RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME II
SOMMAIRE DES AUDITIONS (partie 2)

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission

(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

_ Audition de M. Pierre BEZARD Président de la Chambre commerciale de la Cour de cassation (12 février 1998)

_ Audition de M. Guy CANIVET, Premier président de la Cour d'appel de Paris (24 février 1998)

_ Audition de Mme Henriette CHAUBON, magistrat, sous-directeur à la sous-direction des professions judiciaires et juridiques de la Direction des affaires civiles et du Sceau et de Mme Dominique DEVIGNE, magistrat à la Direction des affaires civiles et du Sceau, responsable de la mission d'inspection des mandataires de justice (26 février 1998)

Audition de M. Pierre BÉZARD,

président de la chambre commerciale de la Cour de cassation

(procès-verbal de la séance du jeudi 12 février 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

M. Bézard est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Bézard prête serment.

M. le Président : Monsieur le président, vous comptez depuis un certain temps parmi ceux qui appellent l'attention sur le fait que la situation des tribunaux de commerce mériterait un examen de conscience. C'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre.

M. Pierre BÉZARD : Je suis très heureux et très honoré de participer à votre réflexion. Je souhaite intervenir de façon raisonnable. Je pense passer pour tel. Je ne crois pas qu'il existe des professions, comme celle de juge du commerce, plus critiquable que d'autres. Dans notre profession même, nous rencontrons des problèmes. Il convient donc de considérer les faits calmement. Chacun a ses qualités et ses défauts.

Je dirai, pour me présenter, qu'après avoir obtenu mon doctorat à Poitiers, puisque je suis un Limousin-Poitevin, je fus quelque temps avocat stagiaire à Poitiers en préparant ma thèse, puis je suis entré dans une entreprise - ce qui est utile pour comprendre le contentieux d'entreprise -, et enfin je suis entré dans l'une des premières promotions de l'École nationale de la magistrature. Comme cela arrive souvent, mon désir d'être juge était né d'une assez forte impression laissée par un parent exerçant ce métier.

J'ai été substitut en province, puis j'ai travaillé à la Chancellerie où je me suis occupé de droit européen et international. Dès 1968, je suis passé au bureau de droit commercial pour m'occuper du droit des sociétés, avec M. Foyer, M. Capitant, M. Pleven, quasiment comme un membre du cabinet. À l'époque, sortaient les grands textes sur le droit des sociétés, sur le droit des procédures collectives, sur les groupements d'intérêt économique. Quantité de questions étaient posées au ministre.

M. le Président : Vous rendiez les ministres brillants !

M. Pierre BÉZARD : J'éprouvais une très grande admiration pour M. Pleven, de même que pour M. Foyer et M. Capitant.

Je suis ensuite devenu chef du bureau de droit commercial. J'ai suivi à Bruxelles l'élaboration des directives européennes de droit des sociétés et du droit de la bourse. Puis j'ai ensuite été nommé chef des services juridiques de la commission des opérations de bourse, où j'ai pu observer la réalité des grandes sociétés, mais aussi des sociétés moyennes, puisque les critères de l'appel public à l'épargne, établis par la COB, assez souples et assez larges, vont jusqu'à 300 actionnaires et prennent en compte les salariés dans le critère servant à l'appel public à l'épargne.

Pendant quelque temps, j'ai donc rencontré le monde des affaires en raison de mes fonctions au ministère de la justice, au titre desquelles les ministres que je vous ai cités m'envoyaient assez souvent en province suivre l'élaboration des conférences générales des tribunaux de commerce pour préparer la conférence nationale et donc rencontrer des professionnels des tribunaux de commerce.

Pour revenir à la COB, dont j'ai été plus tard membre du collège, j'ai vu et appris beaucoup de choses. J'ai ensuite été nommé procureur-adjoint près du tribunal de grande instance de Paris, chef de la division financière, à une époque où la crise commençait à frapper de plus en plus les entreprises, déclenchant de nombreuses procédures collectives. J'ai d'ailleurs à plusieurs reprises - ce qui est assez rare - occupé le siège de procureur de la République près du tribunal de commerce de Paris. J'ai alors beaucoup travaillé avec les tribunaux de commerce.

J'ai été ensuite nommé conseiller à la chambre commerciale de la Cour de cassation. C'est à cette époque que je suis devenu, parallèlement, en qualité de président du jury, membre du collège de la COB. Puis j'ai été nommé procureur de Paris. Je suis revenu à la Cour de cassation comme conseiller à la chambre commerciale. J'en suis devenu président, ce que je suis à l'heure actuelle. Je suis président de la commission de discipline des tribunaux de commerce, ce qui me donne peu de travail.

M. le Président : Ils démissionnent dès qu'on les poursuit !

M. Pierre BÉZARD : Oui, mais nous ne sommes saisis que par la Chancellerie, qui ne nous saisit quasiment jamais ! C'est un vrai problème. Les juges des tribunaux de commerce m'ont souvent fait part de leur étonnement sur ce point. Les tribunaux de commerce comprennent un nombre non négligeable de personnes de qualité, parfaitement honnêtes qui souhaitent « faire le ménage » elles-mêmes. Je ne suis pas certain qu'elles soient toujours aidées par les institutions !

M. le Président : Vous entrez dans le vif du sujet. Présentez-nous votre vision des tribunaux de commerce.

M. Pierre BÉZARD : Après trente ans de pratique, permettez-moi de vous dire que la réforme des tribunaux de commerce est absolument fondamentale, non seulement pour l'organisation judiciaire elle-même, dont les tribunaux de commerce sont une des clefs essentielles, mais également pour l'économie du pays, car, sans tribunaux efficaces, dynamiques, indépendants, c'est toute l'économie que l'on piège. Un véritable État de droit ne peut exister si ce système est trop bancal.

Je me rends souvent à l'étranger vendre le droit commercial français. Je suis allé en Éthiopie, à Cuba, au Vietnam, au Maroc. Je crois ces États très preneurs d'un système français, autrement dit de lois économiques dynamiques, modernes - à cet égard, c'est une bonne chose que vous vous attachiez à la réforme du droit des sociétés qui mérite fortement d'être repensé et allégé pour mettre l'accent sur l'essentiel, c'est-à-dire ne pas piéger les dirigeants qui créent la richesse et les emplois, et mieux protéger les apporteurs de capitaux et les créanciers - et de tribunaux à même d'appliquer ces textes loyalement. Ce droit de l'économie évolue sans cesse. Aussi, les tribunaux sont-ils source de droit par la force des choses ; ils font évoluer la loi en fonction des problèmes nouveaux qui leur sont posés, le législateur s'inspirant pour les lois suivantes, des solutions qu'ils ont consacrées.

M. le Président : Ou en les freinant.

M. Pierre BÉZARD : En les rectifiant.

Je rassemblerai mes idées sous trois rubriques : le fondement de la légitimité des tribunaux de commerce, le bilan des services rendus et quelques propositions d'évolution.

Sur la question du fondement des tribunaux de commerce et de leur légitimité à juger, je crois indispensable de se référer au passé, les tribunaux de commerce se réfèrent d'ailleurs toujours à Michel de L'Hospital !

M. le Président : 1563 ?

M. Pierre BÉZARD : Je l'ai tellement entendu que j'ai fini par l'oublier ! Je n'ai pas besoin de vous rappeler la création des tribunaux de commerce au haut Moyen Âge dans les villes de foire, en particulier dans les Flandres, au nord de la France, où se rencontraient les commerçants qui créaient des usages et désignaient des arbitres. Ils créaient déjà une loi commune, le codex mercatoria.

M. le Président : C'était le début du grand capital !

M. Pierre BÉZARD : Nous y reviendrons. Se sont donc créés des tribunaux consulaires et des règles applicables aux commerçants.

M. le Président : Malgré la grogne des magistrats professionnels.

M. Pierre BÉZARD : Je me demande si, à l'époque, ils se préoccupaient de cela.

M. le Président : Ils étaient très critiques.

M. Pierre BÉZARD : Par la suite il y eu les fameuses ordonnances de Colbert qui sont intéressantes. Les législations de terre et de mer furent les premières législations européennes de droit économique, ce qui est remarquable, alors même que la France n'était pas le premier pays commerçant.

Donc, dès le départ, a prévalu l'idée d'une spécificité commerciale. Le législateur révolutionnaire a ensuite conservé les tribunaux de commerce ; le fait que ces juges étaient élus a dû jouer pour beaucoup. Peut-être aussi la question lui est-elle apparue assez secondaire. Dans un monde avant tout agricole, le petit commerce et les grandes sociétés, contrôlés par le pouvoir royal puis napoléonien, ne représentaient pas un vrai problème. Le code de commerce - petit code à côté du code civil - consacre la spécificité des tribunaux de commerce à partir de l'énumération d'activités qui recouvrent quasiment toute l'activité économique : la distribution, la production, la fabrication, la transformation et le service. Autrement dit, le caractère commercial est plus aisément définissable par opposition : qu'est-ce qui n'est pas commercial ? L'agriculture, l'immobilier et les professions libérales. C'est relativement peu. Le commerce a été réglementé, parce qu'il a été considéré comme plus dangereux. En réalité, le xxe siècle a montré que l'immobilier l'était tout autant, sinon plus...

M. le Président : Là n'est pas le sujet.

M. Pierre BÉZARD : Le critère par l'activité a donc été consacré. Le développement de l'industrie et des transports a donné à cette réglementation commerciale tout à fait secondaire et placée à l'ombre du droit civil - quand j'étais étudiant, l'on ne s'occupait guère du droit commercial qui était considéré comme un droit d'exception - une importance considérable. De plus, la propriété mobilière - les brevets, les valeurs mobilières - va entrer dans le patrimoine des français et former un élément essentiel du droit commercial. Enfin, les techniques du droit commercial, de la banque, des assurances, des sociétés, vont à ce point se perfectionner qu'elles seront utilisées dans tous les domaines. Le droit commercial déborde les relations entre commerçants pour intéresser tout le pays.

Plus essentielle encore est la création des sociétés anonymes. Ripert enseignait que c'était une invention aussi importante que l'électricité, car cet outil juridique avait permis de construire des sociétés qui avaient fait la puissance du monde occidental, même s'il avait engendré des problèmes pour les salariés et avait eu des conséquences politiques. À l'heure actuelle, presque toutes les activités humaines, à partir du moment où elles connaissent une certaine organisation, prennent la forme de société. Or, la société commerciale est un type d'organisation plus satisfaisant techniquement, que la société civile qui le copie. Je suis venu ici, à l'Assemblée, en présence de M. Pleven, présenter la réforme de 1978 sur les sociétés civiles qui est une copie du texte sur les sociétés commerciales. Ainsi, la plupart des activités, mêmes civiles - à l'exception peut-être des professions libérales -, prennent cette forme en raison des avantages fiscaux et sociaux qui en résultent. Ainsi, une grande masse d'activités va devenir commerciale et relever de la compétence des tribunaux de commerce.

Le développement de la technicité, celui des sociétés commerciales, qui couvrent toutes sortes d'activités, ont pour conséquence de donner aux tribunaux de commerce, compétence pour connaître l'ensemble des problèmes des salariés, et notamment, du plus important, à savoir leur emploi, dans la mesure où les procédures collectives relèvent toujours des tribunaux de commerce. Ils vont également traiter de l'ensemble des problèmes d'épargne, puisque les associations d'épargnants, devenues très dynamiques, n'hésitent pas à saisir les tribunaux de commerce. On a complètement changé de mesure !

M. le Président : Est-il légitime alors que les commerçants jugent ce qui intéresse tous les Français ?

M. Pierre BÉZARD : Dans les années 1982-1983, de fortes contestations sont apparues. Aujourd'hui, les syndicats et les épargnants contestent moins le système des tribunaux de commerce. La question de leur légitimité se pose quand même, dès lors que des juges sont élus par des commerçants, non plus pour des affaires de commerce, non plus pour être des arbitres de leur propre profession, mais pour des affaires concernant d'autres domaines tels que le droit du contrat, le cautionnement, les garanties...

M. le Président : Même le droit des successions !

M. Pierre BÉZARD : En effet, ce droit évolue beaucoup plus par les tribunaux de commerce et la chambre commerciale que par les tribunaux civils. Les examens de droit qui, en matière civile, portent sur le droit des contrats utilisent des exemples tirés des chambres commerciales des cours d'appel ou de la Cour de cassation. Ne faut-il pas, dès lors, repenser cette légitimité ? La question se pose. Les tribunaux de commerce eux-mêmes évoluent et se disent que ce n'est plus un problème de légitimité, mais une question de compétence technique. Ils estiment être plus compétents techniquement que les autres tribunaux parce qu'ils sont issus du monde de l'entreprise et des marchés. Lors de la dernière conférence des tribunaux de commerce, M. Nougein, président du tribunal de commerce de Lyon, magistrat très remarquable, ne disait pas autre chose. Selon lui, il faut aussi reconstruire la légitimité des tribunaux de commerce en se fondant sur leur technicité.

M. le Président : Est-ce la seule légitimité que vous reconnaissiez aux tribunaux de commerce ?

M. Pierre BÉZARD : Je dis que l'évolution a tué l'ancien fondement arbitral. Les membres des tribunaux l'admettent, mais ils revendiquent une technicité qui les rend plus à même de juger que les magistrats professionnels.

M. le Président : Le raisonnement amorcé qui consiste à dire que l'enjeu des procédures commerciales dépasse largement les intérêts des commerçants, ne les "délégitime"-t-il pas ? Par exemple, est-il normal qu'une juridiction qui prend des décisions concernant les salariés ne compte aucun salarié, à l'exception de cadres de grandes entreprises qui représentent le patronat ?

M. Pierre BÉZARD : Incontestablement, le problème est sérieux. Cependant, cette légitimité technique n'est pas fondamentalement remise en cause. On reconnaît seulement que les personnes non satisfaites des tribunaux de commerce bénéficient de la voie d'appel avec des magistrats professionnels.

M. le Président : Quand, en tant qu'élu, on a la malchance de passer une partie de son temps avec les salariés d'entreprises mises en liquidation et que l'on se trouve obligé de leur expliquer dans quelle logique a été prise la décision, la légitimité apparaît très lointaine. Les possibilités d'appel sont extrêmement limitées, notamment dans les affaires de continuation, en raison de la loi même. Ainsi, une partie de la population, les salariés, est jugée par une autre, dont la légitimité n'est tirée que de sa force économique.

M. Pierre BÉZARD : Et de la tradition.

M. le Président : Au xixe siècle, les tribunaux de commerce se sont vu attribuer des compétences que l'on aurait pu ne pas leur accorder. Il a été envisagé, un temps, de ne pas donner la compétence sur les sociétés commerciales aux tribunaux de commerce. Il en a été de même pour les procédures collectives et une tendance actuelle consiste à avancer que toutes les procédures collectives, y compris pour les coopératives, les sociétés civiles ou les mises en règlement judiciaire concernant les agriculteurs, devraient être renvoyées devant les tribunaux de commerce pour des raisons de compétence.

M. Pierre BÉZARD : La technicité reste un élément essentiel dans l'examen de ces questions. La Chancellerie dispose d'un bureau du droit commercial et d'un bureau du droit civil. Quand la réforme du droit des sociétés civiles a été menée sous l'autorité du président Pleven, ce n'est pas le bureau du droit civil qui a préparé la réforme, c'est le bureau du droit commercial dont j'étais le responsable à l'époque. Pourquoi ? Parce que l'on a considéré que les techniciens étaient là. Cela signifie bien que la distinction entre le civil et le commercial n'est plus fondée. De la même façon, la chambre commerciale est compétente pour les affaires civiles ou commerciales. La technicité l'emporte.

M. le Président : Pas pour les faillites rurales tout de même !

M. Pierre BÉZARD : Sous réserve du droit de la construction, pour lequel on a considéré que le fond était plus important que la structure juridique, - mais, en cas de problème, la chambre commerciale est toujours interrogée -, sous réserve des sociétés civiles professionnelles que traite la première chambre civile, - mais là encore, s'il s'agit d'interpréter le code civil, c'est la chambre commerciale qui est compétente - l'on assiste à une unification entre le civil et le commercial. Il faut se poser la question de l'intérêt de la distinction entre le civil et le commercial, sinon par l'existence de juridictions différentes.

M. le Président : La Cour de cassation, sauf une exception, n'est composée que de juges professionnels dont on reconnaît tout de même la compétence. Ce qui donne à penser que les juges professionnels pourraient aussi être reconnus compétents en la matière.

M. Pierre BÉZARD : Je vais essayer maintenant de dresser un bilan de l'action des tribunaux de commerce d'une façon honnête. Je connais bien leur travail. Je connais des gens très remarquables en leur sein, en particulier des présidents des tribunaux de Paris et de la périphérie. Reste à mesurer le service rendu. Un premier aspect très important est celui de la connaissance du monde de l'entreprise et du marché. Les membres des tribunaux de commerce viennent du monde de l'entreprise, qu'ils soient créateurs d'entreprise ou cadres supérieurs.

M. le Président : Pour ce qui est des cadres, ce sont des juges choisis pour leur compétence et non pour leur qualité de commerçants.

M. Pierre BÉZARD : C'est vrai dans les grands tribunaux, comme à Paris, où les élections sont organisées de telle manière que l'on nomme des gens compétents et préparés à ce genre de travail. Le tribunal de commerce de Paris cite toujours le nombre de docteurs en droit qu'il compte. La connaissance de l'entreprise est, à mes yeux, l'argument essentiel. Le niveau des juges consulaires n'est pas homogène. L'on rencontre parfois de petits entrepreneurs, dont la connaissance des problèmes d'une grande entreprise peut être mise en question. Vous entendrez certains dire qu'il n'y a nul besoin d'être spécialiste d'une matière. « Pour juger de la propriété, il faut être propriétaire » disait Thiers. Nous avons dépassé ce stade, mais le besoin d'experts demeure. Je suis convaincu que chaque juge doit avoir une sensibilité. Le monde économique n'est pas qu'une spécialité technique, mais un monde à part qu'il faut connaître. Dans ces conditions, ceux qui jugent de l'économie doivent avoir une sensibilité économique. Des juges professionnels peuvent l'acquérir ; en l'état actuel, très peu ont été en mesure de le faire. Il y a dans les tribunaux de commerce, du fait de la présence des hommes de l'entreprise, une qualité dont je ne me dispenserais en aucun cas, même si la question du monopole peut être discutée. Ceci est d'autant plus vrai que le droit commercial conduit les juges à pratiquer un métier un peu particulier. En effet, dans cette matière plus qu'ailleurs, si l'aspect contentieux est important et augmente beaucoup, l'aspect arbitrage, médiation, prévention reste fondamental. Il est certain qu'un homme de l'entreprise qui connaît les gens de l'entreprise est, dans un premier temps, plus à même qu'un juge professionnel de rapprocher des points de vue. Or, une partie non négligeable du travail des tribunaux de commerce est un travail de médiation, de rapprochement. Cet aspect est essentiel.

Dans le cadre des procédures collectives, le texte de 1985 - je le connais bien pour l'avoir beaucoup appliqué au parquet de Paris et pour l'appliquer encore à la chambre commerciale - est très technique. L'objectif était au départ, de faire prévaloir la sauvegarde de l'entreprise et les emplois sur l'intérêt des créanciers. Du fait de la crise économique, tout le monde était bien convaincu de la nécessité de sauver les entreprises. Telle était la volonté initiale. L'on s'est aperçu par la suite que le redressement judiciaire intervenait dans des cas très limités, qu'il coûtait très cher sans beaucoup de résultats, et qu'un certain nombre de créanciers y étaient réticents.

Quoi qu'il en soit, à l'heure actuelle, on a compris que la prévention était essentielle ; j'y crois beaucoup ; plus la démarche destinée à sauver les entreprises est précoce, plus on doit donner de pouvoir aux juges du commerce, pour essayer d'être informés par des procédures d'alerte internes à l'entreprise. La loi n°94-475 du 10 juin 1994 qui réforme la loi n°84-148 du 1er mars 1984 va dans ce sens, en permettant au comité d'entreprise, aux minoritaires, au commissaire au compte, de mettre en oeuvre les procédures d'alerte et au commissaire aux comptes de saisir directement le président du tribunal. Celui-ci dispose par ailleurs de moyens de s'informer, de réagir, de convoquer le dirigeant de l'entreprise, - dont on sait qu'il n'aime pas mettre sur la place ses difficultés -, et d'essayer de sauver ce qui peut l'être. C'est fondamental. Si l'on veut agir en matière de procédures collectives, c'est au niveau de la prévention qu'il faut se placer. Je le dis très loyalement : l'homme de l'entreprise, beaucoup mieux que le magistrat professionnel, est à même de le faire. Il a naturellement une sensibilité ouverte à cette approche.

M. le Président : Dans le constat que vous dressez, les tribunaux de commerce, remplis de ces hommes parfaits que sont les commerçants, agissent. Ont-ils sauvé des affaires ?

M. Pierre BÉZARD : Oui.

M. le Président : Combien en pourcentage ?

M. Pierre BÉZARD : Je considère qu'un très gros effort a été accompli et est accompli à l'heure actuelle. D'après ce que je constate dans les procédures, d'après les contacts que j'entretiens avec les magistrats du parquet de Paris, je pense qu'un travail très sérieux est réalisé.

Par ailleurs, vous savez que, sans les efforts d'un président d'un tribunal de commerce dont vous connaissez le nom, l'on aurait connu un effet de dominos en matière bancaire et je ne sais où en seraient un certain nombre d'établissements... Il est vrai que la banque et l'immobilier sont des secteurs plus faciles à traiter, car les salariés sont moins nombreux. Je rends hommage à l'effort engagé et je conclus, sur ce terrain, en avançant que les gens de l'entreprise sont mieux placés pour agir. Dans de telles circonstances, je me demande si un juge professionnel ne ferait pas un peu peur au chef d'entreprise, compte tenu de son image de juge plutôt pénal.

M. le Président : Il vaut mieux quelqu'un du même monde !

M. Pierre BÉZARD : Dans le bon sens du terme.

Mes propos valaient pour le versant médiation, prévention. En ce qui concerne le traitement du contentieux, les qualités des tribunaux de commerce sont peut-être moins grandes, mais il est indéniable que leurs membres ont une connaissance de l'entreprise, des marchés, des problèmes de banque. Cependant, je crois que le magistrat professionnel peut, à condition d'être bien formé, combler ses lacunes dans ce domaine. En matière de justice économique, comme dans bien des domaines, l'essentiel est que les décisions soient, non seulement conformes à la loi, mais adaptées à la réalité économique. Je ne dis pas ce que doit être cette réalité, c'est un autre sujet. Une décision est rendue sur une affaire, il en découle une jurisprudence commentée dans tous les journaux, y compris les journaux financiers et économiques. La portée du droit est de plus en plus grande. Il faut donc des solutions à la fois intelligentes et pratiques pour éviter les dégâts sur le terrain.

Des hommes bien formés, comme peuvent l'être les bons magistrats des tribunaux de commerce, peuvent initier une bonne jurisprudence.

De plus en plus, nous irons vers une déréglementation du droit des sociétés, puisque tout y conduit apparemment. Mais il faudra respecter l'équilibre entre d'une part, la prise en compte du dynamisme de l'entreprise, qui doit conduire à une certaine liberté du dirigeant et d'autre part, la prise en compte des intérêts des apporteurs de capitaux, des salariés, des créanciers. Sans cette nécessaire déréglementation, un certain nombre d'entreprises se délocaliseront, car telle est la menace que je crois bien réelle. Les lois françaises du droit des sociétés sont trop contraignantes et n'atteignent cependant pas leur but. Il faut arriver à une déréglementation qui placera l'accent sur l'essentiel : la loyauté des comportements, la transparence, la bonne foi, le respect des intérêts en cause. Déjà des décisions font référence à ces notions. Il faut donc des juges qui savent ce qu'est la loyauté.

M. le Président : Faut-il être cadre d'entreprise pour connaître la loyauté ?

M. Pierre BÉZARD : Non mais en cas de concurrence déloyale, de parasitage, de débauchage, il n'est pas mauvais d'être chef d'entreprise pour juger. Cependant en matière de contentieux, la justification du monopole est plus fragile.

M. le Président : Votre description aboutit au retour à l'arbitrage, à un dispositif prenant en compte les intérêts des deux parties qui ont demandé l'arbitrage, non celui des autres. Le danger de l'arbitrage est bien connu : il réside parfois dans la solution du plus fort, qui l'emporte sans qu'il y ait beaucoup de voies de recours. L'on devine les avantages de la solution ; on en perçoit aussi les limites.

