question des conventions, je reste preneur de conventions plus claires, qui valent pour l’avenir et qui ne valident pas rétroactivement les pratiques de l’année précédente.

M. le Rapporteur : Oui, mais si vous ne les respectez pas…

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Comme je viens de vous le dire, c’était la CNAM qui était chargée de diriger les opérations, de provoquer les groupes de travail, de fixer les calendriers, de nous inviter à telle ou telle réunion mais cela n’a pas eu lieu.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous, après cet entretien, nous faire parvenir les copies des conventions que vous avez en votre possession et qui ont pu être signées entre la CNAM et vous ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Il n’existe pas de conventions entre la CNAM et l’USEM, il n’y a que des conventions passées entre la CNAM et les mutuelles régionales puisque l’USEM, ainsi que je vous l’ai dit, n’a pas d’activités économiques. Cela étant, je le ferai volontiers.

En ce qui concerne la deuxième question, je suis d’accord pour reconnaître que les remises de gestion ne doivent pas être du même niveau, pour les CPAM et pour les mutuelles d’étudiants.

Maintenant, nous ne réclamons pas de passer de 320 F à 620 F : le fait qu’il y ait un décalage nous semble normal !

Ce qui est un peu irritant, c’est cette manière de subir sans arrêt cette pression à la baisse tendant vers le zéro qui donne parfois le sentiment qu’elle cache une volonté de détruire le régime. Je précise, pour tempérer ce propos, que cela ne concerne pas tout le monde : certaines personnes ont assez nettement cette arrière-pensée et d’autres non.

Le fait qu’il existe une différence entre les remises de gestion versées au régime général et celles versées au régime étudiant n’a, je pense, jamais été contesté par personne, en tout cas pas au niveau de l’USEM.

M. le Président : Pour conforter les propos de Monsieur le rapporteur, quelle a été votre réponse à la proposition de ramener à 260 F les remises de gestion comme l’ont suggéré l’IGAS et l’IGF ? Est-ce possible, crédible ? Quelle appréciation portez-vous sur cette proposition émanant du rapport conjoint ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Là, j’avoue que je n’ai pas d’appréciation parce qu’il s’agit vraiment d’une question qui concerne la mutuelle régionale en fonction de sa gestion et de son appréciation économique de la réalité. Dans la mesure où je ne m’occupe que de l’USEM où nous n’avons pas d’activités économiques, je ne peux pas vous répondre.

M. le Rapporteur : Concernant l’utilisation des fonds de remises de gestion, si j’ai bien compris, les recettes des différentes mutuelles qui composent l’USEM proviennent d’une part, des remises de gestion, d’autre part, des cotisations mutualistes.

Il semblerait, d’après les analyses qui ont été faites par l’IGAS et l’IGF, que la concurrence a pu avoir des effets bénéfiques sur le niveau qualitatif des prestations mais qu’elle a surtout eu un effet sur le niveau des dépenses de communication qui ont un peu " flambé " et qui représentent des parts non négligeables des budgets des différentes mutuelles, laquelle communication s’inscrit dans le cadre d’une course à l’affilié en début d’année. Je ne suis pas certain qu’en ce sens, la concurrence ait eu un effet très positif sur l’utilisation de fonds qui appartiennent finalement aux étudiants.

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Le pluralisme se transforme en concurrence, lorsqu’on constate des dérapages sur telle ou telle chaîne d’inscription entre certains représentants des mutuelles étudiantes – la MNEF d’un côté, la mutuelle régionale de l’autre – qui se mettent à " se tirer la bourre ", comme on dit.

Premièrement, c’est un phénomène qui est pathologique et qu’en tant que président de l’USEM, soutenu en cela par le conseil d’administration, je regrette profondément parce que la manière dont les choses se passent sur les chaînes d’inscription, ne correspond pas à nos souhaits.

Nous nous en sommes émus et nous avons tenté à plusieurs reprises avec la MNEF de dire qu’il y avait des choses qu’il ne fallait pas faire, sans d’ailleurs rejeter toute la responsabilité sur la MNEF car il s’agit de dérapages, à mon avis, humains, sur le terrain, et non pas de dérapages structurels correspondant à une politique agressive : ce sont des dérapages d’hommes, dont ni, la MNEF, ni les mutuelles régionales ne sont à l’abri.

On tente de gérer la question au mieux. Une convention s’était tenue l’année dernière, sur la région lyonnaise avec la MNEF, ce qui avait permis d’établir véritablement une charte de bonne conduite à laquelle les intéressés se sont tenus, visant à éliminer les pratiques qui sont incompatibles avec l’éthique mutualiste, et à ce que ces dérapages, qui ne sont pas systématiques, soient vraiment restreints au pur niveau accidentel humain afin qu’ils ne puissent plus être exploités contre nous.

Voilà donc quelle est mon analyse de la suractivité sur les chaînes d’inscription que l’on constate de temps à autre.

Maintenant, pour ce qui trait à la communication en général, le chiffre que j’ai vu m’a surpris parce qu’étant aussi dans une mutuelle régionale, je vois comment les choses s’y passent.

Cela étant, il faut s’entendre sur ce que l’on appelle " communication " : si par communication on entend la conception et la diffusion de la brochure où l’on présente les prestations, les affiches qui présentent la mutuelle, je suis d’accord pour dire qu’à la limite il s’agit de communication ; en revanche, si on fait entrer les actions de prévention dans la communication, je trouve que l’on s’éloigne de la notion de communication au sens mercantile du terme.

Quand nous organisons une opération de prévention, nous sommes dans notre objet social au sens noble du terme, c’est-à-dire que c’est une opération qui correspond à notre vocation et qui est une opération de sécurité sociale. J’aimerais donc savoir si, dans ces chiffres, on a intégré, par exemple, les opérations de type colloques : est-ce que les états généraux de la santé sont considérés comme une opération de communication ? Est-ce que le questionnaire qui a été distribué partout en France au sein des mutuelles régionales de l’USEM pour savoir quelles étaient les préoccupations des étudiants dans les campus sur les questions de santé est considéré comme de la communication ?

Si l’IGAS et l’IGF considèrent qu’il s’agit de communication, je prétends que c’est de la bonne communication, puisque c’est de la communication sur la sécurité sociale et qu’elle rentre dans notre vocation de gestion de la sécurité sociale et de promotion du bien-être social.

Quand on fait de la communication sur le mal-être étudiant, sur le stress, sur les manières d’avoir une hygiène alimentaire équilibrée, si l’IGAS et l’IGF appellent cela de la communication, soit mais, dans ce cas, j’appelle les lecteurs des rapports à faire la part des choses entre communication promotionnelle et communication sur la sécurité sociale car ce n’est pas la même chose !

M. le Rapporteur : En l’absence de comptabilité analytique, je ne suis pas certain que l’on soit tout à fait en mesure d’établir la distinction. Par ailleurs, puisque vous parlez de promotion de l’hygiène alimentaire, par exemple, considérez-vous que des actions de partenariat avec certaines grandes chaînes nord-américaines de restauration rapide, font partie de la vocation des mutuelles ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Effectivement, le partenariat Mac Donald’s ou Quick n’est pas idéal, mais comme il répond aussi à une demande des étudiants, il s’est fait naturellement. Or, ce sont les étudiants qui fréquentent régulièrement ce genre d’établissements qui ont demandé à avoir des réductions et un service moins cher, quitte à ce que ce soit un service type " restauration rapide ". Cette question nous a donc posé un problème.

Comme, par ailleurs, nous promouvons également une opération avec les CROUS qui doit se dérouler l’année prochaine, pour une semaine de l’équilibre alimentaire, cela nous interpelle et fait partie des divers points qui figureront à l’ordre du jour du prochain conseil d’administration de l’USEM. Là aussi, nous devons nous entendre avec la MNEF afin d’arrêter une politique. C’est un problème qui a été soulevé et qui, selon moi, n’est pas un faux problème.

M. le Président : Vous poursuivez ce genre de partenariats ou vous les avez suspendus compte tenu des observations des organismes de contrôle qui s’en sont fort étonnés ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Savoir s’ils ont été arrêtés ou pas, je n’en sais rien, mais qu’il y ait une réflexion à mener sur l’opportunité de leur maintien, j’en conviens tout à fait !

M. le Rapporteur : Dans la politique de communication, il semble également qu’il y ait une forme de subventionnement d’organisations, soit associatives étudiantes, soit syndicales étudiantes, à travers les placards publicitaires des différentes mutuelles, que ce soit la MNEF ou les mutuelles régionales, et les publications de ces différentes instances. Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Les opérations d’aide aux associations étudiantes ou de partenariat avec telle corporation locale sur telle ou telle opération ne devrait pas, non plus, à mon sens, être intégrées dans la communication, au sens publicitaire du terme, puisque ce n’est pas un logo qui vous donne un impact particulièrement fort.

En revanche, c’est quelque chose que je considère comme absolument nécessaire et faisant partie de notre vocation de structuration du monde étudiant et d’animation de la vie étudiante. Encore une fois, tout dépend de la conception que vous avez de la lutte contre le mal-être étudiant.

L’une des choses – pour avoir vu différentes facultés, je peux en témoigner personnellement – qui est quand même dommageable et qui constitue l’une des causes du mal-être étudiant, c’est le problème de la solitude, l’absence de vie sociale. Or, tout le travail associatif vient lutter contre cela. Prenons l’exemple de la région Ile-de-France où arrivent des étudiants qui ne connaissent personne sur le site : s’ils arrivent sur un campus où l’on vient juste prendre ses cours avant de retourner dans leur chambre en ville ou en cité, certains d’entre eux, déjà fragiles, se trouveront l’être encore plus. Le tissu associatif est là pour animer le campus et décloisonner les gens.

En conséquence, j’estime que l’action des associations est une action saine pour l’étudiant et pour la qualité de vie étudiante.

Je prends en compte l’hypothèse d’un étudiant qui est en situation de difficulté pour lutter contre ce sentiment de mal-être qui se développe chez des gens qui sont généralement déjà fragiles mais, de surcroît, isolés.

Par ailleurs, il existe des subventions destinées à des opérations festives et à des associations dont certaines étaient invitées aux états généraux de la santé que nous avons organisés récemment, qui ne sont pas des associations étudiantes au sens où elles ne se présentent pas à des élections, mais qui aident les étudiants. C’est le cas de l’association Cassiopée à Angers qui est une association d’étudiants en psychologie qui s’occupe précisément de récupérer des jeunes dont on voit qu’ils sont en situation de souffrance morale ou qu’ils commencent à perdre un peu pied, et qui cherche à prévenir les dégâts en tentant de les réinsérer et de les aider à évacuer leurs problèmes.

M. le Président : Permettez-moi de vous interrompre mais de ce problème du mal-être étudiant, nous en avons beaucoup entendu parler.

Hier, le directeur de la CNAM nous a dit que, par rapport aux autres couches de la population, la situation était loin d’être beaucoup plus grave qu’ailleurs. Il nous a dit que l’angoisse, le stress de perdre son travail étaient sans doute beaucoup plus forts que celui de ne pas en trouver : on peut discuter sur tout ce que l’on veut...

Cela étant, est-ce que votre observation qui a été formulée par de nombreux autres intervenants est fondée sur des données chiffrées par rapport à d’autres périodes, car c’est ainsi qu’il faut poser le problème puisque vous faites état d’une aggravation.

Nous écoutons et nous entendons bien que des couches de population arrivent de plus en plus nombreuses à l’université même si le milieu étudiant continue à ne pas être totalement représentatif de la population française dans la mesure où il est plus favorisé, mais avez-vous, sur ce point, des indications précises à nous fournir ?

M. Vincent SALETTE : Le Comité français d’éducation à la santé – le CFES – qui fait des études statistiques sur l’état de santé de la population française, et en particulier des jeunes avec une catégorisation par tranches d’âge, détient des chiffres qui prouvent notamment – ce qui est une donnée fréquemment reprise – que c’est en France qu’il y a le plus fort taux de suicides des 18-25 ans, en Europe.

M. le Président : J’ai justement des chiffres là-dessus : sur les 20-24 ans, en 1980, on enregistrait 685 suicides en France – ce sont des chiffres terribles – on enregistrait le même nombre en 1985, 552 suicides en 1990 et 600 en 1995.

Autrement dit, en quinze ans, le taux a baissé de façon importante même si je sais bien que ce chiffre s’applique à tous les jeunes en France et que je n’ai pas celui qui ne concerne que les étudiants... Mais il faut faire la différence – Monsieur le rapporteur vous le dira – entre les tentatives de suicide et les suicides réussis. Ces chiffres se rapportent à la mortalité par suicide : j’attire votre attention sur ce point !

Si vous en possédez, je souhaiterais avoir des indications précises en termes, par exemple, de tentatives de suicides, année par année, sur les différents campus.

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Si vous me le permettez, je ferai, Monsieur le président, une remarque méthodologique : si les chiffres baissent, c’est précisément parce que nous agissons. Nous ne sommes pas là en train de dire : " Nous voudrions faire ceci ou cela ".

L’action des mutuelles étudiantes, précisément pour limiter le mal-être étudiant, existe et se développe depuis des années. Donc l’une des raisons, peut-être, pour lesquelles les chiffres ne sont pas mauvais – et on aimerait qu’ils soient meilleurs – c’est qu’à tous les niveaux et pas seulement à celui de la rapidité du remboursement des soins, nous ne nous croisons pas les bras.

Nous pensons qu’il y a des marges d’amélioration qui sont encore importantes, mais je ne suis pas là pour faire du catastrophisme sur le monde étudiant parce que, justement, je considère que nous ne faisons pas trop mal notre travail, même s’il est vrai que nous pourrions encore mieux le faire.

Nous vous transmettrons les chiffres que nous avons collectés à partir d’une enquête qui a porté sur 14 500 personnes – nous n’avions pas les moyens de réaliser un sondage BVA – prises au hasard, ce qui est un échantillon, à mon avis, suffisamment important pour être quand même intéressant et représentatif. Il en ressort qu’il y a quand même pas mal de gens stressés.

Pour moi, 100 % des étudiants sont stressés, notamment du fait de l’angoisse des examens, de la mauvaise orientation, etc. Or, ce n’est pas tant le chiffre du stress qu’il convient de prendre en compte que celui des gens qui arrivent mal à surmonter leur stress, car ceux-là sont en train d’entrer dans une spirale descendante. Ce chiffre est important - personnellement il m’a beaucoup frappé – puisqu’il est supérieur au tiers de la population étudiante. C’est quelque chose qui ne me fait pas plaisir.

Que les étudiants soient stressés est normal puisque c’est un phénomène qui touche tout le monde, ainsi que le disait le directeur de la CNAM, mais le fait de ne pas réussir à gérer son stress et de s’enferrer dans une spirale est beaucoup plus inquiétant, surtout pour un jeune qui a fait un investissement dans une formation et qui voit que son investissement et celui de sa famille déboucheront sur un grand néant économique. C’est une situation particulièrement problématique !

M. le Rapporteur : J’entends bien vos propos sur le mal-être et les façons de lutter contre mais, a contrario, le fait qu’il soit extrêmement difficile de parvenir à séparer les fonds mutualistes et les remises de gestion amène à se demander s’il est complètement légitime que des fonds appartenant à la sécurité sociale servent à subventionner des équipes de football étudiantes ou un certain nombre d’activités de ce genre. Cela pose le problème de savoir si l’argent de la sécurité sociale doit servir à cela.

Le fait qu’il n’y ait pas clairement séparation des différentes activités sur le plan comptable conduit à se poser la question.

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Il faut parvenir à cette comptabilité analytique même si je pense, pour m’être penché sur la question, qu’il ne s’agit vraiment pas de quelque chose de simple, ni surtout d’objectif. Il faut pourtant réussir à l’avoir parce que ce débat sur l’utilisation de l’argent de la sécurité sociale est irritant pour qui a le sentiment de bien faire son travail et de le faire au meilleur coût en consentant des efforts pour cela.

Il faudra donc en venir à cette comptabilité analytique, même si les critères de répartition sont arbitraires. Quand j’utilise un stylo en tant que salarié, je voudrais savoir quel est le pourcentage de sécurité sociale et de complémentaire dont il relève : ce n’est pas évident à déterminer... Or, que je ne fasse que de la sécurité sociale ou que de la complémentaire, j’aurai besoin du même stylo. Où se situe le début de la sécurité sociale et celui de la complémentaire ? C’est la même chose pour un investissement informatique. L’exemple du stylo est bien sûr ridicule, mais il peut être projeté sur des domaines beaucoup plus importants. Si vous faites de la complémentaire et de la sécurité sociale, vous n’investissez pas en informatique comme si vous ne faisiez que de la complémentaire mais vous ne savez pas, si tel était le cas, quel investissement vous auriez fait.

M. le Président : C’est un problème qui se pose à tout entreprise qui a deux activités.

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Peut-être, mais je veux dire que les choses ne sont pas simples à discriminer. S’il faut un discrimant arbitraire, on peut décréter que l’on prend 75 % ou 50 %, par exemple, sans autre justification que le fait d’avancer un chiffre : à la limite, pourquoi pas ? Le tout, c’est que le chiffre soit négocié par les opérateurs et qu’il paraisse acceptable, réaliste aux uns et aux autres. Mais alors, il ne s’agit plus d’une appréciation objective des coûts : on revient à un système de négociation.

Que l’on y parvienne serait, cependant, une bonne chose, ne serait-ce que pour évacuer ce débat qui fait un peu mal au cœur.

M. le Président : J’en arrive maintenant à des questions sur les administrateurs dont on a beaucoup parlé, notamment à propos de leurs rémunérations. Est-ce que tous les administrateurs doivent être étudiants puisqu’on en a vu qui ne l’étaient pas ? Est-ce une obligation ou une condition purement facultative ? Est-il normal qu’ils soient indemnisés et, si oui, estimez-vous indispensable de fixer un plafond ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Je parle pour les mutuelles régionales : je ne veux pas dire du mal des autres et je parle de ce que je connais.

Pour ce qui les concerne, leurs conseils d’administration sont composés d’étudiants. Il existe aussi ce qu’on peut appeler des membres honoraires : je viens de finir ma thèse et l’année prochaine, si tout va bien, je ne serai plus étudiant mais maître de conférence. Pour autant, je ne vais pas quitter, du jour au lendemain, le conseil d’administration d’une mutuelle régionale ou la présidence de l’USEM et je basculerai donc dans l’honorariat.

M. le Président : Cela dure combien de temps ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Premièrement, il existe un nombre maximum de membres honoraires ; deuxièmement, ils ne le restent pas durant des siècles, puisqu’ils sont appelés à développer leur vie professionnelle à l’extérieur de la mutualité régionale. Dans les mutuelles régionales, l’hypothèse de membres honoraires de cinquante ans, ne se rencontre pas; troisièmement, dans notre vision des choses, nous ne pouvons, de toute manière, pas fonctionner autrement qu’avec des étudiants et de vrais étudiants, faute de quoi, nous nous coupons du terrain. Toute notre légitimité et toute notre capacité à nous adapter au terrain tiennent justement au fait d’avoir des conseils d’administration et des assemblées générales qui sont proches des facultés et du siège social.

Par conséquent, pour nous, mutuelles régionales, l’animation du conseil d’administration par les étudiants est un phénomène réel, qui correspond à notre tradition et qui est, de toute façon, rendu nécessaire par l’échelon local où notre action s’exerce.

Pour ce qui est de l’indemnisation, il n’est pas fréquent que les administrateurs soient indemnisés. Là encore, cela répond à notre doctrine en tant que mutuelle régionale : il y a des mutuelles régionales qui en font un interdit jugeant que c’est malsain et il y a d’autres qui estiment que si un étudiant s’est particulièrement dévoué sur un dossier ou une action particulière, que cela lui a fait perdre du temps pour la préparation de ses examens, ou qu’il est en difficulté, cela mérite d’être pris en compte.

Cette indemnisation, dans les marges légales, n’atteint pas nécessairement le maximum et reste, à notre niveau, quelque chose d’assez peu fréquent.

M. le Président : Et quelles sont les marges légales, selon vous ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Vous n’avez pas le droit d’indemniser un administrateur au-delà d’un SMIC annuel net. Il nous est arrivé, par exemple à la mutuelle des étudiants de Provence, d’indemniser à hauteur de 50 000 F, peut-être trois fois en cinq ans : c’est le plafond que nous avons retenu.

La réflexion sur l’indemnisation des administrateurs est en cours à la FNMF. Il y a un équilibre à trouver : si quelqu’un est engagé dans la vie professionnelle, qu’il est trop pris par cette dernière pour assurer correctement son mandat, la technostructure prend alors un poids trop important ; si, à l’inverse, vous voulez rémunérer les administrateurs ou ne serait-ce que les membres du bureau, vous changez l’esprit de la mutualité dans un sens qui n’est pas nécessairement souhaitable. En tout cas, cela me déplairait et déplairait aux mutuelles régionales mais cela renvoie à la réflexion de la FNMF et nous sommes curieux de voir comment elle va avancer sur ce sujet et trouver un équilibre entre ces positions.

Maintenant, pour répondre précisément à votre question, je dirai qu’au niveau des mutuelles régionales, ce n’est pas une pratique fréquente. Ces versements sont de l’ordre de l’indemnité exceptionnelle – c’est ainsi que le code de la mutualité les appelle – pour des montants qui n’arrivent pas au maximum, hormis quand il s’agit d’un investissement pérenne d’une personne qui a sacrifié certaines opportunités dans sa propre vie étudiante et qui, le plus souvent, jouent sur des petites sommes destinées à des personnes qui se sont investies, très ponctuellement, dans un projet particulièrement lourd, difficile, qui s’est avéré réussi et pour lequel tout le monde lui doit de la reconnaissance.

M. le Rapporteur : Vous soulignez que l’un des soucis des mutuelles régionales est d’être au plus près du terrain et donc que leurs conseils d’administration soient l’émanation de la population étudiante.

Pouvez-vous nous expliquer comment sont organisées les élections au niveau des assemblées générales et du conseil d’administration ? Fonctionnez-vous en listes associatives, syndicales ou s’agit-il de candidatures spontanées ? Quel est le système électoral qui permet d’obtenir une représentation ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Pour ce qui est de la représentation, il y a deux choses dont il m’apparaît qu’elles doivent être évoquées sans " langue de bois ".

Premièrement, il y a la représentation de l’assemblée générale, du conseil d’administration qui se fait par voie d’élections et celle qui se fait par voie de cooptation.

Certaines cooptations sont fréquentes et elles ont lieu précisément parce que tel président d’association, d’une " corpo " par exemple, s’est intégré au groupe humain et veut faire quelque chose qui cadre avec nos vocations.

Il y a aussi un renouvellement des instances qui se fait par le biais de la cooptation au niveau des conseils d’administration et que l’assemblée générale ratifie ou ne ratifie pas.

Deuxièmement, pour ce qui est des processus électoraux, ils sont réglés par le code de la mutualité ou par les statuts types qui sont respectés : en certains endroits, il n’y a qu’une liste, en d’autres, il y en a plusieurs. Il y a parfois des luttes électorales – cela avait été le cas pour la SMEREP, il y a quelques années – entre des fractions qui ne s’apprécient pas ce que, à titre personnel, je trouve un peu regrettable, l’esprit de la mutualité visant à atteindre le consensus et non pas l’affrontement : c’est en tout cas, ainsi que je vois les choses.

C’est pourquoi le fait d’avoir des listes – la liste UNEF-ID, la liste FAGE, la liste UNI, la liste UNEF, la liste PDE comme à l’élection du CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) – est quelque chose que j’essaie de ne pas trop encourager et les interlocuteurs associatifs en sont d’ailleurs assez d’accord.

M. le Rapporteur : Oui, mais en pratique, cela se passe bien comme cela ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Non, en pratique, la plupart du temps, les syndicats étudiants ne présentent pas une liste syndicale pour les élections. Ce qui s’est passé à la MNEF, où l’on a quand même vu se présenter des listes syndicales de différentes tendances, est quelque chose que nous ne connaissons pas et qui n’est pas nécessairement très heureux car la syndicalisation de la mutualisation n’est pas une bonne chose, de même que la mutualisation des syndicats n’est pas nécessairement une bonne chose.

M. le Rapporteur : Vous me parliez de la cooptation dans les conseils d’administration. Quelle est la part des personnes cooptées dans un conseil d’administration standard d’une mutuelle régionale ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : Je n’ai pas fait d’études sur chaque mutuelle régionale, je vous parlerai donc de la mienne : il y a une vingtaine d’administrateurs dont trois sont cooptés par an, sachant que le conseil d’administration est, de toute manière, renouvelé par tiers chaque année. Donc cela fait une moyenne de trois sur vingt. Le dernier cas que je peux vous citer en exemple est celui d’un étudiant parti travailler en Irlande, que l’on avait pris parce qu’il était un responsable associatif particulièrement actif et que l’on a remplacé par son successeur dans la mesure où il s’entend bien avec l’équipe, fait également preuve de dynamisme et semble plaire aux étudiants... Voilà: c’est aussi simple que cela !

M. le Rapporteur : L’accent a été mis, depuis quelque temps, sur les problèmes de diversification et de filialisation qui ont eu cours dans la mutualité étudiante avec, en particulier des activités qui entraient très largement dans le champ commercial. Or, il n’est pas sûr que ces modalités de diversification de la mutualité étudiante soient conformes au développement moral, intellectuel et physique prévu par le législateur de 1948. Qu’en pensez-vous et est-ce que cette pénétration dans le champ économique et assurantiel vous semble une évolution normale ou une pratique devant être maîtrisée et encadrée ?

M. Philippe STOFFEL-MUNCK : La création de filiales qui font des opérations commerciales s’éloignant de plus en plus de l’idée de participer et de contribuer au bien-être de l’étudiant sur son campus est quelque chose qui concerne très faiblement les mutuelles régionales de l’USEM.

J’ai posé la question aux uns et autres avant de me rendre à votre invitation, et l’on m’a indiqué que la politique de filialisation et de diversification commerciale aussi bien pour la SMEBA, la SMEREP, la SMECO, la MEP, la SMENO ou la SMERAG n’avait pas été relevée comme étant importante ou problématique si ce n’était en raison de la cascade de contrôles qui s’est abattue sur nous par un phénomène d’attraction, au cours de cette année.

Donc, en tant que mutuelles régionales, nous ne nous sentons pas très concernées par ce phénomène.

Quant à savoir si c’est quelque chose qui doit être maîtrisé, je répondrai : oui ! Si quelqu’un se diversifie – et je parle peut-être pour les autres – dans des opérations qui sont très éloignées du bien-être étudiant, à mon avis, il n’est plus vraiment dans son objet social, ce qui n’a pas lieu d’être en vertu du principe de spécialité qui vaut pour nous aussi. Les imprimeries et autres activités commencent à devenir très éloignées du bien-être étudiant, ce n’est donc pas quelque chose vers quoi nous souhaitons évoluer. C’est là un sentiment qui est quand même partagé par les étudiants et donc par nos administrateurs et les membres de nos bureaux : au sein du conseil d’administration de l’USEM, il n’y a pas vraiment de débat sur ces questions.

M. le Président : Je vous remercie, Monsieur le président, pour ces échanges qui ont été très francs et qui nous ont permis de mieux comprendre la situation de la sécurité sociale étudiante.

Je vous rappelle que je souhaiterais que vous nous fassiez parvenir l’enquête que vous avez mentionnée car il nous semble important, pour parfaire notre information, d’avoir des données chiffrées. Par avance, je vous en remercie.

Audition de MM. Corentin KERREST, président de la FAGE,
et Stephen CAZADE, vice-président

(procès-verbal de la séance du 11 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Kerrest et Cazade sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Kerrest et Cazade prêtent serment.

M. Corentin KERREST : Nous sommes les représentants de la FAGE, qui est une fédération d’associations étudiantes à la différence d’autres organisations étudiantes, qui sont des organisations syndicales. Nous regroupons par ville ou par discipline des fédérations d’associations étudiantes.

Lors des élections en 1994, nous étions la première organisation étudiante représentative des étudiants. Nous sommes actuellement la seconde.

Notre fédération est assez diversifiée car elle est basée sur un réseau d’associations locales, fédérées à la fois par villes et par disciplines. Il s’agit donc d’un réseau très divers où s’expriment des idées variées et relativement plurielles.

Je suis président de la FAGE depuis novembre dernier, date à laquelle nous avons réélu notre bureau national, et Stephen Cazade en est le vice-président.

M. Stephen CAZADE : Je ferai pour introduire le sujet un bref rappel sur le régime étudiant.

La création du régime spécifique étudiant de sécurité sociale, qui coïncide avec celle de la MNEF en 1948, est considérée encore comme un très fort acquis des étudiants et des organisations étudiantes – et de l’UNEF, à l’époque – qui l’avaient obtenu en se basant sur le fait que l’étudiant avait un statut bien particulier.

La forte démocratisation de l’enseignement supérieur qui se manifeste depuis maintenant près de cinquante ans, a accru le nombre d’étudiants dans les universités, qui atteint aujourd’hui environ deux millions. Plus que jamais, la population étudiante constitue un groupe social bien particulier, représentatif, qui a besoin d’un statut social spécifique, puisque n’étant pas salarié, il ne peut bénéficier du statut de salarié et qu’il n’est plus en âge d’être couvert par ses parents.

Qui plus est, le fait de ne plus dépendre de la sécurité sociale de ses parents fut une victoire pour l’autonomie de la jeunesse, que nous revendiquons. Je citerai pour exemple le cas de jeunes filles qui ont besoin de pratiquer une IVG et n’ont plus à " passer " par la sécurité sociale de leur parents, elles sont tout à fait autonomes dans leur choix de santé.

Ce régime étudiant de sécurité sociale est d’autant plus d’actualité qu’un récent rapport du Haut comité à la santé publique a montré que les 18-25 ans, étudiants ou non, était la catégorie de la population française la plus mal soignée, d’où la nécessité d’une couverture sociale adaptée à la population étudiante.

Ce régime étudiant atteint l’équilibre grâce à la contribution d’autres régimes en vertu du principe que nous défendons de solidarité entre les générations. La légitimité de ce principe tient dans le fait que les étudiants, faute de ressources pendant leur vie d’étudiant, ne sont pas en mesure de supporter seuls le coût de leur couverture sociale, mais qu’ils formeront la part la plus performante des futurs actifs, qui cotiseront à leur tour dans le système de solidarité intergénérationnel. Ce principe doit donc être plus que jamais maintenu, même s’il se trouve de plus en plus remis en cause et si l’on constate une augmentation régulière et importante du montant de la cotisation de la sécurité sociale des étudiants.

Depuis 1984, celle-ci a en effet augmenté de 340 % alors que le coût de la vie augmentait de 41 % pendant cette quinzaine d’années. Cette augmentation est un facteur qui accroît l’inégalité sociale et réduit, pour les plus démunis, la possibilité de cotiser à un régime complémentaire de santé en plus du régime général pour bénéficier d’un ticket modérateur moins important et de meilleures conditions de soin.

Certes, tous les étudiants boursiers sont exonérés de cette cotisation, mais il y a le cas des étudiants issus des classes sociales dites moyennes, qui ne peuvent pas être boursiers et, donc, exonérés mais qui ne sont pourtant pas dans des conditions financières très favorables ; il y a aussi le cas des redoublants qui ne peuvent plus être boursiers. Malgré les progrès annoncés dans ce domaine par le ministère de l’éducation nationale concernant le plan social étudiant, tous les redoublants ne seront pas touchés par cette mesure nouvelle. Ainsi, de nombreux étudiants resteront encore dans des situations financières défavorables, devront verser plus de 1 000 F pour leur cotisation de sécurité sociale, et ne pourront pas financièrement se permettre de cotiser à un régime complémentaire de couverture sociale.

De plus, nous remarquons que les organisations étudiantes ne sont pas consultées, ou alors seulement pour la forme, chaque année, lors de la fixation du montant de la cotisation. Nous revendiquons le droit d’être informé et de participer, dans le cadre d’une réflexion sur le régime étudiant, à une sorte de table ronde, concernant la fixation du montant de la cotisation car nous trouvons cette augmentation régulière très élevée et injustifiée.

Nous estimons que le régime étudiant doit continuer à être géré directement par les étudiants, comme cela se fait depuis 1948, par l’intermédiaire des mutuelles étudiantes ; à l’époque, par la MNEF et, depuis bientôt trente ans, également par les mutuelles régionales dont le conseil d’administration est composé par des étudiants. Cet acquis social de 1948, obtenu parmi d’autres, a fortement contribué au développement de la citoyenneté étudiante.

Par ailleurs, nous restons fortement attachés aux valeurs mutualistes qui doivent être plus que jamais enseignées à la jeunesse étudiante face au danger, que l’on voit se profiler avec les directives européennes de 1992, que constitue l’entrée du marché des assurances dans les universités. Face à ce risque qui nous inquiète, il nous semble important d’enseigner aux étudiants ces valeurs de démocratie, de solidarité, de non-lucrativité développées par les mutuelles étudiantes qu’elles soient nationales ou régionales.

En cela, la situation actuelle nous convient puisque les mutuelles étudiantes sont multiples et représentent l’ensemble du monde étudiant dans sa diversité. En tant qu’association étudiante, nous participons directement à la gestion des mutuelles par l’intermédiaire de certains de nos acteurs locaux, membres responsables associatifs dans chaque ville. En effet, un nombre important de membres d’associations, parce qu’ils ont une expérience associative sur le terrain et une légitimité de représentants des étudiants, liée souvent à leur statut d’élu étudiant dans les UFR ou les universités, sont élus, à titre personnel, dans les mutuelles et participent à leur gestion. Il y a là une suite logique puisque des actions de partenariat sont menées entre les mutuelles étudiantes et associations étudiantes, qui concernent des opérations de prévention ou des actions conduites pour améliorer le bien-être des étudiants.

En revanche, nous sommes méfiants et opposés à une prise d’intérêt trop importante dans les mutuelles par une organisation étudiante car nous pensons que les mutuelles n’ont pas à appartenir ou à subir des pressions politiques trop fortes d’une organisation étudiante. Il faut préserver une séparation des pouvoirs marquée entre mutuelles étudiantes et organisations étudiantes.

L’existence des mutuelles étudiantes représente une avancée pour les étudiants. Ces mutuelles, qu’elles soient nationales ou régionales, ont été placées dans une situation de concurrence que nous jugeons favorablement puisqu’elle a permis une augmentation de la qualité de service pour les adhérents étudiants. Qu’il s’agisse des délais de remboursement, des services extérieurs qui peuvent être rendus, de formation ou de prévention et d’information dans le domaine de la santé, on constate que cette concurrence a produit une émulation saine favorable aux étudiants.

A l’inverse, les alternatives au régime étudiant de sécurité sociale que l’on semble nous proposer ou qui sont évoquées par les mutuelles, nous paraissent très mal adaptées. Je pense aux caisses primaires d’assurance maladie, qui ne sont pas en phase avec les attentes exprimées par les étudiants, contrairement aux mutuelles étudiantes qui y répondent par un accueil physique adapté aux horaires étudiants et par l’existence d’agences des mutuelles étudiantes sur presque tous les campus. Celles-ci sont animées par un personnel jeune, en phase avec le milieu, d’autant que les étudiants sont associés à sa gestion. Entre la MNEF et les mutuelles régionales, les mutuelles étudiantes ont développé une politique de proximité qu’il nous semblerait dangereux de remettre en cause. De plus, nous ne voyons pas en quoi la remise en cause du régime étudiant au profit des caisses primaires d’assurance maladie pourrait répondre aux besoins sanitaires et sociaux des étudiants.

Sur l’aspect financier, nous ne possédons pas toutes les données pour juger de ce qu’il serait préférable de mettre en place entre les caisses primaires et les mutuelles étudiantes. Les seules données précises que nous ayons concernent le montant des remises de gestion de 320 francs par affilié qui est versé aux mutuelles. Il semblerait que les coûts de gestion pour une caisse primaire d’assurance maladie seraient plus importants, de l’ordre de 420 francs par affilié. En fait, nous n’avons pas toutes les données pour en juger, mais nous pensons qu’il faut bien prendre en compte tous les coûts qui pourraient résulter d’une gestion du régime étudiant de sécurité sociale par les caisses d’assurance maladie.

Le coût social serait beaucoup plus élevé si la gestion se faisait par les CPAM. Nous pensons que les mutuelles étudiantes répondent bien en matière de prévention, de remboursement et de service rendu aux attentes des étudiants. Nous sommes donc très dubitatifs sur le fait que les caisses primaires d’assurance maladie puissent faire aussi bien. Qui plus est, même si l’on nous démontrait le bien-fondé de cette solution, en additionnant tous les coûts directs et indirects qui viendraient en diminution pour le budget de l’Etat, nous craignons très fortement que cela se fasse au détriment du bien-être et de la santé des étudiants. Je rappelle que l’état de santé de la population des 18-25 ans est le moins bon de toutes les générations. Ce constat nous rend totalement défavorables à une gestion par les CPAM.

M. Corentin KERREST : Par delà notre attachement aux principes du régime étudiant de sécurité sociale, nous avons réfléchi aux divers choix qui nous sont proposés.

On peut effectivement s’interroger sur des solutions de meilleure gestion du régime étudiant de sécurité sociale. Une des solutions proposées est celle d’un centre payeur unique. Il existe actuellement une dizaine de centres payeurs et de gestion, il est effectivement possible d’imaginer l’existence d’un centre payeur unique, co-administré par les différentes mutuelles étudiantes. On voit tout de suite l’intérêt de la CNAM, qui réaliserait ainsi des économies de gestion et pourrait abaisser le montant des remises de gestion. En revanche, nous ne voyons pas clairement ce qu’y gagneraient les usagers. Au contraire !

Le choix entre deux centres payeurs peut constituer un avantage pour les étudiants, notamment en termes de qualité de service et de rapidité des remboursements. Nous l’avons constaté à la dernière rentrée, mais cela est vrai depuis des années, l’émulation entre les mutuelles étudiantes, a permis d’améliorer les délais des remboursements. Les étudiants en parlent beaucoup, c’est un aspect important du service qu’ils attendent des mutuelles étudiantes de sécurité sociale.

Ce centre unique amènerait-il des avantages pour les étudiants ? Certains parlent de baisse ou de stabilisation du montant des cotisations de base et d’amélioration de la qualité de service, et de baisse du montant des cotisations à un régime complémentaire. Pour l’instant, nous ne voyons pas l’intérêt de ce centre unique tant que les effets bénéfiques qu’il pourrait engendrer ne nous ont pas été clairement démontrés. Nous n’avons pas les données qui pourraient rendre intéressante cette hypothèse. Ce n’est donc pas une solution que nous envisageons pour l’instant.

La deuxième solution qui nous a été proposée est celle de la perception des cotisations directement par les centres payeurs. Il est vrai que lors de la dernière rentrée, nous avons eu des problèmes pour la remise des cartes d’assurés sociaux et pour les inscriptions des étudiants dans les centres payeurs. L’idée serait que les centres payeurs procèdent à l’inscription de sécurité sociale des étudiants, assurant la gestion de toute la partie administrative du dossier et la perception des droits, à la fin de ce que nous appelons dans notre jargon les chaînes d’inscription, c’est-à-dire l’endroit où les étudiants s’inscrivent à l’université ou dans leurs écoles. Pour l’instant, ce sont les universités qui assurent ce service. Cette proposition émane de l’USEM et je crois que les autres mutuelles étudiantes l’ont accueillie de manière positive. Nous percevons l’intérêt que cela pourrait présenter pour les mutuelles, mais nous voyons aussi l’intérêt que cela représenterait pour les étudiants, le principal étant l’accélération des délais de remboursement, notamment en début d’année. L’année universitaire s’écoule très vite et raccourcir les délais de remboursement en début d’année est très important car il y a eu des abus dont les étudiants ont eu à souffrir.

Cette proposition peut également favoriser une remutualisation des étudiants. C’est un aspect très important pour nous, mais nous ne savons pas si ce phénomène sera marginal ou significatif. Le fait que les mutuelles puissent gérer l’inscription des étudiants dans le centre payeur nous paraît intéressant car cela permet une meilleure information des étudiants, donne directement à la mutuelle la possibilité d’expliquer la différence entre le régime obligatoire et le régime complémentaire mutualiste et lui donne la possibilité d’intéresser plus facilement les étudiants que lorsque l’inscription est faite par les universités, car les étudiants ont alors plus de difficultés à comprendre le système.

La dernière question que nous nous posons et sur laquelle nous avons le moins d’éléments, est celle de l’incidence de la CMU sur le régime étudiant de sécurité sociale. Pour nous, la CMU, pour le régime obligatoire, est très intéressante, car des catégories de la population jeune seront concernées par ce dispositif. Nous y sommes tout à fait favorables, mais nous nous posons des questions sur la partie complémentaire et sur le choix des étudiants qui en bénéficieront. Là encore, nous n’avons pas assez d’informations, mais nous n’émettons pas d’avis négatif a priori.

Sur ces trois perspectives, notre position n’est pas arrêtée, elle peut évoluer en fonction d’éléments nouveaux. Notre souhait est, premièrement, de ne pas être pénalisé et, deuxièmement, si des évolutions sont nécessaires, qu’elles soient positives.

Néanmoins, nous tenions à souligner que le régime étudiant de sécurité sociale a défini le statut de l’étudiant et permet l’exercice de la citoyenneté. Ainsi, par exemple, pour les élections au conseil des œuvres universitaires et scolaires, c’est le régime étudiant de sécurité sociale qui définit le fait qu’un étudiant peut voter et participer. C’est donc un point très important dans le statut de l’étudiant.

Nous nous battons depuis des années pour la mise en place d’un plan social étudiant et pour une reconnaissance de la spécificité des étudiants qui ne se réduit pas uniquement au régime étudiant de sécurité sociale. Des mesures sont attendues pour la rentrée prochaine, mais nous comprendrions mal la mise en place d’un plan social étudiant assorti d’une remise en cause du régime de sécurité sociale étudiant qui, à notre avis, en constitue le point de départ ; le plan social étudiant ne fait qu’exister en parallèle et complète les acquis déjà obtenus par les étudiants.

Par ailleurs, ce qui nous tient particulièrement à cœur, c’est la pluralité des acteurs. Il y a deux millions d’étudiants aujourd’hui, qui ont depuis des années l’habitude d’avoir plusieurs partenaires dans le domaine de la santé et ont bien compris que cela crée une saine émulation et qu’à la rentrée, ils ont un choix à faire. Ces choix les intéressent, ils y sont attachés et comprendraient mal la remise en cause du système, d’autant qu’il existe différents types d’organisations étudiantes, associatives, syndicalistes ou mutualistes, qui reflètent la diversité du monde étudiant.

M. le Président : Je vous remercie de ces deux exposés introductifs.

Quelques questions avant de donner la parole aux autres commissaires. Comment se déroulent les élections aux assemblées générales des mutuelles étudiantes ? Présentez-vous des listes de candidats et aux élections de quelle mutuelle ?

M. Stephen CAZADE : Concernant les élections, il faut faire la différence entre la MNEF, mutuelle nationale qui, encore très récemment, a organisé des élections nationales et les mutuelles régionales qui le font à un niveau local. Dans les deux cas, il n’y a aucune participation directe de la FAGE.

En revanche, il existe une participation, à titre personnel, plus ou moins forte selon les régions, selon les mutuelles et notre réseau, de tel ou tel responsable associatif qui a une connaissance du terrain, qui a réalisé des opérations de santé, de prévention en collaboration avec la mutuelle. Il arrive fréquemment que des responsables associatifs se présentent sur les listes aux élections dans les mutuelles régionales étudiantes et se retrouvent ensuite dans les assemblées générales, conseils d’administration et autres bureaux.

S’agissant de la MNEF, les associations étudiantes, et encore moins la FAGE, n’ont pas participé aux élections à l’échelon national. En revanche, au niveau local, puisque la MNEF a des bureaux étudiants locaux, des responsables associatifs, à titre personnel, ont figuré sur des listes aux élections locales.

Lors des dernières élections générales à la MNEF, nous avons considéré qu’une organisation nationale comme la FAGE n’avait pas à s’impliquer dans des élections mutualistes. Ce n’est pas son rôle. Toutefois, certains acteurs locaux telles que nos fédérations de ville ou des associations de campus ont pu choisir de participer à ce processus électoral. C’est ainsi que huit fédérations de la FAGE sur une trentaine ont décidé de soutenir et d’avoir des représentant sur une des listes présentées aux élections de la MNEF.

M. le président : Vous nous avez expliqué que vous étiez très favorables à la multiplicité et à la diversité des choix offerts aux étudiants. Dès lors, comment expliquez-vous le très faible taux de participation alors même qu’existe cette pluralité qui devrait entraîner un taux beaucoup plus élevé de participation ?

Par ailleurs, n’avez-vous pas le sentiment que les mutuelles dépensent de fortes sommes pour se lancer dans la course aux votes d’étudiants qui sont, au demeurant, fort peu nombreux ?

M. Stephen CAZADE : Pour répondre à votre première question sur les taux de participation, j’avoue que je ne connais pas tous les chiffres, mutuelle régionale par mutuelle régionale. Pour y avoir participé personnellement, le taux de participation lors des dernières élections de la MNEF avoisinait les 18 %, soit un taux plus important que celui de la participation aux élections universitaires. Or, les élections universitaires, qu’il s’agisse des CROUS ou des conseils d’université, touchent de près les étudiants alors que les élections mutualistes sont plus éloignées de leurs préoccupations quotidiennes. Je n’ai pas les chiffres de la FNMF, mais je ne pense pas que les taux de participation soient très élevés dans l’ensemble des mutuelles car nous avons du mal à faire comprendre que les mutuelles sont gérées par leurs adhérents. Il reste que ce taux de 18 % de participation aux élections à la MNEF est plus élevé que celui des élections universitaires, qui s’établit en moyenne à 13 %.

Une réflexion s’amorce depuis quelques temps au sein des mutuelles, et notamment à la MNEF, sur la nécessité de cette participation, de cette démocratie. Cela n’a pas toujours été le cas au cours des dernières années où la conception de la gestion de la mutuelle était différente. On s’aperçoit cependant que lorsqu’une mutuelle s’en donne la peine, comme l’ont très bien fait certaines mutuelles régionales ou la MNEF récemment, les étudiants comprennent l’intérêt de ces élections comme le montre le taux de participation.

M. Corentin KERREST : Pour les mutuelles régionales, partie que je connais le mieux, les chiffres sont grosso modo ceux obtenus aux élections étudiantes. Toutefois, il serait peut-être intéressant de s’interroger de façon plus générale sur la position des étudiants face à la citoyenneté étudiante que sur leur citoyenneté dans la mutuelle dont ils sont les adhérents, puisque, malheureusement, les chiffres sont quasiment identiques, que ce soient pour les élections étudiantes ou pour les élections dans les mutuelles.

M. le Président : Mais n’avez-vous pas le sentiment que cette diversité a un coût prohibitif stigmatisé dans de nombreux rapports, compte tenu des dépenses que les mutuelles engagent pour recueillir le vote des étudiants ?

M. Stephen CAZADE : S’il y a des coûts de communication importants, je pense que cela correspond à la volonté des mutuelles d’avoir le plus possible d’affiliés et d’adhérents.

Nous-même, à la lecture de ces rapports, nous constatons certaines dérives qui, à notre sens, sont plus de la responsabilité de la direction et qu’il faut étudier au cas par cas. Il est vrai que certaines mutuelles ont eu des dérives en matière de communication et se sont éloignées de leur rôle de mutuelle étudiante centré sur le domaine de la prévention et sur la couverture sociale. Cependant, il appartient à chaque mutuelle mise en accusation de répondre et de remédier à ces dérives.

M. Corentin KERREST : Je considère, pour ma part, qu’une mutuelle doit communiquer, mais qu’il faut distinguer l’objet de cette communication et savoir s’il s’agit de la course aux affiliés, ce que soulignaient les rapports, ou de la course aux adhérents. La course aux adhérents me paraît légitime : il est normal pour une mutuelle d’essayer d’avoir de nombreux adhérents.

Je pense que c’est le système qui, chaque année à la rentrée, donne à l’étudiant le droit de choisir sa mutuelle, qui a provoqué cette course à la communication, car il faut l’inciter à cocher telle ou telle case puisque ce choix engendre des recettes. Il faudrait vraiment recadrer l’action de communication des mutuelles pour en faire une campagne d’explication du geste d’adhésion à une mutuelle et de souscription à une couverture sociale complémentaire.

A mon avis, le système des adhésions et des affiliations dans une mutuelle, joue pour beaucoup dans ces dérives de communication. Il manque, on le constate aussi lors des élections étudiantes, une communication institutionnelle pour expliquer à l’étudiant ce que signifie ce choix et quelle est la différence entre le régime obligatoire et le régime complémentaire. Ce serait mieux et les dérives seraient moins importantes si les étudiants comprenaient qu’ils ne choisissent pas leur mutuelle uniquement en cochant la case de l’affiliation.

M. le Rapporteur : Tout ce que vous nous dites tend à nous conforter dans ce que nous pensons du mode de fonctionnement des mutuelles étudiantes. Vous venez de dire que des directions sont à l’origine d’un certain nombre de dérives. Cela me semble être aussi la preuve d’un mauvais ou plutôt d’un non fonctionnement des conseils d’administration qui sont pourtant censés détenir le pouvoir politique dans les structures et expliquer à la direction générale ce qu’elle doit faire. Il semblerait que, dans le cas de la MNEF notamment, cela ne se soit pas tout à fait passé ainsi.

Vous parlez de votre attachement au pluralisme du monde étudiant, qui doit se retrouver au sein de la mutualité. Il se trouve qu’il existe d’autres systèmes mutualistes, qui font moins parler d’eux dans l’actualité mais au sein desquels cette pluralité est organisée en interne alors qu’un seul système gère le régime obligatoire. Ne vous semblerait-il pas plus judicieux que le système mutualiste étudiant, qui gère le régime obligatoire et le régime complémentaire, puisse être unifié et que la pluralité et, donc, les possibilités de contrôle de ce que fait la direction générale puissent s’organiser en interne plutôt que d’organiser le pluralisme de la mutualité étudiante sous la forme d’une organisation nationale et de plusieurs organisations régionales ?

M. Corentin KERREST : C’est ce que nous disions précédemment à propos du centre payeur unique. Vu ce que nous connaissons de la gestion des CPAM, nous ne pouvons que douter de l’efficacité de ce centre. Nous n’avons pas envie de perdre en qualité de service. L’idée paraît intéressante, notamment pour la réduction des coûts mais, d’une part, je ne suis pas persuadé qu’il y aurait une réduction des coûts aussi nette qu’on le prétend ; d’autre part, je pense que les étudiants perdraient suffisamment en variété et en qualité de services pour se mobiliser afin d’obtenir le rétablissement du système antérieur.

M. le Rapporteur : Vous avez fait allusion à huit de vos fédérations qui avaient soutenu une des listes participant aux élections à la MNEF. De quelle liste s’agissait-il ?

M. Corentin Kerrest : Il s’agissait de la liste " Reconstruire ensemble la MNEF ", qui était soutenue par huit fédérations de villes, qui peuvent elles-mêmes représenter jusqu'à vingt-cinq fédérations plus des associations. Cela fait entre 100 et 150 associations.

M. le Rapporteur : La FAGE bénéficie-t-elle en tant que telle à travers ses publications de ressources publicitaires venant de mutuelles, qu’elles soient nationales ou régionales ?

M. Corentin KERREST : Dans l’histoire des manifestations ou des opérations que la FAGE a pu monter, il y a eu des participations de toutes les mutuelles. Pour votre information, depuis le début de notre mandat, il n’y a eu aucune somme versée. Il n’y a donc pas de liens financiers significatifs entre les mutuelles étudiantes et notre organisation. Cependant, il existe généralement une participation des mutuelles dans les activités des associations étudiantes. L’échelon national n’est pas, de ce point de vue, le plus intéressant, en tout cas à ce niveau aucune somme n’est en jeu. En revanche, il nous paraît très important que les associations étudiantes existent pour donner un service aux étudiants, qui n’est pas forcément un service commercial mais qui est pour beaucoup un service social, un service d’aide, d’écoute, une aide pour s’organiser. Le but d’une mutuelle, c’est l’organisation d’étudiants pour s’entraider. Le but d’une association étudiante est en grande partie celui-là, d’accueillir les étudiants, de leur expliquer comment fonctionne l’université, et aussi comment marche leur service de soins. Donc, entre services d’entraide, une assistance s’est mise en place à laquelle nous sommes attachés, surtout pour ce qui concerne le travail effectué en commun sur des opérations de prévention en matière de santé ou toute autre action que les mutuelles peuvent être amenées à faire.

Il devient alors intéressant de savoir, idéologiquement, si ce sont les organisations étudiantes qui doivent contrôler une mutuelle ou si ce sont les mutuelles qui contrôlent les organisations étudiantes par l’argent qu’elles leur versent. Pour nous, la question ne se pose même pas. La position que nous avons adoptée lors des élections à la MNEF était claire. Pour nous, ce sont deux modes d’organisations étudiantes dont les buts peuvent être souvent les mêmes, mais qui sont séparés. Cette séparation est très importante pour éviter les dérives et pour les étudiants. Néanmoins, il est normal qu’il y ait des participations croisées entre les deux structures, puisque les étudiants intervenant sur le terrain sont parfois les mêmes. Notre position qui consiste à dire que les organisations étudiantes n’ont pas à prendre le pouvoir dans les mutuelles est la même que celle que nous pourrions avoir si des adhérents d’une mutuelle venaient prendre le pouvoir dans les organisations étudiantes.

M. le Rapporteur : A votre connaissance, la part des mutuelles dans le budget de fonctionnement de ces associations est-elle très importante ou reste-t-elle marginale ?

M. Corentin KERREST : Nous avons publié le mois dernier les résultats d’un sondage que nous avons effectué auprès de 4 000 associations, dont 800 ont répondu, soit un échantillon relativement représentatif, compte tenu notamment des différents types d’associations qui ont renvoyé ce questionnaire. La part des ressources provenant des mutuelles dans le fonctionnement n’était pas très importante, entre 10 et 15 %. Elle venait très loin derrière celle des collectivités locales, qui viennent en seconde position après les écoles et les universités qui sont les premiers partenaires des associations, les partenaires privés, notamment les banques – j’entends qu’une mutuelle n’est pas un partenaire privé – étant placés avant les mutuelles dans les partenariats avec les associations.

M. le Rapporteur : Notre commission peut-elle prendre connaissance de ce document car c’est effectivement un aspect qui me semble intéressant ?

M. Corentin KERREST : Tout à fait.

M. Bruno BOURG-BROC : Quelles pourraient ou devraient être, à vos yeux, les grandes lignes d’un statut social de l’étudiant ?

M. Stephen CAZADE : Nous nous battons pour obtenir ce statut social de l’étudiant depuis tant d’années que nous finissons même par oublier où nous en sommes, au vu des faibles avancées que nous constatons depuis quarante ans. C’est une idée qui a commencé à prendre forme avec l’obtention de ce régime étudiant de sécurité sociale et qui continue avec les réflexions que l’on peut avoir sur l’autonomie de la jeunesse et sur les relations entre la famille, le jeune, la nécessité d’indépendance, les choix pour la santé. Il s’agit d’essayer d’établir de façon plus claire le passage entre la vie pré-citoyenne, ou pré-adulte, et la revendication d’un nouveau statut qui est celui de l’étudiant parce que cette population étudiante ne peut pas être totalement assimilée aux jeunes du même âge qui ne sont pas étudiants mais salariés. C’est un statut qui a toujours été à part.

Nous attendons encore de nombreuses mesures visant à garantir l’autonomie de l’étudiant, pour laquelle nous ne disposons encore d’aucune solution. Chaque organisation a développé sa théorie sur ce statut social de l’étudiant, sur la nécessité d’aider financièrement les étudiants à être autonomes s’ils le veulent. Chacun a développé ensuite son système – parts fiscales, etc. –pour déterminer l’autonomie d’un jeune. Nous n’allons pas engager le débat ici qui serait trop long, mais toutes les organisations y ont réfléchi.

Un débat sur le sujet réunissait dernièrement de nombreuses organisations étudiantes mais aussi de nombreuses organisations de jeunesse, car nous ne sommes pas les seuls à réfléchir sur ce sujet, qui ont elles aussi admis que l’étudiant avait un statut spécifique dans la jeunesse, qu’il fallait aider. Ce n’est pas pour cela qu’ils ne réfléchissent pas sur l’autonomie de la jeunesse en général.

M. le Président : Vous avez dit que l’état de santé des 18-24 ans n’était pas brillant. On a beaucoup parlé à la commission des difficultés morales des étudiants, et du problème des jeunes femmes étudiantes. Voyez-vous un secteur spécifique sur lequel vous estimez qu’une attention toute particulière devrait être portée ?

M. Stephen CAZADE : Une action que nous essayons de mener aussi bien en tant que responsables associatifs nationaux qu’en tant qu’élus à l’université, sur le terrain, avec la médecine préventive universitaire, ou en tant qu’élus mutualistes, est celle qui touche à la question du bien-être des étudiants. Il serait plus juste de parler du mal-être actuel des étudiants. De multiples enquêtes, qu’elles soient menées par les collectivités, par les mutuelles ou les associations étudiantes, révèlent ce phénomène. Il suffit de constater que le suicide est la première cause de mortalité pour la tranche des 15-25 ans. Cela prouve bien le mal-être de plus en plus important des étudiants en particulier, et de la jeunesse en général.

Une de nos revendications concernant le régime de sécurité sociale étudiant est le remboursement des consultations neuro-psychiatriques qui, pour le moment, ne le sont pas ou ne le sont qu’au compte gouttes : six séances par an par la MNEF et la plupart des mutuelles régionales. C’est vraiment infime pour des jeunes qui se retrouvent dans des états psychologiques difficiles. Six consultations, cela passe très vite et lorsqu’on connaît le coût d’une consultation chez un psychiatre et les ressources des étudiants, on comprend aisément que ces derniers n’aient guère la possibilité de se soigner moralement et psychologiquement. Ce serait un des aspects particuliers concernant le bien-être des étudiants qu’il faut améliorer.

Le bien-être des jeunes femmes touche de nombreux autres points. L’IVG a été une grande avancée morale et sociale acquise par ce régime étudiant spécifique et autonome, qui donne la possibilité à une jeune femme de pratiquer une IVG sans que sa famille en soit informée. C’est très important quand on imagine la pression familiale qui peut s’exercer dans ces situations.

Cette amélioration du bien-être étudiant ne peut passer que par un régime étudiant spécifique et une reconnaissance du statut social de l’étudiant. Pour l’instant, il serait effectivement nécessaire pour les mutuelles étudiantes d’améliorer leur gestion mais aussi de les aider à améliorer le système, en facilitant, par exemple, le remboursement des consultations neuro-psychiatriques.

M. Corentin KERREST : J’apporterai une précision : le remboursement des consultations neuro-psychiatriques ou celui de l’IVG ont été acquis grâce à la concurrence entre les mutuelles et au terme de nombreuses années de débat entre les différentes mutuelles. C’est cette concurrence qui a entraîné une baisse des frais pour arriver à proposer ces remboursements par les régimes complémentaires. C’est un point important à souligner.

En ce qui concerne le mal-être étudiant, actuellement, un réseau intégré s’est mis en place entre les différents acteurs, réunissant les organisations, associations et mutuelles étudiantes et la médecine préventive universitaire, pour répondre à ce mal-être, notamment par l’accueil et l’écoute des étudiants, qui constitue le premier stade d’intervention. On parlait du réseau des agences des mutuelles étudiantes, qui est très étendu, mais il y a également des centres d’accueil d’étudiants qui se mettent en place sur les campus de façon temporaire, dont l’action est très importante en ce qui concerne la lutte contre le mal-être des étudiants. Ce serait très dangereux de supprimer tous ces points d’accueil.

M. le Président : Le logement social étudiant doit-il, à votre avis, relever des mutuelles ? Est-ce aux étudiants de s’en préoccuper ? Aux sociétés d’HLM ? Estimez-vous que ce secteur soit actuellement satisfaisant ?

M. Stephen CAZADE : Je répondrais avant tout qu’aucun étudiant ne peut se déclarer satisfait de la situation actuelle du logement social. J’emploie ce terme de social pour évoquer les étudiants qui en ont le plus besoin et qui disposent de faibles ressources, car les autres n’auront jamais de problème pour bien se loger.

Est-ce bien le rôle des mutuelles ? Certaines directives les ont conduites à intervenir dans ce domaine. C’est d’ailleurs ce qui a engendré une diversification, que ce soit de la part de la MNEF ou des mutuelles régionales. Cette diversification s’est parfois révélée utile dans le cadre du logement social. De bons exemples le montrent, quoique cela dépende des villes, des mutuelles. Cependant, on a pu remarquer – mon expérience me permet de connaître un peu mieux la MNEF –, que dans certaines villes, ces logements ne répondaient plus à leur objet social initial, et qu’ils coûtaient parfois plus cher que des résidences privées pour le même nombre de mètres carrés. Donc, pour l’instant, les mutuelles ne répondent pas toujours pleinement à leur objet social lorsqu’elles gèrent des activités dans le domaine du logement. Est-ce à elles d’y répondre ? Oui, à condition de leur en donner les moyens. Mais il faut d’abord donner les moyens aux CNOUS et au CROUS parce que c’est une des premières raisons d’être du centre national de proposer des aides dans le domaine du logement. Quand on connaît le nombre de chambres en cité universitaire ou en résidence universitaire, je ne parlerai pas de Paris où la situation est catastrophique ou de celle de bon nombre de villes, on constate qu’il existe un problème du logement social. A notre avis, les premiers moyens sont à attribuer aux CROUS et à l’Etat, dont une des missions est de répondre à ce problème. Que l’on donne déjà aux CROUS les moyens de développer davantage les résidences universitaires. Actuellement, ce qui se fait se réalise malheureusement à un rythme insuffisant compte tenu de la démocratisation de l’enseignement supérieur et du nombre encore très élevé des étudiants, même s’il diminue quelque peu. Les CROUS n’ont pas répondu à cette augmentation.

Quant aux mutuelles étudiantes, je dirais qu’elles peuvent avoir un rôle à jouer, en recentrant leur action sur un objet social, qu’il s’agisse du logement ou d’autres activités car, après les directives, on a laissé faire tout et parfois n’importe quoi. Il faut redéfinir précisément l’objet social du logement. Pourquoi pas par les mutuelles ? Si elles s’en donnent les moyens, elles le peuvent.

M. le Président : Je vous remercie de cette audition et des précisions que vous nous avez apportées.

Audition de MM. Philippe EVANNO, secrétaire général de l’UNI
et Jacques ROUGEOT, président de l’UNI

(procès-verbal de la séance du 11 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M. Evanno est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Evanno prête serment.

M. le Président : Mes chers collègues, nous allons entendre M. Philippe Evanno, délégué général de l’UNI. M. Jacques Rougeot, président de l’UNI, devrait nous rejoindre un peu plus tard.

M. Philippe EVANNO : La position de l’UNI sur la mutualité étudiante résulte d’une assez longue histoire puisque notre mouvement existe depuis maintenant plus de trente ans et qu’il s’est intéressé à la mutualité dès sa création, dans un système qui, au départ, était caractérisé par le monopole de la MNEF, seule mutuelle étudiante nationale, et qui, à partir des années 1971-1972, est devenu un système de concurrence puisque les mutuelles régionales ont commencé alors à s’implanter.

Dès le début, l’UNI a milité pour essayer d’obtenir une gestion saine et transparente du régime étudiant. Elle a dénoncé très tôt les dérives de la MNEF. L’UNI a d’ailleurs, en 1980, publié ce qui s’appelait le dossier MNEF, qui avait fait du bruit à l’époque et expliquait le fonctionnement, tel qu’il était alors, de cette mutuelle. Ce dossier présente un intérêt historique puisqu’il donne la photographie du fonctionnement de cette mutuelle peu de temps avant le changement de majorité de 1983, qui a abouti à la mise en place de l’équipe qui a dirigé la MNEF de 1983 jusqu’au changement récent.

L’UNI n’a pas cessé de réclamer la mise en place d’un fonctionnement réellement démocratique de la MNEF et un assainissement de sa gestion.

Par ailleurs, l’UNI n’a jamais participé en tant que telle à la gestion des mutuelles étudiantes et a toujours laissé ses adhérents libres de se présenter aux élections aux assemblées générales des mutuelles régionales sur les listes de leur choix, partant du principe que ce n’était pas le rôle de l’UNI de porter à l’intérieur des mutuelles les clivages politiques ou syndicaux.

Pour en revenir à l’actualité immédiate, l’objectif de l’UNI est avant tout d’éviter la disparition de la mutualité étudiante.

Historiquement, l’UNI n’a pas été farouchement pour le maintien d’un régime étudiant de sécurité sociale. Pendant de longues années, nous avons eu un point de vue très proche de celui de la CNAM, c’est-à-dire que nous étions favorables à la suppression du régime particulier de sécurité sociale étudiante. Nous avons maintenu cette position jusqu’à une période récente, jusqu’en 1993. Nous la concevions alors comme un moyen de pression, une sorte d’épée de Damoclès suspendue au-dessus des dirigeants des mutuelles étudiantes, notre objectif étant de les contraindre tous, mais en particulier ceux de la MNEF, à avoir une gestion saine et claire sous peine de disparaître un jour ou l’autre.

Cela dit, l’évolution du milieu étudiant, surtout avec la massification et la démocratisation de l’enseignement supérieur, a eu pour conséquence une dilution des structures d’encadrement des étudiants. Nous avons vu progressivement disparaître, ou s’amoindrir, le poids des corporations qui, au début des années 70, jouaient un rôle considérable dans l’animation de la vie étudiante. Progressivement, au fil des ans, notamment au début des années 90, celles-ci ont pratiquement disparu et nous nous sommes retrouvés il y a quelques années dans une situation où les mutuelles qui, vingt ans auparavant, jouaient un rôle marginal dans la vie quotidienne de l’étudiant, s’étaient vues, sous la pression des événements et surtout à la demande des gouvernements successifs, confier des tâches extra-mutualistes, qui allaient très au-delà de leur rôle dans le domaine de la santé et de la sécurité sociale. À ce moment-là, nous avons considéré qu’il n’était plus opportun de réclamer la suppression du régime étudiant et, qu’au contraire, nous devions défendre ce régime.

En outre, nous nous sommes rendus compte que le coût du régime étudiant, malgré tout ce qui a été dit depuis, semblait être inférieur au coût de gestion des CPAM. Une source interne à la CNAM nous indique aujourd’hui – c’est sous toutes réserves, je suis incapable de vous confirmer cela – que le coût par bénéficiaire actif pour les CPAM serait de 426 F alors que le coût par bénéficiaire actif pour les mutuelles étudiantes serait de 320 F.

En ce qui concerne ce problème de coût, on a beaucoup glosé sur le fait que les mutuelles étudiantes coûteraient trop cher ou que le coût de ces mutuelles aurait été établi d’une manière totalement arbitraire, sans tenir compte de la réalité des coûts de gestion.

En remontant à la période d’égalisation des remises de gestion des mutuelles étudiantes, vous savez qu’en 1985, il y a tout à coup l’apparition d’une inégalité de traitement entre les mutuelles étudiantes : la MNEF est maintenue sur une base de remises de gestion très élevée et les mutuelles régionales se voient attribuer des remises de gestion de différents niveaux, très nettement inférieures à celle de la MNEF. Il fallut une longue bagarre pour revenir à une égalité de traitement, celle-ci n’étant définitivement acquise qu’au 1er janvier 1996. C’est très récent.

Durant la période 1985-1995, le montant total des remises de gestion versé à l’ensemble des mutuelles étudiantes accuse un déficit de 150 millions de francs au détriment des mutuelles régionales et au profit de la MNEF. Il y a donc eu une très longue période d’inégalité. On constate, par exemple, qu’en 1991, la SMECO, qui était la mutuelle régionale la plus mal lotie, celle du Centre-Ouest, percevait 131 F de remise de gestion quand la MNEF recevait 341 F ; la mieux lotie des mutuelles régionales, celle de l’Ile-de-France, la SMEREP, percevait 274 F.

Quand il s’est agi avec le président de la CNAM de l’époque, M. Emile Boursier, et ses collaborateurs de procéder à une égalisation, la MNEF a invoqué des problèmes de surcharges de personnel, au demeurant justifiés puisque le personnel de la MNEF ayant commencé à être recruté dès 1948, il y avait effectivement des salariés de la MNEF qui, approchant de la retraite, étaient rémunérés sur des bases extrêmement élevées. Les charges salariales de la MNEF étaient démesurées par rapport à celles des mutuelles régionales. À ce moment-là, les mutuelles régionales demandaient une égalisation des remises de gestion au niveau de la mieux lotie d’entre elles, la SMEREP, soit 274 F. Finalement, elles ont obtenu, sans l’avoir initialement demandé, d’être alignées sur la MNEF, à 320 F. C’est assez intéressant comme résultat.

Cela dit, j’ai entendu dire ici ou là et j’ai lu un peu partout que cette remise de gestion au niveau de 320 F serait disproportionnée. Si le montant, lorsqu’il a été négocié en 1994, apparaissait trop élevé pour certaines mutuelles, aujourd’hui, avec l’apparition de Sesam-Vitale et les frais informatiques considérables qui en résultent, il semble qu’il corresponde à des besoins réels de l’ensemble des mutuelles étudiantes.

Cette inégalité de traitement nous était apparue injustifiée mais - personne ne s’en cachait, notamment à la CNAM -, elle était utilisée comme un moyen de pression sur les mutuelles et comme une arme de la CNAM pour exercer une sorte de police sur les mutuelles étudiantes et les amener à être mieux gérées. Cela dit, cela se faisait au détriment de l’égalité de traitement et a amené certaines mutuelles à recourir de façon abondante, sinon systématique, à tous les emplois aidés de type TUC ou CES afin de pouvoir survivre. Ce n’était pas supportable. C’est la raison pour laquelle nous y étions opposés.

Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où la mutualité étudiante est mise en cause. M. Johanet, ce n’est un mystère pour personne, a une vision très radicale, puisqu’il envisage la suppression de tous les régimes particuliers, ce qui en soi peut tout à fait se concevoir. Nous estimons, pour notre part, qu’aujourd’hui, ce serait augmenter les coûts. Et, même dans l’hypothèse où cela ne conduirait pas à une augmentation des coûts, cela supprimerait un élément fort de structuration du monde étudiant, ce qui en tout état de cause n’est pas souhaitable.

Par contre, il est certain que les événements récents ont fait apparaître un besoin de meilleure gestion de la mutualité étudiante, notamment de la principale d’entre elles, qui porte notamment sur la mise en place d’une comptabilité plus claire, d’une comptabilité analytique, et d’une plus grande transparence de gestion.

Ne pourrait-on atteindre cette transparence par la mise en place d’une sorte de commission de suivi de la mutualité étudiante, qui permettrait d’imposer à l’ensemble des mutuelles étudiantes une plus grande coordination ? Le rapport de la Cour des comptes visait particulièrement cette concurrence effrénée à laquelle se livraient les mutuelles étudiantes lors des inscriptions. Il est certain que celle-ci avait atteint des limites difficilement supportables, notamment pour les secrétariats d’université.

En outre, pour ce qui concerne la MNEF, car le reproche est moins justifié en ce qui concerne les mutuelles régionales, il faudrait une véritable démocratisation. Nous avons assisté à un début de démocratisation lors des dernières élections à la MNEF, encore qu’elles aient été extrêmement contestées et qu’il soit possible que, dans les jours qui viennent, ces élections soient annulées.

Les efforts ne doivent pas peser exclusivement sur les mutuelles étudiantes, l’amélioration de la situation passe aussi par des efforts de la CNAM qui doit proposer aux mutuelles des contrats d’objectifs et de gestion les plus clairs possible et, surtout, les signer dans des délais acceptables. Les contrats de gestion actuels sont signés pour trois ans et la CNAM les signe avec un retard de douze à dix-huit mois. Imaginez les difficultés de gestion que cela peut entraîner pour les mutuelles concernées et, au bout de la chaîne, les incertitudes que cela peut représenter pour l’étudiant.

En conclusion, je dirai que l’UNI a été très surprise de la façon dont ce dossier des mutuelles a été géré par le Gouvernement. Nous nous sommes beaucoup interrogés notamment sur l’empilement des contrôles dont les mutuelles ont été l’objet, comme si les différents organismes chargés du contrôle n’étaient pas capables, à eux seuls, de porter un jugement sur les mutuelles qu’ils contrôlaient, que ce soit la Cour des comptes, l’IGF ou l’IGAS. Cela nous a semblé surprenant. Cela est apparu, d’un certain point de vue, comme une concurrence entre ministères et, pourquoi ne pas le dire, entre ministres. Cela n’a pas donné une apparence très sérieuse de la gestion de ce dossier.

L’UNI estime qu’il ne faut pas que l’arbre cache la forêt. Nous avons affaire à un dossier qui est celui des mutuelles étudiantes, c’est-à-dire qui concerne beaucoup de monde en nombre d’affiliés, mais extrêmement peu du point de vue du volume financier mis en jeu par rapport à l’ensemble de la mutualité française. La Cour des comptes s’intéresse depuis novembre à la gestion de mutuelles beaucoup plus grandes, avec une crainte que l’on découvre des dérives beaucoup plus fortes qui risqueraient de mettre en cause la mutualité française dans son ensemble et d’avoir des conséquences pour des millions de mutualistes. Il faut garder cela à l’esprit.

L’affaire MNEF, qui est à l’origine de cette commission d’enquête parlementaire, a certes le mérite de révéler des dysfonctionnements. Il ne faudrait pas pénaliser les étudiants et détruire un système auquel ils sont attachés, mais au contraire tout faire pour le renforcer et l’améliorer.

Ce dossier se situe dans un contexte beaucoup plus général, qui met en cause la totalité de la mutualité française. Les Français sont attachés à leur système mutualiste. On nous dit qu’il est dépassé parce que, d’un point de vue européen, il ne serait pas repris dans l’ensemble de l’Europe. Je réponds que l’on a tort de ne pas avoir fait tout ce qu’il fallait pour l’exporter, car, après tout, le modèle français est peut-être exportable et l’on ne doit pas obligatoirement détruire tout ce qui est français.

M. Rougeot est introduit dans la salle de la commission. M. le président l’accueille et, sur son invitation, M. Rougeot prête serment.

M. Jacques ROUGEOT : Je tiens à présenter mes excuses à la commission pour ce retard. Il y a quelques instants, j’étais encore en train de dispenser le peu de savoir que je peux avoir à mes étudiants. Je suis venu aussi rapidement que j’ai pu et vous remercie d’avoir bien voulu m’accorder ce délai.

M. le Président : Nous acceptons vos excuses.

Monsieur Evanno, j’ai bien entendu votre argumentation sur le fait que vous êtes désormais partisan du système mutualiste étudiant et que ce système serait vraisemblablement moins cher que le système général.

Des comptes qui nous ont été présentés par le directeur général de la CNAM, il ressort que le système de la mutualité étudiante coûte 400 millions de francs. S’il était rattaché au régime général, cela permettrait une économie de l’ordre de 240 millions de francs. Connaissiez-vous ces chiffres ?

M. Philippe EVANNO : Ce sont les chiffres avancés régulièrement par les services de la CNAM, par M. Johanet aujourd’hui, par les mêmes services il y a dix ans, ces chiffres ont varié avec l’augmentation des effectifs étudiants. Ce raisonnement suppose que le coût de la gestion des dossiers étudiants par les CPAM ne représenterait qu’un quart du coût de gestion moyen d’un dossier. Il serait intéressant que les services de la CNAM justifient un coût de gestion aussi. Cela me semble totalement impossible.

M. le Président : Toutes les personnes que nous avons entendues, en dehors de la CNAM, étaient favorables au système mutualiste. Ce qui est intéressant, c’est que vous avez changé de point de vue. Sur quel dossier ou à la suite de quelles études avez-vous modifié votre position ? Qu’est-ce qui vous a amené à adhérer au système mutualiste ?

M. Philippe EVANNO : Du constat de la disparition du milieu étudiant, nous nous sommes intéressés au problème du coût et à la question de savoir si réellement le maintien du système mutualiste pouvait apparaître justifié d’un point de vue du coût, mais la première motivation a été le constat de disparition des structures étudiantes. On s’en rend moins compte aujourd’hui parce que de nouvelles structures étudiantes ont émergé ces dernières années et ont contribué à structurer le monde étudiant mais, en 1992-1993, nous avons constaté que le milieu étudiant était à peu près mort.

Le niveau de participation aux élections universitaires était le plus bas jamais enregistré. Il a progressivement remonté depuis, même s’il se situe à un niveau qui est encore très insuffisant mais cela tient, pour l’essentiel, à des raisons techniques. Le nombre de bureaux de vote mis à disposition des étudiants ferait chuter dans des proportions identiques le vote aux élections nationales, si l’on appliquait les mêmes ratios.

A ce moment-là, nous avons jugé qu’il était nécessaire de maintenir un encadrement du monde étudiant et nous avons également noté que les différents gouvernements confiaient aux mutuelles des tâches qu’ils s’estimaient incapables de mener eux-mêmes. Comme les mutuelles semblaient être capables de lancer des opérations dans toute une série de domaines importants pour les étudiants, notamment celui de l’emploi, comme cela s’est passé en 1994, nous nous sommes convertis au maintien d’un système de mutualité étudiante.

M. le Président : On a beaucoup parlé des dépenses de communication que les mutuelles engageaient, compte tenu de leur diversité et de la concurrence, pour essayer d’amener à elles des adhésions et des affiliations. Pourrions-nous avoir votre sentiment sur les budgets engagés ?

On voit beaucoup d’affichettes UNI. Pouvez-vous nous préciser le montant de votre budget de communication ?

M. Philippe EVANNO : Nous n’avons pas de budget de communication.

M. le Président : Avec quoi faites-vous toute votre communication ?

M. Philippe EVANNO : Nous avons une vieille offset et nous imprimons dans nos locaux les affiches que nous diffusons. Elles sont imprimées en une couleur sur du papier 80 g, à un coût quasiment nul par rapport à ce que cela coûte aux sociétés qui font imprimer chez des imprimeurs, en passant par des sociétés de communication qui facturent leurs prestations en allant du slogan jusqu’à la maquette.

M. le Président : Ce sont peut-être des conseils que l’on pourrait donner aux différentes mutuelles étudiantes : faire sa publicité sur une vieille offset !

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Si vous n’aviez pas prêté serment, j’aurais du mal à vous croire.

M. Philippe EVANNO : Si vous voulez avoir plus de précisions sur notre budget, vous pouvez aller voir au ministère de l’éducation. Nous remettons notre budget, vérifié par un commissaire aux comptes tous les ans, dans lequel apparaissent toutes nos dépenses, notamment celles de papier, fournitures offset et autres – les balais et la colle apparaissent aussi – qui servent à toute cette communication. C’est très facile à vérifier.

En ce qui concerne les dépenses de communication des mutuelles, d’après ce qui a été publié jusqu’ici dans la presse puisque nous n’avons pas accès aux différents rapports d’où ces informations sont puisées, il semble que la MNEF, étant une mutuelle nationale, ait eu un budget de communication considérable, et qu’il en ait été de même pour certaines mutuelles régionales. Pour le moment, la presse n’a fait état que des dépenses de la MNEF et de celles d’une mutuelle régionale, la MGEL. N’ayant pas eu accès aux différents rapports, et notamment celui de la Cour des comptes, je ne peux pas savoir ce qui a été dit sur les autres. Mais il est sûr, en tout cas, que les budgets de communication des mutuelles régionales étaient traditionnellement très faibles par rapport à celui de la MNEF, d’une part, parce qu’elles n’avaient pas de communication nationale à gérer, de type institutionnel, et d’autre part, parce qu’étant beaucoup plus proches que la MNEF de leur terrain régional, elles avaient de moindres besoins dans ce domaine.

La très forte communication de la MGEL est probablement justifiée par la volonté de cette mutuelle de s’implanter majoritairement dans sa zone géographique. Je crois que la MGEL, dans sa région, dépasse aujourd’hui les 80 % d’affiliés, alors que la MNEF, dans cette même zone, a 20 % d’affiliés. Je suppose que la MGEL avait un jour décidé d’écraser la MNEF et qu’elle y est arrivée.

M. le Rapporteur : Je crois que ces chiffres 80 %/20 % ne sont pas tout à fait les bons chiffres, mais il est vrai que la MGEL est passée devant la MNEF.

Pour revenir au fond du problème, vous expliquiez que c’était une grande victoire d’avoir obtenu l’uniformité des remises de gestion. Que pensez-vous de cette forme d’égalitarisme – un affilié–une somme – sans que soient prises en compte ni les économies d’échelle qui peuvent être faites en raison du nombre de gens concernés, ni les différences qualitatives des services apportés ? On s’aperçoit au travers d’un rapport de l’IGAS portant sur les remises de gestion que manifestement ces remises de gestion ne servent pas qu’à gérer le régime obligatoire, mais permettent de dégager des marges qui, sans être énormes, permettent tout de même de financer en partie le budget de communication et, en partie, d’autres activités. Le directeur de la CNAM précisait, par exemple, que l’argent de l’assurance maladie n’avait pas vocation à payer des places de cinéma. Qu’en pensez-vous ? Je dois avouer que je suis un peu étonné de vous voir défendre cette forme d’égalitarisme.

M. Philippe EVANNO : Vous parlez d’économies d’échelle. Quelle était la mutuelle qui pouvait faire des économies d’échelle sinon la seule qui était nationale ? Or toutes les négociations sur les remises de gestion se sont basées sur le fait qu’il ne fallait pas ramener la MNEF à un trop faible niveau de remise de gestion, d’où le fait que les mutuelles régionales, initialement à leur corps défendant parce que ce n’était pas leur demande, ont accepté, en 1994, un niveau de remise de gestion manifestement plus élevé que ce qui leur était nécessaire. Quand la négociation a commencé en 1992, il n’était pas question de remettre à niveau les remises de gestion.

La question que vous posez est très judicieuse, mais elle est la conséquence d’une gestion politique de ce dossier à partir de 1985, d’une volonté politique de certains gouvernements d’introduire une différence considérable de traitement entre des mutuelles, qui étaient traitées non pas comme des mutuelles, mais comme des catégories politiques, la MNEF étant considérée comme une alliée, les mutuelles régionales comme des adversaires. Dès lors, ce sont ceux qui ont décidé au départ d’établir une inégalité de traitement qui doivent en assumer les conséquences.

De plus, comment voulez-vous décider que l’adhérent mutualiste de Brest coûte plus ou moins cher que l’adhérent mutualiste de Strasbourg ou de Paris ? C’est très difficile. Cela aurait été à la CNAM de justifier le fait qu’elle donne à 130 F à la SMECO, 270 F à la SMEREP, et ainsi de suite. D’où venait cette différence de traitement ?

On aurait très facilement pu maintenir cette différence de traitement si la CNAM elle-même avait pu la justifier. Or la CNAM était hors d’état de la justifier.

Il est plus facile de faire des économies d’échelle sur des mutuelles qui gèrent la totalité des régions, y compris l’outre-mer, que sur des mutuelles qui gèrent deux ou trois régions. Cela me semble évident. Mais il est certain qu’un problème se posait là, qui a d’ailleurs été soulevé en 1992.

M. le Rapporteur : Je vous parle là de prospective, puisque le travail de la commission est, d’une part, d’analyser ce qui s’est passé, et, d’autre part, de présenter des propositions quant à l’évolution du système.

Si je comprends bien la position de l’UNI aujourd’hui est de défendre l’uniformité et l’égalitarisme dans le montant des remises de gestion entre les différentes mutuelles.

M. Philippe EVANNO : Cela fait partie du débat, mais encore faut-il que les uns et les autres fournissent des preuves pour étayer leur position, que ce soit la CNAM ou les mutuelles. Nous n’avons pas accès aux comptes des mutuelles, mais il semble qu’aujourd’hui, avec la mise en place de la réforme et du système de la carte Sesam-Vitale, la charge qui pèse sur les mutuelles en termes d’informatisation et de mise à niveau soit extrêmement lourde et qu’en réalité, le niveau de remise de gestion actuelle corresponde à un besoin.

Pour telle mutuelle dont le système informatique est plus performant, cela pèsera moins que sur telle autre dont le système informatique est moins performant. C’est tout à fait possible. On connaît le problème actuel de la MNEF dont le système informatique est obsolète et qui est, en plus, a mis en place au cours de l’été dernier son système de gestion sans l’avoir testé et se retrouve avec des problèmes de remboursement terribles à gérer. Il est certain que pour la MNEF, les difficultés sont plus grandes que pour d’autres mutuelles régionales, qui ont remis leur système informatique à niveau récemment, dont les systèmes sont plus souples et qui sont beaucoup plus à même d’amortir le coût de Sesam-Vitale.

Mais nous ne sommes pas armés pour répondre à ce type de question.

M. le Rapporteur : Les différents rapports que nous avons eus démontrent que de réels problèmes d’informatisation se posent un peu partout, sans même que Sesam-Vitale soit pris en compte.

Concernant les dépenses de communication de la MNEF et des mutuelles régionales, il a beaucoup été fait allusion au fait que ces mutuelles payaient des encarts publicitaires dans les revues des différentes associations ou syndicats, ce qui est une forme de subvention indirecte, puisque la seule subvention directe dont nous ayons connaissance est effectivement UNEF-ID financée par la MNEF.

Votre organisation, l’UNI, bénéficie-t-elle du paiement d’espaces publicitaires par les mutuelles régionales ou la MNEF ?

M. Philippe EVANNO : Ni de mutuelles régionales ni de la MNEF. De toute façon, nous n’avons pas recours à des supports de publicité. Nous avons eu recours il y a quelques années à un support Vie étudiante sur lequel nous avons tenté d’obtenir de la publicité, mais le démarchage a été fait auprès de sociétés commerciales, jamais auprès de mutuelles étudiantes ; cela ne nous semblait pas être de l’ordre de ce qu’il fallait demander aux mutuelles régionales. De la même manière que nous ne présentons pas de listes lors des élections mutualistes, nous n’estimons pas nécessaire de mélanger notre activité à celle des mutuelles.

Par contre, nous sommes certainement les seuls à n’avoir jamais bénéficié de ce type d’aides, indépendamment du fait de savoir si elles sont légitimes ou pas.

M. Bruno BOURG-BROC : Je voulais vous poser une question du même type. Nous avons compris que vous n’aviez pas de liens particuliers avec la MNEF, mais avez-vous des liens particuliers avec d’autres mutuelles sous les formes qui viennent d’être évoquées - publicités, liens financiers ? Vous avez dit que vous ne présentez pas de candidats aux élections mutualistes.

M. Philippe EVANNO : En effet.

M. Bruno BOURG-BROC : J’ai bien noté que vous étiez au départ opposé au régime spécifique de sécurité sociale étudiante et que vous vous y êtes ralliés en 1993.

M. Philippe EVANNO : A partir de la négociation portant sur la remise à niveau des remises de gestion.

M. Bruno BOURG-BROC : L’organisation actuelle, dans ses grandes lignes, vous satisfait-elle ? Avez-vous des suggestions à formuler sur une réorganisation possible ?

Par ailleurs, quelles devraient être à vos yeux les grandes lignes d’un statut social de l’étudiant ?

M. Philippe EVANNO : En ce qui concerne votre première question, je répondrai que nous n’avons aucun lien d’aucune sorte en tant qu’organisation avec une mutuelle étudiante. Il nous arrive, ici ou là, d’avoir un membre de l’UNI qui se présente à titre personnel sur la liste d’une mutuelle, hors MNEF évidemment, et qui peut être élu. Cela nous est déjà arrivé. Mais cela reste peu fréquent. En ce qui concerne votre deuxième question, il est nécessaire de trouver un mode de coordination pour faire mieux fonctionner ce système mutualiste étudiant. Différentes idées étaient dans l’air. L’une était de faire figurer dans les conseils d’administration des mutuelles des représentants de l’Etat. C’est une idée dangereuse, non pour les mutuelles, mais pour l’Etat, puisque, en règle générale, on se rend compte que dans toute structure de type associatif ou d’économie sociale, quand l’Etat est présent, en général, le représentant de l’Etat ne voit rien. C’est ce qui s’est passé à l’ARC. Les représentants de l’Etat sont mieux placés pour contrôler que pour participer à une gestion. Il me semble donc plus intéressant d’envisager la mise en place d’un comité de suivi, où l’Etat serait très fortement représenté, dont la mission serait de veiller à ce que le fonctionnement de la mutualité étudiante se passe du mieux possible et d’éviter les dérives auxquelles on a pu assister.

Pour revenir à la question de la communication, le problème de la communication ces dernières années est en réalité moins directement lié à une rivalité entre mutuelles, secteur par secteur, encore que l’on puisse discuter suivant les villes, car il y avait bien des endroits où la guerre était effectivement liée à une rivalité entre MNEF et mutuelle régionale, qu’à une démutualisation progressive du monde étudiant au profit des compagnies d’assurances.

L’évolution très rapide des dépenses de communication à laquelle nous avons pu assister au cours des dix dernières années correspond beaucoup plus au fait que les familles et les étudiants avaient tendance à aller s’assurer plutôt qu’à se mutualiser. En fait, c’est à mon avis plus à une concurrence entre mutuelles et compagnies d’assurances qu’à une concurrence entre mutuelles entre elles à laquelle on a assisté.

En ce qui concerne votre dernière question sur des propositions sociales pour les étudiants, le problème des mutuelles étudiantes ces dernières années est d’avoir changé et de s’être très fortement impliquées à la demande des différents gouvernements. Depuis le plan social étudiant de 1991 signé avec le ministre de l’éducation nationale de l’époque, M. Lionel
Jospin, nous avons vu les mutuelles étudiantes s’impliquer dans tous les aspects sociaux de la vie étudiante. La MNEF a créé ses maisons des jeunes et de la santé, qui ne traitent pas que des problèmes de la santé. Elle est intervenue sur des quantités de dossier extra étudiants. Le dossier Carte Jeunes SA est un dossier extrêmement lourd, dans lequel la MNEF a pris une position dominante.

Il faut remettre les choses à leur place. Il est certain que les mutuelles, dans leur domaine, celui de la santé, peuvent apporter une aide considérable aux étudiants. Elles peuvent, à partir de là, faire des propositions plus larges qui ne concerneraient pas que la santé, car on ne peut réfléchir sur la santé des étudiants sans avoir une vision globale du fonctionnement de l’université.

Il faut réfléchir à un mode d’association des mutuelles à la réflexion sur l’aide sociale aux étudiants qui soit un peu mieux défini qu’il ne l’a été à ce jour.

On peut difficilement reprocher aux mutuelles étudiantes de s’être intéressées à ces dossiers, alors qu’à chaque fois, elles étaient obligées d’intervenir à la demande de l’Etat. Il est certain aussi qu’elles ont fait naître une génération de cadres dirigeants qui, dans leur majorité, avait une connaissance du système qui, paradoxalement, était fréquemment meilleure que celle que pouvaient avoir les représentants élus des mouvements étudiants, tout simplement parce qu’ils avaient une plus grande longévité dans leurs fonctions. On retrouve la même particularité à l’UNI. L’UNI est un mouvement qui regroupe des enseignants, des chercheurs et des étudiants. Il est fréquent que les enseignants et des chercheurs de l’UNI aient une meilleure connaissance des dossiers que les étudiants, tout simplement parce que la durée de passage d’un étudiant dans une association ou un syndicat étudiant est de l’ordre de deux ans, ce qui est extrêmement court pour acquérir une expérience. C’est ce qui a dû se produire avec les mutuelles étudiantes. Un certain nombre de cadres étudiants se sont retrouvés dans les mutuelles, ont continué à travailler sur les problèmes de l’université et, à partir de ce moment-là, ont été amenés à s’investir davantage sur toute une série de problèmes.

Pour ce qui est des propositions elles-mêmes, je pense qu’il existe des besoins qui concernent, d’un point de vue strict de la santé, un meilleur suivi de l’état sanitaire de la population étudiante, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui. D’autres propositions traitent des conditions de vie de l’étudiant, qu’il s’agisse de la restauration ou du logement. Les mutuelles avaient été amenées à s’occuper de ce secteur à l’occasion du plan social de 1991, qui comportait un volet logement, ledit volet ayant été signé mais n’ayant pas été financé. L’UNI avait signé ce plan social. Parallèlement à cela, il y a eu surtout le dérapage de l’ALS, puisque comme vous le savez, l’ALS n’a jamais été conçue pour les étudiants. Le gouvernement qui l’a créée n’a jamais imaginé que cette allocation pourrait bénéficier aux étudiants. La conjonction entre ce plan signé avec le gouvernement et le ministère Jospin à l’époque, le besoin en logements et le dérapage de l’allocation au logement social avait conduit, à la demande des gouvernements de l’époque, les mutuelles à investir dans le logement.

On se demande aujourd’hui si c’était bien leur rôle. Probablement pas, mais tout le monde les incitait à aller dans cette direction. Maintenant, il faut savoir si l’on continue à inciter les mutuelles étudiantes à gérer le logement étudiant – elles gèrent un nombre de logements considérable – ou si l’on doit les aider, au contraire, à se recentrer sur leur mission prioritaire et à se débarrasser, d’une manière ou d’une autre, de leurs filiales.

Il est nécessaire, à mon avis, de procéder à une défilialisation des mutuelles et de rechercher une meilleure articulation entre des filiales qui sont, pour l’essentiel, des sociétés à caractère commercial et des mutuelles qui ont avant tout un objectif social.

M. le Rapporteur : Tout à l’heure, lorsque vous avez fait allusion à la participation à titre individuel de membres de votre organisation aux élections mutualistes, vous avez terminé votre phrase en disant " hors MNEF évidemment ". Y a-t-il incompatibilité entre le fait d’être membre de l’UNI et adhérent à la MNEF ?

M. Philippe EVANNO : Sauf cas particuliers, c’est-à-dire absence totale de mutuelle étudiante régionale dans une zone donnée, ce qui actuellement n’existe plus en France. Jusqu’à une période récente, à Perpignan, il n’existait que la MNEF. Depuis maintenant deux rentrées, il y a une mutuelle régionale. De même, dans les départements d’outre-mer, il n’existait que la MNEF. De toute façon, en outremer, la répartition des étudiants entre mutuelles ne se fait en aucun cas sur des critères politiques.

M. le Rapporteur : Pourquoi ? Aujourd’hui, cela se fait sur des critères politiques ?

M. Philippe EVANNO : En outre-mer, absolument pas.

M. le Rapporteur : En métropole ?

M. Philippe EVANNO : En métropole, pour une part. Beaucoup moins depuis une dizaine d’années car, progressivement, l’image politique de la MNEF s’est atténuée. C’était d’ailleurs le grand reproche qui lui était fait par beaucoup de ses amis. À partir de là, dans un certain nombre de régions, les étudiants ne se déterminaient plus en fonction d’une sensibilité politique.

Si l’on reprend le débat des années 70 et du début des années 80, il est bien évident que lorsqu’un étudiant adhérait à une mutuelle régionale, c’est qu’il était plutôt de sensibilité de droite et quand il adhérait à la MNEF, c’est qu’il était plutôt de sensibilité de gauche. C’est ce qui se faisait à cette époque. La situation a évolué. Même si cela reste partiellement vrai, on assiste de plus en plus à une dépolitisation de la mutualité étudiante, ce qui est probablement une bonne chose.

M. le Rapporteur : Avez-vous été administrateur d’une mutuelle ?

M. Philippe EVANNO : Non.

M. le Président : Estimez-vous que les étudiants étrangers doivent avoir la même couverture que les étudiants français, même lorsqu’il n’y a pas de régime de réciprocité ? Quelles sont vos propositions concernant les étudiants étrangers ?

M. Philippe EVANNO : Une décision récente a été prise à ce sujet, qui aligne les étudiants étrangers sur les autres étudiants. C’est une mesure simplificatrice utile, étant donné que s’étaient greffées sur ce traitement particulier des étudiants étrangers des sociétés purement commerciales, qui se faisaient de la publicité dans les facultés sur le thème: " En payant trois cents ou cinq cents francs, vous aurez le papier nécessaire à l’obtention du titre de séjour ", ce qui fréquemment ne reposait sur rien et mettait des étudiants étrangers dans des situations extrêmement difficiles.

La question de la réciprocité n’a pas grand sens pour nombre de pays, dès lors que dans les pays concernés, il n’existe pas de mutualité ou de système équivalent. Donc, le fait de rattacher purement et simplement les étudiants étrangers au régime étudiant est, à notre sens, plutôt une bonne chose, surtout dans une période où, depuis un bon nombre d’années déjà, le nombre d’étudiants étrangers en proportion de l’ensemble des étudiants n’a cessé de baisser et où, pour certains pays, les flux sont même en train de s’inverser. Si l’on prend un pays aussi proche de la France que la Côte d’Ivoire, personne n’imagine que les étudiants ivoiriens pourraient ne pas venir en France. Il se trouve qu’aujourd’hui, la majorité des étudiants ivoiriens s’orientent vers l’Amérique du Nord, malgré les coûts considérables des études dans ces pays. Il est vrai aussi que l’ambassade de France refusant presque systématiquement les visas d’études aux candidats à une inscription chez nous, cela rend cette réorientation obligatoire. Mais c’est un autre type de problème.

En ce qui nous concerne, nous avions recommandé à des responsables mutualistes de s’interroger sur ce problème et de voir dans quelle mesure ils pourraient intervenir pour le régler. Je ne sais pas si nous avons été entendus et si cela a été pris en compte dans la décision récente. En tout cas, cette décision nous satisfait tout à fait.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions d’avoir passé avec nous une partie de votre après-midi. Vos explications étaient très claires.

