RAPPORT

FAITAU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME I
RAPPORT (SUITE)

DEUXIÈME PARTIE : UNE JURIDICTION À RÉNOVER (SUITE)

III.-UNE PROFONDE RÉFORME DES PROFESSIONS AU SERVICE DE LA JUSTICE COMMERCIALE 1

A.- UN ALIGNEMENT PROGRESSIF DES GREFFES SUR LE DROIT COMMUN 1

1.- Insuffisance des réformes à la marge 2

2.- Nécessité de l'application du droit commun aux greffes des tribunaux de commerce 3

3.- Diffusion au moindre coût de l'information sur les entreprises 5

4.- Adaptation à une carte consulaire refondue 6

B.- MANDATAIRES DE JUSTICE : DES PROFESSIONS À REDRESSER 7

1.- Les termes du débat 7

2.- Modifier la distribution des rôles 9

a) Supprimer la profession de mandataire-liquidateur 10

b) Redresser la profession d'administrateur judiciaire 12

3.- Instituer des contrôles véritables 13

a) Contrôler les professions 14

· Renforcer l'autocontrôle 14

· Inciter l'État à prendre ses responsabilités 14

b) Maîtriser le placement des fonds 15

4.- Transformer radicalement les modes de rémunération 16

III.- UNE PROFONDE RÉFORME DES PROFESSIONS AU SERVICE DE LA JUSTICE COMMERCIALE

La réforme des différentes professions auxiliaires ou mandataires de la justice commerciale ne peut prendre toute son ampleur que dans le cadre de la réforme générale des tribunaux de commerce et notamment avec l'introduction de l'échevinage qui apportera une garantie juridique aux décisions prises et un contrôle renforcé des professions considérées.

A.- UN ALIGNEMENT PROGRESSIF DES GREFFES SUR LE DROIT COMMUN

Alors que tous les greffes des tribunaux de droit commun ont été nationalisés par une loi de 1965, seuls les greffes des tribunaux de commerce ont curieusement conservé un statut privé.

Les greffes des tribunaux de commerce sont de véritables entreprises privées. Comme la commission l'a constaté supra, les objectifs de rentabilité finissent dans ces conditions par l'emporter sur les préoccupations de service public.

Si des réformes à la marge sont envisagées par certains, il semble à la commission nécessaire de procéder progressivement à la fonctionnarisation des greffes des tribunaux de commerce, de la même façon qu'ont été fonctionnarisés les greffes des juridictions ordinaires au milieu des années 1960.

Quant à la question de l'information sur les entreprises tirée du registre du commerce et des sociétés, il convient que la puissance publique en retrouve la maîtrise pour la mettre à la disposition du public dans les meilleures conditions possibles et au coût le plus bas possible.

1.- Insuffisance des réformes à la marge

Il est évidemment possible d'envisager d'encadrer de manière plus stricte l'activité des greffes des tribunaux de commerce.

Il s'agirait notamment de renforcer le contrôle, qui, tel qu'il est organisé aujourd'hui est inopérant, comme cela a été analysé précédemment (cf. II-C-2-b). Tout comme les contrôles qui pèsent sur les mandataires de justice, les contrôles exercés sur les greffes des tribunaux de commerce doivent devenir effectifs.

La Chancellerie dans ses volontés de réforme ne résout pas le problème essentiel, qui est celui de l'objectif poursuivi par des greffes privés. Dans les négociations qu'elle a engagées avec la profession sur les rémunérations, elle est largement dépendante des informations que le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce veut bien lui communiquer, comme en témoigne le dialogue suivant engagé entre les membres de la commission et le sous-directeur des professions judiciaires et juridiques à la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice.

LA CHANCELLERIE DÉPASSÉE DANS SES NÉGOCIATIONS AVEC LES GREFFIERS

Mme Henriette CHAUBON, sous-directeur à la sous-direction des affaires civiles et du sceau : On ne dispose pas aujourd'hui d'une étude précise sur les revenus des greffiers des tribunaux de commerce. La Chancellerie a connaissance des traités de cession. Elle connaît, à cette occasion, la valeur de la charge, mais n'assure plus de contrôle sur les prix, ceux-ci se négociant librement. Les prix de cession varient énormément. Nous disposons également de quelques éléments sur les revenus grâce à une liste représentative de greffes. (...)

M. Jacky DARNE, député : Pour nous permettre d'avoir une vue plus juste, il conviendrait que nous puissions (...) avoir les chiffres d'affaires des greffes ou leurs revenus.

Mme Henriette CHAUBON : La Chancellerie ne possède pas ce renseignement.

M. Jacky DARNE : Alors comment avez-vous évalué la perte de revenu causée par l'abaissement du tarif de la télématique de 9,21 francs à 5,57 francs ? Il fallait bien connaître les revenus !

Mme Henriette CHAUBON : Nous l'avons évaluée d'après un échantillon. (...) Comme les autres officiers publics et ministériels, les activités des greffiers sont tarifées. D'une manière générale, les tarifs sont constitués d'un droit fixe et de droits proportionnels. Certaines prestations sont payées par référence à un taux de base, qui est à l'heure actuelle de 6,60 francs - il passera à 7,40 francs en cas d'augmentation de 12 % - que l'on multiplie par un coefficient qui varie selon la nature de l'acte. Par exemple, telle prestation vaut trois taux de base.

M. le Président : Puisque l'on connaît le nombre et la nature des actes d'une charge, nous devrions pouvoir en déduire son revenu. À ce revenu s'ajoute d'ailleurs le produit de toutes les informations vendues par télématique et qui ne font pas l'objet d'une tarification.

M. Jacky DARNE : Cette augmentation de 12 % est-elle déjà décidée ?

Mme Henriette CHAUBON : Non, il ne s'agit, pour l'instant, que d'une proposition de la Chancellerie.

M. Jacky DARNE : Il est étonnant que l'on propose une augmentation de 12 % en compensation d'une baisse de revenus  -revenus que l'on ignore -due à une baisse du prix de la télématique, dont on ne sait pas si elle produira un surplus de revenus ! Je vous propose, monsieur le président, de demander au ministère de différer cette augmentation de 12 % qui est incompréhensible.

M. le Président : Nous pourrions, tout d'abord, demander à la Chancellerie sur quels éléments elle s'appuie pour proposer une telle augmentation, c'est-à-dire quels sont les arguments de la profession.

