RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME III
Comptes-rendus d'enquête sur le terrain

TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONT-DE-MARSAN

· Ressort :6 000 km2,148 000 habitants, 6 425 entreprises commerciales (hors entreprises artisanales)
· Composition :
président : M. Jean-Claude Anton., 17 magistrats au total ; 1 vice-président, deux présidents de chambre.
· Recrutement :
essentiellement par l'intermédiaire des syndicats professionnels, l'avis du parquet étant parfois sollicité. Critères d'équilibre géographique et entre chefs d'entreprise et cadres (80 % - 20 %).
Constat d'un défaut d'information des candidats potentiels sur la juridiction consulaire.
· Age des magistrats :
-entre 40 et 68 ans, 35 % ont 50 ans ou moins, 30 % de 50 à 55 ans, 35 % plus de 55 ans.
· Durée hebdomadaire au tribunal
-pour le président : 25 heures en moyenne, non compris le temps passé au domicile, pour les magistrats ayant plus de 2 ans d'ancienneté : 14 heures en moyenne.
·  Budget :
dotation de l'Etat 1997 : 496 000 francs, dont 384 000 francs de loyer.
· Personnel
- 1 secrétaire du greffe
· Greffe
2 greffiers associés en SCP, 4 secrétaires
· Auxiliaires de justice
- 1 administrateur judiciaire (moyenne des honoraires de 1994 à 1997 : 27 000 francs, pour 75 missions), 2 mandataires liquidateurs (moyenne des honoraires de 1994 à 1997 : respectivement 24 500 francs et 22 300 francs)
· Présence du parquet : f
réquente aux audiences de procédures collectives ; parquet destinataire de tous les rôles d'audience. Action du parquet considérée comme « prépondérante ».

.· Une activité contentieuse en baisse régulière

 

1994

1997

A. Contentieux général

- affaires entrées

- décisions rendues

482

394

236

291

B. Contentieux du redressement judiciaire

   

- affaires entrées

1 057

888

- décisions rendues

744

947

- plans de redressement

30

20

C. Ordonnances de référé

82

54

· Durée moyenne du délibéré - 3 mois, pour le contentieux général. , procédures collectives :délibéré le jour même, sauf décisions sur un plan de redressement ou des sanctions.

Source : réponses du président au questionnaire adressé par la commission d'enquête

sommaire des auditions relatives aux déplacements effectués par la commission

_ Audition de M. Claude GAUZE, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan (11 juin 1998 à Mont-de-Marsan

_ Déclaration de M. Jean-Claude ANTON, président du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan (11 juin 1998à Mont-de-Marsan)

_ Audition de M. Jean-Claude ANTON, président du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan (11 juin 1998 à Mont-de-Marsan)

_ Audition de MM. Jean CAUSSADE, Michel LAPORTE, Armand de NARDI, Jacques SERRES, juges consulaires au tribunal de commerce de Mont-de-Marsan en présence de M. Jean-Claude ANTON, Président (11 juin 1998 à Mont-de-Marsan

_ Audition de M. Gilles BERTHÉ, mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises en présence de MM. ANTON, LAPORTE, de NARDI, SERRES, juges au tribunal de commerce de Mont-de-Marsan (11 juin 1998 à Mont-de-Marsan)

_ Audition de Mme Sophie DUMOUSSEAU, mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises en présence de M. Jean-Claude ANTON, Président (11 juin 1998 à Mont-de-Marsan)

_ Audition de M. Jean-Marc LIVOLSI, administrateur judiciaire (11 juin 1998 à Mont-de-Marsan)

_ Audition de M. Francis AKHAIGE, greffier (11 juin 1998 à Mont-de-Marsan)

Audition de M. Claude GAUZE,
procureur de la République près le tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan

(extrait du procès-verbal de la séance du 11 juin 1998)

Présidence de M. Arnaud Montebourg, Rapporteur

M.  Gauze est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Gauze prête serment.

M. Gérard GOUZES : Je voudrais savoir, monsieur le procureur si, depuis la loi de 1985 qui a donné au parquet des prérogatives, vous intervenez souvent dans les affaires ? Est-ce que vous êtes tenu au courant quotidiennement ? Est-ce que vous avez les moyens de suivre l'ensemble des dossiers du tribunal de commerce ?

M. Claude GAUZE : Les moyens, je les ai. Le temps, c'est autre chose, j'y reviendrai.

En ce qui concerne les moyens, je reçois copie de toutes les décisions du tribunal. Nous parlons des procédures collectives, bien entendu. Je reçois copie des décisions qui sont rendues, je reçois copie des requêtes présentées, soit par le mandataire judiciaire, soit par le représentant des créanciers. Je reçois copie des décisions prises par le juge-commissaire. Je suis bien informé.

D'une manière générale, je participe aux audiences de la chambre du conseil du vendredi matin. Mais pour des raisons évidentes, je ne peux participer à toutes. C'est une question de temps.

Ainsi actuellement, nous sommes en période d'assises. Cela va durer deux semaines, les audiences se tiennent tous les vendredis. Le dossier d'assises que j'ai traité s'est terminé avant-hier. La semaine qui précède, on prépare le dossier d'assises. Durant cette semaine et pendant la semaine, on ne va pas aux autres audiences. Cela se reproduit tous les trois mois.

L'aspect le plus important, c'est le temps que l'on peut consacrer aux audiences car c'est là qu'on voit tout ce qui se passe. On n'a pas toujours le temps de tout lire. Même si on dispose des moyens du contrôle, on n'en a pas toujours le temps matériel. Mais à l'audience, on est là pendant quatre heures et ça permet de voir beaucoup de choses.

Quand je participe aux audiences, je le fais savoir. Le jeudi, je reçois le rôle, les assignations et les rapports des mandataires. Évidemment, si j'avais la possibilité d'y travailler le temps nécessaire, ce serait mieux. Malheureusement, je ne peux pas. Il n'y a qu'un seul substitut.

M. Gérard GOUZES : Deux substituts, ce serait mieux ?

M. Claude GAUZE : Oui, exactement. C'est moi qui suis toutes les affaires au commerce, puis sur le plan pénal, les banqueroutes, par exemple. Cela permet tout d'abord d'avoir une certaine continuité, ensuite c'est une matière qui nécessite du temps pour l'appréhender.

M. le Rapporteur : Vous avez un substitut spécialisé ?

M. Claude GAUZE : Oui, mais pour les mineurs.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas de compétences particulières pour votre parquet ?

M. Claude GAUZE : Non, aucune. En fait, la formation se fait sur le tas.

M. le Rapporteur : Dans les réponses au questionnaire que vous avez obligeamment adressées à la commission, nous voyons que, comme dans tous les tribunaux le parquet reçoit quelques heures avant l'audience le rôle, les assignations, les rapports. Il semble que finalement les relations soient écrites et ne soient pas des relations de travail habituelles et en commun sur le contenu des dossiers.

M. Claude GAUZE : Exactement.

M. le Rapporteur : C'est exact aussi chez vous ?

M. Claude GAUZE : Oui, c'est tout à fait ça. On n'a pas le temps, on découvre les affaires à mesure. L'affaire, l'assignation, on pourrait la lire, eh bien ! On va la lire deux minutes avant l'audience. Ce sont souvent des affaires simples. Quand il y a des rapports, par exemple pour le renouvellement d'une période d'observation, on n'attend pas l'audience. On les lit avant. Lorsqu'il y a une liquidation judiciaire, on les lit aussi. Lorsqu'il y a des offres présentées, ce n'est pas à l'audience qu'on va les découvrir, on va quand même voir les salariés, les créanciers, le comité d'entreprise. Les rapports se lisent, mais pas dans toutes les affaires.

M. Gérard GOUZES : Qu'en est-il de vos rapports avec le juge-commissaire ? Est-ce qu'il arrive de vous entretenir avec lui ?

M. Claude GAUZE : Non. Je vais vous le dire nettement : jamais.

M. le Rapporteur : Pour quelles raisons ?

M. Claude GAUZE : C'est lui qui devrait plutôt me saisir. Je crois que cela s'est produit dans une affaire. S'il y a des difficultés, il va m'en parler. Dans le cas contraire, il ne me saisit pas. Mais, il peut le faire s'il le veut.

M. le Rapporteur : Nous avons constaté dans un certain nombre de ressorts que le tribunal ne souhaite pas informer le parquet et joue en quelque sorte le simple respect des apparences. Le parquet est en effet formellement informé, mais il ne l'est pas en vérité. Il n'est pas mis à même d'exercer les fonctions qui lui sont dévolues. Et à l'inverse lorsqu'on pose la question aux juges consulaires, ils expliquent que le parquet est toujours là aux audiences et donc que les avis qu'il donnent valent bien un échevinage. En conséquence, il n'y a pas de souci à se faire sur la crédibilité de la décision prise.

M. Gérard GOUZES : Le parquet est l'alibi.

M. Claude GAUZE : J'allais vous le dire. En fait quelquefois ça bloque. Je peux peut-être me tromper mais j'ai le sentiment qu'à Mont-de-Marsan « on me fait un enfant dans le dos ».

M. le Rapporteur : Les juges se méfient ?

M. Claude GAUZE : Oui, ils se méfient. En même temps, ils souhaitent ma présence. Pour certains d'entre eux, cela les sécurise. Ils souhaitent que je sois là pour une question de sérénité. Mis à part quelques-uns qui ont une certaine expérience vis-à-vis des avocats, ce n'est pas toujours facile.

M. le Rapporteur : Est-ce que vous avez connu des incidents liés aux juges consulaires signalés par les justiciables depuis que vous êtes en poste ?

M. Claude GAUZE : Voilà cinq années que je suis en poste. Il y a quatre ou cinq ans, il s'est produit une affaire importante ici qui a vu le renvoi de Me Gilles Berthé, mandataire-liquidateur : l'affaire Montoy - Poids lourd, qu'on appelle l'affaire « Campagne ». À l'issue de l'information, le parquet a pris des réquisitions de renvoi. Me Berthé était poursuivi pour complicité. C'était juste. Le tribunal l'a relaxé.

M. le Rapporteur : En tant qu'auteur principal, mais pas de complice ?

M. Claude GAUZE : Non, mais le pire, c'est qu'il était convaincu de complicité de participation active. On a trouvé à le relaxer, j'en ai référé au parquet général comme c'est l'usage et nous avons décidé de ne pas faire appel.

L'intérêt, c'est qu'il y a eu une information. Me Berthé a été confronté. Depuis, je dirais qu'il a été cadré. Lorsqu'un inventaire a été fait et qu'il y a un petit problème de détournement de matériel, si on ne retrouve plus une bétonnière, par exemple, j'ouvre effectivement une enquête. Je crois que Me Berthé est beaucoup plus attentif. Il craint des poursuites.

Une plainte avec constitution de partie civile a été déposée contre lui. Il n'est pas nommément cité. Le fait que ce soit contre «X» laisse les coudées franches. C'est l'affaire Roma SNC, le restaurant « Le Renaissance » à Pau. Quand Me Berthé est visé, l'information est ouverte.

M. le Rapporteur : Me Berthé a-t-il été poursuivi disciplinairement ?

M. Claude GAUZE : Non.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas parce que la juridiction pénale décide de relaxer Me Berthé que sur le plan disciplinaire, il ne pourrait pas faire l'objet de reproches.

M. Claude GAUZE : Cela a été le cas récemment pour une affaire concernant un officier ministériel. Il faut aussi des éléments disciplinaires, même si la faute disciplinaire est distincte de la faute pénale.

M. le Rapporteur : Il n'y a pas eu d'initiatives prises par votre parquet ni par le parquet général à l'égard de Me Berthé ?

M. Claude GAUZE : Non. Le parquet général donne des directives. À partir du moment où des officiers ministériels, un mandataire ou des officiers de justice sont mis en cause, l'usage veut qu'on rende compte des procédures au parquet général.

M. le Rapporteur : Est-ce que la circulaire du garde des sceaux si précise d'ailleurs, qui contient beaucoup de références jurisprudentielles à l'égard des mandataires-liquidateurs et administrateurs judiciaires et adressée à tous les parquets le 20 octobre 1997, a été de nature à stimuler votre parquet ?

Est-ce que cette circulaire a pu vous éclairer et vous amener à procéder à certains contrôles que les parquets n'auraient pas eu l'idée de prendre ?

M. Claude GAUZE : Je vais revenir sur le problème que j'évoquais tout à l'heure : le problème du temps.

Dans les parquets de cette importance, il y a un procureur et un substitut. Depuis trois ou quatre ans, les parquets d'une manière générale sont associés à toutes sortes d'activités : les plans départementaux de sécurité, la lutte contre le travail illégal, la lutte contre les violences en milieu scolaire, les contrats emploi-sécurité. Tout cela, il a fallu le prendre sur d'autres activités. La priorité est réservée à tout ce qui touche au pénal.

Nous avons ainsi douze dossiers à régler. S'il y a des détenus, il faut que les dossiers partent dans le mois. Dans le cas contraire, ils doivent être résolus dans les trois mois ainsi que le prévoit le code de procédure pénale. Mais il y en a tellement que j'envoie tous les trois mois des notices à la cour d'appel. Et on me dira : « Vous avez encore trois dossiers communiqués par le juge d'instruction de telle date ». Eh bien ! On va les régler en priorité. Et en fin de compte, ce sera fait le week-end. Dans tous les parquets, c'est comme ça. Quand vous savez que vous devez travailler le week-end, le vendredi vous traitez le dossier. Vous passez un coup de fil au tribunal de commerce pour indiquer que vous n'êtes pas disponible le matin pour cause de réunion ou bien parce que le substitut, qui est à l'audience de circulation du vendredi, ne peut pas la prendre.

La matière commerciale est intéressante, mais se pose réellement une question de temps.

M. le Rapporteur : Donc de moyens ?

M. Gérard GOUZES : Et si vous étiez trois ?

M. Claude GAUZE : Avec deux substituts ou un substitut et demi, je prendrais le temps. La matière n'est pas si compliquée quand vous êtes en place depuis un certain temps.

Ainsi par exemple lorsqu'il y a des ventes de biens, je me dis : « Qu'est-ce qui m'interdit de demander au service des hypothèques l'évaluation de ce bien ? » Le juge-commissaire peut le faire. Mais nous qu'est-ce qui nous en empêche ?

M. Jean CODOGNÈS : Est-ce que vous procédez au contrôle des évaluations scientifiques réalisées par les experts du ressort de la juridiction ? Est-ce que vous avez vérifié si tous les experts étaient désignés ou si un ou deux noms revenaient souvent ?

M. Claude GAUZE : Oui. Dans une affaire récente, un expert était désigné dans le cadre de la prévention pour faire un rapport. Cet expert a fait l'objet d'une liquidation judiciaire, j'ai demandé au tribunal de ne plus le désigner.

Il se trouve que je connaissais cet expert. Comme la liquidation judiciaire avait lieu ailleurs, cela aurait pu m'échapper.

M. Jean CODOGNÈS : Est-ce que vous contrôlez aussi le délai moyen d'exécution de cette procédure ?

M. Claude GAUZE : Non. Il y a un mois et demi, à l'occasion d'un travail sur les procès-verbaux, on s'est aperçu que cela traînait.

M. Jean CODOGNÈS : Est-ce que vous avez beaucoup de plaintes ? Est-ce que les gens vous saisissent souvent sur le problème des experts et des délais ?

M. Claude GAUZE : Nous sommes souvent saisis. Je fais entendre la personne par procès-verbal et à ce moment-là, je fais entendre le mandataire ou la personne qui est mise en cause. J'écris au mandataire en lui indiquant que le président du tribunal de commerce va être informé. Je demande alors à ce dernier de me faire parvenir copie de la réponse qui sera fournie. Juridiquement, je suis informé.

Quand on est saisi, d'une manière générale une enquête est faite. Je demande donc ensuite à Me Berthé, puisqu'il est plus souvent mis en cause que Me Dumousseau, de m'envoyer une réponse. Si la réponse me paraît juridiquement tenir, je la porte à la connaissance du requérant et j'approuve les opérations qui ont été faites et qui s'inscrivent dans un ordre juridique.

M. Gérard GOUZES : Combien avez-vous reçu de plaintes en une année ?

M. Claude GAUZE : Entre cinq et dix. Une dizaine au maximum, pas plus.

Je l'ai dit plus d'une fois, même en audience. « Si vous aviez expliqué à ce monsieur ce qu'il demande, il ne m'aurait pas saisi ». Par la suite, il a l'impression de perdre du temps. Il aurait peut-être fallu expliquer avant.

M. Gérard GOUZES : D'une manière générale, les plaintes ne sont pas fondées sur le fond, elles tiennent davantage à l'ignorance ?

M. Claude GAUZE : Au manque d'information que je reproche aux mandataires. Je le leur fais savoir.

M. le Rapporteur : Est-ce qu'on se plaint davantage du tribunal ou des mandataires ? Est-ce que vous-même vous obtenez toutes les informations par retour du courrier lorsque vous posez des questions aux juges sur tel ou tel point ?

M. Claude GAUZE : Je me trompe peut-être, mais je crois qu'ils ne cherchent pas à se dérober. Est-ce dû au fait que le nouveau président est arrivé après moi, deux ans après ? J'ai tâché de le connaître. Il s'est formé sur le tas lui aussi. Il était comptable dans le groupe Gascogne. Quand des présidents sont en place depuis longtemps, je dirais qu'ils sont « loyaux ».

M. Gérard GOUZES : Est-ce que vous avez beaucoup de relations avec le greffier ? Il semblerait que ce soit un personnage important ?

M. Claude GAUZE : Oui, très important. Il faut de temps en temps cadrer le greffier.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire ?

M. Claude GAUZE : Je le connais assez bien. Il lui arrive d'intervenir.

M. Gérard GOUZES : C'est-à-dire que le greffier joue un peu le président ?

M. Claude GAUZE : Je le lui ai dit quelquefois.

M. le Rapporteur : C'est un greffier actif ?

M. Gérard GOUZES : Il a des compétences juridiques ? C'est lui qui rédige les jugements ?

M. Claude GAUZE : Il en a rédigé quelques-uns. Je ne les ai pas vus.

M. Gérard GOUZES : J'aurais tendance à penser qu'il en a rédigé la quasi-totalité.

M. le Rapporteur : Comment s'appelle-t-il ?

M. Claude GAUZE : M. Akaïghe.

M. Gérard GOUZES : Depuis combien de temps est-il greffier ici ?

M. Claude GAUZE : Depuis plusieurs années. La charge appartenait à son beau-père M. Maubourguet à qui il a succédé. Ils se sont séparés, il y a trois ou quatre ans. Ça ne se passait pas très bien.

M. Gérard GOUZES : Est-ce que vous pensez que les relations entre le greffier et les mandataires sont bonnes ? Est-ce qu'ils se fréquentent ? Est-ce qu'ils ont l'habitude de travailler ensemble ?

M. Claude GAUZE : Non, il y a eu des hauts et des bas avec l'un d'entre eux.

M. Jean CODOGNÈS : Est-ce que le recrutement des magistrats consulaires se fait, comme on le constate ailleurs, à partir de listes fournies par la chambre de commerce ?

M. Claude GAUZE : Oui, comme dans beaucoup de petites villes.

M. Jean CODOGNÈS : Est-ce qu'au moment des élections, il y a de la concurrence ?

M. Gérard GOUZES : Ou bien le recrutement se fait-il par cooptation ?

M. Claude GAUZE : Il n'y a pas beaucoup de concurrence. Le dernier juge qui est entré, est un chef d'entreprise à la retraite. C'est un brave homme, d'ailleurs. Il m'a dit : « À mon âge, ce n'est pas tellement mon truc ». On lui confiera de petits dossiers. Vous savez, il a soixante-huit ans.

M. Gérard GOUZES : Sera-t-il juge-commissaire ?

M. Claude GAUZE : Je ne sais pas.

M. Jean CODOGNÈS : Vous êtes-vous intéressé au financement des activités du tribunal de commerce ?

M. Claude GAUZE : Tout le budget passe d'abord chez nous, puis nous le présentons à la cour d'appel.

M. Jean CODOGNÈS : Il n'existe pas d'associations de magistrats ?

M. Claude GAUZE : Il peut y avoir des associations entre eux.

M. Jean CODOGNÈS : Ce n'est pas très clair. Ils expliquent que le budget est intégralement versé par le ministère de la justice.

M. Claude GAUZE : Ils cotisent à une association pour leurs sorties, mais cela n'a rien à voir avec le budget de fonctionnement. Celui-ci est pris en compte par le ministère de la justice et il est examiné ici au même titre que les autres budgets des juridictions d'instance.

M. Jean CODOGNÈS : Les associations perçoivent-elles des subventions ?

M. Claude GAUZE : Non, elles vivent uniquement de cotisations.

M. Jean CODOGNÈS : Elles ne reçoivent pas de subventions du conseil général ou de la commune ?

M. Claude GAUZE : Non.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué dans les réponses au questionnaire de la commission votre appréciation sur l'échevinage. Vous dites qu'il constitue une bonne solution. Voulez-vous en dire plus ? Auparavant, vous avez été vous-même juge du siège ?

M. Claude GAUZE : J'étais au siège mais pas à l'instruction. Plutôt dans le domaine pénal.

Je pense que l'échevinage est une bonne chose. La présence d'un magistrat professionnel, c'est l'assurance d'une certaine équité dans le partage des dossiers aussi.

M. le Rapporteur : Que voulez-vous dire ?

M. Claude GAUZE : Je n'ai pas à m'immiscer dans la désignation de Dupont ou de Durand par le tribunal. Je ne sais pas comment ça se fait. Je vous parle d'une façon générale, entendons-nous bien. Je pense que le président du tribunal de commerce peut avoir des préférences dans tel dossier important. Si c'est un magistrat du siège, je pense que le choix ...

M. Gérard GOUZES : ... sera plus objectif.

M. Claude GAUZE : Il se fera sur les compétences. Je parle sur un plan général, bien entendu.

M. Gérard GOUZES : Cela laisse supposer par conséquent qu'un magistrat consulaire, lorsqu'il désigne un mandataire-liquidateur ou administrateur peut le faire avec d'autres critères que les simples critères de compétence ?

M. Claude GAUZE : Il pourrait le faire. Le juge-commissaire, s'il ne veut pas trop charger quelqu'un, va lui donner de petits dossiers. Je ne crois pas qu'un magistrat professionnel va tenir compte de ces considérations. Il opérera soit par répartition, soit par désignation de tel ou tel en raison de ses compétences.

M. Gérard GOUZES : Si je vous ai bien entendu, ici à Mont-de-Marsan certains mandataires-liquidateurs ou certains administrateurs sont plus désignés que d'autres. Il y a une inégalité de désignation.

M. Claude GAUZE : Je ne sais pas si je peux dire ça. Si je l'avais constaté, peut-être serais-je intervenu. Mais c'est difficile dans une audience... Il faut savoir ce qu'il y a dans un dossier particulier, s'il s'agit d'un dossier où il y a des actes à accomplir, ou d'un autre dans lequel on peut procéder directement à la liquidation judiciaire et dans lequel il n'y a qu'un employé...

M. le Rapporteur : Vous semblez ne pas vouloir froisser par vos déclarations le président du tribunal de commerce. C'est l'impression que vous me donnez.

M. Claude GAUZE : Non, je ne le mets pas en cause. Je dis que sur un plan général, c'est un risque.

Si vous allez entendre les mandataires, posez la question de la répartition à Me Dumousseau.

M. Jean CODOGNÈS : Votre observation m'a conduit à regarder les chiffres qui ont été communiqués par le tribunal et il n'y a effectivement aucune différence entre les deux.

M. Claude GAUZE : Pour ce qui concerne Me Berthé, il faudrait également tenir compte de l'importance des dossiers.

M. Gérard GOUZES : Il semblerait tout de même que Me Berthé soit le maître de la situation.

M. Claude GAUZE : Je vous répondrai que je n'en suis pas surpris.

M. le Rapporteur : Pourquoi ?

M. Claude GAUZE : Je n'ai pas tenu de statistiques. J'évoquais tout à l'heure le problème de manque de temps. Je voudrais avoir plus de temps pour les tribunaux de commerce. Je participe à huit audiences sur dix, ça me permet donc de porter un jugement.

Bien sûr, vous allez vérifier ces chiffres. Interrogez-les à ce sujet, sur la répartition par exemple.