M. Philippe EVANNO : Je puis vous laisser le dossier dont j’ai parlé au cours de mon exposé liminaire concernant la MNEF qui date de 1980.

M. le Président : En effet, il sera très intéressant pour nous de l’avoir.

Audition de MM. Eddy AGNASSIA, président
de l’association Promotion et défense des étudiants (PDE),
et François-Xavier FERRAND, administrateur

(procès-verbal de la séance du 11 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Agnassia et Ferrand sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Agnassia et Ferrand prêtent serment.

M. Eddy AGNASSIA : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes très contents qu’une commission d’enquête parlementaire se soit créée pour débattre des problèmes sanitaires et sociaux des étudiants. Nous avons apprécié que cette commission puisse faire toute la lumière sur les affaires de la MNEF. Se référant au rapport de la Cour des comptes, qui décrit les dysfonctionnements qui existent dans le régime étudiant, elle a également souhaité se pencher sur le régime étudiant dans son ensemble.

Je ferai une présentation rapide de notre organisation étudiante, avant de vous livrer nos positions sur la mutualité étudiante et de conclure en évoquant nos relations avec les mutuelles étudiantes.

Promotion et défense des étudiants – PDE – est une organisation représentative des étudiants en France. Elle a été créée en 1994 par différentes associations nationales de filières : l’association nationale des étudiants en pharmacie de France, la fédération nationale des étudiants en biologie, l’union nationale des étudiants en AES, l’association nationale des étudiants en kinésithérapie et ergothérapie, l’union nationale des étudiants en droit, économie, gestion et sciences politiques.

Nous siégeons dans les instances nationales de l’enseignement supérieur, au Conseil national du CNESER et au conseil d’administration du CNOUS. Nous siégeons également dans d’autres instances, mais je ne vais pas m’attarder sur ce point.

La PDE a développé essentiellement deux types d’activités, une activité de représentation et de défense des étudiants dans ces instances, et une autre plus axée sur la formation des élus étudiants, élus des conseils d’université ainsi qu’élus des conseils de faculté.

En ce qui concerne cette seconde activité, nous apportons une formation concernant le rôle de l’élu dans ces instances universitaires. Nous lui donnons des outils pratiques afin qu’il puisse avoir une meilleure connaissance des textes sur l’enseignement supérieur. Bref, nous essayons de mieux former nos élus.

L’autre type de formation que nous dispensons est une formation qui s’adresse aux responsables associatifs et porte sur la gestion d’une association étudiante, il s’agit d’une approche comptable et fiscale, car nous comptons de nombreuses associations qui gèrent des salariés et des chiffres d’affaires assez conséquents.

Notre vocation est donc de représenter les étudiants et de soutenir l’action et le développement des associations étudiantes en France. Nous le répétons souvent : PDE incarne le mouvement associatif indépendant et apolitique. Nous ne nous situons pas dans la même optique que les syndicats étudiants classiques.

Telle est la présentation que je pouvais faire de notre organisation. Quant à nos positions sur la mutualité étudiante, elles sont de plusieurs ordres.

Nous sommes profondément attachés au maintien de la spécificité du régime étudiant de sécurité sociale pour diverses raisons. C’est d’abord un attachement historique lié à la longue tradition d’entraide et de solidarité. C’est, ensuite, le fait que les mutuelles étudiantes sont avant tout constituées d’étudiants, gérées par eux, par l’intermédiaire de leurs assemblées générales et de leurs conseils d’administration, et que leur président est un étudiant. Nous poussons toujours les étudiants à s’investir, ou à réinvestir, la mutualité étudiante.

Nous sommes également très attachés au pluralisme de la mutualité étudiante. En effet, l’existence de la MNEF et des mutuelles régionales a permis une concurrence saine entre elles, qui a été profitable aux étudiants tant en termes de qualité des services, qu’en termes d’avantages et de délais de remboursement. Puisque je parle de la qualité des services, je souhaiterais préciser qu’il s’agit d’un accueil personnalisé, d’une proximité, d’un interlocuteur unique et jeune, et d’une simplification des procédures de remboursement.

A la lecture du rapport de la Cour des comptes, nous avons pu constater que celle-ci remettait en cause les remises de gestion. En tant qu’association étudiante, nous ne pouvons pas entrer dans ce débat technique sur les remises de gestion, nous pouvons juste constater, à titre indicatif, que le coût unitaire des remises de gestion pour les mutuelles étudiantes est d’environ 320 F et que les coûts moyens pour les CPAM sont de l’ordre de 380 F. Même la caisse primaire la plus performante est au-dessus des remises de gestion allouées par la CNAM aux mutuelles étudiantes.

On a aussi beaucoup parlé de la diversification des activités des mutuelles étudiantes. Il est clair qu’à un moment donné, les mutuelles étudiantes ont été contraintes de diversifier certaines de leurs activités pour répondre à l’animation et au développement de la vie étudiante. Je ne veux pas dire qu’il y avait un désengagement du ministère de l’éducation nationale, mais il fallait répondre à tous les aspects de la vie étudiante : le logement, les jobs, les recherches de stages, etc.

Si cette diversification reste circonscrite au cadre de la vie étudiante, elle respecte, pour nous, le principe des mutuelles étudiantes. Si elle ne rentre pas dans ce cadre – comme cela a été le cas pour la MNEF – on assiste alors aux dérives constatées par la Cour des comptes.

Je souhaitais rappeler la légitimité des mutuelles étudiantes. A l’heure où le ministère de l’éducation nationale souhaite que les étudiants soient acteurs et gestionnaires de leur université et de la santé étudiante, on entend dire que la délégation de gestion et le régime étudiant pourraient être ébranlés par ce qui pourrait résulter des débats de votre commission. On ne sait pas si le ministère souhaitera encore laisser cette délégation aux mutuelles étudiantes ou s’il ne remettra pas en cause le principe même de la mutualité étudiante.

Je reste, pour ma part, persuadé que dans la mesure où les étudiants doivent être acteurs de leur autonomie sociale, il serait important que les mutuelles gardent cette gestion et qu’elles soient encore un acteur principal du milieu étudiant.

Quant à nos relations avec les mutuelles étudiantes, elles sont simples. PDE n’a jamais participé à des élections au sein des mutuelles étudiantes en tant que tel. Certaines associations membres de PDE ont occupé au niveau local des postes de responsabilité en tant qu’administrateur, mais il n’y a pas de volonté de la part de PDE de s’impliquer ni même de gérer une mutuelle étudiante.

Voilà tout ce dont je souhaitais vous faire part en introduction, Monsieur le président.

M. le Président : Le directeur général de la CNAM nous a indiqué que si les mutuelles étudiantes étaient supprimées, cela représenterait une économie de l’ordre de 200 millions de francs pour le régime général. Ce chiffre vous amène-t-il à réfléchir sur la pérennité du système mutualiste étudiant ?

M. François-Xavier FERRAND : J’aurais souhaité savoir sur quels arguments se fonde le directeur général de la CNAM.

M. le Rapporteur : Le directeur général de la CNAM évoquait devant nous le fait qu’aujourd’hui, le système de la délégation de gestion à la sécurité sociale étudiante coûte à peu près 400 millions de francs. Une gestion par les CPAM, disait-il, supprimerait ces 400 millions et coûterait à peu près 200 millions de plus aux CPAM. Le coût de gestion par affilié n’est pas le même dans le système étudiant et dans le système général, car un étudiant a, en général, assez peu d’ayants droit alors qu’un affilié du régime général non étudiant a, quant à lui, plus d’ayants droit. Le nombre de dossiers est donc plus important, cela coûte plus cher au niveau des CPAM qu’au niveau de la sécurité sociale étudiante, mais par nombre de personnes couvertes par le système, c’est l’inverse qui se produit. C’était l’explication du directeur de la CNAM, dont je ne suis pas le porte-parole.

M. le Président : Il expliquait globalement que c’était très mal géré et que cela coûtait très cher.

M. François-Xavier FERRAND : Eddy Agnassia l’a dit clairement, nous ne sommes pas du tout impliqués dans la gestion des mutuelles étudiantes, nous n’avons pas vraiment de jugement à porter sur leur gestion. La seule chose que nous voyons c’est le service rendu à l’étudiant et la proximité.

Pour ce qui est de la gestion, honnêtement, nous n’avons pas de réponse.

M. le Président : Etes-vous favorables à la pérennité du système mutualiste, quel que soit le coût complémentaire que cela représente ?

M. François-Xavier FERRAND : Nous y sommes évidemment favorables car attachés historiquement à ce régime.

En ce qui concerne les frais de gestion, je souhaiterais avoir une argumentation claire. J’ai du mal à imaginer que la CNAM puisse estimer cela comme ça, je ne suis pas totalement sûr de ces chiffres. Lorsque vous discutez avec les mutuelles étudiantes, elles vous expliquent qu’elles représentent une économie pour la sécurité sociale. La CNAM vous dit le contraire. Il est vraiment difficile de faire la part des choses, d’autant que ne sommes pas impliqués dans cette gestion.

M. le Président : Monsieur Agnassia, je crois que vous êtes délégué mutualiste à la SMEREP.

M. Eddy AGNASSIA : Il y a une petite erreur, je suis délégué suppléant à la SMEREP.

M. le Président : A quoi correspond cette fonction ?

M. Eddy AGNASSIA : Il s’agit de représenter les adhérents mutualistes dans un secteur géographique donné. J’étais inscrit à l’université de Paris XII. J’étais donc délégué sur la section n° 12 au sein de l’assemblée générale de la SMEREP. J’étais suppléant, mais mes titulaires étant présents à l’assemblée générale, je n’ai pas eu une grande activité.

M. le Président : Pouvez-vous faire quelques observations sur le fonctionnement de cette mutuelle ? Avez-vous l’impression que ses instances fonctionnent bien ?

M. Eddy AGNASSIA : J’ai un regard un peu extérieur puisque je m’occupe du réseau national des associations étudiantes. J’ai pu me rendre compte que la SMEREP avait un bureau étudiant qui fonctionnait très bien et qui avait un réel pouvoir de décision, ce qui n’était pas le cas dans plusieurs autres mutuelles étudiantes. Le point fort de la SMEREP, qui est à souligner, a été justement que ses représentants, le président et son bureau étudiant, prennent véritablement des décisions. Cela n’a pas été le cas dans de nombreuses mutuelles étudiantes.

M. le Président : Pourquoi la SMEREP sous-traite-t-elle à une union des mutuelles, l’UMGP, la gestion de l’assurance maladie des étudiants ?

M. Eddy AGNASSIA : À vrai dire, je ne le savais pas, je l’ai lu dans le rapport de la Cour des comptes. En tant que simple délégué, ces questions techniques sont un peu trop pointues pour que je puisse comprendre l’intérêt de la SMEREP à confier ses dossiers à l’UMGP. Tout ce que j’ai pu savoir, c’est que la SMEREP adhère à ce groupement, celui-ci étant un organisme technique. Je ne peux pas vous répondre sur cette question.

M. le Président : La SMEREP a-t-elle des sections locales ? Les instances de ces sections locales se réunissent-elles ?

M. Eddy AGNASSIA : Là encore, je répondrai à titre personnel. A l’université de Paris XII où j’étais, je peux dire qu’il y avait une section locale sur Créteil. Il existe donc des sections locales. Je n’ai pas été réellement impliqué. J’avais plus de contacts avec ce que l’on appelle le pôle développement au sein des mutuelles étudiantes puisque j’étais responsable d’une association étudiante sur l’université de Paris XII, à ce titre, j’avais essentiellement des contacts avec des responsables en communication et développement de la mutuelle, et pas avec les responsables de la production ou les responsables administratifs.

Je ne pourrais pas vous répondre sur ce sujet. Il y a des sections locales, mais je ne peux pas vous dire si réellement il y a eu des réunions au sein de ces sections locales.

M. le Président : Nous nous sommes interrogés sur le statut et la rémunération des administrateurs des différentes mutuelles.

Pour vous, un administrateur doit-il toujours être étudiant, doit-il être rémunéré et dans quelle proportion ? Ce rôle d’administrateur doit-il prendre une part importante de son temps de travail ? Certains administrateurs nous ont indiqué qu’ils passaient dix à douze heures par jour dans leur mutuelle.

M. Eddy AGNASSIA : Lorsque vous parlez d’administrateurs, vous parlez des étudiants.

M. le Président : Des élus.

M. Eddy AGNASSIA : Je répondrai positivement à votre première question. Je pense qu’il faut absolument que les administrateurs soient étudiants. Je l’ai dit dans mon introduction. Les étudiants doivent être acteurs et gestionnaires de leur santé. C’est notre philosophie au sein de PDE.

Leurs fonctions doivent, à mon avis, s’exercer de façon bénévole. Je suis moi-même responsable d’une association étudiante, responsabilité que je remplis à titre bénévole. Les mutuelles sont aussi une forme d’association.

Pour ce qui concerne la part du travail, je dirais qu’il est très difficile de concilier à la fois ses études et son engagement mutualiste, associatif ou syndical. Je peux en témoigner. Trop souvent, lorsque les administrateurs étudiants s’investissent dans les mutuelles, on remarque que ce sont des étudiants assez âgés – 27 à 30 ans – et que parfois même, un décalage existe puisque certains administrateurs ne sont plus des étudiants.

Il est vrai qu’il est difficile d’équilibrer la balance entre le fait d’être le gestionnaire d’une mutuelle étudiante et celui de rester un étudiant à part entière. Car on remarque souvent que ceux qui consacrent trente ou quarante heures à l’activité de leur mutuelle ne sont plus tout à fait des étudiants ; soit ils sont en thèse, soit ce sont des enseignants ayant une carte d’étudiant. C’est ce qui se passe la plupart du temps. A l’inverse, on constate aussi trop souvent que certains administrateurs étudiants ne sont que des potiches.

M. le Rapporteur : Il est un paradoxe qui me frappe. Plusieurs organisations étudiantes nous ont expliqué qu’elles étaient favorables à la gestion du régime étudiant par les étudiants, au travers des conseils d’administration. Dans le même temps, elles disent qu’elles refusent de s’impliquer en tant que telles dans les élections et les modes de désignation des délégués pour devenir administrateur de ses mutuelles.

Je trouve qu’il est paradoxal de clamer bien haut la volonté d’une gestion par les étudiants et dans le même temps d’affirmer une volonté de ne pas s’engager en tant qu’organisation structurante du milieu étudiant dans cette voie.

M. Eddy AGNASSIA : Sans vouloir prononcer de phrases-chocs, trop souvent les organisations étudiantes ont été le bras armé des mutuelles étudiantes.

M. Bruno BOURG-BROC : Et pas l’inverse ?

M. Eddy AGNASSIA : Je ne sais pas, sûrement. Cette implication des organisations étudiantes conduit à une perte d’objectivité, parce que nous risquerions d’être trop proches de certaines mutuelles étudiantes ce qui mettra en exergue des organisations étudiantes qui sont proches des mutuelles régionales et celles qui sont proches de la mutuelle nationale. Certaines organisations étudiantes ont pris le pari de ne pas le clamer fort, alors qu’en fait, toutes les organisations étudiantes ont des relations avec les mutuelles étudiantes, mais elles ont fait ce pari.

Les deux syndicats UNEF-ID et UNEF-SE ont souhaité s’impliquer à fond dans la MNEF. Ils ont fait leur choix. Pour notre part, nous n’avons pas souhaité nous impliquer parce que ce serait trop marquer notre organisation étudiante alors que nous comptons, auprès de nos membres, des affiliés à la MNEF mais aussi des affiliés aux mutuelles régionales. C’est aussi un choix. En tant qu’organisation nationale, PDE évite de s’impliquer dans les élections.

En revanche, nos associations étudiantes peuvent s’impliquer au niveau local, par exemple, dans le sud-est de la France, à la MEP. Cela n’engage que leur association. Elles peuvent aussi bien s’impliquer à Paris, comme j’ai pu le faire avec la SMEREP, ou encore à Lille à la SMENO. Mais au sein de PDE, il n’existe pas de volonté affirmée de s’impliquer dans les mutuelles. Nous laissons nos associations étudiantes libres de participer à la vie étudiante locale.

Parmi nos membres, certaines associations travaillent avec la MNEF, d’autres avec la SMEREP. Nous n’en faisons pas un principe en demandant de choisir telle ou telle mutuelle. C’est le choix des organisations étudiantes de s’impliquer dans la gestion des mutuelles. Par contre, notre rôle consiste à informer les étudiants et à s’engager pour que les mutuelles étudiantes soient gérées par des étudiants. Nous nous efforçons d’être un relais et de dire qu’il faut qu’effectivement que les étudiants participent activement à la gestion des mutuelles.

Nous avons le regret de constater, quand on regarde l’historique, que les étudiants ont eu la gestion de la MNEF, la gestion de l’OTU et du CROUS, et que par le passé, ils ont perdu cette gestion. Aujourd’hui, les étudiants demandent à nouveau à participer, à être acteurs, à avoir cette autonomie, à participer pleinement aux décisions des instances universitaires. On le voit dans l’élaboration du plan étudiant, dans la mise en place des commissions de sites et de vice-présidences étudiantes dans les CROUS. On revient à une plus forte implication des étudiants dans ces institutions qui, au départ, étaient les leurs.

Nous arrivons à une situation telle que les étudiants éprouvent de fortes difficultés et rencontrent un véritable problème pour concilier à la fois leurs études – aujourd’hui, c’est la course aux diplômes, on est quasiment obligé de faire un troisième cycle –, leur insertion professionnelle et un engagement étudiant, associatif ou mutualiste.

M. le Rapporteur : Vous faisiez allusion aux relations qui ont existé nécessairement entre les organisations étudiantes et la mutualité étudiante dans son ensemble. Pouvez-vous indiquer à notre commission ce que représentent dans le budget de PDE les parts de publicité des mutuelles au sein de vos publications ?

M. Eddy AGNASSIA : Une grosse partie de nos ressources provient de subventions accordées par le ministère de l’éducation nationale. PDE a travaillé avec deux groupements mutualistes cette année, l’USEM et la MER, je ne parle pas de nos associations, qui sont libres de travailler avec les mutuelles étudiantes. Nous avons reçu une subvention de la MER qui correspond à des prestations dans nos supports de diffusion, qui représente à peu près 15 % de notre budget. Avec l’USEM, nous menons un travail institutionnel, cette fédération ne verse pas de subventions directement.

M. Bruno BOURG-BROC : PDE a-t-elle une conception ou des souhaits concernant le statut social des étudiants ?

M. Eddy AGNASSIA : Sur le statut social de l’étudiant, nous avons formulé plusieurs propositions. Je ne reviens pas dessus, mais nous pouvons en parler rapidement.

Il faut faire un véritable effort pour améliorer le système des bourses. Il faut arriver à ce que les aides aux étudiants correspondent véritablement à leurs problèmes. Aujourd’hui, on constate une véritable précarité étudiante. Lors des dernières réunions que nous avons eues au ministère, nous avons appris que des étudiants dormaient dans des sacs poubelles, dans des amphis. Il faut arriver à une prise de conscience de la nécessité de parvenir à cette autonomie étudiante en termes d’allocations d’études, de santé étudiante, …

M. le Rapporteur : Allocation d’études ou bourse ?

M. Eddy AGNASSIA : Il faut y aller progressivement. Il faudrait tout d’abord répondre efficacement au problème financier des étudiants. L’Observatoire de la vie étudiante (OVE) a rendu une enquête très intéressante sur le financement des études et de la vie étudiante. Il faut aller progressivement vers l’allocation d’études, ce qui bouleversera beaucoup de choses, qu’il s’agisse de la fiscalité ou de l’étudiant hors du foyer parental. Nous n’en sommes pas encore là. Cela demandera un grand effort d’évolution des mentalités.

Je prendrai l’exemple de la CMU. Nous avons examiné cela attentivement. La population étudiante n’a pas été prise en compte. Aujourd’hui, nombreux sont les étudiants qui se déclarent foyer fiscal indépendant. Je ne peux pas faire d’estimations, mais l’ALS non plus n’était pas destinée au départ aux étudiants et l’on a vu un nombre croissant d’étudiants en bénéficier. Je pense que parmi les étudiants qui sont déclarés en foyer fiscal indépendant, il n’y en a pas énormément qui perçoivent plus de 3 500 F par mois. Donc, cette population étudiante bénéficiera automatiquement de la CMU. La précarité étudiante risque de se renforcer jusqu’à ce que la majeure partie des étudiants, 40 % de la population étudiante, bénéficie de la CMU. C’est un véritable problème.

Je ne veux pas dire que ceux qui ont rédigé la loi n’ont pas prévu ce problème, mais c’est aussi une réflexion sur l’autonomie étudiante. Hier l’ALS, demain la CMU, après-demain peut-être les bourses. Tout cela constitue un statut social de l’étudiant.

M. le Président : Nous vous remercions de cet exposé très clair.

Audition de MM. Denis KESSLER, président
de la Fédération française des sociétés d’assurance,
Jean-Pierre MOREAU, délégué général,
et Jean-Paul LABORDE, chargé des relations avec les institutions

(procès-verbal de la séance du mercredi 12 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, président

MM. Kessler, Moreau et Laborde sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Kessler, Moreau et Laborde prêtent serment.

M. Denis KESSLER : Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames, Messieurs les députés, la MNEF n’appartient pas à la Fédération française des sociétés d’assurance. Nous ne disposons pas d’informations particulières – nous n’avons d’ailleurs pas de raison d’en avoir – en dehors de ce que nous avons pu lire dans les journaux et des rapports officiels qui ont été publiés ; nous ne sommes donc pas aptes à apprécier la situation de cet organisme.

En revanche, nous considérons qu’il convient peut-être de voir, dans les déboires de la MNEF, les conséquences du système mutualiste tel qu’il fonctionne actuellement. C’est ce point que je souhaiterais développer.

Le monde mutualiste est assez complexe. Il faut distinguer les mutuelles d’assurance régies par le code des assurances, de la Mutualité " 1945 " qui est très spécifique et qui n’existe qu’en France ainsi qu’en Belgique. La spécificité française se mesure au fait qu’il n’a pas été possible, pendant longtemps, de décider si ces organismes relevaient des directives européennes d’assurance " Vie " et " non Vie ".

Le débat a été tranché au début des années quatre-vingt-dix. A la demande de la Mutualité française, les organismes mutualistes ont été déclarés comme relevant des directives assurances au niveau européen. Etant déjà à l’époque en poste, j’étais partie prenante à ce débat, et je rappellerai que Pierre Bérégovoy nous avait consultés sur l’introduction de la mutualité dans les directives assurances. Nous avions donné un avis positif, à condition qu’il y ait transposition des directives dans le droit français et égalisation fiscale. Depuis sept ans, cette condition n’est toujours pas remplie.

Ce qui s’est passé à la MNEF s’explique certainement pour partie par le fait que les dispositions régissant la mutualité permettent que ce type de difficultés puisse exister.

Il s’agit d’organismes intervenant sur le marché de la protection sociale complémentaire – ils agissent également sur le régime de base, mais par délégation –, sachant que cette protection sociale relève avant tout des décisions des individus concernés qui peuvent ou non compléter les garanties offertes par les mécanismes obligatoires de la sécurité sociale.

D’autres institutions interviennent sur ce marché de la protection sociale complémentaire : les sociétés d’assurance – qu’elles soient anonymes ou mutuelles – et les institutions de prévoyance qui relèvent du code de la sécurité sociale. Ce qui veut dire qu’en France des organismes intervenant sur le même marché relèvent de trois codes différents : le code de la mutualité, le code de la sécurité sociale et le code des assurances.

S’agissant de la garantie complémentaire par rapport aux dépenses de soins et de biens médicaux – les derniers chiffres datent de 1997 –, la mutualité représente 7,1 %, les assurances 3,1 % et les institutions de prévoyance 1,7 %, le fait notable étant la croissance de la part de la mutualité.

Le problème est le suivant : ces trois organismes interviennent sur un même marché, mais sans jouer le jeu de la concurrence. Je parlerai tout d’abord des privilèges fiscaux.

Nous avons chiffré les privilèges fiscaux dont dispose à l’heure actuelle la mutualité " 1945 " à environ 10 milliards de francs par an. Ces aides vont de l’économie de la taxe de 7 % sur les contrats d’assurance maladie, à l’exonération de la taxe professionnelle, des taxes d’apprentissage, de la taxe ORGANIC, de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur les excédents, aux problèmes de TVA, sans parler des fonctionnaires et des personnels mis à disposition. Ces avantages fiscaux ne sont pas étrangers sur une longue période à l’évolution des parts de marché que j’ai indiquée précédemment.

La mutualité a d’autres avantages, et j’en prendrai un exemple : le contrôle. Nous avions souhaité une commission de contrôle identique pour les institutions de prévoyance, les mutuelles et les sociétés d’assurance - puisqu’elles pratiquent les mêmes opérations qui relèvent des mêmes directives européennes. Nous n’avons pas été suivis sur ce point, et deux commissions de contrôle ont été maintenues : l’une ayant une très longue expérience, la commission de contrôle des assurances, l’autre dépendant du ministère des affaires sociales.

J’avais tout de même convaincu les pouvoirs publics de l’époque qu’un seul président devait présider les deux commissions afin d’assurer l’unité de jurisprudence. Cela a été fait mais aujourd’hui nous avons toujours deux commissions de contrôle, la commission de contrôle des assurances semblant mieux fonctionner que celle dépendant du ministère des affaires sociales.

Autre problème de distorsion de concurrence, celui de la délégation de gestion de la sécurité sociale. Nous n’avons pas la possibilité d’avoir de délégation de gestion de la sécurité sociale pour les salariés du secteur privé. Nous trouvons tout à fait anormal que cette délégation de gestion existe pour les fonctionnaires et les étudiants et pas pour les autres. Un certain nombre de mutuelles relevant de la FNMF disposent donc de remises de gestion par délégation, fixées de manière que je qualifierais de spécifique. Or nous aimerions faire le même type d’opération avec les remises de gestion pratiquées par la CNAM. La Cour des comptes a d’ailleurs écrit, à ce sujet, des choses tout à fait fondées en ce qui concerne le montant arbitraire des remises de gestion.

Il n’y a aucune raison, dans une démocratie, qu’il y ait délégation de gestion pour les fonctionnaires et les étudiants, et pas pour les salariés du secteur privé.

Bien entendu, la confusion, dans un organisme qui réalise à la fois des opérations de base de manière délégataire – avec les remises de gestion – et de la protection sociale complémentaire qui relève du marché, peut être à l’origine des dysfonctionnements dont la presse s’est fait l’écho et qui justifie votre commission d’enquête.

En ce qui concerne les assurances, nous sommes organisme délégataire uniquement pour les non salariés. Nous avons un organisme, le CAMEX, qui couvre la sécurité sociale de base pour les exploitants agricoles. Je peux vous assurer que cet organisme, qui fonctionne aussi avec des remises de gestion, ne fait aucune opération de marché. Ses comptes ne correspondent qu’à des opérations de sécurité sociale, contrairement, me semble-t-il, à ce qui existait à la MNEF.

Dernier exemple de distorsion de concurrence : dans la fonction publique la mutualité dispose d’un monopole de fait et certains instruments, tels que la mise à disposition de fonctionnaires ou les précomptes des cotisations, nous semblent faire obstacle à la libre concurrence.

Pour vous donner un exemple concernant la MNEF, en 1994 un dossier a été déposé devant le Conseil de la concurrence, considérant qu’il existait une sorte de monopole de fait, l’accès aux étudiants étant pratiquement impossible. En effet, les cotisations de la MNEF étaient collectées par les agents comptables des universités ; lorsque vous alliez vous inscrire, vous versiez en même temps votre cotisation à la MNEF et vos droits d’inscription pratiquement au même guichet. Malheureusement, le Conseil de la concurrence s’est déclaré incompétent. Mais nous considérons que ce n’est pas parce qu’il est incompétent que le problème n’est pas important et nous affirmons que les modalités des collectes des cotisations posent un véritable problème de distorsion de concurrence.

La situation que je viens de décrire ne peut pas perdurer avec l’Europe. La Commission européenne a d’ailleurs souvent demandé à l’Etat français d’appliquer les directives assurances à la mutualité, comme le Gouvernement s’y était engagé. Cela a été fait pour les institutions de prévoyance, par la loi du 8 août 1994, mais toujours pas pour la mutualité.

Excédée, la Commission a décidé de porter l’affaire devant la Cour de justice des communautés européennes. Les dernières informations que j’ai pu recueillir, de la part du commissaire M. Monti, démontrent qu’il est temps de transposer ces directives au monde de la mutualité.

M. Michel Rocard a été nommé par le Gouvernement pour mener une étude sur les conditions de cette transposition. Je ne connais pas les propositions qu’il tirera des auditions qu’il a pratiquées, mais nous considérons que le moment est venu pour la mutualité d’entrer dans le droit commun européen.

Nous avons, dans le domaine fiscal, des contentieux en cours qui seront réglés lorsque la transposition sera effective, mais les distorsions s’aggravent. Le Sénat discute aujourd’hui d’une proposition de loi votée en première lecture par l’Assemblée nationale, relative au fonds de garantie de l’assurance-vie. On crée un fonds de garantie pour les sociétés d’assurance dans le domaine de l’assurance-vie qui ne s’appliquera ni aux institutions de prévoyance, ni à la mutualité. Seule une déclaration dans le préambule précise que ce fonds de garantie sera créé plus tard. Cela va créer une distorsion de concurrence supplémentaire puisque seules les sociétés d’assurance devront cotiser.

Je vous donnerai maintenant deux ou trois précisions concernant la transposition. Il faut se souvenir, comme je l’ai dit, que c’est à la demande expresse de la mutualité qu’elle a été incluse dans les troisièmes directives " Vie " – elle avait très peur de se retrouver rattachée à la sécurité sociale.

Pierre Bérégovoy avait indiqué à M. René Teulade, alors ministre des affaires sociales, que cette demande se traduirait par une application des directives et par le règlement de toutes les distorsions de concurrence. Nous avions un accord avec Pierre Bérégovoy concernant la transposition et le règlement progressif des différentiels – notamment fiscaux. L’idée était que la taxe de 9 %, acquittée par les assureurs et pas par la mutualité, passerait à 7 % puis à 5 %, et éventuellement convergerait vers un taux unique. Pierre Bérégovoy a respecté cet engagement, puisque la taxe est passée de 9 % à 7 % en 1993, mais nous nous sommes arrêtés là.

La mutualité a ensuite changé d’avis : elle ne voulait plus être dans les directives assurances. Le problème est qu’il faudrait, pour ce faire, l’accord de tous les autres pays de la Communauté ; ce qui est impossible.

M. Jean-Louis FOUSSERET : Oui, mais la demande de la mutualité était assortie de conditions que vous n’évoquez pas.

M. Denis KESSLER : Vous me permettrez d’insister sur les points qui m’intéressent ! La Commission européenne avait demandé la transposition. Les troisièmes directives étaient extrêmement claires, et l’idée était la transposition intégrale des directives assurances à la mutualité.

La mutualité a donc souhaité sortir des troisièmes directives et a pensé que l’on pourrait élaborer, au niveau européen, une directive " Economie sociale " – spécialement pour traiter du cas de la mutualité et de sa spécificité. Cette voie a été fermée par les autres pays européens qui ne souhaitaient pas créer un troisième secteur – entre la sécurité sociale et l’assurance. L’Europe n’a donc jamais changé d’avis et souhaite toujours la transposition.

Notre position est claire : nous avions donné un accord de principe sur l’introduction de la mutualité dans les troisièmes directives " Vie ". J’avais une expression qui était la suivante : " Bienvenue au club, le port de la cravate est obligatoire ". Quand je parle du port de la cravate, cela veut dire que la transposition des directives doit être intégrale.

Nous avons le sentiment qu’une transposition complète des troisièmes directives Vie est le meilleur moyen d’éviter de nouveaux problèmes tels que ceux rencontrés par la MNEF. C’est la raison pour laquelle, de manière structurelle, la transposition des directives permettrait d’améliorer la situation.

Tout d’abord, ce serait une spécialisation claire de l’activité d’assurance. Dans les directives, une clarté des comptes est imposée aux assureurs : les opérations figurent dans un compte, et les comptes doivent correspondre à l’activité d’assurance. Cela permet d’établir des bilans et des comptes d’exploitation qui n’expriment que les opérations d’assurance.

Il est évident, à l’heure actuelle, que la confusion – dans les mêmes comptes –, au sein des mutualités, entre ce qui relève de l’assurance et ce qui relève d’autres activités pose des problèmes.

Ensuite, deuxième élément de la transposition, les normes de solvabilité – qui existent pour les institutions de prévoyance et les assureurs. Elles seraient identiques de façon à garantir, à l’égard des mutualistes, la solvabilité des organismes mutualistes auxquels ils adhèrent.

Troisièmement, l’obligation de transparence. Il y a là l’idée d’un plan comptable afin que les opérations soient dûment répertoriées et publiées. La sagesse commence par la comptabilité, monsieur le président !

Tout cela permettrait une concurrence normalisée, certains acteurs d’un même marché ne disposant plus d’avantages. Nous avons le sentiment que lorsqu’on a des rentes, on les utilise mal. Et lorsqu’on est à l’abri de dispositions de protection ou d’avantages fiscaux, il y a une distorsion et cette rente éloigne de la recherche d’une meilleure rentabilité.

Nous considérons donc que cette transposition est indispensable et qu’elle n’exclut nullement le respect de l’identité mutualiste. En effet, cette transposition a eu lieu pour les institutions de prévoyance qui sont des organismes paritaires, régis par un principe non lucratif. Ensuite, il restera à obtenir la suppression des différentiels fiscaux qui continuent d’exister.

Cette transposition aura plusieurs conséquences : liberté de transferts des portefeuilles, liberté de réassurance, plan comptable, marge de solvabilité, clarté entre les opérations relevant de l’assurance et celles dites d’œuvre sociale. Elle permettra enfin de supprimer les cadres dans lesquels la confusion aboutit à des errements.

M. le Président : Monsieur le président, je vous remercie. Vous placez votre discours sur le plan de la concurrence et de la transparence. Le directeur de la CNAM, que l’on a entendu, articulait le sien autour de la suppression des mutuelles étudiantes qui devraient être rattachées au régime général – ce qui engendrerait des économies de plusieurs centaines de millions de francs.

Soutenez-vous cette idée, ou, dans le souci de concurrence que vous avez développé, estimez-vous que l’on doit maintenir une mutualité qui corresponde aux règles générales de la concurrence ?

M. Denis KESSLER : A système institutionnel inchangé, s’il y a des possibilités de délégations accordées avec des remises de gestion, cela devrait être offert, dans le cadre d’un cahier des charges, à tous les intervenants. Ce cahier des charges devant être élaboré et vérifié, il appartient à la CNAM de mettre en œuvre des procédures de contrôle. Je ne vois pas pourquoi supprimer la délégation dès lors qu’elle est ouverte à tout le monde et qu’elle est faite en respectant un cahier des charges.

Ce qui pose problème, c’est la possible confusion de la délégation de ce régime de base avec des opérations complémentaires. Un même organisme qui réalise des opérations obligatoires par délégation et des opérations facultatives en complément, c’est une distorsion de concurrence. D’où viennent les fonds qui financent les opérations marchandes, dans quel cadre, sous quel contrôle ? Là il y a confusion. La délégation doit donc être accordée à un organisme à but unique délégataire de la sécurité sociale, la protection complémentaire devant relever d’organismes complètement séparés avec des comptabilités séparées, des personnels séparés et des moyens séparés.

Si le système devait évoluer, il conviendrait de reconsidérer le problème de la délégation de gestion et de savoir s’il conviendrait de mettre les organismes en concurrence, et dans ce cas dans quel cadre et avec quelles contraintes.

M. le Président : Quel jugement portez-vous sur les tentatives de certaines mutuelles étudiantes de développer des partenariats financiers avec des grands groupes industriels, tels que Vivendi qui est entré dans le capital de Raspail Participations et Développement, l’une des sociétés holding de la MNEF ?

M. Denis KESSLER : Si une mutualité étudiante décide de réaliser des opérations facultatives à destination de la collectivité des étudiants qui ne passent en rien par un financement public – remises de gestion ou respect d’un cahier des charges correspondant à une obligation de service public –, je n’ai aucune appréciation à porter sur les partenariats éventuels que cet organisme pourrait nouer avec quiconque.

Le problème, ce sont les groupes complexes dans lesquels coexistent des opérations obligatoires et des opérations complémentaires
– logement, tourisme, etc. – qui ne relèvent pas de la sécurité sociale, mais du marché.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, vous avez beaucoup parlé de la transposition des directives européennes. Dans cette perspective, pensez-vous que l’assurance du risque santé doit répondre à des règles spécifiques, notamment la non-sélection du risque et des assurés ? D’aucuns affirment que s’il y a transposition, la consolidation du risque santé ne devra pas se faire sur l’ensemble de l’entreprise, mais devra représenter un domaine tout à fait à part.

M. Denis KESSLER : Si vous parlez de la Mutualité " 1945 ", hors délégation sécurité sociale, les textes existant à l’heure actuelle permettent de considérer que la transposition est intégrale. Je ne vois pas en quoi cela poserait des problèmes particuliers de sélection. L’adhésion à la mutualité est libre. La construction sociale de 1945 est claire sur ce point : un Français a le droit de s’adresser à l’organisme de son choix pour couvrir les dépenses au-delà de ce que la collectivité rembourse au titre de la sécurité sociale.

M. le Rapporteur : Je me suis peut-être mal exprimé. Ce qui semble poser problème, c’est le fait que les organismes – sociétés d’assurance ou mutuelles – ne puissent pas faire une sélection des personnes en fonction du risque qu’elles présentent, dans le domaine particulier de l’assurance complémentaire santé.

M. Denis KESSLER : La loi des grands nombres joue à partir d’une collectivité d’une trentaine de personnes. Croire que dans le domaine de la complémentaire santé, l’enjeu d’une sélection serait rentable par rapport aux mutualités larges est une erreur car la loi des grands nombres joue et fait converger rapidement vers les risques moyens de la population concernée ! Tout le monde pense que l’assurance est obsédée par la sélection des risques, alors que ce n’est pas le cas.

Le risque joue moins dans le domaine de l’assurance santé où s’appliquent les conditions de la loi Evin que dans le domaine de l’assurance-vie où des personnes viennent assurer des capitaux très importants. Or, dans ce cas, on nous a toujours reconnu le droit de demander un questionnaire de santé afin de s’assurer qu’il n’y a pas absence d’aléa car l’assurance repose sur l’aléa. Si le risque est déjà survenu, il ne peut être question de l’assurer.

Les questionnaires de santé ont été l’objet de longs débats, et il est très rare que le problème de la sélection apparaisse in concreto. Nous avons eu à faire face au problème du sida. Nous avons signé une convention avec les pouvoirs publics dans laquelle nous avons trouvé les formulations qui excluent les discriminations mais qui, en même temps, nous permettent d’exercer notre métier. Il en va de même pour les risques aggravés, c’est-à-dire certains types de maladie.

Dans le domaine de la protection complémentaire maladie, je ne vois pas, à l’heure actuelle, de problème particulier de sélection à souligner. Je dirais même que, de temps en temps, c’est l’inverse qui se produit : la mutuelle des fonctionnaires a la chance de couvrir des personnes qui ont subi avec succès l’examen médical obligatoire d’accès à la fonction publique. Le questionnaire médical devient là tout à fait inutile, la sélection ayant été faite avant !

M. Jean-Louis FOUSSERET : Je ne reviendrai pas sur les directives européennes, vous vous êtes largement exprimé à ce sujet et je comprends bien votre analyse, même si, je le répète, la demande de la mutualité pour entrer dans le dispositif était assortie de conditions que vous n’avez pas rappelées.

Vous avez beaucoup parlé de distorsion de concurrence, disant que " à compétence égale, traitement égal ". Je me dois tout de même de rappeler une différence : les assurances distribuent des bénéfices aux actionnaires, ce qui n’est pas le cas dans les mutuelles. La mutualité ne peut donc pas être comparée à une société d’assurance.

Par ailleurs, vous dites " bienvenue au club ". Je voudrais aller dans le sens de ce que disait Monsieur le rapporteur : j’ai le sentiment que la mutualité ne fait pas ou très peu de sélection par le risque. Il me semble, malgré vos propos, que tel n’est pas le cas dans les sociétés d’assurance. Etes-vous prêt à jouer le jeu et à accepter les mêmes règles que la mutualité, c’est-à-dire aucune différence tarifaire, pas de sélection par l’âge, etc. ?

M. Denis KESSLER : Monsieur le député, vous faites une distinction entre les sociétés de capitaux et les mutuelles. Or les institutions de prévoyance ne sont pas des sociétés de capitaux et sont pourtant couvertes par les troisièmes directives " Vie ".

J’ajoute que c’est une chance que, sur un marché, on puisse s’adresser à l’organisme de son choix. Si la mutuelle, qui n’a pas à rémunérer de capitaux, offre un service de meilleure qualité moins coûteux, tant mieux ! Si les sociétés de capitaux parviennent à rémunérer leurs actionnaires en plus d’offrir un service, tant mieux ! Je ne vois pas pourquoi il devrait n’y avoir qu’une forme de droit de propriété dans le domaine de l’assurance complémentaire.

Le plus important est de savoir si l’on dégage un bénéfice. Vous seriez surpris de constater que les excédents de la mutualité sont souvent supérieurs à ceux des sociétés d’assurance santé.

M. Jean-Louis FOUSSERET : Ils ne sont pas utilisés de la même façon.

M. Denis KESSLER : Certes, mais je crois savoir que le fisc s’intéresse à ces excédents qui auraient dû être l’objet de diminution des tarifs pratiqués par les mutuelles et redistribués.

De même, lorsqu’on prétend que la mutualité n’a pas d’objet lucratif, on ne devrait pas utiliser le terme " commercial " – or le rapport de la Cour des comptes fait allusion à " des dépenses commerciales massives faites par les organismes mutualistes ". En outre, les excédents des mutuelles souvent considérables ne sont pas soumis à l’IS – en tout cas jusqu’à une date récente.

Quant à la sélection, le reproche de sélection forcenée qui nous est fait est un argument des mutualistes pour dire " ici mieux qu’en face ". Dans la réalité, si nous pratiquions une trop grande sélection des risques, nous n’aurions pas de clients.

Nous sommes dans une situation, en matière de couverture complémentaire, où il convient d’offrir aux Français la liberté de choisir l’organisme qu’ils souhaitent, sans que l’arbitrage qui est fait dépende de distorsions fiscales ou réglementaires.

M. Jean-Louis FOUSSERET : Je répète ma question, M. Kessler : acceptez-vous d’assurer une personne en fin de vie au même tarif que les mutuelles ?

M. Denis KESSLER : Si la mutualité souhaite offrir les mêmes garanties quel que soit l’âge, tant mieux ! Il n’y a aucune raison d’imposer les règles mutualistes, qui sont très particulières, à tout le secteur complémentaire.

M. Jean-Louis FOUSSERET : Vous ne répondez pas à ma question.

M. Denis KESSLER : Je réponds tout à fait à votre question. Prenons le cas de l’assurance automobile. Dans ce domaine, certaines mutuelles offrent le même tarif quel que soit le statut de la personne. Sur le même marché, des sociétés proposent des tarifs différents ; or les deux coexistent. Il faut laisser aux assurés le choix en fonction des tarifs pratiqués.

M. Jean-Pierre MOREAU : Il existe des conditions d’âge dans les mutuelles.

M. Jean-Louis FOUSSERET : Bien entendu, mais pas aussi strictes que dans les sociétés d’assurance. Mais il est facile de laisser aux mutuelles les personnes en difficultés et aux sociétés d’assurance les personnes jeunes et en bonne santé !

M. Denis KESSLER : Il est vrai que les personnes en difficulté appartiennent toutes à la fonction publique, ont la garantie de l’emploi, des revenus et de la retraite ! Est-ce là la population à risque en France ?

M. Jean-Louis FOUSSERET : Les mutuelles n’assurent pas que des salariés de la fonction publique. Je connais une personne qui a travaillé trente ans dans une multinationale américaine et qui était mutualiste. Ce que vous dites est totalement faux !

M. André ANGOT : Monsieur le président, vous avez évoqué dans votre propos liminaire la mise à disposition de fonctionnaires auprès des mutuelles. J’ai évoqué ce point devant une personne que nous avons auditionnée et qui n’était pas du tout au courant. Pouvez-vous nous confirmer que cela existe bien, notamment dans la mutuelle de l’éducation nationale ?

M. Denis KESSLER : La question mérite d’être posée aux administrations concernées. Je ne souhaite parler que de ce qui concerne directement mon activité. Simplement, je constate souvent, en lisant la presse mutualiste, que des ardentes suppliques sont adressées au ministre de tutelle pour maintenir la mise à disposition de personnels au motif que les fonctionnaires en question sont particulièrement compétents.

Nous considérons qu’il s’agit d’une distorsion de concurrence extrêmement grave et préjudiciable au bon fonctionnement du marché. Il ne faut pas croire que les mises à disposition se chiffrent en quelques dizaines ou quelques centaines. Il s’agit de plusieurs milliers de fonctionnaires. Et il en va de même pour les grandes entreprises publiques alors que les entreprises commerciales payent les taxes professionnelles, les taxes sur les salaires, etc.

M. André ANGOT : Eh bien sachez que le directeur de la CNAM n’est pas du tout au courant d’une mise à disposition de fonctionnaires auprès de certaines mutuelles.

M. Bruno BOURG-BROC : Monsieur le président, pouvez-vous nous donner votre appréciation sur la CMU ?

M. Denis KESSLER : Depuis 1945, il existe une distinction organique entre les régimes de base et les régimes complémentaires qui relèvent des opérations libres et concurrentielles. Lorsque le débat sur la CMU a eu lieu, nous avons dit que nous étions prêts à prendre en charge les personnes concernées, c’est-à-dire celles qui, pour une raison de ressources, ne peuvent pas accéder à une garantie complémentaire. Nous avons même proposé à Mme Martine Aubry de solvabiliser ces personnes en apportant une contribution financière qui viendrait compléter une contribution de l’Etat, ce qui leur permettrait d’être intégrées dans la mutualité complémentaire.

Nous souhaitions qu’il n’y ait pas de confusion entre le régime de base et les garanties complémentaires. Le scénario partenarial était l’un des trois scénarios proposés par M. Jean-Claude Boulard, le rapporteur du texte. Nous nous étions engagés par écrit, auprès du ministre, dans cette voie, avec la mutualité et les institutions de prévoyance. Nous regrettons qu’à l’occasion du débat on ait créé une " concurrence " entre le régime de base et les organismes de protection complémentaire et une certaine confusion dans les rôles des uns et des autres.

Un protocole d’accord a été signé par M. Jean-Pierre Davant, par le président des institutions de prévoyance et moi-même d’une part, et par le président de la CNAM d’autre part. Il précise que, a priori, la couverture complémentaire, y compris pour la CMU, relève des organismes de protection complémentaire – sauf cas de carence constatée.

Telle est notre position, nous la maintenons et considérons qu’il y a une confusion à demander aux organismes de base de pratiquer des opérations complémentaires, y compris pour les personnes démunies. Par ailleurs, cette confusion n’est pas conforme aux directives européennes.

M. le Rapporteur : Dans le cadre d’une éventuelle transposition des directives européennes, la mutualité étudiante va devoir modifier ses règles de fonctionnement. Il va y avoir une évolution des droits et des devoirs de chacun.

Que pensez-vous d’une évolution des droits et des devoirs de chacun vers un encadrement de la complémentaire maladie limitant les possibilités pour les différentes sociétés – quelles soient assurancielles ou mutualistes – de refuser l’adhésion de telle ou telle personne ?

M. Denis KESSLER : En ce qui concerne les groupes, la loi Evin en précise le sort. Je rappelle qu’il y a des garanties viagères qui encadrent les garanties complémentaires depuis 1989. Encore une fois, il est difficile de dire que c’est complémentaire et que c’est laissé au choix, et après de dire que c’est obligatoire.

Si vous considérez que la protection sociale doit être obligatoire, il faut la confier à la sécurité sociale. La protection sociale complémentaire, en France, relève du libre choix des individus depuis 1945.

M. le Rapporteur : Je vous demande ce que vous pensez du libre choix des sociétés d’assurance et des mutuelles de sélectionner les personnes qui souhaitent adhérer ?

M. Denis KESSLER : C’est la contrepartie du libre choix des individus de s’adresser à tel ou tel organisme ! En effet, les garanties complémentaires sont extrêmement différentes au sein de la mutualité et au sein de l’assurance. Les assurés choisissent le contrat qui correspond à leur souhait de couverture. Les garanties ne sont pas les mêmes, les prix non plus et les contrats sont donc différents. Même au sein d’une grande entreprise, on vous propose trois ou quatre garanties différentes.

M. le Rapporteur : Je suis votre logique lorsque vous dites que les personnes achètent le niveau de couverture qu’elles souhaitent. Mais semble-t-il licite qu’une évolution puisse se faire vers une modulation des tarifs, pour une même garantie, en fonction du risque estimé par l’organisme qui assure – en fait, que l’on arrive à un système de bonus malus ?

M. Denis KESSLER : Ce n’est pas du tout un système de bonus malus. Contrairement à l’assurance obligatoire, on peut payer, dans la protection complémentaire, en fonction du risque. Ne confondons pas l’assurance obligatoire de base dont le financement est fonction du revenu, indépendamment du risque, et l’assurance complémentaire dans laquelle l’on va chercher des garanties contractuelles que l’on paie en fonction du risque. Dans un certain nombre de cas, on propose le même tarif pour tout le monde, très bien ! Dans d’autres cas, on tient compte de tel ou tel élément.

Prenons le cas de la partie complémentaire de l’étudiant. La garantie de base des étudiants est la sécurité sociale. En ce qui concerne la protection complémentaire, on pourrait imaginer que les étudiants puissent s’adresser à l’organisme de leur choix, celui qui leur offre la garantie qui leur convient. Ou même, qu’il ne prenne pas de garantie complémentaire.

Trois libertés fondent le marché de l’assurance complémentaire : liberté de s’assurer, liberté des garanties et liberté de l’organisme auquel on s’adresse. Personne n’est obligé d’offrir ces garanties. Je vais jusqu’au bout de mon raisonnement, monsieur le député : personne n’est obligé d’engager des capitaux pour offrir ces garanties ; on trouve même, sur le marché de l’assurance maladie complémentaire, des assureurs étrangers. Si des assureurs offrent ces garanties, c’est parce qu’ils ont un intérêt mutualiste, commercial voire capitaliste.

Si l’on voulait transformer l’assurance complémentaire en assurance obligatoire cela reviendrait à obliger des personnes à faire ce métier, ou alors il faut étendre la sécurité sociale à ces niveaux de remboursement. Ce n’est pas l’orientation actuelle, ni européenne, ce n’est en tout cas pas une orientation souhaitable.

M. le Rapporteur : Quelle serait, selon vous, une évolution positive du régime de protection sociale étudiant, dans sa forme à la fois obligatoire et complémentaire ?

M. Denis KESSLER : A système institutionnel inchangé, je maintiens que les délégations de gestion devraient être ouvertes. Je ne vois pas pourquoi un organisme de droit privé, comme le sont les mutuelles, est désigné par loi pour être délégataire de gestion ! Dans la construction du droit de propriété, il y a des organismes obligatoires, à caractère administratif, relevant de la sécurité sociale, et des organismes privés. Une mutuelle est un organisme de droit privé. La loi devrait offrir la possibilité d’une délégation à tout organisme respectant le cahier des charges sous contrôle de la personne qui délègue. Rien ne justifie que des organismes de droit privé aient le monopole de la délégation de gestion du régime de sécurité sociale.

Pour la partie complémentaire, il convient de bien séparer les opérations obligatoires de délégation des opérations complémentaires, et de laisser les étudiants choisir leur organisme complémentaire en fonction des garanties, des prix, etc. qu’ils souhaitent

M. André ANGOT : Les mutuelles d’étudiants nous ont confirmé qu’il existait plusieurs classes de cotisation en fonction du risque que les étudiants voulaient faire assurer en couverture complémentaire. Il y aurait cinq niveaux de cotisations.

M. Denis KESSLER : J’ai été auditionné hier au Sénat à propos d’une proposition de loi relative à la couverture des frais de secours pour les municipalités. Certaines personnes pratiquent des sports à risque, tels que le deltaplane, le surf hors piste, la plongée sous-marine ou la spéléologie, et, de ce fait, s’exposent à des risques plus importants qui peuvent entraîner des opérations de secours très coûteuses. Il y a donc un problème spécifique de prise en charge, en cas d’accident, de ces frais de secours qu’une collectivité locale peut être amenée à engager.

Donc quand on parle des niveaux de garanties complémentaires, il faut comprendre que les besoins, les pratiques et les risques de chacun ne sont pas forcément identiques, y compris dans la population étudiante. Les garanties complémentaires doivent donc être adaptées en fonction des besoins.

Que l’on ne me fasse jamais dire, monsieur le président, que je souhaite la disparition de la protection de base, l’obligation d’affiliation, de sécurité sociale ! Bien au contraire. Mais au-delà de cette protection de base, la protection complémentaire relève d’une adéquation fine, assez complexe, entre les besoins et les capacités, entre les comportements et la réalité ; pour cela, l’assuré doit être libre de s’assurer auprès de l’organisme de son choix. A condition que ce choix ne soit pas l’objet de distorsion – comme c’est malheureusement le cas – n’aboutisse pas à des organismes complexes qui mélangent sécurité sociale, protection complémentaire et activités diverses, comme la MNEF.

M. le Président : Si l’une des directives européennes n’est pas appliquée par la France, attaquerez-vous l’Etat français ?

M. Denis KESSLER : Je ne suis pas juriste, mais il est impossible de revenir sur les troisièmes directives " Vie ". Il faudrait l’accord des quinze Etats européens pour adopter une directive d’économie sociale, ce qui est impossible. Ce n’est pas moi qui ai introduit un recours devant la Cour de justice, mais la Commission européenne, avec l’accord de tous les commissaires européens.

La mission de M. Michel Rocard, comme cela a été confirmé par Bruxelles, ne suspend pas les délais de recours de la Cour de justice. La Fédération française des sociétés d’assurance n’a donc aucune responsabilité en ce qui concerne la procédure engagée contre la France pour non transposition de ces directives.

M. le Président : Vous n’êtes pas partie prenante.

M. Denis KESSLER : Les directives devront être appliquées ; je ne vois pas comment la mutualité pourra y déroger. Par ailleurs, les recours ont été introduits non pas par nous, mais par la Commission européenne et le délai, pour le prononcé de l’arrêt de la Cour de justice, est en train de courir.

Je rappellerai que ce problème de transposition des directives à la mutualité a déjà été abordé, en particulier dans un rapport de M. Alain Bacquet, conseiller d’Etat, en 1994, établi à la demande de Mme Veil, alors ministre. A la suite de ce rapport, en 1995, un projet de loi de transposition avait été préparé mais n’a pas abouti

Je ne connais pas les conclusions de M. Michel Rocard, mais je crains que les degrés de liberté espérés par certains n’existent pas. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne est extrêmement déterminée à obtenir cette transposition.

M. le Président : Monsieur Kessler, je vous remercie de la clarté de vos réponses. La commission saura en tirer profit.

Audition de MM. Pouria AMIRSHAHI, président de la MNEF,
Jacques DELPY, directeur général,
Michel HAUTEKIET, directeur administratif et financier
et de Mme Anne-Charlotte KELLER, trésorière

(procès-verbal de la séance du 12 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Amirshahi, Delpy, Hautekiet et Mme Keller sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Amirshahi, Delpy, Hautekiet et Mme Keller prêtent serment.

M. le Président : Monsieur le président, messieurs les directeurs, madame la trésorière, je vous remercie de vous être rendus à notre convocation. Vous connaissez bien évidemment l’objet de cette commission d’enquête. La commission a tenu à être éclairée sur les problèmes sanitaires et sociaux des étudiants ainsi que sur les perspectives d’amélioration de leur protection sociale.

Au cours d’un exposé liminaire, qui sera confié à l’un ou l’autre d’entre vous selon vos souhaits, vous pourrez présenter à la commission votre approche de ces problèmes et nous exposer votre sentiment sur les difficultés de la MNEF et les axes de réforme que vous pouvez nous préconiser, à la suite de quoi, nous vous poserons des questions.

M. Pouria AMIRSHAHI : Je vous précise qu’à l’appui de mon exposé liminaire je vous remettrai une note.

Je vais donc commencer par présenter ce qui définit le champ d’intervention de la MNEF. Comme vous le savez, cette dernière, qui est la seule mutuelle étudiante nationale, est cinquantenaire – elle commémore d’ailleurs son anniversaire en même temps que le régime étudiant lui-même – et constitue un régime particulier tout en reposant, comme l’ensemble des mutuelles, sur des principes de solidarité et de démocratie.

Son champ d’intervention et son objet sont d’abord et avant tout - nous reviendrons sur les orientations que compte lui donner la nouvelle équipe ainsi que sur la contribution qu’elle souhaite apporter au débat sur la protection sociale en France et sur la mutualité - la santé et la protection sociale dont elle a délégation de gestion. Il convient également de rappeler qu’étant animée par des principes à la fois légaux, statutaires et je dirai presque politiques de par le fait qu’elle est animée par un conseil d’administration, elle demeure très attachée au principe de fonctionnement démocratique : les adhérents de la mutuelle, contrairement à ce qui se passe dans les assurances, ont leur mot à dire.

De ce point de vue, vous n’êtes pas sans savoir que des élections se sont déroulées à la MNEF pour élire de nouveaux délégués qui ont ensuite désigné un nouveau conseil d’administration. Au cours de ces élections, on a enregistré la participation de 30 000 étudiants. Ce phénomène assez remarquable en comparaison de la participation générale dans les organismes mutualistes est sans doute lié au contexte de la MNEF, mais il est également, à mes yeux, significatif du potentiel de participation des étudiants à la gestion de leur mutuelle dans la mesure où, effectivement, ces derniers se trouvent tout de même confrontés à une série d’enjeux très particuliers dans le domaine sanitaire et dans le domaine social.

Les étudiants sont, aujourd’hui, environ 2 millions. C’est une population qui n’a cessé d’augmenter depuis des années et des années même si elle est actuellement en stagnation et dont on sait qu’elle a connu ces derniers temps un débat très important à propos de son statut social.

Ce statut recouvre à la fois une dimension sanitaire et une dimension sociale à travers la conquête d’un certain nombre de droits nouveaux dont, en tant que parlementaires, vous aurez probablement à traiter puisque le ministre de l’Education nationale a, à l’occasion du plan social, fait des propositions en ce sens, à travers des mesures visant à améliorer les conditions d’études – c’est aussi le rôle de la MNEF – et des réformes structurelles tendant à donner plus de pouvoir aux étudiants : je pense notamment à la réforme des CROUS.

Dans le domaine sanitaire, les auditions auxquelles vous avez pu procéder et la connaissance du dossier qui est la vôtre, vont me permettre de faire l’économie d’un certain nombre de chiffres et de n’en souligner que quelques-uns, issus d’une enquête publiée en 1999 et réalisée par le Comité français d’éducation à la santé d’où il ressort qu’environ 20 % des étudiants déclarent être suivis pour une maladie et que 33 % d’entre eux gèrent mal, voire très mal leur stress. Je passe sur les observations du Haut comité de santé publique et sur les enquêtes effectuées par la MNEF dont nous avons effectivement quelques éléments que nous pourrons vous communiquer si vous en manifestez le souhait .

Je rappelle également que, contrairement à une idée reçue dont j’ignore d’ailleurs d’où elle vient, les étudiants, d’une manière générale, - 73 % d’entre eux si je me réfère à une enquête conduite par les mutuelles régionales - estiment très important ou important d’être impliqués dans la gestion de leur régime de sécurité sociale ce qu’ont d’ailleurs illustré les élections qui ont eu lieu à la MNEF, et cela principalement – et cela renvoie au débat auquel je me référais antérieurement sur le statut social – pour des raisons d’autonomie vis-à-vis de leurs parents ou d’adaptation à leurs besoins.

D’une manière générale, la MNEF et toutes les mutuelles étudiantes ont rempli leur mission de prestations de services auprès des étudiants. Ce n’est pas un jugement de valeur ou une opinion qui me serait personnel puisque c’est aussi ce qui ressort des conclusions de toute une série de rapports publiés à la suite de contrôles. Un rapport de l’IGAS de 1996 souligne notamment que ce sont les mutuelles étudiantes, et non pas les CPAM, qui reçoivent les étudiants pour leur expliquer leur situation vis-à-vis de l’assurance maladie et qui doivent appliquer la doctrine des caisses conformément à la réglementation, bref, qui leur explique l’ensemble de l’architecture.

Je rappelle, en outre, que le rapport de la Cour des comptes de 1998 note que les contrôles ont permis de porter " une appréciation globalement favorable sur la qualité des services rendus par les mutuelles aux étudiants même si certains aspects de leur gestion méritent d’être modernisés "
– nous y reviendrons – en soulignant que " ces mutuelles évoluent dans un contexte de vive concurrence ...", ce qui est effectivement le cas, " ... encore amplifiée par le positionnement dans ce secteur des compagnies d’assurances " dont vous avez, je crois, auditionné l’un des représentants juste avant nous.

Si, dans cette introduction, je rappelle ces quelques éléments de satisfaction, constatés par les organismes de contrôle, et l’attachement exprimé par les étudiants à leur régime et à leurs mutuelles, c’est parce qu’il faut aborder toute discussion sur l’avenir du régime étudiant, non pas avec des a priori négatifs du fait du caractère un peu particulier du contexte récent, mais au contraire à partir de ce qu’il est réellement et de la manière dont il est perçu.

Il est aujourd’hui possible de mettre l’accent sur l’efficacité du traitement des dossiers de sécurité sociale et des services qui sont, je crois, bien pensés par les mutuelles et les étudiants mais qu’il convient effectivement de moderniser, d’améliorer, voire parfois d’inventer en partant du principe que c’est effectivement de la rénovation et du renforcement dudit régime dont il s’agit et non pas de sa remise en cause. C’est en tout cas mon point de vue et celui de la MNEF aujourd’hui : nous ne souhaitons pas que l’on aborde l’évolution de la protection sociale uniquement à partir de fautes, de dysfonctionnements, de dérives, de dérapages qui, certes, existent mais qui ne sont pas le fait de la seule mutualité – je crois qu’on en retrouve aussi au niveau des services de l’Etat : nous en avons eu récemment l’exemple en Corse et également dans le domaine associatif – mais également à partir de leur utilité et de leur contribution au régime de protection sociale.

Ce régime étudiant se trouve aujourd’hui confronté à plusieurs problématiques que nous avons pleinement intégrées dans les nouvelles mesures et diverses dispositions que nous avons prises.

S’agissant de la gestion de la sécurité sociale, notre mutuelle, comme d’autres, reste très attachée à cette délégation de gestion. Tout comme les mutuelles de fonctionnaires, par exemple, nous avons la responsabilité de la liquidation des prestations de sécurité sociale et un devoir de remboursement de qualité et rapide : c’est un engagement que nous avons pris et si je l’indique, c’est parce qu’il peut être un élément de rénovation générale pour la mutualité qui se fixe plusieurs objectifs.

—  premièrement, rembourser dans des délais rapides – plus rapides encore qu’ils ne le sont aujourd’hui – les étudiants parce que cela répond à leurs attentes et qu’étant responsable d’un service d’intérêt général, à savoir la liquidation des prestations de sécurité sociale, il est souhaitable que cette mission soit accomplie dans les meilleures conditions possibles, ainsi d’ailleurs que la CNAM et les pouvoirs publics nous le demandent ;

—  deuxièmement, aider l’étudiant – et j’y ai fait un peu allusion tout à l’heure – à faire face à ses dépenses de santé : lorsqu’on est étudiant, on n’est pas dans une situation misérable, mais dans une situation toujours intermédiaire entre la stabilité et l’instabilité qui impose, comme à tout un chacun, toute une série de dépenses pour financer les études, le logement. Je crois qu’il est utile d’améliorer cette prestation de services qui est obligatoire ce qui explique que, dans le même sens, nous ayons mis en avant deux mesures décidées en assemblée générale et au conseil d’administration, à savoir la généralisation du tiers-payant, d’une part et, d’autre part, la possibilité d’étaler les paiements de cotisation à la MNEF.

M. le Président : Monsieur le président, je sais que vous avez rédigé un document important : nous allons le lire et vous poser maintenant nos questions car elles sont nombreuses et notre temps limité.

L’une des causes des dérives commerciales et financières reprochées à la MNEF semble avoir été la paralysie du conseil d’administration et la confiscation des pouvoirs par les gestionnaires. Partagez-vous cette analyse et quelles décisions avez-vous prises ou comptez-vous prendre pour tenter de remédier à ce qu’on peut appeler une " certaine bureaucratisation " ?

M. Pouria AMIRSHAHI : Oui, je partage cette analyse de la situation à laquelle nous avons remédié, comme l’ont fait les adhérents par leur participation massive aux élections, tout simplement en assumant nos responsabilités.

Il faut savoir qu’actuellement, le conseil d’administration assure pleinement ses fonctions puisque c’est lui seul qui prend les décisions qui lui incombent ainsi d’ailleurs que l’assemblée générale – le bureau national des étudiants se réunit tous les lundis – et que ce qui faisait auparavant office de direction réelle, à savoir le comité de direction qui excluait les étudiants au profit de l’ancien directeur général, non seulement se réunit aujourd’hui en présence des étudiants, ce qui est la moindre des choses, mais encore sous ma responsabilité.

C’est ainsi que, depuis le 2 avril, il n’y a pas une décision qui ait été prise sans mon aval et je le dis d’autant plus volontiers que le directeur administratif et financier, M. Hautekiet, et le directeur général, M. Delpy, sont, je crois, très attachés à cette forme de fonctionnement et ont contribué à ce que l’ensemble des agents de la mutuelle et des responsables - directeurs et cadres de haut niveau de la mutuelle - intègrent cette nouvelle donne et facilitent le travail de ce conseil d’administration dont l’intervention d’ailleurs, loin de n’être que technique, est d’abord et avant tout de cadrage et d’impulsion des grandes orientations mais aussi de chacune des décisions concrètes de la mutuelle dont je pourrai, tout à l’heure, fournir quelques exemples.

M. le Président : Pouvez-vous justifier les indemnités élevées, semble-t-il, qui ont été allouées par l’assemblée générale du 2 avril 1999 à douze administrateurs sur dix-huit et nous dire sur quels critères elles sont calculées ?

M. Pouria AMIRSHAHI : Je peux les justifier et je ne les trouve pas élevées.

Le mode de fonctionnement de toutes les mutuelles fait du bénévolat une règle. Mais si vous voulez que les règles de fonctionnement démocratique, en l’occurrence le respect des principes de la mutualité – à savoir qu’une mutuelle étudiante soit gérée par des étudiants, une mutuelle de postiers par des postiers ou une mutuelle d’enseignants par des enseignants – soient respectées, il faut que les élus aient tout simplement les moyens d’assumer leurs fonctions. En effet, dans le cas contraire, quand on est vraiment étudiant et que l’on se trouve confronté à toute une série de responsabilités, on n’a pas la possibilité d’assumer ces fonctions et donc, par la force les choses, les décisions finissent par ne plus être prises par les étudiants eux-mêmes mais par les salariés qui sont là en permanence.

C’est pourquoi nous avons fait le choix, en accord avec nos professeurs et nos enseignants, de pouvoir d’abord intégrer notre expérience mutualiste dans le cursus, ce qui est maintenant possible depuis quelques années, ensuite étaler nos examens de manière à avoir le temps d’assumer nos fonctions. Les indemnités constituent également un élément de réponse à ce souci, car vous savez que ces responsabilités supposent une dose de professionnalisme, comme d’ailleurs votre fonction de représentant du peuple qui fait de ceux qui ont un mandat, non pas de simples théoriciens , mais des acteurs qui interviennent sur des dossiers qui exigent qu’on leur consacre du temps.

Pour ce qui est des critères d’attribution, ils sont très simples : ils concernent les postes statutaires et ceux qui répondent effectivement, durablement, quotidiennement à une responsabilité qui occupe en permanence les élus.

Personnellement, je pense travailler beaucoup plus que de nombreux salariés de la MNEF : j’y passe mes journées, parfois une partie de mes soirées, alors que j’ai moi-même, par ailleurs, des responsabilités familiales. J’ajoute que cette question des indemnités traverse l’ensemble de la mutualité et qu’à la demande des regroupements mutualistes, la Fédération nationale de la mutualité française – FNMF – et les autres fédérations – la FNIN et la FMF – ont aussi formulé des demandes et interpellé les pouvoirs publics afin de réglementer ce problème. Pour le moment, je ne fais qu’appliquer l’interprétation de la FNMF qui consiste effectivement à autoriser les indemnités dans la mesure où elles correspondent, et seulement si elles correspondent – ce qui est le cas pour nous – à des tâches concrètes, effectives et durables.

M. le Président : Mais la commission de contrôle, si mes souvenirs sont bons, estime qu’une indemnisation, si indemnisation il doit y avoir puisqu’un certain nombre de mutuelles jugent l’indemnisation incompatible avec le statut d’administrateur, doit rester à un niveau raisonnable et, en tout cas, ne pas excéder le montant du SMIC. Pouvez-vous nous dire le montant de votre indemnisation ?

M. Pouria AMIRSHAHI : Mon indemnisation est de 12 000 F mensuels et il s’agit d’une indemnité et pas d’un salaire.

J’ajouterai deux précisions : premièrement, nous avons baissé le montant global des indemnités puisque le budget prévu qui était sur l’année de 1,3 million de francs a été ramené à 1,15 million de francs et nous avons des documents qui en attestent ; deuxièmement, je répète encore une fois que je réponds à la règle qui a été arrêtée, préconisée dans un document, Le guide de l’administrateur, édité par la FNMF et qu’en outre, en toute conformité avec les dispositions qui s’imposent à nous, nous avons fait remonter ces décisions de l’assemblée générale, puisque c’est par elle qu’elles sont votées à une majorité des deux tiers, au ministère des Affaires sociales . Nous appliquons donc des règles qui ne sont pas interdites.

Cela étant, je reconnais qu’il y a un problème concernant l’administrateur : vous l’avez posé sur un terrain moral, je le poserais plutôt en termes de vide juridique. Il y a une pratique, dont on sait que, dans notre pays, elle fait parfois office de droit, que l’on appelle la " coutume " et qui s’applique, aujourd’hui, pratiquement dans toutes les mutuelles qui servent des indemnités. Je crois savoir d’ailleurs que mes indemnités qui sont les plus élevées de la MNEF, sont largement inférieures à celles versées par d’autre mutuelles qui, au demeurant n’ont pas la même taille.

M. le Président : Permettez-moi de vous dire que les mutuelles régionales que nous avons reçues n’ont pas d’indemnités...

M. Jacques DELPY : Sur ce sujet, je voudrais présenter la même remarque que celle que j’avais formulée devant le président Jean Fourré. Si le problème existe, c’est parce qu’on ne peut pas appliquer les règles qu’on applique, par exemple, dans les régimes paritaires : je veux parler des régimes tels que l’UNEDIC, le régime AGIRC, ARRCO et tous ceux que vous pouvez imaginer, à l’ANPE ou ailleurs.

En effet, pour les administrateurs qui siègent dans ces institutions, fonctionne le mécanisme de remboursement des pertes de salaire. Or, ce mécanisme ne peut pas exister, par hypothèse, pour des étudiants qui ne perçoivent pas de salaire sauf, Monsieur le président, à instituer le présalaire aux étudiants, ce que peut faire l’Assemblée nationale auquel cas, il deviendra possible de verser des remboursements de pertes de salaire.

Quand un administrateur, qu’il soit salarié ou patronal, vient dans un régime paritaire, son employeur présente une note et se voit rembourser son salaire : ce mécanisme ne peut pas fonctionner dans la mutualité étudiante. Il faut inventer un nouveau système et je crois que la réforme du code de la mutualité devrait résoudre ce problème.

M. le Président : Madame Keller, quelle est votre indemnisation ?

Mme Anne-Charlotte KELLER : Elle est de 8 000 F mensuels.

M. le Président : Et quelle est celle des autres administrateurs qui n’ont pas de responsabilités au sein du bureau ?

M. Pouria AMIRSHAHI : Ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, il n’y pas d’indemnités pour celles et ceux qui n’ont pas de responsabilités.

M. le Président : Monsieur le directeur général, quel est votre niveau de rémunération ?

M. Jacques DELPY : Comme vous le savez, Monsieur le président, lorsque j’ai quitté l’UNEDIC, j’ai adopté le statut de retraité.

Au titre de la retraite, je perçois par mois 34 429 F nets (AGIRC et CNAV) : c’est une bonne retraite qui tient compte de mes situations antérieures.

Quand je suis arrivé à la MNEF, il a été constaté qu’il m’était difficile, compte tenu de la surveillance légitime qui pèse sur la MNEF, de cumuler une rémunération et une retraite. J’ai donc pris le parti de rembourser ma retraite à l’AGIRC.

Cela a été possible au cours du dernier trimestre de l’année 1998. A ce moment-là, j’ai découvert que je soulevais une montagne : il existe, en effet, dans le régime de l’AGIRC et dans le régime de l’ARRCO, des délibérations qui prévoient des règles de cumul. J’ai constaté également que la sécurité sociale – le chiffre que j’ai indiqué inclut le montant de la retraite de la sécurité sociale qui est égale à 5 960 F nets – m’autorisait à cumuler cette pension et la rémunération que me versait la mutuelle.

Dans ces conditions, le raisonnement qui a été tenu par la précédente présidence a été le suivant : on estimait globalement que les rémunérations de mon prédécesseur étaient de l’ordre de 1,2 million de francs. Pour ma part, j’ai commencé par considérer qu’il fallait diviser le tout par deux. Ce qui m’a été donné, parce que je rappelle que j’étais dans un système de contrat à durée déterminée, était une rémunération à peine supérieure à ma retraite actuelle puisqu’elle s’élevait à 50 000 F nets par mois, étant précisé que j’ai remboursé à l’AGIRC ma retraite précédente.

Je me trouve dans une situation qui méritera des éclaircissements puisque, récemment, j’ai écrit à l’AGIRC pour savoir ce qu’il en sera en 1999. En effet, après avoir eu un contrat à durée déterminée, ce qui est d’ailleurs original à soixante-cinq ans, d’une durée de quatre mois, prolongée pour deux mois, dans une situation d’ailleurs de grande voire très grande précarité, puisque tout le monde savait que quelques problèmes se posaient, je me retrouve dans une situation de renouvellement de contrat et je peux vous dire que je suis tout à fait désireux de trouver une solution.

Il en est deux possibles : soit j’applique les règles de cumul de l’AGIRC dont j’attends la réponse à la lettre que je lui ai adressée et dont je pourrais communiquer copie à la commission, auquel cas on me versera un différentiel ; soit je continue de toucher, si le président actuel m’y autorise, 50 000 F nets par mois et je rembourserai l’AGIRC.

M. le Président : Monsieur le directeur administratif et financier, quel est le montant de votre rémunération ?

M. Michel HAUTEKIET : 50 000 F bruts par mois.

M. le Président : Le conseil d’administration de la MNEF du 29 janvier 1999 vous a mandaté, monsieur le directeur général, afin de procéder, je crois, à des cessions d’actions détenues dans des entreprises, au mieux des intérêts de la MNEF ? Pouvez-vous nous donner des précisions sur ces désengagements et nous dire sur quelles activités la MNEF, de ce fait, compte se concentrer ?

M. Jacques DELPY : Je rappelle que, dans ce domaine, ce n’est pas le directeur général qui décide mais le conseil d’administration : bien sûr, l’équipe de direction de la MNEF lui a fait des propositions. Le désengagement qui a été arrêté porte sur le secteur que nous appelons " de la communication " c’est-à-dire le secteur de régie publicitaire qui avait été construit depuis plusieurs années.

C’est ainsi que la société Médias jeunes a été vendue après un appel d’offres et un tour de table qui a concerné sept entreprises et nous considérons que nous n’avons pas fait une mauvaise opération puisque cette société avait été, en quelque sorte, achetée à valeur de 5,5 millions de francs qu’elle était valorisée à hauteur de 8,5 millions de francs et que nous l’avons vendue 11 millions de francs.

Le second secteur dans lequel nous allons nous désengager – la décision va être soumise au prochain conseil d’administration – concerne le secteur des assurances. Nous avions une faible participation dans FIGERIS SA et nous sommes dans une phase de valorisation de cette participation dont nous pensons retirer certaines liquidités.

Voilà deux secteurs dans lesquels le conseil d’administration a considéré que nous devions nous désengager.

Sur la seconde partie de votre question, je vous redirai qu’il n’appartient pas au directeur général mais au président du conseil d’administration de vous répondre. Néanmoins, depuis que la mutuelle existe, elle n’a pas eu vocation à décider d’elle-même ce qu’elle faisait : ce sont les étudiants qui changent et la mutuelle est un outil qui doit s’adapter à leurs besoins.

Pour avoir connu la mutuelle en d’autres temps, je sais ce qu’elle faisait il y a quarante ans parce que le monde était ce qu’il était. Aujourd’hui, il a changé, les besoins des étudiants aussi et la mutuelle se diversifiera en fonction de ce qui sera nécessaire.

J’ai le sentiment que la mutuelle ne pourra pas être totalement absente de certains secteurs pour répondre au vœu des étudiants : c’est évidemment, d’une part, le secteur du logement, où il faut faire vivre ces lieux sans vie que sont certains espaces universitaires tels que Nanterre ou Nancy II et autres qui sont, certes, des campus mais pas des campus anglo-saxons, d’autre part, le domaine de la santé constitué d’un ensemble de secteurs où il me semble que la mutuelle doit développer ses actions, pas nécessairement par le biais des filiales, mais par le biais associatif ou par la constitution d’autres mutuelles comme cela s’est toujours fait.

M. le Président : Quelle est la convention collective de la MNEF ?

M. Jacques DELPY : C’est une convention collective d’entreprise.

M. le Président : Y a-t-il des avenants de salaires dans cette convention collective ?

M. Jacques DELPY : Je sais que la dernière décision qui a été prise l’a été par mon prédécesseur : c’était en avril, je crois...

Pour ma part j’ai présidé la dernière commission paritaire l’autre jour et j’ai dû constater que je n’avais rien à donner pour cette année. Je négocie actuellement un accord sur la réduction du temps de travail qui sera sans doute un accord défensif.

M. le Président : Est-ce que les indemnités de licenciement, en particulier pour les cadres, sont prévues par cette convention collective ?

M. Jacques DELPY : Comme partout !

M. le Président : Ce n’est pas obligatoire, certaines renvoient au régime général.

M. Jacques DELPY : Je sais que les cadres ont des contrats que j’ai été amené à réexaminer. Actuellement – je ne parle que de ce que je connais – les contrats des cadres de la MNEF ont été révisés ou sont en cours de réexamen.

M. le Président : Parce qu’ils prévoyaient des indemnités spéciales de rupture ?

M. Jacques DELPY : Monsieur le président, comme vous le savez, j’ai une certaine expérience en matière de contrats de travail, et j’ai rectifié un certain nombre de contrats. Pourquoi ? Avant tout pour prendre en considération les observations de la Cour des comptes, dont je tiens le plus grand compte.

Il se trouvait que certains cadres pouvaient toucher des rémunérations dans d’autres structures ce qui prend fin après avis écrit du président Fourré. Autrement dit, on peut comprendre qu’un cadre se voit déléguer une mission dans une autre structure, mais il appartient au directeur général de tenir compte des responsabilités de ce cadre pour fixer sa rémunération globale au lieu d’être amené à calculer sa rémunération à 80 % à la MNEF et à 20 % ailleurs : de ce point de vue, il y a redressement !

M. le Président : Pardonnez-moi, mais est-ce que les contrats prévoyaient la possibilité d’avoir une activité dans d’autres secteurs et d’autres entreprises ?

M. Jacques DELPY : C’était non écrit mais existait de fait et mon problème a été de régulariser cette situation.

M. le Président : Est-ce que tout était ratifié par les décisions du conseil d’administration ?

M. Jacques DELPY : Je ne peux pas vous répondre.

M. le Président : Si ce n’est pas écrit, il faut que ce soit ratifié par le conseil d’administration.

M. Jacques DELPY : Je ne peux pas vous répondre mais si vous le souhaitez, je le vérifierai et vous adresserai une note complémentaire. En tout cas j’ai considéré que, pour les cadres qui sont autour de moi, j’avais un devoir de régularisation et je peux vous dire que tout cela se fait en transparence car l’inspecteur général qui est actuellement chez nous, puisque comme vous le savez nous n’avons pas manqué d’avoir beaucoup de contrôles, se penche avec moi sur toutes les modifications que je suis en train d’apporter qui ne portent pas que sur ce point.

M. le Président : Quelles sont les indemnités qui ont été versées au directeur général qui vous a précédé ?

M. Jacques DELPY : Monsieur le président, je pourrais vous répondre que je ne le sais pas. En effet, c’est un sujet qui, comme maintenant tout le monde le sait, avait été traité par la présidente précédente. Il se trouve que, lorsque j’ai pris mes fonctions, M. Spithakis – et c’était une des conditions de ma venue à la MNEF – a rendu le chèque qu’il avait reçu, qui est resté dans nos services, qui n’a donc jamais été versé.

En revanche, il se trouve, d’après ce que je lis et ce que m’a dit mon avocat, qu’un arbitrage aurait été rendu par l’une des grandes juristes de ce pays, Mme Rozès, en vertu duquel il serait versé à M. Spithakis une somme de 1,7 millions de francs.

Nous avons un litige – et je vous livre des faits réels et non pas des jugements de valeur – car nous avions considéré que nous n’avons à verser que 1,2 million de francs. Pourquoi ? Parce que, initialement, une indemnité légale de licenciement avait été versée au précédent directeur général, à hauteur d’environ 600 000 F.

Vous savez, Monsieur le président, car je crois que ces faits sont connus, que je me suis opposé au règlement de cette question et, en définitive, une solution a été trouvée par les avocats, de M. Spithakis d’une part, de celui de la présidente du conseil d’administration d’autre part, que vous aurez l’occasion d’entendre, mais je crois que tout le monde sait à la MNEF que la solution retenue n’était pas la mienne.

Vous le savez, je suis juriste de droit social mais j’ai une opinion personnelle sur ce sujet.

M. le Président : Le départ de M. Spithakis s’est-il fait sur une lettre de licenciement ou était-ce un départ négocié ?

M. Jacques DELPY : M. Spithakis est parti sur une lettre de licenciement en vertu de la règle suivante : il se trouve que le contrat de M. Spithakis comprenait une clause de conscience du genre de celle que l’on trouve dans les contrats de journalistes ; or, à un moment donné du conflit, M. Spithakis a fait jouer cette clause. La présidente, après avoir refusé, a accepté de la prendre en compte. Il en résultait donc une acceptation de rupture du contrat de travail.

M. le Président : Toute indemnité de licenciement supérieure à ce qui est prévu par la convention collective, est, vous le savez, une clause pénale susceptible de réduction jusqu’à annulation : je tiens tous les arrêts à votre disposition.

M. Jacques DELPY : Je le sais.

M. le Rapporteur : Des instructions judiciaires ont été diligentées et la garde des Sceaux nous a informés, dans le cadre des prérogatives de la commission d’enquête, des procédures en cours . Est-ce que la MNEF et son conseil d’administration se sont portés partie civile ou ont eux-mêmes saisi la justice sur la gestion antérieure ? Y a-t-il eu des décisions qui ont été prises par le conseil d’administration à ce sujet ?

M. Pouria AMIRSHAHI : Oui et il y en eu plus d’une !

La première a été de nous constituer partie civile : la démarche a été faite et j’ai eu notification de nos avocats. La démarche était simple : d’abord, il était paradoxal de nous trouver dans une situation où, alors même que l’on procédait au changement interne et externe, nous entendions parler encore des affaires de la MNEF – nous tenions à savoir de quoi il s’agissait puisque, comme vous, nous apprenions les choses par la presse ; ensuite, je crois qu’il était temps de donner un signe à nos adhérents et à l’ensemble des étudiants et de leur montrer que s’il était avéré que leurs intérêts matériels et moraux avaient été lésés, ils seraient défendus par la mutuelle.

M. le Rapporteur : Dans le cadre du déficit démocratique et des défaillances du conseil d’administration qui ont été décrites dans les différents rapports auxquels nous avons fait allusion les uns et les autres, il est fait état d’une grande opacité à propos des filiales.

Aujourd’hui, en tant que président du conseil d’administration, avez-vous le sentiment d’être parfaitement informé de la situation des différentes entreprises, filiales ou autres et de toutes les activités directes et indirectes de la MNEF ?

M. Pouria AMIRSHAHI : Je vous répondrai en plusieurs points. D’abord pour préciser qu’effectivement – et sans aucune prétention, les choses se passent très bien entre nous – la question s’adresse à moi et au conseil d’administration car ce n’est plus, contrairement à ce qui se passait auparavant, à la direction générale et administrative de décider, ni même de penser ce genre de choses. Il se trouve, cependant, que Jacques Delpy a la particularité de bien connaître la structure – il a rappelé qu’il l’avait connue en d’autres temps – et que surtout sa carrière nous aide : vous vous doutez bien que, dans un monde entrepreneurial pas très tendre, les choses sont parfois compliquées à appréhender.

Nous raisonnons en fonction de nos intérêts et de ceux des étudiants et, de ce point de vue, comme cela vous a été dit tout à l’heure, le problème de la diversification se pose à la mutuelle, comme d’ailleurs à de nombreuses structures, pour faire face à l’évolution du milieu. Il en résulte un certain nombre de prestations de services filialisées – notamment parce que les directives européennes, que nous avons évoquées antérieurement, nous enjoignent de ne pas gérer directement des services non sanitaires – le tout étant de savoir pour la MNEF si, oui ou non, elles correspondent aux intérêts de leurs adhérents et des étudiants en général.

Sur ce point, je pense que la MNEF ne peut s’orienter vers une politique de diversification qu’à une double condition : premièrement, que cela réponde à la fois aux attentes des étudiants et à la satisfaction de leurs besoins ; deuxièmement que cela s’inscrive dans une logique sociale. Il n’est pas concevable que nous investissions dans le domaine du logement, par exemple, pour pratiquer des loyers beaucoup plus élevés que ceux constatés sur le marché privé : cela n’aurait aucun sens pour la mutuelle ! C’est donc l’orientation que nous avons prise

Pour ce qui est de mon niveau de connaissance de l’état de l’ensemble de nos filiales, je vous fournirai deux éléments de réponse.

D’abord, il ne s’agit pas pour moi d’être informé mais aussi de décider ! Il ne s’agit pas seulement pour le conseil d’administration d’être informé des données a posteriori mais de disposer de toutes les données avant que les décisions ne soient arrêtées. Or, en l’état actuel des choses, nous ne détenons pas tous les éléments sur toutes les filiales pour la simple raison que le conseil d’administration étant élu depuis le 2 avril, nous avons l’intention de procéder à un audit dans les semaines et les mois qui viennent.

Je rappelle cependant que l’UES Saint-Michel qui est la structure qui gère l’essentiel de ces filiales doit avoir une assemblée générale le lundi 17 mai et qu’il doit être procédé à des renominations statutaires au sein de l’UES de manière à ce que la nouvelle direction de la MNEF et sa nouvelle orientation se traduisent dans les instances de l’UES.

Si je suis amené à préciser ces éléments, c’est parce qu’à mon arrivée la seule chose qui était légalement possible, et que nous avons faite, était de retirer immédiatement toutes le délégations de représentation de la MNEF dans toutes les structures filialisées dans lesquelles la MNEF avait une participation directe.

En ce qui concerne l’UES, qui est une structure qui a la personnalité juridique, les choses se passent à un second niveau, c’est-à-dire qu’il faut d’abord convoquer l’assemblée générale de l’UES – ce que nous avons obtenu – et, ensuite, procéder à des modifications : modifications de postes , c’est-à-dire de responsabilités, et modifications de fond quant à l’orientation de ces structures.

Nous souhaitons tout simplement nous séparer d’un certain nombre de filiales dont nous saurons précisément à partir de l’audit que nous voulons très rapide, si, oui ou non, elles présentent un intérêt pour les étudiants. Je dois vous avouer qu’ayant moi-même vu les 40 sociétés en cascade, je ne peux pas me prononcer sur toutes, mais il est clair que lorsque j’ai demandé en arrivant les fiches d’identité de chacune des structures, je les ai obtenues. Donc je sais à quoi elles correspondent et si vous m’interrogez sur certaines d’entre elles, je vous dirai ce que je sais et ce que je veux en faire. En revanche, je ne suis pas en mesure de vous répondre sur ce qui s’est passé jusque là.

M. le Rapporteur : Aujourd’hui, de votre point de vue, il n’y a aucune difficulté posée par l’ensemble des structures dirigeantes des filiales de la MNEF pour faire remonter l’information jusqu’à votre niveau ?

M. Pouria AMIRSHAHI : Si, il y en a, mais disons qu’à partir du 17 mai je pourrai vous en dire plus. En effet, tant que l’assemblée générale de l’UES n’a pas eu lieu il est compliqué d’avoir un lien direct. Je rappelle au passage, que pour toutes les décisions concernant les ventes ou les prises de participation, depuis le 2 avril, nous avons effectivement demandé que l’information remonte et surtout que notre avis soit pris en compte. Je vous donnerai deux exemples.

Le premier concerne la société anonyme Carte Jeunes SA qui est, comme vous le savez, une concession de l’Etat, qui, en partenariat avec d’autres structures mutualistes dispense un certain nombre de prestations de service dans le domaine de l’offre promotionnelle.

Or, nous avons voulu, en partenariat avec le ministère de la Jeunesse et des sports, réorienter cette carte beaucoup plus vers les prestations culturelles, sportives et sociales, particulièrement dans le domaine des transports. Vous n’ignorez pas que c’est à partir de la Carte Jeunes que la Carte Imagine " R " sur Paris a été mise en place. Je le sais d’autant mieux que lorsque j’étais responsable du mouvement étudiant, j’ai négocié directement avec les pouvoirs publics la tarification étudiante en Ile-de-France sur la carte orange ce qui a donné la Carte Imagine " R ".

Il se trouve que j’ai demandé au responsable de la structure de Carte Jeunes SA de me fournir un rapport sur la situation, que j’ai obtenu. Je lui ai indiqué notre nouvelle orientation et il en a pris acte. Nous sommes convenus d’un rendez-vous avec le directeur général adjoint de la RATP avec lequel nous avons commencé à discuter d’un nouveau partenariat avec le syndicat des Transports parisiens.

Dans la semaine du 7 avril, j’ai rencontré le directeur de cabinet de Mme Marie-George Buffet, ministre de la Jeunesse et des sports, et nous avons discuté de la réorientation de la Carte Jeunes vers des prestations réellement sanitaires, culturelles et sportives. Cela veut dire démocratiser l’accès au cinéma mais aussi au théâtre et à l’opéra car, contrairement à ce qu’on croit, ce sont des mesures qui peuvent avoir du succès et je sais – car je connais un peu le milieu – que ce sera le cas !

Dans le domaine du sport, si la démocratisation de la pratique sportive est un peu plus compliquée parce qu’elle suppose de régler les problèmes de licences, l’accès aux manifestations sportives est tout à fait envisageable comme le prouve l’expérience de Montpellier où la Carte Jeunes facilite l’accès à des matches de football, de basket-ball et autres sports.

Le second exemple concerne les cafétérias. Là encore, il existe une structure qui s’appelle Caf’Service qui dépend de la SA Raspail Participations et Développement, qui elle-même dépend de l’UES, qui elle-même dépend majoritairement de la MNEF. Telle est l’architecture dont j’ai hérité.

Il se trouve que je n’ai pas un rapport affectif à la " sandwicherie " et que je n’ai pas estimé très opportun de prolonger, en tout cas sans réflexion, un investissement et des participations dans une entreprise qui s’orienterait vers la restauration rapide...

Mon objectif est plutôt, au contraire, de collaborer avec les œuvres sociales et scolaires, les CROUS, parce que cela répond à la philosophie du nouveau conseil d’administration que de s’orienter tout simplement vers un nouveau partenariat avec le service public.

J’ai donc récemment demandé que des dispositions soient prises afin que Raspail Participations et Développement qui gère cette filière discute une réorientation . Nous sommes actuellement en négociation pour une cafétéria à l’université de Paris VIII au sujet de laquelle j’ai clairement dit au directeur du CNOUS et au directeur de l’association des directeurs de CROUS de France, ainsi qu’au directeur du CROUS de Créteil qui est directement concerné, que mon intention était de faire en sorte que cette cafétéria soit gérée par les CROUS et non pas par une entreprise privée. Vous vous doutez que cela a permis d’engager une discussion beaucoup plus globale sur le partenariat entre la MNEF et les CROUS ou, plus exactement sur les filiales indirectes de la MNEF et les CROUS dans ce domaine particulier. Dans l’avenir, nous comptons bien étendre le partenariat à d’autres domaines .

M. le Rapporteur : Quand on parle de démocratie et de contrôle de l’activité par le conseil d’administration, cela fait obligatoirement référence à la composition de ce conseil d’administration et donc à ce qui la précède, c’est-à-dire les élections.

Je vais donc m’adresser maintenant directement à vous, M. Delpy.

Il semblerait qu’antérieurement l’organisation des élections ait donné lieu à de nombreux problèmes : on nous a parlé de la difficulté à faire s’exprimer en interne, au sein de la MNEF, une certaine forme de pluralisme et, à tort ou à raison, de nombreux membres d’organisations syndicales qui ne sont pas l’UNEF-ID, nous ont confié qu’il était très difficile de rentrer dans les cadres d’organisation des élections qui n’étaient pas très transparents.

Ces modalités d’organisation, me semble-t-il, ont été modifiées et j’aurai quelques questions à vous poser puisque nous avons reçu l’ensemble des documents que vous avez bien voulu nous transmettre sur ces sujets et qui concernent le rôle des huissiers et la constitution de la commission électorale.

Par rapport à ce système, j’aimerais comprendre comment il se fait que l’on a finalement un collège électoral qui doit représenter 98 % ou 99 % des étudiants et un autre qui ne représente que 1 % des étudiants : cela donne l’impression que c’est par volonté de satisfaire la lettre de la loi sans en satisfaire tout à fait l’esprit...

M. Jacques DELPY : Pour ma part, j’ai eu une responsabilité tout à fait cruciale dans cette période et je vais vous indiquer ce que j’ai cru devoir faire.

En interne, j’ai désigné un chef de projet. Il s’agit d’une collaboratrice dont j’avais pu m’assurer que sa neutralité était reconnue, que son caractère était reconnu ainsi que sa compétence. Il s’agit de Mme Sylvie Enfer. Je m’en suis très bien porté.

C’est grâce à Mme Sylvie Enfert que j’ai pu, me semble-t-il, mieux faire que je ne le pensais au départ.

Par ailleurs, j’étais confronté au problème de l’informatique qui se trouvait dans une phase d’instabilité. C’est un phénomène dont on ne m’avait pas parlé lorsque l’on m’avait demandé d’accepter cette mission temporaire, que j’ai découvert par la suite et auquel je me suis attaqué vraiment avec toute mon énergie.

Nous avons donc déployé beaucoup de travail avec les agents pour parvenir à maîtriser l’application sur laquelle nous sommes. Or, je crois pouvoir dire qu’au terme de beaucoup de travaux et de nombreuses visites de consultants extérieurs, nous sommes parvenus à faire en sorte que notre fichier soit correct , voire tout à fait correct !

J’ajouterai, d’ailleurs, que nous nous sommes livrés à un test grandeur nature puisque, lorsque la commission de contrôle a dû examiner les listes, il y avait dans la salle deux écrans qui permettaient d’interroger les fichiers et de voir si nous avions à faire à de véritables étudiants mutualistes répondant bien à toutes les qualités exigées.

J’observe qu’à cette occasion une liste s’est vue refusée et que cela n’a pas fait l’ombre d’un doute. Autrement dit, l’ensemble des listes étaient représentées dans la salle, il y avait deux écrans et nous annoncions les candidats en cherchant leur nom dans le dossier en temps réel. Nous pouvions ainsi, sur le champ, vérifier que la liste était normalement constituée. Je ne crois pas que cette procédure soit critiquable ; je dirai même qu’elle est pertinente et qu’elle a permis tout de suite une grande transparence.

J’ajoute qu’une autre liste avait été recalée, puisqu’elle s’était présentée à 17 heures 05, alors que l’heure limite de dépôt des listes était 17 heures – c’est là l’incertitude du sport, c’est bien connu – et qu’une autre liste baptisée, je ne sais pourquoi d’ailleurs, " liste des Marseillais " a été refusée mais que ses représentants présents dans la salle n’y ont fait aucune objection .

J’ai donc considéré que nous devions, dans ce domaine, appliquer ce j’ai dit en interne, à savoir le principe de " laïcité " des techniciens vis-à-vis de l’ensemble des listes.

Quand il s’est agi de choisir l’huissier, cela a donné lieu à certains fantasmes et nous avons procédé d’une manière originale puisque nous avons lancé un appel d’offres auprès d’un certain nombre d’huissiers et nous avons tiré au sort les deux huissiers qui ont été retenus.

Il se trouve que le précédent huissier n’a pas été content mais son tarif était nettement plus cher et vous savez que nous avons demandé que ses déclarations soient soumises à l’appréciation de son Ordre, car il doit être responsable de ses déclarations.