Mme Henriette CHAUBON : Nous disposons, pour un échantillon donné, du montant des charges, des produits et des bénéfices. En analysant les produits nous avons pu déterminer la part de la télématique et un calcul nous a permis de déterminer à quoi allait correspondre cette baisse du prix de 41 %. Nous proposons donc de baisser le prix de la télématique de 41 % et d'augmenter de 12 % les émoluments tarifés - émoluments que nous identifions parfaitement.

M. Jacky DARNE : La télématique n'est pas si ancienne que cela et progresse en volume chaque année. Quel est le taux de croissance anticipé pour les prochaines années, en revenu ? Si l'on ne prend pas en compte le phénomène quantitatif, je me demande quelle étude l'on peut faire ! Enfin, quelle était la situation avant la télématique ? Quels étaient les revenus des greffes il y a dix ans ?

M. le Président : Cette étude a-t-elle été faite sur toutes les charges ou sur quelques charges dites représentatives ?

Mme Henriette CHAUBON : Cette étude porte sur des charges représentatives.

M. le Président : Le bruit courait que l'achat de certaines charges était amorti en très peu de temps grâce à la télématique. Ce qui veut dire que pour quelques grosses charges, notamment de la région parisienne, le système est complètement différent.

Mme Henriette CHAUBON : Il est vrai que, pour les greffes de la région parisienne, la baisse va être très importante.

M. le Rapporteur : Qui a choisi la représentativité de ces charges ?

Mme Henriette CHAUBON : Ce sont les professionnels qui nous ont communiqué un échantillon comprenant des juridictions petites, moyennes et plus importantes.

M. le Rapporteur : Qui sont les interlocuteurs de la Chancellerie, dans cette "négociation" ?

Mme Henriette CHAUBON : Le Conseil national des greffiers de Tribunaux de commerce, organisme élu et représentatif.

Dans ces conditions, il n'est guère possible de mener une véritable politique en direction des greffes des tribunaux de commerce dans le seul souci de la satisfaction des justiciables et non dans l'intérêt économique d'une seule profession.

2.- Nécessité de l'application du droit commun aux greffes des tribunaux de commerce

Introduisons les propositions de la commission par l'avis d'un professionnel qui pratique les greffes publics et fonctionnarisés des tribunaux d'Alsace-Moselle. Ainsi, selon le procureur général près la cour d'appel de Colmar, « la situation particulière de l'Alsace-Moselle conduit à se réjouir de la parfaite normalité de la situation. Fonctionnaires, nos greffiers qui, de surcroît, travaillent avec des magistrats professionnels, n'ont nullement tendance à outrepasser leur rôle institutionnel pour s'adonner à des fonctions de conseils ou de rédacteurs de substitution... La fonctionnarisation des greffes régule par ailleurs ces pulsions qui pourraient résulter d'une préoccupation de chiffre d'affaires»(1)

Le remaniement indispensable de la carte judiciaire suppose une réorganisation des greffes. La fonctionnarisation de ces structures permettrait à la fois de faire revenir les greffes des tribunaux de commerce au sein du service public de la justice et de faciliter cette réorganisation.

Les motifs qui ont conduit à la nationalisation des greffes des juridictions ordinaires sont les mêmes qui conduisent la commission à proposer, aujourd'hui, celle des greffes des tribunaux de commerce. Le Rapporteur(2) du projet de loi en 1965 déclarait, devant l'Assemblée nationale, à ce titre que le greffe « constitue (...) à l'intérieur du mécanisme judiciaire, un rouage essentiel. Mais la vérité oblige à dire que ce rouage a un sérieux besoin d'être révisé. En effet le fonctionnement actuel des greffes est anachronique, hybride et inadapté.

« Il est anachronique parce que, tout en étant l'un des éléments indispensables d'un éminent service public, le greffe est indépendant, s'achète et se revend, est soustrait à la hiérarchie judiciaire et (...) fait commerce d'un morceau de justice. C'est un peu comme si, de nos jours, l'une de nos régies financières était encore entre les mains de ces particuliers qui, sous l'Ancien régime, s'appelaient les fermiers généraux.

« Cette situation indépendante se justifie d'autant moins qu'elle est en même temps une situation de monopole. (...) Or chacun doit convenir que, lorsqu'il y a à la fois monopole et service de l'intérêt général se trouvent réunies les deux conditions nécessaires et suffisantes pour qu'il y ait fonctionnarisation. »

Les principes de la nationalisation des greffes des juridictions ordinaires, opérée par la loi n° 65-1002 du 30 novembre 1965 portant réforme des greffes des juridictions civiles et pénales, peuvent être repris en partie pour celle des greffes des tribunaux de commerce.

- le dispositif doit être progressif afin d'étaler les charges pour le budget de l'État dans le temps ;

- la valeur de la charge établie sur la base de critères précis (prix de cession antérieur actualisé, moyenne du nombre d'actes calculée sur cinq ans) doit être respectée pour la fixation de l'indemnité d'acquisition forcée au profit de l'État ; des coefficients dégressifs pourront être appliqués sur la base de cette valeur au fur et à mesure que la valeur de la charge augmente, compte tenu notamment de la part importante représentée par les ressources tirées de la télématique ; une partie de l'indemnisation pourrait être payée en bons du Trésor ;

- l'État doit racheter le matériel qui se trouve dans les greffes des tribunaux de commerce ;

- les mesures transitoires doivent être suffisamment étalées dans le temps pour ne pas bouleverser brutalement la situation personnelle et familiale des titulaires de charges ;

- les greffiers titulaires de charge pourraient avoir la faculté de continuer l'exercice de leurs fonctions pendant dix ans. En aucun cas, ils ne pourraient poursuivre cet exercice au-delà d'un certain âge ;

- un accès spécial doit être ouvert tant à la magistrature qu'aux autres professions judiciaires en faveur des greffiers titulaires de charges qui le solliciteraient ; ils pourraient également être recrutés comme agents contractuels relevant du ministère de la justice ;

- les facultés d'intégration dans les corps de fonctionnaires et de recrutement en qualité d'agent contractuel ou d'auxiliaire seront ouvertes aux employés des greffiers titulaires de charge salariés à plein temps et remplissant les conditions générales d'accès à la fonction publique ;

- les greffes fonctionnarisés percevront des redevances au profit du Trésor public pour l'accomplissement des actes et formalités, dans les conditions prévues par l'article 5 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959(3).

