RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME III
Comptes-rendus d'enquête sur le terrain

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS
(PARTIE 1)

· 165 magistrats :
-
Président : M. Jean-Pierre Mattei depuis 1996. Au tribunal depuis 12 ans. Un vice-président, 34 présidents de chambre (8 à 12 ans d'ancienneté).
-64 000 entreprises commerciales inscrites au registre du commerce dont 42 600 sociétés commerciales et 21 400 commerçants personnes physiques.

· Budget de fonctionnement (prévision)

 

Dotation de l'Etat(a)

Fonds de concours(b)

Total

1994

3 183 260

620 000

3 803 260

1995

3 153 800

520 000

3 673 800

1996

3 133 905

475 000(c)

3 608 905

1997

3 170 973

500 000(c)

3 670 973

1998

3 054 582

282 900(d)

3 337 482

(a) - Versement du ministère de la justice au titre du fonctionnement courant ;

- Charges d'informatique et travaux immobiliers supportées par la cour d'appel.

(b) Non compris les versements de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris à l'association amicale des magistrats.

(c) Seul donateur : Chambre de commerce et d'industrie de Paris.

(d) Dont : Chambre de commerce et d'industrie : 250 000 F ; Commission européenne (action Robert Schuman) : 32 900 F (5 061 euros).

Source : tribunal de commerce de Paris.

· Activité contentieuse :

 

1995

1996

A. Contentieux général

- affaires terminées

40 056

39 345(a)

B. Contentieux du redressement judiciaire

- décisions relatives à l'ouverture de la procédure

- dont ouvertures de liquidation judiciaire

- dont liquidations judiciaires immédiates

- plans de redressement

* continuation

* cession

- ordonnance du juge-commissaire

8 690

6 062

5 028

204

112

23 675

9 115(b)

7 076

5 947

615

183

22 838

C. Référés

11 083

11 486

(a) Pour mémoire : France entière, toutes juridictions : 156 520 affaires terminées.

(b) Pour mémoire : France entière, toutes juridictions : 79 512 décisions

Source : ministère de la justice, statistiques des affaires commerciales 1995 et 1996.

sommaire des auditions relatives aux déplacements effectués par la commission

_ Audition de M. DINTILHAC, procureur et de M. MARIN, procureur-adjoint au tribunal de grande instance de Paris (6 mai 1998 au tribunal de grande instance de Paris)

_ Audition de Mmes Anne-José FULGERAS, chef de la section financière et commerciale et Eliane HOULETTE, premier substitut et de M. René GROUMAN, substitut au tribunal de grande instance de Paris (7 mai 1998 au tribunal de grande instance de Paris)

_ Audition de Mme HOULETTE, premier substitut au tribunal de grande instance de Paris (2 juin 1988)

Audition de M. DINTILHAC, procureur de la République et de M. MARIN, procureur-adjoint près le tribunal de grande instance de Paris

(extrait du procès-verbal de la séance du 6 mai 1998 au tribunal de grande instance de Paris)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

MM. Dintilhac et Marin sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, MM. Dintilhac et Marin prêtent serment.

M. le Rapporteur : Comme je le rappelle souvent, nous ne sommes pas un tribunal : nous n'avons pas de devoir d'objectivité ni de réserve. On peut exprimer des opinions puisque nous ne condamnons pas, que nous ne jugeons pas. Nous n'avons aucun pouvoir coercitif. Nous réfléchissons à voix haute, sous le contrôle de l'opinion publique et pour donner des propositions concrètes, précises qui déboucheront peut-être sur des modifications législatives.

Nous pouvons peut-être commencer par le premier point ; à savoir le type de relations que le parquet et le tribunal de Paris ont entretenu au fur et à mesure de l'évolution des textes, et des moyens dont vous avez disposé pour remplir les missions qui vous sont confiées par la loi.

Cette analyse peut être critique. Plus elle le sera, plus le législateur pourra faire des observations au pouvoir exécutif.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Je suis particulièrement heureux que la commission d'enquête me permette d'être entendu au moment où je prends mes fonctions. Ce que je sais, ce que je lis, de manière générale et superficielle, sur l'activité du tribunal de commerce et sur le rôle du parquet, me conduit à éprouver des inquiétudes. J'ai suffisamment rencontré de collègues pour savoir que, comme dans diverses activités, les objectifs des différents textes ne sont pas atteints, faute de moyens permettant de répondre à toutes les attentes.

Venant de prendre mes fonctions de procureur de Paris depuis quelques jours seulement, je n'ai pas une expérience qui me permette de faire état de précédents, d'affaires particulières que j'aurais pu connaître. Mais M. Marin, procureur adjoint, pourra faire état de son expérience, non seulement comme procureur adjoint responsable de la division économique et financière, mais aussi comme ancien chef de la section financière du parquet de Paris. À ce titre, il assure la présence du parquet auprès du tribunal de commerce par l'intermédiaire des deux seuls magistrats qui ont actuellement cette responsabilité.

L'histoire des relations entre le parquet et la juridiction commerciale est relativement récente : il y a eu une partie de notre histoire judiciaire où tout ce qui concernait le tribunal de commerce n'était pas soumis à l'_il du représentant de l'autorité publique. Le tribunal de commerce a longtemps fonctionné comme une juridiction où, entre pairs, entre commerçants, sans intervention externe, se réglaient les conflits.

C'était un moyen de régulation comparable à ce qui se passait dans d'autres secteurs. Il existe toujours des secteurs de médiation dans les sociétés ; il s'agit de régulations naturelles des conflits, dont on déplore d'ailleurs dans certains domaines qu'elle n'existe plus, ce qui provoque l'engorgement des tribunaux.

Historiquement deux points méritent l'attention. En premier lieu, avant la Révolution, il n'y avait que des commerçants au tribunal de commerce. N'étaient pas alors considérés comme commerçants les membres des professions bancaires ou financières. Il y avait donc une distinction entre ceux qui exerçaient l'acte de commerce au sens le plus concret et les intermédiaires importants, mais extérieurs, dont les intérêts sont contradictoires. Ce n'est qu'à la Révolution française que parmi les électeurs et les élus, on a introduit dans les juridictions consulaires les banquiers et les financiers.

Ce qu'il m'a été dit sur la représentation des divers secteurs des activités commerciales, économiques et financières , montre qu'il y a beaucoup de représentants des banques et des assurances, donc d'organismes qui ont des intérêts qui peuvent être contradictoires avec ceux des commerçants. C'est peut-être un point intéressant à vérifier quant à certaines difficultés de fonctionnement.

En second lieu, à la compétence pour juger des actes de commerce classiques, s'est ajoutée la compétence des juridictions commerciales pour tout ce qui concerne les entreprises en difficulté. Or, on passe là d'un domaine à un autre.

En effet, s'agissant d'actes de commerce, ce sont des commerçants qui ont des conflits entre eux et les règlent. On peut estimer assez naturel qu'il y ait une juridiction spécialisée, uniquement entre professionnels. Lorsque, par contre, on passe au redressement d'entreprises en difficulté, d'une part les intérêts économiques dépassent l'entreprise elle-même, puisqu'ils touchent des créanciers extérieurs et, d'autre part, se pose le problème de l'emploi, problème qui a pris une importance considérable avec la crise économique.

L'institution, créée par Michel de l'Hospital, avait un objectif très limité. Aujourd'hui, elle a pour rôle de prendre en charge les entreprises en difficulté, de déterminer leur sort, de fixer les dates de dépôt de bilan, de savoir si l'on peut poursuivre l'activité ou s'il faut prononcer la liquidation ; dans quelles conditions on peut accepter la reprise et par qui. Tout cela est d'une tout autre nature.

Parallèlement, au fur et à mesure de cette montée en charge du domaine de compétence des tribunaux de commerce, il y a eu une prise de conscience par les pouvoirs publics de la nécessité de ne pas laisser les commerçants régler seuls tous ces problèmes et d'organiser l'intervention d'un représentant de l'autorité publique, par le biais des magistrats du parquet.

Depuis une quinzaine d'années, on a ainsi accru les fonctions des magistrats du ministère public sans mettre en place les moyens, notamment en ce qui concerne le nombre de magistrats affectés à cette nouvelle mission.

En 1973, lorsque j'étais au parquet de Melun, nous étions trois substituts et aucun magistrat n'était spécialisé dans le suivi du tribunal de commerce. Quand je suis arrivé au parquet de Paris, le premier de France, avec un tribunal de commerce dont l'activité est considérable, puisqu'il traite de près de 7.000 entreprises en difficulté par an, je m'attendais à trouver un véritable service du parquet, permanent, spécialisé et organisé pour suivre les affaires du tribunal du commerce. En réalité, j'y ai découvert qu'il n'y avait que deux magistrats spécialisés, ce qui est déjà exceptionnel me dit-on, au regard d'autres situations.

De plus, on demande à ces deux magistrats un travail pour lequel ils n'avaient pas été spécialement préparés. Si l'on veut faire de la prévention et détecter des situations où apparaissent des irrégularités afin de déclencher des poursuites pénales ou de demander au tribunal de commerce d'appliquer des sanctions civiles, il faudrait qu'ils soient aidés par des assistants, placés auprès du parquet, qui pourraient venir d'autres administrations, ou par des greffiers spécialisés.

Pourtant il n'y a jamais eu aucune spécialisation dans ce domaine et les deux magistrats sont seuls. Aucun greffier en chef ayant reçu une formation comptable ou une formation en droit commercial ne les assiste.

Je prends l'exemple du contrôle des administrateurs et des liquidateurs : des greffiers pourraient effectuer un dépouillement sur les comptes, les vérifier et alerter les deux magistrats lorsqu'ils découvrent des irrégularités. Ces derniers ne peuvent même pas assurer la présence aux audiences, y compris quand il y a des audiences de sanctions, puisqu'il arrive parfois que plusieurs audiences se tiennent le même jour, et qu'un des deux magistrats peut être absent, en formation ou en congé. Il n'y a alors qu'un seul magistrat pour plusieurs audiences. Actuellement, il est donc matériellement impossible d'assurer la présence d'un magistrat à chacune des audiences du tribunal de commerce.

Le procureur a théoriquement la possibilité de redéployer ses moyens humains, prélever parmi les 109 magistrats de l'effectif du parquet pour renforcer le service chargé du tribunal de commerce. Mais les 109 magistrats prévus à l'effectif sont en réalité 95, soit 14 magistrats manquants et parmi les magistrats présents, plusieurs, bénéficient de mi-temps, de dispenses syndicales, activités parfaitement régulières, mais qui diminuent leur temps de présence et leur disponibilité.

Il n'existe donc aucune possibilité pour le parquet, en l'état, de faire face aux besoins du tribunal de commerce de Paris quant à la présence du ministère public.

Voilà la vision un peu superficielle que j'ai actuellement, comme nouveau et bien encore incompétent procureur de Paris. M. Marin a, lui, une beaucoup plus grande expérience, ce qui lui permettra de donner des informations plus précises.

M. Jean-Claude MARIN : Il est vrai que, pendant sept ans, j'ai travaillé à la section financière du parquet de Paris. Auparavant, j'avais connu le tribunal de commerce de Pontoise.

L'histoire de la présence du ministère public auprès du tribunal de commerce de Paris est l'histoire des textes législatifs. Le législateur tient chaque fois compte de l'expérience parisienne pour essayer de légaliser ce qui sera une pratique formelle, généralement organisée par le Code de procédure civile, mais qui n'avait pas été organisée de manière spécifique pour l'activité de la juridiction consulaire. La loi de 1981 a donc généralisé, institutionnalisé la présence du ministère public dans le cadre des procédures collectives. La loi de 1985 a tenu compte des critiques formulées notamment par le parquet de Paris, concernant le fonctionnement des procédures collectives.

La présence du parquet de Paris au tribunal de commerce de manière systématique est une pratique ancienne. Elle date du début des années 70, avec un magistrat. Nous travaillons, 28 ans après, avec deux magistrats. Quand j'étais chef de la section, j'avais fait passer ce nombre à trois, mais en prélevant sur les effectifs des magistrats chargés de la matière pénale. La section financière du parquet de Paris a deux missions essentielles : le droit pénal financier et le droit commercial ; elle assure la représentation du ministère public auprès du tribunal de commerce de Paris ou du tribunal de grande instance statuant dans les procédures collectives des associations, et des personnes morales de droit privé sans activité économique. Mais l'abondance de la matière pénale a dû nous faire rebrousser chemin et n'occuper que deux magistrats à la représentation du ministère public auprès du tribunal de commerce.

Cependant, un principe joue de manière exceptionnelle : lorsque des affaires extrêmement complexes présentent un volet pénal et un volet commercial, c'est le même magistrat qui suit la procédure pendant le cursus pénal et devant la juridiction consulaire, ce qui peut, sans régler fondamentalement l'insuffisance des effectifs, renforcer l'effectif des magistrats présents auprès du tribunal de commerce de Paris.

Le problème de la présence des magistrats du parquet de Paris au tribunal de commerce pose différents problèmes. Le premier est celui de l'effectif. Il est le même qu'en 1981, alors que les procédures collectives, connaissent une explosion et que le contentieux général mériterait qu'un représentant du ministère public vienne rappeler les principes fondamentaux de la loi en termes de légalité et de transparence de la vie économique. On le fait de temps en temps dans le domaine boursier, mais de manière trop parcimonieuse, faute de moyens.

Il y a également un problème de qualité, peut-être moins à Paris qu'ailleurs, mais j'ai connu d'autres parquets. Hélas, la formation des magistrats du parquet appelés à aller devant les juridictions consulaires n'est pas assurée ab initio, avant qu'ils ne prennent leurs fonctions. Il y a une période d'apprentissage « sur le tas », au cours de laquelle le magistrat du ministère public doit à la fois représenter l'intérêt public, défendre la loi et se former. C'est la période de tous les dangers parce que les apparences sont parfois trompeuses.

Dans l'ensemble, le ministère public est bien accueilli au tribunal de commerce. Certes cet accueil est chaleureux et sincère, mais je me demande s'il n'est pas fondé sur un quiproquo. La présence du parquet au tribunal de commerce n'est pas un échevinage ; il n'est pas le substitut de l'échevinage. Le parquet a une mission qui est fondamentale : défendre les principes de droit, la ratio legis, la régularité des procédures, mais aussi être le catalyseur de certaines informations, émanant notamment des pouvoirs publics. Le parquet n'est pas appelé à être l'échevin, car il ne participe pas au jugement.

Il y a sans doute là un quiproquo sur la justification fondamentale de la présence du parquet auprès des juridictions consulaires.

Pour reprendre la conclusion de monsieur le procureur, il est vrai que nous aurions besoin d'être renforcés et nous comptons un peu sur l'ensemble des travaux menés actuellement à propos de la création et du renforcement des structures en matière économique et financière. Sont nécessaires le contrôle de la crédibilité de certaines solutions économiques proposées pour la reprise d'entreprise et celui des activités des mandataires de justice.

Je crois beaucoup que, si le statut des assistants spécialisés voit le jour, nous pourrons affecter certains de ces fonctionnaires qui pourront être mis à disposition de la justice ou du parquet pour effectuer un travail de fond. Très souvent, quand vous avez des groupes importants qui déposent leur bilan avec des propositions de reprise soit uniques soit divisées par branche d'activité, le parquet procède à l'analyse de ces plans, en se fiant aux partenaires de la procédure.

On se retourne alors vers l'administrateur pour lui demander ce qu'il en pense. Pour le bilan économique et social, on se retourne vers les différents auxiliaires de justice qui sont les vecteurs des offres de reprise. Il ne serait pas mauvais que le parquet dispose de manière autonome d'un outil de vérification de la crédibilité économique, compte tenu de paramètres généraux et de paramètres de branches ; qu'il puisse donner un avis différencié et complètement conscient des problèmes posés par le dossier particulier.

De plus, concernant le contrôle de l'activité des administrateurs et des représentants mandataires-liquidateurs de justice, il est vrai que, s'il est ancien, le nombre des professionnels à Paris le rend très aléatoire.

M. le Rapporteur : Avez-vous un aperçu statistique du nombre d'affaires qui viennent au contentieux général à l'audience ? Le procureur évoquait 7000 affaires de procédures collectives par an. Je souhaiterais avoir des détails sur l'ensemble de ces statistiques : le nombre d'affaires et le nombre d'affaires suivies par les deux magistrats de manière à pouvoir dresser un tableau, sévère, des possibilités matérielles de suivi. Cela fait partie de l'analyse. Sur le plan statistique, quelles sont les informations dont vous disposez de manière à pouvoir mesurer l'ampleur des insuffisances ?

M. Jean-Pierre DINTILHAC : L'outil statistique n'est pas très performant et nous ne disposons que de quelques éléments : les chiffres que j'ai indiqués tout à l'heure.

Ces chiffres font apparaître que l'activité du tribunal de commerce de Paris est en progression constante. Alors que dans quelques secteurs, comme celui de la violence, la délinquance à Paris est en diminution, dans le domaine de l'activité du tribunal de commerce, au contraire, il y a une augmentation. C'est un premier éclairage sur les statistiques quant à la tendance générale.

M. Jean-Claude MARIN : Sur le rapport entre le contentieux général et le contentieux des procédures collectives, je ne peux que me référer au discours du président du tribunal de commerce de Paris, à la rentrée de 1997. En effet, le code de l'organisation judiciaire lui impose de faire un bilan. Il a rempli cette tâche lors de l'audience solennelle qui s'est tenue au début de l'année. 114 000 décisions avaient été rendues au cours de l'année 1997 et 45 500 affaires nouvelles ont été enrôlées au cours de la même année. Il s'agit du contentieux général hors procédures collectives.

S'agissant des ouvertures de procédures de redressement en 1997, il y a eu 6 300 ouvertures de procédures collectives dont 5 000 liquidations judiciaires. Ce sont les chiffres bruts. Rapportés au nombre de nos magistrats, on doit atteindre des ratios démesurés.