Pour ce qui est des deux collèges, je dois vous dire que ce n’est pas moi qui ai pris la décision. Une décision du conseil d’administration avait été arrêtée au mois de juillet, à une époque où je ne pensais même pas à la MNEF et il me semble qu’elle répondait à une nécessité de simplification - en tout cas, c’est ainsi que je l’ai perçue. La différence entre les deux collèges se présente de la façon suivante : le collège des étudiants français qui sont dans les universités étrangères et l’autre collège constitué au niveau national. Ces deux collèges correspondent à des réalités de travail différentes.

Par conséquent, peut-être suis-je naïf, mais je n’avais pas découvert, avant que vous ne m’en parliez, qu’il pouvait y avoir une manœuvre dans cette affaire. Je sais que certains ont souhaité qu’il y ait des élections par section mais je sais que les universités atteignent des tailles considérables, que le fichier sur lequel nous étions portait sur 220 000 étudiants et que cela a représenté pour nous un travail tout à fait énorme dont je crois, Monsieur le président que nous ne nous sommes pas trop mal sortis compte tenu des difficultés que comportait l’exercice.

Sans faire d’autosatisfaction, je crois que l’on peut établir une comparaison avec les circonscriptions électorales, Monsieur le rapporteur : je suis dans l’attitude du technicien qui ne sait pas si tous les arrondissements sont bons et si tous les départements sont bons... J’ai mon opinion personnelle que je pourrai vous confier plus tard mais, dans l’immédiat, je n’ai pas d’avis.

M. le Rapporteur : J’ai lu avec attention tout le travail de la commission électorale et tous les comptes rendus qui en ont été faits : il y a un seul point sur lequel je me posais des questions, c’est qu’il n’est, à aucun moment, fait allusion à ce qu’a pu devenir et à ce que devient le matériel électoral qui, parti dans la nature, en revient faute d’avoir trouvé son destinataire. Je m’étonnais qu’effectivement ce problème ne soit pas spécifiquement traité car il peut prêter, par la suite, sinon à toutes les manipulations, du moins à toutes les interprétations possibles : vous imaginez bien que des choses circulent puisque vous connaissez, comme nous tous, l’ambiance qui suit des élections. J’aimerais donc que vous apportiez des précisions sur le traitement qui a été réservé à ce matériel électoral qui revient puisque le vote s’effectue uniquement par correspondance.

M. Jacques DELPY : Comme je ne m’attendais pas à cette question, je préfère vous dire que je ne peux pas vous répondre. Ce dossier n’était pas sur la table parce que je n’avais pas eu de problèmes mais puisque vous soulevez cette question elle devient un problème pour moi. Je vais donc demander à Mme Sylvie Enfer de me faire une note et je vous garantis qu’elle vous sera communiquée dès mardi. Je n’avais pas connaissance de ce problème...

M. Pouria AMIRSHAHI : J’aimerais intervenir pour vous dire que cette question, je l’ai posée moi-même, à mon arrivée, au service en charge des élections qui m’a montré un tas de cartons remplis de retours de courriers, de listings et de matériel électoral. Je dois donc vous confier que je me suis, personnellement, préoccupé de cette question, que l’on m’a montré beaucoup de matériel électoral – essentiellement des professions de foi – mais qu’il y avait également là-dedans des retours de courrier...

M. Jacques DELPY : Je suis navré de vous dire que j’avais assez de problèmes comme cela sans m’en créer d’autres.

Je vous assure que, dès aujourd’hui, cette question devient pour moi un problème.

M. le Rapporteur : Avez-vous modifié le titre VII du règlement intérieur de la MNEF intitulé " Comité consultatif " ?

M. Pouria AMIRSHAHI : Je peux vous indiquer les modifications statutaires auxquelles nous avons procédé et celles auxquelles nous comptons procéder.

Nous avons supprimé dans les statuts par un vote lors d’une assemblée générale le chapitre concernant l’association les Amis de la MNEF. En ce qui concerne le comité consultatif, vous savez peut-être mais je vous le rappelle, que lors de la campagne électorale, je m’étais engagé avec mes colistiers à mettre en place un comité consultatif et scientifique qui remplacerait de fait ce comité consultatif. Pour l’instant, nous ne l’avons pas encore fait, puisque je suis en train de faire le tour des personnalités susceptibles de participer à ce nouvel organe. Pourquoi ? D’abord, parce que c’est une importante structure consultative dans laquelle nous voulons faire entrer des personnalités reconnues du monde médical, du monde de la mutualité, du monde universitaire, ensuite parce que ce n’était pas, non plus, l’urgence du moment dans la mesure où ce comité n’a pas de poids statutaire. L’association les Amis de la MNEF, elle, en avait un que j’ai contesté car je ne voyais pas pourquoi elle s’intégrerait aux statuts de la MNEF, surtout quand c’est pour participer – je ne sais toujours pas au nom de quoi – aux décisions du conseil d’administration ou pour les empêcher .

Nous avons procédé tout de suite à cette suppression parce qu’elle nous paraissait urgente.

En revanche, la mise en place d’un comité scientifique consultatif, donc d’une nouvelle commission consultative, est en cours d’élaboration. J’ai contacté un certain nombre de personnalités dont je peux vous donner les noms si cela vous intéresse : la conférence des présidents d’université, les directeurs de CROUS, Alain Touraine, etc. Je consulte : certaines personnes ne m’ont pas encore donné de réponse, je pense à d’autres à qui je n’ai pas encore eu le temps d’écrire afin qu’elles soient associées - pour peu qu’elles l’acceptent - à cette consultation permanente des décisions de la MNEF.

M. le Rapporteur : Nous avons également un souci, dans la mesure où la lecture des différents rapports donne parfois l’impression, qu’au-delà des aspects strictement statutaires que vous évoquez par rapport à l’association les amis de la MNEF, un certain nombre d’aspects très relationnels pouvaient prendre beaucoup d’importance, y compris au niveau de certaines filiales. Je souhaiterais donc que M. le directeur général puisse nous faire parvenir le dossier sur le comité consultatif qui, donc, existe toujours et sur sa composition depuis un certain nombre d’années. C’est un document qu’il serait intéressant de soumettre à l’appréciation de la commission d’enquête.

M. André ANGOT : Existe-t-il parmi le personnel de la MNEF, comme c’est le cas dans d’autres mutuelles, des personnes qui ont un statut de fonctionnaires et qui sont mises à disposition de la MNEF par leur administration d’origine ?

M. Jacques DELPY : Non, je n’en connais pas. Je me suis livré à un certain examen des listes et j’y ai trouvé d’autres cas, mais pas celui-là. Ce n’est pas le système de l’ANPE : ce n’est pas un système dans lequel vous avez des fonctionnaires détachés. Personnellement, en tout cas, je n’en connais pas.

M. Michel HAUTEKIET : Moi non plus !

M. André ANGOT : Que pensez-vous des déclarations prêtées à M. Jean-Marie Le Guen selon lesquelles la MNEF était la " pouponnière ", si ce n’est la cellule de reclassement, des élus du PS ?

M. le Président : Je précise qu’il a indiqué qu’il ne les avait jamais prononcées.

M. Pouria AMIRSHAHI : Ce sont des déclarations qui auraient pu n’engager que lui mais qui, visiblement, ne l’engagent même plus puisqu’il affirme qu’elles sont le fait du journal – je veux bien commenter des déclarations assumées mais dès lors que M. Le Guen ne les assume pas ...

Il se trouve que si c’était le cas ce serait une chose grave et, de toute manière, comme c’est mon rôle, je veille à ce que la MNEF ne soit la pouponnière de personne.

M. le Rapporteur : Après votre expertise, monsieur le directeur général, avez-vous le sentiment qu’il y a des emplois fictifs aujourd’hui, à la MNEF, en clair, des gens qui touchent un salaire pour une fonction qu’ils n’occupent pas ?

M. Jacques DELPY : Je suis prudent – j’ai quelques cheveux blancs ; j’en ai même plus que vous – parce que je pourrais vous répondre qu’il n’y en a plus mais si, demain, on en trouve, j’aurai l’air d’avoir menti et je ne veux pas vous mentir. Je vous répondrai donc tout simplement qu’à mon avis, il n’y en a plus.

Nous avons fait un certain nombre d’examens et un certain nombre de cas ont été régularisés dans le bon sens du terme. J’espère qu’il n’y en a plus et mon devoir est de faire en sorte qu’il n’y en ait plus.

M. le Président : Y a-t-il encore des responsables politiques qui sont salariés au sein de la MNEF ?

M. Jacques DELPY : Je vais prendre un cas très précis qui est celui de M. Le Guen. Ce dernier me paraît être dans une situation régulière dans ce sens qu’il est " hors cadre " par rapport à la MNEF. Il a été salarié de la MNEF à une certaine époque mais il se trouve qu’il est parlementaire et conformément aux règles – on les avait appliquées à l’UNEDIC pour d’autres parlementaires – on a interrompu, comme le permet une disposition légale, son contrat de travail : il est alors devenu " hors cadre ".

C’est le seul cas que je connaisse et il me semble que cette situation est actuellement régulière. Si elle ne l’est pas, je suis disposé à la réviser.

M. le Rapporteur : Concernant les relations entre la MNEF et la CNAM, il semblerait qu’il y ait eu, dans le passé, deux conventions faisant explicitement référence à la mise en place d’une comptabilité analytique qui semble n’avoir pas été du tout mise en œuvre. Comment appréhendez-vous ce problème de transparence de la comptabilité aujourd’hui ?

M. Michel HAUTEKIET : Il y a effectivement une convention qui précise que la MNEF doit mettre en place une comptabilité analytique et nous avons bien participé à des groupes de travail avec la CNAM sur le sujet. Ces groupes ont été mis en suspens à la suite de la nomination d’une mission conjointe de l’IGF et de l’IGAS qui avait pour sujet la comptabilité analytique dans les mutuelles. Nous sommes dans l’attente de ce rapport et nous le mettrons en œuvre avec les gens de la CNAM, car notre position est toujours de mettre en place cette comptabilité analytique.

M. le Président : Pouvez-vous nous dire dans quels délais, car ce que vous disait Monsieur le rapporteur, c’est que les engagements précédents n’avaient pas été suivis d’effet parce qu’il n’y avait pas de sanctions ?

M. Michel HAUTEKIET : La convention que je connais prévoyait de mettre la comptabilité analytique en place avant – je le dis de mémoire – le 30 septembre 1998. Il se trouve que les premières réunions avec la CNAM – et nous n’avons pas l’initiative de ces réunions puisque c’est la CNAM qui nous convoque – ont eu lieu aux mois d’octobre et novembre 1998.

Pour ce qui nous concerne, en tout cas, nous répondons toujours présents et nous apporterons tous les éléments et tout le savoir-faire possible.

S’agissant de la question de savoir quelle est finalement l’utilité de la mise en place d’une comptabilité analytique de ce type, je dirai que je n’en vois pas bien l’utilité. Je m’explique : si elle vise à répartir a posteriori les coûts de la MNEF elle ne fera – et je m’en étais longuement entretenu avec les magistrats de la Cour des comptes qui sont venus me voir – que compliquer les contrôles puisqu’il faudra contrôler à la fois l’assiette et les taux alors qu’aujourd’hui quand on contrôle l’ensemble des comptes seule l’assiette, donc le contenu, est contrôlé. De surcroît, je ne vois pas ce que peut apporter techniquement cette vision a posteriori.

Mme Anne-Charlotte KELLER : Cela fait peu de temps que je suis trésorière de la MNEF mais lorsque l’on a commencé à discuter de cette question, on a tout de suite imaginé qu’elle ne répondait pas seulement à une nécessité technique mais aussi à un problème de fond qui consistait à savoir quelle était l’utilisation de l’argent de la MNEF.

En l’occurrence, ce qui figure aujourd’hui dans les comptes de la MNEF, ce sont trois sources essentielles de revenus : les remises de gestion versées par la CNAM pour, entre autres choses, liquider, mais pas seulement justement, les prestations des étudiants ; les cotisations que la mutuelle reçoit au titre des assurances complémentaires maladie qu’elle peut proposer aux étudiants ; les apports des filiales et tout ce qui est compris comme offre de services par ailleurs.

Par conséquent, effectivement, mettre en place une comptabilité analytique qui séparerait complètement et a priori, l’utilisation des remises de gestion, d’une part, et d’autre part, l’argent des cotisations reviendrait à diviser les étudiants en deux catégories alors que ce qui fait le fondement d’une mutuelle étudiante, en tout cas celui de la MNEF depuis sa création en 1948, c’est une conception globale du statut social étudiant.

Pour autant, cela ne signifie que ce serait un tort de mettre en place cette comptabilité analytique.

Je souligne que, depuis notre arrivée, la commission des marchés a été modifiée, tant dans sa composition que dans sa fonction. Auparavant, il n’y avait que deux administrateurs et deux salariés alors que maintenant il y a toujours deux salariés mais quatre administrateurs dont je fais partie. En outre, cette commission est chargée d’étudier a priori, et non plus a posteriori, les appels d’offres et donc à un moment donné de réfléchir à l’affectation des dépenses. A ce titre, il y a eu déjà trois réunions depuis le 2 avril, ce qui est beaucoup si l’on considère le nombre des réunions antérieures et c’est à partir de ce moment-là que nous avons commencé, pour répondre aux appels d’offres qui avaient été lancés, à nous demander si nous devions prendre l’argent dans les remises de gestion ou dans les cotisations.

M. Jacques DELPY : J’ai participé à des réunions avec les SMER sur le problème de la comptabilité analytique. Mon sentiment c’est que, sans que cela soit satisfaisant, nous sommes, à la MNEF, plutôt en avance par rapport aux autres mutuelles. J’en veux pour preuve le fait que c’est sur la base de documents que nous avions élaborés que nous avons travaillé.

En revanche, la difficulté tient à ce que nous sommes une mutuelle nationale et que, par conséquent, un élément " bureau national " pèse sur la comptabilité analytique. Cela étant, nous menons un travail très technique avec les services de la CNAM sur ce sujet. Ils avaient annoncé leur venue pour ces dernières semaines mais, comme vous le savez, nous sommes l’objet de nombreux contrôles puisque nous sommes sans doute l’institution qui a été la plus contrôlée dans ce pays depuis des années et nous attendons que ces messieurs viennent.

L’intérêt d’une telle comptabilité, c’est, d’abord, comme l’a souligné la trésorière, que nous fassions en sorte que les différentes sources de financement soient bien retracées et qu’il n’y ait pas de dérives, voire de détournements. Sur ce point, je suis tout à fait d’accord.

C’est, ensuite, que nous mesurions mieux ce que l’on appelle " les dépenses de communication ". Il en est fait état dans un rapport de l’IGF et de l’IGAS, auquel, je crois, nous avons contribué dans un excellent esprit estimant qu’il s’agissait d’un contrôle très bien réalisé, par des fonctionnaires de haut niveau, ce qui ne veut pas dire que nous soyons d’accord avec leur analyse, puisque nous avons envoyé une réponse aux ministres concernés ; j’ignore si on vous l’a remise mais je peux vous la faire parvenir. En effet, comme vient de le dire M. Hautekiet, il faut laisser à la comptabilité analytique son rôle : elle est très utile pour le gestionnaire, mais le premier travail consiste, à mes yeux, à maîtriser le budget.

J’en profite pour souligner que nous avons donné, depuis six mois, un sacré tour de vis sur le budget puisque de notre première présentation de budget, il ressort que nous avons réalisé 18 millions de francs d’économies sur un budget de 300 millions de francs et cela sans plan social et que nous allons vraisemblablement être amenés à poursuivre dans cette voie.

La comptabilité analytique a son intérêt mais, si vous me le permettez, je dirai que, de mon point de vue de gestionnaire, le première urgence était de serrer les écrous.

M. Pouria AMIRSHAHI : La comptabilité analytique, nous allons la mettre en place tout simplement parce qu’on nous demande de le faire, parce que nous ne faisons preuve d’aucun dogmatisme en la matière et que, ainsi que l’a dit Anne-Charlotte, il est bon, notamment lorsqu’une décision donne lieu à un appel d’offres, qu’elle soit prise, en amont, au niveau national, dans une commission des marchés, sous la responsabilité du conseil d’administration, et ensuite que l’on sache exactement de laquelle des trois ressources principales de la MNEF on tire l’argent pour payer.

J’ajoute une seconde remarque : la distinction qu’il y a entre les remises de gestion et le reste s’opère parce que les remises de gestion correspondent à la délégation de gestion qui nous est accordée par les pouvoirs publics. Cette remise de gestion, dont le montant est fixé en fonction d’une estimation du coût de la gestion de la sécurité sociale par la MNEF, et non pas, contrairement à ce que j’ai cru entendre, de la simple liquidation des prestations – il n’a jamais été question de cela – appartient, une fois dans la caisse de la MNEF, aux adhérents de la MNEF et à personne d’autre.

La convention avec la CNAM qui fixe une remise de gestion correspondant au coût de la gestion est une règle tout à fait établie qui fonctionne pour la MNEF comme d’ailleurs pour d’autres mutuelles. Mais il faut veiller à deux choses : d’abord à ce que la gestion de la sécurité sociale soit réalisée au moins en fonction du montant des remises de gestion, comme cela a été fait et démontré dans différents rapports ; ensuite, à faire ce que l’on nous demande, par exemple de mettre en place une comptabilité analytique.

M. le Rapporteur : Je vous poserai une dernière question. Il semblerait que sous les précédentes mandatures du conseil d’administration, un certain nombre de problèmes aient été soulevés en raison d’une gestion un peu difficile des délégations de signature, en particulier au niveau du trésorier. Certaines personnes se sont, en effet, exprimées sur le fait que, finalement, le conseil d’administration ne jouait pas son rôle, que les gens donnaient délégation de signature au directeur général et que les élus ne maîtrisaient plus rien.

Est-ce que, vous, madame, en tant que trésorière, vous avez donné délégation de signature à nombre de personnes, ou à une seule personne, pour signer un certain nombre de documents en votre nom ?

Mme Anne-Charlotte KELLER : En tant que payeuse, oui, j’ai donné des délégations de signature mais je sais exactement à qui, sur quel compte, et je sais exactement pourquoi : je ne me vois pas passer mes journées à signer des chèques de remboursement aux étudiants !

En ce qui concerne le budget que je contrôle, moi, et qui est plus particulièrement celui des élus étudiants, sur tout ce qui n’est pas chèques mais engagements de dépenses, j’appose ma signature. J’ai la signature avec le président pour certaines choses, pour d’autres, avec le secrétaire général. Mais, oui, je signe – ou ne signe pas d’ailleurs puisqu’en l’occurrence c’est moi qui décide – les engagements de dépenses même si ce n’est pas moi qui libelle les chèques.

M. Jacques DELPY : Je tiens tout de même à préciser que, depuis le premier janvier, dans le but précisément de mieux maîtriser les dépenses, toute dépense administrative d’un montant supérieur à 10 000 F est signée par moi.

M. le Président : Je vous remercie pour cette audition qui a été très intéressante et dont la Commission tirera le plus grand profit.

Audition de M. Matthieu SÉGUÉLA,
Ancien trésorier de la MNEF

(procès-verbal de la séance du 18 mai 1999)

Présidence de M. Alain Tourret, Président

M. Séguéla est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Séguéla prête serment.

M. Matthieu SÉGUÉLA : Mesdames, messieurs les députés, le passé que je pourrais évoquer concernant la MNEF, dont j’ai été administrateur et trésorier, est relativement récent. En effet, j’ai assisté à mon premier conseil d’administration en tant que trésorier le 17 décembre 1996 et mon dernier conseil, toujours en qualité de trésorier a eu lieu le 2 juillet 1998. J’ai été coopté au bureau national en tant que trésorier et au conseil d’administration en tant qu’administrateur le 24 septembre 1996, ce qui correspond à un mandat d’un peu plus d’un an et demi au poste de trésorier national et au conseil d’administration de la MNEF. J’ai remplacé à ce poste Laurent Dornic, qui était trésorier depuis environ six ans.

Mon parcours à la MNEF est plus ancien. J’ai été président de la section locale Montpellier-Nîmes dans les années 90 et je suis devenu délégué national à l’action humanitaire, aux solidarités et aux étudiants étrangers, de manière permanente, au siège de la MNEF de septembre 1995 à septembre 1996.C’est à ce moment-là que j’ai perçu une première rémunération de la MNEF en qualité de salarié de la mutuelle. J’avais signé un contrat à durée déterminée correspondant à 4 000 francs nets par mois. Précédemment, mes activités de président de section étaient bénévoles. Lorsque j’étais délégué national de la MNEF aux fonctions citées, je n’étais pas membre du conseil d’administration, puisque j’étais salarié et qu’un salarié ne peut être membre du conseil d’administration. Je n’étais pas rattaché à ce conseil d’administration ; en tant que salarié, je dépendais du directeur général, Olivier Spithakis.

Le rôle d’un délégué national est comparable à celui d’un élu national, d’un administrateur, sauf que j’étais salarié. Nous étions cinq délégués nationaux, coordonnés par une déléguée générale, elle-même étudiante et salariée, Anne Danière, mais nous n’entretenions aucun contact avec le conseil d’administration, si ce n’est avec le secrétaire général, Éric Martinez.

Nous entreprenions des actions de prévention-santé sur les campus et irriguions le réseau des six cents élus locaux de la mutuelle d’informations et de formations, mais nous n’étions pas directement concernés par la gestion de la mutuelle. Cette différence est importante, car l’on trouvait, d’un côté, des élus de section – 600 répartis dans une trentaine de sections locales – et, de l’autre, une assemblée générale nationale de la MNEF, composée de très peu d’élus locaux ; peu d’élus mutualistes intégraient en fait le conseil d’administration, lequel n’était pas, à ce titre, représentatif des forces vives de la mutuelle étudiante, c’est-à-dire des mutualistes du terrain.

En septembre 1996, j’ai signé un nouveau contrat à durée déterminée de six mois pour poursuivre mon travail de délégué à l’action humanitaire. Il me fut alors proposé par le secrétaire général et par le directeur général de remplacer Laurent Dornic, trésorier, qui démissionna pour des raisons non expliquées à ce moment-là et restées inexpliquées jusqu’à ce jour.

Je l’ai donc remplacé pour un intérim qui devait durer quelques mois avant la nomination d’une autre trésorière, Laurence Pedinielli, qui, dès le mois de septembre, fut nommée trésorière adjointe.

Cette nouvelle de la démission du trésorier m’étonna. La proposition qui me fut faite de prendre ce poste m’étonna aussi. Ma formation universitaire n’est pas du tout celle d’un économiste, encore moins celle d’un financier. Je l’acceptais toutefois, parce que je me trouvais à l’époque plus dans un rapport de salariat avec le directeur général – j’étais toujours salarié de la MNEF – et parce que l’accès aux fonctions d’administrateur de la MNEF représentait quelque chose d’important pour un élu de terrain comme moi. J’avais envie d’accéder à ce poste, en espérant pouvoir faire plus et mieux dans le cadre de mes activités.

Les fonctions de trésorier me furent alors expliquées. Elles consistaient à présenter le rapport financier 1995-1996 de mon prédécesseur, devant le conseil d’administration, à présenter en avril 1997 un budget prévisionnel. Lors des réunions du bureau national, il s’agissait de voter des décisions présentées par la présidente ou le directeur général qui allaient ensuite être ratifiées par le conseil d’administration et par l’assemblée générale nationale. Il s’agissait donc d’un travail de trésorier du conseil d’administration, extrêmement limité. Je voyais très bien, de l’intérieur, que la réalité du pouvoir était concentrée dans les mains de ce que j’appelais "la technostructure", autrement dit la direction générale, le directeur général. Et encore n’avais-je pas tout perçu de cette mainmise sur le conseil d’administration !

Je suis donc entré au bureau national, où j’ai retrouvé Marie-Dominique Linale, alors présidente depuis trois ans, Éric Martinez, secrétaire général depuis neuf ans, Laurence Pedinielli, trésorière adjointe, et Sylvie Andrieux, à l’époque vice-présidente de la MNEF.

La présentation que j’ai faite du rôle du trésorier peut vous paraître minimale, mais c’est celle qui me fut présentée. Dans la réalité, elle était plus minime encore ! Les délégations de signature avaient été faites par mon prédécesseur au directeur général et au directeur administratif et financier : nous étions là dans un abandon de la gestion à la technostructure.

Le conseil d’administration se réunissait relativement peu, en moyenne une fois tous les trois mois, tout comme le bureau national. Un organisme, la commission permanente, tenait lieu de bureau national. Elle se réunissait tous les mardis. Elle était composée, suivant les textes, pour moitié d’élus étudiants, pour l’autre moitié de salariés, selon un accord entre le directeur général et la présidente. Lorsque je suis entré à la commission permanente, j’ai découvert qu’il n’y avait que deux étudiants – la déléguée générale, certes étudiante, mais salariée, le secrétaire général n’était plus étudiant, mais personnalité qualifiée, les autres personnes étant essentiellement des salariés, des cadres, des attachés de la direction générale, autrement dit des personnes que l’on peut considérer comme proches du directeur général. C’est dans ce cadre que l’ensemble des décisions étaient prises – et ce toujours dans le sens voulu par le directeur général, puisqu’il avait une majorité écrasante. Et encore ne s’agissait-il pas de rapports de force élus, étudiants contre direction générale : il était seul à mener le débat, la présidente n’assistant même pas aux réunions de la commission permanente ! J’étais le seul élu étudiant parmi quinze personnes.

La commission décidait de tout ce qui concernait la MNEF. Une autre commission existait : le comité exécutif filiales qui s’occupait des filiales, au sein duquel je ne fus pas autorisé à siéger pendant l’année et demie qu’ont duré mes fonctions de trésorier tout, comme je n’appartenais pas à la commission exécutive, et comme – ce qui peut paraître étonnant et ce qui m’a étonné – je n’étais pas représentant de la MNEF dans les filiales, dans l’Union d’économie sociale Saint-Michel ou dans Raspail Participations et Développement. C’était le domaine réservé de la présidente ou du secrétaire général, mais surtout celui du directeur général. Le lien avec les filiales était donc assez lointain pour moi.

Au cours des bureaux nationaux auxquels j’assistais, la présidente du conseil d’administration demandait des apports en comptes courants rémunérés pour alimenter les filiales. Renseignements pris, il est normal de rémunérer les apports. Il ne s’agissait que d’apports qui remontaient ensuite à la MNEF sous forme de remboursements. La présidente présentait donc ce dossier ; parfois le directeur général ou le directeur administratif et financier venait l’expliciter, mais il ne s’agissait pas directement de la MNEF. Cette partie échappait au contrôle des élus en général, même si deux élus, Melle Linale et M. Martinez, représentants de la MNEF, appartenaient à ces structures.

Jusqu’en juin 1997 – le mois de juin 1997 voit le renouvellement de l’assemblée générale et du conseil d’administration –, j’ai mené cette mission, relativement légère, de trésorier, en conduisant parallèlement mes activités de militant mutualiste, descendant sur le terrain pour recréer des sections MNEF et entretenant ainsi un réseau d’étudiants, ce qui s’était un peu perdu, dans la mesure où l’on ne voyait jamais un administrateur de la MNEF se rendre sur le terrain. En général, les administrateurs n’étaient pas eux-mêmes issus du terrain. J’étais donc un peu l’exception, ce qui me permettait de reconstituer, petit à petit, le réseau d’élus étudiants. A la rentrée 1997, le directeur général, qui était le principal interlocuteur – c’est lui qui venait expliquer les choses devant les étudiants, c’est lui qui faisait la pluie et le beau temps aux réunions du bureau national tout comme il menait les débats au conseil d’administration, la présidente jouant un rôle d’approbation – nous apprend qu’un contrôle de la Cour des comptes doit avoir lieu et qu’elle va envoyer deux magistrats. Il m’explique qu’il va me maintenir dans mon poste de trésorier pour une raison de stabilité apparente, de visibilité extérieure et aussi parce que j’étais l’un des rares étudiants parisiens à être de manière permanente au siège, à être véritablement militant, véritablement étudiant, et surtout ne résidant pas dans une région située en dessous de la Loire.

J’ai été maintenu dans mes fonctions, parce que, pendant dix mois, j’avais assisté à un conseil d’administration qui approuvait à l’unanimité tout ce qui était proposé. Il y avait très peu de débats mais tout semblait bien géré. En ce sens, peut-être avais-je été un bon trésorier. En revanche, j’étais en désaccord sur le poids minimum des élus étudiants que l’on ne retrouvait à aucun poste de responsabilité et, en tout cas, que l’on ne voyait guère sur le terrain. Je marquais un profond désaccord et, avec des élus de terrain, nous commencions à voir le problème. Nous ne pouvions l’étudier avec les élus nationaux, eux-mêmes partisans du système. Ils l’explicitaient d’ailleurs parfaitement : il fallait que la MNEF ait une sorte de Sénat – le conseil d’administration – où les décisions puissent passer tranquillement sans les heurts ou les confrontations étudiantes qui auraient mis la MNEF en péril comme elle l’avait été dans les années 80.

Voilà donc une gestion de la MNEF qui n’était critiquée par personne à l’époque. Les tutelles n’avaient rien à redire, d’après les informations qui étaient les miennes. Le commissaire aux comptes validait les comptes, la commission de contrôle également et, le directeur administratif et financier, récemment nommé, M. Michel Hautekiet, réalisait un bon travail de gestion.

Tel est le panorama que je puis brosser.

La première alerte que j’ai eue dans ce système bien huilé, assez paternaliste, fut donnée par l’enquête du " Canard Enchaîné " qui a mis le directeur général, Olivier Spithakis, dans un état de fébrilité très grande. Une commission permanente extraordinaire s’est réunie pour trouver le meilleur moyen d’éviter de répondre aux questions du journaliste. J’ai pris une position contraire, demandant à ce qu’il soit reçu et que l’on sorte les cadavres des placards, si cadavres il y avait. De ce jour, une défiance est née entre le directeur général et moi-même, car j’avais commencé à me poser publiquement des questions, toutefois de manière très large, car je ne disposais d’aucun élément pour étayer une suspicion quelconque. C’est la crainte qu’il exprima qui suscita chez moi interrogation.

Sa défiance s’est manifestée très concrètement. Au mois de novembre 1997, la MNEF a connu son XXXIVe congrès. Alors que j’étais trésorier, je n’apparaissais même pas dans le programme ! Je fus écarté du réseau étudiant – je n’étais plus habilité à présider les assemblées générales, ni à reconstituer le réseau étudiant, à voir donc un réseau qui serait plus proche ou plus critique. Pour le reste, ce fut une mise à l’écart des étudiants, localement ou parmi les délégués nationaux proches de moi ou habités d’un esprit quelque peu critique ou qui, parce qu’ils avaient une formation politique, essayaient de voir les choses autrement que de manière totalement béni oui-oui.

Ce climat de défiance s’est installé entre Spithakis et moi. Cela s’est traduit par la nomination d’un nouveau délégué général chargé des élus étudiants, Erwan Trividic, salarié, aux ordres du directeur général. Et mon rôle de trésorier, déjà limité, s’en est trouvé plus limité encore. En tant qu’administrateur, je fus mis dans un placard doré, mais placard tout de même.

J’ai proposé des réformes de fond à la présidente, sachant que tout remontait à Olivier Spithakis. En février 1998, j’ai avancé des propositions de réformes qui ne furent pas acceptées. J’ai envisagé, un temps, d’utiliser mes prérogatives de trésorier, pour essayer d’imposer ces réformes. Quelles étaient ces prérogatives ? Le retrait de délégations de signature au directeur général et aux cadres qui lui étaient associés. Lorsque je me suis renseigné auprès du directeur administratif et financier pour engager la procédure, il m’en a dissuadé. Cette mesure, m’a-t-il dit, aurait créé vis-à-vis des partenaires et des banques de la MNEF, un profond malaise et je risquais, a-t-il ajouté, de mettre la structure en péril. Dans la mesure où mon conflit était politique, j’ai décidé de le régler de manière politique en rédigeant un premier texte, que j’ai présenté, le 2 avril, qui s’intitulait, de manière historique et ironique, Le manifeste des cents fleurs, puisque nous pressentions que l’espace de liberté que nous souhaitions voir s’ouvrir, allait rapidement se refermer et que nous allions, à la manière chinoise, finir en étant éliminés. Cela se serait passé si la presse n’était intervenue avec un article de " Libération " le 6 avril et avec, entre-temps, un événement qui nous a profondément choqués en tant qu’élus mutualistes : un accord a été passé entre la présidente de la MNEF et le président de l’UNEF-ID, lequel faisait entrer dans le conseil d’administration et dans le bureau national des syndicalistes de l’UNEF-ID qui n’avaient pas de légitimité mutualiste. Avec mes partisans, nous nous sommes finalement retrouvés coincés entre l’UNEF-ID et Olivier Spithakis, face à un accord de gestion passé entre eux. Cette manipulation fut voulue par le directeur général qui commençait à craindre les attaques à venir de " Libération " ; celles du " Canard Enchaîné " n’avaient produit que peu de dégâts – c’est le moins que l’on puisse dire.

Nous avons dénoncé la manipulation et cette collusion UNEF-ID/Spithakis. En tant que membre du bureau national, je n’ai été informé que par la presse du fait que la MNEF accueillait soudainement des militants syndicaux dans ses rangs. Cela m’a choqué, mais j’ai compris, davantage encore, les limites du pouvoir des étudiants. Le bras de fer s’est alors véritablement amorcé, en ce sens que j’ai menacé de publier le Manifeste des cents fleurs et de donner une interview à " Libération " qui avait déjà révélé un certain nombre de faits graves, que j’ignorais, car ils concernaient les filiales ou remontaient à un passé que je n’avais personnellement pas connu.

Au terme de ce bras de fer interne à la MNEF, j’ai obtenu qu’un débat soit ouvert avec possibilité de contributions, que les sections soient toutes renouvelées là où j’avais potentiellement des partisans et que je sois maintenu dans mon poste, puisque, le 24 avril, une assemblée générale devait en principe m’écarter du bureau national au profit de Laurence Pedinielli.

J’en finis avec la contribution que nous avons produite au printemps 1998 : la contribution " Changer ". Elle figurait parmi trois autres, les deux autres étant celle de l’UNEF-ID et une émanant de la direction générale qui ne proposaient ou ne dénonçaient rien.

Notre texte mettait en exergue l’ensemble des dysfonctionnements de la MNEF que j’avais pu observer de près, constater et contester. Ce faisant, nous avons présenté un texte, que d’aucuns ont jugé dur. Il l’était tant il est vrai que la situation était anormale.

Les journaux Libération et Le Monde ont repris ce document qui dénonçait l’Association les amis de la MNEF. Nous étions les premiers à en parler. L’association était alors véritablement un verrou de la MNEF, mais, de toute façon, tout le système était verrouillé, puisque beaucoup d’anciens élus étaient devenus salariés et c’est par ce moyen que le directeur général arrivait à tenir tout le monde avec la promesse d’un emploi à l’issue du mandat. Sachant que beaucoup de ces élus s’étaient fortement investis dans la mutuelle et s’étaient donc éloignés de leur cursus universitaire.

Ma contribution fut envoyée à la Cour des comptes pour information à qui j’ai demandé que me soient remises les conclusions du pré-rapport sur la MNEF lors de sa publication, pour que nous puissions apporter notre vision. Il m’a été indiqué, par courrier, que ce n’était pas possible.

Sur le plan médiatique, nous avons continué à faire monter la pression sur Olivier Spithakis et le 22 juin celui-ci a annoncé sa démission face à l’opposition interne et pour d’autres raisons. Je ne nous attribuerai pas, à mes amis élus et à moi même, le seul mérite de cette démission, mais nous avons participé au déverrouillage. Il n’en reste pas moins que le directeur général, le 22 juin, en même temps qu’il annonçait sa démission, précisait qu’il resterait jusqu’au prochain renouvellement du conseil d’administration. Des élections furent en effet annoncées alors de manière unilatérale. Au cours de la dernière discussion que j’ai pu avoir avec Olivier Spithakis, celui-ci m’a expliqué très froidement et avec beaucoup de cynisme que ces élections seraient faites pour donner la MNEF à l’UNEF-ID, qu’il avait contracté un accord politique avec Pouria Amirshahi et que, de toute façon, nous n’arriverions à rien, car nous n’étions pas une force constituée. Ce fut en effet le cas, puisque les dés étaient pipés.

A partir de l’été, nous avons demandé la mise sous tutelle de la MNEF, ce que nous avons fait publiquement au mois de septembre avec quinze présidents de section, le réseau qui pouvait partager mes idées. Nous avons également écrit au cabinet de Mme Martine Aubry pour dénoncer le processus électoral en cours, qui n’était pas – nous le contestons d’ailleurs toujours – un processus mutualiste ; il était imaginé pour donner les clefs de la maison le plus rapidement à une force syndicale, mais quelque peu politique également, avec laquelle un accord avait été passé au préalable.

La mise sous tutelle ne fut pas obtenue. Je le regrette, car c’était le seul moyen de tranquilliser les salariés, de redonner un signe fort à nos adhérents, de nettoyer la maison et les filiales et de connaître, grâce à un administrateur provisoire, les dessous de la MNEF et de ses filiales.

Ce qui se passe actuellement continue de me donner raison sur la poursuite du système. A l’instar de ce qui s’est passé il y a vingt ans quand une équipe de syndicalistes avait pris le contrôle de la mutuelle, aujourd’hui, une équipe de syndicalistes finissants, a pris le contrôle d’une mutuelle pour entamer une carrière mutualiste. Je le regrette vraiment pour la MNEF et pour l’idéal mutualiste. Ce n’est pas ce que nous voulions. Je regrette tout autant – vous pouvez l’imaginer facilement – d’avoir été abusé par un directeur général que je ne qualifierai donc pas d’honnête et d’avoir découvert certains faits. La justice fera son œuvre. Mais ce qui m’inquiète c’est le devenir de cette Mutuelle Nationale des Étudiants de France, pour laquelle j’ai investi beaucoup de mes années universitaires. J’espère que nous arriverons à faire quelque chose dans un proche avenir, car nous continuerons à nous battre avec les moyens dont nous disposons, c’est-à-dire plus beaucoup, contre la nouvelle direction.

Voilà ce que je puis dire de la MNEF, de mon parcours militant, de mes prises de position. J’ai amené des documents que je laisserai à votre disposition et qui étayent mes propos.

Pour finir sur la mutualité étudiante, avec mes amis élus, nous nous interrogeons, comme le fait la Cour des comptes, sur l’existence d’un système concurrentiel entre les mutuelles d’étudiants, alors que l’affiliation est obligatoire. Je me pose des questions sur la MNEF, qui compte 800 000 affiliés, mais seulement 180 000 adhérents, et sur la démutualisation des étudiants. Les efforts sont insuffisants, en direction des étudiants et de la jeunesse en général, car, de mon point de vue, le problème ne se porte plus aujourd’hui sur les seuls étudiants, catégorie plutôt privilégiée qui, en général, se soigne bien, mais sur la jeunesse. Si l’on considère la mise en place de la CMU qui, peut-être, pourra profiter à des étudiants dont le revenu sera inférieur à moins de 3 500 francs s’ils ne sont pas rattachés fiscalement au foyer parental, j’observe que la mutualité étudiante et la MNEF prennent une position très conservatrice, demandant que les étudiants ne soient pas inclus dans la CMU, refusant ainsi toutes améliorations par volonté de conserver leur chasse gardée. C’est une gestion qui deviendra inégalitaire si n’émanent pas du milieu étudiant des propositions de réforme. Aujourd’hui, il n’y en a aucune. La nouvelle direction de la MNEF préconise d’augmenter à nouveau le montant des remises de gestion. Voilà quelque chose d’assez étonnant.

Notre critique continuera à s’exprimer par des textes et par la parole, par les actions juridiques que nous pourrons mener pour dénoncer la mainmise sur une mutuelle nationale des étudiants.

M. le Président : Je vous remercie de vos propos introductifs qui ont le mérite d’être clairs.

Lorsque vous étiez trésorier, il semble que la MNEF n’observait pas les règles imposées par le code de la mutualité et qu’à la clôture de l’exercice 1995-1996 le ratio de liquidité était de 0,39 au lieu de 1, en raison en particulier des apports et avances en comptes courants réalisés par la MNEF à l’UES Saint-Michel.

En qualité de trésorier, étiez-vous au courant de cette situation financière – ou était-ce réservé au directeur général – qui pouvait mettre ou qui a mis en péril les intérêts des adhérents ?

Qui décidait d’effectuer ces versements ? Y avait-il double signature des décisions du conseil d’administration ? Qu’avez-vous fait, en tant que trésorier, pour vous y opposer ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : En effet, le ratio prudentiel en 1995-1996 ne fut pas atteint, mais je précise que je suis arrivé à la fin de l’exercice.

Il m’a été donné de présenter, pour l’exercice 1996-1997, des comptes en équilibre pour la première fois, et avec des ratios respectés, puisque les réserves de liquidité atteintes depuis 1993 étaient toujours là. Nous avions même, par la cession de parts dans une filiale de la MNEF, ramené de l’argent dans les caisses. Voilà donc ce que j’ai présenté au conseil d’administration et qui m’avait, au préalable, été présenté par la présidente, par le directeur général, le directeur administratif et financier. J’avais davantage l’impression que la MNEF était dans une situation qui s’améliorait, ce qui, stricto sensu, était exact du point de vue des écritures, plutôt qu’en dégradation. Je vous rejoins totalement, en ce sens que l’amélioration aurait pu être bien meilleure, si tout l’argent avait été investi dans la mutuelle et non pas dans les filiales et la diversification, dont, je le précise, je n’ai pas été l’inspirateur ni non plus le maître d’oeuvre, car je suis arrivé au poste de trésorier alors que l’UES Saint-Michel et Raspail Participations et Développement existaient. Si, comme les salariés, j’ai été tenu au courant de la vente à Vivendi d’une partie des parts, j’ignorais totalement le nom de l’avocat qui avait servi d’intermédiaire et comme les administrateurs et le bureau national, j’avais été tenu à l’écart de tous les débats préalables.

La MNEF n’était pas dans le rouge lorsque j’étais trésorier national. Elle se présentait même sous de bons jours. J’en ai obtenu la confirmation, non pas par le directeur général, mais par le directeur administratif et financier, M. Michel Hautekiet, qui venait de la société Bata, qui était neuf pourrait-on dire, qui m’inspirait confiance et qui m’inspire toujours confiance, lequel m’a indiqué que les choses allaient mieux. Je l’ai cru. Pourquoi ne pas le croire ?

M. le Président : Qui décidait d’effectuer les versements ? Y avait-il une double signature ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : C’était la présidente qui décidait d’engager des versements – conformément aux statuts de la MNEF – mais j’ignorais tout de leur devenir quand ils allaient dans les filiales. Il m’a simplement été expliqué qu’en prenant le poste de trésorier, il fallait faire une délégation de signature au directeur général et au directeur administratif et financier, ce que j’ai fait. A partir de ce moment, je n’ai jamais signé le moindre document. La présidente proposait, ensuite cela remontait directement à la direction générale et financière. Voilà comment les choses se passaient.

M. le Président : J’ai entendu la sincérité de vos déclarations. Cela dit, trouviez-vous normal en tant que trésorier de ne rien signer ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : En effet, je me suis posé des questions. Ce qui était réservé à la signature du trésorier était le remboursement des déplacements des présidents de sections lorsqu’ils montaient à Paris. Il s’agissait de montants de l’ordre de 850 F ou 350 F. Le reste ne relevait pas de la signature du trésorier.

Pour le reste, il me fut expliqué que c’était la présidente qui était responsable et que c’était elle qui suivait les dossiers. Dès lors que l’on vous dit ça, que la commissaire aux comptes, Corinne Maillard, certifie que tout est normal, que le directeur administratif et financier vous dit la même chose, dans quelle mesure pouvez-vous être alerté ? Vous ne l’êtes pas, et je ne le fus pas au début – d’autant que personne n’a rien fait pour m’alerter !

Au surplus, lorsque la Commission de contrôle des mutuelles a étudié l’éventualité de mettre la MNEF sous tutelle, elle a considéré qu’il n’y avait pas d’irrégularités dans la gestion de la MNEF. Or, j’étais trésorier du conseil d’administration, et non trésorier des filiales, ni de l’UES Saint-Michel, ni de telle ou telle société.

M. le Président : Vous dites : " On nous dit que c’était régulier ". Qui se cache derrière ce " on " ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Il s’agit du directeur général, mais, aussi du directeur administratif et financier. Au début de l’année universitaire 1997-1998, après le congrès, j’ai même demandé à M. Hautekiet si des choses n’étaient pas claires. Il m’a assuré que non, que, peut-être, de ci, delà y avait-il quelques broutilles et qu’il y mettait bon ordre, mais que tout était, à son niveau comme à celui de la MNEF, " clean ", et que, si d’aventure, il lui était demandé de faire des choses contraires à sa morale, il refuserait de les faire. Il me l’a dit avec beaucoup de sincérité. Je l’ai cru et je crois qu’il était de bonne foi.

M. le Président : Vous présentiez le rapport annuel sur la situation financière de la mutuelle. Comment était-il préparé ? Vous demandait-on de le lire alors que vous n’y aviez pas été associé ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Le rapport était préparé par la direction administrative et financière. Il m’était ensuite soumis juste la veille du conseil d’administration et de l’assemblée générale. Je le découvrais avec le directeur administratif et financier qui m’expliquait tel ou tel point. Le lendemain, je le présentais au conseil d’administration, puis à l’assemblée.

M. le Président : On a l’impression que tout était parfaitement huilé. L’Assemblée générale entérinait des rapports qui étaient préparés par deux ou trois personnes avec le directeur général.

M. Matthieu SÉGUÉLA : Telle était la réalité. La MNEF compte cinq étages et tout venait du cinquième : les ordres, les contre ordres, les feux verts. Le directeur général était en fait " président directeur général " ! Dans la mesure où ce n’était pas possible s’agissant d’une mutuelle, il avait mis une femme lige, la présidente.

En tant qu’élu, dès lors que vous découvrez un tel système, vous êtes d’abord choqué par la non-représentativité d’un bureau national ou d’un conseil d’administration et surtout par le dysfonctionnement évident, terrain sur lequel je me suis battu.

Dans la contribution " Changer " ou dans mes propos à la presse, jusqu’à ce que nous découvrions au mois de septembre la transmission au Parquet, je n’avais pas les éléments du rapport de la Cour des comptes pour dire qu’untel avait fraudé, qu’untel avait détourné. Je ne le savais pas et si je l’avais fait, j’aurais été accusé de diffamations. J’ai écrit sur ce que je voyais et contestais.

M. le Président : Avec le recul, avez-vous des propositions à nous présenter ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Tout d’abord, il faudrait revenir à un centre unique d’affiliation au régime étudiant de sécurité sociale, ne plus le faire gérer par des mutuelles concurrentes. L’affiliation étant obligatoire en France, il n’est pas utile de mettre en concurrence des structures pour cette affiliation. Ensuite, il faudrait que les mutuelles étudiantes, aujourd’hui très dispersées, se réunifient – du moins s’unifient car elles n’ont jamais vraiment été réunies. Je pense aussi nécessaire de dépasser le strict plan des étudiants. Notre objectif vise la mutualisation et le suivi de la protection sociale de la jeunesse qui connaît des carences sanitaires plus graves que les étudiants. Dans une même famille, on trouvera une étudiante, un apprenti, un demandeur d’emploi. L’année suivante, les rôles seront inversés. La situation diffère de celle des années cinquante où un étudiant faisait ses humanités plusieurs années durant ; il était relativement aisé ou bénéficiait d’un système de bourse efficace. Nous sommes aujourd’hui dans un système qui a complètement explosé. Un étudiant à l’heure actuelle reste en moyenne deux ans à la faculté. Que fait-il avant, que fait-il après ? Qui assure sa protection sociale ? Lui-même ne le fait pas toujours. Sa demande d’indépendance étant plus grande, la famille ne s’occupe pas de sa couverture sociale ou n’y pense pas. Là sont les vrais problèmes.

M. le Président : Supposons qu’il n’y ait eu qu’une seule mutuelle : la MNEF. Cela eut-il empêché les dysfonctionnements que vous venez de nous indiquer ? A quoi étaient-ils dus ? A des structures institutionnelles inadaptées, à des manques de moyens de contrôle en amont et en aval ou s’agissait-il simplement d’un problème d’hommes ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Essentiellement c’est un problème de structures inadaptées parce que peu contrôlées. On parle beaucoup de la MNEF. On pourrait trouver dans nombre de mutuelles régionales des " petites MNEF " contrôlées par quelques hommes, qui ont été des élus étudiants, puis sont passés dans la " technostructure " de la mutuelle : des gens qui ont le temps pour eux. Lorsque l’on est étudiant, confronté à des examens, à un cursus universitaire à mener, on n’a pas beaucoup de temps à consacrer à l’animation ou à la gestion d’une mutuelle car il faut en sacrifier beaucoup. Les administratifs sont dans une position de force et c’est la même chose un peu partout. La MNEF a toujours constitué un modèle, pour les mutuelles régionales, qui se sont calquées sur cet exemple, parfois sur un mauvais exemple. Les assemblées générales d’étudiants sont volontairement rétrécies pour être contrôlées plus facilement avec un nombre d’élus qui, aujourd’hui comme demain, hier à la MNEF hélas, et dans les SMER, dira oui à tout.

Pour prendre le cas de la MNEF, celle-ci finançait l’UNEF-ID à hauteur d’un million et demi de francs, elle finançait la FAGE, c’est-à-dire les deux structures étudiantes qui auraient pu présenter des candidats et qui ne le faisaient pas. Les élections que j’ai eu à connaître à la MNEF étaient à liste unique. C’est pourquoi certains syndicats ont beau jeu aujourd’hui de dire que la mutuelle a été confisquée. Mais les syndicalistes étudiants n’ont jamais été animés de la volonté de s’investir et lorsqu’ils se sont investis, il faut voir de quelle façon ! On sait que les mutuelles sont la tirelire du monde étudiant. C’est ce qui permet de payer les petits boulots pendant trois mois, lors de la campagne de rentrée. Lors des campagnes de rentrée, lorsque les étudiants voient les stands de la MNEF ou de la SMEREP et assistent à une bataille de marchands du temple dans l’université pour ramener l’affilié, ils peuvent légitimement se demander où est la santé ? Elle a disparu. Je pense nécessaire de normaliser tout cela et surtout d’enclencher une grande réflexion sur le thème de la jeunesse, des structures qui la protègent et la soignent. Il faut dépasser le cadre des étudiants. J’espère que des initiatives seront engagées en ce sens. Du malheur de l’affaire MNEF peut sortir une réforme positive. Il n’en reste pas moins que je suis inquiet de constater les positions très conservatrices des dirigeants actuels de la MNEF. Le mal-être des étudiants existe, mais il faut arrêter de monter en épingle des cas de tuberculose, qui certes ont existé dans les cités universitaires, mais en très petit nombre. Les étudiants sont en bonne santé mais ils n’ont pas conscience de l’organisation de leur protection sociale. Pire ! Ils n’ont pas conscience de ce qu’est une mutuelle.

Les réformes statutaires figurant dans la motion " Changer ", que nous avons présentées, n’ont pas été adoptées par les nouveaux dirigeants de la MNEF et l’on peut craindre que tout recommence dans l’opacité.

En effet, quelle fut la première mesure prise par le nouveau conseil d’administration de la MNEF ? Une modification des statuts, pour empêcher désormais les présidents de section d’assister, même sans droit de vote, au conseil d’administration. Une telle mesure participe-t-elle de la transparence ? Certainement pas ! De la publicité des débats ? Certainement pas !

Le conseil d’administration compte dix-huit membres issus de l’UNEF-ID. En fait, un membre fait partie de l’UNEF, mais, dans la mesure où une réunification est en cours, un seul syndicat tient aujourd’hui la MNEF. Ce n’est plus la MNEF, mais la MNEF-ID. Cela nous inquiète, car le profil des dirigeants actuels de la MNEF est le même que celui d’il y a vingt ans.

Durant la première partie de mon audition, j’ai pris connaissance d’une nouvelle qui m’a réjouit. Nous avions entamé une procédure devant les tribunaux pour contester l’organisation des élections. Nous avons gagné devant le Tribunal de grande instance de Paris. La MNEF fera sans nul doute appel. Nous contestions un découpage électoral inique. Dans une mutuelle, il y a plusieurs assemblées générales locales pour voter. Lorsque la mutuelle n’est pas trop grande, on se réunit dans une salle. Quand elle est grande, le vote se fait par correspondance. En l’occurrence, le directeur général sortant, en accord avec le président de l’UNEF-ID, M. Pouria Amirshahi, avait imposé une réforme statutaire prévoyant une seule circonscription nationale de vote, une seule assemblée générale nationale pour que les étudiants votent une seule fois sur une seule liste, décidée par un bureau national. Le code de la mutualité imposant plusieurs sections de vote dans une mutuelle, il a été créé une seconde section de vote : celle des étudiants résidant à l’étranger, soit 1 253 étudiants, contre 180 000 étudiants résidant en France ! Voilà un découpage qui est passé, que le ministère a validé, lâchement, alors que nous avions écrit au cabinet de Mme Martine Aubry pour dénoncer le scandale en indiquant que, si une telle modification était validée, nous attaquerions devant les tribunaux, parce que l’esprit et la lettre du code de la mutualité étaient bafoués. C’est ce qu’a reconnu le tribunal. C’est grâce à ce découpage qu’un syndicat a pu prendre le contrôle d’une mutuelle. Cela a échoué temporairement. Si la nouvelle est confirmée, nous demanderons publiquement, dès ce soir, la mise sous tutelle de la MNEF, car il y a, depuis octobre dernier, une carence des autorités de tutelle et de la Commission de contrôle des mutuelles, qui n’a pas voulu nommer un administrateur provisoire. Tous les cadres de la MNEF sont restés, tous ceux dont le nom est cité dans les journaux sont restés à la MNEF ! Pire encore, une assemblée générale s’est réunie il y a deux semaines avec la nouvelle direction et le nouveau bureau national a proposé que soit réélue Mme Corinne Maillard commissaire aux comptes pour les six prochaines années ! Elle a été réélue. Je vous rappelle que Mme Corinne Maillard est commissaire aux comptes personnel de M. Olivier Spithakis et qu’elle est l’épouse de l’un des dirigeants historiques de la mutuelle. Le système continue

M. le Président : Le directeur n’est plus le même.

M. Matthieu SÉGUÉLA : Certes, mais ses cadres, ses hommes et ses méthodes sont restés. Voilà ce que nous dénonçons.

M. le Rapporteur : Je reviens sur les conditions qui vous ont vu accéder aux responsabilités de trésorier.

Le remplacement de M. Laurent Dornic par vous-même était-il lié à d’autres fonctions qu’il pouvait exercer dans d’autres structures ou est-il parti pour des raisons personnelles ? Disposez-vous d’éléments à ce sujet ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Il est, en apparence, parti pour des raisons personnelles. J’ai découvert ensuite qu’il occupait d’autres fonctions dans des mutuelles jumelles, notamment qu’il était trésorier de la MISEC, la mutuelle interprofessionnelle de Sud-Est et de Corse, qui, à l’époque où je suis devenu trésorier, fut mise en liquidation judiciaire. J’avance une interprétation : M. Olivier Spithakis a dû craindre que le trésorier de la MISEC ne soit mis en examen et qu’un lien soit fait avec ses fonctions de trésorier de la MNEF. M. Laurent Dornic est resté toutefois administrateur de la MNEF jusqu’au mois d’avril 1999 et a continué à percevoir la même indemnité. Il est au total resté administrateur huit ans.

Telle est aujourd’hui mon interprétation de sa démission subite. La MISEC était plus un satellite personnel de M. Spithakis mais ne concernait pas directement la MNEF.

M. le Rapporteur : Vous avez fait allusion au fait que vous étiez le seul à ne pas être issu des étudiants du sud de la Loire.

M. Matthieu SÉGUÉLA : J’aurais dû être plus précis. Je suis originaire de Montpellier mais quand j’ai été administrateur de la MNEF et membre du bureau, j’habitais Paris à la différence de tous les autres. Le directeur général est originaire de Nice et s’est installé ensuite à Marseille ; la vice-présidente, Sylvie Andrieux, est originaire de Marseille, la présidente Marie-Dominique Linale est une Corse de Marseille, et Laurence Pedinielli, la trésorière adjointe est toulonnaise. Aucun n’habite Paris, à l’exception du secrétaire général Eric Martinez qui a déménagé parce que, entre-temps, il a pris la direction à Paris d’une clinique de la Fondation santé des étudiants de France, organisme indépendant, mais où la MNEF comptait une représentation assez nombreuse. Olivier Spithakis s’est arrangé pour en prendre le contrôle, puisqu’il a été président de la FSEF. Aujourd’hui, il n’en est que vice-président en attendant de laisser passer l’orage. C’est du reste une structure très intéressante, puisque l’on y retrouve beaucoup de personnes qui sont encore à la MNEF. On retrouve même l’actuel délégué général de la MNEF, un étudiant, David Rousset, qui se retrouve membre du conseil d’administration de la FSEF. Autant d’éléments assez troublants.

M. le Rapporteur : Les statuts de la MNEF font allusion à plusieurs structures : l’association les amis de la MNEF que vous avez évoquée et aussi un comité consultatif. En tant que membre du conseil d’administration, avez-vous eu affaire à ce comité ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : J’ai rencontré une fois quatre ou cinq membres de ce comité consultatif, parmi lesquelles une ancienne sénatrice qui était présidente du comité, et Charles Leberre, un " grand ancien " de la mutualité étudiante. Je ne connaissais pas les autres membres. Mais il est certain que cela faisait partie du domaine réservé du directeur général et de l’ancien président, Dominique Lévêque, qui était en quelque sorte resté un président bis. Il a été président pendant sept ans, puis est devenu attaché de direction à la MNEF. C’était lui qui continuait à occuper le bureau de la présidente alors que cette dernière se contentait d’un petit bureau lorsqu’elle venait à Paris.

On a parlé de ce comité comme étant l’un des relais politique, médiatique, économique de M. Spithakis, toujours animé d’une volonté de s’entourer au maximum de personnes influentes.

Autre élément qui démontre le peu de pouvoir des élus : lors des rendez-vous que M. Spithakis a pu avoir avec des ministres ou des élus importants – je me souviens de M. Guy Drut, de M. Charles Millon, de M. François Bayrou, de M. Claude Allègre – il s’y rendait toujours seul. Pour au moins deux rendez-vous, il a refusé que je l’accompagne, me répondant que cela ne me concernait pas et qu’il allait parler avec ces personnes de tout autre chose que de la mutuelle alors qu’il allait les voir sous sa casquette mutualiste. Il a rencontré M. Guy Drut au moment où la MNEF devait rentrer dans Carte Jeunes SA. Il n’y avait jamais aucun élu étudiant. Beaucoup de personnes ont fini par croire qu’Olivier Spithakis était président de la MNEF, et certains articles de presse ont entretenu cette confusion.

M. le Rapporteur : Vous avez expliqué que la MNEF finançait les syndicats étudiants. Le rapport de la Cour des comptes fait en effet allusion à une subvention annuelle de l’ordre du million de francs en faveur de l’UNEF-ID. En revanche, le rapport ne fait référence ni à la FAGE ni à l’UNI que vous avez évoquées.

En tant que trésorier de la MNEF pouvez-vous expliciter les modalités de financement du syndicalisme étudiant au travers des mutuelles ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : J’ai appris par la presse qu’un président de la FAGE avait été rémunéré, mais cela se situait dans les années 1994-1995 et je n’ai donc pu en être directement témoin.

Les financements des structures syndicales que j’ai pu constater étaient ceux destinés à l’UNEF-ID. Localement, je savais que les agences de la MNEF finançaient des guides étudiants et c’est à ce titre que la FAGE a été financée, localement et non nationalement. Pourquoi pas nationalement ? Parce qu’une représentante permanente de l’UNEF-ID appartenait au conseil d’administration et que l’UNEF-ID n’aurait pas accepté de voir passer une subvention pour son concurrent direct. Cela peut expliquer que le directeur général soit passé en 1994 par une société intermédiaire, de manière, semble-t-il, illicite – en tout cas, l’affaire est entre les mains de la justice. Sinon, cela se passait sous forme d’apports publicitaires. Il ne s’agissait pas de subventions de fonctionnement que seule l’UNEF-ID recevait.

Lorsque la MNEF a commencé à être en crise, parce que les adhérents faisaient moins confiance à la mutuelle et qu’ils s’en détachaient, lors du conseil d’administration d’octobre 1998, le nouveau directeur général par intérim, M. Jacques Delpy, a annoncé que toutes les subventions aux associations étaient supprimées – sage précaution pour remettre le navire à flots – à l’exception de celle versée à l’UNEF-ID et grâce à laquelle ce syndicat a pu partir en campagne pour les élections de la MNEF. Voyez le côté amoral des choses ! La MNEF finance l’UNEF-ID qui se présente aux élections de la MNEF et remporte les élections comme par hasard.

M. le Rapporteur : D’autres associations sont-elles financées par la MNEF de façon régulière ? Avez-vous eu connaissance de subventions diligentées par la mutuelle ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Oui, lorsque les décisions passaient en conseil d’administration ou en bureau national. Dans les procès-verbaux des réunions de bureaux nationaux apparaissent des structures, telle la fédération des maisons des potes, l’alliance des étudiants francophones, la maison des jeunes et de la santé, la MJS, qui gérait les centres de santé. C’était ce type d’associations qui était financé par la mutuelle sans que cela ne soit apparemment contestable ni répréhensible. Une mutuelle a droit d’accorder des subventions à des structures qui en formulent la demande.

M. le Rapporteur : Au sujet des élections, nous avons eu connaissance, dans le cadre de la commission d’enquête, des différents procès-verbaux de la commission de contrôle électorale, des différents relevés d’huissier qui, semble-t-il, n’attestent d’aucune irrégularité, du moins sur ce qui a fait l’objet de leur contrôle. Une question reste néanmoins sans réponse, elle a trait à ce qu’il est advenu des retours à "l’envoyeur". Des problèmes de cet ordre ont-ils pu se produire, selon vous, au cours du dernier processus électoral, puisque vous étiez très largement impliqué dans l’une des listes ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Je n’étais pas impliqué dans une des listes. Lorsque les trois listes ont été déposées, la presse a écrit que Matthieu Séguéla se cachait derrière l’une d’elles, dans la mesure où le président de la section de Lyon, qui, à ce moment, avait été à mes côtés pendant six mois avait signé avec quatorze autres présidents et moi-même la demande de mise sous tutelle.

Puisque nous contestions ce processus d’élection devant les tribunaux, je n’ai jamais joué double jeu, à la fois contestant les élections devant les tribunaux pour les faire annuler et partant tout de même à la bataille ! Nous ne voulions pas donner une caution démocratique à des élections qui ne l’étaient pas. Aucun moyen démocratique n’était donné aux listes concurrentes, excepté à deux, dont l’UNEF-ID, de pouvoir consulter le fichier des adhérents, d’utiliser les moyens de la mutuelle. Nous avons quitté la commission de contrôle électorale au mois de janvier pour dénoncer le manque de transparence.

Il est vrai que ce président, qui a été proche de mon action, a mené une liste, et nous avons ensuite appris qu’elle avait été montée de A à Z par l’UNEF-ID qui avait ainsi organisé sa propre concurrence. Cette liste, qui s’appelait " SOS remboursement " a eu de bons résultats. " SOS " est une bonne appellation quand on connaît l’origine de la plupart des personnes de l’UNEF-ID. On peut dire que c’est un bon coup joué, puisque la liste a récupéré des voix et que, dès la première assemblée générale, on a vu cette liste fusionner avec l’UNEF-ID et élire un conseil d’administration. Mathieu Lapprand, pour lequel j’avais autrefois de l’estime, déclarait à la télévision : " Nous ne sommes pas là pour prendre des responsabilités, mais pour être l’aiguillon des étudiants, pour exprimer ce qui ne va pas et pas pour manger dans la gamelle ". Or, on le retrouve aujourd’hui administrateur – indemnisé je crois – de la mutuelle. Des promesses ont dû lui être faites, qui, apparemment, ont été tenues et on se retrouve avec un conseil d’administration à 100 % UNEF-ID. Tel est le problème, demain, pour la représentativité de la MNEF vis-à-vis de l’ensemble des étudiants.

J’ai appris dernièrement que, à Limoges, la FIDEL, fédération indépendante lycéenne démocratique avait été installée dans les locaux de la MNEF. Si la MNEF devient le bastion de l’UNEF-ID et finance ce syndicat; si l’UNEF et l’UNEF-ID fusionnent et si la FIDEL, mouvement lycéen, est financé par la MNEF, où est donc le pluralisme ? Où est le moyen demain pour des étudiants mutualistes adhérant à la MNEF de présenter une liste pour être, eux aussi, acteurs de leur mutuelle ? Ils ne peuvent pas. Nous avons dénoncé les élections devant les tribunaux, car la circonscription nationale imposait à un étudiant de Carcassonne, par exemple, désirant se présenter aux élections organisées dans sa mutuelle de réunir 65 noms d’étudiants répartis dans 22 académies. Croyez-vous qu’un étudiant mutualiste dispose des moyens nécessaires s’il n’appartient pas à une structure nationale ? Et on s’étonne que nous ayons contesté ces élections parce qu’elles avaient un caractère amoral et antidémocratique ! Or, les tribunaux semblent nous donner raison. D’après ce que nous savons, l’appel, que va faire la MNEF, n’est pas suspensif. Nous nous trouvons avec des élections annulées et la suspension de l’actuel bureau et du nouveau conseil d’administration issus des élections. Retour donc à la case départ, c’est-à-dire à l’ancienne assemblée générale nationale, où 70 % des délégués sont des proches de l’ancien directeur général, Olivier Spithakis. On se retrouve dans une situation assez ubuesque, que nous avons souhaitée, afin d’obtenir la mise sous tutelle de la mutuelle. J’espère que, en sortant de cette salle, j’en saurai un peu plus et que je pourrai mettre tout cela en œuvre. Il est très important de faire la lumière, car je ne me suis pas battu comme je me suis battu et je n’ai pas pris des coups pour voir le même système recommencer ! J’ai une carrière universitaire à poursuivre, je vais bientôt partir dans une université à l’étranger, parce que je suis boursier d’un gouvernement sur critères universitaires. Pour conclure sur la MNEF, sans doute n’ai-je pas été suffisamment vigilant lorsque j’ai accepté ce poste de trésorier. Cela étant, dans le cadre de mes fonctions à ce poste durant un an et demi, j’ai fait et dit un certain nombre de choses pour combattre et abattre un système. Croyez-moi, les pressions ont été fortes, elles n’ont pas été que morales. Je suis allé jusqu’au bout.

M. le Président : Que voulez-vous dire ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Il m’a été expliqué de manière sous-entendue qu’il fallait que je fasse attention à moi.

M. le Président : Par qui ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Cela me gêne de vous le dire.

M. le Président : Vous avez prêté serment.

M. Matthieu SÉGUÉLA : M. David Rousset, aujourd’hui délégué général, m’a menacé physiquement si je venais à demander la mise sous tutelle de la MNEF. C’était le 2 juillet alors que je venais d’être évincé du bureau national.

M. le Président : Je reviens aux mandats que les administrateurs pouvaient avoir dans des filiales ou des entreprises partenaires de la MNEF. Etait-ce votre cas ? Y avait-il plusieurs administrateurs dans d’autres filiales de la MNEF ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Sans doute. Je n’ai pas de preuves précises sur les personnes qui auraient pu avoir une double ou une triple casquette dans telle ou telle filiale.

Dans le texte de la contribution " Changer ", nous indiquons que les administrateurs ne doivent recevoir qu’une seule indemnité, ne doivent pas être intéressés financièrement à d’autres résultats. Voilà ce que nous écrivions sans citer de noms, car nous n’avions pas de preuves. Il est toutefois certain que des administrateurs ou anciens administrateurs ont cumulé plusieurs fonctions. Cela me semble assez évident. Etait-ce licite ou ne l’était-ce pas ? La justice le dira. Pour autant, quand on voit que M. Eric Martinez, secrétaire général de la MNEF, était également secrétaire général de l’OTU, qu’il fut un temps secrétaire général de la FSEF, puis ensuite délégué général de cette même structure pour pouvoir ensuite accéder aux fonctions de directeur d’une clinique de la FSEF – je crois qu’il existe encore d’autres structures où il était représentant de la MNEF comme la MIJ (Mutuelle Inter Jeunes) – on ne peut que se poser des questions.

En ce qui me concerne, je n’ai été représentant dans aucune des filiales économiques de la MNEF. Par exemple, je n’ai jamais été mandaté par le bureau national pour être représentant dans l’Immo Campus, dans l’UES Saint Michel, dans Raspail Participations et Développement, etc. Je n’ai jamais reçu de rémunération complémentaire à celle de la MNEF venant de toute autre structure. J’ai été clair sur le sujet. Je ne bénéficiais pas non plus d’avantages en nature : je ne bénéficiais pas de voiture de fonction. Il m’a semblé découvrir que le secrétaire général avait une voiture de service qu’il utilisait comme voiture de fonction. Je ne l’ai découvert qu’à la fin. Comment ? Par des indiscrétions de secrétaires ou de personnes qui vous disent les choses non explicitement. Tout comme j’ai appris que le directeur général occupait un appartement destiné aux élus étudiants. Moi, je payais mon loyer, je n’occupais pas cet appartement qui aurait dû pourtant accueillir les membres du bureau national. Ce sont des faits que j’ai découverts a posteriori ou pendant, mais vers la fin de mon mandat.

M. André ANGOT : Je tiens tout d’abord, monsieur, à vous féliciter du langage clair que vous tenez, car, depuis que nous avons entamé nos auditions, c’est la première fois qu’une personne ne pratique pas la langue de bois. Je vous en remercie donc, car nous avons appris beaucoup de choses.

La presse s’est fait écho de la bagarre que se livraient les différentes mutuelles sur les campus pour attirer les adhérents. En particulier, la presse a évoqué le cas d’étudiants qui tiennent les stands sur les campus. Ils sont sélectionnés par les syndicats étudiants, sont rémunérés en espèces, ne sont pas déclarés, ni ne paient de cotisations sociales. Le trésorier que vous étiez était-il au courant de ces pratiques ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Le problème du financement des conseillers mutualistes étudiants s’est posé à une époque, puisque l’année où j’ai pris mes fonctions de trésorier, la MNEF a eu un redressement de l’URSSAF, parce que les sommes versées aux étudiants conseillers mutualistes n’étaient pas déclarées, en tout cas comme salaires. Un million de francs a été versé aux URSSAF et les choses sont claires depuis cette époque, c’est-à-dire que tout étudiant conseiller mutualiste reçoit une fiche de paye.

M. le Rapporteur : Lorsque vous étiez trésorier de la MNEF perceviez-vous une indemnité ? Si oui, à combien s’élevait-elle ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : J’ai perçu une indemnité de 6 000 F la première année, de 10 200 F la seconde année, 10 200 F étant le plafond. C’est ce que percevaient les membres du bureau national et quelques administrateurs choisis en fonction de leur provenance, notamment les représentants de l’UNEF-ID comme Mlle Capucine Edoux qui, simple administratrice, touchait 10 200 F.

Ces indemnités, qui ont fait couler beaucoup d’encre en même temps qu’elles furent dénoncées par certains syndicalistes moraux, ont été augmentées depuis. Le président touche aujourd’hui 12 000 F – il s’est augmenté de 2 000 F – et le délégué général, qui les avait dénoncées, puisqu’il était aussi administrateur avant, perçoit aujourd’hui le même montant. Ce genre de discours à deux temps fait réagir.

M. le Président : Etes-vous au courant du bateau Derya, acquis, semble-t-il, par une filiale de la MNEF ? Comment aurait-il été financé ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Comment ne pas être au courant du Derya dont la photo est parue dans la presse !

Mais jusque là, je ne savais pas que ce bateau existait, d’autant moins qu’il avait déjà coulé lorsque que je suis devenu trésorier. Mais, eût-il encore été à flot à ce moment-là, jamais, au sein du bureau national, la présidente ou le directeur administratif et financier n’aurait dit qu’il fallait faire un apport en comptes courants pour que le bateau puisse sortir du port ou pour rénover la coque. On avait eu recours à des filiales pour l’acheter et je crois que c’était là un des intérêts présentés par les filiales. Elles échappaient à tout contrôle. L’IGAS comme la Cour des comptes ne pouvaient pas les contrôler, parce qu’il s’agit de sociétés commerciales. L’aspect gênant tient au fait que les filiales n’étaient pas gérées du point de vue mutualiste, mais capitalistique, avec des personnes qui, apparemment, en profitaient.

M. le Président : Qui utilisait le bateau ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Je l’ignore.

M. Hubert GRIMAUD : Je vous félicite pour la clarté de vos déclarations.

N’avez-vous jamais signé de chèques ? Il y avait des engagements au niveau des indemnités, des dépenses, du financement de tel ou tel organisme, étudiant ou pas. Les délégations de signatures étaient-elles à l’exclusivité du président ? A aucun moment avez-vous eu à en connaître ? Vous teniez quand même les comptes en tant que trésorier. Déteniez-vous la signature ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : Dès le deuxième jour de ma prise de fonction, il me fut amené le livre des délégations de signature au profit du directeur général et du directeur financier. Les statuts et le règlement intérieur de la MNEF prévoyaient cette délégation.

Chaque mois, je me souviens avoir signé un document récapitulatif des indemnités versées aux administrateurs, qui nécessitaient l’apposition de la signature du trésorier national. Je signais également des documents de remboursement à des élus locaux toujours sur justificatifs. Cela pour la première année, puisque, la seconde, le peu de pouvoir que j’avais sur le réseau des élus me fut enlevé. Je n’avais même plus le droit de réaliser les remboursements aux élus locaux, car cela maintenait, soit disant, un lien entre eux et moi, et que c’était ainsi que je recrutais des élus de ma tendance.

De mémoire, je n’ai signé aucun chèque en l’espace de dix-huit mois.

M. Hubert GRIMAUD : Le commissaire aux comptes n’a-t-il jamais formulé de remarques à ce sujet ?

M. le Président : J’ai l’impression que c’est ainsi dans l’ensemble du système mutualiste. Ce ne sont pas les trésoriers qui signent les chèques.

M. Matthieu SÉGUÉLA : Ce sont effectivement les directeurs administratifs et financiers ou les directeurs généraux qui signent. Les élus, même les membres de bureaux nationaux, ne sont pas tout le temps au siège. C’est pourquoi ils avaient donné délégation pour qu’il puisse être procédé à la paye des salariés par exemple.

Lorsque j’ai demandé à retirer mes délégations de signatures, la première fois, il m’a été répondu négativement, car cela aurait créé des difficultés vis-à-vis des banques qui se seraient demandé pourquoi, soudain, le trésorier retirait sa confiance au directeur général ou au directeur administratif et financier. Je ne l’ai donc pas fait cette fois-là, mais par courrier recommandé du 27 juin à la présidente, j’ai indiqué que je retirais mes délégations de signature au directeur général, qui de plus avait démissionné. J’ai été " putché " le 2 juillet.

La présidente et le secrétaire général avaient dû donner les mêmes délégations.

M. le Rapporteur : Des personnes sont parties de la MNEF. Connaissez-vous les raisons des licenciements ? Avez-vous participé aux négociations sur le montant de leurs indemnités de licenciement ?

M. Matthieu SÉGUÉLA : A aucun moment. La gestion du personnel était réservée au directeur général et au directeur des ressources humaines. J’ai fini par connaître le montant du salaire du directeur général de la MNEF, mais ce n’était pas donné à titre d’information au trésorier que j’étais. Lorsque l’on posait la question à la présidente, elle vous renvoyait au directeur général, lui-même renvoyant sur la présidente ou le secrétaire général. Je n’étais pas associé à cela. J’ai appris par la presse que certaines personnes étaient salariées, comme M. Jean-Michel Grosz, ancien président de la MNEF. Ce n’était pas mon domaine. J’étais au premier étage, je ne voyais pas tout le monde. Je ne savais pas toujours qui était qui ou qui pouvait être payé.

Lorsque la Cour des comptes était présente dans nos murs et que j’ai demandé à avoir connaissance de ses questionnaires, il m’a été répondu qu’ils étaient adressés au directeur général et à la présidente, qui, bien sûr, ne me les faisaient pas lire. Je n’ai pas non plus pu avoir accès aux réponses. A un moment, j’ai insisté. On a décidé de me faire signer un seul cahier de réponses, parce que j’étais trésorier et que cela concernait le directeur général. Je possède, sur une quarantaine, une seule réponse au questionnaire de la Cour des comptes et comme la confiance était grande entre nous, toutes les pages ont été griffonnées, pour que je ne puisse pas en faire des photocopies et les livrer à la presse. C’était en décembre 1997. Vous imaginez le climat !

Dans les réponses, on découvre des chiffres, mais aucun nom, ni les conditions de départ ou de rémunération d’untel ou d’untel.

Ce n’était pas un document de ce type qui pouvait m’alerter. Mon alerte et mon combat étaient davantage d’ordre politique ; il n’était pas économique ou suspicieux a priori.

M. le Président : Je vous remercie de ces explications fructueuses pour la commission.

Audition de M. Jean-Luc WARSMANN,
ancien directeur de la MGEL, député des Ardennes

(procès-verbal de la séance du 18 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M.  Warsmann est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Warsmann prête serment.

M. Jean-Luc WARSMANN : Vous avez souhaité que je vienne devant la commission au titre des fonctions de directeur de la MGEL que j’ai exercées jusqu’en mars 1996, mais tout d’abord, quelques mots pour présenter la MGEL. Lorsque la loi sur la sécurité sociale étudiante a été votée en 1948, deux mutuelles ont été créées en France, la MNEF et la mutuelle générale des étudiants de Lorraine (MGEL). En dépit de quelques velléités d’organisation régionale, le paysage a été pendant quelques décennies celui d’un monopole de la MNEF partout en France, sauf en Lorraine, à Nancy, où la MGEL était la seule mutuelle, jouant à la fois le rôle de section de sécurité sociale et de mutuelle complémentaire.

Les années 70 ont vu la situation évoluer avec la création de huit mutuelles étudiantes régionales, qui ont été agréées chacune dans sa région. La mutuelle générale des étudiants de Lorraine, pour sa part, est devenue la mutuelle générale des étudiants de l’Est et s’est étendue sur les régions Alsace Lorraine et Champagne-Ardenne. Aujourd’hui, chaque étudiant, lorsqu’il s’inscrit, peut choisir entre la MNEF ou une mutuelle régionale.

J’interviendrai sur deux thèmes, celui de la diversité des services qui peuvent être offerts par les mutuelles étudiantes aux étudiants et celui du niveau des remises de gestion.

Le problème de la diversité des services est un sujet important. Il est d’ailleurs l’une des clés d’explication du succès de la MGEL, qui est la mutuelle régionale la plus implantée de France, puisque sept à huit étudiants sur dix y sont affiliés dans sa zone. Comment une mutuelle complémentaire, qui a un rôle de sécurité sociale et de mutuelle, peut-elle être amenée à mettre en place des services qui ne relèvent pas strictement du secteur de l’assurance maladie ?

Je vous citerai deux ou trois exemples que j’ai pu connaître dans les fonctions que j’ai occupées.

Le premier est celui du logement. En début d’année universitaire, il existe une forte demande étudiante. Un organisme public, le CROUS, qui gère les résidences universitaires, est chargé d’y répondre. Dans les années 80, années pendant lesquelles le nombre d’étudiants augmentait, il existait une forte tension sur ce marché du logement étudiant. Nous avons alors vu se développer ce que l’on appelle les boîtes à fichiers. Je ne veux jeter l’opprobre sur aucun métier mais, dans cette profession, vous avez des personnes qui profitent de la détresse de l’étudiant pour lui faire payer une cotisation de 300, 400 ou 500 francs qui lui donne accès à un fichier de logements. Lorsqu’on n’a pas beaucoup de principes et de déontologie, ce fichier provient des journaux de petites annonces.

Je me souviens très bien de la fureur des administrateurs de ma mutuelle, face à ce phénomène que l’on croyait exclusivement parisien. La motivation de la mutuelle a été de contrer le développement de ce type de services en proposant elle-même gratuitement un fichier de logements disponibles à la location à tous les étudiants de la mutuelle. Pour répondre à ce besoin et empêcher qu’il soit exploité de manière commerciale, l’idée initiale avait donc été de dire qu’il fallait occuper le terrain et rendre service.

Puis, en ces années de très forte croissance du monde étudiant, le besoin de résidences étudiantes et de construction de résidences étudiantes est apparu de façon criante. Mais il ne s’agissait pas de construire n’importe quoi, il fallait respecter un bon rapport qualité-prix. La MGEL a été contactée par des sociétés HLM pour assurer la gestion de résidences étudiantes. Les HLM avaient avec la mutuelle un interlocuteur unique auquel elle pouvait louer l’ensemble de la résidence sans avoir à connaître les problèmes d’impayés ou de remplissage, que la mutuelle assumerait. La société HLM avait ainsi la certitude d’avoir un revenu mensuel garanti par la solidité de la mutuelle, celle-ci de son côté pesait de tout son poids pour essayer d’obtenir des résidences de qualité. Mais à ce stade se posait déjà un problème de compétence. Le personnel d’une mutuelle est composé essentiellement de liquidateurs, qui connaissent la législation de la sécurité sociale, sont capables de traiter les feuilles de soins mais qui ne peuvent pas véritablement conseiller les étudiants qui rencontrent des problèmes juridiques pour trouver un logement, et encore moins gérer les résidences étudiantes. Cette gestion est d’autant moins facile qu’il s’agit d’une profession réglementée. Pour gérer une résidence, il faut être agent immobilier, posséder une carte professionnelle, avoir un cadre qui soit à la tête de cela, doté de compétences professionnelles appropriées.

A partir d’une simple réaction conduisant à la mise en place de fichiers, la MGEL a été amenée à mettre en place une structure filialisée, MGEL-logement, qui a la carte d’agent immobilier et gère quelques résidences étudiantes.

Le deuxième exemple est celui de l’assurance avec le problème de l’assurance auto des étudiants qui n’est pas un bon risque. Sur dix jeunes, huit sont et seront de très bons conducteurs, que toutes les compagnies veulent avoir, et deux sont de mauvais conducteurs. Une fois que les étudiants ont été assurés pendant deux ans, les mauvais conducteurs sont, hélas, déjà repérés avec un malus, tout comme les bons conducteurs. Les assureurs se battent alors pour les avoir, mais pour essuyer les plâtres et assurer au départ tous les étudiants à des tarifs intéressants, vous ne trouverez personne. Le problème existe encore aujourd’hui avec les surprimes pour les jeunes conducteurs, il se posait de manière aiguë dans les années 80.

Le hasard a voulu que, dans les garanties de certaines mutuelles régionales, une prestation d’assistance était offerte par une société qui s’appelle France secours international, FSI, qui faisait partie d’une société anglaise, Prudential. C’est ainsi que les mutuelles régionales ont commencé à essayer de négocier auprès de compagnies des tarifs d’assurance auto intéressants. Il a été difficile de trouver une compagnie française, ce fut la Lilloise d’Assurances. Pour vous donner un ordre d’idée, le tarif proposé était de deux à trois fois inférieur au tarif moyen du marché. Une dizaine d’années après, pratiquement toutes les compagnies ont commencé à mettre en place des tarifications destinées aux jeunes et aux étudiants. L’écart qui existait au début de ces années s’est en bonne partie estompé.

Cet exemple montre que la mutuelle étudiante s’attache à résoudre un problème de ses adhérents et essaie de trouver une solution, même si cela ne va pas sans difficultés, toujours les mêmes, de compétences, mais aussi de réglementation. Vous n’avez pas le droit de faire un acte d’assurances si vous n’êtes pas un professionnel de l’assurance, un agent ou un courtier, il vous faut une carte et une compétence qu’une mutuelle n’a pas.

Dans les faits, la compagnie d’assurances avec laquelle les mutuelles avaient un accord mettait en place un téléphone avec un minitel dans les agences. La mutuelle ne faisait pas d’actes d’assurance, mais l’étudiant venait, tapait sur le minitel et souscrivait de cette façon. Cela marchait plus ou moins bien et posait des problèmes évidents de gestion. L’étudiant qui, ayant fait jouer la concurrence au moment de son inscription, s’était adressé à sa mutuelle pour souscrire, continuait de s’adresser à elle quand il avait à un accident. Celle-ci était incapable de lui répondre, ou de désigner un expert, et le renvoyait à des courtiers à Paris. Naturellement, quand vous tirez les prix, vous n’avez pas toujours un service impeccable, si bien qu’en toute objectivité, nous connaissions des problèmes de fonctionnement.

Puis se posait un autre problème, plus grave, celui de la pérennité du contrat. Je vous ai parlé d’une compagnie anglaise, avec laquelle nous avons travaillé deux ans, puis d’une autre compagnie, etc. Quand vous développez un contrat d’assurance, les assureurs vous expliquent au bout d’un an que le rapport sinistres/primes est désastreux et quand vous n’êtes pas courtier, vous ne savez que leur répondre. Vous dites aux étudiants de souscrire des contrats, mais vous n’avez aucune idée du nombre de sinistres et du prix que cela coûte.

Il y a des habitudes de professionnels dans le monde de l’assurance, comme, par exemple, celle de provisionner en cas de sinistre, cette provision ne sera remplacée par le coût réel que le jour où le dossier sera liquidé. Naturellement, lorsque vous allez négocier des tarifs l’année suivante, on vous dit que la situation est apocalyptique et qu’il faut augmenter les tarifs. Mais quand on n’a pas l’outil professionnel dans la négociation, on est bloqué.

A l’époque, l’un de mes grands combats avait porté sur un point qui va peut-être vous sembler de détail, mais qui est important pour les étudiants, l’assurance habitation sans franchise. C’est un bel exemple de quasi arnaque car, généralement, les étudiants logent dans des studios ou des F1 où le sinistre courant correspond à 1 000 F ou 2 000 F de dégâts. Si les contrats d’assurance sont proposés avec des franchises de 1 000 ou 2 000 F, cela veut dire que l’assureur ne rembourse généralement rien. Nous avons obtenu l’assurance habitation sans franchise avec remboursement dès le premier franc de dégâts.

Donc, ces problèmes de professionnalisation, de poids face aux compagnies et de compétence ont conduit en 1992 à la création d’une société de courtage d’assurance et à l’ouverture de bureaux dans les principales villes universitaires, loués par la société de courtage d’assurance et situés généralement à proximité immédiate de la mutuelle, où étaient proposés et gérés divers systèmes d’assurances.

Cette solution a permis de rapporter la valeur ajoutée qui était acquise auparavant par des courtiers extérieurs, de constituer des équipes de professionnels sachant gérer des contrats et une amélioration assez considérable de la qualité des services proposés car l’étudiant qui subissait un sinistre se rendait au bureau de sa ville et avait immédiatement le renseignement, la désignation d’expert, et très souvent le remboursement. C’était un énorme progrès par rapport à l’obligation de s’adresser à un courtier parisien.

Troisième exemple, le voyage. Chez nous, dans l’Est, la chute du mur de Berlin a entraîné un développement massif d’une nouvelle forme de voyage étudiant, les voyages en bus. Ce n’était pas cher, le week-end à Prague ou dans un pays de l’Est coûtait de l’ordre de 400 francs. Ce sont des milliers, des dizaines de milliers d’étudiants qui, dans les mois qui ont suivi, ont fait ces voyages à l’Est. Dans un esprit de partenariat que la mutuelle entretient avec divers organismes, des démarches ont été entreprises avec des associations spécialisées dans ce domaine. Là encore, nous sommes à la limite de la légalité parce que l’acte de vendre du voyage est une profession réglementée. Il faut être agent de voyage, avoir un personnel qui ait une certaine ancienneté et une compétence professionnelle, qui puisse être agréé dans chaque lieu où vous faites du voyage. C’est la démarche qui a conduit à la logique d’agence de voyages qui offre des garanties au consommateur.

Je vous ai donné ces trois exemples car ce sont les trois services qui ont été " filialisés " à la MGEL durant les années où j’y étais. Ce ne sont d’ailleurs pas les seuls services non complémentaire maladie qui existent, puisque la mutuelle a développé de nombreux partenariats en matière culturelle, associative, avec les commerçants dans un grand nombre de domaines.

La question que l’on peut se poser est celle de savoir si cela est bien légal. Si je me réfère à un texte qui a dû être, au moins au début des travaux de la commission, votre Bible, c’est-à-dire l’article L. 111-1 du code de la mutualité, qui fixe l’objectif des mutuelles : " Les mutuelles sont des groupements à but non lucratif qui, essentiellement au moyen de cotisations de leurs membres, se proposent de mener dans l’intérêt de ceux-ci, de leurs familles, une action de prévoyance, de solidarité et d’entraide en vue d’assurer notamment, la prévention des risques sociaux liés à la personne et la réparation de leurs conséquences ; l’encouragement à la maternité et la protection de l’enfance, de la famille, des personnes âgées ou handicapées ; le développement culturel, moral, intellectuel et physique de leurs membres et l’amélioration de leurs conditions de vie. ", j’en déduis que cela est légal et répond véritablement à une demande des étudiants. On peut d’ailleurs se demander à ce sujet si d’autres structures jouent le rôle qu’elles pourraient jouer, mais force est de constater que cela répond à une demande des étudiants. Enfin, il me semble légitime qu’une part de la cotisation mutualiste soit justifiée par la couverture d’un risque complémentaire maladie, risque qui se calcule très bien parce que l’on sait pour chaque garantie choisie combien ont été remboursés de francs de prestation, mais aussi qu’une partie de cette cotisation serve au développement de ces services.

Se pose le problème de la forme, notamment celle de la constitution de filiales. J’ai expliqué pourquoi, à chaque fois, nous en étions arrivés à la constitution d’une filiale : pour des raisons d’efficacité, pour des raisons de légalité et pour satisfaire les obligations contenues dans les directives européennes qui allaient imposer aux mutuelles de se concentrer sur l’activité complémentaire maladie. Beaucoup de nos collègues des mutuelles interprofessionnelles voyaient là une menace pour tous leurs centres sociaux et nous estimions condamnés tous ces services qui n’avaient pas leur place dans une telle conception.

C’est ce cheminement qui nous a amenés à filialiser. Le fait de créer des filiales présente des avantages certains. En termes de gestion, j’en voyais un certain nombre. Le premier est que cela vous évite d’avoir des danseuses, parce que vous savez combien cela vous coûte. Lorsque vous filialisez correctement et que les commissaires aux comptes font bien leur travail, vous imputez le loyer, le personnel, les coûts de fonctionnement. Et vous savez dire, à la fin de l’année que l’activité d’assurance ainsi individualisée a dégagé tant de chiffre d’affaires pour tant de coûts.

Sur le principe, je pense qu’il est assez difficile de contester la démarche de filialisation. Maintenant, évidemment, cela pose un problème de contrôle à plusieurs niveaux. Un problème de contrôle démocratique parce qu’il faut que les instances qui dirigent la mutuelle gardent le contrôle de ce qui se passe dans les filiales et un problème de contrôle, au moins aussi important, en termes de gestion.

Quel est le " pépin " de gestion qui peut arriver à une mutuelle ? Je vais vous citer l’exemple du plan Veil sur l’assurance maladie, qui fut un désastre pour les mutuelles comme nous. Ce plan a été lancé au mois de juin 1993, or, pour nous qui travaillons par année universitaire, les tarifs et les taux de remboursement sont fixés pour l’année au mois d’avril ou de mai. Au mois de juin, vous les avez annoncés à toutes les universités dans vos dépliants qui seront valables du 1er octobre suivant au 30 septembre de l’année suivante.

Quand on vous annonce, une fois les dépliants imprimés, que les taux de remboursement de la sécurité sociale baissent de 5 %, vous ne pouvez plus relever vos prix qui sont annoncés partout. Vous ne pouvez plus changer vos taux de remboursement, parce que vous vous êtes engagés envers les étudiants sur un remboursement à 100 % de tous les soins, sécurité sociale + mutuelle, car on ne fait jamais la différence, on explique les taux globalement. Sur telle autre garantie, vous offrez 100 % sur les risques graves et courants. Il s’est passé que nous avons bu un bouillon. Nous avons maintenu le 100 % et nous avons assumé les 5 % de baisse de la sécurité sociale, sans augmentation de la cotisation pendant quinze mois. Pour une structure de la taille de la MGEL, cela représente quelques millions de francs de pertes.

Dans les filiales, les risques sont largement du même ordre. Ainsi, en matière de logement, quand votre filiale loue une résidence étudiante, de 80 à 100 logements, le loyer que vous vous engagez à payer tourne entre 1,5 et 2 millions de francs par an. Comme l’investisseur ne veut pas vous voir vous en aller, il vous fait signer pour trois ans si vous négociez bien ou plus couramment pour six ou neuf ans. Dans les années 80, c’était simple, toutes les résidences se remplissaient. Mais quand vous avez un peu de relâchement sur le marché du logement, tous les critères comptent et surtout la taille du logement, si vous proposez du 18 m², vous allez passer après ceux qui offrent 20 m² et vous n’arriverez plus à remplir. Tout l’art est d’avoir un bon rapport qualité-prix qui fasse que l’étudiant ne résilie pas son bail l’été pour garder son logement pour la rentrée prochaine. Si vous prenez à bail n’importe quel immeuble, vous pouvez boire un bouillon de plusieurs millions de francs sur une résidence.

En matière d’assurances, notre hantise était d’avoir un gros pépin en responsabilité civile. Il suffit par exemple que votre secrétaire à l’accueil ait vendu une assurance auto à un étudiant en oubliant de la transmettre à la compagnie. S’il y a un sinistre, la compagnie vous dira qu’elle n’assure pas et le courtier, donc la mutuelle, se retrouve en première ligne de responsabilité.

Pour moi, le premier risque se situe en matière de gestion. Il faut que la mutuelle contrôle la gestion de ses filiales parce qu’à la limite, le risque à ce niveau peut être largement aussi important que le risque qu’il peut y avoir dans l’activité principale. A la MGEL, le système mis en place était double.

Premièrement, à l’ordre du jour de chaque conseil d’administration de la mutuelle et de chaque assemblée générale figurait le point sur la situation de toutes les filiales avec communication des rapports de gestion des différentes filiales. Deuxièmement, avant de décider d’une prise de gestion d’une résidence étudiante, les représentants de la filiale logement allaient devant l’assemblée générale. Juridiquement, une filiale indépendante peut décider de signer un bail avec une société HLM, sans qu’il soit nécessaire d’aller demander à l’assemblée générale de l’actionnaire principal s’il est d’accord ou pas. Mais la crainte d’avoir une décision qui puisse ne pas avoir été mûrement réfléchie nous avait fait adopter ce système.

Depuis la création de la commission d’enquête, je me suis reposé le problème de savoir comment on pourrait améliorer le système et mieux se prémunir. Je n’ai certainement pas de solution miracle, mais je vous livrerai une ou deux pistes. La première est que, dans le code de la mutualité, vous avez une obligation, à chaque assemblée générale de mutuelle, de présenter un rapport moral du président et un rapport sur la situation financière de la mutuelle. Je pense qu’il serait d’intérêt général d’améliorer la qualité de ces rapports et de les normaliser. Pour le contrôle, le premier élément est l’information. A partir du moment où l’information est disponible, le contrôle peut s’exercer parce que quelqu’un posera une question. Cela joue sur la qualité de l’information que donne la mutuelle sur sa gestion. L’expérience que j’ai montre que le degré d’information le plus efficace consiste, pour les comptes de la mutuelle, dans la présentation du compte d’exploitation, compte de charge par compte de charge, compte de produits par compte de produits. Ce n’est pas très compliqué quand vous justifiez chaque compte, qu’il s’agisse de l’électricité, de la promotion ou des loyers, vous présentez le montant de l’année précédente et le montant de l’année actuelle, en expliquant son évolution en trois phrases. Vous avez ainsi une qualité d’information qui fait que toute décision a une traduction financière. Il faudrait donc veiller à la qualité de ces rapports.

Il faudrait de plus joindre systématiquement à ces rapports les rapports sur la gestion des différentes filiales et sous-filiales, la composition des capitaux des différentes filiales et sous-filiales, et indiquer les doubles fonctions, de certains salariés de la mutuelle dans des filiales de la mutuelle. Si tel est le cas, il faudrait préciser si ces fonctions dans une ou plusieurs filiales s’exercent à titre gratuit ou rémunéré.

Il faudrait définir réglementairement un cadre général de ce rapport présenté à l’assemblée générale et qui serait soumis aux tutelles. Aujourd’hui, les tutelles demandent la communication des procès-verbaux des assemblées générales, donc des rapports, mais je ne sais pas jusqu’où elles vérifient la qualité de l’information qui figurent dans ces documents. Quand l’évolution des comptes vous est décrite, ce qui se passe se voit comme le nez au milieu de la figure. Si vous avez la même qualité d’information au niveau des filiales, cela aide réellement à comprendre les activités.

Je me suis également posé une question sur l’information des adhérents, parce qu’aujourd’hui, finalement, un adhérent de mutuelle est moins informé qu’un actionnaire minoritaire de société. On est certes parti de l’idée que l’adhérent est copropriétaire de la mutuelle, mais il n’exerce pas le pouvoir directement, il l’exerce par l’intermédiaire de ses élus. L’adhérent seul, s’il veut savoir quelque chose, n’a pas beaucoup de droits. Un des principaux droits qu’il a acquis est dans les statuts types définis par décret en Conseil d’Etat. Dans ces statuts, figurent un certain nombre d’articles obligatoires.