3.- Diffusion au moindre coût de l'information sur les entreprises

La fonctionnarisation des greffes doit s'accompagner d'une diffusion plus large des informations recueillies sur le registre du commerce et des sociétés. Deux options sont envisageables : en réduire sensiblement le coût de consultation, ou le « recycler » pour indemniser les titulaires de charges.

La Chancellerie a annoncé la préparation d'un décret encadrant la diffusion électronique des informations récoltées par les greffes des tribunaux de commerce, en limitant notamment les données actuellement transmises. Cette mesure ne résoudra pas les problèmes fondamentaux qui sont celui de la recherche de la rentabilité par les structures privées que sont les greffes et celui de l'accès aux données relatives aux entreprises au plus grand nombre et à moindre coût.

Comme il est envisagé de généraliser le raccordement des greffes des tribunaux de commerce d'Alsace et de Moselle à l'INPI, qui pourrait ainsi, par le biais d'un service télématique ou d'Internet, fournir les publications légales des tribunaux, il est envisageable, dans le cadre de greffes fonctionnarisés, de permettre la diffusion des informations du registre du commerce et des sociétés par le seul INPI, établissement public, à un coût nettement inférieur à celui actuellement pratiqué par les serveurs des greffes des tribunaux de commerce.

Cet organisme pourrait reverser une partie des recettes au budget du ministère de la justice par le biais des fonds de concours pour servir à abonder à terme les crédits de fonctionnement des juridictions commerciales. Dans un premier temps, ces crédits pourraient permettre d'assurer la fonctionnarisation des greffes.

4.- Adaptation à une carte consulaire refondue

· Laissons la parole à Mme Henriette Chaubon : « Le troisième dossier relatif aux greffiers concerne le problème de la carte judiciaire qui intéresse directement les greffiers des tribunaux de commerce, puisque l'on ne peut pas concevoir l'existence d'un greffe en dehors d'un tribunal de commerce. Par conséquent, les greffiers seront concernés au premier chef si l'on s'oriente vers un resserrement du nombre des juridictions commerciales. »

La carte des greffes étant placée sous l'influence d'une logique de marché, sa refonte a précédé spontanément celle des juridictions. Une charge de greffier n'est économiquement viable que si le tribunal de commerce dont il dépend connaît une activité suffisante. Lorsque ce n'est pas le cas, des greffiers ont été conduits à cumuler l'administration de deux greffes. Vingt-trois greffes « binés » fonctionnent actuellement : Amiens-Saint-Valery sur Somme, Dole-Salins les Bains ; Alençon-L'Aigle ; Argentan-Vimoutiers ; Bayeux-Vire ; Coutances-Saint-Lo ; Cherbourg-Lisieux ; Falaise-Condé sur Noireau ; Beaune-Nuits Saint-Georges ; Dijon-Auxonne ; Chaumont-Langres ; Limoux-Castelnaudary ; Montpellier-Lodève ; Millau-Saint-Affrique ; Pézenas-Clermont l'Hérault ; Briey-Verdun ; Reims-Epernay ; Saint-Brieuc-Paimpol ; Cusset-Riom ; Issoire-Billom ; Le Puy-Brioude ; Evreux-Louviers ; Neufchatel-Gournay.

Trois officiers ministériels cumulent même la direction de trois greffes, qui sont alors dits « trinés » : Saint Quentin-Chauny-Vervins ; Saintes-Saint Jean d'Angely-Jonzac ; Le Havre-Fécamp-Saint Valéry en Caux.

Les regroupements portent le plus souvent sur des greffes exerçant dans de petites ressorts, mais le dernier exemple associe le greffe d'un tribunal très actif, Le Havre, et deux autres traitant peu d'affaires.

La refonte indispensable de la carte des tribunaux de commerce, qui se traduira par le regroupement d'un grand nombre d'entre eux, a donc été en partie anticipée. La consultation nationale sur la carte judiciaire conduite en 1997 a fait apparaître que les titulaires de greffes cumulés ne semblent pas hostiles à une fusion des tribunaux dont ils assurent le greffe, dans la mesure où elle fournirait l'occasion d'une réorganisation de leurs services.

Dans les ressorts actuellement dépourvus de tribunal de commerce, et où le tribunal de grande instance statue en matière commerciale, quelques créations sont également à prévoir. Il conviendra alors d'organiser la scission de leur greffe.

Mais le cas le plus fréquent sera celui du regroupement ou de la fermeture de tribunaux dotés d'un seul greffe. Afin de faciliter les formalités des entreprises et leur accès aux registre du commerce et des sociétés, il serait souhaitable de maintenir une présence locale du greffe, toutes les fois que la densité du bassin économique et la distance du tribunal de commerce le justifient.

À cet effet, Mme Henriette Chaubon a apporté à la commission les précisions suivantes : « À l'heure actuelle, tous les officiers ministériels - autres que ceux des tribunaux de commerce - ont des offices et peuvent avoir des offices annexes qui sont un démembrement de l'office principal. En cas de regroupement des juridictions commerciales, nous avons donc prévu une mesure de souplesse - le décret est actuellement devant le Conseil d'État -prévoyant la création de greffes annexes qui se situeraient en lieu et place de la juridiction supprimée. De ce fait, une proximité serait assurée pour les justiciables et cela éviterait une disparition pure et simple de certains greffes. »

En même temps que seront rationalisés les services des greffes, le maintien des greffes annexes devra être la règle. Il conviendra également de l'envisager chaque fois que nécessaire dans les villes qui demeureraient dépourvues de tribunal de commerce.

B.- MANDATAIRES DE JUSTICE : DES PROFESSIONS À REDRESSER

Souvent détenteurs d'un pouvoir de vie ou de mort de fait sur les entreprises en difficulté, les mandataires de justice, que ce soient les administrateurs judiciaires ou les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, collaborateurs du service public de la justice(4), voient leur rôle fortement remis en cause par nombre d'acteurs des procédures collectives. Cette remise en cause participe de la perte de confiance des justiciables dans la justice consulaire.