Les chiffres du parquet sont légèrement différents en raison des décalés de fin d'année dans l'enregistrement des affaires ouvertes au tribunal de commerce durant la dernière quinzaine de décembre et qui ne sont pas comptabilisées par le parquet de Paris au titre de l'année 1997 mais sur l'année suivante.

Au cours de l'année 1997, le parquet de Paris a enregistré 6 610 affaires de procédures collectives nouvelles. Quand j'ai pris la direction de la section financière, en septembre 1988, ce chiffre était d'environ 4 000.

Il me paraît aussi important de dire, en termes de statistiques et d'implication du parquet, que la loi de 1985 a été une loi de dépénalisation de la défaillance d'entreprise. Les commerces, les entreprises qui déposent leur bilan ne sont plus les faillis sur qui doit retomber l'opprobre de la faillite commerciale et de la banqueroute pénale. On a tenu compte du fait de la conjoncture économique : une entreprise pouvait fermer ses portes pour une autre raison qu'une faute de gestion ou la malversation. La loi de 1985 a entendu substituer, au moins dans l'esprit, certaines sanctions commerciales non pénales aux sanctions pénales traditionnelles de la banqueroute, les cas de banqueroute au sens de la loi ancienne étant réduits.

Le parquet de Paris, comme les autres parquets de France, a joué pleinement ce jeu de la dépénalisation. Il faut savoir qu'en 1985, d'après mes recherches, 50 % des informations ouvertes l'étaient pour des cas de banqueroute. Ce nombre est descendu en dessous de 5 %. En revanche, le parquet émet de manière quasi systématique, dès lors que les conditions légales sont remplies, un avis favorable à la saisine de la juridiction consulaire pour examiner s'il n'y a pas lieu à prononcer, pour faute de gestion, le comblement du passif par la personne physique, dirigeante de droit ou de fait de la personne morale, soit des procédures plus lourdes telles que le « retrait du permis de conduire » une entreprise qu'est l'interdiction de gérer ou d'administrer, ou la faillite personnelle au sens des dispositions des articles 180 et suivants de la loi de 1985.

Ainsi, non seulement le volume d'affaires a crû de manière considérable, mais la nature des fonctions du parquet a évolué, la répartition entre sanctions pénales et sanctions non pénales a considérablement évolué.

À titre d'exemple, en 1997, le parquet a émis 5 128 avis favorables à l'exercice de poursuites individuelles sur le fondement des articles 180 et suivants de la loi de 1985.

M. le Rapporteur : Quelle analyse faites-vous au parquet de Paris de la compétence des juges du tribunal de commerce de Paris ? Considérez-vous qu'ils sont correctement recrutés avec le pluralisme intellectuel ou socioprofessionnel nécessaire ? Le problème du conflit d'intérêts est sous-jacent dans la question. La gestion du conflit d'intérêts engendre des pratiques contrastées selon les ressorts.

Comment cela se passe-t-il à Paris ? Comment jugez-vous les problèmes de conflit d'intérêts ?

M. Jean-Pierre DINTILHAC : S'agissant de la qualité et du niveau des magistrats consulaires, Paris a sûrement une situation privilégiée en raison de la qualité des juges élus qui sont souvent des juristes. C'est ce que j'ai toujours entendu dire, aussi bien par les présidents des tribunaux de commerce, que j'ai eu l'occasion de rencontrer successivement au cours de l'exercice de mes différentes fonctions, que des magistrats et notamment par mes prédécesseurs...

Je ne crois pas qu'on puisse dire des juges élus qui composent le tribunal de Paris que ce sont des commerçants qui ignorent les règles de droit. C'est un avantage qui est aussi un inconvénient. Le tribunal de Paris, bien structuré et possédant en son sein des magistrats consulaires d'un bon niveau juridique a tendance à considérer qu'il dispose de la totalité des éléments de décision et que les juges, n'ont pas besoin du parquet sauf lorsqu'ils demandent son avis.

En outre, ce que M. Marin a dit des statistiques en faisant référence au discours du président, démontre qu'il n'y a pas une transmission systématique et régulière d'informations au parquet de Paris. Cela permettrait pourtant au parquet de Paris d'être tenu informé des activités du tribunal en termes statistiques. Si le président du tribunal de commerce possède un tableau de bord, celui-ci n'a jamais été régulièrement transmis.

Je fais cette réflexion, car je suis allé hier au tribunal de police où sont tenues des statistiques, qui sont transmises au parquet, ce qui permet de suivre l'activité de manière permanente.

Quant aux risques de conflits d'intérêts qui sont une caractéristique de la société actuelle, ils sont peut-être plus importants au tribunal de commerce d'autant que nous voyons dans beaucoup de domaines une baisse de la déontologie, du souci de ne pas mélanger l'intérêt personnel et l'intérêt collectif ; c'est le cas dans le domaine économique avec l'abus de biens sociaux qui existe dans le domaine politique également. Ce phénomène existe aussi dans le domaine judiciaire. Les juges consulaires sont concernés par ce phénomène non seulement lorsqu'ils connaissent l'une des parties du procès mais aussi parce qu'ils relèvent chacun de secteurs d'activités qui peuvent les mettre dans une situation de conflits d'intérêts. Mais ils ont parfois du mal à le comprendre et à se déporter.

Il faut réapprendre l'esprit civique aux jeunes des banlieues, mais il faut aussi le faire partout, y compris dans les juridictions, aux avocats comme aux magistrats, et sûrement aussi dans les tribunaux de commerce.

Nous sommes dans un domaine où des professionnels se jugent entre eux. Il en irait de même pour d'autres professions. Si les magistrats se jugeaient entre eux, il faudrait qu'ils soient vigilants à se déporter s'ils étaient de la même promotion ou s'ils avaient quelques affinités. Ce souci déontologique doit être une préoccupation majeure et le président doit jouer à cet égard un rôle déterminant.

C'est un domaine où d'ailleurs le parquet intervient parfois. Je sais de l'activité du parquet par des collègues magistrats qu'il leur arrive régulièrement, constatant qu'il y a un conflit d'intérêts, de le soulever et de le rappeler. Lorsque ce rappel est fait, les magistrats en tiennent compte et se déportent. Malheureusement, il arrive aussi que le parquet ne l'apprenne pas et que personne ne se déporte.

C'est également un élément pris en compte, notamment par la formation mise en place par la conférence générale des tribunaux de commerce de France. On ne peut pas dire que rien n'est fait ou que cette préoccupation n'existe pas, mais il n'est pas certain qu'elle soit au centre de l'exercice de la fonction de magistrat consulaire.

Ce n'est pas faire injure que de le dire ; plus on demande à une corporation d'être juge de son activité, plus cette corporation doit introduire des règles de totale impartialité au sens de la convention européenne et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Les parties au procès ne s'interrogent pas sur cet aspect des choses parce qu'elles n'en sont pas conscientes. Aussi les créanciers n'ont pas toujours la possibilité de connaître et de soulever ces questions de suspicion légitime ou contradictions d'intérêts.

C'est un point très important qui est au c_ur de la crédibilité du tribunal de commerce.

M. Jean-Claude MARIN :Je n'ai pas grand-chose à ajouter. En ce qui concerne la compétence, Paris représente un vivier exceptionnel, de nature à apporter, par le biais des élections consulaires, des magistrats compétents.

Simplement, je rappellerai qu'il y a trois niveaux de compétence dans ce domaine particulier : la compétence économique, la compétence juridique et la compétence judiciaire. J'ai tendance à dire que ce n'est pas tout à fait la même chose. Parfois, d'éminents juristes sont de mauvais juges, faute des connaissances des mécanismes judiciaires qui ne sont pas délivrées dans des conditions convenables par la faculté.

Sur le plan économique, la formation des magistrats parisiens est acquise avant l'élection et elle est de qualité. La compétence juridique l'est aussi : il y a beaucoup de juristes d'entreprise ou de gens qui ont été des directeurs juridiques d'entreprises. S'agissant des compétences judiciaires il existe une formation initiale et permanente, distillée par l'institution consulaire, au travers de la conférence générale. On n'est pas très à même d'évaluer l'efficacité de cette formation. Ce que l'on sait, c'est que les magistrats consulaires sont très avides de la parole du parquet sur ce que l'on peut faire ou ne pas faire dans le domaine de la procédure et dans le domaine du fonctionnement d'une juridiction.

La diversité du recrutement est difficile à évaluer. À Paris, il y a une représentation plus forte du monde bancaire qu'ailleurs en raison de la composition de l'électorat consulaire et sans doute une sous-représentation du petit commerce, de la PME-PMI. La répartition des magistrats consulaires au sein de la juridiction parisienne est surveillée de près par les entreprises. Elles considèrent donc que c'est une question importante.

En ce qui concerne le conflit d'intérêts, le problème est double : soit il existe un conflit d'intérêts qui n'est pas perçu comme tel par le magistrat ; il est en général patent et il suffit alors de dire qu'on ne peut pas faire ainsi, soit le conflit d'intérêts est perçu comme tel et est alors celé.

Le problème du parquet est de le connaître pour mettre en évidence le risque qu'il fait peser sur l'impartialité du tribunal. Chaque fois que le parquet sait, il le fait savoir de manière très claire.

M. le Rapporteur : Y a-t-il eu des cas de déport dans les dernières années qui ont pour origine des remarques du parquet ?

M. Jean-Claude MARIN : Il y a eu des cas où le parquet, en dehors de la procédure, a indiqué qu'il serait amené à prendre des réquisitions si la situation était la même à l'audience.

M. le Rapporteur : Avant l'audience publique ?

M. Jean-Claude MARIN : Avant l'audience publique.

M. le Rapporteur : Vous avez eu connaissance de la désignation soit d'un juge, soit d'un commissaire, soit d'un rapporteur...

M. Jean-Claude MARIN : Soit d'un membre de la formation collégiale.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Les interventions sont préventives.

M. le Rapporteur : Oui, il vaut mieux, pour assurer le sauvetage des apparences et la crédibilité de l'institution.

M. Jean-Claude MARIN : Et l'impartialité du jugement. Si possible !

M. le Rapporteur : La réponse des magistrats professionnels est souvent : « Nous sommes indépendants ». Les magistrats professionnels répondent qu'il faut aussi protéger l'apparence pour éviter la critique. Il y a donc des degrés dans la préservation de l'éthique qui ne semblent pas être vus de la même façon par les magistrats professionnels, éduqués à une grande école que nous connaissons, et par les magistrats consulaires recrutés et formés à d'autres pratiques.

De l'extérieur, tout cela apparaît comme deux mondes qui se frôlent, mais dont la culture n'est pas la même. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Certains aspects « culturels » sont fondamentaux. Il y a un problème consubstantiel aux tribunaux de commerce : en effet, par définition, si nous avons une juridiction spécialisée, c'est pour avoir des spécialistes qui connaissent la matière. Plus les magistrats consulaires connaissent la matière, plus ils ont tendance à considérer qu'il est légitime qu'ils soient juges de l'affaire.

La distinction faite par M. Marin entre la compétence juridique et la compétence judiciaire est très pertinente. Selon la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme, il faut tenir compte des apparences : plus il y a à l'évidence une proximité entre le justiciable et le juge, plus le juge doit se déporter. Or, le juge commercial a tendance à dire : "Si je n'ai pas un intérêt personnel direct, je n'ai pas de raison de me déporter ; au contraire, si je connais bien le secteur, si je suis dans le secteur, je le connais mieux et je serai meilleur juge".

Pourtant, si l'on est un commerçant et que l'on se trouve dans un secteur d'activités correspondant exactement à celui de la personne jugée, il peut y avoir une logique un peu corporatiste conduisant à ne pas avoir de neutralité. C'est là qu'il faudrait, lorsqu'on est trop près du secteur d'activité, se déporter parce qu'on n'a pas tout à fait la même appréciation des choses. La question déontologique n'est pas seulement une question morale et ne se pose pas seulement en ces termes : "Dans cette affaire, vais-je être proche parce que j'ai un intérêt qui fait que telle décision me procurera un avantage personnel ?"

Le juge consulaire devrait aussi poser cette question : "Aurai-je toute la liberté d'esprit, toute la neutralité de pensée par rapport à un secteur d'activité dans lequel je suis moi-même complètement impliqué et pour lequel la tendance sera de défendre corporativement ce secteur, pour diverses raisons, qui ne sont pas nécessairement illégitimes ?" C'est sûrement là le n_ud du problème, là où règne une incompréhension : le judiciaire et le parquet ont une exigence, non seulement morale mais aussi fondée sur les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme relative à l'impartialité du juge et qui repose sur l'exigence d'impartialité même dans les apparences.

M. le Rapporteur : La commission a eu un débat qui n'a pas été toujours courtois avec le président de la conférence générale des tribunaux de commerce, M. Mattéi concernant les statistiques relatives aux poursuites engagées sur tout le territoire français contre des juges consulaires. La statistique donnée par M. Mattéi est de quatre cas de condamnation par les organes disciplinaires.

La chancellerie, notamment le directeur adjoint aux affaires civiles, M. Lemaire, nous avait expliqué qu'en raison d'une malformation presque congénitale du texte organisant la discipline chez les magistrats consulaires, la démission faisait cesser toutes les poursuites disciplinaires, qui, elles, sont indépendantes des poursuites pénales.

Le chiffre des poursuites pénales est assez considérable aux yeux des membres de la commission, car il est de 63, dans les cinq dernières années, sur 3.000 juges consulaires.

J'ai prié M. Mattéi de comparer ces chiffres à ceux des poursuites disciplinaires engagées contre des magistrats professionnels qui est moins important de moitié, pour montrer qu'il existait des problèmes déontologiques spécifiques chez les juges consulaires.

Ma question est précise : y a-t-il eu des poursuites dans les dernières années, engagées sur le plan disciplinaire ou sur le plan répressif, à l'égard de magistrats consulaires du tribunal de commerce de Paris ? Des démissions s'en sont-elles ensuivies ? Nous, nous n'avons pas les moyens de le savoir ; nous avons besoin de l'aide du parquet pour le mesurer. Les démissions qui ont eu lieu, dont nous ne connaissons pas les raisons, l'année dernière, et sur lesquelles il serait bon que le parquet de Paris nous éclaire- doivent-elles toutes être interprétées de la même façon, au regard de ce que je viens de vous dire ? Il faut rester prudent.

M. Jean-Claude MARIN : Je le serai. Sur la culture judiciaire, il y a sans doute quelque chose que vous avez constaté vous-mêmes : la culture d'entreprise fait que le tribunal fonctionne plus comme une entreprise que comme un tribunal. Cela explique sans doute la prééminence réelle de la fonction présidentielle.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous approfondir ce point ?

M. Jean-Claude MARIN : J'y reviendrai. En ce qui concerne la discipline des juges consulaires, la difficulté d'appréhender les poursuites à leur égard réside dans un fait qui n'existe pas chez les juges professionnels. Les juges consulaires ont deux activités : celle de juge et celle d'entrepreneur. Il peut arriver que des poursuites soient engagées à l'égard d'un magistrat en fonction plus à raison de son activité professionnelle qu'à raison de son mandat de juge consulaire, même si, dans notre esprit, les faits commis au cours de son activité professionnelle étaient de nature à polluer l'exercice de son mandat judiciaire.

J'ai à l'esprit des activités de cautionnement de repreneur, etc. où un magistrat consulaire n'était pas du tout partie à la formation de jugement, qui aurait arrêté le plan. Il n'était pas interdit au parquet de penser, dès lors que le cautionnement était irrégulier, que la présence d'un autre juge consulaire aux côtés d'un repreneur était de nature à altérer l'impartialité du tribunal.

S'agissant des démissions, nous avons effectivement connu des exemples de magistrats consulaires qui ont démissionné en cours de mandat. Parmi ces démissions, il faut distinguer trois catégories distinctes.

La première catégorie, concerne des démissions pour convenances personnelles réelles. Certains magistrats n'arrivent pas à gérer les deux activités. Ou bien, en cours de mandat, un magistrat dans son entreprise fait face à une conjoncture particulièrement difficile et doit se consacrer pleinement à son entreprise. Cette première catégorie est sans doute la plus importante.

La deuxième catégorie comprend les démissions motivées soit par des risques de mise en cause, soit par le constat d'une incompatibilité, presque permanente et non ponctuelle, dans une affaire. La présence d'un ancien cadre du Crédit Lyonnais à un moment donné de l'activité du tribunal de commerce de Paris peut conduire un magistrat à dire en toute honnêteté qu'il préfère démissionner.

Certains cas relèvent davantage du disciplinaire ; on a même le sentiment que le magistrat a démissionné pour éviter l'enclenchement de la procédure disciplinaire à laquelle met fin la démission. C'est ce que Philippe Lemaire a dû vous dire.

La troisième catégorie, sans doute plus récente, est la catégorie à laquelle me semble appartenir Mme Rey : un magistrat démissionne parce qu'il ne s'estime pas en mesure d'accomplir sereinement sa tâche ; ou qu'il a un conflit personnel avec tel ou tel magistrat, voire avec le président du tribunal de commerce.

C'est à ce sujet que je veux revenir rapidement sur la fonction présidentielle. Le parquet est amené à dire que le code de procédure civile et les règles judiciaires s'appliquent au tribunal de commerce de Paris comme aux autres et notamment la règle du parallélisme des formes de la nomination des organes de la procédure. Le juge-commissaire est désigné par la formation qui ouvre la procédure et son mandat ne peut lui être retiré que par cette formation, soit parce qu'elle constate que le mandat de juge consulaire est terminé, soit parce qu'elle constate une demande ou une démission du magistrat.

