RAPPORT

FAITAU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME I
RAPPORT (SUITE)

DEUXIÈME PARTIE : UNE JURIDICTION À RÉNOVER (SUITE)

II.-UN NOUVEL ENGAGEMENT DE L'ÉTAT : 1

A.- LA PRÉSENCE DE JUGES PROFESSIONNELS : L'ÉCHEVINAGE. 1

1.- L'échevinage en France 1

2.- Les avantages de l'échevinage 2

3.- Quel échevinage pour les tribunaux de commerce ? 4

· Un statu quo impossible 4

· Les options possibles 6

· Les conditions de réussite 7

B.- L'AUGMENTATION DU FINANCEMENT PUBLIC, NÉCESSAIRE MAIS RAISONNABLE 9

1.- Pas d'assainissement possible sans crédits de fonctionnement décents 9

a) Une mise à niveau de la dotation de fonctionnement courant 10

b) Une formation financée et contrôlée par l'État 11

c) Financement de quelques postes d'assistants de justice 11

2.- Le financement des réformes proposées 12

a) Échevinage limité aux procédures collectives ou échevinage intégral ? 12

b) L'alignement des greffes sur le droit commun 13

3.- La mobilisation possible de recettes nouvelles 13

II.- UN NOUVEL ENGAGEMENT DE L'ÉTAT :

A.- LA PRÉSENCE DE JUGES PROFESSIONNELS : L'ÉCHEVINAGE.

1.- L'échevinage en France

L'échevinage désigne une juridiction mixte c'est-à-dire une juridiction composée de magistrats professionnels et de juges citoyens. En France, il existe en Alsace-Moselle et outre-mer et a été décrit au début du présent rapport (cf. I.C.1 : « carte judiciaire ou manteau d'Arlequin ? »).

Il convient de noter que les tribunaux échevinés n'existent pas qu'en matière commerciale. D'autres juridictions mixtes sont présentes dans l'organisation judiciaire française : le conseil des prud'hommes quand il statue en départage, le tribunal paritaire de baux ruraux, le tribunal pour enfants, le tribunal des affaires de sécurité sociale, et sous une forme différente, la cour d'assises.

2.- Les avantages de l'échevinage

Le premier avantage de l'échevinage est la garantie d'impartialité dont les tribunaux de commerce ont réellement besoin, comme le montrent les analyses précédentes.

L'échevinage apporte aux justiciables la certitude que la justice est structurellement impartiale, non parce que le président, juge professionnel est infaillible mais parce qu'il est en dehors des milieux économiques. Le justiciable, chef d'entreprise, sait donc qu'il ne sera pas jugé en fonction des relations amicales ou commerciales qu'il entretient avec le président de la juridiction mais qu'il sera jugé par un magistrat étranger aux réseaux locaux d'influence et avec ainsi une plus grande objectivité.

Cette garantie d'impartialité profite évidemment au justiciable mais aussi aux juges consulaires qui pourront s'imprégner des règles s'imposant à tout magistrat et se sentir à l'abri des soupçons naturels de la partie perdante.

Le deuxième avantage de l'échevinage est le caractère équilibré de la justice rendue. En effet, la confrontation au sein d'une même juridiction de la culture de l'entreprise et de la culture judiciaire permet l'instauration d'un dialogue constructif aboutissant à une décision équilibrée. L'échevinage apporte aux juges tant professionnels que commerciaux une véritable formation professionnelle constante et réciproque. Chacun confronte sa propre expérience à celle de l'autre. En pratique il existe un partage des tâches, la commission d'enquête l'a constaté lors de son déplacement à Strasbourg. Les juges consulaires apportent dans la prise de leur décision la connaissance pratique des usages commerciaux. Le président lui, se charge le plus souvent de la rédaction du jugement.

Pour autant, les juges consulaires strasbourgeois et mulhousiens ont déclaré à la commission d'enquête, qu'ils ne se considéraient pas comme des « sous-magistrats ».

DES JUGES ÉCHEVINS SATISFAITS

M. ROTH, juge consulaire au tribunal de grande instance de Strasbourg : Je suis totalement partisan de l'échevinage. Je confirme que tous les délibérés, avec les différents présidents qui se sont succédé en première chambre, à Strasbourg, ont toujours été non seulement courtois, mais fructueux.

Bien souvent, nous sommes arrivés, à deux juges consulaires, à faire changer d'avis le président. On ne nous a jamais rien imposé. Au contraire, en tant que praticiens du commerce, nous sommes parvenus à imposer notre point de vue, parce qu'il était fondé sur la réalité quotidienne.

(...)

M. GOETZ, juge consulaire au tribunal de grande instance de Strasbourg : Il y a des points qui relèvent de l'anecdotique, mais globalement, depuis douze ans que je pratique ce système, j'ai vu passer plusieurs magistrats professionnels qui m'ont apporté beaucoup de satisfactions, parce que j'ai eu affaire à des gens de qualité qui ont accepté le compromis. Je n'ai jamais eu le sentiment de tensions entre juges professionnels et juges consulaires.

Depuis le début des années 1980, un juge consulaire est systématiquement désigné juge-commissaire (auparavant le juge-commissaire était toujours un magistrat professionnel). Le juge-commissaire examine non seulement les problèmes économiques relatifs au maintien de l'activité, au licenciement ou à la vente des actifs pendant la période d'observation mais aussi les problèmes purement juridiques comme la validité des clauses de réserve de propriété, l'admission de créances ou leur contestation, la forclusion, etc. Le président n'est pas omnipotent ; les juges consulaires ne sont pas des « assesseurs-spectateurs » comme la conférence générale des tribunaux de commerce voudrait le faire croire. En effet, il n'est pas rare que le président soit mis en minorité. M. Jean-Luc Vallens, qui a été président d'une chambre commerciale pendant quatre ans, a ainsi déclaré : « (...) j'ai présidé pendant plusieurs années et j'ai souvent été mis en minorité. J'avais, dans ce cas, un peu de mal à rédiger les jugements mais pour les motiver, je me faisais aider par le juge consulaire qui contestait ma position conformément aux règles du jeu qui veulent que, lorsque l'on statue à trois, celui qui se trouve en minorité se plie aux décisions des autres, ce qui, selon moi, ne constitue pas un inconvénient mais bien un avantage ! ». M. Goetz, juge consulaire à la chambre commerciale de Strasbourg a donné à la commission d'enquête un exemple illustrant la complémentarité entre juges consulaires et juges professionnels existant dans une juridiction échevinée. La formation s'était accordée sur la nécessité d'une astreinte à un commerçant mais le président lui avait donné un montant dérisoire ; les juges consulaires sont intervenus auprès de lui pour rendre toute son efficacité à la sanction décidée par la juridiction.

