RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME II
SOMMAIRE DES AUDITIONS (partie 3)

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission

(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

_ Audition de la Conférence générale des tribunaux de commerce : MM. Jean-Pierre MatteI, Président, Président du Tribunal de commerce de Paris,
Henri-Jacques Nougein, Vice-président, Président du Tribunal de commerce de Lyon, Pierre Fournié, Vice-président, Président du Tribunal de commerce de Toulouse, Jacques Duclos, Trésorier, Président honoraire du Tribunal de commerce de Rouen, Jean-Marie Fékété, Secrétaire général, Président de chambre honoraire du Tribunal de comm

_ Audition de Mme Dominique de La GARANDERIE, Bâtonnier, de M. Jean-Louis BIGOT, avocat, de M. Jean-Jacques ISRAEL, avocat, et de Mme Danielle MONTEAUX, avocate chargée des relations avec le Parlement au Conseil de l'Ordre des avocats à la Cour d'appel de Paris (10 mars 1998)

Audition de la Conférence générale des tribunaux de commerce :

MM. Jean-Pierre MATTEI, président, président du tribunal de commerce de Paris,
Henri-Jacques NOUGEIN, vice-président, président du tribunal de commerce de Lyon,

Pierre FOURNIÉ, vice-président, président du tribunal de commerce de Toulouse,
Jacques DUCLOS, trésorier, président honoraire du tribunal de commerce de Rouen,

Jean-Marie FÉKÉTÉ, secrétaire général, président de chambre honoraire du tribunal de commerce de Paris

(procès-verbal de la séance du 3 mars 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

M.  Mattei est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M.  Mattei prête serment.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je voulais tout d'abord vous remercier d'avoir bien voulu inviter la presse dans le souci de transparence qui nous anime tous.

En préambule, je voudrais rappeler que la juridiction consulaire remonte au treizième siècle et que c'est le Chancelier Michel de l'Hospital qui avait convaincu le roi Charles IX, par un édit de 1563, de faire en sorte que ses marchands puissent avoir leur juridiction spécialisée, en raison de la lenteur et des difficultés rencontrées dans les foires pour traiter des litiges classiques.

Nous arrivons très vite à la Révolution. À cette occasion, les anciens Parlements sont supprimés sans aucune discussion. Seule la juridiction consulaire est défendue devant l'Assemblée constituante, probablement parce que ses juges sont des juges de la Cité, ce sont des citoyens-juges et des juges-citoyens, et que, par ailleurs, ces juges élus et bénévoles semblent répondre à la conception des Lumières qui était celle de la Constituante. Le député à la Constituante Garat l'Aîné rappela ainsi que cette juridiction consulaire qui existait déjà depuis deux cents ans, méritait probablement d'être maintenue pour au moins trois motifs : ses décisions étaient rendues rapidement, son fonctionnement était peu dispendieux, et ses décisions étaient éclairées.

S'agissant de la rapidité, quelle est la situation en 1998, quatre cent trente-cinq ans après la création des juridictions consulaires ? Ces dernières ont rendu sur l'ensemble du territoire national 1 136 109 décisions en 1996. Selon la Chancellerie, le délai moyen de jugement est de 5,6 mois sur l'ensemble du territoire national, et de moins de 3 mois pour Paris. Nous évoquerons dans un instant la situation à l'étranger, mais d'ores et déjà, je peux vous dire qu'aucune juridiction étrangère ne peut soutenir la comparaison.

En ce qui concerne le caractère peu dispendieux du fonctionnement de la juridiction consulaires, le budget actuellement octroyé par l'État français aux tribunaux de commerce est d'environ 30 millions de francs. Vous pouvez le calculer vous-mêmes : pour 1 136 000 jugements rendus en 1996, le coût moyen d'une décision s'établit à 30 francs. Nous sommes des juges élus et bénévoles. Je pense qu'il était nécessaire de le rappeler.

Il peut sembler a priori plus difficile de démontrer que les décisions rendues sont éclairées et pourtant cela me paraît assez simple. 92 % des décisions rendues par la juridiction consulaire sur l'ensemble du territoire national ne sont pas frappées d'appel. Cela ne signifie pas que la juridiction consulaire rend nécessairement de bonnes décisions, mais je pense qu'elles sont suffisamment explicites pour les citoyens qui les lisent, et que, soit elles sont définitivement satisfaisantes pour eux, soit elles peuvent servir de moyen de négociation entre leurs avocats. Seulement 8 % des décisions font l'objet d'un appel et, il faut le souligner, 1,7 % de ces décisions seulement sont infirmées en totalité ou partiellement par les cours d'appel.

Par conséquent, nous pouvons dire qu'en 1998 les critères du député Garat énoncés devant la Constituante sont toujours respectés.

Mais nous ne pouvons pas nous contenter de cette situation car des problèmes se posent. Ils se posent depuis déjà longtemps. À l'occasion du centenaire de la Conférence générale des tribunaux de commerce, association à caractère privé reconnue d'utilité publique, nous avons décidé, il y a deux ans déjà, de remettre à plat nos tribunaux de commerce, de nous reposer des questions et nous avons organisé nos états généraux, de tribunal en tribunal, de cour d'appel en cour d'appel. Les juges consulaires se sont réunis sur le thème « La juridiction commerciale au XXIe siècle ».

Quelles étaient les questions posées à nos collègues qui nous ont permis de débattre et de rendre un rapport que nous avons porté à votre connaissance ?

Comment améliorer la qualité du recrutement des juges consulaires ? Dans les 227 tribunaux, dont l'existence remonte pour la plupart d'entre eux au XVIIIe siècle, il est évident que les conditions de recrutement étaient parfois difficiles.

Pour la formation, c'était encore plus dramatique puisque jamais les institutions consulaires n'ont bénéficié d'un centime de l'État pour la formation de leurs juges, et, à ce sujet, il faut saluer la décision de Mme Guigou d'allouer une somme d'un million de francs pour la formation des 3 326 juges consulaires français.

Enfin, en matière de déontologie, il ne suffit pas de prêter serment, encore faut-il savoir à quoi ce serment correspond. Il était donc normal que soit rappelé le devoir de comportement de juges qui vivent dans la Cité, et qui sont probablement soumis à plus de risques que les juges professionnels, dans la mesure où ils travaillent comme des juges citoyens.

Les Assises nationales ont servi à présenter ce projet de réforme des institutions consulaires et des tribunaux de commerce pour le XXIe siècle.

Nous nous sommes interrogés à propos de notre environnement et nous avons constaté que si nous n'avions pas de problèmes majeurs en matière de contentieux général, matière dans laquelle nous pouvons parler de tribunal à grande vitesse, un certain nombre de questions se sont posées, questions dont la presse s'est fait justement l'écho, dans le cadre des procédures collectives, ce qu'on appelle communément le droit de la faillite. Il est clair que nous avons rencontré plus ou moins de difficultés et que nous souhaitons y apporter des solutions concrètes avec vous, puisque votre commission d'enquête parlementaire va y travailler.

Nous avons proposé des réformes qui me paraissent structurelles, et tout à l'heure le président Nougein, en tant que rapporteur général de ces propositions, pourra répondre à vos questions.

Qu'il s'agisse du décret du 20 mai 1955, de la loi du 13 juillet 1967, de celle du 25 janvier 1985 ou bien de la récente loi du 10 juin 1994, on s'aperçoit que la législation sur la faillite ne règle finalement pas les problèmes de défaillance des entreprises pour une simple raison : le chef d'entreprise arrive toujours trop tard devant le tribunal. Ce constat est d'autant plus vrai qu'il peut être fait également dans le ressort des 21 tribunaux de grande instance (TGI) en France qui statuent en matière commerciale, ainsi qu'en Alsace-Moselle qui connaît un système d'échevinage. Les statistiques sur les dépôts de bilan d'entreprises y sont tout aussi calamiteuses.

Le plus souvent, seule la liquidation judiciaire s'impose. Le redressement n'est pas possible. Cela crée une fracture sociale insupportable pour le juge consulaire et pour le ministère public.

En conséquence, nous avons conclu que nous devrions intervenir beaucoup plus en amont de la difficulté de l'entreprise. C'est la raison pour laquelle, d'une façon prétorienne, les juges consulaires ont proposé la modification de la législation de 1994 sur la prévention des difficultés des entreprises.

Qu'avons-nous fait ? À Paris, par exemple, où j'ai la chance d'avoir un vieux tribunal qui remonte à 1563, j'ai pu mobiliser quarante présidents de chambre honoraires, qui ont donc terminé leur judicature, âgés de soixante-huit à soixante-douze ans. Ces hommes et ces femmes se sont remis à la disposition, de façon toujours bénévole, du service public, recevant en civil dans la plus grande confidentialité au nom du président du tribunal. Ils reçoivent par numéro, je dis bien par numéro, pour qu'on ne connaisse pas le nom de l'entreprise et jamais les mêmes professions le même jour.

Dès que nous percevons des signaux qui permettent de constater des difficultés, nous invitons, nous dialoguons. Nous ne sommes pas des conseils. Nous pouvons d'ailleurs nous demander si, un jour, nous devrons l'être. Mais nous pensons que c'est d'abord le rôle des avocats et des experts-comptables.

Malheureusement, le tissu d'entreprises qui font appel aux tribunaux de commerce est le plus souvent celui des très petites entreprises (TPE) ou des PME, et ces entreprises n'ont parfois pas les moyens d'être aidées et d'être assistées de manière satisfaisante.

C'est pourquoi nous plaidons pour la création d'une taxe de 30 francs sur les 1,1 million de décisions annuelles, ce qui représenterait l'équivalent de notre budget actuel, afin de financer une aide juridictionnelle pour ces entreprises.

Quels chiffres pouvons-nous donner pour évaluer l'importance de cette activité ? Il y a eu 6 500 entretiens en 1997 à Paris intra-muros. Cela représente un travail considérable. C'est un tribunal dans le tribunal. Mais ce n'est pas un tribunal sanction, c'est un tribunal prévention.

L'idée consiste à expliquer au commerçant quelles sont ses difficultés, de lui faire voir les éléments d'appréciation que nous avons et de lui faire comprendre que, peut-être, une solution existe, non plus judiciaire mais contractuelle, c'est-à-dire le mandat ad hoc ou éventuellement la possibilité du règlement amiable. À Paris intra-muros, nous avons ainsi traité 384 mandats ad hoc ou de conciliation, avec 75 % de succès, et 20 000 emplois sauvés, à comparer avec 5 % de redressements judiciaires seulement et 95 % de liquidations judiciaires.

Les juges consulaires sont parfaitement conscients que les drames de la faillite sont inéluctables, indépendamment de tous les problèmes rencontrés avec les mandataires de justice. Mais, en matière de prévention, ils ont fait leur devoir et ont répondu à cette réforme absolument indispensable.

En conséquence, nous souhaitons que les modes alternatifs de règlement des litiges, auxquels Mme Guigou a souhaité que l'ensemble des juridictions et la juridiction consulaire en particulier s'intéressent, se développent. Nous constatons que lorsque nous prenons les choses en amont, les chances de succès dans la résolution des difficultés rencontrées par les entreprises sont réelles.

Encore faut-il que la Chancellerie veuille bien nous entendre. Paris a la chance d'avoir des membres honoraires qui sont encore mobilisables. Certains tribunaux n'ont pas cette chance et n'ont pas les moyens d'avoir des juges en nombre suffisant, alors qu'ils ne coûtent rien à l'État. Nous espérons nous faire entendre de la Chancellerie afin d'avoir des juges pour faire ce travail de prévention. Les statistiques sur la base desquelles est fixé le nombre de juges ne prennent souvent en compte que le contentieux général et non pas les procédures collectives, et encore moins la prévention.

Nous avons rencontré et nous avons entendu évoquer une série d'anomalies dans le traitement des procédures collectives ; plus généralement, la situation bloquée des professions de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises et d'administrateur judiciaire est mise en cause.

Nous nous sommes clairement exprimés sur ce sujet à l'occasion des Assises nationales en estimant que ces professions à haut risque méritaient d'être ouvertes à des professions réglementées, de telle sorte qu'il y ait un nombre suffisant d'administrateurs et de mandataires judiciaires sur l'ensemble du territoire, en rappelant - je le dis à l'attention de la commission parlementaire - qu'ils sont sous le seul contrôle du ministère public, en vertu de la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985.

Je rappelle qu'une circulaire de la Chancellerie de quarante-quatre pages, que nous tenons à votre disposition, a été adressée aux procureurs généraux près les cours d'appel en octobre 1997 sur le rôle du ministère public en matière de contrôle des mandataires de justice. Nous devons souligner à cet égard le rôle du procureur de Nanterre, qui a fait ce qu'il devait faire, c'est-à-dire le nettoyage nécessaire là où c'était nécessaire.

Des déviations de comportement ont eu lieu. Nous proposons donc d'ouvrir ces professions, à condition, néanmoins, qu'une question posée notamment par nos amis avocats et par nos amis du Chiffre soit résolue : qu'en est-il de l'inter-professionnalité ? Qu'en serait-il éventuellement de celui qui appartiendrait à un cabinet lui-même organisé dans une structure internationale ?

Ces questions méritent l'attention de votre commission.

J'ai essayé de vous dire d'une façon très succincte que nous sommes conscients que la juridiction consulaire n'est jamais parfaite. Nous avons cherché, et nous cherchons encore à l'améliorer et à la moderniser. Nous vous avons communiqué les rapports que nous avons établis et nous souhaitons répondre à toutes les questions que vous jugerez utiles de nous poser.

M. Jacky DARNE : Je cherche à comprendre les chiffres que vous avez donnés pour justifier de la qualité de l'institution en matière de taux d'appel.

Comment se décompose la somme d'un peu plus de 1 million de décisions dont vous parlez et quelle origine a-t-elle ? Les documents dont nous disposons et qui sont extraits du répertoire général civil du ministère de la justice font apparaître 208 000 affaires pour l'année 1996, 50 000 affaires de référés, un nombre d'affaires en appel de 35 620, soit un taux de 17,6 %, un peu supérieur au double de ce que vous indiquez, et 79 000 procédures collectives tous jugements confondus, y compris ceux rendus par les juridictions civiles.

On est un peu loin de vos chiffres. J'imagine simplement qu'il s'agit d'une méthode de calcul du nombre d'appels puisqu'on constate un écart du simple au double.

M. Jean-Pierre MATTEI : Les chiffres que je vous ai donnés émanent des statistiques de la Chancellerie et englobent l'ensemble des décisions rendues par les tribunaux de commerce, y compris les ordonnances du président et celles des juges-commissaires. Les taux d'appel évoqués sont également issus des statistiques de la Chancellerie, qui sont d'ailleurs intégrées dans les dossiers que nous vous avons transmis.

En 1996, au niveau du territoire national, il y a eu 208 355 jugements au fond, 49 559 ordonnances de référé, 91 154 ordonnances sur requête rendues en général sur les droits des sociétés, 184 314 injonctions de payer représentatives de ce que j'appelle le « tribunal à grande vitesse », soit un total pour le contentieux général de 533 382 décisions.

S'agissant des procédures collectives, pour la même année, on a comptabilisé 24 368 jugements déclaratifs de redressement judiciaire, 30 677 jugements de liquidation judiciaire, 8 515 jugements de sanction personnelle ou comblement de passif, et 539 167 ordonnances rendues par les juges-commissaires dont certaines sont essentielles dans la vie économique et pour l'emploi, soit un total de 602 727 décisions.

Nous avons donc un total général de 1 136 109 décisions.

Pour le taux d'appel, je vous renvoie aux statistiques de la Chancellerie. Nous avons constaté que nos statistiques sont comparables à celles de nos collègues des tribunaux de grande instance statuant en matière commerciale, et comparables à celles de nos collègues des tribunaux échevinés d'Alsace-Moselle.

M. le Rapporteur : J'ai noté, comme beaucoup d'observateurs de l'activité des tribunaux de commerce, que les juges consulaires invoquent ce taux d'appel.

Nous avons interrogé, il y a peu, le président Canivet. Je le fais réagir à notre place à vos déclarations. Voilà ce qu'il nous a déclaré : « Un article mentionnait un taux d'appel de 2 %. Il est manifestement faux. Le taux d'appel des juridictions consulaires est, je crois, à peu près identique à celui d'autres juridictions. (...) L'appréciation que je peux avoir est celle d'un taux d'appel identique à celui des juridictions de l'ordre judiciaire et de juridictions comme les conseils de prud'hommes. Si le taux d'appel des décisions prud'homales est légèrement supérieur, celui des décisions des tribunaux de commerce doit porter sur le tiers des décisions. »

Qui se trompe ? Est-ce le premier président Canivet, la Chancellerie, vous-même... ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous comprendrez que votre question est très embarrassante car le premier président Canivet est mon supérieur hiérarchique. Je ne peux que vous renvoyer aux statistiques de la Chancellerie.

Cependant, nous nous rejoignons, monsieur le Rapporteur et moi-même, puisque les statistiques sont, en effet, les mêmes dans les tribunaux de commerce et les tribunaux de grande instance qui statuent en matière commerciale.

M. le Président : J'aimerai en venir à la question des clauses d'exclusion de compétence des tribunaux de commerce contenues dans un certain nombre de contrats internationaux : est-ce un phénomène qui prend de l'ampleur ou bien est-il limité ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Le président Fékété a fait une enquête sur cette question. Il pourra vous répondre de façon précise. Je peux d'ores et déjà vous dire qu'avec la chambre de commerce internationale et l'Association française d'arbitrage, nous avons constaté qu'il y a eu en contentieux général, à Paris intra-muros, 122 arbitrages rendus en 1995. Vous aurez une statistique européenne et américaine dans un instant et vous vous apercevrez que c'est du même ordre dans chaque pays, à savoir entre cinquante et cent cinquante décisions d'arbitrage en matière de droit international ou de droit des affaires.

Nous n'avons pas à rougir de ces statistiques, au contraire, et la France est enviée par beaucoup de pays qui souhaitent que les tribunaux de commerce fonctionnent comme les nôtres. Je parlerai du Maroc, de la Chine et de bien d'autres pays encore.

M. le Président : Je propose qu'on recentre les questions sur le fonctionnement du tribunal de Paris.

M. Jacky DARNE : Lors de nos entretiens précédents, il a été fréquemment fait référence aux modes de financement des tribunaux de commerce, à partir des travaux de la Cour des comptes en particulier. Mais, d'une façon plus générale, nous nous sommes interrogés sur la difficulté qu'il y avait à maîtriser, percevoir et apprécier le financement, non seulement eu égard aux règles de la comptabilité publique bien évidemment, mais aussi en termes d'indépendance vis-à-vis d'organismes financeurs extérieurs, tels que les chambres de commerce et d'industrie.

Pouvez-vous nous indiquer, pour le tribunal que vous présidez, quel est le mode de financement et comment vous appréciez les conséquences de ce mode de financement ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Le financement du tribunal de commerce de Paris fonctionne d'une façon simple. Nous disposons d'un budget de l'ordre de 3 millions de francs pour assurer l'ensemble du fonctionnement de la juridiction, y compris son entretien, pour 122 000 décisions rendues annuellement et 166 magistrats. En outre, nous recevons de la chambre de commerce et d'industrie de Paris une somme de 500 000 francs par le biais d'un fonds de concours ouvert depuis trois ans et placé sous le contrôle du trésorier payeur général, ce qui donne un total de 3,5 millions de francs. Mais il faut que la commission sache que, lorsque nous avons reçu ces fonds de la chambre de commerce, institution publique, notre budget contrôlé par la cour d'appel a été immédiatement réduit de la somme que nous avons reçue par le biais du fonds de concours.

À quoi sert-il de demander aux tribunaux de commerce de compléter leurs besoins de financement par des fonds de concours si on leur réduit à due concurrence leur budget ? Cette question s'est reposée en 1997.

Pour répondre très clairement à votre question, et cela ne relève plus du seul fonctionnement du tribunal, la circulaire de la Chancellerie relative au financement des tribunaux de commerce prévoit qu'en matière de prévention, les associations peuvent apporter une aide et participer ainsi à l'ordre public économique. Cette circulaire sera mise à votre disposition. Nous recevons ainsi de l'ordre des experts-comptables régional et national une somme globale de 500 000 francs qui permet de faire venir au tribunal les magistrats honoraires, de leur payer leur repas, d'assurer la formation et le fonctionnement de la prévention.

Voilà exactement les sommes dont nous disposons, et qui ont fait l'objet de remarques de la part de la Cour des comptes, cette dernière estimant à juste titre que le mouvement associatif n'avait pas à alimenter le budget du tribunal. En revanche, en matière de prévention, et sous réserve que cette circulaire de la Chancellerie ne soit pas remise en cause, nous avons pu trouver de l'aide auprès du barreau et du Chiffre d'une façon parfaitement légale.

Je rappelle enfin que ces chiffres sont contrôlés par le président de l'ordre national des experts-comptables, et il en est toujours ainsi depuis dix ans que fonctionne ce système. Nous avons communiqué tous ces éléments à la Cour des comptes.

Par exemple, à l'occasion des Assises nationales, le barreau de Paris nous a donné une somme de 50 000 francs, pour nous permettre certaines facilités. En effet, nous ne pouvons recevoir une quelconque somme d'argent que d'une structure institutionnelle et en aucun cas commerciale.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Je tenais à souligner combien le système juridique et juridictionnel d'un pays pouvait constituer un élément important de compétitivité des entreprises et à saluer le fait qu'allant au-delà de la loi sur les faillites, vous ayez développé les actions de prévention des difficultés des entreprises de façon exemplaire au tribunal de commerce de Paris.

Je voudrais vous poser trois questions. Vos financements sont-ils suffisants pour développer ces actions de prévention ? Pourrait-on améliorer les délais de paiement entre entreprises ? Faut-il donner plus de compétences au tribunal de commerce en matière de droit des affaires et de droit de la concurrence ?

M. Jean-Pierre MATTEI : En ce qui concerne le financement, vous savez que le budget national est de 30 millions de francs. Je crois que l'État ne peut pas faire mieux et nous le comprenons. Si la commission pouvait faire admettre l'institution d'une taxe de 30 francs par décision - ce qui n'est pas aussi choquant en matière commerciale que cela pourrait l'être en matière civile - cette mesure permettrait, sur une moyenne annuelle d'un million de décisions, de recueillir 30 millions de francs supplémentaires. Elle aurait probablement l'avantage de répondre à nos besoins. Les fonds de concours ne seraient plus nécessaires.

Cette difficulté qui nous oppose au Conseil national du patronat français (CNPF) n'existerait plus. Vous aurez compris que nous ne sommes pas en phase avec cette organisation, car nous ne voulons pas être des mandataires patronaux. Nous l'avons dit au prédécesseur de l'actuel président. Nous entendons rester des juges indépendants. Pour l'être, il faut que l'État donne aux juridictions consulaires les moyens nécessaires à leur mission.

Mais l'aide doit être financée, non pas par le budget de l'État, je le comprends bien, car nous connaissons ses difficultés, mais par une taxe parafiscale prélevée sur chaque décision par les greffes sous la forme d'un timbre. Cette nouvelle ressource permettrait de financer la formation des juges, la prévention et l'aide juridictionnelle pour les très petites entreprises (TPE), qui n'ont pas accès au droit. Un problème constitutionnel se pose en effet : il n'y a pas une égalité d'accès de tous les chefs d'entreprise à la juridiction commerciale. Favoriser l'aide juridictionnelle pour les TPE constituerait la meilleure façon de permettre au barreau d'être présent dans tous les tribunaux de commerce.

Nous souhaiterions donc bénéficier de financements d'un niveau comparable à ceux dont bénéficient les tribunaux de droit commun.

En ce qui concerne les délais de paiement, vous savez qu'ils sont toujours trop longs en France, puisqu'ils sont en moyenne de soixante jours et parfois même de quatre-vingt-dix jours. En fait, la France est financée par le crédit inter-entreprises, les juridictions consulaires le savent très bien. La Société française d'assurance-crédit (SFAC) est l'élément clef du système. Beaucoup de petites entreprises ne trouvent aucun crédit auprès des banques. Je pense qu'il faut tout de même dire que la banque française considère aujourd'hui que la PME représente un risque, qui n'est pas toujours accepté. Ce n'est pas l'insuffisance de fonds propres qui est en cause, même si elle constitue en soi un problème important. Les problèmes des sources de financement et des délais de paiement sont fondamentaux. Nous constatons d'importants incidents de paiement, qui forment une des causes des difficultés des entreprises et donc des destructions d'emploi. Il faudra, une fois pour toutes, que des mesures suffisamment courageuses soient prises dans ce pays pour réduire les délais de paiement à leur plus simple expression et pour que les flux financiers soient constants.

Quant à la compétence des tribunaux de commerce, nous serions favorables à son extension, mais à une condition : le nombre des tribunaux de commerce doit être revu et corrigé. Il en existe 227. Certains d'entre eux rendent moins de 100 décisions par an. Il me semble que 42 d'entre eux devraient être regroupés. Il faut certainement avoir des tribunaux plus structurés, à l'exemple de Paris. Seuls 24 tribunaux ont plus de 25 magistrats. Ils rendent 80 % des décisions.

M. le Président : Nous ne demanderons pas au président du tribunal de Paris de nous dire quelles sont les juridictions qu'il faut supprimer, ce serait de mauvais goût.