A propos de l’information de l’adhérent, une disposition obligatoire prévoit que " chaque adhérent reçoit un exemplaire des statuts. Les modifications statutaires sont portées à sa connaissance. Il est informé des services et établissements d’action sociale gérés par la mutuelle et de ceux auxquels il peut avoir accès en vertu des conventions passées en application du livre IV du code de la mutualité, des organismes auxquels la mutuelle adhère ou auxquels elle est liée, et des obligations de droit qui en découlent. "

Je constate que cet article n’est pas très bien appliqué. Il est un peu fictif, d’une part, parce que les statuts d’une mutuelle sont un véritable pavé – je ne suis pas sûr que ce soit ainsi que l’on accroît l’information – et, pour des problèmes matériels, je suis persuadé qu’un grand nombre de mutuelles de France ne respectent pas cette obligation. Par ailleurs, cet article fait référence à la mutualité d’il y a une cinquantaine d’années, lorsque l’essentiel des actions communes se faisait par les systèmes d’union ou de fédération. A l’époque, l’accent avait été mis sur ce point, mais rien n’est dit du recours à l’utilisation de filiales par les mutuelles.

Plutôt que de remettre systématiquement un exemplaire des statuts, reconnaissons plutôt un droit automatique et élargi à l’accès à l’information et le droit, sur simple demande, d’avoir non seulement les statuts, mais aussi les rapports sur la situation financière de la mutuelle ainsi que les rapports des assemblées générales. Il y a quatre ou cinq ans, je n’aurais pas pensé cela. En effet, je me suis trouvé à diriger une mutuelle à l’époque où les remises de gestion n’étaient pas réévaluées et où la mutuelle se trouvait dans une situation difficile. Si j’avais eu à présenter au banquier – à l’époque le Crédit Lyonnais, qui était peut-être assez tolérant pour les sociétés qui pouvaient connaître des difficultés passagères – le fait que l’Etat nous devait des millions de francs, il n’aurait pas été obligé de me croire. A l’époque, j’aurais réagi en disant que la non publicité avait des avantages. Aujourd’hui, du point de vue de l’intérêt général, peut-on défendre le fait qu’en composant Infogreffe, on a accès à de l’information, et qu’un adhérent de mutuelles n’ait quasiment pas cette possibilité ? Comparaison n’est pas raison, mais cela pose tout de même un problème de cohérence entre les droits de l’adhérent de la mutuelle et ceux de l’actionnaire de société.

Le deuxième thème que je voulais aborder devant vous a trait aux remises de gestion. Elles ont occupé une grande partie de mon temps. Quand un étudiant choisit son centre de sécurité étudiante, il fait une croix sur un dossier où figurent deux cases. Changer n’est pas difficile, si vous n’êtes pas content, il suffit, l’année suivante, de cocher la case voisine et vous avez changé de centre de sécurité sociale, en toute liberté, en toute simplicité, en application de la concurrence sans aucun transfert de dossier.

Jusqu’en 1985, les mutualités étaient rémunérées par tête d’étudiants. La mutuelle percevait 90 % de la cotisation de sécurité sociale payée par l’étudiant. Celui-ci payait sa cotisation qui allait à l’établissement, l’université ou l’école, qui la transmettait à l’URSSAF, puis la mutuelle percevait 90 % du montant. Si la cotisation était de 100 francs, vous receviez 90 F par étudiant. Vous aviez mille étudiants, vous receviez 90 000 F et ainsi de suite.

En 1985, il y eut un changement de système, basé sur le budget global. L’idée était de figer le montant des remises de gestion au niveau atteint la dernière année de la capitation et d’avoir ensuite une évolution définie par un double taux, un taux d’évolution annuelle et un taux qui dépendait de l’activité de la mutuelle. Ce dernier était la moyenne mathématique de trois données : l’évolution du nombre de cellules actes, qui prenait en compte l’augmentation du nombre de remboursements ; l’augmentation du montant des prestations que vous remboursiez ; l’augmentation du nombre de vos affiliés, mais celui-ci n’était pas pris en compte totalement – entre 0 et 2 %, tout était pris en compte, entre 2 et 4 %, la moitié, au-dessus de 4 %, le quart, bref, on écrêtait. On faisait la moyenne de tout cela et on appliquait un correctif. Mais l’arrêté précisait que si ce correctif était supérieur à 4, les ministres étaient alors chargés de définir librement le montant de la revalorisation.

Le système était tellement compliqué qu’il n’a été appliqué qu’un ou deux ans correctement, puis il ne l’a plus été.

Les mutuelles qui se développaient enregistraient de plus en plus de pertes au point que la MGEL s’est trouvée en 1992 au bord de la mort. La situation de nos comptes était celle que je vous ai décrite. La remise de gestion par étudiant était de l’ordre de 140 F quand la MNEF avait 280 F. La MNEF avait, elle-même, un niveau de remise de gestion qui baissait, puisque ses effectifs croissaient, à niveau constant des remises de gestion. Il est donc arrivé un moment où nous n’étions plus seuls à protester, où la MNEF est allée expliquer aux pouvoirs publics qu’à 280 F, la situation n’était plus tenable.

Il y a eu de vives discussions à l’époque, auxquelles j’ai largement participé, qui ont abouti à un arrêté daté du 31 mars 1992, publié au Journal officiel le jour même de la démission du Gouvernement de l’époque, c’est-à-dire signé in extremis par des ministres démissionnaires.

A cette époque, je n’avais pas de mots assez durs pour dénoncer cet arrêté scandaleux qui revalorisait les remises de gestion des années passées, mais sur la base du même taux. La MNEF est donc passée de 280 à 340 F et la MGEL de 140 à 170 F. A 170 F, nous étions dans une situation apocalyptique. Plus les étudiants nous choisissaient, plus nous nous enfoncions ; nous étions au bord de la faillite.

Naturellement, nous avons essayé d’expliquer le caractère inéquitable et scandaleux de la situation qui figeait pour neuf ans des mutuelles travaillant en concurrence avec un niveau de un à deux. Nous avons, grâce à ce que nous appelons une mesure balai, je crois même que j’en avais été à l’origine, obtenu dans le non droit le plus absolu, que soient accordés 235 F à toutes les mutuelles régionales afin de réduire l’écart avec la MNEF à 100 F par étudiant. Cela ne semble pas beaucoup mais pour une mutuelle comme la MGEL, cela représentait quelques millions de francs. Nous espérions obtenir un ballon d’oxygène mais les discussions n’en finissaient pas. Nous n’arrivions pas à faire appliquer la mesure, lorsque les parlementaires se sont emparés de la question et ont voté le principe d’égalité.

Mais, quand les mutuelles régionales reçoivent 235 F de remise de gestion et la MNEF 340 F, sur quelle base réaliser l’égalité, fallait-il faire une moyenne ? La solution a consisté à demander un petit effort à la MNEF, qui a accepté une réduction volontaire de 5 millions de francs parce que l’aspect amoral d’une telle différence apparaissait à tout le monde. Puis, en trois ans, les remises de gestion des mutuelles régionales ont été revalorisées.

Le niveau des remises de gestion auquel on a abouti est le fruit de cette histoire chaotique dans laquelle il a fallu ramener un peu de cohérence. Le système avait prévu un montant unique par affilié avec un taux dégressif. Tout affilié supplémentaire qui arrivait dans la sécurité étudiante ouvrait le versement d’une remise de gestion inférieure de 40 %. Avec un taux moyen de 320 F, pour 100 000 étudiants supplémentaires, vous n’aviez pas 100 000 fois 320 F, mais 100 000 fois 320 F moins 40 %.

Aujourd’hui, je ne pense pas qu’il existe une solution magique. On peut, certes, s’appuyer sur des comparaisons, mais l’exercice est beaucoup plus facile intellectuellement que dans les faits.

En effet, premièrement, la sécurité étudiante présente des spécificités évidentes. Elle renouvelle son fichier à 100 % tous les ans, ce que ne fait aucun autre centre de sécurité sociale. De surcroît sur ces 100 % d’ouverture de droits tous les ans, vous aviez à l’époque une proportion de l’ordre de 30 %, qui a dû légèrement baisser aujourd’hui, avec les ayants droit majeurs autonomes.

Deuxièmement, les mutuelles étudiantes jouent un rôle considérable, peu connu de ceux n’ayant jamais appartenu à une mutuelle étudiante, d’éducation à la sécurité sociale. Quand vous êtes lycéen, ce sont vos parents qui s’occupent des feuilles de sécurité sociale. Quant il faut expliquer à un étudiant comment remplir correctement sa feuille de sécurité sociale pour pouvoir être remboursé, cela prend un temps et une énergie assez considérables. C’est ce que l’on appelle l’éducation à la sécurité sociale qui entraîne un travail d’accueil important.

On peut faire la comparaison sur d’autres points. Par exemple, si vous partez sur une logique de comptabilité analytique, vous avez plusieurs manières de voir les choses. Soit on considère qu’il faut examiner les frais de fonctionnement d’une mutuelle comme ceux d’un centre de sécurité sociale et on reconstitue comptablement les frais de fonctionnement de l’activité mutuelle. Il y a des comparatifs. Les centres de sécurité sociale, les caisses primaires d’assurance vendent à des mutuelles les " images décompte " c’est-à-dire une liquidation préfaite, toute mâchée. Il n’y a plus de travail de liquidation à faire dans la mutuelle complémentaire. Il suffit de faire tourner un programme et vous payez vos adhérents. Doit-on considérer que les frais de gestion du centre de sécurité sociale étudiante sont constitués par les frais de la mutuelle moins ce que les caisses de sécurité sociale facturent aux mutuelles complémentaires quand elles leur vendent une image décompte ? Si l’on considère lorsqu’une mutuelle dépense cent francs, que la valeur marchande qu’a la mutuelle en ayant les décomptes préfaits vaut x franc le décompte, peut-on en déduire que le reste représente votre coût pour l’activité sécurité sociale ? On peut aussi raisonner en disant que vous êtes une mutuelle complémentaire et essayer de recalculer ce que vous coûte, en plus, le fait de faire la gestion du régime général obligatoire de sécurité sociale.

On ne peut avancer que par une négociation. Du point de vue de l’intérêt général, il est légitime que les pouvoirs publics demandent aux caisses de sécurité sociale étudiante de faire des gains de productivité parce qu’il existe un problème d’assurance maladie en France et que tous les centres doivent faire des efforts. Je pense d’ailleurs que les efforts de productivité demandés, donc l’effort de réduction des remises de gestion, seraient d’autant plus cohérents qu’ils seraient généraux. Les mutuelles étudiantes ne sont pas les seules à bénéficier de remises de gestion. Plus une solution est générale, moins elle est polémique et plus elle est longue, mieux elle est. Il ne faut surtout pas maintenir un système de négociation du montant des remises de gestion comme celui que j’ai connu, d’une durée de trois ans avec des négociations qui n’en finissaient pas, où, pendant et des mois et des mois, vous receviez des versements provisionnels sans connaître le montant des remises de gestion. Il faut adopter un système beaucoup plus durable ; un système équilibré consisterait à demander à l’ensemble des gestionnaires de sécurité sociale un gain de productivité de tant par an, annoncé dès maintenant sur cinq ou dix ans afin que les choses soient claires et que chacun puisse organiser ou réformer ses méthodes de gestion.

Il faut rechercher cette notion de contrat. Il n’y aura jamais d’accord complet parce que les représentants des mutuelles sont là pour défendre leurs intérêts de même que ceux des caisses primaires d’assurance maladie. A chacun son rôle mais je n’ai pas de solution magique sur ce sujet.

M. le Président : Je vous remercie, monsieur le député, de cet exposé très complet.

Nous avons entendu M. Johanet, directeur général de la CNAM. D’après lui, la seule solution serait la suppression des mutuelles étudiantes qui représentent des dépenses inconcevables qui viennent appauvrir le système général. Cela permettrait une économie de l’ordre de 240 millions de francs. Quelle est votre opinion sur cette position ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Très objectivement, c’est un serpent de mer. Lorsque vous discutez avec les représentants de l’assurance maladie, il y a toujours un moment où quelqu’un vous fait sentir qu’en tant que représentant d’une mutuelle, vous êtes illégitime parce que l’assurance maladie pourrait intervenir à votre place.

En 1948, lorsque le législateur a mis en place ce système, quels ont pu être ses objectifs ? A mon avis, il y en a eu plusieurs.

Il y a certainement eu un objectif de simplicité parce qu’à l’âge où l’on se familiarise avec le système de la protection sociale et de l’assurance maladie, c’est un gros avantage d’avoir une gestion unique de sa sécurité sociale et de sa mutuelle complémentaire au même endroit.

Mais je pense aussi qu’un autre objectif a été de créer des structures à forte vocation sociale dans le monde étudiant. Car dans ce monde étudiant, le monde associatif, qui est un des versants de l’économie sociale étudiante, est relativement faible et dispersé. De l’autre côté, vous avez les mutuelles étudiantes. Vous avez employé un bon mot en disant que le retrait par la sécurité sociale de la gestion du régime obligatoire signifierait la disparition des mutuelles. Le problème est bien là. Le fait d’avoir confié la gestion de la sécurité sociale étudiante a musclé les mutuelles étudiantes par rapport à ce qu’elles auraient pu être, même à l’époque, et a permis d’en faire des structures qui développaient des actions à vocation sociale et à vocation d’intérêt général, fortes dans le monde étudiant.

L’intérêt général qui prévalait peut toujours être reconnu aujourd’hui et l’existence de la sécurité sociale étudiante peut toujours se défendre. Par contre, je pense aussi que l’Etat peut légitimement demander des gains de productivité.

M. le Président : M. Johanet proposait, à titre subsidiaire, que les remises de gestion soient ramenées à 260 F.

En ce qui concerne les conseils d’administration, quel est rôle du directeur général que vous pouviez être par rapport au président et au trésorier ? Ces derniers sont-ils des potiches ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Le président, le trésorier, et le conseil d’administration font plus que servir à quelque chose. Ce sont tout simplement eux qui prennent les décisions et la responsabilité d’engager des actions. Quand vous êtes directeur, vous êtes là, comme dans d’autres structures où existe un conseil d’administration, pour servir les choix politiques, d’orientation qui sont faits par vos instances élues. Un conseil d’administration doit prendre des décisions telles que par exemple la fixation des cotisations, le vote du budget prévisionnel. Dans les moments graves qu’a connus ma mutuelle, le conseil d’administration n’a pas défailli lorsque les remises de gestion n’ayant pas été réévaluées, les prévisions budgétaires faisaient apparaître 3 ou 4 millions de déficit et que le choix était soit de se saborder en augmentant considérablement le tarif des cotisations, ce qui aurait fait chuter le nombre d’adhérents, soit de refuser cette hypothèse en pariant que la négociation avec les pouvoirs publics devait permettre d’arriver à une solution plus équitable. Ce sont des débats qui ont une importance considérable.

La deuxième chose, c’est l’information. A la MGEL, des rapports d’activité étaient établis, dont le président était destinataire…

M. le Président : Qui rédigeait ces rapports ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Concernant la trésorerie, par exemple, le service de la comptabilité faisait toutes les fins de semaine, le vendredi, un point sur la situation financière de la mutuelle ainsi que sur celle des filiales. La note était sur le bureau du président toutes les semaines.

Nous avions mis également en place un second tableau de bord sur l’état de la liquidation. Chaque responsable d’agence devait faxer au siège de la mutuelle une fois par semaine un état de la liquidation, donnant la date d’arrivée des dernières feuilles liquidées et l’état du stock des feuilles de soins. C’est un indicateur très fiable du niveau de qualité des services rendus à l’étudiant. Lorsque vous avez un problème de personnel ou de fonctionnement, vous le voyez immédiatement parce que vous prenez tout de suite du retard dans le traitement des feuilles de soins.

Un autre système de tableau de bord avait été aussi mis en place concernant les filiales dont le président était également destinataire. Cela permettait d’avoir, agence par agence, l’évolution du chiffre d’affaires et la comparaison par rapport à l’année précédente. De mémoire, la filiale assurances établissait par ville des statistiques comparatives. En matière de voyage, on présentait les chiffres d’affaires par catégorie.

Toutes les situations existent, je ne vais pas tomber dans les généralités, mais vous avez tout de même un conseil d’administration et une assemblée générale qui s’expriment par des votes obligatoires et fondamentaux. Lorsque vous votez un budget prévisionnel, la fixation des tarifs ou un budget définitif, vous avez le pouvoir de décider, celui de dire oui ou non.

M. le Président : Les administrateurs de la MGEL étaient-ils tous étudiants et étaient-ils rémunérés ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Il n’y a jamais eu de rémunération versée aux administrateurs de la MGEL pendant toutes les années où j’y étais. Aujourd’hui, je ne peux vous répondre, mais je ne le pense pas parce que c’était dans la philosophie de la mutuelle.

M. le Président : Estimez-vous qu’il ne faut pas de rémunération des administrateurs ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Je pense effectivement qu’il vaut mieux qu’il n’y en ait pas, comme dans une association. Il y a deux rôles : celui de salarié et celui de bénévole. Ce n’est pas la même chose. On ne demande pas à un administrateur d’aller faire des feuilles de soins et des remboursements. Ce n’est pas son travail. Il faut que les rôles soient assez séparés. Je ne pense pas que cela serait très sain.

Je sais bien que les textes en prévoient la possibilité. Mais on est administrateur de mutuelle comme on est administrateur d’association, de corpo, de bureau des élèves ou de bureau des sports. Je mets un peu cela sur le même plan. Les bureaux d’élèves ont des chiffres d’affaires de l’ordre de quelques centaines de milliers de francs ; celui de la mutuelle est un peu plus important, mais elle est aussi plus contrôlée, fort heureusement.

En ce qui concerne la question des membres, il existe deux catégories, les membres participants et les membres honoraires. Le code de la mutualité prévoit d’ailleurs de telles dispositions. Les membres honoraires sont généralement des membres qui ont été engagés dans la mutuelle à un titre ou un autre durant leurs années d’études et qui restent disponibles ou intéressés par la vie de la mutuelle.

Dans les mutuelles, vous êtes confrontés à deux problèmes, un problème de renouvellement et un problème de stabilité. Il faut que les passations de pouvoirs se fassent correctement d’une génération à l’autre.

M. le Président : Je vous ai posé cette question parce que le président de la MGEL que nous avons rencontré n’était plus étudiant mais nous a expliqué que cette situation était temporaire.

Selon le rapport de l’IGAS et de l’inspection générale des finances, la MGEL aurait investi un million de francs dans du matériel d’impression. Un tel investissement vous paraît-il normal et doit-il être poursuivi ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Le problème était un problème récurrent. L’idée de la MGEL a toujours été de développer un grand nombre de partenariats, dans des domaines très variés. Avec les compagnies de bus, nous avons obtenu une véritable victoire le jour de l’obtention de tarifs réduits pour les étudiants adhérant à la MGEL. Nous avons des accords partenariaux dans le secteur culturel, avec les cinémas, les salles de concerts ; des accords avec des entreprises qui peuvent offrir des services au monde étudiant, des accords avec le monde associatif.

L’idée du partenariat est de refuser des négociations ponctuelles basées sur la concurrence lors de chaque manifestation associative pour conclure des conventions annuelles, par lesquelles la mutuelle s’engage à apporter une aide en contrepartie d’un échange de services, par exemple des réductions pour les adhérents de la mutuelle lors des soirées étudiantes.

La politique de la MGEL a toujours été de privilégier l’aide en nature à l’aide financière. L’idée a toujours été de dire que l’on préfère participer à des manifestations, par exemple, le marathon de l’école d’ingénieurs, la soirée de gala de l’Institut commercial de Nancy, en nature plutôt qu’en argent, en offrant les affiches.

Comment le faire à moindre frais ? La première décision a été de créer en interne un studio de création. Auparavant, tout était confié au privé, avec appel d’offres, etc., si, par exemple, le bureau des élèves de l’école d’ingénieurs de Metz organisait un semi-marathon, la MGEL fournissait cent affiches 40 x 60.

La première décision a donc été d’internaliser un studio PAO. Nous avons acheté un outil informatique avec le logiciel Xpress me semble-t-il, qui permettait de faire les maquettes. Il ne restait que la réalisation du film à confier en sous-traitance. La mutuelle fournissait la disquette à une société qui éditait les films, puis à un imprimeur qui les imprimait. L’étude avait été faite à plusieurs reprises, mais avait été bloquée pour un problème de locaux, et le choix a été d’acheter une imprimerie avec un salarié spécialisé dans l’imprimerie pour faire tout ce travail en interne.

Le premier avantage est que cela permet d’avoir un meilleur coût que lorsque l’on traite avec le privé ; le deuxième est que la mutuelle a un certain nombre de travaux qui ne sont pas datés, notamment les travaux d’imprimés de la mutuelle, du papier à en-tête, tous les papiers administratifs, qui peuvent se faire quand on veut, en quinze jours ou un mois, et cela permet de mieux rentabiliser la charge de travail de la machine de façon plus permanente. Cela s’est fait dans l’idée de rationaliser et d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix. Il n’a jamais été, à ma connaissance, question de travailler pour des clients extérieurs. Ce n’est pas une imprimerie, c’est un service intégré. Le même débat se pose pour l’informatique. Faut-il traiter l’informatique en interne ? Faut-il la sous-traiter ? A mon avis, il faut être purement gestionnaire et tenter d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix.

M. le Rapporteur : Concernant le contrôle des mutuelles étudiantes, nous avons auditionné des membres de la Commission de contrôle des mutuelles. Il semblerait qu’une des difficultés majeures qu’ils aient rencontrées serait de ne pas avoir accès de façon automatique à la gestion des filiales, procédure à laquelle les mutuelles ont largement eu recours. Avez-vous une idée sur l’étendue du contrôle exercé par cet organisme qui n’a pas du tout les mêmes prérogatives, semble-t-il, que la commission de contrôle des assurances, même si elles sont présidées par la même personne ?

M. Jean-Luc WARSMANN : Franchement non. Dans les années où j’étais à la MGEL, j’ai eu énormément de contrôles. Nous disions parfois qu’il ne se passait pas une semaine sans un contrôle. Mais je n’ai jamais dû recevoir la commission de contrôle. Je suis donc désolé, je ne suis pas en mesure de vous répondre là-dessus.

En réfléchissant à cette question du contrôle, je me suis dit qu’il y avait un premier stade qui n’était pas bon, celui de l’information. Ensuite, je me suis demandé s’il fallait interdire les sous-filiales. Dans les années où j’étais responsable de la MGEL, nous n’en avons jamais eu. Nous n’en avons jamais ressenti le besoin. Mais je ne sais s’il serait légal d’interdire des sous-filiales. C’est la raison pour laquelle je n’en ai pas parlé tout à l’heure. C’est pour cela que je me suis dit que le verrou était dans le fait d’être sûr que les instances dirigeantes de la mutuelle ainsi que l’administration de tutelle recevaient une information de qualité. Tout de même, la DDASS reçoit les dossiers. Avant de déclencher un contrôle, je pense qu’elle les épluche. Si l’inspecteur spécialisé reçoit un dossier contenant une information de qualité sur son bureau, il peut voir qu’il y a un problème et cela permet d’éviter toute catastrophe.

M. Bruno BOURG-BROC : Nous avons eu, en vous entendant, le sentiment d’avoir un mouvement mutualiste très dynamique, très fort. Pourtant, on assiste à une certaine démutualisation. Comment expliquez-vous cela ? Je suis élu de Champagne-Ardenne. La MGEL est très puissante dans ce secteur, en situation de quasi-monopole. Comment expliquer le succès de cette mutuelle ?

Par ailleurs, vous avez déjà abordé cette question au travers de votre exposé liminaire, les dépenses de communication sont élevées dans une mutuelle, c’est un problème que nous avons abordé ici à plusieurs reprises. Pensez-vous qu’elles soient toutes justifiées ? C’est peut-être l’une des principales critiques que nous avons pu entendre : la concurrence crée la nécessité de la communication, celle-ci coûte cher et engendre des coûts que le directeur de la CNAM, M. Johanet, notamment, réprouve.

M. Jean-Luc WARSMANN : Pour ce qui concerne la démutualisation, c’est un fait que lorsque l’on examine le rapport entre le nombre d’étudiants gérés au régime de base de sécurité sociale par les mutuelles et celui des étudiants inscrits au régime complémentaire, on constate une baisse constante depuis un certain nombre d’années, incontestablement due à la démocratisation de l’enseignement supérieur. Une partie de l’augmentation du nombre des étudiants vient de la progression du nombre d’étudiants issus de milieux modestes, pour lesquels les études coûtent cher, la rentrée coûte cher, d’autant plus cher aujourd’hui que la cotisation de sécurité sociale étudiante tourne aux alentours de 1 000 F par an ; si vous voulez une mutuelle complémentaire qui vous couvre correctement, il faut compter entre 1 000 et 1 200 F supplémentaires. Ce sont des sommes importantes. La réaction de nombreux étudiants est de dire que cela coûte trop cher, qu’ils ne sont jamais malades et qu’ils verront plus tard pour la mutuelle.

Donc, incontestablement, il y a une tendance à moins prendre de mutuelle ou à souscrire à des mutuelles offrant des taux de remboursement de moins en moins élevés.

En outre, il n’y a pas que la démutualisation, il y a aussi une mutualisation par ailleurs. Je réponds en partie à votre troisième question. Je me souviens que nous disions que notre principal concurrent n’était plus la MNEF, mais les mutuelles parentales.

Certaines mutuelles parentales ne font plus apparaître le coût de la cotisation pour les jeunes, comme, par exemple, les mutuelles de cadres qui couvrent gratuitement ou du moins sans faire payer de cotisations supplémentaires – c’est inclus dans la cotisation des parents – pour les jeunes jusqu’à vingt-cinq ans, ou encore certaines mutuelles interprofessionnelles qui ont des problèmes d’effectifs et surtout de vieillissement, chez lesquelles on assiste à une tendance consistant à essayer d’attirer les jeunes. Pour cela, vous essayez de garder les enfants de vos adhérents et pour garder les enfants de vos adhérents, vous jouez sur plusieurs faits. Le premier, c’est maman, qui a toujours envoyé les feuilles de maladie de ses enfants à sa mutuelle complémentaire. Si la mère ne voit pas les avantages d’une cotisation sécurité sociale plus mutuelle étudiante, elle aura tendance à garder ses enfants inscrits sous sa mutuelle. La mutuelle cultive ce réflexe en proposant des garanties qui sont souvent à la limite du dumping, pour ne pas dire en dessous du prix de revient. C’est quelque chose de symbolique qui permet de garder les adhérents.

Les mutuelles jouent également sur le fait qu’elles ne fonctionnent pas par année universitaire, mais par année civile. Ce sont des garanties avec tacite reconduction au 31 décembre. Une fois que l’enfant étudiant a été pris dans la garantie des parents, comme les dates ne coïncident pas, la mutuelle étudiante rencontre de grandes difficultés pour prendre la suite, puisque nous proposons une couverture du 1er octobre au 30 septembre.

Cette conjonction de faits crée la concurrence. Je me souviens que j’avais mis en place à l’époque, sur la fiche d’adhésion à la mutuelle, une question visant à savoir quelle était la mutuelle de l’adhérent l’année précédente pour connaître le nombre d’étudiants qui quittaient la MNEF pour venir à la MGEL, mais aussi celui des étudiants qui étaient couverts par une autre garantie complémentaire. Cela est assez intéressant puisqu’une des garanties qui s’est développée, c’est la garantie de base, la responsabilité civile individuelle accident assistance avec l’accès à tous les services. Cette garantie est proprement faite pour les étudiants couverts par la mutuelle de leurs parents. Or, elle se développe et lorsque vous demandez aux étudiants quelle est leur mutuelle, la plupart vous répondent qu’ils en ont une.

Il y a donc à la fois un phénomène de démutualisation, qui existe certainement, mais également un phénomène de mutualisation par d’autres.

C’est la raison pour laquelle lorsque vous parliez tout à l’heure de la suppression de la gestion du régime obligatoire de la sécurité sociale étudiante, je pense que si tel était le cas, les mutuelles étudiantes seraient pratiquement rayées de la carte parce que tout le monde se lancerait dans la course aux fichiers pour s’emparer des fichiers des jeunes et les fidéliser. Quand vous avez affaire à des groupes où les étudiants ne représentent que 5 % de l’effectif, vous pouvez faire du dumping et casser les prix et vous arriverez à une situation qui déstabilisera le système.

Vous m’avez par ailleurs interrogé sur le taux de pénétration de la MGEL. Il est certes important, mais rien n’est jamais acquis. Le taux de nouvellement est de l’ordre de 25 à 30 %, c’est-à-dire que tous les ans, vous avez 20, 25 ou 30 % d’étudiants nouveaux qui arrivent et qui ont un peu à peu près une chance sur deux de venir à la MGEL. Et quand on est à 70 ou 80 % d’une chance sur deux, ce n’est pas beaucoup. Après, il faut expliquer les services. La qualité des services et des remboursements joue. L’étudiant est quelqu’un qui n’a pas de revenu régulier. Il ne faut pas qu’il y ait des problèmes de trésorerie. Le système qui a été mis en place est celui du remboursement immédiat : quel que soit le montant de vos soins, vous vous présentez dans un bureau et vous recevez immédiatement un chèque de remboursement, payable même en argent liquide dans les agences bancaires. Le problème du tiers payant est même dépassé, car si vous payez votre praticien en chèque ou en carte bleue, vous touchez l’argent du remboursement alors même que la somme ne vous a pas encore été débitée.

Le deuxième élément est celui de l’amplitude des heures d’ouverture. Nous avons été les centres de sécurité sociale qui ont lancé l’ouverture de 9 heures à 18 heures, sans interruption, et le samedi toute la journée. Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de caisses primaires de sécurité sociale qui aient ces horaires d’ouverture, indispensables pour les étudiants. Vous êtes en IUT, vous avez les horaires d’un plein temps. Si l’IUT est situé à la périphérie de la ville et si votre mutuelle n’est pas ouverte à l’heure du déjeuner ou le soir, vous ne pouvez jamais aller à votre mutuelle.

A cela s’ajoute, chez nous, le phénomène régional. Un étudiant à Nancy, qui habite à Epinal, où il rentre le week-end, va au bureau secondaire d’Épinal le samedi pour se faire rembourser. Cela a été un des grands progrès résultant du traitement informatique qui permet à n’importe quel adhérent d’aller dans n’importe quel bureau de la mutuelle pour obtenir tous les remboursements et tous les renseignements.

Enfin, je pense que la qualité de l’ensemble des autres services joue aussi son rôle. La MGEL est une mutuelle qui offre beaucoup de services aux étudiants et à l’inverse, les structures qui veulent développer des services en direction des étudiants voient en la mutuelle un partenaire qui leur permet de faire le relais.

Je me souviens de la négociation avec la compagnie des bus de Nancy, la CGFTE, qui a considéré qu’en terme d’image et de pénétration du monde des étudiants, le fait de se marier avec une mutuelle comme la MGEL lui offrait une garantie de sérieux. Inversement, lorsque les étudiants viennent s’inscrire, pouvoir leur expliquer qu’ils vont bénéficier d’une réduction sur leurs billets de bus est un élément intéressant. L’éthique a toujours été de ne pas se battre pour du chiffre d’affaires. Par rapport à un étudiant, l’idée est bien sûr de le faire venir à la MGEL, mais elle n’est pas de chercher à lui vendre une grosse garantie plutôt qu’une petite. Nous essayons d’avoir la palette de garanties la plus large possible afin que chacun trouve une solution adaptée à ses moyens financiers. Mais le mot de monopole me hérisse parce que la concurrence est extrêmement âpre. Les mutuelles étudiantes fonctionnent sous la menace d’un choix qui s’exprime par une simple croix sur un formulaire. Ce n’est vraiment pas difficile, extrêmement précaire. C’est ce qui rend sans doute l’aventure passionnante.

M. le Président : Monsieur le député, je tiens à vous remercier pour cet échange très fructueux. Votre verve et votre allant nous laisseront incontestablement des marques lorsque nous rédigerons notre rapport sur l’avenir du système mutualiste étudiant.

Audition de Mme Marie-Dominique LINALE,
ancienne présidente de la Mutuelle nationale
des étudiants de France

(procès-verbal de la séance du 18 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

Mme Linale est introduite.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, Mme Linale prête serment.

Mme Marie-Dominique LINALE : J’ai été présidente de la MNEF de janvier 1995 à avril 1999, date des dernières élections. J’ai animé une équipe étudiante. Cette mandature s’était donnée pour objectif de renforcer et d’élargir le champ de la protection sociale étudiante.

Je suis arrivée au moment où le monde universitaire connaissait une explosion démographique alors que le système de sécurité sociale n’avait quasiment pas évolué depuis 1948. Ma première préoccupation, et celle de mon équipe, a donc été d’adapter le régime étudiant à cette évolution universitaire.

L’âge des études a augmenté et nous nous sommes battus, les étudiants étant de plus en plus âgés, pour avoir un maintien de leurs droits de 26 à 28 ans. En 1974, la fixation à 18 ans de la majorité civile n’avait pas entraîné un abaissement correspondant de l’âge de la majorité sociale, créant ainsi un décalage contre lequel la MNEF s’est également battue afin d’obtenir une harmonisation, ce fut la première mission de l’équipe que j’animais.

Au cours de cette période est apparue une forte précarisation de la population étudiante, due à la démocratisation de l’enseignement supérieur et à l’arrivée d’étudiants issus de catégories socioprofessionnelles moins favorisées. Durant ma présidence, je suis assez fière, ainsi que mon conseil, que la santé des jeunes ait fait l’objet d’un traitement spécifique dans les problèmes de santé publique. Jusqu’alors, on passait directement de la pédiatrie à la médecine du travail. Cette précarisation et cette question particulière de la santé des étudiants n’étaient guère prises en compte.

Aujourd’hui, 160 000 jeunes sont exclus du système de protection sociale. Cela ne signifie pas qu’ils sont sans droits sociaux mais que l’état de détresse sociale dans lequel ils se trouvent ne leur permet pas de connaître leurs droits. Il faut donc, de manière urgente, qu’ils puissent accéder aux soins dont ils ont besoin. Face à ce problème concernant tous les jeunes, étudiants ou en situation d’exclusion, la MNEF a fait des propositions dans le cadre de ses filiales et des réseaux de soins. C’est ainsi qu’ont été créées les Maisons des Jeunes et de la Santé (MJS), destinées à faciliter l’accès aux soins des étudiants mais aussi des jeunes exclus de la protection sociale.

Pour poursuivre l’action entreprise par ces Maisons des Jeunes et de la Santé, il faudrait que les pouvoirs publics aident le développement de ce réseau. Il serait bon qu’au sein des MJS comme au sein d’autres centres de soins, soit créée par le biais des emplois jeunes, une fonction " d’orientateur " social, qui orienterait, informerait et conseillerait les jeunes afin de leur faciliter l’accès à la protection sociale. Il est important également de soutenir et d’encourager une véritable politique de prévention en développant dans les cités universitaires des infirmeries et en redéployant par la même le système des BAPU.

Les difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes requièrent de nouveaux modes de prise en charge des soins et notamment le remboursement à 100 % des consultations neuro-psychiatriques et des pilules mini-dosées. Dans le cadre de notre action en milieu jeune, il me paraît nécessaire que la MNEF, à l’occasion de l’expérimentation des filières et des réseaux de soins dont les MJS constituent la première étape, se saisisse de cette occasion pour développer ses interventions.

La MNEF, tout au long de son histoire, a dû s’adapter pour répondre à tous les nouveaux besoins des étudiants peu ou mal pris en charge par les pouvoirs publics, et qui résultent de l’explosion démographique. Ces nouveaux besoins concernent encore aujourd’hui le logement, les cafétérias, la culture, les loisirs. De ce point de vue, il me semble que le régime étudiant a rempli sa mission mais qu’il peut certainement mieux faire et faire des choses plus simplement, mais cela ne dépend pas de mutuelles telles que la MNEF.

La politique de diversification, décidée par les mutuelles étudiantes n’aurait pas eu lieu si les pouvoirs publics avaient pris leurs responsabilités pour répondre à l’évolution des conditions de vie des étudiants.

Des améliorations doivent être apportées notamment en ce qui concerne la situation des 18-20 ans. Le fait que ceux-ci ne soient pas affiliés au régime étudiant de sécurité sociale mais des affiliés du régime général, entraîne un double travail, effectué par les caisses nationales et par la MNEF.

Il faudrait probablement réactiver le système du fonds d’action sociale (FAS), pour le régime étudiant, prévu par la loi depuis 1948, mais qui n’est pas abondé par les caisses.

Une autre amélioration serait que le comité des sept fonctionne normalement dans toutes les sections locales mutualistes et que l’ensemble des organisations de la jeunesse réunies au sein du collectif national pour la santé des jeunes soient présentes dans les campagnes de prévention lancées par les unions départementales de la mutualité.

Pour conclure très brièvement, j’ai conçu mon rôle de présidente de la MNEF comme étant celui d’une animatrice d’une équipe au service d’un projet de développement, concernant l’accès aux soins et la santé publique. La manière dont la MNEF a été gérée s’est inscrite dans le cadre de ces objectifs. Le rôle du conseil d’administration de la MNEF, comme celui d’une caisse d’assurance maladie, était d’administrer et non de gérer. C’était là aussi une volonté des pouvoirs publics.

Tout au long de mon mandat, la MNEF est toujours restée en relation avec les pouvoirs publics, qu’elle a constamment informés sans que jamais ni ces derniers ni les tutelles, après avoir exercé différents contrôles, n’aient trouvé rien à redire. La MNEF a organisé des colloques étudiants-universités-villes au cours desquels il a été débattu des diversifications. De nombreux représentants des pouvoirs publics y assistaient et les discussions ont toujours eu lieu dans un contexte de partenariat.

Si je devais formuler une critique aujourd’hui, ce serait de ne pas avoir assez incité mon équipe et moi-même à nous former à la gestion financière car il est vrai que les militants de la MNEF ont toujours été plus intéressés par les questions sociales que par l’économie. Le conseil d’administration a débattu néanmoins de toutes les orientations générales.

M. le Président : La MNEF, durant la période où vous en avez été présidente, a fait l’objet de dysfonctionnements extrêmement graves et d’une campagne de presse virulente qui a entraîné une perte de crédibilité de l’ensemble de la mutualité étudiante. En assumez-vous une certaine responsabilité ?

Mme Marie-Dominique LINALE : J’ai sûrement une responsabilité en tant que présidente mais, aujourd’hui, j’attends toujours les conclusions des rapports de l’IGAS ou de la Cour des comptes qui mettent réellement le doigt sur ces dysfonctionnements. J’ai bien sûr une vague idée en lisant les journaux, et en raison des enquêtes qui ont eu lieu. Le rapport de l’IGF me paraît correct ; il n’a pas conclu à des détournements. J’attends celui de l’IGAS pour me faire une idée plus précise de l’étendue de mon éventuelle responsabilité et pour savoir si j’aurais dû ou non intervenir.

M. le Président : Comprenez-vous que le conseil d’administration actuel se soit constitué partie civile à la suite des différentes procédures qui ont été diligentées ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Nous en avions discuté lorsque j’étais présidente, et nous avions décidé, dans la mesure où les élections allaient se dérouler et qu’un nouveau conseil d’administration allait se constituer, que ce serait à lui de se porter partie civile, comme l’a fait la CNAM.

M. le Président : D’après ce qui nous a été rapporté, tout un système auquel vous avez participé s’est développé dans une certaine opacité. Estimez-vous avoir créé tous les moyens de la transparence ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Opacité ?

M. le Président : Je parle d’opacité dans la mesure où les décisions étaient celles du directeur général, couvertes par vous-même avec l’impossibilité pour les autres membres du conseil d’administration d’en être informés.

Mme Marie-Dominique LINALE : Toutes les décisions d’orientation qui ont été prises par la MNEF l’ont été par le conseil d’administration après avoir été discutées et présentées par le directeur général ou, selon les sujets, par d’autres directeurs. Les membres du conseil d’administration ont pu en débattre et poser des questions au directeur général avant voter.

M. le Président : Quel était le rôle du trésorier de la MNEF dans ce cadre-là ? M. Séguéla avait-il un rôle véritable ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Il accomplissait tout ce que peut faire un trésorier au sein d’une structure de ce type, il faisait la gestion des comptes, qu’il menait avec le directeur financier…

M. le Président : Autrement dit, l’ensemble du fonctionnement de la MNEF relevait-il purement et simplement du directeur général, M. Spithakis, ou aviez-vous un rôle en la matière ainsi que sur un certain nombre d’autres questions ?

Je voudrais comprendre comment fonctionnait l’organisme lui-même. Il y a un directeur général, un directeur administratif et financier, puis, il y a des élus étudiants dont vous étiez la présidente. Comment tout ceci s’articulait-il ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Outre ces deux directeurs, il y a ceux du développement, de l’assurance maladie et d’autres encore. Chaque fois qu’une décision ou qu’une orientation importante devait être prise, elle était portée devant le conseil d’administration et devant l’assemblée générale. Tout ce qui concernait le système de gestion interne de la MNEF ne dépendait pas des élus étudiants parce que nous ne pouvions pas être présents en permanence et qu’il y avait des questions qui étaient directement du ressort des directeurs.

Nous débattions des différents sujets, si nous n’étions pas d’accord nous le disions et nous n’attendions pas d’être réunis en conseil d’administration pour donner notre avis. Ces questions n’arrivaient pas devant conseil d’administration sans avoir été abordées auparavant.

M. le Président : Vous n’avez donc pas eu l’impression d’avoir été manipulée ? Vous avez le sentiment d’avoir eu la possibilité pleine et entière d’exercer l’ensemble de vos pouvoirs de présidente ?

Mme Marie-Dominique LINALE : J’ai eu la possibilité, ainsi que les autres membres de mon conseil, de prendre part à beaucoup de décisions lors de discussions et lors des conseils,.

M. le Rapporteur : En tant que présidente de la MNEF, considérez-vous normal qu’un président ne puisse pas en collaboration avec son conseil d’administration avoir l’entière responsabilité du départ ou du maintien à son poste de son directeur général ? D’après ce que nous avons vu, il semblerait qu’une autre association, Les amis de la MNEF, devait obligatoirement être consultée ou au moins donner un avis conforme pour toute question concernant le directeur général. Cela vous semble-t-il acceptable que le directeur général ne soit pas responsable uniquement devant le conseil d’administration ?

Mme Marie-Dominique LINALE : L’Association les amis de la MNEF était déjà en place lorsque je suis arrivée. Elle proposait les personnalités qualifiées qui siégeaient au conseil d’administration. Je considérais que cette association avait un rôle modérateur, parce qu’à l’époque où la MNEF avait été laissée entièrement aux mains des étudiants, on se souvient de ce qu’il en était advenu.

Pour moi, l’Association tempérait par ses positions, par son expérience et surtout par l’âge de ses membres les décisions qui auraient pu être prises. Concernant le directeur général, elle ne donnait qu’un avis ; si ce dernier était différent de celui du conseil d’administration, le conseil n’avait pas l’obligation d’y souscrire. Nous n’avons pas eu besoin que l’Association intervienne mais, pour moi, son rôle était consultatif.

M. le Rapporteur : Qui, sous votre présidence, représentait la MNEF dans les filiales et sous-filiales – Saint-Michel, Raspail Participations et Développement ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Il y avait des directeurs et certains d’entre nous. A l’UES Saint-Michel, il y avait Dominique Lévêque et moi-même. Il y a eu Olivier Spithakis. Il y avait Blandine Charrel pour Carte Jeunes SA, Laurence Pedinielli pour Main soft international. A Raspail Participations et Développement, le représentant était Philippe Plantagenest, ensuite, je ne sais plus…

M. le Rapporteur : Aviez-vous le sentiment, en tant que présidente, que le conseil d’administration et vous-même aviez une vision transparente de l’ensemble des filiales du système et de ce qui s’y passait ?

Votre niveau d’information, vous qui étiez à l’UES Saint-Michel, s’arrêtait-il à ce qui se passait dans l’UES ou aviez-vous accès à l’ensemble des informations disponibles concernant toutes les sous-filiales qu’elle regroupait ou dans lesquelles cette union avait des participations ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Je savais ce qui se passait dans l’UES Saint-Michel. J’aurais pu facilement savoir ce qui se passait dans ses filiales et sous-filiales mais, il est vrai, je me suis arrêtée à ce qui se passait au niveau de l’UES. Il n’y avait pas de blocage, j’aurais pu m’informer davantage si j’avais été plus intéressée.

M. le Rapporteur : Vous êtes en train de nous dire, finalement, que vous faisiez une confiance totale à l’action du directeur général qui dirigeait cet ensemble et que vous vous contentiez de ce qu’on vous disait ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Pas une confiance générale. Il y avait tout de même d’autres directeurs. Nous avions le même commissaire aux comptes. Il y avait M. Botton, M. Proust. De nombreux directeurs et membres de la MNEF faisaient partie de ces filiales, qui étaient des gens responsables. Ils faisaient établir des rapports d’activités qu’ils sont venus plusieurs fois présenter lors de conseils d’administration ou d’assemblées générales. Je ne faisais pas exclusivement confiance au directeur général, mais aussi à d’autres personnes. Je faisais, par exemple, confiance à Dominique Lévêque qui me faisait part des problèmes.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous expliquer les conditions dans lesquelles s’est réalisé le changement de trésorier, lorsque M. Dornic est parti et que M. Séguéla est arrivé ? Le départ de M. Dornic est-il lié à la situation orageuse qui planait sur une autre mutuelle, la MISEC, dans laquelle il avait des fonctions ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Franchement, non, je ne pense pas qu’il y ait un lien.

M. le Rapporteur : L’équipe sortante a préparé l’organisation de la consultation électorale en vue de désigner le nouveau conseil d’administration.

Le code de la mutualité impose la nécessité d’avoir plusieurs sections de vote. Pourquoi, dès lors, avoir fait le choix d’une circonscription étudiants de France, qui est cent fois plus grosse que la deuxième section, qui regroupe les étudiants hors métropole ?

N’est-ce pas une façon d’empêcher les gens de présenter des listes facilement puisqu’il faut trouver soixante-cinq étudiants appartenant à vingt-deux académies différentes …

Mme Marie-Dominique LINALE : Représentant les 4/5 des académies pour que l’ensemble des académies soit représenté.

M. le Rapporteur : N’est-ce pas un frein à l’exercice de la démocratie d’avoir organisé la consultation électorale de cette façon ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Cette question des deux sections a donné lieu à un débat.

J’avais mis en place une commission de contrôle électoral, composée de treize personnes, dont quatre personnes issues de chaque tendance qui se présentait, et qui devait décider et mettre en place tout le processus des élections. Lors de ces réunions a été débattue l’idée des sections. Les trois quart des personnes présentes ont voulu avoir deux sections de vote, l’une représentant les étudiants français résidant en France et l’autre les étudiants français résidant à l’étranger.

Je ne pense pas que ce soit un frein à la démocratie. Auparavant, nous avions huit sections de vote, et il fallait que la section arrive à déposer dans huit villes une liste qui soit, ne l’oublions pas, entièrement différente. Cela avait donné lieu à un problème d’invalidité pour une liste sur Aix-Marseille qui n’avait représenté qu’une seule ville. C’était aussi très compliqué.

Avec le nouveau système mis en place, chaque liste représente réellement les 4/5 des académies. Précédemment, lorsque nous votions par section, la personne qui, par exemple, votait à Paris sur une liste, ne retrouvait pas nécessairement la personne pour qui elle avait voté en tête de liste représentée à l’assemblée générale, puisque l’assemblée était une réunion de toutes les listes, en pourcentage.

Il m’a semblé plus simple de présenter des listes de soixante-cinq candidats répartis sur les 4/5 des académies, ce qui représentait un maximum de huit par académie. Il n’était alors pas trop difficile de constituer une liste nationale à cette condition.

Les trois quarts des membres de la commission de contrôle électoral ont voulu ce système de section. J’ai présenté cette solution au conseil d’administration qui l’a approuvée.

M. le Rapporteur : En tant que présidente, aviez-vous communication des montants des salaires des principaux cadres dirigeants salariés de la MNEF ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Je ne les connaissais pas parce que je ne me suis pas intéressée au salaire que percevaient le directeur du développement, celui de l’assurance maladie ou les autres cadres.

M. le Président : Qui décidait de la rémunération de ces cadres supérieurs ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Leur rémunération était fixée par le directeur général.

M. le Président : Le directeur général décidait de la rémunération de tous les cadres supérieurs. Qui décidait de la rémunération du directeur général ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Quand je suis arrivée, un contrat de travail avait été établi par le conseil d’administration de l’époque, comme je l’ai fait pour M. Delpy. Pour établir son contrat, j’ai demandé conseil au directeur financier et au directeur des ressources humaines. La rémunération souhaitée par M. Delpy a été présentée ensuite au conseil d’administration.

M. le Président : Aviez-vous, à peu près, connaissance de la rémunération de M. Olivier Spithakis ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Je l’ai su. Quand je suis arrivée, je m’y suis intéressée et lorsque nous avons eu des divergences, également.

M. le Président : Sur quels points aviez-vous des divergences ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Nous en avons eues de nombreuses, la dernière a été l’entrée de représentants de l’UNEF-ID dans la MNEF.

M. le Président : Des divergences politiques ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Oui, des divergences d’orientation.

M. le Rapporteur : Pour être clair, en tant que présidente, quelle était votre position concernant l’entrée de l’UNEF-ID au conseil d’administration ?

Mme Marie-Dominique LINALE : J’y étais favorable et Olivier Spithakis n’était pas tout à fait pour.

M. le Rapporteur : Il était contre, et votre position était qu’il fallait coopter...

Mme Marie-Dominique LINALE : Il fallait faire entrer au conseil d’administration de la MNEF les associations, les syndicats. La MNEF avait retrouvé une stabilité. L’UNEF-ID, avant cette période où le redressement a été entrepris, avait toujours été présente dans la MNEF ainsi que les associations. Comme nous avions une bonne année en perspective, il nous a semblé intéressant d’élargir la représentation et de faire entrer les associations et les syndicats. Nous avons commencé par le syndicat étudiant le plus important. Mais j’ai également demandé à la FAGE et à d’autres associations d’entrer au conseil d’administration de la MNEF.

M. le Rapporteur : Dans le processus électoral qui s’est déroulé et que vous avez eu la responsabilité de préparer, vous paraît-il normal qu’un seul syndicat étudiant, l’UNEF-ID, ait reçu une subvention de fonctionnement, faussant en cela le jeu ?

Mme Marie-Dominique LINALE : La subvention accordée en 1998 à l’UNEF-ID n’a pas été reconduite.

M. Bruno BOURG-BROC : Quelle était la fréquence des réunions du conseil d’administration ? Pourriez-vous, dans les grandes lignes, nous dire comment se déroulait un conseil d’administration ? Qui était présent ? Qui parlait ?

A votre connaissance, lorsque vous êtes arrivée et lorsque vous êtes partie, quels étaient les liens, institutionnels ou non, entre la MNEF et les partis politiques ou encore les syndicats ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Il y avait au moins trois ou quatre conseils d’administration par an, cela dépendait du rythme de l’actualité, des décisions et des résolutions à prendre.

M. Bruno BOURG-BROC : Les statuts prévoient-ils une périodicité minimum ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Oui. Il est prévu trois assemblées générales, mais de fait elles étaient plus nombreuses. Surtout la dernière année.

L’ordre du jour était fixé par mon bureau et moi-même en collaboration avec M. Spithakis et, par la suite, M. Delpy. Chaque administrateur avait le droit de poser des questions, en les présentant trois jours avant, comme cela est prévu dans le code. Les syndicats de la MNEF étaient représentés par deux délégués syndicaux. On commençait par un point d’actualité fait par le directeur général ou un autre directeur ; souvent même par deux points d’actualité sur les évolutions en cours. Selon le thème, les intervenants variaient : la campagne de la rentrée incombait à M. Prous, à M. Goudon revenait d’exposer la situation sur Prémuni ou les engagements informatiques. Ensuite, nous répondions à toutes sortes de questions relatives à la mutuelle, à son fonctionnement, son budget, ses orientations, ses éditions…

M. Bruno BOURG-BROC : Je me demandais si les administrateurs parlaient ou si c’était plutôt les membres de la direction générale. Les rapports étaient-ils présentés par des membres élus ou par des membres de l’administration ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Les points dont nous débattions étaient présentés, selon les cas, par la secrétaire générale ou moi-même, la trésorière ou le trésorier.

M. Bruno BOURG-BROC : Vous rédigiez le rapport ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Les résolutions étaient rédigées avec la juriste et les différents directeurs selon qu’elles concernaient tel ou tel domaine de la mutuelle. Les juristes " doublaient " notre travail, en mettant les résolutions en forme. Celles-ci étaient ensuite présentées par le président, la vice-présidente ou un autre directeur ; les administrateurs avaient tout loisir d’intervenir et de demander plus d’explications. A chaque fin d’exposé, le débat était lancé.

M. Bruno BOURG-BROC : Quelle est votre réponse à ma question sur les liens, institutionnels ou non, existant entre les formations politiques ou syndicales et la MNEF ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Nous avons toujours entretenu d’assez bonnes relations  avec l’UNEF-ID, parce que notre histoire nous lie à eux, plus qu’à l’UNEF-SE, avec laquelle nous avions moins de rapports. Nous étions liés aussi avec des syndicats comme la FIDEL. En 1997, lors de nos dernières élections, nous les avons invités à nos assises. Chacun a pris la parole sur la mutualité étudiante, sur les élections. Tous les syndicats avaient été invités. Ce sont donc des rapports que l’on peut qualifier de partenariaux.

M. Bruno BOURG-BROC : Tous les syndicats ? L’UNI également ?

Mme Marie-Dominique LINALE : En 1997, elle avait été invitée mais c’est la seule formation qui n’est pas venue s’exprimer.

En tant que tels, je n’ai pas eu de rapports avec les partis politiques, à part ceux qu’une mutuelle peut entretenir avec les gouvernements successifs sur telle loi, tel projet de loi ou telle demande des pouvoirs publics concernant les étudiants. Pour ma part, je n’ai pas eu de contact personnel avec des formations politiques.

M. le Président : Avant de poursuivre, je voudrais dire, que je viens de transmettre à mes collègues copie du jugement rendu, ce jour, par le tribunal de grande instance de Paris. Celui-ci prononce la nullité de l’assemblée générale du 24 juillet 1998, alors que vous étiez donc présidente et, par voie de conséquence, de l’élection du 11 mars 1999 intervenue conformément à cette assemblée, avec exécution provisoire du jugement. Cela veut donc dire que, dès lors, de plein droit, on se retrouve dans la situation antérieure à cette assemblée générale, avec le conseil d’administration antérieur aux élections. Pouvez-vous nous faire part de vos observations ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Je n’ai pas eu connaissance du texte du jugement. Je n’ai appris cette décision que sur ma messagerie tout à l’heure. Je n’en ai pas encore discuté avec mon avocat.

M. Bruno BOURG-BROC : En droit, Madame redeviendrait présidente ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Non, peut-être pas. C’est l’ancien conseil d’administration qui revient et doit réélire un nouveau bureau.

M. le Président : C’est le conseil d’administration antérieur aux élections qui reste compétent, sous réserve des démissions qui sont intervenues.

Mme Marie-Dominique LINALE : J’avoue que je ne m’attendais pas à une annulation de la part du tribunal.

M. le Président : Il est dit " qu’une telle procédure aboutit à priver les délégués participant à l’assemblée générale de la possibilité d’une expression libre et réfléchie, telle qu’elle doit pouvoir s’exercer démocratiquement dans le cadre des associations et qu’elle est prévue dans le formalisme des dispositions statutaires, lequel ne fait que refléter ces principes démocratiques. "

M. André ANGOT : Pensez-vous que cette décision puisse entraver le fonctionnement de la MNEF, sachant que l’on nous a dit à plusieurs reprises que la MNEF reposait uniquement sur ses salariés et ses dirigeants, et que le conseil d’administration n’était au courant de rien et n’avait aucun pouvoir. Le fait qu’il n’y ait plus de conseil d’administration élu à la MNEF sera-t-il nuisible à son fonctionnement ?

Mme Marie-Dominique LINALE : L’ancien conseil d’administration est donc toujours en place. Qu’il n’ait pas de pouvoir et que la MNEF soit gérée uniquement par les salariés, je ne suis pas d’accord. Nous avons eu notre mot à dire sur de nombreux sujets, nous nous sommes engagés dans de multiples combats et d’actions. Il est vrai que nous sommes des étudiants, que nous étions plus préoccupés par les questions sociales et que nous étions loin d’être présents tous les jours à la MNEF.

Je pense effectivement que cette décision est un coup dur pour les salariés qui étaient repartis sur des bases sereines. Après la campagne de presse, un processus électoral s’était mis en place, qui se déroulait correctement et une nouvelle équipe venait de reprendre la situation.

M. André ANGOT : Cette annulation semblerait indiquer que le processus d’élection ne s’est pas déroulé tout à fait normalement.

Mme Marie-Dominique LINALE : Non, je ne crois pas, car l’annulation concerne l’assemblée générale du 24 juillet, pour des raisons de forme. En principe, une assemblée générale doit être convoquée dans les quinze jours précédant sa réunion. L’ordre du jour avait été communiqué depuis longtemps puisque cette réunion était prévue de longue date. Suite aux événements, aux démissions, suite au lancement du processus électoral, nous avions convoqué l’assemblée générale le 24 juillet, en ajoutant à l’ordre du jour le point portant sur les modifications statutaires puisque, jusqu’au 23 juillet au soir, la commission électorale avait délibéré sur le système électoral. Nous avions donc convoqué un conseil d’administration pour revoter l’ordre du jour modifié.

M. le Président : L’article 21 des statuts de la MNEF dispose que l’assemblée générale doit être convoquée au moins quinze jours avant la date de cette réunion.

Mme Marie-Dominique LINALE : Pour donner un ordre du jour.

M. le Président : Manifestement, ce délai n’a pas été respecté et le conseil d’administration a tenté de le justifier par la procédure d’urgence qui autorise un délai ramené à trois jours. Nous connaissons cela dans nos conseils municipaux. Cependant, cette règle de l’urgence, invoquée au motif de problèmes judiciaires nombreux, n’a pas été retenue par le tribunal. Celui-ci, annulant l’ordre du jour, a de fait annulé la délibération, et donc les élections.

M. Hubert GRIMAULT : Tout le monde s’accorde à dire que la MNEF et ses filiales avaient une organisation un peu complexe. Pouvez-vous nous dire, de manière simple, comment vous et le conseil d’administration suiviez l’activité de la MNEF, de ses filiales et sous-filiales ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Le point sur l’activité des filiales était fait par le directeur général en conseil d’administration. De même, les directeurs devaient fournir des rapports au conseil, et veiller à ce que tout se déroule au mieux des intérêts de la MNEF à l’intérieur de ses filiales.

M. Hubert GRIMAULT : Ma question est précise. Aviez-vous, à chaque conseil d’administration, un exposé complet de l’activité de chaque filiale et sous-filiale ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Pas à chaque conseil. Il n’y avait pas de règle établie. Si des transformations ou des évolutions apparaissaient, elles étaient portées à la connaissance du conseil d’administration, le point était fait rapidement. Nous parlions souvent des filiales en introduction, ou des points précis étaient abordés dans des questions posées par les membres du conseil d’administration ou des élus étudiants, puisque les représentants de section étaient présents, mais aucune règle ne nous imposait d’aborder le sujet des filiales à chaque conseil.

M. Hubert GRIMAULT : A l’occasion de visites à votre directeur général, vous arrivait-il de poser des questions sur l’activité des filiales ? Etait-ce une de vos préoccupations ou faisiez-vous entièrement confiance aux fonctionnaires ?

Mme Marie-Dominique LINALE : C’était une préoccupation, mais je dois avouer qu’en raison de mon âge, de mon faible niveau en matière de gestion, je ne m’y intéressais que de façon générale. Si j’avais des points d’intérêt ou des questions qui m’étaient posées même par l’extérieur, j’intervenais.

M. Hubert GRIMAULT : Ce n’était pas un de vos soucis.

Mme Marie-Dominique LINALE : Ce n’est pas tout à fait cela, mais je ne pouvais pas parvenir à tout faire et être là le plus souvent possible. Je suis étudiante dans le sud, même si je venais assez souvent à Paris, j’avoue que certaines filiales m’intéressaient, par exemple, Carte Jeunes SA, car il s’agissait d’un produit que nous utilisions nous-mêmes et les étudiants me faisaient part de leurs critiques. De ce point de vue, je peux dire que je m’y suis intéressée, mais vous dire que je m’intéressais à chacune des filiales, vraiment je ne le peux pas.

M. le Président : L’un des administrateurs nous a dit qu’il avait fait l’objet de menaces physiques pour avoir envisagé de demander la désignation d’un administrateur provisoire ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Menaces physiques ?

M. le Président : Oui. Il semblait terrorisé.

Mme Marie-Dominique LINALE : Je ne sais pas de qui vous parlez. Mais franchement, je n’ai pas entendu parler de menaces physiques. En tout état de cause, je n’étais pas présente.

Je conviens qu’il y a eu des discussions, des débats houleux entre administrateurs au sujet de la nomination d’un administrateur provisoire, la pression montait, tant parmi les salariés qu’au conseil d’administration ou à la direction générale, mais il n’y a pas eu de menaces physiques.

M. le Rapporteur : S’agissant des filiales et des sous-filiales, y avait-il des représentants du conseil d’administration, donc des élus, dans les structures dirigeantes de ces filiales et sous-filiales ou est-ce que les administrateurs du conseil d’administration de la MNEF n’allaient pas au-delà de l’UES Saint-Michel et de Raspail Participations et Développement ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Ils n’allaient pas au-delà.

M. le Rapporteur : Les organes de direction de la mutuelle étaient l’assemblée générale, le conseil d’administration, le bureau, la présidente, les Amis de la MNEF, et l’on nous a parlé du comité consultatif. Vous connaissez cette structure ?

Mme Marie-Dominique LINALE : J’ai rencontré ses membres. Nous avions des réunions deux fois par an. J’avais la chance de bien m’entendre avec M. Leberre et Mme Devaux qui en font partie et qui sont les fondateurs du régime étudiant de sécurité sociale. Il nous arrivait de déjeuner ensemble et de parler des orientations de la MNEF. J’ai, pour ma part, souvent eu recours à eux, pour leur demander des conseils parfois personnels.

M. le Rapporteur : C’est vous qui désignez ce comité national consultatif ou est-ce des auto-désignations ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Durant mon mandat, la composition du comité est restée la même.

M. le Rapporteur : Une commission permanente de la mutuelle se réunissait le mardi. Y avez-vous participé en tant que présidente ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Elle se réunissait le mardi matin à 8 heures. J’y ai siégé mais j’ai dû abandonner parce que je ne pouvais pas être à Paris le mardi. J’ai recommencé à y participer après le départ d’Olivier Spithakis. Je venais alors à Paris en début de semaine.

M. le Rapporteur : En clair, la commission permanente a préféré continuer à se réunir le mardi, quitte à ne pas avoir la présidente, plutôt que de se mettre à sa disposition ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Le trésorier et la trésorière ainsi que le secrétaire général de l’époque et le délégué général étaient présents. Il y avait tout de même trois ou quatre étudiants, avec lesquels j’avais des contacts réguliers.

M. le Rapporteur : On nous a également parlé de deux comités exécutifs, MNEF et filiales ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Les directeurs se réunissaient pour débattre des différentes orientations avec le directeur général.

M. le Rapporteur : En tant que présidente, étiez-vous invitée à participer à ce comité exécutif filiales ou au comité exécutif MNEF ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Je pouvais y aller mais ils se réunissaient après la réunion de la commission permanente, le mardi.

M. le Rapporteur : Donc, toutes les réunions importantes avaient lieu le jour où vous ne pouviez être à Paris ?

Mme Marie-Dominique LINALE : C’était dû à mon emploi du temps.

M. le Rapporteur : Oui, mais la présidente, c’était vous !

Mme Marie-Dominique LINALE : C’était comme cela. Ces réunions concernaient les directeurs.

M. le Rapporteur : A aucun moment, il n’est venu à l’idée du conseil d’administration que les directeurs pouvaient se mettre un peu à la disposition des élus ? On aurait, par exemple, pu changer le jour !

Mme Marie-Dominique LINALE : Je vous répète que c’était leur réunion comme nous pouvions avoir entre nous la conférence des présidents en tant qu’élus. Mais un rapport du comité exécutif et du comité filiales était fait, nous pouvions y avoir accès facilement.

M. le Président : Mais vous n’aviez pas l’impression que le système tournait à l’envers ? Je m’excuse de dire cela, mais c’est ce qui ressort de votre audition. Nous avons l’impression d’un navire ivre dont vous ne pouviez tenir le gouvernail, alors même que vous en étiez la présidente.

Mme Marie-Dominique LINALE : Ce n’est pas que je ne pouvais pas tenir le gouvernail, c’est que j’ai été présente sur ce que je pouvais.

M. le Président : Et vous n’avez pas eu envie de donner votre démission en disant que vous ne contrôliez plus ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Non, je n’ai pas eu l’impression de ne pas contrôler. J’avais un rôle bien défini de gestion du conseil d’administration et des assemblées générales ; je m’occupais de santé, des orientations de la politique de santé, d’actions sociales, que ce soit à Paris ou dans le sud. Lorsque je redescendais, je menais des actions. J’ai monté moi-même des opérations avec les directeurs. J’en ai pris la responsabilité pour certaines villes.

Pour moi, je menais les actions que je devais mener. Je rendais un service aux étudiants. Je créais des produits pour eux. Il y avait des services. La MNEF représentait quelque chose, dans les domaines de la santé, des aides, etc. C’est ma vision. Je gérais mon conseil d’administration.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Madame, nous vous avons écouté avec beaucoup d’attention et vous nous avez fait part de ce qu’a été votre action, de ce qu’étaient votre rôle et vos responsabilités qui, je pense que vous en avez conscience, étaient importantes. Aujourd’hui, vous avez pris un peu de recul. Pourriez-vous nous dresser le bilan de ces cinq années de présidence ? Peut-être pourriez-vous faire état de regrets, d’erreurs que vous auriez pu commettre dans l’exercice de ces responsabilités ? Plus généralement, quel jugement portez-vous sur ce qui a été appelé l’affaire de la MNEF ?

Perceviez-vous une indemnité qui vous dédommageait du temps que vous consacriez à la MNEF ? Vos frais de fonction étaient-ils pris en charge ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Comme je le disais précédemment, mon seul regret est de ne pas nous avoir tous poussé à aller plus loin dans notre formation, et par là, de nous être intéressés davantage à tout ce qui touchait aux filiales, à la gestion. Nous avions des formations assez diverses et à notre jeune âge, je ne sais pas si l’on est conscient du degré de responsabilité qui repose sur nos épaules.

M. le Président : Quelle formation avez-vous suivie ?

Mme Marie-Dominique LINALE : J’ai une formation en géographie. J’ai travaillé dans des directions départementales de l’agriculture. J’ai toujours plus ou moins travaillé pour payer mes études. Si nous avions été mieux formés, nous aurions peut-être pu être plus au fait de certaines choses, et certains auraient été plus intéressés par l’activité de l’ensemble de la structure de la MNEF.

M. le Président : Un étudiant est-il vraiment capable d’être président de la MNEF ? C’est la question que nous devons nous poser.

Mme Marie-Dominique LINALE : La question ne se pose pas ainsi. Avec le recul, je pense qu’il faut définir ce poste de président étudiant. Nous sommes étudiants, c’est-à-dire que nous devons suivre un cursus, arriver à finir nos études tant bien que mal, et plutôt mal lorsqu’on a ce genre de poste à responsabilité, même si l’on ne peut pas être là tous les jours car ce n’est pas le but. On ne peut pas nous demander d’être là tous les jours et de poursuivre nos études.

M. André ANGOT : Dans ce cas, il ne faut pas en prendre la responsabilité.

Mme Marie-Dominique LINALE : Si, il faut la prendre parce que c’est intéressant. C’est une expérience formidable. On sort du monde associatif, on peut réaliser pleins de choses. Mais je pense qu’il faut redéfinir ce poste de président, les responsabilités qui s’y attachent, sa mission pendant le temps qu’il peut consacrer à la mutuelle.

M. le Président : Nous nous posons la question de savoir si, à vingt-deux ou vingt-trois ans, sans aucune expérience de la vie des affaires, de la gestion, de la comptabilité, on peut se retrouver à la tête d’une mutuelle qui gère des centaines de millions de francs, dont le capital est de plusieurs milliards de francs, qui emploie 700 salariés et qu’en théorie, vous dirigez en tant que présidente.

M. Bruno BOURG-BROC : Pardonnez mes propos mais avez-vous pris conscience que cette expérience que vous venez d’évoquer, fructueuse pour vous d’une certaine façon, pourrait peut-être un jour vous mener en prison ?

Mme Marie-Dominique LINALE : J’en aurais pris la responsabilité. Si cela me mène en prison… je ne sais pas quoi vous répondre ; je n’ai pas ce sentiment, je ne me suis même pas posé la question. Ou alors, je ne me suis pas du tout aperçue de mon erreur et du fait que je prenais une orientation complètement fausse.

M. Bruno BOURG-BROC : Ce n’est pas un souhait de ma part.

M. le Président : Ne soyez pas terrorisée par la question qui vient de vous être posée. Je dis cela à mon collègue parce qu’il a prononcé des mots durs.

Mme Marie-Dominique LINALE : La question se pose en raison de la responsabilité pénale liée à ce poste. Le président a une responsabilité pénale. Je me suis effectivement posée la question, j’ai couru chez un avocat.

Mais, pour revenir à la question initiale, je pense que nous pouvons tenir ce poste, en tout cas tel que je l’ai défini, en séparant bien les rôles car, à mon avis, on ne peut pas être à la tête d’une mutuelle et gérer les salariés. Nous n’en avons ni le temps, ni la carrure, ni l’expérience. La séparation qui existait me convenait, car je n’avais pas les capacités pour le reste. Pour moi, la présidence s’occupait des orientations dans le domaine médical, de la santé et autres et apportait un service à l’étudiant pour faciliter ses conditions de vie, etc. De ce point de vue, je pense que nous étions les mieux placés puisque nous nous sommes étudiants. Je ne crois pas que ce soient les salariés de quarante ans qui puissent définir nos besoins.

M. le Président : Il y avait une seconde partie à la question de M. Baeumler, concernant l’indemnité que vous perceviez et la prise de charge de vos frais.

Mme Marie-Dominique LINALE : Je percevais une indemnité et mes frais étaient pris en charge - mes déplacements, mes billets d’avions et les repas que je pouvais faire dans le cadre de ma fonction.

M. le Président : Quel était le montant de cette indemnité ?

Mme Marie-Dominique LINALE : En fin de mandat, elle était de 10 200 F, au départ elle était de 6 000 F.

M. le Président : Vous ne touchiez aucune autre indemnité ? Vous avez dit que vous aviez un poste à UES Saint-Michel, pour lequel vous ne touchiez pas d’autre indemnité ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Non, pas du tout. Les mandats que nous avions en tant que représentants MNEF n’étaient pas indemnisés.

M. le Président : Il n’y avait qu’une seule indemnité ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Tout à fait.

M. le Président : Nous avons reçu, tout à l’heure, les délégués et le directeur de la MGEL qui estiment qu’il ne doit pas y avoir d’indemnisation. Qu’en pensez-vous ?

Mme Marie-Dominique LINALE : Je pense qu’à la MNEF, aucun d’entre nous n’aurait accepté, et ne se serait investi comme il l’a fait, sans une indemnité.

M. le Président : Leurs frais réels sont remboursés mais il n’ont pas d’indemnité complémentaire assimilable, en quelque sorte, à un salaire.

Mme Marie-Dominique LINALE : Peut-être, mais pour payer mes études, j’ai toujours dû travailler dans différentes administrations. J’avais obtenu un poste de " pionnicat " que j’ai dû quitter parce que je ne pouvais pas tout faire. Sans cette indemnité, nous sommes nombreux dans ce cas, nous n’aurions pas pu occuper ce genre de poste à responsabilité, qui demande de venir souvent à Paris, ce qui occasionne toujours des frais que l’on se fait rembourser, qu’on le veuille ou non. Je ne conçois pas que l’on ne puisse pas nous rémunérer un minimum.

M. le Président : C’est votre position.

M. Pierre LASBORDES : J’ai une question assez simple. Quel est le chiffre d’affaires de la MNEF pour 1998 et la valeur du capital immobilier ? Un ordre de grandeur ?

Mme Marie-Dominique LINALE : On gère à peu près 300 millions de francs. La valeur du capital immobilier, je ne saurais vous le dire, même en vous donnant un ordre de grandeur.

M. le Rapporteur : Le rôle de cette commission est de faire la lumière sur un certain nombre de choses qui se sont passées, mais également de faire des propositions. Dans le fonctionnement que vous nous décrivez, à vous entendre, j’ai l’impression que tout se passait comme si vous étiez la représentante du comité consultatif social auprès du directeur général.

Finalement, le directeur général dirigeait la " boutique ", et vous, les représentants étudiants, étiez là pour essayer d’avoir quelques idées sur le plan social, d’améliorer la condition de vie étudiante. Mais, en fait, vous n’aviez pratiquement aucun poids sur l’activité réelle, le fonctionnement et la diversification de la mutuelle.

Les rapports que nous avons étudiés montrent que la liquidation des prestations aux étudiants fonctionnait bien, il n’y avait pas de problème à ce niveau, mais vous n’aviez pas vraiment de prise sur tout le reste : les filiales et le système capitalistique qui s’est mis en place au-delà de UES Saint-Michel et de Raspail Participations et Développement.

Mme Marie-Dominique LINALE : Nous avions une emprise. Nous avons donné notre avis. A une époque, nous étions d’accord pour que la MNEF s’occupe du problème du logement des étudiants car il y avait des carences dans ce domaine.

M. le Rapporteur : Mais y avait-il des carences au niveau de l’imprimerie des étudiants, au niveau des voyages en bateau des étudiants ?

Mme Marie-Dominique LINALE : L’imprimerie était l’outil technique de la MNEF. Elle servait à la mutuelle elle-même, pas aux étudiants directement.

Nous nous sommes battus sur de nombreuses propositions en conseil d’administration avec le directeur général. Sur nos propositions, il a mis en place des choses avec les pouvoirs publics ou avec les autres directeurs. Nous nous sommes beaucoup battus avec le directeur du développement pour mettre en place de nombreuses actions. Ce rôle était pour nous très important.

M. le Président : Avez-vous envisagé de vous séparer du directeur général et de rompre son contrat de travail pour faute ? Vous étiez présidente et en aviez, par conséquent, le pouvoir.

Mme Marie-Dominique LINALE : La seule fois où je l’ai envisagé c’était lorsque nous avons eu des divergences d’opinions. Nous en avons débattu.

M. le Président : Vous avez toujours eu le sentiment qu’il agissait pour le bon fonctionnement de la MNEF ?

Mme Marie-Dominique LINALE : J’ai toujours eu le sentiment qu’il allait dans le sens des étudiants et de la MNEF.

M. le Président : C’est votre position. Je vous remercie, même si cela a été un peu dur pour vous par moments.

Audition de M. Michel ROCARD,
ancien Premier ministre, député européen

(procès-verbal de la séance du mercredi 19 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M. Rocard est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Rocard prête serment.

M. le Président : Monsieur le Premier ministre, je tiens tout spécialement à vous remercier d’avoir accepté de vous rendre à notre invitation.

Vous êtes au courant de la création de cette commission d’enquête, qui concerne aussi bien les problèmes de la MNEF que ceux de la sécurité sociale étudiante en général. La commission a tenu à être éclairée sur les problèmes posés par l’inévitable application des directives européennes sur l’assurance, aux mutuelles régies par le Code de la mutualité.

Au cours d’un exposé liminaire, vous pourrez nous présenter votre approche de ces problèmes, nous préciser l’objet de la mission qui vous a été confiée par le Premier ministre et les initiatives que peut prendre la France lors de la transposition de cette directive européenne.

M. Michel ROCARD : Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, messieurs les députés, je viens de prêter serment sans l’ombre d’un faux-fuyant et avec une absolue conviction ; je ne pense pas être détenteur de secrets d’Etat, mais je suis heureux de déférer à cette nécessaire solennité.

Monsieur le président, c’est toujours un honneur d’être cité en tant que témoin devant une commission du Parlement, par conséquent j’ai eu fierté à répondre immédiatement à votre invitation. J’ai cependant eu un petit doute : le champ de la mission qui m’a été confiée par le Premier ministre, sur la transposition des directives " assurances " aux mutuelles a-t-il la moindre zone séquente avec le champ d’enquête couvert par votre commission ?

Vous êtes passés d’une enquête sur la MNEF qui, dans le rapport que je remettrai la semaine prochaine au Premier ministre, n’est pas citée une seule fois, à un champ élargi aux mutuelles étudiantes, du fait de la saisine de la justice, sur certains faits propres à la MNEF. C’est dans le cadre de cet élargissement que je suis prêt à contribuer à vos travaux dans la mesure de mes moyens et de la compétence qui m’a été donnée juridiquement – et que j’ai peut-être acquise intellectuellement.

Le champ de votre commission d’enquête et celui de ma propre mission ont peu de points communs. Je peux cependant, pour ouvrir le débat, aborder deux points particuliers. Premièrement, l’application du droit communautaire des assurances ne met pas en cause la gestion par une mutuelle du régime obligatoire. Nous pourrons peut-être explorer, sous l’angle juridictionnel, comment le problème se présente devant les institutions européennes.

La Commission européenne nous a cependant clairement indiqué qu’elle examinerait cette délégation du service public à l’aune des règles de la concurrence qui interdisent les subventions dissimulées, et exigent la rémunération d’un service à son coût réel. A terme, cela peut poser la question des conditions dans lesquelles l’Etat concède la gestion d’un service public à un ou plusieurs organismes privés.

Par ailleurs, l’application du droit communautaire conduira à un renforcement des pouvoirs de contrôle de la Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance (CCMIP). A cet égard, il convient de préciser que le contrôle qu’elle opère ne se limite pas à celui des règles comptables, des règles de provisionnement, mais doit aussi, aux termes des directives européennes elles-mêmes, porter sur l’organisation administrative et sur le contrôle interne.

La difficulté qui a conduit le Premier ministre à me charger de cette mission résidait dans le fait qu’après la publication des troisièmes directives européennes " assurance ", en 1992, la France s’est trouvée dans l’obligation de les transposer en droit interne. Cette transposition a été faite dans les délais – moins de douze mois – pour les compagnies privées d’assurance et les institutions de prévoyance.

En revanche, pour le cas particulier des mutuelles relevant du Code de la " Mutualité 1945 " et non du Code des assurances, le Gouvernement ne s’est pas trouvé en situation de proposer au Parlement dans les délais un projet de transposition en droit français des directives. La Commission européenne a donc traduit la France devant la Cour européenne de justice pour cause de retard dans l’application des directives.

C’est pour tenter de sortir de cette situation que j’ai été chargé d’une mission exploratoire des difficultés. Après une analyse des marges de liberté et des compatibilités – faibles – ou zones de non-contradiction du droit communautaire avec les exigences du mouvement mutualiste français, je vais donc remettre un rapport au Premier ministre sur les conditions auxquelles on pourrait, tout en préservant la spécificité des mutuelles, traduire enfin cette directive de 1992 dans le droit français.

Trois problèmes principaux sont posés : la gestion d’œuvres sociales par des mutuelles par ailleurs gestionnaires de l’assurance complémentaire maladie ; les conditions de transmission des portefeuilles en cas de faillite ou de disparition d’un organisme mutualiste ; les conditions de la réassurance. On pourrait rajouter à ces trois problèmes celui du complément de retraite épargne fonctionnaire – le CREF.

C’est sur ces points qu’ont porté nos travaux, éclairés par les auditions de toutes les fédérations mutualistes, le rapport de force dans l’élection du conseil supérieur de la mutualité étant de 95 % des voix pour la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), les 5 % restant étant partagés entre la FNIM et la FMF.

Je suis prêt à détailler devant vous mes suggestions sur ces points ; il me reste à entendre de vous la confirmation qu’il s’agit bien des points qui vous intéressent, puisqu’aucun ne concerne directement ou exclusivement la MNEF.

M. le Rapporteur : L’objet de la commission d’enquête est relatif au régime étudiant de sécurité sociale et à sa gestion par des mutuelles d’étudiants. Si nous avons souhaité vous entendre sur les problèmes liés au droit communautaire, c’est parce que l’objet de cette commission est non seulement de faire le constat de ce qui s’est passé, mais également de formuler un certain nombre de propositions.

Or nous souhaiterions que ces propositions tiennent compte des probables évolutions et de la probable soumission du droit français au droit communautaire en la matière. Le problème de la gestion des œuvres sociales nous intéresse, car il est évident qu’il existe deux types de problèmes dans la mutualité étudiante : d’une part, la gestion du régime obligatoire – et le bon niveau des remises de gestion – et, d’autre part, la gestion des œuvres sociales qui a conduit les mutuelles, et en particulier la MNEF, à une politique de filialisation qui pose beaucoup de problèmes, en raison des dérives légales et illégales auxquelles elle a donné lieu. Les aspects transmission des patrimoines et libre concurrence sur les réassurances sont moins cruciaux dans le domaine de la mutualité étudiante aujourd’hui que l’évaluation du coût de gestion du service public.

M. Michel ROCARD : Dans ces conditions, Monsieur le rapporteur, je vais entrer dans le vif du sujet.

Le premier élément fondamental est de savoir si, au regard du droit communautaire, un organisme de droit privé qui exerce une activité d’assurance, peut être chargé en plus, de la gestion d’un régime obligatoire.

La réponse européenne est parfaitement claire et elle est positive. Aucune disposition du droit européen ne s’oppose à ce qu’un Etat confère la responsabilité de la gestion d’un régime obligatoire d’assurance maladie à un organisme de droit privé moyennant une rémunération. Nous sommes renvoyés au droit pur et simple de la concurrence, qui implique que les remises de gestion rémunérant l’exercice de ce risque n’en excèdent pas le volume et le coût, ce qui nécessite un contrôle approprié.

Pour avoir, dans ma jeunesse, été amené à soutenir auprès des autorités françaises de l’époque, le fait que dans le cadre de la Mutuelle nationale des étudiants de France, il y avait sous-évaluation du coût de gestion du régime général et urgence à revaloriser ces remises de gestion – je reste fidèle à cette vision – je n’ai jamais revendiqué pour autant qu’on les surrémunère.

Ce point est en droit européen parfaitement clair. Il peut ouvrir des objets de contentieux éventuels que je n’ai pas eu à traiter et donc sur lesquels je n’ai pas compétence, sur des questions telles que " qui exerce ce contrôle ? ", " qui est responsable d’un contrôle du contrôle ? ", etc. Mais nous sommes dans le champ explorable et connu du droit de la concurrence qui est clair bien que technique.

Les autres problèmes que vous avez évoqués relèvent de la spécificité mutualiste. Permettez-moi d’insister sur les éléments principaux de cette spécificité mutualiste que sont la gestion des œuvres, la transmission de portefeuille et la réassurance.

Je commencerai par une considération générale. Le droit européen ne connaît pas cette spécificité mutualiste. Il aborde les problèmes du risque maladie essentiellement en référence à la concurrence, mais avec une possibilité d’ouverture en faveur d’une exception à l’application des principes de la concurrence pour des raisons d’intérêt général. Cette possibilité induit une obligation juridique : l’intérêt général, dont on fait état pour demander une application particulière des règles de la concurrence, doit être législativement spécifié.

En matière d’assurance maladie, nous sommes, en France, devant une évolution coutumière très fortement marquée par la tradition mutualiste mais celle-ci ne bénéficie pas d’une traduction législative de l’intérêt général qu’elle sert. Plus encore, cette spécificité mutualiste, si elle existe, se résume à une forte densité d’éléments statutaires et réglementaires internes aux mutuelles elles-mêmes, ou d’éléments liés au contenu du contrat d’adhésion. L’adhérent mutualiste est plus qu’un assuré, il participe aux décisions de gestion générale de sa mutuelle.

Cependant, ces spécificités mutualistes n’ont nulle part été définies en droit ; par conséquent, il n’y a pas de texte national, pour le moment, c’est pourquoi les conclusions de mon rapport proposent d’en adopter un au nom duquel une spécificité mutualiste puisse servir de base légale à un traitement différencié, à son profit, des règles d’exercice de la concurrence.

Si spécificité mutualiste il y a, on en devine les traits. Ils comportent le caractère viager de l’engagement de la mutuelle à l’encontre d’un fonctionnement que j’appellerai de libre entreprise, suivant lequel, très fréquemment, des compagnies d’assurance se donnent le droit de ne plus garantir une personne devenant " à risque " en raison de la survenue d’une maladie. La spécificité mutualiste, c’est de prendre l’engagement inverse.

La deuxième spécificité est d’organiser une solidarité, soit professionnelle, soit territoriale, indépendamment de la matérialisation du risque. C’est l’exercice de cette solidarité qui est antagonique avec la sélection des bons risques. Indépendamment de tout critère de solidarité, la spécificité mutualiste, par rapport au monde de libre entreprise de l’assurance, est de ne pas faire de sélection des bons risques, donc, par exemple, de ne pas soumettre l’adhésion à une mutuelle, à des questionnaires médicaux ou de ne pas cibler un public à faible risque. Je sais, néanmoins, que certaines mutuelles passent outre à cet engagement.

Les résultats que ce système mutualiste a acquis, en qualité de prestations d’assurance, en respect de ses assurés – l’ensemble de la mutualité compte 22 millions de cotisants et 30 millions d’ayants droit – sont importants. Ce système repose également sur une tradition historique et une légitimité immense. Mais son fonctionnement est coutumier, et n’est pas estampillé par des dispositions fondamentales du droit français. Sous réserve de quelques points, le droit communautaire peut très bien s’accommoder des contraintes statutaires particulières à tel organisme au nom desquelles il renchérit ses coûts à condition qu’il fasse des choses que les autres ne font pas. En revanche, il n’accepterait pas un privilège général issu d’une disposition législative qui soit en elle-même un biais à la concurrence.

C’est sous cette réserve que la France a maintenant, dans l’accompagnement du travail de transposition du droit européen en droit français, l’obligation de définir cette spécificité mutualiste. Ce point est général mais central, et nous entrons maintenant dans le détail.

Je développerai trois points majeurs au sujet de l’assurance complémentaire maladie. Le premier concerne la gestion des œuvres sociales. Le principe mutualiste conduit nos mutuelles à prendre en charge, moins des risques de maladies spécifiques que des personnes. C’est leur honneur mais cela ne résulte pas de la loi. A ce titre, le raisonnement mutualiste consiste à dire que l’assurance du risque survenu est une chose, mais que le contrat d’adhésion à une mutuelle concernant des personnes encore valides, crée, pour la mutuelle, l’obligation d’agir sur le risque par la prévention et une offre de soin pas uniquement liée à la survenance du risque qu’est la maladie. Là commence le conflit conceptuel avec les règles issues des troisièmes directives européennes adoptées à l’unanimité des Etats membres en 1992.

A ce titre, l’élément majeur des directives européennes est la spécialité de l’activité d’assurance. Je vous rappelle d’ailleurs que si le problème se pose c’est bien parce que les mutualistes français ont demandé, en 1992, à être inclus dans le champ de transposition des directives européennes, avec le double souci de ne pas être isolés et coincés dans la concurrence, et de voir leur philosophie mutualiste capable de s’expatrier et de se diluer chez les autre pays d’Europe, ce qui était, après tout, souhaitable et le demeure. Dans ces conditions, tout organisme agréé pour faire de l’assurance maladie se voit contraint, par ces directives, à la spécialité de l’activité d’assurance. Il résulte de cette disposition qu’il y a pour toute mutuelle une incompatibilité entre la gestion de l’assurance maladie et la gestion directe d’œuvres sanitaires, parasanitaires ou sociales.

Cela a provoqué une vraie colère du mouvement mutualiste. Toutes les mutuelles n’ayant pas la même vision de tout cela, et je pourrais détailler leurs divergences, je parle au nom d’une vision un peu arithmétique et globalisante d’une position des mutualistes qui en fait n’existe pas. Je m’efforce de retenir une moyenne lourde entre ces positions divergentes.

Nous avons été chargés d’explorer, avec la Commission européenne, les marges de liberté. Je ne dis pas " négocier ", car il est exclu que la France puisse espérer que la Communauté européenne révise les directives. L’idée de refabriquer une unanimité du Conseil des ministres européens sur une nouvelle directive pour répondre à une exception française car la mutualité n’existe nulle part ailleurs, est complètement exclue.

Il y a deux marges de liberté. Premièrement, le droit européen exige-t-il que toutes les prestations d’assurance maladie soient nécessairement des prestations en espèce, interdisant toute prestation en nature ? La réponse est non. En l’absence d’une disposition communautaire contraire, une prestation d’assurance complémentaire maladie peut avoir la forme d’une prestation en nature. Cela ne règle pas le problème de savoir si cela vaut uniquement en cas de survenance du risque ou si cela inclut la prévention, mais c’est déjà une ouverture.

La gestion par le mouvement mutualiste de cette disposition selon laquelle on peut traduire un contrat d’assurance par des prestations en nature emporte tout de même des conséquences fortes dont la plus importante est que ces prestations ne peuvent être délivrées qu’aux adhérents. Elle interdit donc la gestion d’œuvres mutualistes ouvertes au grand public. Par exemple, dans un hôpital public, cela impliquerait de faire la distinction entre les mutualistes et les autres. Un organisme mutualiste, au regard du droit communautaire, ne peut, en dehors de la prévention, fournir des prestations en nature à d’autres qu’à ses adhérents et à condition que cette prestation repose sur un fondement juridique qui pourrait se rapprocher de la notion d’intérêt général. On ne peut, en disant cela, écarter tout risque contentieux. Clairement, cela veut dire que les mutuelles ne pourront plus assurer directement la gestion de leurs colonies de vacances ou de leurs centres d’optique.

Cela m’a amené à explorer la deuxième voie possible, à savoir celle des mutuelles sœurs qui ont déjà été évoquées dans le rapport de M. Alain Bacquet, président de la section sociale du Conseil d’Etat, de mai 1994, qui n’a pas été suivi. Une mutuelle non agréée au titre de l’assurance maladie, servant des prestations en nature, peut être gérée par le même conseil d’administration, les mêmes autorités, qu’une mutuelle sœur qui, elle, fait de l’assurance maladie. Ce concept est acceptable en droit européen – la Commission me l’a confirmé, en répondant à des questionnaires un peu incisifs que je lui avais adressés.

S’il choisit cette option des mutuelles sœurs, le mouvement mutualiste devra en discuter avec le gouvernement français pour arriver à une clarification fiscale des transferts de fonds entre les mutuelles sœurs. Il devra également se poser la question de la nature du contrat dans le cadre duquel l’adhérent de base, qui aurait souscrit aux deux mutuelles à la fois, pour une unique cotisation, ventilée entre les deux, accepterait une procédure dans laquelle, finalement, la mutuelle bénéficiaire – celle de l’assurance maladie – verrait, sous réserves des règles prudentielles applicables aux compagnies d’assurance, une possibilité de transférer régulièrement des fonds pour financer la mutuelle prestataire de services en nature qui correspond à l’exercice des anciennes œuvres.

Le mouvement mutualiste aura à explorer la faisabilité des choses. Il a besoin d’une négociation de bonne foi avec le Gouvernement, et d’une clarté durable dans le traitement fiscal des transferts financiers. Une solution de cette nature, même si elle complique la vie à un certain nombre de mutuelles, je ne sais pas ce qu’il en serait pour la MNEF, je sais que pour la MGEN ce serait difficile, est possible, compatible avec le droit européen, et pourrait donc être introduite en droit interne au moment de la transposition.

Le deuxième problème est celui du transfert des portefeuilles. Les règles de concurrence supposent que tout organisme d’assurance, s’il a des difficultés, doit pouvoir être racheté dans des conditions marchandes. Il en serait de même pour les mutuelles. Cependant, qu’advient-il de la spécificité mutualiste que j’ai définie auparavant, si une mutuelle est rachetée par une compagnie d’assurance privée ? Il devrait y avoir un droit de suite pour honorer les clauses d’un contrat mutualiste. Or les règles de la concurrence ne permettent pas d’assurer un privilège ou des conditions particulières. Par conséquent, la difficulté particulière, liée à ce problème, peut appeler un traitement du droit du transfert de portefeuilles dans l’univers mutualiste avec des conditions particulières.

L’engagement est un peu différent, et par conséquent j’ai la confirmation que le droit européen ne saurait s’opposer à ce que dans des cas aussi douloureux – celui de savoir à qui on transfère – on applique les règles propres à l’ultime réunion de l’organisme mutualiste. En conséquence, les conditions de solennité de la convocation en assemblée extraordinaire, de quorum et de majorité qualifiée ou des deux tiers, ne sauraient être, là, objectées, tellement la reconnaissance de la spécificité est indiscutable. Mais, ce ne peut être qu’une affaire statutaire interne au mouvement mutualiste.

Le mouvement mutualiste aurait aimé que la loi face l’ordre dans ses propres rangs plus vite qu’il n’est capable de le faire lui-même. C’est trop demander et la position de la Commission européenne fondée sur des évidences juridiques non susceptibles d’être combattues, me pousse à accepter cette solution comme la seule possible. Elle est tout de même forte, puisqu’elle admet que nous donnions des conditions de délibération spécifiques et fortes à un acte juridique, en effet inhabituel, pour sortir d’un univers mutualiste et passer dans un univers de libre entreprise.

Le troisième point est celui de la réassurance. Il est important parce que les mutuelles, croyant à leur éthique, mais un peu fragiles financièrement, ont besoin de se réassurer. Aucun organisme mutualiste sérieux ne fonctionne sans réassurance. Or plus l’organisme est fragile, plus le réassureur est le commandant. Quelle que soit l’intensité de l’engagement mutualiste, un réassureur conséquent cherchera à ne pas trop s’alourdir du caractère viager de l’engagement, à faire sentir ici ou là que tel malade a abusé et qu’il serait bon de le renvoyer vers l’aide sociale. Bref, qu’il conviendrait d’avoir une politique globale de sélection des risques – même si elle est un peu anonyme et indirecte – non pas nominative, mais par catégorie de public.

Le mouvement mutualiste sait que le pouvoir du réassureur est dangereux. Le mouvement mutualiste français demandait une quasi-obligation pour tout organisme mutualiste de se réassurer à l’intérieur du mouvement mutualiste, quitte à admettre qu’au sommet de ces pyramides, l’organisme central qui assure la réassurance générale puisse, lui, se réassurer sur le marché international – il a la puissance de résister et de négocier des contrats qui le mettent à l’abri des pressions. Mais que la loi décide de cela est résolument incompatible avec la législation européenne. La position de la commission sur ce point est inflexible et serait probablement suivie par la Cour de justice des communautés européennes.

Dans ces conditions, le droit de la réassurance ne peut être que libre. D’où une certaine inquiétude et même une vraie panique dans les organismes mutualistes français. Il convient donc de sortir du problème, et, pour se faire, de le subdiviser. Personne, dans le monde mutualiste, ne discute le fait que les chefs de file s’assurent sur le marché de la libre entreprise.

Aucune réglementation européenne ne créera une obligation particulière qui permette une réassurance à l’intérieur du monde mutualiste. Par conséquent, nous revenons comme pour le point précédent, à l’idée que l’obligation de réassurance sur-le-champ mutualiste ne peut être qu’une obligation statutaire interne. Tout organisme agissant sur le marché est loisible de se donner les contrats qu’il veut, quitte à ce que la tarification de ses services répercute ses obligations.

Je dis souvent à mes amis mutualistes " vous vouliez que la loi fasse la paix chez vous parce ce que vous avez du mal à maintenir l’ordre, ce n’est pas possible ". C’est un problème d’autorité intellectuelle, politique et éthique interne au mouvement mutualiste. Il appartient à chacun, statutairement, de décider de se réassurer au sein du monde mutualiste.

On peut cependant isoler un autre problème, celui des petites mutuelles de moins de 3 500 mutualistes. Nous sommes là dans un univers à fragilité plus grande, le réassureur pèsera donc d’un poids beaucoup plus fort que sur de gros organismes, sur la politique générale, le type de ciblage des publics et la fragilisation de l’engagement viager.

Il est donc admissible que dans ce cas la loi intervienne et c’est l’une des suggestions de mon rapport. Il conviendra de légiférer et de déterminer un intérêt général et, dans ce cadre, le traitement de la spécificité mutualiste au nom duquel il mérite une certaine protection. Si cet intérêt général est défini de manière incontestable, il est loisible qu’il se traduise par une obligation particulière de réassurance en univers mutualiste pour les mutuelles relevant de l’espèce. En l’occurrence je ne pense pas que ce soit le cas de la MNEF, elle est trop grosse.

L’intérêt général est un concept intervenant dans le droit européen, mais de façon conflictuelle. La Commission européenne, dans ses propositions de directives et de règlements, en a une vision très restrictive. Ses mandats la désignent davantage comme défenseur de la concurrence et des lois du marché.

L’organe qui ouvre à une interprétation un peu plus large de l’intérêt général, c’est la Cour de justice. Il existe des arrêts de jurisprudence dans lesquels la Cour en donne une définition relativement extensive.

Sous réserve de l’incontestabilité des arguments, l’intérêt général est un fondement aux entraves ou à des modifications ou à des limitations d’exercice de la concurrence. Nous sommes là devant un problème pour le législateur français futur ; au moment de la transposition, il devra définir cet intérêt général mutualiste – dont les grandes mutuelles se portent garantes toutes seules à cause de leur puissance et de leurs dispositions statutaires en matière de réassurance, alors que les petites mutuelles requièrent la protection de la loi afin de leur permettre de se réassurer dans le monde mutualiste – ce qui est un appel au renforcement des organes de contrôle. A condition de définir, de manière incontestable, ce qu’est la spécificité mutualiste et la manière dont elle sert l’intérêt général, ces dispositions sont acceptables par le droit européen.