L'échevinage permet donc une justice qui à la fois respecte les règles juridiques de forme et de fond et tient compte des usages commerciaux et des répercussions économiques des décisions. Il réalise la synthèse entre la légalité et l'opportunité économique, une synthèse qui est le fondement même de la justice commerciale.

En 1928, le législateur a eu le souci d'une telle synthèse lorsque la loi instaurait les tribunaux mixtes de commerce dans les DOM . Le texte répondait à la demande des autorités locales de la Guadeloupe qui estimaient que le tribunal civil ne pouvait traiter avec suffisamment de célérité les litiges commerciaux de plus en plus nombreux ; la chambre de commerce de la Guadeloupe avait souhaité une juridiction consulaire. Le parlement a opté pour la juridiction échevinale. Le Rapporteur de la loi, M. Brunet, explique ce choix : « la formule du tribunal mixte de commerce échappe au reproche le plus ordinairement adressé à la magistrature consulaire... de ne pas "dire le droit". La présence dans les tribunaux de commerce coloniaux de juges de carrière à côté des juges élus du commerce concilie heureusement le souci d'assurer aux justiciables des garanties quant à l'interprétation des textes avec la préoccupation de faire toute sa part à la compétence acquise en matière de conventions abandonnées aux usages ». On ne saurait mieux expliquer le principal atout de l'échevinage.

Le dernier avantage de l'échevinage et non des moindres est le meilleur contrôle exercé sur les mandataires de justice par la juridiction commerciale.

Le rapport de force entre le juge commissaire et le mandataire de justice n'est pas inversé mais la présence du magistrat professionnel représente un véritable soutien pour le juge consulaire. M. Jean-Luc Vallens, magistrat et président de chambre commerciale en Alsace pendant plusieurs années, l'a constaté : « Ils (les mandataires de justice) ont la même importance dans la mesure où les auxiliaires de justice sont au contact des entreprises de manière quotidienne alors que les juges consulaires qui sont juges-commissaires sont des juges élus et ne peuvent pas, non plus, consacrer leur temps, de la même manière qu'ailleurs, au contrôle de ces mandataires.

La différence réside plutôt dans la présence d'un magistrat professionnel qui représente pour le juge consulaire une sorte d'assurance-qualité ou de base arrière de repli lorsqu'il refuse de faire quelque chose qui lui est demandé par le mandataire. Il peut toujours, en effet, répondre lorsqu'une démarche du mandataire judiciaire lui paraît un peu contestable qu'il va en référer au président, ce qui lui donne le recul parfois nécessaire. »

Le fait que la présidence soit tenue par un magistrat professionnel a également un effet dissuasif sur le comportement des mandataires de justice, M. Jean-Luc Vallens parle d'autocensure : « (...) les mandataires judiciaires savent que leurs contacts ne passent pas seulement par les juges consulaires mais aussi par un magistrat professionnel qui n'évolue pas dans des relations économiques de dépendance et qui devra, devant la chambre commerciale elle-même, plaider sa cause en cas de recours contre la décision obtenue d'un juge-commissaire.

Cela crée, sinon une sorte d'autocensure, du moins une certaine retenue de la part des mandataires judiciaires qui savent qu'ils ne peuvent pas faire n'importe quoi. »

Ce phénomène de retenue a été constaté par la commission d'enquête lors de son déplacement à Strasbourg.

Ceci est d'autant plus vrai que le président de chambre de commerce est très « proche » du procureur qui est un collègue.

3.- Quel échevinage pour les tribunaux de commerce ?

· Un statu quo impossible

Les juges consulaires sont tout à fait hostiles à l'échevinage prévalant en Alsace-Moselle. Selon eux, l'échevinage équivaut à les décharger de leur responsabilité et à s'en remettre aux magistrats professionnels. La chambre de commerce et d'industrie de Paris reprend cet argument dans son rapport sur la réforme des tribunaux de commerce : « Ce système aboutirait à transformer les juges commerciaux en "assesseurs" et plus tard en "spectateurs". Son introduction constituerait ainsi un premier pas vers la suppression de la juridiction commerciale. »

Le rapport Nougein est également très explicite sur ce point : « Présenté comme le véritable serpent de mer des tribunaux de commerce, l'échevinage, apparaît, le plus souvent, comme un épouvantail malicieusement agité par ceux qui ont fort bien saisi tout le parti que l'on peut tirer de son effet immédiatement urticant sur les juges consulaires. ».

Aux assises nationales des tribunaux de commerce, en octobre 1997, M. Cohade, alors président de la Conférence générale a déclaré : « Toute tentative d'étendre aux tribunaux de commerce le régime de l'échevinage entraînerait, à coup sûr, une paralysie totale et immédiate des juridictions consulaires par la démission instantanée des juges élus.

Cette déclaration de ma part n'est inspirée par aucun sentiment d'hostilité, mais elle se veut être la manifestation du respect que notre nation doit porter à nos collègues, femmes et hommes, élus et bénévoles, qui se dévouent pour le bien du service public tout au long d'une judicature qui dure souvent plus de quatorze ans.

Aucun, aucune, ne mérite d'être dépossédé de l'imperium que lui confère sa qualité de juge, ayant prêté le même serment que ses collègues professionnels. »

Une telle hostilité qui se transforme en une véritable menace à l'égard des pouvoirs publics vient d'abord des présidents des tribunaux de commerce, Jean-Luc Vallens le constate : « S'agissant de l'hypothèse de l'échevinage, en vigueur en Alsace et en Moselle depuis un siècle, son application se heurte à des obstacles réels, avant tout parce que les présidents des tribunaux de commerce y sont très hostiles.