M. le Rapporteur : Comptez sur nous ! Mais vous-même, interrogez-vous les magistrats consulaires à ce sujet ?

M. Claude GAUZE : Non. Je vais vous dire comment je me suis posé la question. Quand j'ai répondu au questionnaire, j'ai un peu plus réfléchi sur le mode de fonctionnement de l'échevinage. Et j'ai effectivement pensé que dans certains cas on peut arriver à une situation où le président favorise plus untel qu'untel alors que le risque me paraîtrait moins évident avec un professionnel.

M. Jean CODOGNÈS : Est-ce qu'il vous arrive quelquefois de contrôler les identités des acquéreurs à la barre du tribunal ? Tenez-vous des statistiques ?

M. Claude GAUZE : À la barre, non.

M. Jean CODOGNÈS : Aux ventes aux enchères ?

M. Claude GAUZE : Mais je n'y assiste pas.

M. Gérard GOUZES : Pouvez-vous savoir quelle est la société qui achète le plus ? S'il y a une relation entre les dossiers ?

M. Claude GAUZE : Non. Par contre, dans le cadre des reprises, oui. Dans ce cas, on a eu le rapport. On est attentif lorsque des offres sont présentées par l'administrateur. Je suis très vigilant sur le plan financier et sur le plan des emplois. L'entreprise, on ne peut pas y être indifférent. Je dirais que c'est là l'aspect intéressant.

M. Jean CODOGNÈS : Une affaire fameuse dénote, si les faits sont exacts, une pratique curieuse puisqu'il semble qu'une proposition inférieure à près de dix fois le prix proposé par un concurrent ait été acceptée. Si c'est exact, ce genre de choses ne peut intervenir que sur un terrain déjà préparé ?

M. Claude GAUZE : C'est l'affaire Andignac qui a été suivie par mon prédécesseur, M. Bosc, et très bien suivie. C'est une affaire très sensible. J'ai un dossier abondant à ce sujet.

Contrairement à ce qu'on a pu lire dans le livre de Gaudino, il y avait trois offres dans l'affaire Andignac, dont une faite par Andignac lui-même dans le cadre d'une SCI. Mon prédécesseur a fait un rapport à la cour d'appel. La loi interdit aux membres de la famille toute reprise. Andignac a été écarté. L'entreprise a été donnée à la société Cesse, il y avait également une troisième société en lice : la société Artéa à Benquet. Mon prédécesseur avait fait un rapport : cette société sur le plan de la concurrence et des contrôles vétérinaires, c'était une catastrophe. L'offre retenue était effectivement moins importante pour les représentants des créanciers, mais il y avait également l'aspect des salariés. Je crois que douze emplois étaient maintenus dans cette proposition.

Moi-même, je peux vous parler de la société Andignac parce qu'il y a une information en cours. Des rapports d'expertise ont été reçus par le parquet général à l'époque. Tout est en ordre. Vous pourrez le voir à travers les dossiers transmis au parquet. Si tout n'a pas été donné, alors là... Tous les ans, on fait des rapports à la cour.

Déclaration de M. Jean-Claude ANTON,

président du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan

(extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 11 juin 1998)

M. Jean-Claude ANTON : Je vais vous donner lecture d'une déclaration qui a été approuvée à l'unanimité par les juges ici présents.

« Les magistrats du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan ont pris connaissance avec stupéfaction des déclarations de M. Arnaud Montebourg, Rapporteur de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce, parues dans le journal Sud-Ouest, en date du 7 juin 1998, affirmant, notamment l'existence « d'un état endémique de corruption régnant dans les tribunaux ».

Dans ce contexte, ils considèrent ne pas être en mesure de prêter serment et de déposer en toute sérénité lors de leur audition prévue le 11 juin 1998. Cette impossibilité morale ne doit pas être considérée comme un refus ; ils saisissent ce jour M. le président de la commission d'enquête parlementaire de cette situation afin qu'en vertu de ses pouvoirs, celui-ci fixe les conditions de leur audition conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958. »

Je demande à tous les juges de bien vouloir se retirer.

J'ai précisé au greffe, qui est sous l'autorité du président du tribunal de commerce, de ne communiquer aujourd'hui aucun dossier.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, si vous permettez, je vais lire les dispositions contenues dans l'ordonnance de 1958...

M. Jean-Claude ANTON : Vous ferez une déclaration à la presse si vous voulez.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, je vous réponds si vous permettez. J'ai eu la patience de vous écouter.

M. Jean-Claude ANTON : Rapidement, alors.

M. le Rapporteur : Je vais vous répondre, cela vaut peut-être la peine !

M. Jean-Claude ANTON : Je vous écoute.

M. le Rapporteur : Je vous le dis avec affection, c'est possible entre gens de bonne compagnie.

L'ordonnance du 17 novembre 1958 permet à la commission d'enquête d'accéder à tous les documents de service de tous les services publics quels qu'ils soient, y compris celui-ci.

Nous devons obtenir communication de tous les documents. Nous pouvons procéder par ailleurs à l'audition de toute personne reliée et rattachée au fonctionnement de ce service public. Le refus de déposer emporte sanctions.

M. Jean-Claude ANTON : Ça n'est pas un refus.

M. le Rapporteur : C'est vous qui le qualifiez ainsi.

M. Jean-Claude ANTON : Non, absolument pas

M. le Rapporteur : Le refus de déposer ou de prêter serment est poursuivi et passible de deux ans d'emprisonnement, d'une amende et de l'interdiction des droits civiques.

Je veux simplement vous dire, monsieur le président ainsi que messieurs les juges, que vous êtes convoqués à 14 heures 30.

M. Jean-Claude ANTON : Personnellement, je n'ai reçu aucune convocation.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, vous êtes, vous et la totalité des juges consulaires de ce tribunal, convoqués à 14 heures 30.

Si vous ne comparaissez pas, à ce moment-là je demanderais au président de la commission de vous faire tous poursuivre. Faites-le savoir à vos juges.

M. Jean-Claude ANTON : Vous avez ma déclaration, elle sera communiquée à M. le Président de la commission.

Audition de M. Jean-Claude ANTON, président du tribunal de commerce

de Mont-de-Marsan en présence de M. Francis AKHAIGE, greffier

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 11 juin 1998)

Présidence de M. Arnaud Montebourg, Rapporteur

M. Jean-Claude Anton est introduit.

M. le Rapporteur : Je pense que vous avez reçu notification de notre convocation par la force publique.

M. Jean-Claude ANTON : Je l'ai reçue à l'instant.

M. Le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Jean-Claude Anton prête serment.

M. le Rapporteur : La commission d'enquête a beaucoup travaillé et dans de nombreux ressorts. Nous sommes allés à Saint-Brieuc et à Toulon, nous avons commencé d'enquêter à Paris, à Lyon et à Auxerre. À chaque fois, les mêmes questions reviennent.

Je pense qu'il est très aisé de répondre à la première. Comment les juges sont-ils recrutés ? Quel est le taux de renouvellement des juges qui composent votre juridiction ? Comment sont-ils formés ?

M. Jean-Claude ANTON : Tout d'abord, à la requête de cette commission parlementaire, un écrit nous a été demandé, comme à chaque juridiction consulaire de France. J'ai répondu par ce biais à toutes les questions. Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter d'autre à ce que j'ai déjà dit par écrit et transmis au président de votre commission.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, le questionnaire auquel vous faites allusion est un élément d'information. Si nous considérons devoir poser ces questions de nouveau, c'est parce que nous voudrions les approfondir. Il n'y a pas là volonté inquisitoriale. Nous voudrions simplement comprendre comment les tribunaux de commerce fonctionnent.

M. Jean-Claude ANTON : Lorsqu'un magistrat consulaire, qui a prêté serment, se voit convoqué par la gendarmerie, je me pose des questions. Nous sommes en République, en démocratie.

M. le Rapporteur : Oui, nous sommes en démocratie.

M. Jean-Claude ANTON : Il y a des façons d'agir qui me surprennent pour le moins.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce qui vous surprend, monsieur le président ?

M. Jean-Claude ANTON : Cette convocation ! J'ai fait une déclaration ce matin, je répondrai tout à l'heure à la presse et je vous citerai une lettre de Mme Guigou, Garde des Sceaux, que je viens de recevoir.

M. le Rapporteur : Les déclarations de Mme Guigou n'engagent pas le Parlement. Les pouvoirs exécutif et législatif sont des pouvoirs indépendants et libres.

M. Jean-Claude ANTON : Bien entendu. Mais elle est quand même ministre et garde des Sceaux.

M. le Rapporteur :Et alors ? Nous sommes indépendants de Mme Guigou. Comme vous, paraît-il.

M. Jean-Claude ANTON : Mais vous êtes élus par le peuple, messieurs.

M. le Rapporteur : Bien !

M. Jean-Claude ANTON : Et je suis le peuple.

M. le Rapporteur : Vous faites partie du peuple.

M. Gérard GOUZES : Nous sommes tous une partie du peuple.

M. le Rapporteur : C'est une querelle de légitimité dans laquelle nous n'entrerons pas. La Constitution donne la réponse.

Alors, monsieur le président, je voudrais vous poser des questions. Est-ce que vous souhaitez répondre ?

M. Jean-Claude ANTON : Je répondrai aux questions d'ordre général, je ne répondrai pas, aujourd'hui en tout cas, aux questions qui touchent à certains dossiers que vous pourriez évoquer. J'y répondrai par écrit.

M. Gérard GOUZES : C'est la première fois, alors que nous parcourons toute la France, qu'un président semble avoir des choses à cacher.

M. Jean-Claude ANTON : Je n'ai rien à cacher.

M. Gérard GOUZES : Vous semblez tout à coup vouloir résister à des questions simples que notre devoir de parlementaires nous fait l'obligation de vous poser.

M. Jean-Claude ANTON : Je suis tout prêt à vous répondre.

M. Gérard GOUZES : Tous les magistrats que nous avons rencontrés ont coopéré, et tout cela s'est passé d'une manière très correcte.

Il est évident que nous avons découvert des endroits où les choses se passaient bien. Nous avons également découvert des endroits où les choses se passaient très mal. Que la presse, les médias aient pu ça ou là se faire l'écho de ces travers, rien de plus normal.

Dans ces conditions, nous sommes à Mont-de-Marsan non pas à charge, mais tout simplement pour vous poser des questions et je suis sûr que votre calme et votre sérénité vont revenir et que vous allez par conséquent pouvoir normalement, comme partout ailleurs, répondre aux questions que nous vous posons et sur lesquelles a priori je ne vois pas très bien ce que vous avez à cacher.

M. Jean-Claude ANTON : Ni moi en tant que chef de cette juridiction, ni les juges n'ont quelque chose à cacher.

M. Gérard GOUZES : Eh bien tant mieux, allons-y !

M. le Rapporteur : Alors, nous pouvons donc enfin travailler. Merci monsieur le président.

Est-ce que vous pouvez répondre à la question du recrutement des juges ? Dans tous les ressorts où nous nous sommes rendus, nous nous sommes aperçus que plutôt qu'une élection, c'était une sorte de cooptation qui présidait au recrutement des juges consulaires. Le terme de cooptation n'est pas forcément péjoratif : on constate souvent en effet l'absence de candidats. Et finalement, ce sont les magistrats en place qui vont chercher de futurs candidats, qui se retrouvent seuls sur une liste unique et en fin de compte juges consulaires.

Cette analyse est-elle vérifiée à Mont-de-Marsan ?

M. Jean-Claude ANTON : Pas tout à fait. La fonction de juge consulaire, vous le savez très bien, est fixée par l'article 411-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire tel que modifié par la loi de 1987. Je ne vous l'apprends pas puisque c'est vous qui l'avez votée. Les juges consulaires ne reçoivent aucune rémunération d'aucune sorte, c'est une fonction entièrement bénévole.

Ca ne vous surprendra pas que les chefs ou les cadres d'entreprise hésitent à consacrer une partie de leur temps professionnel à une activité qui est fort intéressante au demeurant mais non rémunérée. Un juge honnête et sérieux aura beaucoup de travail à faire. Le recrutement, c'est vrai, est difficile.

On peut avoir affaire pour ce recrutement aux unions patronales qui drainent pas mal de cotisants, de chefs d'entreprise. Il peut également se faire par relations.

M. le Rapporteur : Etes-vous vous-même membre d'une union patronale ? Comment êtes-vous arrivé au tribunal de commerce, monsieur le président ?

M. Jean-Claude ANTON : J'étais cadre dans une filière d'un groupe landais, le groupe Gascogne. On m'a demandé par le truchement d'une union patronale si j'étais intéressé par cette fonction.

M. le Rapporteur : C'est donc l'union patronale qui vous a approché ?

M. Jean-Claude ANTON : C'est l'union patronale qui a interpellé mon groupe et a demandé si, dans l'encadrement, quelqu'un était intéressé par cette fonction.

M. le Rapporteur : Depuis combien d'années êtes-vous président ?

M. Jean-Claude ANTON : Depuis 1994.

M. le Rapporteur : En trois, quatre ans bientôt, combien de temps avez-vous consacré à votre formation en moyenne par an au centre de Tour ?

M. Jean-Claude ANTON : Au centre de Tour, j'y ai passé une semaine juste avant de prendre mes fonctions de président. Ensuite ça a été des formations soit que j'ai faites moi-même ici avec mes juges,...

M. le Rapporteur : Quand vous dites vous-même avec vos juges, cela veut dire que c'est vous-même qui dispensez l'enseignement ?

M. Jean-Claude ANTON : Avec mon expérience oui. Soit par l'intermédiaire de la juridiction consulaire de Toulouse dont une commission formée d'anciens juges s'occupe de formation.

Mais ces formations demeurent un problème, en ce qui concerne notamment leur coût le moyen pour nous de pouvoir les financer. Ce qui n'est pas évident parce qu'il n'y a pas de ligne budgétaire dans le budget que nous octroie la Chancellerie pour la formation des juges. Nous sommes donc obligés de faire appel à ces fameux fonds de concours mis en place récemment.

M. le Rapporteur : Alors, cette question du bénévolat est en effet un problème et fait partie du dossier. Le fait que l'État se soit désengagé dans une fonction d'administration de la justice n'est pas sans poser des problèmes. D'ailleurs, comment faites-vous pour financer le fonctionnement de votre tribunal ? C'est une question qui est aussi importante.

M. Jean-Claude ANTON : C'est la Chancellerie qui alloue un budget au tribunal.

M. le Rapporteur : Par exemple, votre secrétaire, par qui est-elle payée ?

D'ailleurs, avez-vous une secrétaire ?

M. Jean-Claude ANTON : Non. Le tribunal de Mont-de-Marsan n'a aucun personnel, aucune secrétaire. Je fais moi-même office de secrétaire. Le greffe a mis à ma disposition de manière ponctuelle une secrétaire qui peut taper mon courrier ou faire des réponses au téléphone. Mais 80 % de mon secrétariat, c'est moi-même qui l'assure avec mon propre ordinateur et ce chez moi quand je ne suis pas ici. Je passe à mon domicile environ cinq à huit heures par semaine à faire du courrier de liaison, soit avec la préfecture, soit avec la cour d'appel, soit avec le parquet de Mont-de-Marsan, soit avec la trésorerie générale.

M. le Rapporteur : Vous-même, vous présidez des formations de jugement parfois ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui, bien sûr, souvent.

.

M. le Rapporteur : Vous délibérez et vous rendez des jugements ?

M. Jean-Claude ANTON : Tout à fait.

M. le Rapporteur :Vous les rendez dans quels délais ?

M. Jean-Claude ANTON : Lorsque ce sont des jugements de procédures collectives et lorsqu'il s'agit d'une petite décision, elle est rendue sur le siège. Mais s'il s'agit d'une décision de plan de cession, très souvent, il faut un délai d'une semaine à quinze jours parce que nous devons réétudier les dossiers pour revoir exactement les plaidoiries des parties et rendre une décision en toute connaissance de cause.

M. le Rapporteur : Le délai moyen dans votre tribunal, pour avoir une approche statistique plus ou moins grossière, est de combien ?

M. Jean-Claude ANTON : Vous parlez des procédures collectives ?

M. le Rapporteur : Non, je parle du contentieux général, monsieur le président. C'est important pour nous.

M. Jean-Claude ANTON : Deux mois et demi, trois mois.

M. le Rapporteur : Pour prendre un exemple, si l'affaire est plaidée au mois de mars, la décision est rendue au mois de juillet.

M. Jean-Claude ANTON : Quelquefois avant. Tout dépend. En moyenne, le délai est de deux mois.

M. le Rapporteur : Quand les ordonnances de référé sont-elles rendues ? Sont elles rendues sur le siège, ou quinze jours, un mois après ?

M. Jean-Claude ANTON : Sur le siège quelquefois, dans la semaine en tout cas et sur le fond trois mois.

M. Gérard GOUZES : Vous n'avez pas des délibérés plus longs parfois ?

M. Jean-Claude ANTON : Cela peut arriver dans certains dossiers. Mais c'est très rare.

M. Gérard GOUZES : De quelle longueur à peu près ?

M. Jean-Claude ANTON : Cela peut aller jusqu'à six mois. C'est déjà arrivé dans certains dossiers, mais c'est très rare.

M. Gérard GOUZES : Par exemple, dans un dossier pris au hasard, votre jugement date du 27 mars 1998 et les débats à l'audience publique ont été datés du 24 novembre 1995. Cela m'apparaît considérable.

M. le Rapporteur : Un délai de trois ans.

M. Jean-Claude ANTON : Vous citez le cas d'un dossier.

.

M. Gérard GOUZES : C'est un dossier que j'ai trouvé dans votre tribunal.

M. Jean-Claude ANTON : Oui, peut-être.

M. le Rapporteur : C'est quand même incroyable, monsieur le président.

M. Jean-Claude ANTON : Je ne veux pas vous contredire.

M. Gérard GOUZES : Il y avait peut-être un problème particulier qui faisait qu'il fallait trois ans...

M. Jean-Claude ANTON : Je ne sais pas de quel dossier vous voulez parler. Je ne parlerai pas des délibérés parce qu'il n'en est pas question.

M. le Rapporteur : Le demandeur était Me Berthé, mandataire-liquidateur qui instrumentait au nom de la société dont il était liquidateur, la société Grand Écran. Le défendeur est la société Amados domiciliée à Aire-sur-Adour. Et le président, c'était vous. Vous aviez deux assesseurs MM. Serres et Palacin. Et nous voyons qu'il y a eu trois ans de délai dans cette affaire .

M. Gérard GOUZES : Ce fait nous a surpris.

M. Jean-Claude ANTON : Pas de commentaire.

M. le Rapporteur : Pourquoi ne voulez-vous pas faire de commentaire ?

M. Jean-Claude ANTON : Parce que je n'ai pas à en faire.

M. le Rapporteur : Vous voulez nous expliquer, quand même ?

M. Gérard GOUZES : Vous avez peut-être une raison valable ?

M. Jean-Claude ANTON : Je n'ai rien à dire au sujet de cette affaire.

M. le Rapporteur : Pour quelle raison ?

M. Jean-Claude ANTON : Parce que c'est le secret du délibéré.

M. le Rapporteur : C'est un secret qui a duré trois ans !

M. Jean-Claude ANTON : Vous me demandez les motivations sur le jugement.

M. le Rapporteur : Je ne vous demande pas de motivation. Simplement, je vous demande de nous expliquer pourquoi il faut trois ans pour régler une affaire de contentieux général. D'ailleurs, vous souveniez-vous des plaidoiries quand vous avez délibéré ?

M. Jean-Claude ANTON : Nous prenons des notes.

M. le Rapporteur : Cette question pose un problème sur la crédibilité du service public, reconnaissez-le. Au moins reconnaissez-le, ça nous aiderait à travailler ensemble.

M. Gérard GOUZES : Reconnaissez-le !

M. le Rapporteur : Vous avez délibéré, monsieur le président. Ne dites pas : « Je ne le sais pas ».

M. Jean-Claude ANTON : Ce dossier, je ne l'ai pas en tête.

M. Gérard GOUZES : Vous dites, monsieur le président, que vous avez une mémoire suffisamment aiguisée, pour vous souvenir, grâce aux notes que vous avez prises, de tel ou tel dossier. Je note aussi que le jugement est du 27 mars 1998. Cette date me paraît suffisamment proche pour que vous puissiez, non pas nous donner les secrets du délibéré, mais pour que vous puissiez nous expliquer qu'il y avait peut-être quelque chose qui pouvait vous empêcher de prendre la décision de façon plus rapide.

M. Jean-Claude ANTON : Lorsque nous délibérons, lorsque la formation collégiale délibère après les plaidoiries, nous parlons des plaidoiries qui ont été faites, mais c'est au juge chargé du dossier que revient de rendre la décision.

M. le Rapporteur : Le juge rapporteur ?

M. Jean-Claude ANTON : Tout à fait. Je ne dis pas que je ne suis pas responsable. Je dis que ce n'est pas moi qui ai suivi ce dossier. Je ne l'ai pas en tête. Je ne vous dis pas que ce n'est pas vrai. Un délai de trois ans, c'est possible.

M. Gérard GOUZES : Cela vous paraît quand même excessif ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : Merci de le reconnaître.

M. Jean-Claude ANTON : Je ne peux pas vous dire le contraire. Mais enfin, un dossier parmi des centaines de dossiers !

M. Gérard GOUZES : On ne les a pas tous vus. Le hasard a fait que...

Je souhaiterai poser une question d'une autre nature. Est-ce que vous avez l'habitude de travailler étroitement avec le parquet ?

M. Jean-Claude ANTON : Bien sûr.

M. Gérard GOUZES : Je voudrais que vous nous expliquiez les conditions dans lesquelles vous saisissez le procureur de la République. A quel moment ? Sous quelle forme ?

M. Jean-Claude ANTON : Monsieur le procureur assiste aux audiences de procédures collectives qui se tiennent le vendredi matin, quand il le peut, quand ses obligations propres le lui permettent. Et il prend ses réquisitions pour chaque affaire à la fin de chaque plaidoirie.

M. Gérard GOUZES : Les affaires commerciales sont complexes et vous devez souvent vous interroger sur la légalité de telle ou telle action. J'aimerais que vous nous disiez le nombre de fois où vous êtes intervenus auprès du procureur de la République, ne fût-ce que pour discuter d'un dossier, pour l'interroger, pour lui demander conseil, pour demander des explications. Combien de fois rencontrez-vous le procureur de la République sur un dossier qui à un moment ou un autre vous interpelle ?

M. Jean-Claude ANTON : Dans les dossiers où lors des plaidoiries le procureur de la République a été présent, je ne l'interroge jamais puisqu'il donne sa réquisition. Donc le délibéré appartient aux juges, et uniquement aux juges, indépendamment du procureur.

M. Gérard GOUZES : Mais en amont, vous ne l'interrogez pas ?

M. Jean-Claude ANTON : Absolument pas. Sauf quand il y a des instances pénales qui sont prises en compte dans le dossier concerné, ce qui arrive rarement.

M. Gérard GOUZES : Est-ce que vous trouvez que cette situation est normale ou est-ce que vous souhaiteriez que le procureur de la République soit plus souvent présent ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui, tout à fait.

M. Gérard GOUZES : Ou est-ce que vous souhaiteriez vous en dispenser ?

M. Jean-Claude ANTON : Non, depuis que je préside ce tribunal, j'ai toujours apprécié le procureur qui officie actuellement et les précédents qui ont toujours assisté, dans la mesure de leurs disponibilités, aux audiences. Je suis tout à fait partisan de cette présence qui, je ne dirai pas est une garantie, mais permet d'avoir une vision sur certains dossiers que le procureur peut seul avoir et que nous n'avons pas.

M. Gérard GOUZES : Vous souhaitez la présence plus forte d'un magistrat professionnel pour vous aider.

M. Jean-Claude ANTON : Tout à fait. En matière de procédures collectives ?

M. Gérard GOUZES : Oui, nous parlons des procédures collectives principalement.

M. Jean CODOGNÈS : Monsieur le président, ce matin, à l'occasion de votre déclaration, il nous a semblé que vous revendiquiez une autorité sur le greffe.

M. Jean-Claude ANTON : C'est normal.

M. Jean CODOGNÈS : Est-ce que vous pourriez nous expliquer quelles sont les modalités du contrôle que vous opérez sur le greffe ?

M. Jean-Claude ANTON : Selon la loi, le président à toute autorité sur la marche du greffe. C'est normal. Il ne faut pas que ça soit l'inverse. Il faut que le président vérifie que le greffe officie dans le bon sens du tribunal, sans interférer dans ses décisions.