Dans tous les tribunaux de commerce, il y a des pratiques qui consistent par une ordonnance présidentielle, à décider qu'untel n'est plus juge-commissaire et que tel autre magistrat va exercer. Chaque fois qu'il le constate, le parquet est amené à dire que ces ordonnances sont irrégulières et qu'il convient soit de les rétracter, si c'est possible, soit que le parquet interjettera appel, si ce n'est pas possible, en vertu d'un droit général d'appel. Je crois que Mme Rey a plutôt été dans cette situation, d'après ce que nous en savons.

M. le Rapporteur : La commission souhaiterait recevoir la liste des démissions des cinq dernières années avec votre appréciation sur les motifs. Nous avons besoin de confronter nos sources, comme ceux qui mènent des enquêtes journalistiques. Les enquêtes parlementaires ont besoin de sources recoupées.

Il serait peut-être intéressant pour nous d'interroger un ou deux de ces juges qui pourraient nous expliquer comment s'exerce concrètement cette fonction présidentielle apparemment hypertrophiée. Nous l'avons constaté à Auxerre, par exemple, le président du tribunal, en raison de sa forte personnalité, de son expérience, de son ancienneté, de sa notabilité, de son entregent, décidait de tout, et prenait des décisions qu'il n'était pas chargé de rendre.

M. Jean-Claude MARIN : Les lettres de démission qui nous sont notifiées sont des lettres très succinctes. Ce sont toujours des démissions pour convenance personnelle.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais aborder le volet des mandataires de justice. Nous avons constaté leur extrême influence face à des juges peu formés qui ne disposent pas de moyens d'expertise autonomes. Leur savoir, leur capacité d'expertise font jouer aux mandataires un rôle qui, dans certains cas, a conduit à des abus.

Mme Devigne, Magistrat de la Chancellerie chargée de les contrôler, nous a expliqué que se concentraient sur certains noms, un nombre de mandats de justice considérables. Et, à l'inverse, le tribunal ayant des favoris, d'autres semblaient être dans la disgrâce. Ainsi, des études hypertrophiées manipulant des milliards de francs, ont sur le tribunal une influence considérable alors que d'autres ont des difficultés.

Je voudrais connaître l'analyse du parquet sur les mécanismes de désignation par le tribunal, des mandataires de justice, la façon dont cela fonctionne concrètement et pour quelles raisons ce sont toujours les mêmes qu'on voit apparaître dans les procédures.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Le président du tribunal de commerce, à qui j'ai rendu une visite, comme à tous les présidents de juridiction dont je suis le procureur, a abordé cette question et je lui en ai parlé. Il m'a dit avoir un très grand souci de veiller à ce qu'il n'y ait pas de privilège ou de situation de monopole et m'a indiqué que cela se traduisait par un appel, à tour de rôle, à l'ensemble des mandataires de manière à éviter toute inégalité.

Ce processus m'a semblé intéressant, mais les magistrats qui interviennent au tribunal de commerce et auxquels j'ai fait part de cette satisfaction, m'ont répondu : « Oui, mais les dossiers ne sont pas équivalents ». Dans certains il n'y a absolument rien à gagner, dans d'autres la liquidation porte sur des sommes considérables. Il s'agit d'affaires qui n'ont rien de commun.

Voilà l'état de mes informations et donc de ma perplexité.

M. Jean-Claude MARIN : C'est un sujet sur lequel le parquet de Paris reste très vigilant, sans toujours disposer des éléments d'information : le problème est effectivement l'existence d'un outil statistique qui permette de dépasser la comptabilité en bâtons, pour y ajouter une comptabilité en rentabilité. Le problème des mandataires de justice est le nombre d'affaires impécunieuses. Si l'on écoute les plaintes des mandataires, ils disent : « J'ai beaucoup plus d'affaires impécunieuses que tel ou tel de mes confrères ».

C'est pourquoi nous avions demandé au tribunal de commerce de nous donner son outil statistique, ce qu'il a fait en partie par un courrier qui m'a été adressé en décembre 1997. Nous nous posions des questions sur la répartition des très grosses affaires pendantes devant le tribunal de commerce de Paris.

Je reprends dans l'ordre les questions que vous avez posées. L'influence des mandataires de justice sur les juges consulaires est sans doute moins importante à Paris qu'en province en raison de la formation économique et juridique des juges consulaires. Les analyses financières proposées par les mandataires de justice font l'objet d'une analyse critique et compétente de la part de juges consulaires armés pour exercer ces expertises.

Le problème est ailleurs. La première difficulté est le clientélisme ; à partir de quel moment le mandataire de justice intervient dans le cursus judiciaire, avant ou après jugement. La seconde difficulté est le droit de vie ou de mort de la juridiction consulaire sur le professionnel.

Quant au clientélisme, il est à la fois dangereux et, dans certains cas, inéluctable. Il est dangereux parce que, dès lors qu'un mandataire de justice prend des contacts avec une entreprise avant que le tribunal ne le désigne, étant persuadé que la juridiction le désignera, nous ne travaillons plus selon un mode de fonctionnement normal de l'institution. C'est le mandataire de justice qui décide que le tribunal va le désigner, ce qui n'est pas le sens normal de la procédure.

Nous veillons à chaque fois, à faire en sorte que ce clientélisme ne prospère pas. La difficulté majeure est que nous ne sommes pas certains que le parquet puisse interjeter appel de la désignation d'un mandataire de justice au seul motif que M. untel a été désigné et non M. untel.

Le texte sur l'appel du parquet en matière de désignation des mandataires de justice fait plutôt référence à des critères qui empêcheraient ce mandataire d'exercer sa fonction une fois qu'il a pris en charge sa mission. Chaque fois que des questions ont été posées en ce sens, nous avons réfléchi avec les magistrats chargés du tribunal de commerce et nous nous sommes dit que la recevabilité de notre appel serait sans doute critiquée, voire déniée par la cour d'appel ce qui est dangereux pour la crédibilité du parquet.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Cela fait mauvais effet.

M. Jean-Claude MARIN : Nous avons donc préféré éviter cet effet d'annonce.

Sur des dossiers très complexes, le mandataire peut être pressenti d'avance par la juridiction qui sait que le dépôt de bilan arrivera, dans le cadre de la prévention des difficultés. Cela peut être une démarche utile mais qui doit être surveillée. Prendre, par exemple, l'administration judiciaire d'une importante société de télévision n'est pas chose simple.

La deuxième question est le problème du périmètre des études. Nous sommes devant une difficulté essentielle : une étude doit être structurée pour fonctionner. Il existe un minimum en deçà duquel il ne faut pas descendre, sinon il y a recours systématique à la sous-traitance.

La taille des études est un élément important à prendre en compte. Si l'étude est hypertrophiée, on va générer un poids neutre très élevé et il faudra beaucoup de chiffre d'affaires pour dépasser le seuil de rentabilité minimale. En même temps, une étude trop petite est dangereuse de mon point de vue : cela signifie qu'on multipliera les recours à des intervenants extérieurs dont on sait qu'ils ne sont pas toujours payés par le mandataire désigné et souvent par l'entreprise. Il faut être vigilant.

À Paris, nous avons connu des cas pour lesquels le parquet a souligné que le mandataire avait souvent recours, de façon trop importante ou, en tout cas, trop coûteuse pour l'entreprise, à des intervenants extérieurs.

Je voudrais évoquer enfin le problème des honoraires parfois considérables qu'engendre l'application mécanique du texte sur le tarif. Certaines affaires ont donné lieu à des batailles homériques entre la juridiction consulaire « qui ne voulait pas taxer dans ces conditions qu'elle trouvait injustes » et un mandataire « qui ne faisait qu'appliquer le texte ».

Dans ce cas, on se retourne très souvent vers le parquet pour lui demander ce qu'il en pense. Mais le parquet ne peut pas juger la loi et le règlement.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : C'est un point intéressant dont le président Mattéi m'a également parlé et sur lequel la position du tribunal de commerce me semble très positive : il y a une appréciation en équité par rapport à l'application du tarif. Les juges consulaires disent ne pas vouloir appliquer un tarif qui crée une rente de situation aussi importante. On se tourne alors vers le parquet qui, à l'inverse, a une logique légaliste et se montre très embarrassé.

Il serait souhaitable que le texte permette une marge d'appréciation permettant d'adapter la taxe en fonction du travail effectué.

M. le Rapporteur : C'est une des préoccupations de la commission. Nous sommes en train de mesurer les dégâts occasionnés par ce tarif, y compris sur les petites entreprises. Mais cela compte pour les petites comme pour les grandes. La liquidation de La Cinq a engendré des honoraires himalayens. La situation est délicate également pour une entreprise qui n'a que 30 000 francs de passif qui le voit multiplier par deux parce qu'il faut payer 30 000 francs au mandataire-liquidateur. Le chirurgien pompe le sang du malade...

Je voudrais revenir sur un point important s'agissant des mandataires, à savoir le placement de fonds. La Caisse des dépôts et consignations nous a appris que les 500 mandataires de justice exerçant sur le territoire français avaient déposé 58 milliards de francs, c'est-à-dire l'équivalent de 2 points de TVA. Ce sont des chiffres considérables.

Plusieurs de ces auxiliaires de justice dépassaient le milliard dans le montant des fonds qui leur sont confiés annuellement.

Une circulaire du Garde des sceaux a rappelé dernièrement aux procureurs généraux -c'est une préoccupation récente de la part de la chancellerie et je m'en félicite - un certain nombre de condamnations, de jurisprudences des plus hautes juridictions de notre pays relatives à l'application de l'article 207 de la loi de 1985 « qui organise, réprime les délits de malversations » permettant à certains mandataires de justice à qui les fonds sont confiés de les utiliser à des fins personnelles.

Nous enquêtons sur cet aspect des choses. Une quarantaine de professionnels ont fait l'objet de redressements fiscaux ; ces professionnels avaient entreposé des sommes considérables sur des comptes. Des banques comme Gallière, Rivaud et aussi la SDBO, filiale du Crédit Lyonnais, aujourd'hui absorbée par le CDR, avaient passé des accords avec des professionnels pour la rémunération à titre personnel des mandataires.

On nous a indiqué qu'une enquête préliminaire était en cours à ce sujet. Je voulais savoir où en était le parquet de Paris dans cette enquête préliminaire. Les commissions d'enquête parlementaires peuvent poser toute question à ce sujet dès lors que les affaires ne sont pas à l'instruction,. Au stade de l'enquête préliminaire, nous nous considérons autorisés à interroger le parquet compétent.

M. Jean-Claude MARIN : L'affaire n'est pas à l'instruction ; une enquête préliminaire est en cours. Elle porte moins sur des rémunérations qu'auraient pu obtenir des mandataires de justice sur la base d'une sorte de contrat commercial consistant à privilégier tel et tel établissement de crédit pour l'ouverture des comptes professionnels et sur lesquels étaient affectés les comptes des entreprises gérées, mais plutôt sur les taux d'intérêt consentis sur des emprunts effectués par ces professionnels à titre professionnel ou privé, ce qui ne change pas la nature des faits.

Cette enquête préliminaire a été confiée à la brigade financière de Paris. Il est précisé que le cas d'un certain nombre de ces professionnels est examiné par d'autres parquets, car, dans une logique d'action publique, il a été décidé de confier l'enquête au parquet qui avait connaissance des mandataires de justice plutôt qu'à celui du lieu du siège social du prêteur à taux zéro ou quasi zéro.

Ainsi des enquêtes similaires sont menées par la cour d'appel de Versailles, essentiellement. Cette enquête est en cours ; elle concerne pour Paris une quinzaine de professionnels, administrateurs judiciaires et mandataires à la liquidation des entreprises. On en attend les résultats.

M. le Rapporteur : Cette enquête a-t-elle été ouverte à la demande de l'administration fiscale ?

M. Jean-Claude MARIN : C'est une enquête ouverte à la suite d'une transmission sur le fondement de l'article 40 du Code de procédure pénale.

M. le Rapporteur : Quand a-t-elle été ouverte ?

M. Jean-Claude MARIN : Je n'ai pas la date précise en tête, mais je pense que c'est à la fin de 1996 ou au début de 1997. Le délai d'enquête peut paraître anormal, c'est un problème.

M. le Rapporteur : C'est un sujet qui, par ailleurs, passionne le législateur !

M. Jean-Claude MARIN : ..qui dépasse très largement votre commission d'enquête, mais sachez que la brigade financière de Paris est totalement submergée.

M. le Rapporteur : Je l'ai noté.

Si des charges doivent être retenues, dans quel délai déboucheront-elles sur la saisine de la juridiction d'instruction ou d'une juridiction de jugement ?

M. Jean-Claude MARIN : Il est trop tôt pour dire ce que fera le parquet au vu d'une enquête qui n'est pas terminée. On nous a promis que cette enquête verrait son aboutissement juste avant ou juste après l'été. J'ai tendance à dire que c'est au vu des résultats cette enquête que le parquet de Paris prendra une position qui peut n'être pas globale pour l'ensemble des professionnels : les situations peuvent être très différenciées.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Elles peuvent l'être selon les parquets. Nous n'en sommes actuellement qu'aux indices. S'il y a des charges, il y aura une instruction ; si les indices n'ont pas l'air de pouvoir être confirmés et devenir des charges suffisantes, il n'y aura pas d'instruction.

Le problème, vous le connaissez, ce sont les moyens d'investigation de la police judiciaire. On dépasse là le cadre du débat sur le tribunal de commerce. Dans tout le secteur économique et financier, il y a une explosion de la demande qui ne s'est pas encore accompagnée des moyens. Très en amont, au niveau de la police judiciaire, ensuite de la justice, des magistrats, du parquet et du siège.

M. le Rapporteur : C'est une des préoccupations du législateur. Il faut aboutir à la constitution d'un pôle de lutte contre la délinquance financière.

Mais nous débordons un peu de notre sujet. Je veux revenir sur un point qui a attiré notre attention : la faible désignation d'experts en diagnostic au tribunal de commerce de Paris, qui a créé une cellule prévention. Curieusement, les experts en diagnostic se plaignent de n'avoir jamais été désignés depuis que la loi les a institués.

Ce n'est pas le cas dans d'autre ressorts, mais à Paris, il semble que la prévention soit dévolue aux anciens présidents de tribunaux de commerce de Paris. Je voudrais connaître la position du parquet à ce sujet.

M. Jean-Claude MARIN : L'implication du parquet dans les procédures de prévention est quasi nulle. Nous sommes partagés entre la cohérence de notre mission qui nous pousserait à nous y impliquer et la faiblesse de nos moyens qui nous fait redouter des pouvoirs nouveaux.

Les experts en diagnostic viennent régulièrement au parquet, une fois par an ou un peu moins, se plaindre de l'absence de ce type d'expertise sur Paris. Le tribunal de commerce de Paris a une cellule de prévention qui fonctionne plutôt bien : elle a au moins le mérite d'exister et de fonctionner.

M. le Rapporteur : C'est un point positif.

M. Jean-Claude MARIN : C'est un des points positifs. Elle est assez active. D'ailleurs, dans ce domaine, l'expérience parisienne a beaucoup aidé notamment à la réforme du 10 juin 1994, sur l'évolution et la prévention des difficultés des entreprises. Il faut aller encore un peu plus loin, mais la juridiction parisienne considère qu'avec ses magistrats honoraires, elle a le vivier nécessaire à l'expertise et au diagnostic des difficultés des entreprises ; elle n'entend pas avoir recours à des intervenants extérieurs. Le parquet ne peut qu'en faire le constat puisqu'il n'a pas de pouvoir en ce domaine.

M. le Rapporteur : Pour conclure, nous pourrions peut-être évoquer les points sur lesquels la loi de 1985 pourrait évoluer du point de vue de l'intérêt public.

Je vous interroge sur la loi sur les faillites en qualité de praticien. Si l'inspiration initiale semble faire consensus, ce sont plutôt les pratiques que cette loi a engendrées qui sont en discussion.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : S'agissant de la loi de janvier 1985, je n'ai pas le sentiment que l'on puisse considérer qu'elle soit à refaire. C'est un texte qui a été pris au moment où le développement des difficultés des entreprises, avec la crise économique, était déjà présent. Elle a bien pris la mesure de la nécessité de faire de la prévention, autant que possible, sortir d'une vision de pure sanction pour essayer d'assurer le sauvetage ou les conditions de liquidation les meilleures possibles des entreprises. Je n'ai pas suffisamment d'expérience et de pratique personnelle, mais ce que j'en ai entendu jusqu'à présent, avant même de prendre mes fonctions, est que la loi de 1985 est une bonne loi pour l'essentiel.

Il y a certainement des améliorations de détail à apporter, des clarifications à faire quant au rôle du parquet  qui est empreint d'une certaine ambiguïté. Dans la mesure où le parquet a des moyens très limités, les formules très générales figurant dans la loi conduisent à abandonner tout ce qui n'est pas prévu formellement.

La loi de 1985 ne me semble pas faire l'objet de nombreuses contestations. En revanche, les modalités d'application n'ont pas été à la hauteur de l'ambition initiale.

L'espoir mis dans la prévention a été dépassé par l'ampleur de la crise économique, mais il s'agit d'une réalité économique qui n'est pas imputable à la loi. Il est difficile avec des entreprises sans capital de garantir le paiement des créances et la poursuite de l'activité. L'aventure économique est difficile et à haut risque en période de crise. Avec l'aggravation de la crise, qui semble maintenant reculer, on ne peut pas demander à cette loi de faire des miracles ; on ne peut pas reprocher à la loi d'avoir souhaité sauver tout ce qui pouvait l'être.

En bref, c'est une bonne loi, mais ses moyens de mise en _uvre n'ont pas été mis en place.

M. Jean-Claude MARIN : La loi de 1985 est une bonne loi,. Je ne pense pas que, de 1985 à 1998, il y ait matière à remettre en cause cette ratio legis, même si 1994 a peut-être trop déplacé le dispositif en faveur des créanciers privilégiés et des banques.

Cependant, nous rencontrons de manière récurrente certains problèmes.