Après avoir évoqué les différentes réformes proposées par plusieurs acteurs, au premier rang desquels le ministère de la justice, le Rapporteur souhaiterait proposer une réforme des professions considérées, dans le sens d'une redistribution des rôles, d'une ouverture des organes de la procédure à d'autres professions, d'un renforcement des contrôles et d'une profonde révision des modes de rémunération des auxiliaires de la justice commerciale. Il ne s'agit pas pour la commission de proposer dans le détail des règles destinées à régir l'exercice des mandats de justice et qui relèveraient du domaine réglementaire, mais de proposer des orientations générales.

1.- Les termes du débat

Tant la garde des sceaux, ministre de la justice, que le Conseil national du patronat français, la Conférence générale des tribunaux de commerce la chambre de commerce et d'industrie de Paris ou encore la très grande majorité des personnalités auditionnées par la commission ont proposé des modifications touchant le statut et les fonctions des mandataires de justice. Cela va de retouches impressionnistes à la suppression complète des professions considérées en passant par la fonctionnarisation.

Les auxiliaires de la justice commerciale ne peuvent échapper au mouvement général de modernisation de la justice.

Lors du conseil des ministres du 29 octobre 1997, la ministre de la justice a, dans sa communication sur la réforme de la justice, annoncé « l'amélioration des procédures de redressement et de liquidation judiciaire par un contrôle accru des professionnels » Le 24 octobre 1997, à l'occasion du centième anniversaire de la Conférence générale des tribunaux de commerce, elle s'était déjà prononcée pour une « action ferme » dans le domaine des procédures collectives visant notamment les mandataires de justice dont « certains ont failli de manière très grave à leur mission » et annonçant un futur décret, prévoyant le versement de l'ensemble des fonds gérés à la Caisse des dépôts et consignations et le contrôle renforcé de ces professionnels, notamment de leurs comptabilités.

Fin janvier 1998, un projet de décret de 63 articles modifiant les décrets n° 85-1387, n° 85-1388 et n° 85-1389 du 27 décembre 1985 a été transmis aux administrateurs judiciaires et aux mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises.

Aussi louable soit-il, ce projet ne saurait suffire à remettre de l'ordre dans les professions concernées. Cette opinion est renforcée par les conditions dans lesquelles le projet de décret a été rédigé (cf. encadré ci-après).

    LES CONDITIONS DE RÉDACTION DU PROJET DE DÉCRET DE LA CHANCELLERIE (cf. annexe  5)

Lors de son audition par la commission, M. Joël Rochard, inspecteur général des finances, ancien membre de la commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires, a évoqué les conditions de rédaction du projet de décret modifiant les textes régissant les AJMJ.

M. Joël ROCHARD:  La profession a corédigé le décret préparé par la Chancellerie avant même que les autres ministères aient eu connaissance du texte.

M. le Rapporteur : Qu'entendez-vous par « corédigé » ?

M. Joël ROCHARD : La Chancellerie a écrit un projet, l'a soumis à la profession, qui a émis ses remarques. La Chancellerie a réécrit un nouveau projet intégrant les remarques de la profession.

M. le Président : Avant, par exemple, de saisir le ministère des finances ?

M. Joël ROCHARD : Par exemple.

M. le Rapporteur : À quelle date cela s'est-il produit ?

M. Joël ROCHARD : Un projet de décret a été imaginé par la Chancellerie vers le mois d'octobre ; la profession a été consultée au mois de novembre. Un document à deux colonnes circulait : « Projet de la Chancellerie », « Projet de la profession ». Une nouvelle version du projet de la Chancellerie a été mise en circulation vers le mois de janvier. Si vous procédez au rapprochement des deux copies, vous constaterez que les suggestions de la profession sont très bien intégrées.

Une réforme plus fondamentale que celle proposée par la Chancellerie doit intervenir (cf. ci-après).

Pour sa part, la Conférence générale des tribunaux de commerce s'est déclarée également favorable à une réforme limitée : ouverture de la profession, refonte de son mode de rémunération et obligation de versement des fonds à la CDC. Selon une même ligne, la CCIP estime que leur statut devrait être conservé pourvu qu'on y apporte des modifications importantes concernant aussi bien les modalités de leur recrutement, leur système de rémunération et le contrôle de leur activité, qui est au coeur du débat.

Dans le même ordre d'idée, M. Gabriel Bestard, procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence propose la chose suivante : « Les professions de mandataires de justice pourraient être ouvertes aux experts comptables, aux commissaires aux comptes. On pourrait remettre en cause le principe de mise en place d'études importantes avec un seul titulaire, mais plusieurs bureaux annexes, avec de multiples stagiaires et collaborateurs, ces derniers assurant le suivi effectif de nombreuses procédures et intervenant souvent aux audiences aux lieux et place des mandataires. »

Le CNPF va plus loin en proposant de réexaminer l'ensemble des missions exercées par les AJMJ, de permettre aux créanciers de choisir leur représentant, de confier à une même personne les fonctions d'administration et de vérification du passif et de charger un organisme mandaté à cet effet de procéder aux opérations de liquidation. Il demande que soit largement ouvert le recrutement et que soit étudiée la possibilité d'instituer un tarif libéral ou du moins que soient rectifiées les aberrations du tarif actuel. En matière de déontologie, le CNPF propose d'instituer une déclaration générale des intérêts des AJMJ entrant en fonction, d'établir une charte déontologique, d'accroître les moyens des commissions de discipline, de mettre en place une structure forte d'inspection et de généraliser les conventions de déontologie entre les tribunaux de commerce et les mandataires.

S'agissant des seuls mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, de nombreuses personnalités (CNPF, Conférence générale des tribunaux de commerce, CCIP) se déclarent en faveur de la suppression des commissions régionales d'inscription et de discipline au profit d'une commission nationale, sur le modèle de ce qui existe pour les administrateurs judiciaires. Chaque mandataire liquidateur acquerrait une compétence nationale et pourrait être désigné par n'importe quel tribunal de commerce.

Là encore, la commission estime que cette mesure ne suffirait pas à briser l'emprise que ces mandataires ont sur les procédures collectives.

M. Maurice-Antoine Lafortune, avocat général à la Cour de cassation, est partisan d'une solution plus forte et intéressante. Il se dit ainsi favorable à la « suppression des " professions spécialisées " d'adminis-trateur et de liquidateur judiciaires, d'expert en diagnostic créés par la deuxième loi de 1985 (...). Une intégration des " professionnels " existant dans les professions actuelles (avocats, experts-comptables, commissaires aux comptes, etc.) ne poserait pas de problèmes particuliers. D'ailleurs, les administrateurs judiciaires peuvent statutairement, en l'état, exercer en même temps la profession d'avocat. Par ailleurs, les avocats peuvent recevoir tout mandat de justice.