M. Pierre BÉZARD : L'autre aspect réside dans les connaissances juridiques. Les tribunaux de commerce se situent en position beaucoup plus faible sur ce point, ce qui a peu d'importance s'agissant de la prévention proprement dite, quoiqu'il faille être attentif tant le débat est compliqué. Il faut faire beaucoup en matière de prévention, car sauver les entreprises reste la question essentielle, mais il ne faut pas déroger à la règle. Le contentieux pourrait venir des juristes, ce qui est sans doute regrettable, car nombreuses sont les solutions d'équité qui ne sont pas conformes à la règle.

M. le Président : Des solutions qui peuvent violer le droit du travail, l'obligation d'informer les salariés, les tiers...

M. Pierre BÉZARD : En effet, s'agissant des connaissances juridiques, le fonctionnement des tribunaux de commerce peut appeler des observations, pour ce qui est du contentieux. Le droit économique est devenu d'une complexité terrible. Le droit des procédures collectives est sans doute trop complexe. La chambre commerciale compte cinq ou six spécialistes du droit des procédures collectives, qui ne font que cela.

Devant ce monde d'une technicité extraordinaire, il faut vraiment des spécialistes qui se tiennent en permanence ouverts à l'évolution. Les sources du droit commercial comportent les règles élaborées à l'Assemblée, mais aussi par l'Union européenne. Il n'y a pas de séance à la chambre commerciale sans que ne soit évoquée l'Europe. Il est également constamment fait référence à la Convention européenne des droits de l'homme qui n'est cependant pas du droit commercial. Ce sont aussi les conventions internationales de transports ou autres qui sont multiples et dont certaines applications sont d'ordre public. Ce sont encore, ce qui est peut-être plus discutable, les sources des autorités administratives indépendantes, telle la COB, qui créent une réglementation.

Les OPCVM, SICAV, fonds communs, - un domaine que je connais assez bien pour avoir écrit de nombreux articles -, sont un bon exemple. Pour maîtriser la réglementation applicable, il ne faut pas chercher dans les lois, mais dans l'application pratique, dans les statuts particuliers qu'impose la COB ! Nous avons beaucoup de mal à nous retrouver dans la multiplication des textes.

M. le Président : Le petit entrepreneur de province arrive-t-il à se mettre au courant de tout cela ?

M. Pierre BÉZARD : En posant la question vous y répondez. C'est assez difficile.

M. le Président : En fait, vous insistez sur l'importance de la formation permanente.

M. Pierre BÉZARD : En effet ; elle est organisée à Tours et rencontre des problèmes, car elle n'est pas subventionnée à l'heure actuelle. Il paraît difficile d'admettre, au contentieux, des juges sans connaissances juridiques sérieuses a priori. L'importance des contentieux - ceux de la chambre commerciale ont augmenté de près de 30 % en sept ans -, leur originalité - des banques s'opposent entre elles désormais, ce qui ne se voyait pas auparavant -, l'activité des associations d'actionnaires, des problèmes internationaux le justifient d'autant plus...

M. le Président : Existe-t-il un travail de synthèse sur cette évolution de l'activité de la chambre commerciale ?

M. Pierre BÉZARD : On pourrait le réaliser, il révélerait une montée en force, en quantité et en qualité, des problèmes posés.

M. le Président : Vous voulez dire en complexité ?

M. Pierre BÉZARD : Certainement. Il y a nombre d'arrêts de principe.

M. le Président : Des arrêts de règlement.

M. Pierre BÉZARD : Non, on laisse cela aux autorités administratives indépendantes. Vous avez cependant raison : par la répétition des décisions, nous arrivons à construire le droit. Mais nous nous inclinons devant le législateur.

Reste un problème de formation initiale et continue. Il est certain que l'avantage du mi-temps pour les juges est de leur permettre de s'aérer ; mais cela les affaiblit sur un certain nombre de points. J'ai examiné une décision d'une cour d'appel américaine, transmise par un professeur de faculté de Paris, dont je réfute les termes, mais qui permet de comprendre la manière dont nos juridictions sont reçues à l'étranger. Pour s'opposer à une demande d'assignation dans une ville du nord de la France, les juges américains, parlant des tribunaux de commerce, affirment « Ces juges sont des amateurs, ils ne connaissent pas le droit ; nous n'acceptons pas des gens qui ne sont pas professionnels. »

C'est dur et injuste. Même dans les grands pays développés, il existe des justifications proches de celles avancées dans des pays dits « moins développés ».

M. le Président : Puisque l'on aborde le jugement des étrangers sur les juridictions consulaires à la française, l'un des membres de la délégation du CNPF que nous avons reçue, nous indiquait qu'il lui arrivait fréquemment de rencontrer des clauses d'exclusion de la juridiction consulaire dans les contrats. À qui profitent ces clauses, à l'arbitrage ou à d'autres juridictions ?

M. Pierre BÉZARD : À l'arbitrage et à d'autres juridictions françaises. Mais, si les tribunaux de commerce étaient composés de professionnels, le nombre de clauses d'exclusion ne varierait sans doute pas.

M. le Président : Selon vous, les juridictions commerciales de grandes villes, bien conseillées et bien inspirées par un excellent parquet, celui de Paris, rendent un service convenable. Mais vous ne dites rien de tout le reste. Pourtant, un certain nombre de dossiers montés en épingle ici et là expliquent certaines préventions contre les tribunaux de commerce, notamment dans le monde des affaires.

M. Pierre BÉZARD : Ces préventions sont d'ordre structurel. Le système français des tribunaux de commerce a été exporté par Napoléon dans toute l'Europe. La plupart des pays européens ont consacré des tribunaux consulaires.

M. le Président : Pas exactement notre système.

M. Pierre BÉZARD : Notre système a été très majoritairement adopté dans bien des pays.

M. le Président : Avec l'échevinage ?

M. Pierre BÉZARD : Il existait des juges uniquement consulaires dans beaucoup de cas. Mais aujourd'hui, il n'existe plus aucun État qui ait conservé le système français. En Europe, c'est la même chose. Je voyage beaucoup pour intervenir sur des rédactions de texte, à la demande du premier président ou du ministère des Affaires étrangères. Je ne souhaite pas être injuste et noircir un tableau qui n'a pas lieu de l'être. Je prétends que, dans les grandes villes et dans les plus petites si l'on a la chance de tomber sur un bon magistrat consulaire, l'on peut obtenir de très bonnes décisions. Mais j'ajoute, qu'il ne suffit pas d'être compétent, il faut donner l'impression de l'être, c'est-à-dire faire passer le message.

Certaines personnes rejettent a priori le système consulaire qui ne correspond pas à leur manière de penser.

M. le Président : Mais le système français n'existe qu'en France ; en Allemagne c'est l'échevinage ...

M. Pierre BÉZARD : Vous avez deux types de système : celui des juges uniquement professionnels et l'échevinage.

M. le Président : En Angleterre ?

M. Pierre BÉZARD : Cela a toujours été organisé par des chambres spéciales de magistrats professionnels.

M. le Président : Le fait que le système français soit unique peut expliquer que, dans des contrats étrangers, il soit considéré comme étrange.

M. Pierre BÉZARD : Oui. J'examine entre soixante et quatre-vingt décisions par semaine. Je regarde toujours, avec l'arrêt de la cour d'appel, la décision du tribunal de commerce. Bien entendu, il est des arrêts que je dois casser, car ils ne sont pas bons ; mais il existe beaucoup de bons arrêts de tribunal de commerce, qui font une bonne application de la loi, logique et satisfaisante. Par ailleurs, j'observe que certaines décisions de cours d'appel nous amènent à regretter que la décision initiale ait été malmenée.

M. le Président : Dans le système français, certains TGI statuent commercialement. La chambre commerciale examine leurs décisions et celles des juridictions à échevinage. Quelles remarques particulières porter sur ces juridictions ? Existe-t-il des différences notables ?

M. Pierre BÉZARD : Non. Il y a parfois des dérapages sérieux de certains de nos collègues, par manque de compréhension.

M. Jacques GODFRAIN : Pouvez-vous nous dire un mot sur la proportion d'arrêts cassés par votre chambre ?

M. Pierre BÉZARD : Les tribunaux de commerce disent ne pas être plus rabattus que ne le sont les tribunaux ordinaires. Effectivement, je pense que les proportions sont comparables à celles des TGI.

M. le Président : Encore faut-il apporter un correctif : il y a très peu de dossiers d'aide judiciaire devant les tribunaux de commerce. Cela fausse beaucoup les statistiques.

M. Pierre BÉZARD : Plusieurs correctifs sont en effet à apporter : celui que vous évoquez ; le deuxième est le caractère oral de la procédure devant les tribunaux de commerce qui incite des personnes à « tenter le coup » mais les rend peu enclines à passer à la phase « cour d'appel ». En troisième lieu, une grande partie de l'activité des tribunaux de commerce est constituée des procédures collectives. Or, les statistiques montrent que 95 % de ces procédures mènent à la liquidation. Dès lors, quel intérêt présente l'appel pour un jeune entrepreneur que l'on a poussé, par des aides, à créer son entreprise et qui, une fois les aides épuisées, dépose son bilan ? Dans ce cas, l'appel ne sert à rien. Il essaiera simplement de ne pas payer le cautionnement qu'il doit à la banque et d'éviter qu'on le mette en cause personnellement. Sur ces sujets, il se défendra. Mais, s'il a échoué pour des raisons économiques et sans faute de sa part, l'appel ne présente pas d'intérêt.

Par ailleurs, tout le système a été construit pour empêcher les appels. Cela se justifie dans la mesure où il faut éviter les procédures qui risquent de paralyser les chances de survie des sociétés. En cas de cession, les cessionnaires écartés n'ont pas droit de faire appel. La plupart du temps, le parquet peut intervenir. Mais le parquet qu'est-ce ? À Paris, deux magistrats ! Je mets donc un bémol - aides judiciaires et procédures collectives - sur la satisfaction née de l'absence d'appel. Cela dit, dans les vrais contentieux, le pourcentage n'est pas plus élevé que dans les juridictions ordinaires.

En conclusion, je voudrais insister sur la formation qui me semble un problème essentiel. Les grands tribunaux, et certains autres prennent les bonnes décisions, du fait de la présence d'un bon juge, bien formé juridiquement, mais je pense qu'un effort considérable doit être fait si les choses restent en l'état, afin que seules les personnes ayant reçu une formation accèdent à de telles responsabilités. Sinon, les juridictions commerciales françaises seront éliminées sur le plan européen.

Un autre aspect me paraît délicat, celui de la qualité rédactionnelle des jugements. Le droit est devenu une grande spécialité et l'on ne peut se contenter d'à peu près. Un jugement mal rédigé et peu motivé est extrêmement dangereux sur le plan de la protection des plaideurs. De temps en temps, des juges, proches de la qualité d'arbitre, en toute bonne foi, perçoivent la bonne décision et l'assènent sans pratiquement la motiver. Cela se rencontre de moins en moins, mais cela arrive ; de même chez les juges professionnels, certains motivent mal. Apprendre à motiver est essentiel, car, faute de motivation, vous n'avez nulle possibilité de faire appel. La motivation est un élément fondamental de la défense des individus. On ne peut se contenter d'approximation, il convient de bien décrire les faits, de faire référence à la loi et dire pourquoi celle-ci s'applique en l'espèce. Toute une éducation s'impose, mais il en va de la qualité rédactionnelle comme de la qualité juridique : elle est presque satisfaisante dans un certain nombre de tribunaux, moins ailleurs.

En tant que magistrat, après trente ans de carrière, j'appelle votre attention sur la façon dont le justiciable peut être piégé. Les fait sont établis par un jugement qui est inéluctablement réducteur par rapport à la réalité. Les juges introduisent dans le jugement ce qui leur paraît essentiel, et cette version sera soumise à l'appel des juges professionnels. Mais a-t-on bien décrit le problème ? Dans une certaine mesure, la réalité va se trouver enfermée dans les limites d'un jugement ; d'où l'intérêt d'un jugement bien construit au départ.

Le rôle des juges du premier degré reste essentiel ; un président de chambre à la Cour de cassation dira que l'étape la plus importante est celle du premier degré de juridiction. Qui fait le plus parler en France ? Les juges d'instruction. Qui a le plus de portée ? Les juges des référés, les juges d'instance du fait de la difficulté de faire appel, ou de la durée de l'appel en matière économique. Vous ne pouvez pas, quand vous siégez à la Cour de cassation, annuler une OPA, alors que vous intervenez deux ans après ! De même, une fusion de sociétés ne peut être remise en cause. C'est au niveau du juge de première instance que se jouent les décisions fondamentales.

M. le Président : Vous avez évoqué le référé. A-t-il une grande importance en matière commerciale ? Fonctionne-t-il aussi bien qu'au civil ?

M. Pierre BÉZARD : Il fonctionne.

M. le Président : Dans le langage de la Cour de cassation, qu'est-ce que cela veut dire ? En matière civile, l'évolution de cette dernière décennie a vu le développement du référé en toute sorte de matières.

M. Pierre BÉZARD : Quelqu'un d'honnête peut-il déclarer que quelque chose fonctionne parfaitement en matière de justice ?

M. le Président : L'exemple du référé correspond à une demande du justiciable. Nombre de contentieux s'arrêtent du fait de la décision de référé qui a déterminé une base pour l'entente des parties. Le même développement s'observe-t-il en matière commerciale ?

M. Pierre BÉZARD : Avec un temps de retard, mais, à l'heure actuelle, dans les grands tribunaux, il est bien engagé. Là encore, tout est question de qualité des individus et des structures. La nécessité d'une rédaction claire des jugements de première instance, en raison de leur importance dont toute la suite dépend, rend primordiale la formation des juges des tribunaux de commerce à la rédaction.

J'en arrive au problème de l'indépendance. J'ai prêté serment, je ne me déroberai pas à cette question toujours difficile. Le problème de celle des juges professionnels s'est posé au regard du pouvoir politique ; celle des juges consulaires fait question au regard du monde dont ils sont issus. Pour les juges professionnels, il n'y a pas de problème vis-à-vis d'un monde dont ils ne sont pas issus et avec lequel ils n'ont de liens que distendus. Le vrai problème du juge professionnel en matière économique tient plutôt à son isolement dans une tour d'ivoire d'où il ne sort pas assez ; il lui faudrait aller, avec prudence, à la recherche de la connaissance économique, en rencontrant d'une façon transparente des responsables d'entreprises, des responsables syndicaux, des responsables d'association de consommateurs. Je suis pour une ouverture et un dialogue le plus large possible. Les gens rencontrés ont, chacun, leur conception des choses. Mais le juge doit s'ouvrir à une sensibilité sociale et économique qu'il n'a pas forcément. Il est trop confiné.

Le juge commercial est né de ce milieu ; c'est un autre réflexe qui doit l'animer : ne pas trop confondre ce milieu dont il est originaire avec le milieu qu'il va être amené à juger. Le vrai problème du magistrat consulaire est de prendre une vraie distance par rapport aux choses et aux gens qu'il a connus.

M. le Président : C'est plus compliqué encore lorsque le magistrat consulaire est un salarié d'une entreprise !

M. Pierre BÉZARD : Indiscutablement, il faut une grande force, une capacité à se déporter. Les grands magistrats des tribunaux de commerce y parviennent, - il y en a, j'en ai connu et j'en connais encore -. Quand ils mettent leur robe noire, ils se dégagent de leur milieu. Ils rendent des décisions honnêtes. Mais l'effort à produire est certain. Je ne suis pas sûr que ce soit toujours facile pour tous.

Leur éthique de médiation, de contact, les conduit effectivement à la conciliation et au rapprochement, mais rend plus difficile la faculté de se déporter. Il reste un effort de formation à assurer sur le plan de la déontologie.

M. le Président : Un cadre d'entreprise vous paraît-il indépendant par rapport à l'entreprise dont il est issu et qui, quelquefois, continue de le rémunérer ?

M. Pierre BÉZARD : Dans une affaire qui, de près ou de loin, concerne l'entreprise dont il est issu, il doit, selon moi, obligatoirement se déporter. Cela va de soi.

M. le Président : L'on a vu des cas contraires...

M. Pierre BÉZARD : Le monde financier dans une ville moyenne ou même importante est un monde limité ; il en va de même dans une capitale comme Paris. Se déporter n'est pas facile, mais il faut en passer par là.

M. le Président : Une partie des critiques formulées à l'encontre de l'efficacité douteuse des juridictions consulaires porte sur la pratique consistant à laisser, dans des holdings, vider la coque d'une des entreprises, à faire disparaître ses actifs, à glisser doucement vers une procédure collective, à licencier les salariés au passage. Les juges commerciaux sont les rares personnes capables de comprendre de telles pratiques. Or, très souvent, ils laissent faire et abordent le dossier tel qu'il leur est présenté : une filiale ne fait plus d'affaires, et l'on dirige la procédure contre le directeur du moment, un homme de paille. Les juges consulaires connaissent tellement le milieu que ne pas voir la réalité des choses apparaît un peu suspect.

M. Pierre BÉZARD : La chambre commerciale a été obligée de réagir contre une situation inverse, où, dans une certaine région, dès qu'une filiale dépose son bilan, les juges prétendent qu'elle était fictive pour entraîner d'autres filiales dans la procédure. Une telle démarche peut être justifiée dans un certain nombre de cas de fictivités, de confusions, d'immixtions...

M. le Président : D'autant que la stratégie de beaucoup d'entreprises est de conserver le secteur commercial et « d'externaliser » la production, de mettre en règlement judiciaire les usines et de se fournir à l'étranger.

M. Jacques GODFRAIN : La question de la localisation des contentieux semble liée à celle de la taille des tribunaux de commerce, elle-même liée à la carte judiciaire. C'est un sujet auquel les élus de provinces sont sensibles. Ma circonscription compte deux tribunaux de commerce, Millau et Saint-Affrique. L'on sent bien que c'est un argument opposé aux petits tribunaux de commerce que d'avancer l'étroitesse du milieu économique et commercial local, où tout le monde se connaît et où l'indépendance du magistrat consulaire peut être mise en doute. Mais vous avez évoqué la solution qui vient d'elle-même : la délocalisation du contentieux. Cela vient d'être organisé en Afrique. Je m'y suis intéressé dans une vie antérieure en qualité de ministre de la Coopération. L'OADA permet à un appel d'être jugé à des milliers de kilomètres. L'indépendance des magistrats est assurée parce qu'ils ne sont ni de la même région, ni de la même ethnie. Pourquoi ne développe-t-on pas davantage les délocalisations des contentieux commerciaux ?

M. Pierre BÉZARD : Je crois que la solution s'impose. Le fait que cela nous surprenne encore, prouve le caractère exceptionnel de cette procédure. Une décision récente qui portait sur une question viticole a été cassée et délocalisée très loin.

Pour en terminer, il y a dans le système tel qu'il existe, des améliorations à apporter : la délocalisation, la déontologie, une meilleure formation... Personnellement, je crois nécessaire d'aller plus loin.

M. Jacky DARNE : Sur la question de l'indépendance, la délocalisation peut, bien sûr, être une réponse adaptée, mais ne croyez-vous pas qu'un problème plus général, d'ordre sociologique se pose, en particulier dans les procédures collectives ? Un juge, ancien dirigeant d'entreprise, donc propriétaire de moyens de production, peut-il prendre comme critère de décision l'intérêt de l'entreprise, entendu au sens large ? Je suis surpris de constater que les salariés, quand il s'agit de choisir le repreneur, formulent des choix très différents de celui du dirigeant. Je pourrais citer des exemples, y compris dans ma commune, d'entreprises importantes, de choix de repreneurs très différents, celui des salariés étant très marqué et fondé, tout à la fois sur le plan industriel, de l'emploi, du développement d'entreprises. Le tribunal de commerce ne confirme ce choix qu'assez rarement pour retenir plutôt la proposition des anciens dirigeants qui prend davantage en compte l'approche financière, c'est-à-dire l'intérêt des créanciers, celui du capital qui doit être préservé, et ce, au détriment de l'emploi. Il est facile de démanteler une entreprise, de céder des marques dans une procédure de partage ; or, ces solutions ne correspondent pas du tout à l'intérêt général et à la volonté, qui caractérise notre droit des procédures collectives, de traiter l'entreprise différemment des dirigeants et de rechercher sa survie. J'ai l'impression que le dirigeant ne prend pas suffisamment en compte cet aspect. N'est-ce pas sous cette forme que se pose principalement la question de l'indépendance ?

M. le Président : Cette question a d'autant plus de poids qu'elle vient d'un parlementaire de la région lyonnaise. Or, vous nous avez dit le bien que vous pensiez du président du tribunal de commerce de Lyon.

M. Pierre BÉZARD : Son intervention à la Conférence générale des tribunaux de commerce de Lyon était très brillante...

M. Jacky DARNE : Que pensez-vous des propositions de son rapport ?

M. Pierre BÉZARD : S'agissant de la question relative à la survie des entreprises, de la même façon que les juridictions étrangères déclarent : "Ce sont des amateurs, ce ne sont donc pas des professionnels. ", on peut tout aussi bien affirmer : "Ce sont des dirigeants d'entreprise, donc ils ne peuvent prendre en compte les intérêts des salariés. " Ce sont là des observations a priori.

M. le Président : D'où l'avantage de la présence de cadres salariés dans les tribunaux de commerce.

M. Pierre BÉZARD : Moi qui ne suis ni chef d'entreprise ni salarié, j'essaye d'avoir une approche honnête et d'être attentif aux deux aspects. Je ne pense pas que les membres des tribunaux de commerce méprisent la place des salariés ; d'autres peuvent réagir différemment. La palette est large. Au cours de ma pratique, j'ai vu des plans de salariés intéressants qui n'ont pas été retenus alors que d'autres, très sympathiques, mais assez utopiques - ce qui ne signifie nullement que l'expérience ne devait pas être tentée - l'ont été. Le problème des juges consulaires est que l'élargissement de leurs compétences, qui les conduit à ne plus juger seulement des questions concernant leur propre profession, les fragilise et les rend sujets à critique.

M. Jacky DARNE : Sans répliquer à vos propos sur lesquels je ne suis pas totalement en phase, je vous demanderai comment vous appréciez la place et la qualité des experts auprès des tribunaux de commerce, principalement d'ailleurs dans les procédures collectives. Vous insistiez sur la compétence et donc la proximité professionnelle. Or, j'ai l'impression que les experts jouent un grand rôle. Sont-ils à leur juste place ? Comment appréciez-vous leur qualité et comment jugez-vous leur désignation, leur rôle ?

M. Pierre BÉZARD : Lorsque le juge est une personne intelligente, compétente, et lorsqu'il consacre à sa mission de juge une place importante, il pourra s'imposer aux experts, les choisir, les contrôler, et non pas simplement avaliser ce qu'ils font. Cela vaut, du reste, pour les magistrats professionnels, qui, pour certains, ont démissionné de leurs fonctions de magistrats, en donnant des habilitations à des experts professionnels qui sont les vrais patrons, ce qui n'est pas tolérable. J'ai effectivement constaté que dans certains tribunaux de commerce de taille moyenne où le magistrat est insuffisamment présent, il est complètement dominé par son greffier et ses administrateurs judiciaires.

M. Alain COUSIN : Vous avez commencé d'évoquer le sujet que je voulais aborder : le rôle des administrateurs, des mandataires et liquidateurs, qui occupent une place considérable dans nos tribunaux de commerce. On a évoqué les juges consulaires. Élu de province, j'observe de petits tribunaux, quasiment au quotidien. J'ai le sentiment que cela se passe, globalement, plutôt bien et que les juges suivent une démarche honnête, même s'ils se jugent entre eux, en quelque sorte. Il s'agit le plus souvent de petites affaires, dans lesquelles le chef d'entreprise et le salarié sont fortement impliqués. On n'assiste pas aux dérapages qui peuvent probablement être constatés dans de grands groupes. Cependant, le rôle des administrateurs, des mandataires et liquidateurs me paraît essentiel, voire souvent trop déterminant. Par rapport à la formation, peut-être encore trop insuffisante des magistrats consulaires, le poids que représentent certains administrateurs et mandataires en raison de leurs connaissances, me paraît trop lourd.