Voilà, en ce qui concerne les trois points majeurs de difficultés de transposition, les conclusions de ma mission. Elles emportent un certain nombre de conséquences. La première vise le complément de retraite – le CREF – qui est une prestation étonnante, qui a 450 000 bénéficiaires, qui est une offre du mouvement mutualiste et qui a la bizarrerie unique en France de mélanger de la capitalisation, pour un tiers, et de la répartition, pour les deux tiers.

Cette prestation d’assurance est tout à fait intéressante ; elle n’est pas en contradiction, pour le moment, avec le droit communautaire, mais, pour éviter les problèmes contentieux, il conviendrait de légitimer cette procédure particulière du traitement du risque vieillesse par une base législative plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui. Il y a là aussi une obligation, pour la France, de définir les critères auxquels répond cette prestation, son rapport avec le service rendu pour lui donner une base opposable aux tiers, mais nous ne sommes pas là en opposition frontale avec le droit européen.

La loyauté m’oblige à ajouter un commentaire sur un autre point de mon rapport. La France est devant la Cour de justice pour cinq ans de retard dans la transposition ; je n’ai pas fait de miracle, cette mission ne pouvait pas faire changer le droit européen. Mais pourquoi a-t-on fait appel à mes services ? Parce que l’administration française ne disposait pas d’organisme pour traiter le problème.

La délégation interministérielle à l’économie sociale que j’avais créée et installée auprès du Premier ministre a été, fin 1991, sortie des attributions du Premier ministre et rattachée au ministère des Affaires sociales. Cette délégation n’avait donc plus compétence ni possibilité de sortir du ministère des Affaires sociales et donc de toucher à des aspects internationaux, de négocier avec les finances – et de ne pas oublier de négocier avec l’agriculture puisqu’un bon quart des mutualistes sont dans le secteur agricole. J’ai donc été nommé en catastrophe pour cette mission en raison de l’absence d’un organe administratif rattaché au Premier ministre.

Il convient donc de récréer cet organe. En outre, étant donné qu’il conviendra de légiférer – pour transposer –, qu’il y aura un suivi contentieux non seulement national, mais également international qui devra être une synthèse des positions des ministères des Finances et des Affaires sociales, la création d’un tel organisme interministériel est une condition nécessaire pour que l’on suive les affaires dans les délais.

M. le Rapporteur : En ce qui concerne la spécificité du système français, je voudrais revenir sur cette notion de non-sélection du risque. Selon vous, celle-ci peut-elle devenir un critère d’intérêt général ?

M. Michel ROCARD : Oui, mais pas pour 58 millions de citoyens français en même temps. Il existe une " sous non-sélection " du risque à l’intérieur de groupes professionnels ou géographiques urbains/ruraux, salariés/non salariés, fonction publique/non-fonction publique. Reste que le critère a de la force. Il fait partie de l’éthique mutualiste. Par ailleurs, il a une autorité de légitimité. Cependant, le mouvement mutualiste est fort hétérogène et l’authentification de ce critère, aujourd’hui, doit être fournie aux autorités européennes qui sont juges en dernier ressort, en raison des traités qui leur transfèrent la compétence en matière de concurrence et sur l’efficacité des contrôles s’y rapportant.

Je vous signale que la Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance (CCMIP) est sous-équipée en moyens. En outre, elle n’a pas les mêmes pouvoirs que son homologue la Commission de contrôle des assurances. Cette dernière peut sanctionner, y compris financièrement, des organismes déviants. La CCMIP ne le peut pas. Vous trouverez donc, dans mon rapport, deux pages assassines sur l’insuffisance des moyens juridiques de l’appareil de sanctions et des moyens en personnel.

J’évoquerai un dernier point. Il y a de l’assurance maladie obligatoire dans les quinze pays de la Communauté ; c’est la carte d’identité de l’Europe. Par ailleurs, nous sommes tous en train d’assainir la gestion de nos finances publiques dans un univers où l’on n’a pas compris assez vite que les finances publiques servent à financer des services dans lesquels les progrès de productivité ne marchent pas aussi vite que là où l’on produit des biens. Par conséquent, les taux de remboursement de l’assurance maladie obligatoire sont en baisse. Ils étaient à 80 % en moyenne voilà 10 ans, ils sont actuellement inférieurs à 70 % – la France étant lanterne rouge avec 62 ou 63 %.

Si dans ce chiffre de la comparaison européenne des taux de remboursement assurance maladie obligatoire, nous distinguons le gros risque - l’hôpital presque pourtant remboursé à 100 % - du reste, nous nous apercevons que pour la médecine ambulatoire les taux de remboursement sont tombés en moyenne en Europe à 60 % – alors que la France, avant dernière avant la Grèce, est à 52 %. Nous commençons à atteindre un niveau où l’accès aux soins, pour la population peu aisée, est en train de devenir dépendante de l’assurance complémentaire maladie. Il s’agit là d’un problème de société fondamental.

Or, en matière de complémentaire maladie, la France est la seule, parmi les Quinze, à disposer de cet extraordinaire système mutualiste qui apporte les critères de non-sélection des risques, de solidarité par profession ou par région, et de non-tarification en fonction du risque. Partout ailleurs, l’assurance maladie est soumise aux règles du marché dans ce qu’elles ont de brutal, c’est-à-dire l’absolue sélection des bons risques.

Ce qui veut dire que le mouvement qui nous pousse vers une médecine duale joue dans ce sens et commence à susciter des inquiétudes. Autrement dit, la France est sur la défensive devant le problème de la traduction des directives européennes dans des conditions qui préservent une certaine spécificité mutualiste, mais elle est intellectuellement et politiquement à l’offensive sur l’idée de provoquer, demain, et je vise dans mon rapport l’engagement de ce combat au Parlement européen, une législation européenne qui étende ces critères de non-sélection des risques et d’engagement viager à l’assurance maladie complémentaire.

Il n’y a pas besoin d’être mutualiste pour cela. Les compagnies d’assurance, du moment qu’elles font payer le risque, peuvent accepter tout cahier des charges. Mais on est en train d’assister à une dégradation de la signification sociale de l’assurance maladie à travers l’excessive sensibilité aux seules exigences du marché à court terme de la complémentaire maladie.

Il convient donc de préserver cette éthique mutualiste pour ensuite en faire un instrument de redémarrage, de réflexion, non pas d’une expansion du mouvement mutualiste français en Europe, mais d’une extension à l’Europe de critères éthiques de gestion de l’assurance complémentaire maladie dont nous tenons l’origine, du mouvement mutualiste français.

M. Joël GOYHENEIX : Monsieur le Premier ministre, vous nous dites que votre rapport ne sera remis que la semaine prochaine à M. le Premier ministre, or, j’ai déjà lu dans la presse les réactions de fédérations de mutuelles. Selon vous l’accueil réservé à ce rapport est différent selon les fédérations. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

M. Michel ROCARD : Toutes les fuites de presse ne sont que des bavardages ! Personne ne possède d’exemplaire de ce rapport. Ce rapport va certainement décevoir parce qu’il est horriblement technique et ennuyeux. L’occasion de faire du symbolique sera donc nulle !

La FNIM, 3 % du mouvement mutualiste, a depuis longtemps séparé ses œuvres sociales de toute gestion assurancielle et avale la totalité de la transposition des directives sans poser de problème, en clamant son horreur au reste du monde mutualiste pour le retard pris qui la gêne.

La FMF, 3 ou 4 % du mouvement mutualiste, plaide le contraire. Elle trouve scandaleux que l’Europe se permettre de mettre en cause des éléments de notre identité mutualiste ; elle conteste l’orientation du gouvernement français à légiférer pour transposer ces directives. Elle revendique sa préoccupation civique qui est que l’assurance maladie est en train de devenir capitaliste et crée une société à deux vitesses ; l’Europe, si elle s’en occupe, ferait mieux de traiter tout le problème des règles auxquelles doit obéir l’assurance maladie : régime obligatoire et surtout régime complémentaire. La FMF a donc une attitude plutôt négative dans l’attente d’une victoire politique globale au niveau européen.

La FMF refuse toute concession sur l’urgence de se réassurer de manière mutualiste, sur le combat législatif contre tout risque qu’à l’occasion de transferts de portefeuilles, les garanties qu’a souscrites un mutualiste, puissent être mises en cause et a fortiori, sur la gestion des œuvres sociales par des mutuelles d’assurance maladie complémentaire, à raison de leur vocation de faire de la prévention, du traitement de risque global et statistique, notamment par la prévention par l’éducation des patients.

La FNMF, qui regroupe 94 % du corps électoral au Conseil supérieur de la mutualité, porte en elle toutes les contradictions intérieures du mouvement. Elle est composée de mutuelles interprofessionnelles, géographiques, de professions privées ou indépendantes et des mutuelles de fonctionnaires. Elle porte la responsabilité de défendre la cause des plus lourdement engagés dans la défense de la gestion d’œuvres sociales dans un cadre strictement mutualiste, comme la MGEN et quelques autres mutuelles de fonctionnaires.

La FNMF est probablement la plus attachée à la dimension européenne de son activité et des projets. Elle est donc la plus attachée à suivre loyalement les processus de transposition des lois et d’intégration dans un concept juridique européen, sur lequel elle a mauvaise conscience à se sentir en difficulté. Elle a cherché à préserver ce qu’elle a pu et c’est pour ça qu’on n’a pas transposé pendant cinq ans.

Cependant, le fait que l’on n’ait pas encore transposé résulte d’une insuffisante attention du monde mutualiste lui-même mais aussi d’une totale carence de l’administration publique.

Cinq gouvernements de suite n’ont rien fait, c’est beaucoup !

M. le Rapporteur : Vous avez fait référence à la différence importante de statuts qui existait entre la Commission de contrôle des assurances et celle de la mutualité et des institutions de prévoyance. Convient-il d’aller vers une modification majeure du statut de la Commission de contrôle des mutuelles ?

M. Michel ROCARD : Il s’agit de l’un des rares points que le rapport ne tranche pas car les investigations sont encore insuffisantes. Il y a deux solutions.

Premièrement, la fusion des deux organes de contrôle. Mais l’inquiétude réside dans le fait que cet unique organe de contrôle ayant dans son champ d’attribution 12 % d’organismes mutualistes et 88 % de compagnies d’assurance, aurait à vérifier l’application de leur éthique par les mutuelles en plus de règles prudentielles et des réserves mathématiques. Une telle solution devient, de ce fait, peu plausible. Le vrai problème est un problème de sociologie administrative. Il est inconcevable, si l’on fusionne les deux organismes, que ce ne soit pas la philosophie du ministère des Finances qui la domine.

L’autre solution est de maintenir deux organismes. Si le gouvernement choisit cette solution, il y a un énorme travail à faire pour rehausser le second. D’abord, parce que les pouvoirs de sanction des deux commissions sur leurs populations institutionnelles ne sont pas les mêmes. Ensuite, parce que les moyens donnés à chacune ne sont pas les mêmes non plus. Et le corps des IGAS n’est jamais susceptible d’être détaché à temps plein pour une unique mission.

Par conséquent, on ne peut consolider la CCMIP à côté de la CCAS qu’à la condition d’avoir réalisé le travail législatif qui consiste à donner une base législative certaine aux missions par lesquelles elle vérifie des organismes qui ne sont pas seulement des compagnies d’assurance, mais qui gèrent l’intérêt général au nom d’une spécificité mutualiste qu’aujourd’hui personne ne connaît.

Je rappellerai, par ailleurs, que la Commission européenne n’a jamais prétendu s’occuper du droit du contrat, mais que le problème de la situation juridique du contractant, selon qu’il contracte avec une compagnie d’assurance privée ou avec une mutuelle, n’est pas de même nature. Les mutuelles nient qu’il s’agit d’un contrat d’assurance – c’est un contrat d’adhésion à un organisme qui délibère sur la préservation de la santé avec l’accord de ses adhérents.

Si donc l’on doit isoler ce secteur pour en préserver la spécificité, tout en sachant qu’il faudra durcir les contrôles pour pouvoir affirmer que cette spécificité existe et qu’elle est respectée, il y a un problème de puissance de moyens et de capacité de sanctions et d’outils équivalent à ceux de la CCAS qui n’est pas encore réglé.

Je ne tranche pas entre les deux solutions, mais choisir de maintenir les deux, c’est s’obliger à un travail administratif de renforcement de la CCMIP, peut-être plus lourd qu’on ne l’imagine, le statu quo étant exclu.

M. le Rapporteur : Vous travaillez depuis plusieurs mois sur ce problème de transposition des directives européennes en droit français. Nous disposons, en France, du Code de la mutualité qui date de l’après-guerre, dont l’article premier définit l’objet de la mutualité qui est extrêmement large. Les termes choisis par le législateur de l’époque ne recouvrent peut-être plus la même réalité qu’aujourd’hui. Quelles sont, selon vous, les modifications utiles que l’on pourrait apporter au champ d’activité de la mutualité ?

M. Michel ROCARD : Monsieur le rapporteur, la lettre de mission que j’ai reçue du Premier ministre me chargeait de proposer une nouvelle écriture du Code de la mutualité. Ma prudence a voulu que je lui réponde assez rapidement que je n’entreprendrai rien de tel et que je me contenterai d’explorer le reste du cahier des charges, c’est-à-dire le degré de liberté qu’offrait le dispositif législatif européen.

S’il existe un intérêt général dans la manière dont l’assurance maladie, fut-elle complémentaire, est gérée, il exige d’être défini par la loi. Si derrière cet intérêt général se présente, sans prétention au monopole de son exercice d’ailleurs, une spécificité mutualiste, il faut aussi qu’elle soit définie par la loi. Les accrocs à la concurrence ne sont légitimes que quand ils ont des raisons fortes, juridiquement définies. C’est la jurisprudence de la Cour de justice. Je ne suis pas en état de vous répondre sur les conditions dans lesquelles on peu décrire ce qu’est l’engagement viager d’une société mutualiste d’assurance maladie complémentaire relevant du Code de 1945 par rapport à une compagnie d’assurance. Je ne suis pas en état de vous écrire ici ce qu’est la non-sélection des bons risques et l’engagement de non-tarification au risque.

Il s’agit là d’une carence qui m’est personnelle en fonction de ma culture, mais cela ne veut pas dire que le mouvement mutualiste n’a pas plein de choses à dire. Dans l’écriture du droit, chaque mot compte, chaque virgule mal placée compte, un temps de travail de consultation et d’élaboration est plus que nécessaire ; or seule pourrait le faire une délégation interministérielle à l’économie sociale placée auprès du Premier ministre.

M. le Rapporteur : Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de la clarté de vos explications.

M. Michel ROCARD : Monsieur le rapporteur, je vous remercie de cet accueil. Vous vous êtes rendu compte que je m’étais passionné pour ce sujet auquel je ne connaissais rien avant. C’est une vraie grande bataille et elle mérite d’être menée. Je suis très sensible au fait que le Parlement français, partant d’un incident délinquant limité, prolonge son questionnement à des problèmes d’intérêt général de haute importance.

Audition de M. Olivier SPITHAKIS,
ancien directeur général de la MNEF

(procès-verbal de la séance du mercredi 19 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M. Spithakis est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commission d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Spithakis prête serment.

M. Olivier SPITHAKIS : Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Messieurs les députés, je souhaite, pour que votre information soit complète, éclairer le contexte dans lequel a été menée la politique de la direction générale de la MNEF et des conseils d’administration successifs, et préciser l’utilité sociale de ce contexte ; en d’autres termes, la MNEF n’est pas et ne s’est jamais considérée comme une caisse de sécurité sociale, et ne souhaite pas être jugée comme telle.

Pendant ces 15 dernières années, nous avons dû affronter plusieurs problèmes. Tout d’abord, il a fallu procéder au redressement économique de la MNEF, qui a nécessité une forme de stabilité. Ensuite, nous avons dû faire face à une concurrence extrêmement vive entre les mutuelles étudiantes, mais aussi avec les mutuelles parentales. Puis, face à l’évolution des effectifs universitaires et à la démocratisation de l’enseignement supérieur qui ont entraîné l’apparition de nouveaux besoins, les pouvoirs publics nous ont demandé de jouer un rôle d’intermédiation sociale. Enfin, les directives européennes ont imposé les règles du marché, aussi bien en termes juridiques que commerciaux, à toute la mutualité, et nous avons choisi de nous y conformer.

La MNEF a un triple rôle qu’il a toujours été nécessaire de concilier. La MNEF est tout à la fois une institution, parce qu’elle gère un régime de sécurité sociale ; elle est aussi une entreprise de santé dont le rôle est connu ; elle est enfin un mouvement social auquel les pouvoirs publics ont fait appel pour accompagner les politiques publiques ou comme élément de stabilité du milieu étudiant.

Après le redressement, qui a débuté en 1985/1990, la MNEF a entrepris, d’une part, la conquête de nouveaux droits pour les étudiants – les cinq mesures sociales pour le plan Universités 2000, l’affiliation des 18/20 ans au régime étudiant puis leur maintien dans ce régime jusqu’à 28 ans, etc., et, d’autre part, une diversification. Cette politique répondait à de multiples exigences. Elle se voulait une réponse à l’évolution des besoins des étudiants ; elle répondait à la nécessité d’une séparation juridique des différentes activités de la mutuelle ; elle constituait une stratégie de protection face à la concurrence ; elle visait non seulement à organiser les partenariats entre le secteur public et le secteur privé pour le développement de l’enseignement supérieur, mais surtout à réguler ces partenariats. Les pouvoirs publics avaient accepté, sous certaines conditions, le principe d’un financement par des fonds privés d’actions destinés à améliorer les conditions de vie des étudiants.

Je souhaiterais insister sur ce contexte de concurrence qui constitue selon moi le problème le plus important.

La concurrence est un élément déterminant dans l’analyse de la situation de la MNEF, comme de l’ensemble du régime étudiant de sécurité sociale. Nous sommes confrontés à une situation de concurrence quasi-unique dans le système de sécurité sociale accentuée de surcroît par le taux de renouvellement de ses représentants et de ses affiliés qui est le plus élevé de France. Il s’agit du seul régime qui affronte une situation concurrentielle et qui renouvelle chaque année l’ensemble de ses affiliés. En votant la loi de 1948, le législateur n’a pas cru bon de préciser qu’un étudiant qui a choisi un centre de gestion doit y rester pour toute la durée de ses études. Cette concurrence, en matière de sécurité sociale, n’est pas un choix et, de ce point de vue, il ne serait pas raisonnable de comparer le fonctionnement de la MNEF ou des SMER à celui de la CNAM ou des mutuelles de fonctionnaires, même si la plupart des critiques applicables aux mutuelles étudiantes le sont également aux mutuelles de la fonction publique.

Je rejoins donc, en la matière, les analyses de la Cour des comptes : cette concurrence entre mutuelles étudiantes est extrêmement coûteuse, même si elle a eu des aspects très positifs depuis 15 ans. Elle a concerné le régime obligatoire puis elle s’est exacerbée dans le domaine de la protection complémentaire maladie. Les jeunes représentent en effet un marché très intéressant pour l’ensemble des mutuelles. C’est une population que l’on peut fidéliser – on est un peu l’entonnoir de la protection sociale –, et qui offre structurellement un bon rapport au regard du taux de sinistralité.

Il est vrai qu’il y a eu une démutualisation, en partie pour une raison sociale, liée à la démocratisation de l’enseignement supérieur, mais aussi en raison de la pénétration des assurances sur ce marché et surtout, et c’est la principale raison, à cause de l’offensive que les mutuelles parentales ont mené, sous couvert d’une solidarité familiale qui est tout sauf une solidarité sociale, dans le but de conserver des ayants droit. En effet, selon que l’on est fils d’enseignant, de postier ou de salarié d’une grande entreprise, on n’a pas droit à la même solidarité.

Les conséquences pour la MNEF et pour le régime étudiant de sécurité sociale financé par les remises de gestion du régime général sont très simples. Le dumping auquel se sont livrées pendant 10 ans les mutuelles de fonctionnaires, en particulier, a ponctionné la partie la plus rentable du marché de l’assurance complémentaire, la partie la moins risquée, pour laisser aux mutuelles étudiantes les jeunes dont les parents n’ont pas de couverture sociale complémentaire, les étrangers, ainsi que ceux qui ne font pas leurs études sur le lieu d’habitation de leurs parents.

Ce phénomène s’est accentué avec la démocratisation de l’enseignement supérieur. Ainsi, lorsqu’on dit que le régime général paie deux fois à travers la concurrence, il ne faut pas avoir peur de dire qu’il paie trois fois : une fois pour la MNEF, une fois pour les SMER et une fois au travers des remises de gestion des mutuelles de fonctionnaires qui permettent à ces dernières de faire du dumping sur les étudiants. Ce n’est pas un hasard si la mutualisation en milieu étudiant a baissé de 50 % ces dernières années. La première mutuelle étudiante, aujourd’hui, s’appelle la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN).

Cette concurrence a également eu des conséquences en termes de coût de gestion. Il y a eu des effets positifs, tels que l’alignement du montant des remises de gestion de la MNEF sur celles des SMER qui s’est traduit par une baisse en francs constants des remises de gestion de la MNEF. Les multiples dénonciations de la convention collective au travers du plan de redressement en témoignent. Et si l’on pouvait dire, dans les années quatre-vingt, que la MNEF était le premier territoire socialiste libéré, je crois que ce n’est plus le cas aujourd’hui, on a su casser cette référence.

A contrario, en termes économiques, cette concurrence a eu des effets extrêmement néfastes. Les budgets de communication et de développement ont effectivement explosé. Il s’est instauré une véritable chasse à " l’immatriculé " à laquelle se livrent les mutuelles étudiantes.

Autre conséquence de la concurrence : nous avons dû protéger notre marché. C’est d’ailleurs l’une des raisons de la diversification.

En 1989, l’UAP loue toute une série de fichiers et tente de conquérir le milieu étudiant en proposant des contrats d’assurance complémentaire maladie. Elle y réussit partiellement et essaie de rentrer dans le capital du groupe pour tester ses capacités d’intervention dans l’enseignement privé. Nous réagissons avec la création d’un pôle communication MÉDIA JEUNES, la création d’un pôle assuranciel par lequel nous nous assurons une certaine protection du marché. Enfin, nous mettons en place toute une série de services avec la création de cartes de services pour les jeunes.

A l’époque, la logique qui prévalait n’était pas économique, mais stratégique pour la raison que la MNEF, de 1990 à 1995, ne remplissait pas les obligations fixées par le Code de la mutualité en matière de réserve, de ratio de liquidité. Le développement d’un raisonnement économique, et des investissements qui en résultent, se met en place à partir de 1995, quand les exigences du Code de la mutualité finissent par être satisfaites.

Cette concurrence a des conséquences en matière de gestion - nécessité de souplesse -, et en matière de pénétration de nouveaux milieux, je pense notamment au milieu des corporations et des associations étudiantes.

Pour conclure sur cette question, le relevé de constatations provisoires de la Cour des comptes indique, à propos des frais de déplacement, mais c’est tout aussi vrai pour les budgets développement : " Il s’agit bien de coûts inhérents à un choix d’organisation et à une volonté de s’inscrire encore davantage dans un contexte concurrentiel ". Je souscris pleinement à cette analyse. Mais ce contexte concurrentiel, nous ne l’avons pas voulu mais subi, cette volonté de s’inscrire dans un système de concurrence a été créée par le législateur ; à partir de là, nous avons développé les conditions de notre survie.

Deuxième exigence pour la MNEF, la nécessité d’un redressement économique, passant par une certaine stabilité.

J’ai le sentiment, à ce sujet, que l’on nous reproche ce que l’on nous a demandé de faire pendant 10 ans ! Le plan de redressement de la MNEF a eu des effets, c’est incontestable. La Cour des comptes note, page 2 : " La séparation des fonctions entre la direction générale et la présidence a eu des effets positifs sur la gestion de la mutuelle de la même façon que cela est noté dans tous les rapports de l’inspection générale des affaires sociales successifs ".

En 10 ans, nous sommes passés, en termes de situation nette, d’une perte de 118 millions de francs à un excédent de 87 millions de francs en 1996/1997. J’ai quitté mes fonctions en laissant une situation nette de l’ordre de 100 millions de francs. Cela n’a été possible que parce qu’il y a eu une forme de stabilité. On se gausse sur l’association les Amis de la MNEF, mais elle est dans la droite ligne de ce qui a été souhaité, c’est-à-dire faire en sorte que le licenciement du directeur général, par exemple, ne soit pas seulement une décision des élus étudiants, même si ces derniers conservent le pouvoir de décision définitif.

Quand le plan de redressement a été signé, il était précisé qu’il fallait une direction générale forte dans un milieu en mutation constante.

De la même façon, le relevé de constatations provisoire évoque la dégradation des résultats d’exploitation. C’est vrai, mais c’est un choix délibéré, opéré par les instances de la mutuelle à partir du moment où nous répondions aux obligations du Code de la mutualité. A la différence de nombreuses sociétés mutualistes, nous avons préféré ne pas augmenter les cotisations mutualistes et mettre en place un certain nombre d’actions concernant les conditions de vie des étudiants. Nous avons choisi de ne pas thésauriser et, plutôt que d’acheter le casino de Libourne, financer les stages d’insertion professionnelle et le logement étudiant.

Ce redressement économique et cette stabilité se sont réalisés tout en développant un mouvement social qui a regroupé jusqu’à 1 500 élus sociaux. Je ne m’étendrai pas sur cette question, j’ai adressé une note exhaustive au président de votre commission sur la politique de collaboration avec les pouvoirs publics dans le domaine de l’humanitaire et de l’insertion professionnelle des jeunes (participation aux GEM mis en place par Mme Edith Cresson, élaboration du rapport Laurent, collaboration avec la DATAR, conférence des présidents d’université, etc.).

Cette politique était connue et transparente – il suffit de reprendre les revues de presse importantes, et favorables, de l’époque. Nous avons également procédé à ce redressement économique en jouant un rôle d’intermédiation sociale. Vu la faiblesse, pendant longtemps, du syndicalisme étudiant, il fallait faire passer les messages aux pouvoirs publics pour leur faire connaître les besoins des étudiants – nous l’avons fait dans le domaine de l’ALS, de la santé, etc. – afin d’accompagner le développement universitaire.

Je vous disais que l’on ne pouvait pas me juger comme un directeur de caisse d’assurance maladie ; je le dis très tranquillement en matière d’intermédiation sociale. Je dois être le seul directeur général d’une société mutualiste ou caisse de sécurité sociale à avoir rencontré, à leur demande, l’ensemble des directeurs de cabinet de Premier ministre ou de Présidents de la République successifs pendant les moments de crise dans le milieu étudiant.

Ce redressement économique et cette stabilité politique ont été menés en développant, parallèlement, une entreprise de santé. Je ne m’y arrêterai pas, je crois que toutes les actions que la MNEF a menées dans ce domaine et la prise de conscience qu’elle a entraînée à propos de l’état de santé des jeunes – nous avons réussi à ce que le rapport du Haut comité de la santé publique traite cette question comme une priorité nationale – ont déjà été largement développées devant vous.

Troisième sujet, la politique de diversification menée par la MNEF a été dictée par plusieurs raisons.

Il y a tout d’abord les raisons liées à la concurrence que j’ai déjà évoquées. Il y a aussi un certain nombre de raisons techniques telles que nos choix en matière d’informatique, pour l’accueil téléphonique, les raisons légales comme l’application des directives européennes. Mais la diversification était surtout liée à l’évolution des besoins, à la croissance des effectifs. Partant du principe que l’étudiant n’est pas simplement un consommateur de savoir et que l’Etat ne peut pas tout faire, il s’est trouvé un domaine dans lequel intervenir pour répondre aux besoins nés de la démocratisation de l’enseignement supérieur ; petit à petit, la MNEF a quitté le terrain du sanitaire pour aller vers le social et intervenir dans le domaine du logement, de l’emploi et des services.

A ce stade-là, je voudrais dire que tout ce processus était connu. Nous avons organisé, à trois reprises, ces cinq dernières années, des rencontres sur le thème les étudiants et la ville où la totalité des ministères, des collectivités locales et un certain nombre de parlementaires étaient présents et où était débattue cette politique de diversification. Non seulement elle était connue, mais elle était publique. Je dépose devant la commission - puisque certains se sont étonnés de cette politique de diversification - l’accord cadre signé avec le président de la Mutualité de la fonction publique de l’époque, M. Jean-Pierre Davant, et qui retrace, dans les missions de la MNEF, cette politique de diversification en précisant qu’elle doit être menée dans le cadre de sociétés spécialisées.

Pour cela, il nous fallait trouver des partenaires car nous ne savons pas faire tous les métiers. Nous nous considérons surtout comme un vecteur de communication à destination des étudiants. Il convenait donc de créer des sociétés spécialisées avec des partenaires qui étaient soit des professionnels reconnus dans leur secteur – je pense à Gestrim, au groupe Vivendi –, soit spécialisés dans le milieu étudiant. Il y a eu, il est vrai, des succès et des échecs, mais le résultat est globalement positif.

J’ajoute que cette diversification était légale et même encouragée par les pouvoirs publics. Ce n’est pas nous qui avons voté la loi de 1985. Les instances étaient informées, nous avons tenu compte des recommandations de la Commission de contrôle.

Je terminerai en soulevant quelques contradictions de la législation.

La première concerne les indemnités des administrateurs. Sont-elles possibles ou non ? La législation est extrêmement floue à ce sujet, et ne précise pas comment, en ce qui concerne les élus étudiants, ces derniers peuvent être rémunérés.

Deuxièmement, on nous reproche d’avoir détaché des cadres de la MNEF dans des filiales. C’est vrai. On découvre aujourd’hui que cela pourrait constituer une prise illégale d’intérêts, or deux mois plus tard, nous recevons une lettre de la Commission de contrôle de la Mutualité nous demandant de payer ces cadres de la MNEF qui sont dans les filiales, mais sur les fonds de la MNEF. Excusez-moi, mais cela s’appelle un abus de bien social !

J’ajouterai que lorsque mon directeur du développement était président de Carte jeunes SA, il touchait 60 000 F par an – il était directeur du développement de la MNEF, il s’agissait donc d’un sursalaire – et assumait une responsabilité pénale comme mandataire social. Il a été remplacé par une personne qui touche, aujourd’hui, quatorze fois sa rémunération !

En ce qui me concerne, lorsque j’ai quitté mes fonctions dans les holding de la MNEF – je touchais 7 000 F pour les deux –, j’ai été remplacé par MM. Arditi et Eelsen ; ce remplacement coûte très précisément onze fois le montant de mes rémunérations sur ces filiales.

Ensuite, on nous parle de démembrement. Mais il y a les directives européennes ! On nous parle de démembrement, mais il y a la fiscalisation ! Enfin, la Commission de contrôle nous demande de créer une Union d’économie sociale holding mais à partir de cette structure, il y a des filiales et des sous-filiales. Le conseil d’administration de la MNEF est informé d’une façon générale de ce qui se passe dans l’Union d’économie sociale, dans les sous-filiales, mais ne peut pas, légalement, prendre de décisions sur ce qui s’y passe ; ce serait de la gestion de fait.

A l’époque où la MNEF gérait en direct ces filiales, le problème ne se posait pas. Autre contradiction !

J’ai donc le sentiment qu’il nous est reproché aujourd’hui ce que la puissance publique nous a demandé de faire pendant 10 ans. J’ai quitté la MNEF avec le sentiment d’avoir restructuré cette entreprise, d’avoir permis de répondre aux nouveaux besoins des étudiants, d’avoir été, à un petit niveau, l’un des éléments de la démocratisation de l’enseignement supérieur, d’avoir fait de la MNEF un pilier de la stabilité du milieu étudiant, d’avoir fait avancer la cause de la santé des jeunes dans notre pays, enfin, d’avoir fait diminuer le coût par affilié des remises de gestion du régime étudiant.

J’ai sûrement commis un certain nombre d’erreurs. J’ai considéré que j’étais dirigeant d’une entreprise de droit privé, confrontée au marché, menant des actions dictées par un souci d’efficacité économique, mais également sociale, sous l’impulsion des pouvoirs publics. Peut-être aurais-je dû mieux intégrer la dimension réglementaire de la gestion d’un régime de sécurité sociale. Peut-être, mais encore fallait-il que les règles du jeu soient connues, établies et écrites. Or ce n’est pas le cas.

Ce que j’ai fait, je l’assume et je souhaiterais que les élus étudiants qui ont accompagné ce processus n’en soient pas tenus pour responsables. Car même s’ils ont été informés, même s’ils ont défini et voté toutes les orientations, même si tous les grands débats de la MNEF les ont concernés, je pense que la différence de statut entre eux et moi, la permanence de mes fonctions, la force de mes propositions, liées à mon statut un peu particulier – les pouvoirs publics discutant avec moi et rarement avec eux –, font qu’il serait assez illégitime de leur faire porter une quelconque responsabilité.

Il en va de même pour mes collaborateurs. Si certains d’entre eux étaient directeurs de filiales, c’est parce que je leur ai imposé, et cela, je l’assume complètement.

Tout ce que j’ai fait pendant 15 ans, je l’ai fait avec la conscience d’améliorer les conditions de vie des étudiants, mais surtout, je l’ai fait en concertation étroite avec les pouvoirs publics quels qu’ils soient. A partir du moment où un jugement est porté sur ma gestion, sur la gestion de la MNEF, certes, il me concerne au premier chef et je l’assume, mais il concerne tout autant les politiques publiques qui ont encouragé ces processus.

Je vous remercie de votre attention.

M. le Rapporteur : Monsieur Spithakis, je vous remercie. Nous allons maintenant passer au jeu des questions réponses. Je vous poserai la première question.

Comment pouvez-vous justifier le contrat de travail que la Cour des comptes qualifie d’" exorbitant du droit commun " qui vous liait à la MNEF et qui prévoyait, hormis un salaire de 639 083 F en 1996, le remboursement de vos frais de trajets entre Marseille et Paris, l’autorisation d’exercer, sans avoir à en rendre compte, des activités rémunérées de votre choix à l’extérieur de la MNEF, et une clause prévoyant une indemnité de licenciement de trois mois de salaire par années d’ancienneté, calculée sur la base des douze derniers mois de salaires ?

Par ailleurs, quelles étaient vos autres responsabilités, rémunérées ou non, en dehors de la MNEF ?

M. Olivier SPITHAKIS : Je ne vois pas pourquoi je devrais justifier mon contrat de travail. Il s’agit d’un contrat de droit privé, je l’ai négocié. Le conseil d’administration n’était pas obligé de l’accepter. Seulement, il était conscient des résultats que j’avais obtenus : j’ai redressé l’entreprise de moins 118 millions de francs à plus 100 millions de francs. J’ai accepté de rester en posant mes conditions.

Il en va de même pour la clause de conscience, dans la mesure où je suis arrivé dans un contexte qui nécessitait, pour le redressement de l’entreprise, une forme de dépolitisation de la MNEF.

J’ai également souhaité pouvoir assurer un certain nombre de fonctions. Il n’existe pas de règle sur le cumul des mandats dans le Code de la mutualité.

J’ai travaillé pour le patronat français dans le domaine de la communication des jeunes à destination des entreprises. J’ai été directeur de sociétés mutualistes, mon poste le plus important ayant été directeur de la MIF. J’ai eu des mandats de président de sociétés mutualistes. Le total de mes revenus est connu, puisqu’il a été publié par la presse. Il était de l’ordre de 100 000 F par mois, dont 700 000 F par an, primes comprises, versées par la MNEF.

En 1997, j’étais directeur général de la MNEF, directeur de la MIF et je touchais une rémunération de Raspail Participations et Développement en tant que PDG d’environ 6 000 F – ce qui n’était pas le cas pour l’UES Saint-Michel. Par ailleurs, j’avais un certain nombre de mandats d’administrateur de sociétés mutualistes.

A côté de ces activités, j’exerçais un certain nombre d’activités privées.

S’agissant des éléments du contrat de travail, ceux-ci devaient garantir une certaine stabilité, afin qu’un directeur général ne puisse pas être révocable sans réflexion. Toute la philosophie de l’introduction des personnalités qualifiées au conseil d’administration a tourné autour de cela. Vous noterez d’ailleurs, qu’au début de ce processus, il y avait un inspecteur général des affaires sociales – à titre personnel –, et un conseiller de la Cour des comptes, qui étaient membres du conseil.

M. le Rapporteur : Les activités privées que vous exerciez avaient-elles des rapports avec la MNEF ?

M. Olivier SPITHAKIS : Aucun.

M. Yves NICOLIN : Vous dites que vous avez négocié votre contrat de travail, ce qui paraît être la règle. Tous les membres du conseil d’administration ont-ils été informés des détails de ce contrat avant de se prononcer ?

M. Olivier SPITHAKIS : Le contrat de travail, tel que cela apparaît dans les procès-verbaux, a été lu en conseil d’administration – il y était annexé.

M. Yves NICOLIN : Etes-vous toujours, aujourd’hui, président de la Fondation santé des étudiants de France ?

M. Olivier SPITHAKIS : Non, car je ne souhaitais pas que la Fondation souffre de la campagne de presse. Il s’agit, je le précise, d’une fonction bénévole à laquelle je suis très attaché, puisqu’elle concerne l’insertion des étudiants handicapés dans l’enseignement. J’ai donc quitté la présidence, mais je reste membre du bureau.

M. Yves NICOLIN : Y a-t-il des administrateurs salariés dans cette Fondation ?

M. Olivier SPITHAKIS : C’est statutairement impossible, sauf pour les représentants des salariés et de la fonction publique. Tous les autres membres sont bénévoles.

M. Yves NICOLIN : La Fondation a-t-elle réalisé des investissements immobiliers lorsque vous étiez président ?

M. Olivier SPITHAKIS : Oui, bien sûr.

M. Yves NICOLIN : Et ils ont été réalisés dans des conditions de transparence, avec appel d’offres ?

M. Olivier SPITHAKIS : La Fondation est soumise à des règles extrêmement précises. Le ministère de l’Intérieur assiste à tous les conseils, comme les ministères de la Santé et de l’Education nationale. Les appels d’offres sont lancés selon la procédure du Code des marchés publics.

La Fondation est régie par le Code des marchés publics, contrairement aux sociétés mutualistes. Jamais un représentant d’un ministère n’a élevé la plus petite réclamation sur une procédure d’appel d’offres à l’intérieur de la Fondation.

M. André ANGOT : Monsieur Spithakis, j’ai relevé quelques contradictions dans certains de vos propos liminaires.

Vous dédouanez les étudiants élus des actions que l’on pourrait leur reprocher dans la gestion de la MNEF. Or nous avons auditionné un certain nombre d’anciens membres du conseil d’administration qui nous ont déclaré qu’ils ne jouaient aucun rôle et que toutes les décisions étaient prises par le directeur général ou le directeur financier.

Un des anciens trésoriers nous a même déclaré qu’il avait délégué sa signature et ne jouait aucun rôle dans le contrôle des comptes de la MNEF. Une ancienne présidente a affirmé qu’elle n’assistait jamais aux réunions, qui avaient lieu le mardi, jour où elle ne pouvait pas se libérer.

N’est-il pas alors contradictoire de soutenir que toutes les décisions de la MNEF, ainsi que votre contrat de travail, étaient soumises et avalisées par le conseil d’administration ?

M. Olivier SPITHAKIS : Les procès-verbaux de la MNEF ont toujours été approuvés et jamais contestés pendant les 15 ans au cours desquels des générations d’administrateurs, dont un certain nombre sont devenus parlementaires, ont siégé au conseil d’administration. Je suis donc étonné que toutes ces personnes, qui possédaient les qualités pour devenir des hommes publics ou des hauts fonctionnaires, soient frappées d’amnésie en ce qui concerne les procès-verbaux qu’elles avaient approuvés et votés.

M. Jean-Paul BACQUET : Pouvez-vous nous citer des noms ?

M. Olivier SPITHAKIS : Il faudrait reprendre la quasi-totalité des procès-verbaux !

M. Jean-Paul BACQUET : Vous venez de dire qu’un certain nombre de personnes, qui occupent des postes importants dans l’administration, ont été frappées d’amnésie. Pouvez-vous nous citer des noms ?

M. Olivier SPITHAKIS : Vous me dites que vous avez auditionné un certain nombre d’anciens administrateurs. Si ces derniers estiment, aujourd’hui, qu’ils n’ont pas participé aux décisions, à partir du moment où ils ont voté un certain nombre de délibérations, on peut considérer qu’ils sont frappés d’amnésie.

Si vous souhaitez obtenir la liste exhaustive de tous ceux qui ont été administrateurs à la MNEF et qui ont ensuite eu une carrière publique, je vous propose de vous faire une note.

Par ailleurs, vous faites référence à un ancien trésorier de la MNEF qui vous a dit avoir délégué sa signature. Je vous conseille pour juger les faits de demander à la MNEF la communication des 110 délibérations que M. Séguéla a votées concernant des engagements financiers. Je veux bien, là aussi, qu’il les ait votées les yeux fermés ! Ainsi que les procès-verbaux des réunions du Bureau auxquelles il a participé et qui, à chaque fois, faisaient état des apports en comptes courants qui devaient être faits ou des différents engagements financiers.

Vous avez soulevé le problème de la participation des élus étudiants en dehors du conseil d’administration. Il existait une commission permanente censée faire le lien entre les élus et les administratifs dans laquelle trois représentants du conseil d’administration étaient présents. S’il est vrai que la présidente n’assistait que de façon périodique aux réunions de cette commission, le trésorier en était membre et y assistait de façon assidue. Cette commission était également composée du secrétaire général et du délégué général qui représentaient, à l’intérieur du conseil d’administration, la présidente.

Dans le même ordre d’idée, il y avait également deux comités exécutifs, un comité exécutif sur les services de la MNEF dont je n’étais pas mais auquel le délégué général assistait, dont la mission était de s’assurer de l’application réelle des décisions, et un comité exécutif filiales au sein duquel le délégué général et moi-même étions présents, qui n’était qu’un outil de coordination et qui ne prenait pas de décision.

M. André ANGOT : Tout cela n’explique pas la contraction, car si les étudiants ont voté toutes les décisions, je ne vois pas pourquoi on devrait les dédouaner !

M. Olivier SPITHAKIS : Une équipe de direction composée d’un polytechnicien et d’un ancien directeur général du groupe Bata – je ne les cite pas tous – peut-elle être comparée à des étudiants âgés de 20 à 26 ans, qui sont en général intéressés par le social ? Pensez-vous que la capacité d’appréciation est identique ?

Pensez-vous que Marie-Dominique Linale, présidente de la MNEF, préoccupée par les questions de santé, et un certain nombre de directeurs de service, même s’il y a une égalité d’accès à l’information, appréhendent les problèmes de la même façon ? Il faut être objectif : l’égalité d’accès à la compréhension des problèmes n’existe pas totalement.

Si, en règle générale, les cabinets ministériels et l’administration centrale – mis à part les simples contacts politiques pour arrêter un certain nombre d’actions communes – travaillaient avec les directeurs, c’est bien pour des raisons objectives.

On touche là à un problème de fond : celui de la formation des élus mutualistes, notamment étudiants. Dans la mutualité interprofessionnelle, le président vient soit du monde patronal, soit du monde syndical. Il a donc une bonne connaissance des problèmes économiques. Dans la mutualité de la fonction publique, des fonctionnaires sont mis à disposition, font office d’élus et sont là à plein temps. Nous ne sommes absolument pas dans la même situation que dans la mutualité étudiante !

M. le Président : Je voudrais revenir, Monsieur Spithakis, sur la clause de conscience de votre contrat de travail. Pourquoi cette clause existait-elle ? A quoi faisait-elle référence et pourquoi l’avez-vous faite jouer ?

M. Olivier SPITHAKIS : Je suis arrivé à la MNEF dans un contexte tout à fait particulier, puisque j’ai été trésorier. A l’époque, il y avait eu l’explosion de 1968, l’explosion du syndicalisme étudiant et la MNEF était le seul terrain d’affrontement des organisations syndicales étudiantes et des organisations politiques en milieu étudiant.

J’ai toujours pensé que la mise en place d’un plan de redressement passait par une dépolitisation de la MNEF, de ses orientations et de sa gestion. Dans des conditions difficiles, nous avons fait en sorte que la génération de militants politiques ou syndicaux devienne davantage une génération de militants sociaux. J’étais tout à fait opposé à ce qu’il puisse y avoir une ingérence directe d’une formation politique ou d’une organisation syndicale quelle qu’elle soit, car c’est ce qui avait engendré le déficit cumulé auquel la MNEF était parvenue dans les années quatre-vingt.

C’est pour la même raison que j’avais milité pour l’UNEF-ID : pour déplacer le terrain d’affrontement syndical de la gauche non communiste de la MNEF sur le terrain syndical.

J’ai pris mes fonctions de directeur général avec une mission extrêmement précise, et j’ai souhaité poser un certain nombre de conditions en disant que s’il devait y avoir une autre révolution, je souhaitais pouvoir sortir dans des conditions honorables.

Par ailleurs, j’ai fait jouer cette clause de conscience à partir du moment où un rapprochement institutionnel s’est effectué avec, d’une part, l’UNEF-ID, et d’autre part, les autres organisations syndicales. La stabilité économique étant retrouvée, on a souhaité qu’il puisse y avoir une réappropriation du conseil d’administration de la MNEF par les forces syndicales. Or cette orientation était en totale contradiction avec la mission que l’on m’avait confiée dans les années quatre-vingt – indépendamment de mes amitiés personnelles que je ne nie pas.

M. le Président : Qui a décidé de cette clause de conscience ?

M. Olivier SPITHAKIS : Elle est dans mon contrat de travail qui a été approuvé en 1992.

M. le Président : C’est très étonnant !

M. Olivier SPITHAKIS : Je le conçois parfaitement. Mais je le répète : il s’agit d’une société de droit privé et j’ai négocié les conditions de mon contrat de travail.

Je tiens à souligner – et cela vaut pour un certain nombre de mes collaborateurs surdiplômés – que lorsqu’on consacre une vingtaine d’années de sa vie à une société mutualiste de cette nature, la réinsertion professionnelle n’est pas toujours facile.

M. Pierre LASBORDES : Monsieur Spithakis, vous venez de nous décrire l’environnement dans lequel vous travailliez, à savoir des élus étudiants peu formés et peu compétents pour bien appréhender les problèmes de gestion que vous maîtrisiez ainsi que votre entourage constitué de surdiplômés. Il y avait donc un déséquilibre face à la compréhension des problèmes. Or le conseil d’administration, qui jouait le rôle de potiche, a des responsabilités pénales.

Est-ce que cela ne vous a pas gêné, intellectuellement, de leur " faire avaler " un certain nombre de pilules, et notamment l’insertion, dans le cadre d’un contrat de droit privé, de conditions financières exceptionnelles obtenues au terme d’une négociation habile ?

Seconde question : comment présentiez-vous aux membres du conseil d’administration le suivi de votre activité ? Y avait-il des tableaux de bord, aviez-vous des contacts réguliers avec les administrateurs ?

M. Olivier SPITHAKIS : S’agissant des étudiants, je n’ai jamais dit qu’ils étaient incompétents ou pas assez formés. Les discussions avaient lieu, mais ils analysaient les problèmes dans leur globalité. On a parlé pendant des heures du partenariat avec Vivendi. Mais ce qui les intéressait, c’était la philosophie. Il s’agit d’un conseil d’administration ; il administre.

Lorsque vous parlez de mon contrat de travail, ce n’était pas une problématique compliquée. Il n’y a pas de difficultés à comprendre les clauses d’un contrat de travail. Quoi qu’il en soit, sachez que je n’ai pas jugé utile d’en tirer toutes les conséquences financières.

Il convient de faire la différence entre la capacité à analyser un taux de rendement interne et celle de discuter de trois clauses d’un contrat de travail. Par ailleurs, il y a le conseil d’administration d’un côté et le président de l’autre ; à l’époque, j’ai négocié mon contrat de travail avec Dominique Lévèque, président de la MNEF, " vieux " militant mutualiste tout à fait capable de maîtriser ces questions.

Quant aux rencontres avec les administrateurs, elles étaient extrêmement régulières. Je ne rencontrais pas tous les administrateurs, mais un certain nombre de membres du bureau. Les rencontres étaient plurihebdomadaires, au minimum hebdomadaires au travers de la commission permanente.

M. Pierre LASBORDES : Sauf avec la présidente qui ne venait pas le mardi !

M. Olivier SPITHAKIS : Une commission permanente est composée du secrétaire général, du trésorier et du délégué général. Il me semble que le bureau est bien représenté ! Par ailleurs, il n’y a jamais eu de conseil d’administration sans point d’actualité à l’ordre du jour ; on balayait la quasi-totalité des grandes questions. Ensuite, tous les investissements étaient votés point par point.

Les assemblées générales ont toujours été l’occasion d’un exposé exhaustif des points financiers – conformément au Code de la mutualité –, avec la présentation des comptes et les votes de budgets prévisionnels. J’estime donc que les membres du conseil d’administration disposaient d’une information suffisante.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez jugé le bilan de votre action au sein de la MNEF comme globalement positif. Vous avez ajouté, courageusement, que vous assumiez la totalité de vos actes, dédouanant les élus étudiants en raison de leur formation insuffisante et de leur incompétence dans le domaine financier. Pourquoi êtes-vous aujourd’hui devant une commission d’enquête parlementaire et pourquoi y a-t-il une affaire MNEF ?

M. Olivier SPITHAKIS : Je me pose la question ! Je suis très serein en ce qui concerne les conséquences judiciaires. Je pense qu’il existe une véritable problématique, dans une démocratie, sur la façon dont la presse, par rapport à un certain nombre d’intérêts objectifs, est amenée à présenter certains sujets.

Je pense qu’une certaine presse a des comptes à régler à l’intérieur d’une mouvance issue de l’extrême gauche. L’article de Mme Thoraval, lorsqu’elle a fait l’état de l’évolution du trotskisme et du mouvement étudiant, m’a beaucoup étonné, car il y avait trois absents : ses trois supérieurs hiérarchiques, le chef de la rubrique société de Libération, le directeur adjoint et le directeur de la publication.

Deuxièmement, il y a toujours eu une véritable volonté de déstabiliser le milieu étudiant ; nous sommes l’entonnoir de la couverture sociale complémentaire maladie – y compris sur les assurances et toute une série d’autres services –, et un certain nombre de responsables de la mutualité française n’ont jamais accepté notre forme d’autonomie.

Un jour, le nouveau président de la Mutualité de la fonction publique m’a dit : " Avant, l’ex-président de la Mutualité de la fonction publique s’exprimait au nom de la Mutualité de la fonction publique. Depuis qu’il est président de la FMNF, je n’ai pas le droit de parler. Dans la Mutualité, il faut être riche et se taire. "

Or la MNEF est pauvre. On est en train de parler de chiffres, il faut relativiser. Je laisse 100 millions de francs de situation nette, à côté des 10 milliards de la Mutuelle de l’éducation nationale, on est un tout petit problème. Et je ne doute pas que dans les mois qui viennent, les politiques de diversification que l’on nous reproche, seront aussi discutées, avec une autre ampleur, dans le même cadre et avec la même objectivité.

Il y a donc des velléités de marché, et la presse n’a pas agi seule. J’ai été, à plusieurs reprises, mis en garde sur cette question, y compris par les intéressés qui m’ont reproché l’autonomie de la mutuelle, en disant qu’elle devait être un outil à la disposition de la FNMF, qu’il ne pouvait pas en être autrement. C’est surtout lorsque nous avons initié la mutualité interjeunes qui s’occupait de la mutualisation des jeunes en situation précaire, puis de celle des Rmistes que les pressions ont commencé.

En présence de l’un de mes collaborateurs et du secrétaire général de la mutuelle, j’ai eu une discussion avec le président de la FMNF qui n’a pas été tendre.

Je pense qu’il y a aujourd’hui toute une série d’intérêts en jeu et que beaucoup de choses ont été organisées. Les parlementaires, qui étaient déjà élus à l’époque, doivent se rappeler de la bataille de la majorité sociale. Sous prétexte de solidarité familiale, la mutualité vous expliquait qu’il était normal qu’une jeune fille issue de l’immigration de la deuxième génération essaie de parler de ses problèmes sexuels à la table familiale, alors qu’elle était majeure.

Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu d’erreurs. Je pense même qu’il y en a eu un certain nombre. Qui n’en fait pas ? Mais entre ces erreurs et la façon dont elles sont exploitées, il existe un décalage médiatique qui a assez peu de sens. On dirait que, tout d’un coup, les journalistes découvrent tout cela. Mais ils étaient invités à nos manifestations ! On me parle de démocratie ! Des assises ont été tenues en 1997 - six mois avant le début des " affaires " - où toutes les organisations étudiantes étaient présentes, à l’exception de l’UNI ; tous les présidents de ces organisations se sont exprimés. On venait de terminer le processus électoral ; quelles réserves ont été portées sur ce processus ? Les journalistes, les représentants des ministères étaient présents. Personne ne s’est levé pour dénoncer le scandale de la diversification !

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez été nommé directeur de la MNEF en 1992 ?

M. Olivier SPITHAKIS : Non, en 1983. En 1992, j’ai révisé les termes de mon contrat de travail.

M. Jean-Paul BACQUET : Aviez-vous, avant 1983, déjà occupé des fonctions à la MNEF ?

M. Olivier SPITHAKIS : Oui, tout à fait, j’ai été trésorier général de 1981 à 1983. A l’époque, le Code de la mutualité n’interdisait pas à un administrateur de devenir salarié.

M. Jean-Paul BACQUET : Votre contrat de travail, renégocié en 1992, est donc un contrat de droit privé. Il a été approuvé par le conseil d’administration, mais avec qui l’avez-vous négocié ?

M. Olivier SPITHAKIS : Avec le président.

M. Jean-Paul BACQUET : Comme vous l’avez fait remarquer, les élus étudiants ne disposaient pas d’une capacité d’analyse suffisante en matière financière. Les dédouanez-vous de l’éventuelle erreur de vous avoir engagé ?

M. Olivier SPITHAKIS : Non, je les en félicite ! Comme je le disais tout à l’heure, il existe une grande différence entre un taux de rendement interne et des clauses d’un contrat de travail ! Il n’est pas difficile de comprendre ce qu’est une clause de conscience, le montant d’une rémunération et une indemnité de licenciement !

M. Jean-Paul BACQUET : Les membres du conseil d’administration touchaient-ils des indemnités ? Leur montant était-il fonction de leur présence ?

M. Olivier SPITHAKIS : Bien entendu, les membres du conseil d’administration touchent des indemnités – en fonction de leur présence ou de l’étendue de leur mission. Mais je ne devrais pas répondre à cette question, car elle échappe à mes attributions.

Simplement, je puis vous dire que ces indemnités étaient décidées dans les règles par l’assemblée générale, et je n’avais en rien à intervenir dans la fixation de leur montant. Cependant, j’ai toujours considéré cela comme légitime : le Code de la mutualité le permet et 70 % des étudiants aujourd’hui travaillent pour financer leurs études. Il est évident qu’un étudiant qui doit assumer la responsabilité d’une entreprise de 700 salariés ne peut pas, en plus, travailler pour financer ses études.

On ne peut pas demander aux administrateurs de s’impliquer davantage dans les problèmes de gestion si on ne leur en donne pas les moyens. Je trouve que cela est comparable avec ce que touchent les maires adjoints ou les conseillers municipaux délégués dans les collectivités locales.

M. Jean-Paul BACQUET : Quel était le montant moyen de ces indemnités ? Par ailleurs, ce montant a-t-il varié de façon significative pendant la période où vous avez été directeur ?

M. Olivier SPITHAKIS : Les indemnités allaient de 1 000 à 10 000 F par mois – le trésorier, le secrétaire général, par exemple, touchant 10 000 F.

Le montant de ces indemnités a-t-il varié depuis 15 ans ? Personnellement, en 1982/1983, je percevais une indemnité – fondée sur des barèmes FMNF – de 4 800 F. Je pense donc qu’en franc constant elles ont plutôt diminué.

M. André ANGOT : Compte tenu des difficultés pour les étudiants élus de remplir leur mission et d’exercer un pouvoir de contrôle, nous aurons probablement des propositions de modifications législatives à formuler. Estimez-vous nécessaire de modifier la composition du conseil d’administration, et peut-être même son nom, afin qu’il ne s’agisse plus d’un conseil responsable à 100 % de la gestion de l’entreprise ?

Par ailleurs, vous avez parlé de la dépolitisation de la MNEF. Je voudrais signaler qu’elle a coûté très cher à la MNEF, puisque je crois me souvenir que l’UNEF-ID percevait 1 million de francs par an de subvention.

M. Olivier SPITHAKIS : S’agissant de votre première question, il est indispensable que la représentation étudiante pour qu’il y ait une responsabilisation des étudiants aux problèmes de protection sociale demeure. Il est indispensable que les étudiants gardent la majorité du conseil. Peut-être que ce qui a été fait avec les personnalités qualifiées a été mal fait.

La proposition de désignation de personnalités qualifiées à l’assemblée générale par l’association les Amis de la MNEF n’a peut-être pas bien marché, car, de fait, ces personnalités étaient assez peu présentes. Normalement elles ont vocation à aider les étudiants dans la compréhension des problèmes de gestion et à éviter qu’une organisation étudiante, tel un bateau un peu ivre, puisse donner un coup de barre d’un côté, puis de l’autre – du fait d’un taux de rotation un peu rapide. Imaginez la gestion d’une collectivité locale avec le renouvellement du maire chaque année !

Il convient que ce collège de personnalités soit constitué de telle sorte que la présence d’un certain nombre de représentants du ministère de l’Education nationale, par exemple, soit garantie. Mais il est indispensable, je le répète, de laisser une majorité aux étudiants qui sont tout à fait capables de décider des orientations – ces personnalités qualifiées devant être désignées de façon statutaire.

L’exemple de la Fondation santé des Etudiants de France me paraît intéressant. Tous les ministères concernés sont représentés, et je vous assure que leurs représentants ne se privent pas d’intervenir.

Vous dites que nous avons acheté la dépolitisation un million de francs par an ! Vous avez raison, les autres organisations syndicales touchent beaucoup moins, pour une raison très simple. Ces subventions reposent sur une convention de partenariat commercial. L’UNEF-ID fait la promotion de la MNEF d’une façon exhaustive à l’occasion de chaque rentrée universitaire. La FAGE, les corpos, le faisaient moins, puis ont commençé à le faire davantage – d’ailleurs leurs subventions, ces deux dernières années, ont augmenté de façon significative.

Bien entendu, vous allez me dire " mais il y a d’autres organisations syndicales étudiantes ". Certes, mais elles n’ont jamais souhaité signer de partenariat commercial avec la MNEF.

Si nous avions demandé à une société de participer à des campagnes d’affichage, de distributions de tracts ou de promotion des ventes, le montant des dépenses aurait été bien plus important. Le coût d’une campagne de rentrée est de l’ordre de 30 à 40 millions de francs.

Je parlais tout à l’heure d’intermédiation sociale. Il est évident, à partir du moment où les pouvoirs publics souhaitent qu’un lien soit maintenu avec les organisations syndicales, on a tendance à maintenir ce lien avec la plus grande organisation syndicale.

Je ne crois pas que cette pratique soit très différente de celle des caisses primaires d’assurances maladie.

M. Yves NICOLIN : Selon vous, le président de la MNEF assume-t-il des responsabilités civile et pénale ?

M. Olivier SPITHAKIS : Juridiquement, oui.

M. Yves NICOLIN : Alors qu’il peut avoir à assumer des responsabilités civile et pénale, n’est-il pas choquant qu’il ne siège pas à la commission permanente ?

M. Olivier SPITHAKIS : Je crois que vous faites une erreur sur le rôle que joue la commission permanente. Vous la comparez à celle des conseils régionaux ; or elle n’a pas la même vocation. Il ne s’agit pas d’un organe délibératif. Elle assure un suivi du détail de chaque décision. Elle a en fait été créée afin que des habitudes de travail soient prises de façon régulière entre les élus étudiants et les personnels administratifs. Elle n’est en rien un organe décisionnel.

M. Yves NICOLIN : Sous votre direction, la MNEF a-t-elle financé des activités politiques ?

M. Olivier SPITHAKIS : Non.

M. Yves NICOLIN : La MNEF a-t-elle financé des salaires qui auraient pu aider des partis politiques ?

M. Olivier SPITHAKIS : Non, elle n’a financé aucun salaire pour aider des partis politiques. Un amalgame a été fait en la matière. Nous sommes, d’une certaine façon, une école de citoyenneté. Certes, la MNEF recrute dans le milieu syndical étudiant, mais elle se trouve dans le milieu étudiant ! C’est notre univers ! Il n’existe pas de diplôme de troisième cycle " connaissance de l’enseignement supérieur " ! Selon moi, un bon cadre est une personne qui a fait du syndicalisme étudiant et qui a été vice-président élu d’une université. Si, en plus, il a passé trois ou quatre ans dans une entreprise, il devient une personne que l’on recherche ! Par ailleurs, après du syndicalisme étudiant, il fait parfois de la politique. Je ne pense pas qu’il existe une génération spontanée de parlementaires ; on a une vie avant, on a parfois une vie après.

L’action de la MNEF se situe à la fois dans le domaine social et institutionnel. Ce rôle institutionnel fait que, lorsqu’il y avait un changement de majorité politique, il m’arrivait de recruter certaines personnes venant des cabinets ministériels. Il est évident que pour travailler sur des problèmes de protection sociale, il était intéressant de proposer un poste à quelqu’un qui sortait du cabinet du ministère des Affaires sociales !

En sens inverse, le fait qu’un collaborateur soit appelé dans un cabinet ministériel – pour traiter, par exemple, des conditions de vie des étudiants  – ne pouvait que faire avancer les intérêts de la MNEF.

Les passerelles entre les ministères et la MNEF ont donc existé, de même que les passerelles entre le syndicalisme étudiant et les activités politiques.

M. Yves NICOLIN : Ces passerelles ont existé avec tous les gouvernements ?

M. Olivier SPITHAKIS : Pour être objectif, je dirai que les passerelles ont plus existé avec les gouvernements de gauche – mais cela n’a pas toujours été le cas. Tout simplement parce que la conception de la MNEF s’inscrit du côté des " forces de progrès ".

M. le Rapporteur : Selon une expression journalistique, la MNEF a été la " pouponnière du parti socialiste ". Quel est votre commentaire ?

M. Olivier SPITHAKIS : Il s’agit véritablement d’une expression journalistique qui ne correspond pas à la réalité. Si l’on fait la liste des parlementaires qui sont passés par les rangs de la MNEF, on en compte une dizaine. Mais il s’agit d’un parcours classique : syndicalisme étudiant, militantisme, puis parcours politique.

Je tiens à préciser que certains responsables d’agence de la MNEF ont des responsabilités politiques locales dans d’autres formations politiques que le parti socialiste. A Montpellier, un directeur régional est au PR ; notre directeur financier a eu des responsabilités chez les centristes. Dès qu’il ne s’agit pas de pourvoir un poste dans le secteur du développement, qui nécessite la connaissance du milieu étudiant, on passe par des cabinets de recrutement et l’on ensuite découvre les affinités politiques d’un directeur financier ou d’un directeur du personnel, au travers des relations personnelles.

M. le Président : Y a-t-il eu, oui ou non, des emplois fictifs à la MNEF ?

M. Olivier SPITHAKIS : J’ai déjà répondu à cette question : il n’y a pas eu d’emplois fictifs à la MNEF. Il nous est arrivé, comme toutes les caisses primaires de France, de détacher du personnel dans un syndicat – par exemple, un salarié de la MNEF a longtemps travaillé à la CFDT.

M. Jean-Paul BACQUET : Dans ce domaine, la caisse nationale d’assurance maladie vous a précédé de loin !

Les administrateurs de la MNEF sont dans une école de citoyenneté. Un certain nombre font une carrière politique. Peut-on considérer que le fait d’être administrateur à la MNEF est une bonne école politique – de la même façon que l’on retrouve dans l’hémicycle d’anciens attachés parlementaires ou conseillers ministériels ?

M. Olivier SPITHAKIS : Cela n’est pas propre aux administrateurs ou aux salariés. Par ailleurs, avant que le Code de la mutualité ne soit modifié, les administrateurs devenaient souvent des salariés.

Par rapport à la triple dimension que j’ai évoquée tout à l’heure - rôle d’institution, mouvement social et entreprise -, la MNEF, me semble-t-il, est une bonne école de formation.

J’ai arrêté mes activités politiques, mais j’ai le sentiment d’avoir fait davantage qu’un élu ; j’ai obtenu, en dix ans, plus de modifications législatives et réglementaires que beaucoup de parlementaires !

Je pense donc que la MNEF est une excellente école de formation, parce que les étudiants sont obligés, comme tout homme politique, d’identifier les besoins d’une partie de la société, de les faire valoir après du législateur et du gouvernement, de se battre comme un parlementaire pour faire en sorte que leurs projets avancent. S’agissant de la majorité sociale, il a fallu dix ans !

M. Pierre LASBORDES : Vous venez de démontrer que vous êtes un bon commercial, du moins à titre personnel ! Quand on est un bon commercial, on défend les intérêts de sa maison. Pouvez-vous nous dire sur quels critères vous avez fixé les montants des subventions versées aux syndicats étudiants ? Un bon commercial fixe des montants non pas forfaitaires, mais en fonction du résultat.

M. Olivier SPITHAKIS : Monsieur le député, j’aurais rêvé faire ce que vous dites ! Mais c’est expressément interdit par le Code de la mutualité.

M. Pierre LASBORDES : En tant que directeur général, vous considériez-vous comme le secrétaire d’une mairie ou comme le directeur de cabinet ?

M. Olivier SPITHAKIS : J’avais la chance d’être un peu les deux !

M. le Président : Lorsque vous étiez trésorier de la MNEF, aviez-vous délégué votre signature ? Il nous a en effet été expliqué par l’ancien trésorier qu’il avait signé, le deuxième jour de sa prise de fonctions, un cahier général et qu’il n’avait ensuite plus exercé de responsabilité de signature.

M. Olivier SPITHAKIS : J’ai agi exactement de la même façon ! Le système de délégation de gestion du régime étudiant impose plusieurs comptes bancaires par département. Plusieurs millions de chèques sont émis chaque année – de l’ordre de 4 millions de francs. Je veux bien qu’un trésorier refuse de déléguer sa signature, mais je lui souhaite bon courage !

Nous avons mis en place deux groupes : les ordonnateurs et les payeurs. Le groupe A délègue au directeur général, le groupe B au directeur financier, les deux groupes subdéléguant à la quasi-totalité des responsables d’agence. Il s’agit d’une pratique logique qui a toujours existé, sans laquelle il serait impossible de fonctionner.

M. le Président : J’ai parfaitement compris qu’il n’appartient pas au trésorier national de signer les remboursements de soins !

M. Olivier SPITHAKIS : Il en va de même pour les charges de gestion.

M. le Président : Mais pour les chèques importants correspondant à des opérations d’envergure, il y avait bien émission de chèques de plusieurs millions de francs ?

M. Olivier SPITHAKIS : Le trésorier ne signait pas les chèques importants, la réglementation du conseil d’administration imposait une décision du bureau pour tout engagement financier supérieur à 1 million de francs. Le trésorier devait signer la délibération du bureau, cette pièce exécutoire était alors transmise à la direction financière.

Je souhaite que vous puissiez vous pencher sur ce fonctionnement, que vous puissiez demander le tableau des engagements et la présentation des procédures applicables selon leur montant ainsi que toutes les délibérations.

M. le Président : A quoi sert alors le trésorier ? J’ai dû mal à saisir son rôle, puisque d’après votre description, le conseil d’administration transmet un ordre de paiement sur pièce à la direction financière qui l’exécute.

M. Olivier SPITHAKIS : Dans le cadre des réunions de bureau auxquelles quatre personnes participent, le trésorier a une voix en quelque sorte prépondérante sur les décisions financières qui n’ayant pas été prises en conseil d’administration sont traités par le Bureau. Par ailleurs, le trésorier a une autonomie complète de toute la gestion du secteur étudiant. Pour éviter toute mainmise, la direction générale ou un directeur ne sont donc pas autorisés à verser les indemnités, à rembourser les frais ou à assurer le suivi des budgets des sections locales concernant les opérations de solidarité ou les actions humanitaires. En d’autres termes, l’appareil administratif s’interdisait d’avoir un droit de regard sur toutes ces activités décidées de façon totalement autonomes. Toutes ces activités étaient ordonnancées directement par le trésorier. Il signait non pas les chèques, mais les pièces comptables qui ordonnaient le paiement.

M. le Président : Nous nous interrogeons sur le rôle exact et les capacités des présidents et des trésoriers étudiants de l’ensemble des mutuelles. Nous souhaiterions connaître votre sentiment à ce sujet.

Peut-on réellement, à 22 ans, se retrouver président ou trésorier d’un organisme tel que le vôtre ?

Nous avons reçu les élus de la MGEL. Premièrement, le président de la MGEL n’est plus un étudiant, deuxièmement, il n’est pas rémunéré, puisqu’il exerce par ailleurs une activité professionnelle En revanche, la présidente de la MNEF, qui elle est étudiante dans l’obligation de travailler, nous indiqué qu’entre un travail de " pion " et une responsabilité rémunérée à la MNEF, cette dernière fonction était beaucoup plus valorisante.

Tout cela amène notre commission à se poser des questions en ce qui concerne les capacités réelles de jeunes étudiants, même s’ils peuvent insuffler toute une politique de générosité sociale, pour être président ou trésorier d’un tel organisme, avec des responsabilités pénales à la clé.

M. Olivier SPITHAKIS : Tout d’abord, je pense que les étudiants doivent conserver un rôle important ; c’est une question de responsabilisation et d’appréhension des problèmes de santé. Il est important d’avoir un réseau de militants sociaux qui travaillent sur ces questions. On ne peut pas en même temps vouloir maîtriser les déficits en matière de sécurité sociale et ne pas sensibiliser les jeunes consommateurs de soin sur cette question.

En revanche, les élus étudiants doivent être encadrés, d’une part, par un collège de personnalités qualifiées composé de représentants des pouvoirs publics, d’autre part, par une direction générale qui doit être redéfinie. Au niveau du régime général, le conseil d’administration est composé de partenaires sociaux, et le directeur général de la CNAM est nommé en conseil des ministres.

Sans qu’il y ait une nomination au conseil des ministres, le directeur général pourrait être nommé par le conseil d’administration sur deux ou trois propositions du ministère des Affaires sociales ou de l’Education nationale. Il convient de trouver un système qui puisse satisfaire la démocratie étudiante et un certain nombre de garanties – puisqu’il y a des fonds publics, il est nécessaire qu’il y ait une continuité d’une politique de gestion.

Quoi qu’il en soit, un président non étudiant serait un non-sens. La mutuelle étudiante perdrait son identité et deviendrait une mutuelle comme les autres, voire même une mutuelle interprofessionnelle qui proposerait des produits pour les étudiants. J’irai même plus loin. Imaginez, avec ce que l’on a entendu sur l’association les Amis de la MNEF, que celle-ci ait eu un président qui ne soit pas étudiant !

La MGEL peut se le permettre, parce qu’il s’agit d’une identité régionale. Mais imaginez la même problématique de mainmise s’il y avait eu un président qui ne soit pas étudiant ; c’était l’hallali ! Pour récapituler, je pense que les étudiants doivent conserver la présidence de leurs mutuelles, qu’un tiers du conseil d’administration doit être constitué de personnalités qualifiées dont la présence effective sera assurée et que la nomination du directeur général soit soumise à des modalités dans lesquelles interviendrait la puissance publique.

M. le Rapporteur : Vous étiez membre de l’association les Amis de la MNEF ?

M. Olivier SPITHAKIS : Oui, et c’est effectivement une grossière erreur.

M. le Rapporteur : Vous étiez donc membre d’une association qui devait dire ce qu’elle pensait de vous ?

M. Olivier SPITHAKIS : Il était prévu que les anciens administrateurs étudiants étaient automatiquement membres de l’association. C’est en ma qualité d’ancien trésorier que je m’y suis trouvé.

M. le Rapporteur : Quel était par rapport à cette association la composition et le rôle du comité national consultatif ?

M. Olivier SPITHAKIS : Le comité consultatif était en quelque sorte un comité des sages. Il y avait d’ailleurs " le papa et la maman " du régime étudiant – aujourd’hui seule Marcelle Devaux est encore en vie et participe régulièrement aux travaux. Cette instance se réunit deux ou trois fois par an. Au cours de cette réunion, sont exposés les problèmes que rencontre le régime étudiant, les conditions de vie des étudiants, les prises de position de la MNEF. A partir de ces sujets, on procède à des échanges de vues entre personnes possédant des compétences variées, chefs d’entreprises, responsables syndicaux, fonctionnaires…

Le comité consultatif est également, ne nous le cachons pas, un outil de lobbying, qui essaie " d’irriguer " de propositions un certain nombre de forces sociales.

M. le Rapporteur : Quelle est sa composition ? Comment est-il désigné ?

M. Olivier SPITHAKIS : Je ne saurai vous répondre très précisément. Je pense que les membres du comité consultatif sont d’anciens administrateurs et qu’ils doivent être désignés par le conseil d’administration de la MNEF – il y a environ 30 ou 40 membres. Aux derniers dîners auxquels j’ai assisté – je n’étais pas très assidu – une quinzaine de personnes étaient présentes. Pour être franc, ces questions qui relèvent du CA, d’organisation et de nomination ne m’ont guère passionné, même si j’ai proposé un nom.

M. le Rapporteur : Une instance de lobbying est pourtant intéressante.

M. Olivier SPITHAKIS : L’association les Amis de la MNEF était peut-être plus efficace…

M. le Rapporteur : A la lecture des différents rapports qui ont été mis à notre disposition, il semblerait qu’il existait de véritables monopoles concernant certains prestataires de services, en particulier dans le domaine de l’informatique, avec Consult SA, de la communication, avec l’agence Policité, et de l’imprimerie, avec EFIC puis la SPIM.

Les différents organes de contrôle affirment que cela a entraîné des surcoûts énormes pour la MNEF qui a, par ailleurs, été amenée à renflouer plusieurs fois certaines entreprises – 5 millions de francs en compte courant auraient été versés à la SPIM. Considérez-vous cela comme de la bonne gestion ?

M. Olivier SPITHAKIS : Vous me reprochez une situation de monopole en matière informatique, mais très franchement, je n’en connais pas d’autre, s’agissant des équipements lourds, ce qu’on appelle " le hard ". Personne ne fait appel à quinze prestataires de services en informatique ! Or depuis que je suis directeur général, nous avons tout de même eu cinq prestataires différents. Je rappelle que personne ne change chaque année son système informatique et que, s’agissant de l’achat des micro-ordinateurs, nous avons fait jouer la concurrence. Par ailleurs, la société informatique à laquelle nous faisons appel travaille pour 72 sociétés mutualistes. Elle est donc hyper-spécialisée sur cette question. Elle est d’ailleurs avec une autre société la seule à avoir été agréée par IBM et a été choisie sur la base d’une consultation. Nous avons d’ailleurs pris ensuite une participation dans cette société informatique avec le réseau Mieux être, gros réseau mutualiste français.

En matière de communication, la société Policité n’est pas une filiale. Je n’ai pas eu connaissance d’une situation de monopole dans ce domaine. Nous avons commencé à travailler avec cette société qui existe depuis 1989, seulement en 1993. J’ai hésité à le faire pendant longtemps, parce qu’elle était dirigée par M. Obadia dont la femme faisait partie de mon équipe de direction. Et puis, lors d’un appel d’offre, que personne n’a contesté même s’il ne correspond pas précisément aux règles du marché public, je me suis dit qu’il était anormal d’exclure cette société de l’appel d’offre au prétexte qu’elle était dirigée par M. Obadia.

Vous avez récemment voté un article modifiant le Code pénal et qui pose le problème de la discrimination. J’aurai vraisemblablement l’occasion, devant d’autres instances, d’introduire un certain nombre de recours sur cette question. Comment, en tant que responsable d’une entreprise de droit privé, aurais-je pu exclure l’entreprise de M. Obadia d’un appel d’offre au prétexte qu’il était l’époux de Mme Obadia ? Cela aurait été contradictoire avec l’article relatif à la discrimination, récemment adopté par le législateur.

Un audit a été réalisé par mon successeur. Demandez-le. Regardez si les charges de communication sont plus importantes que dans les autres mutuelles. Le budget de communication confié à l’agence était de 2 millions de francs. Il est vrai que l’on n’a pas procédé à une nouvelle consultation, lorsqu’il a été décidé de recentrer les activités de la MNEF sur la santé, que l’on a mis en place, en partenariat avec le ministère, les Espaces santé-pleine forme, les salons…

Je pars en effet du principe qu’à partir du moment où l’on choisit une ligne de communication, on doit s’y tenir pendant au moins trois ans. Il s’agit d’un problème d’orientation stratégique. On ne change pas de logo tous les 15 jours ! On a déjà de gros problèmes, à l’intérieur de la MNEF. Il y a, d’un côté, la direction du développement, avec de gros budgets et une vision très commerciale et très agressive, de l’autre, la direction de la communication institutionnelle qui développe le côté sanitaire et la problématique sociale. Il était déjà difficile de les faire coexister dans la même entreprise, nous n’allions pas, en plus, changer d’agence tous les ans ! Mme Obadia n’était en la matière que très peu ordonnatrice des dépenses, c’est un choix que je lui ai imposé.

En ce qui concerne l’impression, il y a effectivement un problème. La politique de fidélisation était liée au volume considérable que nous avions à imprimer. Cela étant, nous avons hérité, dans les années quatre-vingt-dix, d’une imprimerie en situation extrêmement difficile que nous n’avons pas su gérer. Cette imprimerie était, en plein mois de mai, en train d’imprimer notre brochure de rentrée quand un administrateur provisoire est arrivé et nous a dit : " Je liquide. Soit vous prenez la majorité de la société, soit je mets tout au pilon ". Or si la MNEF n’a pas cette brochure dans les délais requis, elle perd une année de " chiffre d’affaires " et n’a plus qu’à mettre la clé sous la porte.

M. le Rapporteur : EFIC a donc été filialisée à ce moment-là. EFIC est donc devenu EDITIF, et la SPIM a repris l’ensemble du passif.

M. Olivier SPITHAKIS : Non, la SPIM n’a pas repris le passif, et c’est de là que vient une grosse erreur. Je dirais même une trop grossière erreur de la Cour des comptes. Je suis étonné qu’une institution aussi sérieuse puisse commettre, à froid, ce type d’erreur – même si je ne nie pas qu’il y a des problèmes judiciaires avec EFIC, mais nous les découvrons, en quelque sorte, ensemble.

Dès que la société SPIM est constituée avec un nouveau tour de table et un nouveau responsable, elle prend EFIC devenue EDITIF en location gérance. Il y a donc transfert du fonds de commerce – et si l’on ne l’avait pas fait, on aurait pu nous reprocher un détournement de fonds de commerce ! Cette location gérance est là pour rétribuer le transfert du portefeuille de clientèle – dont la MNEF ne représentait à l’époque que 40 %. La location gérance est donc payée chaque année.

Lorsque la Cour des comptes analyse le dossier, elle confond la location gérance avec une location immobilière et déclenche une instruction au prétexte qu’il n’est pas possible de payer 2,7 millions de loyer par an pour un local de 80 m². Je comprends sa surprise ; ce que je ne comprends pas c’est qu’elle n’ait pas creusée la question et qu’une institution aussi éminente ait pu commettre une telle confusion.

M. le Rapporteur : Au cours de votre exposé, vous nous avez expliqué qu’il avait fallu diversifier pour répondre aux besoins des étudiants. Bien. Mais nous devenons perplexes quand on fait le compte du nombre de filiales, de sous-filiales et sous sous-filiales qui peuvent exister. Avez-vous une idée du nombre exact de filiales et de sous-filiales de la MNEF ? Quelle était l’utilité de cet enchevêtrement de participations qui semble exister ?

M. Olivier SPITHAKIS : Tout d’abord, je ne vous ai pas expliqué que nous avions diversifié que pour répondre aux seuls besoins des étudiants. Je vous ai également parlé de la nécessité de protection de notre marché et des outils techniques. Lorsque vous évoquez l’informatique ou l’imprimerie, je n’ai pas la prétention de dire que c’était pour répondre aux nouveaux besoins des étudiants !

Ensuite, vous parlez de l’enchevêtrement. Je vous ai expliqué tout à l’heure qu’il y avait une nécessité de trouver des partenaires spécialisés par métier. Nous ne savons pas faire tous les métiers. Ainsi, par exemple, Publicis, qui est intéressée par les panneaux d’affichage, n’est pas forcément intéressée par les résidences universitaires. Il est donc impératif de constituer des pôles par secteur : assurance, immobilier, publicité …

Par ailleurs, il convient de ne pas confondre les activités ou nous sommes majoritaires et celles où nous sommes minoritaires et dans lesquelles, comme en informatique, existent des structures en cascades. Dans ce cas, nous ne faisons qu’entrer dans le capital de la " maison mère ". On ne va pas, par exemple, reprocher, demain, aux mutuelles qui viennent de rentrer au capital de la Caisse nationale de prévoyance, la totalité des filiales de cette caisse privatisée. Il convient donc déjà de sortir les pôles assuranciel et informatique où nous sommes actionnaires minoritaires.

Reste le domaine des conditions de vie des étudiants où, effectivement, il y a beaucoup de filiales. Franchement, je pense qu’il n’y en pas assez. Pourquoi ? C’est une règle de prudence économique de base. Il devrait y avoir une filiale par immeuble et une filiale par galerie marchande sur les campus. En effet, au moment où Rouen bat de l’aile, il n’y a pas de raison que cela affaiblisse Grenoble.

Les nombreuses structures que vous trouvez sous Raspail Participations et Développement démontrent que l’on en a beaucoup fait. Nous sommes intervenus à la fois dans le domaine du logement, des cafétérias, du service au promoteur, etc. Les différents outils qui ont été mis en place au travers de Raspail Participations et Développement ont permis de drainer entre 8 et 11 milliards de francs du secteur privé à destination des résidences universitaires - somme que l’Etat n’a pas eu à verser.

S’il y a autant de sociétés filiales, c’est parce qu’on en a fait beaucoup. Et que l’on ne vienne pas nous imputer, comme le font certains corps de contrôle, les filiales des organismes dans lesquels on est minoritaire, car c’est un processus que la MNEF ne contrôle pas.

M. le Rapporteur : Il y a tout de même aussi beaucoup de filiales dans le domaine assuranciel : FIGERIS, CAP PARTENAIRE, AJE SA, CAP IRAM. Toutes ces filiales ont le même dirigeant et sont interdépendantes. C’est ce type de montage que je ne comprends pas.

Il en va de même dans le secteur de la communication avec Carte Jeunes SA, GIE, Phone Campus, MÉDIA JEUNES, Je communique, SPIM, Coeur de cible, EDITIF, etc. On ne discerne pas quelle a été, au départ, l’intention politique de la MNEF.

M. Olivier SPITHAKIS : Vous ne voulez pas différencier les secteurs où nous sommes majoritaires et ceux où nous sommes minoritaires. Quand on est minoritaire, on n’a pas le contrôle du processus. Mais je peux vous l’expliquer quand même.

Prenons l’organigramme du secteur assuranciel. Vous trouverez une société qui fait du courtage en assurance en milieu étudiant et jeune – CAP IRAM, au-dessus, il y a la société AJE SA, qui est vide ! Il s’agit d’une société issue d’une technique financière connue, dans laquelle les banques demandent de loger les prêts bancaires – elle n’a pas d’activité, donc pas de passif, seules les dividendes remontent. Lorsque tous les prêts bancaires seront remboursés, elle disparaîtra.

Au-dessus, vous trouvez Cap partenaire. Il y a là un investisseur, la société de prévoyance bancaire, deuxième courtier en France, qui souhaitait être non pas sur tous les secteurs d’activité, mais sur un seul. Et au-dessus, vous voyez FIGERIS. Ce n’est pas une société qui fait de l’assurance, mais une holding de distribution de produits de masse.

Si vous demandez l’organigramme de FIGERIS, vous trouverez une dizaine d’autres sociétés. Ses dirigeants viennent de lancer E TRADE NET BOURSE, qui est le courtage boursier par Internet ; ils ont racheté Club des Clubs au Chèque déjeuner. Nous sommes minoritaires, dans cette société. On ne va pas reprocher aux dirigeants de la MNEF dans quatre ans, si FIGERIS crée sept ou huit sociétés dans des secteurs d’activité différents, d’être responsables de ce montage, alors que la MNEF ne représente que 13 % !

M. le Rapporteur : Aujourd’hui, mais la MNEF a représenté jusqu’à 40 %.

M. Olivier SPITHAKIS : C’est la raison pour laquelle je suis compétent pour vous expliquer le montage qui a été fait à l’origine avec les trois niveaux. Il n’y a pas les mêmes partenaires dans chaque niveau.

M. le Rapporteur : Et dans le cadre de la promotion sociale des étudiants, que faisaient Force 1 et Dérya Tour ?

M. Olivier SPITHAKIS : La MNEF possédait à l’époque une sous-filiale dans laquelle elle détenait sans pouvoir décisionnaire 15 % du capital. Cette sous-filiale avait elle-même une participation de 5 % dans une société d’incentive qui possédait un bateau. Lorsque nous avons pris la majorité du capital de cette société de communication qui détenait ces 5 %, nous avons demandé que cette participation soit liquidée. Mais cela a suffi à la presse pour titrer " Le bateau de la MNEF ".

Je ne pense pas que demain vous puissiez reprocher à la mutuelle du Trésor d’avoir acquis de cette façon le casino de Libourne ! On est bien loin, là aussi, des orientations mutualistes !

Avec le même raisonnement, analysons toutes les participations de la Caisse nationale de prévoyance et imputons ce qu’on y trouve à toutes les mutuelles qui viennent d’entrer.

La MNEF est actionnaire d’un certain nombre de sociétés avec GESTRIM qui est le deuxième opérateur français en matière de logement. Pourquoi ne nous impute-t-on pas les filiales de GESTRIM ? Pourquoi cela n’intéresse personne ?

M. le Rapporteur : Il n’y avait pas de rapport non plus entre MÉDIA JEUNES et Force 1 ?

M. Olivier SPITHAKIS : Si, MÉDIA JEUNES détenait 5 % de Force 1 à l’époque où l’UES Saint-Michel détenait 15 % de MÉDIA JEUNES. Le jour où l’UES Saint-Michel, dont j’était président, a pris la majorité de MÉDIA JEUNES, elle a demandé que cette participation, qui ne servait à rien, soit cédée.

M. le Rapporteur : Donc tout ce que nous avons pu lire sur les croisières du directeur général sur le Derya est faux ?

M. Olivier SPITHAKIS : Ce n’est pas la question que vous m’avez posée, Monsieur le rapporteur !

M. le Rapporteur : Eh bien je vous la pose.

M. Olivier SPITHAKIS : Premièrement, la MNEF ne possède aucun bateau. En ce qui me concerne, j’ai effectivement été amené à utiliser à quelques reprises ce bateau : deux fois pour un séminaire et quelquefois pour usage personnel, comme j’ai utilisé d’autres bateaux avant, comme je continue à en utiliser depuis que Derya a coulé ! Dans ce cadre-là, j’ai réglé mes vacances comme tout le monde.

M. Jean-Paul BACQUET : Monsieur le président, tout cela est bien complexe. Nous découvrons un directeur qui a un certain nombre de pouvoirs, une présidente qui est souvent absente et un conseil d’administration incompétent.

Il me semble que nous touchons là à un vrai problème de démocratie.

Vous avez évoqué le principe des holding, et l’on peut, dans l’intercommunalité, trouver les mêmes principes avec des décisions pouvant se prendre au 4e ou 5e degré.

Par rapport à toutes ces ambiguïtés, ma question est simple : un régime étudiant se justifie-t-il encore ? Vous avez répondu en disant qu’il risquait de disparaître. Donc manifestement vous le soutenez. Mais je vous demande tout de même votre avis.

Par ailleurs, les régimes non étudiants de mutuelles ont-ils des fonctionnements aussi opaques que celui qui vous amène aujourd’hui a être auditionné par une commission d’enquête parlementaire ? Je précise : dans les grandes mutuelles françaises, je pense à deux d’entre elles, le directeur général a-t-il les mêmes pouvoirs que vous, le président du conseil d’administration est-il aussi compétent que celui de la MNEF, et les administrateurs – qui ne sont pas des étudiants – sont-ils mieux formés ou insuffisamment formés par rapport aux décisions qu’ils ont à prendre ?

M. Olivier SPITHAKIS : Le régime étudiant se justifie-t-il ? Je répondrai oui. Même si j’ai expliqué tout à l’heure à Monsieur le président les modifications qu’il conviendrait d’y apporter. Il se justifie socialement car il permet l’identification des besoins ; simplement, il convient de l’aménager dans son mode de fonctionnement.

En ce qui concerne l’exercice de la démocratie, la comparaison avec les autres mutuelles est difficile : nous sommes dans une situation où une commission de contrôle nous demande de faire une holding. On se retrouve ainsi dans des filiales de deuxième et troisième niveau. Et si les décisions étaient prises en conseil d’administration de la MNEF, on nous aurait accusé d’effectuer une gestion de fait, ce qui est interdit par la loi.

Quand la MNEF gérait toutes ses filiales, elle pouvait intervenir directement comme actionnaire majoritaire. Il y a donc là une incohérence notoire qui n’a pas été perçue à l’époque lors de la création des UES suggérée par la Commission de contrôle des mutuelles.

En ce qui concerne les autres grandes mutuelles, je les différencie de deux façons. Dans une interprofessionnelle, le processus que vous évoquez peut exister. Dans une mutuelle de fonctionnaires, nous assistons - dans le domaine de la compétence, le problème ne se pose pas -, au niveau de la démocratie, à une violation bien plus grave. En effet, il s’agit de professionnels de la Mutualité payés par l’Etat ! Et ce, en violation totale d’un texte réglementaire : l’article 13 de la Mutualité précise que l’on ne doit pas avoir d’intérêts directs ou indirects.

L’Etat est coupable, puisque la Mutuelle de fonctionnaires lui verse de quoi rétribuer les fonctionnaires qui sont mis à disposition. Le principe de démocratie n’existe pas, puisque se retrouvent en situation élective des personnes compétentes, les " mis à disposition " qui se retrouvent dans une situation d’assumer à vie des fonctions d’élus.

Les données sont donc différentes : les problèmes de la compétence et de la rotation ne se posent plus. Il s’agit d’un vaste système de cooptation auprès duquel l’association les Amis de la MNEF n’est qu’un enfantillage. J’aimerais connaître depuis plusieurs années le nombre de listes qui se sont constituées aux élections de la MGEN.

M. Yves NICOLIN : La MNEF a été amenée, lorsque vous étiez directeur général, à réaliser ou faire réaliser d’importants travaux. Pensez-vous qu’il y ait eu, à l’occasion de l’attribution de ces marchés, des reversions de commissions à des partis ou à des hommes politiques ?

M. Olivier SPITHAKIS : Non. Et si j’avais eu connaissance de ce type de pratique, j’aurais porté plainte.

M. Yves NICOLIN : Vous nous avez expliqué pourquoi vous aviez été obligé de reprendre l’imprimerie SPIM. C’était à quelle époque de l’année ?

M. Olivier SPITHAKIS : Au moment de la préparation de la campagne de rentrée, en avril-mai. Les brochures doivent être livrées aux universités afin qu’elles les mettent dans les dossiers d’inscription.

Puisqu’on parle d’imprimerie, de concurrence, parlons du surcoût d’impression. Je serais curieux de connaître les tarifs de mes concurrents !

Nous sommes obligés d’imprimer, de façon rapide, 4 millions de brochures, dans des conditions extrêmement difficiles, et nous avons besoin d’un service souple et discret - afin que les concurrents ne se procurent pas nos brochures. Or l’incident s’est produit au moment du lancement du processus. Nous avons donc été mis devant le fait accompli. On ne peut pas changer d’imprimeur en trois jours : il y a 40 ou 50 documents différents à imprimer dans des quantités différentes, livrables sur 2 000 points différents, et le tout en une semaine !

M. Yves NICOLIN : Je voudrais revenir sur le contrat de travail que vous avez négocié avec le président. Qui était le président ?

M. Olivier SPITHAKIS : Dominique Lévèque.

M. Yves NICOLIN : Enfin, pourquoi avez-vous démissionné si vous estimez être innocent des soupçons qui pèsent sur vous ?

M. Olivier SPITHAKIS : Je n’ai pas démissionné, contrairement à ce que dit la presse, à l’exception du journal Le Monde ! La procédure de licenciement a été mise en place à partir du moment où j’ai fait jouer la clause de conscience. Je n’ai d’ailleurs aucunement l’intention de revenir, comme semblent l’indiquer les journalistes.

M. le Président : Combien avez-vous perçu d’indemnités de licenciement ?

M. Olivier SPITHAKIS : En application de mon contrat de travail, j’aurais eu droit à 3,9 millions de francs. J’ai reçu ce chèque que j’ai rendu immédiatement à la MNEF, en lui disant que je n’entendais pas, compte tenu du contexte, percevoir autre chose que mes indemnités conventionnelles - d’un montant de 500 000 F.

Six mois plus tard, j’ai fait savoir à la MNEF que je comptais faire valoir mes droits, mais que je souhaitais toucher non pas le montant intégral, mais un montant raisonnable pour un cadre supérieur qui avait mené une entreprise – de droit privé – de moins 100 millions de francs à plus 100 millions de francs.

Nous avons donc formulé une demande d’arbitrage. Arbitrage rendu par Mme Simone Rozès, première présidente honoraire de la Cour de cassation, qui a considéré que je devais percevoir 1,7 million de francs. Il a ensuite été demandé une interprétation, afin de savoir si les 500 000 F d’indemnités conventionnelles étaient ou non compris dans cette somme.

M. le Président : Au cours de l’année 1996, de nombreux cadres de la MNEF ont été licenciés. Comment ont été fixées leurs indemnisations, notamment celles de M. Henri Zwirn ?

M. Olivier SPITHAKIS : La seule indemnité importante est celle de M. Zwirn, les autres ne dépassant pas 400 000 ou 500 000 F. Vous connaissez la jurisprudence en matière de droit du travail : une année de salaire pour un cadre supérieur ; ce n’est pas exorbitant de droit commun. En général, s’il y a désaccord, on essaie de s’entendre entre douze et dix-huit mois, sauf s’il y a faute.

M. Zwirn, quant à lui, a touché environ 2 millions de francs. En effet, il s’agit d’une personne que je suis allé chercher pour lui demander de restructurer, d’abord l’informatique de la MNEF, ensuite l’organisation, à une époque où j’en avais énormément besoin. En effet, quand je me suis retrouvé en commission de suivi du plan de redressement, j’étais entouré de toute une brochette d’énarques qui prenaient avec peu de sérieux le jeune directeur général que j’étais. Le fait de me présenter quelques semaines après accompagné d’un polytechnicien, X, Mines, a tout de suite fait évoluer le discours. Il a donc, pendant treize ans de sa vie, au détriment de son évolution professionnelle, consacré sa carrière à la MNEF. Il était très compétent en ce qui concerne la restructuration, mais n’appréhendait pas du tout les problèmes de développement. Nous en avons tiré les conséquences, il s’agissait d’un désaccord concernant des orientations – cela aurait pu se plaider longtemps –, j’ai donc considéré, compte tenu de ce qu’il avait apporté à l’entreprise, que cette somme, si elle était un peu élevée, n’était pas illégitime. Et à l’heure actuelle, il cherche encore du travail.

M. le Président : Cette somme représente combien de mois de salaire ?

M. Olivier SPITHAKIS : Deux ans et demi de salaire.

M. le Président : C’est énorme !

M. le Rapporteur : Le désaccord portait-il sur la politique de diversification ?

M. Olivier SPITHAKIS : Ce désaccord concernait effectivement la politique de diversification, non pas les investissements, mais les services. M. Zwirn était un gestionnaire qui avait du mal à intégrer la logique du marché. Il y avait donc un désaccord, non seulement sur la logique du développement, mais également sur la logique institutionnelle, car pour lui, travailler sur la santé des étudiants était inutile économiquement ; il ne voulait pas prendre en compte l’utilité sociale.

M. le Président : J’ai lu de nombreux articles de presse concernant le grand nombre de conseils que vous avez reçus, et les honoraires qui auraient été versés : 7,6 % du montant des frais généraux de la mutuelle. C’est énorme !

M. Olivier SPITHAKIS : Je suis incapable de vous confirmer ce chiffre. Il est vrai que lorsque nous avons mené la négociation avec Vivendi, le montant total des honoraires de conseil était très élevé. La diversification a entraîné toute une série de conseils. Voyez comment est critiqué le système de la mutuelle : ses cascades de sociétés, de filiales et sous-filiales ; imaginez ce que cela aurait pu être si nous ne nous étions pas entourés de conseils ! Par ailleurs, nous recourions souvent à la sous-traitance, afin de ne pas augmenter les charges fixes.

M. le Président : Pour conclure cette audition, que souhaitez vous dire, quels conseils pouvez-vous donner ? En termes d’avenir et en particulier sur les conséquences du jugement qui a été rendu hier par le tribunal de grande instance et qui annule toutes les délibérations du conseil d’administration depuis le mois de juillet 1998, ce qui va entraîner des conséquences juridiques importantes ?

Les étudiants ne devraient-ils pas avoir recours à la couverture médicale universelle ?