« Le «mandat de justice» retrouverait ainsi toute sa signification dans le cadre de l'administration de la justice.

« Déjà la première loi de 1985 ne donne aucune exclusivité aux actuels " professionnels spécialisés ". Le tribunal de grande instance et le tribunal de commerce peuvent désigner toute personne compétente dans les conditions prévues par les textes pour exécuter les mandats de justice prévus dans le cadre des procédures de prévention ou de traitement des difficultés des entreprises. Seule la " mission " du mandataire de justice importe pour une bonne administration de la justice. »

Faute de supprimer complètement ces professions, il conviendrait à tout le moins de prévoir des règles de contrôle strictes. Est-il nécessaire que les auxiliaires soient désignés par le tribunal ? Le chef d'entreprise en procédure ne pourrait-il pas choisir lui-même les professionnels qui l'aideraient à redresser ou à liquider son affaire ? Les créanciers ne peuvent-ils pas choisir eux-mêmes le professionnel le mieux à même de les représenter et de garantir au mieux le paiement de leurs créances ?

Telles sont les questions qu'il faut traiter.

2.- Modifier la distribution des rôles

La profession de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises est mal organisée, mal contrôlée et dispose d'un monopole nuisible au bon déroulement des procédures de représentation des créanciers et de liquidation. La commission propose de la supprimer pour ouvrir les fonctions qu'elle occupe à d'autres professions. Par ailleurs, elle reconnaît la nécessité pour le chef d'entreprise de disposer d'une aide à la gestion durant la période d'observation et dans le cas d'un plan de cession ou de continuation. C'est pourquoi elle propose de conserver la profession d'administrateur judiciaire, à condition d'ouvrir la profession à d'autres savoir-faire, d'en aménager l'exercice et d'en durcir le statut.

a) Supprimer la profession de mandataire-liquidateur

Pendant la phase d'observation, dans les affaires les plus lourdes, le tribunal désigne à la fois un administrateur et un représentant des créanciers, qui appartient à la profession des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, sans même que les créanciers aient leur mot à dire.

Dès ce moment, l'entreprise en extrême difficulté est prise en main par des mandataires de justice qui, en raison des défaillances des contrôles que la commission a relevées ci-avant, deviennent seuls maîtres à bord, délestant souvent le débiteur et les créanciers de leur pouvoir d'appréciation et les plaçant comme en situation de tutelle.

Il faut oxygéner l'environnement des entreprises en cessation des paiements et ouvrir les fonctions anciennement réservées par le droit ou dans les faits aux mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises en tant que représentants des créanciers et aux administrateurs judiciaires en tant que chefs d'entreprise de secours.

Les magistrats consulaires ne sont pas tous convaincus de l'utilité d'un représentant des créanciers. M. Henri-Jacques Nougein a ainsi déclaré : « L'utilité de la seule fonction de représentants des créanciers n'apparaît pas toujours évidente. ». Cette position est radicalement opposée à celle des intéressés, qui réfléchissent au renforcement de la représentativité.

· Le CNPF a proposé de laisser les créanciers choisir et rétribuer leur représentant, et d'autre part de donner à tout créancier ou groupe de créanciers détenant 15 % au moins des créances à la date d'ouverture de la procédure des droits spécifiques : représentation, information, consultation à certains moments clés de la procédure, possibilité de recours contre les jugements relatifs aux plans de continuation et de cession. Cette nouvelle dérogation au principe d'égalité des créanciers ne risque-t-elle pas d'aggraver encore le déséquilibre issu de la loi de 1994, entre les titulaires de sûretés et privilèges protégés et le tout-venant des créanciers ? Les pistes les plus fructueuses seraient plutôt pour renforcer les droits de tous.

DES CRÉANCIERS TRAHIS

Lors de son audition par la commission, le 10 février 1998, M. Jean-François Verny, vice-président de la commission juridique du CNPF et président du groupe de travail « Tribunaux de commerce » au sein de cette organisation donnait une vision sans ambiguïté du mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises agissant en tant représentant des créanciers.

M. Jean-François VERNY : Oui, mais professionnel : il s'agit de liquider, il n'y a plus de problème de choix... On doit liquider, donc céder des actifs en les réalisant dans les meilleures conditions possibles de transparence et de professionnalisme.

S'agissant de l'autre rôle du mandataire liquidateur, la représentation des créanciers, là, c'est un cri d'indignation que nous poussons !

En effet, les créanciers c'est nous, les entreprises et voilà des gens que l'on nous « balance » comme représentants sans que nous les ayons choisis - c'est quand même les rares représentants qui ne sont pas choisis par les représentés - et dont, de surcroît, un seul suffit à nous représenter tous ! Que les créanciers soient au nombre de 2 000 ou 3 000, ils n'ont qu'un seul représentant, quelles que soit les divergences d'intérêts qui peuvent exister entre eux.

Il s'agit donc purement et simplement d'un abus de langage, d'une tromperie et nous estimons n'être pas représentés ! En outre, le fait que cette profession exerce ses fonctions sans nous en rendre compte - pourquoi le ferait-elle ? -, qu'elle soit intéressée financièrement à écarter les créances que nous présentons - ce qui est quand même un comble !- et que nous soyons représentés par quelqu'un dont on fait l'adversaire de certains créanciers, voire de tous les créanciers, nous est, pour tout vous dire, parfaitement intolérable !

M. le Président : Je vois que vous avez fait une intervention qui était parfaitement urbaine d'un bout à l'autre mais que vous aviez conservé de l'indignation pour la fin !

(...)

M. Henri PLAGNOL : Si vous considérez que l'on ne peut pas vous imposer un représentant des créanciers, ce que, pour ma part, je comprends parfaitement, comment alors résolvez-vous le problème de la défense des intérêts des créanciers et sous quelle forme ?

M. Jean-François VERNY : En les laissant se représenter ou choisir leurs représentants, et en ne leur fermant pas les voies de recours.

La loi sur les procédures collectives n'a qu'un souci qui est de sauver l'entreprise en difficulté, quels que soient les problèmes qu'elle crée à ses créanciers qui sont d'autres entreprises.