M. Jean-Pierre MATTEI : Pas supprimer, mais regrouper.

M. Jean-Paul CHARIÉ : J'ai posé une question sur les compétences élargies, et je souhaiterais savoir ce que vous pensez du fait de confier aux tribunaux de commerce une partie du droit de la concurrence, alors même qu'aujourd'hui la compétence en cette matière - ô combien importante pour nos entreprises ! - est partagée entre le Conseil de la concurrence, les tribunaux de commerce et les juridictions pénales. Je ne voudrais pas qu'on lie cette question de celle de la carte judiciaire.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je suis tout à fait favorable à l'extension de la compétence des tribunaux de commerce au droit de la concurrence, d'autant plus que c'est la solution adoptée dans les autres pays européens, en Belgique notamment. On peut noter d'ailleurs que l'activité de la juridiction de Paris correspond à celle de l'ensemble des juridictions commerciales belges.

M. Jacky DARNE : S'agissant des moyens de financement des tribunaux de commerce, vous avez suggéré d'instaurer une taxe de 30 francs sur les jugements. Mais cela ne pose-t-il pas le problème des greffes et des relations entre le greffe et le tribunal ? L'activité du greffe étant elle-même tarifée, on risquerait de se trouver face à une sur-tarification. Ne peut-on pas imaginer comme solution alternative à ce que vous indiquez, une évolution du statut et une autre tarification du greffe ? Aujourd'hui, dans votre vie quotidienne, quelles sont les relations financières que vous entretenez en qualité de président avec le greffe ? Par exemple, y a-t-il des mises à disposition de personnels payées par le greffe au profit du tribunal ?

M. Jean-Pierre MATTEI : La question me paraît opportune parce que, si j'en crois le greffe de Paris, il prétend - je n'ai aucun élément chiffré, bien que j'en ai demandé - que la partie juridictionnelle est actuellement déficitaire à Paris intra-muros, et qu'il gagne de l'argent, dans des conditions que j'ignore, grâce à Infogreffe, dans les conditions que vous connaissez ; la presse s'en est fait l'écho. Je crois que le greffe de Paris doit recevoir environ 50 % des recettes d'Infogreffe, ce qui représente, semble-t-il, des montants relativement significatifs.

Il faut revoir l'équilibre financier des greffes. Nous avons de bons greffes, que les choses soient bien dites. Ils rendent les décisions immédiatement, je dirai même « sur le siège ». Ils sont parfaitement bien informatisés. Il faut également savoir qu'en matière de prévention, le budget que le greffe du tribunal de commerce de Paris a mis dans la bataille depuis quatre ans est d'environ 5 millions de francs. Ce n'est pas neutre.

J'aurais tendance à dire que le problème posé par M. Vigouroux, directeur de cabinet de Madame le garde des sceaux, sur le fonctionnement d'Infogreffe suscite un vrai débat portant sur la transparence sur lequel je n'ai pas plus de réponse que vous. Chacun appréciera.

S'agissant des mises à disposition de personnels, vous savez que les greffes occupent des locaux publics gracieusement, sans payer de loyer. C'est le cas au tribunal de commerce de Paris, pour quelques milliers de mètres carrés dans l'île de la Cité. Lorsqu'autrefois la question s'est posée, la Conférence générale des tribunaux de commerce s'était demandée pourquoi les services des domaines ne fixeraient pas des loyers normaux, créant ainsi une nouvelle source de financement, sachant que nous n'avons plus de personnel depuis la loi de décentralisation et que nous avons, hélas, un personnel en nombre insignifiant pour faire tout le travail à accomplir dans une maison comme la nôtre.

Il a donc été décidé par la Chancellerie que les greffes devraient prendre en charge du personnel affecté au tribunal et dont l'importance numérique serait fixée en fonction du nombre de juges. Le greffe de Paris devrait en conséquence financer sept emplois. Or, il faut que vous sachiez qu'après deux ans d'effort, je n'ai pu obtenir que quatre personnes.

M. Henri PLAGNOL : Ma question s'adresse au président de la Conférence générale des tribunaux de commerce. À l'occasion des assises célébrant votre centième anniversaire, vous avez fait un certain nombre de suggestions sur deux points très délicats : la modification des règles des procédures collectives et la redéfinition du rôle et des modes de rémunération des mandataires. J'aimerais vous entendre sur ces deux points très importants.

M. Jean-Pierre MATTEI : En ce qui concerne les procédures collectives, on peut dire que le dépôt de bilan était considéré originellement comme une infamie.

Mais aujourd'hui, sauf raisons personnelles du débiteur ou raisons objectives du ministère public, nous pensons que les procédures collectives ne devraient plus être traitées en chambre du conseil, c'est-à-dire à huis clos, mais qu'elles devraient être ouvertes et publiques.

Dès lors qu'on laisse penser que les discussions ont lieu à huis clos, on introduit la suspicion. Nous avons, certes, l'habitude de recevoir dans nos chambres du conseil. Le parquet est à nos côtés, pas toujours malheureusement, du fait de la dispersion des tribunaux d'une part et du nombre des affaires dans les grands tribunaux d'autre part. Mais nous souhaitons des chambres du conseil publiques. Nous souhaitons la transparence.

Quant aux rémunérations des mandataires de justice, la réforme de 1985 qui a créé une taxe proportionnelle sur les contestations de créances nous semble choquante. Pourquoi ? Il suffit de contester une créance pour qu'immédiatement la taxe réclamée par le mandataire soit acceptée quand bien même cette contestation ne serait pas justifiée. Dans un récent arrêt, la cour d'appel de Paris dénonce cette situation, peut-être volontairement, pour amener le Parlement à modifier la loi.

Nous pensons que ce mode de rémunération n'est pas compatible avec le système de transparence, et nous l'avons dit au Conseil national des administrateurs et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises. Nous souhaitons, et apparemment eux aussi, avoir enfin une rémunération normalisée.

Prenons un exemple, au risque de choquer la commission : dans le dossier de La Cinq, que mon prédécesseur n'a pas pu traiter avant son départ, si j'avais appliqué à la lettre le décret n° 85-1390 du 27 décembre 1985 fixant le tarif des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, les honoraires des mandataires se seraient élevés à 70 millions de francs. Néanmoins, la loi n'est pas trop mal faite, car elle prévoit qu'à partir de 450 000 francs le chef de juridiction peut apprécier le quantum. Pour pouvoir me faire une opinion réelle sur ce dossier, j'ai donc demandé un audit auprès d'un organisme externe, en l'espèce KPMG, qui a estimé que, dans le dossier de La Cinq, les honoraires du mandataire devraient être de 27 à 30 millions de francs.

Dans des cas semblables, je dois donc statuer par ordonnance et apprécier si je dois m'inscrire dans le cadre de cet audit, ou rester en deçà de cet audit ou au contraire accepter une prime de succès. La réalité est tout de même très choquante. Nous souhaitons donc qu'une réforme soit menée dans le sens d'une plus grande transparence et que les honoraires des mandataires soient proportionnels aux services rendus.

En revanche, il faut savoir que 51 % des procédures collectives sont impécunieuses. C'est ce qui explique les dispositions du décret du 27 décembre 1985. Mais je considère que c'est une erreur de financer l'impécuniosité par ce système de surrémunération. Il serait préférable de mettre en place une caisse de compensation qui permette de payer aux mandataires une somme forfaitaire de 10 000 francs pour les procédures impécunieuses et d'appliquer des tarifs normaux aux autres procédures.

M. le Président : La disposition concernant la partie de la rémunération des mandataires proportionnelle au montant des créances contestées est-elle de nature législative ou bien de nature réglementaire ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Elle figure à l'article 15 du décret n° 85-1390 du 27 décembre 1985.

M. Henri PLAGNOL : Je vous remercie de la franchise et de la clarté de votre réponse. Je suis personnellement assez séduit par les propositions que vous faites sur le mode de rémunération des administrateurs judiciaires et des mandataires.

En revanche, je ne suis pas sûr d'avoir compris ce que vous entendiez par publicité des audiences en matière de procédures collectives. Allez-vous jusqu'à considérer qu'il peut y avoir publicité même pour le dépôt de bilan ? Ne craignez-vous pas de porter atteinte à la confidentialité de certaines informations ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Une fois le dépôt de bilan effectué et la convocation en chambre du conseil envoyée, il faudrait que les réunions de cette dernière ne se déroulent plus à huis clos, mais soient publiques. Il n'y a plus lieu aujourd'hui de regarder le dépôt de bilan comme une infamie. C'est un acte traumatisant et on peut comprendre que ce soit encore considéré comme tel par beaucoup de commerçants. Mais élargir la publicité des procédures collectives amènera chacun à prendre ses responsabilités, et chacun pourra constater qu'un dépôt de bilan ne doit pas être traité comme un acte de gestion, mais comme un acte grave, qui a des conséquences sur la vie sociale et sur l'emploi.

Nous rencontrons des chefs d'entreprise toujours seuls, profondément seuls, et à quelque niveau qu'ils soient. Cette solitude du chef d'entreprise nous frappe énormément.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Je souhaiterais poser deux questions concernant plus précisément le tribunal de commerce de Paris : vous venez de dire que vous ne vouliez pas être des représentants du CNPF...

M. Jean-Pierre MATTEI : ... des mandataires patronaux, parfaitement.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Comment faites-vous la sélection des candidatures à Paris ? Il y a sur ce sujet une suspicion qu'il serait peut-être bon de lever.

M. Jean-Pierre MATTEI : Le recrutement francilien - parce qu'il n'est pas que parisien - fonctionne depuis cent vingt-deux ans.

M. le Président : Pour généraliser la question, vous allez nous indiquer quelle est la sociologie des membres des tribunaux de commerce en Île-de-France.

M. Jean-Pierre MATTEI : Sur Paris, Nanterre, Créteil et Bobigny, c'est-à-dire dans le ressort de l'ancien tribunal de la Seine, nous avons une structure qui s'appelle le CIEC - comité intersyndical des élections consulaires - qui représente l'ensemble des branches professionnelles, et donc des syndicats professionnels. Tous sont représentés, aussi bien l'automobile, que le bâtiment, l'hôtellerie, l'imprimerie, etc. L'ensemble des corps professionnels fait ensuite appel à candidature. En général, sept à huit cents candidats se manifestent chaque année dans le ressort de la cour d'appel de Paris.

Une première sélection est faite sur dossier, à condition que ces entrepreneurs, ces chefs d'entreprise, ces commerçants aient une situation convenable dans leur entreprise. Il est évident qu'on ne va pas prendre une personne en état de cessation des paiements. Une enquête de moralité est faite. Elle sera plus tard complétée par une enquête du président du Tribunal auprès du parquet.

Suit une épreuve qui permet de faire une sélection en deux temps : un concours technique est d'abord organisé sur les compétences du candidat en matière de connaissance de l'entreprise, du droit et du chiffre, de lecture de bilans, de compréhension du droit, cela me paraît tout de même élémentaire, cette sélection est possible compte tenu du nombre de personnalités en lice ; puis, lorsque la sélection a été faite par des magistrats en exercice et des magistrats honoraires professionnels, le candidat qui a été retenu au comité technique doit encore passer devant l'ensemble des délégués consulaires parisiens réunis en forum.

Il y a trois ou quatre cents personnes dans la salle. On donne au candidat un sujet cinq minutes avant ; il dispose de trois minutes exactement, sablier en main, pour l'exposer, ce qui l'oblige à avoir l'esprit de synthèse et d'importantes qualités d'expression. Puisqu'il sera amené un jour à présider une audience, il est préférable qu'il ait une élocution convenable.

À partir de là, le candidat fait l'objet d'une élection par le comité intersyndical et les délégués consulaires. La liste des candidats retenus nous est soumise. Le président du Tribunal, s'il a des raisons objectives, peut émettre un veto, à condition qu'il soit motivé. Il ne choisit donc pas lui-même les personnes qui figurent sur la liste qui lui est transmise, mais des critères de référence sont donnés au préalable : il convient qu'il y ait toujours un équilibre interprofessionnel pour que toutes les professions soient représentées.

M. le Président : Le sont-elles ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Elles le sont, effectivement. J'ai la chance d'avoir probablement le plus beau tribunal de France, en ce qui concerne la qualité des personnalités élues. Cela va du citoyen sans diplôme jusqu'à un grand nombre de polytechniciens, d'énarques, de centraliens, de docteurs en droit, etc. On dit que Paris est surchargée de banquiers ; c'est en fait totalement inexact. Directement ou indirectement, si l'on inclut le secteur de l'assurance dans la banque, nous avons 18 collègues sur 172 qui ont participé ou qui participent au métier de la banque ou de la finance.

M. le Président : Il y en a moins qu'en province.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je ne connais pas les chiffres de la province. La question de la sociologie consulaire est très intéressante ; de ce point de vue Paris est dans une situation très particulière, puisque 58 % de magistrats consulaires sont des cadres dirigeants.

M. le Président : Qui choisit les cadres dirigeants ? Est-ce que ce sont les dirigeants d'entreprises qui les poussent à se présenter ou viennent-ils d'eux-mêmes ?

M. Jean-Pierre MATTEI : La plupart du temps, ce sont des hommes ou des femmes qui terminent leur carrière et qui ont la possibilité de donner leur temps au service public. Cela me paraît intéressant. On profite ainsi de leur expérience. Il est de plus en plus rare, sinon quasiment impossible aujourd'hui, de pouvoir recruter un cadre de mon âge, quarante-sept ans, compte tenu de la charge de travail. La preuve en est que Paris a perdu, l'an dernier, dix-huit de ses magistrats, soit 10 % des effectifs. Ils ont dû abandonner leur judicature en raison de la charge de travail, qui, il est vrai, est considérable à Paris.

La typologie du tribunal de Paris est la suivante : les magistrats ont entre cinquante et cinquante-cinq ans ; sur 166 juges à Paris, 10 sont commerçants en nom, soit 6 %, 59 sont mandataires sociaux, soit 35,6 %, 97 sont cadres, soit 58,4 %. La proportion de cadres à Paris est la plus forte de France. Au contraire, en province, dans certains tribunaux, il n'y a que des chefs d'entreprise ou des commerçants. Le recrutement est donc très différent.

J'insiste tout de même sur le fait suivant : il y a eu 400 candidats parisiens pour 18 postes l'an dernier. Alors qu'il y a une crise - je dis bien une crise, dont témoignent les propos parfois durs qui ont été tenus à l'encontre des tribunaux de commerce -, nous n'avons jamais aussi bien recruté que l'an dernier par la qualité de la promotion qui est rentrée au tribunal de Paris.

M. le Président : Y a-t-il des questions sur ce système de cooptation sophistiquée ?

M. René DOSIERE : Vous venez de nous dire que la charge de travail était lourde, que les juges de Paris étaient à 60 % des cadres dirigeants, et que leur activité était bénévole. Comment vivent-ils ?

M. Jean-Pierre MATTEI : La question suivante m'avait été posée un jour par un journaliste : « N'avez-vous pas le sentiment que cette non-rémunération, ce bénévolat est un peu choquant et qu'il fait naître d'une certaine façon une suspicion ? » J'ai répondu à ce journaliste que ce n'était malheureusement pas le salaire d'un magistrat professionnel qui ferait du juge consulaire un homme plus honnête ou moins honnête. En outre, je voudrais rappeler que la charge de travail hebdomadaire est de vingt heures environ. Le juge consulaire passe en moyenne une journée par semaine au tribunal. C'est donc un choix dans l'entreprise, un choix pour le chef d'entreprise ou pour le retraité. Le reste du travail est fait à son domicile car il n'a pas de bureau au tribunal. Si vous nous faites l'honneur de venir, vous verrez comment cela fonctionne. Par conséquent, le juge consulaire prépare ses projets de jugement à son domicile et pendant le week-end.

Ainsi, pendant douze ans de ma vie, avant de devenir chef de juridiction, j'ai passé mes week-ends et mes soirées à préparer mes projets de jugement à mon domicile et j'ai gagné ma vie comme tout le monde. Je trouve assez remarquable qu'on ait encore en France le goût du service public alors même qu'on appartient au secteur privé.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Pouvez-vous nous confirmer qu'il y a eu, l'an passé, 400 candidats pour 18 postes de juges ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Parfaitement. Il n'y a donc pas à Paris de cooptation au sens strict du terme, mais cela peut être le cas dans les petits tribunaux de province.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Je voudrais poser deux autres questions sur le tribunal de commerce de Paris.

Lors de l'audience de rentrée solennelle du tribunal de commerce de Paris, le procureur a remis en cause la règle de territorialité qui fait que parfois, dans des règlements judiciaires concernant un groupe d'entreprises, ce n'est pas forcément le tribunal du lieu où se trouve l'entreprise en difficulté qui est choisi, mais le tribunal du lieu où se situe le siège du groupe. Il a sous-entendu que ce n'était pas par hasard qu'on choisissait tel ou tel tribunal de commerce. Quelle est votre position sur cette question ?

En tant que président de tribunal, comment réglez-vous les problèmes que pose le manque de diligence de certains mandataires judiciaires, qui fait que certaines procédures, qui pourraient être réglées en quelques semaines, ne sont pas réglées au bout de six mois ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous savez que la règle de compétence générale est le siège social de l'entreprise. Ainsi, le ministère public nous a recommandé d'appliquer strictement l'article 7 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1998 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, article qui dispose notamment que, lorsqu'il s'avère que la procédure ouverte doit être étendue à une ou plusieurs autres personnes, le tribunal initialement saisi reste compétent.

Mais, des difficultés peuvent se présenter lorsque l'on se trouve en présence d'un groupe d'entreprises. Et je vais faire là volontairement référence à une affaire qui m'a beaucoup choqué.

Je citerai ainsi le cas d'un groupe d'entreprises qui a déposé son bilan à Paris. Dans le cas d'espèce, nous soupçonnons l'existence de flux financiers entre la société mère dont le siège est à Paris et les sociétés filles situées pour la plupart en province, mais également l'existence de liens économiques si forts que la question de la confusion des patrimoines, notion purement jurisprudentielle, mériterait d'être posée. En l'état, nous ne pouvons pas vraiment le dire, mais nous avons des raisons objectives de le penser. Pourquoi ? Parce qu'il y a eu, avant l'ouverture d'une procédure juridictionnelle, un mandat ad hoc et nous connaissons donc parfaitement l'entreprise en cause.

Or, aujourd'hui, le tribunal de commerce de Paris, malgré l'avis contraire du parquet, a décidé - nous attendons une confirmation de la cour d'appel et, j'espère, de la Cour de cassation - de se déclarer compétent sur l'ensemble des procédures, en désignant des administrateurs et mandataires judiciaires dans chacun des départements concernés, pour une bonne administration de la justice et pour que l'ensemble de ce dossier soit suivi par un seul et même tribunal afin d'éviter la confusion la plus totale.

Tous les éléments justifiant la compétence unique du tribunal de commerce de Paris dans cette affaire semblent être réunis. Le parquet paraît s'acheminer vers un appel et je m'en réjouis. Enfin, nous connaîtrons la règle.

Si vous dispersez des affaires non organisées, mais qui ont des liens entre elles, dans autant de tribunaux de commerce, qui parfois sont moins structurés pour traiter des procédures collectives et dans lesquels le parquet est moins présent qu'au tribunal de commerce de Paris, vous risquez d'aller à l'encontre d'une bonne administration de la justice.

Il conviendrait de mettre fin à ces pratiques, quitte à modifier la compétence des tribunaux de commerce en matière de procédure collective, question qui me paraît également ouverte.

Mais disperser entre différents tribunaux les affaires qui ont un lien avéré me paraît une erreur. Nous ne sommes pas nécessairement toujours d'accord avec le parquet sur ce point. Mais il est l'avocat de la loi, celui de la République, il peut faire appel, et son appel est suspensif. C'est à la cour d'appel de prendre la décision qu'elle estime opportune.

En ce qui concerne les mandataires judiciaires, nous ne sommes pas meilleurs à Paris que nos collègues d'autres tribunaux, puisque nous n'arrivons pas à clore les affaires dans des délais normaux. Certaines affaires peuvent dépasser trois ans.

Deux solutions nous sont offertes. La première fait intervenir le juge-commissaire. Après rappels, lettres recommandées, convocation par ce dernier - je rappelle que c'est le juge-commissaire qui est maître de la procédure et non pas le tribunal -, il peut faire savoir au chef de juridiction et éventuellement à l'ensemble des juges que si un mandataire ne fait plus son travail convenablement, le moyen dont nous disposons est de ne plus lui attribuer de mandat. Je rappelle qu'il s'agit d'un mandat de justice et non pas d'une concession de justice. Cette solution se heurte cependant à la jurisprudence du Conseil d'État qui a récemment condamné l'État parce qu'un mandataire de justice n'avait pas été désigné depuis un certain temps. Or, les tribunaux de commerce du ressort ne l'avaient pas désigné parce qu'il n'accomplissait pas sa mission de façon satisfaisante. La position adoptée par la juridiction administrative pose problème.

La deuxième solution qui nous est offerte est de saisir le parquet du cas des mandataires qui, véritablement, ne font pas leur office. Ces saisines n'ont pas toujours eu les effets escomptés et la procédure est très lente. Il est vrai que l'enquête doit être minutieuse et ne doit pas mettre en cause de façon systématique les mandataires.

À Paris, récemment, un administrateur judiciaire qui n'avait pas été désigné depuis cinq ans a fait l'objet d'une procédure devant la commission nationale d'inscription siégeant comme chambre de discipline, qui a abouti à une suspension d'un an seulement. Cette décision nous a beaucoup étonnés. Nous nous sommes réjouis qu'il y ait eu appel de cette décision. L'administrateur judiciaire en cause vient d'être radié définitivement. Notre seule solution était de ne pas le désigner, nous n'avions pas d'autre pouvoir. Il a quand même fallu quatre ans pour arriver à cette radiation. C'est assez choquant.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Quelle proposition faites-vous pour améliorer le système ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Il faut que chacun fasse son office. Nous n'entendons pas du tout nous substituer au parquet. Le juge du siège n'a pas à contrôler les mandataires et les auxiliaires de justice.

En revanche, il pourrait être envisagé d'élargir la compétence des mandataires de justice. Nos collègues souhaitent que les mandataires-liquidateurs puissent avoir une compétence nationale et pas seulement régionale. Dans certains départements il n'y a qu'un mandataire à la liquidation. Cela s'apparente donc à une concession de justice et ce n'est pas acceptable.

Par ailleurs, nous souhaitons que ces professions soient beaucoup plus ouvertes à des professions réglementées, avocats, huissiers, notaires, experts du chiffre. Il faut qu'ils passent les mêmes examens, présentent les mêmes stages ; si l'on veut faire jouer la concurrence, il faut doubler, sinon tripler le nombre de ces professionnels. Il faut que ceux qui font leur travail correctement reçoivent les mandats de justice qu'ils sont dignes de recevoir et que ceux qui ne le font pas convenablement n'en reçoivent pas. Il revient au parquet de faire le ménage où cela est nécessaire.

M. Philippe HOUILLON : Compte tenu de tout ce que vous nous avez dit sur la charge de travail des magistrats, sur leurs conditions de travail, sur la complexité de ce travail, et compte tenu par ailleurs de la matière des procédures collectives - je ne parle pas du tribunal de commerce de Paris en particulier mais de l'ensemble des tribunaux de commerce de France - ne craignez-vous pas que les juges-commissaires, dont la tâche est lourde tant sur le plan quantitatif que sur le plan des conséquences que leurs décisions entraînent, ne démissionnent intellectuellement et ne s'en remettent aux solutions toutes faites proposées par les mandataires, malgré des conséquences qui sont souvent lourdes pour les entreprises ?

Dans l'affirmative, quel remède suggérez-vous ? Ce risque est aggravé par le fait que depuis la loi de 1985, il y a deux professions, celle d'administrateur et celle de liquidateur. Vous avez rappelé l'importance des tarifs applicables aux actes de ces professions. D'importantes sommes d'argent sont donc en jeu et peuvent peser sur la solution proposée. L'administrateur et le liquidateur ont ainsi quelquefois des intérêts contradictoires. Le liquidateur, pour des raisons pécuniaires, a parfois intérêt à faire liquider. N'assiste-t-on pas à une démission des juges consulaires face à ces professions et que peut-on faire pour lutter contre cela ?

M. Jean-Pierre MATTEI : C'est une question très intéressante. On peut dire que dans 90 % des cas, sur le territoire national, la liquidation intervient trop tard. Nous ne pouvons que le constater.

L'intervention d'un juge-commissaire est-elle nécessaire ?

Je voudrais faire une première suggestion. Nous pourrions peut-être adopter une solution inspirée du modèle allemand et instituer une procédure administrative et non plus judiciaire. J'y suis parfaitement favorable, sauf désignation d'un juge-commissaire lorsqu'un problème est posé. Cela éviterait des lourdeurs inutiles. Dans les tribunaux relativement importants, un juge-commissaire peut avoir à traiter jusqu'à 600 dossiers. Mais je vous rassure tout de suite, les trois quarts, pour ne pas dire 85 % d'entre eux sont des dossiers morts, au sens technique du terme. L'institution d'une procédure administrative préalable permettrait de régler ces cas.