(...) La présidence d'un tribunal de commerce est une source d'informations, une source de pouvoir considérable et la présence d'un juge professionnel qu'imposerait le principe de l'échevinage est mal vue ! Elle est perçue comme un acte de défiance, comme une intrusion, comme un contrôle sur les pratiques des présidents des tribunaux et sur les pratiques des greffes, et l'on comprend bien l'hostilité qu'elle provoque. »

Pourtant certains juges de base y sont tout à fait favorables.

Dans ces conditions la conférence générale préconise donc un pseudo échevinage, à sa manière, passant par un renforcement de la présence du parquet. Une telle proposition n'est pas satisfaisante. Comme on l'a vu précédemment, le parquet est utilisé comme un alibi pour perpétuer un système qui présente de nombreux défauts (cf. première partie II.B.2 « Un parquet effacé »).

En effet, la présence du parquet n'est pas le remède à tous les maux ; M. Jean-Luc Vallens l'a affirmé à juste titre à la commission d'enquête :

« Par rapport aux problèmes apparus ces dernières années dans les tribunaux de commerce, la présence d'un magistrat du parquet est un avantage, dans la mesure où le tribunal de commerce se sentira davantage observé s'il y a un magistrat professionnel que s'il n'y a aucun procureur de la République, mais il ne faut pas être naïf et croire que la seule présence d'un magistrat dans un bureau va empêcher les dérives, les arrangements en dehors des audiences et les problèmes lourds consécutifs à des décisions un peu hasardeuses ou prises en dehors des règles de procédure normales. »

En réalité, même si le parquet bénéficiait des moyens suffisants pour remplir pleinement sa mission, cela ne ferait pas disparaître les dysfonctionnements actuels parce que le ministère public reste extérieur aux décisions. Le parquet, par définition, n'est pas codécideur.

L'échevinage proposé par la conférence générale n'en est pas un puisque les magistrats du parquet ne sont pas magistrats du siège - c'est une évidence - et ne participent donc pas à la prise de décision.

Consciente cependant de la nécessité de décloisonner les milieux consulaires et judiciaires, la conférence générale a proposé « un échange de compétences ». Les magistrats professionnels pourraient être accueillis dans les grandes juridictions commerciales dans le cadre de stages de formation. Ils n'auraient qu'une voix consultative et non délibérative.

Le CNPF préconise, quant à lui, ce qu'il appelle le « mixage ». Des magistrats professionnels, en petit nombre, seraient introduits dans les tribunaux de commerce mais en tant que magistrats de plein exercice, c'est-à-dire avec voix délibérative. En aucun cas, ces magistrats ne seraient à la tête du tribunal de commerce, ce qui marque la différence entre le « mixage » et l'échevinage sur le mode alsacien-mosellan.

M. Pierre Bézard, président de la chambre commerciale de la Cour de cassation et M. Guy Canivet, premier président de la cour d'appel de Paris sont partisans également de cette solution du juste milieu.

Selon eux, il faut rapprocher les juges professionnels et les juges consulaires sans aller à l'échevinage qui découragerait les juges consulaires et serait inefficace étant donné la faiblesse de la formation économique des magistrats professionnels. M. Pierre Bézard a ainsi déclaré à la commission d'enquête : « Personnellement je pense qu'il faut procéder dans l'urgence, à une mini-réforme qui, peut-être, ouvrira les portes d'une plus grande réforme. Cette mini-réforme consisterait, selon moi, en la nomination immédiate, très rapidement, de quelques dizaines de magistrats - il n'en faut pas plus - pour apporter des solutions à l'intérieur des tribunaux de commerce, c'est-à-dire de jeunes magistrats, frais émoulus de l'École de la magistrature, qui auraient reçu au sein de cette école une formation spécialisée et qui seraient nommés dans les tribunaux de commerce, non à titre de stagiaires, mais à plein temps. Ils occuperaient un poste important, et même, le cas échéant pourraient diriger certaines sections de contentieux. (...) Ces personnes apporteraient leurs techniques juridictionnelles, juridiques, leur conception déontologique et permettraient de renforcer le contrôle des greffiers, administrateurs et autres par la permanence de leur action. (...)

On rendra un très grand service à l'ensemble de l'économie, car ces mêmes magistrats reviendront ensuite dans les services pénaux et en cour d'appel, et la liaison sera établie à tous les niveaux. »

La question d'associer magistrats professionnels et juges élus au niveau du siège n'est donc plus taboue. Les mentalités ont évolué car au début des années 1980, la réforme des tribunaux de commerce avait échoué sur ce point. L'idée du garde des sceaux, M. Robert Badinter, était de décloisonner deux mondes, il déclarait : « Je suis convaincu qu'il est grand temps que la justice civile s'ouvre plus largement aux réalités économiques et que les juridictions consulaires soient mieux intégrées dans l'institution judiciaire. Il n'y a qu'une justice et non deux mondes clos. » (Libération, 9-10 juillet 1983). Professionnaliser le contentieux commercial est donc indispensable. M. Gérard Gouze, membre de la commission d'enquête, propose une « professionnalisation » totale, c'est à dire la suppression des tribunaux de commerce et le transfert complet de leurs compétences aux chambres commerciales des tribunaux de grande instance.

La volonté d'interpénétration des deux milieux est tout à fait logique dans la mesure où le système actuel est illogique. En effet, le justiciable est jugé exclusivement par des magistrats élus en première instance et exclusivement par des magistrats professionnels en appel. Or au premier degré, les juges consulaires souffrent d'un manque de compétence juridique évident et au second degré, les magistrats professionnels n'ont aucune connaissance des pratiques commerciales : il ne les découvrent qu'au milieu de leur carrière, lorsqu'ils sont en cour d'appel puisque, lorsqu'ils sont en poste dans les juridictions de première instance, sauf dans les départements d'Alsace-Moselle, ils ne pratiquent jamais le contentieux commercial.

La nécessité de l'échevinage en première instance est donc évidente. Le statu quo n'a plus lieu d'être.