En premier lieu, la loi de 1985, pas plus que le droit des sociétés en général, ne connaît le droit des groupes. Ainsi, se pose fréquemment la difficulté de savoir quelle procédure appliquer pour connaître, au sein d'une seule et même juridiction, de l'ensemble des sociétés constituant un groupe. Il peut y avoir un intérêt à ce que la synergie économique soit connue dans le cadre d'une synergie judiciaire.

En l'état actuel des textes, si les diverses entités du groupe n'entrent pas en confusion de patrimoine, chacun des tribunaux de commerce de chacun des sièges sociaux des sociétés du groupe devra être saisi, quitte à enclencher la mécanique de l'article 7 de la loi, quant au dessaisissement des unes et des autres, mécanique qui peut passer par la Cour de cassation pour obtenir enfin un regroupement judiciaire de l'ensemble des problèmes posés par ce groupe. C'est un élément auquel il faudra peut-être réfléchir.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Cela concerne d'ailleurs non seulement les entreprises en difficulté mais le droit des sociétés en général. C'est une carence de la loi de 1966.

M. Jean-Claude MARIN : On le rencontre dans d'autres domaines que celui des procédures collectives. Actuellement, il n'y a qu'un droit qui prend en compte les groupes : le droit fiscal. Il ne répond pas à tous les impératifs économiques. La tentation serait de passer par la confusion des patrimoines pour qu'un seul tribunal connaisse l'ensemble puisqu'il n'y aurait qu'un seul patrimoine commun. Or, on génère une mécanique extrêmement dangereuse : on va ligoter l'ensemble des entités à un sort commun.

Je prends un exemple que nous connaissons, hélas, de façon récurrente à Paris et dont le cadre juridique a été récemment modifié par la loi de modernisation des activités financières du 2 juillet 1996 : c'est le problème des banques.

Il se trouve que la loi du 2 juillet 1996 a mis un terme à une théorie hasardeuse, pratiquée pour la bonne cause : la distinction entre la personne morale et l'activité de l'établissement de crédit. Dans le cadre général où l'affaire vient à déposer son bilan à la suite d'un retrait de l'agrément, d'une radiation, comme on dit aujourd'hui, par la commission bancaire, on tentait de trouver des solutions, notamment pour les déposants, par le biais de plans de cession qui étaient en fait des plans de gestion des sorties de l'actif, c'est-à-dire une sorte de liquidation judiciaire active que l'on remettait à telle ou telle entité privée, fut-elle composée de déposants.

Cette fiction de la séparation de la personne morale et de son activité est définitivement condamnée par la loi du 2 juillet 1996 puisque c'est désormais la commission bancaire qui fixe la date de la liquidation de la personne morale. Donc, la juridiction consulaire voit sa décision déjà imprimée par la décision de l'institution administrative.

Si l'on applique la confusion des patrimoines à un groupe au sein duquel se trouve une banque, il n'y a aucune chance de redressement pour des activités industrielles étrangères à l'activité bancaire. C'est en cela que cette mécanique est dangereuse.

Cela me permet de dire aussi qu'il faudra réfléchir sans doute, à la situation des déposants : en effet, la difficulté dans la liquidation des activités bancaires consiste dans la coexistence de créanciers de type classique, de créanciers interbancaires et de déposants qui sont des entreprises, des particuliers, qui sont tous chirographaires. Donc, en vertu du jeu des privilèges puis de l'égalité des créanciers chirographaires ils se trouveront dans des situations extrêmement périlleuses. Puisqu'elle se trouve sur la place publique, l'affaire Pallas - Stern en est sans doute un exemple vivant.

M. le Rapporteur : J'ai eu des électeurs, au moins une trentaine, qui ont perdu toutes leurs économies : des paysans, des agriculteurs qui ont travaillé toute leur vie pour voir toutes leurs économies disparaître.

M. Jean-Claude MARIN : La mécanique égalitaire est sans doute inégalitaire ou, en tout cas, aboutit à un résultat inégalitaire.

En second lieu, on souhaiterait que le problème des appels des sanctions prononcées, dès lors que le parquet n'est pas partie principale, soit clarifié. Il faudrait que la recevabilité des appels du parquet ne puisse pas être contestée.

Le dernier point posant problème est le contrôle des cessions d'actifs dans la période liquidative. Il faudra peut-être inventer des mécanismes de compte rendu qui impliquent éventuellement le parquet. Là encore, nous ne sommes pas demandeurs de tâches nouvelles. Mais le contrôle de la phase "cession d'actifs", en fin de période liquidative est organisé de manière floue par la loi du 24 janvier 1985.

M. le Rapporteur : Il faudrait certainement introduire dans les textes davantage de possibilités de discussion tout au long de la procédure collective.

C'est une des constantes des critiques envers cette loi. Les salariés, par exemple, ne sont pas à égalité d'armes devant les autres parties. Le débiteur lui-même, dans la première phase de redressement, face aux administrateurs judiciaires est dans une position d'infériorité.

N'y aurait-il pas moyen d'amener le débiteur et l'administrateur judiciaire à coopérer pendant cette phase ?

La commission essaye de mesurer ce qui est structurel, lié au système que le législateur a mis en place et ce qui relève des pratiques engendrées par l'histoire de la juridiction consulaire, par sa particularité et par la façon dont les mandataires ont conquis leurs positions dans les tribunaux.

M. Jean-Pierre DINTILHAC : Monsieur le député, je voudrais vous dire que j'ai beaucoup apprécié que vous nous entendiez. En effet, pour le moment, le statut du parquet fait l'objet d'un débat. Sans y pénétrer, je peux dire que je suis très favorable à une autonomie au parquet, mais que je suis aussi très défavorable à la rupture de tous les liens, du cordon ombilical. Il me semble que la juste mesure est sûrement le dialogue ; l'autorité judiciaire a besoin de dialoguer avec le pouvoir exécutif, mais elle a aussi besoin de dialoguer avec le pouvoir législatif.

Il est important que les magistrats qui appliquent la loi puissent être entendus, à l'une ou l'autre occasion, d'une manière ou d'une autre, sur les problèmes qu'ils rencontrent dans l'application des textes et qui peuvent tenir au contenu même de la loi. C'est vrai pour la loi du 25 janvier 1985. C'est pour cela que votre démarche est utile.

Ensuite, quelles que soient les critiques que l'on puisse faire sur son fonctionnement -il est utile et nécessaire que toute institution fasse son autocritique-, l'existence des tribunaux consulaires est globalement une richesse dans notre paysage judiciaire français dans la mesure où ils contribuent à la pluridisciplinarité et à la diversification.

Le problème est d'associer des cultures, de les harmoniser, de les faire se comprendre pour que chacun fasse les pas nécessaires pour tenir compte de la logique de l'autre.

Audition de Mmes Anne-José FULGERAS, chef de la section financière et commerciale, Eliane HOULETTE, premier substitut et de M. René GROUMAN, substitut, au tribunal de grande instance de Paris.

(procès-verbal de la séance du 7 mai 1998 au tribunal de grande instance de Paris)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

Mmes Fulgeras, Houlette et M. Grouman sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, Mmes Fulgeras, Houlette et M. Grouman prêtent serment.

M. le Rapporteur : La commission explore les conditions dans lesquelles le parquet est amené à exercer les missions qui lui sont confiées par le législateur, à travers les deux grandes activités des tribunaux de commerce, qui sont le contentieux général et les procédures collectives.

L'expérience sur le terrain que nous avons faite des juridictions consulaires où nous sommes allés - Auxerre et Saint Brieuc - montrent à chaque fois que des écarts, des anomalies, des originalités sont constatés, le parquet sert de point d'appui aux juges consulaires pour répondre à ces reproches. Ils disent avoir obtenu l'autorisation du parquet.

Le parquet est à la fois convoqué comme instrument de protection des tribunaux de commerce, dans leur fonctionnement ou dysfonctionnement, et sommé d'assumer un rôle qu'il n'a pas, c'est-à-dire celui de juge du siège, comme s'il devait être associé à la décision permettant ainsi au tribunal de commerce d'être au-dessus de tout reproche.

Je pose les termes du débat de façon un peu provoquante. Mais je crois que c'est ainsi que l'on atteint la vérité.

Mme Anne-José FULGERAS : Je crois, en effet, que le parquet, dont le rôle est de plus en plus important devant les juridictions consulaires, est souvent utilisé - comme conseiller voire malheureusement parfois - comme caution. On attend des magistrats du parquet qu'ils interviennent comme conseillers juridiques... C'est peut-être lié au fait que les juges consulaires n'ont pas toujours la formation qui leur est indispensable. Je ne sais pas comment est organisée la formation des juges consulaires à Paris. Je pense qu'il est tenu compte de leur cursus personnel pour les affecter à telle ou telle chambre.

À Paris, le problème de la compétence et des connaissances est cependant moins aigu qu'en province mais mes collègues sont fréquemment consultés sur des points de droit et leur présence est souhaitée dans la plupart des affaires délicates.

La place que doit occuper le parquet devant les juridictions consulaires et l'efficacité de son rôle, dépendent des moyens dont il dispose. En tout état de cause, je ne pense pas que l'on puisse aplanir les difficultés que connaissent aujourd'hui les tribunaux de commerce en se contentant de renforcer le contrôle des parquets, même si ce contrôle est à mon sens tout à fait utile et important.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : il y a dix ans, il y avait 2.500 procédures collectives ouvertes à Paris, chaque année. Actuellement, il y en a plus de 6.500. Il y a dix ans, il y avait deux magistrats affectés exclusivement à la représentation du ministère public au tribunal de commerce ; aujourd'hui, ils sont toujours deux.. Les moyens en secrétariat ont plutôt tendance à s'amenuiser qu'à augmenter. Parallèlement, les pouvoirs et les devoirs attribués par la loi aux parquets ont été accrus.

Au cours de ces dix dernières années, ont émergé des contentieux de nature et d'ampleur nouvelles telles que des défaillances de grands groupes immobiliers ou de grandes banques, générant un travail très particulier, beaucoup plus pointu, de recherche juridique.

Pour toutes ces raisons, je pense que les moyens actuels du parquet de Paris pour assurer ce rôle important sont indécents.

Quelles sont les conséquences de ce manque de moyens ? Quand on n'a pas les moyens de ses devoirs, on est obligé de procéder à des arbitrages. M. Grouman et Mme Houlette ne peuvent pas décemment, physiquement, n'ayant pas le don d'ubiquité, se rendre à toutes les audiences du tribunal commerce. Ils doivent donc opérer des choix et aller à celles qui leur paraissent les plus importantes, celles dans lesquelles leur rôle leur paraît le plus nécessaire.

Ils font ces choix avec beaucoup de conscience et assurent une présence très assidue. Néanmoins, ils ne sont pas partout ; cela veut dire qu'aujourd'hui les mailles du filet du contrôle du parquet ne sont pas très serrées et que certaines anomalies peuvent lui échapper.

Par ailleurs, il est très important que le parquetier présent à une audience du tribunal de commerce le soit en ayant la totale maîtrise du dossier. En effet, sa seule présence risque d'apparaître comme une caution s'il n'a pas totalement la maîtrise du dossier et s'il ne peut répondre à toutes les questions qui peuvent se poser au cours de l'audience.

J'attache personnellement beaucoup de prix à ce que la présence du parquet au tribunal de commerce soit toujours utile, même si elle est insuffisante.

Voilà pour les moyens. Encore une fois, il me semble illusoire de prévoir des textes qui renforcent les pouvoirs du parquet si, parallèlement, les moyens qui permettent de remplir effectivement le rôle qui lui est assigné ne sont pas renforcés.

En ce qui concerne la perception que je peux avoir, en tant que chef de la section financière, du fonctionnement général du tribunal de commerce de Paris, je vous précise tout d'abord que je ne suis à ce poste que depuis 3 ans. J'ai connu deux présidences du tribunal de commerce. Je suis frappée par le poids très important de la fonction présidentielle au tribunal de commerce. Ce n'est peut-être pas une question d'hommes, mais plutôt une question de culture. J'ai l'impression qu'à Paris plus que dans les tribunaux de province, les juges consulaires sont davantage des cadres supérieurs que des dirigeants de petites sociétés, ce qui pèse peut-être, de façon psychologique ou sociologique, sur le fonctionnement général de l'institution.

Je pense en effet que la culture de l'entreprise n'est pas la culture du monde judiciaire. L'indépendance des juges, le respect du contradictoire, sont des valeurs totalement intégrées, naturelles dans le monde judiciaire, qui ne me semblent pas, en revanche, totalement naturelles dans le monde très particulier que constitue le tribunal de commerce, en tout cas le tribunal de commerce que je connais, c'est-à-dire celui du tribunal de commerce de Paris.

Mes collègues sont conduits très régulièrement à rappeler le grand principe d'indépendance, selon lequel c'est au juge, et au juge seul, qu'il appartient de prendre la décision et de l'assumer en toute indépendance. Ce sont les principes d'une justice républicaine. Le respect du contradictoire est aussi un principe qu'il faut fréquemment rappeler.

Est-ce lié au mode de nomination des magistrats consulaires ? Il est vrai qu'à Paris, la nomination d'un président au tribunal de commerce s'accompagne nécessairement d'une certaine influence, de la recherche d'appuis, d'un certain clientélisme. Inutile de se le cacher.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que les juges se considèrent comme des délégués du président dans telle ou telle affaire ?

Mme Anne-José FULGERAS : Je n'irai pas jusque là. Chaque juge a sa propre conception de sa mission.

Cependant dans quelques dossiers, il y a eu des revirements de décisions de la part des juges qui ne pouvaient pas s'expliquer par la logique ou le raisonnement juridique. Il nous est donc arrivé de nous poser des questions sur le processus décisionnel.

Pour avoir discuté avec certains vieux juges consulaires, il apparaît assez clairement que, dans l'esprit de certains en tout cas, l'indépendance du tribunal de commerce est une indépendance collective et non pas une indépendance individuelle. Pour nous, magistrats, le juge dispose d'une indépendance personnelle, lui permettant, dans tous les dossiers qui lui sont soumis, de prendre sa décision en fonction de son appréciation, de son analyse du droit et de ses convictions personnelles.

Au tribunal de commerce, on a le sentiment que cette indépendance est plutôt vécue d'une façon collective avec un chef qui dispose d'un pouvoir prépondérant.

À l'évidence, cela dépend aussi de la personnalité du président. Sur ce terrain, comme en d'autres d'ailleurs, la vertu ne se décrète pas, le respect des grands principes non plus.

M. le Rapporteur : Tout à l'heure, vous parliez de nominations, comme s'il n'y avait pas d'élections.

Tous les juges disent eux-mêmes qu'ils se cooptent. Cette cooptation peut avoir des conséquences si, en effet, les juges sont en quelque sorte nommés par un président et que ce président considère avoir une sorte de droit d'évocation sur la quasi totalité des décisions qui viennent dans son tribunal au nom de la gestion de l'institution. Je ne parle pas de la politique juridictionnelle ou jurisprudentielle, mais de la gestion d'une institution qui peut quand même poser certains problèmes.

Mme Anne-José FULGERAS : Cela ne peut pas être sans conséquences...

M. le Rapporteur : Politiques ?

Mme Anne-José FULGERAS : Sur l'indépendance des juges.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous donner des exemples de revirements ?

Mme Anne-José FULGERAS : On pourrait évoquer un cas dont Mme Houlette parlerait mieux que moi : le dossier « Travelstore » dans lequel on a constaté qu'en ce qui concerne la cession de la marque "Travelstore", le juge-commissaire a successivement pris deux décisions totalement contradictoires, à quelques jours d'intervalle. Ce revirement nous étonne, suscite de notre part des interrogations sur ses raisons profondes. C'est un exemple parmi d'autres. Un autre exemple, dont je ne peux vous parler puisqu'il est apparu au cours d'une information judiciaire, concernait une intervention dans un dossier du président et d'un juge qui lui était très proche.

M. le Rapporteur : La question des conflits d'intérêts est vraiment une question lancinante à laquelle la commission et confrontée de façon récurrente. La question de l'indépendance des juges par rapport au milieu d'où ils viennent, est un problème qui est posé avec d'autant plus de force que les dossiers qu'ils ont à trancher mettent en jeu des intérêts, notamment bancaires ou économiques dans lesquels eux-mêmes ont des intérêts personnels. Elle se pose inévitablement, dans une faillite retentissante, de banques par exemple, ou de grandes entreprises dont les créanciers sont parfois, même souvent, des amis ou des soutiens des juges eux-mêmes dans leurs affaires personnelles.

Mme Anne-José FULGERAS : Bien sûr. C'est incontournable.

M. le Rapporteur : Le justiciable peut avoir le sentiment de se retrouver dans un entrelacs d'intérêts dont il ne peut pas démêler l'écheveau, dont il ne peut pas mesurer les tenants et les aboutissants, et s'interroger sur la crédibilité des juges, même si ceux-ci ne sont pas forcément malhonnêtes.

Mme Anne-José FULGERAS : Non, les juges peuvent être gênés eux-mêmes par cette situation. Ils sont nécessairement, compte tenu de leur mode de désignation, des hommes d'affaires. Ils sont donc, nécessairement, au c_ur du monde des affaires. À travers ces grands dossiers, ils sont obligatoirement appelés à être en relation avec des personnes qui, à un moment donné, ont pu leur apporter un soutien. Ils peuvent en être terriblement gênés. Il ne s'agit pas de créer une suspicion générale sur les juges consulaires mais d'intégrer une réalité qui peut peser sur l'impartialité des décisions.

M. le Rapporteur : Mme Houlette, racontez-nous la vie quotidienne d'un magistrat du parquet face au tribunal de commerce de Paris. Combien de juges le composent ?