Une commission constituée de juges est chargée de la surveillance du registre des sociétés.

J'ai d'excellents rapports avec le greffier. C'est normal, d'ailleurs. Il vaut mieux avoir une bonne collaboration dans le bon sens de la justice plutôt que l'inverse. Mes rapports avec le greffe sont des rapports de travail et surtout des rapports sur le plan juridique, parce qu'il est certain que nous ne sommes pas des juges professionnels. Je tiens à le préciser. Nous avons une certaine formation juridique, mais naturellement pas la même que celle des juges professionnels. Je pense que je connais assez bien la loi de 1985.

Le président a aussi évidemment des relations avec le greffe sur le plan de l'organisation du travail, de la frappe des jugements. Il s'agit de l'organisation matérielle du tribunal, touchant notamment la convocation des justiciables, les délais, les formes à respecter.

M. Jean CODOGNÈS : Quand un jugement est rendu, qu'est-ce qui se passe ? Vous l'inscrivez sur un registre ?

M. Jean-Claude ANTON : Je tape moi-même les jugements sur mon ordinateur, je les fais, je les rédige, je les frappe.

M. Jean CODOGNÈS : Les ordonnances sur requête des liquidateurs également ?

M. Jean-Claude ANTON : Non, le greffe dispose de matrices toutes prêtes. Le juge donne sa décision, que ce soit des référés ou des jugements de procédures collectives, puis il indique au greffe les mentions qu'il faut appliquer et le greffier inscrit donc dans le jugement la décision du juge.

M. Jean CODOGNÈS : Comment expliquez-vous qu'il nous a été indiqué qu'au moins pour un jugement, celui-ci n'avait fait l'objet d'aucune mention dans les minutes du greffe et qu'un contentieux serait ouvert à ce propos ?

M. Jean-Claude ANTON : Je ne vois pas de quel jugement vous voulez parler. Excusez-moi.

M. Francis AKHAIGE : Il s'agit d'une ordonnance du 1er décembre 1995 qui a été autorisée, signée par le juge-commissaire et qui n'a jamais fait l'objet d'un dépôt au greffe. Une enquête a été faite mais, chose rare, l'ordonnance n'a jamais été déposée au greffe.

M. Jean-Claude ANTON : La fameuse ordonnance ! Je pense que des enquêtes ont été faites dans ce sens là et qu'un rapport a été déposé. Je le maintiens, l'ordonnance, chose rare, n'a jamais été déposée au greffe. C'est le seul cas que je connaisse. Il s'agissait d'une requête du mandataire, je ne suis pas maître de cela.

M. Jean CODOGNÈS : Vous n'exercez pas de contrôle sur les requêtes des mandataires ?

M. Jean-Claude ANTON : Si, bien sûr. Là, en l'occurrence, une ordonnance a été rendue par un juge qui malheureusement est aujourd'hui décédé. Moi, je n'étais pas là personnellement. La décision a été rendue à la suite d'une chambre du conseil. L'ordonnance, la requête n'ont jamais été déposées. Le greffe n'a jamais reçu cette ordonnance. Je trouve cela tout à fait normal.

La procédure est la suivante : les mandataires déposent leur requête auprès du greffe, ensuite une ordonnance est rendue par le juge-commissaire. Si la requête n'est pas enregistrée, pas déposée...

M. Gérard GOUZES : Monsieur le président, est-ce qu'il vous arrive de signer, vous ou un juge-commissaire, des ordonnances qui n'ont pas été tapées au greffe, mais sur votre ordinateur ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui .

M. Gérard GOUZES : En clair, est-ce qu'il vous arrive de signer des ordonnances directement imprimées par les mandataires ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui, mais ces ordonnances passent par le greffe, elles sont visées par le greffe et elles ne sont signées qu'ensuite.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce que ça change ?

M. Gérard GOUZES : Ce n'est pas le greffe qui les tape ?

M. Jean-Claude ANTON : Elles sont marquées au greffe. Une fois que le greffe l'a, il nous les transmet. On prend connaissance de la requête et de l'ordonnance et on signe ou pas.

M. Gérard GOUZES : Est-ce que tous ces problèmes-là ne vous ont pas fait avoir des difficultés sérieuses avec le greffe ?

M. Jean-Claude ANTON : Quel genre de difficultés ?

M. Gérard GOUZES : Allant jusqu'à, disons-le, de quasi-explications disciplinaires, avec des « prises de bec » très fortes. Réfléchissez bien, monsieur le président.

M. Jean-Claude ANTON : C'est tout réfléchi.

M. Gérard GOUZES : Vous n'avez pas participé à une réunion au cours de laquelle certaines personnes ont été mises en cause au sujet d'un rapport entre greffier et mandataire ?

M. Jean-Claude ANTON : Il y a comme dans toute société humaine des différends qui naissent entre les gens qui se côtoient et travaillent ensemble. Mais rien de particulier.

M. Gérard GOUZES : Il semble que ce soit un incident dont nous prenons connaissance aujourd'hui, mais qui était largement connu dans tout Mont-de-Marsan.

M. Jean-Claude ANTON : Vous savez ce qu'est la rumeur publique.

M. Gérard GOUZES : Oh ! Je sais. Alors vous devez peut-être connaître le problème. Si vous l'évoquez, on pourrait crever l'abcès immédiatement.

M. Jean-Claude ANTON : Je ne cerne pas votre propos, sincèrement.

M. Gérard GOUZES : Vous avez dit tout à l'heure que vous aviez une bonne mémoire.

M. Jean-Claude ANTON : Comme tout le monde, je pense. Je ne vois pas quel est l'objet, l'intérêt de la question.

M. le Rapporteur : L'intérêt, c'est nous qui en décidons et l'objet c'est à nous de le définir, le plus clairement possible, il est vrai, mais je crois que M. Gouzes, député, a été tout à fait clair. Est-ce qu'il n'y a pas eu dans votre établissement, dans votre tribunal, des explications sérieuses qui sont allées très loin entre deux protagonistes ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui, bien sûr.

M. le Rapporteur : Ah !

M. Jean-Claude ANTON : Je n'ai pas été le seul à le savoir, même le parquet l'a su.

M. le Rapporteur : Le parquet, nous l'avons entendu. Mais vous ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui, indirectement. Je ne l'ai su qu'après.

M. le Rapporteur : C'était bien ici. N'est-ce pas ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui, tout à fait. Pas dans cette pièce naturellement.

M. le Rapporteur : Dans le tribunal ?

M. Jean-Claude ANTON : Non.

M. le Rapporteur : Où était-ce ?

M. Jean-Claude ANTON : Je ne vous le dirai pas, mais ce n'était pas ici.

M. le Rapporteur : Pourquoi, vous ne le direz pas ?

M. Jean-Claude ANTON : Ce n'était pas dans l'enceinte du tribunal.

M. le Rapporteur : Où les faits se sont-ils déroulés ?

M. Jean-Claude ANTON : Je ne vais pas vous le dire.

M. le Rapporteur : Pour quelle raison, monsieur le président ?

M. Jean-Claude ANTON : Parce que je ne vois pas l'intérêt de la chose.

M. le Rapporteur : L'intérêt, c'est nous qui en sommes juges.

M. Jean-Claude ANTON : Moi, je vous réponds que je ne vois pas l'intérêt de la chose.

M. Jean CODOGNÈS : Quelle était la nature du contentieux ?

M. Jean-Claude ANTON : La fameuse requête non déposée.

M. le Rapporteur : Vous voulez bien nous expliquer ? Même si ça n'a aucun intérêt !

M. Jean-Claude ANTON : Je viens de vous le dire. C'est une requête qui n'a jamais été enregistrée au greffe. Et que d'aucuns affirmaient avoir déposée. Le greffier disait le contraire. Effectivement, elle n'a jamais été déposée.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce qui s'est passé par la suite ?

M. Jean-Claude ANTON : Comment ça, qu'est-ce qui s'est passé par la suite ? Je ne comprends pas.

M. le Rapporteur : Que s'est-il passé après, monsieur le président ?

M. Jean-Claude ANTON : Quel est votre propos ? Je ne comprends pas. Est-ce que nous sommes ici pour examiner certaines affaires ou est-ce que nous sommes ici pour mettre en cause les magistrats consulaires ?

M. le Rapporteur : Ce ne sont pas les magistrats consulaires qui concernés en l'espèce, c'est un mandataire-liquidateur et un greffier qui en venaient aux mains, monsieur le président.

M. Jean-Claude ANTON : Mais oui, je vous l'ai dit.

M. le Rapporteur : Je voudrais bien savoir de quoi il s'agit.

M. Jean-Claude ANTON : C'est à propos de cette fameuse requête non déposée.

M. le Rapporteur : Expliquez-nous dans quelles circonstances tout cela est arrivé !

M. Jean-Claude ANTON : Je ne sais pas, je n'étais pas présent.

M. le Rapporteur : Est-ce que vous en savez quelque chose ?

M. Jean-Claude ANTON : Je ne l'ai su qu'après.

M. le Rapporteur : Alors, que vous a-t-on raconté ?

M. Jean-Claude ANTON : Que c'était à propos de cette requête que ces messieurs en étaient venus aux mains. C'est tout.

M. le Rapporteur : Ceci dit, tout va bien dans les tribunaux de commerce !

M. Gérard GOUZES : Quels messieurs ?

M. Jean-Claude ANTON : Vraiment !

M. le Rapporteur : Je vous en prie, exprimez-vous puisque vous avez la parole !

M. Jean-Claude ANTON : Je ne peux rien vous dire. Je n'ai rien à dire d'autre parce que je n'ai rien à dire, sur ce sujet en tout cas.

M. le Rapporteur : Est-ce que vous pouvez nous expliquer dans quels délais le parquet dispose des dossiers dans le cadre des procédures collectives avant l'audience ?

M. Jean-Claude ANTON : Je pense une semaine à l'avance. Suffisamment à temps, en tout cas.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce que vous appelez suffisamment à temps ?

M. Jean-Claude ANTON : Trois, quatre jours, une semaine à l'avance.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas ce qu'indique le parquet.

M. Jean-Claude ANTON : Cela a toujours été comme ça, en tout cas. Les dossiers sont transmis au parquet avec le rôle de l'audience et lorsque le procureur ne vient pas, je prends la peine de l'appeler pour demander s'il sera présent à l'audience. Nous évoquons les dossiers, mais pas dans toutes les affaires qui passent, comme je suis moi-même très occupé...

M. le Rapporteur : Le procureur considère qu'il n'est pas à même d'exercer ses fonctions, vu les délais dans lesquels les documents, les éléments d'information lui sont transmis.

M. Jean-Claude ANTON : Si c'est ce que monsieur le procureur vous a dit... Moi, je ne le pense pas.

M. Gérard GOUZES : Dans les affaires complexes, notamment en procédure collective où il faut choisir parfois entre plusieurs repreneurs qui présentent plus ou moins de garanties, en trois ou quatre jours peut-on véritablement se renseigner, s'informer, donner un avis clair ?

M. Jean-Claude ANTON : Je crois que dans ces dossiers, le parquet est déjà au courant. Ce ne sont pas des affaires nouvelles. Ce qui est important dans le travail de décision ce n'est pas tellement les ouvertures de procédures collectives. Les gens viennent déposer leur bilan, on ouvre la procédure à la demande des justiciables. Et c'est tout à fait normal.

Ce qui est important, c'est la suite de ces procédures, lorsqu'il faut aboutir à un renouvellement de période d'observation, à un plan de cession, ou à un plan de continuation par apurement du passif. Dans ce genre d'action, le procureur connaît et analyse le dossier longtemps à l'avance. Il connaît le dossier depuis l'ouverture de la procédure. Il sait ce qui va se passer. Il sait les demandes qui sont faites. Vous savez certainement que le liquidateur judiciaire est tenu de demander au procureur d'adresser une requête au tribunal pour la prolongation de cette procédure, en vue de la mise en place du plan de cession. Le procureur est donc parfaitement prévenu, parfaitement tenu au courant de ces dossiers importants.

M. Gérard GOUZES : Nous aurons à déposer un certain nombre de conclusions. Et il va de soi que votre avis est précieux car si vous estimez que le procureur de la République se renseigne sans avoir besoin de votre voix, nous n'aurons pas, par conséquent, à légiférer dans ce sens.

Si, en revanche, vous nous dites qu'effectivement il serait bon, ce serait en conformité avec ce que vous avez dit tout à l'heure, que le parquet soit pour vous une véritable garantie, que cette approche d'un magistrat professionnel vous donne un maximum de sécurité...

M. Jean-Claude ANTON : Absolument.

M. Gérard GOUZES : Ne pensez-vous pas qu'il faudrait que le parquet soit officiellement et non pas officieusement informé beaucoup plus en amont sur un certain nombre de dossiers ?

M. Jean-Claude ANTON : Tout à fait.

M. Gérard GOUZES : J'aurais donc tendance à penser qu'un délai de trois ou quatre jours n'est pas suffisamment long, même si officieusement on peut tout imaginer.

M. Jean-Claude ANTON : Je suis d'accord avec vous, dans les nouvelles ouvertures de procédures.

L'ouverture, ce n'est pas vraiment une formalité, ça engage une entreprise, ça engage des hommes. Mais il faut savoir que la situation dans laquelle se trouve les entreprises lorsqu'elles viennent chez nous, ce n'est pas nous qui l'avons créée, c'est la situation économique du moment ou l'impéritie des dirigeants, il faut le dire. C'est souvent le cas. Je peux en parler en connaissance de cause car j'ai été cadre supérieur dans une entreprise et je sais de quoi je parle.

Mais pour ce qui concerne le parquet, ce qui est important c'est surtout la suite des procédures. Toutes les décisions qui sont à prendre, je répète, interviennent dans le cadre de plans de cession, et le procureur est largement prévenu puisqu'il connaît l'affaire depuis le départ. Depuis l'ouverture, il le sait, il a une connaissance du dossier. Je n'ai pas eu de problème majeur avec un procureur qui a pu prendre ses réquisitions en toute connaissance de cause.

M. Jean CODOGNÈS : Monsieur le président, est-ce que vous pouvez nous expliquer comment s'opère le contrôle des honoraires des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises ?

M. Jean-Claude ANTON : C'est la loi, le décret de 1985 qui fixent les honoraires.

M. Jean CODOGNÈS : Chez vous ?

M. Jean-Claude ANTON : Le contrôle s'effectue par chaque juge-commissaire qui est amené à signer une ordonnance de paiement d'honoraires à un mandataire-liquidateur ou à un administrateur judiciaire. Un contrôle est fait en fonction des barèmes qui sont édictés par cette loi de 1985. Il y a un contrôle qui est fait pour les petites affaires, c'est vrai. Cela ne pose pas beaucoup de problèmes.

M. Jean CODOGNÈS : Pour les affaires importantes, est-ce que le système fonctionne bien selon vous ?

M. Jean-Claude ANTON : On essaie de bien le faire fonctionner.

M. Jean CODOGNÈS : Les honoraires sont-ils excessifs ou trop bas ?

M. Jean-Claude ANTON : Je ne pense pas que les honoraires soient excessifs. Il est vrai que dans les grosses affaires, il y a quelques gros dossiers à Mont-de-Marsan, nous contrôlons les demandes qui sont faites par les mandataires de justice pour leur payer des honoraires.

M. le Rapporteur : Nous avons constaté dans certains tribunaux que les magistrats avaient une politique de résistance. C'est rare, mais ça existe. Certains présentent une résistance systématique aux demandes d'honoraires des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises.

Cette question est d'importance parce que les liquidateurs disposent en effet d'un tarif qui n'est pas fixé par une loi mais par un décret qui leur permet finalement de déséquilibrer les éléments économiques d'un dossier et dans certains cas qui leur permet de prélever sur l'équilibre économique du dossier. Lorsque dans une affaire, il y a peu de passif et qu'on peut le combler, qu'il y a un débiteur qui propose de rembourser avec un plan d'apurement et qu'on trouve un mandataire-liquidateur qui arrive et prélève une partie importante de ce qui reste de richesse, la question est posée de savoir ce que fait la justice, c'est-à-dire le juge-commissaire.

Qu'est-ce que vous en pensez ?

M. Jean-Claude ANTON : Je pense, du moins à Mont-de-Marsan j'en suis persuadé, que les juges sont interpellés sur ces ordonnances qu'ils ont à signer et on en parle souvent.

Je considère qu'un contrôle est fait. On ne peut pas systématiquement refuser. Il y a les textes de loi qui sont là, qui fixent les honoraires des mandataires. On ne peut pas refuser systématiquement tout honoraire à un mandataire de justice.

M. le Rapporteur : Il ne s'agit pas de refuser systématiquement, je me suis mal fait comprendre, mais de mener une politique d'équilibre. C'est-à-dire de rétribuer normalement un travail qui a été effectué et à hauteur de ce qui est en usage dans les professions judiciaires.

M. Jean-Claude ANTON : Le décret était assez large. Je pense qu'il y a matière à repenser ce genre de barèmes.

M. Jean CODOGNÈS : Combien de mandataires avez-vous à Mont-de-Marsan ?

M. Jean-Claude ANTON : Deux mandataires-liquidateurs.

M. Gérard GOUZES : Vous trouvez cela suffisant ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui, si le volume « d'affaires » se maintient au niveau d'aujourd'hui, je pense que c'est suffisant.

M. Gérard GOUZES : Si vous aviez quelque difficulté, quelque peine à arbitrer ces honoraires, il est évident qu'avec un ou deux mandataires cela pose problème. En effet, si on se fâche avec eux, on a des problèmes pour régler les affaires suivantes.

M. Jean-Claude ANTON : J'ai déjà personnellement usé de la possibilité de nommer un autre mandataire-liquidateur dans le ressort de la cour d'appel.

M. Gérard GOUZES : Le faites-vous souvent ?

M. Jean-Claude ANTON : Je l'ai fait.

M. Gérard GOUZES : Pas souvent ?

M. Jean-Claude ANTON : Je ne le fais plus maintenant, c'est vrai.

M. Gérard GOUZES : Sur les deux, j'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'un homme et d'une femme. Combien d'affaires vont à l'un et à l'autre en pourcentage approximativement ?

M. Jean-Claude ANTON : En principe, c'est cinquante, cinquante.

Ce n'est pas facile. J'ai demandé au greffier de me dresser une liste au début de chaque année judiciaire de manière à ce que je puisse voir le nombre et l'importance des affaires qui ont été attribuées à l'un et à l'autre afin de procéder à un juste partage.

M. Gérard GOUZES : Avez-vous ces chiffres ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui, j'ai ces chiffres.

M. Gérard GOUZES : Pourriez-vous nous les communiquer ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : En revanche, les administrateurs judiciaires ont une compétence nationale ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui. Il m'est arrivé de nommer un administrateur judiciaire de Toulouse dans différentes affaires.

M. le Rapporteur : Me Livolsi semble jouir d'une certaine confiance de la part du tribunal ?

M. Jean-Claude ANTON : Absolument. Je n'ai aucune raison personnelle de douter des compétences ou de l'honnêteté de Me Livolsi.

M. le Rapporteur : Je ne parle pas d'honnêteté ou de malhonnêteté, je dis confiance au sens où vous travaillez volontiers avec lui.

M. Jean-Claude ANTON : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Vous vous entendez bien ? Vous êtes d'accord avec les analyses qu'il vous propose généralement ?

M. Jean-Claude ANTON : Non pas toujours.

M. le Rapporteur : Y a-t-il des cas précis où vous avez été en désaccord ?

M. Jean-Claude ANTON : On peut être en désaccord dans le cadre de propositions de plans de cession où il y a deux ou trois cessionnaires, où Me Livolsi, par son analyse et par la perception qu'il a eue des contacts avec les cessionnaires, conclut à ce que le tribunal...

M. le Rapporteur : Avez-vous en mémoire des cas de divergences entre le tribunal et Me Livolsi ?

M. Jean-Claude ANTON : Ce ne sont pas des divergences. Les mandataires quels qu'ils soient reçoivent un mandat des juges du tribunal de commerce, vous le savez bien. Ils ont pour obligation de mener leur affaire comme l'entend le tribunal et de fournir le maximum d'informations aux juges de manière à ce qu'on puisse décider et juger en toute connaissance de cause et en toute liberté.

Lorsque Me Livolsi ou un autre mandataire vient faire son rapport à l'issue d'une période d'observation quelle qu'elle soit, je consulte le registre, j'écoute les plaidoiries, j'écoute les rapports et puis on décide de la suite de la décision à prendre dans le cadre d'un plan de cession ou dans le cadre d'un apurement de passif. Mais il arrive qu'on prenne une décision qui soit contraire à la conclusion du rapport de Me Livolsi.

M. le Rapporteur : Qui sont vos juges-commissaires ?

M. Caussade, le vice-président, est juge-commissaire ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : M. Lahitte ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur :M. Laporte ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : M. Palacin

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : M. Brethous ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : M. Pianacci ?

M. Jean-Claude ANTON : Non pas encore.

M. le Rapporteur : M. Dufau.

M. Jean-Claude ANTON : Non plus.

M. le Rapporteur : Mme Chauvin ?

M. Jean-Claude ANTON : Non plus.

M. le Rapporteur : M. Serres ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : M. de Nardi ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : M. Jean-Claude-Bats ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : M. Agard ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : M. Andres ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : M. Jean-François Bats ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : M. Courtes ?

M. Jean-Claude ANTON : Non. Il fait partie des juges qui ont moins de deux ans d'exercice.

M. le Rapporteur : Qui siège de façon collégiale en matière de procédures collectives ?

M. Jean-Claude ANTON : Il y a moi-même en tant que président, M. Lahitte qui est le président de la première chambre, M. Serres, président de la seconde chambre et M. Caussade en tant que vice- président. Nous sommes quatre à présider, mais je le fais le plus souvent.

Admis à prendre connaissance du compte-rendu de son audition, conformément à l'article 142 du Règlement de l'Assemblée nationale, M. Anton a présenté les observations suivantes :

Monsieur le Président,

L' observation liminaire concerne lecontexte de cette audition.

N'ayant eu aucune volonté délibérée d'empêcher, de quelque manière que ce fût, les membres de la Commission Parlementaire d'accomplir leurs travaux d'enquête, je persiste à déplorer ce « tapage » médiatique, organisé avant et pendant cette audition, qui ne pouvait pas permettre de siéger, en toute sérénité, et de travailler ainsi dans le cadre d'une enquête dont l'objectif n'est que de proposer les réformes nécessaires, tant sur le plan des Lois de 1985 et de 1994 que sur l'organisation, le fonctionnement des juridictions consulaires, et non de soumettre les juges à des attaques plus ou moins dirigées.

Pour le reste, et concernant les divers dossiers évoqués par les membres de la Commission, je préciserai qu'aucun des magistrats de ce Tribunal n'avait à se justifier, ni à s'expliquer, des décisions rendues collégialement et ce, sur la règle du secret du délibéré qui constitue un principe général du droit public français qui a pour objet d'assurer l'indépendance des juges et l'autorité morale de leurs décisions.

J'ajouterai que la seule préoccupation des magistrats consulaires de ce Tribunal, est d'assurer aux justiciables du monde de l'entreprise et du commerce, dans le respect des lois, la meilleure décision possible pour leur devenir et dans une situation qui a pu procéder du contexte économique du moment et, quelquefois, d'erreurs de gestion ou de malveillance.

Une réforme de l'institution Consulaire doit, certes, être entreprise et réalisée.

De nombreuses propositions sont et ont été faites par la Conférence Générale des Tribunaux de Commerce.

Mais ce besoin de réforme n'est pas nécessairement lié aux seuls problèmes de fonctionnement rencontrés, si ce n'est à la refonte indispensable des lois commerciales et à une toute aussi indispensable prise en compte de la formation du juge consulaire.

Je crois avoir exprimé, ici, le sentiment de tous les magistrats de cette juridiction.

Croyez, Monsieur le Président, à l'assurance de ma plus parfaite considération.

J.C. ANTON

Audition de MM. Jean CAUSSADE, Michel LAPORTE, Armand de NARDI, Jacques SERRES, juges consulaires au tribunal de commerce de Mont-de-Marsan, en présence de M. Jean-Claude ANTON, président.

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 11 juin 1998)

Présidence de M. Arnaud Montebourg, Rapporteur

MM. Jean Caussade, Jacques Serres, Michel Laporte et Armand de Nardi sont introduits.

Monsieur le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, MM Caussade, Serres, Laporte et de Nardi prêtent serment.