· Les options possibles

Au début des années 1980, le projet d'échevinage des tribunaux de commerce présenté par M. Robert Badinter était modeste. Le type d'échevinage envisagé visait à l'amélioration du fonctionnement de la juridiction consulaire et n'était en aucun cas une mesure de défiance à l'égard des juges consulaires. Au contraire, la réforme avait pour objectif de conserver la spécificité de la juridiction consulaire de différentes manières. Premièrement, les juges-commerçants restaient majoritaires (deux juges élus et un juge professionnel), deuxièmement, le magistrat professionnel n'était présent qu'en matière de procédures collectives et non en contentieux général car, déclarait M. Robert Badinter, « les intérêts en jeu ne sont plus seulement ceux des commerçants mais aussi ceux de l'État, souvent créancier principal et des salariés (Libération 9-10 juillet 1983) ». Troisièmement, la présidence de ces chambres spécialisées dans les procédures collectives n'était assurée par le magistrat professionnel que tous les trois ans (principe de la présidence « tournante »). Quatrièmement, le tribunal de commerce même restait présidé par un juge consulaire. Enfin, en contrepartie de cet échevinage en première instance, les juges consulaires étaient intégrés aux chambres commerciales des cours d'appel et, là encore, y étaient majoritaires.

Votre Rapporteur considère que le projet Badinter est l'une des options envisageables pour assurer la présence des magistrats professionnels au sein des juridictions commerciales. Dans une telle hypothèse, il faudrait cependant repenser la présidence « tournante ». Pour assurer le suivi des dossiers et surtout un véritable contrôle des auxiliaires de justice, la présidence de la formation de jugement doit revenir de manière continue au magistrat professionnel.

Une autre option est celle de l'échevinage intégral, c'est à dire concernant à la fois les procédures collectives et le contentieux général. En effet, en Alsace-Moselle, où la commission a rencontré des juges consulaires satisfaits de leur sort, les juges consulaires strasbourgeois et mulhousiens interrogés par la commission d'enquête ont tous déclaré se considérer comme des magistrats de plein exercice et non comme des assesseurs dominés par le président, magistrat professionnel. M. Jean-Luc Vallens, magistrat professionnel et président de la chambre commerciale en Alsace-Moselle pendant de nombreuses années a eu la même impression : « (...) les juges consulaires en Alsace et en Lorraine vivent bien le régime de l'échevinage dans lequel ils jouent parfaitement leur rôle sans avoir le sentiment d'être des potiches à côté d'un magistrat professionnel ». Il est rejoint par M. Patrice Petitjean, procureur de Saint-Brieuc, ancien procureur-adjoint à Metz : « (...) ce qui est remarquable, c'est que, lorsque vous posez la question à ces magistrats consulaires d'Alsace-Moselle, ils vous disent qu'ils ne veulent pas changer pour le système consulaire. Ils préfèrent leur système dans lequel le président est un magistrat professionnel et où ils sont eux-mêmes les assesseurs d'un magistrat professionnel. »

Enfin, M. Pierre Lyon-Caen, avocat général à la Cour de cassation, chargé du suivi de la réforme des tribunaux de commerce dans le cabinet de M. Robert Badinter a affirmé que tous les juges échevins européens (Allemagne, Belgique...), interrogés à l'époque par le ministère de la justice, avaient déclaré se sentir sur un pied d'égalité avec les magistrats professionnels lors des délibérés.

Les juges consulaires ont tout à gagner d'une telle réforme, d'autant qu'à la présence des magistrats professionnels correspondrait leur intégration aux chambres commerciales des cours d'appel.

Ces magistrats seraient des conseillers de cour d'appel de plein exercice. Il s'agirait d'une sorte de tour extérieur qui ne serait pas uniquement réservé à des juges consulaires en fin de carrière. L'ouverture des cours d'appel a déjà commencé de manière embryonnaire, à Lyon par exemple, mais les conseillers n'ont qu'une voix consultative. À terme, l'échevinage devrait être également instauré en cassation ; M. Michel Armand-Prévost, vice-président honoraire du tribunal de commerce de Paris, siège déjà à la chambre commerciale de la Cour de cassation.

Aujourd'hui, la question est donc de rendre viable, réalisable, cette réforme de l'échevinage en matière commerciale. Quelles sont les conditions de faisabilité d'un tel projet ?

· Les conditions de réussite

L'instauration de l'échevinage a des conséquences budgétaires quasi-indolores pour les contribuables. Dans le cadre d'une refonte en profondeur de la carte consulaire et d'un échevinage limité aux chambres spécialisées dans les procédures collectives, les créations de postes de magistrats professionnels iraient, d'après les projections des observateurs les plus autorisés, de 100 à 150, sachant que le coût budgétaire pour un magistrat s'élève à 330 000 francs par an. En effet, avec le maintien d'environ 150 tribunaux de commerce, il serait nécessaire d'en spécialiser une centaine, soit un par département, dans les procédures collectives. Les chambres spécialisées dans le contentieux seraient donc de 100 à 150, et un juge professionnel siégerait dans chacune de ces chambres.

Les projections réalisées par la commission font apparaître que l'échevinage intégral à carte judiciaire inchangée ne coûterait au budget de l'État que 170 millions de francs, soit à peine 50 millions de francs de plus que cce que rapportent aux greffes privés les recetttes télématiques indues ! Il est donc possible en tenant compte de l'impact d'une réforme de la carte judiciaire, que la Conférence générale appelle de ses voeux, d'autofinancer l'échevinage ainsi que l'entrée en vigueur des garanties d'impartialité au profit des justiciables. Il n'y aura d'ailleurs pas à affronter l'absence bien hypothétique de problème de motivation chez les juges professionnels. À Strasbourg, la commission d'enquête a constaté que la présidence de chambre commerciale était considérée chez les magistrats professionnels comme un poste intéressant et était particulièrement recherché.

L'échevinage suppose également que l'on améliore de manière substantielle la formation économique des magistrats professionnels. Le CNPF insiste sur la nécessité de les sensibiliser au facteur « temps », essentiel dans la vie de l'entreprise. Un effort considérable doit donc être réalisé dans ce domaine et surtout au niveau de la formation initiale à l'ENM (École nationale de la magistrature). Jusqu'à aujourd'hui, l'ENM a eu pour objectif de transformer des théoriciens du droit en praticiens du droit ; elle doit désormais avoir pour objectif d'initier les jeunes magistrats aux pratiques économiques, par exemple, par un stage de longue durée en entreprise dans le cadre de la scolarité.