M. Pierre BÉZARD : Je partage votre point de vue. Les permanents - le greffier, l'administrateur - se trouvent parfois face à un juge qui ne fait que passer, même s'il est là pour quelque temps, qui n'a pas toujours l'étoffe nécessaire, et qui assume par ailleurs ses responsabilités d'entrepreneur. Il n'a pas suffisamment de poids et il risque de se faire dominer par des personnes qui ont l'avantage de connaître l'environnement et qui sont parfois, juridiquement, meilleurs praticiens. Ils ne font alors plus véritablement leur travail de juge, qu'ils en soient conscients ou non.

À cet égard, la Chancellerie a préparé un texte qui va dans le bon sens. Le texte précédent instituait déjà des structures que l'on aurait dû employer, mais qui n'ont pas été utilisées. Ce qui s'est passé dans un tribunal de la région parisienne est tout à fait exceptionnel par sa gravité, et conduira à la modification de textes et à la mise en place, outre l'obligation de dépôt des fonds, de contrôles de commissaires aux comptes, et à la présence de juges-inspecteurs.

M. le Président : Cette affaire à laquelle vous faites allusion n'est pas un cas isolé, puisque, je crois, d'autres procédures viennent d'être ouvertes.

M. Serge BLISKO : Ma question est celle d'un élu parisien, qui n'a pas eu à connaître des affaires dont la presse parle, mais qui perçoit dans le tissu économique d'une ville comme Paris des entreprises de taille moyenne en proie à de grandes difficultés. Peut-être est-ce le milieu parisien qui veut cela, mais j'entends souvent dire aujourd'hui que s'opère un changement de culture en ce domaine. Une phrase me glace un peu : « Le dépôt de bilan est une méthode de gestion. » Il y a aujourd'hui une culture de la procédure collective qui, me semble-t-il, constitue un détournement des textes.

M. Pierre BÉZARD : Du moins, par rapport à la volonté du législateur.

M. Serge BLISKO : S'ajoute une confusion que ressentent nombre de chefs d'entreprise. La ligne jaune entre ce que l'on pourrait appeler « le droit des affaires » et le « droit pénal des affaires » est souvent franchie. Autrement dit, des personnes se comportent en gerfauts ; ce sont les mêmes qui nous disent que le dépôt de bilan est un mode de gestion.

Avez-vous ressenti cette évolution extrêmement dommageable et qui décrédibilise l'institution consulaire aux yeux d'un certain nombre de chefs d'entreprise ?

M. Pierre BÉZARD : Il convient de prendre en compte un certain nombre de procédures intervenues à la fin des années quatre-vingt. Des crédits d'État très importants ont été injectés dans ce secteur et n'ont pas été investis ailleurs. Par ailleurs, des cessions d'entreprises sont intervenues plus ou moins régulièrement, dans des conditions contestables ; les repreneurs étaient parfois des personnes déguisées, alors que ce n'est pas autorisé ; on trouvait des fonds publics, semi-publics ou privés dans les banques, des administrateurs qui jouaient des rôles ambigus. Je ne généralise pas, car ce qui est médiatisé revêt souvent un caractère quelque peu exceptionnel : on met en cause un magistrat et tous sont pourris ; on met en cause un député et tous sont pourris.

Il est vrai que pour éviter l'application de certaines lois sociales - je le dis très froidement -, le dépôt de bilan a été utilisé comme mode de gestion pour créer autre chose. C'est comme tout : il y a la règle et l'abus de la règle. Il faut des juges conscients et des parquets attentifs pour résister. Il n'en demeure pas moins que le risque est majeur.

M. le Président : Avec un patronat représenté massivement, et même uniquement, dans les tribunaux de commerce et qui a pour logique de considérer que la rentabilité économique doit l'emporter sur la création d'emplois, on peut laisser dire qu'il prête la main à ce type d'opération. Tel est le sens de la question.

M. Serge BLISKO : Je ne voulais pas aller jusque-là.

M. Pierre BÉZARD : Le CNPF est également critique. Lui-même souhaite évoluer.

M. le Président : Le CNPF se place sur le plan de la crédibilité de l'institution.

M. Gilbert MITTERAND : J'ai relevé deux aspects dans votre exposé. Le premier a consisté à être très positif, voire élogieux pour tout ce qui concerne la partie prévention, médiation, procédures d'alerte, connaissance et proximité du terrain ; le second a été, sinon critique, du moins plus réservé sur le contentieux. Vous avez, à cet égard, abordé la question d'une légitimité plus fragile, d'une connaissance juridique moindre et évoqué la possibilité de délocaliser certaines décisions pour préserver l'indépendance.

Ces deux axes de réflexion vous donnent-ils des idées sur une éventuelle modification de la carte judiciaire ?

M. Pierre BÉZARD : Oui.

M. le Président : Avant d'aborder cette question qui fera l'objet de notre dernière partie, je souhaiterais que vous répondiez à la question suivante : les tribunaux de commerce peuvent prendre des sanctions, telle l'interdiction de pratiquer le commerce. Les appliquent-ils ou, étant complètement dans le monde commercial, leur jurisprudence a-t-elle tendance à être trop bienveillante ?

Deuxièmement, quel est le rôle du parquet au sein de ces institutions ?

Troisièmement, quelles sont les sanctions à l'égard des juges des tribunaux de commerce ?

Après avoir répondu à ces questions, nous aborderons la partie relative aux propositions, dont la carte judiciaire.

M. Pierre BÉZARD : S'agissant des sanctions financières, je rappelle que la loi de 1985 a dépénalisé très largement le droit des procédures collectives, excepté la banqueroute et quelques délits annexes. Les procédures sont sévères et lourdes : contribution au passif du dirigeant, redressement et liquidation judiciaires qui peuvent lui être appliqués, interdiction de gérer, faillite personnelle. De telles procédures sont assez largement pratiquées et, même à la Cour de cassation, nous voyons énormément de condamnations. Elles sont souvent le fait des tribunaux de commerce qui ne sont pas toujours très tendres. À l'origine, à Padoue, à la Banca Rota, dans la grande salle municipale, on faisait asseoir le commerçant, on cassait son banc et on le jetait dehors en le lapidant. Je veux ainsi vous expliquer, qu'au regard des sanctions modernes, la bienveillance ne prévaut pas toujours à l'égard d'un commerçant en trompant un autre. Sans oublier la présence du parquet, qui est extrêmement attentif. Je l'ai constaté au parquet de Paris où j'ai joué un rôle important. Avec deux de mes collègues, nous avons suivi cet aspect de très près. Le parquet joue à cet égard un rôle déterminant dans les mises en cause.

Un fait est réellement nouveau : à l'heure actuelle, on ne se contente plus de condamner les présidents-directeurs généraux ou les présidents du conseil d'administration ; les administrateurs sont de plus en plus souvent mis en cause. C'est pourquoi une modification de la loi sur les sociétés s'impose car ces mises en cause sont dangereuses dans les petites sociétés, où l'on a introduit un ami ou un parent. En revanche, elles sont légitimes dans les grandes sociétés. Lorsque les administrateurs ont fermé les yeux, laissé le patron faire un peu n'importe quoi et répondent « Vous savez, moi, je ne suis pas très compétent. », ceux-ci ont été condamnés à de fortes amendes. On l'a vu dans de grosses affaires. La mise en cause des administrateurs des conseils d'administration est un phénomène extrêmement nouveau, qui a été initié par les tribunaux de commerce.

Vous me demandez si l'on se dirige vers l'application de sanctions plus importantes ; je vous réponds très fermement : oui ! Et ce à l'initiative des tribunaux de commerce et du parquet qui est derrière. La Cour de cassation n'est pas non plus particulièrement tendre lorsque c'est justifié.

M. le Président : Vous avez donc une approche plutôt positive de l'application de la loi de 1985 ?

M. Pierre BÉZARD : Sur ce plan-là. Pour autant, cela ne signifie nullement que je souhaite la réduire à néant sous ses autres aspects. Sur le reste, nous pourrions dialoguer. Mais c'est un autre problème.

M. le Président : Sur le rôle du parquet ?

M. Pierre BÉZARD : J'ai suivi de très près le rôle du parquet.

M. le Président : Depuis quand est-il introduit ? De droit, de fait, dans la pratique ? Depuis 1970, ce me semble ?

M. Pierre BÉZARD : On a commencé par faire intervenir le parquet dans le but d'assurer la poursuite des personnes qui avaient péché. Puis l'on a estimé qu'il était porteur d'une vérité d'ordre public : protection des actionnaires minoritaires, des salariés, prise en compte de l'intérêt régional ou national d'une entreprise. Il fut introduit aussi pour éviter que le ministère des finances ne donne directement des ordres au juge. Nous nous sommes dit qu'il était plus logique que ce soit le parquet qui donne ces informations.

Aujourd'hui, le parquet est devenu un élément essentiel de la procédure collective. Cela dit, en a-t-il les moyens matériels et humains ?

À l'origine, les tribunaux de commerce ont très mal ressenti la présence du parquet et ont manifesté beaucoup de réticences. Aujourd'hui, le parquet a toutes les qualités ! Je crains qu'ils soient pour d'aucuns un alibi, un moyen invoqué pour éviter des réformes ou d'autres formes de contrôles.

Avec les moyens dont dispose le parquet - deux magistrats à Paris - comment voulez-vous que le travail soit mené sérieusement au regard de la masse d'affaires à traiter ?

M. le Président : Selon vous le risque est que le parquet soit présenté comme un alibi et ne puisse être, compte tenu des moyens dont il dispose, qu'un alibi.

M. Pierre BÉZARD : Oui. Je vais plus loin : de toutes façons, si les moyens humains nécessaires lui étaient offerts, cela ne résoudrait nullement le problème des tribunaux de commerce, parce que le ministère public est extérieur aux décisions.

M. le Président : Il est une conception parisienne - que vous avez contribué à élaborer, votre passage à la COB devant vous y avoir préparé - qui veut que le parquet suive les affaires, se situe dans la phase de concertation, de prévention. Il est également une conception plus archaïque qui veut que le parquet revête une forme plus pénale, ressentie comme le début du bras séculier ; c'est plutôt la pratique des grandes juridictions de Province. Qu'en pensez-vous ? Faut-il qu'il soit les deux ?

M. Pierre BÉZARD : C'est indispensable. Le pénal est la forme exceptionnelle et nécessaire, dans un certain nombre de cas, de la sanction.

M. le Président : Si vous aviez à créer une session de formation pour les magistrats professionnels qui doivent représenter le parquet dans les juridictions commerciales, comment l'organiseriez-vous ?

M. Pierre BÉZARD : Il faudrait tout d'abord qu'ils connaissent la réalité de l'économie, qu'ils étudient les textes ; si le pénal est essentiel, d'autres sanctions sont plus importantes et pèsent plus lourdement. Bloquer tous les biens personnels est en définitive plus grave que huit jours avec sursis !

M. le Président : Vous revenez sur le thème que vous évoquiez précédemment : l'application de la loi de 1985 sous l'impulsion du parquet est une bonne chose.

M. Pierre BÉZARD : Tout à fait, mais il faudrait qu'il soit très présent, à tous les niveaux, c'est-à-dire qu'il soit attentif à qui compose les sections, au fait que tout le monde ait été consulté - salariés, créanciers et autres -, qu'il considère la position des juges, leurs intérêts dans telle ou telle affaire. Je conçois le parquet comme porteur d'une certaine légalité, du respect de la règle, mais « collant » à la réalité pratique et réellement attentif à ce qui se passe.

M. le Président : Sur le plan des sanctions, parfois, les juges de tribunaux de commerce, si parfaits qu'ils soient, déméritent. Vous êtes à la tête de la juridiction de discipline, mais le parquet ne vous saisit pas.

M. Pierre BÉZARD : Je suis président depuis un certain temps, puisque j'ai été renouvelé dans mes fonctions de président du conseil de discipline des tribunaux de commerce. J'ai auprès de moi en qualité d'adjoint un conseiller d'État, et deux présidents de cour d'appel, quatre magistrats consulaires, président de tribunaux consulaires, élus par leurs collègues.

M. le Président : Un échevinage en somme ?

M. Pierre BÉZARD : C'est exact, le président de tribunal que je suis, dispose de pouvoirs assez importants. La Chancellerie peut, en effet, me saisir et, en l'espace de dix jours, je suis susceptible de suspendre un magistrat consulaire qui a démérité. Je me prononce seul. Le dossier est ensuite traité au fond par la commission. Alors que, au Conseil supérieur de discipline des magistrats, la suspension provisoire est décidée par l'ensemble du collège du Conseil supérieur, présidé par le premier président.

Depuis six ans que je suis président, j'ai eu à connaître trois affaires. Et des affaires un peu curieuses ! Ce qui prouve que ce Conseil de discipline n'est pas utilisé véritablement, quand on compare avec ce qui est fait pour les magistrats professionnels. Sur trois affaires, - deux concernaient des problèmes de conflits, d'incapacité plus ou moins grande d'un président - dans les trois cas, il s'est agi de présidents de tribunaux de commerce. Dans les deux premiers cas, les présidents connaissaient des conflits avec leur environnement. Ils ne s'entendaient pas avec leur greffier, ce qui est très dangereux et éclaire la place des greffiers et de l'environnement face à un magistrat qui, s'il essaye d'adopter des techniques qui ne plaisent pas aux personnes en place et qui ont pour elles la durée, provoque des conflits. Qu'un magistrat ait son greffier contre lui peut se révéler dangereux ! La preuve !

L'un des présidents était président d'un tribunal d'une assez grosse ville du Sud-Ouest. Il gérait son tribunal de façon catastrophique et rencontrait des problèmes avec tout le monde. Il était très facile de relever les irrégularités qu'il commettait, qui ne se situaient pas tant au niveau de la malhonnêteté que de l'incapacité à gérer. Celui-là, nous l'avons suspendu définitivement.

Une autre affaire, moins grave, mais du même type, a concerné un magistrat de l'Est de la France. Et puis, l'année dernière, j'ai été saisi, en plein mois d'août, d'une affaire que la Chancellerie connaissait depuis longtemps. Un président de tribunal avait été condamné en première instance et en appel pour utilisation d'employés au noir. Il avait été condamné. On avait dû lui demander de démissionner ; il s'était accroché. Il avait fait un pourvoi en cassation et, en attendant, voulait continuer à siéger. On en a donc tiré les conclusions.

Lorsque, l'année dernière, j'ai été renouvelé à la présidence, j'ai fait remarquer au directeur des services judiciaires que tout devait très bien se passer dans les tribunaux, puisque nous n'étions jamais saisis. Lorsque vous êtes honnête et que vous constatez qu'un certain nombre de faits ne sont pas sanctionnés, cela vous conduit à réagir. J'ai donc souvent entendu des gens des tribunaux de commerce s'étonner que je n'examine pas telle ou telle affaire, ce que je ne pouvais pas faire puisque je n'étais pas saisi !

M. Gérard CHARASSE : Vous nous dites avoir été saisi à trois reprises en l'espace de six ans. Est-ce à dire que tous les juges et les présidents de tribunaux de commerce sont parfaitement intègres ? Vous venez de nous dire que nombre d'affaires ne vous sont pas soumises...

M. Pierre BÉZARD : Des problèmes existent, c'est évident ! Mais ils ne sont pas résolus par la sanction disciplinaire. Soit les intéressés sont envoyés en correctionnelle, soit on les fait démissionner.

M. le Président : C'est ce que l'on nous a dit. Nous avons d'ailleurs demandé la liste de tous les démissionnaires au cours des cinq dernières années pour voir s'il s'agit de problèmes ponctuels.

Nous pourrions aborder maintenant les réformes possibles ? Dans la mesure où vous êtes complètement dans le système, on peut imaginer que vos propositions n'auront rien de révolutionnaire...

M. Pierre BÉZARD : Vous m'inquiétez lorsque vous parlez du système ! Je suis un homme de bonne volonté. Je ne veux pas faire de manichéisme. Il y a des gens de bonne foi partout.

M. le Président : La bonne foi ne suffit pas.

M. Pierre BÉZARD : Elle ne suffit pas et, dans l'intérêt même des tribunaux de commerce, on ne peut rester dans le cadre de ce régime. Vous avez entendu le CNPF. Je suis également convaincu qu'un tel système, fondé uniquement sur le passé ne peut, face à l'évolution européenne et mondiale, perdurer. Vous y faisiez allusion tout à l'heure. Vous allez entendre un certain nombre de présidents de tribunaux de commerce ; j'ignore ce qu'ils déclareront, mais, moi, je sais ce qu'ils pensent. La majorité sait parfaitement que ce n'est plus tenable et que les choses doivent évoluer, même s'il peut être difficile pour eux, pris dans un certain contexte, de le reconnaître, mais je préfère qu'ils vous le disent très nettement.

Encore une fois, invoquer la tradition ou la technicité reste insuffisant pour refuser cette évolution. La présence du parquet, qui est une nécessité, n'est pas non plus un élément suffisant, car, finalement, il ne rend pas la décision ou, s'il joue le rôle de conseil juridique, il outrepasse son rôle. J'entends dire maintenant que, peut-être, on associerait les facultés de droit à la formation des magistrats, ce qui me paraît peu logique. Certes, la faculté peut jouer un rôle important par ses commentaires ; le monde judiciaire est entouré de personnes compétentes, d'avocats, pas simplement de juges, et de professeurs de droit qui aident à l'évolution.

La première solution est celle du tout judiciaire professionnel ; des pays l'ont consacrée, en particulier les pays neufs, tel le Vietnam, car ils ne trouvent pas, parmi les commerçants, de personnes aptes à juger. Ils ont donc opté pour le tout judiciaire. Je ne vous cacherai pas que je ne trouve pas que ce soit la meilleure méthode dans l'état actuel, voire pour l'avenir.

M. le Président : Le système existe toutefois en France dans une vingtaine de juridictions.

M. Pierre BÉZARD : Reste à savoir si leurs résultats sont les meilleurs ! D'après ma pratique, ce n'est pas prouvé d'une façon éclatante.

M. le Président : Ce système permet de régler la question du greffe, puisqu'il est fonctionnarisé ; c'est le système ordinaire. D'autres questions sont réglées indirectement.

M. Pierre BÉZARD : La seconde solution est l'échevinage, un système à première vue logique. Par « échevinage », j'entends un président professionnel et des assesseurs commerçants. D'après ce que j'ai pu constater au cours de mes voyages, un tel système fonctionne assez bien dans l'ensemble.

M. le Président : Pourrait-on imaginer que la liste des personnes qui élisent les juges professionnels soit élargie ? Pourquoi s'arrête-t-on à la liste des électeurs de la chambre de commerce ?

M. Pierre BÉZARD : Bien sûr, d'autant plus que l'on a élargi la compétence des tribunaux de commerce en matière de procédures collectives, en matière d'épargne. On pourrait très bien concevoir un élargissement de l'électorat.

M. le Président : Que pensez-vous de l'échevinage ?

M. Pierre BÉZARD : Logiquement et si je me place sur le plan de l'approche intellectuelle, ce système me semble le plus raisonnable. Des magistrats professionnels seraient formés à cette fin, sur le plan juridique, avec une certaine déontologie, relèveraient d'un conseil supérieur, que l'on va rénover, paraît-il, mais protégeant leur indépendance. C'est un souhait de toujours l'améliorer, mais des progrès assez considérables ont été constatés, dont il faut se féliciter. Il s'agirait donc, de personnes qui, par métier, ont une certaine éthique, une sensibilité à l'égard du droit et sont en mesure de rédiger. C'est indiscutablement un avantage. Le problème posé sera celui de la formation. La formation reçue par les magistrats en matière économique est, en l'état actuel, nettement insuffisante.

M. le Président : On va vous faire organiser des sessions de formation des magistrats.

M. Pierre BÉZARD : J'en fais déjà ! Du reste, la formation doit être organisée au sein des entreprises. Si j'ai personnellement acquis quelque compétence, c'est en travaillant à la COB et en rencontrant des gens de tous milieux.

Il faudrait donc former les magistrats sur ce plan-là, travail de longue haleine, mais qui n'est pas impossible. Un élément est vraiment nouveau dans notre monde moderne. Alors que l'enseignement que recevaient les juristes à une certaine époque était complètement fermé et se limitait au droit civil et pénal, aujourd'hui, un effort de formation a été réalisé en matière de droit des affaires de même que pour les spécialités de droit social. C'est une nouveauté considérable. Mais une fois les magistrats formés, en sortant de l'École de la magistrature, ils n'ont pas la possibilité de faire du travail économique. Certains sont passionnés par le droit des affaires. Au sein du jury que j'ai présidé, j'ai noté que les candidats avaient beaucoup plus de chances d'être reçu en ayant fait uniquement du droit administratif que du droit économique. Ce système est à revoir.

M. le Président : L'École de la magistrature est inadaptée à beaucoup d'égard, dont celui-là.

M. Pierre BÉZARD : J'en suis convaincu. Des progrès ont été réalisés, quelques stages organisés, mais cela reste à améliorer. Comment les magistrats connaîtront-ils le monde de l'économie ? Ils n'ont aucune chance de le connaître directement sur le terrain. Aucune ! Ils le connaîtront quinze, voire vingt ans après, en étant conseiller à la cour d'appel, dans des chambres commerciales et en ayant pratiquement tout oublié ! Ou alors ils le connaîtront uniquement par le droit pénal, ce qui n'est pas bon non plus. Aborder le droit de l'entreprise uniquement au travers des abus de biens sociaux n'est pas une solution adéquate. Je suis au regret de le dire. Je suis autant pénaliste que commercialiste. Il y a un droit de l'entreprise et un droit des marchés que l'on doit connaître et des sanctions civiles, professionnelles et pénales.

Je ne me sers pas de mon raisonnement pour vous inviter à procéder dans l'immédiat à une réforme quelconque, mais pour vous dire la faiblesse du système français qui empêche des magistrats professionnels, dès le départ, d'avoir une expérience économique et de ne l'acquérir que seulement quinze ans après ou par la procédure pénale.

M. Jacky DARNE : Les recrutements exceptionnels de magistrats, comme celui qui est en cours, ne pourraient-ils pas apporter une solution ?

M. le Président : Dans les propositions que nous présenterons, sans doute faudra-t-il se diriger vers de telles solutions.

M. Pierre BÉZARD : Je pense nécessaire de donner toutes les chances aux magistrats dès le départ.

M. le Président : Vous venez de nous dire que l'échevinage serait un bon système, mais que ceux que vous feriez présider ne reçoivent pas une formation économique suffisante.

M. Pierre BÉZARD : En l'état actuel, ce serait difficile à mettre en oeuvre. Vous êtes les représentants de la Nation ; il vous appartient d'apprécier. D'autre part, seriez-vous en mesure de rassembler quelques milliers de magistrats pour remplacer les magistrats des tribunaux de commerce ?

M. Jacky DARNE : Quelques centaines.

M. Pierre BÉZARD : Se posera un problème d'ordre budgétaire que vous ne parviendrez pas à résoudre. Tout a été bloqué jusqu'à présent, pour cette raison. La Chancellerie, sous tous les régimes, a toujours répondu qu'elle n'avait pas les moyens de faire. La position du CNPF est un élément important dans cette évolution. Personnellement je pense qu'il faut procéder dans l'urgence, à une mini-réforme qui, peut-être, ouvrira les portes d'une plus grande réforme. Cette mini-réforme consisterait, selon moi, en la nomination immédiate, très rapidement, de quelques dizaines de magistrats - il n'en faut pas plus - pour apporter des solutions à l'intérieur des tribunaux de commerce, c'est-à-dire de jeunes magistrats, frais émoulus de l'École de la magistrature, qui auraient reçu au sein de cette école une formation spécialisée et qui seraient nommés dans les tribunaux de commerce, non à titre de stagiaires, mais à plein temps. Ils occuperaient un poste important, et même, le cas échéant pourraient diriger certaines sections de contentieux. En l'état actuel, je ne toucherais pas les structures, mais j'introduirais des professionnels aux postes clefs, aux postes de contentieux. Ces personnes apporteraient leurs techniques juridictionnelles, juridiques, leur conception déontologique et permettraient de renforcer le contrôle des greffiers, administrateurs et autres par la permanence de leur action. Il faut en passer par là. Si nous attendons une réforme fondamentale, il ne se passera rien !

On rendra un très grand service à l'ensemble de l'économie, car ces mêmes magistrats reviendront ensuite dans les services pénaux et en cour d'appel, et la liaison sera établie à tous les niveaux. Il est regrettable qu'aujourd'hui le tribunal de commerce soit éloigné des autres juridictions. C'est un monde à part, avec des conceptions à part. Or telle n'est pas la justice. Il faut prendre le meilleur des tribunaux de commerce et les faire travailler avec les juridictions.