Mme Eliane HOULETTE : 160 à 170. René Grouman et moi, nous nous rendons quasiment tous les jours au tribunal de commerce, puisqu'il y a, des audiences qui ont trait aux procédures collectives, pratiquement tous les jours  : le lundi, le mardi, le mercredi consacré aux sanctions, le jeudi et le vendredi compte tenu du fait que certains juges, qui étaient en procédure collective l'année passée, qui ne le sont plus l'année suivante, continuent à suivre leurs affaires en tant que juges-commissaires dans les chambres de contentieux. Si bien que nous pouvons donc nous y rendre tous les jours. Nous essayons de ne pas y aller le vendredi, mais il m'arrive quand même d'y aller parce que des affaires importantes sont traitées par un juge-commissaire.

À cet égard on peut se demander si le juge-commissaire ne s'institue pas parfois en juge unique. Certaines affaires viennent devant des chambres de contentieux général, composées, avec de la chance, par des juges qui ont connu des procédures collectives et qui sont donc parfaitement au fait de la loi de 1985, qui peuvent donc délibérer en connaissant très bien les ressorts de cette loi et les affaires. Parfois, par malchance, les juges ne connaissent pas cette loi et doivent statuer quand même sur son application. Dans ce dernier cas, c'est le juge-commissaire qui prend la décision.

Personnellement, je vais au tribunal de commerce le lundi matin et le lundi après-midi, le mercredi matin, le jeudi matin et l'après-midi, et, parfois, le vendredi après-midi. Cela représente beaucoup d'audiences, une présence assidue, avec pour contrepartie, que cette présence est parfois assurée au détriment de l'examen des dossiers. Normalement, nous devrions voir tous les dossiers ici mais nous les examinons imparfaitement. Nous devons concentrer notre attention sur les procédures plus particulières, plus sensibles dans lesquelles les enjeux sont plus importants. Ce qui n'empêche pas de suivre pratiquement toutes les procédures.

Personnellement, c'est l'activité des chambres de sanction que je suis le moins assidûment : il y a souvent deux ou trois chambres de sanctions qui siègent en même temps. Nous devons choisir. Parfois même, comme actuellement, le mercredi, en même temps que les chambres de sanctions, siège une chambre de procédures collectives. Nous devons donc choisir entre les dépôts de bilan qui sont extrêmement importants et la chambre de sanctions.

Nous sommes confrontés à un manque de moyens évident, ce qui nous donne parfois l'impression de faire un travail très superficiel.

M. le Rapporteur : Comment les informations vous parviennent-elles ? Quel type de relations entretenez-vous avec les juges consulaires ? Comment votre attention est-elle attirée sur tel ou tel type d'affaires ?

Mme Fulgeras nous a beaucoup parlé des arbitrages que vous devez faire ; qu'est-ce qui fait que le parquet a une oreille plus attentive à l'égard de telle affaire plutôt que telle autre ? Comment les juges consulaires considèrent-ils eux-mêmes votre rôle ?

Mme Eliane HOULETTE : C'est variable. J'ai toujours l'impression que les juges consulaires apprécient et sont demandeurs de la présence du parquet aux audiences. Nos relations avec les juges consulaires sont excellentes. Je trouve très profitables nos conversations. Ils nous apportent beaucoup parce qu'ils ont un regard sur la vie économique plus concret que le nôtre. Nous, nous avons une vision très en retrait de l'économie. Et ils ont beaucoup à nous apprendre sur le monde des affaires. Je suis très à l'écoute des informations qu'ils peuvent me donner.

Il faut bien reconnaître que nous sommes informés en réalité par les mandataires qui sont notre source première d'informations. Nous assistons aux audiences de dépôts de bilans. Nous savons, lors d'un dépôt de bilan, quelles sont les affaires qui sont plus importantes que d'autres, celles qui semblent soulever d'emblée des difficultés, soit parce que les débiteurs viennent à grand renfort d'avocats, soit parce qu'eux-mêmes, lors du dépôt de bilan, donnent tous les renseignements qui permettent d'évaluer l'importance de la société, le nombre des salariés et l'importance du passif, etc.

Ces premiers éléments nous permettent déjà de savoir quelles sont les affaires que l'on va suivre très attentivement. Parmi les sociétés qui font l'objet d'un dépôt de bilan au tribunal de commerce, certaines sont très connues.

Par la suite, l'information nous vient essentiellement des mandataires. D'abord, des administrateurs judiciaires. Ensuite, des mandataires-liquidateurs quand ces affaires vont en liquidation. Il faut faire une nette distinction entre les affaires suivies dans le cadre d'un redressement judiciaire et celles qui font l'objet d'une liquidation.

Pour ce qui concerne les redressements judiciaires, nous avons des relations cordiales et suivies avec les administrateurs. Mais nous sommes dépendants d'eux : les administrateurs sont tenus de nous adresser un rapport ; certains nous donnent des informations supplémentaires ce qui nous permet d'avoir une connaissance très vive du dossier. Certains préfèrent ne pas le faire : nous connaissons alors moins bien le dossier.

Dans toutes les affaires significatives les administrateurs nous tiennent, je crois, bien informés. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas, en dehors de nous, des réunions, des relations avec le juge-commissaire, auxquelles nous n'assistons pas et dont les éléments peuvent nous échapper. C'est une réalité.

M. le Rapporteur : Vous signalez que votre première source d'information provient donc plutôt des mandataires de justice que des parties ?

Mme Eliane HOULETTE : Il n'est pas rare que les parties viennent, écrivent au parquet ou demandent des rendez-vous. Il m'arrive de recevoir des parties qui ne comprennent pas bien la procédure, qui estiment n'être pas tenues suffisamment informées. Dans ce cas, j'explique les limites de mon intervention, le rôle de chacun et les possibilités que les parties détiennent. J'ai dernièrement conseillé à une partie de faire désigner un contrôleur par le juge-commissaire, en expliquant que c'était leur droit et que cela leur permettrait d'avoir un droit de regard sur la procédure.

Il arrive également que des avocats de débiteurs ou de créanciers nous sollicitent pour nous demander de surveiller de près telle procédure.

M. le Rapporteur : Les informations ne viennent donc pas du tribunal mais plutôt des mandataires et des parties ?

Mme Eliane HOULETTE : Certains juges n'hésitent pas, dans les dossiers importants, à s'adresser à nous. Mais l'un des problèmes du tribunal de commerce vient du fait que les juges viennent une journée par semaine. Ils consacrent une journée par semaine au traitement des procédures dont ils sont chargés. Comme vous le savez, ils ont tous d'autres activités professionnelles ; l'activité consulaire vient en sus.

Je ne l'interprète pas comme une mesure de défiance à l'égard du parquet, mais comme le fait qu'ils ont peu de temps à consacrer à leur activité consulaire.

M. le Rapporteur : Finalement, les informations vous parviennent en quelque sorte en fonction de la bonne volonté des mandataires ?

Mme Eliane HOULETTE : En fonction de la bonne volonté des uns et des autres. Il y a des informations obligatoires qui sont prévues par la loi : des rapports sont transmis. Mais en dehors des rapports, il y a d'autres informations ; celles-là dépendent effectivement de la bonne volonté des uns et des autres.

M. le Rapporteur : Nous avons constaté que les points importants de la procédure collective, souvent, dépendent de l'administrateur judiciaire qui a un rôle considérable dans le tri, dans la présentation des offres, surtout lorsqu'on s'achemine vers un plan de cession.

S'il y a le rite judiciaire à respecter au tribunal entre les parties, tout semble se jouer ailleurs.

Voilà le sentiment que nous avons eu à Auxerre et à Saint-Brieuc ; La décision se prend ailleurs et parfois dans des endroits assez originaux : dans le bureau du maire de la ville. C'est ce que le parquet nous a dit à Auxerre s'agissant d'une décision de reprise qui avait fait l'objet de revirements, d'anomalies. Je n'ai jamais réussi à savoir pourquoi, en questionnant l'administrateur judiciaire, le président du tribunal, le juge-commissaire, il y avait eu ce flottement, qui avait d'ailleurs provoqué une polémique dans la presse locale. Finalement, c'est le parquet qui nous a indiqué que la décision avait été prise dans le bureau du maire d'Auxerre.

À cet égard votre impression selon laquelle les choses se déroulent ailleurs, où vous n'êtes pas, m'intéresse.

Mme Eliane HOULETTE : Je ne pense pas que ce soit tout à fait la même chose à Paris. J'ai souvent l'impression que le débat judiciaire n'a pas exactement lieu dans les salles d'audience, là où il doit normalement avoir lieu. Cela étant, dans la majorité des procédures à Paris, tout se déroule très normalement. Les administrateurs font très correctement leur travail, je crois.

Pour les dossiers les plus sensibles, les plus difficiles, en tout cas ceux qui mettent en jeu les intérêts économiques les plus importants, à Paris comme ailleurs, les débats ne se déroulent pas toujours dans les salles d'audience. S'agissant des petites entreprises dont les juges sont plus éloignés, tout se déroule à peu près normalement me semble-t-il. En revanche, pour les affaires sensibles, délicates et importantes, c'est peut-être un peu différent.

Je dis toujours avoir l'impression que le débat judiciaire n'a pas lieu réellement là où il doit être. C'est une impression que je peux avoir et que les parties peuvent également ressentir. Tout le monde ne me semble pas avoir les mêmes armes dans le débat.

M. le Rapporteur : Puisque nous sommes entrés dans les travaux pratiques, notre attention a été attirée sur certaines affaires qui font l'objet d'une polémique, dans la presse nationale. Je souhaiterais connaître votre sentiment sur les conditions dans lesquelles, par exemple, l'affaire du Royal-Monceau a été traitée. M. Mattei a été particulièrement attaqué. Dans un article du Figaro, M. Mattei répondait à un certain nombre de questions posées par un journaliste sur les conditions dans lesquelles le tribunal s'était curieusement comporté dans cette affaire.

Pourriez-vous, non pas réagir à ces déclarations de M. Mattei dans la presse, mais nous dire comment cette affaire a été gérée à vos yeux ? Comment et pour quelles raisons le parquet a-t-il fait appel de la décision, ce qui arrive rarement n'est-ce pas ?

Mme Eliane HOULETTE : Il est vrai que nous pourrions user plus régulièrement de notre faculté d'appel. Si nous ne le faisons pas, c'est, là encore, parce que la matière des procédures collectives est très spécifique et est marquée par la notion d'urgence. L'appel ralentit, interrompt brusquement le cours des choses.

Par exemple, dans le cas de plans de cession, les repreneurs ne sont plus les mêmes, ne donnent pas suite à leur offre. Les choses se modifient totalement entre la décision du tribunal et le moment où l'affaire est évoquée devant la cour d'appel. Ce qui fait qu'on utilise peu ce pouvoir d'appel ; on pourrait l'utiliser plus fréquemment.

Dans cette affaire j'ai souhaité faire appel, parce que je n'ai pas compris la décision du tribunal. Et je l'ai dit.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous rappeler l'ensemble des éléments de cette affaire ?

Mme Eliane HOULETTE : Le tribunal de commerce a ouvert le 5 avril 1996 une procédure générale de redressement judiciaire au bénéfice de 18 sociétés qui constituaient le groupe Royal-Monceau. Ces 18 sociétés s'occupaient de l'exploitation de sept hôtels, qui étaient en réalité des palaces : l'hôtel Royal-Monceau, l'hôtel Vernet, l'hôtel Miramar à Biarritz, l'hôtel Miramar Crouesty à Port Crouesty en Bretagne, l'hôtel Elysée Palace à Nice, l'hôtel Ours Blanc à l'Alpe d'Huez, le Grand Hôtel à St-Jean-de-Luz.

Cette procédure faisait suite à un mandat ad hoc qui avait été confié à Me Meille. Ce mandat ad hoc avait échoué : le passif du groupe Royal-Monceau. -on dit « groupe », mais il n'y a pas eu de confusion de patrimoine prononcée par le tribunal- le passif était à plus de 90 %, bancaire. Il y a eu quinze mois de procédure d'observation. Le tribunal de commerce a examiné, au début du mois de juillet 1997, des plans de redressement par voie de continuation et des plans de redressement par voie de cession. Le 1er août 1997, il a opté pour un plan de redressement par voie de continuation.

En fait, la décision ne comportait véritablement aucun motif. Je l'ai critiquée sur le plan économique, sur le plan juridique et sur le plan moral. Ce groupe était dirigé par une personne, M. Aïdi qui, de mon point de vue, n'avait pas respecté ses engagements bancaires ; il avait un passif considérable. L'endettement se répartissait entre le Crédit foncier, le GOBTP, la Banque Paribas, le GITT, le Crédit national, la Bayerische Bank et la SDBO.

Le passif bancaire était de 2,321 milliards de francs, auxquels on pouvait ajouter des intérêts, des emprunts non réglés pour 120 millions de francs, les versements de crédit bail dus à la Société générale pour 42 millions de francs. Le passif total s'élevait donc à 2,483 milliards de francs.

À l'époque, lors de l'ouverture du redressement judiciaire, nous avions pris connaissance d'une note établie par M. Martineau, ancien président du tribunal de commerce, décédé en 1997, qui avait été désigné conciliateur, après l'échec du mandat ad hoc, par le tribunal de commerce. Il avait indiqué dans une note qu'il était déraisonnable de penser que consentir au groupe de sociétés des délais de paiements et des annulations d'une partie de la dette, pourrait résoudre les problèmes posés par la situation de ce groupe.

Dans le cadre du mandat ad hoc, les banques créancières avaient fait un certain nombre de propositions et formulé des exigences pour annuler une partie des dettes de M. Aïdi. Celui-ci avait refusé de répondre à ces exigences, ce qui explique que les sociétés soient parvenues en redressement judiciaire. Curieusement, dans le cadre du redressement judiciaire, elles ont accepté ce qu'elles avaient refusé auparavant. Elles se sont alors montrées favorables au plan de continuation avec des montages financiers complexes et des rachats de créances.

Sur le plan économique, et sur le plan moral, cela m'avait paru absolument pas crédible.

M. Le Rapporteur : Pour quelles raisons ?

Mme Eliane HOULETTE : J'ai estimé que le plan de continuation reposait sur des déclarations d'intention de remettre de l'ordre dans un fatras de sociétés, de montages juridiques et d'opérer une restructuration juridique. Mais il n'y avait aucun apport de capitaux propres faits par les dirigeants de la société. Les données commerciales et financières apportées étaient très imprécises et les hypothèses économiques faites pour le remboursement des dettes étaient totalement irréalistes parce que trop optimistes, de l'avis même de l'expert entendu au cours des débats.

Elles s'appuyaient surtout sur un contrat avec un groupe hôtelier, un groupe allemand à capitaux d'origine thaïlandaise, le groupe Kempinsky.

Au moment de la chambre du conseil, le tribunal ne disposait d'aucun élément financier sérieux et précis sur ce groupe. Compte tenu du passif important à rembourser, j'ai estimé que le tribunal ne pouvait pas, sur la base d'éléments totalement imprécis, voire inexistants, se prononcer pour un plan de continuation.

M. le Rapporteur : Qui était l'administrateur ?

Mme Eliane HOULETTE : Maître Meille.

M. le Rapporteur : Quelle était sa position sur cette solution finalement décidée ?

Mme Eliane HOULETTE : Il serait souhaitable que vous puissiez entendre Me Meille lui-même sur le dossier, mais il était, me semble-t-il, réservé. Il a présenté le plan de continuation puisque le débiteur le souhaitait ; il l'a présenté, mais m'a semblé être réservé quant à sa réussite.

M. le Rapporteur : Il n'a pas osé l'exprimer peut-être ?

Mme Eliane HOULETTE : Il l'a dit à l'audience.

M. le Rapporteur : Et dans son rapport ?

Mme Eliane HOULETTE : Oui, dans son rapport, également. Trois jours avant l'audience, il a adressé aux débiteurs un certain nombre de courriers très circonstanciés critiquant le plan ou reprochant au débiteur de ne pas étayer ses affirmations.

Sur le plan juridique, se posait la question de l'application de l'article 93 alinéa 3 de la loi n°85-98 du 25 janvier 1998 ; le tribunal aurait dû répondre à cette question mais il ne l'a pas fait.

Enfin, sur un plan moral, j'estimais que le tribunal ne pouvait cautionner de nouveaux accords entre les banquiers et quelqu'un qui les avait déjà trompés. C'était mon analyse.

C'est ce que j'ai dit au tribunal, mais celui-ci ne m'a pas suivie. J'ai fait appel parce que j'ai constaté qu'il n'y avait aucune motivation, aucune explication à une décision si importante. La Cour ne m'a pas suivie.

M. le Rapporteur : Le parquet général a-t-il soutenu la position du parquet de Paris ?

Mme Eliane HOULETTE : Modérément. Il serait plus intéressant pour vous d'en discuter avec l'avocat général, M. Alexandre.

M. le Rapporteur : Qui était le procureur général ?

Mme Eliane HOULETTE : M. Benmakhlouf. M. Alexandre n'était pas convaincu par les arguments du parquet concernant l'utilité de l'appel. Le raisonnement de la Cour a peut-être été de considérer que l'appel n'avait pas lieu d'être dans la mesure où la majorité des créanciers étaient d'accord.

Mme Anne-José FULGERAS : Ce qui nous choquait, c'est que cet accord semblait être intervenu au terme d'une « négociation ». Il y a eu comme un parfum de menace, de chantage, concernant le règlement du passif.

Mme Eliane HOULETTE : Il y a eu un certain nombre de contentieux parallèlement à la procédure collective, menés par le dirigeant du groupe, par le groupe contre les banques. Avec notamment la menace d'un procès pour soutien abusif, avec des demandes de dommages et intérêts colossales.

Les banques pouvaient peut-être se reprocher l'imprudence avec laquelle elles avaient accordé des crédits. Tout est là : elles ont consenti des crédits et des abandons de créances, des délais de paiement dans des conditions sur lesquelles on pouvait s'interroger et qui pouvaient être critiquables.