Une deuxième suggestion pourrait être faite. Il s'agirait d'instituer, dans certains cas d'espèce, la collégialité des décisions rendues aujourd'hui par le juge-commissaire seul. La loi ne l'autorise pas à l'heure actuelle. Pourtant, combien de fois ai-je vu des collègues très embarrassés pour rendre seul une ordonnance en liquidation, pour statuer sur une cession, par exemple. La procédure collégiale est possible pour le référé : vous savez que le juge des référés est un juge unique, mais parfois, quand nous estimons que l'affaire le justifie, nous pouvons statuer collégialement. Cela devient à ce moment-là une ordonnance rendue en forme de jugement. Nos collègues juges-commissaires auraient souhaité pouvoir délibérer à trois en chambre du conseil, afin que la décision soit débattue et mise en délibéré collectivement.

Nous avons essayé de le faire à Paris, le parquet nous l'a interdit. Dans une affaire difficile comme celle de la banque Pallas-Stern, le juge-commissaire, à lui seul, devra céder entre 2 et 3 milliards de francs de francs d'actifs.

Quelle responsabilité pour un homme seul, qu'il soit magistrat professionnel ou juge consulaire ! C'est la raison pour laquelle nous proposons de modifier la loi sur ce point.

Quant à l'organisation proprement dite, et pour la transparence, qui me paraît fondamentale, nous employons des méthodes qui pourraient s'appliquer partout, et je me permets de vous les suggérer.

La loi ne l'interdisant pas, nous avons mis en place le système suivant : le juge-commissaire est désigné par le tribunal ; mais il est indépendant. Dès lors, lorsqu'une solution de redressement judiciaire est envisagée, il est entendu en chambre du conseil. Le parquet fait ses réquisitions, mais c'est une formation de délibéré du tribunal, indépendante du juge-commissaire, qui statue après l'avis de celui-ci et après avoir entendu les réquisitions du parquet. La formation de jugement est donc indépendante.

En matière de liquidation, c'est beaucoup plus simple. La suggestion qui est faite au juge-commissaire est la suivante : quand il s'agit de biens immobiliers, nous l'invitons vivement à procéder à la cession publiquement à la barre du tribunal de grande instance et/ou des notaires. Cette solution, nous a-t-on parfois reproché, ne permet pas des prix aussi compétitifs que si la procédure se faisait de gré à gré. C'est possible, et c'est un bon argument. Si le juge-commissaire estime qu'il y a un risque, il doit motiver, encore et encore, sa décision avant de la rendre. Lorsque l'appel d'offres est privé, il s'effectue sur la base d'un cahier des charges préalable. L'ouverture des plis contenant les réponses à l'appel d'offre se fait maintenant en présence d'huissiers audienciers, car Paris a la chance d'avoir des huissiers audienciers indépendants. Le procès-verbal est signé par les parties. La transparence est ainsi parfaitement respectée.

M. Jacky DARNE : Vous parliez tout à l'heure de qualité et, c'est bien dans les procédures collectives que se pose le principal problème.

Comment s'assurer de la qualité des décisions prises ? On fait reposer tout le dispositif sur le juge-commissaire. En qualité de président, dans votre tribunal, avez-vous envisagé ou mettez-vous au point des systèmes pour apprécier la façon dont se déroule une procédure collective ?

La question est évidemment primordiale s'agissant des délais, qui conditionnent la poursuite d'une activité et le maintien de l'emploi.

La proximité professionnelle peut susciter un climat d'entente et supprimer toute opposition entre l'administrateur et le juge-commissaire. Comment faites-vous pour soutenir le juge-commissaire face à l'influence de l'administrateur ?

Comment faites-vous pour revaloriser la fonction de juge-commissaire, pour apprécier la qualité des décisions prises ? Nous parlions d'appel tout à l'heure ; or il est évident que l'appel n'est pas une solution s'agissant du choix du repreneur d'une entreprise ou d'une décision de cession de quelque nature qu'elle soit. Disposez-vous d'outils internes d'appréciation, de conseil, d'assistance pour guider le juge-commissaire et être plus pertinent et plus efficace dans ces procédures collectives ?

Je voudrais enfin poser deux questions subsidiaires.

Que pensez-vous du rôle joué par le contrôleur des créanciers ? Il pourrait assister le juge-commissaire et avoir ce rôle d'observateur de la procédure. Or, j'ai entendu dire à plusieurs reprises qu'il ne servait à rien et qu'il était mis à l'écart le plus souvent. Pensez-vous qu'il faut le supprimer ou au contraire que son rôle doit être renforcé pour qu'il soit véritablement un personnage efficace de la procédure ?

Vous avez évoqué l'importance du travail de prévention que vous conduisez, y compris personnellement. Dans le cadre du droit d'alerte, quels sont vos critères d'intervention et vous saisissez-vous d'office ? Dans quel cas êtes-vous saisi par les institutions représentatives du personnel, par le commissaire aux comptes ? Autrement dit, qui déclenche cette procédure et qui entendez-vous ? Consultez-vous de la même façon les institutions représentatives du personnel et les autres acteurs, par exemple ? Avez-vous là aussi quelques éléments statistiques qui permettent d'apprécier finalement la pertinence de la mise en oeuvre de ce droit d'alerte ? Nous savons tous qu'il y a, là aussi, un enjeu décisif pour l'avenir de l'entreprise.

M. le Président : Sur ce dernier point, ce que vous avez décrit tout à l'heure est-il récent ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Oui, nous avons commencé en janvier 1996, sur la base d'une première expérience qui avait été mise en place à l'époque de la crise de l'immobilier, période qui n'est en aucun cas comparable à la situation actuelle. Nous nous intéressons notamment au tissu des PME, caractéristique de Paris.

M. le Président : Existe-t-il un document de synthèse sur cette activité ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Oui, bien sûr.

M. le Président : Je vous saurai gré de bien vouloir nous le transmettre.

M. Jean-Pierre MATTEI : La prévention est le domaine où nous devrions être le plus performant, pour éviter l'accident que constitue la procédure collective.

En matière de prévention et de procédure d'alerte, quels sont les clignotants ? Nous sommes allés faire un stage chez nos collègues de Bruxelles, qui ont un système de dépistage, pour employer leur expression. Le tribunal de commerce de Bruxelles était probablement sur ce point le plus compétitif en Europe. La présidente, qui est professionnelle puisque le tribunal est écheviné, travaille avec le tribunal de commerce de Paris depuis environ dix ans et elle nous a préparés à la réflexion sur ce qu'on appelle le dépistage.

Les clignotants sont nombreux. Ce sont principalement les inscriptions dont nous disposons par le biais du greffe, telles que celles de l'Union pour le recouvrement des cotisations de la sécurité sociale, et d'allocations familiales (URSSAF) ou encore celles du Trésor.

Je voudrais également attirer l'attention de la commission sur l'importance du non-dépôt des comptes. Il faut savoir que 90 % des SARL qui ont déposé leur bilan à Paris intra-muros n'avaient pas déposé leurs comptes dans les vingt-quatre derniers mois, et ce qui est plus grave, 74 % des sociétés anonymes qui avaient déposé leur bilan n'avaient pas non plus déposé leurs comptes dans les vingt-quatre derniers mois, alors que, dans ce cas, un commissaire aux comptes doit les certifier.

J'estime que les commissaires aux comptes n'utilisent pas l'alerte suffisamment tôt. Il y a eu simplement neuf alertes à Paris intra-muros en janvier 1997. Cela ne me paraît pas suffisant. Je l'ai dit très amicalement à M. Bernard Lelarge, président de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris et à M. Didier Kling, président de la Compagnie nationale. Nous essayons de travailler avec les gens du Chiffre pour leur expliquer qu'il ne s'agit pas de pratiquer la délation mais qu'au contraire, en mettant en oeuvre le plus tôt possible la prévention, on a 75 % de chance de succès.

Il faut donc accompagner le chef d'entreprise non pas vers le tribunal sanction, mais vers le tribunal de prévention. J'insiste beaucoup sur ce point. Malheureusement, pour l'instant nous n'avons pas été assez convaincants.

Les salariés peuvent également jouer un rôle très important. Nous recevons des courriers signalant le non paiement des salaires, ce qui entraîne immédiatement une convocation sur la base de l'article 34 de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises.

Il faudrait pouvoir obtenir les informations auxquelles nous avons droit légalement, sans attendre de convoquer le chef d'entreprise. Nous avons 40 000 entreprises à Paris qui ne déposent pas leurs comptes. La loi est violée en permanence. Nous demandons que le non-dépôt soit sanctionné par une amende, même peu élevée.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Elle est d'un montant ridicule !

M. Jean-Pierre MATTEI : C'est vrai. Mais notre but n'est pas que des amendes soient prononcées ; nous cherchons à avoir les renseignements fiscaux, sans avoir à réclamer les liasses fiscales. Nous pourrons ainsi gagner du temps car nous savons lire des bilans et, très rapidement, nous pourrons constater si la situation de l'entreprise est satisfaisante ou pas.

Souvent, les salariés nous informent qu'ils ne sont plus payés. Et lorsque la situation de l'entreprise est telle qu'elle ne paye plus ses salariés, nous avons déjà dépassé le stade de la prévention. Nous sommes déjà dans l'enquête, pour savoir si l'entreprise est véritablement en situation de cessation des paiements caractérisée. Parfois même, le parquet a ses propres informations, ce qui entraîne une saisine immédiate du tribunal.

On ne se place jamais assez en amont en matière de prévention. Il faudrait que nous puissions avoir une antenne gratuite d'information du barreau de Paris au sein du centre de formalités des entreprises, dès la création de l'entreprise ou dès que le commerçant s'inscrit au registre du commerce. Le barreau est d'accord, nous l'évoquions avec Mme de la Garanderie, le nouveau bâtonnier de Paris. L'accès au droit serait ainsi ouvert à tous. Cela me paraît tout à fait souhaitable et normal. Nous parlions tout à l'heure d'une augmentation de notre budget, elle pourrait déjà servir à cela.

A Bruxelles, pour pouvoir être inscrit au registre du commerce, le chef d'entreprise doit déposer un compte d'exploitation prévisionnel. Je pense que c'est très important. Il ne s'agit pas de créer un permis de conduire de l'entreprise, mais au moins de faire en sorte que le chef d'entreprise sache ce qu'est une entreprise.

Par conséquent, il faudrait que les gens du Chiffre puissent être présents au centre de formalités des entreprises pour expliquer comment on fait un bilan, comment ce bilan se traduit.

Cela pourrait peut-être parfois éviter la création d'entreprises non viables. À l'occasion de son inscription, le chef d'entreprise pourrait ainsi découvrir qu'il a des obligations sociales et légales, ce qu'il ignore souvent. Un certain nombre de toutes petites entreprises ne tiennent jamais de comptabilité, sinon un livre d'entrées et de sorties.

Voilà les suggestions que nous faisons et nous aimerions, dans toute la mesure du possible, que le Parlement modifie la loi pour qu'en droit des sociétés l'inscription puisse se faire de plein droit. Cela pourrait être un élément témoin pour nous s'il y avait plus tard un problème.

76 % des entreprises que nous avons traitées en prévention avaient plus de six ans d'ancienneté. Ce qui nous importe également est de sauver celles qui existent et non pas celles qui naissent. 75% ont été sauvées, dès lors qu'un mandataire ad hoc a été désigné.

Vous avez très justement souligné le rôle des contrôleurs. Je vous rappelle que lorsque le président Badinter a ouvert la chambre du conseil aux représentants des salariés, cela a entraîné une certaine inquiétude. Chacun imaginait les drapeaux, les manifestations publiques. En fait, il n'y a jamais eu meilleure coopération ni meilleure information qu'avec les salariés qui vivent avec l'entreprise, qui sont aussi les représentants de l'entreprise ; cela se passe parfaitement bien. De même, la présence des contrôleurs en redressement judiciaire est indispensable.

Non seulement le nombre des contrôleurs est passé de deux à cinq, mais deux ou trois d'entre eux doivent venir lorsque des créanciers privilégiés sont concernés.

Si je prends l'exemple de la banque Pallas-Stern, actuellement en cours de liquidation judiciaire, je peux vous dire que grâce aux contrôleurs, le dossier avance dans des conditions que je peux qualifier aujourd'hui de satisfaisantes. Je ne peux évidemment pas préjuger de la décision finale, mais nous avons la chance d'avoir des contrôleurs remarquables, qui ont parfois amené à prendre des décisions pour lesquelles les mandataires auraient pu hésiter.

Je trouve que l'institution de contrôleur à la liquidation, au redressement judiciaire est excellente. Cinq me paraît un bon chiffre et je pense qu'il ne faut surtout pas considérer que leur rôle est inutile, il faut au contraire le faciliter.

En ce qui concerne les outils internes dont peut disposer un tribunal, tout dépend du tribunal, et je vais parler de celui de Paris. Je rappelle tout de même à la commission que le juge-commissaire est indépendant et que, par conséquent, le tribunal n'a pas à contrôler son travail. Néanmoins, il n'est pas interdit au tribunal de tenir des statistiques internes. C'est ce que nous faisons à Paris et nous regardons le nombre de désignations de chaque mandataire de justice. C'est la chambre du conseil, indépendante, qui statue et qui prend cette décision.

Dans toute la mesure du possible - en tout cas, pour les mandataires de justice, c'était notamment le voeu de la Compagnie des mandataires-liquidateurs du ressort de la cour d'appel de Paris -, il faut qu'il y ait entre eux un certain équilibre que nous essayons de respecter tant bien que mal pour éviter qu'une étude soit en difficulté. Nous avons cependant connu le cas d'une étude qui aurait pu être en état de cessation des paiements. Ce sont des choses qui peuvent arriver, mais cela prouve tout de même que des erreurs de gestion peuvent exister.

Nous ne pouvons aller plus loin car je rappelle que la formation de jugement est indépendante, et tant mieux d'ailleurs, pour choisir le mandataire ou l'administrateur judiciaire, à condition encore qu'elle ait le choix. À Paris, nous avons ce choix, ce n'est pas le cas partout.

Enfin, vous avez rappelé les problèmes d'emploi : dans une procédure collective la tentative de sauvegarde de l'emploi doit se faire précocement et est très difficile, même en cas de redressement judiciaire.

Au stade de la liquidation, il s'agit de la suppression des emplois par la force des choses. Les salariés ne seront couverts par les fonds de l'Association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés (AGS) que peu de temps.

En général, les entreprises dont nous traitons sont des PME. Mais la multiplication des dépôts de bilan de TPE et de PME en France entraîne la perte de centaines d'emplois, dont on ne parle jamais.

En matière de redressement judiciaire, nos statistiques ne sont pas favorables. Quelle est la banque ou la SFAC qui va faire confiance à une entreprise en redressement judiciaire ? Aucune. Quand une entreprise bénéficie d'un plan de continuation, voire d'un plan de cession, elle est déjà marquée au fer rouge. C'est également la raison pour laquelle nous constatons qu'une sur trois fait l'objet d'une nouvelle procédure qui donne lieu alors, conformément à la loi de 1994, à une liquidation judiciaire, puisqu'effectivement l'entreprise n'a pas pu surmonter ses difficultés.

M. le Rapporteur : Avant de faire entrer M. Nougein et vos collègues, il faut que nous abordions les questions qui fâchent. Il faut en parler, parce qu'il y a un débat qui est maintenant public et qui n'échappe pas à la Représentation nationale constituée en commission d'enquête.

Lors des assises nationales de votre Conférence générale, le président Nougein a présenté un rapport, dans lequel il donnait une appréciation différente de celle de M. Verny, membre du CNPF, sur la question de la déontologie des magistrats consulaires.

Vous avez abordé la question des mandataires de justice, mais j'aimerais que vous nous donniez votre position sur ces jugements contrastés, en votre qualité de président du tribunal de commerce de Paris et de président de la Conférence générale.

Le président Nougein explique que : « Rien ne montre et encore moins ne prouve, qu'il s'agisse aujourd'hui d'un problème actuel, quelques maladresses et de très rares "dérapages" ne justifiant pas qu'on invente une difficulté qui n'existe pas. Les magistrats consulaires sont honnêtes, remplissent en parfaite conscience leur mission et n'acceptent pas que des procédés médiatiques faciles jettent le doute sur leur intégrité. »

Plus loin, il ajoutait : « Quant à l'opportunité de rédiger un texte reprenant l'énumération des obligations éthiques du magistrat consulaire, nombre d'entre nous ont fait valoir qu'une telle démarche leur apparaissait parfaitement superflue et à la limite blessante pour leur honneur. »

D'un autre côté, la commission a auditionné M. Verny, Vice-président de la commission juridique du CNPF, qui se décrivait d'ailleurs comme le représentant légitime des usagers du service public de la justice consulaire, et qui expliquait qu'il était nécessaire aujourd'hui de réfléchir à autre chose qu'à un simple serment ou à un approfondissement du serment.

Voici ce qu'il nous a déclaré : « Le problème propre à la juridiction consulaire est celui de l'absence de mélange des intérêts ou de l'absence d'intérêts dans les affaires dont on a à juger ou auprès des parties qui comparaissent devant le tribunal. C'est pourquoi nous recommandons purement et simplement que les juges, au moment de leur élection et de leur entrée en fonction, fassent une déclaration générale de leurs intérêts économiques dans le monde des affaires - il ne s'agit pas d'une déclaration du patrimoine puisque certains éléments du patrimoine sont sans incidence sur le fonctionnement de la juridiction consulaire - avec actualisation au fur et à mesure de l'évolution dans le temps desdits intérêts économiques pendant la durée de l'exercice du mandat de juge, et avec la possibilité pour les parties intéressées d'avoir accès à ces informations de manière à assurer une parfaite transparence. »

Faisant allusion au bénévolat, il ajoutait : « Si l'on veut se conformer aux exigences actuelles de la société en général et plus précisément à celles des justiciables eux-mêmes, (le bénévolat) ne consiste pas seulement à exercer son activité sans rétribution immédiate mais aussi à faire en sorte que tout soit bien clair et qu'il ne puisse pas y avoir de contreparties, même différées dans le temps. »

Le constat et les souhaits exprimés par les usagers de la juridiction consulaire contrastent curieusement avec les déclarations de vos représentants légitimes.

Je voudrais que le président du tribunal de commerce de Paris que vous êtes, important dans la configuration générale des juridictions consulaires, réagisse à ces déclarations assez contrastées.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je vais donc répondre à votre question de la manière suivante :

La première des choses c'est que le serment du juge consulaire, vous le savez, est le même que celui du juge professionnel...

M. le Rapporteur : ... Excusez-moi de vous interrompre, mais je souhaiterais avoir votre analyse. Y a-t-il un problème déontologique ou pas ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Je pense qu'il faut commencer par le commencement. Lorsqu'une personne devient juge, elle prête serment devant le tribunal de grande instance ou la cour d'appel, et ce serment l'engage dans les formes que vous connaissez, au même titre que le juge professionnel, car c'est le même serment. En soi, il se suffit.

Mais avant que vous ne posiez la question, je m'étais permis tout à l'heure de rappeler que le juge consulaire n'est pas un juge formé à l'École nationale de la magistrature. Il ne bénéficie même pas d'un budget de formation. Il peut donc parfois avoir des inquiétudes, des troubles, en tout cas des incompréhensions sur ses droits et obligations.

Pour répondre à ce problème, les Assises nationales ont créé une commission déontologique, présidée par M. Pierre Fournié, président du tribunal de commerce de Toulouse, et l'ensemble des trois mille juges nationaux ont admis et ont décidé qu'une charte serait élaborée, pour bien préciser leurs droits et obligations. Cela me paraît tout à fait nécessaire.

Pour ce qui fâche, quand vous dites que le CNPF est la Représentation nationale, je vous prie de m'excuser, mais il y a d'autres organisations institutionnelles. M. Verny, en tant que secrétaire général du Crédit lyonnais, n'a pas de leçon à nous donner.

Mais néanmoins M. Verny a raison sur un point, et j'abonde dans son sens quand il dit que, comme les parlementaires par exemple, le juge consulaire pourrait déclarer son patrimoine avant de prendre ses fonctions. J'approuve tout à fait ces propos ; vive la transparence !

Mais alors, il faut qu'il en soit ainsi pour l'ensemble des juges de l'ordre judiciaire. Pourquoi stigmatiser les juges consulaires ? Certains de nos collègues sont juges à vie, s'ils le souhaitent. Faisons-le pour tous. Cela ne me dérange pas, j'y suis personnellement favorable. Nous n'avons rien à cacher.

Nous sommes peut-être plus exposés à certains risques, parce que nous sommes des juges de la Cité et que nous vivons dans la Cité. Mais soyons clairs, si un homme est honnête, quelle que soit sa fonction il le sera, et s'il ne veut pas l'être, il ne le sera pas.

J'ai entendu une observation très pertinente lors de la dernière conférence de la quatrième région consulaire, qui englobe la Côte-d'Azur. Assistaient notamment à cette conférence le procureur général Nadal, aujourd'hui Inspecteur général des services, et le premier président Pech, membre du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Ce dernier nous a précisé que le nombre de magistrats professionnels était le double de celui des juges consulaires et qu'en moyenne, le CSM examinait entre cinquante et soixante-dix dossiers de sanctions par an, allant du blâme à la radiation. Il estimait qu'il devrait y avoir une proportion au moins égale de dossiers concernant les juges consulaires devant la commission nationale de discipline, présidée par le président de la chambre commerciale de la Cour de cassation. Il avait parfaitement raison.

Par conséquent, là où autrefois il eut été de bon ton de demander la démission du juge, je dis qu'il est aujourd'hui de bon ton d'envoyer le juge qui aurait commis une faute devant la commission de discipline et qu'il soit sanctionné.

Je suis clair et précis à cet égard. Sachez que c'est en ce sens qu'ont voté l'ensemble des juges consulaires lors de nos assises nationales. Non seulement vous ne nous fâchez pas mais vous avez bien raison d'avoir posé la question.

M. le Rapporteur : On ne peut pas tout à fait comparer les deux situations. Les juges consulaires sont des professionnels du commerce. J'ai fait une petite incidente sur les banquiers. Vous savez qu'une question est posée. Il y a actuellement une affaire pénale en cours concernant des juges consulaires qui étaient employés au Crédit agricole et qui se sont retrouvés juge et partie dans une affaire qui n'est pas très importante mais il semble que la présence de représentants des banques, qui se trouvent finalement mêlés à toutes les affaires, n'est pas un cas isolé.

Cela n'a peut-être aucune incidence mais cela prête à suspicion et, dans le courrier qu'on reçoit des justiciables, la question revient très souvent.

M. Jean-Pierre MATTEI : Dans l'affaire à laquelle vous faites allusion, la cour d'appel a confirmé la décision du tribunal de commerce. En tant que président de la Conférence générale des tribunaux de commerce, la décision de la cour d'appel me paraît excellente.

Par contre, le comportement des juges consulaires en l'occurrence est parfaitement inadmissible. Ils auraient dû délocaliser et déporter cette affaire.

À titre personnel, permettez-moi de vous dire simplement qu'en tant que président du tribunal de commerce de Paris, j'ai délocalisé l'an dernier treize dossiers et le dernier en date est le dossier du Fouquet's. Pourquoi ? Parce qu'un juge consulaire parisien qui a terminé sa judicature en 1996 s'est porté candidat à la reprise de l'établissement. Il en a le droit. Cela étant dit, rien ne m'obligeait à demander la délocalisation et pour ne rien vous cacher j'ai eu du mal à convaincre le parquet, qui ne la souhaitait pas. C'est heureusement le premier président que j'ai saisi qui a bien voulu accepter la délocalisation.

À mon avis, cela aurait pu prêter à suspicion. La femme de César doit être irréprochable.

M. le Président : Avez-vous une idée du nombre de dossiers portés devant la commission nationale de discipline ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Jusqu'à maintenant, la Chancellerie n'engageait pas de poursuite. Nous en avons parlé avec Mme Guigou. Cinq procédures ont été engagées récemment. Les cinq affaires qui impliqueraient des demandes de suspension des magistrats, ont été portées devant le président de la chambre commerciale de la Cour de cassation en charge de la commission de discipline, composée à parité de juges consulaires et de magistrats professionnels. Le président a pris des mesures.

Il s'agissait d'affaires de droit commun, si je puis dire, de prévarication privée. Une seule était une affaire qui pouvait intéresser un juge dans le cadre de sa fonction. Je le répète, les quatre autres concernaient des affaires de droit privé, dont une affaire sexuelle.

M. le Rapporteur : La direction des services judiciaires nous a confirmé qu'il y avait eu 63 procédures disciplinaires engagées en cinq ans, 12 en 1993, 10 en 1994, 10 en 1995, 14 en 1996, 17 en 1997 ; mais la démission du magistrat met fin aux poursuites en l'état actuel des textes ; aucune puissance ne peut continuer à poursuivre, et certainement pas la Chancellerie.

Ainsi, il n'est resté que quatre affaires qui ont été effectivement jugées et tranchées par la commission nationale de discipline.

Nous avons donc 63 affaires disciplinaires pour des magistrats consulaires sur 227 juridictions.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Il faut comparer ce qui est comparable.

M. Jean-Pierre MATTEI : Nous avons 3 326 juges consulaires et plus de 6 000 magistrats professionnels. Chaque année, il y a entre 60 et 80 magistrats professionnels qui, pour des raisons diverses, peuvent éventuellement être sanctionnés par le CSM.