Enfin, le système de l'échevinage alsacien-mosellan comporte deux faiblesses qu'il faut éviter.

Les contraintes de la procédure écrite et de la représentation obligatoire, applicables en Alsace-Moselle, confèrent à la procédure commerciale le rythme et le formalisme d'une instance civile. En effet, c'est l'article 38 de l'annexe du nouveau code de procédure civile qui s'applique : « la procédure applicable devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance (...) est celle qui est suivie devant le tribunal de grande instance (...) ». La simplicité et la rapidité de la procédure prévalant devant les tribunaux de commerce doivent donc se substituer à celle du tribunal de grande instance.

En Alsace-Moselle, c'est le président de la chambre commerciale qui se charge de la prévention. On peut se demander si le magistrat professionnel est le mieux placé pour prendre en considération la situation économique et financière d'une entreprise en difficulté. Dans le système d'échevinage proposé par la commission d'enquête, le président du tribunal de commerce reste un juge consulaire qui sera mieux à même d'assurer la mission de prévention dont l'a chargé la loi du 10 juin 1994.

En dernier lieu, l'échevinage ne doit pas conduire à réduire le rôle essentiel qui doit être celui du parquet, sous prétexte qu'il introduit des magistrats professionnels dans les tribunaux de commerce.

Le magistrat professionnel n'est pas totalement armé face aux mandataires de justice ; le témoignage de M. Jean-Luc Vallens est à ce titre éloquent : « (...) je ne suis pas certain de n'avoir jamais « été roulé dans la farine » quand j'étais juge-commissaire par des présentations de bilans avantageuses ou par des informations retenues et non transmises, mais c'est un peu la loi du genre : lorsque l'on reçoit une information, on statue à partir de l'information donnée ; on parvient parfois, avec un peu de « feeling », à discerner ce qu'il y a derrière une simple requête d'autorisation de levée des scellés ou une mesure apparemment anodine, mais ce n'est pas toujours possible ! »

C'est pourquoi, un parquet bien informé, c'est-à-dire doté de moyens de contre-expertise et d'investigation est absolument nécessaire. Aujourd'hui un tel parquet comme on l'a vu précédemment n'existe pas.

Comment rendre le parquet efficace ? En lui donnant des moyens ... tout simplement ; et il serait grand temps.

Ainsi, les représentants du parquet ont déclaré placer beaucoup d'espoir dans la constitution de pôles financiers en province sur le modèle parisien. M. Jean-Claude Marin, procureur-adjoint, a ainsi déclaré à la commission d'enquête :

« Je crois beaucoup que, si le statut des assistants spécialisés voit le jour, nous pourrons affecter certains de ces fonctionnaires qui pourront être mis à disposition de la justice ou du parquet pour effectuer un travail de fond. Très souvent, quand vous avez des groupes importants qui déposent leur bilan avec des propositions de reprise soit uniques soit divisées par branche d'activité, le parquet procède à l'analyse de ces plans, en se fiant aux partenaires de la procédure. »

Ces pôles financiers devraient bénéficier d'assistants spécialisés, une innovation adoptée par le Parlement dans la dernière loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier. Des inspecteurs des impôts, du Trésor, de la concurrence ou de la douane viendront épauler les juges dans les dossiers complexes. Ils ne seront pas des acteurs de la procédure mais des collaborateurs des magistrats (par exemple leur rôle ne sera pas d'apprécier la sincérité d'un bilan mais d'aider le juge à en comprendre la structure). D'ici trois ans, soixante-quinze assistants de ce type devraient rejoindre les palais de justice. Les sites de Bastia, Marseille, Lyon, Fort-de-France et Bordeaux ont d'ores et déjà été retenus, même si les pôles seront de taille très variable.

La présence de ces assistants spécialisés auprès des magistrats en charge des juridictions commerciales représenterait un progrès considérable. Le parquet grâce à cet outil de contre-expertise pourrait enfin remplir pleinement sa mission de suivi des procédures collectives.

Loin d'être marginal et la survivance d'un droit obsolète, l'échevinage est un mode de justice commerciale très répandu dans de nombreux pays européens qui répond aux exigences d'une justice moderne, c'est-à-dire une justice à la fois spécialisée et professionnelle. Cette organisation juridictionnelle est préconisée par la plupart des spécialistes et praticiens que la commission a eu l'occasion d'entendre ou de rencontrer : magistrats, professeurs de droit, avocats, fonctionnaires...

Seuls certains juges consulaires ne sont pas acquis à cette solution.

B.- L'AUGMENTATION DU FINANCEMENT PUBLIC, NÉCESSAIRE MAIS RAISONNABLE

La commission a constaté à maintes reprises que la carence des financements publics (départements, puis État) était à la racine de bien des dysfonctionnements de l'institution consulaire (voir première partie, II.B.3 « Un budget introuvable »). Le transfert de charges de l'État vers la sphère privée pour assurer le fonctionnement de juridictions est profondément malsain. L'État doit assumer son rôle dans l'exercice des fonctions régaliennes. Il convient aussi de prendre en compte le coût - raisonnable - des réformes de fond de l'institution. La création d'un droit de placement pourrait contribuer à l'équilibre financier de la réforme.

1.- Pas d'assainissement possible sans crédits de fonctionnement décents

Les investigations de la Cour des comptes ont révélé des irrégularités et des facteurs de risques, mais n'ont pas mis au jour de détournements de fonds. La probité des juges consulaires n'est donc pas en cause à cet égard, mais bien un système de financement public qui organise le dénuement des juridictions, en sachant que des commanditaires privés suppléeront.

M. Christian Descheemaeker l'a exprimé sans détour devant la commission :

« Il faut bien dire que la gestion extrabudgétaire des tribunaux de commerce est un système dans lequel les torts ne sont pas totalement imputables aux tribunaux de commerce, puisqu'ils ne disposaient pas de certaines lignes budgétaires. On trouvait normal qu'un juge consulaire se déplace à ses frais pour suivre des cours au centre de formation de Tours ; or je considère, pour ma part, que pour bénévole qu'il soit, un juge ne doit pas " y être de sa poche ". Quand il se déplace pour le service, il me paraît normal que ce soit l'État qui lui paie ses frais de déplacement, comme il le fait pour un fonctionnaire et au même tarif que pour un fonctionnaire.