Tout cela est indiqué dans mon rapport d'appel. Toutes ces banques ont eu très peur de se voir actionner en responsabilité, de voir leur responsabilité mise en cause. Elles ont donc conclu une transaction avec M. Aidi. Il y a eu un protocole transactionnel conclu la veille ou l'avant-veille de l'audience, dont il a été fait état au cours des débats en cour d'appel. Il en a été fait également état au cours des débats devant le tribunal de commerce. Aux termes de ce protocole, les banques acceptaient le plan de continuation élaboré par le dirigeant du groupe avec pour seule contrepartie l'abandon de toutes les procédures contentieuses.

Un seul établissement n'a pas accepté de transiger : l'U.I.S. D'ailleurs, il plaide ce matin. C'est extrêmement intéressant : beaucoup de choses seront dites à propos de l'affaire Royal-Monceau devant la 5e chambre de la cour d'appel. C'est le seul créancier qui a refusé de négocier avec le groupe.

Mme Anne-José FULGERAS : C'est pour cela que considérer l'accord des banques comme l'argument principal pour soutenir ce plan de continuation nous a paru incorrect.

Mme Eliane HOULETTE : Les abandons de créances des banques représentent en tout au minimum 250 millions de francs.

M. le Rapporteur : La commission d'enquête reçoit beaucoup de courrier et j'ai cru comprendre que les banques considéraient qu'elles n'avaient aucune chance de se défendre avec le tribunal de commerce de Paris, compte tenu des conditions dans lesquelles l'affaire était engagée.

La question, telle que vous la posez, est d'une importance considérable. En effet, un certain nombre des protagonistes de l'affaire ont voulu s'adresser au Rapporteur pour indiquer qu'ils considéraient être sous la menace d'une sorte de connivence, de complaisance entre le débiteur failli et le tribunal de commerce de Paris.

C'est une accusation grave. Si elle était vérifiée, elle poserait de graves questions sur le fonctionnement normal des institutions consulaires. De la même façon, dans des affaires que nous avons examinées de près dans les tribunaux de commerce de province où nous avons constaté des faiblesses de la part de certains magistrats consulaires, la question des conflits d'intérêts, des connivences que nous posions dans l'introduction de cette audition, semble être d'actualité dans certain cas. Ce sont des allégations faites par un certain nombre de protagonistes.

Mme Eliane HOULETTE : Il est certain qu'à l'occasion du traitement du dossier « Royal-Monceau », on pouvait légitimement se demander si l'impartialité et la sérénité qui doivent normalement être la règle du débat judiciaire existaient devant le tribunal de commerce. Il y a cependant eu des réactions saines à l'intérieur du tribunal de commerce. En effet, des juges se sont adressés à moi pour me dire : « Le président du tribunal de commerce veut présider l'audience. Nous savons qu'il a reçu le débiteur, ce qui est son droit. Mais il l'a reçu avec son avocat en dehors de la présence des autres parties. Nous nous interrogeons donc. Nous avons un doute objectif sur son impartialité ».

Cela m'a amenée à en parler au procureur-adjoint, M. Marin, et à Mme Fulgeras. Finalement, la chose a dû revenir aux oreilles du président qui a décidé lui-même de ne pas présider. Mais il entendait jusqu'au dernier jour présider lui-même l'audience. Peut-être est-ce pour marquer l'importance qu'accordait le tribunal à une affaire particulièrement grave. Pour les parties, cela aurait pu être interprété de façon différente.

M. le Rapporteur : Finalement que s'est-il passé ?

Mme Eliane HOULETTE : La solution n'était pas parfaitement heureuse, dirai-je : une chambre spéciale a été composée. Ce n'est pas rare. Il arrive parfois que des chambres spéciales soient formées.

M. le Rapporteur : Pour les besoins de la cause ?

Mme Eliane HOULETTE : Oui. Le dossier aurait dû venir normalement devant la 14e chambre qui s'occupe des procédures collectives. Ce n'est pas la 14e chambre qui a statué, mais c'est une chambre composée spécialement comportant le vice-président du tribunal, un ancien vice-président et un président de chambre qui était aussi juge-commissaire suppléant. Il s'agissait donc d'une formation particulière.

M. le Rapporteur : Le président du tribunal a-t-il voulu s'inclure dans cette formation particulière ?

Mme Eliane HOULETTE : Non. Le président du tribunal avait voulu présider la formation et il ne l'a pas fait parce que le parquet lui a dit qu'il ne pouvait pas le faire.

M. le Rapporteur : Pour quelles raisons ? Quels arguments ont été invoqués ?

Mme Eliane HOULETTE : Je n'étais pas dans le bureau de M. Marin mais la raison en est simple : un juge qui a reçu une partie hors la présence des autres parties peut volontairement ou involontairement ne plus être totalement impartial.

Il lui a été demandé de ne pas nuire au crédit de la décision qui allait être prise, par sa présence, dans la mesure où cette rencontre était connue. En fait, nous parlons de cette rencontre, mais il s'agit de ces rencontres. C'est surtout cela.

M. le Rapporteur : Plusieurs rencontres ?

Mme Eliane HOULETTE : D'après les juges...

Mme Anne-José FULGERAS : Je pense que c'est ce que M. Marin lui a fait valoir : la seule rumeur de ces rencontres risquait de peser sur la sérénité du débat.

Mme Eliane HOULETTE : Il avait lui-même dit à plusieurs juges du tribunal : « Je l'ai déjà rencontré », mais je crois qu'il ne s'est pas rendu compte...

Mme Anne-José FULGERAS : Question de culture !

Mme Eliane HOULETTE : D'autant que lors d'une conversation, le président m'avait lui-même indiqué qu'il avait, à de multiples occasions, rencontré au cours de diverses réceptions, le débiteur, et notamment à la mairie de Paris. C'est un débiteur qui est beaucoup intervenu dans la procédure. Il a été très présent tout le temps par de multiples interventions. Le président avait eu de multiples occasions de le rencontrer dans la vie courante. Cela jette un doute objectif sur l'impartialité du juge dans ce cas.

Le parquet s'est opposé. Mais c'est néanmoins une chambre spéciale qui a été constituée dont deux des magistrats ne connaissaient absolument pas le dossier.

M. le Rapporteur : Et qui ont été sommés de rendre une décision dans quel délai ?

Mme Eliane HOULETTE : Ils ont mis leur délibéré à un mois ; l'audience s'est tenue début juillet et le jugement a été rendu pour le 1er août. L'audience s'est tenue sur deux jours pleins.

M. le Rapporteur : Vous avez dit tout à l'heure que les juges consulaires avaient eu une réaction saine en s'adressant au parquet. Hier, nous avons posé à M. Marin la question de la démission d'un certain nombre de juges qui ont dû, pour des raisons personnelles, quitter le tribunal de commerce de Paris. Avez-vous une analyse de la façon dont aujourd'hui certains magistrats consulaires décident de quitter leurs fonctions ? Pour quelles raisons ?

Car nous avons peut-être l'intention d'en entendre un ou deux. Nous avons parlé hier de Mme Rey à M. Marin. Pourquoi a-t-elle démissionné ?

Mme Eliane HOULETTE : En fait, Mme Rey n'a pas démissionné. L'histoire de Mme Rey est un peu particulière.

Mme Rey est un excellent juge. Un jour, elle a accepté de répondre à un journaliste du « Revenu français ». Il avait reproduit ses propos qui n'étaient pas du tout explosifs et concernaient le travail du juge-commissaire. Il avait été joint à ce petit encadré sa photo. Il semble que cette interview n'ait pas plu au président du tribunal qui a considéré que c'était une atteinte à la déontologie des juges et aux règles de fonctionnement d'un tribunal.

Du jour au lendemain, il a décidé de lui retirer tous ses mandats de juge-commissaire, ainsi que ses délégations, aux mesures d'instruction et aux référés.

Le parquet lui a fait observer que c'était anormal, qu'il n'avait pas le droit de la faire. Donc, il s'en est donc suivi une polémique assez vive, à la suite de laquelle nous avons adressé un rapport au parquet général et à la chancellerie.

Finalement, Mme Rey a démissionné à la demande du président qui l'a menacée de ne pas la présenter aux prochaines élections, de ses commissariats, pour ne pas envenimer les choses. Elle a été affectée à une chambre de contentieux général. Elle était rééligible en 1997. Le président du tribunal de commerce a donc proposé sa candidature. Ces candidatures passent par un organisme qu'on appelle « le CIEC ». Entre le moment où elle est passée devant ce comité intersyndical pour les élections consulaires et le jour de l'élection, elle a reçu une lettre du président de ce comité qui lui demandait de retirer sa candidature, compte tenu de ce même article du « Revenu français ».

M. le Rapporteur : Qui datait d'un an auparavant ?

Mme Eliane HOULETTE : Qui datait d'un an, mais qui avait été plus ou moins repris par un journaliste de « L'Expansion ». Le président du CIEC lui a reproché de faire parler d'elle et lui a donc demandé de retirer sa candidature . Ce qu'elle n'a pas fait. Elle a donc été élue au début novembre, je crois. À la suite de son élection, le président a décidé de la mettre hors roulement, de ne lui donner aucune affectation. Le parquet qui l'a appris lui a conseillé de prendre rendez-vous auprès du premier président. Je crois que ce dernier a réussi à résoudre la situation. Mme Rey a été réintégrée, mais dans une chambre de sanctions, ce qui est différent et ne correspondait pas à ses voeux.

Cet exemple illustre surtout le poids de la fonction présidentielle et les abus d'autorité qui peuvent exister et que l'institution permet.

M. le Rapporteur : Cette organisation interne n'est-elle pas codifiée par les textes ?

Mme Eliane HOULETTE : Non. Elle n'est pas du tout codifiée, mais je me souviens qu'au cours d'une conversation avec le président du tribunal, celui-ci m'a déclaré : "Que vous le vouliez ou non, nous sommes hiérarchisés". Ce sur quoi, je ne peux pas être d'accord avec lui. Aucun juge en France ne le peut.

M. le Rapporteur : Les juges qui sont venus vous parler, dans l'affaire Royal-Monceau - je reviens un peu en arrière -, sont-ils toujours en fonction au tribunal ?

Mme Eliane HOULETTE : Certains sont en fonction ; certains n'y sont plus. Ils se sont quand même émus de la façon dont a été suivi ce dossier.

En apparence, le président a peut-être le désir de bien faire car il se tient informé de toutes les procédures importantes du tribunal, que ce soient des procédures collectives ou des procédures de contentieux général. Mais, je pense qu'en raison de son attitude, les parties peuvent avoir l'impression que le débat n'a pas lieu dans les salles d'audience mais ailleurs.

M. le Rapporteur : Quels étaient les propos de ces juges consulaires à l'égard de leur président ?

Mme Eliane HOULETTE : Je crois qu'ils veulent à la fois protéger leur président et leur institution. Pour la plupart, les juges sont fiers d'appartenir à l'institution consulaire, animés des meilleures intentions. Ils veulent éviter toute entorse aux règles de procédure et souhaitent que cela se passe bien. Je le crois.

M. le Rapporteur : Comment fait-on une démarche auprès du parquet dans une telle affaire ? Racontez-nous ce qui s'est passé dans votre bureau, ce jour-là.

Mme Eliane HOULETTE : Avant l'audience, nous disposons de peu de temps ; un juge vient vous voir et demande à s'entretenir quelques instants avec vous pour vous dire : « J'ai appris que, dans cette affaire, le président envisageait de tenir l'audience lui-même. Or, ce n'est pas une bonne chose. Le parquet ne pourrait-il pas intervenir ? » C'est la démarche qu'ont faite deux ou trois ou quatre juges consulaires, toujours en exercice, d'ailleurs.

Ils étaient inquiets ; ils considéraient que ce n'était pas normal. Ils demandaient au parquet de faire quelque chose. En fait, ils prêtent au parquet un pouvoir beaucoup plus considérable que celui dont nous disposons en réalité. Le parquet n'est qu'une partie jointe. Il n'est là que pour donner son avis sur l'application du droit, sur l'intérêt économique de telle ou telle offre quand il s'agit de cession. Le parquet n'est pas là pour prendre des décisions à la place du tribunal.

Mme Anne-José FULGERAS : Je crois néanmoins que ce genre de démarches reste exceptionnelle. Le sentiment que j'ai est que les juges souffrent beaucoup de l'image un peu dégradée de l'institution. Ils ne veulent en rien y participer en révélant au grand jour tel ou tel dysfonctionnement.

Mme Eliane HOULETTE : Tout à fait.

Mme Anne-José FULGERAS : Je pense donc que beaucoup de ces dysfonctionnements ne parviennent pas à notre connaissance par souci de protéger l'institution.

Mme Eliane HOULETTE : Et le président étant celui qui représente l'institution, on le protège pour protéger l'institution.

M. René GROUMAN : Je souscris complètement aux propos de Mme Houlette, mises à part quelques précisions. Je reviens sur le problème de l'information qui me paraît très important. Nous sommes dans une situation d'extrême dépendance. La qualité de notre information dépend de ce que l'on veut bien nous dire. Notre première source d'information, ce sont les rapports faits par les mandataires de justice, que ce soient les administrateurs judiciaires, ou les mandataires-liquidateurs.

Je voudrais nuancer un peu les propos qui ont été tenus, étant précisé que la quasi totalité des administrateurs judiciaires qui exercent dans le tribunal de commerce de Paris sont d'une très grande compétence technique. Mais je ne suis pas toujours certain qu'eux-mêmes aient une vision parfaitement claire de la situation de l'entreprise pendant la période d'observation. Par conséquent, l'information qu'ils nous répercutent n'est pas tronquée, mais est forcément partielle.

Nous avons quand même des moyens de faire face à ce problème. Dès le début de la procédure, nous avons déjà une première vision de la situation en fonction de l'importance de l'entreprise, du nombre de salariés, de l'importance du chiffre d'affaires, voire, dans certains cas, des informations qui sont déjà connues parce qu'une enquête pénale est en cours, (c'est rare), concernant la société en question.

Nous pouvons aussi analyser les documents comptables, qui nous sont communiqués. Au début de la procédure, les chiffres fournis par le dirigeant de l'entreprise, lorsqu'il dépose son bilan, sont à prendre avec précaution, compte tenu de la situation de l'entreprise. Ensuite, il y a toujours un travail d'analyse des documents comptables à faire pendant la période d'observation.

Il m'est arrivé à plusieurs reprises depuis septembre 1994, lors de l'audience, lorsqu'on examine les plans, plan de continuation, plan de cession ou les deux, de découvrir finalement que les informations comptables ne sont pas toujours très fiables. Ce n'est pas nécessairement la faute de l'administrateur qui, dans 99 cas sur 100, a une mission d'assistance, mais celle du chef d'entreprise qui reste en place pour diriger son entreprise.

Je confirme également ce qu'a dit Mme Houlette sur le fait que, dans certains cas, dans certains dossiers, nous avons le sentiment qu'avant le débat judiciaire, il peut y avoir un débat occulte et que la décision est déjà quasiment arrêtée.

Je voudrais citer comme exemple une affaire grave, datant de 1992-1993, faisant l'objet d'une information pénale dans laquelle le plan de cession arrêté soulève le trouble et l'inquiétude. L'affaire n'est pas encore jugée, il s'agit de l'affaire Epargne Viager.

Mme Anne-José FULGERAS : L'affaire Smadja est aussi une affaire ancienne ; il s'agit d'un grand groupe immobilier.

Il y a eu des intérêts communs qui se sont noués et concrétisés avec un des dirigeants de la banque qui finançait le groupe. Les conditions du dépôt de bilan, et surtout le moment de ce dépôt posent question. Il s'agit d'une affaire assez ancienne. Cela remonte à 1994. C'est Isabelle Didier qui a monté le dossier.

Avaient été mis en place des protocoles qui avaient permis à la banque de mettre à l'abri des actifs intéressants et de les sortir du périmètre de la procédure collective. Cela s'était fait dans le cadre d'un règlement amiable.

M. le Rapporteur : J'ai déjà vu cela dans d'autres affaires.

M. René GROUMAN : Les règlements amiables, les mandats ad hoc, posent la question de principe de savoir si la pratique consistant à désigner comme mandataire ad hoc d'anciens magistrats n'est pas discutable. C'était assez fréquent il y a quelques années. C'était le cas dans cette affaire. Il y a eu une période où la pratique était tombée en désuétude, mais il semble qu'elle renaisse.

Mme Eliane HOULETTE : Ils sont parfois désignés comme commissaires à l'exécution du plan.

M. René GROUMAN : C'est plus rare. Par exemple, dans l'affaire Pallas-Stern, nous avons appris, - dans des conditions procédurales qui peuvent être discutées et qui seront discutées -, qu'avait été désigné comme mandataire ad hoc pour une mission assez précise, dans le cadre de la réalisation des actifs, l'ancien vice-président du tribunal de commerce de Paris, qui n'est honoraire que depuis deux ans. Il était encore tout récemment vice-président du tribunal de commerce de Paris.

Mme Eliane HOULETTE : D'anciens présidents sont fréquemment nommés mandataires ad hoc dans les affaires les plus importantes.

M. le Rapporteur : Les honoraires sont-ils importants ?

M. René GROUMAN : Ils sont libres : il n'y a pas de réglementation. Le mandat ad hoc, c'est un peu la convention des parties. Le président désigne un mandataire ad hoc, mais la fixation des honoraires se fait entre le mandataire et les intéressés.

Mme Eliane HOULETTE : Cela peut être très rémunérateur.

M. René GROUMAN : Je peux préciser ce qui vient de se passer dans l'affaire de la banque Pallas-Stern, qui est en liquidation judiciaire. Le tribunal, dans le cadre de cette procédure de liquidation judiciaire, et le juge-commissaire ont déterminé les conditions dans lesquelles devait se dérouler le processus de réalisation des actifs. Ces actifs sont essentiellement de nature immobilière, mais consistent également en des créances toujours détenues sur des tiers, ainsi qu'en diverses participations industrielles ; l'ensemble était évalué par les mandataires-liquidateurs aux alentours de 2,5 milliards.