M. Olivier SPITHAKIS : Il ne m’appartient pas de commenter cette décision de justice, simplement elle ne va pas arranger les choses. Par ailleurs, tous les actes n’ont pas été annulés ; le jugement laisse le choix aux plaignants de les faire annuler. Seuls les actes concernant le processus électoral ont été annulés.

Le problème, ce sont les conséquences médiatiques. Le président Pouria Amirshahi a voulu faire une conférence de presse, il a convoqué les télévisions, alors que la presse avait traité cette décision comme un non-événement. Les effets médiatiques auront donc des conséquences en termes de campagne de rentrée.

La couverture médicale universelle pourrait être une solution, à condition que demeure un régime étudiant, dont le champ soit étendu, ainsi qu’une gestion étudiante, même si elle a une forme de paritarisme, mise en place avec les pouvoirs publics. Cette solution répondrait essentiellement au problème de la précarité.

M. le Président : Avez-vous l’impression d’être une victime ?

M. Olivier SPITHAKIS : J’ai surtout le sentiment que de nombreuses institutions me reprochent ce qu’elles m’ont demandé de faire pendant 10 ans. Maintenant, je ne m’apitoie pas sur mon sort. J’ai toujours assumé mes responsabilités, je savais qu’il s’agissait d’un poste exposé, et je l’assume. Et les procédures judiciaires en cours en tireront toutes les conséquences.

Ce n’est pas une situation qui m’amuse. Elle me rend triste pour la MNEF car je me suis battu pour elle. Je la quitte avec 100 millions de francs de réserve – ce qui n’est jamais arrivé –, et je crains fort qu’avec la pression médiatique et les décisions de justice prises à la légère, elle ne se retrouve, à moyen terme, dans une impasse. Politiquement, cela entraînera tout le régime étudiant dans cette même impasse.

C’est une situation que je regrette beaucoup plus pour les salariés et les étudiants sur lesquels des choses ont été dites et qui se sont battus pendant des années pour cette mutuelle, que pour mon cas personnel.

M. le Président : Monsieur Spithakis, je vous remercie.

Audition de M. Salomon BOTTON,
directeur de cabinet de la direction générale de la MNEF

(procès-verbal de la séance du mercredi 25 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M. Botton est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Botton prête serment.

M. le Président : Monsieur Botton, nous avons tenu à vous entendre car vous avez travaillé avec l’ancien directeur de la MNEF et vous travaillez actuellement avec le nouveau. Vous pourrez donc, dans un exposé liminaire, nous présenter votre vision des choses, nous dire si cette mutuelle fonctionnait bien – et fonctionne encore – et si un certain nombre de transformations sont nécessaires.

M. Salomon BOTTON : Monsieur le président, n’ayant pas l’habitude d’être auditionné par une telle commission, j’ai limité mon intervention liminaire à trois sujets principaux : la nécessité du maintien du régime étudiant de sécurité sociale, son coût – et par conséquent les remises de gestion – et les dysfonctionnements et les dérives qui ont pu être constatés.

A propos de la nécessité du maintien du régime étudiant de sécurité sociale, je dirai que ceux qui considèrent que les mutuelles étudiantes qui gèrent le régime de sécurité sociale effectuent le travail d’une caisse primaire, se trompent lourdement et abordent ce sujet d’une manière assez simpliste. Dans de nombreux domaines, le rapport de l’IGAS de 1996 en fait état, ces mutuelles ont un rôle pédagogique à l’égard des étudiants ; le premier contact de l’étudiant avec la sécurité sociale s’effectue par le biais de sa mutuelle, à la différence de ce qui se passe pour les salariés.

Par ailleurs, les agents salariés de la MNEF viennent, pour une grande majorité, des caisses primaires d’assurance maladie du régime de sécurité sociale – ils ont en moyenne 38 ans et environ 15 ans d’ancienneté – ils sont qualifiés et ont à plusieurs reprises bénéficié de formations portant sur le domaine pointu de la sécurité sociale étudiante. Leur expérience est telle que lorsqu’une question de législation sociale se pose, le réflexe des CPAM est de se tourner vers la mutuelle étudiante qui gère le régime de sécurité sociale, et notamment vers la MNEF qui est la seule à avoir une assise nationale.

La MNEF a donc une bonne connaissance du milieu étudiant et la capacité d’assurer la formation des assurés sociaux. Les caisses primaires ne sont pas adaptées, à l’heure actuelle, dans leur mode de fonctionnement, pour assurer une telle formation, notamment elles ne disposent pas d’un réseau de lieux d’accueil comparable à celui des mutuelles étudiantes. En supprimant les mutuelles étudiantes, on supprimerait une spécificité très importante.

S’agissant, d’autre part, de la mise en œuvre d’une politique de santé auprès de la jeunesse, les mutuelles étudiantes sont un vecteur approprié. Elles peuvent faire évoluer les comportements des étudiants en matière sanitaire et sociale, et les sensibiliser pour l’avenir sur les questions de santé. Elles peuvent donc être un partenaire non négligeable de la CNAM dans la mise en œuvre d’une politique de maîtrise des risques.

La question des coûts de gestion des mutuelles et des remises de gestion se pose périodiquement depuis la création de la MNEF. Ce problème s’est amplifié depuis 1974 lorsque l’Etat a autorisé d’autres mutuelles étudiantes à gérer le régime de sécurité sociale.

Le rapport de l’IGAS de 1996, qui a procédé à une analyse des comptes de l’ensemble des mutuelles gérant le régime de sécurité sociale étudiant, conclut que pour l’année 1994 le coût moyen de gestion est de 320 F par immatriculé. La MNEF percevant 320,67 F à cette date, j’en déduis qu’il y aurait eu une dérive de 67 centimes par immatriculé. Nous sommes donc loin des 100 millions de francs que la MNEF aurait " détournés ", pour reprendre certains propos tenus par la presse !

Le rapport de l’IGF retient également l’hypothèse d’un coût de gestion qui oscillerait entre 277 et 320 F. En appliquant la même méthodologie que celle utilisée par les inspecteurs de l’IGF, les coûts de gestion de la MNEF s’établissent de notre point de vue à 320 F par affilié. En l’absence de comptabilité analytique et d’un discours serein et sans a priori, il est difficile de déterminer le montant exact des remises de gestion, mais il est clair qu’il se situe aux alentours de 300 F. Alors dire que la MNEF a une gestion coûteuse ... me paraît excessif !

En outre, si l’on regarde le classement des caisses primaires en fonction de leur coût de fonctionnement établi régulièrement par la CNAM, on constate qu’en 1996, la MNEF était classée parmi les dix premières caisses, ce qui montre que des efforts de gestion ont été réalisés. Les mutuelles étudiantes sont même tout à fait favorables à ce qu’un débat soit ouvert pour essayer de trouver une solution durable.

J’indique qu’à l’heure actuelle, nous ne savons toujours pas quel sera le montant de la remise de gestion pour l’exercice en cours qui va du 30 septembre au 1er octobre de l’année suivante. Comment voulez-vous gérer une entreprise de 700 salariés quand on ne sait pas, au mois de mai, après huit mois d’exercice, quel sera le niveau des recettes ? C’est la raison pour laquelle nous sommes favorables à une clarification du mécanisme de calcul des remises de gestion, à condition de renoncer au préjugé selon lequel la MNEF a une gestion trop coûteuse.

En matière de gestion, la dérive des coûts est surtout liée à la concurrence. Le régime étudiant de sécurité sociale est le seul régime où il existe une concurrence. En effet, un salarié n’a pas le choix de sa caisse primaire, il est obligatoirement affilié à celle de son domicile, alors que l’étudiant a le choix entre deux caisses. Je vous rappelle que ce n’est pas la MNEF qui a souhaité cette concurrence – elle était en situation de monopole jusqu’au début des années 70 – elle lui a été imposée par l’Etat. L’année dernière, le ministère de l’Education nationale a agréé de nouvelles mutuelles, notamment la SMERAG dans les DOM ; il a, de ce fait, introduit la possibilité d’une troisième mutuelle gérant le régime de sécurité sociale. Cette situation pourrait se généraliser sur l’ensemble des départements métropolitains. L’Etat est donc entièrement responsable de cette concurrence.

S’agissant des dysfonctionnements et des dérives, il convient de préciser qu’il s’agit d’un problème général concernant l’ensemble de la mutualité. Les dérives montrent que les élus comme les personnels administratifs ont failli. Les élus, dans l’exemple de la Mutuelle des élus locaux ; les administratifs, dans le cas de la MNEF et de la GMF. Cela prouve qu’il est nécessaire de clarifier le rôle non seulement des élus, mais également des administratifs.

La mission confiée à M. Michel Rocard, relative à la transposition des directives européennes au secteur de la mutualité, est une bonne chose. Il faut avant tout définir les rôles. Il est étonnant de constater que le Code de la mutualité ne définit pas la fonction de directeur général, qui n’est même pas citée. Cette vision de la mutualité est aujourd’hui dépassée. Les mutuelles, qui atteignent maintenant une taille importante, ont besoin que leurs représentants acquièrent un certain niveau de compétence technique et de professionnalisme. Pour éviter que le pouvoir ne tombe entre les mains de la technostructure, il me semble nécessaire de clarifier le rôle de chacune des parties : les élus et les personnels administratifs.

En ce qui concerne la MNEF, compte tenu du fait qu’elle est gérée par un conseil d’administration composé d’étudiants dont, par définition, le renouvellement est fréquent et important, il est nécessaire de prévoir un contrôle a priori des engagements financiers importants.

M. le Président : Monsieur Botton, je vous remercie. Un jugement a été rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 18 mai 1999 ; il prononce la nullité de l’assemblée générale du 24 juillet 1998, de l’élection du 11 mars 1999 intervenant en exécution de cette assemblée, et réserve, par ailleurs, la possibilité de demander la nullité de toutes les délibérations intervenues depuis le 24 juillet 1998. J’ai appris ce matin que ce même tribunal a été saisi en référé d’une demande d’administrateur judiciaire. Quelle est la situation actuelle de la MNEF ? Des mesures ont-elles été prises depuis ce jugement ? Comment entrevoyez-vous l’avenir après une telle décision ?

M. Salomon BOTTON : Tout d’abord, cette décision ne nous a pas été notifiée. Le conseil d’administration élu est donc toujours en place, ainsi que le directeur général. Ensuite, nous avons interjeté appel, nous allons introduire un référé pour demander la levée de l’exécution provisoire dans l’attente de l’audience du 9 juin.

En ce qui concerne l’entreprise elle-même, elle continue à fonctionner normalement. En revanche, cette décision est grave dans la mesure où elle touche la vie directe de 700 salariés. Après plus de deux ans de contrôle et de campagne de presse, il y a une profonde lassitude du personnel et un sentiment d’épuisement. Cette dernière péripétie est donc très mal vécue à l’intérieur de la MNEF.

Les salariés avaient en effet le sentiment que les choses allaient changer, le processus électoral – qui n’est pas remis en cause par la décision de justice – ayant permis à 35 000 étudiants de voter. Je rappelle que le taux de participation a été proche de 15 % contre 3 % les années précédentes ; il n’est donc pas possible de remettre en cause la légitimité démocratique de la nouvelle direction. Ils avaient le sentiment qu’avec la nouvelle équipe étudiante, qui a pris toute une série de mesures importantes – constitution de partie civile, vente de certaines filiales comme Media Jeunes éloignées de l’objet social de la mutuelle, rupture du contrat d’assurance avec la société Cap Iram – un tournant avait été pris.

La décision de justice, en se fondant sur deux points de forme - l’absence d’urgence à convoquer un conseil d’administration et le recours à une procédure inappropriée - permet éventuellement la remise en place de l’ancien conseil d’administration - et pourquoi pas de l’ancien directeur général ! Une telle décision serait très mal vécue par les salariés qui sont anéantis. Il serait pour le moins paradoxal que l’ancien trésorier de la MNEF, Matthieu Séguéla, qui a saisi la justice et s’est opposé à l’ancienne équipe dirigeante, obtienne par ce biais le retour de cette même formation.

Ce qui a toujours fait la richesse de la MNEF, c’est son personnel. Il s’agit d’un personnel de qualité, dévoué à son entreprise, qui, dans le passé, a déjà eu à subir des tracas et a toujours su relever la tête. Il se joue une partie sur le dos des salariés de la MNEF ; cette partie a-t-elle pour but de solder la gestion passée de la MNEF ou de supprimer le régime de sécurité sociale étudiant ?

M. le Président : M. Pouria Amirshahi a déclaré lors de son audition qu’il fallait désormais donner les moyens, aux élus étudiants, d’assurer leurs responsabilités et de reprendre vraiment le contrôle de la mutuelle, ce qui n’était pas, selon lui, le cas auparavant. Il s’agit là d’une appréciation grave sur le fonctionnement de la mutuelle et de son conseil d’administration. Pouvez-vous nous expliquer comment étaient préparées les réunions du conseil d’administration sous la direction de M. Spithakis ? Comment étaient prises les décisions, sur quelle base et qui décidait de l’ordre du jour ?

M. Salomon BOTTON : Le secrétaire général, en relation avec le directeur général, établissait l’ordre du jour du conseil d’administration et les questions qui devaient y être traitées. Bien évidemment, cet ordre du jour était soumis aux membres du bureau.

M. le Président : M. Spithakis a renégocié certaines clauses de son contrat de travail avec le président du conseil d’administration. Comment se sont alors déroulées les discussions ?

M. Salomon BOTTON : La négociation de ce contrat a eu lieu en 1992, or, je n’étais pas encore présent dans l’entreprise. J’imagine que MM. Lévêque et Spithakis en ont discuté et qu’il a été ensuite présenté et adopté en conseil d’administration.

M. le Président : Quel sont les rôles du président et du trésorier au sein du conseil d’administration ?

M. Salomon BOTTON : Il est bien clair que je vais vous décrire le fonctionnement que je connais, c’est-à-dire celui auquel j’assiste depuis juin 1995. Je prendrai l’exemple des versements effectués dans les différents pôles dans le cadre de la diversification des activités.

Lorsque la MNEF avait besoin de financer le secteur assuranciel, le directeur général lui-même menait les négociations avec les partenaires extérieurs ; puis, quand il fallait transférer une dizaine de millions de francs dans la holding de tête – prenons l’UES Saint-Michel –, le bureau se réunissait et validait cette décision en donnant son accord. Bien évidemment, la décision du bureau était validée au conseil d’administration suivant. Mais il s’agissait de l’affectation d’un montant global par pôle pour mener une politique définie par le directeur général devant les instances élues. Dans le détail, l’utilisation de ces fonds – répartition entre filiales, sous-filiales – relevait non pas de la MNEF, mais de la holding.

M. le Président : Aucune présentation n’était faite en conseil d’administration des comptes des filiales et des sous-filiales ?

M. Salomon BOTTON : Non, pas dans le sens où vous l’entendez. Seule la politique générale menée par la holding de tête était développée ; les détails de l’opération n’étaient pas présentés, seules les sommes dévolues à telle ou telle filiale étaient précisées.

M. le Président : Les membres du conseil d’administration s’opposaient-ils à ces versements d’argent ?

M. Salomon BOTTON : Non, jamais.

M. le Président : Donc tout était préparé à l’avance. Le conseil d’administration se contentait, en dehors des politiques de santé, de ratifier les décisions.

M. Salomon BOTTON : Sans doute, mais on ne peut pas comprendre ce fonctionnement si l’on ne prend pas en considération l’autorité et l’ascendant de M. Spithakis sur l’ensemble des membres du conseil d’administration. Si je vous ai parlé d’une nécessaire réforme du Code de la mutualité, c’est parce que la MNEF est l’une des rares mutuelles qui devraient bénéficier d’un traitement particulier, ses dirigeants étant des étudiants. M. Spithakis passait pour " le sauveur " de la MNEF, qui, alors que la mutuelle avait un déficit cumulé de 150 millions de francs, obtenait des pouvoirs publics de renflouer les caisses de la mutuelle, la redressant et la développant. Il s’agissait donc d’un personnage charismatique, auquel les jeunes gens du conseil d’administration ne s’opposaient pas lorsqu’il leur disait que ces opérations de financement des filiales s’effectuaient in fine pour le bien être des étudiants.

Aujourd’hui encore, si vous interrogez les étudiants, anciens membres du conseil d’administration, ils maintiendront en toute sincérité que tout a été fait pour le bien de la mutuelle

M. le Président : Il nous a été dit que l’une des qualités de M. Spithakis était de savoir " vendre du sable à un Bédouin ". Est-ce une expression que vous feriez vôtre ?

M. Salomon BOTTON : C’est une personne qui écoute avant de prendre une décision, mais qui, effectivement, a une très grande force de persuasion, mais qui sait aussi contourner l’obstacle. Je prendrai un exemple. La responsable du pôle de communication présente un jour un projet de création d’un journal – " In e dit " – en direction de la jeunesse. M. Spithakis présente ce journal en comité de direction et recueille des avis tempérés – la presse n’étant pas notre métier. Mme Micheline Derlhemans nous explique que ce journal sera diffusé auprès des détenteurs de la Carte Jeunes et que compte tenu des contrats passés par la MNEF avec les banques populaires et avec La Poste, cela représenterait 700 000 abonnés potentiels par an.

Lorsqu’on vous présente les comptes prévisionnels d’un journal avec 700 000 abonnements prépayés, vous ne pouvez pas rester insensible à l’argument qui consiste à dire que ce journal va immanquablement intéresser les annonceurs. Le comité de direction a donc décidé du montant d’une enveloppe en précisant qu’il n’irait pas au-delà.

La MNEF n’a pas dépensé plus que la somme décidée en comité de direction. Malheureusement, le lancement de ce journal qui avait aussi pour but de faire entrer des partenaires extérieurs a coïncidé avec la campagne de presse et l’on a dû procéder à sa liquidation. On s’est alors aperçu que le montant perdu par cette filiale était beaucoup plus important que la somme versée par la MNEF. D’où est venue la différence ? D’une mutuelle sœur qui avait, elle aussi, participé au financement de cette opération. En effet, lorsque M. Spithakis s’est rendu compte qu’au sein de son comité de direction il n’obtiendrait pas plus de 1,5 million de francs, il n’a rien dit et, en tant que dirigeant d’autres filiales, il a fait appel à l’une d’entre elles, pour financer son projet de journal.

M. Jean-Paul BACQUET : Monsieur Botton, vous avez insisté, dans votre propos liminaire, sur la grande compétence du personnel de la MNEF. Un ancien salarié de la MNEF nous a d’ailleurs déclaré qu’il assumait les erreurs qu’auraient pu commettre les étudiants élus. En général, ce sont plutôt les élus des conseils d’administration qui ont à assumer l’incompétence et les erreurs des salariés !

Vous aussi, vous avez insisté sur le professionnalisme des salariés, en nous expliquant que la MNEF remplissait un rôle que les caisses primaires d’assurance maladie ne peuvent remplir en milieu étudiant, et que celles-ci se retournaient souvent vers la MNEF. Ne considérant pas que les caisses primaires d’assurance maladie sont des lieux de référence de compétence, je ne peux pas considérer que cette compétence relative puisse constituer une référence à votre compétence.

Cela étant, vous avez dit que la grande majorité du personnel salarié de la MNEF venait des caisses primaires d’assurance maladie ; j’espère donc que vous avez sélectionné les meilleurs ! Qui sélectionnait le personnel de la MNEF et qui l’embauchait ?

M. Salomon BOTTON : Le service du personnel, la DPRH.

M. Jean-Paul BACQUET : Le directeur général et le conseil d’administration n’avaient aucun rôle ?

M. Salomon BOTTON : Le conseil d’administration, non. Formellement, le directeur général intervenait si les personnels étaient du ressort d’une direction.

La MNEF est organisée en deux branches dont dépendent 600 salariés : la branche assurance maladie et la branche développement, les 100 autres salariés travaillant au siège. J’ajouterai que lorsque je parle de compétence, c’est en matière de législation de sécurité sociale. Prenons un exemple concret : pour recruter un liquidateur pour la branche maladie, le directeur fait part au comité de direction de son souhait de recruter un agent ; un appel d’offres interne est diffusé. Si cet appel d’offre est infructueux, on lance un appel d’offres externe, soit en contactant les caisses primaires, soit par annonces. Il n’y avait pas de procédure spécifique de recrutement du personnel ; comme dans toutes les entreprises, la direction concernée détermine un profil de poste et la DPRH met tout en œuvre pour trouver la personne correspondante. Le service demandeur décide en dernier ressort. Le contrat de travail est signé par le directeur du personnel et quelquefois par le directeur général quand il s’agit d’un cadre.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez également insisté sur le fait que le coût de fonctionnement de la MNEF était inférieur au coût moyen pratiqué par la CNAM. Cela n’est pas obligatoirement une référence lorsqu’on connaît les analyses qui ont été faites sur l’incompétence de gestion de la caisse nationale d’assurance maladie !

Vous avez affirmé qu’il était difficile d’évaluer les choses sans comptabilité analytique. On peut pourtant lire, dans le rapport de l’IGAS d’octobre 1996 : " La comptabilité a été remise en ordre et de nouveaux instruments de mode de gestion ont été mis place : comptabilité analytique, suivi statistique détaillé de la prestation, comptables régionaux, gestion active de trésorerie ". Il semble donc que vous disposiez de moyens extrêmement performants d’évaluation de vos capacités de gestion.

Vous avez cité tout à l’heure votre place dans le classement des caisses primaires ; vous êtes plus près de Melun que de Marseille ! Et vous savez combien ce classement est aléatoire et le peu de valeur qu’il a. Considérez-vous vraiment que le rendement de la MNEF est un bon rendement par rapport au nombre de personnes employées, ou qu’il est très insuffisant et qu’il pourrait être amélioré ? Imaginons que toutes les personnes employées ne sont pas obligatoirement occupées au travail pour lequel elles sont théoriquement embauchées, et qu’éventuellement, il y a des emplois fictifs.

M. Salomon BOTTON : Les charges de personnel ne servent pas uniquement à payer des salariés chargés de liquider des prestations de sécurité sociale. Elles servent également à rémunérer les salariés qui s’occupent de l’activité mutualiste de la MNEF.

S’agissant de la partie obligatoire, si j’ai cité la référence du classement des caisses primaires, c’est tout simplement parce que c’est la seule qui existe et qu’elle nous est opposable par l’organisme qui nous verse les remises de gestion. Quand la CNAM nous demande d’améliorer nos coûts de gestion, elle le fait en référence à ses propres coûts et le rang que la MNEF occupe dans ce classement témoigne des gains de productivité réalisés par cette mutuelle.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous vous êtes réjoui d’un taux de participation de 15 % aux élections qui contraste avec le taux de 3 % généralement constaté. Ne doit-on pas se poser la question de la pratique de la démocratie ?

M. Salomon BOTTON : C’est effectivement un débat : qu’est-ce que la démocratie en milieu mutualiste ? Toutefois je ne pense pas que le taux de participation aux élections de la MGEN ou de la MAIF soit très élevé.

M. Jean-Paul BACQUET : Considérez-vous qu’avec un taux de participation de 3 % l’on puisse avoir un conseil d’administration à l’image de ce que le directeur souhaite ?

M. Salomon BOTTON : Je ne sais pas.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez également parlé des 700 salariés de la MNEF compétents mais épuisés par une histoire qui traîne ; ils peuvent être aussi inquiets de l’évolution du nombre d’affiliés.

Vous n’avez pas parlé des élus du conseil d’administration qui sont, eux aussi, peut-être épuisés, mais sont-ils compétents pour remplir leur fonction d’élu ? Quelle formation ont-ils ?

M. Salomon BOTTON : C’est tout le problème des élus ! Qu’il s’agisse des élus à l’Assemblée nationale ou ailleurs, je pourrais vous retourner la question !

Je ne connais les nouveaux élus que depuis quelques jours ! Mais ce que j’ai vu du fonctionnement du nouveau conseil d’administration me semble correspondre beaucoup plus à la réalité d’une mutuelle administrée par des étudiants, que ce que j’ai pu constater précédemment.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez travaillé avec M. Spithakis et Mme Marie-Dominique Linale. Vous nous avez décrit M. Spithakis comme une personne compétente et même charismatique ...

M. Salomon BOTTON : C’est en effet comme cela que l’on peut le décrire.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez également connu M. Séguéla comme trésorier ?

M. Salomon BOTTON : C’est exact.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez expliqué combien M. Spithakis était doué pour amener ses interlocuteurs là où il voulait. Avez-vous, par moment, douté de ses choix, et avez-vous une clause de conscience dans votre contrat de travail ?

M. Salomon BOTTON : Non, malheureusement, je n’ai pas de clause de conscience dans mon contrat de travail.

M. le Président : L’auriez-vous utilisé et pour quelle raison ?

M. Salomon BOTTON : Je vous ai envoyé mon curriculum vitae, vous pouvez donc constater que j’ai travaillé pour la MNEF à plusieurs reprises. En 1995, Olivier Spithakis m’a proposé de revenir alors qu’il était directeur général. J’ai accepté parce que je suis attaché à la MNEF et aux personnes qui y travaillent.

Monsieur le député, vous ironisiez sur l’épuisement des salariés de la MNEF ; mais, c’est une réalité. Vous parliez des conséquences commerciales qui devraient inquiéter davantage les salariés. La MNEF a perdu près de 10 % d’immatriculés lors de la dernière campagne de rentrée universitaire, soit 80 000 personnes – avec une remise de gestion à 300 F cela fait 24 millions de francs de moins. Les salariés sont donc très inquiets pour leur emploi.

De plus, les conséquences des jugements du tribunal de grande instance de Paris risquent d’aggraver la situation. En effet, toutes les décisions prises par le nouveau conseil d’administration – telles que le remboursement de la pilule micro-dosée ou l’augmentation du fonds de solidarité mutualiste à l’égard des étudiants en difficultés – figurent dans la brochure de rentrée qui est imprimée à 3 millions d’exemplaires et glissée dans tous les dossiers d’inscription des étudiants. Or, ces décisions peuvent être annulées non seulement par les demandeurs, mais également par toute personne se considérant comme partie prenante dans cette affaire – donc par n’importe quel étudiant. Si cette brochure est déclarée nulle et non avenue, il sera impossible de la glisser dans les dossiers des étudiants ; la campagne commerciale de la MNEF pour la prochaine rentrée sera alors réduite à zéro.

M. Jean-Paul BACQUET : Monsieur Botton, je ne parlais pas du " personnel épuisé " de façon péjorative. J’insistais simplement sur le fait qu’il devrait être plus inquiet qu’épuisé. En outre, les assurés sociaux étudiants ont, eux aussi, quelques raisons d’être épuisés.

Ma dernière question concerne l’ancienne présidente du conseil d’administration Mme Linale. Considérez-vous que cette personne était compétente, capable éventuellement de négocier un contrat de travail tel que celui de M. Spithakis ? La considérez-vous comme une personne charismatique, capable de s’opposer à l’intrusion d’un directeur compétent ? Enfin, Mme Linale avait-elle la capacité d’apprécier à leur juste mesure les équilibres financiers des filiales ?

M. Salomon BOTTON : Je ne permettrai pas de porter un jugement sur le caractère charismatique ou non de Mme Linale que vous avez reçue ! Mais je pense que la présidente, compte tenu de la situation dans laquelle elle s’est retrouvée, a correctement assumé la fonction qu’elle exerçait.

La plupart des dérives que la Cour des comptes a soulevées ont eu lieu sur la période de contrôle allant de l’exercice comptable 1992/1993 à l’exercice 1995/1996. La majorité des décisions lourdes de conséquences - la mise en place des filiales, la diversification, le contrat de travail de M. Spithakis ou d’autres - ont eu lieu pendant cette période. A ma connaissance, Mme Linale n’était alors pas présidente. Quand elle est arrivée, elle a eu à gérer une situation. Je crains fort qu’elle n’ait pas eu conscience de l’étendue des implications de certaines décisions. Dans la période précédant les élections, elle a fait preuve d’une détermination qui a permis la mise en œuvre d’un processus électoral démocratique.

M. le Rapporteur : Au cours des précédentes auditions, nous avons parfois eu l’impression que certaines personnes avaient des intérêts croisés entre leur fonction élective et leur fonction salariale. Aviez-vous des intérêts financiers ou des responsabilités dans des filiales ou sous-filiales de la MNEF, dans une " mutuelle sœur " ou dans des entreprises prestataires de services de la MNEF ?

M. Salomon BOTTON : Oui, j’ai en effet exercé d’autres responsabilités. Comme le montre mon curriculum vitae, j’ai travaillé à la MNEF à trois reprises. En revanche, je n’ai jamais perçu d’indemnités dans des " mutuelles sœurs " ; je n’ai jamais perçu d’autres salaires que celui qui m’est versé par la MNEF.

En ce qui concerne les " mutuelles sœurs ", je dois vous dire que je suis à l’origine de leur création. J’ai été le premier président de la MIF, et j’ai également créé la MIJ et l’Union technique mutualiste professionnelle, dont j’ai été directeur.

A la création de ces filiales, le conseil d’administration de la MNEF prenait des décisions les concernant ; mais il y a eu des abus. Je m’explique. La MIF a été créée en 1987, parce que la MNEF subissait des attaques commerciales : les mutuelles professionnelles, en permettant à leurs adhérents de conserver leurs ayants droit avec des taux de cotisation réduits, voire nuls, nous faisaient une concurrence déloyale. A ce moment-là, existait au sein de la mutualité française un pacte d’union qui précisait que chaque mutuelle intervenait dans son domaine et qu’il n’y avait pas de raison de se faire de la concurrence, entre mutuelles relevant de la FNMF.

Ce pacte d’union a été violé à plusieurs reprises par différentes mutuelles. Or les adhérents de la MNEF n’adhèrent que pour une courte durée ; ils ne sont pas là à vie. Un tiers des effectifs est renouvelé chaque année. A partir du moment où une concurrence était menée sur ce terrain, le conseil d’administration de la MNEF s’est légitimement senti " agressé " ; il a donc décidé de fidéliser ses adhérents. D’où la création de la MIF qui, au départ, avait pour vocation d’intervenir dans les secteurs où la MNEF subissait une concurrence déloyale.

D’autre part, le conseil d’administration a décidé de créer la mutuelle inter-jeune (MIJ) – en 1987 – en faveur des jeunes en situation précaire, afin de mener une action de solidarité intergénérationelle ...

M. le Rapporteur : Je comprends bien la démarche, et je voudrais que vous répondiez précisément à ma question : avez-vous des intérêts personnels dans une entreprise prestataire de services de la MNEF ou des parts sociales dans l’une de ses filiales ou sous-filiales ?

M. Salomon BOTTON : J’ai eu des parts sociales dans la société informatique de la MNEF et dans la société MÉDIA JEUNES. Cependant, il s’agissait de parts qui m’étaient prêtées par la MNEF afin que je puisse la représenter. J’ai remis l’ensemble de mes mandats le 1er octobre 1998 à M. Delpy, dès qu’il a été nommé directeur général. Il m’a ensuite renommé dans la filiale Raspail Participations et Développement. A titre personnel, je n’ai aucune participation.

M. le Rapporteur : Vous nous avez parlé, dans votre exposé liminaire, d’élus et d’administratifs qui avaient failli. Qu’entendez-vous par là ?

M. Salomon BOTTON : Lorsqu’on lit la presse, on constate que les élus mutualistes comme les personnels administratifs des mutuelles sont concernés par des affaires. Il est donc urgent de réformer le Code de la mutualité et de bien définir le rôle de chacun pour éviter ces dérapages.

M. le Rapporteur : Je voudrais revenir sur la clause de conscience. Vous avez dit regretter de ne pas en avoir eu dans votre contrat de travail. Cela veut dire, qu’à un moment donné, vous vous êtes posé des questions ?

M. Salomon BOTTON : Bien sûr. Depuis deux ans la MNEF subit des contrôles et des révélations sont faites. J’ai appris des choses ! Le simple fait de dire que je travaille à la MNEF induit des questions ; je suis obligé d’expliquer longuement que je n’ai rien à voir avec tout ce qui s’y passe. Dans un tel contexte, il est vrai que j’aurais souhaité faire jouer une clause de conscience.

Voici un exemple de ce que j’ai appris par la presse. Nous avions des bureaux dans des locaux municipaux à Toulon. Lorsque le Front national a pris la mairie, la question de savoir si l’on devait rester dans ces locaux mis à disposition par l’ancienne mairie s’est posée. Le conseil d’administration a décidé de rester afin de mener le combat de l’intérieur. En application de cette décision, des campagnes d’information sont menées dans ces locaux sur la contraception ou les étudiants étrangers. Or quelques mois plus tard, j’apprends que la totalité de la gestion locative de l’immeuble, qui porte le nom de " Maison de l’étudiant ", est confiée à une agence immobilière de Toulon, qui appartient à M. Spithakis – ou plus exactement à son ex-épouse à qui il venait de la vendre.

M. le Président : Quelle a été votre réaction ? Avez-vous prévenu la présidente de la MNEF de ce problème grave de confusion des genres ?

M. Salomon BOTTON : La présidente lisait la presse tout comme moi et était au courant des événements !

M. le Président : Mais vous avez la responsabilité de prévenir, de réagir !

M. Salomon BOTTON : Effectivement, si j’apprends une telle chose alors que la mutuelle fonctionne normalement, que tout va bien, bien sûr, j’alerte les responsables. Mais là, je me tourne vers qui ? M. Spithakis ?

M. le Président : Vous pouviez toutefois lui signifier votre désaccord !

M. Salomon BOTTON : Mais je l’ai fait sur certaines questions. Je vous rappelle tout de même que la Cour des comptes et l’IGAS étaient dans nos murs. Personnellement, j’avais en charge le contrôle de la Cour des comptes ; j’étais l’interface des magistrats instructeurs, comme je l’ai été avec les inspecteurs de l’IGAS.

Il m’a semblé, peut-être à tort, que par rapport à la pérennité de cette institution, et compte tenu du contexte – je suis salarié avec charge de famille – je n’avais guère de marge de manœuvre. Que vouliez-vous que je fasse ? Que j’envoie une lettre recommandée à M. Spithakis ?

M. le Président : Non, que vous en parliez au magistrat de la Cour des comptes.

M. Salomon BOTTON : Quelle loi interdit à M. Spithakis de posséder une agence de gestion à Toulon ? Citez-moi le texte de loi interdisant ce qu’il a fait.

M. le Président : Un directeur général d’une mutuelle n’a pas le droit d’avoir des activités commerciales.

M. Salomon BOTTON : Ce point n’est pas tranché.

M. Le Président : Avoir des activités commerciales, ce n’est pas la même chose que d’avoir un appartement qui vous rapporte de l’argent !

M. Jean-Paul BACQUET : Vous aimez beaucoup la MNEF – vous nous l’avez dit et répété – et vous y travaillez pour la troisième fois. Pourquoi l’avez-vous quittée deux fois ?

M. Salomon BOTTON : Je voulais faire autre chose. J’ai eu des propositions qui m’intéressaient davantage. Et j’y suis retourné quand on est venu me chercher.

M. le Président : Etes-vous parti avec des indemnités ?

M. Salomon BOTTON : Non, j’ai démissionné.

M. Jean-Paul BACQUET : Qui est venu vous chercher ?

M. Salomon BOTTON : M. Spithakis. Tout simplement parce que j’ai une grande expérience du monde mutualiste ; je suis un professionnel de la mutuelle. Il souhaitait remettre en ordre le cabinet de la direction générale de la MNEF et m’a demandé de le rejoindre. Je peux d’ailleurs vous laisser copie de la lettre d’information interne expliquant mon arrivée.

M. le Rapporteur : Comment analysez-vous l’articulation entre les différentes structures que sont le conseil d’administration, l’association les Amis de la MNEF et le comité national consultatif.

M. Salomon BOTTON : Le conseil d’administration fonctionnait normalement. En revanche, je n’ai jamais vu fonctionner les deux autres structures.

M. Bruno BOURG-BROC : Compte tenu des responsabilités qui étaient les vôtres, comment expliquez-vous que ce n’est que par la presse que vous avez appris certaines choses ? Par ailleurs, rencontriez-vous souvent la présidente ?

M. Salomon BOTTON : Les faits publiés par la presse étaient déjà révélés par la Cour des comptes et correspondaient à une période où je n’étais pas présent dans l’entreprise.

Quant à la présidente je la voyais une ou deux fois par semaine.

M. Bruno BOURG-BROC : Aviez-vous des réunions en tête-à-tête avec elle ?

M. Salomon BOTTON : Non. Je la sollicitais parfois sur un point ponctuel.

M. le Rapporteur : Lors de l’organisation du dernier processus électoral, vous étiez présent à la MNEF. Lorsque nous avons étudié les documents provenant aussi bien du conseil d’administration, de la commission électorale que des huissiers chargés de contrôler le processus électoral, il nous a semblé que le matériel électoral qui ne trouvait pas son destinataire et qui revenait n’était pas contrôlé. Savez-vous ce qu’il devenait ?

M. Salomon BOTTON : L’Imprimerie nationale était chargée de l’expédition du matériel électoral. Les retours arrivaient à la poste centrale du même arrondissement que l’Imprimerie, puis allaient à notre centre de gestion de Nanterre puis étaient transmis au siège. Tous les " NPAI " sont stockés chez nous et comptabilisés par un agent technique.

M. le Président : Monsieur Botton, je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à notre invitation.

Audition de M. Philippe PLANTAGENEST,
ancien chef de cabinet de l’ancien directeur général de la MNEF

(procès-verbal de la séance du 25 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M. Plantagenest est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du président, M. Plantagenest prête serment.

M. le Président : Nous avons souhaité vous entendre en raison des fonctions importantes que vous avez exercées à la MNEF, pendant sept années, ainsi qu’en raison des responsabilités qui ont été les vôtres au sein de la filialisation et de la diversification de la MNEF.

Au cours d’un exposé liminaire, vous allez nous décrire vos anciennes fonctions, les raisons pour lesquelles vous avez quitté la MNEF, et les propositions que vous pouvez nous faire dans le cadre d’une éventuelle réforme de la mutualité étudiante.

M. Philippe PLANTAGENEST : Mon introduction sera extrêmement brève. J’ai été salarié de la MNEF de 1988 à 1996. J’ai occupé plusieurs fonctions : attaché de direction, chef ou directeur de cabinet pendant quelques années, et ensuite responsable des services aux étudiants. A ce titre, mes fonctions s’apparentaient à celle d’un directeur de cabinet dans un ministère, pour prendre une référence administrative ou à celles d’un secrétaire général dans une entreprise, c’est-à-dire que j’étais chargé de la coordination des services et des relations avec les élus étudiants, administrateurs nationaux et locaux, et des relations avec les pouvoirs publics.

Au titre de la coordination, j’ai assuré l’animation d’un certain nombre de filiales commerciales de la MNEF, pendant cette période.

Je suis resté à la MNEF environ sept années. J’en suis parti de façon inopinée, à la suite d’un licenciement décidé en 1996.

De cette expérience je pourrais tirer deux conclusions. La première est que ce sont les mutuelles étudiantes qui gèrent la sécurité sociale étudiante et qu’il y existe un grand flou dans la répartition des missions, entre leurs activités propres, qui sont des activités de droit privé, et leurs missions de service public, de gestion des prestations du régime obligatoire de base d’assurance maladie.

Les mutuelles étudiantes vont au-delà du service des prestations, en raison du système de concurrence et de l’évolution des besoins des étudiants. Depuis qu’elles assurent ces missions de service public, ce problème de la distinction des activités des mutuelles étudiantes n’a jamais été réglé ni de façon interne, ni par la réglementation.

La deuxième chose est que la MNEF a suivi, sans doute, le mouvement général de diversification entrepris par bon nombre de mutuelles. La MNEF avait des spécificités parce qu’à la différence des autres mutuelles, elle s’est surtout intéressée aux problèmes concernant le milieu universitaire. Mais même à ce niveau, son action n’a sans doute pas été, sur le fond, indépendamment même de la façon dont les choses ont été dirigées, suffisamment précisée, encadrée et organisée.

Je ne peux en dire beaucoup plus à cette étape. Je suis à votre entière disposition pour répondre à vos questions.

M. le Président : Selon vos déclarations, le directeur général avait un cabinet. Combien de membres le composaient et quelle était leur rémunération moyenne ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Il y avait une douzaine de collaborateurs, plus des secrétaires. Cela constituait un service à l’intérieur de la MNEF.

M. le Président : Douze collaborateurs, c’est énorme !

M. Philippe PLANTAGENEST : Oui, c’est beaucoup.

M. le Président : Que faisaient-ils ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Certains travaillaient dans le service juridique. Deux collaborateurs étaient les juristes de la MNEF. D’autres membres s’intéressaient aux aspects universitaires, ils s’occupaient notamment des relations avec les universités. Certains étaient chargés des relations avec les autres mutuelles, car la MNEF entretient de nombreuses relations avec d’autres mutuelles. D’autres enfin avaient la responsabilité des relations avec les caisses de sécurité sociale.

M. le Président : Quelle était la rémunération moyenne d’un membre du cabinet ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Elle allait de 15 000 à 25 000 F par mois.

M. le Président : Tout le monde travaillait ou bien y avait-il des emplois fictifs parmi ces douze personnes ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Je n’ai vu aucun emploi fictif.

M. le Président : Vous nous avez parlé de votre départ. Il nous a été indiqué que les salariés de la MNEF étaient des gens exceptionnels qui restaient en général très longtemps, au moins quinze ans. Or, nous avons noté qu’un certain nombre de cadres importants ont quitté la MNEF entre 1996 et 1998, dont Mme Obadia, M. Zwirn, M. Delmas et vous-même. Cela en fait déjà quatre.

Pourquoi ces cadres supérieurs ont-ils quitté la MNEF entre 1996 et 1998 et dans quelles conditions financières ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Je peux répondre en ce qui me concerne. J’ai travaillé sept ans à la MNEF. Pendant cinq années, je peux dire que j’ai travaillé dans un climat satisfaisant. Les relations, notamment avec le directeur général de la MNEF, se sont dégradées et les choses se sont terminées, comme le plus souvent dans une entreprise, par le départ du salarié qui ne correspond plus à ce que l’on souhaite à ce moment-là. J’ai donc été licencié, sans indemnités.

M. le Président : Pour faute ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Tout à fait.

M. le Président : Il y a la faute grave et la faute lourde.

M. Philippe PLANTAGENEST : Faute grave. On m’a accusé d’avoir engagé la MNEF de façon abusive, dans une diversification qui avait donné de mauvais résultats, notamment dans le domaine du logement étudiant.

M. le Président : Vous savez que la faute grave doit être invoquée dans les deux mois de sa réalisation. Une politique générale de diversification n’a jamais été considérée comme une faute grave. J’imagine donc vous avez dû négocier votre départ...

M. Philippe PLANTAGENEST : Je n’ai pas négocié mon départ.

M. le Président : Vous n’avez touché aucune indemnité ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Je n’ai pas eu cette occasion. Je le regrette vivement, mais c’est ainsi.

M. le Président : Vous êtes-vous fait conseiller là-dessus ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Très franchement, à cette époque, la chose m’a tellement dégoûté, si je puis m’exprimer ainsi, que je n’ai rien fait. A posteriori, je me dis que j’ai sans doute été léger.

M. le Président : Lorsque vous avez travaillé avec le directeur général de la MNEF, comment s’est organisé votre travail avec lui ? Quel était, en particulier, le rôle des organismes représentatifs, à savoir le conseil d’administration et le bureau du conseil d’administration ? Quel était le rôle du président et du trésorier ?

M. Philippe PLANTAGENEST : La MNEF fonctionnait, si je me réfère à ce que j’en comprenais à cette époque, exactement comme une entreprise avec un directeur général chargé de régler non seulement l’ensemble des questions quotidiennes, mais aussi l’ensemble des questions importantes qui se posaient.

Le conseil d’administration existait. Il prenait des décisions, mais composé d’étudiants exerçant pour peu de temps cette fonction et relativement jeunes, - fait inéluctable pour une mutuelle ayant des adhérents du même âge - le conseil d’administration jouait plus un rôle de contrôle moral que d’animation effective de la mutuelle. De ce point de vue, la mutuelle des étudiants avait un fonctionnement différent de celui d’autres mutuelles où les administrateurs sont présents depuis beaucoup plus longtemps et ont un pouvoir beaucoup plus fort.

Les membres du cabinet se réunissaient toutes les semaines, le mardi autant que je me souvienne. On traitait notamment toutes les questions de relations avec les pouvoirs publics. La MNEF, à cette époque, avait un volume important de projets en cours, avec le ministère de l’Education nationale et le ministère des Affaires sociales. L’essentiel du travail était là.

Cette réunion associait, en présence du directeur général, les membres du bureau du conseil d’administration, c’est-à-dire le président, le secrétaire général et le trésorier et parfois, selon les cas, d’autres membres du bureau, ainsi que les membres du cabinet. Ce fonctionnement m’apparaissait assez logique, bien qu’assez lourd.

M. le Président : Quels étaient les rôles du président et du trésorier à la MNEF ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Dans le cadre de son activité quotidienne, le président travaillait essentiellement sur des problèmes de représentation et de liaison avec les autres mutuelles. Il présidait le conseil d’administration qui se réunissait tous les deux mois, et l’assemblée générale, une à deux fois par an. La participation des élus étudiants, au travail quotidien de la maison, était en fait relativement faible.

M. le Président : N’y avait-il pas une certaine fiction, dans la présence à ces conseils d’administration, d’un président et d’un trésorier, qui normalement doivent non seulement définir toute la politique à venir, mais aussi contrôler tous les comptes, préparer les délibérations et en discuter au sein du conseil d’administration ? Selon vos indications, le rôle de ces représentants se situait plutôt sur le terrain de l’intervention sociale ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Leur rôle n’était pas fictif. Le président, le secrétaire général et le trésorier étaient présents et associés à l’ensemble des décisions. Par ailleurs, ce fonctionnement était très atypique, au regard de ce qui se passe dans la majorité des mutuelles où les administrateurs sont beaucoup plus présents.

M. le Président : Le commissaire aux comptes était-il un étudiant ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Non, le commissaire aux comptes était choisi à l’extérieur, de la même façon que tous les commissaires aux comptes des entreprises.

M. le Président : Ce commissaire a-t-il alerté, à quelque reprise que ce soit, vous-même, le conseil d’administration ou les pouvoirs publics sur certains dysfonctionnements qu’il aurait pu remarquer ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Non, il ne l’a pas fait, à ma connaissance. Pendant les deux années où j’assumais certaines fonctions, il a certifié les comptes avec des réserves. Ces dernières tenaient notamment au fait que la MNEF avait connu, une dizaine d’années auparavant, une situation financière préoccupante et que sa marge financière de sécurité n’était pas encore atteinte.

Le commissaire aux comptes certifiait donc ces comptes avec réserve et les a, autant que je me souvienne, certifiés sans réserve, la troisième fois où j’ai eu à connaître de ces questions.

M. le Président : Qui choisissait le commissaire aux comptes ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Il était en place depuis un certain temps. Il avait été nommé par le conseil d’administration. J’imagine qu’il avait été choisi, à l’époque, par le directeur général.

M. le Président : Vous êtes resté environ pendant sept ans, en qualité de responsable du cabinet.

M. Philippe PLANTAGENEST : Oui.

M. le Président : Y a-t-il eu la mise en place d’une politique visant à assurer la formation des élus étudiants ? On se trouve dans la situation d’avoir de très jeunes étudiants - 22 ou 23 ans - qui sont mis soudainement à la tête d’un organisme qui compte 400 millions de francs de ressources, sept cents salariés... Ce sont des responsabilités énormes. Qu’avez-vous entrepris pour les aider à exercer leurs fonctions ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Je n’ai connaissance d’aucune mise en place, au sens classique, d’une formation professionnelle. Néanmoins, il y avait une volonté en ce sens du bureau, notamment du président et du secrétaire général, et un grand nombre de réunions quasi mensuelles ont associé la plupart des élus étudiants au niveau local.

En effet, la MNEF avait un conseil d’administration national, mais également et surtout des conseils d’administration locaux qui animaient la vie des sections. Autant au niveau national, les élus étudiants jouaient un rôle faible, autant au niveau local, ils étaient beaucoup plus présents dans la vie quotidienne des sections locales de la MNEF qui étaient le lieu où les étudiants se rendaient. Les deux situations coexistaient.

D’assez nombreuses réunions de formation des élus étudiants ont donc eu lieu qui portaient sur la politique mutualiste. Il convient de souligner qu’il n’y en a pas eu, à ma connaissance, sur les questions ayant trait à la vie classique d’une entreprise.

Je suppose que votre question sous-tendait l’idée que les étudiants, chargés notamment de contrôler les comptes, auraient dû suivre une formation spécifique. Cette formation spécifique, sur les questions économiques, n’a pas eu lieu.

M. le Président : Certains de ces étudiants, qui étaient administrateurs, nous ont dit qu’ils travaillaient dix à douze heures par jour pour la MNEF, qu’ils se consacraient totalement à leurs responsabilités. Quel était, pour vous qui les avez connus, le temps moyen passé par un président, trésorier ou simple administrateur de la MNEF ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Le président avait au moins le niveau d’activité et de présence d’un salarié. Il exerçait une activité à plein temps, pour le compte de la MNEF, essentiellement de représentation dans les milieux de l’économie sociale. Son activité était extrêmement soutenue. Il en allait de même du secrétaire général. Les trésoriers, car il y en a eu plusieurs, avaient une présence effective plus inégale.

Quant aux autres administrateurs, leur activité était beaucoup plus faible. La plupart d’entre eux se contentaient d’assister aux réunions des conseils d’administration. Les membres du bureau, hormis le président, le secrétaire et le trésorier, passaient au moins un tiers de leur temps au service de la mutuelle.

Le bureau du conseil d’administration était composé d’une dizaine de membres : un président, des vice-présidents, un secrétaire général, un secrétaire général adjoint... Une équipe existait dont tous les membres consacraient une grande partie de leur temps, si ce n’est même un plein temps, à leurs fonctions.

M. le Président : Nous avons entendu les responsables de la MGEL qui estiment que les administrateurs, y compris le président, ou le trésorier, qui ont les postes de direction, ne doivent pas être rémunérés et aucun ne l’est à la MGEL. En revanche, on a pu constater que le président du conseil d’administration de la MGEL n’était pas étudiant et qu’il était âgé d’environ 32 ou 33 ans. Je voudrais que vous nous fassiez part de vos réflexions sur une éventuelle ou nécessaire indemnisation des membres du conseil d’administration et sur le fait que des membres non étudiants soient administrateurs.

M. Philippe PLANTAGENEST : Quand je suis arrivé à la MNEF, l’ensemble de cette mutuelle était acquise à l’idée qu’il fallait rompre avec le passé. Après 1968, la MNEF a beaucoup tangué en liaison avec les difficultés du syndicalisme étudiant. Tout le monde, y compris les pouvoirs publics à l’époque, avaient estimé que la valse des dirigeants, des administrateurs, des présidents était trop fréquente, et tout à fait incompatible avec la mise en place d’une politique durable.

L’idée qui prévalait était celle d’une nécessaire stabilité. Elle a été, à tort ou à raison, incarnée par la montée en puissance d’une direction générale professionnelle et non soumise à des élus étudiants.

Dans le même ordre d’idée, la MNEF a tenté, indiscutablement, de stabiliser deux ou trois responsables de la mutuelle qui étaient rémunérés, en utilisant une disposition du Code de la mutualité, pour en faire des représentants semi-professionnels. C’est extrêmement difficile. Les mutuelles étudiantes régionales ont une politique différente, qui varie selon les mutuelles.

Certaines avaient des administrateurs qui changeaient très souvent, d’autres les maintenaient très longtemps. Le mode de fonctionnement des mutuelles étudiantes ne peut, en raison de la qualité de ses adhérents, être calqué strictement sur celui des autres mutuelles, où l’âge des administrateurs est assez élevé. Certains sont même restés trente ou quarante ans administrateurs dans une mutuelle.

Les deux écueils lorsque les administrateurs sont étudiants, sont les suivants. Soit ils ne restent que trois ans, ce qui ne favorise pas la continuité d’une politique, soit ils sont stabilisés et ils deviennent en fait des professionnels. Je comprends que l’on puisse imaginer qu’ils ont ensuite trop d’intérêts communs avec les dirigeants salariés de la mutuelle, et que ceci soit contraire à leur indépendance.

Il y a sans doute un compromis à trouver, mais je ne suis pas sûr que la MNEF l’ait trouvé. Toutefois, je suis certain que la mise en place de cette forme d’organisation découlait d’une volonté, très présente à l’époque, d’une stabilisation d’une maison qui avait beaucoup tangué dans le passé. Peut-être a-t-on été trop loin.

M. le Rapporteur : Vous étiez donc directeur de la diversification et des filiales.

M. Philippe PLANTAGENEST : Oui, à un moment donné.

M. le Rapporteur : Quelle était la décision politique à l’origine de cette diversification et aviez-vous l’impression, au poste qui était le vôtre, de connaître l’ensemble des filiales et sous-filiales qui se dissimulent derrière des unions économiques et sociales ?

M. Philippe PLANTAGENEST : La diversification avait commencé avant mon arrivée. Elle s’est beaucoup développée pendant la période où j’étais à la MNEF. En réalité, j’ai eu très peu de temps le titre de directeur de la diversification. Ensuite, je suis devenu directeur des services aux étudiants, poste quelque peu différent car je ne m’occupais pas de l’ensemble des filiales. Je connaissais leur existence sur le papier et à travers les organigrammes, mais je ne connaissais pas le détail de l’ensemble des filiales.

Je travaillais notamment avec les filiales qui s’intéressaient aux problèmes d’aménagement universitaire, de logement étudiant et de restauration universitaire.

M. le Rapporteur : Nous avons interrogé plusieurs membres du conseil d’administration qui nous ont indiqué que, lors des conseils d’administration, ils décidaient du montant des fonds qui iraient à l’UES Saint-Michel ou à la filiale Raspail Participations et Développement, mais qu’ensuite ils n’en connaissaient pas l’emploi.

Vous qui avez exercé des fonctions au sein de la direction générale, du côté de la technostructure, vous ne connaissiez pas réellement les montages entre les différentes filiales ou sous-filiales. Nous en avons dénombré, pour notre part, environ 60 ou 70.

M. Philippe PLANTAGENEST : Je n’irai pas jusque là. J’ai dit que je ne connaissais pas l’ensemble du détail de l’activité de chacune de ces filiales. A moins que des éléments m’aient échappé ou que je n’ai pas tout su, j’avais l’impression, à l’époque du moins, de connaître les flux financiers existant entre la maison-mère et les filiales. Me suis-je trompé, je ne le sais pas encore.

M. le Rapporteur : Lors de votre passage au cabinet du directeur général de la MNEF, avec des responsabilités importantes, avez-vous vu fonctionner, hormis le conseil d’administration, l’association les Amis de la MNEF et le comité national consultatif ?

M. Philippe PLANTAGENEST : S’agissant de l’association les Amis de la MNEF, non. C’est une association à laquelle je ne participais pas. Elle organisait un certain nombre de colloques avec des personnalités qui étaient d’ailleurs considérées comme devant jouer un rôle dans la formation des élus étudiants. Quant à son fonctionnement propre, je n’en ai pas été le témoin.

Le comité national consultatif a été mis en place, autant que je m’en souvienne, peu de temps avant mon départ. Je ne l’ai jamais vraiment vu fonctionner, mais on en parlait. Peut-être n’était-il pas encore actif lorsque j’étais à la MNEF ou que je n’en ai pas été le témoin direct.

M. le Rapporteur : L’objet de ce comité national consultatif était-il d’éclairer la mutuelle sur tel ou tel point de décision politique à prendre ou était-ce simplement un instrument de lobbying ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Honnêtement, les deux. La MNEF a ceci de particulier que nombre de personnes ont été ses administrateurs pendant leurs années d’études, et ont eu par la suite des carrières diverses. La MNEF avait donc le souci légitime de maintenir des liens avec eux et de voir en quoi ces personnalités pouvaient lui être utile. A cette époque, cela ne me paraissait pas anormal.

M. le Rapporteur : A titre personnel, avez-vous exercé d’autres fonctions, rémunérées ou non, dans les mutuelles dites " sœurs ", dans les différentes filiales ou sous-filiales à statuts divers, SARL, SA, UES ? A titre personnel, avez-vous exercé des responsabilités dans d’autres structures ou chez des prestataires de services de la MNEF ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Chez des prestataires de services, jamais. A titre personnel, j’ai été directeur général d’une des holdings de la MNEF qui s’appelait Raspail Participations et Développement. Je ne détenais aucune part du capital de cette société.

M. le Rapporteur : Lorsque vous avez été licencié de la MNEF, avez-vous également été licencié de Raspail Participations et Développement ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Je n’avais pas à être licencié, j’étais directeur général. Il suffisait qu’une assemblée générale me remercie. On m’a demandé de démissionner de toutes les fonctions que j’exerçais le jour où j’ai été licencié. Peut-être à tort, j’ai accepté, mais cela n’avait pas beaucoup d’importance puisque c’étaient des fonctions de directeur général d’une SA. Il suffit qu’une assemblée générale change de directeur général, cela n’est qu’un problème purement formel. Je ne disposais d’aucune action de cette société.

M. le Rapporteur : Dans le cadre de vos fonctions, avez-vous vu des personnes membres du conseil d’administration, ou appartenant aux services administratifs de la MNEF, exercer d’autres fonctions dans d’autres filiales ? Si oui, quand elles s’adressaient à vous, le faisaient-elles en qualité de représentant de la MNEF ou à un autre titre, et lequel ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Très franchement, non. A cette époque, je n’ai pas eu le sentiment d’une interpénétration abusive. Ai-je eu tort ou raison, je ne le sais pas encore.

M. Jean-Paul BACQUET : Est-ce la presse qui vous a informé des affaires de la MNEF ou bien, en tant que salarié, aviez-vous déjà quelques doutes, quelques inquiétudes, quelques suspicions légitimes, par rapport à certains problèmes et attendiez-vous, en quelque sorte, que des événements de ce type soient portés sur la place publique ?

Considérez-vous aujourd’hui que votre licenciement a été une chance dans votre vie ou au contraire est-ce un handicap pour vous ?

M. Philippe PLANTAGENEST : Tout d’abord, ce n’est jamais agréable d’être licencié d’une entreprise, quelles que soient les situations. A cette époque, j’estimais que la MNEF se trompait puisque j’avais la faiblesse de croire que j’avais raison, c’est humain. Très franchement, je ne subodorais pas qu’un scandale allait arriver.

Aujourd’hui, c’est facile. A cette époque, on parlait plutôt, dans les milieux qui côtoyaient la MNEF, de la bonne gestion à la MNEF. C’est ce que l’on entendait, je suis obligé de le dire. On parlait du redressement de la MNEF.

Il est indiscutable que les comptes de la MNEF, entre le moment de mon arrivée et celui de mon départ, sont passés d’une situation désastreuse, où la MNEF avait quasiment six mois de chiffre d’affaires de déficit, à une situation où elle gagnait un peu d’argent.

L’ambiance, à la MNEF, n’était pas aux scandales, mais plutôt à la nécessité de passer dans une extrême urgence d’une situation économique désastreuse à un régime de croisière pour sortir de cette situation critique. C’était exactement l’état d’esprit à l’époque.

M. Bruno BOURG-BROC : A votre connaissance, quels étaient, quand vous exerciez des fonctions à la MNEF, les rapports institutionnels entre la structure, les dirigeants et différentes organisations politiques ou syndicales ? Le système des remises de gestion, tel qu’il a été pratiqué durant la première partie de votre fonction, vous paraissait-il équitable ? Ensuite, durant la période où vous étiez aux affaires, qu’avez-vous pensé de l’évolution de ce système ?

M. Philippe PLANTAGENEST : La MNEF est une organisation qui, comme de nombreuses mutuelles, a des attaches politiques relativement fortes. C’est une évidence. C’est son passé, c’est ainsi depuis qu’elle existe.

Pendant la période où j’étais salarié de la MNEF, tout était fait pour essayer de la dépolitiser. Ceci ne faisait pas obstacle à ce que nombre de ses dirigeants aient, eux-mêmes, des attaches politiques extrêmement fortes, mais il est indiscutable que l’on voulait faire en sorte que la MNEF se comporte comme une entreprise, avec ce que cela implique de neutralité. Cela ne signifie pas qu’il n’y avait aucune interférence politique, mais plus que de la politique, la MNEF faisait du lobbying, quel que soit d’ailleurs le gouvernement qui était aux affaires. Elle défendait ses intérêts ou ce qu’elle estimait être, à l’époque, ses intérêts.

Elle avait également – c’était un peu différent – des relations suivies avec les organisations étudiantes, en particulier avec l’UNEF-ID, qui jouait un rôle relativement important dans son conseil d’administration. Il est certain que la MNEF était très implantée dans le milieu étudiant syndicaliste, ce qui a toujours été le cas.

J’ai cru, peut-être à tort, à une neutralisation progressive de la MNEF sur le terrain politique. C’était tout au moins le discours qui était généralement émis et qu’à l’époque, je trouvais positif, non pas pour s’éloigner du milieu universitaire et de ses représentants car c’est une donnée inéluctable pour une mutuelle, mais parce qu’il m’apparaissait que c’était le seul moyen de faire en sorte que la MNEF puisse se développer. Voilà mon opinion sur cette époque.

Le système des remises de gestion a beaucoup évolué. On est passé d’un système uniforme, il y a une dizaine d’années, c’est-à-dire X francs par affilié pour toutes les mutuelles, à un système différencié qui avantageait la MNEF. Ce système existait quand je suis arrivé.

Comme salarié de la MNEF, très honnêtement, je ne me suis pas employé à le remettre en cause puisqu’il avantageait la MNEF. En tant que l’un de ceux qui participaient aux négociations avec les pouvoirs publics à cette époque, j’avoue que j’ai plutôt défendu des dossiers pour conserver cette situation.

Nous pensions, d’ailleurs la réalité l’a montré, que c’était une situation transitoire. Nous sommes revenus à une situation où non seulement il y a eu égalité de fait et de droit entre les différentes mutuelles, mais où on a également aligné les remises de gestion en les calculant par référence à l’activité des caisses primaires d’assurance maladie. Cet élément, à l’époque, m’avait semblé très important, c’est-à-dire que les mutuelles étudiantes, notamment la MNEF qui était une mutuelle nationale, soient jugées sur le terrain budgétaire par la sécurité sociale, sur les mêmes critères que ceux que la CNAM utilisait vis-à-vis des caisses primaires.

M. Bruno BOURG-BROC : Dans un premier temps, vous vous êtes dit avec d’autres : le système est probablement transitoire, mais profitons-en tant qu’il dure.

M. Philippe PLANTAGENEST  C’est un fait, ce système n’était pas égalitaire. La raison donnée n’était pas entièrement fallacieuse. Vous aviez une mutuelle, comme la MNEF, qui existait depuis fort longtemps, avec un glissement vieillesse technicité (GVT) des salariés relativement élevé, face à des mutuelles étudiantes régionales de création beaucoup plus récente. Le poids de la longévité des salariés jouait beaucoup. La MNEF a interprété cette réalité indiscutable au mieux de ses intérêts.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de lobbying avec tous les pouvoirs en place. Comment s’exprimait-il ? Certains articles de presse faisaient allusion à une expression qui était " pouponnière du parti socialiste ". Cette expression semblait-elle pouvoir s’appliquer à la MNEF à l’époque où vous y avez travaillé ?

M. Philippe PLANTAGENEST : La MNEF avait un lobbying axé sur deux questions fondamentales : d’une part, le montant des remises de gestion qui étaient négociées avec la CNAM, le ministère des Affaires sociales et le ministère des Finances ; d’autre part, le périmètre du régime étudiant de sécurité sociale et la question de ce que l’on a appelé la majorité sociale, c’est-à-dire le fait que les étudiants soient tous dans le régime étudiant, alors que jusqu’en 1995, seuls les étudiants à partir de 20 ans s’y trouvaient.

La MNEF avait un intérêt évident à ce que tous les étudiants soient dans le régime étudiant de sécurité sociale. Ça lui permettait d’accroître son volume d’activité, mais cela paraissait aussi logique et cohérent. C’étaient les deux questions fondamentales sur lesquelles la MNEF faisait porter ses efforts.

Elle travaillait également, avec le ministère de l’Education nationale, sur les questions du développement universitaire, très important à cette époque. Nous étions dans des années où le nombre d’étudiants augmentait de 10 à 15 % par an. On a connu un doublement des effectifs. La MNEF travaillait sur toute une série de mesures d’accompagnement social liées au développement du nombre des étudiants, ainsi que sur le terrain sanitaire et dans des domaines comme celui du logement et de la restauration des étudiants.

La MNEF s’est occupée de ces questions dans un esprit qui est resté le même, quels que soient les gouvernements. La preuve en est que la principale revendication de la MNEF concernant la fixation de la majorité sociale à dix-huit ans a été satisfaite en 1995, alors que le précédent gouvernement s’y était refusé. Cela ne concernait pas que la MNEF, mais également les autres mutuelles étudiantes. C’est une mesure d’ordre général.

Si j’ai parlé de neutralité, c’est parce que j’ai constaté que la MNEF faisait du lobbying au mieux de ses intérêts, avec les gouvernements quels qu’ils fussent, ce qui était d’ailleurs la seule solution pour elle.

Par ailleurs, vous mentionnez l’expression journalistique " pouponnière du parti socialiste ". Encore une fois, les attaches politiques de la plupart des étudiants dirigeants de la MNEF étaient très fortes. " Pouponnière du parti socialiste " est sans doute une expression quelque peu exagérée. Mais il est indiscutable que la MNEF avait une culture politique, chez ses élus étudiants, très développée.

Si je reviens sur le passé, la MNEF a sans doute été beaucoup plus politisée il y a une vingtaine d’années, que lors de la dernière période.

M. le Président : Monsieur, la commission vous remercie.

Audition de MM. Joël DOCKWILLER, président de
la Société mutualiste des étudiants de la région Nord-Ouest (SMENO),
et Didier SIMON, directeur général

(procès-verbal de la séance du 26 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Dockwiller et Simon sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Dockwiller et Simon prêtent serment.

M. Joël DOCKWILLER : Cinq points me paraissent importants et je m’attacherai à les développer devant vous.

Je dirai quelques mots sur la mutuelle des étudiants du Nord et du Nord-Ouest qui participe, depuis 1972, à la gestion de ce régime délégué de sécurité sociale des étudiants, puis j’indiquerai qu’à notre sens, la spécificité de ce régime est plus que jamais justifiée, avant d’aborder la question des remises de gestion et celle des résultats économiques des organismes gestionnaires de ce régime étudiant dont le bien-fondé semble parfois contesté.

Le régime de sécurité sociale des étudiants est un service public dont la gestion a été déléguée aux mutuelles étudiantes depuis plus de cinquante ans, par la loi du 23 septembre 1948. Au début des années 70, qui ont vu la création des mutuelles étudiantes dites régionales, la pluralité des intervenants a permis de dynamiser la gestion de ce service public. En effet, à partir de cette date, les usagers étudiants ont pu comparer régulièrement les performances des deux familles de gestionnaires que sont les SMER et la MNEF et, de surcroît, réviser le cas échéant leur choix lorsqu’ils le souhaitaient, situation plutôt rare en matière de service public.

Je souligne à cet égard que le rapport de la Cour des Comptes réalisé en septembre 1998 a porté une appréciation globalement positive sur le système de sécurité sociale des étudiants. Il a, par ailleurs, distingué très nettement entre la MNEF et les autres mutuelles d’étudiants. J’aimerais souligner également que les conclusions encore plus récentes du rapport conjoint de l’IGAS et de l’IGF sont relativement contradictoires avec celles de la Cour des comptes qui, il est vrai, ne dépend pas d’un ministère.

S’agissant de la mutuelle des étudiants du Nord et Nord-Ouest, la SMENO, plusieurs équipes dirigeantes élues se sont succédées à la tête de cette mutuelle depuis une dizaine d’années. Elles ont été renouvelées à trois reprises, en 1987, 1991 et 1995. Elles devraient l’être à nouveau d’ici un an. J’ai fait partie de ces trois équipes, j’en suis le président depuis 1991.

La SMENO a connu une importante progression du nombre de ses affiliés depuis 1993. De 50 000 affiliés à cette date, elle devrait passer à 105 000 affiliés en 1999.

Nous voulons voir dans cette évolution au moins trois effets : celui du plan Universités 2000, qui a contribué à l’augmentation substantielle du nombre des étudiants en France ; celui de la mesure plus récente de l’élargissement du régime étudiant aux ayants droit majeurs autonomes (ADMA) âgés de 18 à 20 ans ; et celui du fruit de notre travail au sein de la mutuelle et de la politique de proximité et de qualité du service rendu que nous avons menée avec détermination à partir de 1994. Nous avons ainsi privilégié trois axes. Nous avons renforcé la proximité, en développant un réseau de treize agences d’accueil dans notre zone géographique d’implantation et de dix-neuf permanences universitaires principalement installées dans les universités délocalisées nouvellement créées. Nous avons créé un centre d’accueil téléphonique ouvert aux assurés du lundi au samedi de 9 à 19 h et entretenu un contact régulier avec les associations d’étudiants d’université ou de ville. Nous avons participé de façon aussi pragmatique que possible aux initiatives de prévention, souvent menée en collaboration avec les services de médecine préventive universitaire. Nous avons recruté et formé de jeunes professionnels de la mutualité étudiante pour assurer le travail quotidien que suppose un tel dispositif.

Nous avons amélioré la qualité du service rendu. Le délai de remboursement était en moyenne de sept à huit jours dans les plus mauvaises périodes. Nos systèmes informatiques ont été revus et modernisés, et l’organisation du travail aménagée en conséquence. Une mission de relation avec les affiliés mécontents a été créée en 1996, le directeur général et le président de la mutuelle supervisant personnellement les réponses et réparations accordées aux cas les plus regrettables. Nous insistons régulièrement auprès de nos équipes d’accueil sur l’importance du comportement devant l’assuré, la capacité d’écoute et l’efficacité des réponses à apporter.

Enfin, nous avons travaillé, entre autres, à l’indépendance politique et syndicale de nos équipes opérationnelles, car nous pensons que nos collaborateurs doivent être préservés de ce genre de problématique. Le revers de la médaille, pour la SMENO, c’est sa relative incapacité à contacter et à sensibiliser le personnel politique local et national aux conditions juridiques et d’environnement concurrentiel qui régissent nos activités.

Je serai plus bref sur le thème de la spécificité du régime qui, à notre sens, est plus que jamais justifiée.

Au-delà des motivations historiques de création du régime étudiant, la situation actuelle des étudiants justifie toujours pleinement cette spécificité. Toutes les études concordent pour estimer que la situation de santé des étudiants s’est dégradée ces dernières années. De plus, la période des études constitue pour nous une phase de conquête de son autonomie par l’étudiant de plus en plus reconnue par la société.

Le régime de sécurité sociale étudiant offre aux jeunes une protection sociale ciblée contre le risque, tout en les émancipant de la tutelle des adultes. Il répond au sens de l’histoire qui affirme l’émergence d’une population de jeunes adultes soucieuse de préparer son avenir.

Je terminerai cet exposé en traitant des remises de gestion qui nous sont allouées. Je souhaitais rappeler, à l’occasion de cette audition, que pendant plus de dix années, les mutuelles dites régionales ont souffert d’une discrimination par rapport à la MNEF. Le rattrapage qui a commencé à se mettre en place à partir de 1992, et qui a gonflé momentanément nos résultats comptables, n’a en aucun cas couvert l’ensemble de l’écart.

Pour la SMENO, le montant moyen de la remise de gestion par affilié a été, pour les années 1989 à 1992 de 200 F, 158 F, 136 F, puis 146 F alors que, dans le même temps, la MNEF recevait plus de 330 F. Cette situation avait contraint la SMENO à pratiquer des marges techniques mutualistes nettement supérieures à la normale du secteur pour assurer l’équilibre de l’entreprise.

Je conclurai sur les résultats économiques de nos organismes gestionnaires, en soulignant qu’il me paraît fallacieux de dire, ou de laisser dire, que les mutuelles gèrent sans aucun souci d’économie. En effet, il est illusoire de penser que l’on peut gérer correctement un projet durable, quel qu’il soit, sans perspective économique ou avec une situation déficitaire. La dynamique et la qualité de l’action d’une équipe – par exemple, une équipe de direction de mutuelle – repose aussi sur la marge de manœuvre qu’elle sera capable de se créer et d’utiliser pour faire progresser son projet. Cette marge de manœuvre, c’est le résultat économique positif, et suffisant, qu’elle dégage de son activité. De ce résultat dépendent les investissements mais aussi les expérimentations, les innovations, domaines où doit exister le droit à l’erreur.

Nier la possibilité de réaliser des excédents pour nos organismes, c’est nier la démarche de progrès pour l’assurance maladie des étudiants, c’est déresponsabiliser les acteurs de terrain que nous sommes, c’est aussi vraisemblablement se désintéresser financièrement et humainement de nos activités, c’est bureaucratiser la sécurité sociale des étudiants et, à nos yeux, c’est tout simplement briser l’initiative individuelle et collective au sein de l’économie sociale française.

Le rapport de la Cour des comptes ouvre neuf pistes à explorer pour améliorer la gestion de ce régime délégué. Nous ne pouvons qu’y souscrire.

Nous souhaitons, pour notre part, insister sur quatre aspects.

Le régime étudiant de sécurité sociale doit rester pluraliste et sa gestion déléguée aux mutuelles étudiantes. Le pluralisme est gage de dynamisme et de progrès ; il permet la liberté de choix pour les assurés et oblige le gestionnaire à une remise en cause permanente. La délégation de gestion aux mutuelles étudiantes assurera un lien direct plus humain entre l’assuré et son assurance maladie, et crée une habitude positive et structurante pour le long terme.

D’autre part, les gestionnaires du régime étudiant doivent être et se sentir mieux contrôlés. La publication des comptes sociaux des organismes mutualistes, à l’instar des sociétés industrielles, commerciales ou GIE, serait en ce sens un grand progrès. La politique de contrôle des CPAM, qui, vous le savez certainement, depuis deux ans, évolue vers un audit général de l’activité des gestionnaires délégués et ne porte plus seulement sur le contrôle du décompte, est très positive mais demandera encore du temps pour porter pleinement ses effets. Enfin, en matière de contrôle, une meilleure formation des inspecteurs départementaux des affaires sanitaires et sociales au secteur mutualiste, permettrait d’avoir, sur le plan local, des interlocuteurs compétents et opérationnels avant de subir les inspections approfondies de l’IGAS ou de l’IGF.

Par ailleurs, nous pensons qu’il faut développer les initiatives des jeunes en matière d’assurance maladie et de santé publique en les encourageant à participer à la gestion de leur assurance maladie dans le cadre de la mutualité étudiante et en définissant plus nettement les termes de l’équation " qualité de prestations et des services - ressources allouées à cette mission ".

Enfin, le maintien du régime étudiant doit être affirmé dans le cadre d’un financement clair, adéquat et sereinement négocié. Il est indispensable que les pouvoirs politiques reconnaissent et renforcent le rôle institutionnel des mutuelles étudiantes dans la gestion de ce régime et lui attribuent des ressources de gestion adéquates, calculées équitablement par rapport aux autres gestionnaires délégués.

L’ensemble de ces suggestions serait, à notre sens, autant de motivations qui permettraient de recentrer rapidement l’activité des mutuelles étudiantes sur leur mission originelle de gestion globale du régime d’assurance maladie et maternité des étudiants.

M. le Président : Je vous remercie de la clarté de votre exposé. Messieurs, pour bien comprendre le fonctionnement de votre mutuelle, je voudrais vous poser un certain nombre de questions et avoir confirmation qu’à vos âges, 34 et 37 ans, vous n’êtes bien sûr plus étudiants.

M. Joël DOCKWILLER : Effectivement.

M. Didier SIMON : C’est exact.

M. le Président : Pour le directeur général, cette situation peut se comprendre, mais est-il d’usage qu’un président d’une mutuelle étudiante ne soit pas étudiant ?

M. Joël DOCKWILLER : Il n’y a pas d’usage en la matière pour ce qui me concerne. Le Code de la mutualité prévoit la rédaction de statuts pour nos organismes. Il est précisé simplement que les dirigeants élus sont membres de la mutuelle. Les statuts prévoient également l’existence de deux catégories de membres : les membres dits participants, qui cotisent et bénéficient des prestations de la mutuelle, et les membres dits honoraires, qui ont cotisé et ont bénéficié de la mutuelle et qui, pour des raisons d’engagement ou d’attachement à la mutuelle, continuent d’y siéger et d’agir pour le bien de la mutuelle et de ses adhérents. Les textes fixent également une proportion de deux tiers pour les membres participants – en l’occurrence les membres étudiants – et d’un tiers pour les membres dits honoraires. Nous nous conformons du mieux que possible au respect de cette répartition, sachant que, lorsque nous faisons un renouvellement d’élus, comme cela s’est produit récemment chez nos confrères de la MNEF, les étudiants qui entrent à la SMENO peuvent avoir entre dix-huit et vingt-neuf ans, voire trente ans. En pratique, il n’est pas rare qu’on soit élu étudiant et que l’on perde cette qualité au cours de son mandat qui dure généralement trois ans. Par conséquent, soit tous ceux qui perdent leur qualité d’étudiant quittent leur mandat d’administrateur et le conseil d’administration de la mutuelle et son assemblée générale perdent leurs représentants au fur et à mesure que les mois passent, ce qui n’est pas très souhaitable pour le directeur général, soit on considère que les administrateurs exercent leur mandat jusqu’à échéance de celui-ci. C’est ce qui se passe à la SMENO et cela n’a posé aucun problème majeur jusqu’à présent.

Il est clair qu’à la SMENO, l’issue d’un tel mandat, qui dure théoriquement trois ans et quatre en pratique, la quasi-totalité des membres élus au conseil d’administration ou à l’assemblée générale ont perdu leur qualité d’étudiant, à moins qu’ils ne la conservent de façon tout à fait artificielle. Je pourrais très bien m’inscrire demain en faculté d’Histoire, auditeur libre à l’université de Lille III, et je serais étudiant aujourd’hui devant votre commission.

M. le Président : Vous êtes administrateur de la SMENO depuis l’âge de vingt-deux ans. A l’époque, en 1987, vous étiez administrateur étudiant ?

M. Joël DOCKWILLER : Tout à fait.

M. le Président : Lorsque vous êtes devenu président en 1991, étiez-vous encore étudiant ?

M. Joël DOCKWILLER : Je terminais mon service national. Je n’étais plus étudiant.

M. le Président : Donc, vous avez toujours été président sans être étudiant ?

M. Joël DOCKWILLER : Quand je suis devenu président, je n’étais virtuellement plus étudiant.

M. le Président : Et vous êtes président renouvelé depuis huit années ? Ce ne sont pas des critiques. J’essaie de comprendre l’avantage qu’il y a à avoir un président qui est membre honoraire. Vous avez un poste plus important, dont je constate qu’il est tenu par quelqu’un qui n’est plus étudiant depuis un certain temps et qui est renouvelé année après année dans cette fonction.

M. Joël DOCKWILLER : Un organisme comme la SMENO emploie aujourd’hui à peu près cent à cent dix personnes.

M. Didier SIMON : Nous avons un équivalent de temps plein de quatre-vingt-dix personnes, mais avec les temps partiels, cela représente cent dix à cent quinze personnes, pour un montant de ressources à gérer de 53 millions de francs.

M. Joël DOCKWILLER : On imagine bien comment fonctionne une entreprise classique de cette taille. Dans une mutuelle, le pouvoir d’action est partagé entre une structure dite opérationnelle, qui est salariée, et une structure dite élue, qui est bénévole.

Ces cent personnes, qui sont nos collaborateurs, viennent avant tout travailler, soit au titre de salaire principal, soit au titre de salaire d’appoint. A la tête de cette organisation, nous avons aujourd’hui un comité de direction constitué de cinq personnes qui représentent les grands secteurs de compétences nécessaires au fonctionnement d’une PME : nous avons un responsable du développement, un directeur financier, un informaticien, un directeur des ressources humaines et un directeur général. Ces personnes sont de jeunes professionnels qui nous ont rejoints parce que nous les attirions, parce que nous leur avons vendu un projet professionnel, parce qu’ils entrevoient une possibilité de carrière. J’ai eu la chance, j’espère, de recruter M. Simon, de le convaincre de rejoindre la SMENO, puisqu’il était dans une autre entreprise dans un autre secteur. J’ai donc dû lui faire valoir, sur le plan professionnel, tout ce que pouvait lui offrir notre mutuelle. Je ne suis pas sûr que je l’aurais persuadé avec le même talent, et surtout avec la même conviction, si j’avais eu vingt-deux ans, ni même que je lui aurais inspiré la même confiance.

On pourrait imaginer d’avoir des gens beaucoup plus jeunes à la tête de nos structures, mais cela produit des effets pervers. On pourrait imaginer de mettre un jeune étudiant à la présidence et de l’entourer d’un aréopage de non-étudiants qui le suivrait à la trace pour vérifier qu’il ne fait pas un pas de travers. Ce n’est pas notre philosophie. Nous refusons catégoriquement depuis des années d’avoir des présidents fantoches. Nous refusons la suprématie de la technostructure, comme certains de nos collègues l’appellent. La loi précise que la politique générale d’une mutuelle, ses orientations et ses budgets, sont déterminés par son conseil d’administration. Ses choix sont validés ou sanctionnés une fois par an par une assemblée générale. Le conseil d’administration nomme un chef d’équipe, que l’on appelle un président qui réunit le conseil quatre fois par an et a pour mission de poser des questions intelligentes pour l’avenir et le fonctionnement de la structure.

Je doute que cette tâche, au demeurant passionnante, que j’ai la chance d’assumer depuis plusieurs années, soit une mission facile pour une personne de vingt-deux ans dans un univers qui, en dix ans, est devenu de plus en plus complexe. Aujourd’hui, si piloter une entreprise, puisque la SMENO est une entreprise, est à la portée de n’importe quel étudiant doué, qui a le temps et qui a déjà bourlingué, ce n’est pas, en revanche, à la portée du militant lambda de la mutuelle, ou alors il faut avoir des professionnels qui acceptent de travailler sous le patronage de quelqu’un qui ne va pas forcément comprendre tous les problèmes qui se posent au quotidien.

M. le Président : Etes-vous rémunéré ou pas actuellement, en tant que président ?

M. Joël DOCKWILLER : La loi interdit la rémunération des élus. Donc, je ne suis ni rémunéré ni indemnisé, mes frais réels sont remboursés.

M. le Président : Vous avez la même politique que la MGEL qui n’indemnise pas ses élus ?

M. Joël DOCKWILLER : Nous pratiquons la même politique. Toutefois, je dois préciser que cette pratique va changer. Elle va changer parce que force est de constater que l’indemnisation des mandats d’administrateur est beaucoup plus répandue que nous ne le pensions. A la réflexion, aujourd’hui, sans regretter de ne l’avoir jamais pratiquée, nous pensons que ce serait une bonne chose d’indemniser même faiblement les principaux élus de la mutuelle, essentiellement pour conserver un certain nombre de personnes compétentes dans l’entourage de la mutuelle. Les gens qui nous sont les plus utiles dans les moments difficiles ne sont pas les plus jeunes et ne sont pas non plus les plus disponibles. Aujourd’hui, à la fin de mon mandat, j’ai eu la possibilité de faire accepter ce projet d’indemnisation clairement établi dans son principe, même si le montant est modeste.

M. le Président : A quelle hauteur ?

M. Joël DOCKWILLER : Le système que nous avons élaboré et que nous sommes en train de soumettre à la DRASS dont nous dépendons, consiste à mettre en œuvre deux enveloppes à hauteur de trois quarts du SMIC. C’est ce qui est préconisé par le rapport Goulard.

M. le Rapporteur : C’est exact, cela concerne les associations.

M. Joël DOCKWILLER : Nous avons choisi de mettre en œuvre une enveloppe de trois quarts de SMIC mensuel pour les deux à trois élus principaux qui passent énormément de temps à aider l’équipe de direction à travailler. Cela fait une enveloppe mensuelle de 5 000 F à repartir entre trois ou quatre personnes. Le choix n’est pas fait.

Nous avons imaginé une autre enveloppe, toujours à hauteur de trois quarts de SMIC, pour indemniser les missions d’élus. Par exemple, l’élu qui se rend à une réunion parisienne qui n’est pas statutaire – les réunions statutaires ne doivent pas être indemnisées – mais qui, pour ce faire, devra fermer son cabinet médical s’il en a un, sécher un cours d’université, qui prendra sur son temps personnel au-delà de ce qui nous paraît normal, sera indemnisé à hauteur d’une vacation sur les tarifs des caisses primaires d’assurance maladie, ce qui représente, à tout casser, 150 F.

M. le Président : Sera-t-il possible de cumuler les deux indemnités ?

M. Joël DOCKWILLER : Ce n’est pas prévu.

M. le Président : Pour bien comprendre tout votre système de fonctionnement, je souhaiterais savoir quels sont le rôle et les pouvoirs de votre trésorier ? Délègue-t-il l’ensemble de ses pouvoirs ou garde-t-il un certain nombre de pouvoirs sur les engagements financiers ?

M. Joël DOCKWILLER : En matière d’engagement et de règlement de dépenses, les statuts confèrent au président le pouvoir d’ordonner la dépense et au trésorier celui de la régler. Le trésorier et le président ne sont pas présents tous les jours, nous avons des délégations de signature pour le versement des prestations du régime obligatoire ou du régime complémentaire et, pour les charges de fonctionnement, il existe une délégation de signature permanente accordée à certains cadres de la mutuelle, avec un seuil qui doit être de 25 000 F, au-delà duquel ils ne peuvent pas à eux seuls engager de dépenses.

M. le Président : Au-delà de 25 000 F, il y a une double signature, du cadre responsable et du trésorier ?

M. Joël DOCKWILLER : Il y a systématiquement la signature d’un élu. Il faut un accord écrit, quelle que soit sa forme – un fax, un papier, peu importe –, mais il faut que la dépense soit couverte par le président. Le règlement est lui forcément couvert par le trésorier.

M. le Président : Le trésorier exerce-t-il un contrôle sur les engagements qui lui sont présentés soit par le président soit par le directeur général ?

M. Joël DOCKWILLER : Il existe un contrôle, qui n’est pas très formel parce qu’il y a une grande confiance à l’intérieur de la mutuelle. Mais, dans tous les cas, il y a le contrôle annuel de la commission de contrôle de l’assemblée générale et du commissaire aux comptes ainsi que des missions d’audit externe que nous commandons généralement tous les trois ou quatre ans. Il n’y a pas de contrôle systématique sur pièces. A quel type de contrôle faites-vous référence ?

M. le Président : Au contrôle des pièces. Supposons qu’il y ait un engagement pour acheter un immeuble, pour une dépense importante, comment le trésorier vérifie-t-il ce qu’il est chargé de signer ?

M. Joël DOCKWILLER : Ce sont de gros engagements auxquels vous faites allusion.

M. le Président : Naturellement, nous n’allons pas parler des engagements courants.

M. Joël DOCKWILLER : Un engagement de ce type passe généralement devant le conseil d’administration. Mis à part les salaires, je ne vois pas les grosses dépenses que nous avons mensuellement. Lorsqu’il s’agit de l’acquisition d’un bien immobilier, cette décision a fait l’objet d’un vote du conseil d’administration. Il y a donc une autorisation du conseil qui, par délibération, fixe une somme avec une marge de manœuvre de 5 à 10 % s’il y a une négociation ou surenchère sur l’achat du bien.

Une fois l’engagement donné, il l’est sur la base d’un contrat. Généralement, nous mettons nos signatures au bas d’un contrat qui spécifie le montant de la dépense.

M. le Président : Je voudrais comprendre à quoi sert un trésorier. Je ne suis pas tout à fait sûr d’avoir bien compris pour l’ensemble des mutuelles.

Si je prends l’exemple d’une commune, l’ordonnateur est le maire. Il agit en vertu d’une délégation du conseil municipal. Il visera toutes les pièces qui lui sont présentées par son secrétaire de mairie. L’ensemble est ensuite envoyé à un comptable, le percepteur, qui vérifie à son tour et qui mandate.

A quoi sert le trésorier si le président fait ce travail d’ordonnateur et si, ensuite, le paiement peut être fait par toute personne qui est à la trésorerie ou à la comptabilité dans la mutuelle ? Il y a un responsable comptable, je suppose ?

M. Joël DOCKWILLER : Il y a un responsable financier, qui a même le grade de directeur. Par exemple, si demain j’ordonne une dépense, je passe au siège de la mutuelle et je peux signer personnellement. Si je ne peux pas être présent, je donne délégation à une personne qui sera là pour signer l’ordre. Parallèlement, le trésorier va couvrir, c’est-à-dire qu’il va signer l’autorisation de règlement. Soit il est présent, soit il confie cette tâche à quelqu’un. Ce qui est impossible, c’est que la même personne donne l’ordre de dépense et signe le chèque.

M. le Président : Par conséquent un employé de la mutuelle ayant le rôle de directeur de la comptabilité, pourrait tout à fait faire cela. Si le trésorier exerce l’intégralité de ses pouvoirs, il doit tout vérifier et c’est extrêmement long, c’est un travail à temps plein. De plus, il engage sa responsabilité pénale. Toutefois, nous avons l’impression que le trésorier sur lequel repose une responsabilité pénale importante n’exerce pas la réalité de son pouvoir. C’est en cela que je vous demande si vous pensez que ce rôle de trésorier est essentiel ou s’il n’est pas plutôt virtuel et correspond simplement à une obligation légale ?

M. Joël DOCKWILLER : L’ordonnateur a plus de poids que la personne qui règle la dépense. Le régleur exécute l’ordre. Les deux actions ont été distinguées pour préserver un moyen de contrôle, mais le trésorier règle. Il exécute l’ordre. Il est le seul à pouvoir le faire. C’est ainsi que l’on a séparé l’ordre et le règlement de l’ordre. Mais en pratique, ces actions sont déléguées à du personnel salarié parce que cela ne peut pas fonctionner autrement…

M. le Président : C’est bien cela le problème !

M. Joël DOCKWILLER : Tout ce que nous pouvons tenter de garantir et de faire respecter, c’est qu’au sein des équipes professionnelles, la même personne ne puisse pas signer à la fois un ordre et un règlement. Les contrôles auxquels je faisais allusion se font annuellement par sondage parce que l’on ne peut pas contrôler toute une comptabilité, systématiquement. Cela représenterait des heures et des heures de travail. Voilà ce qu’il en est pour la pratique concernant le fait d’ordonner ou de régler. Maintenant, à quoi sert un trésorier ? Le trésorier n’est pas un percepteur ou un receveur. Il a, à mon sens, aujourd’hui, un rôle beaucoup plus éminent dans la mesure où, à la SMENO, c’est lui qui prépare les budgets. Il prend l’initiative des budgets, il prend connaissance des dépenses, de leur classement.

M. le Président : Monsieur le président, à quoi sert le directeur général s’il ne prépare pas le budget ?

M. Joël DOCKWILLER : Le directeur général doit s’occuper de bien d’autres choses que de la préparation du budget ! Bien sûr, il va suivre ce processus, mais l’initiative de préparation du budget est, chez nous, une prérogative du trésorier. Il fait appel pour cela aux services compétents de la mutuelle. S’il connaît un certain nombre d’orientations qui ont été discutées au sein du bureau, qui ont déjà été validées par le conseil d’administration, il va faire en sorte, dans la préparation du budget, si nous avons décidé de mettre 10 F à cet endroit alors que nous ne les y mettions pas l’année précédente, de les y mettre. S’il s’aperçoit que l’année précédente, nous avions décidé de mettre 10 F sur telle action et que nous en avons dépensé 15, il va essayer de s’intéresser à la raison de l’écart. Entre autres, il pourra voir s’il y a eu maîtrise ou pas des dépenses autorisées.

M. le Président : Venons-en au rôle du directeur général. Tout d’abord, quelle est votre rémunération, Monsieur le directeur général ?

M. Didier SIMON : 350 000 F annuels.

M. le président. Vos frais sont-ils indemnisés ? A quelle hauteur ?

M. Didier SIMON : Uniquement lorsque je me déplace dans les agences. Ce sont des frais kilométriques à 2,03 F du kilomètre. Nous avons tout de même treize sites et nous travaillons en Normandie, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Picardie.

M. le Président : A combien correspondent vos frais par an globalement ?

M. Didier SIMON : C’est un peu difficile à dire. Cela ne fait que quatre mois que je suis là et ce n’est pas encore significatif.

M. le Président : Trouveriez-vous anormal que le directeur général soit agréé par le ministre de tutelle ?

M. Didier SIMON : J’ai du mal à vous répondre parce que le système mutualiste est un système que je découvre. Aujourd’hui, nous avons adopté un système de fonctionnement qui me convient très bien et c’est pour cela que j’ai accepté ce poste. Aujourd’hui, je ne vois pas l’intérêt de cet éventuel agrément mais je changerai peut être d’avis dans un an.

M. le Président : En fait, j’essaie de voir comment il peut y avoir un contrôle de la puissance publique, puisque c’est de l’argent public que vous gérez. Dès lors, on pourrait concevoir qu’un agrément puisse être donné par l’Etat à la désignation du directeur général. Le président est élu, la question ne se pose pas. Qu’en pensez-vous ?

M. Joël DOCKWILLER : Cela me surprend. Si la puissance publique donnait son agrément à la direction générale, il faut qu’elle le donne aussi ailleurs, ou alors on découple la structure élue qui, théoriquement de par la loi, a les plus forts pouvoirs, de la structure opérationnelle qui est à son service.

Initialement, la mutuelle ne devait fonctionner qu’avec des bénévoles. Il s’est avéré que ce n’est plus possible aujourd’hui. Les conditions d’exercice de ses activités en 1999 ne peuvent pas se faire avec des bénévoles. Mais cela me surprendrait, je trouverais cela bizarre. Je ne pense pas ce soit la meilleure réponse à la question d’un meilleur contrôle.

M. le Président : Je vous rappelle que vous n’êtes plus étudiant et que, de ce fait, vous exercez une forme de contrôle sur le directeur général, comme vous nous l’avez expliqué tout à l’heure en disant : " J’ai mon expérience, mon âge. Cela fait dix ans que je suis là, donc j’ai pu discuter avec le directeur, j’ai pu discuter son contrat ", etc. Tous arguments que je comprends très bien.

Prenons l’exemple inverse d’un président de vingt-deux ans devant recruter un directeur général d’une mutuelle de sept cents personnes. Comment fera-t-il pour discuter de tout cela, s’il n’existe pas d’agrément donné par la puissance publique ?

M. Joël DOCKWILLER : Il va devoir se débrouiller. C’est là qu’il y a une grande difficulté, Monsieur le président. On ne peut pas prévoir de mettre à la tête d’une organisation quelqu’un qui serait à la limite sous tutelle. Vous êtes en train de décrire le système de la tutelle.

M. le Président : L’agrément, ce n’est pas la tutelle. C’est le système en vigueur à la CNAM, qui gère, comme vous, de l’argent public.

M. Joël DOCKWILLER : Je ne le conteste pas. Mais si vous faites le constat que telle personne de vingt-deux ans n’a pas toutes les cordes à son arc pour choisir un directeur, qui aura 45 ans par exemple, il ne faut pas alors que le système permette à des personnes aussi jeunes de se trouver dans cette situation.

M. le Président : Nous pouvons difficilement dire que les présidents des mutuelles ne doivent pas être des étudiants, vous le savez bien.

M. Joël DOCKWILLER : Je ne dis pas cela.

M. le Président : Mais c’est tout le problème.

M. Joël DOCKWILLER : Alors, il ne faut pas mettre en place un conseil d’administration avec un président. Sinon, c’est de la vitrine, c’est pour faire beau.

M. le Rapporteur : Je ne suis pas sûr que M. Spaeth soit d’accord avec cela. Le système de l’agrément du directeur général prévaut aujourd’hui à la CNAM. M. Spaeth est le président élu et il a un directeur général nommé en conseil des ministres. Sans aller jusqu’à la désignation en conseil des ministres, il pourrait bénéficier d’un agrément d’Etat. Je ne suis pas sûr que cela transforme en mineur protégé sous tutelle le président de la caisse nationale d’assurance maladie.

M. Joël DOCKWILLER : Je reste un peu surpris de cette proposition d’agrément.

M. le Président : Monsieur le président, vous comprenez bien le problème. En pratique, le président peut nommer n’importe qui à un poste où il faut gérer de l’argent public. C’est pour cela qu’un agrément ne me semblerait pas anormal. Je teste cette proposition auprès de vous. Un agrément, ce n’est pas un arrêté de nomination, il se fait sur une liste d’aptitude. Il est possible à la puissance publique d’émettre des observations sur le salaire du directeur général. Supposez que vous ayez un conseil d’administration à votre dévotion, que vous proposiez 2,5 millions de francs de rémunération par an pour le directeur général, et bien c’est possible !

M. Joël DOCKWILLER : Vous avez raison. De ce point de vue, le système actuel n’est assorti d’aucune limite. Il est parfaitement possible de recruter de gré à gré à n’importe quelle condition.

M. le Président : Par exemple, le contrat du directeur général comprend-il des indemnités de licenciement pouvant s’élever à 4 millions de francs, comprend-il une clause de conscience qui permet de pouvoir faire jouer la rupture du contrat à son avantage à tout moment ?

M. Didier SIMON : Non, bien sûr.

M. le Président : Alors voilà pourquoi je parlais de contrôle.

M. Joël DOCKWILLER : Que nous respections la même procédure que pour les modifications statutaires déclarées, pourquoi pas ? Vous avez tout à fait raison, il y a énormément d’argent public qui est en jeu. Mais demander un agrément ! Nous allons devoir remplir un papier, l’envoyer, il reviendra peut-être au bout de deux mois, avec un tampon. Si c’est ça le système d’agrément, vous pouvez en faire l’économie.