Par conséquent, la Cour des comptes, constatant l'irrégularité de ces situations et la nécessité d'y mettre fin, avait estimé que, à cette fin, il fallait, d'une part que les tribunaux de commerce cessent d'agir comme ils le font et passent par le fonds de concours, d'autre part que la Chancellerie ouvre des crédits raisonnables pour couvrir quelques frais de réception, de déplacement, de formation à leur bénéfice ; la Chancellerie s'y est engagée dans la réponse qui est publiée après l'insertion au rapport public.

Pour parler plus familièrement, il ne faut pas qu'il y ait un système " pousse au crime " ; pendant un certain nombre d'années on peut dire, je crois, que la Chancellerie ignorait le détail des choses dont je vous parle mais qu'elle savait, en gros, que les tribunaux de commerce avaient une seconde ressource budgétaire. Selon des réflexes qui sont très courants, elle a estimé que puisqu'il y avait de l'argent ailleurs, il ne valait peut-être pas la peine d'en mettre. C'était un cercle vicieux : on ne donnait pas de frais de déplacement parce que l'on savait que les juges consulaires parvenaient à se déplacer sur une autre caisse mais, ce faisant, on justifiait une gestion extrabudgétaire. »

Pour mettre un terme à ces pratiques, l'État doit apporter une réponse budgétaire, mais en contrepartie d'une gestion plus rigoureuse, que la rationalisation de la carte consulaire ne pourra que favoriser. M. Philippe Lemaire a indiqué avec clarté la conduite à tenir : « Il est donc indispensable que l'État fasse un effort supplémentaire pour doter correctement les tribunaux de commerce en crédits de fonctionnement. Mais en retour, comme pour les autres juridictions, les tribunaux de commerce doivent professionnaliser leur gestion publique. Au demeurant, celle-ci est désormais très largement déconcentrée au niveau des cours d'appel et, à l'avenir, devrait être facilitée. Il est indispensable que disparaissent progressivement les liens financiers qui existent entre les tribunaux de commerce et les chambres de commerce et d'industrie qui, même par le biais des fonds de concours, sont de nature à jeter la suspicion sur l'impartialité des juges consulaires. »

a) Une mise à niveau de la dotation de fonctionnement courant

· Il reste à savoir la nature et le montant de l'effort budgétaire à fournir pour la mise à niveau des dotations de fonctionnement. À la question « Parmi les dépenses financées par des fonds extrabudgétaires, quelles seraient, selon vous, celles qui sont justifiées et a-t-on une idée du montant de ressources budgétaires nécessaire pour les couvrir ? », M. Christian Descheemaeker a répondu : « Je n'ai pas pu procéder à une évaluation car les situations sont très variables. (...)

En revanche, dans de nombreux tribunaux de commerce, - la majorité d'entre eux étant de tout petits tribunaux -, il ne faut que quelques milliers de francs pour offrir un cocktail après l'audience solennelle de rentrée, quelques crédits de déplacement très minimes, et c'est tout.

Je crois que le poste principal de dépenses devrait être le poste de formation, qui demande à être chiffré. C'est faisable puisque je crois qu'un juge consulaire qui vient d'être élu doit passer quelques fins de semaines prolongées à Tours pour se former (...). »

Il faudrait procéder à une évaluation en trois étapes. La première consisterait à s'assurer que, sur le budget de la justice, la dotation de l'article 54 du chapitre 37-92 est suffisante pour les actions qu'elle couvre, ce qui est douteux. La deuxième consisterait à recenser les besoins qui tendent aujourd'hui à être couverts en tout ou partie sur fonds extra-budgétaires. Comme le confirme l'examen des dépenses prises en charge par l'une des associations de soutien du tribunal de commerce de Paris, alimentée par un versement de la chambre de commerce et d'industrie, il s'agissait principalement de frais de représentation et de déplacement. La dernière étape aurait pour objet d'évaluer la charge à prévoir en vue du développement de la prévention, qui suppose, pour connaître un nouveau souffle, la mobilisation de moyens publics (voir la première partie, II-A-2).

Comment avoir un ordre de grandeur des suppléments de crédits envisageables au titre du fonctionnement courant ? Actuellement, la dotation est proche de 40 millions de francs, soit une moyenne par tribunal de commerce de l'ordre de 175 000 francs, y compris pour de très petites juridictions, dans des ressorts qui sont appelés à être regroupés.

Il est possible de prendre comme point de comparaison la dotation des conseils des prud'hommes, qui est en moyenne de 300 000 francs. À carte consulaire inchangée, transposer ce montant moyen conduirait à une enveloppe globale de 68 millions de francs, soit un supplément de l'ordre de 28 millions de francs. Mais ce chiffrage est certainement très supérieur aux besoins réels, pour deux raisons :

- la carte consulaire doit être refondue. Il est plus réaliste de tabler sur des hypothèses-types de 150 ou de 190 juridictions (voir I-A ci-avant) ;

- un quasi-doublement de la dotation moyenne ne s'impose pas nécessairement, même si le total actuel des fonds extrabudgétaires n'est pas connu. Un crédit moyen de 250 000 francs, soit une augmentation de moitié, pourrait être suffisant.

mise à niveau des crédits de fonctionnement courant :

hypothèses de calcul

   

Format de la carte consulaire
(Nombre de tribunaux de commerce)

   

150

190

227(b)

Coût moyen d'un

0,25 MF

37,5

47,5

57

tribunal(a)

0,3 MF

45

57

68

(a) Dotation moyenne en 1998 : 0,175 Mfrancs Dotation totale en 1998 : 39,6 Mfrancs

(b) Carte actuelle, métropole hors Alsace-Moselle.