Je me demande donc pourquoi on privilégie d'un seul coup le malade au détriment de tout le monde et au risque de répandre la contagion : le droit français des procédures collectives est le contraire d'une quarantaine! On a un malade et on va faire en sorte d'en créer plus pour tenter de sauver celui qui est moribond. On va y parvenir une fois de temps en temps sans jamais se poser la question de savoir à qui on a transmis la maladie par ailleurs. Je vous dis le fond de ma pensée.

Afin de tirer les conséquences de ce clivage d'intérêts, il serait envisageable de désigner deux représentants l'un pour les créanciers protégés, l'autre pour les chirographaires.

· Pour répondre à l'insuffisante représentativité du représentant des créanciers, l'association SOS Liquidation, par la voix de son président, M. Marc Eisenberg, proposait de scinder cette fonction de celle de mandataire liquidateur, et de la confier le plus souvent possible à un magistrat.

Comme il n'est pas actuellement un organe de la procédure, elle demandait qu'il y soit davantage associé, à chacune de ses étapes.

Transparence des procédures, information et droit d'expression des parties : tel a été l'objet des doléances les plus fréquentes et les plus vives recueillies par la commission. La difficulté de toute réforme sera de prendre en compte ces préoccupations, tout en simplifiant dans la mesure du possible un dispositif dont chacun souligne la complexité.

Les créanciers doivent pouvoir choisir leur représentant. Le chef d'entreprise doit pouvoir contester le choix de la personne ou la personne elle-même qui va l'assister dans la période difficile que constitue la phase d'observation.

Compte tenu des errements constatés dans la profession de mandataires liquidateurs et étant donné le fait que les missions qui leurs sont confiées aujourd'hui peuvent être assumées par d'autres professions, il n'est nul besoin de conserver une telle profession en l'état. Il conviendrait dès lors de permettre à d'autres auxiliaires de justice voire à des organismes ad hoc(5) - pourquoi pas des organismes publics spécifiques - d'exercer les fonctions qui leur sont dévolues. Le monopole que les mandataires liquidateurs détiennent aujourd'hui participe à la faillite de la justice consulaire. Il faut y mettre fin. La réforme de la profession de syndics en 1985 n'a pas suffi à régler les problèmes qui se posaient. Les garanties apportées par la nouvelle loi n'ont pas été appliquées. Il faut repartir sur de nouvelles bases et supprimer la profession de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises.

Rien n'interdit d'ouvrir les fonctions confiées aujourd'hui au représentant des créanciers à des avocats(6), à des experts-comptables ou encore à des commissaires aux comptes ou à des vérificateurs de créances. Après le jugement déclaratif de cessation des paiements et sa publication au BODACC, les créanciers disposeraient d'un délai pour se présenter au juge-commissaire qui les convoquerait en assemblée. Les créanciers désigneraient leur représentant selon des modalités à déterminer. Il est possible d'imaginer par exemple que les chirographaires et les créanciers privilégiés forment deux collèges distincts comme en Allemagne ou encore que le vote de chaque créancier compte pour une voix, quelle que soit l'importance de la créance détenue.

Le tribunal entérinerait ou non la désignation du représentant des créanciers et lui confierait un mandat de justice très encadré. Il serait rémunéré par les créanciers qui seraient payés en retour par la vente des actifs en cas de liquidation ultérieure ou par l'entreprise remise à flots. Ce représentant des créanciers travaillerait en étroite collaboration avec le débiteur et son assistant provisoire.

Quant à la personne chargée d'assister le dirigeant de l'entreprise en difficulté, elle doit pouvoir être choisie par ce dernier et en liaison avec le tribunal parmi les membres de la profession élargie, ouverte et moralisée d'administrateur judiciaire (voir infra).

Le tribunal sera chargé d'accepter ou non la proposition du dirigeant de l'entreprise en difficulté et de fixer le mandat de cet administrateur provisoire pendant la période d'observation. Durant la période définitive de continuation ou de cession, cet administrateur ne sera pas forcément nommé commissaire à l'exécution du plan, mais rien ne l'interdira, à moins que les autres acteurs de la procédure - les créanciers, les salariés, le parquet - ne s'y opposent et que le tribunal prenne une décision en leur sens.

La question de la mutualisation des risques et de l'assurance individuelle des titulaires d'un mandat de justice devra être précisée par le pouvoir exécutif.

b) Redresser la profession d'administrateur judiciaire

Outre le fait qu'ils pourraient être désignés parmi d'autres professions pour assister le chef d'entreprise dans la poursuite de son exploitation et dans la recherche de repreneurs lors de la phase d'observation, les administrateurs judiciaires, dans le schéma proposé, conserveraient les fonctions de commissaires à l'exécution des plans de cession ou de continuation.

Mais cette perspective qui tient compte de la spécificité du métier d'administrateur doit obligatoirement s'accompagner d'un renforcement du cadre d'exercice de ce métier. En effet, les administrateurs judiciaires doivent être particulièrement qualifiés. Ils doivent se montrer d'emblée meilleur gestionnaire que le chef d'entreprise qui a conduit son entreprise dans les difficultés. Les responsabilités qui sont confiées à l'assistant du chef d'entreprise pendant la période d'observation et au commissaire à l'exécution du plan par la suite sont particulièrement lourdes.

C'est pourquoi il convient de veiller avec attention au contenu de la formation des administrateurs. L'allongement du stage est pour le moins nécessaire.

Maître Bernard Meille, administrateur judiciaire à Paris, a estimé, évoquant la réforme de 1985 que : « le stage a été limité à trois ans, une mesure, selon moi, monstrueuse. Personnellement, j'ai fait douze ans de stages et nombre de confrères de ma génération en ont effectué entre sept et quinze ans. Trois ans de stages, c'est inepte ! Quelles que soient ses qualités, un jeune « lâché » après trois ans de stage est totalement incapable d'exercer ce type de profession. »

Quant à sa diversification (obligation de faire un stage dans un cabinet d'expertise comptable et dans une entreprise ou dans un cabinet d'avocats), elle permettrait d'enrichir la formation et de faciliter l'échange de cultures entre les différentes professions qui pourraient être intéressées par des mandats de justice confiés par les tribunaux de commerce. L'ouverture de la profession constituerait également une forme d'enrichissement à considérer. Dès lors, il n'est pas inenvisageable d'ouvrir la profession aux cabinets d'audit qui disposent d'un savoir-faire et de règles déontologiques précises. Certains de leurs membres pourraient ainsi se voir confier des mandats de justice, à condition que cela s'effectue dans le respect de dispositions réglant de façon détaillée les éventuels conflits d'intérêts.