M. le Président : Non, la procédure d’agrément fait l’objet d’un entretien. Il y a une vérification sur pièces, etc. Ce n’est pas simplement un coup de tampon. Il n’y a pas cent mutuelles étudiantes et on ne renouvelle pas ce poste tous les mois, ce n’est pas un travail si monumental.

M. Joël DOCKWILLER : Pourquoi pas ? Mais vous allez au-delà de l’agrément sur la compétence. Vous parlez d’englober les conditions de rémunérations, les conditions accessoires au contrat, etc.

M. le Président  Il ne me semble pas anormal que la puissance publique puisse dénoncer des clauses léonines ou abusives du contrat d’un directeur général qui, je le répète, gère de l’argent public.

M. Joël DOCKWILLER : Cela ne me semble pas anormal non plus.

M. le Président : Que penseriez-vous de la présence d’un contrôleur d’Etat au sein du conseil d’administration, sans voix délibérative ? Dans les établissements publics, par exemple, vous avez un contrôleur d’Etat nommé par le ministre, pour vérifier et rendre compte éventuellement à la puissance publique de l’utilisation des fonds publics.

M. Joël DOCKWILLER : Un certain nombre de dispositifs de contrôle existent déjà. Théoriquement, d’après les textes que nous devrions appliquer, il existe le conseil de la section locale qui dépend de chaque CPAM, qui devait initialement être l’occasion pour les caisses primaires d’assurance maladie de participer aux délibérations des conseils d’administration, avec voix consultative. Qu’apporterait de plus un contrôleur d’Etat ? A mon sens, ce serait vraiment mettre un regard extérieur et peu impliqué dans un cercle où nous discutons, où parfois nous expérimentons des idées. Je ne suis pas certain que ce soit très efficace. Le risque que je vois à une telle présence extérieure qui aurait ouvertement une mission de contrôle, c’est que vous ayez des délibérations ou de discussions, qui soient le cœur des sujets, qui se déroulent dans les couloirs. C’est une réflexion.

M. le Rapporteur : Pour employer une expression qui ne recouvre pas un terme juridique, la SMENO a-t-elle filialisé certaines de ses activités ? Sous quelle forme juridique ?

M. Joël DOCKWILLER : La SMENO a filialisé, le terme est un peu impropre – c’était une mode à une époque – trois activités. Nous avons choisi, dans les années 1993-1994, de mettre des petits pions dans des activités dites de diversification dans trois directions.

La première, et la plus importante, a été de créer, conformément au Code, une mutuelle d’accueil pour ceux de la SMENO qui cessaient d’être étudiants. A l’époque, lorsqu’on perdait sa qualité d’étudiant, on ne pouvait plus faire partie de la SMENO. C’était un peu ridicule. Nous avons donc créé en 1994-95, la mutuelle SMINO – Société mutuelle interprofessionnelle du Nord-Ouest –, petite sœur de la SMENO, qui propose une couverture complémentaire maladie individuelle. Toutefois, il ne s’agit pas d’une filiale puisqu’une mutuelle ne peut pas être possédée par une autre. Cette mutuelle compte aujourd’hui 7 000 adhérents. Je ne cherche pas à faire de la publicité autour de ce chiffre. Elle a accueilli, à ce jour, trois générations d’étudiants anciens affiliés de la SMENO, qui y ont retrouvé une grille de prestations et de cotisations très voisine de celle qu’ils connaissaient. A la SMENO, à partir de trente ans, nous pratiquons un étagement par âge – cela me paraît plus prudent en termes de gestion du risque. Ne connaissant pas bien la nature du risque entre sept et soixante-dix-sept ans, nous avons, par précaution, différencié le montant des cotisations.

Le deuxième secteur concerné par la diversification est celui de l’assurance. Depuis une quinzaine d’année, les mutuelles étudiantes distribuent des formules d’assurance automobile ou logement à leurs adhérents à tarifs dits compétitifs. Pour distribuer des contrats d’assurance en France, on doit faire appel à un courtier, qui se rémunère en fonction du travail qu’il effectue. Au sein de notre mutuelle, nos salariés passaient un certain temps à essayer de convaincre un étudiant de prendre une de ces assurances agréées par la SMENO.

Nous avons souhaité, d’une part, isoler cette activité et, d’autre part, retirer au courtier qui était en amont, une partie de la commission. Dans ce métier, les commissions sont de l’ordre de 18 %, pour remplir trois tâches : la présentation d’opérations d’assurance, les appels de primes et la gestion des sinistres. Nous avions confié cela à un courtier, qui l’avait lui-même confié à un autre courtier, qui l’avait confié à une compagnie d’assurance. Entre nous qui proposions l’assurance auto ou l’assurance logement à un étudiant et la compagnie d’assurance qui répondait à l’étudiant en cas de sinistre, il y avait plusieurs intermédiaires et nous ne gérions plus du tout ce type d’interventions.

Cela nous est apparu insatisfaisant et nous avons souhaité intégrer au moins la mission de présentation d’opérations d’assurance. Nous avons créé une SARL de courtage qui est en fait un cabinet captif, qui équilibre son activité avec une partie des commissions que le courtier prenait auparavant.

Cette société s’appelle aujourd’hui Assurance du Nord-Ouest, elle est possédée à 99 % par la mutuelle SMENO et à 1 % par la mutuelle SMINO ; montage qui nous permettait de garder cette diversification entre des propriétaires mutualistes. Même s’il y a distribution de résultats, cela tombe dans les caisses des mutuelles, la boucle est bouclée. Par ailleurs, étant des activités purement commerciales, si elles sont bénéficiaires, elles doivent être soumises à l’impôt, ce qui règle toute discussion fiscale sur ces activités.

Enfin, le dernier axe de diversification, plus récent et plus compliqué pour nous, concerne la distribution de formules de voyage et de loisirs. Traditionnellement, pour attirer les adhérents étudiants et les affilier, les mutuelles proposaient des formules de voyage. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, nous avons décidé de gérer nous-mêmes cette activité. Nous avons souhaité isoler les dépenses liées à cette activité. En conséquence, nous avons créé une agence de voyage, avec pignon sur rue, sous forme de SARL, licenciée dans le département du Nord, possédée à 99 % par la SMENO et à 1 % par la SMINO.

Pour vous éclairer sur les principales motivations de ces diversifications, il faut remonter cinq ans en arrière et se souvenir du contexte des négociations sur la révision du montant des remises de gestion entre toutes les mutuelles. Les discussions avaient été un peu ardues avec la CNAM, certains interlocuteurs nous ayant montré plus d’animosité que d’autres et nous en avions eu un doute sur notre avenir. D’autre part, le projet Sesam-Vitale, qui aujourd’hui est sur le point de se réaliser, était encore très virtuel, mais suffisamment précis pour nous faire penser qu’il aurait des conséquences importantes sur notre effectif salarié, notamment dans les équipes de liquidation. Même si l’histoire démontre que le projet Sesam-Vitale n’a pas ce type d’incidences à court terme, nous avions l’ambition à l’époque de mettre en œuvre des projets de diversification pour être en mesure, au début des années 2000, date d’entrée en vigueur du système, de proposer une alternative professionnelle à une trentaine de nos personnels salariés actuels.

M. le Rapporteur : Comment se déroulent les élections au sein de la SMENO ? Par correspondance, avec des bureaux de vote ? Quel est le taux de participation ? Qu’en est-il des représentants honoraires et des représentants élus ?

M. Joël DOCKWILLER : Les élections se passent chez nous, traditionnellement, par correspondance, selon un processus électoral inspiré du Code électoral. Nous respectons scrupuleusement les délais précisés par le Code.

Je ne l’ai pas en tête mais je peux vous dire que le taux de participation est ridiculement faible. Concrètement, le président annonce à son bureau qu’il est temps de se mettre à la recherche de successeurs potentiels. Nous nous tournons vers les associations étudiantes que nous connaissons, ce qui nous permet d’établir quelques contacts. A peu près un an avant, nous commençons à prendre des renseignements plus précis. Nous profitons de nos équipes de développement, qui sont en contact régulier avec des personnes dans telle ou telle association, pour qu’elles nous introduisent auprès de celles qui nous paraissent intéressantes. Nous les rencontrons et nous leur présentons notre mutuelle, la beauté et la noblesse d’un mandat, etc.

Quand cette première liste est établie, on explique à ces jeunes gens, tous étudiants à ce moment-là, qu’une aventure de trois ou quatre ans à la tête d’une mutuelle se fait en équipe et qu’il faut qu’ils constituent leur petite équipe, au moins une ou deux personnes, qui vont les accompagner si ce n’est au conseil d’administration, à l’assemblée générale. Après deux à trois mois, on arrive à identifier dans notre région – Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Haute et Basse Normandie – une liste de quatre-vingt personnes, ce que nous demandent nos statuts. Nous avons au moins une liste.

Cette liste est constituée par sections, donc par ville. Dans chaque ville, on fait se rencontrer les gens. Ensuite, ils s’auto-organisent. Ils choisissent une tête de liste qui écrit une petite profession de foi, qui se débrouille pour la déposer par recommandé au bon endroit et au bon moment.

Une fois que nous avons, dans le calendrier électoral établi et validé par le conseil d’administration, constitué nos conditions matérielles, nous procédons à la distribution du matériel de vote : la ou les listes – il peut arriver que plusieurs listes se présentent dans une même ville –, les professions de foi, la petite enveloppe pour la carte d’électeur, celle destinée au bulletin de vote, et nous envoyons tout cela chez l’adhérent. Les gens répondent. On dépouille et nous publions.

M. le Rapporteur : Le processus est-il contrôlé ? A quel niveau ? Par des huissiers ? Ou cela se fait-il tranquillement ?

M. Joël DOCKWILLER : En dix années d’expérience, nos élections se sont toujours déroulées tranquillement. Nous n’avons jamais eu besoin de recourir à un huissier. Il y a toujours deux ou trois échauffourées dans des élections ou quelqu’un qui n’a pas pu placer untel ou untel. Il y a donc toujours des menaces de recours, une fois par élection au moins. Il y a toujours un déçu, un frustré, mais généralement, cela ne va pas plus loin. Nous n’avons jamais eu d’élections conflictuelles à ma connaissance.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de Mme Carine SEILER, présidente de l’UNEF-ID,
et de M. Mickaël DAHAN, vice-président

(procès-verbal de la séance du 26 mai 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

Mme Seiler et M. Dahan sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, Mme Seiler et M. Dahan prêtent serment.

Mme Carine SEILER : Vous enquêtez sur le régime étudiant de sécurité sociale. Ce régime, nos aînés l’ont créé il y a maintenant quelque cinquante ans. C’est donc une œuvre de l’UNEF, une œuvre importante du mouvement étudiant. Ce régime a pour but d’assurer aux étudiants la gestion de leur protection sociale, de leur permettre de maîtriser leurs choix de santé et de garantir leur autonomie quant à ces choix de santé.

Nous sommes attachés au régime étudiant de sécurité sociale, qui, pour nous, constitue la première pierre posée à l’édification d’un statut social de l’étudiant, la première étape de la reconnaissance de son autonomie. A l’heure où nous parlons d’élargir ce statut, notamment dans le cadre du plan social étudiant, nous tenons à affirmer notre attachement à la préservation de cet acquis.

C’est ce que nous avons fait en présentant des listes, avec d’autres organisations et d’autres associations, lors des élections à la MNEF en février dernier. L’idée était de permettre au mouvement étudiant de se ressaisir, de débattre de sa mutuelle – de la principale d’entre elles, en tout cas –de redonner de la transparence et une gestion plus démocratique à ses activités.

Les étudiants sont très attachés à ces deux aspects. Une enquête a été réalisée par l’USEM et le Comité français d’éducation pour la santé, qui montre que 73 % des étudiants interrogés estiment important d’être impliqués dans la gestion de leur régime de protection sociale, principalement pour des raisons d’autonomie vis-à-vis de leurs parents et pour des raisons d’adaptation à leurs besoins. Nous pensons d’ailleurs que c’est aussi ce que les étudiants ont démontré lors des élections à la MNEF, puisque près de 35 000 étudiants ont participé au scrutin. Nous croyons fermement que les étudiants sont fortement concernés par une gestion démocratique de la MNEF.

Pour l’instant, les élections ont été annulées par le Tribunal de grande instance de Paris, mais pour des raisons qui ne portent pas sur le déroulement des opérations. Nous avons bon espoir que cette décision d’annulation sera infirmée en appel.

Quoi qu’il en soit, les étudiants ont montré par leur forte participation à ce vote leur attachement à ce régime. C’est fondamental, parce qu’il en va des mutuelles comme de toute structure, la seule garantie contre les dérives reste le contrôle démocratique. Nous ne croyons pas qu’il y ait de perversités intrinsèques au régime étudiant. À notre avis, il s’est posé un problème de contrôle démocratique. C’est aussi parce que les liens entre le mouvement étudiant et la mutuelle s’étaient distendus que des dérives ont été possibles.

Nous défendons la spécificité du régime étudiant parce qu’avant tout, il permet de réaliser un objectif essentiel, celui de l’autonomie de l’étudiant, notamment vis-à-vis de sa famille dans l’accès aux soins. C’est particulièrement vrai pour une jeune fille qui veut avoir accès pour la première fois à la contraception, mais c’est vrai de façon générale. Pouvoir maîtriser ses choix de santé est une idée importante.

Par ailleurs, le régime étudiant, par sa gestion unique, du régime de base et du régime complémentaire, facilite les démarches des étudiants, qui s’adressent à un organisme unique.

D’autre part, si l’on se réfère à la définition de la santé donnée par l’OMS, qui consiste à dire que les questions de santé sont fonction du bien-être, les mutuelles étudiantes peuvent, et doivent, jouer un rôle dans la définition et la réalisation du bien-être de l’étudiant.

Enfin, le régime étudiant, c’est aussi, pour nous, un enjeu d’éducation et de formation à la citoyenneté sociale.

Nous le savons, les habitudes que l’on prend jeune, à vingt ans, se gardent souvent toute la vie. Un étudiant qui prend l’habitude de voter, d’adhérer à une association ou à une organisation conservera cette attitude tout au long de sa vie, il en va de même pour la citoyenneté sociale. Dans le cadre d’une gestion améliorée du régime étudiant, il y a une occasion d’apprendre aux étudiants qu’ils peuvent et doivent être partie prenante à cette gestion. À cet égard, il est clair que le rattachement au régime étudiant plutôt qu’au régime général garantit plus fortement la participation des acteurs, puisque, dans le régime général, il n’y a plus d’élections depuis 1982, et que, quoi qu’il en soit, le plan Juppé a supprimé l’idée d’élections.

Nous avons la profonde conviction que les étudiants ne peuvent ni ne doivent se retrouver dans un système de masse comme celui du régime général, car ce dernier gère déjà un nombre considérable de dossiers et que cela risquerait d’aboutir à nier les particularités des besoins étudiants, non pas que les étudiants soient la population la plus fragilisée, la plus touchée par les problèmes de santé, mais parce qu’il existe une spécificité des besoins de santé chez les étudiants.

D’après l’enquête que j’ai évoquée tout à l’heure, 33 % des étudiants avouent ne pas savoir dominer, gérer leur stress, 13 % dorment mal, ces pourcentages étant d’ailleurs plus élevés chez les jeunes filles que chez les jeunes garçons. Il existe donc une spécificité des problèmes de santé chez les jeunes, en particulier chez les jeunes étudiants. Dès lors qui mieux qu’un étudiant pourrait s’en faire l’écho ?

Mais le régime étudiant n’est pas qu’un guichet unique, il joue aussi un rôle de prévention. Il y a aussi une spécificité des enjeux de prévention propre aux étudiants. Prendre l’habitude de la prévention est également une habitude que l’on garde toute sa vie. Il nous semble important d’éduquer les étudiants à cette idée de prévention. De ce point de vue, il ne s’agit d’ailleurs pas de maîtrise comptable de la santé, mais bien de permettre une autre approche des problèmes de santé, notamment face à l’usage des médicaments.

L’enquête que je viens de citer montre aussi que 90 % des étudiants souhaitent être destinataires de campagnes de prévention. Nous pensons que la prévention doit aussi être adaptée à la spécificité du public étudiant. Les caisses régionales d’assurance maladie (CRAM), organismes chargés de la prévention dans le régime général, raisonnent plutôt en termes de statistiques par rapport à l’ensemble de la population et ne ciblent pas leurs campagnes de prévention en fonction d’un public étudiant. C’est l’exemple du cancer du sein, qui retient actuellement leur attention alors qu’il ne représente pas un risque majeur chez les jeunes étudiantes. Nous pensons au contraire qu’il est nécessaire de cibler les campagnes de prévention par type de population, les étudiants constituant l’un d’entre eux.

Dans le domaine de la prévention, la participation étudiante constitue un élément important car là encore qui, mieux qu’un étudiant, peut souligner les problèmes de santé spécifiques aux étudiants et servir de relais à ces politiques de prévention des risques ?

En France, de façon récurrente, on déplore l’absence de participation, le manque de cogestion, notamment par rapport à l’Allemagne. Nous croyons fermement qu’il ne faut pas supprimer ce relais démocratique qui existe déjà. L’UNEF-ID a entamé un processus de réunification avec d’autres associations et notamment sa sœur jumelle, adversaire d’hier, l’UNEF-SE, en vue de rendre le mouvement étudiant plus fort et de renforcer cette idée de participation et de cogestion.

L’un des actes fondateurs de ce processus de réunification a d’ailleurs été le dépôt de listes communes lors des élections de février dernier à la MNEF. Ce n’est pas le fruit du hasard. L’idée du contrôle démocratique compte énormément, il y avait la nécessité de ce sursaut, qui ne soit pas partisan, mais qui associe diverses composantes du mouvement étudiant.

Bien sûr, le régime étudiant doit et peut être amélioré. Il ne s’agit pas de se contenter des conclusions de certaines institutions comme la Cour des comptes, qui souligne, d’ailleurs, une relative bonne gestion du régime puisqu’elle porte une appréciation globalement favorable sur la qualité du service rendu par les mutuelles aux étudiants, même si certains aspects mériteraient d’être modernisés. Nous souhaitons l’amélioration de l’offre de soins et de la situation des étudiants en matière de santé, le système est perfectible, plusieurs éléments l’attestent. Tout d’abord, le taux de démutualisation est important en milieu étudiant. Il est difficile de l’apprécier parce qu’il y a aussi le phénomène de mutualisation par les mutuelles familiales, mais il existe.

Quelques rapports publiés évoquent aussi des situations de précarité qui, même si elles ne touchent pas l’ensemble de la population étudiante, existent, avec des conséquences dans le domaine de la santé. Les phénomènes de report de soins sont aussi présents en milieu étudiant. De ce point de vue, des efforts restent à faire. C’est l’idée de faciliter l’accès aux soins dans un contexte d’une plus grande proximité qu’il faut défendre.

Le deuxième aspect, qui a retenu notre attention est qu’une grande part du milieu étudiant n’est pas rattachée au régime étudiant, soit parce que les étudiants sont salariés, soit pour des raisons d’âge. C’était aussi le cas jusqu’à une époque récente des étudiants étrangers, en l’absence de convention de réciprocité.

En fait, le rattachement au régime étudiant ne concerne que 60 % des étudiants et pour certains, notamment les étudiants âgés ou étrangers, cela pose des difficultés. Pour finir, nous estimons qu’il est important d’étendre le régime à l’ensemble de la population étudiante.

La question du coût élevé des cotisations nous préoccupe également. La CMU peut incontestablement constituer une réponse, si les mutuelles étudiantes sont prêtes à relever le défi, ce dont nous ne doutons pas. Mais il faudra aussi que le régime général améliore ses prestations, dans le domaine de la pilule microdosée par exemple, qui s’adresse typiquement à aux étudiantes. Dans le domaine des soins dentaires et des soins d’optique, le régime obligatoire doit aussi améliorer son niveau de remboursement.

Il reste beaucoup à faire, nous attendons des améliorations. Nous serons vigilants. Je pense que ce que notre génération de militants a appris, c’est que la démocratie ne s’use que lorsqu’on ne s’en sert pas et que les dérives se produisent plus facilement lorsque le contrôle n’existe pas. Ce fut certainement un des torts de l’UNEF-ID, mais aussi de toutes les organisations étudiantes ces dix dernières années, d’avoir été trop concernée par des préoccupations, strictement syndicales, et de ne pas s’être intéressé aux questions qui concernaient la mutualité étudiante dans son ensemble, et la MNEF en particulier. Nous serons vigilants à l’avenir pour que ce contrôle puisse s’exercer et permettre que les engagements pris devant les étudiants au moment des élections soient véritablement tenus.

M. le Président : Je vous remercie de ce discours très franc et très clair. Nous allons maintenant passer aux questions.

Tout d’abord, quels sont les liens entre l’UNEF-ID et la MNEF ?

Mme Carine SEILER : L’UNEF a créé la MNEF en 1948. Le mouvement mutualiste et le mouvement syndical dans leur ensemble ont toujours eu des relations étroites. Et c’est aussi le cas dans le milieu étudiant. Les liens de l’UNEF-ID avec la MNEF étaient importants. Il est vrai qu’ils se sont distendus depuis une dizaine d’années, pour plusieurs raisons.

Pour ce qui concerne notre génération et ce que nous avons vécu, je puis dire que notre organisation a traversé une crise importante, avec un changement de direction au début des années 90, et une crise interne également, qui l’a poussé à s’occuper plus de ses propres problèmes sans se soucier de ceux des mutuelles.

Cela ne veut pas dire qu’il n’existait plus aucun lien. Des campagnes ont été conduites en commun. Nous avons, par exemple, promu l’idée de la majorité sociale à dix-huit ans. Ce n’est qu’un exemple, des campagnes communes étaient organisées sur un certain nombre de thèmes, notamment des campagnes pour pousser à la mutualisation des étudiants, mais pas seulement.

En même temps, il y avait un lien d’organisation à organisation, mais l’UNEF-ID en tant que telle ne présentait plus de liste pour la gestion de la mutuelle et n’exerçait plus un contrôle réel par ses représentants au sein de la MNEF depuis quelques années.

M. le Président : Sur un plan plus politique, l’UNEF-ID a-t-elle une sympathie politique actuellement ? Se sent-elle plus proche de tel mouvement ou de tel parti ?

Mme Carine SEILER : L’UNEF-ID est une organisation indépendante. Nous sommes très attachés à cette idée. Cela signifie que nous n’avons jamais appelé à voter pour des élections politiques, et que nous ne le ferons pas. À l’inverse, ce que nous faisons, et que nous avons d’ailleurs fait pour les élections européennes, c’est que nous envoyons un questionnaire à la veille de chaque élection à l’ensemble des candidats, que nous rendons public et nous entretenons des relations avec les pouvoirs publics et les gouvernements, quelles que soient leur couleur et leur étiquette politiques.

Cela dit, il est certain que nos militants ont, eux, des sympathies politiques. C’est le cas dans toute organisation et donc dans la nôtre. Un certain nombre de nos militants ont des sympathies, disons, " ancrées à gauche ".

M. le Président : Je ne suis laissé dire que l’UNEF-ID était plutôt dirigée par la gauche socialiste ?

Mme Carine SEILER : Vous avez ici, devant vous, la présidente de l’UNEF-ID et son vice-président, qui tous deux – pour ma part, je ne suis adhérente d’aucun parti politique – traduisent la volonté d’avoir une direction plurielle de l’organisation…

M. le Président : Qu’est-ce à dire " plurielle " ? Il y a la gauche plurielle, mais la direction " plurielle " d’un syndicat, c’est quoi ?

Mme Carine SEILER : C’est tout à fait cela : une direction plurielle. Nous fonctionnons en tendances. La tendance majoritaire, dont nous sommes tous deux issus, regroupe des étudiants qui peuvent se reconnaître dans différentes composantes de partis politiques, pas seulement de la gauche socialiste. Certains n’appartiennent à aucun parti politique.

M. le Président : Donc, vous-même en tant que présidente et vous, en tant que vice-président, vous ne vous reconnaissez pas dans ce que j’ai dit de votre sensibilité politique, ai-je tort ?

M. Mickaël DAHAN : Personnellement, je n’appartiens pas à la gauche socialiste. A vrai dire, je pense que c’est la politisation de l’UNEF-ID à une certaine époque qui a conduit à la crise interne du début des années 90. A la fin de l’année 1994, au moment du changement de direction, des militants syndicalistes ont fait un pari, syndical, qui est un peu exceptionnel dans le mouvement syndical français étudiant, enseignant ou appartenant à d’autres confédérations syndicales, de se doter d’un projet syndical commun au-delà de leurs divergences politiques, qui pouvaient se poser ailleurs, au-delà de leur engagement syndical.

M. le Président : Donc, vous ne vous définissez pas par rapport à des choix politiques, mais par rapport à un choix syndical ?

Mme Carine SEILER : Absolument.

M. Mickaël DAHAN : Aujourd’hui, nous ne nous engageons pas vis-à-vis d’un organisme extérieur sur la base de son appartenance politique.

M. le Président : Vous estimez que c’est quelque chose de nouveau ?

Mme Carine SEILER : Oui.

M. Mickaël DAHAN : C’est nouveau, et c’est salutaire pour le mouvement étudiant aujourd’hui.

M. le Président : La MNEF verse-t-elle une subvention à votre syndicat ? Quel est son montant ?

Mme Carine SEILER : Cette subvention, versée par la MNEF à notre syndicat, s’élevait, en 1996-1997, à 760 000 F.

M. le Président : Sur un budget global de combien ?

Mme Carine SEILER : J’avoue ne pas pouvoir vous répondre exactement. Entre 3,5 millions de francs et 4 millions de francs pour cette période.

M. le Président : D’autres syndicats touchent-ils une subvention de la part de la MNEF ?

Mme Carine SEILER : Oui, c’est le cas de la FAGE ou de l’UNEF-SE mais d’autres associations, dont je n’ai pas connaissance, bénéficient peut-être, elles aussi, d’une subvention.

M. le Président : Mme Karine Delpas, la présidente de l’UNEF-SE, vos cousins germains si je comprends bien, a déclaré que son syndicat n’avait jamais été en mesure jusqu’aux dernières élections de pouvoir présenter une liste. Pourriez-vous nous donner des explications sur cette affirmation ?

Mme Carine SEILER : Je peux vous donner mon sentiment, mais il vaudrait mieux poser la question soit à Karine Delpas, soit à l’ancienne direction de la MNEF.

Nous n’avons pas, sauf aux dernières élections, présenté nous-mêmes de liste. Il existait une liste unique, celle de l’ancienne direction, qui devait être constituée dans des conditions assez draconiennes. Si j’ai bonne mémoire, d’après ce que m’en ont dit mes prédécesseurs, les conditions de dépôt de la liste étaient enserrées dans une période très limitée. Je pense que c’est à cela que Karine Delpas faisait référence.

M. Mickaël DAHAN : Il est clair que les élections étudiantes qui se déroulaient au sein de la MNEF étaient confidentielles. Par rapport au nombre d’adhérents, qui oscillait entre 120 000 et 200 000 selon les années universitaires, le nombre de votants ne devait pas dépasser, selon les chiffres communiqués, les 1 500 à 2 000 sur toute la France, avant le scrutin de février 1999.

M. le Président : Sur toute la France ? Les chiffres que vous donnez sont bien en dessous des 3,5 % de participation que l’on nous a avancé.

M. Mickaël DAHAN : Je n’ai jamais personnellement lu les procès-verbaux des élections, mais c’est ce que l’on m’a dit.

M. le Président : Il faudrait vérifier.

Mme Carine SEILER : Je pense que les procès-verbaux doivent être disponibles.

M. Mickaël DAHAN : Je voulais souligner qu’il s’agissait d’un taux de participation extrêmement faible, lié au fait qu’aucune information ne circulait, aucune affiche ou plutôt, parce que je suis adhérent à la mutuelle, je me rappelle qu’à l’époque, les affiches restaient dans les agences. Il n’y avait aucune information aux étudiants dans les universités ou dans les grandes écoles.

La direction de l’époque n’avait pas de véritable politique d’annonce d’un renouvellement des bureaux étudiants locaux de la MNEF.

M. le Président : On justifie souvent la MNEF par la démocratie étudiante, mais peut-on réellement parler de démocratie étudiante avec 1 % de participants aux élections ?

Mme Carine SEILER : L’UNEF-ID a le sentiment que, jusqu’aux précédentes élections, il n’existait pas véritablement de démocratie à la MNEF, parce qu’il n’y avait pas de participation. Les élections étaient jouées d’avance, une seule liste était présentée, si l’on peut dire, composée par la direction sortante.

M. le Président : Qui composait cette liste à votre connaissance, le directeur général ou la direction sortante ?

Mme Carine SEILER : Je pense qu’elle faisait l’objet d’un regard attentif du directeur général.

M. le Président : C’est très diplomatiquement dit.

Mme Carine SEILER : Je pense qu’effectivement, il contrôlait, pour une bonne part, la composition de la liste.

M. le Président : Je suis un peu surpris que ,dans toutes les propositions des syndicats étudiants que nous avons entendues, il n’y ait aucune proposition concernant les problèmes de maternité chez les étudiantes. Cela me préoccupe parce que, après tout, les jeunes femmes sont faites pour avoir des enfants… En tout cas, c’est une éventualité qu’on ne peut exclure, et je ne vois aucune proposition à ce sujet dans tous les programmes qui nous sont proposés.

M. Jean-Paul BACQUET : Le mot maternité n’a, en effet, jamais été prononcé.

Mme Carine SEILER : J’avoue que nous n’avons pas beaucoup réfléchi à cette question, pour les jeunes femmes, la question principale qui se pose est plutôt celle de la maîtrise de la maternité. La question se pose plutôt en termes d’accès à la contraception.

Les organisations étudiantes, syndicats et mutuelles, ont beaucoup débattu, car elles n’étaient pas toutes d’accord, sur la question du droit à l’avortement, de son remboursement et sur la question de la contraception. Nous faisons de nombreuses propositions sur les pilules, l’accès à la contraception, sur le préservatif aussi, bien sûr. Pouvoir maîtriser sa maternité est une question importante en milieu étudiant.

Faire des études, c’est aussi repousser d’une certaine façon l’âge potentiel de la maternité. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’étudiantes mères, il en existe, mais nous envisageons leur situation plutôt d’un point de vue syndical, en réclamant notamment dans les universités la création de crèches, que du point de vue de la santé.

M. le Président : On nous a expliqué que les crèches ont fermé dans le consensus le plus total.

Mme Carine SEILER : Pas dans le consensus total.

M. le Président : Il n’y a pas eu de fortes protestations. Les universités ne se sont pas mises en grève parce que l’on fermait les crèches.

Mme Carine SEILER : A Chambéry, il y a deux ans, nous avons mené une bataille importante contre la fermeture de la crèche. Mais il en va de ces questions comme d’autres, elles ne concernent que très peu de cas. Un phénomène de solidarité existe au sein de l’université et nous parvenons à faire signer des pétitions, mais déclencher une grève sur des thèmes tels que celui-ci est plus difficile, parce que les personnes concernées sont peu nombreuses.

M. Jean-Paul BACQUET : Madame la présidente, j’ai cru comprendre que dans votre engagement syndical, votre engagement dans la protection sociale, il avait deux aspects, celui qui touche à la santé publique de l’étudiant et un autre, celui de la formation citoyenne.

Au passage, je veux vous dire, pour votre formation citoyenne, que des affiches n’ont jamais fait voter personne. Lors des dernières élections, à la MNEF, le taux de participation était de 15 %. Vous avez parlé plusieurs fois de forte participation. C’est certainement vrai par rapport aux 1 ou 2 % précédents, mais peut-on considérer comme un scrutin démocratique un scrutin avec 15 % de participation ? Des personnes élues avec 15 % des voix ont-elles, à votre avis, une légitimité électorale ? Je remarque d’ailleurs que quelque 30 000 à 35 000 votants, cela ne fait pas 15 %.

Mme Carine SEILER : Par rapport aux adhérents, oui.

M  Mickaël DAHAN : Par rapport aux adhérents, cela représente plus de 20 % de participation.

Mme Carine SEILER : Vous avez raison. Nous ne nous satisfaisons pas de ces résultats. C’est vrai de la mutuelle mais, de façon plus générale, des élections étudiantes, dont les taux de participation oscillent entre 10 et 15 %.

Néanmoins, nous relevons deux points, que nous considérons encourageants. D’une part, 15 % par rapport à 1 %, la progression est énorme. Je ne sais pas si les affiches font voter, elles ne font certainement pas tout, néanmoins, la campagne qui a été menée par l’ensemble des organisations parties prenantes du processus électoral auprès des étudiants a compté et a permis d’atteindre ce résultat de participation.

Cela n’est pas pour autant satisfaisant. Mais il en va d’un vote dans une mutuelle comme de tout vote, on vote lorsque l’on pense que son vote sera utile et efficace. C’est ensuite à la MNEF de démontrer que ce résultat de 15 % n’est qu’une étape, que de réels changements sont possibles grâce à ce vote.

Nous expliquons la faiblesse du taux de participation aux élections universitaires en partie par ce fait car nous avons remarqué que dans les universités où les élus étudiants avaient du poids et avaient pu changer concrètement des choses, le taux de participation avait augmenté lors des élections suivantes. L’inverse existe et les étudiants ont alors le sentiment que cela ne sert à rien.

La nouvelle équipe de la MNEF a décidé de lancer une consultation nationale par le biais d’un questionnaire, envoyé à tous ses adhérents, concernant l’amélioration des prestations, etc. Ce questionnaire a été distribué en plusieurs envois. Or, alors que tous les envois n’avaient pas encore été faits, la MNEF avait déjà reçu plus de 30 000 réponses. Si la MNEF obtient près de 50 000 réponses, cela montrera que le processus de participation est engagé. Il me semble que c’est une bonne chose et nous avons bon espoir.

M. Jean-Paul BACQUET : Pensez-vous que l’affaire de la MNEF ait sollicité et incité les étudiants à voter plus nombreux et à s’intéresser davantage à la protection sociale qui les concerne ?

Vous avez parlé tout à l’heure de formation citoyenne, aussi bien dans le cadre du syndicalisme étudiant que dans celui de la mutualité étudiante. Pensez-vous que le syndicalisme étudiant ou que les organismes de protection sociale puissent être de bonnes pouponnières, non pas pour un parti politique, mais pour la démocratie en général et le monde représentatif ?

Mme Carine SEILER : Je pense que les affaires de la MNEF ont été un élément qui a fait voter. En même temps, lorsque nos militants ont fait campagne puisque nous soutenions une liste, certes nous entendions les étudiants s’interroger sur la réalité des affaires – " C’est vrai ce qu’on raconte ? " – mais la question qui revenait le plus souvent était celle du remboursement, des délais et des retards pris. Je pense que ce problème des remboursements a été le principal sujet d’inquiétude pour les étudiants. Dès lors, il n’est pas surprenant de constater le relatif succès qu’a obtenu la liste " SOS-remboursement ". Cela témoignait bien de ce que nous appelons le " vote de ses pieds ", qui consiste à dire que cela suffit et qu’il faut apporter des améliorations.

Sur le deuxième aspect, des études ont été faites par des sociologues ou des chercheurs, dont une bonne part sont d’ailleurs des anciens des UNEF, sur le parcours des anciens responsables étudiants, tant au niveau local qu’au niveau national. Beaucoup d’entre eux adhèrent à des syndicats de salariés et conservent une tradition de la participation à la vie associative. Bien sûr, cet engagement est plus fort pour un militant que pour un étudiant simple électeur.

La question de la participation nous préoccupe, parce qu’il est vrai que dans le milieu étudiant le taux de participation est assez mauvais, de l’ordre de 10 %. L’un des objectifs que nous souhaitons atteindre, indépendamment des questions de mutuelle, est l’accroissement de la participation étudiante et le développement du comportement critique qui existe à l’université,

Cependant, il faut relativiser. L’université de Montpellier III avait fait l’année dernière une étude mettant en relation le taux de participation des étudiants et le nombre d’étudiants qui étaient passés ce jour-là sur le campus. Si l’on ramène le nombre de votants à ce nombre, le taux de participation est tout de même bien plus élevé, on peut le multiplier par deux. Cela reste encore insuffisant, mais relativise la faiblesse du chiffre.

M. Jean-Paul BACQUET : En tant qu’étudiants responsables et élus, comment avez-vous vécu ces affaires de la MNEF ? Aviez-vous un pressentiment ? Avez-vous été scandalisés d’apprendre que la MNEF avait travaillé avec des entreprises telles que Vivendi ou autres ? Vous avez parlé de l’inquiétude des étudiants que vous avez rencontrés pendant les campagnes électorales, à propos des remboursements mais vous, comment avez-vous vécu cela ?

Mme Carine SEILER : Comme j’ai essayé de le dire dans mon propos liminaire, nous nous sommes peu occupés de mutualité étudiante pendant très longtemps, tout d’abord, parce que nous étions traversés par d’autres préoccupations, d’autres débats, il fallait redresser la barre.

Aujourd’hui, nous sommes incontestablement la première organisation étudiante. A l’époque du changement de direction de 1994, nous étions devancés par la FAGE, et surtout, notre organisation était confrontée à un réel manque de crédibilité. Nous nous sommes avant tout occupés de remettre le navire à flot.

Certes, nous entretenions des relations avec la MNEF, nous menions régulièrement des campagnes avec elle, au moment des inscriptions, par exemple, mais également sur des thèmes comme que celui que j’ai cité tout à l’heure, de la majorité sociale à dix-huit ans. Mais la façon dont la MNEF fonctionnait, dont elle était gérée, tout cela ne nous intéressait pas ; nous avions d’autres priorités. Si nous avons eu un tort, c’est certainement celui-ci.

Nous avons recommencé à nous intéresser à ces questions au lendemain des dernières élections au CROUS, en mars 1998, parce qu’avec la campagne sur la reconnaissance d’un statut social de l’étudiant, nous avions le sentiment que les mutuelles étudiantes devaient aussi participer à la définition de ce statut.

Avons-nous vu venir les affaires ? En avions-nous le pressentiment ? Non, parce que nous n’étions pas présents. Lors des réunions de notre bureau, de collectif national ou même de congrès, je pense que le terme MNEF n’apparaissait pas ou quasiment pas. La MNEF ne faisait pas partie de nos sujets de discussion.

Avons-nous été surpris ? Oui et non, parce que, malgré tout, l’UNEF-ID avait des relations avec la mutuelle et que nous savions qu’un directeur général gérait tout. Nous savions aussi, pour les rencontrer parfois au niveau local, que le conseil d’administration étudiant ne jouait pas complètement son rôle , ce qui rendait possible des dérives.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez évoqué plusieurs fois le problème de la transparence et de la nécessité d’une gestion démocratique. Vous venez d’y faire référence à l’instant. Pensez-vous que le système de fonctionnement d’une mutuelle, avec un conseil d’administration composé d’étudiants qui seront a priori étudiants à titre temporaire bien que l’on ait vu des étudiants à titre quasi définitif, et une direction formée de professionnels, permette au conseil d’administration de jouer pleinement son rôle, étant donné que les étudiants n’ont pas de formation spécifique en matière de protection sociale et de gestion ?

Je vous demande à cet égard votre appréciation sur le conseil d’administration sortant, en particulier sur sa présidente, Mme Linale.

Mme Carine SEILER : Cette question est une vraie question. Elle ne se pose pas que dans le domaine de la mutualité.

M. Jean-Paul BACQUET : Tout à fait.

Mme Carine SEILER : Nous sommes à la veille de l’application du plan social étudiant dans lequel on parle beaucoup de citoyenneté étudiante et du projet de généraliser les vice-présidences étudiantes des CROUS, et même de créer des présidences étudiantes des CROUS. Pour ma part, je suis aussi vice-présidente de mon université. Nous assistons à une multiplication des vice-présidents étudiants d’université qui participent au bureau de l’université et ont accès à des informations importantes concernant la gestion d’un établissement public, ces derniers sont amenés à prendre des décisions, même s’ils ne le font pas seuls.

Je suis fermement persuadée qu’un étudiant est compétent pour prendre des décisions concernant une mutuelle, une université, un CROUS, le sport universitaire. Les organisations étudiantes existent depuis longtemps. L’UNEF existe depuis 1907, et si tel est le cas, c’est parce qu’une des vocations de ces organisations a été de renforcer cette idée de participation et de cogestion, et parce que les étudiants se sont montrés capables.

M. le Président : Ce terme de cogestion est une référence allemande à certains systèmes économiques. C’est quoi, pour vous, la cogestion ?

Mme Carine SEILER : Dans une université, nous avons un vrai rôle de cogestion, un pouvoir de décision aussi. C’est encore plus vrai dans un CROUS, où existe le principe d’une gestion paritaire entre étudiants et administration. Cette parité a été rompue. On revient à une participation étudiante. C’est important. Dans un certain nombre de domaines, il est nécessaire de décider en commun.

Il arrive parfois, dans certaines universités, que nos militants, nos élus, qui sont des gens compétents, connaissent mieux certains textes de loi, certains règlement ou arrêtés que certains présidents d’université enseignants ou élus du corps enseignant. Ces étudiants reçoivent des formations et nous considérons que c’est l’un des principaux rôles de notre syndicat, même si ce n’est pas le seul.

Par ailleurs, un élu n’est généralement pas un étudiant de première année, qui ne connaît pas l’université. On est élu quand on est en licence, en maîtrise, quand on est un peu plus avancé dans son cursus universitaire. De même, un élu étudiant peut décider d’avoir un pouvoir réel dans un conseil d’administration. A mon avis, le conseil d’administration actuel de la MNEF et son assemblée générale nationale sont composés d’élus étudiants compétents et aptes à prendre des décisions importantes.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous pensez que ceux qui composaient le conseil sortant étaient des gens de grande qualité ?

M. Mickaël DAHAN : Concernant le conseil d’administration sortant, au vu des diverses réformes statutaires de la mutuelle ces dernières années, il est de notoriété publique que le directeur général, par délégation donnée par la présidente du conseil d’administration de la mutuelle, exerçait l’ensemble des pouvoirs. Le conseil d’administration s’était souvent transformé en chambre d’enregistrement. Le conseil d’administration durait une demi-heure ou trois quarts d’heure et les décisions étaient prises ailleurs. Je ne sais pas si c’était un conseil d’administration véritablement compétent.

La plupart des membres du conseil d’administration nouvellement élu ont une certaine expérience en tant qu’élus étudiants, soit dans des conseils centraux d’université, soit dans des CROUS, soit au sein du CNESER, le conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, et ont souvent participé à des négociations tant au niveau local et régional qu’au niveau national avec le cabinet du ministre. Ils ont acquis au fil des années une certaine formation.

Sur les questions de santé, les nouveaux membres du conseil d’administration ont une réelle volonté d’agir. Ce ne sont pas de simples pions. Ce sont des militants qui ont une expérience syndicale et qui aujourd’hui s’intéressent très fortement aux questions de santé et de mutualité étudiantes. Ils ne sont pas seuls, ils travaillent avec une équipe de professionnels – la MNEF compte 700 à 750 salariés ; au siège administratif de la MNEF à Gentilly, il y a des directeurs de la communication ou des réseaux, chargés des relations avec la mutualité française et avec la CNAM. Le conseil d’administration et son président travaillent donc avec des professionnels de la santé qui connaissent leur métier, mais les décisions politiques et les orientations mutualistes sont effectivement prises par lui.

A mon avis, le problème qui se posait auparavant était que les étudiants n’avaient plus le droit de prendre des décisions concernant la mutuelle.

M. Jean-Paul BACQUET : Pour préciser ma question, cet ancien conseil d’administration, qui se réunissait une demi-heure et était devenu une simple chambre d’enregistrement, était-il composé de gens totalement incompétents, mal formés, cooptés ? Pensez-vous qu’un conseil composé d’administrateurs mieux formés, plus compétents, puisse être apte à discuter le contrat de travail du directeur général ?

Mme Carine SEILER : Il y a plusieurs questions. Tout d’abord, je pense que l’ancien conseil d’administration n’était pas suffisamment compétent et bien formé. C’est une donnée.

Je considère aussi que lorsqu’on a fait ses armes dans une organisation étudiante, on a acquis une certaine compétence, une certaine indépendance d’esprit et une capacité à réfléchir sur les problèmes.

Mais la façon dont on est élu joue aussi. Ce n’est pas seulement une affaire de compétences précises. Pour répondre brutalement, je ne pense pas que Marie-Dominique Linale était moins intelligente que le nouveau président ou les membres de son conseil d’administration. Les dernières élections ont été soutenues par des organisations étudiantes sur la base d’un programme définissant des objectifs. Ce programme définit le mandat des élus étudiants, leur donne des responsabilités, un devoir de rendre compte aux étudiants et aux organisations étudiantes, UNEF-SE, FAGE, UNEF-ID, au moins à celles qui composent la MNEF.

A qui Marie-Dominique Linale rendait-elle compte ? Peut-être était-elle prisonnière d’un système dans lequel elle était elle-même enfermée ?

Cela veut-il dire que les membres du conseil d’administration sont entièrement compétents sur toutes les questions de protection sociale et connaissent-il par cœur le Code de la mutualité ? Je suis à peu près sûre que non. Mais qui le connaît par cœur ? Il va falloir qu’ils l’apprennent, le comprennent, qu’il maîtrisent les questions de santé. Mais, qui mieux qu’un étudiant connaît les problèmes spécifiques qui peuvent se poser en milieu étudiant, les questions de santé, de prévention sur lesquelles il faut mettre l’accent.

M. le Président : Le président de la MNEF se retrouve à la tête d’une entreprise dotée de 400 millions de francs de ressources, de 700 salariés, d’un directeur général qu’il doit diriger. Il pèse sur lui une responsabilité pénale pour tout ce qui se passe non pas en termes de politique de santé, mais en termes de finances, de bilans, d’engagements financiers, de participations, de cession de parts et de contrôle de filiales. C’est cela la question qui vous est posée. Et vous répondez en termes de politique de santé.

Mme Carine SEILER : J’allais y venir. Je suis tout à fait consciente de tout cela.

Il y a effectivement des salariés, qui ont des compétences particulières et précises. Le rôle du conseil d’administration est aussi de prendre des décisions sur la base des informations que présentent les salariés, les différents directeurs de la MNEF. Je suis convaincue qu’une équipe d’étudiants est en mesure de prendre des décisions parce qu’elle n’est pas seule et qu’elle travaille avec des professionnels, sur lesquels elle s’appuie.

Il faut éviter d’une part que les professionnels décident de tout, ne rendent compte de rien et que les étudiants se contentent d’approuver et de valider les décisions.

Il faut aussi que les étudiants n’aient pas la prétention de penser qu’ils peuvent décider de tout et qu’ils sont compétents sur tout. Cela ne peut pas être complètement le cas, il faut parfois faire appel à des professionnels.

Je pense qu’il y a un équilibre à trouver en collaboration avec les professionnels, afin que les étudiants aient un véritable pouvoir de décision et une véritable capacité d’appréciation. Il existe, bien sûr, des questions techniques, mais je ne pense pas que celles-ci soient incompréhensibles pour un élu étudiant qui doit rendre compte. J’en suis convaincue.

M. le Président : Savent-ils que leur responsabilité pénale est engagée en cas de cession partielle d’actifs ?

Mme Carine SEILER : Il serait préférable de leur poser la question, mais j’en suis convaincue.

M. le Président : Comme ces élus étudiants viennent de votre syndicat, vous avez dû en discuter ensemble.

Mme Carine SEILER : Quand le conseil d’administration de la MNEF a décidé de se porter partie civile, c’était une décision importante, qui a été mesurée, dont nous sommes satisfaits. Mais je pense que vous avez dû les interroger. D’autres questions importantes se posent, notamment en termes de filiales, avec toute la filialisation et la diversification qui existent maintenant. Que va-t-il advenir de ces filiales ? Faut-il les conserver ou pas ? Voilà des sujets importants sur lesquels ils devront prendre des décisions.

M. le Président : Quel est votre sentiment sur la question ?

Mme Carine SEILER : Ma réponse se place sur un plan de politique générale.

Je considère qu’il y a eu un processus de diversification à outrance sur lequel il faut revenir. Faut-il se séparer de toutes les filiales ? Ce n’est pas certain parce que certaines se justifient dans le cadre d’une mutuelle étudiante, comme l’idée d’avoir un secteur logement, par exemple. Là où cela ne se justifie plus du tout, c’est quand la filiale logement pratique des loyers supérieurs à ceux du marché privé dans certaines villes universitaires. Un certain nombre de filiales pensent jouer un rôle social.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez dit que les élus actuels - avant d’être invalidés - avaient été élus parce que portés par des organisations syndicales. Est-ce à dire que les précédents ne l’étaient pas ? Le faible taux de participation prouve en tout cas que s’il y avait portage, celui-ci était très faible.

Je vous demande cela parce que j’ai cru comprendre que M. Spithakis avait dépolitisé la MNEF. Considérez-vous qu’il a au moins réussi dans ce domaine ?

Mme Carine SEILER : Pour une part, certainement. La MNEF n’a pas vocation à être politisée, c’est la raison pour laquelle nous n’avons pas fait de liste UNEF-ID, ce que nous aurions pu faire d’ailleurs ; une telle décision pouvait se justifier. Mais nous nous sommes attachés, lors de sa composition, à avoir une liste commune avec UNEF-SE, et à ce que d’autres organisations étudiantes soient également partie prenante.

M. Jean-Paul BACQUET : D’accord, mais les prédécesseurs étaient-ils soutenus par des organisations syndicales ?

Mme Carine SEILER : Non. Il y avait une liste unique portée par la direction.

M. Jean-Paul BACQUET : Qui cooptait donc un conseil d’administration.

Mme Carine SEILER : Non, ce n’était pas une cooptation. La direction préparait la liste, ensuite, il y avait un envoi.

M. Jean-Paul BACQUET : C’était une pratique démocratique fort discutable.

Mme Carine SEILER : Disons que la composition de la liste n’était pas très démocratique.

M. Jean-Paul BACQUET : Si je comprends bien : la liste était préparée par la direction, élue par 1 à 3 % des étudiants, faiblement soutenue par les organisations syndicales étudiantes et, une fois élue, elle contrôlait l’action du directeur ?

Mme Carine SEILER : Oui, cela peut se résumer un peu à cela.

M. Jean-Paul BACQUET : C’est une pratique démocratique tout à fait remarquable !

Tout à l’heure, vous avez dit que vous touchiez 760 000 F de subvention de la MNEF. Est-ce une politique de la MNEF de subventionner le syndicalisme étudiant ou est-ce en contrepartie de quelque chose ?

Mme Carine SEILER : Non. Une convention est passée entre nos organisations, nous menons des campagnes communes, notamment à la veille et pendant les inscriptions universitaires, aux mois de juillet et de septembre.

M. Jean-Paul BACQUET : On peut appeler cela une récompense pour du lobbying.

Mme Carine SEILER : Ce n’est pas du lobbying, c’est un travail auquel nous croyons beaucoup, qui est de favoriser, de valoriser l’idée de la mutualisation chez les étudiants.

M. le Président : C’est la seule mutuelle qui vous finance ?

Mme Carine SEILER : Oui et non. Il y a dans nos publications des encarts qui proviennent parfois d’autres organisations.

M. Jean-Paul BACQUET : Ce n’est pas accusateur.

Mme Carine SEILER : Je comprends tout à fait.

M. Jean-Paul BACQUET : Je constate simplement qu’il existe une relation directe entre la subvention que verse la MNEF à l’UNEF, et si le terme lobbying vous gêne – il n’est pas de moi, il est de quelqu’un qui est passé ici avant vous – je peux dire que la contrepartie est que vous êtes le vecteur de l’adhésion à la MNEF.

Mme Carine SEILER : Ce que nous faisons, c’est de l’adhésion à des mutuelles étudiantes. Par ailleurs, lorsque des étudiants nous posent la question...

M. Jean-Paul BACQUET : Vous ne donnez qu’une publicité, en faveur de la MNEF.

Mme Carine SEILER : Dans le guide que nous distribuons au moment des inscriptions, il y a une publicité de la MNEF. Dans le guide des droits que nous avons édité à 15 000 exemplaires, il y avait une publicité de la MNEF.

Il y a des encarts publicitaires insérés dans nos diverses publications qui concernent les campagnes menées en commun sur la prévention ou la majorité sociale à 18 ans.

M. le Président : Donner 760 000 F pour obtenir 1 % de participation ; il nous semble qu’il y a une certaine distorsion entre l’argent donné et son rapport.

Mme Carine SEILER : Je ne vois pas le rapport.

M. le Président : La MNEF vous donne de l’argent afin que vous l’aidiez à obtenir un certain nombre d’affiliés.

Mme Carine SEILER : Pas seulement pour des adhérents, mais pour voir l’idée de mutualisation se répandre dans le milieu étudiant.

M. Mickaël DAHAN : Il n’y a pas de contrepartie en tant que telle. Nous ne devons pas, en échange de telle ou telle somme, répondre à tel et tel critère dans telle ou telle université.

M. le Président : La contrepartie ne se fait pas sur l’affiliation ?

M. Mickaël DAHAN : Mais il n’y a pas de contrepartie.

M. Jean-Paul BACQUET : Bien sûr, on sait très bien que cela ne peut se faire proportionnellement au nombre d’adhésions faites, c’est interdit.

M. Mickaël DAHAN : En fait, la MNEF, pour nous, militants syndicalistes, représente la mutualité étudiante, le régime étudiant de sécurité sociale. Nous avons un attachement historique, identitaire parce que nous apprenons que dans l’histoire de l’UNEF, il y a la période de la MNEF qui avait été gérée par les étudiants dans les années 40, 50 et 60. Toute cette histoire, nous l’avons en tête. Donc, en effet, lorsque l’on est militant syndicaliste à l’UNEF-ID, on a plus un attachement à la MNEF qu’aux SMER.

Ensuite, il n’y a pas de contrepartie au versement de la subvention de la MNEF. Nous ne sommes pas là pour faire du chiffre d’affaires. Nous n’étions pas les petits soldats de la MNEF dans les universités.

M. Jean-Paul BACQUET : Considérez-vous qu’un directeur de la MNEF qui donnerait 760 000 F de subvention à un syndicat étudiant ne serait pas en droit d’en attendre quelques retombées sur le nombre de ses adhérents, quand on sait qu’aujourd’hui, la baisse de celui-ci risque de poser des problèmes majeurs pour la survie de la MNEF ?

Mme Carine SEILER : Les relations entre le syndicalisme et la mutualité existent, elles n’existent pas que dans le milieu étudiant. Elles existent pour les mutuelles de fonctionnaires, etc. et elles ne se traduisent pas en termes commerciaux ou en retombées financières.

Ce que l’UNEF promeut, c’est l’idée d’un régime étudiant spécifique et l’idée d’une mutualisation pour avoir une bonne couverture sociale.

Nous avons, par exemple, obtenu récemment que les étudiants étrangers puissent être affiliés au régime étudiant de sécurité sociale. Cela fait partie des éléments qui font progresser la protection sociale des étudiants et, de ce fait, l’idée même du régime étudiant et de l’affiliation dans les mutuelles en général.

C’est parce que des relais existent dans le milieu étudiant que l’idée de la santé existe, a un sens et se traduit dans le milieu étudiant. Les organisations étudiantes, l’UNEF-ID mais aussi l’UNEF-SE, les associations locales, les corpos, la FAGE, PDE et même l’UNI sont autant de relais de l’idée d’un régime étudiant de sécurité sociale.

A la question précise que vous posiez de savoir si un directeur général ou un président est en droit d’attendre concrètement que son taux de mutualisation ne baisse pas, je répondrai oui, mais de façon générale, pas en termes de contrepartie précise, marchande, mais parce que les syndicats étudiants se reconnaissent toujours dans l’idée de la mutualité étudiante et la défendent.

M. Jean-Paul BACQUET : Seriez-vous choqués par un directeur qui souhaiterait que la subvention qu’il vous octroie soit proportionnelle au nombre d’adhésions que vous amenez ?

Mme Carine SEILER : Oui, je pense que ce ne serait pas dans la logique des rapports que nous souhaitons engager.

M. Jean-Paul BACQUET : J’en ai fini de mes questions. Je ferai simplement une remarque concernant la maternité étudiante dont parlait tout à l’heure Monsieur le président. J’ai été étudiant à une époque où la contraception n’était pas encore en vente libre, avant les lois Neuwirth. A l’époque, les maternités dans le monde étudiant n’étaient jamais bien vécues parce qu’elles étaient rarement choisies. Je suis médecin, j’ai des enfants et je trouve que, dans ce domaine, votre langage n’a pas beaucoup changé. C’est bien, cela me rajeunit, mais c’est un peu triste parce que je pense que le problème de la maternité n’est pas abordé. Les femmes font des enfants de plus en plus tard. Les études se poursuivent plus longtemps et je trouve qu’incontestablement, la fermeture des crèches en est un signe. A mon époque, la maternité était souvent vécue comme un drame et elle était prise en charge par les CROUS, seule structure qui apportait quelque chose. Je me suis retrouvé dans le langage que vous teniez tout à l’heure. Je pense que vous auriez pu nous apporter quelque chose de nouveau.

Mme Carine SEILER : Il existe déjà des choses : des adaptations horaires, une facilité d’emploi du temps pour les étudiantes mères...

M. le Président : J’ai enseigné pendant dix ans à l’université, je n’ai pas vu beaucoup d’avantages accordés à ceux qui avaient des enfants. En dehors des couples mariés pour lesquels des travaux dirigés étaient organisés le samedi matin. Il n’y a pas eu grande évolution.

Mme Carine SEILER : Je parlais de paternité, mais en fait la question de la parentalité, de façon plus large, est un vrai handicap lorsque l’on est étudiant. Cela fait partie des points que nous mettons en avant dans le statut social de l’étudiant. Par exemple, un étudiant ou une étudiante qui a charge d’enfant et qui va faire une demande de bourse va devoir présenter les revenus de ses parents pour savoir s’il a droit à une bourse. Cela nous paraît aller particulièrement à rebours. Le système d’aide sociale n’a quasiment pas évolué depuis soixante ans. Le moins que l’on puisse demander, c’est que les situations d’autonomie soient reconnues au moins dans ce cas.

M. Jean-Paul BACQUET : Personnellement, je considère que mes enfants aujourd’hui n’ont rien de nouveau à dire par rapport à ce que je disais étant étudiant. Vous ne nous apportez pas suffisamment. Nous avons des propositions à faire. Comme vous l’avez dit à juste titre, personne ne peut mieux parler de la santé étudiante que les étudiants. Apportez-nous ces éléments.

Mme Carine SEILER : D’accord.

M. le Rapporteur : Je suis désolé de revenir sur des aspects plus matériels et immédiats qui concernent la vie démocratique au sein de la mutualité étudiante.

Il apparaît que les modalités d’organisation du vote à la MNEF soulèvent un certain nombre de questions. Tout d’abord, le vote par correspondance est-il réellement mobilisateur ? Ensuite, le fait qu’il n’y ait qu’une seule section avec une liste obligatoirement nationale, pas forcément représentative de l’ensemble des étudiants et empêchant la présentation de listes par des gens qui ne seraient implantés que sur une ou deux régions, pose problème.

En jouant sur ce chapitre des modalités électorales, peut-on espérer améliorer le fonctionnement démocratique de la mutualité étudiante en général et de la MNEF en particulier ?

M. Mickaël DAHAN : Par rapport à ce que je connais de l’histoire électorale de la mutuelle sur plusieurs générations étudiantes, je peux dire que les élections de février 1999 ont fait l’objet d’un consensus auprès des représentants étudiants des organisations syndicales et des représentants des bureaux étudiants, donc des étudiants présents localement et nationalement. La procédure électorale qui a été mise en place, le vote par correspondance et une seule circonscription nationale avaient pour objet de permettre de prendre en compte un ensemble territorial et de pouvoir représenter de nombreux étudiants, pas seulement sur une région.

Je ferai un parallèle avec les élections étudiantes aux conseils centraux des universités. Il est important de ne pas mettre n’importe quel étudiant, car il faut, à mon sens, qu’il soit représentatif de son milieu, c’est-à-dire dans une université pluridisciplinaire, filière juridique, économique et littéraire...

M. le Rapporteur : C’est aux électeurs de choisir.

M. Mickaël DAHAN : Oui, mais il y a des règles, des modalités électorales. Dans ces modalités, il y avait une section de vote au niveau national et une section pour les étudiants à l’étranger.

Le vote par correspondance n’est pas seulement une modalité, mais aussi un moyen électoral que l’on donne pour qu’il y ait une véritable participation, pour que l’on puisse exercer un réel mandat, porteur d’une orientation mutualiste à proposer aux étudiants. Dès lors, cela a été le fait de listes composées de représentants d’organisations syndicales, d’organismes associatifs, ayant une connaissance du milieu étudiant, qui sont présents dans les universités, qui ont une certaine légitimité auprès des étudiants, même si ce n’étaient pas des listes d’organisations étudiantes en tant que telles. En tout cas, la liste que l’UNEF-ID a soutenue était composée de représentants d’UNEF-ID, d’UNEF-SE et d’autres associations, et répondait à la volonté d’avoir le cadre le plus large possible.

Nous avons alors mené une action en termes électoraux, parce qu’il y avait un projet mutualiste, que nous avons défendu. Ce n’était pas le cas lors des anciennes élections. Là, il y avait un projet électoral, une profession de foi. Nous avons fait du porte-à-porte dans les cités universitaires, nous avons fait les sorties d’agences de la MNEF, nous avons fait des interventions dans les amphis, nous distribuions des tracts, nous allions discuter avec les étudiants.

Avec le nouveau système qui a été mis en place, avec une réelle représentation des étudiants, je pense que nous nous sommes donnés les moyens d’avoir la plus forte participation possible.

Le système de vote par correspondance est-il le meilleur système ? Je ne sais pas, on peut toujours améliorer, mais, comme pour les élections étudiantes, c’est une question de moyens. C’est une question de communication, une question de volonté politique. Il y a eu un début de volonté politique pour que cela change. Aujourd’hui, il y a une nouvelle direction. Pour l’instant, elle est mise entre parenthèses par la justice, nous verrons ce qu’il en adviendra en appel. En tout cas, il y a une réelle volonté étudiante de prendre en main la destinée de la mutuelle, afin que celle-ci soit gérée par les étudiants.

Mme Carine SEILER : J’ajouterai quelques éléments.

Une seule circonscription de vote sur la France, c’est la seule solution pour que les élections se déroulent de façon démocratique, pour qu’un adhérent à Rennes, à Marseille, à Lyon et à Paris ait le même poids. Ce choix a rencontré le consensus. Nous sommes donc favorables à une seule circonscription de vote.

Le vote par correspondance est, je pense, un bon système. Il doit être contrôlé. Rien n’est d’ailleurs contesté sur le déroulement des élections. C’est un système qui permet une participation car, dans les élections étudiantes, devoir se déplacer pour voter, cela signifie que tous les étudiants n’ont pas accès au vote. Nous pourrions développer cela assez longuement, parce que nous avons beaucoup réfléchi à cette question, mais la massification du monde étudiant conduit à ce que moins d’étudiants soient présents régulièrement sur les campus parce que beaucoup sont salariés, même si ce n’est pas forcément à plein temps ; les délocalisations universitaires se multiplient. Donc, le vote par correspondance, s’il est contrôlé, ne nous paraît pas en lui-même choquant.

M. le Rapporteur : L’objet de cette commission d’enquête n’est pas de faire écho à ce que fait la justice, mais de comprendre les fonctionnements. La question que je vous posais concernant le vote par correspondance n’était pas liée à ce que peut ou ne pas dire un tribunal, mais simplement au fait que lorsque nous avons examiné les procédures, des failles nous ont semblé susceptibles d’être utilisables.

Mme Carine SEILER : S’il y avait eu une condamnation de justice sur le déroulement des élections, il y aurait plus d’inquiétudes à avoir et la nécessité de modifier les modalités électorales. A mon sens, l’idée d’organiser ces élections sur ces deux principes ne me semble pas condamnable en soi. Il faut que les modalités de contrôle existent.

M. le Président : Laissez-nous vous remercier de cet entretien qui a été très fructueux pour notre commission. Si vous avez par ailleurs des propositions à formuler, adressez-les nous.

Audition de M. Michel ZORMAN, médecin conseiller du recteur de l’académie de Grenoble, directeur du centre de santé inter-universitaire des universités de Grenoble, président de l’Association
des médecins directeurs de médecine préventive

(procès-verbal de la séance du mardi 1er juin 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

M. Michel Zorman est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Zorman prête serment.

M. le Président : Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui M. Michel Zorman, médecin conseiller du recteur de l’académie de Grenoble, directeur du centre de santé inter-universitaire des universités de Grenoble.

Monsieur le directeur, je vous remercie de vous être rendu à notre invitation. La commission cherche à s’informer sur les problèmes sanitaires et sociaux des étudiants, sur les perspectives d’amélioration de la protection sociale et du fonctionnement des mutuelles étudiantes. La commission a souhaité aborder les problèmes de la médecine préventive en milieu étudiant et l’état sanitaire général de cette population. Nous avons entendu de nombreuses présentations très alarmistes sur l’état de santé des étudiants, nous attendons donc avec impatience votre point de vue.

Je vous propose, dans un exposé liminaire, de nous présenter vos fonctions et votre approche générale des problèmes qui nous préoccupent, puis nous vous poserons des questions.

M. Michel ZORMAN : Monsieur le président, médecin de santé publique, je suis le directeur du centre de santé inter-universitaire de Grenoble depuis 13 ans, conseiller du recteur et président de l’Association des médecins directeurs de médecine préventive.

En ce qui concerne la santé des étudiants, l’ensemble des médecins européens de santé publique ne relève aucun problème spécifique aux étudiants. Les étudiants connaissent les mêmes problèmes que tous les jeunes passant du monde de l’adolescent à celui de l’adulte ; ils sont confrontés à des problèmes d’ajustement entre leurs désirs, leur histoire et leur insertion dans la société, des problèmes affectifs, sexuels et de construction de leur comportement d’adulte. Il n’y a donc pas de pathologie spécifique aux étudiants. Je dirai même que ce sont, parmi les jeunes de cette tranche d’âge, ceux qui vont le mieux, et de très loin.

Et cela pour une raison très simple : ils sont ceux qui sont le mieux dotés sur le plan social, culturel et économique. Quel que soit l’indice – du taux de bronchite à celui du suicide – on s’aperçoit que les écarts sont importants entre les jeunes étudiants et les jeunes non étudiants. Prenons l’exemple de la tentative de suicide : 5 % des étudiants de 21 ans ont déjà fait une telle tentative, contre 17 ou 18 % pour les jeunes relevant des Missions locales en recherche d’emploi et 49 % pour les jeunes filles suivies par la Protection judiciaire pour la jeunesse. Les jeunes étudiants sont donc ceux qui présentent le moins de souffrance psychologique – et si je prends d’autres indices, tels que l’usage du préservatif, les résultats seront les mêmes.

Quatre-vingts pour cent des étudiants se sentent en très bonne santé. Lorsqu’on établit des indices de santé mentale standardisés, 15 à 20 % des étudiants présentent des problèmes. Il est évident que la variable la plus explicative de l’état de santé d’une population, c’est son capital culturel. Il n’y a donc rien d’extraordinaire à ce que la population étudiante soit celle qui se porte le mieux parmi l’ensemble des jeunes. Cela ne veut pas dire, pour autant, que tout va bien et qu’il n’y a aucun problème.

Les problèmes les plus courants sont ceux de tous les jeunes : l’anorexie mentale, les dépressions, le stress, les difficultés rencontrées dans la vie affective et sociale, les traumatologies du sport pour les garçons et les problèmes liés à l’entrée dans la vie sexuelle pour les jeunes filles. Cependant, parmi les jeunes, les étudiants sont ceux qui les prennent le mieux en charge, qui sont les mieux protégés et qui bénéficient du meilleur réseau social et de santé.

Il convient de ne pas avoir une vision paupériste. S’agissant de la sécurité sociale et de l’accès aux soins, nous avons mené une étude sur 1 200 étudiants afin de déterminer s’ils avaient les moyens de se soigner lorsque le médecin leur avait prescrit des examens ou des médicaments. Seuls 20 % des étudiants n’ont pas suivi les recommandations du médecin, dont 15 % pour des raisons financières. Parmi ces 15 %, 2 % des étudiants étaient dans une situation extrêmement précaire, les autres 13 % dans une situation financière tendue – leurs moyens étaient limités, et devant faire des choix, ils préféraient ne pas renoncer à leur mode de vie plutôt que de payer le ticket modérateur. Quoi qu’il en soit, l’accès aux soins n’est pas, pour eux, un problème.

En revanche, en ce qui concerne la santé mentale, le problème est différent. L’accès aux soins est plus difficile et le remboursement n’est pas assuré.

M. le Président : Monsieur le directeur je vous remercie de cet exposé à la fois clair et complet. Vos propos tranchent avec ceux des responsables étudiants, du monde universitaire et syndical qui se sont montrés beaucoup plus alarmistes sur la santé des étudiants.

Comment expliquez-vous cette divergence d’analyse entre ce constat qui nous a été présenté d’une dégradation de la santé des étudiants et les chiffres que vous nous avez cités ?

M. Michel ZORMAN : Cette distorsion est double. Il y a tout d’abord un élément historique. En 1945, 5 % d’une classe d’âge fréquentent l’université. La proximité culturelle et sociale des étudiants avec les enseignants est à son maximum. Aujourd’hui, près de la moitié d’une classe d’âge va à l’université, ce qui veut dire que l’ensemble des distinctions sociales et des problèmes sociaux y entre aussi.

Les enseignants, qui restent enfermés dans leur laboratoire, n’ont pas vu cette évolution. Il y a une modification de la stratification sociale et économique de ceux qui accèdent à l’université, ce qui fait apparaître d’autres problèmes. Encore une fois, je ne dis pas qu’il n’y a pas de problèmes. Certains étudiants vivent des situations extrêmement graves, mais ils sont moins nombreux que dans d’autres secteurs de la jeunesse.

Le second point est que vous avez entendu des professionnels centrés sur un sujet ; ils estiment qu’il n’est pas normal qu’un cinquième des étudiants présente des symptomatologies, des difficultés, des troubles du sommeil, de l’anorexie, etc. Ils ont raison, mais leur raisonnement ne tient pas compte de l’état de santé de l’ensemble de la population jeune.

Par ailleurs, un certain nombre de problèmes étaient, jusqu’à une période récente, totalement ignorés. Nous avons ouvert une consultation de sexologie, ce qui nous a permis de découvrir que deux tiers des étudiants ont vécu une situation d’inceste ou de viol dans leur enfance ! Mais ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est qu’ils l’expriment et que l’on puisse en parler. Tout cela revient jusqu’aux enseignants – afin qu’ils soient plus attentifs –, alors qu’avant de telles situations étaient masquées socialement.

M. le Président : Par rapport aux autres pays européens, existe-t-il des différences significatives ? Par ailleurs, s’agissant des étudiants étrangers en France, avez-vous des réflexions particulières à formuler sur tel ou tel aspect de santé publique ?

M. Michel ZORMAN : Les données épidémiologiques sur les questions les plus sensibles sont variables d’un pays à l’autre. Cependant, les éléments que nous possédons nous font penser qu’il n’y a pas de différence notables ; les problèmes des jeunes sont les mêmes d’un pays à l’autre. Bien entendu, les taux de fréquence – du suicide, des accidents – peuvent être différents, mais ils sont marginaux.

En ce qui concerne les étudiants étrangers, je les classerai en deux catégories. Premièrement, ceux qui viennent des pays développés, qui connaissent des difficultés d’insertion ou d’adaptation spécifique en fonction de la distance culturelle entre un Français, un Suédois, un Irlandais ou un Italien.

Deuxièmement, les étudiants hors Communauté européenne et hors pays développés, tels que les Asiatiques ou les Africains, ainsi que ceux du Moyen-Orient, sont dans des situations assez difficiles, voire très difficiles, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, ceux qui sont malades chez eux, atteints, par exemple, du paludisme, présentent, lorsqu’ils arrivent en France, des maladies de type tropical décompensées. Cependant, ils n’ont pas l’habitude de se soigner rapidement au moindre problème, ils ne le font
– comme d’ailleurs les personnes en grande précarité en France – que lorsqu’il n’y a plus d’alternative. Nous avons donc affaire à des états pathologiques plus graves et plus durs.

Ensuite, il existe des problèmes culturels et anthropologiques concernant les modes de communication. Je puis vous citer l’exemple de deux Chinois se plaignant de maux de ventre : le premier a eu une péritonite invasive et le second avait un cancer de l’estomac en phase définitive. Cela vaut également pour les étudiants africains.

A la demande du préfet et des présidents d’université, dans le cadre de l’obtention de la carte de séjour, nous assurons la visite médicale obligatoire. Après un examen complet, nous pouvons éventuellement faire des propositions aux étudiants et les orienter vers un lieu de confiance.

M. le Président : S’agissant du suivi médical des étudiants, des visites sont-elles obligatoires ?

M. Michel ZORMAN : Non, nous avons supprimé la visite médicale obligatoire et systématique. Depuis 10 ans, nous nous battons pour mettre en place quelque chose de très différent, c’est-à-dire une offre de prestations plus diversifiée pour répondre à tous les besoins des étudiants.

A la fin de la Seconde guerre mondiale, on pensait, par la visite obligatoire, protéger la population. Dans nos sociétés modernes, la médecine est non pas un devoir mais un droit – le contrôle, lui, est un devoir. Par exemple, nous n’avons pas effectué le dépistage HIV de façon systématique, dans la mesure où les personnes les plus exposées y échappent.

J’ajouterai que lors des visites obligatoires, l’étudiant montre ce qu’il veut bien montrer ; ce n’est pas en prenant sa fréquence cardiaque que nous saurons si l’adolescent connaît des problèmes d’homosexualité, d’anorexie ou de dépression. La réponse doit donc être apportée en termes d’offre ; il convient d’élargir l’éventail de l’offre – d’où l’ouverture d’une consultation de sexologie. Nous avons pu aborder le problème de l’homosexualité grâce à l’ouverture du centre de dépistage HIV, où les étudiants sont venus se confier.

A Grenoble, on compte 50 000 étudiants, l’accès de notre centre est libre, et nous voyons chaque année 11 000 étudiants différents et nous établissons 42 000 actes, sachant que d’autres étudiants vont consulter d’autres médecins. La plupart des étudiants qui viennent chez nous sont ceux qui n’habitent pas Grenoble et qui n’ont donc pas de réseau sanitaire – ils ont, en général, moins de moyens et sont issus du milieu ouvrier ou employé.

M. le Rapporteur : Monsieur le directeur, savez-vous si les autres universités ont fait les mêmes choix que vous ? Sinon, quels sont leurs arguments pour continuer les visites médicales systématiques ?

M. Michel ZORMAN : Le décret de 1987 prévoit une visite obligatoire la première année. Or toutes les études menées à ce sujet démontrent que la première année n’est pas plus difficile que l’année du DEA, par exemple. Chaque étudiant est différent. Selon ces études, 20 % des étudiants, dans chacune des années, présentent un certain nombre de problèmes.

Si nous avons renoncé à la visite obligatoire, nous avons instauré des visites systématiques mais ciblées – comme pour les étudiants étrangers au moment de l’obtention de la carte de séjour. Nous exigeons, par exemple, de suivre tous les étudiants de troisième cycle en science qui effectuent des manipulations biologiques, physiques, chimiques ou de radiation. Ce type de suivi n’existait pas en matière de médecine préventive, nous l’avons développé au cours de ces dix dernières années : tous les étudiants de troisième cycle en science ont maintenant un suivi de médecine du travail. En santé publique, la notion de systématicité peut donc avoir un sens à partir d’un risque spécifique.

En ce qui concerne les autres universités, la situation est variable. Certains services appliquent strictement la visite obligatoire prévue par le décret de 1987 – avec un taux de visite qui varie de 10 à 80 %. La moitié des services de santé universitaire sont dans une situation intermédiaire, qui va de l’élargissement de l’offre de santé au maintien des visites obligatoires assorties de quelques services supplémentaires.

Les modalités peuvent également varier, car certains services élargissent leurs offres de santé en association avec les mutuelles ou avec l’hôpital. Enfin, d’autres services ont remplacé la visite systématique par un entretien.

Il y a donc une situation contrastée qui, normalement, aurait dû se normaliser dans le cadre du plan étudiant ; de nouvelles missions ont été proposées dans lesquelles les présidents d’université et les médecins de médecine préventive s’engagent à suivre l’état sanitaire de la population – sans préciser la technique, puisqu’elle évolue sans cesse. En outre, les présidents et les services de médecine sont responsables du bon accès aux soins de tous les étudiants. Enfin, il est précisé qu’il est nécessaire de développer la promotion de la santé. Toutes ces propositions sont regroupées dans le plan social étudiant.

Cependant, la visite systématique au cours des deux premières années est maintenue, les syndicats craignant, si celle-ci disparaissait, de voir l’Etat abandonner tout effort dans le domaine de la santé.

M. le Rapporteur : Les services de médecine préventive universitaires sont concernés par l’accueil d’un certain nombre d’étudiants en difficulté qui, grâce à votre centre, ont accès aux soins et sont écoutés. Comment ces étudiants ont-ils connaissance du fait que des actions de santé publique sont menées et que des lieux d’accueil sont ouverts ?

Quelles sont les structures qui vous paraissent les plus adaptées pour informer les étudiants : les assistantes sociales, les mutuelles étudiantes, les CROUS ou le service de médecine universitaire lui-même ?

M. Michel ZORMAN : Je vous répondrai que toutes ces structures sont adaptées. Mais le meilleur vecteur pour faire passer l’information reste avant tout son voisin étudiant.

La préoccupation principale des jeunes de 20 à 25 ans n’est pas la santé - fort heureusement. Dans le cadre du programme quadriennal, nous souhaitons sensibiliser l’ensemble des personnes qui sont au contact des étudiants afin qu’il puisse les informer. Les pays anglo-saxons ont instauré le système du tutorat. Chaque enseignant a la responsabilité morale – il ne s’agit pas là d’enseignement – de s’occuper d’un certain nombre d’élèves qu’il doit voir, obligatoirement, une fois par trimestre ; une garde est instituée 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et un étudiant en difficulté peut à tout moment joindre le tuteur de garde. On considère que l’étudiant, qui n’est plus dans sa famille, doit être pris en charge par un adulte qui va lui permettre de passer du monde de l’adolescence à celui des adultes.

Nous souhaitons donc – nous sommes en pleine négociation – organiser deux demi-journées de sensibilisation des enseignants, afin de leur apprendre à repérer les étudiants en difficulté, à les aborder et à les orienter. Ces formations se feront par groupe de 25 enseignants et 5 étudiants.

Depuis quatre ans, nous travaillons avec des étudiants-relais volontaires dans les résidences universitaires. Avec une formation de 26 heures par an, nous apprenons à un certain nombre d’étudiants à développer le lien social, à être attentif, à informer les étudiants isolés présentant des difficultés. Nous travaillons également avec des associations de filières étudiantes et des associations culturelles. Comme vous le savez, les étudiants ne restent que peu de temps à l’université, il s’agit donc d’un gros investissement réalisé en faveur de personnes qui ne sont que de passage. C’est la raison pour laquelle il convient de former également les enseignants et le personnel administratif qui sont au contact des étudiants et qui sont donc susceptibles de les informer et les aider. Nous allons créer une cellule qui répondra en temps réel à tous les appels des enseignants et qui les aidera à développer leur relation avec les étudiants.

M. le Rapporteur : Par rapport à toutes ces actions, quelle est la place des mutuelles étudiantes ? Elles ont aujourd’hui deux rôles : un rôle de gestion du régime obligatoire – le régime obligatoire a des compétences en matière de prévention – et un rôle de mutualiste menant des actions de santé publique.

M. Michel ZORMAN : Ce que je fais dans mon centre est en fait très proche de ce que l’on faisait dans les années soixante-dix dans les centres de santé MNEF. Ensuite, les choses ont changé et pendant un certain nombre d’années ces centres d’accueil ont été totalement oubliés ; seuls comptaient la gestion de la sécurité sociale et l’aspect strictement assuranciel.

Après une longue bagarre entre les deux mutuelles pour " récupérer le client ", il y a eu une volonté – voilà 6 ou 7 ans – d’afficher des préoccupations de santé, qui s’est traduite par des campagnes et des diffusions de bulletins. Cependant, rien de concret n’a été réalisé dans les faits – les mutuelles ne sont, de toute façon, pas compétentes pour assurer une telle tâche.

Pour les étudiants en situation de précarité, nous avons négocié avec la MNEF, puisque l’on bénéficie d’un accès gratuit aux soins – nous payons le ticket modérateur – 25 paires de lunettes gratuites. Mais c’est tout ! Les mutuelles n’ont pas de politique de santé, elles affichent une offre dans laquelle elles identifient leur propre préoccupation et ne veulent pas s’associer pour traiter la demande. Elles s’appliquent à développer leur propre image plutôt qu’à résoudre un certain nombre de problèmes. Par exemple, il a fallu se battre, au moment de la vaccination contre l’hépatite B, pour que les mutuelles, qui ne payaient ni le médecin, ni l’infirmière, ni les soins, acceptent de payer les 39 F du vaccin.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué, dans votre propos liminaire, le problème de la prise en charge des soins liés à la santé mentale. Pouvez-vous développer ce point ?

M. Michel ZORMAN : Premièrement, si l’offre de soins, dans ce domaine, est importante en France, elle ne concerne que très peu d’étudiants, car elle n’est pas adaptée à eux. Les psychiatres, très sollicités par d’autres types de population, ne sont pas intéressés par les étudiants.

Deuxièmement, les mutuelles ne remboursent que dix séances, ce qui n’est pas suffisant pour résoudre tous les problèmes – même si, pour certains, cela peut suffire.

Nous avons la chance d’avoir un SMPU spécifique pour les étudiants. Avec la clinique Georges Dumas et un autre centre, nous avons monté une structure particulière pour les étudiants anorexiques, les psychiatres et les médecins de ville ne voulant pas s’en occuper – il s’agit d’une catégorie de malades qui n’est ni rentable ni intéressante.

M. Le Président : Concrètement, combien doit débourser un étudiant qui n’a pas de mutuelle ?

M. Michel ZORMAN : Seulement 6 % des étudiants qui présentent des troubles psychologiques vont consulter un spécialiste. En revanche, 26 % d’entre eux consultent un généraliste. Or la question qui se pose est celle de savoir comment, dans le cadre d’une consultation à 115 F, le médecin généraliste peut être amené à résoudre un tel problème. Dans le secteur libéral, l’étudiant paie le ticket modérateur, soit au minimum 50 F par séance chez un médecin conventionné qui ne pratique pas de dépassement d’honoraires.

M. le Président : Quelle est la situation des jeunes étudiantes déjà mères de famille ?

M. Michel ZORMAN : Il y en a très peu. Il revient aux enseignants et aux institutions de tenir compte de cette situation. Sinon, je ne vois pas de problèmes particuliers.

Le problème des étudiants qui sont obligés de travailler plus de 10 heures par semaine pour financer leurs études – c’est-à-dire 9 à 10 % des étudiants – est bien plus important. Les études menées à ce sujet démontrent clairement qu’ils ne sont pas en situation de réussir leurs études.

M. le Président : Y a-t-il une crèche dans l’université de Grenoble ?

M. Michel ZORMAN : Non. Il y en a suffisamment en ville.

M. le Président : Monsieur Zorman, je vous remercie infiniment.

Audition de M Jean-Michel GROSZ,

ancien président de l’association les Amis de la MNEF

(procès-verbal de la séance du 2 juin 1999)

Présidence de M. Philippe NAUCHE, rapporteur

puis de M. Alain TOURRET, président

M. Grosz est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Rapporteur, M. Grosz prête serment.

M. le Rapporteur : Notre commission a tenu à être éclairée sur les relations entre la MNEF et l’association les amis de la MNEF, dont vous étiez le président, ainsi que sur le rôle du comité consultatif dont vous avez été membre.

Après un court exposé liminaire, au cours duquel vous pourriez nous présenter cette association et votre approche du fonctionnement de la MNEF, nous vous demanderons de répondre à nos questions.

M. Jean-Michel GROSZ : L’association Les Amis de la MNEF est une association loi 1901 des plus classiques, possédant les statuts types d’une association loi 1901. Son but, comme la plupart des associations de ce type en milieu étudiant, consistait à maintenir les liens existant entre les acteurs des différentes époques du mouvement étudiant, à savoir principalement les anciens responsables de l’UNEF, de la MNEF qui a été créée en 1948 et ceux de la Fondation santé des étudiants de France. Ce sont les trois mouvements d’origine essentiels des acteurs du syndicalisme étudiant mais également des gestionnaires, pour ce qui concerne la MNEF et la Fondation santé des étudiants de France.

Je n’ai pas tous les éléments en mémoire, mais nous verrons, au cours de l’audition, que les choses étaient peut-être plus informelles que l’on peut le penser. Cette association a été créée en 1984. J’étais à l’époque président de la MNEF, puisque j’ai exercé les fonctions de président de la MNEF de 1979 à 1985. Cela fait donc quatorze ans, ce qui explique certains oublis ou certains trous de mémoire.

L’association a donc été créée en 1984. Son président était à l’époque M. James Marangé auquel j’ai succédé après son décès survenu en 1986 ou 1987. J’ai exercé les fonctions de président de l’association jusqu’à sa dissolution. Celle-ci a semblé inéluctable aux principaux animateurs de l’association, dont moi-même, au moment où une campagne médiatique l’a mise en cause comme étant responsable de je ne sais quelle transgression au niveau des prises de décision au sein du conseil d’administration et de l’assemblée générale de la MNEF.

M. le Rapporteur : Le conseil d’administration de la MNEF tel que vous l’avez connu lorsque vous en étiez président, puis lorsque vous avez été responsable de l’association les amis de la MNEF, vous paraissait-il en mesure d’exercer réellement ses prérogatives et de faire prévaloir les intérêts des étudiants ? Le conseil d’administration était-il une instance délibérante parfaitement informée et autonome ou ressemblait-il plutôt à une chambre d’enregistrement de décisions prises ailleurs, en particulier, par le directeur général qui, peut-être, ne lui donnait pas toutes les informations nécessaires ?

M. Jean-Michel GROSZ : Il faut replacer les faits dans leur contexte. La période où j’exerçais les fonctions de président de la MNEF était sensiblement différente de celle que nous vivons aujourd’hui : les pouvoirs publics, toutes tendances confondues, ainsi que notre principale tutelle administrative, la CNAM, ne faisaient pas confiance à la gestion étudiante. Ils n’avaient de cesse que le conseil d’administration de la MNEF, son bureau et son président, nomment une direction générale qui soit une direction gestionnaire. Il était reproché aux étudiants, et cela durait depuis la fondation de la MNEF, de ne pas être capables de transposer les principes qui avaient permis à la mutualité de fonctionnaires d’exister en tant que telle et en tant que régime dérogatoire. Les fonctionnaires, disait-on, grâce aux possibilités de mise à disposition leur permettant d’exercer à temps plein un mandat de gestionnaire de mutuelle, pouvaient être véritablement des mutualistes et des gestionnaires de leur régime de sécurité sociale ; en revanche, les étudiants, qui avaient bénéficié d’un régime autonome, en raison des circonstances politiques de l’époque liées à la volonté de l’UNEF auréolée de son prestige de résistant après-guerre, n’étaient pas faits pour cela. En clair, ils pouvaient peut-être accompagner la gestion de la sécurité sociale et bénéficier d’un régime dérogatoire spécifique, mais ce décalquage du régime étudiant sur le régime des fonctionnaires, créé quelque trois ans auparavant, avec une mutuelle à laquelle la gestion était déléguée n’était pas bon.

En définitive, les pouvoirs publics n’avaient de cesse de demander des gages au bureau étudiant et au conseil d’administration, les estimant incapables de gérer convenablement, et en voyant la preuve dans l’accumulation de déficits constatée. Lorsque je suis arrivé à la présidence de la MNEF en 1979, il devait y avoir 100 millions de francs de déficit cumulés, ce qui, à l’époque, représentait une somme considérable. Ce déficit nous livrait en tant que gestionnaires étudiants pieds et poings liés aux pouvoirs publics et à CNAM puisque, pour parler clair, la MNEF était en situation de faillite. Elle n’avait pas la possibilité de boucler ses budgets et son fonctionnement quotidien.

Pour vous donner un exemple, l’une des pressions exercées par les pouvoirs publics lorsque je suis arrivé, a été de m’obliger à dénoncer la convention collective, jugée inadéquate, du personnel de la MNEF, soit près de 550 personnes salariées à l’époque. Il y avait là matière à discussion, et nous l’avons engagée, mais nous avons été obligés de dénoncer une part importante des avantages de la convention collective.

Nous n’avions pas le choix, la pression était totale. En fin d’année, les remises de gestion étaient bien évidemment négociées avec les pouvoirs publics et la CNAM – il s’agissait d’une négociation en binôme tout à fait particulière – et si nous n’avions pas les remises de gestion, nous étions en situation de faillite. Or, il était clair qu’aux yeux des pouvoirs publics et de la CNAM, cette situation de faillite aboutirait à une intégration du régime étudiant dans le régime général ; de fait, cela aurait conduit à une disparition, de la mutualité étudiante telle qu’elle existait au travers de la MNEF, et d’autres mutuelles créées entre-temps, que nous appelions à l’époque les " mutuelles régionales " parce qu’elles ne se présentaient pas sous forme de mutuelle nationale, mais de regroupements régionaux.

La création de l’association les Amis de la MNEF, qui est – en fait – la prolongation du comité consultatif dont vous m’avez parlé tout à l’heure, est une volonté des pouvoirs publics de l’époque. C’était une demande expresse du ministre des affaires sociales, qui voulait aux côtés des étudiants des personnes, qui ne seraient pas des étudiants, pour gérer. Il ne s’agissait pas de critiquer les options qui étaient les nôtres mais dans la mesure où, en termes budgétaires et d’équilibre de gestion, nous étions en déficit permanent, il fallait nous installer des " garde-fous ". L’idée de créer un comité consultatif ou une association de ce type semblait bonne, à condition que cette association ne soit pas là simplement pour faire de la figuration, mais ait un véritable pouvoir.

Le résultat de ces négociations a été la création de l’association. Celle-ci, autonome dans ses choix de recrutement – c’était une évidence pour une association loi 1901 – allait proposer au conseil d’administration de la MNEF et à son assemblée générale, seule souveraine en la matière, des personnalités qualifiées pour participer au conseil d’administration et servir de guide afin d’assurer une gestion plus académique, si je puis dire, du moins plus cohérente avec ce que les pouvoirs publics voulaient.

Vous comprenez bien qu’il y a eu, ces derniers temps, un complet renversement de situation : si j’ai bien lu la presse, on reproche à la MNEF de s’être éloignée de ses principes initiaux et des affaires étudiantes, en nommant, au nom du principe de bonne gestion, des personnes qui ne s’occupaient plus que de bonne gestion. Pour nous c’était l’inverse : on nous reprochait de ne pas avoir une gestion suffisamment bonne et l’on nous obligeait à nommer des gens pour régler les problèmes administratifs pendant que l’on nous laissait nous occuper du mouvement étudiant.

M. le Rapporteur : Le rapport de la Cour des comptes, dans ses observations, fait mention du contrat de travail de l’ancien directeur général de la MNEF. Ce dernier comportait un certain nombre de clauses – comme une clause de conscience ou encore la possibilité d’avoir des activités extérieures sans contrôle de la part du conseil d’administration – mais faisait surtout état du fait que le conseil d’administration de la mutuelle ne pouvait pas décider de son licenciement sans l’accord de l’association Les Amis de la MNEF. La Cour des comptes mettait donc en cause le fonctionnement du conseil d’administration et le rôle que pouvait y tenir une association qualifiée de parallèle.

M. Jean-Michel GROSZ : Je n’ai jamais été auditionné par la Cour des comptes sur ce rapport, dont je n’ai d’ailleurs pas été destinataire. Je ne l’ai pas lu, autrement que par voie de presse.

L’association, quant à elle, n’a jamais pris la moindre disposition pour servir de quoi que ce soit à qui que ce soit. Ses statuts, je le répète, sont des statuts types d’association loi 1901.

Si le directeur général, par le biais du conseil d’administration de la MNEF, a fait voter une disposition qui inclut l’association Les Amis de la MNEF, c’est le problème du conseil d’administration de la MNEF et du directeur général. En ce qui concerne les Amis de la MNEF, nous n’avons jamais été au courant de cette affaire et nous n’avons d’ailleurs jamais eu à la traiter, d’une quelconque façon.

M. le Rapporteur : D’après ce que vous avez pu en voir, le fonctionnement des instances de la MNEF et le fait que, pendant de nombreuses années, une seule structure syndicale, d’ailleurs subventionnée par la MNEF, ait eu le pouvoir – puisque l’on parle du pouvoir relatif du conseil d’administration – vous paraissent-ils correspondre réellement à un fonctionnement démocratique et à l’esprit mutualiste ?

M. Jean-Michel GROSZ : Je ne comprends pas votre question.

M. le Rapporteur : La présidente d’un autre syndicat que l’UNEF-ID, pour être clairs, celle de l’UNEF-SE, avant qu’il y ait le rapprochement ces jours-ci, nous a dit que pendant des années on avait empêché son syndicat de siéger au conseil d’administration de la MNEF.

M. Jean-Michel GROSZ : Je ne peux pas parler en tant que président de l’association " les amis de la MNEF ", mais en tant qu’ancien président de la MNEF. L’association n’avait rien à voir avec le processus électoral.

En ce qui concerne la MNEF, des élections étaient organisées. Celles-ci étaient fondées sur des statuts parfaitement en règle. Le résultat des élections était ce qu’il était ; certains étaient contents, d’autres moins.

J’ai siégé durant cinq ou sept années au conseil d’administration de la FNMF où je voyais le fonctionnement du mouvement mutualiste en général. Celui-ci est soumis au même type de règles. Dans certaines structures, des organisations syndicales sont dominantes et ce sont elles qui se trouvent avoir de l’influence, et pas davantage, peut-être, mais dominantes dans leur branche.

A cet égard, l’exemple des enseignants était très clair ; il existait, à l’époque, je ne sais ce qu’il en est aujourd’hui, peu de mutuelles enseignantes où la tendance majoritaire de la fédération de l’éducation nationale n’était pas très largement représentée, voire en situation totalement hégémonique.

C’est le mode de fonctionnement des mutuelles. Il s’agit d’un mode de fonctionnement gestionnaire qui ne prête pas tellement à polémique une fois les élections terminées.

M. Robert PANDRAUD : Vous êtes la mémoire de la MNEF. Pourriez-vous, pour que nous voyions mieux quelles ont été vos responsabilités diverses, nous rappeler la chronologie de vos différentes fonctions ?

M. Jean-Michel GROSZ : J’ai été vice-président de 1976 à 1979, puis, président de 1979 à 1985. Durant cette période, j’ai également été président ou vice-président d’une série d’associations. J’étais notamment membre du conseil d’administration de la Mutualité française.

M. Robert PANDRAUD : Et président les Amis de la MNEF ?

M. Jean-Michel GROSZ : J’ai pris la présidence au moment du décès de M. Marangé.

M. Marangé a été secrétaire général de la Fédération de l’éducation nationale durant les événements de 1968. C’est lui qui avait eu l’idée, au cours d’une négociation – encore une fois, ce terme de négociation n’est pas tout à fait le bon – avec M. Bérégovoy, ministre des affaires sociales, de créer une association Les Amis de la MNEF, tout comme il existait depuis longtemps déjà une association des Amis de l’UNEF. De façon identique, cette association a été créée, sachant que le comité consultatif ne présentait pas aux yeux des pouvoirs publics de garanties suffisantes pour l’efficience d’une bonne gestion.

M. Robert PANDRAUD : Etiez-vous bénévole ou salarié ?

M. Jean-Michel GROSZ : Ni bénévole, ni salarié, j’étais indemnisé. Nous avions un statut un peu particulier qui avait fait l’objet de nombreuses polémiques, notamment avec la Cour des comptes. Le code de la mutualité disposait que le président, le trésorier et un des vice-présidents ou le secrétaire général avaient le droit, après accord de l’assemblée générale, d’être indemnisés sur la base d’un forfait x qui correspondait à une indemnité mensuelle de l’ordre de 5 000 ou 6 000 francs en 1979. Nous avons généralisé cette indemnité à tous les membres du bureau.

M. Robert PANDRAUD : Pour quelle raison, par rapport au salariat ?

M. Jean-Michel GROSZ : Nous n’avions pas droit au salariat parce que le système de la mutualité est calqué sur celui des fonctionnaires.

M. Robert PANDRAUD : Cela vous permettait-il de cumuler cette indemnité avec un autre traitement ?

M. Jean-Michel GROSZ : En théorie, oui. Mais ce n’était pas le cas puisque nous étions étudiants. En théorie, rien ne devait s’y opposer. Dans les faits, le cas ne s’est jamais posé.

Le problème était celui des fonctionnaires mis à disposition à l’intérieur de leur mutuelle et qui avaient donc la possibilité d’exercer leur fonction de gestion à plein temps, parce que détachés. Il n’existait rien pour les étudiants.

M. Robert PANDRAUD : Les fonctionnaires, en plus de leur traitement, percevaient une indemnité.

M. Jean-Michel GROSZ : Absolument. Cela pouvait arriver. A ma connaissance, ce régime existe toujours chez les fonctionnaires. Chez les étudiants, cela avait pris des proportions un peu particulières.