Compte tenu de la nécessité de procéder à des regroupements de tribunaux, quelles que soient les hypothèses retenues, la mise à niveau des crédits de fonctionnement n'impliquerait qu'un surcoût inférieur à 20 millions de francs, ce qui, en termes budgétaires, reste négligeable, et réalisable sans aucune difficulté. La remise à niveau pourrait même être effectuée à enveloppe budgétaire constante, avec une dotation moyenne relevée de moitié et un regroupement de la plupart des tribunaux situés en -deçà du seuil d'activité minimale de 500 décisions par an.

Quel que soit le schéma retenu, cette simple esquisse révèle un effort supplémentaire de l'État finalement très limité. Au regard de l'enjeu, les objections relatives au coût ont ainsi idéalement disparu.

b) Une formation financée et contrôlée par l'État

La question du financement par l'État de la formation des juges est actuellement ouverte. La Cour des comptes a critiqué les conditions dans lesquelles le centre de formation de Tours était financé par le conseil général et la chambre de commerce, et ceux-ci ont dû suspendre leurs versements. C'est pourquoi la ministre de la justice a décidé l'inscription des crédits nécessaires sur la dotation relative aux tribunaux de commerce de son budget, à titre non reconductible pour 1998. La poursuite du financement par l'État est conditionnée à la présentation d'un projet pédagogique. L'État doit être le bailleur de fond ; en contrepartie, il doit exercer son contrôle.

 Cette année, le centre doit accueillir 379 stagiaires, soit un peu plus de 10 % des 3 330 juges consulaires, pour un budget établi exactement à 908 000 francs. Par conséquent, la mise en place d'un stage systématique de deux à quatre semaines pour les juges nouvellement élus et le renforcement des actions de formation permanente pour les juges chevronnés pourraient représenter tout au plus un coût annuel compris entre 1 et 3 millions de francs.

c) Financement de quelques postes d'assistants de justice

·  Au titre des moyens en personnel, il serait souhaitable d'étendre aux juridictions commerciales le mécanisme des assistants de justice prévu par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative. Ils ne peuvent actuellement être affectés auprès des tribunaux de commerce. Leur présence se justifierait dans les plus importants d'entre eux, par exemple dans les vingt-quatre tribunaux qui disposent de plus de vingt-cinq juges.

À titre indicatif, un crédit budgétaire d'un million de francs permettrait le recrutement de vingt-six assistants de justice(1), ce qui, là encore, illustre l'extrême rentablité marginale d'un effort budgétaire minime.

D'autre part, l'affectation d'assistants spécialisés dans les parquets pour renforcer leurs cellules financières, sur la base de l'article 91 de la récente loi portant DDOEF est une urgence maintes fois signalée à la commission.

·  Enfin, la commission propose, par ailleurs, la fonctionnarisation des greffes, qui assurent le secrétariat des présidents de tribunaux. S'il n'était pas donné suite à cette proposition, il conviendrait, pour assurer la transparence financière :

- de faire prendre en charge le secrétariat par des fonctionnaires rémunérés par l'État ;

- et de soumettre les greffes à un loyer pour les locaux qu'ils occupent, ainsi que le préconise d'ailleurs la Cour des comptes.

2.- Le financement des réformes proposées

a) Échevinage limité aux procédures collectives ou échevinage intégral ?

·  Le dossier le plus lourd est celui de l'échevinage, pour des raisons, non pas tant financières mais plutôt passionnelles. Le bénévolat des juges consulaires est une source d'économies considérables pour l'État. La réforme préparée par M. Robert Badinter, de façon consensuelle puis abandonnée en 1984 pour cause de fronde des tribunaux de commerce, a illustré toute la dimension passionnelle d'un projet considéré à tort par les magistrats consulaires comme injurieux pour leur honnêteté et leur compétence.

La commission n'était inspirée d'aucun a priori, ni d'aucune suspicion. Elle se devait d'examiner toutes les voies de réforme. L'échevinage intégral lui a paru une solution possible. Son coût pourrait être évalué aux alentours de 170 millions de francs par an, en régime de croisière, montant nécessaire pour la rémunération d'environ 500 magistrats professionnels, à carte consulaire inchangée. À titre de comparaison, cette charge équivaut à une fois et demis les recettes télématiques que l'exploitation du registre du commerce procure aux greffes.

La réforme préférable associerait une refonte en profondeur de la carte des juridictions commerciales et un échevinage généralisé dont l'impact budgétaire serait ainsi très atténué.

Bien sûr, l'échevinage peut faire l'objet de différenciations et de raffinements. Les procédures de référé, l'injonction de payer, les contentieux contractuels peuvent échapper à l'échevinage ou doivent pouvoir faire l'objet d'une simple option entre les mains des justiciables.

Les regroupements de juridictions pourraient, dans l'absolu, conduire à un total de l'ordre de 130 à 150 en métropole hors Alsace-Moselle. S'il était finalement décidé de maintenir davantage de tribunaux, au-delà de 150, il serait nécessaire d'en spécialiser une centaine, soit l'équivalent d'un par département, dans les procédures collectives. Ainsi, l'ordre de grandeur du nombre de chambres spécialisées dans ce contentieux s'établirait entre 100 et 150. En règle générale, un juge professionnel siégerait dans chacune de ces chambres. Dans ces conditions, la charge annuelle de rémunération résultant de cet échevinage des spécialistes en procédures collectives ne s'établirait qu'à un montant budgétaire situé entre 35 et 50 millions de francs.

Il est probable qu'une montée en charge soit nécessaire, peut-être sur une période de trois ans, le temps de mobiliser le nombre requis de juges professionnels expérimentés et formés à cet effet. Le développement de l'échevinage dans les cours d'appel pourrait contribuer à cet égard à dégager quelques marges de manoeuvre.

b) L'alignement des greffes sur le droit commun

S'agissant de la fonctionnarisation des greffes, la commission ne dispose pas d'éléments suffisamment exhaustifs pour tenter une évaluation des charges prévisibles d'indemnisation. Au vu des prix de mutation enregistrés au cours des années récentes, il n'est pas douteux que l'indemnisation serait d'un coût significatif, pour les quelque deux cents charges concernées. Mais, comme lors de la nationalisation des autres greffes, décidée en 1965, ce coût serait étalé sur une durée de l'ordre de quinze ans. Les recettes télématiques en couvriraient une bonne part.