Dès lors qu'on prend la mesure de la difficulté des tâches qui incombent à l'administrateur - il faut dans le pire des cas remplacer un chef d'entreprise au pied levé sans rien connaître d'une entreprise, qui est sans trésorerie, sans crédit, sans comptabilité et avec un climat social tendu -, il est surprenant de constater qu'il n'existe pas de code déontologique sur le modèle de celui qui existe pour les commissaires aux comptes.

Cette constatation appelle un renforcement des contrôles qui pèsent sur les mandataires désignés par le tribunal, qu'il s'agisse des personnes assistant le chef d'entreprise en difficulté, vérifiant les créances, liquidant ou faisant fonction de commissariat à l'exécution d'un plan de cession ou de continuation.

La réforme de ces professions s'inscrit dans la perspective d'un échevinage des juridictions consulaires qui permettra un meilleur contrôle juridique de l'exécution des mandats de justice en matière commerciale, et réduira les risques de création de monopole au profit de quelques professionnels, en éloignant la juridiction des relations personnelles tissées au sein d'un milieu économique local souvent étroit.

3.- Instituer des contrôles véritables

Le contrôle doit s'exercer à la fois sur les professions chargées d'un mandat de justice par les juridictions compétentes en matière de procédures collectives, mais aussi plus particulièrement sur les fonds considérables qui sont en jeu dans ces procédures.

a) Contrôler les professions

Le contrôle des mandataires de la justice commerciale doit se faire à la fois par les professions concernées et par les pouvoirs publics.

· Renforcer l'autocontrôle

Compte tenu de la suppression de la profession de mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, il convient de supprimer le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises qui pourrait être éventuellement remplacé par un organisme du type d'un ordre professionnel, chargé de la discipline et du contrôle de la profession.

Outre qu'il participera activement à la procédure d'inscription des nouveaux administrateurs et organisera leur formation, cet ordre se verrait attribuer des pouvoirs disciplinaires. Le recours contre ses décisions serait attribué à la cour d'appel de Paris. Il serait également compétent pour rédiger un code déontologique soumis à l'approbation des pouvoirs publics. Il pourrait être rédigé sur le modèle de celui qui régit la profession des commissaires aux comptes actuellement en cours de réforme. Ce code servirait de base à la prestation de serment obligatoire de tout nouvel administrateur. Ce dernier serait contraint de faire une déclaration d'intérêts économiques non seulement lors de son entrée en fonctions, mais également de façon périodique.

L'ordre des administrateurs judiciaires aura le pouvoir et le devoir d'effectuer des contrôles réguliers dans les études et pourra saisir le parquet de toute infraction. Ses représentants pourront assister les magistrats du parquet chargé de l'inspection des études. Il conviendra en outre de prévoir la présence d'un commissaire du Gouvernement au sein du conseil de l'ordre. Comme le suggère un administrateur judiciaire, ces contrôles pourraient être délégués à un corps d'auditeurs rémunérés sur un fonds spécial et dont l'intervention serait inopinée.

S'agissant des autres professions susceptibles d'être désignées par le tribunal pour assister le chef d'entreprise en difficulté, pour vérifier les créances, pour procéder aux opérations de liquidation ou bien pour surveiller l'exécution des plans de cession et de continuation, il conviendra également de veiller à ce qu'une instance professionnelle soit en mesure d'assurer le contrôle de ses membres lorsqu'ils se verront confier un mandat de justice. La Compagnie nationale des commissaires aux comptes, l'Ordre national des experts-comptables ou encore l'Ordre des avocats sont tout à fait susceptibles de remplir ces missions.

· Inciter l'État à prendre ses responsabilités

La Chancellerie ne met pas en oeuvre les moyens suffisants pour contrôler les professions. Il lui revient de mettre en place un contrôle réellement efficace. Nous proposons d'organiser ce contrôle autour de deux axes : une inspection renforcée au niveau de la Chancellerie, un contrôle déconcentré effectif exercé par les parquets généraux.

Dans un premier temps, il faut créer une Inspection des mandataires de justice, dont la compétence ne sera pas nécessairement limitée aux seuls mandataires de la justice commerciale. Composée de plusieurs magistrats, elle pourra se faire assister par des membres des inspections générales de l'État et par des professionnels. Ainsi, un commissaire aux comptes désigné par la compagnie nationale pourra accompagner l'inspection lorsqu'elle contrôlera un commissaire aux comptes mandaté par un tribunal de commerce. De la même façon, un administrateur désigné par l'ordre national des administrateurs judiciaires représentera la profession lorsque l'étude d'un administrateur sera inspectée.

Si l'Inspection des mandataires judiciaires pourra se saisir d'office, les parquets, les présidents de tribunaux de commerce, les juges-commissaires pourront lui demander de mener des investigations sur l'exécution d'un mandat qui semble poser des problèmes.

Les parquets doivent jouer le rôle de contrôleurs déconcentrés.

Comme pour les huissiers et les notaires, il y a lieu d'instaurer un contrôle annuel des mandataires de justice. La périodicité actuelle : un contrôle tous les quatre ans est inadapté, inefficace, dangereux et pour la profession et pour la collectivité. Les parquets seront chargés de superviser les contrôles exercés par les ordres professionnels.

Les parquets généraux seront destinataires, par le biais des parquets placés près les tribunaux de grande instance, de tous les documents dont la loi et la réglementation imposent la communication. Ils pourront exiger la communication de tout document nécessaire à leur contrôle.

L'attestation annuelle délivrée par un commissaire aux comptes n'est pas en l'état suffisante, sauf à modifier la mission des commissaires aux comptes. Dans un premier temps, il conviendrait de confier cette mission à tout commissaire aux comptes membre de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et non plus, comme aujourd'hui, aux seuls commissaires aux comptes figurant sur une liste fixée par l'actuel Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises. Dans un deuxième temps, les propositions de la chancellerie concernant ce point (cf. encadré supra) semblent devoir être retenues.

b) Maîtriser le placement des fonds

Le dispositif de placement des fonds à la CDC doit être complété pour que tous les fonds qui ne sont pas nécessaires à l'exploitation de l'entreprise soient déposés à la CDC, y compris ceux détenus par le commissaire à l'exécution du plan. Les fonds doivent servir à payer les créanciers ou à permettre un redressement de l'exploitation, ce qui revient souvent au même.