M. Gérard GOUZES : Est-ce que vous pouvez nous citer messieurs, notamment vous, monsieur le vice-président Caussade, quelques dossiers qui ont pu présenter des difficultés majeures dans votre juridiction et desquels nous pourrions tirer un certain nombre de leçons d'ordre législatif, indépendamment des procédures pénales qui auraient pu être engagées et sur lesquelles nous n'avons pas à interférer ?

Est-ce que, par exemple, en matière de reprise, pour être plus précis, vous pensez à une ou deux affaires dans lesquelles le tribunal a pu hésiter, où les mandataires-liquidateurs ont pu eux-mêmes présenter une position puis revenir sur une autre position, bref provoquer un certain nombre de remous ?

M. Jean CAUSSADE : Je ne parlerai pas d'hésitation, je parlerai de réflexion. Il ne me vient pas à l'idée d'affaire particulière, si ce n'est une affaire qui me concerne personnellement. C'est l'affaire Andignac, puisque j'y suis juge-commissaire et puisque c'est une affaire dont on parle abondamment et sur laquelle je peux m'expliquer sans aucune difficulté. À priori, d'autres affaires ne me viennent pas à l'esprit.

M. le Rapporteur : Alors, parlez-nous de l'affaire Andignac.

M. Jean CAUSSADE : L'affaire Andignac est un problème de cession.

M. Jean-Claude ANTON : Il n'y a aucun commentaire à faire sur cette affaire, sur les délibérés, les décisions prises collégialement par les juges.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, je vous en prie, on ne vous pas a pas donné la parole. Veuillez poursuivre, monsieur Caussade.

M. Jean-Claude ANTON : Je suis le chef de cette juridiction, je ne voudrais pas qu'on me mette à la porte.

J'interdis à mes juges d'intervenir sur les délibérés qui ont été rendus dans cette affaire et qui, de surcroît, ont été vus par le parquet et par la cour d'appel.

M. Gérard GOUZES : Ce n'est pas ce qu'on demande à M. Caussade.

Je demande à M. Caussade de nous aider à travers cet exemple, dont nous ne sommes pas juges. Ce n'est pas nous qui arriverons à régler le problème de cette affaire, ce n'est pas notre rôle. Notre rôle est d'essayer de tirer les leçons d'une affaire qui, vous le reconnaissez vous-même, a pu soulever un certain nombre d'interrogations.

Comment, dans une affaire de reprise, le tribunal a pu être soumis à un rapport d'un mandataire disant qu'il faut reprendre « x » ou « y », et puis quelque temps plus tard changer d'avis ?

Qu'est-ce qui peut motiver une telle décision ? Et comment pouvez-vous vous en sortir au vu d'avis divergents ?

M. Jean CAUSSADE : Je n'ai pas connaissance de ce que vous semblez dire. Je n'ai pas en tête d'affaire où un changement nous a fait nous-mêmes changer d'opinion. Nous prenons notre décision collégialement. Pour ce qui concerne cette affaire, c'est un délibéré. On l'a pris en toute sérénité. On n'a pas eu à y revenir. Je peux vous dire que le parquet lui-même nous avait recommandé par écrit la cession de cette entreprise. Cette lettre existe encore, bien entendu.

Les créanciers ont fait appel et la cour d'appel a confirmé notre décision. Je suis dans cette affaire totalement serein. Si ce n'est que cela me gêne parce que je suis montois. Je trouve que je suis un peu en difficulté morale sur cette affaire, alors que personnellement je n'ai strictement rien à me reprocher.

M. le Rapporteur : Pourquoi êtes-vous en difficulté morale sur cette affaire ?

M. Jean CAUSSADE : Parce qu'on en parle. Parce que les gens n'ont pas évidemment les connaissances requises quand ils lisent ou entendent certaines choses pour juger normalement. Je suis tout à fait à l'aise quand il s'agit d'avocats, de gens qui connaissent les procédures. Ce n'est pas la même chose avec l'homme de la rue ou le lecteur moyen.

M. le Rapporteur : Sans parler d'homme de la rue, c'est une expression qui ne veut rien dire...

M. Jean CAUSSADE : Ah si !

M. le Rapporteur : Nous empruntons tous les mêmes rues, ça ne veut pas dire grand chose.

M. Jean CAUSSADE : Cela a une signification profonde.

M. le Rapporteur : À votre avis, pour quelles raisons parle-t-on de cette affaire dans des termes qui n'honorent pas le tribunal de commerce de Mont-de-Marsan ? Quel est votre sentiment, puisque vous avez participé aux délibérés ?

M. Jean CAUSSADE : Personnellement, je l'ignore. Moi je trouve que cela a été fait dans la plus grande normalité. Je vous ai expliqué deux éléments qui sont incontestables : une lettre du procureur lui-même, un appel qui est confirmé par des magistrats professionnels. Ces faits me mettent personnellement tout à fait à l'aise. Ce qui m'ennuie, c'est qu'on en parle et que je sois cité. Ça me dérange parce que je suis connu et natif de Mont-de-Marsan.

M. le Rapporteur : J'ai un sentiment personnel. Je voudrais savoir ce que vous en pensez. J'ai lu votre jugement...

M. Jean CAUSSADE : Ce n'est pas mon jugement.

M. le Rapporteur : Votre jugement collectif. Dans ce jugement, je n'ai pas vu de motivation.

M. Jean CAUSSADE : Je vous avoue que c'est une affaire ancienne. Je n'ai pas de souvenir précis.

M. le Rapporteur : Je voudrais qu'au procès-verbal, il soit noté que le président Anton a soufflé dans l'oreille de son vice-président « refuse de répondre ».

M. Jean-Claude ANTON : Je n'ai rien dit. Je m'insurge contre cela.

Je m'insurge contre cette inquisition sur un délibéré. Ce n'est pas normal !

M. le Rapporteur : Je vous donnerai la parole après, lorsque nous nous serons expliqués avec M. Caussade !

M. Armand de NARDI : Je suis surpris du ton utilisé pour parler à des bénévoles.

M. Jean-Claude ANTON : C'est horrible ! Lorsque vous aurez la démission de tous les juges consulaires de France, nous verrons dans quelle situation vous serez !

M. Gérard GOUZES : Nous allons voir l'explication de M. Caussade.

M. le Rapporteur : Monsieur Caussade, pourriez-vous nous dire pour quelle raison ce jugement n'était pas motivé ?

M. Jean-Claude ANTON : Vous avez le délibéré, lisez-le !

M. Jean CAUSSADE : Le délibéré parle de lui-même, je suis très à l'aise.

M. Gérard GOUZES : Puisque vous êtes à l'aise, expliquez-nous.

M. Jean-Claude ANTON : C'est un scandale !

M. Jean CAUSSADE : Il y a eu un jugement, un délibéré, vous l'avez sous les yeux. Il n'y a plus rien à dire...

M. Jean-Claude ANTON : C'est à vous dégoûter du bénévolat en France, vraiment !

M. Jean CAUSSADE : Il y a eu trois personnes qui ont délibéré. Je n'ai pas d'autre commentaire à faire.

M. Jacques SERRES : Je fais partie de ceux-là, j'assume entièrement. C'est incroyable !

M. le Rapporteur : Monsieur le président, je suis désolé...

M. Jean-Claude ANTON : Moi aussi, je suis désolé. C'est meurtrier qu'on vienne salir l'honneur des gens ! C'est comme ça que je le prends.

M. Gérard GOUZES : Vous êtes très maladroit, monsieur le président. Si vous avez de bons amis, ils vous le diront. N'écoutez pas toujours ceux qui vous disent le contraire.

M. Jean-Claude ANTON : Je n'écoute personne d'autre que mes sentiments.

M. le Rapporteur : La question posée à M. Caussade et à ses assesseurs, c'est la question qui est essentielle dans un système judiciaire et qui se pose à toutes les juridictions, même si vous refusez qu'on vous la pose.

Sur cette question, qui est essentielle, je ne vous demande pas de trahir le secret des délibérés. D'ailleurs, on vous le demanderait que vous pourriez refuser, vous nous ne nous le diriez pas.

La question qui vous est posée, et c'est le problème qui se pose à tout juge et à sa conscience, est celle d'une décision qui n'est pas comprise. Il se peut qu'on puisse trouver la raison de cette incompréhension dans le fait que la décision n'ait pas été motivée correctement.

M. Jean-Claude ANTON : Il y a des voies d'appel.

M. le Rapporteur : Lorsque nous avons regardé ce document qui est votre jugement...

M. Jean-Claude ANTON : Il y a des voies d'appel...

M. le Rapporteur : Monsieur le président, je vous en prie. Moi, je ne suis pas devant les juges d'appel. Je suis devant les juges de première instance qui prennent des décisions souvent irréversibles puisque les décisions d'appel sont rendues généralement longtemps après le premier jugement, les autres candidats à la reprise ayant été évincés. Vous savez parfaitement, messieurs le président et le vice-président, que les décisions d'appel ne peuvent pas remettre en cause l'irréversible et c'est le cas en matière de procédures collectives.

Monsieur le président, j'interroge votre vice-président, je ne vous ai pas donné la parole. Je voudrais pouvoir travailler tranquillement !

Alors, monsieur Caussade, quand un juge prend une décision et qu'il ne la motive pas, est-ce que le justiciable est en droit de se poser un certain nombre de questions sur la crédibilité, l'impartialité de la décision, surtout lorsqu'elle a donné lieu dans cette affaire, - ce n'est pas un secret, cela n'est pas dans votre délibéré - à des tergiversations de la part de celui qui a (semble-t-il) influencé le tribunal, c'est-à-dire Me Livolsi ?

M. Jean CAUSSADE : Me Livolsi n'a pas influencé le tribunal.

M. le Rapporteur : Répondez sur la motivation, il y a deux questions.

M. Jean CAUSSADE : Il a fait un rapport. Moi, la motivation, j'avoue que je ne l'ai plus en tête. Nous étions trois et je ne sais pas si j'étais là. Est-ce que j'étais dans ce délibéré ? À mon avis, je n'y étais pas.

M. le Rapporteur : Alors, pourquoi dites-vous que cela vous concerne ?

M. Jean CAUSSADE : Je vous ai exposé le contexte.

M. le Rapporteur : Monsieur Caussade, là vous m'intriguez fortement. J'aimerais comprendre pourquoi vous vous sentez concerné par l'affaire Andignac dans laquelle vous n'avez pas siégé ?

M. Jean CAUSSADE : Quand vous êtes cité...

M. le Rapporteur : Moi, je ne vous cite pas.

M. Jean CAUSSADE : Pas vous, mais je suis cité. J'étais juge-commissaire...

M. le Rapporteur : C'était M. Anton qui présidait !

M. Jean CAUSSADE : Donc moi, je n'étais pas dans ce délibéré.

M. Jean-Claude ANTON : N'attendez de moi aucune explication !

M. le Rapporteur : Voilà comment est rédigé le jugement. Le jugement est public, on décrit longuement les quatre offres. Sur quoi le tribunal se décide. Deux paragraphes :

« Attendu qu'il ressort des informations recueillies par ce tribunal que quatre des offres ci-dessus, celle de MM. Cesse et Dubernet doit être retenue car elle présente les caractères sérieux exigés par les dispositions de la loi du 25 janvier 1985 et apparaît comme la plus susceptible d'assurer la pérennité de l'entreprise. Cette offre permet en outre le maintien d'un nombre d'emplois acceptable.

« Attendu qu'il appert des informations recueillies que la continuation de l'entreprise étant difficilement envisageable, seule sa cession semble possible... »

Il y a donc un seul paragraphe sur le choix de l'offre, alors qu'il y a quand même deux pages entières sur l'explication des offres, les éléments d'équilibre économique et social qu'elles contiennent. De l'autre côté, une seule chose : cette offre est la plus susceptible d'assurer la pérennité de l'entreprise et le maintien d'un nombre d'emplois acceptable.

M. Jean CAUSSADE : C'était le cas.

M. le Rapporteur : Je ne me prononce pas sur ce qui s'est passé après. Je me prononce sur les modalités de décision.

Lorsqu'on lit les rapports complémentaires de l'administrateur judiciaire, on s'aperçoit que l'offre Dubernet est présentée de la façon suivante : « En termes de pérennité de l'entreprise, les offres Cesse-Dubernet et Alamdar apportent toute assurance sur le plan du maintien du maximum d'emplois, premier critère défini par la loi. Il est clair que l'offre Andignac est la meilleure, suivie de celle d'Alamdar, l'offre Cesse-Dubernet ne maintenant que huit emplois sur une trentaine ».

« Sur le plan de l'apurement du passif et en tenant compte de la reprise des financements, l'offre Andignac est nettement au-dessus des autres propositions. Il faut cependant tenir compte des paiements qui se feront sur une longue période. D'une part, une partie du prix de cession est échelonnée en quatre semestrialités. D'autre part, les reprises de financement étalent les remboursements sur plusieurs années ».

« Il apparaît que globalement l'offre Andignac pourrait sembler la meilleure ». C'est ce que Me Livolsi écrit, le 7 février.

Un mois plus tard, voilà ce qu'écrit Me Livolsi : « Rien n'a changé sur le front de l'emploi , rien dans les propositions ». Et voilà comment ça se termine : « Globalement il apparaît que l'offre Cesse-Dubernet, qui semble pouvoir assurer la pérennité de l'entreprise, maintenir un nombre d'emplois acceptable et concourir de façon non négligeable à l'apurement du passif, soit quelque peu la meilleure ».

Combien y avait-il de passif dans cette affaire ?

M. Jean-Claude ANTON : Je ne peux pas vous répondre. Posez-moi la question par écrit, je vous répondrai. Je ne sais pas.

M. Jean CAUSSADE : Des millions.

M. le Rapporteur : Vous souvenez-vous quelles étaient les offres pour désintéresser les créanciers ?

M. Jean-Claude ANTON : Approximativement, oui.

M. le Rapporteur : Combien ?

M. Jean-Claude ANTON : L'offre Cesse-Dubernet devait se situer autour de 130 000 francs, il y avait une offre des salaisons du Périgord qui n'avaient pas d'expérience dans le domaine du foie gras, une autre offre se situait autour de 600 000 francs et la troisième à 1 500 000 francs.

M. le Rapporteur : Et vous avez retenu celle à 130 000 francs ?

M. Jacques SERRES : Je dirai, monsieur, que l'entreprise existe aujourd'hui avec près de 30 ou 35 emplois

M. Jean-Claude ANTON : Aux termes de la loi de 1985, M. Andignac, en tant qu'ancien dirigeant de la société, n'avait aucune qualité pour faire des offres. Je regrette. C'est pour ça qu'elle a été rejetée.

M. le Rapporteur : C'est une autre question, qui ne nous concerne pas.

M. Jean-Claude ANTON : D'autre part, une autre offre a été rejetée parce que présentée hors délais. C'était une société encore non constituée qui ne présentait aucune garantie financière.

M. Gérard GOUZES : On ne vous fait pas de reproche à ce niveau. Vous faites semblant, monsieur le président, de ne pas comprendre la question.

M. Jean-Claude ANTON : Mais si, je comprends très bien.

M. Gérard GOUZES : Ecoutez-moi bien, je n'ai pas à prendre partie, ni pour M. Andignac ni pour un autre.

Je vous pose une question simple. Je vous dis : vous avez rendu un jugement. Ce jugement est fait avec des motivations qui sont d'une fadeur totale. Or, vous nous expliquez ici par exemple : nous n'avons pas pris M. Andignac pour telle et telle raison.

M. Jean-Claude ANTON : Bien sûr.

M. Gérard GOUZES : Le législateur s'interroge, parce qu'on va bien voir si dans la loi il ne faudra pas obliger les juges à mieux motiver leurs décisions.

Ne vous sentez pas agressé monsieur, on ne vous agresse pas. Nous essayons de démonter un mécanisme qui aujourd'hui ne satisfait pas nos concitoyens. Et nous sommes là pour les aider, pour vous aider à ce que la justice soit plus juste.

M. Jean-Claude ANTON : C'est ce que nous voulons.

M. Gérard GOUZES : Donc, si vous aviez vis-à-vis de M. Andignac le sentiment qu'il ne devait pas être repreneur pour les raisons que vous nous avez indiquées, la question qui se pose est la suivante : pourquoi ne l'avez-vous pas écrit dans les motivations du jugement ?

Vous vous sentez agressé. Ce qui m'inquiète, monsieur, depuis que je suis à Mont-de-Marsan, c'est que j'ai l'impression qu'on vient ici vous poser des questions qui vont nous servir pour légiférer et vous, vous réagissez comme si vous aviez quelque chose à vous reprocher.

M. Jean-Claude ANTON : Non.

M. Gérard GOUZES : Je ne vous cache pas que cette impression très désagréable, c'est la première fois que je la ressens dans tous les tribunaux que nous avons parcourus. C'est surprenant !

M. Jean-Claude ANTON : Dans un article de presse paru le dimanche 7 juin, M. Arnaud Montebourg affirme dans une interview, avant de venir chez nous, que nous sommes des juges corrompus.

M. Gérard GOUZES : Ah ! Il a dit ça ? C'est faux !

M. le Rapporteur : On vous dira ce soir si c'est le cas (exclamations dans la salle). Pour l'instant on n'a pas parlé de Mont-de-Marsan. Monsieur le président, comment pouvez-vous dire une chose pareille ?

M. Jean-Claude ANTON : Il ne s'agissait pas de Mont-de-Marsan, mais de l'ensemble des juges consulaires.

M. le Rapporteur : Mais qu'est-ce que vous savez de ce que nous avons découvert dans la commission d'enquête ?

M. Jean-Claude ANTON : Je ne sais rien.

M. le Rapporteur : Eh bien , vous ne savez rien !

M. Jean-Claude ANTON : Vous avez créé un climat qui ne peut pas être propice. Cette audition ne peut pas être sereine. Ce n'est pas possible !

M. Gérard GOUZES : Mais c'est vous qui l'avez rendue ainsi !

M. le Rapporteur : Nous sommes obligés de faire venir la police et la gendarmerie pour vous entendre ! C'est incroyable !

M. Jean-Claude ANTON : Je vous ai fait une déclaration et je vous ai dit qu'on ne refusait pas de répondre. Nous sommes tout à fait disposés à répondre mais dans d'autres circonstances.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce que ça veut dire ?

M. Jean-Claude ANTON : En posant les questions par écrit.

M. le Rapporteur : Les circonstances sont celles d'aujourd'hui, elles sont très bien. Tout le monde est là. C'est formidable. On s'explique clairement. C'est tout.

M. Jean-Claude ANTON : Non. Pas à mon sens.

M. Gérard GOUZES : C'est vous qui créez la suspicion.

M. Jean CODOGNÈS : Monsieur le président, grâce ou à cause de l'annonce qui a été faite, un certain nombre de justiciables nous ont écrit pour se plaindre des délais selon eux excessifs dans les procédures collectives.

Ainsi, par exemple, le dossier Soldeville a été ouvert en 1991. Rien n'a bougé, selon ce justiciable, depuis 1994. Nous sommes en 1998, ils attendent toujours la clôture de ce dossier.

M. Jean-Claude ANTON : Il y a une procédure pendante au tribunal de commerce de Bordeaux. Nous ne sommes pas maîtres de tout le dossier. J'ai reçu les ouvriers et un médiateur. Nous dépendons des décisions prises par cet autre tribunal et des mandataires de la région bordelaise.

M. Jean CODOGNÈS : Les explications reçues ce matin ne faisaient pas apparaître d'interventions de juridictions extérieures. Il semble tout simplement qu'il s'agissait là d'un stock de dossiers oubliés.

M. Jean-Claude ANTON : Tous les dossiers ne me viennent pas à l'esprit. Ce n'est pas possible.

M. Jean CODOGNÈS : Le justiciable indique avoir écrit à plusieurs reprises.

M. Jean-Claude ANTON : C'est possible. Normalement, je réponds.

M. Jean CODOGNÈS : Si cette réunion peut servir à quelque chose, c'est de permettre de regarder dans les stocks de dossiers qui dorment de façon à ce qu'il y ait une accélération des procédures.

M. Jean-Claude ANTON : Absolument, je verrai quel est le dossier et quel est le problème posé.

M. le Rapporteur : C'est une vieille affaire de 1991. Il y en a d'autres.

Est-ce que vous étiez juge en 1991, monsieur le président ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui.

M. le Rapporteur : Je voudrais évoquer cette fameuse affaire Mandron dont on parle tant. Permettez-moi de vous poser cette question, j'espère qu'elle ne vous choquera pas et ne choquera personne. Il y a des réalités. Nous sommes là pour les regarder. Je le répète : la commission d'enquête a fait des découvertes hallucinantes.

M. Jean-Claude ANTON : Je veux bien vous croire.

M. le Rapporteur : Je n'ai pas encore porté de jugement sur Mont-de-Marsan. Ce sera peut-être très bien quand nous vous aurons entendu. C'était rare, mais nous l'avons dit dans certains tribunaux car parfois la personnalité d'un président imprime une autre manière de travailler. Et ce ne sont pas forcément les moindres.

Il ne faut donc pas considérer que nous sommes là pour vous persécuter. Nous sommes là pour poser des questions qu'un certain nombre de nos concitoyens se posent. Heureusement que nous le faisons parce qu'on n'a pas toujours l'impression que ceux qui devraient le faire depuis des années, l'ont fait en temps et en heure.

Alors, nos appréciations nous regardent. Nous sommes souverains. Encore une fois, je l'ai dit tout à l'heure aux journalistes et je souhaite faire cette mise au point. Heureusement que les représentants de la Nation peuvent émettre des opinions, ils sont là pour ça. De même que les juges sont là pour rendre des jugements, les parlementaires sont là pour émettre des opinions.

M. Gérard GOUZES : Il vaut mieux que ce soit eux qui le fassent d'ailleurs, car si on laissait tout dire dans la rue, cela prendrait d'autres tournures.

M. le Rapporteur : Je reviens à l'affaire Mandron qui a attiré notre attention.

J'ai observé qu'un gérant d'une affaire ex-Mandron, qui appartenait à M. Mandron, était juge dans votre tribunal à l'époque. Je crois qu'il ne l'est plus. Il avait vendu son affaire à une personne qui est venue devant le tribunal parce qu'elle était en difficulté. Une procédure collective a été ouverte à l'encontre de la société et M. Mandron, ancien propriétaire, a jugé cette affaire.

Est-ce exact ? Est-ce que cela vous paraît naturel ?

M. Jean-Claude ANTON : Il n'a pas jugé cette affaire.

M. le Rapporteur : Il était assesseur. Qu'en pensez-vous, monsieur le président ?

M. Jean-Claude ANTON : Généralement, lorsque des affaires sont appelées à l'audience publique ou en chambre du conseil, une affaire dont un des juges est partie prenante n'est généralement pas plaidée. Ou bien le juge est changé. Lorsque le juge est concerné par une affaire, généralement il ne siège pas.

M. le Rapporteur : Là, il a siégé. Jugement du 20 décembre 1991, société d'exploitation des établissements Mandron ; avocat : Me Duvignac, société Mandron Loisirs. Composition du tribunal lors des débats : président : M. Thibaud ; juges : MM. Mandron et Dedieu. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Claude ANTON : C'est de la responsabilité de l'ancien président. Que voulez-vous que je dise ? Ce n'est pas normal.

M. Gérard GOUZES : Merci. J'aime à vous l'entendre dire. C'est difficile de dire le contraire.

M. le Rapporteur : Comment fonctionnent les règles de déport chez vous en cas de conflit d'intérêts ?

M. Jean-Claude ANTON : En cas de conflit d'intérêts, les affaires sont renvoyées dans une autre juridiction.

M. le Rapporteur : C'est arrivé combien de fois ces dernières années ?

M. Jean-Claude ANTON : C'est arrivé quelquefois. Je ne sais pas exactement combien de fois.

M. le Rapporteur : Combien de fois, à peu près ?

M. Jean-Claude ANTON : Je ne sais pas, trois ou quatre fois, pour des référés ou pour des audiences publiques. Cela arrive.

M. le Rapporteur : Combien d'entre vous se sont déportés ?

M. Jacques SERRES : J'ai été assigné ici dans une affaire. J'ai demandé le renvoi dans une autre juridiction. C'est allé à Dax. Je n'ai pas le jugement.

M. Jean CAUSSADE : Je me suis désisté moi-même à une ou deux reprises. L'avocat de la partie adverse m'a remercié publiquement. Mais ça arrive pour tout le monde. C'est fréquent, je ne tiens pas de statistique.