J'ai tout fait pour faire venir un vice-président de tribunal de commerce, Armand Prévost, à la Cour de cassation et pour faire entrer, en tant que conseiller, un vice-président du tribunal de commerce de Nantes à la cour d'appel d'Angers. Ils sont, l'un et l'autre, docteurs en droit, et connaissent bien le droit. Et, de fait, cette collaboration est très efficace. Il convient de procéder à une unification. Le manque d'unité qui prévaut au sein des chambres économiques, aux différents niveaux de la procédure, est un risque pour le justiciable et donc pour l'économie de notre pays.

M. le Président : Avez-vous quelques idées sur la carte judiciaire ? Le CNPF propose d'attaquer avec une brutalité de grand gestionnaire !

M. Pierre BÉZARD : Il n'est pas toujours facile pour les représentants de la Nation, dans certains pays, de faire passer le message. Quelques dizaines de tribunaux, voire une quarantaine, traitent moins d'une centaine d'affaires par an. Peuvent-ils subsister ? Je pose la question.

M. le Président : Nous vous la posons !

M. Pierre BÉZARD : Peut-être convient-il de laisser quelques antennes compétentes en matière de prévention et de médiation pour que ce soit moins douloureux, mais il faut selon moi, recentrer. Les chefs d'entreprises parcourent des centaines de kilomètres pour traiter leurs affaires, ils peuvent très bien plaider ailleurs. Le représentant des salariés, les créanciers peuvent également se déplacer.

La carte judiciaire affaiblit grandement la position des tribunaux de commerce. Ce n'est pas le seul problème, mais la révision de la carte judiciaire serait une solution d'importance. Il appartient au Parlement d'apprécier jusqu'où on peut aller. Je comprends cependant que certaines régions qui ont vu disparaître leur caserne, parfois leur lycée, n'apprécient guère de voir disparaître leur tribunal de commerce...

M. le Président : Introduiriez-vous des juges commerciaux dans les juridictions ? Supprimeriez-vous l'échevinage en France et supprimeriez-vous les TGI à compétence commerciale ?

M. Pierre BÉZARD : Si l'on procédait à une réforme radicale, je mettrais à plat l'ensemble du système et je constituerais quelque chose de solide et d'original.

M. Jacky DARNE : Seriez-vous favorable au fait que les procédures collectives soient réservées à certains tribunaux de commerce parmi les plus importants - une quarantaine ou une cinquantaine en France - ou estimez-vous que tous doivent avoir les mêmes compétences ?

M. Pierre BÉZARD : Cela dépend du nombre de petits tribunaux que vous supprimeriez. Si vous en supprimez la moitié, je maintiendrais la compétence des tribunaux de commerce en matière de procédure collective. Je crois que le problème des procédures collectives incite au regroupement, mais tout dépend du nombre de suppressions.

M. le Président : Jusqu'où pensez-vous que nous pourrions aller s'agissant de l'électorat ? Actuellement, les tribunaux de commerce sont composés de petits patrons, de salariés, et de professions libérales, tels les pharmaciens, auxquels s'attache un aspect commercial. Pensez-vous qu'il faille ouvrir à d'autres professions ?

M. Pierre BÉZARD : Il y a les artisans et les agriculteurs. La présence des salariés, relève d'une autre analyse.

M. le Président : La question se pose pour les artisans, les professions libérales. Vous avez insisté fortement sur la compétence. Or, finalement, les personnes compétentes n'ont pas besoin d'être des patrons pour juger des affaires commerciales. Cela renvoie davantage à un problème de recrutement et de formation. Car si l'on recrutait les juges des tribunaux de commerce parmi des personnes qui auraient une expérience du monde des affaires, sur la base d'un concours, et âgées, par exemple, de trente-cinq ans, elles n'auraient nul besoin, dès lors, d'avoir été commerçant de père en fils depuis quatre générations !

M. Pierre BÉZARD : Ce peut, en effet, être une analyse.

M. le Président : Puisque vous insistez sur la connaissance du monde des affaires, une culture générale...

M. Pierre BÉZARD : Oui, mais cela m'intéresse moins au niveau de l'élection. Voyez combien il est difficile d'étendre l'éligibilité puisque vous vous posez la question des limites. En revanche, la présence d'un juge professionnel, moins marqué en principe par un milieu, est une réponse à votre problème. Si vous voulez aller plus loin, sans doute convient-il d'intervenir au niveau de l'élection. Je ne vous dis pas que je défends le système. Mais, pour répondre à votre réflexion et à votre raisonnement, peut-être faut-il faire venir, dans certaines affaires, un des salariés qui compléterait un tribunal. Pourquoi pas ? Mais si vous retenez un schéma d'intégration d'un président professionnel avec deux assesseurs, vous conservez votre électorat, et votre révolution est celle-là ! C'est ce que font les autres pays. Autrement dit, c'est un système que l'on fait évoluer par l'entrée de magistrats professionnels. Selon moi, cela constitue un début d'évolution.

M. le Président : La force de proposition législative du Parlement est, dans la Constitution, extrêmement limitée ! Nous essayons simplement de faire ressortir les idées les plus positives actuellement en France.

M. Pierre BÉZARD : Je vous ai dit ce qui me semblait le plus réaliste. Mais je ne propose rien sur le corps électoral, car on ne saurait jusqu'où aller.

M. le Président : Actuellement, il est clair que les juges des petites juridictions sont élus par deux cents personnes et qu'il n'y a pas de listes concurrentes. C'est un système de cooptation déguisée en élection, faute d'un vivier important. Pour les prud'hommes, peut-être y a-t-il trop de listes, mais au moins la concurrence existe.

M. Jacky DARNE : Quels sont les tribunaux de commerce les plus cotés dans le monde, les plus exemplaires ? En cas de clauses attributives de juridiction, quelles juridictions les groupes mondiaux choisissent-ils et sur quels critères ? J'ai plusieurs fois entendu que les tribunaux français n'étaient pas reconnus, mais l'on ne sait pas en vertu de quoi les autres le sont.

M. Pierre BÉZARD : Je suis convaincu que subsiste un réflexe national. Il n'est pas douteux que dans les pays du Tiers-monde, les investisseurs n'acceptent pas d'être jugés par les tribunaux locaux. Ils les considèrent comme partiaux et se retournent vers l'arbitrage. Ailleurs, c'est le réflexe national qui joue. Comme les investisseurs les plus présents sont anglo-saxons leurs juridictions sont les plus demandées. Cela dit, si vous posez la question à des responsables du CNPF, ils opteront pour les juridictions françaises !

M. le Président : Il ne se sont pas prononcés sur ce point. Ils ont constaté qu'il y avait des clauses d'exclusion dans les contrats.

M. Pierre BÉZARD : Elles sont le fait de personnes qui doutent de la structure des juridictions consulaires en raison de leur composition. L'on ne connaîtrait plus ce problème si l'on évoluait vers la présence d'un magistrat professionnel.

Audition de M. Guy CANIVET,
premier président de la cour d'appel de Paris

(procès-verbal de la séance du 24 février 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

M. Canivet est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Canivet prête serment.

M. Guy CANIVET : Je commencerai par décrire très rapidement l'organisation de la justice commerciale à la cour d'appel de Paris. Il faut distinguer deux types de contentieux : un contentieux judiciaire commercial traditionnel et un contentieux plus spécifique, formé par les recours contre les décisions des autorités administratives indépendantes qui statuent dans le domaine du droit des affaires, c'est-à-dire le Conseil de la concurrence, la commission des opérations de bourse et le Conseil des bourses de valeurs. C'est un sujet un peu annexe...

M. le Président : ... mais que M. Bézard, précédemment auditionné, a également évoqué. Je pense qu'il faudra qu'il en soit dit un mot dans notre rapport.

M. Guy CANIVET : S'agissant des chambres commerciales proprement dites de la cour d'appel de Paris, douze formations de jugement s'occupent de droit commercial, soit trente-six magistrats.

Les affaires commerciales sont réparties dans les chambres selon des spécialités. Ainsi, une chambre s'occupe du droit des entreprises en difficulté et du droit des sociétés ; c'est la troisième chambre, divisée en trois sections. Une autre, la cinquième chambre, également divisée en trois sections, traite plus particulièrement des transports terrestres et maritimes ainsi que du droit de la distribution dans son ensemble, distribution sélective, exclusive, de franchises, ou d'agences. Une chambre est spécialisée en droit bancaire et s'occupe essentiellement des problèmes de cautionnement, de bordereaux Dailly, c'est la quinzième chambre. Enfin, la vingt-cinquième, s'occupe des contrats commerciaux en général, et plus particulièrement, des contrats de cession de contrôle de société.

M. le Président : Est-ce que ces formations jugent toutes en appel des décisions de tribunaux de commerce ?

M. Guy CANIVET : Oui, mais elles ne connaissent pas seulement des appels de juridictions des tribunaux de commerce, puisqu'un certain nombre de matières commerciales sont traitées également par les tribunaux de grande instance.

Enfin, il existe aussi des chambres dites « commerciales » mais qui ne traitent pas d'appel en provenance des tribunaux de commerce. Ce sont les chambres qui statuent en matière de baux commerciaux puisque, comme vous le savez, les baux commerciaux ne relèvent pas de la compétence des tribunaux de commerce.

Il faudrait ajouter à cela une chambre - la quatrième - qui a une formation spécialisée dans les affaires de brevets, matière qui ne relève pas des tribunaux de commerce, et dans le contentieux des marques, matière qui, elle, relève des tribunaux de commerce.

M. le Président : C'est une particularité du contentieux intéressante à noter.

M. Guy CANIVET : Il existe, de plus, à la cour d'appel de Paris, deux formations de jugement qui statuent en référé, aussi bien en matière commerciale qu'en matière non commerciale ; ce sont les deux sections de la quatorzième chambre.

S'agissant de l'évolution du contentieux, on constate une inflation qui a commencé en 1992-1993 et a provoqué une situation d'encombrement de ces chambres jusqu'en 1996. Il y a, en moyenne, entre 1 000 et 1 200 affaires pendantes devant chacune de ces formations, ce qui porte la durée de jugement de ces affaires commerciales à un délai compris entre un an et quinze ou dix-huit mois.

M. le Président : Entre l'appel et l'arrêt ?

M. Guy CANIVET : Oui, ce qui est beaucoup trop long. Cette situation a eu tendance à s'améliorer au cours de l'année 1997, non seulement du fait d'un renforcement de l'activité de la Cour, mais en raison d'un recul sensible du contentieux commercial. Le nombre des affaires commerciales nouvelles a baissé d'environ 9 % au cours de l'année 1997. Cela correspond à un recul important du contentieux commercial dans son ensemble, dû, je pense que vous l'avez constaté, à une baisse de l'activité des tribunaux de commerce. Celle du tribunal de commerce de Paris, d'après ce que son président a annoncé lors de l'audience solennelle de rentrée, a dû reculer de 20 %. Il y a donc une diminution du contentieux commercial. Mais, je suis incapable de vous dire si ce recul est conjoncturel ou s'il traduit l'amorce d'une décrue significative.

M. le Président : Quels sont les contentieux qui diminuent ?

M. Guy CANIVET : Un contentieux continue à augmenter : celui des défaillances d'entreprises. Tous les autres sont en réduction, et notamment le contentieux commercial traditionnel.

M. le Président : Au profit de quoi ? De l'arbitrage ?

M. Guy CANIVET : Il y a là une piste à explorer, ne serait-ce que pour vérifier si l'on est dans une situation de décrue progressive ou si la situation n'est que purement conjoncturelle.

M. le Président : Cela peut-il être la traduction d'un abandon de la juridiction ?

M. Guy CANIVET : Eventuellement, oui. Mais il faut également, à mon avis, prendre en compte l'effet de la crise qui pousse les entreprises à éviter d'engager des contentieux. Nous nous sommes posé la question de savoir pour quelles raisons un recul de 20 % du contentieux en première instance correspondait à un recul beaucoup moins important du nombre des affaires en appel.

On peut estimer que, le marché du droit des affaires diminuant, le contentieux diminue, mais que les prestataires de droit des affaires accroissent leurs prestations.

M. le Président : En clair, les avocats ont tendance à pousser à l'appel ?

M. Guy CANIVET : Je n'aurais pas osé le dire en ces termes, monsieur le Président. Les prestataires occupent le marché avec davantage de prestations et l'on constate un renforcement de la prestation judiciaire devant la cour d'appel avec plus de conclusions et des conclusions plus longues. Aux dires des magistrats - ils le disent toujours mais, en l'occurrence, je crois que cela peut être vrai -, on assiste à une complexification du contentieux.

M. le Président : L'aide juridictionnelle est-elle possible dans ce secteur ?

M. Guy CANIVET : Théoriquement, c'est possible. Dans la pratique, elle est rarement demandée.

M. le Président : C'est un élément important : certains contentieux ont, en effet, augmenté grâce à l'aide juridictionnelle, qui permet de réduire, voire d'annuler, les coûts d'un appel. En matière commerciale ce phénomène ne joue pas ?

M. Guy CANIVET : Dans le cas d'une entreprise qui veut se créer de la trésorerie artificiellement, alors qu'elle est condamnée à payer une créance devant le tribunal de commerce, le choix qu'elle fait d'engager des frais pour faire appel, c'est-à-dire de payer un avoué ou un avocat, dépend de la rentabilité, dans le temps, de cette procédure dilatoire. En d'autres termes, à partir du moment où la Cour statue sur les paiements de créance dans un délai situé entre douze et dix-huit mois, une entreprise peut gagner dix-huit mois de trésorerie par le simple fait de faire appel. Donc, dans ce type d'affaires, le délai de traitement sécrète en lui-même du contentieux.

M. le Président : En général, ce n'est pas exécuté ?

M. Guy CANIVET : En général, le tribunal de commerce de Paris, comme les autres tribunaux de commerce, ordonne l'exécution provisoire de ses décisions. Il est très attaché à rendre ses décisions effectives. Il les assortit donc d'exécutions provisoires, ce qui, au niveau de la cour d'appel, conduit à organiser des audiences du premier président pour statuer sur des demandes de sursis à exécution provisoire, puisqu'il est possible de surseoir à l'exécution provisoire en démontrant, dans le contentieux normal, que l'exécution emporterait des conséquences manifestement excessives. C'est ainsi que, tous les jours, trois ou quatre délégués du premier président statuent sur l'ensemble de ce contentieux de l'exécution provisoire, essentiellement en matière commerciale.

M. le Président : Quelle proportion représente la matière commerciale dans ces décisions ?

M. Guy CANIVET : Au moins la moitié.

M. le Président : Sur ces questions, quelqu'un peut-il nous donner des statistiques précises ?

M. Guy CANIVET : Je peux vous les envoyer très facilement.

Quel effort devons-nous faire au niveau des cours d'appel en matière de contentieux commercial ?

À mon avis, il faut s'efforcer de raccourcir les délais de traitement. C'est une banalité de le dire. On devrait avoir la possibilité de le faire en rationalisant beaucoup, c'est-à-dire en opérant des choix plus qu'on ne le fait aujourd'hui. Par exemple, tout le contentieux des bordereaux Dailly et le contentieux du cautionnement pourraient être traités beaucoup plus rapidement et plus simplement. Il faut trouver pour cela des modes d'organisation qui le permettraient. Existaient auparavant à la cour d'appel de Paris des chambres des urgences ayant une vocation générale. Il serait judicieux de les rétablir en matière commerciale pour tous ces petits contentieux.

La cour d'appel de Paris, juridiction de l'ordre judiciaire, est juridiction nationale de recours contre les décisions d'un certain nombre d'autorités administratives indépendantes telles que le Conseil de la concurrence, la commission des opérations de bourse et, depuis peu, l'Autorité de régulation des télécommunications.

M. le Président : Est-ce la seule cour d'appel compétente ?

M. Guy CANIVET : C'est la seule. En effet, ces autorités sont uniques et les appels contre leurs décisions viennent devant la cour d'appel de Paris qui, en l'espèce, est juridiction nationale. Elle est aussi juridiction de recours contre une autorité professionnelle, à savoir le Conseil des marchés financiers, ancien Conseil des bourses de valeurs.

Ce contentieux est regroupé en trois sections annexes à la première chambre, composées de magistrats volontaires et qui ne sont pas affectés à plein temps dans ces formations. L'organisation que j'ai trouvée lorsque j'ai pris mes fonctions et que j'ai conservée fonctionne, dans un souci de continuité, selon le régime des cercles : un premier cercle est composé de spécialistes qui sont là depuis longtemps et qui connaissent bien la matière ; un deuxième cercle est constitué de personnes en formation ; un troisième cercle est formé de personnes qui ont exprimé l'idée ou l'envie de siéger là et que l'on affecte dans ces sections pour une période d'essai...

Ce système permet, s'agissant des appels d'autorités administratives indépendantes, d'avoir une forte expertise au sommet et d'assurer la continuité du fonctionnement normal de l'institution. Nous avons opté pour ce système afin d'éviter, d'une part, d'avoir une formation banale qui statue sur ces décisions et, d'autre part, pour créer une continuité dans la connaissance de la matière. Cela fonctionne bien ainsi.

Ces trois sections tiennent en une ou deux audiences par semaine et, au cours de chaque audience, une seule affaire est examinée. À titre de comparaison, dans les autres chambres, cinq ou six affaires, voire plus, sont inscrites au rôle.

Ce contentieux nécessite une forte spécialisation et une rapidité d'intervention. On a organisé les chambres d'appel en matière de concurrence avec l'obligation de statuer sur les recours dans les quatre mois si possible - en tout cas, toujours dans les six mois - entre l'introduction du recours et la décision. En matière boursière, on statue généralement dans le rythme de l'opération boursière, c'est-à-dire dans les huit ou quinze jours ou dans les trois semaines.

M. le Président : Vous nous décrivez là ce qui marche le mieux dans la magistrature.

M. Guy CANIVET : Cela fonctionne très bien parce que l'on y a affecté les magistrats les plus compétents et les mieux formés en ces matières. Cela étant, la cour d'appel de Paris, avec les ressources dont elle dispose et avec ce type d'organisation, a atteint un seuil qu'elle ne pourra pas dépasser. Si nous devions avoir d'autres types de recours de cette nature, nous devrions trouver d'autres modes d'organisation et nous serions obligés de passer à des formations permanentes. Actuellement, les formations dont on parle sont des formations où les magistrats ne siègent pas à temps complet.

C'est un contentieux très spécialisé pour lequel l'organisation judiciaire s'est beaucoup mobilisée. Il y a peu d'affaires : environ soixante-dix affaires de concurrence, une vingtaine d'affaires de bourse et une dizaine d'affaires du Conseil des marchés financiers par an. Mais elles nécessitent des modes de traitement très lourds en temps.

M. le Président : Toutes les décisions sont publiées et font jurisprudence ?

M. Guy CANIVET : C'est aussi une particularité de ce contentieux. Il est très surveillé par une doctrine très spécialisée comme par les autorités contrôlées.

M. le Président : Nous avons eu la description du contentieux d'appel des tribunaux de commerce, celle du contentieux des affaires, le plus sophistiqué que l'on puisse imaginer et auquel on a donné la meilleure réponse possible. L'institution est donc capable de répondre correctement aux évolutions rapides de l'environnement des entreprises.

Ne nous attardons pas sur cette dernière question, car le système, les choix opérés ne sont pas critiqués. Revenons plutôt à la première partie, celle concernant les appels des décisions des tribunaux de commerce. Qu'en voit-on de la cour d'appel de Paris ? Quelles juridictions commerciales dépendent de la cour d'appel de Paris ?

M. Guy CANIVET : Onze tribunaux de commerce dépendent de la cour d'appel de Paris. Ils se divisent en de grands tribunaux de commerce - Paris, Créteil, Bobigny et à un degré moindre Évry -, des tribunaux de commerce moyens - Meaux, Melun - et des petits tribunaux de commerce, dont le maintien doit poser question - ce n'est pas le cas d'Auxerre, ni de Sens, mais de Joigny, Provins ou Montereau. Nous rejoignons là le cadre de la réflexion sur la carte judiciaire.

Nous avons donc de grandes juridictions qui ont des organisations bien structurées avec une forte culture, des organisations moyennes qui fonctionnent comme des tribunaux de commerce que l'on trouverait en province et de toutes petites juridictions.

Quelle est la relation de la cour d'appel de Paris avec ces juridictions ?

Juridiction d'appel, elle est d'abord juridiction de contrôle.

Je disais tout à l'heure que le premier aspect de ce contrôle était de statuer sur l'exécution provisoire des décisions. Cela permet d'éviter un grand nombre d'erreurs et de déceler les anomalies. C'est au niveau du contrôle de l'exécution, contrôle d'avant-garde si vous voulez, que l'on va éviter l'erreur manifeste. Il permet de déceler par exemple, que certains tribunaux de commerce ne motivent pas du tout leurs décisions, à tel point que les juges de l'exécution provisoire en suspendent l'exécution au motif que le document qui leur est soumis ne revêt pas l'apparence d'une décision de justice. C'est, à mon avis, un bon mode de contrôle, parce que nous sommes saisis très vite. Tous les avocats savent qu'ils peuvent recourir à cette possibilité.

M. le Président : Est-il très fréquent que les décisions d'exécution provisoire ne soient pas motivées ?

M. Guy CANIVET : Une juridiction du ressort de la cour d'appel de Paris qui ne motive généralement pas ses décisions va faire l'objet d'une inspection d'ici quelques semaines. Il arrive ainsi que le juge de première instance mette le dispositif après l'assignation et les conclusions et place ensuite la formule « par ces motifs... ». Du point de vue de l'obligation de motiver une décision de justice, cette pratique est problématique.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Mais rare ?

M. Guy CANIVET : Nous avons le cas d'une juridiction dans notre ressort.

M. Jean-Paul CHARIÉ : En existe-t-il d'autres ? On ne peut juger une institution d'après une pratique marginale.

M. Guy CANIVET : Je suis incapable de vous répondre pour l'ensemble des cours d'appel. Je n'ai pas de vue aussi générale. Mais il est certain que la jurisprudence qui consiste à suspendre l'exécution provisoire parce que la décision qui la prévoit n'est pas motivée, est une jurisprudence qui n'est pas née dans la cour d'appel de Paris, mais dans d'autres cours d'appel, ...

M. le Président : Ce serait donc un phénomène plus large...

M. Guy CANIVET : ... et qu'elle n'est pas née non plus seulement du sursis à exécution des décisions des tribunaux de commerce. On ne peut donc pas dire que seuls les tribunaux de commerce procèdent de cette manière. On peut dire qu'un certain nombre de tribunaux de commerce...

M. Philippe HOUILLON : Existe-t-il des décisions de référé non motivées ?

M. Guy CANIVET : C'est pour celles-là surtout que se pose la question puisque, en principe, on ne peut suspendre l'exécution provisoire d'une décision de référé qui est de plein droit exécutoire. Selon la jurisprudence que j'ai citée, on ne peut le faire que si l'on constate que, notamment en raison de l'absence de motivation, l'ordonnance de référé ne revêt pas l'apparence d'une décision de justice.

M. Philippe HOUILLON : Il n'y a pas d'arrêt d'exécution provisoire sur une décision, par définition.

Il serait intéressant de connaître, monsieur le premier président, le taux d'infirmation des jugements d'exécution provisoire, car, en fait, les jugements sont souvent confirmés.

M. Guy CANIVET : Je ne dispose pas de statistiques précises sur le taux de sursis et sur le nombre de cas dans lesquels on arrête l'exécution provisoire. Je me suis occupé de ce contentieux lorsque j'étais conseiller à la cour d'appel, puis président de chambre. Grosso modo, je dirais que, dans un tiers des cas, l'exécution provisoire est suspendue.

La suspension doit être motivée par les conséquences manifestement excessives qu'emporterait l'exécution provisoire de la décision. C'est le caractère manifestement excessif des conséquences qui justifie l'arrêt de l'exécution ; il est généralement apprécié de manière restrictive.

En matière de redressement judiciaire, le contrôle est plus simple dans la mesure où il s'agit de contrôler s'il existe des griefs sérieux à faire valoir contre la décision. Par conséquent, on est obligé d'examiner le fond et donc le bien-fondé de la décision.

Dans environ un tiers des cas, on est amené à suspendre la décision. Je pourrais éventuellement, si cela vous intéresse, faire établir une statistique plus précise.

M. le Président : Savez-vous s'il existe une synthèse concernant le contentieux des injonctions de payer ? Je suppose que nous ne trouverons ces renseignements qu'auprès de la Cour de cassation.

M. Guy CANIVET : En fait, et je parle de mémoire, il y a beaucoup d'injonctions de payer, mais pour contester une injonction de payer...