Pour sa part, la chambre de commerce et d'industrie de Paris dans une note complémentaire à l'audition de ses représentants « estime (...) que, pour le placement des fonds, l'élargissement de la compétence de la Caisse des dépôts et consignations, aujourd'hui à l'étude, est particulièrement opportune. Cette proposition ne prendra néanmoins tout son sens que s'il est créé, au sein de la CDC ou via une filiale, une structure spécialisée qui aurait vocation à gérer les fonds d'exploitation des entreprises en faillite, comme le font actuellement certaines banques d'affaires»

Par ailleurs, selon M. Joël Rochard, inspecteur général des finances, ancien membre de la commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires, soulignait lors de son audition : « La façon de travailler de nombreux mandataires pose problème. Les mandataires travaillant dans les tribunaux engagent facilement des procédures et vont facilement jusqu'en cassation, même pour un petit montant. Ne pourrait-on raccourcir les délais des procédures collectives en demandant aux mandataires de prendre l'habitude d'accepter l'arrêt de la cour d'appel, par exemple s'il est identique au jugement de première instance ? On désencombrerait au surplus la Cour de cassation ! (...) L'on doit attendre longtemps avant de répartir la totalité des sommes dues, mais on peut aussi - la loi l'autorise - opérer des répartitions partielles. Par exemple, si les litiges ne portent pas sur les créances privilégiées, on peut répartir entre les créanciers privilégiés. C'est une solution qui n'est malheureusement pas utilisée. Il ne semble pas que la profession, les parquets ou les juges-commissaires en fassent beaucoup usage. Une activation des répartitions partielles accélérerait la solution de nombreux dossiers. Elle réduirait aussi les encaisses et par là-même les risques de détournement. Un effort est nécessaire en ce sens, mais il faut savoir que la profession aime à garder des matelas de créances. Des habitudes sont à forcer»

Donner à la Caisse des dépôts et consignations un monopole sur les dépôts des mandataires ne suffit pas à garantir le bon déroulement des procédures et à prévenir les détournements. En effet, la Caisse elle-même ne peut, lorsqu'elle verra passer un chèque, que vérifier si le compte est provisionné, que le signataire a autorité pour signer. Mais elle ne peut contrôler si la dépense est licite ou non. C'est pour cette raison que les contrôles renforcés offerts par la création d'une Inspection des mandataires de justice et par l'activation des contrôles opérés par les parquets nécessitent l'accès rapide des contrôleurs aux comptes des mandataires ouverts à la CDC afin de permettre la confrontation des mouvements de fonds avec les factures conservées dans tel ou tel dossier.

Il convient bien sûr d'interdire toute compensation entre les comptes individuels ouverts pour chaque affaire.

4.- Transformer radicalement les modes de rémunération

Inadaptés, les modes de rémunération actuels des mandataires judiciaires ont conduit à des dérives importantes et incitent nombre d'entre eux à s'écarter de la notion de « mandat de justice » qui implique celle de participation au service public de la justice. La Cour des comptes dans son rapport au Président de la République de 1979 relevait déjà, sous le régime antérieur de la loi de 1967, les abus qui existaient dans ce domaine.

Pendant la phase d'observation, la rémunération de l'administrateur assistant du chef d'entreprise en difficulté et celle du vérificateur de passif pourraient être fixées librement par les parties. Le contrat de rémunération pourrait être inclus dans le mandat fixé par le tribunal. Les créanciers paieraient leur représentant, le chef d'entreprise en difficulté l'administrateur qui l'assiste.

Pendant la phase définitive (continuation, cession, liquidation), en revanche, la rémunération du commissaire à l'exécution du plan ou de l'organisme ou de la personne chargé de la liquidation doit être encadrée. Il faut notamment abandonner le principe de la rémunération au pourcentage sur les contestations de créances. La rémunération du commissaire à l'exécution d'un plan de continuation pourrait être déterminée en fonction de la variation du chiffre d'affaires et des résultats obtenus pendant la période fixée pour l'exécution. Plus la variation est importante à la hausse (diminution des pertes d'exploitation ou augmentation du résultat), plus la rémunération du commissaire serait importante. Dans le cas d'un plan de cession, le montant de la cession et de l'éventuelle augmentation de capital pourrait servir de base au calcul de la rémunération du commissaire à l'exécution du plan. Le critère de l'emploi pourrait être également intégré dans la fixation de la rémunération du commissaire à l'exécution d'un plan de continuation ou d'un plan de cession.

La détermination d'une partie de la rémunération sur la base d'une tarification proportionnelle au temps exigé par l'accomplissement du mandat comme il en existe une pour les gens du chiffre pourrait également être envisagée.

La différenciation entre la personne qui vérifie les créances et représente les créanciers et qui est payée par eux pendant la phase d'observation et la personne ou l'organisme chargé de liquider l'actif d'une entreprise rendra caduc le problème soulevé par la jurisprudence de la Cour de cassation qui interdit au représentant des créanciers qui n'est pas nommé liquidateur par la suite de percevoir le droit fixe prévu par la réglementation.

Le recours à des intervenants extérieurs doit être strictement encadré. Ils ne pourront être rémunérés sur les fonds de l'entreprise que sur décision expresse et préalable du tribunal.

Dans tous les cas, il convient que le tribunal, par le biais du juge-commissaire, contrôle la rémunération des mandataires.



© Assemblée nationale

() Réponse au questionnaire de la commission adressé aux procureurs généraux.

() M. Guy Sabatier, Journal Officiel - Assemblée nationale, séance du 30  juin 1965, page 2776.

() Article 5, premier alinéa, de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances : « La rémunération des services rendus par l'État ne peut être établie et perçue que si elle est instituée par décret en Conseil d'État pris sur le rapport du ministre des finances et du ministre intéressé. »

() Cour de cassation, première chambre civile, 30  janvier 1996.

() Certains liquidateurs sous-traitent déjà certaines opérations à des organismes spécialisés dans le recouvrement de certaines catégories de créances.

() En vertu de l'article 6 bis de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, tout avocat peut recevoir un mandat de justice.