M. le Rapporteur : Quel genre de profession, exercez-vous monsieur ?

M. Jean CAUSSADE : J'ai un cabinet d'assurances.

M. le Rapporteur : Quand c'est un assureur qui est partie dans une affaire, quelqu'un que vous connaissez de votre secteur professionnel, est-ce que vous siégez ?

M. Jean CAUSSADE : Absolument pas. Non.

M. le Rapporteur : Vous vous déportez ?

M. Jean CAUSSADE : Tout à fait.

M. le Rapporteur : C'est le cas pour chacun d'entre vous ?

M. Jean CAUSSADE : Absolument.

M. Jean-Claude ANTON : De toute façon, les parties se chargent bien de nous rappeler que tel ou tel juge est impliqué dans telle ou telle affaire. Et elles demandent donc le désistement.

M. le Rapporteur : Cela ne devrait même pas être le cas.

M. Armand de NARDI : Étant donné la façon dont on nous parle, je peux vous dire que moi, demain matin, je démissionne. C'est scandaleux (applaudissements dans la salle). Je suis tout à fait d'accord qu'il y a des problèmes majeurs. Mais la façon dont vous nous parlez alors que nous sommes tous des bénévoles ! Beaucoup de gens croient qu'on veut les enterrer quand ils viennent ici. Mais malheureusement, quand ils viennent ici, ils sont déjà morts. C'est comme la personne qui est cancéreuse. Quand ils arrivent ici, on essaie par tous les moyens, je vous assure, de faire le maximum pour les aider. Je peux le dire sur la tête de mes enfants.

Ayez un autre dialogue. Si vous ne voulez plus de juges, si vous voulez mettre des fonctionnaires à la place, vous savez ça ne me gêne pas. C'est tout à fait logique, faites-le. Mais je pense qu'on a intérêt à ce qu'il y ait avec eux des gens de la profession.

M. le Rapporteur : Vous êtes en faveur de l'échevinage ?

M. Armand de NARDI : Oui, parce qu'à un moment donné, il le faut bien. Je crois qu'il faut quand même des professionnels qui siègent et qui pourront donner leur opinion.

M. Gérard GOUZES : Qui vous dit qu'on pense le contraire ?

M. Armand de NARDI : Finalement, c'est un réquisitoire. On a l'impression qu'à Mont-de-Marsan, c'est la folie douce.

M. Gérard GOUZES : Mais non. C'est vous, monsieur qui, depuis le début de notre séjour, créez ce climat.

M. Armand de NARDI : Je peux vous citer des tribunaux où vous n'êtes pas allés. Je vous garantis que vous allez frémir. Soyons modestes avec Mont-de-Marsan. Soyez gentils, soyez modérés ! On n'est pas des sauvages ! On est des gens du peuple, on est des gens simples. Et on discute simplement.

M. le Rapporteur : Il suffisait de le dire et commencer comme cela ce matin.

M. Armand de NARDI : On ne se paie pas et on est vraiment bénévoles. Qu'on ne nous traite pas de tout. Monsieur le juge, soyez gentil !

M. Gérard GOUZES : Nous venons en effet de parler à des gens qui sont bénévoles, il convient de le rappeler.

Audition de M. Gilles BERTHÉ, mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises

en présence de MM. ANTON, LAPORTE, de NARDI, SERRES,
juges au tribunal de commerce de Mont-de-Marsan

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 11 juin 1998)

Présidence de M. Arnaud Montebourg, Rapporteur

Monsieur Berthé est introduit.

Monsieur le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de Monsieur le Rapporteur, M. Berthé prête serment.

M. le Rapporteur : Mon cher maître, vous êtes deux mandataires-liquidateurs dans ce ressort ?

M. Gilles BERTHÉ : Deux mandataires judiciaires.

M. le Rapporteur : Liquidateurs.

M. Gilles BERTHÉ : Judiciaire est le terme exact de la profession. Nous étions mandataires-liquidateurs jusqu'en 1994. La loi a changé. Il est bien spécifié que nous devons être appelés « mandataires judiciaires ».

M. le Rapporteur : La commission fait la différence entre les administrateurs judiciaires, qui sont en quelque sorte les chefs d'entreprise de secours en cas de difficulté, et les liquidateurs qui eux interviennent à partir de la constatation du décès de l'entreprise.

M. Gilles BERTHÉ : La loi a tenu justement à modifier les termes en 1994 pour qu'on soit appelés « mandataires judiciaires » et qu'on écarte ce côté un peu péjoratif du mot « liquidateur ». Il semble dire qu'on exécute des basses _uvres. Nous exécutons un mandat judiciaire. C'est pour cela que la loi a été modifiée en ce sens et qu'elle impose même dans un article l'obligation de nous appeler et de nous citer « mandataires judiciaires ».

M. Gérard GOUZES : On verra s'il faut changer la loi.

M. Gilles BERTHÉ : Eh bien, vous la changerez ! Pour l'instant on ne la change pas, on l'applique.

M. le Rapporteur : Mon cher maître, nous vous avons beaucoup croisé dans les dossiers. Nous sommes contents de faire votre connaissance parce qu'on voudrait savoir ce que vous pensez d'un certain nombre d'éléments. Rien n'est secret dans les dossiers. Tout est public et peut être discuté publiquement.

Combien avez-vous de dossiers en cours ?

M. Gilles BERTHÉ : J'ai plus de cinq cents dossiers en cours dont près d'une centaine en instance de clôture ou requête de clôture.

M. le Rapporteur : Combien avez-vous de collaborateurs ?

M. Gilles BERTHÉ : Trois, des collaboratrices, uniquement.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire ?

M. Gilles BERTHÉ : Une responsable de la comptabilité salarié, une responsable passif-actif, une responsable secrétariat.

M. Gérard GOUZES : Vous êtes en tout quatre.

M. Gilles BERTHÉ : Quatre en tout, depuis quelque temps. Avant, nous étions six.

M. le Rapporteur : Quel est votre chiffre d'affaires annuel ?

M. Gilles BERTHÉ : Il est de 3,5 millions de francs pour l'année 1997.

M. le Rapporteur : Répondez-vous à toutes les lettres ?

M. Gilles BERTHÉ : Absolument. Les derniers contrôles ont constaté que nous répondions rapidement, sauf quand il y a volonté de ne pas répondre pour ne pas donner d'éléments à l'adversaire.

M. le Rapporteur : Qui est l'adversaire ?

M. Gilles BERTHÉ : Lorsque quelqu'un nous écrit dans une procédure, nous préférons ne pas répondre pour éviter de donner un élément. C'est très rare. Cela se produit cinq ou six fois par an. C'est une question de procédure, dans ce cas, et non une question d'information.

M. Gérard GOUZES : Mais vous prévenez quand même ?

M. Gilles BERTHÉ : Je préviens que je ne réponds pas pour telle ou telle raison.

M. le Rapporteur : Pensez-vous avoir la confiance du tribunal de vos juges ? Elle ne s'est jamais démentie.

M. Gilles BERTHÉ : Je crois que le tribunal a conscience que j'ai les qualités professionnelles pour bien exercer mon mandat. Nous avons a parfois des points de vue différents. Le tribunal ou les juges dirigent les procédures, ils prennent les décisions qui leur conviennent.

M. le Rapporteur : La première question portera sur les délais de clôture, c'est-à-dire sur le temps que vous mettez pour terminer les dossiers, et régler, quand vous le pouvez, les créanciers. Comment vous y prenez-vous ?

M. Gilles BERTHÉ : Dès qu'il y a des fonds disponibles, ou j'essaie de régler, lorsqu'il n'y a pas de difficultés, les créanciers. Le délai de vie moyenne d'un dossier est aujourd'hui, j'ose le dire, de deux ans. Le problème est que chaque année, il y a des procédures obéissant à des contentieux particuliers très longs qui s'accumulent. Sur mes cinq cents dossiers, la moitié des dossiers sont anciens, et ne seront pas clôturés d'ici demain, par exemple des procédures devant la Cour de cassation, des procédures de succession, ou autre chose.

M. le Rapporteur : Dans l'affaire Soldeville, par exemple, nous avons interrogé les magistrats qui n'ont pas su vraiment nous répondre. M. Jean Codognès a travaillé sur ce dossier, je ne crois pas qu'il y ait eu le moindre contentieux dans cette affaire et pourtant vous avez reçu une lettre de...

M. Gilles BERTHÉ : ...du père du gérant.

M. le Rapporteur :... qui est devenu créancier. C'est une affaire très intéressante, parce que le débiteur failli a racheté les créances. Il a désintéressé ses créanciers et maintenant vous êtes...

M. Gilles BERTHÉ : Ce n'est pas du tout ça.

M. le Rapporteur : Alors, expliquez-nous.

M. Gilles BERTHÉ : M. Soldeville père était gérant de part et caution du prix qu'avait présenté le fils pour le financement de la SARL. En conséquence de quoi, le père a dû payer la caution, c'est-à-dire le reliquat qui est resté entre les sommes versées aux créanciers de la BNP et la différence du prêt initialement consenti. Il a donc été subrogé pour partie de ce qu'il a désintéressé dans les droits de la BNP... Il n'a pas racheté les créances, sinon il aurait racheté tout le passif. Le passif était de 800 000 francs. La BNP avait 300 000 francs de créances. On a payé près de 120 000 ou 130 000 francs à la BNP qui a payé le reste. Et le reste des créances ne sera jamais payé bien entendu. M. Soldeville était aussi associé de l'affaire.

M. le Rapporteur : Vous considérez qu'il a tort.

M. Gilles BERTHÉ : Non, je considère qu'il n'a pas tort. Mais le problème, était qu'il avait des vérifications de créances à effectuer. Cela demande un certain temps. Les décisions ont été rendues en mars de cette année. Les publications attachées à la vérification du passif demande un délai de recours de quinze jours à trois semaines sur les ordonnances rendues, plus le mois de publicité, et enfin on peut envisager de clôturer le dossier après analyse des délais de celui-ci.

M. le Rapporteur : Pourtant, c'est une affaire qui a duré depuis 1991.

M. Gilles BERTHÉ : Oui. Le fonds de commerce a été vendu en septembre 1991. Le solde du prix a été encaissé en janvier 1992 et distribué en janvier 1992. Les fonds disponibles dans le dossier sont de 800 francs actuellement. Les créanciers ont été payés immédiatement. M. Soldeville père...

M. le Rapporteur : Il ne restait que 800 francs sur le compte ?

M. Gilles BERTHÉ : Absolument.

M. le Rapporteur : Combien d'honoraires avez-vous reçu dans cette affaire ?

M. Gilles BERTHÉ : Hors taxes, 15 000 francs, sur l'actif réalisé, 10 000 francs et 3 000 francs hors taxes sur le passif, sous réserve d'erreurs de mémoire.

M. le Rapporteur : Soit combien ?

M. Gilles BERTHÉ : 28 000 francs hors taxes.

M. le Rapporteur : Nous n'avons pas ces chiffres.

M. Gilles BERTHÉ : J'ai vérifié dans mes comptes.

M. le Rapporteur : En êtes-vous sûr ?

M. Gilles BERTHÉ : À priori, sous réserve d'erreurs ou de méconnaissance...Je n'ai pas les documents sous les yeux.

M. le Rapporteur : Nous non plus, malheureusement, ils sont dans l'autre pièce. Mais il faudrait qu'on éclaircisse ce point.

Il y a eu dans cette affaire, comme dans de nombreuses autres affaires des problèmes de revendications de biens de la part des créanciers. En effet, le tribunal est saisi régulièrement de ces problèmes. C'est un problème de droit des procédures collectives, de clause de réserve de propriété, d'interprétation de ces clauses. Le tribunal est obligé de se réunir pour travailler sur ces questions dans le respect de la jurisprudence de la Cour de cassation.

J'ai été frappé du temps qu'il vous faut pour transmettre les demandes des créanciers qui se plaignent, qui vous écrivent. Les lettres sont dans les dossiers.

J'ai fait les comptes, il faut six mois pour qu'il y ait une réaction de votre part sur une demande de la part d'un créancier, qui revendique des biens qui lui appartiennent au titre d'une réserve de propriété dans une entreprise en déconfiture. Alors que vous êtes son représentant puisque vous êtes le représentant des créanciers. Il faut à peu près six mois de réaction de votre part pour qu'une procédure commence à s'enclencher. Comment l'expliquez-vous, vous qui répondez à toutes les lettres ?

M. Gilles BERTHÉ : J'ai peut-être répondu au créancier que je n'étais pas d'accord avec sa revendication et qu'il devait saisir le tribunal pour agir. En conséquence, il lui appartient de faire une demande auprès du tribunal. Je ne connais pas le dossier en particulier.

M. le Rapporteur : C'est le même dossier. C'est l'homme qui se plaignait de vous, M. Soldeville.

M. Gilles BERTHÉ : Que revendiquait-il ?

M. le Rapporteur : Ce n'est pas lui qui revendiquait. Mais c'est dans ce dossier qu'il a fallu attendre d'avril à novembre pour que le tribunal tranche et que l'affaire...

M. Gilles BERTHÉ : Le créancier a donc saisi le tribunal un mois ou deux mois après ma lettre...

M. le Rapporteur : Le tribunal lui a donné raison, bien sûr. On aurait donc pu gagner du temps pour les créanciers que vous représentez.

M. Gilles BERTHÉ : Absolument. Le tribunal rend la décision quand il a les pièces pour la rendre, c'est-à-dire l'inventaire établi par huissier ou l'inventaire existant, il constate des choses et il rend une décision.

Mais le créancier qui m'écrit, je lui réponds que je ne suis pas d'accord ou je préfère une décision de justice pour faire valoir ses revendications. En conséquence, il saisit le juge-commissaire. Si le créancier n'est pas là le jour de la convocation, on renvoie au mois suivant. Et la décision est rendue. Ce n'est pas une affaire caractéristique.

M. le Rapporteur : Les représentants du CNPF sont venus nous expliquer ce qu'ils pensaient des représentants des créanciers. Selon eux, les représentants des créanciers « se paient sur la bête » dans des proportions considérables et, en plus, sont payés avec l'argent des créanciers sur les actifs, sans aucun contrôle de la part des juges consulaires...

M. Gilles BERTHÉ : Erreur monstrueuse !

M. le Rapporteur : Attendez, je n'ai pas fini ma phrase.

M. Gérard GOUZES : Ce sont eux qui disent cela.

M. le Rapporteur : Mon cher maître, si vous le permettez je vais terminer ma phrase. « Ils sont payés sans aucun contrôle des juges consulaires et en plus payés pour nous trahir. ». Que pouvez-vous dire de cette pensée qui est celle d'un homme de grande qualité à la tête de la commission juridique du CNPF et qui participe à peupler les listes électorales des juridictions consulaires partout où elles se trouvent. Cette pensée est-elle excessive ?

M. Gilles BERTHÉ : Pour faire le métier que nous faisons, il faut des diplômes, et des études longues, ce qui fait que nous sommes assez rares. C'est une technique assez particulière. Et je pense que la personne dont vous parlez a une méconnaissance totale de la loi et de son application.

M. le Rapporteur : Je ne le pense pas, c'est un banquier qui est créancier lui même.

M. Gilles BERTHÉ : Je termine. Je veux vous dire que plus on gagne d'argent sur nos dossiers, plus le passif diminue et plus l'actif a été bien réalisé, mis à part le problème des créances à 250 francs la créance vérifiée, ce qui ne représente pas grand chose du droit fixe. Pour le reste, la loi de 1985 a bien prévu un mode de rémunération attaché à l'augmentation de la répartition au profit des créanciers. Si vous lisez bien le décret d'application, vous verrez en fait que si le représentant des créanciers gagne beaucoup d'argent c'est qu'il a fait baisser le passif ou bien alors qu'il a très bien vendu l'actif. Ce sont les règles instituées par les écrits.

M. le Rapporteur : Selon vous, c'est normal ?

M. Gérard GOUZES : À votre avis, faut-il changer ces règles ?

M. Gilles BERTHÉ : L'autre mode de rémunération possible, est la rémunération à la diligence, c'est-à-dire au travail réellement effectué ou au résultat obtenu. Je crois qu'on arriverait, si on prend comme base le tarif des avocats, à quelque chose d'encore plus favorable pour nous. Et je ne serais pas opposé à ce qu'on applique ce tarif d'avocat pour nos interventions et nos actes. Ce système, tel qu'il existe, est avantageux pour les créanciers.

M. Gérard GOUZES : Vous êtes donc partisan de ce statu quo ?

M. Gilles BERTHÉ : Absolument.

M. le Rapporteur : Tout à l'heure, vous parliez d'inventaire, qui est un travail difficile à faire parce qu'appréhender la réalité matérielle et la faire exister juridiquement est une chose complexe. Établir l'inventaire dans les affaires, d'une entreprise que vous avez à suivre, vous paraît facile à réaliser ?

M. Gilles BERTHÉ : Cela me paraît particulièrement difficile à réaliser, d'autant plus qu'avant 1994, l'inventaire n'était pas obligatoire et était fait par le débiteur. Exceptionnellement, on pouvait obtenir le droit de le faire faire par un huissier ou un commissaire-priseur. Mais on le fait faire systématiquement par un professionnel indépendant lorsqu'il y a de l'actif. L'inventaire qui est fait ne correspond quasiment jamais à la réalité. Car les biens tels qu'ils existent ne correspondront pas, lorsqu'ils seront vendus, à l'état dans lequel ils seront et à la valeur qu'on aura pu leur donner.

M. Gérard GOUZES : Comment faites-vous, quand une affaire, pour des raisons diverses, traîne  et que vous vous apercevez à un moment ou à un autre que des parties de stock, ou des parties de matériel, ont pu disparaître dans des conditions parfois suspectes ?

M. Gilles BERTHÉ : Je prends ma plume et je fais un courrier au procureur de la République pour lui signaler que dans tel dossier il manque ceci ou il manque cela.

M. Gérard GOUZES : Vous portez plainte ?

M. Gilles BERTHÉ : Oui. Je signale au procureur de la République qui est l'autorité judiciaire compétente pour ouvrir l'enquête. J'établis un rapport spécifique lorsque j'ai les pièces.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu des incidents à ce sujet ?

M. Gilles BERTHÉ : Enormément. Je peux vous dire que j'ai le triste privilège de collectionner toutes les actions possibles et imaginables contre moi et systématiquement, à chaque fois, j'ai été relaxé ou mis hors de cause.

M. le Rapporteur : Justement, puisque vous avez été mis hors de cause, j'ai sous les yeux une décision du 26 juin 1996 du tribunal de grande instance d'Auch. Je vais vous lire un attendu.

« Attendu que Me Berthé cherche manifestement à se soustraire de ses obligations, alors qu'il doit essentiellement assurer les conséquences de ses errements, à savoir une méthode très personnelle d'entreposage des actifs, curieuse anomalie du tribunal de commerce ; que sa résistance abusive ajoutée à l'éminence de sa fonction n'en est que plus intolérable pour les demandeurs qui patientent depuis plusieurs années et à qui il sera alloué en conséquence une somme de 10 000 francs de dommages et intérêts. »

Vous avez été condamné à payer 166 000 francs dans cette affaire plus les intérêts légaux, plus...

À part ça, tout va bien ?

M. Gilles BERTHÉ : À part ça, tout va bien.

M. le Rapporteur : Bravo !

M. Gilles BERTHÉ : C'est un problème personnel que j'ai assumé et que la cour d'appel a confirmé.

M. le Rapporteur : Personnel ? Cela concerne une de vos procédures ! Ce n'est pas votre vie privée !

M. Gilles BERTHÉ : Cela me concerne personnellement.

M. le Rapporteur : J'ai une autre lettre à vous lire. Le jugement a été confirmé en appel et aggravé.

M. Gilles BERTHÉ : Pas du tout, ce jugement a été confirmé tout simplement. Les termes repris ont bien été modifiés parce que le travail a été bien fait pour me mettre en cause d'une façon que je considère anormale.

M. le Rapporteur : Les juges ont donc mal jugé.

M. Gilles BERTHÉ : Ils ont bien jugé. Toute décision de justice est inattaquable.

M. le Rapporteur : Cela vaut mieux. J'ai là une lettre d'un notaire qui date du 3 mars 1994 dans l'affaire Mandron Loisirs. Me Caranobe, qui est notaire à Mont-de-Marsan, vous écrit.

« Mon cher maître, pour utiliser comme vous le style télégraphique, je réponds à votre courrier du 1er mars, reçu ce matin, pour vous indiquer :

« Premièrement, qu'il faudrait savoir ce que vous voulez. Si vous ne vouliez pas de mon intervention, que vient faire votre courrier du 20 décembre 1993 par lequel vous me transmettez requêtes et ordonnances rendues dans cette affaire? Au surplus, il vous suffisait d'indiquer que je n'étais plus concerné par ce dossier. On y aurait gagné en courtoisie. »

Ce notaire ne semble pas content. Ce premier paragraphe n'est pas très clair.

Deuxième paragraphe :

« Aussi je me suis permis de vous écrire le 15 décembre 1993 à la demande de mon confrère Me Massié, ce que je vais d'ailleurs relater dans cette correspondance. » Cela aussi concerne vos rapports de travail.

Troisièmement, c'est plus clair pour la commission d'enquête, nous sommes tombés par hasard sur ce document qui vous concerne.

« C'est également sur les demandes réitérées de ce confrère que j'ai accepté d'interroger le CEPME. » (C'est un des gros créanciers dans cette affaire) « Ce dernier refuse de passer acte tant que les créanciers n'auront pas donné leur accord. Et vous me pardonnerez de lui donner mon entière approbation quand on constate que le prix de vente passe brutalement de 1.800 000 francs à 850 000 francs sans explication pour lesdits créanciers. Nous sommes responsables de nos actes et chargés de faire respecter la règle de droit. Si pour vous agir dans ce sens consiste, selon les termes que vous avez employés avec mon premier clerc à "couper les poils du c... en quatre" » (exclamations dans la salle). Vous êtes moins poli au téléphone avec les clercs de notaire qu'avec la commission d'enquête. « C'est que nous ne traitons pas du même droit. »

Voilà un notaire fort honorable, qui représente le CEPME, qui se plaint que curieusement les prix de cession d'un certain nombre d'actifs perdent un million entre deux lettres et en plus vous injuriez le travail du clerc de son étude !

M. Gilles BERTHÉ : Vous vous méprenez car le clerc de notaire est un de mes amis personnels.

Vous auriez dû lire le dossier dans le détail. Vous auriez su qu'il y a un problème très compliqué. C'est le problème de l'inscription d'hypothèque du CEPME qui était du chef d'un premier débiteur, l'immeuble ayant été apporté à la société sans l'apure de l'hypothèque et il y avait une deuxième hypothèque de prise dessus. Il apparaissait que le CEPME était en premier rang, or lorsque les notaires ont regardé l'acte, ils ne voyaient que la deuxième hypothèque qui leur paraissait d'ailleurs suspecte. Moi je n'ai pas les hypothèques, je ne pouvais pas signer les actes parce que personne ne me les donnaient à main levée.

Au niveau du prix, si vous regardez la requête, vous verrez qu'il est joint mon avis où on explique clairement qu'il s'agissait d'une proposition de vente faite par l'administrateur dans le cadre d'une promesse de vente faite dans le cadre d'un bail et bien entendu le preneur du bail précaire qui bénéficiait de cette promesse bloquait en fait la vente de l'immeuble. Lorsque les différents problèmes sont apparus, à savoir l'expropriation, une partie de l'immeuble allant bientôt servir pour la voie publique, il m'a bien fait savoir qu'il ne lèverait pas la promesse de vente, mais qu'il faisait une offre d'achat de tant dans le cadre de la reprise. S'agissant du seul repreneur qu'il y avait, j'ai donc déposé une requête à laquelle j'ai annexé un avis détaillé. Et j'ai demandé que cette décision soit notifiée à toutes les parties directement ou indirectement concernées afin qu'elles puissent faire valoir leur point de vue par toute voie judiciaire. Personne n'a contesté parce que tout le monde connaissait la réalité du problème qui était de deux ans postérieure au plan de cession où apparaissait une promesse de vente et tout le monde s'en est contenté apparemment. Puisque personne n'a fait d'opposition ni de recours quelconque.