M. le Président : Il faut aller directement devant la Cour de cassation et non passer par la cour d'appel.

M. Guy CANIVET : Le deuxième type de contrôle qu'exerce la cour d'appel sur les décisions de commerce est un contrôle de fond.

Comme je vous le disais, la bonne réponse de l'institution judiciaire serait de statuer rapidement, afin de ne pas laisser une décision s'exécuter pendant un an, deux ans, voire davantage, et se créer une situation de fait, pour l'examiner ensuite de manière purement formelle.

Cette constatation est surtout valable dans le contentieux des entreprises en difficulté. Lorsque le tribunal de commerce se prononce sur une reprise de société, il faudrait que la cour d'appel, en cas de recours, puisse se prononcer dans des délais très brefs. Elle le fait, en général, parce qu'il y a une procédure spéciale en la matière qui s'apparente à la procédure à jour fixe. À mon sens, l'état d'encombrement dans lequel nous nous trouvons et nos règles de procédure ne nous permettent pas de répondre suffisamment vite. Or, la rapidité de réponse de la cour d'appel pourrait constituer le fondement d'un bon rééquilibrage de la justice commerciale. Il faudra un jour ou l'autre y parvenir si l'on veut perfectionner le traitement des difficultés des entreprises.

L'autre type de contrôle qu'opère la cour d'appel de Paris sur les juridictions commerciales est un encadrement administratif et budgétaire, embryonnaire jusqu'à présent, mais qui s'est développé grâce à la création par la Chancellerie des services administratifs régionaux. Ainsi, de tels services ont été créés auprès des chefs de chaque cour d'appel pour centraliser tous les services d'administration et de gestion budgétaire. Ces services contrôlent donc à la fois la préparation et l'exécution des budgets par les tribunaux de commerce.

On exerce un contrôle, parce que l'on transmet à la Chancellerie les demandes budgétaires des tribunaux, parce qu'on notifie à ces derniers leur délégation de crédits, et parce que, à Paris, nous avons une situation particulière, à savoir que le conseiller coordonnateur du service administratif régional est ordonnateur secondaire des dépenses de toutes les juridictions du ressort. C'est donc lui qui ordonne les dépenses des juridictions, y compris celles des tribunaux de commerce.

Depuis les derniers contrôles de la Cour des comptes, ...

M. le Président : De la partie « budget public », c'est-à-dire très peu.

M. Guy CANIVET : Mais nous arrivons finalement à contrôler davantage.

Depuis les derniers contrôles de la Cour des comptes, a été créé ce service administratif régional et l'on a commencé à pénétrer dans l'exécution du budget des tribunaux de commerce. On le fait d'une autre manière, plus stricte, dans un certain nombre de départements du ressort, par la création de cellules dites « budgétaires » d'arrondissement. Dans ce cas, c'est le tribunal de grande instance qui gère, d'un point de vue comptable, le budget de toutes les juridictions du ressort. Cela se fait pour l'instant dans les ressorts où il n'y a qu'un seul tribunal pour le département, c'est-à-dire à Bobigny, Créteil et Évry. Depuis cette année, des cellules de gestion sont mises en place ; elles suivent la gestion budgétaire des tribunaux d'instance, conseils de prud'hommes et tribunaux de commerce.

Une cellule budgétaire a été mise en place à Paris même. L'année dernière a été sa première année de fonctionnement. On a estimé suffisante, dans un premier temps, la charge représentée par les tribunaux d'instance. Il faudra à un moment quelconque prendre la décision d'intégrer dans le champ d'action de cette cellule budgétaire les budgets du conseil des prud'hommes et du tribunal de commerce de Paris. Ce sera une opération importante, il ne faut pas se le dissimuler, difficile à conduire aussi bien du point de vue relationnel que du point de vue technique.

La cour d'appel de Paris exerce également un rôle dans les actions de formation. Ce rôle jusqu'à présent été très modeste. Il se limitait à une ou deux réunions annuelles des magistrats consulaires à la cour d'appel dont l'objet était de faire le point sur la jurisprudence nouvelle, c'est-à-dire qu'on demandait à ces magistrats quelles étaient les difficultés qu'ils rencontraient dans leur contentieux et on leur donnait les réponses apportées par la cour d'appel. L'on faisait également le point sur la jurisprudence récente de la Cour de cassation. Cela durait une journée, c'était un lieu d'échange. On traitait à cette occasion des quelques questions administratives qui pouvaient se poser.

Depuis un certain temps, à la demande du tribunal de commerce de Paris, ces actions de formation se sont renforcées. Depuis six mois, le tribunal de commerce de Paris est très demandeur de formation commune. Nous avons donc été conduits à organiser des séances plus spécialisées sur des thèmes déterminés. Vendredi dernier, j'ai ainsi reçu la visite du vice-président du tribunal de commerce qui proposait que l'on renforce ces actions de formation et qu'on les précise, c'est-à-dire, par exemple, que l'on reçoive dans les formations de la cour, des juges consulaires venant de prendre leurs fonctions, afin de leur expliquer le fonctionnement de la cour d'appel et la méthode d'examen des affaires. Il serait en effet souhaitable d'intégrer un passage dans les formations commerciales des cours d'appel.

J'ajouterai qu'a été lancée à la cour d'appel de Paris depuis le début de l'année une politique de recours à la médiation à laquelle nous essayons d'associer les tribunaux de commerce. Ces derniers étaient restés, jusqu'à présent, en marge de ce programme de médiation. Nous essayons de les intégrer pour une raison simple : de nombreux organismes se mettent en place pour offrir des prestations de médiation judiciaire ; or la cour d'appel doit veiller à ce que cette institution, qui s'intègre dans le service public de la justice, fonctionne de manière satisfaisante ; il est donc nécessaire que, comme elle est dans une politique d'ensemble, toutes les juridictions du ressort qui désignent des médiateurs pour tenter de rechercher des solutions transactionnelles dans les litiges dont elles sont saisies choisissent avec soin ces médiateurs, qu'elles veillent au respect, par ceux-ci, d'une déontologie commune et qu'elles aient un regard sur la méthode qu'ils pratiquent.

M. le Président : Vous venez de dresser un panorama général du fonctionnement. Je propose que nous passions à un premier train de questions avant de vous demander de nous faire part de vos idées de réforme.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Globalement, par rapport aux autres juridictions, il semble qu'il y ait moins d'appels des décisions des tribunaux de commerce. Quelles sont les principales causes d'appel ?

M. Guy CANIVET : Un article mentionnait, un taux d'appel de 2 %. Il est manifestement faux. Le taux d'appel des juridictions consulaires est, je crois, à peu près identique à celui d'autres juridictions. Je n'ai pas d'indicateurs qui me permettent de dire qu'il y a moins ou plus d'appels concernant les décisions des tribunaux de commerce.

On pourrait d'ailleurs faire une approche statistique précise. Mais on ne dispose pas encore à la cour d'appel de Paris d'un outil statistique me permettant de le faire. Il faudrait pouvoir calculer le taux d'appel non seulement pour l'ensemble des jugements des tribunaux de commerce mais aussi par juridiction. Nous pourrions éventuellement procéder par sondage et voir, sur une année de jugements d'une juridiction consulaire, le nombre d'affaires frappées d'appel et le nombre d'infirmations.

L'appréciation que je peux avoir a priori, avant vérification est celle d'un taux d'appel identique à celui des juridictions de l'ordre judiciaire et de juridictions comme les conseils de prud'hommes. Si le taux d'appel des décisions prud'homales est supérieur, celui des décisions des tribunaux de commerce doit porter sur le tiers des décisions.

Quant aux causes de l'appel, la première est l'insatisfaction de l'une des parties. Mais je disais tout à l'heure qu'en dehors des causes raisonnables et admissibles pour lesquelles une partie interjette appel - parce qu'elle n'est pas contente de la décision rendue -, il peut y avoir d'autres causes d'appels. Ainsi, les cours d'appel encombrées sont sans doute responsables d'un certain coefficient d'appels dans la mesure où la durée de traitement devant la cour est longue. Les parties gagnent du temps en interjetant appel : l'encombrement judiciaire est ainsi lui-même source de contentieux.

A contrario, la réduction du temps de traitement des référés a permis de constater une diminution très sensible des recours.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Si vous revenez sur ce thème, monsieur le premier président, c'est que vous avez vraiment la conviction que c'est une des raisons de l'appel. Compte tenu des contraintes économiques, c'est une dérive qui ne peut que se développer.

M. Guy CANIVET : L'appel est un moyen simple pour une entreprise de se constituer de la trésorerie artificielle.

M. le Président : C'est aussi vrai du contentieux du divorce, la moitié des pourvois en cassation étant simplement liés à l'effet non suspensif. Cela justifie d'autant plus le souhait de statuer très rapidement.

M. Guy CANIVET : Tout à fait.

M. Gérard GOUZES : Monsieur le premier président, en d'autres temps, il avait été envisagé d'introduire dans les tribunaux de commerce un magistrat professionnel pour présider à côté des magistrats consulaires. Parallèlement, il avait été imaginé de placer à la cour des conseillers issus des rangs des juges consulaires. Que pensez-vous d'une telle réforme, non pas au regard de son opportunité actuelle, mais d'une manière théorique ? Une telle réforme serait-elle intéressante pour les conseillers à la cour qui seraient peut-être mieux instruits des problèmes pratiques qui se posent dans les relations commerciales ?

Cette séparation entre la culture des juges consulaires et celle des magistrats professionnels, je l'ai bien sentie à travers les propos que vous avez tenus sur la motivation. On distingue bien le fait que, d'un côté, il y a des gens qui font du droit, qui sont incontestablement de vrais juristes et, de l'autre, il est vrai qu'il y a, sans pour autant diminuer la compétence des juges consulaires, des personnes plus intéressées par des problèmes d'ordre pratique. Pensez-vous qu'il serait possible d'atténuer cette scission entre pratique et théorie, d'améliorer le système en plaçant des conseillers consulaires auprès des conseillers de la cour ?

M. Guy CANIVET : C'est une question centrale. C'est, à mon avis, l'axe de réflexion fondamental de la réforme des tribunaux de commerce. J'aurais tendance à dire qu'il y a une pénétration nécessaire des tribunaux de commerce par les juges professionnels, comme il y a une pénétration nécessaire des cours d'appel par les magistrats consulaires.

Le grand paradoxe de la justice commerciale, c'est qu'au premier degré, ce sont généralement des commerçants sans formation juridique qui rendent la justice, même si au tribunal de commerce de Paris, ce sont souvent des juristes de formation, alors qu'en cour d'appel, ce sont des magistrats professionnels qui n'ont aucune expérience du monde des affaires et qui, en outre, ne découvrent le droit commercial qu'au milieu de leur carrière, lorsqu'ils arrivent en cour d'appel ; en effet, lorsqu'ils sont en poste dans les juridictions de première instance, sauf dans les départements d'Alsace-Moselle, ils ne pratiquent pas le contentieux commercial. Il y a là une différence de culture qu'il serait bon d'atténuer.

Le terme d'échevinage que vous n'avez pas employé, à dessein je pense, est trop chargé de connotations péjoratives pour pouvoir continuer à être employé. Il faut donc réfléchir à la manière dont on va faire participer les magistrats aux tribunaux de commerce, pas nécessairement en qualité de président. Si de jeunes magistrats passaient par les tribunaux de commerce comme assesseurs, ce serait déjà un grand progrès, tant pour les tribunaux de commerce que pour les juridictions commerciales en appel où ils viennent ensuite siéger. Inversement, nous aurions tout à gagner à avoir de grands magistrats consulaires dans les cours d'appel.

M. le Président : Comme à la Cour de cassation ?

M. Guy CANIVET : Oui. Cela permettrait de faire venir de bons magistrats de tribunaux de commerce dans les cours d'appel. Nous en avons désormais la possibilité avec le recrutement des conseillers en service extraordinaire, y compris à Paris, grâce à la réforme que vous avez récemment adoptée. L'intégration de magistrats consulaires dans le corps des magistrats de cour d'appel doit être possible et pourrait se faire, à mon avis, de façon assez harmonieuse.

M. Alain VEYRET : Vous avez décrit la situation des tribunaux qui dépendaient de la cour d'appel que vous présidez, en précisant qu'ils étaient de tailles très diverses. Pouvez-vous nous donner des indications sur la répartition des appels en fonction de la taille des tribunaux ? Autrement dit, y a-t-il proportionnellement plus d'appels en provenance de petits tribunaux qu'en provenance des grands tribunaux, ou la proportion est-elle comparable ?

M. Guy CANIVET : Je suis désolé, mais je ne dispose pas ici des données qui me permettraient de vous répondre.

M. le Président : Quelle est la taille du tribunal dans lequel il va y avoir une inspection pour défaut de motivation ?

M. Guy CANIVET : C'est un tribunal qui, par rapport à sa production, fait l'objet d'un important taux d'appel.

M. le Président : Est-ce un gros tribunal ?

M. Guy CANIVET : Non. Il s'agit d'Auxerre. C'est un petit tribunal.

M. le Président : Il s'agit donc d'un tribunal de zone rurale classique.

M. Gérard GOUZES : Se pose sans doute surtout un problème de personne...

M. Jacky DARNE : Je suis un peu étonné du manque de données quantitatives, statistiques sur l'activité de la cour d'appel que vous présidez. N'en existe-t-il point du tout ? Ne disposez-vous d'aucun outil ? Ou, malgré tout, pourriez-vous nous donner le nombre d'appels, le nombre de décisions prises par type de procédures - référé, contentieuse, collective -, et nous indiquer quelle est la nature des décisions prises de confirmation ou d'infirmation ? En cas d'infirmation, si vous ne pouvez nous fournir un classement précis par type de motif, est-il possible d'avoir un classement par résultat ? De quels outils disposez-vous pour que nous puissions porter une appréciation plus précise sur la qualité des décisions rendues par les tribunaux de commerce ?

M. Guy CANIVET : À la première partie de votre interrogation, je répondrai qu'il n'existe pas actuellement, d'outil au sein de la cour d'appel de Paris permettant d'apprécier ces éléments. La cour d'appel est informatisée depuis l'année dernière et le système de traitement des appels en matière civile qui comprend une fonction statistique n'est en fonctionnement que depuis le début de cette année.

Nous ne disposons donc pas, en l'état, de données précises sur le taux d'appel et d'infirmation par tribunal de commerce. La mesure du taux d'infirmation est d'ailleurs difficile puisque l'on ne répond pas « oui » ou « non » à la question posée. Il peut y avoir des infirmations ou des confirmations partielles. Mais il est certain que la mesure de la qualité de la justice rendue par les tribunaux de commerce pourrait être appréciée à partir de ces éléments.

Mais cela ne répondrait d'ailleurs pas à la question de la qualité de la motivation des décisions. Tous les juges qui traitent du contentieux commercial ont l'habitude de dire qu'en définitive, le fond de la décision est bon, c'est-à-dire que la solution donnée au problème est juste. En revanche, l'appareil de motivation et le fondement juridique sont souvent contestés. Le travail de la cour d'appel consiste donc davantage à reformuler les fondements juridiques et la motivation, pour arriver, dit-on, assez souvent à des solutions équivalentes à celles dégagées par les juges consulaires. Ce n'est qu'une appréciation intuitive de la part des membres de la cour qui jugent ces affaires. Il n'existe, évidemment, pas d'instrument de mesure objective de ce phénomène.

M. Jacky DARNE : Je regrette que notre justice soit incapable de produire les moindres données quantitatives, mais ce n'est pas votre fait.

M. Guy CANIVET : On peut procéder par sondage et, par exemple, sur une centaine de décisions dans un contentieux donné, étudier le taux d'infirmation.

M. Jacky DARNE : J'aurais une question complémentaire à vous poser : vous dites que, bien souvent, vous ne corrigez que la rédaction des décisions rendues par les juridictions du premier degré, sans fondamentalement en changer le fond. Cette attitude n'est-elle pas dictée par la nature même des décisions rendues en matière commerciale qu'il est difficile de remettre en cause après qu'elles ont été rendues en première instance ? En d'autres termes, psychologiquement, n'est-il pas difficile de revenir sur une décision de première instance qui a déjà produit des effets, parce qu'elle est déjà souvent mise en application et devient donc difficile à infirmer ?

M. Guy CANIVET : La réponse que l'on fait en général à la cour d'appel est que l'appelant - celui qui, condamné par la décision, fait appel - est toujours dans une situation défavorable. Dans tout domaine contentieux, il y a une force de la décision acquise en première instance. Le fait que s'écoule un long moment entre l'appel et le moment où la cour statue me semble de nature à renforcer la situation acquise.

M. le Président : ... sauf en matière pénale, pour mesurer la durée de la détention. Nous souhaiterions que vous évoquiez dans votre propos les procédures pénales commerciales.

M. Michel MEYLAN : Vous avez à plusieurs reprises évoqué la question du budget des tribunaux de commerce, en laissant entendre que les modifications envisagées dans cette matière seraient lentes à intervenir. Pouvez-vous nous préciser quels sont les montants en cause ?

Par ailleurs, vous avez parlé de délais de jugement pour les appels allant de douze à dix-huit mois. Ma question fera certainement sourire les magistrats ici présents, mais comment expliquer de tels délais ? Que faire pour les raccourcir ?

M. Guy CANIVET : En ce qui concerne les délais, il est clair que l'augmentation du nombre des affaires sans renforcement des structures de production judiciaire ne permet pas de les juger dans des conditions de temps normales. Dans les cours d'appel les formations de jugement sont équipées pour rendre un certain nombre d'arrêts dans l'année. Si l'on augmente les recours, ce sont évidemment les délais qui s'allongent.

M. Michel MEYLAN : Faudrait-il des moyens supplémentaires ?

M. Guy CANIVET : Oui, assurément. Il y a deux réponses possibles : agir sur les moyens mais aussi sur les modes d'organisation.

Le ministère de la justice est en train d'en imaginer. Le recours à des assistants de justice et à des conseillers en service extraordinaire, l'augmentation pure et simple du nombre des conseillers constituent certainement des réponses, mais des réponses incomplètes. En effet, il a été calculé que sur l'ensemble du contentieux, pour rattraper le retard de la cour d'appel de Paris en matière civile, il faudrait sept formations de jugement complètes supplémentaires pendant un an, c'est-à-dire vingt-et-un magistrats de plus durant une année. Mais si ces renforts étaient accordés on ne saurais pas où les loger. Il faudrait en même temps renforcer les greffes et créer les structures techniques pour les accueillir.

Ce problème d'encombrement des juridictions doit être envisagé dans un cadre d'ensemble, qui inclut magistrats, personnels, bâtiments, structures, investissements, etc. C'est un premier point.

Le second est que je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose de répondre à la demande de contentieux par une augmentation des structures de jugement. Est-il bon que les contentieux augmentent ? Ne faudrait-il pas plutôt introduire des réformes pour juger autrement les litiges, par des moyens alternatifs ? Faut-il également que, dans un grand nombre de cas, une décision de première instance conduise à une décision d'appel et ensuite, à un pourvoi en cassation ? Il y a peut-être un choix à opérer sur les voies de recours.

M. le Président : C'est une invitation pour le législateur à réfléchir sur ces questions.

M. le Rapporteur : Monsieur le premier président, je voudrais aborder une question qui l'a été largement par les précédents orateurs qui se sont succédé devant nous. Il s'agit du problème des procédures collectives et des arbitrages délicats que toute juridiction statuant en la matière est amenée à faire. Certains observateurs nous ont expliqué qu'en matière économique, on recherchait dans les juges des tribunaux de commerce des chefs d'entreprises de secours prenant l'apparence d'hommes de loi. C'est notamment ce qui est ressorti de l'audition des représentants du CNPF, usager du service public de la justice commerciale.

Je voulais connaître votre sentiment personnel sur l'opportunité de faire évoluer la composition des tribunaux de commerce, non pas au regard du contentieux général - vous l'avez déjà évoqué -, mais au regard de la nature du contentieux des procédures collectives. En effet, dans le cadre des propositions de réforme que nous serons éventuellement conduits à faire, se posera inévitablement la question de l'adaptation du personnel à une justice qui doit être rapide en raison de ses conséquences sur la survie d'entreprises menacées ou en difficulté.

M. Guy CANIVET : C'est une question difficile. En ce qui concerne les procédures collectives, les équilibres entre la protection des intérêts des investisseurs, des intérêts des salariés et ceux propres aux entreprises ou à l'économie en général sont prévus par la loi. Les lois relatives au traitement des entreprises en difficulté sont des lois de régulation économique. Il faut donc que, dans les décisions individuelles qu'ils rendent, les tribunaux de commerce puissent mettre en oeuvre la politique économique voulue par le législateur.

Dans ce type de contentieux, l'ordre public économique est toujours intéressé. Il faut, me semble-t-il, qu'il soit perçu au sein même de la juridiction. La question est de savoir si la composition actuelle des tribunaux de commerce est une réponse suffisante à la nécessité de prendre en compte un intérêt économique général.

M. Gérard GOUZES : En matière de procédure collective, qu'il s'agisse de la loi de 1985 ou de la loi de 1994, y a-t-il de manière générale, sans entrer dans les détails, une mesure sur laquelle vous avez le sentiment de buter ? À quel niveau de la procédure avez-vous pu être gêné ?

Deuxième question plus secondaire, mais importante : que pensez-vous du rôle des greffiers ?

M. Guy CANIVET : En matière de procédures collectives, si l'on voulait que les cours d'appel aient un contrôle utile, il faudrait leur donner des moyens d'investigation identiques à ceux dont disposent les tribunaux de commerce, c'est-à-dire que l'on ait dans les formations d'appel un magistrat qui fasse fonction de juge-commissaire, qui puisse reprendre la procédure, avec des moyens propres d'investigation. Or, les cours d'appel ne disposent pas de ces moyens. Elles exercent un contrôle a posteriori de la décision du tribunal de commerce par rapport aux éléments contenus dans le dossier au moment où elles se prononcent.

Peut-on donner à l'institution judiciaire au niveau de l'appel des moyens accrus d'investigation en profondeur pour faire reprendre l'évaluation économique et analyser de nouveau les propositions des parties en cas de reprise ?

Répondre à la question relative aux greffiers est difficile pour un premier président de cour d'appel. Les greffes de tribunaux de commerce sont très distants, parce que je n'ai pas l'occasion de rencontrer des greffiers de tribunaux de commerce autrement que lorsque je me rends dans les juridictions. On s'est posé la question de savoir dans le cadre d'une inspection - parce que nous avons engagé un plan d'inspection des tribunaux de commerce du ressort avec le parquet général - quel niveau d'investigation nous pouvions avoir dans le fonctionnement d'un greffe de tribunal de commerce.

M. le Président : Actuellement, il semble qu'il ne peut y avoir aucun contrôle.

M. Gérard GOUZES : Je parlais en fait de leur niveau de compétence, et surtout de leur action dans la rédaction de certains jugements, car chacun sait qu'ils jouent parfois un rôle prépondérant.

M. Guy CANIVET : Il existe un problème de qualité et de revenu des charges de greffier. Il est certain que, dans les petits tribunaux de commerce, qui auraient pourtant le plus besoin du soutien des greffes, ceux-ci ont des revenus relativement faibles. Dans les grandes juridictions, il y a, au contraire, un poids très important du greffe. Et c'est le cas en particulier au tribunal de commerce de Paris.

M. Gérard GOUZES : Ce ne sont pas des greffiers fonctionnaires ?

M. le Président : Non, et ils ont organisé un système de vente des informations que la loi impose aux entreprises de déposer au greffe des tribunaux de commerce, système qui leur procure des revenus importants.

M. Jean-Paul CHARIE : Monsieur le premier président, le droit des affaires et le droit de la concurrence reposent, en France, sur trois juridictions : le pénal, le civil avec les tribunaux de commerce, et le Conseil de la concurrence, et vous présidez la seule juridiction capable de faire la synthèse des trois. Avez-vous des éléments à nous donner pour répondre à ces deux questions que nous nous posons : faut-il dépénaliser le droit de la concurrence ? Quels éléments pouvez-vous nous donner sur l'idée de spécialiser des juridictions en droit de la concurrence et des affaires, à raison d'un tribunal - de commerce, pénal ou autre - par ressort de cour d'appel ? Cela répond à votre souci de spécialisation. Bien sûr, ces juridictions pourraient accueillir des magistrats professionnels.