Mais surtout, les recettes télématiques du registre du commerce, à elles seules, devraient suffire largement à financer non seulement l'indemnisation des titulaires des charges mais également, dans les années ultérieures, l'autofinancement de l'échevinage par la création d'un fonds de concours..

La valeur des offices de greffier peut faire l'objet d'une approximation, sur la base des cessions réalisées au cours des cinq dernières années. 52 cessions ont été opérées de janvier 1993 à décembre 1997, y compris quelques greffes « binés ». Elles ont porté sur un montant total cumulé de l'ordre de 340 millions de francs. En formant l'hypothèse que ces cessions forment un échantillon représentatif des greffes, il est possible d'évaluer à environ 1,3 milliard de francs le coût total des charges, et à 6,5 millions de francs la valeur moyenne d'une charge.

Ce montant représente approximativement onze ans de recettes télématiques (environ 120 millions de francs par an actuellement), toutes choses étant égales par ailleurs.

La charge d'indemnisation devrait être quelque peu supérieure si l'on transpose les critères mis en oeuvre lors de la réforme de 1965. Mais, il appert que, en ordre de grandeur, l'indemnisation des greffiers est susceptible d'être couverte par les recettes futures des greffes fonctionnarisés.

La refonte de la carte judiciaire devrait d'ailleurs permettre de rationaliser leur réseau et de dégager des économies d'échelle.

3.- La mobilisation possible de recettes nouvelles

La réforme envisagée est donc susceptible de comporter un volet « recettes », qui contribuerait, si nécessaire, à en atténuer ou à en annuler le coût net.

·  Le rapport Monguilan proposait l'institution d'un droit de placement forfaitaire, perçu par le greffier sur toutes les affaires commerciales « placées ». Elle préconisait de le fixer à 40 francs - c'était en 1974 -. Ce montant équivaut aujourd'hui à 140 francs après correction de l'effet de l'érosion monétaire (qui se traduit par une multiplication par 3,5). Sur la base de 150 000 affaires placées dans l'année, le produit en aurait été de 6 millions de francs à l'époque.

La contribution du CNPF à la réflexion sur l'avenir de la justice consulaire d'octobre dernier reprenait l'idée d'un droit de placement de faible montant, inspiré du droit de timbre de 100 francs sur les requêtes devant les tribunaux administratifs. Mais ce droit serait institué « à titre exceptionnel et provisoire » (article 44 de la loi de finances pour 1994).

Ce caractère provisoire ne paraît guère de mise. L'objet du droit de timbre serait, non pas de faciliter une transition, mais de faire participer de façon pérenne les justiciables à l'équilibre d'un nouveau mode de fonctionnement dans lequel des garanties nouvelles lui sont offertes. Ce serait en quelque sorte une participation à l'effort de transparence, c'est-à-dire à la crédibilité de l'institution.

Il pourrait être créé, pour un montant de 50 ou 100 francs, et assis sur les demandes d'ouverture de procédures collectives ou d'affaires contentieuses, soit un ordre de grandeur de 600 000 décisions par an. D'un point de vue budgétaire, il permettrait de « gager » la mise à niveau des crédits de fonctionnement, à hauteur respectivement de 30 ou 60 millions de francs environ. Pour les entreprises justiciables, la charge peut en être considérée comme symbolique.

La Conférence générale des tribunaux de commerce, par la voix de son président, a elle-même plaidé « pour la création d'une taxe de 30 francs sur les 1,1 million de décisions annuelles, (...) afin de financer une aide juridictionnelle » pour les plus petites entreprises, qui n'ont pas toujours les moyens d'être assistées de façon satisfaisante devant les juridictions commerciales.

Son objet est digne d'intérêt. En revanche, l'assiette de cette taxe n'est guère satisfaisant. Taxer les décisions et non les requêtes aboutirait à des bizarreries, notamment en matière de procédures collectives, dans lesquelles les décisions sont très nombreuses : les juges-commissaires ont rendu en 1996 près de 540 000 ordonnances. La transposition du dispositif appliqué devant les juridictions administratives apparaît plus simple et plus sain.

·  Le relèvement des plafonds de déduction fiscale au titre des frais engagés par les juges consulaires, préconisé par le CNPF, devrait être mis à l'étude. Cependant, il convient d'éviter le double emploi avec les défraiements par voie budgétaire.

·  Si les greffes ne sont pas fonctionnarisés, outre leurs recettes de fonctionnement, notamment télématiques, il conviendra, ainsi qu'il a été dit, de les assujettir au versement de loyers.

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En bref, la mise à niveau des moyens de fonctionnement courant se situerait dans une fourchette de l'ordre de 0 à 30 millions de francs par an selon le schéma retenu pour la réforme de la carte consulaire. Si les préconisations de la commission en la matière sont suivies, le surcoût budgétaire annuel serait probablement voisin de 15 millions de francs.

Les travaux de la commission ne conduisent pas à trancher entre l'échevinage intégral ou limité aux chambres spécialisées, selon le modèle de la « réforme Badinter ». La charge de rémunération liée à l'échevinage intégral serait en tout état de cause inférieure à 170 millions de francs, après réforme de la carte consulaire. Une composition mixte des chambres spécialisées dans les procédures collectives se traduirait par une charge budgétaire comprise entre 35 et 50 millions de francs, selon le nombre des tribunaux de commerce.

Au total, la réforme des tribunaux de commerce conduirait à une majoration réaliste et modeste de l'enveloppe budgétaire relative à leur fonctionnement. L'institution d'un droit de placement serait susceptible de la gager en tout ou partie, selon le tarif retenu.

Quant à la fonctionnarisation des greffes, les charges d'indemnisation qu'elle implique, étalées dans le temps, pourraient trouver leur contrepartie dans les recettes télématiques tirées de l'exploitation du registre du commerce et des sociétés, soit 120 millions de francs par an.

Contrairement à ce qui eût semblé à première vue, une réforme en profondeur de l'institution consulaire n'occasionnerait donc pas de choc budgétaire sur les moyens du ministère de la justice. Les objections d'ordre financier étant aisément surmontables, l'oeuvre de réforme peut s'accomplir en fonction des seuls impératifs de relégitimation de l'institution.



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() Sur la base des chiffres du budget 1998, qui a prévu la création de 220 postes.