M. le Rapporteur : M. Laporte est-il là ? Vous étiez juge-commissaire dans cette affaire Mandron ?

M. Michel LAPORTE : J'ai été nommé en remplacement d'un juge démissionnaire.

M. le Rapporteur : Etiez-vous au courant de ces problèmes ?

M. Michel LAPORTE : Oui, j'ai suivi la requête de Me Berthé où il expliquait le pourquoi de la chose.

M. le Rapporteur : Cela ne vous a pas paru gênant qu'on perde un million.

M. Michel LAPORTE : Ce n'était pas le problème de perdre un million. Le vrai problème se situait dans le fait que c'était une affaire qui traînait. Il était facile de faire une proposition dans la mesure où on n'était pas l'acquéreur. Il est facile de dire « moi je suis peut-être acheteur pour une somme de tant ». Mais il faut voir après quand se concrétise l'affaire.

M. Gilles BERTHÉ : Me Berthé vous a-t-il convaincu ?

M. Michel LAPORTE : Oui.

M. le Rapporteur : Il nous a moins convaincu. Je le dis gentiment.

Combien a-t-il reçu d'honoraires dans cette affaire ? Vous en souvenez-vous ?

M. Michel LAPORTE : Pas du tout.

M. le Rapporteur : Il a reçu 120 000 francs. Est-ce normal ?

M. Gilles BERTHÉ : C'est correct. Ce n'est pas forcément suffisant au vu des difficultés du dossier et vu l'actif que j'ai réalisé et rapporté aux créanciers.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas suffisant ?

M. Gilles BERTHÉ : C'est tout à fait correct et cela correspond à la loi.

M. Michel LAPORTE : Il y a un barème pour les honoraires qu'il nous est difficile de contester, nous, juges-commissaires.

M. Gérard GOUZES : La loi vous en donne la possibilité.

M. Michel LAPORTE : Je sais qu'il y a une fourchette.

M. Gilles BERTHÉ : Il n'y a pas de fourchette.

M. Gérard GOUZES : Je note, sans vouloir contester les honoraires de Me Berthé, que si la loi vous a donné des possibilités, il faut que vous ayez tout de même davantage d'autorité. Ce n'est pas Me Berthé qui dirige le tribunal.

M. Michel LAPORTE : Pas du tout.

M. Gérard GOUZES : C'est vous. Il me paraît tout à fait judicieux que vous puissiez vous renseigner. J'ai le sentiment que le fait qu'il y ait peu de mandataires judiciaires implique qu'à un moment donné vous finissez par en être totalement dépendants. Même sans le vouloir. Je m'aperçois que les jugements sont quasiment faits à l'avance. Vous n'avez plus qu'à mettre votre nom et signer en bas.

M. Gilles BERTHÉ : Ce que vous dites est scandaleux ! C'est inadmissible ! Ce n'est jamais arrivé.

M. Gérard GOUZES : Je peux vous en donner des exemples.

On l'a vu, Me Berthé, vous les préparez dans certains cas.

M. Gilles BERTHÉ : Pas ici.

M. le Rapporteur : On l'a vu dans certains tribunaux de commerce.

M. Gilles BERTHÉ : Pas ici.

M. Gérard GOUZES : Je ne sais pas. Si on l'a constaté une fois, on peut le constater deux fois.

M. Jean-Claude ANTON : Pas ici.


M. Gérard GOUZES :
Les mandataires judiciaires, d'une manière générale, exercent un rôle prépondérant sur de nombreux tribunaux de commerce.

M. Jean-Claude ANTON : Ce n'est pas le cas ici, monsieur, je peux vous le certifier et croyez-moi je suis assez sensible à cela !

M. Gilles BERTHÉ : Nous sommes en situation conflictuelle avec les juges assez régulièrement.

M. Jean-Claude ANTON : Il nous arrive d'être en désaccord avec Me Berthé, moins avec Me Dumousseau parce qu'elle est plus...

M. Gérard GOUZES : Elle est plus diplomate que Me Berthé.

M. Jean-Claude ANTON : J'ai souvent repris Me Berthé. Il y a un chef de juridiction au tribunal de commerce de Mont-de-Marsan. C'est moi et pas lui.

M. Gérard GOUZES : Me Berthé se dispute-t-il avec tout le monde ?

M. Gilles BERTHÉ : Ce ne sont pas des disputes. On se fâche.

M. Jean-Claude ANTON : Ce sont des prises de position.

M. Gilles BERTHÉ : Ce sont des prises de position opposées et si je ne suis pas d'accord avec mon tribunal, je conclus par écrit ou oralement. Si je suis débouté, je fais appel s'il y a moyen de faire appel.

M. Gérard GOUZES : Etes-vous toujours d'accord avec le greffier ?

M. Gilles BERTHÉ : Nous sommes amis depuis quinze ans. Nous sommes joueurs et chahuteurs.

M. Gérard GOUZES : Qui aime bien, châtie bien !

M. Gilles BERTHÉ : C'est un ami de quinze ans. Il n'y a pas de problème.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous poser une question, monsieur le président. Il y a eu les incidents que vous avez provoqués malheureusement et que nous déplorons parce que cela nous a fait perdre du temps et tout cela pour rien puisque vous êtes là cet après-midi. Cela aurait été beaucoup plus courtois et cordial, d'ailleurs. Je le regrette. Croyez-le bien.

M. Jean-Claude ANTON : Moi aussi.

M. le Rapporteur : Alors nous sommes deux à le regretter.

M. Jean-Claude ANTON : Je le regrette pour d'autres raisons, ce ne sont pas les mêmes.

M. le Rapporteur : Nous avons un échantillon assez représentatif du travail de Me Berthé.

Le tribunal considère-t-il que Me Berthé est un bon professionnel malgré tout ?

M. Jean-Claude ANTON : Tout à fait. Je juge que Me Berthé est un bon professionnel, avec des défauts d'homme comme tout le monde. Sur le plan professionnel, c'est quelqu'un de précis, qui connaît très bien la loi et son métier. Le tribunal de commerce lui conserve toute sa confiance jusqu'à preuve du contraire.

M. Gilles BERTHÉ : Je sais qu'il y a ici quelqu'un qui n'a pas parlé parce qu'il n'a pas prêté serment. Mais j'ai eu la joie de recevoir, hier matin, une lettre d'un chef d'entreprise qui m'a dit « surtout demain n'hésitez pas à parler de mon entreprise et du succès de votre profession dans celle-ci ». C'est un dossier où j'ai pris 450 000 francs d'honoraires, il s'agit de l'affaire Daudigeos où l'entreprise s'est redressée, le passif est payé et les salariés en place.

Ce ne sont pas quelques errements de créanciers ou de débiteurs en colère et des imprécisions dans des procédures que vous ne pouvez pas connaître vu leur complexité qui doivent vous permettre de juger de ce que je suis ou de problème d'organisation de mon étude. Je ne suis pas en cause un seul moment. M. Daudigeos est ici pour le dire.

M. le Rapporteur : J'ai un autre témoignage, mon cher maître.

M. Gilles BERTHÉ : Je pourrais aussi vous en apporter des dizaines en ma faveur.

M. le Rapporteur : C'est une lettre qui m'est adressée en date du 8 juin.

« Monsieur le député,

En raison des difficultés que Me Gilles Berthé m'a fait subir, bien évidemment à cause de divers comportements amoraux connus sur la place montoise, comportements menés à l'encontre des intérêts légitimes des salariés, des créanciers et de responsables d'entreprises, combien d'individus même haut placés ont subi les foudres de cet usurpateur ?

« Les responsables d'institutions locales se sont cassé le nez dans leurs investigations, pourtant soucieux d'empêcher que ne se poursuivent les malveillances de ce mandataire, persuadés que justice serait faite, ils sont allés au bout des choses sans succès. Certaines personnalités ont laissé entendre que Me Berthé appartenait au Front national (exclamations dans la salle) et que diverses pressions seraient intervenues... »

M. Gilles BERTHÉ : Si éventuellement, j'avais des convictions, vous portez atteinte...

M. le Rapporteur : Ce n'est pas moi. On m'écrit.

M. Gilles BERTHÉ : Qui vous écrit ? C'est trop facile de dire cela.

M. le Rapporteur : Je vais vous donner la lettre.

M. Gilles BERTHÉ : Donnez-moi le nom de la personne en public.

M. le Rapporteur : Vous savez, on reçoit beaucoup de lettres.

M. Gilles BERTHÉ : J'en reçois beaucoup et le parquet aussi en reçoit.

M. Jacques SERRES : Vous allez en recevoir des milliers.

M. le Rapporteur : Pourquoi ?

M. Jacques SERRES : Parce qu'il y a des gens qui dérangent.

M. le Rapporteur : Que voulez-vous ajouter, Me Berthé ?

M. Gilles BERTHÉ : Dans ma profession, nous sommes confrontés à des créanciers impayés, des salariés qui ont peur pour leur avenir, des débiteurs qui voient leur vie s'écrouler. Ces débiteurs se retrouvent devant une juridiction qui a conscience que les décisions qu'elle va prendre ont un ordre social, économique, juridique et humain. De surcroît, cette juridiction sait, comme vous le savez, que les premières décisions de la procédure, le délai, le temps est important. Alors avec toutes ces contraintes et dans le respect de la loi, nous faisons du mieux que nous pouvons dans l'intérêt de tous.

Pour le reste, il faut savoir qu'un créancier qui n'est pas payé, un salarié qui perd son emploi, un commerçant qui voit son affaire s'envoler, il a souvent de l'amertume. Mais, le seul responsable de la situation, c'est lui malheureusement.

M. Gérard GOUZES : Si vous permettez, Me Berthé, j'ajoute un mot.

Ce que vous dites est certainement l'expression d'une vérité. Mais admettez-vous que les personnes qui nous écrivent à nous, parlementaires, ont parfois aussi des raisons qui ne tiennent pas seulement à l'amertume dont vous venez de parler, mais qui tiennent aussi à des comportements, à des attitudes, à des mauvaises explications, à des jugements non motivés, bref à une mécanique que nous avons nous, parlementaires, le devoir de comprendre ?

M. Gilles BERTHÉ : Non. La plupart des débiteurs sont assistés d'un conseil, souvent d'un avocat, d'un expert-comptable. Les cas dont vous parlez sont sans doute les situations conflictuelles qui naissent à l'occasion de procédures pénales parfois difficiles que nous sommes contraints d'engager et dont nous sommes même victimes, puisqu'on peut se trouver parfois poursuivis, mis en examen. J'en sais quelque chose et c'est très difficile à vivre. Je comprends les gens.

Mais il faut bien vous rappeler une chose. Dans certains dossiers où les gens sont à la tête d'un passif de plusieurs dizaines de millions de francs, ils ont l'impression d'être spoliés. Moi, je me mets à la place des fournisseurs. Je gagne bien ma vie, mais je fais bien mon métier. Je pense à ces gens qui ne vont rien récupérer. Même si on vend au meilleur prix, entre les salariés, les impôts à payer, l'URSAFF, ils n'auront rien. Ils auront du mal à comprendre que les débiteurs se permettent de mépriser les juridictions ou les institutions du pays. Je crois que ces débiteurs lorsqu'ils sont confrontés à leurs responsabilités, arrivent parfois à avoir des excès de comportements ou de propos. Mais il faut connaître l'affaire en détail, tout savoir, pour s'exprimer et ne pas se contenter d'écouter une personne.

M. le Rapporteur : Avez-vous, vous aussi, des excès de comportement ou de propos ?

M. Gilles BERTHÉ : La colère peut me prendre, comme tout le monde, mais si rarement par rapport à des gens qui écrivent des lettres en disant que je les ai volés, spoliés, que je suis un pilleur, un usurpateur..

M. le Rapporteur : Pendant que vous parliez, Me Berthé, je voyais tous vos juges, qui vous désignent si généreusement, acquiescer à vos paroles ! Je les voyais opiner du chef.

M. Jean-Claude ANTON : Nous ne sommes pas ses juges !

M. le Rapporteur : Me Berthé a dit « mon » tribunal, « mes » juges, donc je dis « vos »juges.

M. Gilles BERTHÉ : Oui, c'est le seul tribunal où je travaille.

M. le Rapporteur : À l'évidence, vous avez un soutien inconditionnel du tribunal. Vous n'allez pas vous en plaindre.

M. Gilles BERTHÉ : Ils reconnaissent ma compétence professionnelle, bien sûr.

M. Armand de NARDI : Ce n'est pas lui qui décide en permanence.

M. Gilles BERTHÉ : Je suis souvent débouté de mes demandes. Mais j'en suis satisfait.

M. Jacques SERRES :Avez-vous une idée des dettes effacées par an dans un petit tribunal de commerce comme Mont-de-Marsan ? Avez-vous la somme de dettes des créanciers qui ne sont pas payés ? Moi, je ne peux pas vous le dire, mais essayez de le savoir.

M. Gilles BERTHÉ : Moi, je peux vous le dire.

M. le Rapporteur : Le mandataire-liquidateur, votre mandataire, va répondre à votre place.

M. Gilles BERTHÉ : J'ai fait une analyse qui remonte à quatre ou cinq ans sur quelques années. Environ 200 millions de francs s'effacent complètement par an, sauf exception c'est-à-dire dossiers particuliers importants parce que les gens constituent des dettes et en face les actifs sont quasi inexistants.

Je prends l'exemple dont vous parliez tout à l'heure.

M. le Rapporteur : Lequel ?

M. Gilles BERTHÉ : Soldeville. On a vendu le droit au bail 120 ou 150 000 francs pour un passif constitué en douze ou quatorze mois par le plaignant et son fils indirectement, qui s'élève à près de 800 000 francs. Il n'y avait pas cinquante salariés dans la procédure et les 800 000 francs, les créanciers vont s'asseoir dessus. Il faut quand même remettre les choses en place. Les gens qui déposent le bilan, je ne dis pas qu'ils sont forcément malhonnêtes, les malheureux, souvent ils subissent des situations économiques et politiques. Mais quand même, ils ont fait quelque chose parfois qu'ils auraient pu arrêter avant. La prévention existe heureusement. Ce n'est pas nous qui faisons ces dettes et ces chômeurs. Je suis désolé.

M. Jacques SERRES : Dans chaque affaire, il y a un débat de toute façon. En ce qui concerne l'affaire Andignac, Me Berthé, évidemment, a été lésé car cette affaire a été cédée au moins offrant.

M. Gilles BERTHÉ : Là, je ne suis pas d'accord.

M. Jacques SERRES : Le tribunal n'était pas d'accord avec lui. Il a perdu. Il a fait appel à la cour d'appel de Pau. Le tribunal n'est pas toujours d'accord avec lui, vous en avez la preuve.

M. le Rapporteur : J'ai une dernière question. Combien déclarez-vous de revenus l'année dernière et les cinq dernières années en moyenne ?

M. Gilles BERTHÉ : L'année dernière, j'ai déclaré 567 000 francs de revenus nets sur lesquels je paie 230 000 francs d'impôts à peu près. La moyenne des revenus des années précédentes était meilleure : 700 000 francs, sous réserve de vérification parce que je n'ai pas les chiffres en mémoire.

M. le Rapporteur : Considérez-vous que vous gagnez insuffisamment votre vie ?

M. Gilles BERTHÉ : Je gagne bien ma vie et j'en suis content.

M. le Rapporteur : En êtes-vous fier ?

M. Gilles BERTHÉ : C'est le résultat de mes études et de mon travail. Je ne gagne pas plus qu'un avocat.

M. le Rapporteur : Merci mon cher maître.

Audition de Mme Sophie DUMOUSSEAU, mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises, en présence de M. Jean-Claude ANTON, président du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan.

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 11 juin 1998)

Présidence de M. Arnaud Montebourg, Rapporteur

Mme Sophie Dumousseau est introduite.

Monsieur le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de Monsieur le Rapporteur, Mme Dumousseau prête serment.

M. le Rapporteur : Détendez-vous, mon cher maître, il ne se passera rien d'exceptionnel. Les circonstances ont fait que ça s'est mal passé. Nous sommes allés dans une dizaine de tribunaux de commerce. C'est la première fois que notre enquête s'est si mal passée. C'est inexplicable.

M. Jean-Claude ANTON : Il faut un commencement à tout.

M. le Rapporteur : On ne peut pas admettre un certain nombre de refus. D'ailleurs, la loi, étant ce qu'elle est, doit être appliquée. Nous ne sommes pas là pour agresser qui que ce soit, mais pour poser des questions qui sont, il est vrai, dérangeantes, qui choquent, qui heurtent ; on parlait tout à l'heure de personnes qui dérangent. La commission d'enquête, comme son nom l'indique, enquête et elle pose les questions devant l'opinion publique, comme c'est bien naturel et comme c'est la loi. Il est vrai qu'on n'a pas beaucoup vu les parlementaires dans les vingt, trente dernières années de la Ve République agir de la sorte et vous voyez, ça change.

M. Jean-Claude ANTON : Pas en bien.

M. le Rapporteur : Me Dumousseau, nous avons noté que vous étiez moins souvent désignée que Me Berthé.

Quelle en est la raison ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : La raison que je pourrais émettre en premier, c'est que je suis installée seulement depuis 1991. J'ai accepté les règles du jeu en vigueur. Pendant les quatre premières années, j'étais désignée au tribunal de grande instance pour tout ce qui était dossier agricole, ce qui compensait le manque de dossiers au commerce. Il est vrai que depuis quelques années, il y a beaucoup moins de dossiers agricoles. Je n'ai pas autre chose à ajouter. Je ne connais pas la raison du fait que je sois moins souvent désignée que Me Berthé.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas une petite idée ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Non, je ne peux pas émettre d'idée particulière par rapport à ces modes de désignation. Ils sont ce qu'ils sont. Je respecte ce qu'on me donne. C'est vrai que de temps en temps je préférerais avoir un peu plus de dossiers.

M. Jacques SERRES : Tout dépend de l'ampleur des dossiers.

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Oui, c'est une évidence.

M. Gérard GOUZES : À combien s'élève votre chiffre d'affaires ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Il est de 2 700 000 francs.

M. le Rapporteur : Combien employez-vous de personnes ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : J'en emploie quatre : un stagiaire, deux secrétaires et une comptable à mi-temps.

M. Gérard GOUZES : Que pensez-vous de la façon dont le tribunal vous adresse les dossiers, les procédures, la manière dont les ordonnances sont faites ? Est-ce vous qui présentez les ordonnances de taxe par exemple ? A qui ? Comment ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Oui, bien sûr, j'effectue un travail ponctuel et particulier. Je présente l'ordonnance de taxe. Il n'y a pas de surprise. J'applique strictement les textes et décrets d'application. Ce sont les députés qui ont voté cette loi de 1985, ce décret d'application.

M. le Rapporteur : On n'a pas voté de décret. La loi, oui.

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Moi, j'applique les textes bêtement.

M. Gérard GOUZES : Sur un certain nombre de jugements, vous portez des jugements déjà préparés ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Non, jamais. Lorsqu'un jugement ou une ordonnance doit être rendu, je dépose une proposition de requête, avec tous les éléments annexés à cette requête qui, normalement, doivent donner tous les éléments au juge pour prendre une décision en bonne et due forme.

M. Gérard GOUZES : Vous avez pré-rédigé l'ordonnance ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Oui, l'ordonnance peut être pré-rédigée, sur deux pages en général.

M. Gérard GOUZES : Mais ce projet peut être modifié ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Bien sûr.

M. M. Jean CODOGNÈS : Quand vous procédez à des cessions ou à des mises en vente aux enchères, comment faites-vous pour évaluer le bien que vous proposez ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Je pratique la mise en vente aux enchères publiques les trois quarts du temps.

M. M. Jean CODOGNÈS : Pour les mises à prix, comment faites-vous ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Je fais appel à un expert, à un notaire pour avoir une estimation.

M. Gérard GOUZES : Dans un dossier étudié ce matin, je le dis sincèrement, on a été un peu surpris de ne pas voir beaucoup d'expertises. Peut-être que cette pratique est récente ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Les expertises sont dans le dossier.

En revanche, je ne les communique peut-être pas. Pour les immeubles, en particulier, parce que je ne suis pas agent immobilier, j'ai besoin de gens qui puissent avoir un avis professionnel. Peut-être qu'effectivement, je ne les communique pas toujours au greffe. En tout cas ils sont dans le dossier.

M. Gérard GOUZES : Je pense que les magistrats seraient ravis d'avoir ces expertises.

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Ils les ont à disposition, s'ils me les demandent. La mise à prix est faite généralement en fonction de ces expertises.

M. M. Jean CODOGNÈS : Et votre collègue, Me Berthé, procède de la même façon ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Je ne sais pas. Nous ne sommes pas associés. Je ne sais pas comment il travaille. Nous avons peut-être des méthodes de travail différentes.

M. M. Jean CODOGNÈS : Monsieur le président pourrait peut-être nous répondre ?

M. Jean-Claude ANTON : Ils procèdent de la même façon, ils font des ordonnances pour des expertises immobilières, pour la nomination d'un expert. On ne vend pas d'immeuble tous les jours.

M. Gérard GOUZES : Ca paraîtrait tout de même une méthode plus rationnelle ?

M. Jean-Claude ANTON : Comment donc ! Une expertise ? Non seulement rationnelle, mais indispensable !

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Oui, un gage de transparence peut-être. Un gage de vente dans les meilleures conditions.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous préciser votre pensée, monsieur le président ?

M. Jean-Claude ANTON : Lorsqu'il y a cession d'actifs, nous avons pris quelquefois l'initiative au tribunal de commerce de Mont-de-Marsan - quand nous voyons des dossiers où il peut y avoir des problèmes - de faire des ventes sous pli cacheté. Le juge-commissaire envoie une ordonnance qui est publiée. Cette ordonnance demande à tout acquéreur éventuel de déposer les offres sous pli fermé au greffe du tribunal de grande instance. Le procureur établit la procédure. Et le jour où l'audition a été fixée par le juge-commissaire, les enveloppes sont ouvertes devant le greffier, le juge-commissaire. Le bien est attribué à l'offre la plus disante, ce qui évite souvent des surenchères un peu gênantes.

M. Gérard GOUZES : Des surenchères hasardeuses.

M. Jean-Claude ANTON : Tout à fait.

M. Gérard GOUZES : En tout cas sujettes à caution.

M. Jean-Claude ANTON : Absolument. Mais c'est une procédure qui n'est pas prévue par les textes. Nous nous en servons quelquefois, lorsqu'on sent que, dans un dossier, il peut y avoir quelques problèmes de surenchère qui nous sont opposés et dont on n'est pas maître.

M. Gérard GOUZES : Cela ne vous dérangerait pas que ce soit prévu expressément, y compris sous cause de nullité ?

M. Jean-Claude ANTON : Sincèrement, non. Absolument pas. Je ne parle pas des cessions d'entreprises, elles sont prises par une décision collégiale, je parle des cessions d'actifs après liquidation. Comme vient de le dire Me Dumousseau, les actifs matériels ou immeubles sont souvent vendus aux enchères publiques. La procédure passe par le tribunal de grande instance. Cela, je le regrette, parce qu'il y a toujours là une mise à prix avec baisse d'un tiers ou d'un quart. Et souvent on se retrouve avec des biens pour lesquels les gens s'entendent pour finalement ne pas surenchérir. On se retrouve avec un bien qui pourrait être vendu normalement à 50 % ou 60 % de plus. Je le regrette. Nous n'en sommes pas maîtres.

M. Gérard GOUZES : Toujours dans le même esprit, est-ce que vous ne pensez pas qu'il serait utile de rendre plus transparents les interventions ou les avis de telle ou telle institution politique, qu'il s'agisse d'une commune, d'un conseil général, ou du conseil régional qui a la compétence économique. Car aujourd'hui, on peut imaginer que çà et là les élus s'inquiètent de l'emploi, s'inquiètent des développements économiques et qu'ils aient envie à un moment ou à un autre de vous suggérer telle reprise par telle entreprise plutôt qu'une autre solution.

M. Jean-Claude ANTON : Une telle disposition serait très utile. Ce n'est pas une pratique courante. Je pense que ça se passe quelquefois.

M. Gérard GOUZES : Vous n'avez jamais été à un moment ou un autre en relation avec tel comité d'expansion, avec tel organisme de la région ou un conseil général qui vous interroge, ou vous interpelle, ou s'inquiète de tel ou tel dossier en cours ?

M. Jean-Claude ANTON : Oui, c'est vrai indirectement. Je vais vous surprendre. J'ai eu de telles demandes par le canal du parquet, avant l'arrivée du procureur actuel. Le parquet m'avait transmis certains desiderata. Personnellement, me connaissant comme je me connais, c'était vraiment ne pas frapper à la bonne porte.