M. Robert PANDRAUD : Pour les fonctionnaires, c’est un régime très privilégié, car ils sont détachés et mis à disposition. Ils concourent donc à l’avancement et peuvent bénéficier éventuellement d’une indemnité.

M. Jean-Michel GROSZ : L’indemnité n’était pas obligatoire. En fait, je préfère ne pas continuer sur cette question, parce que je parle sans savoir, mais il est certain que le régime étudiant, calqué sur le régime des fonctionnaires, ne pouvait pas vivre en tant que tel avec de véritables gestionnaires, qui étaient obligés de faire cela à temps plein sans un système indemnitaire. Ce système n’existait que marginalement puisqu’il était réservé au président, au trésorier et au secrétaire général.

La Cour des comptes avait pris la mouche dans cette affaire en disant que, de fait, il s’agissait d’un salariat déguisé. C’était le point nodal de l’affaire qui s’était terminée devant la commission de discipline de la Cour des comptes où nous avions obtenu un non-lieu. Le magistrat s’était rendu compte du problème bien spécifique du régime étudiant, mais il y avait eu une montée d’adrénaline autour de cette dizaine de postes, qui étaient de fait rémunérés, sans en avoir par ailleurs les avantages puisque nous ne cotisions à aucun régime social et que nous touchions tous les mois une indemnité qui valait salaire, laquelle était d’ailleurs déclarée. Je tiens à le préciser parce que cela donne l’état d’esprit qui était le nôtre à l’époque. Nous avions d’ailleurs à ce sujet une lettre du ministre du budget, alors M. Laurent Fabius, qui considérait qu’effectivement, l’indemnité devait être déclarée et assimilée à un salaire. Nous déclarions donc cette indemnité et bénéficiions de l’abattement de 10 et 20 %, mais nous n’étions pas soumis à cotisations sociales.

M. Robert PANDRAUD : Je vais être encore plus indiscret, mais vous nous avez dit, si ma mémoire est bonne, que vous ne connaissiez le dernier rapport de la Cour des comptes que par la presse. Compte tenu des responsabilités diverses que vous avez occupées, vous n’êtes pas d’un tempérament curieux. Ce rapport a été public et traitait d’un secteur dans lequel vous avez passé plusieurs années de votre vie. Cela ne vous a-t-il pas intrigué de savoir ce que pouvait penser la Cour des comptes ?

M. Jean-Michel GROSZ : Je vous répondrai très simplement. Je me suis adressé à plusieurs reprises aux personnes susceptibles de me fournir ce rapport, je ne parle pas du rapport public de fin d’année mais de ce rapport spécifique concernant la mutuelle, mais je n’ai pas obtenu satisfaction. Je ne l’ai donc pas lu.

M. Robert PANDRAUD : Actuellement, quelle est votre fonction ?

M. Jean-Michel GROSZ : Je suis administrateur civil au ministère de l’Intérieur et je suis en position de disponibilité pour convenance personnelle. Je n’exerce pas de métier salarié.

M. Robert PANDRAUD : Vous avez été reçu normalement au concours ?

M. Jean-Michel GROSZ : J’ai été reçu au concours de l’ENA en 1984 ou 1985, sur la base du troisième concours. C’était la troisième session du troisième concours. J’ai un DESS de sciences économiques et, par ailleurs, une licence d’histoire et de philosophie. Je n’étais pas du tout prédestiné à tenter ce concours. Pour la petite histoire et puisque nous parlions de lui tout à l’heure, c’est M. Marangé qui m’a incité à le passer. J’en suis sorti trois ans plus tard, pour choisir le ministère de l’Intérieur en 1987.

M. le Président : Un choix qui plaira à M. Pandraud.

M. Robert Pandraud : C’est un choix que je connais. Mais, ministre à l’époque, j’étais suffisamment libéral pour ne lui avoir posé aucune question sur ses fonctions antérieures … Je crois que vous pouvez l’attester.

M. Jean-Michel GROSZ : Je l’atteste et peux même préciser que cela n’a pas toujours été le cas par la suite.

M. le Président : Qui était le directeur général de la MNEF lorsque vous y aviez des responsabilités ?

M. Jean-Michel GROSZ : M. Montagner ?

M. le Président : Aviez-vous contribué à son recrutement ?

M. Jean-Michel GROSZ : Non, il était directeur général en poste lorsque je suis arrivé et a démissionné trois ou quatre ans après mon arrivée. Il a été remplacé par M. Olivier Spithakis.

M. le Président : C’est donc vous qui avez embauché M. Spithakis ?

M. Jean-Michel GROSZ : En quelque sorte, oui.

M. le Président : Comment s’est faite la négociation avec lui sur son contrat et ses activités ? Est-ce vous qui avez négocié directement ?

M. Jean-Michel GROSZ : Non, c’est le conseil d’administration parce que celui-ci avait à en connaître mais, de fait, c’est le bureau national qui s’en est chargé. C’était un contrat tout ce qu’il y a de plus classique ; nous avons repris les termes du contrat de M. Montagner, et les avons appliqués à M. Spithakis sans aucun changement.

M. le Président : Par la suite, le contrat de M. Spithakis a été modifié. En particulier, il a été introduit une clause dite de conscience, c’est-à-dire la possibilité d’invoquer telle ou telle circonstance extérieure qui fait que la rupture du contrat ne vous est pas imputable en cas de démission, mais imputable de plein droit à l’employeur, ce qui permet d’obtenir des indemnités particulièrement importantes. Auriez-vous accepté une telle clause lorsque vous avez été amené à discuter du contrat de M. Spithakis ?

M. Jean-Michel GROSZ : Le contexte n’avait strictement rien à voir, je m’en suis expliqué, monsieur le président, avant que vous n’arriviez ; le contexte était presque même sensiblement à l’inverse, les pouvoirs publics de l’époque nous demandaient de bien vouloir mettre en place des garde-fous administratifs suffisamment solides pour assurer à la MNEF une gestion correcte. Le mot gestion était le seul qui était employé par les pouvoirs publics d’une part et la caisse d’assurance maladie d’autre part.

La situation était très différente de ce qu’elle était il y a peu. Nous réclamions une gestion étudiante forte et les pouvoirs publics demandaient une gestion étudiante extrêmement restreinte. Aujourd’hui, il me semble que ce qui ressort des éléments médiatiques, je ne peux m’appuyer que sur eux, est que le pouvoir administratif, le pouvoir gestionnaire est trop fort, que la dérive de la MNEF vers le tout gestion est inadmissible et qu’elle a perdu ses principes mutualistes. C’est tout le contraire de ce que l’on nous disait. On nous opposait le fait qu’au nom du principe mutualiste, c’était la gabegie en termes de gestion.

M. le Président : M. Spithakis vous avait-il été conseillé par l’administration ? Quel a été le mode de recrutement ?

M. Jean-Michel GROSZ : L’administration, par la voix de M. Jean-Charles Naouri, qui était à l’époque directeur du cabinet de Pierre Bérégovoy, a souhaité mettre en place un directeur général qui soit un membre de l’administration, un membre de l’IGAS, me semble-t-il – ne retenez pas cela comme étant certain – nous nous y sommes opposés – je dis nous parce qu’il y avait une gestion collégiale du bureau et du conseil d’administration – parce que nous avons considéré que c’était mettre le doigt dans un processus qui conduisait à la fin du régime étudiant de sécurité sociale. A tort ou à raison, nous avons considéré qu’à partir du moment où nous déférions à ce type de mises en demeure et que le directeur général était directement issu de la tutelle qui dispensait, chaque fin d’année, la manne qui nous permettait de survivre, le régime étudiant n’existait plus et ce n’était pas la peine de continuer à jouer les faux-semblants.

Nous avons eu une série de réunions, y compris avec le ministre de l’époque, et avons indiqué que nous remettrions collégialement notre démission parce qu’une telle décision conduisait à la fin de la mutuelle.

La solution de substitution avancée a été que le bureau national et le conseil d’administration fassent une proposition à la tutelle qui soit acceptable par elle. Nous avons proposé la nomination de M. Spithakis, qui avait été mon trésorier à partir de 1979. Nous l’avons proposé sur ses qualités juridiques et gestionnaire, qui se sont révélées, au moins pour ce qui est de ses qualités de gestionnaires, plus qu’exactes, si j’en juge d’après ce que j’en lis. M. Spithakis a donc été nommé avec l’aval complet de la tutelle de l’époque, c’est-à-dire du ministère des affaires sociales.

M. le Président : Une forme d’agrément ?

M. Jean-Michel GROSZ : Tout à fait. Je rappelais tout à l’heure que la MNEF enregistrait un déficit de 100 millions de francs et que nous ne disposions pas de la moindre marge de manœuvre face à une pression forte des pouvoirs publics.

M. le Président : Donc, si de plein droit un agrément devait être sollicité pour la nomination du directeur général auprès de la tutelle, cela ne vous choquerait pas puisque c’est ce qui s’est passé en fait ?

M. Jean-Michel GROSZ : Il est tout à fait différent d’avoir la possibilité de faire une proposition, qui est ensuite acceptée, que de devoir déférer à un ordre qui viendrait parce qu’obligatoire.

M. le Président : Ce n’est pas ce que je disais, il s’agissait plutôt de formaliser l’agrément.

M. Jean-Michel GROSZ : A l’époque, nous ne l’aurions probablement pas accepté. O tempora ! o mores ! Nous raisonnions différemment. Aujourd’hui, je n’ai pas la moindre idée du bien-fondé ou non d’une telle mesure.

M. le Président : Il n’y a donc pas eu d’appel à candidature au niveau national avec une dizaine de candidats ? Il y a eu un seul candidat, sur lequel vous vous êtes mis d’accord parce que vous le connaissiez bien et qu’il avait toute votre confiance et était de l’intérieur, qui a eu l’agrément du ministère ?

M. Jean-Michel GROSZ : Cela ne s’est pas passé tout à fait ainsi. Le candidat proposé, sans appel d’offre, par M. Naouri, était un candidat fonctionnaire. Ce n’était en aucune façon M. Spithakis.

Ensuite, effectivement, le climat n’était plus à se réunir sereinement autour d’une table et à définir ensemble le profil idéal du directeur général. A partir du moment où nous avions abouti à faire au ministre une proposition de démission collective, donc de fin du régime étudiant de sécurité sociale... pour ce qui concernait la MNEF, puisque, par ailleurs, il existait des mutuelles régionales qui n’étaient pas touchées par ce problème. Nous ne raisonnions pas en essayant de déterminer le profil idéal du directeur général, car nous avions l’impression que la survie de la MNEF était en jeu, dans la mesure où nous ressentions une forte volonté d’intégration de la MNEF au régime général de la part des pouvoirs publics.

M. le Président : Admettiez-vous un droit de regard de la tutelle ? Il s’agit d’argent public.

M. Jean-Michel GROSZ : Oui, cela me paraît sain. Mais c’est un débat global. Je ne vois pas pourquoi il faudrait dissocier la mutualité étudiante ou la MNEF de la mutualité en règle générale, c’est-à-dire, par exemple, de la mutualité de la fonction publique, que je connais un peu mieux désormais. Le système est le même.

Au nom de quoi ? On le sait très bien, au nom des principes qui ont prévalu à la Libération et qui étaient d’ailleurs in fine prévus dans le programme du Conseil national de la résistance. Ce n’était pas rien. Cela avait été discuté pendant la guerre. Mais on vit encore en France, à l’aube de l’an 2000 sur la base d’idéaux qui étaient tout à fait différents. C’est un débat de fond : le régime dérogatoire des cheminots, en termes mutualistes, est-il toujours à l’ordre du jour ? Et celui de La Poste ? Est-il normal qu’existe un régime dérogatoire ? Comment est-il contrôlé ?

On peut se poser la question pour le régime étudiant, mais, vous savez, même lorsqu’il était structurellement déficitaire, ce régime ne coûte pas cher à la collectivité. Il ne faut pas confondre les sommes en jeu en la matière. Les étudiants, heureusement pour eux, sont peu malades.

M. le Rapporteur : M. Spithakis, lorsque nous l’avons auditionné, nous a expliqué que le comité consultatif de la MNEF était un instrument de lobbying. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Michel GROSZ : Je ne vois pas en quoi le comité consultatif de la MNEF peut faire du lobbying. Auprès de qui ?

M. le Rapporteur : Cela a été l’expression de M. Spithakis.

M. Jean-Michel GROSZ : Je ne vois pas en quoi la MNEF peut faire du lobbying, je ne comprends pas bien ce que cela veut dire. Mais il a probablement ajouté autre chose.

M. Robert PANDRAUD : Je pense qu’il voulait dire que c’était un organisme qui faisait des relations publiques ou politiques à l’extérieur. Compte tenu de la composition, cela me paraît incontestable.

M. Jean-Michel GROSZ : C’est très clair.

M. Robert PANDRAUD : Je ne suis pas sûr que le terme de lobbying ait été bien choisi, mais Mme Devaux est-elle toujours présidente de ce comité consultatif ?

M. Jean-Michel GROSZ : Le comité consultatif n’existe plus. Il a été remplacé par l’association Les Amis de la MNEF. Mais Mme Devaux est en effet restée présidente très longtemps.

M. Robert PANDRAUD : Elle ne devait plus être très jeune. Il me semble qu’elle avait été rapporteur au conseil de la République, de la loi qui a porté la MNEF sur les fonds baptismaux.

M. Jean-Michel GROSZ : Je ne sais pas si M. Spithakis voyait Mme Devaux comme un élément moteur du lobbying mutualiste étudiant...

M. Robert PANDRAUD : Elle avait été élue pour la première fois conseiller de la République du département de la Seine sous l’étiquette PRL !

M. le Rapporteur :Avez-vous eu, à titre personnel, des responsabilités dans les filiales de la MNEF ou dans les mutuelles dites " sœurs ", comme la MIF, la MIG, la MUL ou l’UTMP ?

M. Jean-Michel GROSZ : Dans une seule, en fait, car j’ai été à l’origine de la création de la MIF.

Nous nous sommes rendu compte, dans un bel élan d’unanimité qui était malheureusement rare dans le monde mutualiste étudiant – mutuelles régionales et MNEF confondues – que nous n’étions pas concurrents les uns des autres, ou du moins que notre principale concurrent était plutôt la mutualité de la fonction publique. En effet, celle-ci engageait des campagnes de " rétention " de leurs ayants droit, tout simplement en faisant en sorte que les enfants étudiants de leurs bénéficiaires restent affiliés aux mutuelles parentales jusqu’à 26 ou 27 ans, couvrant donc largement la période de leurs études universitaires.

Le véritable adversaire était les mutuelles de la fonction publique. Ce qui ne nous empêchait pas d’entretenir des relations cordiales au sein de la FNMF, mais les mutuelles sont aussi des entreprises d’économie sociale certes, mais des entreprises tout de même. Nous étions impuissants.

M. Robert PANDRAUD : La MGEN n’a toujours pas vu cela ?

M. Jean-Michel GROSZ : Bien sûr. C’était vrai pour la MGPTT, pour la MGEN, etc. C’est assez paradoxal parce que ces mutuelles étaient celles qui, au sein du mouvement mutualiste, soutenaient la MNEF depuis très longtemps – lorsque celle-ci rencontrait des problèmes de gestion importants, elles étaient les premières à essayer de l’aider – et, en même temps, il y avait derrière quelques sous-entendus économiques bien pensés, qui permettaient de rapporter de l’argent. Bref, charité bien ordonnée, en la matière !

Pour montrer que nous n’étions pas complètement dupes, nous avons eu l’idée de créer une mutuelle proche de la MNEF, dont le champ d’intervention était largement autre que le seul monde étudiant. Elle s’appelait la mutuelle interprofessionnelle de France (MIF), son nom dit bien ce qu’elle était. Elle était destinée à intervenir, d’une manière très modeste, parce que le régime fonctionnaire est un régime qui travaille en vase clos. C’est un système quasiment imperméable à l’extérieur, mais cela permettait d’expliquer à la mutualité de la fonction publique que nous n’étions pas totalement dupes et cela les a suffisamment gênés pour qu’il y ait des séances animées, dont je me souviens encore, dans le bureau de René Teulade lorsqu’il était président de la Mutualité française.

M. Robert PANDRAUD : Cet aspect concurrentiel des mutuelles dont on peut très bien comprendre la motivation justifie la politique de la Commission européenne en la matière. Puisque vous vous mettez vous-mêmes dans un monde concurrentiel, pourquoi ne pas aller au-delà ?

M. le Président : Je vous remercie pour votre exposé et vos explications qui nous seront fort utiles dans le cadre de nos propres réflexions.

Audition de Mme Corine MAILLARD,
commissaire aux comptes de la MNEF

(procès verbal de la séance du 2 juin 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

Mme Maillard est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête parlementaire lui ont été communiquées. A l’invitation du président, Mme Maillard prête serment.

M. le Président : Madame, notre commission a souhaité vous entendre afin de comprendre comment l’opacité des comptes de la MNEF a pu perdurer si longtemps, si opacité il y a, et comprendre également comment des engagements qui ne sont pas forcément dans l’esprit de la mutualité ont pu être entérinés par les instances de la mutuelle.

Je vous donne la parole pour un exposé liminaire au cours duquel vous pourrez présenter votre position sur la question. Nous aurons ensuite un échange.

Mme Corine MAILLARD : J’exerce mon activité de commissaire aux comptes à Marseille. J’ai été nommée commissaire aux comptes de la MNEF en 1993. Mon activité couvrait donc des exercices qui ne s’entendent pas en année civile mais à cheval, avec clôture au 30 septembre – par exemple, pour l’exercice 1993-1994, la clôture était au 30 septembre 1994 – pour six ans, qui est la durée légale de la mission d’un commissaire aux comptes.

Je suis diplômée depuis 1986. Pour ce qui est de mon diplôme d’expertise comptable, j’ai prêté serment près de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en 1988. Je me suis donc installée en tant qu’expert-comptable, commissaire aux comptes à la suite de mes examens.

Le cabinet auquel j’appartiens se répartit entre trois types d’activités assez classiques. Le premier type d’activité est la tenue de comptabilité, c’est-à-dire que nous réalisons la tenue de comptabilité pour des petits commerçants, des artisans, des petites entreprises. Le deuxième est la révision de comptes, c’est-à-dire que nous intervenons plus particulièrement dans des PME ou des associations de taille plus importante qui ont une structure comptable. Le troisième est le commissariat aux comptes. La MNEF entre dans cette activité.

Le chiffre d’affaires du cabinet est d’environ 3 millions de francs hors taxes en année civile et nous sommes neuf personnes salariées.

Pour ce qui est de la MNEF, de façon générale, j’intervenais avec un stagiaire expert-comptable et un chef de mission lui-même expert-comptable. Nous étions relativement souvent trois personnes à intervenir au sein de la MNEF, pour une mission assez classique de commissariat aux comptes.

J’intervenais dans le cadre légal d’une mission de commissariat aux comptes. Le législateur a réglementé notre profession par la loi du 24 juillet 1966. Ma mission auprès de la MNEF entrait plus directement dans le régime des sociétés commerciales. Le code de la mutualité a prévu dans son article 125 la nomination d’un commissaire aux comptes, avec un renvoi à la loi de juillet 1966 quant à la façon dont nous exerçons notre profession.

Nous avons deux types de missions pour ce qui concerne une mutuelle.

La première est une mission générale, c’est-à-dire que nous devons donner notre opinion sur les comptes qui nous sont présentés par les organismes que nous contrôlons. Par cet audit, nous sommes donc amenés à certifier les comptes qui nous sont présentés. Dans ce cadre, nous avons trois possibilités : nous certifions les comptes sans réserves, ces comptes sont présentés en assemblée générale ; nous certifions les comptes avec des réserves que nous exprimons lors de l’assemblée générale ; nous avons la possibilité, si nécessaire, de refuser les comptes qui nous sont présentés.

Ces possibilités doivent être exprimées dans un rapport. Nous rendons compte de notre rapport en assemblée générale. C’est ce qui s’est toujours passé au sein de la mutuelle. C’est le volet " mission générale " de notre profession.

La deuxième partie de notre rapport porte sur les vérifications spécifiques, c’est-à-dire que nous sommes amenés à faire état de toutes les infractions par rapport au code de la mutualité, plus particulièrement par rapport aux dispositions financières du code de la mutualité.

La troisième partie porte sur les missions connexes, qui regroupent la révélation des faits délictueux et la procédure d’alerte. Si nous n’avons pas trop de temps, je ne vais pas m’étendre sur le sujet.

M. le Président : Les exposés théoriques, a priori, nous les connaissons.

Mme Corine MAILLARD : Pour ce qui est de la MNEF, je vous propose de rappeler brièvement les conclusions que j’ai pu apporter sur les six derniers exercices de ma mission, sans vous lire le rapport parce que ce serait beaucoup trop long. Comme vous le savez, notre rapport est normé, y compris l’expression de notre opinion, qui nous est imposée par la Compagnie des commissaires aux comptes.

Je vous livre simplement le développement qui porte sur des points bien précis et techniques concernant la mutuelle.

Pour ce qui est des comptes au 30 septembre 1993, j’avais apporté une réserve qui consistait à demander à la mutuelle de faire figurer en actifs immobilisés les comptes courants Immocampus pour les faire figurer dans les participations financières de la MNEF. Jusqu’alors, ces comptes courants qui s’élevaient au 30 septembre 1993 à 9,29 millions de francs figuraient dans des rubriques de créances à court terme. J’ai donc demandé à la MNEF de les inscrire en actifs immobilisés à long terme.

J’avais également demandé à la MNEF d’affiner son calcul sur le montant des prestations à payer et d’en préciser la méthode dans l’annexe des comptes. Un troisième point concernait une provision pour incertitude, quant au remboursement du crédit TVA qui figurait dans ses actifs pour 1 million de francs. Voilà les réserves que j’avais formulées au 30 septembre 1993.

Le 30 septembre 1994, j’avais formulé également une réserve sur l’absence de provisions quant à la moins-value latente de valeurs mobilières de placement, qui représentaient 5 millions de francs. A cette époque, la MNEF avait des valeurs mobilières de placement et nous étions en pleine période de chute des cours financiers. L’une de leurs valeurs mobilières de placement qui portait sur des actions Tigre Atlas – c’était des portefeuilles de placement asiatiques – avait perdu 5 millions de francs et cela n’avait pas été constaté dans les comptes. J’avais donc été conduite à formuler une réserve sur ce point.

M. Robert PANDRAUD : Des actions asiatiques ?

Mme Corine MAILLARD : Oui, qui s’appelaient Tigre Atlas.

J’avais également formulé une réserve quant au ratio de liquidité qui était de 0,55, alors que les dispositions financières prévoient un ratio à 1.

Le 30 septembre 1995, j’ai, à nouveau, formulé une réserve sur l’insuffisance de provisions concernant les SICAV Tigre Atlas. La provision portait toujours sur 4 millions de francs. Le ratio de liquidité était également insuffisant puisque de 0,62.

Le 30 septembre 1996, j’avais porté une réserve concernant l’absence de comptes annuels qui ne m’avaient pas été produits concernant la participation de la MNEF dans la société Carte Jeunes SA. J’estimais que je n’étais donc pas en mesure de savoir si une provision pour dépréciation s’avérait nécessaire ou non. Une provision forfaitaire avait été constatée à hauteur de 2 millions de francs, mais je m’estimais incapable de savoir si cette provision était suffisante ou non parce que je ne disposais pas à ce moment-là des comptes de la société Carte Jeunes SA. Par ailleurs, le ratio de liquidité était de 0,39.

Le 30 septembre 1997, je n’avais pas apporté de réserve, seulement une observation quant à la constitution d’une provision globale et à court terme de 7,3 millions de francs concernant la mise en œuvre du programme Sésam Vitale qui, à mon avis, ne permettait pas d’avoir suffisamment de détails quant à la méthode de calcul qui était apportée dans les comptes de la MNEF. La simple observation que je faisais portait sur le manque d’information sur le calcul et sur la constitution de cette provision. Le ratio sur cette période était de 1,09. En fait, au 30 septembre 1997, nous nous situons juste après la cession importante de titres qui a eu lieu, dont vous avez certainement eu connaissance. Nous pourrons y revenir.

Le 30 septembre 1998, dernière année de mon mandat, j’ai apporté cinq réserves importantes. La première était d’ordre général et portait sur les procédures de traitement automatisé, en raison des dysfonctionnements qui ont entraîné des anomalies de traitement informatique et des impossibilités de décompte de certains dossiers, en particulier des dossiers d’hospitalisation.

Je relevais, également, une incertitude pour la MNEF quant à la possibilité de recouvrir à court terme le compte courant de sa filiale UES Saint-Michel, compte tenu des engagements pris par cette dernière dans ses propres filiales.

Le troisième point portait sur une absence d’information dans l’annexe quant à la garantie de passif accordé par la Société Nouvelle d’Investissement et de Gestion, qui avait été appelée, à titre conservatoire, à la date du 31 décembre 1998 pour un montant de 30 millions de francs, sachant, d’ores et déjà, que le compte courant d’une filiale semblait recouvrable à hauteur de 4 millions de francs.

Un quatrième point concernait le ratio de liquidités qui s’élevait alors à 0,55.

Un dernier point concernant le respect de l’article 124-6 du code de la mutualité qui limite à 10 % de l’ensemble de l’actif du groupement les créances de toute nature et les actions en parts d’une même société. Cela concernait essentiellement les créances et actions de la société UES Saint-Michel qui dépassaient ce ratio de 10 %.

Telles sont les réserves que j’ai été amenée à faire au cours de mon mandat.

M. le Président : Cette fonction de commissaire aux comptes l’exerciez-vous uniquement auprès de la MNEF ou également auprès des filiales de la MNEF ?

Mme Corine MAILLARD : J’avais été amenée effectivement à exercer des fonctions de commissaire aux comptes dans les filiales UES Saint-Michel et Raspail Participation Développement.

Initialement, j’avais accepté cette mission en 1994, à la date de constitution de l’UES Saint-Michel, sachant qu’en 1994, cela représentait assez peu de choses. Les participations se sont essentiellement développées de façon importante à partir de 1996. J’avais accepté, à cette époque, parce que la MNEF était alors quasiment majoritaire dans cette filiale UES Saint-Michel, dont elle détenait 99 %. Il me semblait judicieux de le faire pour savoir ce qui se passait dans ses filiales et savoir si je serais amenée à apprécier une éventuelle dépréciation des titres dans la MNEF.

J’ai démissionné de ces fonctions de commissaire aux comptes dans les filiales au 31 décembre 1996, parce que la MNEF ne possédait plus 99 % des parts. J’estimais de ce fait que je n’avais plus à rester dans ses filiales, mais également parce que j’ai pu constater qu’il y avait eu une prise de participation assez importante avec de nombreuses filiales et que je n’étais pas à même de suivre les deux missions. Cela me paraissait une charge trop importante pour ce qui me concernait.

M. le Président : La MNEF étant chargée de contrôler les filiales, n’y avait-il pas des incompatibilités d’intérêt à partir du moment où vous étiez le commissaire aux comptes des filiales et de la maison mère ?

Mme Corine MAILLARD : Cela se passe souvent de cette façon. Dans les grands groupes économiques, on retrouve très souvent des commissaires aux comptes qui sont à la fois commissaires aux comptes d’une filiale et de la maison mère.

La Cour des comptes m’a interrogée à ce propos. Je leur ai adressé une réponse évoquant les normes qui nous sont imposées par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Celle-ci dit qu’il est très fréquent de retrouver les mêmes commissaires aux comptes dans les grands groupes économiques, pour diverses raisons. Cela permet, notamment, d’avoir une connaissance d’un groupe économique.

Ce qu’ajoute la Compagnie nationale des commissaires aux comptes dans les commentaires de ces normes, c’est qu’il ne faut pas que le commissaire aux comptes se trouve en dépendance économique par rapport à ce groupe. Pour ce qui me concerne, je n’ai jamais estimé être en dépendance économique par rapport à la MNEF et ses filiales parce que le montant de mes honoraires par rapport à ceux du cabinet n’a jamais représenté plus de 10 %. Ce n’est pas considéré comme étant une dépendance économique.

M. le Président : Travaillez-vous également en tant qu’expert comptable ?

Mme Corine MAILLARD : Bien sûr.

M. le Président : Etes-vous l’expert-comptable de M. Spithakis ?

Mme Corine MAILLARD : La Cour des comptes m’a également posé cette question.

Il est vrai que j’ai eu l’occasion de faire sa déclaration de revenus, mais cela n’a été qu’une aide, non facturée. Je n’avais pas l’initiative de recueillir ses revenus. Cela a simplement été une assistance.

M. le Président : M. Spithakis a eu des activités plus ou moins commerciales, avec des locations dans le midi de la France. Vous ne vous chargiez pas de cela ?

Mme Corine MAILLARD : J’ai tenu une ou deux de ses comptabilités. Mais ce n’était pas du tout lié à la MNEF.

M. Robert PANDRAUD : C’était à titre bénévole ?

Mme Corine MAILLARD : Pour ce qui est de sa déclaration de revenus, c’était à titre bénévole parce que je ne pouvais pas considérer que je maîtrisais les éléments de sa déclaration de revenus. Ce n’était qu’une assistance.

J’ai eu l’occasion de lui facturer des honoraires sur une ou deux activités très accessoires qu’il a pu avoir, effectivement, dans le sud de la France, qui n’étaient, je le répète, pas liées à la MNEF.

M. le Président : Vous avez tout de même entendu toutes les mises en cause de la gestion et de la comptabilité de la MNEF qui ont été faites. En 1999, avez-vous accepté le renouvellement de votre mandat ?

Mme Corine MAILLARD : Oui.

M. le Président : Vous ne vous êtes pas interrogée pour accepter le renouvellement de ce mandat, compte tenu de ce qui était mis en cause ?

Mme Corine MAILLARD : Non. Pas du tout.

M. le Président. Chaque fois que vous faisiez des réserves sur les différents bilans qui vous étaient présentés, avez-vous pu constater, dans le bilan qui suivait, si ces réserves avaient été suivis d’effet ?

Mme Corine MAILLARD : Généralement, c’était le cas, sauf pour les provisions SICAV qui, l’année suivante, n’avaient pas été provisionnées.

Cela dépendait du type de réserves. Ce n’est pas toujours le cas. Pour ce qui est de la présentation du compte courant Immocampus, quand il s’agissait d’une harmonisation comptable qui ne demandait pas beaucoup d’efforts, c’était le cas. Mais, par exemple, la réserve concernant les provisions pour SICAV n’a pas été suivie d’effet l’année suivante, mais deux ans après.

M. le Président : La remise en cause qui a été faite de ces comptes de la MNEF vous paraît-elle légitime ? On a parlé d’opacité. Ce terme vous paraît-il correspondre à la vérité ou est-il faux ?

Mme Corine MAILLARD : Opacité. Il est vrai qu’il n’est jamais très facile de lire les comptes d’un groupement tel que la MNEF, qui a des participations dans plusieurs types de sociétés. Ce n’est jamais très facile à lire parce que l’on n’a pas, en effet, le détail des comptes de toutes les sociétés filiales.

Dans un premier temps, jusqu’en 1994, ces participations étaient directement dans les comptes de la MNEF. L’IGAS a souhaité qu’elles soient centralisées au niveau d’une UES, ce qui a été fait en 1994.

Il est sûr qu’il n’est jamais très facile d’avoir l’ensemble des participations au travers d’une seule participation qui correspondait à l’UES Saint-Michel. Mais, malgré tout, on retrouve ces participations dans les comptes.

M. le Président : De ce que j’entends, vous avez bien lu le rapport de la Cour des comptes. Celle-ci a relevé que la Commission de contrôle des comptes de la MNEF, qui avait pour mission, avec votre aide, d’éclairer le conseil d’administration dans l’examen des comptes qui lui étaient soumis, se contentait en guise de rapport de certifier exacts et sincères les comptes qui lui étaient soumis, sans véritable discussion et sans réel contrôle. Qu’avez-vous à dire là-dessus ?

Mme Corine MAILLARD : La Commission de contrôle pouvait éventuellement me convoquer et demander à ce que l’on ait une réunion de travail. Cela ne s’est jamais passé ainsi. On ne me demandait rien. Je faisais directement mon rapport en assemblée générale.

M. le Président : Avez-vous estimé à un moment ou un autre que des irrégularités graves relevaient d’une transmission au Procureur de la République ?

Mme Corine MAILLARD : Non. Je n’ai pas eu l’occasion de procéder à une révélation de faits délictueux.

M. le Rapporteur : Le commissariat aux comptes de la MNEF est-il la seule entreprise que vous contrôlez dont le siège social soit à Paris ? Avez-vous une activité autre sur Paris ?

Mme Corine MAILLARD : Oui, essentiellement du commissariat. J’ai aussi une mission d’expertise comptable sur Paris.

M. Robert PANDRAUD : Cette société asiatique dont vous parliez,…

Mme Corine MAILLARD : Il ne s’agit pas d’une société. Il s’agissait de SICAV.

M. Robert PANDRAUD : Pourriez-vous me donner quelques explications ?

Mme Corine MAILLARD : C’étaient des placements en SICAV. Si vous souhaitez que je vous apporte les documents correspondants, je peux vous les fournir, bien sûr. Je ne les ai pas là, mais je vous les ferai parvenir.

M. le Président : A propos de documents, je souhaiterais avoir les textes exacts de vos réserves.

Mme Corine MAILLARD : Tout à fait. Je les ai notés là sous forme télégraphique, mais je peux vous les laisser.

M. Robert PANDRAUD : Faisiez-vous partie de la MNEF avant d’être commissaire aux comptes ?

Mme Corine MAILLARD : Comment ?

M. Robert PANDRAUD : En tant qu’adhérente ou au conseil d’administration ?

Mme Corine MAILLARD : Non.

Je veux bien vous dire comment j’ai été amenée à entrer à la MNEF, si vous le souhaitez.

M. Robert PANDRAUD : Je n’osais pas vous le demander.

Mme Corine MAILLARD : Je vais vous le dire.

En fait, j’ai passé mes examens avec l’ancien commissaire aux comptes, qui s’appelait Alain Sécréto, qui était à l’Ecole supérieure de commerce de Marseille. Nous étions de la même promotion, peut-être avait-il un an d’avance sur moi. J’ai passé mes examens avec lui. Quand il a été commissaire aux comptes, il m’a demandé d’intervenir dans le cadre de la MNEF, sur une mission bien spécifique d’aide au chef comptable pour la présentation des comptes, parce que, sur les années très antérieures, la MNEF a eu énormément de difficultés à s’harmoniser avec l’ensemble des règles comptables. On m’a demandé de participer à une présentation des comptes qui portait sur l’année 1992-1993. L’assemblée générale n’a pas renouvelé les fonctions de commissaire aux comptes de M. Sécréto. Comme j’étais déjà dans la maison et que j’avais mon diplôme, on m’a proposé la mission de commissariat aux comptes, que j’ai acceptée. Alain Sécréto était commissaire aux comptes à Carpentras. Il est reparti là-bas. C’était Dominique Lévêque qui, à l’époque, m’avait proposé cette fonction.

M. Jean-Paul BACQUET : C’est celui qui avait négocié le contrat de travail de M. Spithakis.

Mme Corine MAILLARD : Dominique Lévêque ?

M. Jean-Paul BACQUET : Votre cabinet d’expertise comptable fait un chiffre d’affaires de 3 millions de francs par an. Que représente la MNEF dans ce chiffre d’affaires ?

Mme Corine MAILLARD : Sur l’exercice 1997-1998, j’ai facturé 291 000 F HT.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous expliquez que vous présentez chaque année votre analyse devant le conseil d’administration.

Mme Corine MAILLARD : Devant l’assemblée générale, en fait.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous faites cela depuis un certain nombre d’années.

Mme Corine MAILLARD : Oui.

M. Jean-Paul BACQUET : Considérez-vous que les membres du conseil d’administration et de l’assemblée générale que vous avez en face de vous, sont des personnes capables, suffisamment formées pour pouvoir analyser ce que vous leur présentez.

Mme Corine MAILLARD : Ce sont tout de même les membres de la structure pour lesquels je dois donner mon opinion.

M. Jean-Paul BACQUET : Ce n’est pas le sens de ma question. Le sens de ma question est simple : vous êtes actuellement devant une commission d’enquête et je vous demande simplement si, à votre avis, les gens que vous avez en face de vous sont suffisamment formés et suffisamment compétents pour analyser ce que vous leur présentez.

Mme Corine MAILLARD : Je pense que oui. Ils ont, de toute façon, la possibilité de poser des questions, si bon leur semble.

M. Jean-Paul BACQUET : Un certain nombre de membres du conseil d’administration sont passés devant cette commission : ils ne savaient rien sur rien, et d’ailleurs ne souhaitaient rien savoir.

Mme Corine MAILLARD :C’est possible.

M. Jean-Paul BACQUET : Pensez-vous que ces gens avaient toute capacité d’analyser les éléments que vous leur donniez ?

Mme Corine MAILLARD : Je pense que oui.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez dit avoir émis des réserves sur la Carte jeunes, sur Sésam Vitale, sur des sommes qui ne sont pas négligeables puisqu’il s’agit de 7,3 millions, de 30 millions, etc. Quelle a été la réaction de l’assemblée générale lorsque vous avait annoncé ces réserves ?

Mme Corine MAILLARD : Les réserves concernant les 30 millions de francs portaient sur la situation au 30 septembre 1998, il y a eu énormément de questions. Il est vrai que, cette fois-ci, beaucoup de questions m’ont été posées.

M. Robert PANDRAUD : Et auparavant ?

Mme Corine MAILLARD : Ce n’était pas le cas.

M. Robert PANDRAUD : Vos comptes étaient approuvés.

Mme Corine MAILLARD : Les comptes étaient approuvés. Ce ne sont pas les miens.

Mme Catherine PICARD : Il ne faut pas confondre. Ce n’est pas un trésorier.

Mme Corine MAILLARD : En fait, le conseil d’administration arrête des comptes qui lui sont donnés par le directeur financier et le directeur général. Et le conseil d’administration présente ensuite ces comptes en assemblée générale. Ceux-ci faisaient l’objet d’un rapport du trésorier. À la suite de la lecture du rapport de ce trésorier, je lisais mon rapport. J’ai toujours assisté aux assemblées générales de la MNEF, au cours des six années de mon mandat.

M. Robert PANDRAUD : Jusqu’à la dernière, il n’y avait pas de questions ?

Mme Corine MAILLARD : Sur la dernière, il y en a eu.

M. Robert PANDRAUD : Mais auparavant ?

Mme Corine MAILLARD : Quasiment pas.

M. Jean-Paul BACQUET : On a entendu dire que la MNEF pouvait être la pouponnière de certains organismes. Sup de Co Marseille aurait-elle été une bonne pouponnière de la MNEF ?

Mme Corine MAILLARD : Je ne sais pas. Je ne connais pas forcément l’origine de tous…

M. Jean-Paul BACQUET : Une bonne pouponnière que ce soit pour les experts-comptables, pour les présidents de conseil d’administration, les membres du conseil d’administration, les directeurs…

Mme Corine MAILLARD : Il est vrai que le directeur général avait fait Sup de Co Marseille. Mais en dehors de lui, je ne sais pas s’il y avait beaucoup de personnes qui sortaient de Sup de Co. Je ne connais pas leur cursus.

M. Jean-Paul BACQUET : Une question m’intrigue. Nous sommes dans une commission d’enquête parlementaire. Il semblerait que d’autres que les parlementaires s’intéressent aussi à la MNEF et il semblerait qu’il n’y ait jamais eu de problème à la MNEF. Aussi, je vous pose la question : pourquoi une telle affaire de la MNEF ? Il n’y a rien ou il y a quelque chose ?

Mme Corine MAILLARD : Je ne sais pas.

M. Jean-Paul BACQUET : Votre avis personnel.

Mme Corine MAILLARD : Je ne sais pas, parce qu’il est vrai que l’IGAS a eu l’occasion de faire des contrôles précédemment. Il est vrai qu’il y a peut-être eu une montée en charge plus importante en matière de participations sur les derniers exercices. Ce n’est pas à négliger en matière d’engagement, mais les comptes étaient été transmis aux autorités de tutelle. Je ne sais pas.

M. Robert PANDRAUD : Avez-vous été interrogée par la Cour des comptes ?

Mme Corine MAILLARD : Oui, je les ai vus. Je leur ai même laissé mon dossier à disposition.

M. Robert PANDRAUD : Par l’autorité judiciaire ?

Mme Corine MAILLARD : Non.

M. le Président : Compte tenu de la perte de 80 000 adhérents, donc de la perte d’un chiffre d’affaires de l’ordre de 24 millions de francs, estimez-vous que la MNEF peut s’en sortir, compte tenu des nouvelles pertes envisageables ?

Mme Corine MAILLARD : Effectivement, je suis très inquiète. Je m’interroge beaucoup. Je leur ai demandé, dans le cadre de la loi du 1er mars 1984, de m’établir dans les dix mois suivant la clôture, c’est-à-dire avant fin juillet, un plan prévisionnel à date de 30 septembre 1999, parce que, effectivement, je suis inquiète.

M. le Président : La MNEF peut-elle s’en sortir sans un plan social dans les prochains mois ?

Mme Corine MAILLARD : Non, je pense qu’elle sera obligée de mettre en œuvre un certain nombre de choses pour redresser ses comptes internes.

M. le Président : Ce redressement porterait sur quelles sommes ? Prenons deux fourchettes : la fourchette actuelle avec ses moins 24 millions stabilisés et une fourchette avec une situation qui n’est pas stabilisée.

Mme Corine MAILLARD : Je manque d’éléments parce qu’il est vrai qu’il y a eu une perte d’adhérents importante. Pour l’instant, avec cette perte d’adhérents mais avec un montant de remise de gestion identique à celui de l’année précédente, le budget présente un résultat déficitaire de 4 millions de francs. Si l’on s’en tient à ces chiffres, la MNEF peut supporter une année déficitaire de 4 millions.

M. le Président : Quand a-t-il été arrêté ?

Mme Corine MAILLARD : Il a été arrêté en début d’année, il y a trois mois. Maintenant, il est vrai que j’ai encore un point d’interrogation quant aux remises de gestion. Je ne sais pas encore quelles remises de gestion seront accordées à la MNEF pour l’année 1999.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : 262 F, selon la presse.

Mme Corine MAILLARD : Bien sûr, mais je ne vais pas me contenter d’une information prise dans le journal.

M. le Président : Qu’est-ce que cela donnerait avec une remise de gestion de 260 F ?

Mme Corine MAILLARD : Il faut que je le fasse calculer.

M. le Président : J’aimerais que vous nous fassiez une petite note, en partant sur la base de 262 F.

Mme Corine MAILLARD : Je vais le demander.

M. le Président : Avec cette remise de gestion et les comptes que vous avez, que pouvez-vous prévoir comme chiffres prévisionnels ?

Mme Corine MAILLARD : Quel délai m’accordez-vous pour vous rendre cette note ? Pouvez-vous attendre le délai prévu par la loi de 1984, à savoir jusqu’à fin juillet, ou souhaitez-vous l’avoir avant ?

M. le Président : Madame, il me faut cela sous huit jours.

Mme Corine MAILLARD : Je vais leur demander de le faire, et le vérifier. Tout simplement.

M. le Président : Je souhaiterais que ce soit vous qui nous le fassiez parvenir.

Mme Corine MAILLARD : D’accord.

M. le Rapporteur : Dans son rapport sur la MNEF, la Cour des comptes note une confusion importante dans l’imputation des dépenses de déplacements, de réception, avec des difficultés pour savoir à quelle personne ces dépenses se rattachent. Cela a-t-il attiré votre attention ?

Mme Corine MAILLARD : J’ai effectivement été amenée à faire des contrôles sur les frais de déplacements, et sur l’ensemble des charges de façon générale. En fait, il existe quand même une comptabilité analytique, minimum j’entends, mais qui nous permet de connaître le nom des personnes qui ont pu bénéficier de remboursements de frais de déplacement. Personnellement, je n’ai jamais eu de problème à ce sujet.

M. le Rapporteur : 10 millions de francs de frais pour l’exercice 1995-1996, cela vous a-t-il conduit à poser des questions sur l’intérêt de ces frais ?

Mme Corine MAILLARD : Ce ne sont certainement pas des frais de déplacement des seuls administrateurs…

M. le Rapporteur : Justement, la Cour des comptes disait que ce n’était pas très clair.

Mme Corine MAILLARD : Non, dans la comptabilité, on arrive à avoir le détail entre les frais de déplacement des personnels… et il est vrai qu’il faut savoir que la MNEF est très décentralisée sur l’ensemble des régions et que les responsables de centres de gestion se déplacent relativement souvent à Paris. Cela génère des frais de déplacement relativement importants. Cela a été notamment le cas au cours des derniers exercices du fait de la mise en place du nouveau système informatique Prémuni, parce que toutes les séances de formation se faisaient à Paris, ce qui a généré des frais de déplacements importants.

Mais, dans la comptabilité, on arrive à distinguer les frais de déplacement des personnels et ceux des administrateurs sans difficulté.

M. le Rapporteur : En tant que commissaire aux comptes, vous semble-t-il réalisable de séparer, de façon à la fois comptable et réelle, les comptes des différents types d’activité que peut poursuivre la mutuelle ?

Mme Corine MAILLARD : C’est possible, mais cela demande des moyens comptables qu’ils n’ont pas pour l’instant, en moyens humains et matériels. Il faut le faire à la base de la saisie des pièces comptables, ce qui n’est pas fait pour l’instant. C’est toujours possible, mais il faut s’en donner les moyens.

M. Robert PANDRAUD : Combien êtes-vous dans votre cabinet ?

Mme Corine MAILLARD : Neuf.

M. le Président : La mise en place d’une comptabilité analytique entraînerait des frais de fonctionnement qui pourraient être envisagés sur quelle masse financière ?

Mme Corine MAILLARD : Je ne sais pas. Ce sont des choses à calculer. Je ne peux pas le dire comme ça.

M. le Président : Plusieurs fois, il y a eu l’engagement de mettre en place une comptabilité analytique et l’on ne nous a pas indiqué les conséquences financières que cela aurait pour la mutuelle en termes de fonctionnement.

Mme Corine MAILLARD : Je ne peux pas le dire comme ça. Il faut travailler un peu pour savoir quel coût cela pourrait engendrer.

M. le Président : Je comprends votre réponse, mais…

Mme Corine MAILLARD : Ce qui est vrai, c’est qu’il faudrait pouvoir séparer la comptabilité purement mutuelle et la comptabilité liée au régime obligatoire.

M. le Président : Cela a été demandé à deux reprises.

Mme Corine MAILLARD : Ils envisagent de le faire.

M. Jean-Paul BACQUET : Avez-vous eu connaissance de l’existence d’un bateau dans une filiale de la MNEF ?

Mme Corine MAILLARD : Oui, j’en ai entendu parler, mais il ne s’agissait pas d’une filiale de la MNEF.

M. Jean-Paul BACQUET : C’est cela. Avez-vous déjà été invitée sur ce bateau ?

Mme Corine MAILLARD : Non.

M. Jean-Paul BACQUET : Jamais ?

M. le Président : Madame, nous vous remercions d’avoir accepté de venir devant la commission d’enquête.

Audition de Mme Marie-José BAILS,
Présidente de la Fondation Santé des Etudiants de France

(procès-verbal de la séance du 2 juin 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, Président

Mme Bails est introduite.

M. le président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, Mme Bails prête serment.

M. le Président : Madame, notre commission souhaite être éclairée sur les liens qui peuvent exister entre la MNEF et ses dirigeants ou anciens dirigeants et la Fondation santé des étudiants de France. Je vous donne la parole pour un exposé liminaire au cours duquel vous pourrez présenter cette fondation et son fonctionnement. Nous aurons ensuite un échange.

Mme Marie-José BAILS : La Fondation santé des étudiants de France, santé, étude et formation des jeunes, créée en 1923 à l’initiative de l’UNEF, a pour tâche de concourir à la protection de la santé des étudiants, des élèves des enseignements du second degré et technique, ainsi que des jeunes travailleurs susceptibles de bénéficier de l’organisation scolaire de ces établissements, contre toute maladie à évolution prolongée. Elle leur assure les soins nécessaires, la continuation de leurs études ou les formations générales utiles pour leur promotion sociale, assortis, le cas échéant, de tout moyen de formation professionnelle. Ces tâches comprennent notamment la création et la gestion d’établissements sanitaires.

A l’origine, la Fondation a été créée pour faire face au fléau de la tuberculose. Aujourd’hui, nous sommes plutôt adaptés à l’évolution des problèmes des jeunes, en particulier le handicap et la psychiatrie.

Concernant le bilan et les perspectives de la Fondation, le projet d’entreprise définissait l’orientation de l’activité au profit des lycéens, des étudiants et jeunes travailleurs, ce qui n’était pas acquis. Il y a cinq ans seulement, 50 % des jeunes fréquentaient nos établissements. Aujourd’hui, nous avons atteint les 80 % par une consolidation de l’assise sanitaire en médecine active de soins de suite et de réadaptation, par une affirmation renouvelée du rôle central de la pédagogie dans la prise en charge des patients, par la mise en œuvre de prises en charge complémentaires à celle de nos établissements, visant à assurer, à l’issue de la période d’hospitalisation, une réinsertion pédagogique, professionnelle et sociale de nos patients, par la mise en œuvre également de prises en charge plus légères à vocation de prévention secondaire, fondées essentiellement sur des entretiens de courte durée destinés à établir un bilan et une orientation pour les patients.

La mise en œuvre de ces orientations dans nos établissements a eu de grandes conséquences sur le plan pratique. La redéfinition de la politique médicale de la plupart de nos établissements en a été, très certainement, le principal moteur. Celle-ci s’est traduite par une augmentation des moyens médicaux et par des reconversions de moyens logistiques au profit de moyens soignants. Elle a conduit à une réactualisation complète de nos agréments avec mise en conformité par rapport à une pratique. Elle a généré, avec l’inscription dans les schémas régionaux, une diminution du nombre de lits, une augmentation des alternatives à l’hospitalisation, une plus grande proximité des recrutements et une diminution de la durée moyenne des séjours, avec des conséquences sur les prises en charge pédagogiques. Elle a conduit à moderniser les plateaux techniques et hospitaliers des établissements, processus qui a sans doute pesé le plus lourdement sur la gestion de la Fondation pendant ces années, aux plans technique, humain et financier.

Les aspects institutionnels ont été le deuxième facteur important du changement.

Ils se sont traduits par le renforcement de la place des enseignants dans les instances de la Fondation, avec la présence du représentant des enseignements au bureau, du représentant des directeurs au conseil d’administration, par la création d’un comité pédagogique destiné à éclairer les choix du conseil d’administration en cette matière, par la transformation de la plupart des postes d’encadrement en postes de proviseur adjoint et de proviseur, par la généralisation des postes à profil et par la participation de plus en plus fréquente et de plus en plus dense des enseignants au développement des nouveaux projets menés par la Fondation.

Mais ils ont également conduit à la modernisation du fonctionnement statutaire et réglementaire de notre Fondation – le règlement intérieur ayant été approuvé par les pouvoirs publics en 1996 – au souci d’améliorer l’accueil des patients, avec notamment en 1997 l’élaboration d’un livret d’accueil du patient, au lancement du chantier PMSI et à la participation de la Fondation à l’élaboration de ce PMSI en soins de suite, en réadaptation et en psychiatrie, avec l’obtention d’un DIM central.

La Fondation est restée dans le cadre de la convention collective FEAT du 31 octobre 1951, qui préserve l’essentiel des acquis sociaux malgré la mise en place du plan Juppé.

Conjointement et malgré les tensions intervenues en février 1997, le dialogue social a été maintenu à un bon niveau.

Des actions institutionnelles ont également été menées en matière de communication avec la mise en place d’une charte graphique commune à tous les établissements, d’une plaquette de présentation de la Fondation et par la participation de la Fondation à de multiples manifestations.

Nous avons développé une politique ayant abouti à la reconnaissance institutionnelle de la Fondation en matière de prise en charge de l’insertion des handicapés, et notamment auprès de l’AGEFIPH. Cette nouvelle activité a notamment permis de générer, en 1997, un nouveau service de la Fondation, qui est le SAS d’Olonne.

L’avenir de la Fondation résulte de la confrontation entre des objectifs stratégiques et un plan d’action avec la réalité du paysage sanitaire et social des prochaines années. Le projet a été proposé au conseil d’administration renouvelé. Comme le projet d’entreprise précédent, celui-ci s’inscrit dans la continuité des actions menées, car le cycle de transformation dans le secteur sanitaire reste long, même si l’environnement législatif, réglementaire et financier, évoluant de façon très contraignante, a forcé le rythme de transformation des établissements.

Ce projet d’entreprise a été largement diffusé aux membres du conseil d’administration. Il suffit donc de rappeler ici ses principales caractéristiques. Tout d’abord, poursuivre les opérations engagées, notamment le développement des alternatives à l’hospitalisation et le processus de création d’une culture d’entreprise…

M. le Président : Chère madame, je me permets de vous interrompre. Je vois que vous avez un rapport écrit que vous allez nous communiquer. Mais ce sont là des considérations générales. J’aimerais que vous nous parliez des rapports entre la Fondation et la MNEF.

Mme Marie-José BAILS : J’ai, pour ma part, eu une mission, qui a justement été de resserrer les liens et le développement entre la MNEF et la Fondation. Nous travaillons sur le même terrain qui est, bien sûr, la santé et les jeunes. Je ne sais que vous dire. Peut-être pourriez-vous poser des questions ?

M. le Rapporteur : Lorsque vous avez été nommée administrateur de la Fondation santé des étudiants de France, était-ce au titre de la MNEF ?

Mme Marie-José BAILS : Bien sûr !

M. le Rapporteur : Etait-ce en tant que représentante de la MNEF au sein de la Fondation ?

Mme Marie-José BAILS : Oui, c’était une façon de mettre un pied dans la Fondation et de prendre contact. Il faut dire que j’étais intéressée par ces questions, étant donné que je suis moi-même mère d’un enfant handicapé. Je me suis dirigée en particulier vers l’insertion des jeunes handicapés. J’avais donc une mission à la Fondation…

M. le Rapporteur : C’est une mission qui vous avait été confiée par la MNEF ou par la Fondation ?

Mme Marie-José BAILS : Par la MNEF, de façon à resserrer les liens puisqu’il y a des liens institutionnels et statutaires entre les deux.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Vous y étiez en tant qu’étudiante ?

Mme Marie-José BAILS : Non, en tant que personnalité qualifiée.

M. le Rapporteur : Vous étiez au conseil d’administration de la MNEF en tant que personnalité qualifiée. Sur proposition de qui ?

Mme Marie-José BAILS : Au départ, les choses sont venues tout naturellement. Je connaissais M. Spithakis qui s’intéressait beaucoup à ces questions et, compte tenu des problèmes que je vivais …

M. Jean-Paul BACQUET : C’est M. Spithakis qui a considéré que vous aviez une qualification en la matière ?

Mme Marie-José BAILS : J’ai aussi pris contact avec l’ex-présidente, Mme Marie-Dominique Linale, qui, au fur et à mesure des contacts et de l’intérêt que je portais à ces questions …

M. le Rapporteur : A l’époque où vous êtes entrée au conseil d’administration de la Fondation santé des étudiants de France, quelles fonctions M. Spithakis y exerçait-il ?

Mme Marie-José BAILS : Il était président. Je suis entrée au conseil d’administration de la Fondation et c’est ainsi que j’ai commencé à m’intéresser à toutes ces questions, bien sûr.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : Depuis combien de temps êtes-vous à la Fondation ?

Mme Marie-José BAILS : Depuis 1997. J’en suis la présidente.

Mme Catherine PICARD : C’est une fonction bénévole ?

Mme Marie-José BAILS : Totalement bénévole. C’est le cas de tout le conseil d’administration d’ailleurs.

M. Jean-Paul BACQUET : La Fondation est-elle subventionnée par la MNEF ?

Mme Marie-José BAILS : Non.

M. Jean-Paul BACQUET : Aucune aide ?

Mme Marie-José BAILS : Il y a des partenariats.

M. Jean-Paul BACQUET : Il n’y a aucune participation financière ?

Mme Marie-José BAILS : Je ne pense pas. Il sera difficile pour moi de vous répondre de façon précise car je m’intéresse aux questions plus philosophiques que techniques au sein de la Fondation, comme à la MNEF d’ailleurs.

M. Jean-Paul BACQUET : Quelles sont les ressources de la Fondation ?

Mme Marie-José BAILS : Elles proviennent des DASS. Nous avons un budget qui se situe entre 700 et 800 millions de francs par an.

M. Jean-Paul BACQUET : Ce sont les DASS qui vous subventionnent ?

Mme Marie-José BAILS : Oui.

M. Jean-Paul BACQUET : Avez-vous la responsabilité de la gestion de ce budget ?

Mme Marie-José BAILS : Bien sûr, j’ai une responsabilité.

M. Jean-Paul BACQUET : Avez-vous un directeur dans cette Fondation ?

Mme Marie-José BAILS : Oui, nous avons un directeur ainsi qu’un bureau, une direction générale et des comités consultatifs.

M. Jean-Paul BACQUET : Quelle formation a ce directeur ? Une école de commerce ?

Mme Marie-José BAILS : Il est diplômé d’HEC. C’est un très fin technicien et une personne de grande qualité.

M. le Rapporteur : En tant qu’administrateur à la fois de la MNEF jusqu’en 1998 et de la Fondation santé, depuis 1998, quelle est votre appréciation sur ce qu’on a appelé l’affaire de la MNEF ? Pourquoi y a-t-il eu une telle affaire ? Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Par ailleurs, avez-vous le sentiment que le fait que votre prédécesseur, en tant que président, ait été directeur général de la MNEF au moment où cela commençait à s’agiter sérieusement, a porté préjudice à la Fondation santé des étudiants de France ?

Mme Marie-José BAILS : Non, cela n’a pas été le cas, pour la simple raison que mon prédécesseur, M. Spithakis, a très vite démissionné de son poste de président, justement pour éviter que la Fondation ne soit prise elle aussi dans la tourmente médiatique.

M. le Rapporteur : A-t-il encore des fonctions au sein de la Fondation ?

Mme Marie-José BAILS : Oui, il est administrateur et participe donc au conseil d’administration. Il est vrai, c’est important de le dire, que je continue à travailler encore avec lui, étant donné qu’il est mon prédécesseur et que mes actions s’inscrivent dans la continuité des axes stratégiques qui ont été décidés de la Fondation. Nous travaillons toujours à son développement et à ses évolutions et, bien sûr, en tant qu’ex-président, M. Spithakis m’aide parfois à travailler sur certains dossiers.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous siégez au conseil d’administration de la MNEF en tant que personne qualifiée ?

Mme Marie-José BAILS : Non, je n’y suis plus.

M. Jean-Paul BACQUET : Vous avez siégé au conseil d’administration de quelle année à quelle année ?

Mme Marie-José BAILS : Au même moment que pour la Fondation, depuis 1997 jusqu’au renouvellement du bureau.

M. le Rapporteur : Votre curriculum vitae ne fait pas état de cette concomitance puisqu’il vous mentionne comme administrateur de la Fondation santé des étudiants de France depuis 1998 et de la MNEF depuis 1997. Ce n’était pas tout à fait en même temps.

Mme Marie-José BAILS : Pour la MNEF, je suis sûre de la date, 1997. Mais comme je travaillais beaucoup avec la Fondation … il est vrai que pour la Fondation, j’étais secrétaire générale en 1998, non, je suis désolée, c’était en 1997.

M. Jean-Paul BACQUET : En tant que personne qualifiée, vous avez siégé au conseil d’administration de la MNEF un ou deux ans maximum ?

Mme Marie-José BAILS : Oui.

M. Jean-Paul BACQUET : Donc, vous avez siégé régulièrement au conseil d’administration de la MNEF ?

Mme Marie-José BAILS : Oui, régulièrement.

M. Jean-Paul BACQUET : Comment avez-vous vécu ces conseils d’administration ? Comme des séances d’enregistrement ?

Mme Marie-José BAILS : Non, pas du tout. C’était des réunions riches en débats.

M. Jean-Paul BACQUET : Considérez-vous que les élus du conseil d’administration avaient toute compétence pour apprécier ce qui se passait à la MNEF ? Considérez-vous que, lorsque le commissaire aux comptes présentait les comptes, les élus du conseil d’administration avaient toute compétence pour prendre en considération les conclusions qui leur étaient présentées et les apprécier à leur juste valeur ?

Mme Marie-José BAILS : Je pense que les élus étudiants jouaient bien leur rôle, malgré tout. Peut-être dans les limites de leurs compétences, effectivement.

M. Jean-Paul BACQUET : Combien de temps en moyenne, les séances du conseil d’administration duraient-elles ? Etaient-elles très animées par de nombreuses questions ?

Mme Marie-José BAILS : Elles duraient au minimum deux heures, me semble-t-il, au cours desquelles des questions étaient posées. Il y avait un ordre du jour et le conseil d’administration était là pour voter les décisions qui devaient être prises à ce moment-là.

M. Jean-Pierre BAEUMLER : En tant qu’administrateur de la MNEF touchiez-vous une indemnité ?

Mme Marie-José BAILS : Oui, une indemnité d’un montant de 6 100 F.

M. le Rapporteur : A titre personnel, avez-vous eu des activités ou des intérêts dans une quelconque des soixante-dix filiales de la MNEF ?

Mme Marie-José BAILS : Non.

M. le Rapporteur : A aucun moment ?

Mme Marie-José BAILS : A aucun moment. C’était d’ailleurs un sujet peu évoqué dans le conseil d’administration.

M. le Rapporteur : On ne parlait pas des filiales dans le conseil d’administration ?

Mme Marie-José BAILS : Si, quand il fallait voter des budgets. Mais il y a eu très peu de débats techniques.

M. le Président : C’était très philosophique. Vous nous l’avez dit.

M. Jean-Paul BACQUET : Lorsque l’" affaire " médiatique a éclaté, comment avez-vous vécu cela au conseil d’administration ? Y a-t-il eu des questions particulières ? Est-ce que tout le monde savait ?

Mme Marie-José BAILS : Des questions ont été effectivement posées au conseil d’administration. Et M. Spithakis a, à ce moment-là, donné vraiment toutes les réponses.

M. Jean-Paul BACQUET : Par exemple, tout le monde était-il au courant que la MNEF avait, par l’intermédiaire de ses filières, des parts sur un bateau ou l’avez-vous appris à ce moment-là ? Cela a-t-il suscité une réflexion, une interrogation ou une approbation ?

Mme Marie-José BAILS : Je ne peux pas vous dire que cela s’est passé sans problème. Comme je le disais précédemment, il y a eu des questions, des interrogations, et M. Spithakis a su donner toutes les réponses. Mais il n’y a pas eu d’interrogations profondes.

Ensuite, avec tout le problème médiatique qui tournait autour de la MNEF, tout a basculé dans une autre atmosphère, une tension terrible. Il y a eu tout un remaniement.

M. Jean-Paul BACQUET : Personnellement, étiez-vous au courant de l’histoire du bateau ?

Mme Marie-José BAILS : Oui, cela a été évoqué. Je lis les journaux comme tout le monde.

M. Jean-Paul BACQUET : Mais avant ?

Mme Marie-José BAILS : Avant, non.

M. le Rapporteur : Qu’est-ce qui, selon vous, a justifié que M. Spithakis vous choisisse comme administrateur de la MNEF ?

Mme Marie-José BAILS : Je pense que la société civile a aussi un rôle à jouer.

M. le Rapporteur : Aviez-vous auparavant des responsabilités associatives ?

Mme Marie-José BAILS : Bien sûr ! J’ai toujours eu des activités, des responsabilités dans le monde associatif.

M. le Rapporteur : Quel type de responsabilité aviez-vous ? Dans quelles associations ?

Mme Marie-José BAILS : Avant la MNEF, j’ai eu des responsabilités dans la vie associative, de par mon enfant qui m’a amenée à m’investir dans le monde associatif, notamment dans tout ce qui concerne les établissements et le handicap en général, et la vie associative dans un sens plus large, que ce soit avec l’école, la fédération des parents d’élèves, etc.

M. le Rapporteur : C’est à l’occasion de ces activités associatives que vous avez rencontré des dirigeants de la MNEF ?

Mme Marie-José BAILS : J’ai eu l’occasion de rencontrer des dirigeants de la MNEF, mais avant tout, je connaissais M. Spithakis qui, compte tenu de ma situation, m’a offert cette opportunité au sein de la Fondation, il faut dire que lui-même s’investit terriblement sur tout ce qui est insertion des jeunes, en général. C’est presque un hobby pour lui. Il a aussi une dimension humaine qui a fait qu’il s’est intéressé à mon cas.

M. le Président : Madame, je tiens à vous remercier. La commission fera sienne vos observations et s’en servira dans le cadre de son rapport.

Audition de M. Daniel VITRY,
président du Centre national des œuvres universitaires et scolaires

(procès-verbal de la séance du 3 juin 1999)

Présidence de M. Alain TOURRET, président

Monsieur Vitry est introduit.

M. le président lui rappelle que les dispositions relatives aux commissions d’enquête parlementaire lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Vitry prête serment.

M. le Président : Monsieur le président, je vous remercie de vous être rendu à notre invitation. Notre commission a tenu à être éclairée sur l’action du CNOUS en matière de santé des étudiants ainsi que sur les relations de cette institution avec les mutuelles d’étudiants.

Je vous proposerai de nous présenter, dans un exposé liminaire, votre rôle en la matière et de répondre ensuite à nos questions.

M. Daniel VITRY : J’ai bien peur de vous décevoir parce que le rôle du CNOUS et des CROUS – j’entrerai tout à l’heure dans la distinction entre les deux – est extrêmement marginal en matière de sécurité sociale étudiante, de maladie, bref, de tout cet aspect de la vie étudiante.

En effet, une fois l’étudiant inscrit, la médecine préventive est uniquement prise en charge par les présidents d’université, quoi qu’il y ait quelques confusions de temps en temps, en ce sens que cette prise en charge par les présidents d’université uniquement n’implique pas que nous n’ayons pas dans les CROUS quelques infirmières, mais elles ne sont pas en charge de la maladie des étudiants. Nous avons également des assistantes sociales, mais les universités en ont aussi. Il y a là un partage qui n’est pas toujours optimal, mais qui n’a pas d’incidence.

En matière de médecine préventive, nous n’avons pas de rôle, si ce n’est un rôle d’information – affiches, campagnes d’information, etc.

En matière d’inscription des étudiants à la sécurité sociale, nous ne jouons pas de rôle, sauf une exception sur laquelle je reviendrai. Nous nous contentons de rappeler à l’étudiant titulaire du baccalauréat français traditionnel qui s’inscrit à l’université qu’il doit être inscrit à la sécurité sociale, au même titre que nous lui rappelons beaucoup de choses. Mais nous n’intervenons à aucun moment dans ce processus. Nous ne le vérifions même pas puisque ce qui définit l’étudiant, certes, c’est le régime de la sécurité sociale, aussi une fois celui-ci reconnu et inscrit, il a droit aux œuvres.

Nous intervenons uniquement dans les cas très particuliers des étrangers boursiers du gouvernement français et boursiers des gouvernements étrangers, lorsque ceux-ci étudient en France, car nous les incitons à s’inscrire et nous pouvons même intervenir un peu plus qu’une boîte aux lettres, mais un peu moins qu’un organisme de sécurité sociale ordinaire, dirai-je, en ce sens que nous leur disons ce qu’ils doivent faire, nous leur donnons la liste des mutuelles auprès desquelles ils peuvent s’inscrire. Une fois qu’ils ont fait leur choix, nous n’agissons plus que comme boîte aux lettres. Notre rôle reste extrêmement limité.

Vous me demanderez certainement si toutes les mutuelles sont traitées à égalité. La réponse est globalement positive, sauf sur un point particulier qui concerne quelques centaines d’étudiants étrangers.

En effet, les étudiants qui viennent pour des durées courtes – c’est le cas en particulier des stages linguistiques – ont posé un problème de gestion ; ils sont nombreux en termes de personnes physiques, nombreux en termes d’actes, mais peu nombreux en masse globale à traiter. Donc, à une date qui remonte à un certain temps – pardonnez-moi si je suis un peu imprécis, mais c’était bien avant mon prédécesseur et quiconque dans les services – un accord particulier de pure gestion avait été conclu avec la MNEF. Les mutuelles régionales et la SMEREP ont demandé à participer également à cet accord, ce qui leur sera donné l’année prochaine. C’est ainsi que nous avons une sorte de contrat de globalisation, parce qu’il n’était pas possible de traiter, un par un, ces étudiants présents pour une courte durée ; en effet, le temps de le faire, ils seraient déjà repartis. Je me suis aperçu, grâce à votre convocation, sinon j’aurais continué à l’ignorer, qu’il y avait eu là un favoritisme dû à des possibilités de gestion sur lequel la MNEF, seule, avait répondu en son temps, et auquel les autres mutuelles vont participer.

Il en coûtera à ces étudiants étrangers, boursiers du gouvernement français ou autre, 1 770 francs quelle que soit la mutuelle à laquelle ils s’adressent, même s’ils ont plus de 28 ans. J’ai là une fiche qui porte sur la couverture sociale et mutualiste des boursiers étrangers gérée par le CNOUS, qui vous donnera le détail de ces opérations.

Qui paye en définitive ? Nous refacturons au ministère des Affaires étrangères l’ensemble des dépenses de sécurité sociale, ainsi qu’un certain nombre d’autres dépenses. Ce sont donc les affaires étrangères qui supportent le coût budgétaire de ces opérations.

Notre rôle est minime. C’est la raison pour laquelle je commençais en disant que je risquais de vous décevoir. En fait, la sécurité sociale, nous échappe ou disons que nous sommes peu concernés.

M. le Président. La sécurité sociale et le rôle des mutuelles, ce n’est pas tout à fait pareil, car la mutualité, avec la loi de 1948, a un très vaste champ d’investigation puisqu’il s’agit du bien-être des étudiants. Il ne s’agit donc pas simplement de la couverture obligatoire de la sécurité sociale.

M. Daniel VITRY : Tout à fait.

M. le Président. J’aimerais connaître vos champs d’activité dans le cadre du logement social.

M. Daniel VITRY : Nous avons trois champs d’activité principaux : l’hébergement, la restauration, et la culture ; nous versons les bourses depuis deux ans.

Concernant l’hébergement et la restauration, nous ne sommes pas en concurrence avec les universités. Quant à la culture, les universités en font, nous en faisons et nous essayons, si possible, de le faire ensemble ou du moins en coordination.

Pour ce qui est du logement social, tout dépend, monsieur le président, de ce que vous appelez logement social. Pour nous, le logement est unique. La différence du logement est liée à une différence de loyer, mais il n’existe pas une partie de notre logement affiché social et une autre pas.

Nous présentons des possibilités de logement dans trois types de résidences. Nous avons les résidences dites traditionnelles dans lesquelles, compte tenu de l’ALS, l’étudiant paye in fine entre 350 et 450 francs ; ce sont les logements des cités universitaires, soit 9 m², un lavabo, des toilettes et des douches communes, à raison – ce n’est pas brillant –d’une douche et un toilette pour cinq chambres dans le meilleur des cas ou pour dix chambres, dans le pire. Ils représentent à peu près 100 000 lits.

Nous avons également de l’hébergement dans des cités dont le loyer est plus élevé de l’ordre de 450 à 600 francs nets d’ALS. Le service y est meilleur, ce sont des chambres de 15 m², selon les cas, avec sanitaire intégré ou pas, avec ou sans kitchenette – la définition de celle-ci étant un peu aléatoire.

La troisième catégorie de logement, dont le loyer est de l’ordre de 800 à 1 100 francs, sont des studios de 18 à 22 m², avec une vraie salle de bains et une kitchenette.

M. le Président : Quel est le dispositif sur le plan géographique ?

M. Daniel VITRY : Il est complètement dispersé à travers tout le territoire.

En termes de masse, nous avons 100 000 chambres traditionnelles de 9 m². Sur celles-ci, 80 000 doivent être restaurées ; dans certains, il s’agit de travaux d’entretien courant un peu lourds, dans d’autres, il faut aller jusqu’à la restructuration complète du bâtiment. Il faut vider la cité, la restructurer car ce sont souvent des constructions des années 60, qui ont beaucoup souffert, même si elles ont été entretenues de la façon la meilleure possible par les équipes, avec des crédits d’équipements qui ne permettait d’envisager que de petits travaux.

M. le Président : Sur le plan géographique, je pensais que le CNOUS avait une compétence quasi exclusive sur la Région parisienne ?

M. Daniel VITRY : L’organisation administrative est la suivante : le CNOUS est un établissement public administratif autonome et il est tête de réseau de vingt-huit établissements publics administratifs autonomes. Il y a un CROUS, centre régional des œuvres universitaires et scolaires, dans chacune des académies. Les Antilles-Guyane sont un cas spécial puisque le même CROUS couvre les trois académies actuelles, correspondant à l’ancienne académie des Antilles-Guyane.

Chaque CROUS est un établissement public dirigé par un directeur et le CNOUS chapeaute cet ensemble, dans une construction juridique particulière, puisque c’est un établissement public autonome qui coiffe des établissements publics autonomes. C’est étonnant mais cela fonctionne quand même parce que le CNOUS répartit les crédits et les emplois, ce qui constitue un levier non négligeable.

M. le Président : J’aimerais que vous nous parliez du problème du logement social, du rôle que vous tenez de ce point de vue et du rôle parallèle que se sont données les mutuelles étudiantes. C’est une question importante pour nous, parce qu’il n’y aurait pas eu une commission d’enquête simplement sur le régime général. Ce sont naturellement les problèmes de diversification qui nous intéressent. Or, ces diversifications viennent directement en concurrence avec vos activités. Avez-vous le sentiment d’une concurrence ? S’occuper de logement, vous paraît-il être le rôle normalement dévolu aux mutuelles ?

M. Daniel VITRY : En termes de concurrence, qui sont nos concurrents ? Nous en avons sur la restauration, mais les mutuelles ne sont pas sur cette affaire. Et le concurrent qui nous pose le plus de problèmes, ce n’est pas du tout le Mc Donald, contrairement à ce que vous auriez pu penser, mais la restauration à domicile, car l’étudiant retourne chez lui pour déjeuner et pour dîner.

S’agissant de l’hébergement, les mutuelles ne sont pas nos concurrents. Nous travaillons avec des offices HLM sous des formes diverses. Nous leur louons un certain nombre de logements, dans des conditions qui ont donné lieu à des conventions signées pour des durées extrêmement longues et posent de nombreuses difficultés parce qu’elles ont été signées à une époque où ces logements étaient situés dans des cités qui se sont beaucoup dégradées. Malheureusement, dans un certain nombre de grandes villes, à Reims notamment, nous constatons que 50 % des logements des étudiants qui relèvent du CROUS sont des logements en HLM dont au moins 4 000 chambres sont à rendre d’urgence à l’office d’HLM local, tout simplement parce qu’elles sont situées dans des zones géographiques où les étudiants ne veulent plus aller. Nous avons de grosses difficultés avec les HLM de Reims, parce que nous avons des logements vides. Quand les étudiants ne veulent pas y aller, social ou pas social, je ne peux pas les forcer à y aller. Ils ne veulent pas y aller, parce que ce sont des cités qui, dirai-je, ne sont plus adaptées à la vie estudiantine.

Où les mutuelles jouent-elles contre nous ? Je ne vais pas entrer dans l’affaire des filiales de la MNEF, que vous connaissez certainement mieux que moi. Je ne puis absolument pas vous garantir qu’aucune filiale de la MNEF n’a jamais conclu le moindre accord avec un CROUS ou le CNOUS, sauf si vous me demandez si la société untelle a affaire avec nous au sens le plus large, mais dans l’autre sens, je puis difficilement vous répondre. Je ne vous cacherai pas que je me suis posé la question. J’ai demandé qu’on regarde, s’agissant du CNOUS, tous nos prestataires de service. Je ne voulais pas qu’on soit piégé avec une affaire de filiale de la MNEF ou, en tout cas, dans des conditions qui ne seraient pas des conditions normales de marché. A ma connaissance, ce n’est pas le cas. Il n’y a pas véritablement de concurrence avec les mutuelles.

M. le Président : Nous avons reçu beaucoup de responsables de mutuelles qui nous ont expliqué toute l’activité qu’ils avaient dans le logement. Certaines construisent et passent ensuite des contrats avec des prestataires, d’autres ont une action directe avec les HLM. Tous les systèmes existent.

M. Daniel VITRY : Pour nous, ils ne sont pas plus concurrents que n’importe quel organisme privé construisant sous le régime Périssol.

M. le Président : Vous qui avez en charge le logement social des étudiants, cela vous pose-t-il problème ? Estimez-vous que le logement social des étudiants devrait vous impartir uniquement, totalement ou pas ? La situation actuelle vous semble-t-elle satisfaisante ?

M. Daniel VITRY : Monsieur le président, le logement géré par le CNOUS et les CROUS nous pose d’immenses problèmes, mais ce ne sont pas ceux que vous évoquez. Mon problème est que sur 100 000 chambres traditionnelles auxquelles je faisais allusion, j’en ai 80 000 à restaurer. Vous comptez entre 60 000 et 80 000 francs par chambre en moyenne, soit presque 5 milliards, que je suis loin d’avoir. C’est cela le problème.

J’en ai un deuxième. Nous avons au total 148 000 lits et 48 000 sont dits modernes, récents. Les récents datent, tout de même, de 1985. Sur les plus anciens parmi les plus récents, il y a besoin de faire des travaux qui vont commencer à être lourds. Et il me manque entre 15 000 et 20 000 lits, dont les trois quarts sur la région Ile-de-France.

C’est cela mon problème, ce n’est pas une concurrence hasardeuse, délicate ou déloyale de telle ou telle mutuelle.

M. le Rapporteur : Nous avons vu des responsables de mutuelles qui nous ont expliqué qu’ils s’étaient diversifiés parce que les pouvoirs publics, devant la montée exponentielle du nombre d’étudiants, ne pouvaient pas être suivis par le CNOUS et les CROUS ; ils leur ont demandé de se diversifier pour remplir cette fonction, parce qu’il n’y avait pas les moyens et l’argent public pour le faire. Cela vous paraît-il correspondre à une réalité ?

M. Daniel VITRY : Je suis à la tête du CNOUS depuis trois mois. Très honnêtement, je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu une déclaration solennelle de l’un de mes prédécesseurs ou du ministre, allant voir les mutuelles en disant qu’avec le CNOUS, ils étaient bloqués et leur demandant de se mettre sur ce créneau. Qu’ils aient eu une réaction d’entrepreneur, en voyant là un marché à prendre, me paraît une explication plus rationnelle de l’histoire. Parler d’un accord, même tacite, ne correspond pas du tout à la vision que j’en ai.

M. le Président : Pour continuer ce que dit M. le Rapporteur. Vous nous expliquez que vous n’avez pas d’argent pour y arriver...

M. Daniel VITRY : Mais je vais vous dire aussi comment je vais m’en sortir.

M. le Président : Vous n’avez pas d’argent, mais à partir de ce moment-là, il est légitime que d’autres s’engouffrent dans ce créneau. Souhaitez-vous que le développement du logement des étudiants soit de plus en plus le fait des mutuelles ?

M. Daniel VITRY : Ah, non ! Mais pas plus des mutuelles que des autres organismes privés.

M. le Président : Nous sommes chargés d’enquêter sur les mutuelles étudiantes ! !

M. Daniel VITRY : Si j’avais les moyens d’entretenir mes bâtiments, puis de reprendre en charge les bâtiments utilisés par les uns ou les autres, dont les mutuelles par exemple, je le ferai volontiers. Je pourrais alors avoir une action plus rationnelle, portant sur un parc plus grand. Je vous parlais de 148 000 logements alors qu’il y a 2 millions d’étudiants. Je ne pèse pas lourd. Elles non plus, d’ailleurs, individuellement.

Si j’avais l’argent pour récupérer ces logements, et pour les entretenir, si j’étais sûr de pouvoir loger les étudiants dans des conditions normales, je rachèterais. Je solliciterais l’Etat, un emprunt, tout moyen financier pour le faire. A l’heure actuelle, je ne suis pas en position de le faire.

Comment espérons-nous se sortir de cette équation douloureuse ? 80 000 chambres à restaurer. C’est dans U3M que nous allons essayer de trouver la solution, mais il faut être conscient des enjeux financiers. Quel est le drame ? Il est très simple : l’entretien courant a été fait. Heureusement, il a été mieux fait que l’image qu’il en a.

Par exemple, si je vous parle de la cité universitaire de Nanterre, à moins que vous ne l’ayez visitée avant-hier, vous allez me dire que c’est un endroit de perdition. C’est l’idée qu’en ont les responsables. Quand on évoque la cité universitaire de Nanterre, c’est généralement l’effroi.

Mais quand vous allez visiter, que vous vous faites ouvrir les chambres, vous constatez que vous avez là un bâtiment vraiment très bien, qui a été entièrement restauré de façon très moderne. La façade et l’intérieur ont été refaits, ainsi que les sanitaires, dans les règles de l’art. Il n’y a pas un tag dans cette partie.

Deux autres bâtiments ont aussi été restaurés, moins bien du point de vue de la façade, mais véritablement très bien à l’intérieur. J’y logerais mes enfants si la question se posait. Quand vous entrez dans le hall, vous pensez que tout a été rénové l’année dernière ; en fait, cela date de cinq ans. Il n’y a pas un tag, les boîtes aux lettres sont intactes, il n’y a aucun des signes apparents de la dégradation.

Puis, vous avez des bâtiments qui n’ont pas été restaurés du tout depuis le début des années 1960. Ceux-là ont une trentaine d’années d’âge. Ils ont pendant ce temps, logé du monde, aucun gros entretien n’y a été fait mais l’entretien courant a été réalisé. Honnêtement, si chaque Français était logé aussi bien, on en serait ravi.

Alors, quel est le problème ? Il est que dès que vous sortez du bâtiment lui-même et que vous y circulez la nuit, vous risquez des rencontres fort désagréables, la Mercedès du dealer et il faut bien le dire, la circulation de personnes indésirables, qui viennent essayer de vous vendre des choses plus ou moins licites, mais c’est à la sortie du bâtiment. Malheureusement, de temps en temps, ces gens-là se glissent derrière un étudiant, bloquent l’issue de secours, ce qui leur permet de venir frapper aux portes. Mais ce n’est pas l’image démente de l’horreur que l’on veut bien dire. C’est une question d’ordre public, ce n’est pas une question de logement universitaire au sens strict.

L’amalgame est fait. C’est notre grande difficulté. On nous rend responsable de cet état de chose, alors que l’ordre public sur un campus universitaire ne relève pas du CROUS local.

Voilà l’exemple typique de la difficulté devant laquelle on se trouve. Si vous demandez à un responsable ce qu’il faut faire à Nanterre, il vous répondra qu’il faut raser la cité universitaire. C’est faux : il faut assurer la sécurité extérieure des étudiants ! Il existe des bâtiments dépendant des CROUS bien pires, qu’il faut raser avant. C’est cela notre problème. Il n’est pas le fait que les mutuelles vont capter toute une partie de la population estudiantine. La question est celle de nos crédits d’entretien – d’entretien lourd. J’ai visité une quarantaine de cités d’universitaires depuis ma nomination, dispersés sur tout le territoire, à raison de deux jours par semaine. Je n’ai pas visité de bâtiments dont je me dise que la seule solution est de raser, sauf à un seul endroit, Antony. Là, effectivement, une partie est bien entretenue et il y a des taudis dans l’autre.

M. le Président : Y a-t-il déjà eu des bâtiments rasés ?

M. Daniel VITRY : Non.

M. le Président : Il faut dire qu’il existe aujourd’hui une nouvelle structure architecturale.

M. Daniel VITRY : Je suis allé, la semaine dernière, à Dijon où existe un campus superbe, dans une petite vallée, une rue à traverser et vous êtes dans la partie enseignement, de l’autre 3500 logements répartis en plusieurs bâtiments, diversifiés, bien entretenus.

Une rocade à quatre voies doit être construite, qui va se glisser dans la petite vallée et séparer la partie universitaire de la partie logement. Un rond-point de sortie est prévu.

Le bord de la rocade se situera à six mètres du premier bâtiment et tout le génie des ingénieurs consiste à dire que l’on peut construire des murs anti-bruits. Il faut être fou ! D’abord, on met les étudiants derrière le mur, ce qui sera très agréable. Ensuite, les murs anti-bruits, on sait ce que c’est, c’est supportable pour des logements double-face, mais ce n’est pas le cas de nos logements qui sont simple façade. Seule solution, il faut raser deux bâtiments. De plus, ces bâtiments sont à restructurer profondément.

Je ne vais donc pas demander des crédits pour restaurer des bâtiments dont je sais pertinemment, avec la rocade et le pseudo mur anti-bruit, qu’aucun étudiant ne voudra plus y habiter.

Je l’ai dit aux ingénieurs et je les ai désarçonnés. Ils n’avaient jamais imaginé que l’on pouvait raser et reconstruire 300 mètres plus loin des bâtiments qui se mélangeront au reste et que ce serait plus simple, plus efficace de faire cela que d’essayer par un tas de moyens dont on sait qu’ils ne sont qu’à moitié satisfaisants de faire des murs anti-bruit.

On va reconstruire un restaurant universitaire. Donc, vous allez empoisonner la ville de Dijon pendant dix ans car, à chaque inauguration, vous allez voir les étudiants manifester contre le bruit.

Dernier argument : deux bâtiments, avec environ 150 logements à reconstruire, qu’est-ce que cela représente dans le poids d’une rocade à quatre voies ? Une goutte d’eau !

M. le Président : Vous m’avez dit qu’un certain nombre de chambres n’était pas utilisé. Quel est le taux d’occupation de l’ensemble de vos chambres ?

M. Daniel VITRY : Dans la plupart des cités, il est de 98 % et au-delà pendant la période universitaire et dégringole de juin à septembre. En août, il doit être de l’ordre de 20 %, puisque l’on ferme des bâtiments entiers. Il est très élevé dans la période universitaire, sauf dans des cas comme celui de Reims, il ne doit pas atteindre 50 %.

M. le Président : Le cas de Reims est-il unique ?

M. Daniel VITRY : Non, mais le cas est unique à Reims, en ce sens qu’il n’en existe pas d’autre où 50 % de l’équipement géré par le CROUS soit, en fait, de l’équipement HLM – de plus, de très mauvaise qualité. D’habitude, la proportion est plutôt de l’ordre de 25 %.

Nous allons probablement arriver à un arrangement, qui nous coûtera 4 millions de francs, pour sortir de cette difficulté. Un arrangement ! J’aurais, pour ma part, préféré aller devant le tribunal. Mais, sur ce genre de choses, je ne peux pas décider à la place du directeur de CROUS. Cette affaire est presque en voie d’achèvement, je ne vais pas venir jouer les trouble-fêtes.

M. le Président : Les responsables d’étudiants nous disaient que les besoins des étudiants avaient changé, que désormais ils souhaitaient avoir des petits immeubles dans les centres villes, qu’il y avait un rejet de la notion de grande cité. Avez-vous intégré ces éléments dans ce que vous faites ?

M. Daniel VITRY : Complètement. Je suis en discussion à l’heure actuelle avec le ministère du Logement parce qu’il y a peut-être une ouverture pour démarrer des PLA. Pour nous, une cité c’est, au plus, de 200 logements. Les 3 500 logements d’Antony, c’est de la folie !

M. le Président : Les étudiants y sont très sensibles. Ils demandent des petites unités. Répondez-vous à ce souhait quand vous construisez désormais ?

M. Daniel VITRY : Monsieur le président, je suis arrivé il y a trois mois. Je n’ai encore rien construit, mais, bien sûr, il n’y a plus en chantier ces immenses usines à 3 500 logements d’étudiants.

Quand ces cités ont été construites, elles ont été faites ouvertes. A Dijon, il y avait dix-neuf entrées. Comment voulez-vous, dans les circonstances actuelles, surveiller autant d’entrées ? C’est insensé ! Donc, on ne développera pas de programmes de plus de 200 logements.

Sur Paris, le logement estudiantin pose un problème particulier mais grave puisqu’il y est extrêmement limité. On en arrive même à des hypothèses d’équipement de l’ordre de trente-cinq à soixante-dix logements. Pour nous, le plus intéressant est de pouvoir racheter un hôtel – de 70 chambres maximum – ayant fait faillite, que l’on peut remettre en état pour nos besoins.

M. le Président : Combien de chambres offrez-vous sur Paris intra-muros ?

M. Daniel VITRY : On ne dépasse pas les 2 000 logements. C’est la catastrophe.

M. le Président : Pour un besoin que vous évaluez à combien ?

M. Daniel VITRY : Je raisonne sur l’Ile-de-France.

M. le Président : Il me semble qu’il faut avoir deux raisonnements : Paris et le reste.

M. Daniel VITRY : Dans mes fonctions antérieures, j’étais vice-chancelier des universités de Paris et mon rôle consistait à exercer la tutelle sur les universités parisiennes et sur les opérations communes Paris et le reste de l’Ile-de-France. Il en est une qui est fameuse, c’est Ravel ; c’est le système qui permet de prendre en compte les demandes des 120 000 candidats au baccalauréat en Ile-de-France qui veulent ensuite devenir étudiants, pour ceux d’entre eux qui auront réussi le baccalauréat. C’est un mouvement brownien, en ce sens que nous sommes obligés de faire venir sur Paris intra-muros des étudiants qui viennent de très loin, qui ne peuvent venir que dans Paris ; les parisiens, nous avons du mal à les envoyer hors les murs – et à maintenir les étudiants de la moyenne banlieue dans les universités franciliennes non parisiennes. Par rapport au logement, les étudiants sont donc amenés à parcourir de grandes distances.

Nous sommes obligés d’avoir une vision francilienne. On estime le déficit en chambres sur l’Ile-de-France à 15 000, ce qui est considérable.

Rêvons un instant, monsieur le président. Si dans U3M, j’ai la possibilité de construire 18 000 chambres nouvelles, j’en ferai 15 000 en Ile-de-France et 3 000 ailleurs. Le déficit est essentiellement francilien et vous avez aussi quelques petits déficits qui sont très mal vécus localement. Avec l’essaimage des universités, celles-ci se sont implantées dans des villes où vous vous retrouvez, en comptant les BTS et une petite école d’ingénieurs ou de commerce, avec 1 000 ou 1 500 étudiants. Nous avons beaucoup de mal à suivre parce que, pour le logement mais surtout pour la restauration, cela nous fait des unités extrêmement difficiles à gérer.

M. le Président : Les investissements doivent être extrêmement lourds.

M. Daniel VITRY : Ils sont extrêmement lourds. Quand vous avez 1 000 ou 1 500 étudiants dans une petite ville, naturellement, ils ne sont pas concentrés. Ils sont dispersés en centre ville et à la périphérie.

Exemple typique : celui de Lannion. Dans le fond de la vallée, dans la ville même, vous avez cinq BTS, deux écoles d’ingénieurs et, l’IUT lié à Plomeur-Boudou, est sur la colline. Il y a plus de trois kilomètres entre les deux et deux cents mètres de dénivelé avec une zone en rase campagne. Vous connaissez le climat local ; en hiver, il est difficile de dire aux étudiants de l’IUT d’aller dîner en bas ou à ceux d’en bas de monter. Concrètement, nous sommes obligés d’avoir un restaurant universitaire en bas et une cafétéria en haut. Tout le monde, les collectivités locales en tête, trouve que le restaurant doit être ouvert midi et soir, week-end compris. Mais aussi en haut, parce que les pauvres étudiants de l’IUT, on ne va pas les abandonner. Comment voulez-vous que l’on tienne ?

Les restaurants servent environ une vingtaine de jours ouvrables par mois. Je vois remonter les états de tous les restaurants de toute la France. Un nombre de restaurants non anecdotique sert entre vingt et cinquante-deux repas sur un mois le soir. Comment voulez-vous que je maintienne une structure de restauration ouverte le soir – cela représente tout de même au moins cinq personnes employées – si elle ne délivre même pas un repas par jour certains jours ? Les étudiants viennent souvent à deux ou trois ensemble, cela veut dire que, certains jours, il n’y a eu personne. C’est là où est notre vrai problème. Les mutuelles ne sont pas concurrentes.

M. le Président : Certaines mutuelles ont signé des partenariats avec Mc Do. Qu’en pensez-vous ?

M. Daniel VITRY : Je l’ignorais totalement.

M. le Président : Avez-vous, vous, signé des partenariats de ce type ?

M. Daniel VITRY : Pour un tas de raisons, cela ne me viendrait pas à l’idée. Je suis pourtant prêt à imaginer beaucoup de solutions originales. Mais, en fait, en termes de concurrence, c’est à côté de la question car les Mc Do et autres restaurants de ce type représentent, pour ce qui est du soir, environ 3,5 % de l’ensemble de la restauration, et le midi, n’atteignent pas les 5 %.

M. le Rapporteur : Lorsque vous faites des logements, le système de financement est-il un système analogue aux offices publics d’HLM, c’est-à-dire un loyer d’équilibre, avec possibilité d’avoir les PLA, ou est-ce plus proche de ce qui se fait habituellement dans le secteur privatif ?

M. Daniel VITRY : Malheureusement, c’est du coût par coût, du cas par cas et cela relève assez souvent du bricolage !

Je me pose la question suivante : quelles sont les modalités de financement auxquelles je peux avoir recours en fonction du loyer de sortie que je veux obtenir ? Compte tenu du fait que j’ai surtout comme problème la remise en état, et non la construction neuve, il est clair que si je veux faire du logement social à 350 à 450 francs nets, à charge pour l’étudiant, la subvention est à peu près mon seul moyen de le faire.

En fait, après quelques calculs, j’ai pu parvenir à la conclusion suivante : si l’on empruntait 15 % de la totalité du coût de remise en état, on tiendrait à peu près dans les prix, à condition que le crédit ne soit pas trop cher.

Mais le problème est de savoir à qui demander cette subvention. Les collectivités territoriales, vous le savez bien, n’ont aucune envie d’aller dépenser beaucoup d’argent pour restaurer de façon très lourde des bâtiments qui appartiennent à l’Etat. Je comprends assez bien le raisonnement.

Les PLA ont été, dans le passé, un peu détournés. Le PLA a été fait, dans un certain nombre de cas au profit des étudiants, en pensant à des étudiants, mais a été récupéré par les OPHLM et les étudiants ont été oubliés. Il nous faudrait une sorte de PLA labellisé, de façon que l’on puisse effectivement construire pour les étudiants.

Sur le logement à hauteur de 800 francs, loyer net pour les étudiants, il nous faudrait des subventions d’Etat. Mais nous devrions y arriver plus facilement, à supposer que l’on nous autorise à emprunter.

La façon de traiter la question a souvent été de dire que, compte tenu des aides que reçoivent les étudiants, les CROUS devraient pouvoir emprunter et qu’il n’était donc pas nécessaire de verser des subventions. Mais, ensuite, quand on veut faire une opération d’emprunt, la tutuelle refuse, car ce ne sont pas les mêmes services qui traitent les deux aspects de la question. A l’heure actuelle, les textes permettent les emprunts, mais aucun emprunt à la Caisse des dépôts n’a encore été autorisé. Il y a eu deux tentatives avant que j’arrive. Sous des prétextes divers, les opérations ont avorté. Mais, je ne sais pas restaurer ou construire quand je n’ai ni subvention, ni emprunt !

M. le Rapporteur : Ce doit être difficile. Estimez-vous que le CNOUS a une masse critique suffisante pour jouer un rôle de régulateur sur le logement étudiant ou pensez-vous que vous comptez très peu ?

M. Daniel VITRY : Nous avons la masse critique. Autrement dit, si l’on m’accorde les moyens financiers de récupérer ce que des mutuelles lâcheraient, je prendrai, cela me permettrait d’avoir une politique plus homogène, plus fine, plus triée, mais je n’en ai pas besoin pour survivre.

M. le Président : En matière de culture, les mutuelles ont eu une action culturelle, en particulier vis-à-vis des cinémas, en prenant en charge une partie du prix du ticket de cinéma. Quelle est votre politique en la matière ?

M. Daniel VITRY : Nous ne faisons pas cela, mais nous pourrions y arriver. Pour l’instant, quand nous disions que les CROUS ont une politique culturelle, c’est en fait qu’ils essaient d’animer les cités. Cela consiste, par exemple, lorsque les universités sont proches ou mêlées au campus, à essayer de faire des opérations conjointes avec elles, ou encore à s’entendre pour ne pas faire une opération pendant les périodes d’examens. Nous participons également à des opérations nationales, comme le poème, la photographie, etc.

M. le Président : N’avez-vous pas une action spécifique vis-à-vis des cinémas d’art et d’essai ?

M. Daniel VITRY : Nous avons des salles qui servent d’art et d’essai. Mais, vous savez, chaque CROUS est un établissement public autonome, jaloux de son autonomie. On répond à ma question si elle est posée gentiment, sinon on peut me répondre que le dossier va suivre...

Mais nous réfléchissons à certaines opérations, notamment à propos de la monétique. La monétique, c’est une façon de gérer les fonds et il est clair qu’à l’occasion de la monétique, et de la carte à puce qui peut être la traduction technique de la monétique, nous chercherons, si ce projet voit le jour de façon efficace, à utiliser la puce de la carte pour avoir aussi des accords avec les cinémas d’art et d’essai, les cinémas commerciaux, les musées et tous autres aspects culturels que l’on peut imaginer, parce qu’il y a là un moyen simple d’avoir une politique efficace.

M. le Président : Je vous remercie, monsieur le Directeur. Nous vous avons écouté avec beaucoup d’intérêt.

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