Dans le cadre du processus de réalisation des actifs, et après autorisation du juge du tribunal et du juge-commissaire, a été mise en place une chambre de données ou Dataroom. Les divers candidats se présentent dans ce local rue Paul Valéry, dans le 16è arrondissement de Paris. Ils sont enfermés dans une pièce où ils peuvent étudier tous les documents. C'est un processus fixé par une décision de justice, et qui est applicable à l'ensemble des candidats intéressés.

Par ailleurs, dans le cadre de ce processus, un calendrier a été fixé qui prévoit que les offres éventuelles devront être remises sous pli cacheté, pour le 29 mai 1998. Ensuite, le juge-commissaire devra procéder à leur dépouillement à une date qui a été fixée pour le moment au 11 juin, en présence d'un huissier-audiencier, et du parquet.

Or, un candidat repreneur, semble vouloir contourner ce processus ; il souhaite déposer une offre globale de rachat de l'ensemble des actifs - elle a d'ailleurs été déposée officiellement auprès du juge-commissaire - et demande de statuer avant le 1er juin, c'est-à-dire à un moment où le juge-commissaire n'aura pas connaissance des autres offres. Certes, l'offre est assortie de certaines conditions, de possibilités d'augmentation des actifs, mais elle se présente dans des conditions procédurales particulières.

Mme Eliane HOULETTE : Les principes d'égalité et de transparence ne sont pas respectés.

M. René GROUMAN : Le second point, peut-être encore plus particulier, est qu'il s'agit d'une offre adossée à une contribution volontaire, demandée aux principaux actionnaires de Comipar... D'ailleurs, en réalité, l'achat des actifs se fait, non en totalité mais en grande partie, avec cette contribution volontaire, c'est-à-dire des fonds qui proviennent en réalité des anciens actionnaires, de Comipar. Ce candidat demande donc, en quelque sorte, qu'on lui donne acte des accords qu'il a passés ou qu'il est sur le point de passer avec les actionnaires et demande aussi qu'ultérieurement le tribunal considère comme satisfactoire, au sens du comblement du passif, la contribution volontaire qui serait effectuée par les actionnaires.

Mme Anne-José FULGERAS : Pour les mettre à l'abri de toute sanction.

Mme Eliane HOULETTE : Et permettre aux anciens actionnaires de racheter les actifs.

M. René GROUMAN : Non, non. De lui permettre à lui de racheter les actifs.

Ce qui est plus important encore, c'est qu'au moment où ce candidat a commencé à élaborer cette offre - au début du mois d'avril -, les accords avec les actionnaires n'étaient pas encore conclus ; il a sollicité du président du tribunal la nomination d'un mandataire ad hoc aux fins, notamment, de s'assurer de la réalité de ces accords. Ce mandataire est l'ancien vice-président dont nous parlions.

Cette ordonnance a été rendue. Elle a été confirmée ultérieurement, car les délais impartis au mandataire ad hoc ont été prorogés. Le parquet a déposé une assignation en référé pour demander au président du tribunal de rétracter cette ordonnance.

Nous estimons qu'elle contrevient aux dispositions de la loi de 1985 et aux décisions de justice qui étaient déjà rendues dans le cadre de la réalisation des actifs. Cette affaire est en cours.

Mme Eliane HOULETTE : On détourne là encore la procédure, car ce qui relève de la compétence du juge-commissaire est fait par le président du tribunal. Il attribue une compétence qui n'est pas la sienne.

M. le Rapporteur : C'est vrai que la description que vous faite de cette succession un peu chaotique d'éléments judiciaires et procéduraux donnent l'impression que le tribunal cherche les moyens de favoriser l'un des protagonistes.

M. René GROUMAN : C'est le sentiment qu'ont d'autres candidats qui s'en sont déjà inquiétés.

M. le Rapporteur : Cela me suffit pour comprendre.

Avez-vous d'autres considérations générales ou particulières à faire valoir sur les conditions dans lesquelles vous exercez ?

M. René GROUMAN : Le manque de moyens a déjà été souligné et je ne peux que le confirmer. Je voudrais revenir sur la toute première question. Souvent, les juges consulaires utilisent l'expression suivante : « Notre échevinage, c'est le parquet ». C'est bien entendu un contresens absolu. Cela démontre qu'ils sont demandeurs de l'intervention du parquet mais aussi qu'ils s'en servent comme caution.

M. le Rapporteur : Ils veulent bien des magistrats professionnels, mais périphériques, pour protéger les apparences ; et non à l'intérieur, là où les décisions se prennent.

M. René GROUMAN : Officiellement, ils s'opposent à l'instauration d'un véritable échevinage.

Mme Eliane HOULETTE : Quand on discute avec certains d'entre eux, il n'y a pas une pensée unique. Certains sont tout à fait favorables à l'échevinage.

Mme Anne-José FULGERAS : Il faudrait des porte-parole.

Mme Eliane HOULETTE : Il est évident que des magistrats professionnels pourraient les aider dans le maniement des règles des procédures qui sont très complexes.

M. le Rapporteur : Avez-vous encore quelque chose à ajouter ?

M. René GROUMAN : Travelstore.

M. le Rapporteur : C'est une affaire qui a défrayé la chronique. La commission n'a eu connaissance de l'affaire qu'à travers la presse. Votre éclairage sera le bienvenu. C'est une de ces nombreuses affaires en cours, je crois ?

M. René GROUMAN : Il y a une information pénale à Nanterre.

Il y a deux procédures. C'était une agence de voyages, située place de la Madeleine, dans un grand immeuble. Dans un premier temps, elle a déposé son bilan. En 1995, il y a eu une courte période de redressement judiciaire, puis, très rapidement, une conversion en liquidation judiciaire. Les causes essentielles des difficultés provenaient du fait que l'entreprise ne pouvait pas couvrir ses charges fixes, et notamment le coût du loyer qui était particulièrement élevé. Le propriétaire était une compagnie d'assurances, le GAN, je crois.

Donc, premier dépôt de bilan, puis redressement, puis liquidation judiciaire. Dans le cadre de la liquidation judiciaire, on concède la marque « Travelstore ». Dans un premier temps, le juge-commissaire rend une ordonnance ordonnant la cession de la marque aux enchères publiques. Quelques jours après, il rétracte cette ordonnance et rend une nouvelle ordonnance cédant la marque à M. David Douillet dans des conditions quelque peu surprenantes.

Mme Anne-José FULGERAS : Il résulte de l'enquête préliminaire diligentée sur l'ensemble des faits de banqueroute, que c'est sur instruction du président du tribunal de commerce que cette ordonnance a été rétractée.

M. le Rapporteur : Instruction personnelle.

Mme Anne-José FULGERAS : Aux dires du mandataire-liquidateur de la première société, Maître Josse.

M. le Rapporteur : Ce sont les conditions dans lesquelles le tribunal de commerce de Paris a fonctionné sur ces faits successifs et ces événements judiciaires qui m'intéressent. Le problème vient des conditions dans lesquelles est intervenue la cession de la marque Travelstore, lors de la première liquidation judiciaire.

M. René GROUMAN : C'est la seule anomalie constatée jusqu'à présent. Après, la procédure a suivi un cours normal.

M. le Rapporteur : Nous nous inquiétons des conditions de nomination, de rémunération et de travail des mandataires de justice. Ce que nous en savons déjà n'est pas très favorable : les mandats s'accumulent sur la tète de quelques-uns et disparaissent sur d'autres. Les rémunérations sont " himalayennes ".

Mme Eliane HOULETTE : Nous sommes surtout sensibles aux conditions de nomination. En ce qui concerne la rémunération, il existe des disparités très nettes entre les conditions de rémunération des administrateurs et celles des mandataires-liquidateurs. Celles des administrateurs sont normales : ils ont de très lourdes responsabilités et effectuent souvent un énorme travail. Celles des mandataires devraient probablement être revues.

Ce qui est plus inquiétant, ce sont les conditions de nomination et de désignation. Dans la majorité des affaires, les choses se passent à peu près normalement, et le juge a sa liberté d'appréciation. Dans les affaires importantes, au cours de ces dernières années, on a pu constater que la désignation était en fait effectuée par le président du tribunal. C'est ce sur quoi le parquet a tenté de s'élever à plusieurs reprises. J'ai le souvenir de deux affaires précises : l'une dans laquelle, sur la cote de procédure, j'avais vu « Sur ordre du président, désigner », écrit au crayon, « Maître X » et, ai alors demandé la nomination d'un autre mandataire, et le tribunal m'a suivie. Cet exemple illustre bien les abus d'autorité dont nous sommes souvent les témoins.

M. le Rapporteur : Ce président fait tout, dans toutes les affaires ?

Mme Eliane HOULETTE : Non, je ne le crois pas ; il suffit qu'on lui signale l'intérêt d'une procédure. Je ne sais pas comment il réagit. Nous ne le voyons qu'au niveau de l'audience.

Dans une autre procédure, un administrateur avait été désigné mandataire ad hoc pour une affaire assez importante. Il avait pris des honoraires tout à fait raisonnables, qui s'élevaient à quelques milliers de francs, ce qui est très raisonnable compte tenu de l'affaire et du travail très considérable qu'il avait déjà entrepris. Au moment de la désignation, lorsque l'affaire est venue en dépôt de bilan, le tribunal n'a pas souhaité le désigner, alors que je trouvais que c'était une bonne chose pour la société de bénéficier des services de cet administrateur.

Le tribunal était extrêmement embarrassé ; la formation du jugement nous a dit avoir reçu des instructions nouvelles de la part du président selon lesquelles un mandataire ayant touché des honoraires dans le cadre du mandat ad hoc, ne pouvait plus être désigné dans le cadre du jugement judiciaire. Je me suis élevée contre cela en lui faisant observer : « C'est vous qui êtes saisi ». Ils ont mis en délibéré et, au cours du délibéré, ils ont dû aller consulter le président et ils ne sont pas revenus sur leur décision. J'ai eu l'impression que ce n'était pas le juge saisi qui avait pris la décision mais quelqu'un d'autre.

Dernièrement, - il s'agissait d'un mandataire-liquidateur - j'ai proposé la nomination d'un autre mandataire parce qu'il m'apparaissait que c'était un dossier important et que le mandataire-liquidateur désigné avait déjà connu plusieurs procédures importantes. J'ai posé un cas de conscience au juge qui m'a dit : « Je ne peux pas ».

S'agissant des mandataires-liquidateurs, ils sont prédésignés, par un magistrat délégué par le président du tribunal, qui a pour rôle de noter sur une petite fiche dans le dossier...

M. le Rapporteur : Qui est ce magistrat ?

Mme Eliane HOULETTE : M. Allarousse. Il opère une pré-désignation qui a pour but d'harmoniser la répartition des procédures et de faire en sorte que chaque étude de mandataire-liquidateur ait un nombre d'affaires à peu près équivalent.

Nous nous sommes rendu compte que cette pré-désignation, aboutissait plutôt à l'effet inverse : favoriser certains au détriment d'autres. À la suite de cet incident qui s'est déroulé en décembre, dans lequel le tribunal a refusé de nommer un autre mandataire en disant qu'il était tenu par la pré-désignation, je me suis inquiétée et j'ai fait une petite enquête. J'ai remarqué qu'il y avait des écarts considérables de chiffres d'affaires entre les différentes études de mandataires-liquidateurs ; ils pouvaient être de 10 millions de francs sur une année. C'était la confirmation de nos pressentiments : la répartition n'est pas réellement équilibrée.

M. le Rapporteur : Dans cet exemple, vous avez été confrontée à un juge consulaire qui a dit ne pas pouvoir violer les décisions prises par ailleurs.

Mme Eliane HOULETTE : Les juges consulaires considèrent qu'il y a une pré-désignation sur laquelle ils ne peuvent revenir.

M. le Rapporteur : Ils ont peur que le parquet intervienne ?

Mme Eliane HOULETTE : Tous ne réagissent pas de la même façon. Certains acceptent tout à fait mes interventions et en tiennent compte dans leurs désignations ultérieures. Le parquet n'est pas directif et n'impose pas le choix de telle ou telle personne.

M. le Rapporteur : Je note quand même que, lorsque le parquet demande...

Mme Eliane HOULETTE : Il y en a qui refusent en arguant de la pré-désignation.

M. le Rapporteur : Quand le parquet demande au juge consulaire de désigner une autre personne, sans imposer tel ou tel, le magistrat consulaire répond : « Je ne peux pas et je ne le ferai pas ». C'est ce qui s'est produit dans cette affaire ?

Mme Eliane HOULETTE : Il ne répond pas : « Je ne le ferai pas ». Il répond : « Je ne peux pas ». Ce n'est pas une généralité, mais c'est arrivé. Parfois, le parquet est suivi.

Mme Anne-José FULGERAS : Nous avons été approchés par des mandataires qui se sont plaints d'être très défavorisés par ce mode de désignation. Certains disaient même qu'à leur égard, il s'agissait d'une mesure de rétorsion.

Mme Eliane HOULETTE : Ils nous disent même : « Nous sommes au pain sec et à l'eau ». C'est leur expression.

M. René GROUMAN : J'ai connu un cas extrêmement précis concernant un administrateur judiciaire, du temps de l'ancienne présidence. Il avait été « mis au pain sec et à l'eau » parce qu'il avait fait appel d'une décision du tribunal.

M. le Rapporteur : Il l'est encore ?

M. René GROUMAN : Il l'est encore, mais cela se passe un peu mieux.

M. le Rapporteur : Il ne fera plus souvent appel.

M. René GROUMAN : Il s'agit de Maître Le Moux.

Mme Anne-José FULGERAS : On peut également citer le conflit entre Isabelle Didier et le tribunal. C'est un très grande saga. Ce mandataire s'est amèrement plaint de mesures de rétorsion.

Mme Eliane HOULETTE : Au mois de décembre, il y a eu un arrêt de la cour d'appel qui lui a donné entièrement raison. Il a d'ailleurs été assez sévère à l'égard du tribunal.

M. le Rapporteur : D'autres considérations générales ?

Mme Anne-José FULGERAS : Il y a parfois des conflits de compétence entre plusieurs tribunaux de commerce lorsqu'il s'agit d'un groupe de sociétés. Les règles d'arbitrage ne sont pas toujours claires.

Mme Eliane HOULETTE : Une chose pourrait être précisée. C'est dans le cadre des liquidations judiciaires et de la réalisation d'actifs que le contrôle du parquet est réduit. C'est tout à fait dommage. Le mandataire a presque une totale liberté car s'il agit sous le contrôle du juge ; certains, par manque de temps, ne contrôlent pas suffisamment ce qui peut aboutir à des dérives.

Dans le cadre des liquidations judiciaires, toutes les ordonnances rendues par les juges sont rédigées par les mandataires. Il n'y a pas un juge qui rédige une ordonnance. Je veux croire qu'ils sont sérieux et font très attention à la motivation en la vérifiant. Je l'espère...

Mme Anne-José FULGERAS : Ce transfert de charges pose problème. Quel est celui qui prend la décision ? Voilà la question à se poser. Elle mérite d'être posée à Paris, dans le cadre des liquidations judiciaires.

M. René GROUMAN : Normalement toutes les ordonnances nous sont notifiées mais nous ne parvenons pas à les contrôler. Ainsi c'est un avocat qui est venu me voir en me disant : « Je fais opposition ».

Mme Eliane HOULETTE : S'agissant de la vente des actifs d'un hôtel, j'ai été informée uniquement parce qu'on m'a communiqué l'ordonnance. Mais personne ne m'a prévenue.

Mme Anne-José FULGERAS : On peut qualifier de théorique le contrôle que nous effectuons sur le fonctionnement des études. Nous recevons des états trimestriels qui doivent nous être obligatoirement adressés. Nous n'avons pas le temps de procéder à d'autres contrôles que sous forme de sondages. Le contrôle est donc très théorique, bien que nous ayons des relations assez suivies avec les représentants de la compagnie. Néanmoins, il existe sur ce point un déficit certain du contrôle du parquet.

Mme Eliane HOULETTE : Cela étant, les administrateurs comme les mandataires sont très désireux de la présence du parquet. J'ai l'impression que, dès qu'ils ont un problème, ils se retournent vers nous, très volontiers, même avec soulagement. Ils sont soulagés quand ils nous voient participer aux audiences ; ils se sentent rassurés. De ce point de vue, nous avons d'excellentes relations.

M. le Rapporteur : Vous nous avez permis d'améliorer nos connaissances sur le tribunal de commerce de Paris qui est décrit comme un joyau et un exemple.

Mme Eliane HOULETTE : Avant d'être à Paris, j'étais à Versailles. C'est un tribunal de commerce qui fonctionnait véritablement très bien. La relation avec le parquet était excellente, très cordiale et très fructueuse, marquée par une totale confiance entre les juges, le président et le parquet. C'était un tribunal où tout se passait de façon parfaitement normale.

Mme Anne-José FULGERAS : Je ne vous ai pas parlé des prêts consentis par les banques aux mandataires ; ce n'est pas pour vous en cacher la teneur, mais simplement parce que deux informations ont été ouvertes à ce sujet. L'une en janvier, l'autre en février à Paris.

M. le Rapporteur : Merci de nous le signaler. On nous a dit qu'il y avait eu une quarantaine de redressements fiscaux et qu'une enquête préliminaire avait été ouverte, dont M. Marin nous a dit qu'elle était en cours et n'avait pas encore débouché sur l'ouverture d'une information judiciaire.

Mme Anne-José FULGERAS : C'est récent.