On a d'ailleurs proposé aux membres des Assises nationales de créer au sein du CSM une commission disciplinaire pour les juges consulaires, avec leur participation.

Nous estimons que dans la mesure où des hommes et des femmes auraient manqué à l'honneur, ils doivent être sanctionnés.

M. le Rapporteur : C'était la proportion qui m'intéressait.

M. Jean-Pierre MATTEI : Elle est insuffisante. Il faut être très clair, je viens de le dire à l'instant. Je crois qu'on est parfaitement d'accord.

Proportionnellement, une trentaine d'affaires chaque année devraient être instruites devant la commission de discipline. Si vous nous dites que c'est le fait d'avoir démissionné qui interdirait de pouvoir poursuivre un magistrat qui aurait manqué aux règles de l'honneur et de la déontologie, modifions d'urgence le texte et poursuivons la responsabilité de ceux-là.

En d'autres termes, nous ne sommes pas devenus juges pour laisser passer ce genre d'infamie. Faisons-nous grâce que ceci ne correspond pas à notre tempérament. Mais nous avons bien sûr chez les juges consulaires la même proportion de prévaricateurs, d'imbéciles que dans toute profession. Nous ne sommes ni moins bons ni meilleurs. C'est un corps d'hommes et de femmes qui ont leurs qualités et leurs défauts.

M. le Président : La question n'est pas là ; la question est de savoir s'il peut y avoir suspicion ou pas.

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous avez bien fait de rappeler que ce texte doit être modifié et permettre de poursuivre celui qui aurait commis une faute contre l'honneur ou qui aurait enfreint le serment.

Les Assises nationales ont élaboré une charte de déontologie et le président Fournié vous expliquera que celle-ci ne pourra plus faire l'objet du moindre doute, quel que soit le tribunal.

M. le Rapporteur : Avant que M. Nougein ne soit introduit devant nous, j'aimerais m'assurer que nous sommes bien d'accord sur le fait que ses déclarations tonitruantes devant la presse, lors des Assises nationales, devant Mme le garde des sceaux, expliquant qu'il n'y avait pas vraiment un problème déontologique mais seulement des affaires montées en épingle, demandent à être nuancées.

Le problème de l'échevinage que nous allons aborder avec vos collègues est également posé puisque vous avez indiqué que si une telle réforme était adoptée, il y aurait des mesures de démissions collectives aboutissant à paralyser l'institution. Nous aimerions en débattre avec vous.

M. Jean-Pierre MATTEI : M. Nougein vous répondra lui-même. Cela m'étonnerait qu'il ait changé d'avis depuis les Assises nationales mais posez-lui la question.

En ce qui concerne l'échevinage, j'ai une réponse très simple à vous faire, et je parle comme citoyen, non comme président du tribunal de commerce de Paris.

Si nous avions acquis la conviction, la certitude ou si les faits avaient démontré qu'une juridiction commerciale de droit commun ou une juridiction échevinée telles que celles d'Alsace-Moselle, ait pu travailler dans des conditions beaucoup plus satisfaisantes qu'un tribunal de commerce classique, je vous dirais que vous avez raison et qu'il est urgent d'écheviner. Mais d'une façon générale, les statistiques sont comparables.

Pourquoi voulez-vous écheviner et faire perdre au juge de son imperium, et pourquoi voulez-vous qu'il soit l'assesseur du juge professionnel - le président Fékété pourra vous raconter d'ailleurs quelques histoires intéressantes sur l'Alsace-Moselle -, au moment où nos collègues d'Alsace-Moselle revendiquent d'être des juges à part entière ?

Je ferai une deuxième observation : ce qui pose un problème c'est bien la procédure collective, et c'est bien de cela que nous devons parler. Comment se fait-il alors que les magistrats professionnels laissent les commissariats aux juges consulaires échevinés et ne les assurent pas eux-mêmes ? En Alsace-Moselle, les juges-commissaires sont les juges échevinés. C'est bien la démonstration que ce sont les professionnels de l'entreprise qui sont probablement les plus qualifiés pour traiter de la prévention et des difficultés des entreprises.

M. Jacky DARNE : Aux questions précédentes sur la déontologie, vous avez répondu en mettant essentiellement l'accent sur l'aspect fautif du comportement du juge. En tant que président de la Conférence, vous pouvez avoir un regard sur les tribunaux de moindre importance que celui de Paris. Dans des villes néanmoins assez grandes, ne pensez-vous pas qu'un juge-commissaire, qu'un administrateur, que des repreneurs éventuels peuvent être en relations d'affaires ?

Pensez-vous réellement que, sans parler de faute, il n'y a pas de connivence naturelle ou d'entente susceptible d'avoir un effet sur les décisions prises, qui de ce fait ne répondent pas forcément à l'intérêt général ?

Par exemple, le juge peut privilégier le statut de propriétaire par rapport à celui d'employeur. Ce contexte plus sociologique que juridique fait que la nature de la décision prise est en réalité conditionnée par son environnement.

Selon moi, la difficulté principale réside dans les procédures collectives, c'est-à-dire lorsqu'on se trouve dans des hypothèses de liquidation, de poursuite ou de continuation de l'activité. Dans les autres cas plus classiques auxquels sont confrontés les autres magistrats, les problèmes de déontologie restent très mineurs parce que les prises d'intérêts n'existent pas véritablement. C'est la gestion de la poursuite d'activité ou de la liquidation des entreprises qui constitue la spécificité de la juridiction commerciale.

J'aimerais que vous me disiez comment vous jugez cette situation, en tant que président.

M. Jean-Pierre MATTEI : Votre question appelle deux observations. La présence du ministère public, dans les cas où cela est utile, en particulier dans les procédures collectives, peut avoir les vertus prêtées à l'échevinage. Si ce magistrat professionnel du ministère public constate une anomalie, il a la faculté de faire appel et sa décision est suspensive. La meilleure forme d'échevinage est bien cette présence renforcée du parquet. C'est ce qui a été demandé par la Conférence générale.

Je souhaiterais faire une deuxième observation. Lorsque la loi de 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires des entreprises avait été votée par le Parlement, M. Badinter avait proposé qu'un nombre restreint de tribunaux connaisse de la procédure de redressement judiciaire en régime général et en régime simplifié. Mais, peu à peu, de protestation en protestation, de décret en décret, presque tous les tribunaux ont été compétents en matière de procédures collectives, ce qui fut une erreur. Un tribunal qui voit rarement des procédures collectives, qui n'est pas structuré pour les traiter, n'a pas nécessairement les moyens de le faire. Il y a presque 300 articles dans la loi, elle est terriblement compliquée, et demande donc une véritable spécialisation.

Nous possédons à Paris quatre chambres spécialisées en procédures collectives et une chambre de sanctions. Cinquante magistrats ne font donc que cela. Vous vous rendez compte de la différence avec certains tribunaux !

Je suis donc convaincu qu'il faudrait limiter le domaine de la procédure collective à un nombre restreint de tribunaux de commerce. La proximité pose problème et la meilleure façon de le régler est de renforcer les tribunaux, en les regroupant. Laisser la procédure collective à 227 tribunaux de commerce me paraît une erreur.

Je pense avoir répondu à votre question, mais demeure l'éternel problème de la carte judiciaire. Il va bien falloir qu'on l'aborde ce soir.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Je vous suis totalement sur la notion de spécialisation, peut-être un peu moins sur celle de regroupement. On peut très bien spécialiser sans être obligé de supprimer ici et là des tribunaux de commerce.

Sans parler d'échevinage, êtes-vous d'accord pour qu'il y ait des magistrats professionnels dans les tribunaux de commerce et qu'à l'inverse, il y ait des juges consulaires dans les cours d'appel ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Oui.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Vous avez salué tout à l'heure le fait que vous étiez les juges des inscriptions et qu'il était important, au moment de la demande d'inscription au registre de commerce, que vous ayez vous-mêmes, juges des tribunaux de commerce, les moyens de contrôler un certain nombre de choses. Comment peut-on alors créer en une journée une entreprise en France ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Je dois vous dire que cela ne me paraît pas raisonnable. Créer une entreprise en une journée constitue un défi et je ne suis pas certain que cela soit sans risque, notamment pour la mortalité infantile des entreprises qui est déjà importante. J'ai peut-être tort, mais je vous ai informé que je dirais ce que je pense.

La préparation préalable à la création de l'entreprise est essentielle et je me suis permis d'ajouter tout à l'heure qu'il serait important qu'au niveau du centre de formalités des entreprises, les barreaux et les responsables du Chiffre puissent être présents.

En revanche, _ j'ai eu l'occasion de le dire lors de ma première audience de rentrée en 1996, au cours de laquelle j'ai plaidé pour ce qu'on appelle l'échange de compétences _, si je suis opposé à l'échevinage pour les motifs que vous venez d'entendre, je suis un très fervent partisan de cet échange entre les magistrats professionnels et les magistrats consulaires, parce que nous appartenons au même ordre, l'ordre judiciaire.

Le premier président Canivet que vous avez déjà reçu, a eu la bonne idée d'organiser cet échange de compétences au sein de la cour d'appel de Paris. Cinquante-six juges consulaires ont participé à la fin de l'année à une journée de formation sur la procédure collective et beaucoup de conseillers à la cour d'appel et de représentants du parquet général ont passé une journée de formation sur la prévention au tribunal de commerce de Paris.

Avec l'École nationale de la magistrature (ENM), dont le siège secondaire se trouve à proximité de nos locaux, nous organisons assez souvent maintenant des réunions de formation réunissant juges professionnels et juges consulaires et je vous assure que les échanges sont intéressants.

Je vais plus loin, je suis personnellement convaincu que des magistrats qui sortent de l'ENM pourraient venir faire des stages au sein des tribunaux de commerce.

M. le Président : Il me semblait que c'était prévu.

M. Jean-Pierre MATTEI : Malheureusement, cela n'est pas mis en oeuvre.

M. le Président : J'ai vu un texte qui le prévoyait. Voilà bien quelque chose de complètement scandaleux ! Faites-vous partie du Conseil d'administration de l'ENM ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Malheureusement pas.

M. le Président : La Conférence générale y est-elle représentée ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Nous y sommes représentés à travers le centre de formation des juges consulaires situé à Tours. À une époque, nous étions de manière régulière en liaison avec l'ENM, mais malheureusement les liens ont été distendus, puis recréés à Paris.

Dès lors que les juges consulaires n'ont pas eu à connaître en premier ressort d'une affaire qui fait l'objet d'un appel, ils peuvent être appelés à statuer d'une manière non pas délibérative mais consultative dans les chambres commerciales des cours d'appel. Je trouve que c'est une très bonne chose que cet échange de compétences puisse intervenir. De la même manière, on peut très bien imaginer qu'un conseiller nommé dans une chambre commerciale, qui parfois n'a pas fait de droit commercial pendant dix ou quinze ans, vienne faire un stage de six mois dans un tribunal de commerce structuré. Il y aurait alors un échange de compétences très intéressant pour nous tous. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres.

M. le Président : On se demande d'ailleurs depuis très longtemps pourquoi cela n'a pas été mis en place.

M. Jean-Pierre MATTEI : Certains prétendent que nous perdrions le premier et le deuxième degrés de juridiction, si des magistrats conseillers à la cour d'appel participaient à titre consultatif aux délibérés du premier ressort.

Par ailleurs, est-il acceptable qu'un magistrat professionnel puisse être placé sous l'autorité d'un magistrat consulaire ? J'estime que ce sont tous les deux des juges. Qu'ils aient été formés à l'ENM ou à l'école de la vie, l'essentiel est qu'ils partagent la même notion du service public de la justice.

M. Philippe HOUILLON : Je souhaite vous demander une précision en votre qualité de président de la Conférence générale : le Rapporteur vous a interrogé sur l'échevinage, vous avez répondu, vous avez donné votre position, tout cela est parfaitement clair.

En votre qualité de président de la Conférence générale - cette question a été posée par le Rapporteur mais je n'ai peut-être pas entendu la réponse -, quelle serait la réaction de vos collègues sur le plan national si un texte quelconque venait à généraliser l'échevinage ? Je ne parle pas de l'échevinage accessoire avec seulement une présence renforcée du parquet mais de l'échevinage au sens commun du terme.

M. Jean-Pierre MATTEI : La réponse a été donnée par le précédent président de la Conférence générale et ce n'était pas du tout injurieux à l'égard de Mme Guigou, bien au contraire.

Mettez-vous à la place des juges consulaires devenant assesseurs : si les magistrats professionnels disent : « Messieurs, voilà comment je conçois la décision et voilà comment j'entends la rédiger », où est le délibéré ?

Personnellement, je ne vois plus d'intérêt à la fonction et je ferai partie de ceux qui démissionneraient. Peut-être que tous mes collègues n'auraient pas ce réflexe. Je suis convaincu qu'il y a des magistrats très intéressés par le fait de continuer leur activité auprès de magistrats professionnels qui présideraient leur juridiction.

J'espère que cela n'arrivera pas. Si cela arrive, si c'est la décision du Parlement, elle est respectable parce que c'est la décision du Parlement, un point c'est tout.

M. Gilbert MITTERRAND : Vous avez évoqué votre fonction de juge de l'inscription, et vous avez insisté sur votre rôle en matière de prévention, parce que c'est une façon de lutter contre la mortalité infantile et la mortalité tout court des entreprises.

Quelles sont vos suggestions, et surtout quel est le taux de récidive et les moyens de lutter contre elle, c'est-à-dire contre les professionnels de la liquidation ?

Avez-vous constaté durant votre carrière que les mêmes personnes faisaient l'objet de liquidations successives ? Avez-vous le sentiment qu'il faut trouver des moyens pour éviter que l'on retrouve de tribunaux en tribunaux, les mêmes personnes, qui sont non seulement des dangers pour elles-mêmes mais pour tous les autres qui restent leurs créanciers ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Sans avoir une idée précise du taux de récidive, nous avons constaté l'existence de récidivistes. Cela pose un problème de fichier et d'organisation de la sanction.

Dans un tribunal structuré, la sanction constitue une spécialité au sein du droit commercial. Nous disposons à Paris d'une chambre chargée des sanctions. Elle prononce 6 000 décisions par an. Toutes ne sont pas des sanctions.

Il existe des sanctions prises en chambre du conseil : l'interdiction de gérer, la faillite, voire l'application de l'article 182 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 permettant l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation à l'encontre d'une personne physique.

M. le Président : Ces chiffres sont-ils propres à Paris ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, mais il y a des distorsions flagrantes qui posent la question de l'égalité des citoyens devant la justice. Elles me choquent et c'est la raison pour laquelle il faudrait revoir le problème de la compétence et confier ces questions à des chambres spécialisées pour qu'elles soient traitées de manière égale sur l'ensemble du territoire.

En outre, nous avons constaté des choses étonnantes : les condamnations prononcées ne se retrouvent pas systématiquement sur le fichier du greffe. Pourquoi ? Nous n'avons pas la réponse. Je crois qu'il faudrait tout de même étudier cet aspect des choses. Il y a des failles dans le système des fichiers de condamnation. On devrait les retrouver. En tout cas, le parquet devrait en disposer.

On pourrait dresser des typologies de spécialistes de ce genre d'affaires, qui déclarent leur personnel au tout dernier moment et qui déposent systématiquement leur bilan. Nous les pourchassons. Il y a même des quartiers sensibles à Paris, vous les connaissez, mais si vous me le permettez, je voudrais arrêter mon propos ici.

Enfin, ces récidivistes professionnels peuvent exister, mais un chef d'entreprise peut se trouver une fois un dépôt de bilan ; ce n'est pas dramatique en soi. Que cela se reproduise me paraît plus ennuyeux, et là, on doit véritablement s'interroger.

Dans ce cas, le juge consulaire doit assumer toutes ses responsabilités. La loi lui donne mission de rechercher la responsabilité éventuelle du chef d'entreprise et c'est la raison pour laquelle je répète que la spécialisation des chambres de procédure collective est indispensable pour aller jusqu'à la recherche de la responsabilité et à la sanction éventuelle.

M. le Président : Nous vous remercions. Nous allons vous demander de nous présenter vos collègues que nous allons maintenant faire entrer.

MM. Duclos, Fékété, Fournié et Nougein sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Fournié, Nougein, Duclos et Fékété prêtent serment.

M. le Président : Nous souhaiterions évoquer avec vous la question de l'échevinage, des auxiliaires de justice, de la présence du parquet devant les juridictions consulaires.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je voudrais évoquer le problème de l'échevinage. C'est un problème difficile, irritant pour les juridictions commerciales et leurs membres. Pour être très clair, il faudrait définir ce qu'on entend par échevinage. Pour être encore plus clair, nous l'avons écrit et nous pouvons naturellement le redire publiquement devant la commission.

Si on entend par échevinage la présidence des juridictions commerciales ou des formations de jugements de juridictions commerciales par des magistrats professionnels, l'ensemble de nos collègues y sont opposés.

Si l'échevinage consiste à rechercher des liaisons, des rapprochements, un échange de compétences entre les magistrats professionnels et les magistrats consulaires, nous y sommes tout à fait ouverts. Cet échange de compétences se fait déjà à travers la présence du parquet, dont nous souhaitons le renforcement. Cela, naturellement, est subordonné à une réforme de la carte.

Pourquoi sommes-nous opposés à l'échevinage entendu dans le sens de la présidence des tribunaux ou des formations de jugements par des magistrats professionnels ? Simplement parce qu'à notre sens, il n'a jamais été prouvé que ce système soit meilleur ; les éléments statistiques qui nous sont fournis par la Chancellerie elle-même montrent que dans les juridictions échevinées comme dans les TGI statuant en matière commerciale, les décisions sont rigoureusement de même nature que dans les tribunaux de commerce. Les taux de liquidation d'entreprises et de redressement judiciaire sont exactement les mêmes.

L'expérience montre que dans les juridictions échevinées d'Alsace-Moselle, on confie la matière des procédures collectives qui nous préoccupent aux juges échevinés, aux juges consulaires. C'est donc la démonstration que pour traiter cette matière, ils ont quelques compétences.

Personne ne nous a fait la démonstration que l'institution consulaire pouvait obtenir un bénéfice d'un échevinage entendu dans ce sens.

M. Jacky DARNE : Ce que vous dites plaide contre vous puisque vous indiquez que dans les TGI les décisions sont de même nature, alors qu'il n'y a pas d'échevinage mais uniquement des juges professionnels.

Quel est donc l'avantage comparatif de la juridiction consulaire ? Réside-t-il seulement dans le fait que le coût du jugement est plus faible ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Il me semble que cela répond à l'argument selon lequel les tribunaux de commerce tels qu'ils fonctionnent actuellement ne se préoccuperaient pas suffisamment du sort des entreprises qui leur sont confiées, ni du problème de l'emploi, et auraient une tendance excessive à prononcer des liquidations judiciaires. Ceci reviendrait à dire que si cette matière était traitée en tout ou partie par des magistrats professionnels, les choses seraient différentes.

Les chiffres de la Chancellerie montrent à l'évidence qu'il n'en est rien et que les magistrats professionnels, en matière de traitement des difficultés des entreprises, ne font pas mieux que nous, et aboutissent exactement au même résultat. Cela signifie sans doute que la réalité économique perçue par les magistrats consulaires ou par les magistrats professionnels aboutit aux mêmes conclusions.

Je rappellerai enfin que, dans les juridictions échevinées, on confie la gestion de la matière économique aux juges consulaires.

M. le Président : Je crois qu'il n'y a aucune prévention de qui que ce soit contre le système de l'échevinage. Précisément, le système de l'échevinage permet d'avoir un professionnel à côté d'un spécialiste. Mais je crois qu'il faut voir la question autrement. Pourquoi l'opinion publique parle-t-elle de l'échevinage ? Parce que chacun se pose des questions sur les tribunaux de commerce et qu'on cherche des réponses possibles.

En outre, on a constaté que nombre de pays avaient adopté ce type de système, en particulier en Europe.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : La majorité de nos collègues sont opposés à l'échevinage entendu comme un système dans lequel les tribunaux de commerce et les formations de jugements sont présidées par des magistrats professionnels. S'il s'agit d'organiser l'échange des compétences entre les magistrats professionnels et les magistrats consulaires, je répète que nous y sommes tout à fait favorables. Dans le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter, j'ai écrit que l'éparpillement des talents et des connaissances était d'un autre temps. Il me semble que nos justiciables souhaitent ces rapprochements.

Pour redire les choses très clairement devant cette commission, nous ne sommes absolument pas opposés au fait que des magistrats professionnels viennent siéger dans les tribunaux de commerce, non pas avec des voix consultatives - comme cela a été dit de manière complètement déformée - ce qui serait totalement incohérent, mais à égalité de compétences et de fonction.

Nous souhaitons que les expériences qui peuvent se dérouler ici ou là de manière informelle soient étendues et que des magistrats consulaires puissent participer aux travaux des chambres commerciales des cours d'appel.

M. le Président : Il ne s'agit pas de compétence. L'opinion publique se place plutôt sur le terrain de la crédibilité.

Pendant longtemps, à tort, l'élection des tribunaux de commerce se faisait en même temps que celle des chambres de commerce, ce qui faisait presque apparaître une identité de nature. Le tribunal de commerce était ressenti comme une émanation de la chambre de commerce.

Cette dernière a sa légitimité mais elle ne représente qu'une partie de la société, les commerçants mais pas les autres justiciables ; une partie de votre contentieux intéresse beaucoup plus de personnes que les seuls chefs d'entreprises et commerçants, et je pense en particulier aux salariés ; par ailleurs, entrent souvent en ligne de compte des intérêts non représentés, tels que l'aménagement du territoire. La prise en considération de l'intérêt collectif ne découle pas très clairement du mode d'élection. Il y a là un point sur lequel on est amené à réfléchir.

Les conseils de prud'hommes ont été conçus comme l'organisation de la lutte des classes devant le tribunal. Salariés et employeurs élisent des représentants et on fait arbitrer quand c'est nécessaire par un juge professionnel. C'est un autre système, dont la crédibilité est moins contestée parce que les deux catégories principalement intéressées sont représentées. C'est la même chose devant les tribunaux paritaires des baux ruraux, qui sont présidés par un juge professionnel mais où les preneurs et les bailleurs sont présents. Cette façon de raisonner vous paraît-elle déraisonnable ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Les intérêts que vous évoquez et qui doivent être pris en compte me semblent devoir trouver leur porte-parole naturel dans le parquet.

Je me permets d'insister pour dire que nous souhaitons d'une manière très claire le renforcement de la présence du parquet, puisqu'elle doit à notre sens être obligatoire. J'ai la chance de présider une juridiction dans laquelle elle est systématique. Je regrette beaucoup qu'elle ne le soit pas partout.

M. le Président : Vous êtes dans les mêmes locaux que le tribunal de grande instance ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Oui, mais ce n'était pas le cas il y a quelques années et le parquet était cependant systématiquement présent.

Pour le reste, nous avons indiqué dans notre rapport qu'il nous semblait anormal que nous ayons à connaître des difficultés des artisans et que les artisans ne soient pas électeurs dans les tribunaux de commerce. C'est une anomalie qui me semble relativement grave même sur un plan constitutionnel.

M. le Président : Le législateur est là pour remettre sur la table tous les éléments et celui-là n'est pas négligeable.

D'une façon générale, le problème de la justice est actuellement un problème de crédibilité de l'institution. L'institution doit avoir la confiance des citoyens.

La formation, vous l'avez dit, est un élément très important, de même que le mode de recrutement, le statut, la situation personnelle des magistrats par rapport aux gens qu'ils jugent, etc. Il faut travailler sur l'ensemble de ces points.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Le rapport que j'ai eu l'honneur de vous présenter montre clairement notre volonté de réformes, et pas de réformes en demi-teinte.

M. le Président : On peut d'ailleurs noter que les tribunaux de commerce sont les premiers à faire leur autocritique, d'une certaine façon, et à admettre que la situation doit évoluer. L'échevinage ne vous paraît donc pas une bonne réponse ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Pour l'ensemble de nos collègues non.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Cette commission d'enquête est composée de toutes les opinions représentées à l'Assemblée nationale.

Je voudrais simplement dire que vous avez raison de vous soucier de la crédibilité de la justice au nom de l'opinion publique. Depuis longtemps rapporteur pour avis du budget des PME, du commerce et de l'artisanat, je peux vous dire que, dans le monde du commerce, la crédibilité des tribunaux de commerce est nettement meilleure que celles d'autres juridictions.

Je voudrais revenir sur ce point essentiel qu'est l'échevinage, au sens ou vous l'entendez. La présence à vos côtés, éventuellement par le biais de stages, de magistrats professionnels, apporterait aux juges consulaires une formation technique et juridique, et surtout donnerait aux juges professionnels, sortis de l'école, une compétence, une vision et une culture de l'entreprise qu'ils mettent parfois du temps à acquérir.

Concrètement, comment pourrait s'organiser cette présence ? Avez-vous réfléchi là-dessus ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je vais répondre au nom de mon tribunal : je suis tout disposé à accueillir demain matin deux ou trois magistrats professionnels. C'est un problème de dimension et d'organisation.