M. Gérard GOUZES : Cette procédure restait occulte. Il vaudrait donc mieux que qu'elle soit transparente.

M. Jean-Claude ANTON : Absolument. On ne demande que ça. Il faudrait que la loi de 1985 modifiée légèrement par celle de 1994 soit plus précise, plus transparente. Cela éviterait des situations comme celles que nous connaissons aujourd'hui. C'est évident.

M. Gérard GOUZES : Vous voyez, monsieur le président, qu'on peut parler.

M. Jean-Claude ANTON : Bien sûr, je n'ai jamais dit le contraire, monsieur le député. Là où je me suis un peu insurgé...

M. Gérard GOUZES : Un peu ?

M. Jean-Claude ANTON : C'est mon tempérament.

M. le Rapporteur : Vous vous faites du tort !

M. Jean-Claude ANTON : À mon âge, je n'ai plus rien à perdre.

Ce que je veux dire, c'est que cette institution consulaire qui est tant décriée, à qui on reproche le passif de la France, à lire Gaudino...

M. Gérard GOUZES : M. Gaudino ne fait pas partie de la commission.

M. le Rapporteur : M. Gaudino n'est pas député, il n'est pas membre de la commission d'enquête.

M. Jean-Claude ANTON : Je n'ai pas dit ça. Je le cite parce que tout le monde le connaît. Tout le monde connaît son ouvrage que je n'ai pas acheté. Dire que les tribunaux de commerce sont responsables de la perte d'un million d'emplois et du passif de plusieurs milliards de francs en France, c'est un peu fort de café !

M. le Rapporteur : Qui a dit ça, des membres de la commission qui sont ici ?

M. Gérard GOUZES : C'est la liberté de ses propos à lui.

M. Jean-Claude ANTON : C'est lui que je cite, pas vous.

M. Gérard GOUZES : Laissez-lui la responsabilité de ses propos. Il n'a jamais été interrogé par la commission. Il ne le sera jamais.

M. le Rapporteur : Sur certains points, nous sommes beaucoup plus sévères que M. Gaudino.

M. Jean-Claude ANTON : Quand il y a faute, je suis tout à fait d'accord pour que le fautif soit réprimandé et puni. C'est normal.

M. M. Jean CODOGNÈS : Pouvez-vous nous donner une idée du temps qu'il vous faut pour répartir les disponibles dans les dossiers ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Il est difficile d'y répondre comme cela. Je dirai qu'un dossier, chez moi, dure en moyenne de deux à trois ans. La durée peut être plus longue effectivement lorsqu'il y a des problèmes particuliers, comme un procès en cours. Certaines choses vont empêcher la répartition de fonds. Quand il n'y a pas de problème particulier, par exemple s'il s'agit d'une cession d'immeuble, la procédure est telle que je fais la répartition des fonds relativement rapidement, en passant par une procédure de purge et d'ordre conformément aux textes.

M. M. Jean CODOGNÈS : Je dois dire, madame, qu'en ce qui vous concerne les justiciables qui nous ont écrit ne vous ont jamais citée.

M. Gérard GOUZES : Je ne sais pas si c'est un bien ou un mal.

M. le Rapporteur : Jusqu'à hier (Rires dans la salle). Excusez-moi. Rarement, en tout cas.

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Je voudrais savoir qui.

M. le Rapporteur : Il y a un créancier qui revendique l'application d'une clause de réserve de propriété, qui se plaint qu'il n'y ait pas eu d'inventaire effectué. Est-ce que c'est courant ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Non.

M. le Rapporteur : Il s'agit d'une affaire grave, elle concerne le Meuble Massif. Il y a dans cette affaire à l'évidence beaucoup de meubles qui sont entreposés qui appartiennent à un créancier qui les revendiquent. Et il n'y a pas d'inventaire qui permette d'appréhender la réalité matérielle de ce qui a été entreposé. Les réponses que vous faites sont donc un peu courtes ainsi que celles de l'administrateur que nous allons interroger dans un instant.

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Là, il faut que je rappelle l'historique des nominations dans ce dossier. Effectivement, Me Livolsi était nommé administrateur judiciaire. Par la suite, j'ai été nommée commissaire à l'exécution du plan. L'inventaire, je doute qu'il n'ait pas été fait parce qu'en général, Me Livolsi est particulièrement diligent sur ses dossiers et les inventaires sont toujours effectués. En revanche, je sais qu'il y a des problèmes ponctuels...

M. le Rapporteur : Je vous interromps, madame, parce que vous comprenez que pour un justiciable entendre ça, alors que Me Livolsi, administrateur judiciaire écrit lui-même : « Je n'ai aucune qualité pour intervenir dans ce dossier qui est d'ailleurs archivé en ce qui me concerne. Je ne peux que vous inviter à vous rapprocher de Me Sophie Dumousseau. » Et vous, vous dites : il faut demander à Me Livolsi.

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Non. Je réponds pour expliquer une éventuelle omission faite par chacun dans ce dossier. Il y a eu quelques revendications effectivement, mais qui n'ont pas été faites dans les formes apparemment et qui n'ont pas été retenues de toute manière. Il y a donc eu un jugement. On en attend un deuxième. Indépendamment du fait qu il n'y aurait pas eu d'inventaire dans ce dossier, ce dont je doute, M. Campagne a été débouté de sa demande en revendication qui a été faite tardivement et qui n'avait pas été faite dans les formes juridiques.

M. le Rapporteur : Le contentieux est pendant devant la cour d'appel. Il est un peu fâcheux que les mandataires, puisque c'est ainsi qu'on vous appelle, disent ce n'est pas moi, c'est l'administrateur. Et lui, ce n'est pas moi, c'est le mandataire-liquidateur.

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Ce n'est pas du tout ça. Et de toute manière si M. Campagne gagne en appel, on sait très bien qu'il ne peut pas prouver que les biens existaient au jour du jugement d'ouverture. À partir du moment où ces biens existent au jour du jugement d'ouverture, même si les marchandises n'existent plus aujourd'hui, s'il gagne son procès en appel, ça se répartira sur le prix de vente de ses marchandises.

M. le Rapporteur : Ce dossier dure depuis combien de temps ?

Mme Sophie DUMOUSSEAU : Il dure depuis longtemps parce qu'on a des procès en cours qui ne sont pas terminés, je ne peux donc pas distribuer mes deniers.

M. Gérard GOUZES : Ce sont des situations qui sont très mal vécues.

M. Armand de NARDI : Je suis juge-commissaire dans cette affaire. Lorsque quelqu'un vient ici pour malheureusement déposer le bilan, on demande de faire un inventaire mais on ne trouve jamais personne pour le faire le lendemain ou le jour-même. Quand quelqu'un vient déposer le bilan, il détient un stock diversifié de milliers de pièces. Imaginez-vous, sans vouloir dire que la personne va faire quelque chose de malhonnête, si l'inventaire n'est pas fait le lendemain matin, de suite, il sera fait un mois après parce qu'on vous dit : « Maître n'est pas disponible ».

M. le Rapporteur : Ce n'est pas tellement ce problème-là qui est évoqué, monsieur le juge.

M. M. Jean CODOGNÈS : Il n'y a pas d'inventaire du tout.

M. le Rapporteur : On ne sait pas où sont les biens réclamés.

Audition de M. Jean-Marc LIVOLSI, administrateur judiciaire

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 11 juin 1998)

Présidence de M. Arnaud Montebourg, Rapporteur

M. Livolsi est introduit.

Monsieur le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de Monsieur le Rapporteur, M. Livolsi prête serment.

M. le Rapporteur : Vous faites un métier difficile. Nous vous rendons cette grâce. La commission l'a mesuré à travers de nombreuses auditions de vos confrères. Les administrateurs judiciaires ne sont pas du tout dans la même situation juridique, psychologique que ceux qui représentent d'abord les créanciers et qui ensuite sont chargés de répartir les actifs et de liquider. On a besoin, dans un pays comme le nôtre, d'administrateurs de très haut niveau qui soient capables d'être omniscients : ils doivent être à la fois des juristes, pour connaître les limites, des économistes, pour connaître les marchés, des spécialistes de la finance, parce qu'il faut trouver l'argent, procéder à des montages financiers, et des professionnels attentifs aux questions sociales lorsqu'il s'agit de gérer la période d'observation, la période de redressement. Vous êtes des chefs d'entreprise de secours et vous êtes au c_ur des contradictions de la procédure collective.

Ceci dit, il reste quand même à mesurer l'action des administrateurs judiciaires sur le terrain et c'est pour cela que nous sommes ici. Nous nous intéressons en particulier au travail de conseil que vous pouvez effectuer. Vous êtes le mandataire du tribunal. Le conseil de l'administrateur, dans les procédures collectives, prend une place particulièrement importante lorsque la décision du tribunal se cristallise sur le destin de l'entreprise : continuation, cession et si cession à qui ou liquidation.

Vous étiez déjà là, Me Livolsi, lorsque nous avons évoqué l'affaire Andignac. Dans cette affaire, votre position a évolué dans vos rapports successifs d'une manière qui n'a pas été comprise de la commission d'enquête. Les réponses des magistrats n'en ont pas été. Nous n'avons pas été convaincus par les explications données, même si tous les éléments apparaissant a posteriori peuvent venir conforter, justifier telle ou telle décision. Mais que pourrait-on dire d'une décision différente ? Aujourd'hui, nous ne pourrions pas la mesurer. Aussi, ce qui compte c'est de saisir comment fonctionne le processus décisionnel dans les tribunaux de commerce et comment avec des jugements qui n'en sont pas, c'est-à-dire non motivés, on arrive à se rendre non compréhensible de tous les observateurs et des justiciables. Comment arrive-t-on à prendre des décisions parfois contestables ? C'est cette boîte noire que nous sommes en train d'ouvrir.

Les juges n'ont pas voulu nous répondre. Nous en tirerons toutes les conséquences. Ce n'est pas grave. En revanche, je crois que vous vous êtes exprimé par écrit sur un certain nombre d'éléments d'analyse. Quelle était votre position à l'époque ? Pour quelle raison a-t-elle évolué en faveur de l'offre la moins disante ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : J'ai entendu tout à l'heure un extrait de mon premier rapport. Concernant le deuxième rapport, vous avez fait des commentaires que je ne partage pas. On y reviendra.

M. le Rapporteur : Mais vous êtes là pour ça. Rectifiez, si nous nous trompons.

Me Jean-Marc LIVOLSI : Dans cette affaire-là, c'est une procédure que j'ai mise au pénal. Par ailleurs, du fait que j'ai été cité dans un ouvrage que je poursuivrai en diffamation, je m'en tiendrai uniquement au dossier.

M. le Rapporteur : On s'en tient au dossier, mon cher maître. Nous avons lu le dossier et rien d'autre.

Me Jean-Marc LIVOLSI : En ce qui concerne ce dossier, j'ai déposé un premier rapport...

M. le Rapporteur : Il est là.

Me Jean-Marc LIVOLSI : Ce rapport faisait état de trois offres, accompagnées de tous les éléments explicatifs : un bilan économique et social, et en annexe aussi bien les comptes de l'entreprise, que les inventaires, que les déclarations de créances, c'est-à-dire tout ce qui peut permettre au tribunal de pouvoir apprécier les choses de façon indépendante. À partir de là, quand il s'agit d'un plan de redressement, d'un plan de cession que je présente, d'un projet de plan, je présente les différentes offres existantes, si c'est le cas, puis je les analyse conformément aux textes du législateur en fonction des trois critères fixés par la loi par ordre décroissant.

M. le Rapporteur : Je vous interromps à ce stade de votre démonstration, mon cher maître. Est-ce que vous avez procédé à un bilan économique et social dans cette affaire ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Oui, il a été annexé à mon rapport.

M. le Rapporteur : Il se trouve au début ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Oui, il y a deux parties généralement...

M. le Rapporteur : Est-ce que vous vous êtes adjoint les services d'un expert-comptable ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Là, non.

M. le Rapporteur : Est-ce que vous en avez un dans votre étude ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Non.

M. le Rapporteur : Est-ce que vous êtes vous-même expert-comptable ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Je ne suis pas expert-comptable.

M. Gérard GOUZES : Vous ne vous servez pas de temps en temps de ces compétences ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Ça m'arrive d'utiliser les services de l'expert-comptable de l'entreprise.

M. le Rapporteur : Là, c'était le cas ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Ce n'était pas le cas. J'ai reçu une certaine formation initiale.

M. le Rapporteur : Bien sûr !

M. le Rapporteur : Que faisiez-vous avant d'être administrateur judiciaire ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Avant d'être administrateur judiciaire, j'ai été collaborateur d'administrateur judiciaire pendant cinq ans.

M. le Rapporteur : C'est votre seul métier ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Non. J'ai eu également un cabinet en ville. J'étais auparavant universitaire, j'étais chargé d'enseignement à la Sorbonne.

M. le Rapporteur : Vous êtes plutôt juriste ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : J'ai une licence de sciences économiques, et j'ai fait l'Institut d'études politiques de Paris. J'ai un DESS de sciences politiques.

M. le Rapporteur : Cela n'a pas grand chose à voir avec l'expertise comptable ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Je n'ai rien à voir avec l'expertise comptable. Je ne suis pas expert-comptable.

M. le Rapporteur : Dans cette affaire, vous avez tout fait tout seul ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Oui, bien sûr. Je ne crois pas que pour pouvoir bien apprécier soit une offre, soit la situation d'une entreprise, l'expert-comptable soit obligatoirement le plus qualifié. Il existe ce qu'on appelle des experts en diagnostic qui sont généralement des confrères, ou des conseils d'entreprise mais qui ne sont pas experts-comptables. Je ne crois pas que l'expert-comptable soit le plus qualifié.

Par contre, une entreprise est quelque chose de vivant. Il y a les chiffres, les comptes. Quand on a reçu suffisamment de formation, on peut très bien les analyser. Mais une entreprise, c'est quelque chose de plus complexe avec un aspect humain, social, économique, que les chiffres ne laissent pas obligatoirement transparaître. Pour ce qui concerne ce dossier, j'avais reçu trois offres. Je les ai présentées.

M. le Rapporteur : Comment avez-vous fait évaluer le fonds de commerce dans cette affaire ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Bien souvent, dans ce type d'affaire, pour ce qui concerne les éléments incorporels, les situations sont telles que l'acquisition du fonds de commerce, c'est le droit de faire des pertes puisque ce sont des entreprises qui dégagent des pertes malgré des restructurations. Si le repreneur n'apporte pas quelque chose de particulier, il va chausser les bottes du prédécesseur et continuer à faire des pertes. Non seulement la valeur des éléments purement incorporels, c'est epsilon, c'est un franc, c'est plus parfois lorsqu'il y a des marques. Bien souvent, les entreprises sont dans un état tel que c'est le repreneur qui apporte quelque chose véritablement, ce n'est pas ce qu'il trouve dans l'entreprise qui a de la valeur.

M. M. Jean CODOGNÈS : Vous ne répondez pas à la question.

Me Jean-Marc LIVOLSI : On me parle de la valeur du fonds de commerce. Je parle des éléments incorporels.

M. M. Jean CODOGNÈS : Comment avez-vous fait pour l'évaluer ? Comment avez-vous fait pour donner un chiffre ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Je ne donne pas de chiffres au tribunal, dans mon rapport.

M. le Rapporteur : C'est ce qui nous semblait, c'est pour cela qu'on vous pose la question.

Me Jean-Marc LIVOLSI : Je donne simplement une appréciation des différentes offres qui sont assez complexes.

M. le Rapporteur : Vous considérez que ça n'avait aucune valeur ? Que cela valait un franc ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Pour les éléments incorporels, oui.

M. le Rapporteur : Pour tout !

Me Jean-Marc LIVOLSI : Je n'ai pas dit ça. Le fonds de commerce est un élément incorporel. Vous avez également le matériel immobilisé, vous avez éventuellement des estimations.

M. le Rapporteur : Une entreprise a de la clientèle. Elle a un savoir-faire. Tout cela ne vaut rien ? Ça valait zéro ? Comme le dit le juge...

M. Jacques SERRES : Non. Mais quand une entreprise a des difficultés, ça vaut zéro, vous le savez bien ! Allez reprendre !

Me Jean-Marc LIVOLSI : Pour cette affaire, j'ai été très surpris. Je me souviens de ça. J'avais entendu parler de ce dossier, six mois, un an avant. Je savais que l'entreprise éprouvait quelques difficultés. C'est vrai, je pensais que c'était une entreprise intéressante et importante. Je dois dire que quand j'ai été désigné et que je suis allé sur place, j'ai été étonné de la vétusté des lieux, du caractère déplorable des installations. Je m'attendais à autre chose. J'ai eu d'autres affaires dans ce secteur d'activités.

M. le Rapporteur : C'est un secteur que vous connaissez bien ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Oui. Dans une autre affaire, l'immeuble était tout à fait conforme aux normes européennes. Là j'ai été surpris de l'état ancien. On aurait dit une arrière-cuisine.

M. le Rapporteur : Ça ne valait rien ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : En ce qui concerne la valeur des choses, il y avait du matériel, un courant d'affaires qui s'est dégradé incontestablement. C'est ce que j'essaie d'analyser également lorsque je fais mon bilan économique et social. Il y a un certain nombre de choses qui font que l'entreprise a une valeur : le matériel, les éléments incorporels. Dans le cas d'espèce, dans les actifs de l'entreprise, il y avait des stocks et un immeuble, pour lequel j'ai reçu des offres.

La difficulté que vous évoquiez tout à l'heure sur la perception de la décision du tribunal vient du fait que les offres n'avaient pas le même périmètre. C'est ce qui n'apparaît peut-être pas clairement dans le jugement.

Indiscutablement, le tribunal a jugé que l'offre qui l'a emporté était sérieuse sur le plan de la pérennité de l'entreprise. Tout ce qui a pu surprendre, c'est la valeur. C'est un peu la question posée : la valeur proposée pour l'acquisition en comparaison avec les autres offres.

Les périmètres de reprise étaient totalement différents L'offre de reprise de M. Dubernet a été retenue par le tribunal. Cette offre avait l'appui du procureur de la République qui est intervenu en ce sens. Il m'a même écrit, ce qui justifiera une différence dans le contenu de mes deux rapports, sans que ce soit pour autant le signe que je suis inféodé au procureur de la République.

M. le Rapporteur : Ah !

Me Jean-Marc LIVOLSI : Il a attiré mon attention sur un certain nombre de choses.

M. le Rapporteur : L'augmentation du prix de cession ?

Voici ce que dit le procureur de la République dans cette affaire.

« Je viens de prendre connaissance de votre rapport. Dans cette affaire, je suis tout à fait opposé à ce que le tribunal de commerce adopte l'offre présentée par M. Andignac. La proposition qui me paraît offrir le plus de garanties est celle faite par MM. Dubernet et Cesse. Mais il conviendrait d'obtenir des précisions sur les biens immobiliers, de suggérer aux candidats d'augmenter le prix de cession. »

Ils ne l'ont pas fait ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Si.

M. le Rapporteur : C'était encore plus bas que 130 000 francs ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : J'ai reçu ce courrier. J'ai reçu une offre d'une quatrième personne d'une société en formation. Des précisions supplémentaires me sont parvenues sur les offres déjà reçues d'où le rapport complémentaire pour présenter la quatrième offre et donner au tribunal toute l'information concernant les trois autres offres qui avaient été légèrement modifiées ou précisées.

Vous avez pu voir dans mon rapport qu'en matière d'emploi, il y a un certain nombre de modifications intervenues dans certaines offres. Il y en a une qui s'améliore très nettement, celle de M. Dubernet dont le dossier passe au niveau emploi de 8 à 13 ou 14 personnes.

M. le Rapporteur : Oui, mais ça n'était pas un avantage supérieur par rapport aux autres offres.

Me Jean-Marc LIVOLSI : En matière d'emploi, elle paraissait faible au départ mais elle a été augmentée, ce qui a donc modifié un peu mon point de vue. Quant au prix d'acquisition, qui était de 130 000 francs, le périmètre de reprise ne comportait que le fonds de commerce, donc que l'actif mobilier, sans le stock, sans l'immeuble, alors que toutes les autres portaient sur l'ensemble des actifs, y compris le stock, y compris l'immeuble. Par ailleurs, cette proposition portait sur la reprise de contrats de travail, y compris des congés payés. La cession a eu lieu le 1er avril, donc la quote-part de congés payés sur les personnes reprises représentait une somme non négligeable puisqu'il s'agissait de treize personnes multiplié par cinq sixièmes de cinq semaines. On arrive à un petit mois pour treize personnes, charges comprises, soit à peu près 100 à 150 000 francs avec les charges comprises. L'offre est donc passée globalement de 130 000 à 250 000 francs, sans le stock, sans l'immeuble, avec un troisième élément que j'ai pu négocier, qui apparaît dans le jugement. Ils demandaient l'utilisation de l'immeuble pendant un certain temps dans l'attente de déménager par ailleurs à titre gracieux. On a obtenu le règlement d'un loyer de 5 000 ou 10 000 francs par mois, qui a été intégralement payé pendant toute la durée de l'occupation de cet immeuble qui est venu en rémunération pour les créanciers.

La seule difficulté que vous évoquiez tout à l'heure, c'est que les périmètres n'étaient pas comparables. Il aurait fallu préciser que dans un cas, il y avait les stocks, les immeubles compris, dans l'autre non.

M. Gérard GOUZES : Les jugements ne sont pas suffisamment motivés d'une manière générale, selon vous ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Je connais très bien le dossier. J'essaie de comprendre la décision du tribunal par rapport à tout ce qu'on entend dire : le moins-disant a été retenu. Mais si on compare bien les choses, ce n'était pas le moins-disant. Alors, peut-être qu'il aurait fallu expliquer. Je rappelle qu'on est dans le cadre d'un plan de redressement, par voie de cession avec les trois critères définis par la loi. Ce n'était pas prépondérant. Il aurait fallu rédiger une phrase à ce sujet, mais la notion de pérennité de la qualité des repreneurs était quand même très importante.

M. le Rapporteur : On ne veut pas vous faire corriger les mauvaises copies du tribunal. On ne veut pas vous faire jouer ce rôle. Simplement je m'interroge sur vos conclusions. Vous écriviez, le 7 février sur le plan de l'apurement du passif : aucune offre n'était mieux disante en terme de salariés à l'arrivée, on était tous à 13 ou 14 employés proposés à la reprise. En revanche, sur l'apurement du passif, il y avait 20 millions. Puisque vous connaissez bien le dossier, combien y avait-il de passif ? Plus de 10 millions de francs ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : C'était un passif important de plus de 10 millions.

M. le Rapporteur : Une paille : 10 millions ! Sur le plan de l'apurement du passif, en tenant compte de la reprise des financements, l'offre Andignac est nettement au-dessus des autres propositions. Un mois après, votre avis change radicalement, ce n'est pas compréhensible pour la commission d'enquête - malgré tous les éléments que vous donnez - parce que les périmètres, d'accord, sont différents. Mais les éléments ne se compensent pas. Ça n'est pas clairement explicité. On comprend que dans votre proposition, vous intégrez les éléments du tribunal puisque vous expliquez dans votre deuxième conclusion du mois de mars : « Aussi le choix du tribunal semble se limiter aux trois premiers candidats et à leurs offres, modifiées ainsi qu'il a été exposé », expliquant que le tribunal a déjà tranché sur les quatre offres pour trois d'entre elles qui sont dans le périmètre de la discussion. L'air de dire, il y en a une qu'on a déjà écartée puisque le tribunal semble se limiter aux trois premiers candidats. Et vous ajoutez : « Globalement, il apparaît que l'offre Cesse-Dubernet semble valablement assurer la pérennité de l'entreprise ». Vous dites exactement le contraire de ce que vous disiez un mois avant. Alors que, franchement, les offres n'ont pas énormément changé. Il ne faut pas se plaindre si des livres sortent après et s'il y a des manifestations devant le tribunal.

Me Jean-Marc LIVOLSI : Puisque vous faites allusion à un livre que je poursuivrai d'ailleurs en diffamation, puisque vous avez pris connaissance d'un certain nombre de choses y compris de mon rapport complémentaire et du jugement du tribunal...

M. le Rapporteur : Je m'en tiens à votre rapport.

Me Jean-Marc LIVOLSI : ... vous vous apercevrez que ce qui a pu être écrit ne correspond pas à la réalité.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas mon problème. C'est la justice que vous avez saisie qui tranchera.