M. Guy CANIVET : En ce qui concerne le droit de la concurrence, si j'avais une appréciation à donner, le fait d'avoir créé une autorité administrative indépendante disposant de pouvoirs de sanction et d'injonction, est globalement positif. On s'aperçoit que la régulation des marchés se fait dans de bonnes conditions. Cela n'existait pas auparavant.

Même si tout n'est pas parfait on a, par exemple, en matière d'entente dans le domaine des travaux publics, fait progresser la répression. On pourrait aller plus loin mais il y a désormais un contrôle d'une efficacité qui n'existait pas auparavant. Peut-être tient-on là le moyen, si l'on sait l'exploiter, d'apurer les marchés publics.

M. le Président : Et donc, d'éviter du contentieux pénal ?

M. Guy CANIVET : Oui.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Selon l'expérience que vous en avez, faut-il aller dans ce sens : dépénaliser ?

M. Guy CANIVET : L'expérience que j'ai, c'est d'avoir vu jugées par le tribunal correctionnel de Paris, dans les années 1976-1978, des ententes sur la construction de l'autoroute du Sud qui avait dû être réalisée autour des années soixante.

C'est un problème d'efficacité, de moyens engagés. Je ne dis pas que le Conseil de la concurrence fait mieux ou moins bien que ce que feraient des juridictions pénales à moyens constants. En tout cas, il a les moyens de conduire une véritable politique de concurrence, il a la culture économique pour le faire et la sanction administrative est peut-être adaptée à ce type de contentieux.

Par ailleurs, le Conseil de la concurrence prend un certain nombre de décisions de principe sur des catégories d'entente ou d'abus de domination, etc. La Cour de cassation, la cour d'appel de Paris ont fondé, avec le Conseil de la concurrence, une véritable justice économique. Cela a permis aux juridictions de l'ordre judiciaire d'introduire la dimension économique dans les décisions de justice. Un courant culturel est né, d'une part, parce qu'il existe maintenant un nombre significatif de décisions du Conseil de la concurrence qui, au fil de ses rapports, a précisé la politique de la concurrence ; d'autre part, parce qu'il existe une jurisprudence en matière de concurrence de la cour d'appel de Paris et de la Cour de cassation. On a donc judiciarisé le droit économique, que ce soit celui des marchés publics ou celui des grands circuits de distribution. Désormais, le droit de la concurrence n'est pas seulement pratiqué par le Conseil de la concurrence, il peut être invoqué par les opérateurs économiques devant toutes les juridictions, notamment commerciales.

Faut-il spécialiser les tribunaux de commerce ?

Tout cela doit être envisagé dans le cadre d'une réforme de la carte judiciaire. Si l'on recentre les tribunaux de commerce sur de grandes unités - j'ai entendu parler de tribunaux de commerce de bassin, par exemple -, il est clair que l'on peut attribuer le contentieux de la concurrence à ces tribunaux. Il est vrai cependant que l'on voit des décisions étonnantes en matière de droit de la concurrence rendues par des tribunaux qui ont peu l'occasion de statuer sur ce type de contentieux. Cela donne lieu à des incertitudes dans l'application de ce droit. Mais il me semble que, dans ces matières économiques, les choses sont en train de s'installer. En effet, la jurisprudence est très structurante en la matière. Et, à partir du moment où nous aurons un corps de magistrats qui la pratique davantage et un corps d'avocats mieux informés, elle s'étendra par étapes successives des juridictions spécialisées vers les juridictions les moins spécialisées. Il en va d'ailleurs de même du droit communautaire. On constate là aussi une diffusion de la culture économique des grandes juridictions vers les moins spécialisées.

Le problème se pose lorsqu'un petit tribunal de commerce, qui rend dix ou quinze décisions par an, est saisi d'une grande affaire de concurrence concernant la restructuration d'une grosse société. Il y a lieu de s'interroger sur la manière dont le problème sera traité.

M. Philippe HOUILLON : Monsieur le premier président, je souhaiterai faire une observation et vous poser deux questions.

Tout d'abord, je m'associerai à ce qu'a dit notre collègue qui regrettait qu'il n'existe pas d'instrument statistique solide. J'ai retenu de vos propos qu'une partie significative des appels s'expliquait parce que le débiteur condamné par le tribunal de commerce en première instance interjetait appel pour gagner du temps devant la cour, compte tenu des délais de jugement. Il serait intéressant de savoir si c'est une cause réelle d'appel. Pour cela, il faudrait disposer de chiffres. Je pense cependant que c'est très marginal et que ce n'est pas la cause principale des appels pour une raison simple que vous avez évoquée, à savoir que la quasi-totalité des jugements de tribunaux de commerce sont assortis de l'exécution provisoire et que, par conséquent, l'appel dans ce cas n'a pas d'effet suspensif. Il est vrai que l'intérêt légal est préférable au taux du marché, mais si le créancier peut quand même exécuter, cela ne justifie pas l'appel. Je peux me tromper, mais il serait intéressant de disposer des chiffres, car ce sont là des tendances que l'on pourrait corriger dans le cadre des propositions que la commission serait amenée à faire.

J'en viens à ma première question. Vous avez parlé de médiation en disant que votre cour mettait un dispositif en place, notamment pour contrôler, ou vérifier, les éventuelles dérives susceptibles de se produire dans les médiations des tribunaux de commerce.

M. Guy CANIVET : Si vous avez compris cela, c'est que je me suis mal exprimé.

M. Philippe HOUILLON : Je ne parle pas de prévention en matière de procédures collectives, telle qu'encadrée par la loi n° 84-148 du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises, mais bien de médiation.

Ma seconde question est la suivante : quel regard, vous, premier président de la cour d'appel de Paris, portez-vous, en matière de procédures collectives, sur les auxiliaires de justice que sont l'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises ? Quel est leur rôle ? Pensez-vous, par exemple, que dans des petits tribunaux de commerce et, compte tenu de ce que vous avez dit de la compétence de certains juges consulaires, ce ne sont pas finalement eux qui, parfois, disent le droit ?

M. Guy CANIVET : La notion d'exécution provisoire joue-t-elle ou non comme facteur de contentieux ? Il convient de prendre en considération les conséquences comptables d'un appel : si l'on poursuit le contentieux, on peut inscrire des provisions au bilan.

En ce qui concerne la médiation, je me suis mal exprimé si vous avez compris qu'il fallait contrôler les médiations mises en place par les tribunaux de commerce. J'ai dit qu'un certain nombre d'instituts de médiation se mettaient en place et qu'il me paraissait nécessaire que ces instituts fonctionnent sous un contrôle judiciaire, tout simplement en veillant de très près au choix du médiateur, c'est-à-dire en contrôlant les listes de médiateurs ou les instituts eux-mêmes. Il s'agit de vérifier s'ils font des médiations sérieuses et s'ils le font bien dans un esprit de service public et non de prestations juridiques ou judiciaires, comme l'ont été les arbitrages.

Je n'ai pas voulu émettre le moindre avis sur la manière dont les tribunaux de commerce procédaient aux médiations. J'ai simplement voulu signifier qu'il serait bon de les intégrer dans un système de contrôle judiciaire de la médiation.

M. le Président : Quel est votre avis sur les auxiliaires de justice ?

M. Guy CANIVET : Chacun s'accorde à penser qu'il faut un contrôle de ces administrateurs et mandataires-liquidateurs. Si ces professions ont connu les déboires que l'on a pu constater, c'est manifestement du fait d'une absence de contrôle. À la cour d'appel de Paris, comme dans toutes les autres cours d'appel, nous avons le contentieux des poursuites disciplinaires contre ces professionnels. Il n'y a pas jusqu'à présent un nombre considérable de poursuites, mais on commence à en voir davantage, pour des faits d'ailleurs relativement graves.

Il devrait y avoir un contrôle à la fois comptable, semblable à celui qui s'exerce sur toutes les professions qui manient des fonds appartenant à des tiers, et un contrôle disciplinaire qui pourrait être beaucoup plus strict du point de vue de la déontologie. S'y ajoute un problème déontologique d'intervention de ces professions. Le contrôle devrait sans doute être le fait des tribunaux de commerce, mais vous savez mieux que moi les rapports complexes qui peuvent exister entre ces professions et les juridictions consulaires. L'institution judiciaire en général devrait être plus présente dans ce type de contrôle.

M. le Rapporteur : Vous avez dit que vous vous occupiez des crédits délégués par la Chancellerie pour le fonctionnement des tribunaux de commerce, crédits qui représentent des sommes relativement modestes. Gérez-vous également les crédits qui transitent par le fonds de concours et par des associations ?

M. Guy CANIVET : Le service de la gestion budgétaire contrôle effectivement l'utilisation conforme des sommes versées au budget des tribunaux de commerce par le fonds de concours.

M. le Rapporteur : On nous a expliqué que les tribunaux de commerce bénéficiaient d'argent de l'État et de subventions diverses qui, normalement, doivent être versées à un fonds de concours. La critique faite actuellement aux chambres de commerce, c'est de ne plus abonder le fonds de concours mais de verser plutôt leurs subventions à des associations parallèles de juges et d'anciens juges consulaires, subventions qui, en réalité, concourent directement au financement du fonctionnement des tribunaux de commerce.

Que contrôlez-vous exactement ?

M. Guy CANIVET : Mon expérience est assez récente puisque cela ne fait que quinze mois que j'ai été conduit à m'intéresser à ces questions.

Je l'ai fait alors que la situation était en pleine évolution. Le ministère de la justice avait pris conscience de la nécessité de veiller à la régularité budgétaire du fonctionnement des tribunaux de commerce. Les budgets étaient modestes. Par conséquent, les tribunaux de commerce étaient conduits à avoir recours à d'autres sources de financement, notamment aux chambres de commerce et à des fonds qui transitaient par divers circuits, pratiques qui ont été dénoncées par la Cour des comptes, qui sont maintenant connues et sur lesquelles il n'y a pas à revenir.

La première décision saine prise par le ministère de la justice sur proposition de la Cour des comptes, a été de prendre en compte, par le système des fonds de concours, tous ces crédits en provenance d'autres sources que le budget de l'État. Cette année, nous avons eu l'occasion de voir comment intégrer ces fonds de concours dans le fonctionnement du tribunal de commerce de Paris. Des questions se sont posées et la Chancellerie a très clairement répondu que les versements de subventions par l'intermédiaire des fonds de concours devaient faire l'objet d'une affectation précise.

Nous avons là des principes qui devraient conduire à plus de clarté. L'action du ministère de la justice est aussi de déterminer le budget des tribunaux de commerce en grandeur réelle. Il faut prendre en compte toutes leurs dépenses de fonctionnement et si ces tribunaux de commerce ont besoin, comme tout autre juridiction, de crédits de représentation - que l'on appelait dans notre jargon budgétaire « ligne fêtes et cérémonies » -, pourquoi ne pas leur en donner, afin qu'ils ne soient pas tentés, pour des opérations de communication, d'avoir recours à des sources de financement que la Cour des comptes estime irrégulières.

Une opération d'assainissement est en cours ; elle passe par un renforcement du budget de fonctionnement des tribunaux de commerce, par l'utilisation d'un fonds de concours qui permet de clarifier les sources de financement et par l'introduction de contrôles budgétaires par les services administratifs régionaux.

M. le Président : Cela se fait-il sans heurt pour l'instant ?

M. Guy CANIVET : Lorsque le tribunal de commerce veut faire payer une facture celle-ci est visée par l'ordonnateur secondaire qui contrôle la régularité de la dépense...

M. Michel MEYLAN : De quelles sommes s'agit-il ?

M. Guy CANIVET : Pour le tribunal de commerce de Paris, la chambre de commerce et d'industrie de Paris a versé 500 000 francs au fonds de concours.

M. le Président : Retrouve-t-on le même fonctionnement dans les autres tribunaux, y compris dans les plus petits ?

M. Guy CANIVET : Je ne pense pas que les autres juridictions du ressort bénéficient de fonds autres que ceux provenant du ministère de la justice.

M. le Président : Avec quoi financent-ils leur fonctionnement ? Il reste le système des associations.

M. Guy CANIVET : Il ne faut pas méconnaître les difficultés qu'ont ces juges consulaires pour faire accomplir un certain nombre de tâches par les greffes. Les présidents de tribunaux de commerce ont, par exemple, besoin de secrétaires pour les assister dans leur tâches administratives qui ne leur sont pas fournies par le titulaire de la charge du greffe. Le ministère de la justice a engagé, là encore, une opération de régularisation en prévoyant que des agents publics des greffes puissent être mis à la disposition des grands tribunaux de commerce.

Un arrêté a été pris l'année dernière, me semble-t-il, fixant le nombre de ces agents de l'État qui peuvent être mis à la disposition des présidents de tribunaux de commerce pour assurer des fonctions de secrétariat, de secrétariat général, d'organisation, autant de tâches qui ne sont pas prises en compte par les greffes.

M. le Président : Nous allons vous demander de nous faire partager votre vision d'ensemble sur le fonctionnement des tribunaux de commerce. S'il fallait faire une réforme, que préconiseriez-vous en priorité ?

M. Guy CANIVET : Nous avons déjà évoqué le principe d'une réforme par l'ouverture des tribunaux de commerce aux magistrats professionnels. Jusqu'à présent, elle s'était faite par les magistrats du parquet. Les appréciations étaient divergentes sur le degré d'intervention des parquets auprès des tribunaux de commerce, mais cette intervention ne peut être qu'extérieure parce que le parquet ne peut pas pénétrer dans le mécanisme de prise de décision.

Il me paraît donc bon que des magistrats professionnels siègent dans les tribunaux de commerce, pas nécessairement en tant que présidents. On pourrait envisager diverses formes de collaboration. Cela permettrait l'intervention d'un mode de raisonnement extérieur, plus juridique. Il serait bon également que les juges consulaires, à un moment quelconque de leur formation, viennent siéger dans les cours d'appel.

Une telle réciprocité pourrait, à mon avis, produire rapidement de bons résultats.

Le second axe de réforme serait d'encadrer et de contrôler, beaucoup plus qu'on ne le fait maintenant, toutes les professions qui travaillent en relation avec les tribunaux de commerce. Il ne me paraît pas contestable de dire que la crise économique, les défaillances d'entreprises, créent un marché de prestataires qui opèrent en essayant de tirer le meilleur profit des prestations qu'ils fournissent. On ne peut pas dire le contraire et ce n'est pas les condamner que de dire cela. Cela étant, ce n'est pas un marché qui doit fonctionner sans contrôle.

M. le Président : Avez-vous quelques remarques à faire sur l'importance du contentieux pénal à caractère commercial ?

M. Guy CANIVET : Ce contentieux est traité à la cour d'appel par la neuvième chambre. Il n'y a pas grand chose à dire sur ce contentieux pénal. Il s'agit dans la plupart des cas de banqueroutes, d'abus de biens sociaux. En dehors du contentieux purement pathologique, c'est un contentieux qui est sans rapport avec des professions issues de la loi sur le redressement judiciaire. On peut le qualifier de traditionnel. Il est assez peu lié à l'activité des tribunaux de commerce et a peu évolué au cours des dernières années.

M. le Président : Vous nous avez signalé une diminution du contentieux traité par les tribunaux de commerce, diminution qui se répercute sur le nombre d'affaires en appel, bien qu'en proportion le nombre d'appel augmente. Par conséquent, la situation de cette année devrait être étale.

M. Guy CANIVET : Elle l'est.

M. le Président : Les délais sont donc raccourcis ?

M. Guy CANIVET : Cette année, la cour d'appel est parvenue à équilibrer à peu près les entrées et les sorties en matière commerciale. Elle a donc stabilisé les délais.

M. le Président : Si cela continue, ils vont même diminuer.

M. Guy CANIVET : On peut l'espérer.

M. le Président : Certaines cours d'appel ont des délais extrêmement courts. À travers le pays, les situations sont totalement diverses. Nous aurions certainement intérêt à regarder s'il existe un contentieux commercial très important dans les juridictions dans lesquelles les appels sont jugés très rapidement.

Nous retenons l'importance du contentieux à la charge du premier président concernant les suspensions d'exécutions provisoires, très nombreuses puisque vous parlez de plusieurs par jour.

M. Guy CANIVET : Trois magistrats traitent de ce contentieux chaque jour.

M. le Président : Nous retenons également de vos propos une médiocrité des motivations dans le cas de certaines juridictions.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Au moins d'une. On ne peut en faire une généralité, n'est-ce pas ?

M. Guy CANIVET : Tout à fait.

M. le Président : Il faut tout de même rappeler que la jurisprudence consistant à dire qu'un jugement non motivé n'est pas un jugement est une jurisprudence d'origine provinciale. Le phénomène n'est donc pas isolé.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Monsieur le premier président, on ne peut quand même pas interpréter, ou laisser à penser, ce qui ne semble pas être votre propos, mais il faut que l'on soit bien clair, que globalement les tribunaux de commerce ne motiveraient pas assez leurs décisions, même si dans les appels que vous êtes amenés à traiter, vous êtes sensible au fait qu'un tribunal, Auxerre, ne motive pas ses décisions. On ne peut pas en faire une généralité, n'est-ce pas ?

M. Jacky DARNE : Je souhaiterai poser une question générale sur le statut des juges. Les présidents des tribunaux de commerce nous ont envoyé un ouvrage où figure un paragraphe dans lequel ils expliquent qu'au XIXe siècle, pour être juge de tribunal de commerce, il fallait être riche pour être indépendant. Est-ce toujours vrai ? Bref, comment peut-on être un juge de tribunal de commerce indépendant, alors même que la fonction n'est pas rémunérée ?

M. Guy CANIVET : À Paris, les juges consulaires sont de grands commerçants, de grands cadres à la retraite - ceux-là sont indépendants -, ou des cadres en activité que leur entreprise autorise à dégager du temps pour siéger au tribunal de commerce. Ils sont encore salariés de leur entreprise. Leur indépendance est à examiner dans ce cadre.

Dans les plus petits tribunaux de commerce, les juges sont des commerçants indépendants et de grands cadres de société. La question de leur indépendance est à apprécier au regard de la communauté dont ils sont issus. Je ne crois pas que ce soit un problème d'indépendance financière, mais plutôt d'indépendance vis-à-vis du tissu socio-économique dont ils proviennent.

M. le Président : Vous paraîtrait-il normal que d'autres personnes que des commerçants puissent devenir juges consulaires ? On peut penser aux artisans ou aux salariés.

M. Guy CANIVET : Il y a déjà des salariés, puisqu'il y a de grands cadres.

M. le Président : Pourrait-il y avoir d'autres salariés que des grands cadres ? Ce contentieux intéresse tout le monde.

M. Guy CANIVET : Dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire, on a imaginé autrement l'intervention des salariés de l'entreprise, par un système de délégués. Est-ce satisfaisant ? Je ne sais pas, mais on a voulu en faire des organes de la procédure collective avec des prérogatives particulières, qui ne sont pas de participer à la formation de jugement.

Audition de Mme Henriette CHAUBON, magistrat, sous-directeur à la sous-direction des professions judiciaires et juridiques de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice et de Mme Dominique DEVIGNE, magistrat à la direction des affaires civiles et du sceau, responsable de la mission d'inspection des mandataires de justice

(procès-verbal de la séance du 26 février 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

Mmes Chaubon et Devigne sont introduites.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, Mmes Chaubon et Devigne prêtent serment.

Mme Henriette CHAUBON : Les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises forment une profession libérale qui intervient dans le cadre des procédures collectives, sur mandat de justice ; ils participent donc directement au service public de la justice, ont un rôle extrêmement important en matière économique, sociale et juridique et sont placés sous la tutelle du ministère de la justice.

Les greffiers des tribunaux de commerce sont, quant à eux, des officiers publics et ministériels - ministériels, parce qu'ils sont titulaires d'une charge, - publics, parce qu'ils ont une délégation de puissance publique, notamment pour apposer la formule exécutoire sur les décisions rendues par les tribunaux de commerce. Ils assurent, comme dans les juridictions de droit commun, des fonctions de greffe, à la différence qu'ils sont non pas fonctionnaires, mais titulaires d'une charge. À ce titre, ils sont nommés par le garde des sceaux et relèvent directement de sa tutelle.

Je commencerai mon intervention par les greffiers.

Les conditions pour devenir greffiers, sont des conditions classiques : il faut être français - puisque ce sont des officiers publics -, remplir des conditions de moralité, être titulaire d'une licence de droit, effectuer un stage et, enfin, réussir à l'examen.

Leurs attributions sont celles d'un greffe classique : l'assistance des membres du tribunal, la tenue des divers registres, la délivrance des expéditions, la conservation des archives, l'accueil du public et la direction de tous les services du greffe.

Compte tenu de leurs missions et de leur caractère d'officier public et ministériel, ils sont sous la surveillance du garde des sceaux ; cependant, le contrôle, qui a lieu tous les quatre ans, est organisé par la profession elle-même. Le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce communique au garde des sceaux le nom des personnes qui vont faire l'objet de ce contrôle dans l'année, ainsi que le nom des professionnels - il y en a deux - qui vont l'effectuer. C'est le garde des sceaux qui prescrit les inspections et choisit les professionnels.

La discipline relève de la compétence du tribunal de grande instance du lieu dans le ressort duquel se situe l'office. Il a la possibilité de prononcer des sanctions qui vont de l'avertissement à la destitution, en passant par le blâme, étant observé que, comme pour les autres professionnels, dès lors qu'une sanction est en cours mais non pas définitive, la juridiction a la possibilité de prononcer une mesure de suspension provisoire.

Le greffier du tribunal de commerce a un rôle important, car il est le seul permanent de la juridiction ; en effet, les magistrats consulaires sont élus et se succèdent.

Récemment trois dossiers, dont deux sont encore en cours, les ont concernés plus particulièrement. Le premier concerne les secrétariats des tribunaux de commerce. Certains présidents de tribunaux de commerce avaient constitué autour d'eux une équipe qui jouait un rôle de greffe bis. Un décret de 1995 a clarifié la situation : le greffe assure aujourd'hui les fonctions de secrétariat du président de la juridiction.

M. le Président : Concrètement, s'agit-il d'anciens secrétaires rémunérés par le greffe ou de personnes recrutées par le président ?

Mme Henriette CHAUBON : Le greffier a en charge la rémunération. Par conséquent, il semble difficile de lui imposer telle ou telle personne. Les relations qu'entretiennent le président et le greffier sont importantes et si elles sont bonnes, c'est un gage de bon fonctionnement de la juridiction.

M. le Président : Qui intervient en matière de discipline concernant le secrétaire du président : le greffier ou le président ?

Mme Henriette CHAUBON : Cela, normalement, relève du greffier, puisqu'il est l'employeur, mais je ne possède pas le décret, la direction des services judiciaires étant compétente en la matière.

J'aborderai maintenant le second dossier relatif aux activités télématiques.

Les tribunaux de commerce sont dépositaires d'un certain nombre d'informations, notamment celles inscrites au registre du commerce puisque les sociétés sont obligées de s'immatriculer. Or les greffiers ont organisé, depuis de nombreuses années, la diffusion de ces informations par des GIE. Mais la pratique des GIE pose trois types de problème.

Premièrement, les GIE diffusent directement les informations. Or, ces informations sont détenues par le greffe qui en est le dépositaire ; il lui appartient donc, en tant qu'officier public et ministériel, de les communiquer lui-même.

Deuxièmement, certaines informations sont retraitées avant d'être communiquées.

Troisièmement, la tarification est excessive : 9,21 francs la minute - il s'agit d'un 36 29.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Pourquoi les GIE sont-ils irréguliers ?

Mme Henriette CHAUBON : Parce qu'il s'agit d'une structure de moyens. Il est courant, dans d'autres professions, que des professionnels se regroupent afin de créer une structure de moyens telle qu'un secrétariat commun. Mais, dans le cas présent, ce sont les officiers publics et ministériels qui sont dépositaires légaux des données. Le GIE n'a donc pas la compétence juridique pour délivrer ces informations.

M. le Président : Ne pourrait-on pas considérer que l'officier ministériel donne l'information au GIE qui la diffuse ?

M. Jean-Paul CHARIÉ : Il est impossible, pour les greffiers, d'intervenir personnellement sur le Minitel ; les informations doivent être regroupées. Existe-t-il un moyen de créer une structure intermédiaire entre celui qui possède l'information et celui qui la recherche ?

Mme Henriette CHAUBON : Le GIE ne dispose pas de la compétence juridique pour délivrer ces informations. Nous pouvons donc imaginer un regroupement des moyens au niveau du GIE - les appels sont centralisés -mais ensuite celui-ci doit redistribuer sur chaque greffe compétent les demandes, afin que ce soit lui qui y réponde.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Créer une structure intermédiaire qui gérerait les appels vous paraît donc impossible.