Il en va un peu de ces magistrats comme des stagiaires, mais il faut avoir la capacité d'intégrer ces gens-là. Il ne s'agit pas de faire venir des gens pour les mettre derrière un bureau à ne rien faire. Cette question est liée à l'importance de l'activité du tribunal.

Il se trouve que le tribunal de commerce de Lyon a deux audiences de procédures collectives par semaine. Des magistrats professionnels peuvent parfaitement participer, soit systématiquement à toutes les audiences, soit à tour de rôle, s'ils sont deux ou trois.

Pour cet échange de compétences, je ne trouve pas de meilleure formulation, car l'échange c'est la réciprocité, et les compétences ce sont les compétences des hommes de l'entreprise que sont les magistrats consulaires et celles des juristes et des magistrats de formation que sont les magistrats professionnels.

M. Jacques GODFRAIN : Comme l'a dit mon collègue M. Charié, nous sommes ici, en tout cas en ce qui me concerne et je crois qu'il en est de même pour mes collègues, sans aucun a priori sur les conclusions de la commission qui, je l'espère, ne sont pas encore rédigées.

Ce qui est important en matière de justice, c'est la crédibilité et la confiance.

Quelle confiance le citoyen en général attribue-t-il aux magistrats et en particulier quelle confiance l'homme ou la femme jugée attribue-t-il ou attribue-t-elle au tribunal devant lequel il/elle se présente ? À ce jour, d'après ce que je crois comprendre, la confiance vis-à-vis des tribunaux de commerce n'est en rien écornée. Je n'ai pas vu qu'il y ait statistiquement davantage d'appels contre les décisions de vos tribunaux que celles d'autres juridictions.

Il ne faut pas avoir une vision unilatérale des choses et s'il est heureux que le parquet soit présent, je dis aussi que, bien souvent, les magistrats professionnels devraient faire des stages en entreprise. Ce serait une excellente réciprocité.

M. le Président : On a évoqué le problème des artisans qui ne font pas partie de l'électorat ; c'est à mon avis une chose à laquelle il faut réfléchir. Il y a un autre problème, évoqué précédemment avec monsieur le président du tribunal de commerce de Paris : celui de la présence des salariés sous la seule forme de la présence de cadres d'entreprise. Le monde reflété dans la composition des tribunaux de commerce n'est pas exactement celui du commerce d'aujourd'hui.

En ce qui concerne la présence des cadres, on nous a dit quel avantage elle avait. Ce sont des personnes compétentes et expérimentées, que leur entreprise rend disponibles. L'inconvénient, c'est leur indépendance par rapport à l'entreprise. Quelle est-elle ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je crois qu'il existe un vrai problème par rapport au recrutement. Il n'y a pas d'équilibre.

M. le Président : Se pose en particulier le problème des banques, qui sont parties dans toutes les affaires. Je crois qu'il faut aborder ce point qui est très souvent évoqué dans les courriers que nous recevons.

M. Jean-Pierre MATTEI : À titre d'exemple, lorsque nous avons eu à connaître récemment de l'affaire de la banque Pallas-Stern et du groupe Comipar, le tribunal de commerce de Paris ne s'est pas demandé si parmi certains de ses juges il y avait ou non d'anciens banquiers, des banquiers en exercice ou des cadres de banque. Le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire, la cour d'appel a confirmé et nous avons engagé des actions en responsabilité.

En d'autres termes, lorsque pour des raisons de proximité, il peut y avoir ce type de problème le juge doit se déporter, _ c'est l'expression ad hoc _, et il y a lieu de délocaliser l'affaire. C'est ainsi que l'affaire doit être réglée ; c'est la déontologie à laquelle le juge adhère. S'il n'y adhère pas, il commet une faute et il doit être sanctionné. Cela doit être aussi simple que cela.

Les banquiers ne doivent pas être jetés aux orties plus que n'importe quelle autre profession, vous le savez bien.

M. le Président : Je parle des banquiers parce qu'ils sont souvent partie poursuivante.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Ils sont surtout partie poursuivante dans une situation pas toujours facile et parce qu'ils ont des cautions. En matière de contentieux général, les tribunaux de commerce qui sont amenés à connaître de ces affaires rendent des décisions qui ne font pas l'objet de critique. D'une façon générale, lorsque des banques ont commis des fautes, nous n'avons pas hésité à effectuer des recherches en responsabilité pour soutien abusif.

Vous savez aussi que la personne dont vous citiez le nom tout à l'heure appartient à une banque, en l'espèce le Crédit lyonnais, et s'est fait plusieurs fois condamnée devant nos tribunaux de commerce.

M. le Président : Vos remarques valent pour les procédures collectives. Mais pour toutes les procédures de prévention, si les banquiers sont très présents, quelle incidence cela a-t-il ?

M. Pierre FOURNIÉ : La réponse se trouve dans le nouveau code de procédure civile qui prévoit un certain nombre de dispositions à caractère obligatoire pour le juge qui doit se déporter s'il a une amitié ou une inimitié notoire, de quelque nature que ce soit, avec une partie en cause.

Il faut rappeler également qu'un certain nombre de dispositions du code de procédure civile permettent à une partie de récuser le juge ou de formuler le souhait d'être jugé par une autre formation ou un autre juge.

Ces dispositions du code de procédure civile sont renforcées par un code de déontologie qui n'a d'autre but que de rappeler les règles élémentaires édictées par la loi, mais également les usages non écrits qui sont en vigueur dans les tribunaux de commerce depuis de très nombreuses années et qui rappellent les obligations du juge.

Il y a donc des dispositions réglementaires, légales, pour éviter ces difficultés ; elles sont complétées par des obligations déontologiques que nous nous efforçons de codifier et de rappeler.

Quel qu'il soit, juge professionnel ou juge de l'ordre judiciaire, le juge a pour première mission d'être un juge indépendant et un juge impartial.

Si un certain nombre de faits le mettent dans l'obligation de ne pas juger en toute indépendance et en toute impartialité, il doit de lui-même se déporter ; il peut aussi être récusé par la partie.

C'est donc un faux problème qui est réglé par les textes.

M. le Président : Je demandais simplement à quoi correspondait ce vivier de juges consulaires, dans lequel il y avait uniquement des cadres supérieurs.

M. Pierre FOURNIÉ : Cela dépend des tribunaux. La situation est assez différente dans les tribunaux de province. Les tribunaux de commerce y sont composés en majorité de chefs d'entreprises, la plupart du temps de petites et moyennes entreprises, et il y a dans ces tribunaux moins de cadres d'entreprises.

Quelquefois d'ailleurs nous le regrettons, parce que les cadres d'entreprises, et surtout les juristes d'entreprises, ont des compétences fort intéressantes et nous avons parfois du mal à faire venir devant notre juridiction des cadres d'entreprise qualifiés.

Pour la France entière, parmi les 3 330 juges consulaires, il y a 62 % de chefs d'entreprises, 23 % de cadres d'entreprises et 15 % de commerçants en nom personnel représentant les petits commerçants à forme personnelle, les EURL, etc.

M. le Président : Plus quelques pharmaciens.

M. Pierre FOURNIÉ : C'est exact.

M. Jacky DARNE : Puis-je suggérer un exercice pratique ? Nous avons devant nous cinq présidents représentant les principaux tribunaux de commerce. Pouvez-vous nous indiquer quelle était votre activité antérieure ? Combien de temps passez-vous dans votre fonction de président ? Comment êtes-vous rémunérés ? Qu'est-ce qui vous a motivé pour devenir juges consulaires ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Je suis exploitant de parcs de stationnement. Je continue mon activité professionnelle. Mes comptes sont publiés au greffe du tribunal de commerce de Paris.

M. le Président : Quelle est la forme et la taille de votre entreprise ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Il s'agit d'une société anonyme. Cette société existe depuis 1981. Quand on est candidat, les campagnes électorales sont des campagnes difficiles, en tout cas à Paris. Toutes ces questions sont examinées clairement par l'ensemble de nos collègues.

J'exploite donc mon entreprise et j'y passe à peu près 20 à 30 % de mon temps en ce moment. Voilà la situation d'un Parisien.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Vous passez 20 % de votre temps dans votre entreprise ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Oui. Mon entreprise a environ une dizaine de cadres supérieurs ou de cadres dirigeants.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je dirige un cabinet de courtage d'assurances qui existe depuis 1926. C'est un cabinet familial. C'est une société à responsabilité limitée. Ses comptes sont également publiés et je consacre la moitié de mon temps à mon activité professionnelle et l'autre moitié à mes activités consulaires.

M. Pierre FOURNIÉ : Je suis dirigeant d'une société d'imprimerie qui emploie cinquante personnes et qui existe depuis 1878. C'est une société anonyme, qui dépose évidemment ses comptes sociaux. J'occupe la fonction de juge consulaire depuis une quinzaine d'années, et celle de président de la juridiction de Toulouse depuis six ans.

Je voudrais répondre à la question qui a été posée parce qu'elle est intéressante. Comment devient-on juge consulaire ? La plupart du temps, c'est la communauté économique qui remarque en vous un certain nombre de qualités ou de potentialités pour devenir un bon juge consulaire. Parfois d'ailleurs, la communauté économique se trompe et au bout du premier mandat, qui dure deux ans, il apparaît qu'on n'est pas fait pour cela et il est mis un terme à la carrière consulaire assez rapidement. On est en principe pressenti sur des qualités, une connaissance ou une compétence qui est, au départ, une compétence essentiellement économique.

M. Jacky DARNE : Vous aviez exercé des fonctions syndicales ou patronales auparavant ?

M. Pierre FOURNIÉ : Oui, cela m'est arrivé dans une fédération professionnelle.

M. Jacky DARNE : C'est un des éléments qui a pu jouer dans la connaissance que vos pairs avaient de vous.

M. Pierre FOURNIÉ : Oui, c'est une façon d'être apprécié par la communauté économique. On rentre dans la fonction consulaire en qualité de commerçant et on devient progressivement magistrat.

Après quinze ans de parcours et six ans de présidence, je peux en parler en connaissance de cause. Je terminerai mes fonctions à la fin de l'année judiciaire 1998. Je suis donc à l'heure de la réflexion et des bilans.

Je dois reconnaître que ma fonction de magistrat a progressivement pris le pas sur ma fonction économique. Aujourd'hui, dans mes décisions, dans mes choix, dans mon comportement de façon très générale, c'est plutôt ma qualité de magistrat que celle de chef d'entreprise qui me guide.

La fonction de magistrat consulaire permet à l'individu de bénéficier de ce que j'appelle une élévation. On rentre en qualité de commerçant, d'industriel, etc., avec le souci d'apporter du temps aux autres, puisque c'est une fonction bénévole.

Il ne faut pas culpabiliser le bénévolat. Si on peut apporter ses compétences aux autres, en retour on peut en tirer une connaissance et une pratique du droit approfondies, ce qui constitue une source intarissable d'intérêt. Après quinze ou vingt ans de pratique du droit, on découvre toujours des choses, parce que la législation évolue. Il y a une remise en cause permanente.

La fonction de magistrat prend le dessus et on la quitte - c'est une fonction à temps partiel, puisqu'on ne l'exerce qu'une partie de sa vie - en étant un autre homme, façonné par le devoir de juger.

Il faut que vous soyez conscients que parmi les juges consulaires, qui sont des juges volontaires, il n'y a pas de juges blasés. Ce sont des hommes et des femmes qui sont absolument passionnés par la justice, qui s'impliquent en totalité dans l'oeuvre de justice et ils ont l'immense avantage, par rapport à nos collègues professionnels et néanmoins amis, de ne pas avoir de carrière à développer ou à protéger. Nous avons donc une liberté totale.

Si l'oeuvre de justice à laquelle nous participons ne correspond plus à notre goût ou à nos aspirations, si l'on est en désaccord avec l'oeuvre de justice, l'on peut partir immédiatement.

L'idéal de justice - c'est une expression qu'on entend souvent chez les magistrats - est très fort puisqu'il correspond à un engagement volontaire au service des autres, au service de la collectivité publique, avec cette possibilité d'y mettre un terme lorsque cela ne nous convient plus.

M. le Président : Quels sont vos liens avec les chambres de commerce ? À certains endroits, le président du tribunal est en même temps vice-président de la chambre de commerce. Dans toutes les grandes juridictions c'est exclu. Qu'en pensez-vous ?

M. Jacques DUCLOS : Vous venez de le dire, c'est exclu.

M. le Président : Je crois qu'il est utile que ce soit dit car ce n'est pas toujours ce qui se passe dans la pratique.

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous confondez peut-être unions patronales et chambres de commerce ?

M. le Président : Non, je parle bien des chambres de commerce. Dans les petits départements, c'est assez fréquent.

M. Jacques DUCLOS : Pas du tout.

Je suis président du tribunal de commerce de Rouen. Je suis dans la magistrature consulaire depuis une quinzaine d'années. J'y suis arrivé avec la même démarche que celle que vient d'évoquer Pierre Fournié et je ne réitérerai pas ses propos.

J'étais cadre supérieur dans une société spécialisée dans la représentation en armement maritime et dans la commission de transport international.

Je suis à la retraite depuis quelques années. Je n'ai pas pu faire coïncider la charge de travail de dirigeant d'entreprise et de président de tribunal. Je n'ai été président que le jour où j'ai pu arrêter mon activité professionnelle, en raison du temps que cela représente.

Actuellement, et parce que je n'exerce plus de profession, mon temps de présence au tribunal est de l'ordre de quatre jours par semaine. C'est pour moi un deuxième métier.

Il est bien évident qu'au début de mon activité, quand j'étais simple juge et que je siégeais au contentieux, mon temps était partagé différemment. 20 % au tribunal et 80 % dans mon entreprise, jusqu'au jour où, progressant et arrivant au terme de ma vie professionnelle, j'ai pu davantage me consacrer à la juridiction consulaire.

M. Jean-Marie FÉKÉTÉ : J'ai fait toute ma carrière professionnelle dans l'industrie pharmaceutique. J'ai terminé comme directeur de l'ensemble des services commerciaux chez Roussel-Uclaf en 1982.

M. le Président : Vous étiez donc cadre ?

M. Jean-Marie FÉKÉTÉ : J'étais cadre. J'ai été amené à quitter la société à l'âge de cinquante-huit ans, au moment où on a rajeuni les cadres.

J'ai été élu et j'ai pris mes fonctions au tribunal de commerce de Paris en janvier 1983, ayant cessé toute activité professionnelle.

Je l'ai fait pendant douze ans, gravissant les échelons traditionnels du tribunal de commerce jusqu'à la présidence de chambre, en assurant également pendant six ans des audiences de référés.

Par ailleurs, j'ai été le président de l'AFFIC - l'Association pour favoriser le fonctionnement de l'institution consulaire - qui organise des forums tous les ans.

M. René DOSIERE : Je voulais vous interroger sur le statut des juges. J'ai beaucoup apprécié ce que vous avez dit sur le bénévolat. Avant d'être parlementaire, j'ai été élu local, et donc théoriquement bénévole, et nous sommes tout à fait en accord sur ce point.

Cela dit, la charge de travail étant telle et l'activité étant bénévole, n'avez-vous pas le sentiment qu'on risque d'aboutir à une sélection limitant les postulants à ceux dont l'entreprise leur permet d'avoir suffisamment de disponibilité, cette sélection se faisant non pas par l'argent, comme pour des élus, mais par nature d'entreprise et par capacité ?

Ne pensez-vous pas que la charge de travail qui est la vôtre actuellement, et qui peut évoluer, nécessiterait une évolution de statut ?

M. Jean-Paul CHARIÉ : J'aimerais pour ma part aborder la question de la suspicion qui pèse sur les greffiers au sujet du financement d'Infogreffe. Est-il normal ou pas que les greffiers bénéficient de telles marges sur ce service Minitel ?

Par ailleurs, vous connaissez les critiques qui ont été énoncées sur les rémunérations des mandataires de justice.

Qu'avez-vous à dire sur ces deux professions, d'une part les greffiers, d'autre part les et mandataires de justice ?

Monsieur le président Nougein, vous avez dit tout à l'heure que la présence du parquet, que vous souhaitez, justifierait le regroupement des tribunaux de commerce. Je ne comprends pas pourquoi cela le justifierait. Le nombre de dossiers ne change pas. Je suis personnellement très attaché au bon fonctionnement des tribunaux de commerce. Toutefois, au titre de l'aménagement du territoire et en raison de l'intérêt que présente la proximité de la justice, je tiens à ce qu'on n'aille pas trop loin dans le regroupement des tribunaux. Il faut également que vous nous indiquiez clairement quelles sont vos propositions sur la carte judiciaire.

M. Arthur DEHAINE : Je regardais la liste des 227 juridictions consulaires. On ne va pas citer d'exemple, mais il y a quand même des villes où je me demande comment le tissu commercial, industriel, peut arriver à faire fonctionner un tribunal de commerce autrement qu'en puisant dans un vivier très réduit.

M. Mattei décrit une situation extraordinaire, celle de Paris, où les candidatures affluent, où il y a une sélection. La situation que vous nous avez décrite pour des grandes villes ne correspond pas à celle qui, dans un certain nombre de petites villes, me paraît beaucoup plus difficile et plus problématique. J'aimerais avoir votre avis de « grands » sur les « petits ».

M. Jacques GODFRAIN : Cela n'étonnera personne que je ne partage pas du tout cette opinion sur la carte judiciaire.

M. le Président : Il faut qu'on aborde la question de front. Contrairement à ce que vous pouvez croire, nous serons d'accord sur de nombreuses réformes, mais jamais sur celle de la carte. C'est un exercice très difficile. Seul Raymond Poincaré a essayé de le faire.

À mon avis, la carte gèle une situation presque préhistorique. Les tribunaux de grande instance gèlent déjà une situation historique, qui est en partie dépassée. Si on avait à reconstruire entièrement la carte judiciaire, je crois qu'on ne créerait pas nombre de petits tribunaux qui existent aujourd'hui. Entre l'Île Rousse et Paris, il y a une différence de nature.

M. Jacques GODFRAIN : Prenons l'exemple précis de Saint-Affrique : le problème posé aux citoyens est la proximité. C'est un élément de la crédibilité.

La connaissance des dossiers par ses pairs est bien souvent la réponse à cette notion de confiance que j'évoquais tout à l'heure. C'est un mot qui est en train de disparaître dans notre société pour beaucoup de professions. Tant que le mot « confiance » est attaché au fonctionnement de ces tribunaux, leur pérennité est assurée. Le jour où la distance et l'éloignement font que la confiance ne peut pas exister, l'activité commerciale et industrielle du pays sera mise à mal. Ce n'est donc pas la taille qui est un inconvénient.

M. Pierre FOURNIÉ : On ne va pas traiter le problème de la carte. On vous donnera simplement notre opinion.

Quand on parle de proximité, deux notions se heurtent : vous avez développé la proximité géographique.

Et dans le cadre de l'aménagement du territoire, on peut très bien comprendre que le justiciable puisse avoir un accès matériel relativement aisé aux services de l'État, dont le service de la justice.

Je vous ai dit tout à l'heure qu'une des règles fondamentales qui s'impose à tout magistrat est l'indépendance et l'impartialité. Or, dans le cadre d'une proximité économique, ces règles d'indépendance et d'impartialité représentent une exigence plus grande. Autrement dit, la proximité économique est un inconvénient qui vient contrebalancer la proximité géographique.

M. Gilbert MITTERRAND : Dans le prolongement de cette discussion, la spécialisation ne peut-elle pas être une solution ? Il y a des contentieux spécifiques. À Rouen, s'il y a un contentieux viticole, ce n'est pas ce qui est le mieux appréhendé.

M. Jacky DARNE : Je voudrais avoir votre point de vue sur ce qui me semble être le plus gros dysfonctionnement des tribunaux de commerce, à savoir la longueur des procédures collectives.

J'aimerais que vous me disiez d'abord qu'elles en sont les causes principales et comment on peut y remédier. On en connaît évidemment un certain nombre et le sujet est vaste, puisqu'on peut évoquer les administrateurs, la surcharge des juges-commissaires...

Mais j'aimerais aussi que vous me disiez comment vous appréciez l'intervention des experts et les conséquences des différentes procédures d'appel.

Force est de constater, en tout cas, qu'il y a une attente des partenaires sociaux, parfois des tiers, qui espèrent une poursuite, une reprise, une solution, une décision rapide. Or, les décisions sont souvent reportées de semaine en semaine, les choses tardent, l'information circule mal et la procédure dure des années. Quels sont les principaux correctifs qu'on pourrait apporter à cette lenteur ?

Il ne s'agit pas pour nous de réécrire la loi ou les textes sur le redressement des entreprises, même si ce serait nécessaire sur un certain nombre de questions, mais d'essayer de séparer les facteurs, et de voir quels sont les facteurs institutionnels relevant de votre organisation interne susceptibles d'être améliorés.

M. le Président : Peut-être pourriez-vous commencer à répondre en abordant le problème du financement des tribunaux de commerce.

On nous a indiqué comment était financé le tribunal de Paris. Vous pourriez nous donner votre position sur les fonds de concours. J'imagine qu'il n'y a pas de différence entre Paris et le reste de la France.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Il n'y a effectivement pas de différence. Nous souhaitons en tout cas que ce problème du financement des tribunaux de commerce, qui a fait l'objet d'observations parfaitement justifiées de la Cour des comptes, mais qui tient à l'insuffisance des crédits alloués par l'État, soit définitivement réglé.

Cette question est parfaitement irritante pour nos collègues, dont jamais personne n'a dit, ni démontré, peut-être à une exception près, qu'ils avaient détourné des fonds destinés à assurer le fonctionnement du tribunal.

Soit le budget de l'État a la capacité d'assumer la charge du fonctionnement des juridictions commerciales soit, comme nous l'avons suggéré, on crée une taxe parafiscale, en augmentant le coût de chaque décision de cinquante ou de cent francs, ce qui pour les justiciables est parfaitement indolore et donnerait à la justice consulaire les moyens de fonctionner.

Il n'est pas satisfaisant que nous soyons obligés, pour tel ou tel achat parfaitement légitime, de faire appel à des subventions diverses.

M. le Président : Nous sommes tous d'accord pour considérer que la crédibilité de l'institution repose aussi sur ses modes de financement.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Tout à fait.

M. le Président : C'est vrai notamment pour les financements assurés par les chambres de commerce, les avocats, et les mandataires.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Ce n'est pas sain.

M. Jean-Pierre MATTEI : Nous pensons tous que le financement par l'État et/ou la parafiscalité est la seule solution.

M. le Président : Ne nous attardons pas sur ce point, c'est du passé, espérons-le. Il y avait une question sur les greffes.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Nous avons le sentiment que le système de rémunération des greffiers et les difficultés qu'ils pensent éprouver en ce moment en raison des intentions affichées par la Chancellerie de réduire le tarif d'Infogreffe résultent d'un malentendu entre eux. Ceux qui peuvent avoir à en souffrir sont les grands tribunaux et non pas les petits.

À notre sens, une situation très ambiguë s'est créée depuis une dizaine d'années entre la Chancellerie et les greffiers, mais on ne nous a jamais demandé notre avis. Les greffiers aident les tribunaux à fonctionner mais nous n'avons jamais été partie prenante à quelque négociation que ce soit concernant leur rémunération.

M. le Président : Est-il vrai que les greffiers exercent le pouvoir dans certains tribunaux de commerce ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Si c'est vrai, c'est regrettable. Nos collègues qui laisseraient s'exercer le pouvoir par les greffiers ne méritent pas la qualité de magistrat.

M. Jean-Marie FÉKÉTÉ : On vous renvoie au problème de la carte judiciaire.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : On ne peut pas être plus clair.

M. le Président : On dit que le greffier assure la continuité, qu'il est là de façon permanente, et que, dans la pratique, il joue un véritable rôle dans l'orientation des affaires.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Nous avons prêté serment. Vous posez des questions en forme de fausses interrogations. Il est évident que dans certains tribunaux de commerce, c'est le greffier qui fait marcher le tribunal.

Certains avocats nous disent qu'avant de plaider dans certains tribunaux, ils se renseignent pour savoir s'ils vont plaider devant les magistrats ou devant les greffiers.

Tout ceci n'est pas acceptable. Ceux de nos collègues qui laissent faire ne méritent pas la qualité de magistrat.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Cela concerne combien de tribunaux ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : On n'a jamais fait de recensement. C'est insignifiant, mais le fait que cela existe n'est pas acceptable en soi.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Je suis mille fois d'accord, mais ce n'est pas parce que certains parlementaires ne seraient pas bons qu'il faudrait remettre en cause tout le Parlement. Même si c'est inacceptable, il est important que nous sachions que cela ne concerne pas l'ensemble des tribunaux de commerce.

M. Pierre FOURNIÉ : Dans quels cas le pouvoir du greffier peut-il dépasser le pouvoir du juge ? Lorsque la compétence du greffier est supérieure à celle du juge !

Dans quel cas la compétence du juge n'est-elle pas satisfaisante ? Dans des juridictions où la qualité de l'individu n'est pas en cause, mais où c'est le manque de pratique qui ne lui permet pas d'accéder à une compétence juridique minimum. On revient au problème de la carte !

M. le Président : Cela tient également au fait que le juge n'est pas toujours en mesure d'assurer une permanence au tribunal.