Me Jean-Marc LIVOLSI : Vous faites allusion à ce livre. Je suis obligé d'y répondre, sinon moi je m'en serais passé.

M. le Rapporteur : Alors sur le rapport ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Sur le rapport, vous comparez d'une part le troisième critère en concluant c'est lui le mieux disant et après dans le deuxième rapport ...

M. le Rapporteur : Je compare de critère à critère. Et je vois qu'il y a une offre qui a complètement disparu. On ne sait pas pourquoi. Comme si cela avait déjà été jugé ! C'est cela l'impression que ça donne. Le tribunal semble se limiter aux trois premiers candidats, à leurs offres modifiées, ainsi qu'il a été exposé. Il y en avait quatre ! Il n'y a pas eu de jugement ! Il y en avait quatre et vous vous dites : « Voyons ce qu'il y a dans les trois que retient le tribunal ».

Me Jean-Marc LIVOLSI : Vous regardez les conclusions. Est-ce que vous pouvez relire : « estimera », « doit avoir »?

M. le Rapporteur : « Le choix du tribunal semble se limiter ». Ce n'est pas le tribunal, c'est le choix que le tribunal doit avoir.

Me Jean-Marc LIVOLSI : Ce n'est pas le tribunal...Je donne un avis au tribunal. (rires dans la salle).

M. Gérard GOUZES : C'est le tribunal qui donne un avis, ce n'est pas vous. Vous dites « le tribunal semble...»

Me Jean-Marc LIVOLSI : Le choix qu'a fait le tribunal à mes yeux, c'est entre trois.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas très clair !

M. Gérard GOUZES : Qui avait encouragé M. Andignac à faire une proposition ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Je ne sais pas, je n'étais pas le conseil. Il n'était pas à ce moment-là dirigeant de l'entreprise.

M. Gérard GOUZES : Est-ce que M. Berthé est dans la salle ?

Monsieur Berthé, n'est-ce pas vous qui avez encouragé M. Andignac ? Rappelez-vous !

M. Gilles BERTHÉ : Il s'est précipité lui-même pour faire une offre.

M. Gérard GOUZES : Ce n'était donc pas vous ?

M. Gilles BERTHÉ : Non, il est allé voir un avocat pour le faire.

M. Gérard GOUZES : Dont acte.

M. le Rapporteur : S'il y avait des éléments qui pourraient démentir tout cela, nous sommes preneurs. Nous rendons notre rapport vers le 9 juillet. Nous verrons tout cela.

M. Gérard GOUZES : Est-ce que vous pouvez nous donner rapidement en gros le nombre de missions que le tribunal vous attribue à peu près annuellement ? Quel est votre chiffre d'affaires ? Quel est votre revenu annuel ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Mon activité globale, parce que j'ai une compétence nationale...

M. le Rapporteur : Vous êtes nommé en dehors de Mont-de-Marsan ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Essentiellement dans le ressort de la cour d'appel de Pau. Vous savez que les administrateurs judiciaires ont une compétence nationale. Ils peuvent être nommé n'importe où. J'ai été désigné par le tribunal de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cependant, je dirais qu'il y a des questions géographiques qui se posent et qui forment, du moins en province, le ressort naturel d'intervention d'un administrateur judiciaire. Certains administrateurs parisiens viennent fréquemment en province, le métier qui est exercé en région parisienne est réellement différent. Quant aux mandataires judiciaires chargés des liquidations, ils ont des compétences délimitées à une cour d'appel. Ils sont plus précisément attachés à un tribunal. Ce phénomène géographique fait qu'il y a un rapprochement. Moi, je suis essentiellement nommé dans le ressort de cette cour d'appel et donc par tous les tribunaux de la cour d'appel.

M. Gérard GOUZES : Combien avez-vous de missions par an ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : J'ai une quarantaine de dossiers par an, sur l'ensemble du ressort de la cour. Dans l'ensemble de mes études, j'ai neuf salariés.

M. Gérard GOUZES : Quel est votre chiffre d'affaires ?

Me Jean-Marc LIVOLSI : Un peu moins de 5 millions de francs annuellement. Ce n'est pas véritablement un chiffre d'affaires, mais des encaissements. Cela correspond à des travaux antérieurs, souvent. On ne peut pas parler véritablement de chiffre d'affaires. C'est donc, en moyenne, inférieur à 5 millions.

M. Gérard GOUZES : Avec des revenus déclarés de l'ordre de...

Me Jean-Marc LIVOLSI : Un petit million.

M. le Rapporteur : Il n'y a pas trop de différence entre un petit et un grand million (rires dans la salle). Ce n'est pas grave.

Me Jean-Marc LIVOLSI : En moyenne, un peu moins d'un million. C'est comme les cinq millions, je dis un petit cinq millions parce qu'en moyenne c'est inférieur à cinq millions.

Audition de M. Francis AKHAIGE,

greffier du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 11 juin 1998)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Francis Akhaige est introduit.

Monsieur le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de Monsieur le Rapporteur, M. Akhaige prête serment.

M. le Rapporteur : Dites-moi ce qui se passe dans ce tribunal, mon cher maître.

M. Francis AKHAIGE : Vous êtes en train de faire une enquête. Sans vouloir jouer le rôle d'un délateur et sans vouloir chercher à m'immiscer dans votre travail, que vous faites bien d'ailleurs, pour que votre rôle, votre enquête et les modifications qui s'imposent soient les plus efficaces, il faut que les vrais problèmes soient soulevés.

Or, qu'est-ce qui se passe au tribunal ?

À mon sens, ce n'est pas pire qu'ailleurs. Parce que je connais la plupart des tribunaux de commerce de la cour d'appel et au-delà. Ici, il y a un président qui a une certaine autorité, pour ne pas dire une forte personnalité. Le seul problème, c'est qu'il est retraité. Il n'est pas systématiquement là. Une rotation se met en place.

Je tiens à apporter deux petites corrections à ce que vous avez dit tout à l'heure.

En ce qui concerne la transmission des dossiers au parquet, tout d'abord. Nous avons convenu avec le parquet d'arrêter à un moment donné les dossiers (dépôts de bilan, déclarations de cessation des paiements) qui vont être traités à l'audience du vendredi matin. Ce qui explique que le parquet a tous les dossiers le mercredi soir, ce qui lui laisse deux jours. On ne peut pas systématiquement lui envoyer les dossiers à chaque fois que quelqu'un vient déposer le bilan. C'était ainsi que nous fonctionnions avec le précédent parquet. Tous les dossiers, les bilans, les extraits Kbis, les déclarations des parties, signés de tout le monde, lui parvenaient tous les mercredis soir.

Vous avez également posé une question concernant l'affaire Mandron. On y veille comme le lait sur le feu. On veille à ce qu'aucun juge ne soit impliqué dans des affaires ici. Si ce ne sont pas les juges eux-mêmes qui le font, je me permets de temps en temps de soulever le problème.

M. le Rapporteur : Le greffier n'a pourtant pas de responsabilité précise dans cette matière.

M. Francis AKHAIGE : Non. Mais il y va de l'intérêt du tribunal, j'en fais partie, du moins encore aujourd'hui.

M. le Rapporteur : Que s'est-il passé avec Me Berthé ?

M. Francis AKHAIGE : Vous avez posé la question tout à l'heure. Contrairement à ce qui vous a été dit, ce n'était pas lié à l'histoire de l'ordonnance qui n'existait pas.

Un ami de Me Berthé est venu raconter haut et fort qu'il avait été saisi par Me Berthé pour commettre un attentat sur deux personnes : un avocat et un greffier.

M. le Rapporteur : Est-ce que vous pouvez expliquer cela clairement ? Quelqu'un dans cette ville a laissé courir le bruit...

M. Francis AKHAIGE : ... non seulement laissé courir le bruit, mais il a écrit, il a averti le parquet que Me Berthé l'avait contacté pour exécuter un contrat.

M. le Rapporteur : Un contrat sur qui ?

M. Francis AKHAIGE : Sur ma tête et sur celle d'un avocat.

M. le Rapporteur : Me Berthé avait mis un contrat sur votre tête ?

M. Francis AKHAIGE : Oui.

M. Jean CODOGNÈS : Un contrat, c'est-à-dire ? Il vous menaçait de mort ?

M. Francis AKHAIGE : Il nous a dit « il y a quelqu'un qui nous emmerde, il faut lui casser la jambe. Il faut lui couper une patte. » Il a ajouté : « Vous habitez à tel endroit, vous avez telle marque de voiture ». Il disposait d'éléments précis.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce que vous avez fait ?

M. Francis AKHAIGE : Sur le moment, j'ai ri. Je me suis dit, ce n'est pas possible.

M. Jean CODOGNÈS : Et aujourd'hui ?

M. Francis AKHAIGE : Vu l'insistance de la personne, la façon dont elle a relaté les choses et les concordances, je crois savoir ce qui s'est passé. Au moment où je vous parle, je ne suis pas sûr que ça a été dit dans le sens...

M. Jean CODOGNÈS : Vous avez prévenu le parquet ?

M. Francis AKHAIGE : J'ai prévenu le parquet.

M. le Rapporteur : Que s'est-il passé après ?

M. Francis AKHAIGE : Trois mois après, j'ai été convoqué devant cette même personne qui continue à vouloir s'expliquer, le jour où je l'ai secouée au sein du tribunal.

M. Jean CODOGNÈS : Vous dites : dans le tribunal ?

M. Francis AKHAIGE : C'était dans les couloirs du tribunal.

M. Jean CODOGNÈS : Le Président nous a dit que ce n'était pas dans le tribunal.

M. Francis AKHAIGE : Parce qu'il n'a pas voulu le dire.

M. le Rapporteur : Comment ça, il n'a pas voulu ?

M. Jean CODOGNÈS : Il a menti alors ?

M. le Rapporteur : Le Président a menti ?

M. Francis AKHAIGE : Le Président n'était pas là ce jour là.

M. le Rapporteur : Comment a-t-il pu affirmer que ce n'était pas dans l'enceinte du tribunal ?

M. Francis AKHAIGE : Parce que ça dépend de ce qui lui a été raconté.

M. le Rapporteur : Tout le monde semble le savoir !

M. Jean CODOGNÈS : Vous affirmez que c'était ici ?

M. Francis AKHAIGE : Oui, j'affirme que c'était ici. Ce n'est pas sûr que le Président ait su à quel endroit cela s'était passé puisque ça s'est passé entre Me Berthé et moi et devant Me Livolsi, c'est tout.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce qui s'est passé après au parquet ?

M. Francis AKHAIGE : J'ai aussitôt saisi le parquet de cet ensemble d'éléments. Il fallait que ce soit clair. La personne qui raconte cette histoire n'avait strictement rien à voir avec moi. Ce n'était pas mon ami ni quelqu'un que je fréquentais, mais de réputation et de notoriété on savait que c'était un ami de Me Berthé de longue date. Ils sont parrains de leur enfant respectif. Ils se connaissent très bien. À un moment, cette personne, qui était gérante d'une société, est venue déposer son bilan. Il fallait nommer un mandataire de justice. J'avais suggéré au tribunal de ne pas désigner Me Berthé pour la clarté du dossier et parce qu'il était trop lié avec cette personne. En effet quand j'ai des éléments dans un dossier, j'en fais part à mon tribunal. A priori, Me Berthé l'a appris.

M. Jean CODOGNÈS : Qu'a fait le tribunal ?

M. Francis AKHAIGE : Il a désigné quelqu'un d'autre. Ce n'était pas Me Berthé qui était désigné. Quelque temps après, j'ai appris par personne interposée que ce même monsieur aurait acheté un restaurant à Mont-de-Marsan dans le cadre d'une faillite. Je l'ai appris de façon fortuite. J'en ai fait part au tribunal. J'en ai parlé à Me Berthé. S'était-il senti menacé ? J'ai dit « Me Berthé, tu ne peux pas continuer ».

M. Jean CODOGNÈS : Menacé, dans quel sens ?

M. Francis AKHAIGE : J'avais soulevé quelque chose qui était censé être caché.

M. Jean CODOGNÈS : Une irrégularité ?

M. Francis AKHAIGE : Une irrégularité dans une affaire, concernant un ami de Me Berthé qui achète une affaire par personne interposée. On l'a découvert après. J'ai dit à Me Berthé : « Tu vois, tu te plains que tout le monde t'en veut. Le jour où tu cesseras de faire ce genre d'irrégularités, peut-être que... »

M. Jean CODOGNÈS : Il en avait fait d'autres ?

M. Francis AKHAIGE : C'est la seule dont j'ai eu connaissance de façon aussi sûre. Est-ce que c'est pour ça qu'on a été dire à cette personne : « On a des problèmes avec Me Akaighe. Il faut s'occuper de son cas » ? Je n'en sais strictement rien. Le fond des choses, je ne le connais pas toujours. J'en ai fait part au procureur. Personne n'a voulu savoir ce qui s'était passé. Tous les juges ont dit ici : «Ce n'est pas bien. Francis, tu rêves ! ». C'est comme ça qu'on m'a parlé. Par contre j'ai été aussitôt convoqué par des secrétaires. Vous comprenez pourquoi j'étais sur le qui-vive ce matin quand j'ai appris qu'il fallait être là pour recevoir la commission d'enquête parlementaire.

Une des secrétaires vient me dire un jour : « Francis, on t'attend dans la salle du conseil parce que le procureur... ». J'arrive. On me lit des articles du code pénal : le greffier se doit en toute circonstance de se maîtriser.

M. Jean CODOGNÈS : Vous avez été entendu ici ?

M. Francis AKHAIGE : Ici, avec le procureur, le vice-président aujourd'hui décédé.

M. Jean CODOGNÈS : Vous n'avez pas été convoqué ? Vous n'avez pas préparé vos arguments ?

M. Francis AKHAIGE : Je n'ai reçu aucune convocation.

M. le Rapporteur : Que s'est-il passé ce jour là ?

M. Francis AKHAIGE : On parle de tout et de rien. Puis, on évoque cette affaire : on me dit que cela ne se fait pas, que c'est anormal.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire ?

M. Francis AKHAIGE : Cela ne se fait pas de s'en prendre à un mandataire de la justice.

M. le Rapporteur : On protège Me Berthé ?

M. Francis AKHAIGE : Vous en tirerez les conclusions qui s'imposent.

M. le Rapporteur : On protège Me Berthé. Vous êtes en accord ou en désaccord avec cette proposition ?

M. Francis AKHAIGE : Je n'ai jamais eu de problème avec qui que ce soit à Mont-de-Marsan.

M. Jean CODOGNÈS : À quelle époque, cela s'est-il passé ?

M. Francis AKHAIGE : En 1996.

M. Jean CODOGNÈS : Il n'y a pas si longtemps de ça.

M. Francis AKHAIGE : Vous en tirerez les conséquences qui s'imposent.

Voilà un greffier du tribunal de commerce, un officier ministériel, qui saisit son parquet. On fait fi de ça. On ne dit rien. Par contre, je n'ai pas connaissance que Me Berthé ait été convoqué par le parquet pour être entendu. C'est moi qu'on va entendre, non pas dans le cadre de ce que son ami racontait sur l'existence d'un contrat, on va me convoquer pour me menacer parce que j'aurais secoué Me Berthé.

M. le Rapporteur : Des menaces de quel genre ?

M. Francis AKHAIGE : Des menaces de poursuites pénales, de poursuites disciplinaires.

M. le Rapporteur : Le procureur vous a menacé de poursuites disciplinaires dans la salle du conseil ? Cette affaire n'a jamais eu de suites en dehors de celles-là ?

M. Francis AKHAIGE : Par la suite, j'ai été convoqué par les policiers pour être entendu sur des accusations que Me Berthé auraient proférées à mon encontre. Sommé de s'expliquer sur cette affaire, il aurait dit que c'était parce que j'avais peur, que je cherchais à détourner l'attention sur lui.

M. Jean CODOGNÈS : Pourquoi avez-vous essayé de détourner l'attention sur Me Berthé ?

M. Francis AKHAIGE : Pour cela, je pense que le temps nous manque. Il aurait peut-être fallu demander les procès-verbaux des auditions des uns et des autres au commissariat. Me Berthé m'a tout simplement désigné comme étant « le fouteur de merde » au tribunal de commerce de Mont-de-Marsan, prétendant que je cherchais à couvrir mes propres malversations. Pour preuve, il a cité quelques dossiers.

M. le Rapporteur : Lesquels ?

M. Francis AKHAIGE : Je vous l'ai dit tout à l'heure, le dossier intitulé le Riverside.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce que c'est que cette affaire ?

M. Francis AKHAIGE : C'est un bar à Mont-de-Marsan qui a déposé son bilan et a été liquidé. Il fallait réaliser les actifs dans le cadre de la liquidation judiciaire.

M. Jean CODOGNÈS : En quoi auriez-vous été impliqué ?

M. Francis AKHAIGE : Le juge-commissaire décide, une fois n'est pas coutume, de faire un appel d'offres sous enveloppes cachetées. Tout a été fait « nickel ». On fixe une première date de limite de délai de dépôt d'offres. Mais la date qui a été publiée dans les journaux ne correspondait pas. Bref, un des acquéreurs est arrivé, a déposé entre mes propres mains une des enveloppes. Je ne sais pas ce qui s'est passé.

M. Jean CODOGNÈS : Donc à l'ouverture des plis ?

M. Francis AKHAIGE : Avant l'ouverture des plis. Longtemps avant.

M. Jean CODOGNÈS : Quel est le problème ?

M. Francis AKHAIGE : Le problème, je n'en sais strictement rien. Me Berthé aurait raconté que j'aurais favorisé cette personne, que j'aurais divulgué les autres informations.

M. le Rapporteur : Pourquoi Me Berthé considère, comme il l'a dit tout à l'heure devant la commission, que vous êtes un ami de quinze ans ?

M. Francis AKHAIGE : Il y a d'autres personnes qui étaient des amis de trente ans mais qui se sont fâchées. Excusez-moi, je ne fais pas de politique, mais l'occasion était trop belle. Si vous avez le temps aujourd'hui, je vous apporte les conclusions de M. Anton sur cette affaire qui se trouvent dans la voiture.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce que c'était que ces conclusions ?

M. Francis AKHAIGE : Si tout va mal au tribunal de commerce, ce serait parce que Me Berthé et moi-même avons été fâchés. Cela m'a quelque peu offusqué. Je n'étais pas fâché avec Me Berthé. Je ne partage pas sa méthode. Je ne partage pas ses idées politiques. Il y a des tas de choses que je ne partage pas avec lui.

Cependant, c'est un professionnel. Nous avons pratiquement le même âge. Nous vivons dans la même ville. On était par personnes interposées dans le même club Rotary à l'époque. Je n'y suis plus. Ce qui fait que nous sommes appelés à nous côtoyer avec une certaine courtoisie. Lorsque que Me Berthé a eu des problèmes à un moment donné, j'ai pensé que tout le monde s'acharnait sur lui pour des raisons politiques. Vu mes origines, je me suis dit : « Mais ce pauvre garçon mérite qu'on lui tende la main ». Je l'ai aidé, c'est vrai. De là à dire que nous sommes des amis de trente ans ! On est peut-être amis, peut-être à partir de cet instant là. On a des bons rapports.

Il n'en demeure pas moins que cette affaire a été classée. Je ne sais toujours pas si Me Berthé a voulu me tuer. Si c'est vrai. En tout cas, la personne qui le dit, le maintient, persiste et signe.

M. le Rapporteur : Encore aujourd'hui ?

M. Francis AKHAIGE : Encore aujourd'hui.

M. Jean CODOGNÈS : Au fond, j'ai l'impression que si vous nous le dites, c'est aussi peut-être quelque part pour assurer votre sécurité. Est-ce que c'est ça ?

M. Francis AKHAIGE : Pas du tout. C'est pour vous dire la façon dont les choses se passent ici. J'ai l'impression que Me Berthé règne en maître.

M. le Rapporteur : Nous l'avons constaté.

M. Francis AKHAIGE : Pour des raisons que j'ignore, tout ce qui touche à Me Berthé, il ne faut pas y aller. Ils sont deux mandataires de justice. Ca ne vous interpelle pas que Me Dumousseau ait été stagiaire de Me Berthé, ait travaillé à l'étude de Me Berthé ? Ils ont été très liés pendant très longtemps. Voilà une professionnelle dont personne ne parle, pourtant elle est mandataire de justice. En face, c'est un cow-boy, les pieds sur la table : c'est J.R. qui a pour tout langage : « Toi t'es un con. Tu parles, je te flingue ».

M. le Rapporteur : « Tu parles, je te flingue » ?

M. Francis AKHAIGE : « Tu continues à parler comme ça, je te flingue ! » Voilà comment est Me Berthé.

Je vous ai parlé de ça c'est parce que vous m'avez posé la question suivante : Pourquoi se fait-il que certains agissements, certaines choses anormales que l'on constate ici n'ont pas été aussitôt relatées au procureur ou ne serait-ce qu'à M. Anton, Président du tribunal de commerce ? Je vous ai répondu que les rares fois où je l'ai fait dans cette affaire là, on me dit  « Ta gueule ! ». Excusez ma franchise. Dans d'autres affaires, c'est à travers un dossier de trois pages que j'ai soulevé à monsieur le procureur les points anormaux que je relève. Au moment où on parle, j'attends toujours la réponse du procureur. La seule chose que le procureur a su faire, c'est de renvoyer le dossier à M. Anton en lui disant ce n'était pas normal que son greffier agisse comme ça.

M. Gérard GOUZES : Entre nous la meilleure façon que vous ne vous fassiez pas tuer, c'est qu'on écrive.

M. le Rapporteur : Vous allez nous dire ce que tout le monde sait ici sur Me Berthé !

M. Francis AKHAIGE : Monsieur le député, tous les jours des gens viennent me voir. J'en ai même provoqué certains en leur disant : « Apportez-moi des preuves parce que j'en ai besoin ».

M. le Rapporteur : Qu'est-ce qu'ils vous disent ces gens ?

M. Francis AKHAIGE : Ce dont nous venons de parler : malversations, pots de vin.

M. le Rapporteur : Qui concernent Me Berthé ?

M. Francis AKHAIGE : Qui concernent Me Berthé.

M. le Rapporteur : Tous les jours, il y a des gens qui viennent vous voir pour vous dire ça ?

M. Francis AKHAIGE : Tous les jours que le Bon Dieu fait. Peut-être moins depuis un certain temps. Beaucoup moins. Mais quand je suis arrivé, c'était carrément tout le temps. Tout le monde en parle : des pots de vin, des pots de vin, des pots de vin. Tous les procureurs qui se sont succédé jusqu'à celui-ci promettaient de se payer la tête de Me Berthé avant de s'en aller : Rabineau, Bosc. Le Président Trouvé. Ils m'ont dit expressément avant de partir : « Il est toujours là ! ».

Est-ce vrai qu'il touche ? Je n'en sais rien. Si c'est vrai et que personne ne trouve alors nous sommes tous des nuls.

M. le Rapporteur : Le procureur de la République a quel genre de relations avec Me Berthé ?

M. Francis AKHAIGE : Je ne pense pas honnêtement que publiquement ils aient des rapports. Le procureur actuel, M. Gauze, est assez particulier dans son genre. Il est à la fois paternel, très relationnel. Le genre de rapports qu'il peut avoir avec Me Berthé, c'est par personnes interposées, ou par le rugby interposé.

M. le Rapporteur : Pourquoi ? Parce qu'ils vont ensemble au rugby ?

M. Francis AKHAIGE : Dans la vie de Mont-de-Marsan, tout tourne autour du rugby. Tout se fait autour du rugby. J'ai pensé que vous alliez peut-être poser la question de l'affaire Domagala achetée par le club de rugby. C'est une affaire de faillite. Tout ça ce sont des choses qui arrivent régulièrement ici. Les rapports sont des rapports de rugby.

M. Jean CODOGNÈS : Tout à l'heure, on nous a appris qu'un magistrat avait démissionné ici à Mont-de-Marsan. De qui s'agit-il ?

M. Francis AKHAIGE : Nous avons deux magistrats qui ont démissionné récemment. M. Beziat, PDG de la société AquaFrance qui a déposé son bilan.

M. Jean CODOGNÈS : Pour des raisons personnelles ? Et le second ?

M. Francis AKHAIGE : C'est M. Thierry Dhuicq qui a démissionné pour les même raisons.

M. le Rapporteur : Je vous remercie, monsieur le greffier.



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