Mme Henriette CHAUBON : Cette structure gérerait les appels, mais ensuite, devrait redistribuer les demandes sur chaque greffe compétent.

M. le Président : On ne peut pas être officier public et ministériel et commerçant !

Mme Henriette CHAUBON : Cela constitue, en effet, une difficulté. Dès lors que certaines informations sont retraitées, cette activité dépasse largement, par son côté commercial, les activités de l'officier public et ministériel dépositaire de données publiques.

M. le Président : Comment sont déclarés les revenus, sur le plan fiscal ?

Mme Henriette CHAUBON : Ils font partie des produits du greffe. Sur ce sujet, plusieurs réunions ont eu lieu et des mesures ont été prises : une circulaire du 28 octobre 1997 a été adressée aux procureurs généraux, aux greffiers et aux présidents des tribunaux de commerce, de manière à mettre fin à ces pratiques.

M. le Président : Quel est le rôle du parquet dans le contrôle des greffes ?

Mme Henriette CHAUBON : Le parquet exerce une fonction de surveillance des officiers publics et ministériels de son ressort. La circulaire du 28 octobre affirme que les GIE ne sont que des structures de moyens et doivent le rester ; que le retraitement est interdit ; qu'il convient d'éviter la confusion entre les activités de la juridiction et les prestations de services qu'elle offre : le GIE ne doit pas devenir l'interlocuteur des usagers. Enfin, le dernier point concerne la demande de convention d'occupation des locaux, certains greffes abritant un GIE.

Par ailleurs, une dépêche a été adressée le 26 janvier dernier aux procureurs généraux pour leur demander de nous rendre compte du respect des prescriptions contenues dans la circulaire précitée. Nous recevons actuellement des réponses : certains nous affirment qu'il n'y avait aucun problème dans leur tribunal, d'autres nous disent que des réformes sont en cours. De plus, un projet de décret, actuellement devant le Conseil d'État, prévoit, d'une part, que la diffusion des informations ne peut être faite que par le greffier compétent et, d'autre part, donne la possibilité au GIE de centraliser les appels et de les orienter vers les greffes concernés. Par ailleurs, il affirme que les informations ne peuvent pas être retraitées.

S'agissant du tarif, la Chancellerie a proposé de transférer le serveur du palier 36 29, dont le tarif est de 9,21 francs la minute, au palier 36 17, dont la minute coûte 5,57 francs - soit une baisse de 41 % - qui est utilisé par l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). Parallèlement, il est envisagé une prise en compte, dans le tarif des greffiers qui n'a pas été revu depuis 1986, des prestations télématiques et une augmentation de ce tarif de 12 %, afin de compenser cette baisse de 41 %.

Le troisième dossier relatif aux greffiers concerne le problème de la carte judiciaire qui intéresse directement les greffiers des tribunaux de commerce, puisque l'on ne peut pas concevoir l'existence d'un greffe en dehors d'un tribunal de commerce. Par conséquent, les greffiers seront concernés au premier chef si l'on s'oriente vers un resserrement du nombre des juridictions commerciales.

À l'heure actuelle, tous les officiers ministériels - autres que ceux des tribunaux de commerce - ont des offices et peuvent avoir des offices annexes qui sont un démembrement de l'office principal. En cas de regroupement des juridictions commerciales, nous avons donc prévu une mesure de souplesse - le décret est actuellement devant le Conseil d'État -prévoyant la création de greffes annexes qui se situeraient en lieu et place de la juridiction supprimée. De ce fait, une proximité serait assurée pour les justiciables et cela éviterait une disparition pure et simple de certains greffes.

M. le Président : La création du greffe du tribunal de Montélimar a été retardée. La charge a-t-elle déjà été mise en vente ?

Mme Henriette CHAUBON : Un appel de candidatures a été fait.

M. le Président : Le système que vous nous décrivez, est celui des autres tribunaux, avant que les greffes ne soient fonctionnarisés.

Mme Henriette CHAUBON : Tout a fait. La fonctionnarisation a d'ailleurs eu lieu, me semble-t-il en 1967.

M. Arnaud MONTEBOURG : Avez-vous réalisé une étude précise des revenus de ces charges, selon la taille des tribunaux ? Pouvez-vous mesurer les coûts de ce service rendu au public et les revenus qui y sont afférents ? Il s'agit d'un point très important, car le niveau de revenu personnel de certains greffiers ne manque pas d'impressionner la Représentation nationale ! Ne pourrait-on pas envisager aujourd'hui une fonctionnarisation ?

Mme Henriette CHAUBON : On ne dispose pas aujourd'hui d'une étude précise sur les revenus des greffiers des tribunaux de commerce. La Chancellerie a connaissance des traités de cession. Elle connaît, à cette occasion, la valeur de la charge, mais n'assure plus de contrôle sur les prix - ceux-ci se négociant librement. Les prix de cession varient énormément. Nous disposons également de quelques éléments sur les revenus grâce à une liste représentative de greffes.

En ce qui concerne la fonctionnarisation, elle impliquerait, en tout état de cause, une indemnisation. Il conviendrait alors d'évaluer le droit de présentation.

M. Arnaud MONTEBOURG : La Chancellerie pourrait-elle nous faire parvenir le montant des traités de cession des dix dernières années ?

Mme Henriette CHAUBON : Je vous les ferai parvenir.

M. Jacky DARNE : Pour nous permettre d'avoir une vue plus juste, il conviendrait que nous puissions également avoir les chiffres d'affaires des greffes ou leurs revenus.

M. Arnaud MONTEBOURG : La Chancellerie ne possède pas ce renseignement.

M. Jacky DARNE : Alors comment avez-vous évalué la perte de revenu causée par l'abaissement du tarif de la télématique de 9, 21 francs à 5,57 francs ? Il fallait bien connaître les revenus !

Mme Henriette CHAUBON : Nous l'avons évaluée d'après un échantillon.

M. le Président : Je souhaiterais que nous revenions sur le système des tarifs.

Mme Henriette CHAUBON : Comme les autres officiers publics et ministériels, les activités des greffiers sont tarifées. D'une manière générale, les tarifs sont constitués d'un droit fixe et de droits proportionnels. Certaines prestations sont payées par référence à un taux de base, qui est à l'heure actuelle de 6,60 francs - il passera à 7,40 francs en cas d'augmentation de 12 % - que l'on multiplie par un coefficient qui varie selon la nature de l'acte. Par exemple, telle prestation vaut trois taux de base.

M. le Président : Puisque l'on connaît le nombre et la nature des actes d'une charge, nous devrions pouvoir en déduire son revenu. À ce revenu s'ajoute d'ailleurs le produit de toutes les informations vendues par télématique et qui ne font pas l'objet d'une tarification.

M. Jacky DARNE : Cette augmentation de 12 % est-elle déjà décidée ?

Mme Henriette CHAUBON : Non, il ne s'agit, pour l'instant, que d'une proposition de la Chancellerie.

M. Jacky DARNE : Il est étonnant que l'on propose une augmentation de 12 % en compensation d'une baisse de revenus -revenus que l'on ignore -due à une baisse du prix de la télématique, dont on ne sait pas si elle produira un surplus de revenus ! Je vous propose, monsieur le Président, de demander au ministère de différer cette augmentation de 12 % qui est incompréhensible.

M. le Président : Nous pourrions, tout d'abord, demander à la Chancellerie sur quels éléments elle s'appuie pour proposer une telle augmentation, c'est-à-dire quels sont les arguments de la profession.

Mme Henriette CHAUBON : Nous disposons, pour un échantillon donné, du montant des charges, des produits et des bénéfices. En analysant les produits nous avons pu déterminer la part de la télématique et un calcul nous a permis de déterminer à quoi allait correspondre cette baisse du prix de 41 %. Nous proposons donc de baisser le prix de la télématique de 41 % et d'augmenter de 12 % les émoluments tarifés - émoluments que nous identifions parfaitement.

M. Jacky DARNE : La télématique n'est pas si ancienne que cela et progresse en volume chaque année. Quel est le taux de croissance anticipé pour les prochaines années, en revenu ? Si l'on ne prend pas en compte le phénomène quantitatif, je me demande quelle étude l'on peut faire ! Enfin, quelle était la situation avant la télématique ? Quels étaient les revenus des greffes il y a dix ans ?

M. le Président : Cette étude a-t-elle été faite sur toutes les charges ou sur quelques charges dites représentatives ?

Mme Henriette CHAUBON : Cette étude porte sur des charges représentatives.

M. le Président : Le bruit courait que l'achat de certaines charges était amorti en très peu de temps grâce à la télématique. Ce qui veut dire que pour quelques grosses charges, notamment de la région parisienne, le système est complètement différent.

Mme Henriette CHAUBON : Il est vrai que pour les greffes de la région parisienne, la baisse va être très importante.

M. Arnaud MONTEBOURG : Qui a choisi la représentativité de ces charges ?

Mme Henriette CHAUBON : Ce sont les professionnels qui nous ont communiqué un échantillon comprenant des juridictions petites, moyennes et plus importantes.

M. Arnaud MONTEBOURG : Qui sont les interlocuteurs de la Chancellerie, dans cette « négociation » ?

Mme Henriette CHAUBON : Le Conseil national des greffiers de tribunaux de commerce, organisme élu et représentatif.

M. Jacky DARNE : Ne pourrait-on pas demander au parquet ou au ministère de nous communiquer la totalité des déclarations de revenus des dix dernières années de tous les offices ?

M. le Président : C'est ce que nous allons faire.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Il s'agit d'une profession qui a la responsabilité de recevoir toutes les déclarations de toutes les autres professions, cela ne devrait donc pas trop la choquer !

M. Jacky DARNE : On s'abrite toujours derrière les cas les plus difficiles, ceux qui ne gagnent pas beaucoup, pour justifier une augmentation !

M. René DOSIERE : Je voudrais revenir sur les tarifs. S'agissant du coefficient multiplicateur, peut-il y avoir des incertitudes ?

Mme Henriette CHAUBON : Non, tout est prévu dans le tarif - tel acte est égal à trois taux de base. Mais il existe des droits proportionnels : la prestation tarifée représente un pourcentage du montant de l'acte.

M. Jacky DARNE : Que représente la partie proportionnelle par rapport à la partie fixe dans le revenu global ?

Mme Henriette CHAUBON : Il me semble que la partie fixe est plus importante.

M. le Président : C'est donc très différent des autres auxiliaires pour lesquels il y a beaucoup de droits proportionnels.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Prenons un exemple. Le greffier convoque les créanciers ; le tarif sera le suivant : 6,60 fois un certain taux. Y a-t-il, en plus, un droit proportionnel ?

Mme Henriette CHAUBON : Le droit proportionnel est exclusif du droit fixe. Toutes les prestations sont tarifées. Certaines d'entre elles sont tarifées selon un système de droit fixe, d'autres selon un système de droit proportionnel.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Quel est actuellement le niveau de réflexion de votre service pour modifier les taux ?

Mme Henriette CHAUBON : Le taux de base devrait être augmenté de 12 %. Parallèlement, il conviendrait de réexaminer l'ensemble du tarif, étant observé que depuis 1986 de nouvelles prestations ont été demandées aux greffiers qui n'ont pas été prises en compte.

M. Jacky DARNE : Comment a-t-on mesuré les gains de productivité réalisés sur toutes ces prestations, depuis 1986 ? L'intervention de la télématique a fait augmenter les gains de productivité ? En matière de tarif, comment allez-vous répercuter ceux-ci ?

Mme Henriette CHAUBON : Nous n'avons pas procédé à cette étude.

M. le Président : On nous a indiqué que le volume des affaires diminuait dans certains tribunaux, notamment à Paris, ce qui veut dire que le revenu du greffier diminue. Ce n'est pas le cas pour les autres auxiliaires de justice, car si le nombre d'affaires diminue, leur importance augmente.

La difficulté, en ce qui concerne les greffiers, est que le même tarif s'applique sur l'ensemble du territoire national. De ce fait, les greffiers des juridictions importantes vivent bien, même très bien, pendant que certains autres vivotent. Si j'étais greffier, il m'apparaîtrait judicieux de mettre en avant les difficultés des petites juridictions, afin de faire augmenter les tarifs !

Mme Henriette CHAUBON : Lorsque nous avons travaillé sur le dossier Infogreffe, nous avons fait attention à ce que la baisse du prix de la télématique n'entraîne pas de difficultés importantes pour les greffiers des petites juridictions. La hausse de 12 % du tarif est en réalité destinée à neutraliser cette baisse.

Par ailleurs, on s'est rendu compte que dans les petits greffes, les prestations télématiques ne sont pas très importantes, alors que le volume des prestations classiques est élevé.

M. le Président : Y a-t-il des charges qui n'ont pas, actuellement, trouvé acheteur ?

Mme Henriette CHAUBON : Non, pas à ma connaissance.

M. Jacky DARNE : Un greffier peut-il avoir une pluriactivité ?

Mme Henriette CHAUBON : Je ne suis pas sûre que cela soit possible.

M. Jacky DARNE : Une des réponses possibles serait de permettre une pluriactivité aux petits greffiers. Il convient de mesurer la rémunération en fonction du temps de travail : si le greffier d'une petite juridiction a peu de revenus, c'est parce qu'il travaille peu. Il ne faut donc pas que la tarification permette à des greffiers qui travaillent peu de vivre décemment. Il serait plus raisonnable de leur permettre d'avoir plusieurs activités.

Mme Henriette CHAUBON : À l'heure actuelle on admet ce que l'on appelle les greffes binés, c'est-à-dire que l'on permet à un greffier d'être titulaire de deux petits greffes ; je crois qu'il y en a actuellement 27.

S'agissant de la pluriactivité, je suis plus réservée en raison de leur statut d'officier public et ministériel.

M. Jacky DARNE : Vous avez évoqué, les contrôles qui ont lieu tous les quatre ans. Avons-nous des indications sur le résultat de ces contrôles ?

M. Jean-Paul CHARIÉ : Constatez-vous des dérives, lors de ces contrôles ?

Mme Henriette CHAUBON : Il y a environ une cinquantaine d'inspections par an - et quelques inspections occasionnelles lorsqu'il y a un problème - dont voici les résultats : un blâme en 1997, une suspension provisoire en 1997 et une en 1995 en raison de poursuites pénales en cours.

M. le Président : Les sanctions disciplinaires ont-elles été déclenchées par les poursuites pénales ?

Mme Henriette CHAUBON : La mesure de suspension est quasi automatique lorsqu'il y a des poursuites pénales. La sanction disciplinaire, s'il y en a une, ne sera prononcée qu'à l'issue de la procédure pénale.

M. Jean-Paul CHARIÉ : En dehors des problèmes que vous venez de soulever, le fonctionnement des greffes des tribunaux de commerce est donc satisfaisant.

Mme Henriette CHAUBON : En effet, on ne relève pas de problèmes particuliers, au niveau disciplinaire.

M. René DOSIERE : Puisqu'il y a des greffes binés, y a-t-il, comme pour les curés alsaciens un droit de binage, c'est-à-dire une rémunération supplémentaire ?

Mme Henriette CHAUBON : Le greffier cumule simplement les revenus des deux greffes.

M. René DOSIERE : Lorsque les juridictions seront regroupées, ces greffiers auront donc une juridiction plus importante sans que l'on ait à faire disparaître des greffes.

Mme Henriette CHAUBON : Non, quand je parle de greffes binés, cela veut dire qu'il y a deux juridictions commerciales. Lorsqu'il n'y aura plus qu'une juridiction, subsistera une antenne de greffe, mais il n'y aura qu'un seul greffe, donc une seule charge - qui se situera au lieu de la juridiction commerciale de regroupement.

M. Jean-Paul CHARIÉ : L'information que distribue l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) vient-elle également des tribunaux de commerce ?

Mme Henriette CHAUBON : Il s'agit d'une information dont il est directement dépositaire.

M. Jacky DARNE : Avez-vous connaissance de la nature des contrats qui existent entre les GIE et les greffes pour les opérations télématiques ? J'imagine que le GIE encaisse les produits provenant de la télématique et qu'il en reverse une partie au greffe, déduction faite des frais généraux ?

Mme Henriette CHAUBON : Je n'ai pas connaissance de la nature de ces conventions.

M. Christian MARTIN : Les dépôts au greffe des bilans, comptes d'exploitation, etc., sont obligatoires. Si cette démarche n'est pas faite par les entreprises, quelle est la sanction ?

M. Jacky DARNE : Il y a un premier avertissement, puis une amende, qui n'est pas très importante, puisque certains groupes français préfèrent ne jamais déposer et payer les amendes.

M. Arnaud MONTEBOURG : Je voudrais revenir sur le problème du tarif et les conditions dans lesquelles sa modification a été négociée. Quand les négociations entre la Chancellerie et la profession des greffiers ont-elles commencé, et pour quelles raisons ?

Mme Henriette CHAUBON : Les raisons sont claires : nous avions relevé certaines difficultés relatives, notamment, aux GIE, qui envoyaient des informations sur des papiers à en-tête du tribunal de commerce. Nous avons donc tenu plusieurs réunions avec les professionnels.

M. Arnaud MONTEBOURG : À quelles dates ces réunions se sont-elles déroulées ?

Mme Henriette CHAUBON : Au début et à la fin de l'année dernière.

M. Arnaud MONTEBOURG : Je vous pose cette question, car les problèmes relatifs aux greffiers sont apparus dans le Canard Enchaîné à la fin de l'année 1997. Y a-t-il eu, à votre connaissance, d'autres éléments parus dans la presse qui auraient alerté l'opinion publique ?

Mme Henriette CHAUBON : Je n'ai pas en mémoire la parution d'autres articles de presse à ce sujet. Les réunions que nous avons tenues à la Chancellerie avec les représentants du conseil national des greffiers ont eu lieu en 1997, voire déjà en 1996.

M. Arnaud MONTEBOURG : Il ressort de votre exposé la recherche d'un consensus avec les greffiers. La Chancellerie ne semble pas vouloir se brouiller avec eux...

Mme Henriette CHAUBON : Il s'agit de professionnels qui dépendent de la Chancellerie, avec lesquels nous devons entretenir des relations continues. Or, même si la baisse de la télématique est apparue nécessaire, il n'était pas non plus question de mettre à mal les greffes. C'est un service public important, les difficultés du greffe rejaillissent sur le tribunal de commerce. L'équilibre que nous avons tenté de sauvegarder nous a donc paru indispensable pour le bon fonctionnement de la juridiction.

M. Arnaud MONTEBOURG : D'autres projets ont-ils été examinés ou approfondis par la Chancellerie ? Notamment y a-t-il eu, à un moment donné, le désir de changer leur statut, comme en 1967 pour les greffiers des autres juridictions ?

Mme Henriette CHAUBON : Non, jamais pour ce qui est des réunions qui ont concerné Infogreffe. À ma connaissance, il n'y a jamais eu d'autres études.

M. le Président : Une étude a dû être menée lorsque M. Badinter était garde des sceaux, lorsqu'il a été question de modifier le statut des tribunaux de commerce.

Par ailleurs, n'y a-t-il pas eu de la publicité sur Infogreffe ? Cela pourrait être une solution qui réglerait le problème budgétaire du ministère de la justice ?

Mme Henriette CHAUBON : Faire de la publicité concernant le numéro à appeler pour avoir des renseignements n'est pas choquant. En revanche, une publicité réalisée en faveur du GIE - celui-ci donnant directement des informations, dont certaines sont retraitées - n'est pas admissible. Le GIE ne peut pas avoir d'activité commerciale.

M. le Président : Qui paie cette publicité ?

M. Jean-Paul CHARIÉ : Le GIE.

M. le Président : Il s'agit donc d'un acte commercial.

Mme Henriette CHAUBON : Oui, on peut admettre la publicité destinée à informer les justiciables qu'ils peuvent obtenir des renseignements en s'adressant aux GIE qui les orienteront ensuite sur les tribunaux de commerce. Cependant, il faut éviter que le GIE n'offre une prestation commerciale.

Mme Nicole FEIDT : Avez-vous eu l'occasion d'apprécier la formation des greffiers ?

Mme Henriette CHAUBON : Je vous ai indiqué les conditions nécessaires pour devenir greffier : licence de droit, stage, examen. Cela dit, il n'y a jamais eu de poursuite pour incompétence ou inaptitude.

M. le Président : Quelle est la durée du stage ?

Mme Henriette CHAUBON : Le stage est d'un an, et l'examen est tout à fait classique.

M. Jacky DARNE : Vous avez insisté pour que ce soit le greffier, détenteur des informations, qui les diffuse. Or les réseaux télématiques font qu'aujourd'hui, il y a une relation très immatérielle entre l'acte, sa localisation et sa diffusion. Comment comptez-vous mettre en oeuvre la contrainte que vous énoncez pour être certain que ce soient bien les greffiers qui diffusent l'information ? Le terminal informatique doit-il être dans son bureau ?

Mme Henriette CHAUBON : Du moins dans son greffe.

M. Jacky DARNE : N'est-ce pas déjà le cas ? Aujourd'hui, le stockage physique des actes se fait évidemment dans le greffe ; par ailleurs, c'est lui qui doit certainement tout scannériser, sinon je ne comprends pas comment il pourrait diffuser les actes. En bref, quels changements vont entraîner vos suggestions ?

Mme Henriette CHAUBON : La personne désireuse d'obtenir un renseignement doit s'adresser au GIE qui doit, à son tour, la renvoyer vers le greffe.

M. Jacky DARNE : Cela ne se passe-t-il pas ainsi actuellement ?

Mme Henriette CHAUBON : Non, c'est le GIE qui donne l'information.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Une entreprise peut avoir cinq établissements qui enverront leur bilan dans cinq tribunaux de commerce différents. Si l'on veut avoir une information globale, il est nécessaire que quelqu'un centralise toutes les informations.

M. le Président : Le greffier n'a pas le droit de faire cela.

M. Jacky DARNE : Aujourd'hui, sur un site Internet, une personne qui désire des renseignements sur la région lyonnaise, par exemple, ne se rendra pas compte qu'elle passera d'un ordinateur qui est sur la ville de Lyon à l'ordinateur serveur qui se situera sur la communauté urbaine, par exemple, car le réseau permet de renvoyer l'information. Le principe même de la toile d'araignée est d'avoir un passage par des ordinateurs serveurs successifs. L'évolution technologique n'est elle pas de nature à remettre en cause l'efficacité de ce que vous demandez ?

M. le Président : Il faut rappeler que le greffier, officier public et ministériel est le garant de la sincérité de l'acte. Il est donc le seul à pouvoir le communiquer. Après, il s'agit du système des photocopies : le GIE diffuse des photocopies. En fait, vous proposez que le GIE soit simplement un lieu de passage ?

Mme Henriette CHAUBON : Tout à fait. Il est très important que ce soit le greffier, dépositaire des informations, qui les diffuse.

M. le Président : La date à laquelle sont délivrées les informations est absolument essentielle.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Ce qui est important pour le monde économique aujourd'hui n'est pas tel ou tel acte, mais le résultat des bilans.

Mme Henriette CHAUBON : J'aborderai maintenant le problème des administrateurs judiciaires. Je vous donnerai des renseignements sur leur statut et les règles professionnelles les concernant.

Avant la réforme de 1985, le syndic exerçait à la fois les fonctions d'administration et de représentation du créancier. La grande innovation de la loi de 1985 a été de mettre un terme à cette confusion des pouvoirs entre les mains d'une même personne. Le législateur a souhaité qu'il y ait, d'un côté, les intérêts des créanciers et, de l'autre l'intérêt de l'entreprise.

Les administrateurs judiciaires sont chargés de l'intérêt de l'entreprise, c'est-à-dire d'analyser ses difficultés, de la gérer, de négocier, d'élaborer, le cas échéant, un plan de redressement. Les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, quant à eux, sont chargés de la défense des intérêts des créanciers, de leur représentation et de la liquidation de l'entreprise lorsque celle-ci est décidée.

Le législateur a souhaité avoir une acception globale de ces deux missions. On parle donc des mandataires de justice d'une manière générale et de nombreuses règles sont communes à ces deux professions.

Au 1er janvier 1998, on comptait 136 administrateurs judiciaires et 345 mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, soit 481 mandataires de justice.