M. Pierre FOURNIÉ : Parce que la matière n'est pas là. madame le garde des sceaux a évoqué, et ce n'était pas innocent, le cas d'une quarantaine de tribunaux de commerce en France qui traitent moins de cent affaires contentieuses par an. Cela représente deux procès par mois.

Je crois qu'un juge dévoué, travailleur, peut consacrer trente ans de sa vie à gérer deux procédures contentieuses par an, mais je ne sais pas à quel niveau juridique il arrivera !

M. le Président : C'est plus un problème de tribunaux que de greffes.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Pour en terminer avec les rémunérations des greffiers, je crois qu'il y a un très grand malentendu entre la Chancellerie et les greffiers.

Aujourd'hui, nous n'avons aucun moyen de vous dire si les réformes envisagées par la Chancellerie auront une incidence, et quelle sera cette incidence sur les greffiers. Tous autant que nous sommes, nous ignorons absolument les revenus de nos greffiers.

M. le Rapporteur : La commission se renseigne.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Nous n'avons pas les moyens d'obliger nos greffiers à nous en faire part. S'ils veulent nous donner l'information, ils le font, mais nous n'avons aucun moyen de les y obliger.

M. Jacques DUCLOS : Nous demandons simplement que chaque tribunal ait un bon greffe ; c'est important.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Trouvez-vous ou non que l'exploitation d'Infogreffe est source d'abus ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Nous sommes comme vous. Nous n'avons pas d'éléments d'appréciation. Au risque de choquer tout le monde, cela ne nous regarde pas.

M. le Président : Vous auriez pu donner votre avis.

M. Jean-Pierre MATTEI : Nous l'avons donné sur un autre aspect, celui de l'échange entre l'État - qui met des locaux à disposition du greffe - et les greffiers, qui devraient en contrepartie prendre en charge des personnels pour les tribunaux de commerce, les vingt-quatre grands.

Nous estimons cette situation malsaine, parce qu'elle crée une relation de dépendance vis-à-vis des greffiers. Nous nous y étions opposés, nous l'avons dit clairement à la Chancellerie. C'était il y a trois ans, à l'époque où M. Toubon était garde des sceaux.

La Chancellerie a fait valoir qu'elle n'avait pas les moyens financiers de trouver les personnels dont nous avions légitimement besoin pour travailler convenablement.

Par conséquent, la solution moyenne trouvée par la Chancellerie était de faire prendre en charge par les greffes du personnel placé au service du tribunal. Nous préférerions avoir des personnels de l'État, que le paiement de loyers au service des Domaines permettrait de financer. Les choses seraient claires.

Quant au fait que les greffes ont, ou pas, des moyens financiers extraordinaires ou insuffisants, nous ne le savons pas.

M. Pierre FOURNIÉ : Je voudrais ajouter une chose : les greffes sont à l'origine de la situation actuelle. La Chancellerie n'a fait qu'approuver le projet.

On pourrait développer longuement l'intérêt de pouvoir disposer d'informations chaînées de tous les greffes de France par voie télématique. C'est un progrès extraordinaire dont les présidents de tribunaux ou les juridictions tirent bénéfice, notamment dans le domaine de la prévention. Le problème réside dans l'absence de réglementation de cette activité. Dix ans après, on découvre que les greffes ont mis en place un outil performant et qu'ils en tirent un profit que certains estiment excessif. Ce n'est pas notre propos. On n'en sait rien. Cela dit, l'outil est excellent.

M. le Président : Nous espérons que cette commission d'enquête permettra au moins de clarifier ce point car c'est un de ses objectifs.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : La rémunération des mandataires est simple. Cette rémunération est inadaptée, elle ne l'a jamais été et il faut que cela change vite.

M. le Président : C'est ce que nous a dit le président Mattei.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : C'est une évidence. J'ajoute, cependant, que c'est un problème très difficile. J'ai cru comprendre que depuis des décennies les différents services de la Chancellerie et les différents gardes des sceaux essaient de résoudre ce problème sans y parvenir.

M. le Président : Cela a toujours échappé au Parlement.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : La rémunération est inadaptée. Il y a des anomalies. Les mandataires sous-traitent des travaux. J'ai été obligé à Lyon de bricoler une règle interne plus ou moins bien acceptée parce que je n'ai pas trouvé dans les textes le moyen de régler cette question qui est très irritante.

M. Jacques DUCLOS : On peut également parler des procédures impécunieuses qui sont gérées à perte par les mandataires ; ils récupèrent sur les procédures dans lesquelles les sommes en jeu sont importantes ce qu'ils n'ont pas pu prendre sur les autres, pour équilibrer leur budget. C'est parfaitement anormal.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Lors d'une précédente audition, les représentants du ministère de la justice nous ont indiqué les dispositions réglementaires actuelles précisant que, lorsqu'on fait appel à un sous-traitant, les frais correspondants doivent être imputés sur la rémunération du mandataire et non pas demandés aux créanciers.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je vous assure que c'est beaucoup moins clair que cela.

M. Pierre FOURNIÉ : Je voudrais ajouter un mot pour éclairer le débat : la loi, dans certains cas, met à la charge du mandataire telle opération pour laquelle il n'a pas la compétence technique. Il lui faut donc aller chercher une aide extérieure. Cela donne lieu à des débats infinis. Ce n'est pas simple à régler.

M. le Rapporteur : La commission s'est interrogée tout au long des auditions, notamment dans une discussion avec la personne chargée de l'inspection des mandataires à la Chancellerie, sur les raisons pour lesquelles il y avait une distribution inégale des mandats, certains mandataires étant systématiquement choisis.

Il semble d'ailleurs que le parquet de Paris s'interroge aussi sur le fait que ce sont toujours les mêmes mandataires qui sont désignés.

Je vous pose la question franchement parce qu'on ne peut pas se contenter de la réponse habituelle, qui consiste à dire que les mandats sont seulement accordés à des personnes de confiance.

On aimerait que vous nous donniez une réponse plus satisfaisante.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je vais vous répondre de la manière la plus satisfaisante possible. Les mandataires inscrits à la cour d'appel de Paris sont tous, sans aucune exception, désignés par le tribunal et dans une proportion équivalente, à peu de chose près.

Lorsque vous me dites que le parquet de Paris tient ce langage, je vous réponds que le parquet de Paris se trompe. Je vous donnerai donc les statistiques correspondantes. D'ailleurs, je dois vous dire que je les ai communiquées à M. Marin.

M. le Président : On n'a pas encore entendu M. Marin.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : À Lyon, nous avons un système de quota par mandataire, avec des tranches en fonction de l'importance des affaires, et nous faisons en sorte que, sur l'année 1997, l'équilibre soit respecté.

M. Jacques DUCLOS : Le même système est en usage à Rouen.

M. le Président : Vos tribunaux ont la chance d'avoir le choix.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : C'est bien pour cette raison que nous avons demandé que les mandataires judiciaires aient une compétence nationale, pour permettre à nos collègues d'échapper à l'obligation de saisir un seul mandataire.

M. le Président : Actuellement, dans une partie des juridictions, il n'y a pas le choix du mandataire. Si le mandataire a été condamné, c'est un mandataire condamné qui doit être désigné ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Non, parce que nous souhaitons qu'un mandataire condamné, ou même mis en examen, ne soit pas désigné. Il faut alors aller le chercher plus loin, ce qui pose un problème.

M. Pierre FOURNIÉ : Je surveille personnellement, par des états mensuels, la ventilation des désignations des mandataires. Nous observons un équilibre quantitatif dans la répartition des dossiers. Il n'y a pas de favoritisme.

Bien sûr, nous choisissons tel ou tel mandataire en fonction de la complexité de l'affaire, du domaine d'activité, etc., et on observe des différences de performances entre mandataires. C'est un fait.

Quantitativement, la répartition est uniforme. Qualitativement, on est amené à faire des choix en fonction de l'organisation du mandataire, de ses compétences, de ses aptitudes dans tel ou tel domaine. Je crois qu'il n'y a pas d'injustice criante dans ce domaine.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : En 1997, sur 1 700 procédures collectives ouvertes à Lyon, si je suis intervenu cinq fois dans un dossier pour choisir un mandataire en fonction de la particularité du dossier, c'est vraiment le maximum !

M. le Rapporteur : Il faudrait approfondir ce point avec vos contradicteurs.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : S'agissant de la longueur des procédures, tout dépend de la conception que l'on en a. Si on parle de la longueur de la procédure de redressement judiciaire avant qu'une solution économique soit apportée - je n'évoque pas la liquidation judiciaire parce qu'il n'y a pas de longueur dans le déroulement de la procédure -, elle est enfermée dans des délais légaux. Un redressement judiciaire dure deux fois six mois, pour les entreprises importantes, éventuellement une troisième fois six mois, sur requête du parquet.

En toute hypothèse, dans le cas normal, une procédure ne peut pas durer plus de douze mois.

Pour être tout à fait clair, je considère que cet allongement des délais, qui n'était pas prévu par la loi de 1985 mais qui a été voulue par le législateur, est une mauvaise chose.

Je l'ai écrit. Je considère que les procédures de redressement judiciaire doivent se dérouler rapidement, car soit les solutions se trouvent rapidement soit elles ne se trouvent pas, sauf dans des cas très exceptionnels d'entreprises particulièrement importantes.

Je ne crois pas qu'il y ait de la part des magistrats consulaires une volonté de faire durer les procédures. Qu'il y ait une tentation de la part de certains acteurs de la procédure, mandataires ou administrateurs, de ne pas aller trop vite dans certains cas, de faire tourner les compteurs, c'est possible, mais c'est vraiment rarissime.

Il est en tout cas de la responsabilité des juridictions d'être vigilantes et de faire en sorte que ces périodes d'observation soient les plus courtes possible.

Encore faut-il que le souci de rapidité ne se traduise pas par de la précipitation et empêche de trouver la bonne solution.

S'il s'agit par contre de la durée des procédures en cas de liquidation judiciaire ou après adoption du plan pour clôture de la procédure, il peut s'écouler des dizaines d'années avant que les actifs soient répartis. C'est un problème extrêmement irritant pour lequel les juridictions commerciales et les mandataires sont critiqués. Ce problème relève du législateur.

Si le mandataire fait bien son travail, pourquoi un dossier dure-t-il dix ans ? Parce que dans un dossier, alors que toutes les créances sont vérifiées, alors que tout peut être distribué, s'il y a quelque chose à distribuer, il y a, par exemple, une procédure prud'homale qui se trouve pour la deuxième ou la troisième fois à la Cour de cassation.

Dieu sait si nous sommes objectivement critiques sur le comportement des mandataires, mais en l'espèce nous ne pouvons rien leur reprocher.

Dans l'état actuel de la législation, un mandataire-liquidateur ne peut pas clore sa procédure et distribuer un centime tant qu'il n'a pas la solution du procès qui peut durer dix ans parce qu'il y a eu de multiples appels et que l'affaire attend la décision de la Cour de cassation.

Il conviendrait d'autoriser les mandataires, sous certaines conditions, à verser des acomptes, à provisionner la créance, en quelque sorte. Aujourd'hui c'est impossible. Ils ne peuvent pas le faire. Mais cela ne me choquerait pas du tout qu'on leur donne l'autorisation de geler le double de la somme en jeu, pour éviter toutes difficultés. La plupart du temps, mis à part le cas du mandataire qui ne fait pas son travail et qui est critiquable, voire condamnable, ce sont des problèmes procéduraux qui empêchent ces clôtures rapides.

M. Jacques DUCLOS : Je confirme ce que vient de dire mon collègue. En matière de délai, il faut savoir qu'en additionnant les délais minimum imposés par la loi dans le déroulement de la procédure, c'est-à-dire le temps de parution au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC), le temps de production au passif, le temps de formuler des propositions et que les créanciers répondent, on arrive déjà à sept mois !

Il faut aussi faire une différence entre la société qui s'oriente vers une cession et celle qui s'oriente vers une continuation.

Il est bien évident que dans le cadre d'une continuation, il faut laisser le temps à l'entreprise de faire la démonstration qu'elle peut, en se réorganisant, dégager une capacité de remboursement compatible avec le plan qui va être proposé. Il y a donc tout un ensemble de raisons objectives à la durée des procédures.

En matière de cession, le problème est différent, et à partir du moment où il apparaît que c'est la seule voie, rien n'empêche effectivement que les procédures évoluent beaucoup plus rapidement. Cela se fait quelquefois dans les semaines qui suivent ou dans les quelques mois qui suivent la déclaration de cessation des paiements.

M. Jacky DARNE : Vous avez parlé du plan : que pensez-vous des commissaires au plan ? Comment les désignez-vous et que pensez-vous de leur efficacité ?

M. Jacques DUCLOS : En ce qui concerne mon tribunal, pour permettre le suivi des plans de continuation - ce sont ceux-là qui durent dans le temps -, on enferme d'abord le débiteur dans un versement de mensualités, même si les dividendes sont distribués en annuités.

Dans le jugement d'homologation du plan, on oblige l'entreprise à donner ses comptes tous les six mois pour montrer que sa situation est bonne, et ses comptes sont certifiés par l'expert-comptable.

Autrement dit, on prend des mesures pour cadrer l'action du commissaire au plan en lui donnant des outils qui lui permettent de faire un contrôle efficace. Le commissaire à l'exécution du plan est en général l'administrateur qui a suivi la procédure et qui en a la meilleure connaissance.

M. Jacky DARNE : C'est vrai dans la quasi-totalité des cas ?

M. Jacques DUCLOS : Oui, c'est la très grande majorité des cas.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Pour ma part, je considère que la manière dont sont exécutés les mandats de commissaire à l'exécution du plan est parfaitement insatisfaisante.

M. Jacky DARNE : Ce sont des professions qui ne sont pas contrôlées ?

M. Jacques DUCLOS : Cela veut dire simplement que les tribunaux ont été obligés de prendre des dispositions que la loi ne leur imposait pas pour pouvoir contrôler les commissaires à l'exécution du plan.

M. Pierre FOURNIÉ : Je voulais préciser que la fonction de commissaire à l'exécution du plan est une fonction qui est soumise à certaines obligations par les textes de loi, avec tous les moyens de contrôle nécessaires. La rémunération de cette fonction est prévue par les textes et elle ne peut être attribuée qu'à des mandataires de justice.

M. Jacky DARNE : Elle ne fait pas l'objet de contrôle par le garde des sceaux, comme celle d'administrateur judiciaire ou de liquidateur de société. Le commissariat au plan est hors du champ.

M. Pierre FOURNIÉ : Je n'ai pas en mémoire une disposition qui nous permette de désigner un commissaire à l'exécution du plan qui ne soit pas mandataire de justice. Ce n'est jamais arrivé. En tout cas, je le découvre.

M. Jean-Pierre MATTEI : Légalement, je crois qu'il est possible de désigner un commissaire à l'exécution du plan qui ne soit pas un administrateur judiciaire.

M. Jacky DARNE : C'est celui qui a apporté les solutions les meilleures.

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous avez trouvé le mot juste, le commissaire à l'exécution du plan est celui qui a apporté la solution. C'est effectivement celui qui est choisi par le tribunal. Je ne connais pas un exemple où il y ait eu un commissaire à l'exécution du plan qui n'ait pas été un administrateur ou un représentant des créanciers.

M. le Président : Je voulais vous demander votre avis sur la présence du parquet. Depuis 1970, il est censé être présent devant les tribunaux de commerce, et permettre à l'institution d'évoluer de l'intérieur. Quel bilan faites-vous de la présence du parquet ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : À Lyon, le parquet financier a été créé il y a très longtemps. Je considère que la situation de Lyon est quasi idéale compte tenu de la qualité des relations qui existent depuis toujours, quels qu'aient été les procureurs et les responsables du parquet financier, tant pour l'étroitesse des échanges, la confiance réciproque, que l'assistance très suivie des magistrats du parquet à nos audiences.

M. le Président : Ils viennent à toutes les audiences ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Oui, sauf en période de vacances. En dehors de ces périodes, ils viennent à toutes les audiences d'ouverture de procédure et d'adoption de plan.

Si vous voulez voir un tribunal dans lequel les relations avec le parquet sont efficientes, efficaces, confiantes, chacun restant dans son rôle - il est arrivé que le parquet prenne des réquisitions et que nous prenions des décisions contraires à ces réquisitions - il faut venir à Lyon. Mais il n'y a pas que Lyon, bien sûr.

M. le Président : Les premières auditions que nous avons faites, nous ont permis de constater l'existence de deux écoles : l'école lyonnaise, avec un parquet plutôt pénal, et l'école parisienne, avec un parquet qui est presque un organe du tribunal de commerce.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Le parquet de Lyon est extrêmement économique.

M. Jean-Pierre MATTEI : Paris connaît une difficulté, vous le savez : alors que la juridiction rend un nombre de décisions beaucoup plus important, il y a simplement deux substituts régulièrement présents au tribunal.

Ils sont au sein du tribunal de commerce. C'est à Paris que cela s'est fait pour la première fois. L'histoire est là. La relation est d'excellente qualité.

Comme le rappelait mon collègue Nougein, il peut y avoir des divergences et il faut trouver un équilibre.

Il peut y avoir aussi des relations différentes selon le substitut ou le procureur mais cela n'a aucune importance. Cependant, deux substituts sur Paris, c'est insuffisant.

M. Jacques DUCLOS : Je parle un peu pour la province, et je peux vous dire que le parquet est particulièrement présent lorsque la ville comporte un TGI. À partir du moment où il n'y a pas de TGI, le parquet ne dispose pas des moyens de se déplacer.

Il y a trois TGI en Seine-Maritime, un à Dieppe, un au Havre et un à Rouen. Les parquets sont présents dans ces trois tribunaux. Malheureusement, il y a au total neuf tribunaux de commerce en Seine-Maritime, et ils ne viennent pas dans les autres.

M. Pierre FOURNIÉ : Le parquet est présent à la quasi-totalité de nos audiences.

M. le Président : S'agit-il d'audiences de procédure collective ou de toutes les audiences ?

M. Pierre FOURNIÉ : En matière de procédure contentieuse, c'est exceptionnel. Le parquet est présent pour des affaires sensibles, pour des affaires de référés ou de contentieux général et requiert en tant que partie de droit.

Je voudrais faire trois observations.

Premièrement, la présence des parquets dans les tribunaux de commerce est souhaitée de façon non équivoque par toutes les juridictions.

Deuxièmement, la présence des parquets est effective en fonction de l'intérêt qu'un procureur de la République porte aux affaires financières et des moyens dont il dispose, en effectifs notamment. Globalement, ces moyens sont insuffisants. Nous le regrettons et nous plaidons la cause des parquets.

Troisièmement, cette forme d'échevinage, par la présence des parquets auprès des tribunaux, donne d'excellents résultats. Nous travaillons depuis des années dans le cadre des procédures collectives avec les parquets financiers. La qualité des relations est excellente. Cette relation quotidienne fait disparaître les différences liées à l'appartenance au corps consulaire ou au corps professionnel.

Lorsqu'un magistrat du parquet a passé un certain nombre d'années auprès d'un tribunal de commerce, il devient le grand défenseur des tribunaux de commerce.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Pensez-vous que l'augmentation des appels puisse s'expliquer par le souci de gagner de la trésorerie ?

M. Jacques DUCLOS : Il y a l'exécution provisoire.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Souvent, nous réclamons effectivement l'exécution provisoire de nos décisions.

M. Jacques DUCLOS : Dans beaucoup de cas, l'exécution provisoire est la règle.

M. Pierre FOURNIÉ : Les délais nécessaires pour évacuer une affaire en cour d'appel sont très dissuasifs. Je ne pense pas que ce soit une technique utilisée pour retarder une obligation.

M. Gilbert MITTERRAND : Il serait bon d'acter l'accord qui semblait se dégager sur la spécialisation des contentieux.

M. Jean-Pierre MATTEI : D'une façon générale, la spécialisation est une excellente chose.

M. le Président : J'aimerais que vous reveniez à la carte judiciaire.

M. Jean-Pierre MATTEI : Ce domaine est extrêmement délicat. Je crois qu'il y a un point sur lequel nous sommes d'accord.

M. le Président : Cette question a des incidences sur le rôle des parquets, la distance, le vivier d'électeurs, les risques de connivence, la spécialisation qu'on peut avoir.

M. Jean-Pierre MATTEI : Il y a a priori un point sur lequel se dégage un certain consensus. À la suite de ces fameux états généraux que nous avons lancés depuis dix-huit mois pour les tribunaux de commerce, on peut regrouper des tribunaux qui sont d'accord pour organiser des audiences foraines.

Mais on peut se heurter à des problèmes divers, c'est assez compliqué à gérer et j'imagine la difficulté que vous rencontrerez...

Je crois néanmoins qu'il faut avoir le courage de regrouper certains tribunaux qui rendent peu de décisions, comme l'a rappelé mon collègue Pierre Fournié ; il serait souhaitable de les regrouper, tout en ayant des audiences foraines. C'est possible et je crois que cela fonctionne bien. C'est une première solution. Quarante-deux tribunaux de commerce ont déjà été identifiés d'une façon assez claire et pourraient faire l'objet de ce regroupement.

Quant au reste, les analyses sont faites en fonction de l'évolution des bassins économiques. Vous avez parlé tout à l'heure des tribunaux spécialisés, chacun comprendra que dans le département de mon collègue, le président Duclos, le tribunal de commerce du Havre se justifie, bien qu'il soit très proche de Rouen. Il est spécialisé en droit maritime et il a toute son utilité. On ne comprendrait pas la suppression de ce tribunal. On peut éventuellement s'interroger sur celui de Dieppe. Sur Saint-Valéry en Caux, je ne sais pas. Il faut se poser la question.

En d'autres termes, je ne crois pas qu'il faille distinguer la carte judiciaire consulaire de la carte des tribunaux en général. Pourquoi ? Cela a été rappelé à l'instant : du fait de la nécessité de la présence des parquets et du rapprochement des juridictions, ne serait-ce que pour ces fameux échanges de compétences. Si vous devez modifier la carte judiciaire consulaire, je crois qu'il faut la concevoir globalement, avec l'ensemble de la carte judiciaire française.

Je voudrais revenir sur un point qui mérite d'être souligné. En 1973, M. Taittinger, garde des sceaux, avait demandé un rapport à M. Monguilan, président de la chambre commerciale de la Cour de cassation. Nous vous l'avons transmis. Nous l'avons redécouvert lorsque nous avons été élus aux responsabilités nationales et nous nous sommes aperçus que vingt-cinq ans plus tard, bien des questions que vous nous avez posées avaient été étudiées par la commission Monguilan.

M. le Président : Les réponses n'avaient pas toutes été apportées. L'approche est différente, ce qui prouve que, sous notre Constitution, le Parlement ne peut pas tellement faire des propositions de loi mais peut faire des commissions d'enquête. C'est une façon de mettre les problèmes en débat. L'Assemblée n'a, par exemple, jamais étudié le tarif des auxiliaires de justice, alors que c'est un problème tout à fait central.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Si nous ne trouvons pas de solution au problème de la carte, nous ne résoudrons pas grand-chose. Qu'il s'agisse des problèmes de formation, de recrutement, tout passe par un remodelage de la carte.

M. Jean-Marie FÉKÉTÉ : Pour répondre précisément à la question posée par monsieur le député Mitterrand, je voudrais évoquer le problème de la spécialisation : il y a en France dix TGI compétents en matière de brevets et de marques.

De même, un certain nombre de tribunaux de commerce pourraient être spécialisés dans certains domaines pointus, indépendamment des procédures collectives.

L'opinion publique est très critique à notre égard à propos des procédures collectives. Personnellement, je n'ai jamais lu de critiques portant sur le contentieux. Il n'empêche qu'il y a des contentieux difficiles qui ne peuvent pas être traités partout.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Autant que je sache, la spécialisation figure dans la loi de 1985. Le principe prévu par la loi de 1985 est de réserver à certaines juridictions la connaissance des procédures collectives.

M. Jacques DUCLOS : Je voulais aussi insister sur l'importance croissante que les tribunaux apportent à la prévention.

M. le Président : On a demandé au président Mattei une note sur l'expérience parisienne. On est preneur de notes sur l'expérience de toutes les grandes juridictions. Il nous a été précisé que c'était précisément dans le domaine des PME/PMI que la prévention jouait son rôle. Il faut presque faire de la prévention in utero, comme on l'a dit tout à l'heure.

M. Jacques DUCLOS : Il existe déjà une forme de prévention in utero.

M. Jean-Pierre MATTEI : On ne peut pas dire que les 227 tribunaux peuvent faire de la prévention. Mais la plupart d'entre eux ont créé des cellules et c'est assez spécifique aux tribunaux de commerce.

M. le Président : Il y en a une par département ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Beaucoup plus que cela. Nous sommes chacun président de région. Sur la quatorzième région consulaire, les deux tiers des tribunaux de commerce font de la prévention, d'Auxerre à Sarreguemines. 161 tribunaux sur 227 font effectivement de la prévention.

C'est un élément de réponse à la question posée sur la différence entre un tribunal de commerce et un tribunal de grande instance. La prévention est très caractéristique des tribunaux de commerce.

Je crois vraiment que ces derniers ont cette vocation dans leur nature et dans leur âme, et savent traiter ces problèmes ; ils ont d'ailleurs créé la prévention de façon parfaitement prétorienne. Cela mérite d'être souligné.

Nos collègues de la quinzième région consulaire, la région échevinée, ont maintenant développé la prévention. Nous travaillons en parfaite harmonie avec eux, et si vous recevez le président de la quinzième région consulaire, vous verrez le travail réalisé dans le domaine de la prévention.

Le président de la chambre commerciale de Mulhouse lui a demandé de mettre en place des cellules de prévention.

M. le Président : Une grande partie des critiques qui sont faites à l'institution concernent les procédures collectives.

S'agissant du recrutement des magistrats, il y a manifestement des améliorations à apporter. Il est vraisemblable qu'on ne sera pas tous d'accord sur les solutions proposées, mais l'une des pistes pourrait porter sur l'ouverture des modalités de recrutement, géographiquement, socialement, etc.

En ce qui concerne les cadres, quel est le critère leur permettant d'être juges consulaires ?

M. Jean-Marie FÉKÉTÉ : La loi n° 87-550 du 16 juillet 1987 relative aux juridictions commerciales a défini le statut des tribunaux de commerce. J'observe d'ailleurs qu'il n'y avait pas eu de loi sur les tribunaux de commerce depuis 1790. En 1987, à l'unanimité, le Parlement a voté cette loi qui prévoit expressément que, pour être éligible, un cadre doit avoir exercé pendant au moins cinq ans des fonctions de direction, à défaut d'être inscrit comme mandataire social au registre du commerce.

M. le Président : On pourrait imaginer d'ouvrir les juridictions consulaires à d'autres cadres.

M. Jean-Pierre MATTEI : Nous avons souhaité que les agriculteurs qui sont naturellement des producteurs et des hommes de l'entreprise soient également justiciables de la juridiction commerciale et consulaire. Les fédérations départementales de l'agriculture avec lesquelles nous discutons y seraient assez favorables. Je tenais à ce que la commission le sache.

M. le Président : Faut-il intégrer les artisans ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Par la force des choses, nous vous l'avons dit, cela va de soi.

M. Jacky DARNE : Si on attribuait la compétence en matière de procédure collective concernant les associations régies par la loi de 1901 aux tribunaux de commerce, sous quelle forme envisageriez-vous la participation du monde associatif, leur sensibilité étant quand même un peu éloignée de la sensibilité commerciale ?

M. Pierre FOURNIÉ : Il faut distinguer deux cas de figure : lorsqu'une association fait des actes de commerce, ce qui arrive parfois, nous sommes compétents et nous traitons l'affaire ; s'il s'agit d'associations à but vraiment associatif, je crois qu'il faut que cela reste de la compétence du tribunal de grande instance.

M. Jean-Pierre MATTEI : Il y a des associations dont l'activité est très importante, les mutuelles par exemple.

Est-ce que les mutuelles doivent relever de la compétence des tribunaux de grande instance ? Objectivement, oui. On sait très bien qu'elles font des actes de commerce en permanence. Je pense donc que cette compétence devrait nous revenir.

Si nous pouvions décharger nos collègues professionnels de ces questions, je pense qu'ils n'y verraient pas d'inconvénient. Je prends l'exemple du tribunal de grande instance, où il y n'a que trois juges-commissaires, ce qui est insuffisant.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Il y a quand même quelques associations qui ne sont pas obligées de déposer leurs comptes.

M. Jean-Pierre MATTEI : C'est exact.

M. Jean-Paul CHARIÉ : En ce qui me concerne et au nom du groupe que je représente, je voudrais dire combien, à travers vos propos, j'ai personnellement senti que c'est parce que les juges consulaires sont issus du monde de l'entreprise qu'ils développent la prévention, parce qu'il est important que les règles de concurrence et de bonne gestion soient respectées dans l'intérêt du bon fonctionnement de l'économie de marché. Ils ont un intérêt direct au bon fonctionnement de l'entreprise.

M. Jacky DARNE : Pourrait-on avoir une appréciation, des données statistiques sur le nombre de cas dans lesquels vous engagez des actions en comblement de passif, vous prononcez la déchéance commerciale, ou la faillite ?

Estimez-vous que ces procédures, qui sont donc des sanctions pour défaut de gestion, sont utilisées avec suffisamment de fréquence par les tribunaux de commerce, ou au contraire, les dirigeants d'entreprise sont-ils, par solidarité, réticents à les appliquer ?

La question se pose notamment à propos des banques. La recherche de responsabilité n'est-elle pas parfois insuffisante, lorsque des crédits sont accordés de façon un peu généreuse ?

M. Pierre FOURNIÉ : Puis-je me permettre de vous répondre sous la forme d'une boutade ? Pourquoi ne nous reprocherait-on pas de ne pas suffisamment rechercher la responsabilité de l'État lorsqu'en tant que créancier d'un certain nombre d'entreprises, il laisse perdurer un état de cessation de paiements pendant des années et des années parce que les « agios sociaux » sont importants ?

Dès lors que la responsabilité d'un entrepreneur, quel qu'il soit, peut être mise en cause dans le déroulement d'une procédure, le tribunal doit poursuivre le dirigeant, soit sur demande du juge-commissaire, soit sur demande du parquet.

Pourquoi ? Parce que l'intérêt économique implique l'élimination des brebis galeuses. Il faut absolument retirer du circuit les gens nuisibles. Nous n'avons donc aucune retenue sur ce sujet.

M. Jacques DUCLOS : Je peux vous donner le pourcentage de mon tribunal : 20 % des procédures collectives débouchent, soit sur un comblement de passif, soit sur une interdiction de gérer, soit sur une extension de procédure, soit sur une sanction patrimoniale ou personnelle.

M. le Président : Pour les affaires en nom personnel, c'est automatique. Ce qui fait qu'il vaut mieux être en société.

M. Jacques DUCLOS : Dans ce cas, il n'y a pas de comblement de passif. Pour les sanctions d'interdiction de gérer, ce n'est pas automatique.

M. Pierre FOURNIÉ : La moyenne nationale des sanctions est de 10 et 20 % du nombre de procédures ouvertes.

M. le Président : Dans la pratique, qui en prend l'initiative ?

M. Pierre FOURNIÉ : L'initiative est partagée entre le juge-commissaire et le parquet.

M. Jean-Pierre MATTEI : Le juge-commissaire établit son rapport. À Paris par exemple, le mandataire prépare un rapport à la demande du juge-commissaire, qui le complète. Le parquet vise, le juge-commissaire vise ensuite et enfin le président de chambre lance l'ordonnance de citation. Voilà comment les choses se déroulent dans la réalité.

À Paris, il y a une chambre spécialisée dans les sanctions dans laquelle dix magistrats ne font que cela. Paris est probablement le tribunal qui prononce le plus de sanctions en quantité et en gravité.

Cela permet l'élimination des corps malsains de l'économie. C'est un travail douloureux. Il faut être très prudent et ne pas faire n'importe quoi. Cela étant dit, il doit être clair également qu'il y a des variations sur l'ensemble du territoire. Je ne suis pas certain que nous ayons des statistiques aussi significatives dans tous les tribunaux de commerce, certains hésitant à engager ces procédures auxquelles ils ne sont pas habitués, pour des raisons de structure.

M. Jacques DUCLOS : Dans mon tribunal, après concertation entre les mandataires et le juge-commissaire, les juges de la procédure collective ont instruction de poser systématiquement le problème de la sanction au plus tard dans les six mois de la procédure.

M. le Président : C'est une bonne pratique.

M. Pierre FOURNIÉ : Il n'est pas toujours facile de mettre en oeuvre une sanction personnelle, et ce pour deux raisons : il faut tout d'abord avoir des arguments, d'autre part il est difficile de sanctionner un débiteur bien conseillé. Il y a d'excellents avocats qui se spécialisent dans la défense des débiteurs poursuivis par les tribunaux.

M. Jean-Pierre MATTEI : Si vous voulez demander à l'Association française des banques (AFB) ce qu'elle pense des juridictions consulaires, elle vous répondra qu'elle estime que nous sommes trop brutaux dans les recherches en responsabilités, pour soutien abusif, par exemple.

Il faut veiller à ne pas couper le crédit aux PME. Cette menace existe. Les banques peuvent nous dire que, si les choses continuent de cette façon, elles ne feront plus de crédit aux PME. Des sanctions ont été prononcées lorsqu'elles étaient nécessaires. Nous ne faisons pas de cadeaux. Le juge doit rester impartial, il ne doit pas avoir, par principe, une prévention contre les banques.

Si vraiment il y a une faute, elle doit être sanctionnée. Nous n'hésitons pas à le faire quand c'est nécessaire.

Je voudrais conclure en vous invitant à venir dans un ou plusieurs tribunaux différents pour que vous puissiez voir comment cela se passe sur le terrain.

Audition de Mme Dominique de La GARANDERIE, bâtonnier, de M. Jean-Louis BIGOT, avocat, de M. Jean-Jacques ISRAEL, avocat, et de Mme Danielle MONTEAUX, avocate chargée des relations avec le Parlement au conseil de l'ordre des avocats à la cour d'appel de Paris

(procès-verbal de la séance du 10 mars 1998)

Présidence de M. Jean-Paul CHARIÉ, vice-président

Mmes de La Garanderie, Monteaux, MM.  Bigot et Israel sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, Mmes de La Garanderie et Monteaux, MM.  Bigot et Israel prêtent serment.

Me Dominique de la GARANDERIE : Monsieur le Président, je participe aujourd'hui à cette réunion en tant que bâtonnier de Paris. M. Jean-Jacques Israel et M. Jean-Louis Bigot, tous deux membres du conseil de l'ordre, connaissent fort bien les questions relatives à la juridiction commerciale. Ils sont donc à votre disposition pour répondre à vos questions et compléter mes propos introductifs.

En tant qu'avocats parisiens, nous sommes frappés de constater la qualité de la juridiction du tribunal de commerce de Paris. Les jugements sont rendus dans un délai rapide, quatre mois en moyenne. C'est une justice peu coûteuse. Par conséquent, notre propos d'aujourd'hui sera de vous fournir des informations sur notre position d'avocats dans le cadre général d'une réflexion sur les juridictions consulaires; ce ne sera, en aucun cas, une démarche de destruction des juridictions telles qu'elles existent et surtout de la juridiction parisienne avec laquelle nous sommes en constante relation.

Mes propos introductifs porteront sur trois points.

D'abord, nous considérons qu'il faut tenir compte des bouleversements de la situation économique et sociale et, à ce titre, nous estimons que la juridiction consulaire doit être transformée. Ainsi, nous sommes favorables à un « tribunal de l'entreprise ».

Ensuite, il convient de tenir compte du souci actuel de transparence. Cette notion doit être mise en oeuvre dans le domaine qui nous intéresse aujourd'hui.

Enfin, nous considérons qu'il est nécessaire d'améliorer la formation des magistrats.

Nous proposons donc en premier lieu de créer un « tribunal de l'entreprise ».

Selon nous, il y a le droit des marchands, qui peut être très proche du justiciable, et le droit de l'entreprise, qui correspond à un bassin économique et social ni trop proche ni trop éloigné du justiciable. On peut donc envisager un regroupement, en fonction de l'activité économique, à un niveau permettant de faire face à la complexité du droit et à l'ampleur croissante des enjeux qui dépassent un certain nombre des 227 tribunaux de commerce actuels.

Il est évident qu'il faut regrouper les tribunaux de commerce. Un « tribunal de l'entreprise » qui correspond au bassin économique est nécessaire. Reste à définir le bassin économique. Sans aucun doute, cette notion de bassin économique est différente du découpage administratif actuel.

Nous ne faisons que poser des questions. Personnellement, je n'ai pas de propositions à formuler aujourd'hui sur le nombre de bassins économiques à fixer. Ce redécoupage présenterait l'avantage considérable d'éviter les conflits d'intérêts qui peuvent surgir lorsque le juge est trop proche du justiciable et peut indirectement être partie au conflit. Il nous semble que certains exemples, au moins en province, méritent que l'on engage cette réflexion.

Le « tribunal de l'entreprise » pourrait être en relation permanente avec le ministère public.

Nous sommes également favorables à la création d'une chambre économique, au niveau de la cour d'appel, voire de la Cour de cassation, celle-ci regroupant les aspects commerciaux, économiques et financiers, et peut-être même le droit social et le droit pénal. Nous pensons que la restructuration des entreprises devrait relever d'une juridiction capable de réfléchir dans le même temps sur les questions économiques et sociales que soulève la restructuration d'une entreprise. Cette piste mérite une réflexion approfondie, car une justice moderne signifie certainement une justice spécialisée. Cette spécialisation ne correspond pas nécessairement aux branches du droit traditionnellement définies. Pour l'entreprise, les domaines économique, financier et social forment un tout.

M. le Président : Financier et social, je comprends, mais qu'entendez-vous par domaine économique ? S'agit-il de concurrence ou de liquidation judiciaire ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Il s'agit plutôt de liquidation judiciaire, difficultés économiques et appréciation économique d'une restructuration.

M. le Président : La concurrence pouvant faire l'objet d'une autre spécialisation ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Oui, mais pas nécessairement, une spécialisation au sein de la même juridiction.

Le deuxième point que je souhaite évoquer a trait à la transparence. Elle est encouragée par le législateur depuis plusieurs années. Nous avons plusieurs propositions à faire à ce sujet.

Premièrement, il conviendrait de généraliser la publicité des débats. Pour les procédures collectives, il serait souhaitable d'instaurer la publicité des audiences et des cessions. C'est déjà le cas à la cour d'appel, mais non dans les tribunaux de commerce. Il faudrait prévoir un élargissement des possibilités d'appel et des règles plus générales dans le domaine de l'appel.

Deuxièmement, il importe de modifier les règles de la représentation en justice. À cet égard, nous nous référons au rapport de M. Coulon qui considère que la représentation des parties devrait être réservée aux avocats et aux personnes attachées aux entreprises. Nous considérons que c'est le seul moyen de renforcer les droits de la défense et donc de garantir un meilleur fonctionnement de la justice. En effet, l'expérience des juristes auprès de magistrats non professionnels est de nature à garantir les droits de la défense, et notamment à permettre de vérifier et de contrôler en permanence les règles de procédure et les règles de droit.

Nous demandons la plus grande vigilance en ce qui concerne les agents de recouvrement et les mandataires, dont la compétence n'est pas vérifiée. À ce sujet, je sais que des projets en cours sur le plan communautaire auraient pour effet d'imposer des règles assez strictes aux sociétés de recouvrement et d'encadrer leur fonctionnement, de façon à protéger non seulement ceux qui font appel à elles, mais aussi ceux qui sont confrontés à leurs démarches. Dans le même esprit, nous demandons un encadrement plus étroit.

Le troisième point concerne l'amélioration de la formation et du recrutement des juges. Nous demandons un minimum de formation juridique, avec un seuil de compétence défini, en relation avec un diplôme national de droit, et au moins un stage.

Nous considérons qu'il faudrait créer un véritable centre de formation professionnelle, commun avec d'autres magistrats et des avocats, dispensant notamment des cours relatifs à la déontologie et à la procédure. Nous pensons qu'il ne serait pas inutile de créer un tronc commun de formation avec les autres professions de droit. Il est vrai qu'actuellement, les élus, juges consulaires ou conseillers prud'hommes ont une formation, mais elle n'est pas organisée sur ces bases. Un enseignement en matière de déontologie et de procédure est donc tout à fait nécessaire.

Il conviendrait aussi de prévoir une formation continue, sur place. Dans un grand tribunal, elle peut se faire d'elle-même, par des échanges entre les anciens et les nouveaux juges, comme cela se pratique actuellement. Elle peut-être organisée sous forme de séminaires suivis en commun. Encore faut-il la rendre obligatoire.

Enfin, il importe d'améliorer le recrutement, en vue de la mise en place d'une juridiction mixte.

Entendons-nous bien, il ne s'agit pas d'échevinage ni de départage, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas de juges élus avec un magistrat qui, agissant avec son imperium, tranche entre les thèses des uns et des autres. Il s'agit d'une conception beaucoup plus moderne, consistant en une mixité entre des juges élus et des magistrats professionnels.

L'exemple que nous en avons, dans un domaine complètement différent, est celui des autorités administratives indépendantes qui sont des « juridictions », c'est-à-dire qu'elles rendent des décisions, voire imposent des peines d'amende. Je pense à la COB et au Conseil de la concurrence.

Par analogie, on pourrait imaginer de réunir des magistrats professionnels et des juges élus, afin de permettre la confrontation des juristes et de la société civile. C'est peut-être là l'idée d'une justice moderne.

Monsieur le Président, ce type de juridiction ne se mettrait-il en place qu'au cours du XXIe siècle, le barreau de Paris serait assez satisfait que cela soit porté aux actes de vos minutes aujourd'hui, c'est-à-dire à la fin du XXe siècle.

Me Jean-Louis BIGOT : Je suis commercialiste depuis trente ans. Je pratique donc les juridictions consulaires à Paris et en province, et notamment lorsqu'il s'agit de procédures collectives, aspect me semble-t-il, le plus délicat de la réforme des tribunaux de commerce.

Je ferai quelques observations techniques et pratiques. Je reprendrai un certain nombre de points qui ont été évoqués dans l'exposé de madame le bâtonnier.

Comment concevoir la transparence ? On a évoqué la publicité pour les ventes. Au tribunal de commerce, les audiences en matière de procédure collective ont lieu en chambre du conseil, c'est-à-dire à huis clos. Aucun tiers ne peut y pénétrer. N'y sont admis que les avocats des parties devant faire l'objet du jugement à intervenir.

S'agissant des cessions d'entreprises, nous estimons qu'il faut supprimer la formalité de la chambre du conseil et exiger, au contraire, que les opérations se fassent en audience publique. C'est ce qui est fait à la cour d'appel. On ne comprend pas pourquoi, devant les juridictions consulaires, on est obligé de recourir au huis clos, étant précisé que dans certaines juridictions, les repreneurs en puissance n'entrent pas tous en même temps. Le jeu consiste à faire entrer en dernier celui que l'on souhaite comme futur acquéreur, car il disposera de tous les renseignements échangés avant, alors que le premier n'aura pas pu, éventuellement, surenchérir, bien que la loi nouvelle évite le surenchérissement de dernière minute.

M. le Président : Vous ne remettez pas cela en cause ?

Me Jean-Louis BIGOT : Non, au contraire. Cela donne une stabilité tout à fait nécessaire. Ce que nous remettons en cause, c'est le principe de l'audience en chambre du conseil.

M. le Président : En revanche, il peut y avoir un débat.

Me Jean-Louis BIGOT : Bien entendu ! Ce débat a lieu devant la cour d'appel, et c'est parfait.

M. le Président : Il peut avoir lieu en première instance.

Me Jean-Louis BIGOT : Tout à fait.

La seule restriction concernerait les sanctions personnelles. Lorsqu'il s'agit de placer une personne physique en faillite personnelle ou de lui interdire de gérer pendant un certain temps, on peut concevoir que l'audience se tienne en chambre du conseil.

M. le Président : Vous pensez surtout à la publicité des cessions ?

Me Jean-Louis BIGOT : C'est très important. Le public doit avoir connaissance des entreprises à céder.

M. le Président : S'agissant de la connaissance par le public professionnel d'entreprises ou d'actifs à vendre, il ne faut pas attendre l'audience.

Me Jean-Louis BIGOT : L'audience intervient quand tout est terminé. L'administrateur a élaboré un plan de reprise ou un plan de continuation. Il doit présenter un rapport sur les divers plans qui ont été proposés, donner son opinion, mais c'est le tribunal qui tranche. Dès l'instant où le rapport est déposé, il n'y a plus guère de possibilité de changement. C'est donc au stade de la publication du jugement d'ouverture que la transparence doit être assurée.

Il faut peut-être utiliser Internet, et surtout - c'est un point important, puisque vous avez parlé des greffiers des tribunaux -, il faut éviter que les tiers aient à payer pour obtenir des renseignements. La justice devient de plus en plus chère, puisqu'il faut maintenant payer pour obtenir un renseignement. Il est anormal de ne pas avoir accès gratuitement à des renseignements dont le monde entier aura connaissance sur Internet. Cela permettra la concurrence entre les offres. Pour un praticien qui a du mal à savoir ce qui est à vendre, ce serait une révolution saine.

Par ailleurs, l'ordre des avocats met l'accent sur la déontologie : il faut interdire aux mandataires d'être à la fois acheteurs et vendeurs. Le cas de mandataires plus ou moins spécialisés qui vont rechercher un acquéreur pour l'entreprise en procédure collective se rencontre assez fréquemment. C'est très malsain, car on ne peut pas à la fois défendre les intérêts du vendeur, qui doit vendre au meilleur prix, et les intérêts de l'acheteur, qui doit acheter au plus bas prix. Il y a une déontologie à faire respecter, y compris par le juge, sous la surveillance du parquet qui pourrait poser un certain nombre de questions sur la dépendance du repreneur par rapport au cédant. On a vu des collusions, des entreprises se constituer pour acheter, de sorte que, deux ou trois ans plus tard, on retrouvait les mêmes dirigeants que précédemment. Là aussi, le parquet doit assurer une véritable surveillance.

J'ouvre une parenthèse sur le parquet. Les tribunaux de commerce, qui sont évidemment beaucoup trop nombreux, ont engendré la dispersion du parquet. Les représentants du parquet ne sont pas suffisamment nombreux pour être en permanence auprès des juridictions consulaires. Sauf dans les grandes villes comme Paris, Lyon, Aix ou Marseille, il n'y a pas, ou très peu, de représentants du parquet en permanence en chambre du conseil. Les mandataires et les juges sont donc tout à fait libres de leurs décisions, et ne les prennent pas forcément en tenant compte des seuls impératifs économiques et sociaux.

S'agissant de la procédure, si on doit réformer la loi de 1985 modifiée en 1994, j'émettrais le v_u que l'on harmonise enfin les voies de recours et les délais. Quelle simplicité de savoir que pour tout appel, ce serait dix jours dans le cas d'une procédure accélérée et non pas cinq jours, huit jours ou dix jours, comme c'est le cas actuellement.

M. le Président : Vous pensez que la procédure actuelle gêne les appels et qu'il y en aurait davantage si elle était modifiée ?

Me Jean-Louis BIGOT : Je pense que l'on joue sur les délais, notamment à l'égard des créanciers qui doivent produire, revendiquer dans certains délais. Ce sont des couperets qui tombent.

Il y a ce délai d'un mois par lettre recommandée, au terme duquel, à défaut de réponse du mandataire, il faut saisir le juge-commissaire, etc. C'est un peu compliqué. L'ancien système fonctionnait très bien.

M. le Président : On a voulu l'améliorer.

Me Jean-Louis BIGOT : C'est bien ce qui m'inquiète.

M. le Président : Revenons à notre sujet de préoccupation. Je vous propose de terminer votre exposé, puis nous vous interrogerons sur les mandataires de justice.

Me Jean-Louis BIGOT : Evoquons la compétence des juges. Il nous semble qu'un seuil de compétence minimum doit être exigé.

M. le Président : Cela signifie que pour pouvoir être élu, chaque candidat devrait recevoir une formation préalable d'un certain niveau ? Autrement dit, le petit commerçant boulanger de Lyon ne pourrait plus être juge ?

Me Jean-Louis BIGOT : À défaut de formation initiale, il devrait suivre un stage.

M. le Président : Après son élection, le juge devrait obligatoirement suivre une formation spécifique ?

Me Jean-Louis BIGOT : Tout à fait.

M. le Président : Mais selon vous, cette formation ne serait pas nécessairement exigée préalablement ?

Me Jean-Louis BIGOT : C'est le cas dans certaines juridictions, à Paris notamment mais vous avez parfaitement raison. Le juge consulaire, est normalement le pair, la personne qui fait du commerce, mais en réalité, dans les grandes juridictions, on rencontre surtout des cadres supérieurs, juristes de formation.

M. le Président : Quelles que soient nos opinions politiques, nous pouvons nous retrouver sur certains points, dans notre souci d'améliorer cette juridiction, notamment sur la présence de juges professionnels ayant une très bonne connaissance du droit, à côté de juges ayant la connaissance de l'entreprise. Cela permettrait un équilibre.

Me Jean-Louis BIGOT : Il peut aussi y avoir échange entre les juges. Cela a été fait tout à fait exceptionnellement avec la nomination du président Armand Prévost à la Cour de cassation. La connaissance qu'il a apportée de la juridiction consulaire, dans laquelle il a été longtemps juge puis vice-président, permet aux juges professionnels de la Cour de cassation d'avoir une approche de la vie de l'entreprise.

M. le Président : On sent que du côté des juges élus, il n'y a pas de problème, alors qu'il faudra motiver les juges magistrats.

Me Jean-Louis BIGOT : Je pensais plutôt dans l'autre sens !

Me Jean-Jacques ISRAEL : Monsieur le Président, je ferai trois observations.

En ce qui concerne la transparence, la nomination des mandataires et des experts par la juridiction commerciale pourrait faire l'objet d'un débat contradictoire.

M. le Président : Que voulez-vous dire par cela ? Pouvez-vous nous citer un exemple ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Nous avons eu des exemples de mandataires systématiquement écartés - ils ne sont plus désignés et ils perdent instantanément toute possibilité d'exercice -, tandis qu'au contraire, d'autres récupèrent les plus grosses affaires. Il est vrai qu'objectivement, il faut la compétence pour traiter les plus grosses affaires. Cependant, il existe un réel déséquilibre dans l'activité des mandataires qui résulte, en apparence, du choix du tribunal.