La réglementation résulte de la loi de 1985 et de ses textes d'application. En ce qui concerne l'accès à la profession, la personne souhaitant devenir mandataire de justice doit être inscrite sur une liste. Cette liste est nationale en ce qui concerne les administrateurs, régionale pour les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises. L'inscription est donc faite par une commission, nationale ou régionale, qui est composée de professionnels, de magistrats, de représentants de la Cour des comptes, de professeurs de droit, de représentants de la juridiction commerciale, ainsi que d'un commissaire au gouvernement qui exerce les fonctions de parquet. Ces commissions interviennent à la fois pour l'inscription et pour la discipline.

Les conditions pour être nommés sont les suivantes : avoir la nationalité française, présenter des garanties de moralité, être titulaire d'une maîtrise en droit, justifier d'un stage professionnel qui est à l'heure actuelle de trois ans, et obtenir l'examen d'aptitude professionnelle.

Cependant, il y a eu, au moment de l'entrée en vigueur de la loi, une passerelle très large dont ont profité les anciens syndics - plus de 350 -pour entrer directement dans la profession. Or l'on constate que la majorité des personnes qui ont fait l'objet de poursuites disciplinaires était issue de ce système.

M. Jacky DARNE : Combien de collaborateurs les mandataires de justice ont-ils ? Dans de grands cabinets, leur engagement personnel peut être relativement faible par rapport à celui de leurs collaborateurs ?

Mme Dominique DEVIGNE : Tout dépend, bien évidemment, de la taille de l'étude et du nombre de mandats qui sont gérés par cette étude. Une étude a en moyenne un ou deux collaborateurs et du personnel salarié.

M. le Président : Quel est le statut de ces collaborateurs ?

Mme Dominique DEVIGNE : Ce sont des personnes qui ont éventuellement vocation à passer l'examen pour devenir elles-mêmes mandataires - ce sont donc des stagiaires.

M. Jacky DARNE : Quel est l'effectif salarié moyen d'une étude ?

Mme Dominique DEVIGNE : Encore une fois, tout dépend de l'importance de l'étude. Mais cela peut aller de un à quarante salariés, tout dépend du nombre de mandats qui y sont gérés.

M. Jacky DARNE : Cela veut donc dire qu'il n'y a que deux ou trois personnes qualifiées sur un effectif de quarante salariés.

Mme Dominique DEVIGNE : Le personnel salarié peut être qualifié, il ne faut pas faire de généralités.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Une même étude peut-elle être habilitée sur plusieurs départements ? J'ai cru comprendre que le président national des administrateurs judiciaires avait une étude, mais qu'il travaillait sur plusieurs départements.

Mme Dominique DEVIGNE : L'administrateur judiciaire a une compétence nationale, ce qui veut dire qu'il peut être nommé par n'importe quelle juridiction. En revanche, le mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises a une compétence régionale, il ne peut donc être nommé que dans le ressort de la cour d'appel de son domicile professionnel.

M. Jean-Paul CHARIÉ : L'administrateur judiciaire peut donc avoir des collaborateurs dans différents départements.

Mme Dominique DEVIGNE : L'administrateur peut effectivement créer des bureaux secondaires qui seront sous le contrôle d'un collaborateur pour la gestion quotidienne.

Mme Henriette CHAUBON : C'est une question sur laquelle il faudra revenir, car nous avons pu constater des difficultés dans le fonctionnement de ces bureaux secondaires. Une réflexion a donc été menée à la Chancellerie sur ce sujet.

M. le Président : On nous parle de régions consulaires qui regroupent deux cours d'appel.

Mme Henriette CHAUBON : Non, il existe une commission régionale auprès de chaque cour d'appel, composée d'un commissaire du gouvernement qui est une personne du parquet général près la cour d'appel.

Dans certaines cours d'appel, telles qu'à Aix-en-Provence, Paris ou Versailles, on trouve un grand nombre de mandataires de justice ; en revanche, dans six cours d'appel, il n'y a pas d'administrateurs judiciaires.

M. le Président : Y a-t-il un numerus clausus ?

Mme Henriette CHAUBON : Non, il n'y en a pas.

Je voudrais maintenant vous parler des règles qui régissent cette profession ; en même temps, je vous ferai part du projet de décret préparé par la Chancellerie qui les modifie assez sensiblement.

Ces mandataires disposent des pouvoirs que le tribunal leur donne, c'est-à-dire qu'ils sont responsables de la mission que leur a confié le tribunal. Le juge-commissaire est leur premier interlocuteur et les contrôle. Par ailleurs, un contrôle de la profession est exercé par un inspecteur, magistrat de la Chancellerie et par un commissaire aux comptes.

De plus, les mandataires ont un certain nombre d'obligations, telles que la tenue de registres où sont enregistrées les opérations qu'ils effectuent ou l'envoi au parquet des états trimestriels.

S'agissant du tarif, on retrouve le système du droit fixe et des droits proportionnels. Deux grosses difficultés ont déjà été signalées en ce qui concerne ce tarif. S'agissant tout d'abord du droit fixe, il est perçu par les administrateurs et les mandataires dès le déclenchement d'une procédure ; il est de l'ordre de 15 000 francs. Le texte concernant ce droit fixe prévoit, d'une manière très explicite, que le droit n'est dû que si le mandataire est ensuite désigné comme liquidateur. En pratique, le droit fixe était automatiquement perçu. La Cour de cassation a donc été amenée, dans un arrêt du 3 décembre 1996, à préciser que ce droit n'était pas dû si le mandataire n'était pas désigné comme liquidateur.

Cependant, la plupart des personnes désignées comme mandataires sont également désignées comme liquidateurs. De plus, certains mandataires nous disent que la plupart des procédures sont impécunieuses ; cette somme de 15 000 francs permet, selon eux, de faire face aux dépenses qu'ils ne peuvent pas récupérer sur les procédures impécunieuses.

Le décret qui est en préparation à la Chancellerie et qui va dans le sens d'un renforcement des contrôles, n'a volontairement pas pris en compte une réforme du tarif, car nous voulons lier cette réforme à celle des procédures. La réforme du tarif sera donc faite en même temps que celle des procédures.

Le second problème spécifique du tarif tient à la règle qui prévoit que le mandataire perçoit un droit proportionnel de 5% calculé sur la différence entre le montant des créances déclarées et le montant des créances admises. Or nous pensons que cette règle peut avoir un effet pervers, c'est-à-dire inciter à contester les créances.

Tels sont les deux points qui ont, aujourd'hui, donné lieu à des contestations.

M. le Président : Comment les droits proportionnels sont-ils calculés ?

Mme Dominique DEVIGNE : Tout dépend de la nature de la mission. Lorsque la personne désignée est nommée administrateur judiciaire, elle perçoit le droit fixe et un droit proportionnel qui est fonction du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise pendant la période d'observation, soit pour une durée d'un an maximum qui peut être prorogée de 8 mois à la requête du procureur de la République. Le doit proportionnel est dégressif et est fixé par le président du tribunal dès lors qu'il excède 450 000 francs.

M. le Président : Avez-vous connaissance d'un contentieux des contestations des honoraires ?

Mme Dominique DEVIGNE : Il existe une voie de recours contre les taxations devant le tribunal de commerce, puis devant la cour d'appel.

Mme Henriette CHAUBON : Le caractère automatique de la taxation a parfois conduit à des aberrations.

Mme Dominique DEVIGNE : S'agissant des recours contre les ordonnances, c'est en général le parquet qui fait appel d'une taxation qu'il considère excessive.

M. Jacky DARNE : La rémunération des administrateurs est un coût pour l'entreprise. Il peut s'y ajouter des coûts d'expertise. Un système de partage est possible entre ces différents professionnels, mais il se peut que dans certains cas, ces rémunérations périphériques soient plus lourdes que celles de l'administrateur. Avez-vous une observation statistique ou empirique sur ce partage de compétences ?

Mme Dominique DEVIGNE : Je puis simplement vous indiquer ce que j'ai pu constater au travers des inspections que j'ai menées.

À l'heure actuelle, on observe que ces mandataires, en raison du nombre très important de mandats dont ils ont la charge, ne peuvent pas faire face aux missions qui leur sont demandées. Ils ont alors tendance à avoir recours à des intervenants extérieurs qui, parfois, sont nécessaires compte tenu de la technicité de certains dossiers. L'intervention de ces experts est autorisée et contrôlée par le juge-commissaire.

En revanche, certaines interventions constituent une dérive, à mon avis, par rapport à la mission de l'administrateur ou du mandataire. Il s'agit du recours aux contrôleurs de gestion. Ces derniers agissent au lieu et place du mandataire qui n'a pas le temps de se consacrer à tous ses mandats. Les contrôleurs de gestion sont, eux aussi, autorisés par le juge-commissaire. Cependant, le juge-commissaire donne une autorisation de principe et ne donne pas une autorisation précise sur le coût de cette intervention. Dans la plupart des cas, cette intervention est payée par les procédures collectives, ce que ne prévoit pas la loi.

En effet, le texte prévoit que si le mandataire veut s'entourer d'un personnel qu'il choisit, il doit le rémunérer sur ses honoraires. Or cela n'arrive jamais dans la pratique.

M. le Président : Pouvez-vous maintenant nous parler de votre mission d'inspection ?

Mme Dominique DEVIGNE : La mission de mandataire de justice est très spécifique, puisqu'il s'agit d'un mandat de justice sous contrôle des tribunaux, parce que les mandataires gèrent les biens d'autrui et surtout parce qu'ils manient des fonds très importants qui ne leur appartiennent pas.

On a donc voulu faire en sorte qu'il y ait une discipline et des contrôles très stricts. Ces contrôles sont opérés par la profession, mais également par une mission d'inspection confiée à l'autorité publique, en application de la loi de 1985 qui renvoie à des décrets d'application pour l'organisation et le fonctionnement de ces inspections.

Ces mesures d'application ont été précisées par les décrets du 27 décembre 1985 et du 8 octobre 1991. Ils prévoient qu'un magistrat de l'ordre judiciaire est désigné par le garde des sceaux pour réaliser ces inspections ; celles-ci concernent tous les mandataires de justice, y compris ceux qui sont désignés par les juridictions commerciales, et ne sont pas inscrits sur les listes, mais qui ont une compétence spécifique ; ces inspections sont prescrites d'office ou à la demande du commissaire du gouvernement qui a inscrit le mandataire ; elles sont effectuées directement par le magistrat inspecteur ou, par délégation, par des magistrats du parquet.

Quel est le pouvoir du magistrat inspecteur ? Il s'agit d'un pouvoir général d'investigation, de vérification et de contrôle. Par ailleurs, le magistrat inspecteur peut, lors de ses inspections, se faire assister par un commissaire aux comptes de son choix et par un administrateur ou un mandataire qui apportera ses connaissances sur les pratiques professionnelles. Le mandataire inspecté, lui, peut également se faire assister d'un confrère, d'un commissaire aux comptes et d'un expert de son choix. En fait, les textes ne définissent que les contours de l'inspection, et ils sont relativement imprécis.

Je n'exerce les fonctions de magistrat inspecteur que depuis 9 mois, mais je vais tenter de vous dire quelles sont les conditions de mise en oeuvre de ces inspections, leur déroulement, leur contenu et les suites qui leur sont données.

En ce qui concerne les conditions de mise en oeuvre, le texte ne prévoit pas de conditions préalables, ce qui veut dire que l'inspecteur peut à tout moment arriver dans une étude pour faire un contrôle préventif ou voir comment elle fonctionne.

M. le Président : Le faites-vous ?

Mme Dominique DEVIGNE : Jusqu'à aujourd'hui aucune inspection d'ordre préventif n'a été faite. Pourquoi ? Il faut rapprocher deux chiffres : un magistrat inspecteur, 481 professionnels.

M. le Président : Quelle est votre formation ?

Mme Dominique DEVIGNE : Je suis un magistrat intégré, n'ayant pas suivi le cursus normal - à savoir l'école de la magistrature. J'ai fait l'école nationale des impôts, où j'ai appris les rudiments de la comptabilité...

Aujourd'hui, les inspections d'ordre préventif n'ont pas lieu. Le magistrat inspecteur n'intervient, en fait, que dans des conditions de crise, c'est-à-dire lorsqu'on attire son attention sur une étude. Cela se fait notamment par le biais des procureurs généraux et des parquets qui exercent une surveillance sur les mandataires et qui vont donc avoir connaissance de certains dysfonctionnements. Par ailleurs, le magistrat inspecteur peut être alerté par des plaintes de particuliers ou d'entreprises.

Il existe également un autre « clignotant » : le commissaire aux comptes, qui doit attester de la vérification de la comptabilité du mandataire et qui peut refuser de le faire ou indiquer un certain nombre d'anomalies. Je possède moi-même des attestations de comptabilité signalant des anomalies.

Les dispositions législatives et réglementaires ont voulu que l'inspection s'opère selon une procédure contradictoire. Le magistrat est assisté d'un commissaire aux comptes et d'un professionnel et le mandataire peut être assisté d'un collaborateur. Cela veut dire qu'il n'y a pas de possibilité, pour le magistrat inspecteur, d'intervenir de manière inopinée dans une étude, contrairement aux contrôles exercés par la profession elle-même qui peuvent se faire de manière inopinée.

Quel est le contenu de cette inspection ? Je la définirai en vous indiquant ce qu'elle n'est pas.

Le magistrat inspecteur ne peut absolument pas remettre en cause les décisions de gestion et les actes qui ont été accomplis par le mandataire.

Ces décisions de gestion et ces actes sont sous le contrôle unique du juge-commissaire qui l'a désigné et sous la surveillance du parquet.

L'inspection n'est pas non plus un examen de la situation personnelle du mandataire. Je n'ai pas la possibilité de pouvoir vérifier un enrichissement quelconque du mandataire inspecté, dans la mesure où je n'ai accès ni à ses comptes bancaires privés ni à son dossier fiscal. L'administration fiscale peut à tout moment m'opposer le secret professionnel.

L'inspection porte donc sur les conditions de fonctionnement de l'étude. Elle comporte trois aspects.

Premièrement, vérifier l'organisation, le fonctionnement et la gestion de l'étude et notamment vérifier si, par rapport au nombre de mandats que détient le mandataire, il a suffisamment de personnel et de moyens pour faire en sorte que les diligences qu'il doit accomplir puissent l'être dans des délais raisonnables.

Deuxièmement, vérifier s'il respecte les prescriptions légales dans la tenue des documents comptables, dans le déroulement des procédures et dans le prélèvement des honoraires.

Troisièmement, vérifier les mouvements de fonds, s'ils sont en concordance avec les documents comptables, si le mandataire les a placés au mieux des intérêts des créanciers et enfin contrôler s'il y a bien représentation immédiate des fonds.

Il s'agit aussi de vérifier si, dans les dossiers qu'il détient, il effectue les diligences dans des délais normaux. Enfin, il convient d'apprécier les charges et les produits de l'étude. Par ce moyen, on vérifie, d'une part, que le mandataire n'exerce pas une autre activité - je rappelle que seuls les administrateurs judiciaires peuvent exercer la profession d'avocat parallèlement à leur activité de mandataire -, et, d'autre part, que sa gestion n'est pas déficitaire, car cela voudrait dire que la représentation des fonds d'autrui est mise en péril.

Suite à l'inspection, un rapport est établi. Si l'on constate des dysfonctionnements très graves, le commissaire du gouvernement près des commissions de discipline est saisi et des sanctions disciplinaires sont prises.

Depuis que ces inspections existent, c'est-à-dire depuis 1986, il n'y en a eu que 18. Pourquoi si peu ? Tout d'abord parce que nous avons un manque de moyens évident ; je le répète, un magistrat pour 481 mandataires ! De plus, la possibilité de déléguer les inspections au parquet n'est pas utilisée, car les parquets sont tout aussi dépourvus et sont particulièrement encombrés.

M. le Président : Les parquets généraux pourraient réaliser ces inspections.

Mme Henriette CHAUBON : Nous avons envisagé, dans le cadre du projet de décret dont je vous parlais tout à l'heure, de prévoir une déconcentration des inspections, c'est-à-dire de prévoir au niveau des cours d'appel un inspecteur qui serait désigné par le garde des sceaux.

Mme Dominique DEVIGNE : La loi permet une délégation au parquet, c'est-à-dire au procureur du lieu du domicile du professionnel.

Mme Henriette CHAUBON : La réforme envisagée ne permettra peut être pas d'avoir un inspecteur dans toutes les cours d'appel, mais pourra pallier les difficultés que nous venons d'évoquer s'agissant du nombre des inspections, grâce à la présence de personnes compétentes au plus près des professionnels.

Mme Dominique DEVIGNE : Par ailleurs, il ne faut pas oublier que cette inspection nécessite une technicité, car il s'agit d'effectuer un contrôle comptable et financier. Il convient donc que l'inspecteur ait une formation particulière pour pouvoir, même s'il est assisté d'un commissaire aux comptes, apprécier et contrôler les études. Or, l'école nationale de la magistrature ne prévoit pas de formation de ce type.

Les 18 inspections ont pratiquement toutes donné lieu à des sanctions disciplinaires.

M. René DOSIERE : Ces 18 inspections ont-elles été toutes demandées par un procureur ?

Mme Dominique DEVIGNE : Effectivement, ce sont, en majorité, les procureurs qui ont attiré l'attention de l'inspecteur sur un cas particulier constaté au cours de leur mission de surveillance.

M. René DOSIERE : Les demandes des procureurs sont-elles toutes prises en compte ?

Mme Dominique DEVIGNE : En général, toutes les inspections demandées par les procureurs sont effectuées.

M. le Président : Y en a-t-il en cours ?

Mme Dominique DEVIGNE : Une inspection va avoir lieu la semaine prochaine.

M. le Président : À Nevers ?

Mme Dominique DEVIGNE : Non. Les inspections n'interfèrent pas avec la procédure pénale, cadre dans lequel les pouvoirs d'investigation sont bien plus importants que ceux de l'inspecteur.

M. le Président : Quels sont les faits généralement reprochés aux mandataires inspectés et sanctionnés ?

Mme Dominique DEVIGNE : Les inspections permettent de relever très précisément les dysfonctionnements. Il existe une inégalité entre les études, certaines obtenant un nombre très important de mandats et d'autres n'en n'obtenant que très peu. Certaines études gèrent entre 2 000 et 3 000 mandats.

M. le Président : Les mandats sont à la discrétion des tribunaux ?

Mme Dominique DEVIGNE : Ce sont en effet les tribunaux qui distribuent les mandats.

M. le Président : Les parquets ont-ils été invités à y prêter attention ?

Mme Dominique DEVIGNE : Dans le cadre du renforcement de la surveillance exercée par les parquets, une circulaire du 20 octobre 1997 a demandé que le parquet soit présent à chaque nomination.

Mme Henriette CHAUBON : Il s'agit d'une circulaire qui a été adressée aux parquets généraux pour leur rappeler les actions qu'ils pouvaient mettre en oeuvre, à la fois pénales, disciplinaires et civiles, à l'encontre des mandataires. En outre, cette circulaire comporte un volet plus pédagogique pour leur expliquer comment analyser et utiliser les états périodiques qui leur sont communiqués par les mandataires et au travers desquels ils peuvent déjà repérer des dysfonctionnements.

M. le Président : Vous nous disiez que certains mandataires avaient 2 000, voire 3 000 mandats à gérer...

Mme Dominique DEVIGNE : C'est ce qui explique la tendance des mandataires à recourir à des intervenants extérieurs qui sont rémunérés par les procédures.

M. le Président : Avez-vous déjà inspecté une étude qui gère 3 000 mandats ?

Mme Dominique DEVIGNE : J'ai inspecté une étude qui en gérait 2 000 et qui avait onze employés et j'y ai constaté ce type de dysfonctionnement.

La multiplication des mandats peut être aussi à l'origine d'une autre dérive que je n'ai pas mentionnée : la paralysie des procédures. Il n'y a pas de durée moyenne légale - certaines sont très complexes et peuvent durer des années -, mais lorsque vous avez beaucoup de dossiers à gérer, les diligences ne sont pas faites dans des délais raisonnables.

M. le Président : Dans un tel cas, il appartient au juge-commissaire de faire activer la procédure.

Mme Dominique DEVIGNE : Le juge-commissaire peut enjoindre au professionnel de lui faire un rapport circonstancié de l'état de la procédure et de lui expliquer les raisons pour lesquelles la procédure traîne.

M. le Président : Pourquoi un mandataire sera-t-il choisi plutôt qu'un autre ?

Mme Dominique DEVIGNE : Les juridictions vous diront qu'elles aiment travailler en confiance et qu'elles choisissent le mandataire en fonction de ses compétences et de la nature de l'affaire.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Que fait le juge-commissaire lorsqu'il constate qu'un dossier est en attente, après que le mandataire lui a transmis un rapport circonstancié ?

Mme Dominique DEVIGNE : Il est demandé au mandataire d'effectuer des diligences qui seront, bien entendu, contrôlées trois ou six mois après, par le juge-commissaire. Si les diligences ne sont pas effectuées, le parquet le signale, ce qui peut conduire au déclenchement de l'inspection.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Il y a deux niveaux de contrôle : les contrôles et les inspections. Or les professionnels considèrent que le contrôle a simplement une vocation pédagogique, qu'il est l'occasion pour eux de confronter leurs méthodes de travail.

Mme Dominique DEVIGNE : C'est effectivement le point de vue de la profession à laquelle nous n'adhérons pas, dans la mesure où ces contrôles ne sont pas des contrôles destinés à assurer une formation. Cependant, les contrôles opérés par la profession donnent lieu à un rapport qui m'est communiqué et, dans certains cas, les professionnels contrôleurs y indiquent les dysfonctionnements qu'ils ont constatés.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Votre interprétation de la loi est donc bien la suivante : ces contrôles n'ont pas pour objectif premier l'échange d'expériences entre les professionnels ?

Par ailleurs, vous nous avez dit que vous ne pouviez pas vérifier si le mandataire s'était enrichi personnellement. Avez-vous des projets en la matière ?

Mme Henriette CHAUBON : S'agissant des contrôles par la profession, ils sont actuellement quadriennaux et vont devenir biennaux ; par ailleurs, le projet de décret prévoit qu'ils seront, à l'avenir, effectués par un professionnel et un commissaire aux comptes. Le contrôle de la comptabilité sera donc très précis.

Le décret prévoit également que dès le moment où une personne demande son inscription, elle devra faire une déclaration des intérêts qu'elle détient dans des activités sociales et économiques.

M. Jacky DARNE : La surveillance des commissaires au plan et des experts en diagnostic rentre-t-elle dans votre champ de compétence ? Sinon, pouvez-vous nous donner des éléments sur les professionnels qui sont choisis et nous dire ce que vous pensez de leurs activités ?

Mme Henriette CHAUBON : Nous nous renseignerons sur ce sujet, car cela ne relève pas de notre compétence.

M. René DOSIERE : S'agissant du choix du mandataire, vous nous avez donné une raison officielle. Mais quel est votre point de vue personnel ?

Mme Dominique DEVIGNE : En ce qui concerne les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises - qui ont une compétence régionale -, il existe, dans certaines régions, des situations de monopole qui font que le juge-commissaire n'a pas le choix.

M. René DOSIERE : Pourquoi n'y a-t-il qu'un seul magistrat inspecteur ? Y a-t-il eu des propositions visant à augmenter le nombre d'inspecteurs ?

Mme Henriette CHAUBON : C'est un problème de moyens. Mais il serait en effet souhaitable que le nombre d'inspecteurs soit plus important.

M. Arnaud MONTEBOURG : Nous souhaiterions que vous adressiez à la commission les 18 rapports qui ont été établis depuis que la loi existe, que vous nous indiquiez les suites qui leur ont été données.

Par ailleurs, nous souhaiterions vous entendre à nouveau pour vous poser un certain nombre de questions sur le maniement des fonds par les administrateurs judiciaires, dans la mesure où un certain nombre d'entre eux ont fait l'objet de procédures de contrôle fiscal, à la suite d'écarts constatés dans l'utilisation de l'argent des entreprises qu'ils avaient à gérer.

Mme Henriette CHAUBON : Le projet de décret contient un certain nombre de mesures qui permettent d'améliorer les contrôles et d'éviter à l'avenir les dysfonctionnements graves qui ont été observés.

M. le Président : Je m'interroge sur le contenu que devrait avoir le module de formation pour les magistrats professionnels et non professionnels sur ces sujets. La formation est certainement l'une des réponses à l'efficacité des contrôles. Il est étonnant que dans un pays tel que la France il n'y ait pas de procureur financier capable, au minimum, de détecter qu'une assistance technique est nécessaire.

Mme Dominique DEVIGNE : Les parquets importants ont des sections financières spécialisées.



© Assemblée nationale