M. le Rapporteur : À quoi l'attribuez-vous ? C'est une des grandes énigmes auxquelles est confrontée cette commission. À chaque fois que l'on interroge les différents protagonistes des procédures collectives, on s'étonne des déséquilibres dans l'attribution des mandats de justice. Les chiffres sont révélateurs. La Chancellerie estime que cela prête à soupçon. Le président du tribunal de commerce de Paris n'a pas une réponse très claire ; il dit : «Nous travaillons avec des professionnels en qui nous avons confiance ».

Nous aimerions connaître votre point de vue sur ce sujet. Par exemple, pourquoi certaines études monopolisent-elles les mandats de justice au tribunal de commerce de Paris, par exemple ? Les phénomènes sont à peu près identiques dans certains endroits de province, mais à Paris il n'y a pas de monopole d'un mandataire comme cela peut exister en province.

Me Dominique de la GARANDERIE : Il est vrai que le type d'affaires à traiter par le mandataire n'est pas toujours le même et qu'il faut parfois des compétences spécifiques. Mais, à partir du moment où existent des mandataires susceptibles de gérer des entreprises, il devrait y avoir égalité de compétences.

M. le Président : Ou, en tout cas, égalité de chances.

Me Dominique de la GARANDERIE : Egalité de compétences, d'abord, égalité de chances, ensuite. Car si l'explication, c'est la compétence, il y a déjà quelque chose d'anormal.

M. le Président : Le seul fait que vous nous en parliez le confirme, même si le président Mattei et les présidents des autres tribunaux de commerce que nous avons reçus disent qu'il y a péréquation si on tient compte de l'activité en dehors de Paris.

Me Jean-Jacques ISRAEL : Il est clair que l'on tient compte des compétences et de la structure des études de mandataires. Cela génère naturellement un déséquilibre comparable à celui qui existe entre les affaires elles-mêmes, dont la difficulté est très variable.

Ma deuxième observation porte sur la carte judiciaire. La réforme de la juridiction commerciale est liée à la question plus générale de la carte judiciaire. La réforme de la carte judiciaire des tribunaux de commerce doit s'inscrire dans une réflexion globale sur la révision de la carte judiciaire incluant les recours en appel, voire en cassation. Il y a là un champ de réflexion qui va au-delà du simple tribunal de commerce. C'est pourquoi je le mentionne simplement.

Ma troisième observation concerne la formation. C'est un domaine sur lequel on doit mettre l'accent. Quand on est magistrat, comme le sont les juges du tribunal de commerce, non professionnels et élus, on doit, comme pour le reste des fonctions de régulation, avoir une compétence reconnue.

Cette compétence doit reposer sur une formation juridique. Le niveau minimal de formation juridique exigée peut être fixé par référence, c'est-à-dire, le cas échéant, par équivalence, à un diplôme national de droit, et doit être au moins égal à la licence ou la maîtrise spécialisée.

M. le Président : Vous soulevez un problème de fond. Vous saluez le bon fonctionnement de la juridiction commerciale ; certes, il faut améliorer la formation des juges mais la présence d'un magistrat professionnel pourrait être un moyen. Mais si l'on exigeait de chaque futur élu de justifier au minimum d'une licence, vous mesurez ce que cela impliquerait...?

Me Jean-Jacques ISRAEL : C'est pourquoi j'ajoute que, puisque le magistrat est élu, la possibilité de se présenter doit être ouverte à tous. Dès lors, si le niveau de compétence juridique ou par équivalence n'est pas atteint, il doit y avoir une véritable formation, antérieure à la prise de fonction.

M. le Président : Madame le bâtonnier, vous avez sous-entendu que le centre de formation de Tours ne correspondait pas exactement à vos souhaits en la matière ?

Me Jean-Jacques ISRAEL : Nous n'avons pas d'opinion sur le centre de formation de Tours, dont nous saluons l'existence, dans la mesure où il n'existe pas d'organisme public de formation. Il nous semble que la réflexion actuelle est peut-être l'occasion d'aller plus loin en matière de formation et de permettre un meilleur brassage entre les différents partenaires de justice, c'est-à-dire entre magistrats professionnels et non professionnels, entre magistrats et avocats, voire avec d'autres professions.

Cette réflexion s'articule avec celle sur la formation générale des juristes. Il nous semble que le moment est venu de réfléchir à un véritable tronc commun de formation auquel les futurs magistrats consulaires pourraient participer, de façon à ce que la connaissance de ceux qui exercent les fonctions de jugement qui sont particulièrement importantes soit assurée en commun et que les passerelles existent davantage entre les différentes professions.

On a parlé du passage des magistrats consulaires vers la magistrature professionnelle. Cette possibilité devrait être, comme l'évoquait à titre d'exemple Me Jean-Louis Bigot, ouverte de façon plus systématique, et s'accompagner, en contrepartie, de passages dans l'autre sens, afin que les magistrats qui vont siéger dans les cours d'appel en chambre commerciale aient aussi l'expérience du premier degré en matière commerciale.

Me Dominique de la GARANDERIE : Je voudrais observer que la situation à Paris, est exceptionnelle dans la mesure où les juges consulaires ont, dans leur majorité, une formation juridique.

M. le Président : Je souhaiterais savoir si vous avez des propositions à faire pour améliorer le recrutement des candidats ?

M. le Rapporteur : Je reviendrai sur les propos de M. Bigot, concernant la pratique de « surnomination » de certains mandataires de justice. L'inspectrice unique à la Chancellerie, chargée d'inspecter les mandataires de justice, nous a indiqué - ses déclarations figureront dans le rapport de la commission - que certaines études gèrent simultanément deux à trois mille mandats de justice, provoquant des lenteurs dans la procédure et des dysfonctionnements que les juges-commissaires, qui sont pourtant chargés de suivre la procédure en liaison avec les mandataires, ne relèvent pas, rejetant la responsabilité sur un parquet bien impuissant en raison des problèmes d'effectifs que vous évoquiez à juste titre.

Quelle est votre analyse des surnominations ? Nous n'arrivons pas à progresser sur ce point.

Me Jean-Louis BIGOT : La spécialisation de certaines études peut être un élément d'explication. L'étude Lafont, par exemple est systématiquement désignée dans les affaires de presse.

Pourquoi tels mandataires ou administrateurs sont-ils nommés plus souvent que d'autres ? J'aurais du mal à vous répondre, car je ne fais que constater des faits. Ce que je puis vous dire, c'est que nous, avocats, constatons qu'un certain nombre de mandataires de justice font l'objet de nominations pour les plus gros dossiers et pour une plus grande quantité de dossiers. Cela pose peut-être le problème de leur nombre.

Vous dites que certains ont plus de deux mille dossiers à gérer. Il faut une organisation exemplaire pour y parvenir. Cela signifie soit que l'étude est extrêmement structurée, soit que le mandataire est obligé de sous-traiter.

M. le Rapporteur : Comment cela se passe-t-il concrètement ? Les informations dont nous disposons sont assez floues. Est-il exact que certains administrateurs viennent proposer des dossiers au tribunal et négocier une sorte de pré-désignation ?

Me Jean-Louis BIGOT : Cela existe, mais il faut bien s'entendre sur cette question. Un mandataire, notamment un administrateur, peut être contacté directement par un dirigeant d'entreprise parce qu'il rencontre un problème de conflit entre les associés qui risque de déboucher sur la paralysie de l'entreprise. On peut parfaitement aller voir un administrateur que l'on a pratiqué, dont on connaît la compétence juridique, que l'on a apprécié dans d'autres dossiers, à charge pour l'administrateur d'en informer le président de son tribunal, pour qu'il sache qu'à côté des mandats « judiciaires », il remplit des mandats privés. Cela n'a aucun caractère illicite.

M. le Rapporteur : Je n'ai pas dit cela. Je veux simplement essayer de comprendre comment cela fonctionne.

Me Jean-Louis BIGOT : À côté de ce type de clientèle, il y a la désignation du mandataire de justice par le président du tribunal ou par le juge des référés. Leur nomination intervient dans des conditions très disparates, puisque ce sont celles définies par la loi : en référé, par ordonnance, sur requête, dans le cadre d'une procédure collective, etc.

M. Pierre HOUILLON : Madame le bâtonnier, vous avez parlé du « tribunal de l'entreprise ». C'est une notion intéressante. On comprend bien ce que cela veut dire en terme de spécialisation et de regroupement. Vous avez dit qu'en matière de restructurations, il serait intéressant de regrouper tout ce qui est social, économique, commercial, voire pénal. Je vois bien l'intérêt de la démarche, mais cela reste un peu flou dans mon esprit. S'agira-t-il d'un tribunal chargé de statuer sur les difficultés de l'entreprise dans tous ses aspects, y compris social, ou bien au contraire, d'un tribunal chargé de statuer quelle que soit la situation de l'entreprise ?

En ce qui concerne la publicité des débats, des observations pertinentes ont été faites, notamment en matière de vente. Préconisez-vous aussi la publicité des débats s'agissant de l'audience antérieure au jugement d'ouverture, c'est-à-dire celle où l'on expose en chambre du conseil les difficultés qui ont conduit au dépôt de bilan et où l'on évoque un éventuel plan de redressement ?

Me Jean-Louis BIGOT : La déclaration de cessation des paiements doit être faite dans le secret, sinon le banquier bloquerait aussitôt les comptes. Il faut aussi penser aux concurrents, aux fournisseurs qui revendiqueraient aussitôt et interdiraient à l'entreprise de poursuivre son activité.

Il convient de distinguer deux moments bien différents. Le premier est la saisine du tribunal, soit par la déclaration de cessation des paiements, soit sur poursuite d'un créancier. Il doit faire l'objet d'un examen en chambre du conseil. Le secret est ici nécessaire à la sauvegarde de l'entreprise. Le second est celui de l'élaboration du plan, qui doit faire l'objet, me semble-t-il, d'une publicité, car la concurrence doit pouvoir jouer. La chambre du conseil n'est plus alors nécessaire sauf pour les sanctions personnelles.

Me Dominique de la GARANDERIE : Le droit des marchands, c'est-à-dire les actions concernant les recouvrements de créances, la concurrence, relèverait d'une juridiction qui pourrait être aménagée mais qui resterait assurée comme aujourd'hui, par des juges élus. En revanche, le « tribunal de l'entreprise » concernerait les questions qui opposent des actionnaires, les restructurations et les procédures collectives.

Il est éminemment dommageable pour l'entreprise que les différents aspects de restructuration fassent l'objet de réflexions complètement séparées. Actuellement, les restructurations et les plans sociaux donnent lieu à un certain désordre. Si un tribunal pouvait appréhender la totalité des questions, cela apporterait un équilibre économique et social d'un grand intérêt pour l'entreprise.

Mme Nicole FEIDT : Madame le bâtonnier, vous avez évoqué la redistribution territoriale des tribunaux consulaires qui devrait, selon vous, prendre en compte la notion de bassin économique. Le département vous semble-t-il être la dimension adéquate ? Avez-vous eu connaissance du rapport Monguilan ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Non.

Mme Nicole FEIDT : Ma question risque donc d'être sans réponse. Ce rapport préconise de ne conserver que 92 tribunaux sur 227. En outre, il propose que 17 tribunaux de grande instance statuant commercialement, sur un total de 27, perdent cette compétence. Quel est votre sentiment sur cette perte de compétence de ces tribunaux ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Je suis embarrassée pour répondre. Je n'ai pas réalisé d'étude pour savoir si les départements correspondent à des bassins économiques, à supposer d'ailleurs que j'en aie les moyens.

Mme Nicole FEIDT : La dimension géographique ou démographique est-elle un critère déterminant ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Non.

Mme Nicole FEIDT : Il s'agit plutôt des affaires traitées ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Oui.

S'agissant des tribunaux de grande instance ayant des compétences commerciales, c'est une résurgence historique. Je ne sais pas s'il faut beaucoup en tenir compte dans le raisonnement que nous avons aujourd'hui.

M. le Président : À propos de la réflexion que vous développez sur le tribunal de l'entreprise, nous n'avons pas encore abordé le droit de la concurrence ni le droit des affaires. En France, le droit de la concurrence repose sur trois juridictions : le Conseil de la concurrence, le pénal et le civil. Pousseriez-vous votre réflexion jusqu'à estimer souhaitable qu'il y ait un tribunal spécialisé dans le droit de la concurrence par ressort de cour d'appel, sur lequel on concentrerait ce type de contentieux ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Sur ces questions, je m'exprimerai à titre personnel sans avoir posé la question ni au conseil de l'ordre, ni au barreau de Paris. Par conséquent, ce que je vais vous dire doit être pris avec beaucoup de précautions.

Il me semble qu'aujourd'hui la spécialisation des juridictions est une nécessité. Cela va certainement dans le sens de l'intérêt des utilisateurs, car plus personne ne comprend la complexité de situations telles que celle vous venez de décrire concernant la concurrence. J'ajouterai que le Conseil de la concurrence, prononce des condamnations qui ressemblent beaucoup à des condamnations pénales, ce qui n'empêche pas des condamnations pénales par ailleurs. C'est dire dans quelles difficultés nous sommes !

En revanche, et c'est pourquoi je prends des précautions, je ne suis pas certaine que les magistrats partagent cette appréciation. Je ne suis pas certaine non plus que l'ensemble de ceux qui s'adressent à la justice considèrent qu'il est indispensable de regrouper des compétences.

Me Jean-Jacques ISRAEL : L'ordonnance du 1er décembre 1986 a introduit une réforme importante. Dans une loi qui a immédiatement suivi, en 1987, le législateur a exprimé la volonté de transférer un certain nombre de compétences au Conseil de la concurrence. Après plus de dix ans d'application de cette ordonnance, on aboutit à une sorte d'équilibre dans la diversité restaurée. Il n'y a pas, autour du Conseil de la concurrence, une unification complète ; chacune des autres juridictions susceptibles d'intervenir en la matière, a conservé une compétence propre, qu'il s'agisse de la juridiction pénale, de la juridiction commerciale, et depuis quelques mois, de la juridiction administrative. L'évolution des compétences contentieuses dans ce secteur dément la volonté d'unification du législateur.

La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si cet équilibre est satisfaisant. Il est probable qu'à terme, une réforme de plus grande ampleur interviendra. Mais, de même qu'on parle de la réforme des tribunaux de commerce depuis très longtemps et que de nombreux rapports se sont succédé pour dire à peu près la même chose, de même parle-t-on de la création d'une véritable juridiction économique depuis très longtemps.

M. le Président : Le Président, le Rapporteur et tous les membres de la commission souhaitent y voir clair sur tout ce qui est de nature à créer une suspicion à l'égard des tribunaux de commerce, mais nous voulons aussi aller un peu plus loin et faire éventuellement des propositions complémentaires. Nous venons d'évoquer la concurrence. Il y a aussi l'aspect prévention qui est très important. Les députés ont parfaitement conscience qu'il ne sert à rien d'attendre qu'une entreprise soit en difficulté pour agir.

Me Dominique de la GARANDERIE : Pour ce qui est de la prévention, la pratique de convocation mise en _uvre au tribunal de commerce de Paris fonctionne assez bien. Cependant, les avocats sont également concernés par la période de prévention et se sont inquiétés d'en être écartés, au motif qu'il n'y a pas de contentieux à ce stade. Notre démarche tend à expliquer qu'il faut néanmoins rassurer le chef d'entreprise qui est bouleversé d'être convoqué et avoir la possibilité de lui expliquer ce qui va se passer.

M. le Président : Vous pouvez accompagner les chefs d'entreprise ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Ce n'est pas la pratique.

M. le Président : En avez-vous le droit ?

Me Jean-Louis BIGOT : Je pense que nous en avons le droit.

M. le Président : Vous n'en êtes même pas sûrs ?

Me Jean-Louis BIGOT : Nous ne sommes pas conviés.

L'entrepreneur qui reçoit une lettre recommandée lui impartissant de se présenter tel jour, à telle heure, devant tel juge, n'a pas forcément le réflexe de se faire assister de son avocat ou de son expert-comptable. L'ordre a suggéré au président d'indiquer, pour le moins, dans la lettre de convocation, que l'entrepreneur peut se faire assister, pas forcément par un avocat, mais pourquoi pas par un avocat.

M. le Président : Si vous entretenez des rapports étroits avec une entreprise dont le dirigeant est convoqué dans le cadre de la prévention, il m'apparaît évident que vous puissiez l'accompagner. Cela parait conforme à l'esprit de la prévention, le but n'est pas d'amener l'entreprise à déposer son bilan, mais, au contraire, de l'aider.

Me Jean-Louis BIGOT : Mais beaucoup de PME ou de petites entreprises n'ont pas d'avocat. C'est un peu le malheur de l'entreprise française. On vient voir l'avocat quand il est trop tard. Les chefs d'entreprise n'ont pas le réflexe de se faire conseiller.

M. le Rapporteur : Je reviendrai sur les conflits d'intérêts que vous avez évoqués. Le CNPF, que nous avons entendu, a tenu un langage assez vif sur la question. Il s'est présenté comme un usager du service public de la justice consulaire, sans doute à juste titre puisque les entreprises utilisent beaucoup les tribunaux de commerce.

Les représentants du CNPF ont évoqué la possibilité d'une déclaration d'intérêts obligatoire pour les juges consulaires. J'aimerais connaître le sentiment du barreau de Paris à ce sujet. Dans la mesure où nous avons affaire à des juges élus, n'est-il pas nécessaire de permettre aux parties de connaître ces juges, leur provenance, leur position sur l'échiquier économique, de manière à ce qu'elles puissent en discuter si un intérêt ou un autre venait à interférer dans la solution du litige ?

Avez-vous des réactions à faire valoir à ce sujet, sachant que M. Verny, membre de la délégation du CNPF, a expliqué que la déclaration d'intérêts était différente d'une simple déclaration de patrimoine, d'ailleurs difficile à formaliser juridiquement ?

Me Dominique de la GARANDERIE : On ne peut qu'être d'accord sur le principe d'une telle déclaration. Nous avons tous en tête des exemples de situations qui suscitent un certain embarras lorsqu'on connaît l'intérêt direct ou indirect du juge consulaire pour une affaire particulière.

En revanche, les modalités d'une telle déclaration sont infiniment délicates. Je ne suis pas sûre que la déclaration de patrimoine soit pertinente.

M. le Président : Le Rapporteur parlait d'autre chose que de la déclaration de patrimoine.

Me Dominique de la GARANDERIE : S'agit-il de faire part des intérêts que l'on peut avoir ? Avoir à faire ce type de déclaration ne fragilise-t-il pas extraordinairement le juge ? C'est pourquoi la question est éminemment délicate. La mixité au sein de la juridiction ne permettrait-elle pas d'exercer ce contrôle sans fragiliser le juge ?

M. le Rapporteur : Qu'entendez-vous concrètement par mixité ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Mon idée est de prévoir, pour un tribunal de l'entreprise chargé des questions économiques et sociales, la présence de juges consulaires, de représentants des syndicats patronaux et salariaux et de magistrats professionnels. Cette juridiction pourrait être composée de six à sept personnes.

M. Pierre HOUILLON : Par qui serait-elle présidée ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Un magistrat. J'ai envie de vous répondre par une question : qui préside la COB et le Conseil de la concurrence ?

M. Pierre HOUILLON : Ce ne sont pas des juridictions.

Me Dominique de la GARANDERIE : Ce sont des autorités administratives indépendantes qui rendent des décisions juridictionnelles et prennent des sanctions.

M. Pierre HOUILLON : Vous avez dit que la mixité n'était pas l'échevinage. Je suis d'accord avec cette idée. Mais en fin de compte, la question posée est de savoir qui préside. Est-ce un échevinage ou pas ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Il est vrai qu'avec les autorités administratives, il n'y a pas eu d'états d'âme, alors que leur composition est tout de même très diversifiée.

M. le Président : On les a créés.

Me Dominique de la GARANDERIE : En effet, il n'y a pas le poids de l'histoire, comme pour les tribunaux de commerce.

M. Pierre HOUILLON : Que pensez-vous des tarifs des mandataires ?

Me Jean-Louis BIGOT : C'est la question que posent pratiquement tous les clients qui déposent leur bilan, car ils doivent en tenir compte dans le plan, notamment lorsqu'il s'agit d'un plan de continuation. Il n'y a pas de vol. La taxe résulte de la loi. Si vous estimez, comme beaucoup, que, dans certains cas, c'est exorbitant, il faut changer la loi. C'est aussi simple que cela.

M. Pierre HOUILLON : Considérez-vous que c'est exorbitant, dans certains cas ?

Me Jean-Louis BIGOT : Dans certaines procédures collectives - mais tout le monde a à l'esprit celles qui ont fait parler d'elles en 1997 -, les montants sont effectivement faramineux, si les informations qui ont circulé sur les honoraires sont exactes

Une entreprise en difficulté ne doit pas être achevée par toutes sortes de frais autres que ceux de procédures judiciaires. Les frais sont légitimes. Il est vrai que l'organisation des administrateurs et mandataires-liquidateurs est coûteuse : il y a du personnel, il faut faire tourner l'outil de travail. Cependant, un plafond devrait être instauré.

À Paris, dans un certain nombre d'affaires importantes, je crois savoir que le président applique un barème inférieur au montant auquel pourrait prétendre le mandataire de justice. Cela montre bien que, sur ce plan, il y a quelque chose d'anormal...

M. le Président : La loi prévoit qu'au-dessus de 450 000 francs, le président doit fixer la limite.

M. le Rapporteur : Le président parle de plafond, alors que vous parliez de plancher.

Me Jean-Louis BIGOT : Non, de plafond aussi, mais vous avez raison de parler de plancher car un très grand nombre d'entreprises sont moribondes, exsangues. Ces dernières années 40 p. 100 des procédures collectives s'avéraient impécunieuses. Il faut cependant bien que quelqu'un les traite.

M. Pierre HOUILLON : On se rattrape sur les autres.

Me Jean-Louis BIGOT : C'est peut-être un peu inique, mais il faut être réaliste.

M. le Rapporteur : Des représentants du CNPF et de la Chancellerie nous ont dit avoir eu connaissance d'un mouvement de méfiance à l'égard du tribunal de commerce en général, et en particulier du tribunal de commerce de Paris, qui est présenté comme l'un des fleurons des juridictions consulaires françaises. Nous n'en voulons pas pour preuve, car ce n'est pas une preuve, la chute du contentieux d'environ 35 p. 100 à Paris, cette année, mais cette évolution conduit à s'interroger.

Quelle est votre analyse ? Ces réflexions sont-elles fondées ? On ne peut pas avoir d'approche statistique, on ne peut avoir qu'une approche intuitive. Il semble que les clauses compromissoires se multiplient, que les juridictions étrangères en bénéficient. Qu'en pensez-vous ?

Me Dominique de la GARANDERIE : En ce qui concerne les statistiques du tribunal de commerce de Paris, les avocats habitués à cette juridiction considèrent que la chute des actions judiciaires menées par les banques et les assurances est à l'origine de la baisse du contentieux. Cela signifie probablement qu'il y a résolution des litiges en amont, voire éradication de la cause même des litiges.

Par ailleurs, vous faites allusion au phénomène de la mondialisation. Il est évident que dans les affaires internationales, les clauses de compétence sont plutôt favorables aux juridictions arbitrales, voire à des arbitrages non localisés sur le territoire français, sauf quand, par hasard, le contrat contient une disposition du droit français plus favorable à une partie. C'est un réel souci pour les juristes français.

De plus, le choix de l'arbitrage peut résulter de la volonté d'obtenir, dans certains cas, une décision plus rapide, et faisant appel à l'équité. Cela peut être une tentation pour les parties. Les propositions d'arbitrage se multiplient. Il y a un certain nombre d'initiatives prises par les instances arbitrales. Une chambre d'arbitrage a été créée au niveau parisien par la chambre internationale d'arbitrage. Des organisations européennes regroupent des personnes qui proposent leurs services en qualité d'arbitres.

M. le Président : Sans réel contrôle ?

Me Dominique de la GARANDERIE : C'est exact. Cela dit, j'ai en tête deux expériences conduites par des gens ayant une réelle déontologie, qui offrent des garanties, indépendamment de l'application de la loi sur l'arbitrage.

M. le Président : Les avocats sont-ils associés aux démarches du tribunal de commerce de Paris en Asie et dans les pays de l'Est pour l'élaboration du droit commercial dans ces pays ?

Me Dominique de la GARANDERIE : Toutes les démarches en direction des pays de l'Est font l'objet d'une coordination présidée par M. Badinter au sein de l'association ARPEJ. En dépit des efforts considérables qui ont été déployés il n'y a pas de coordination entre les universités, les tribunaux de commerce, les juridictions françaises. Les avocats participent aussi, notamment dans le domaine de la formation.

M. le Président : Tout le monde s'accorde sur l'intérêt d'assurer la présence de la France.

Me Dominique de la GARANDERIE : Oui, mais il n'y a pas de coordination. Il faut toutefois noter la belle expérience de la maison du droit au Vietnam, créée à l'initiative du barreau de Paris.



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