M. le Rapporteur : Vous avez choisi le critère de répartition par mandataire ou par banque ?

Mme Anne-José FULGERAS : Par banque. C'était un vrai problème de savoir si, au regard de l'intérêt de l'action publique, le critère de la banque était bien le meilleur. Il n'y avait aucun critère, aucun choix totalement satisfaisant. Nous avons fini par ouvrir deux informations judiciaires chez le même juge d'instruction, pour chacune des deux banques qui intéressent 25 ou 30 mandataires. Ils ont bénéficié de prêts consentis à des taux inférieurs à des taux de refinancement. La question est surtout de savoir si ces avantages ont pesé sur la façon dont ils ont exercé leur mission, ce qui constituerait une corruption active.

Il s'agissait d'une prime de fidélité, je pense. Je ne peux pas vous en dire plus. D'ailleurs, les informations ne font que commencer.

Audition de Mme HOULETTE,

premier substitut au tribunal de grande instance de Paris

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 2 juin 1988)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

Mme Houlette est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Président, Mme Houlette  prête serment.

M. le Rapporteur : Madame le procureur, j'ai repris un certain nombre d'éléments déjà examinés à la suite de votre précédente audition, des informations divulguées dans la presse, ainsi que votre rapport au parquet sur l'affaire Royal-Monceau. J'ai souhaité vous entendre plus particulièrement afin d'éclaircir les conditions dans lesquelles une décision a été prise par le tribunal de commerce. J'interrogerai également Me Meille.

Mme HOULETTE : Et peut-être le juge-commissaire, M. Chevalier.

M. le Rapporteur : En effet, ainsi que le président Mattei et M. Alexandre ! Notre souci est de tenter de comprendre de quelle manière des choses assez originales se sont passées.

Notre entretien n'est pas du tout formel. Je vous invite plutôt à engager entre nous une conversation à bâtons rompus pour avancer sur le fonctionnement - ou le dysfonctionnement - du tribunal de commerce de Paris.

J'ai lu avec beaucoup de passion votre rapport d'une limpidité absolue qui révèle un certain nombre d'anomalies.

En premier lieu, j'ai constaté qu'un certain nombre de sociétés avaient été placées en redressement, excepté l'une d'entre elles en particulier, Interhôtel qui, hors du périmètre de redressement, réalisait un certain nombre de bénéfices et faisait des affaires florissantes, chose curieuse !

En deuxième lieu, dans cette affaire, un administrateur judiciaire avait une opinion divergente de celle du tribunal quant aux décisions à prendre et, de surcroît, le mandataire ad hoc, M. Martineau aujourd'hui décédé, a remis un rapport dans lequel, lui-même, s'interrogeait sur la pertinence des solutions décidées finalement par le tribunal.

Par conséquent, en dehors de la position du parquet qui est claire, j'ai noté des éléments contradictoires.

En troisième lieu, des offres de reprise, présentées par l'ensemble des protagonistes, n'ont pas même été examinées, comme vous le dites noir sur blanc. Lorsque la presse l'écrit, nous avons de quoi douter ! Lorsque le parquet le sait, l'écrit, le signale à sa hiérarchie, nous sommes tout de même en droit de nous poser un certain nombre de questions. Troisième anomalie !

La quatrième anomalie tient dans les conditions dans lesquelles le tribunal a décidé, après de nombreuses péripéties sur la composition de la Chambre qui devait être conduite à statuer, de procéder à la continuation de l'affaire sans exiger du principal débiteur un apport en fonds propres. À l'évidence, et c'est un point supplémentaire, le débiteur s'appuyait sur une société dénommée « Kempinski ». Cette société de droit allemand avait, elle-même, avait conclu un accord avec une société en dehors du périmètre de redressement, c'est-à-dire la société Interhôtel. Elle était présentée comme devant garantir le bon achèvement de cette procédure de continuation.

Je souhaite que nous examinions l'ensemble de ces points que nous avons abordés de façon allusive lors de votre précédente audition, car il s'agit d'autant d'anomalies de la part d'un tribunal de commerce qui se veut la vitrine des juridictions consulaires françaises.

Par ailleurs, dans une édition du Figaro datant de quelques mois, le président Mattei expliquait que la décision sur le Royal-Monceau avait été « parfaitement motivée ». Or je lis, au contraire, dans votre rapport que la décision n'était en rien motivée et ne comportait donc aucune explication sur la décision grave qui venait d'être prise.

Je note que parmi les solutions alternatives, les offres de reprise protégeaient dans les mêmes termes les emplois...

Mme HOULETTE : Tout à fait, et ce sans différence ni difficulté.

M. le Rapporteur : Il n'y avait donc aucune différence. Mais elles ne protégeaient dans les mêmes termes ni les créanciers ni le débiteur qui avait tout de même participé à l'accumulation de ces dettes « himalayennes ». (Sourires.)

Tels sont ainsi résumés les éléments qui me sont apparus à travers votre audition, la lecture de la presse et de votre rapport.

Tout d'abord, quelle était l'analyse de M. Martineau et de Me Meille, sachant qu'ils ont eu le temps de diagnostiquer l'état de l'entreprise, ayant travaillé très en amont de la procédure, et quelles étaient les solutions qu'ils préconisaient ?

Mme HOULETTE : Me Meille avait été désigné mandataire ad hoc et M. Martineau était chargé de faire un rapport au tribunal sur l'état d'endettement du groupe.

M. Martineau avait considéré que l'état d'endettement de ce que l'on peut appeler le groupe Royal-Monceau regroupant dix-sept sociétés placées sous la direction de fait d'un seul dirigeant, M. Aïdi, comme je le souligne dans mon rapport, bien que toutes avaient un vie distincte, était tel que plus aucun accord n'était possible et qu'il fallait parvenir au redressement judiciaire.

Dans le cadre d'un mandat ad hoc, les banques avaient émis un certain nombre de propositions pour parvenir à un accord d'étalement de leurs créances avec le débiteur, M. Aïdi. Plus exactement, ce dernier avait présenté un certain nombre de propositions que les banques avaient refusées. Ces dernières acceptaient de revoir éventuellement l'endettement du groupe, de réduire leurs créances sous la condition d'une restructuration juridique de ce dernier et de pouvoir avoir un droit de regard plus important. En fait, aucun accord n'a pu intervenir.

M. Martineau avait constaté qu'aucun accord ne pouvait intervenir et que l'endettement « himalayen », comme vous l'avez indiqué, produisait des intérêts extrêmement considérables qui, eux-mêmes, grevaient les sociétés de coûts extrêmement importants qu'il n'était pas en mesure d'endiguer. Il a donc conclu à l'état de cessation de paiement.

Me Meille, de son côté, avait dressé exactement le même constat.

M. le Rapporteur : Quel type de solutions proposaient-ils par rapport à celle qui a été adoptée ?

Mme HOULETTE : Au départ, ils ont préconisé le redressement judiciaire, procédure qui peut aboutir à trois sortes de solutions : la première, la plus dramatique, est celle de la liquidation judiciaire ; la deuxième est celle du redressement par voie de continuation ; la troisième celle du redressement par voie de cession.

Dans un premier temps, le dossier s'orientait vers un plan de continuation plutôt par voie de cession. Mais M. Aïdi a beaucoup « oeuvré »...

M. le Rapporteur : Il était très actif et il n'a pas ménagé ses efforts ?

Mme HOULETTE : Tout à fait ! Il a beaucoup oeuvré pour parvenir à un plan de continuation et il a tenu à le proposer. On a cru pendant de nombreux mois, y compris les créanciers bancaires, qu'il n'y parviendrait pas. En fait, il l'a proposé un peu in extremis, disons dans la précipitation.

Un premier projet de plan a dû être élaboré au mois de mai.

Un deuxième, présenté fin mai ou début juin, après avoir été revu et critiqué par Me Meille, a finalement été proposé à l'audience qui s'est tenue au début du mois de juillet.

M. le Rapporteur : Comment expliquez-vous que les banques aient accepté ce qu'elles avaient refusé sous la contrainte de la procédure de redressement judiciaire ?

Mme HOULETTE : Il m'est très facile d'en parler aujourd'hui puisque le sujet a été évoqué au cours de l'audience. Les banques avaient commis des erreurs à une certaine époque en prêtant de l'argent de façon un peu inconsidérée à M. Aïdi. Elles ont eu très peur des différentes instances que ce dernier avait commencé d'engager contre elles. Certaines étaient dans une situation extrêmement délicate, comme le GITT.

M. le Rapporteur : Le dépôt de bilan était donc assuré pour l'une d'entre elles ?

Mme HOULETTE : Je pense, en effet.

Les banques étaient donc dans une situation très délicate et craignaient vivement les actions que M. Aïdi allait ou avait commencé à engager contre elles. Il avait en particulier commencé déjà à assigner Jouyet, un organisme financier de crédit-bail. La procédure est d'ailleurs toujours en cours auprès de la cour d'appel. De peur, elles ont reculé, concluant ainsi un protocole d'accord avec M. Aïdi l'avant-veille de l'audience, me semble-t-il. Ce dernier renonçant à toutes les actions engagées contre le pool bancaire, c'est-à-dire l'ensemble des banques, elles ont accepté le plan de continuation proposé, et ce sans division, semble-t-il.

Mme HOULETTE : Je comprends parfaitement vos propos. D'ailleurs vous avez décrit avec Mme Fulgéras les conditions de menace ou de chantage permanent qui ont imprégné ce dossier.

Comment expliquez-vous que Interhôtel ait eu droit à cette grâce et à cette faveur ?

Mme HOULETTE : Une erreur a, me semble-t-il, été commise à l'origine du dossier. J'en ai maintenant conscience en prenant du recul et je m'en veux un peu de ne pas avoir été assez vigilante. Nous aurions dû en effet demander la confusion de patrimoine de toutes les sociétés du groupe.

Vous remarquerez que certaines d'entre elles, notamment la société du Moulin de la Roque, ont été liquidées au départ. Je crois qu'il aurait fallu confondre tous les patrimoines, car a priori il existait des flux financiers presque entre toutes les sociétés.

M. le Rapporteur : La société Interhôtel servait tout de même « pompe à finance », c'est-à-dire qu'elle pompait de l'argent aux entreprises en difficulté.

Mme HOULETTE : Exactement !

M. le Rapporteur : Vous confirmez ce point ?

Mme HOULETTE : Je crois pouvoir le confirmer, d'autant plus que cet avis a été partagé par beaucoup.

M. le Rapporteur : Quel était le rôle de cette société Interhôtel ?

Mme HOULETTE : La société Interhôtel avait pour but de fournir des prestations en matière de gestion des hôtels, de conseils en management pour chacune des sociétés du groupe et elle percevait un pourcentage du chiffre d'affaires réalisé par chacune des sociétés.

M. le Rapporteur : Qui était considérable !

Mme HOULETTE : Tout à fait. Ce pourcentage a été réduit dans le cadre du redressement judiciaire par Me Meille, lequel connaît, il est vrai, parfaitement bien ce dossier. Il a d'ailleurs eu beaucoup de difficultés pour le faire aboutir après l'avoir vraiment porté à bout de bras.

M. le Rapporteur : Me Meille est une personne digne de foi ?

Mme HOULETTE : Oh oui ! Une personne sur qui le parquet s'est totalement reposé.

M. le Rapporteur : Et qui essayait de « raisonner » le tribunal sur cette affaire !

Mme HOULETTE : Il a essayé de résister.

M. le Rapporteur : Vous employez le terme « résister » qui est encore plus fort !

Mme HOULETTE : Bien entendu, car il a tenté de résister à des pressions ! Il a essayé de suivre toujours une ligne parfaitement droite et il a eu fort à faire ! Il faut savoir que M. Aïdi, à ma connaissance, a vraiment utilisé six ou sept avocats des plus renommés du barreau de Paris...

M. le Rapporteur : Ce qui ne veut pas dire qu'ils soient redoutables !

Mme HOULETTE : ... y compris des conseillers particuliers, qui semblent avoir été rémunérés sur une seule des sociétés !

M. le Rapporteur : Interhôtel ?

Mme HOULETTE : Non, l'hôtelière Miramar, la seule société qui ait fait d'ailleurs l'objet d'un plan de cession !

Les nombreux avocats utilisés par M. Aïdi sont tous intervenus et ils ont tous été très présents dans la procédure. Me Meille a eu beaucoup de mérite de garder la tête froide et l'esprit clair pour traiter ce dossier qu'il connaît donc parfaitement.

M. le Rapporteur : Tout à l'heure, vous disiez que l'erreur avait été commise de ne pas demander la confusion des patrimoines. Vous parliez du parquet ?

Mme HOULETTE : Le parquet aurait pu le demander, mais je crois que l'on a été pris de vitesse. Au départ de cette procédure, tous les éléments qui étaient portés à la connaissance de l'administrateur, voire du parquet, militaient en faveur d'un plan de cession. Un redressement judiciaire par voie de continuation paraissait objectivement non pas impossible, mais peu crédible. C'est d'ailleurs toujours ce que j'ai dit et il me paraît encore aujourd'hui peu crédible.

Cette procédure a été ouverte, si mes souvenirs sont exacts, au printemps 1996. À la fin de l'année 1996, M. Aïdi étant intervenu notamment auprès de la Chancellerie, il nous avait été indiqué de lui donner ses chances de pouvoir présenter un plan de continuation, de lui donner un peu de temps. Cela pouvait être fait sans dommage, encore que dès le mois de novembre 1996, un certain nombre de candidats s'étaient manifestés pour la reprise de cet hôtel. Certains représentaient des hôtels extrêmement prestigieux.

Du temps lui a donc été accordé, si bien que ce plan de continuation a commencé à prendre forme et qu'il a été finalement présenté.

Néanmoins, le parquet aurait dû être plus ferme et examiner le point de savoir si les conditions d'une confusion de patrimoine étaient réunies ou non. J'avoue que je regrette aujourd'hui de ne pas l'avoir étudié de façon plus approfondie, et en ce sens, je bats ma coulpe.

M. le Rapporteur : Votre rapport est celui du parquet et il l'engage dans sa totalité, car il est indivisible.

Mme HOULETTE : Absolument.

M. le Rapporteur : Vous indiquez que « les hypothèses économiques, irréalistes et optimistes ont été validées » - je parle du plan de continuation - « grâce à la magie d'un contrat Kempinski, groupe hôtelier international sur lequel le tribunal ne disposait, lors de la Chambre du conseil, d'aucun élément financier sérieux et précis ».

Par conséquent, cela signifie-t-il que l'ensemble des informations qui pouvaient être connues du tribunal l'ont été, en dehors de vous, d'un certain nombre de parties ? Ou est-il possible qu'aucune information n'ait été donnée, en dehors de celles bien confidentielles et réservées à des initiés du tribunal, pour permettre en quelque sorte de construire une hypothèse de continuation validée grâce à la « magie » de ce contrat ?

D'ailleurs quel était ce contrat ? Pourriez-vous, madame le procureur, nous en dire un mot ?

Mme HOULETTE : La Chambre de conseil s'est tenue au début du mois de juillet de l'année dernière, comme je l'ai souligné dans mon rapport.

Le tribunal ne disposait finalement que de très peu d'éléments sur le contrat qui liait réellement le groupe Kempinski à la société Interhôtel. Surtout il n'avait pas, à mon sens, d'éléments financiers suffisants pour permettre d'affirmer que le groupe Kempinski avait l'assise suffisante pour pouvoir soutenir un tel plan de continuation.

Le jour où s'est tenue la Chambre de conseil, nous ont été remis un certain nombre de documents mais, à mon sens, aucun document financier suffisamment étayé ne permettait au tribunal de pouvoir en toute sérénité adopter le plan de continuation. Sur la solidité du groupe Kempinski, on pouvait émettre, par ailleurs, des doutes. Nous n'avions en effet aucun élément réellement sérieux et fiable.

M. le Rapporteur : Pour résumer, madame le procureur, voilà une affaire dans laquelle on ordonne un plan de continuation en faveur d'un débiteur qui n'apporte pas un franc...

Mme HOULETTE : Qui n'apporte effectivement pas un franc !

M. le Rapporteur : ... qui s'appuie sur une société qui, elle-même, a des liens secrets avec un groupe hôtelier international, Kempinski, lui-même débiteur qui a tout de même accumulé 2,5 milliards de francs de dettes. À l'évidence, tous les protagonistes qui avaient refusé des solutions amiables antérieurement à la procédure de redressement judiciaire, les ont acceptées dans des conditions contestées exclusivement par le parquet.

Mme HOULETTE : Malheureusement !

M. le Rapporteur : Telle est bien la vérité ?

Mme HOULETTE : Absolument ! Malheureusement !

Il est vrai que seul le parquet a critiqué ce plan de continuation que Me Meille, en son temps, avait lui-même critiqué dans un certain nombre de courriers qu'il avait d'ailleurs adressés aux débiteurs. Me Meille était, par ailleurs, assez mesuré à l'égard de ce plan. Certains ont bien voulu affirmer que j'avais dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. En dehors de la Chambre du conseil !

M. le Rapporteur : S'est greffée sur cette affaire très curieuse - et nous interrogerons ceux qui ont pris la décision, c'est-à-dire le juge-commissaire et le président du tribunal - la question de la volonté apparemment acharnée que semble avoir déployée le président Mattei à vouloir lui-même présider la Chambre spéciale, laquelle devait être appelée à trancher et à prendre la fameuse décision qui, aujourd'hui, est si contestée.

Comment se fait-il que le président Mattei voulait absolument rendre un jugement alors qu'un organigramme qu'il a eu la gentillesse de faire parvenir à la commission fait apparaître des délégations au sein du tribunal de commerce de Paris qui ne sont pas révocables ad nutu M. Comment l'expliquez-vous ?

La presse a la dent dure et elle a mis le doigt sur cette curiosité du tribunal de commerce de Paris qui est présenté comme la vitrine des juridictions consulaires de France.

Vous nous avez dit - et M. Marin, procureur adjoint, ainsi que Mme Fulgéras, votre chef de section l'ont dit aussi - que M. Marin était intervenu en raison de « conciliabules » entre M. Mattei lui-même et M. Aïdi, lesquels semblaient tout à fait liés l'un à l'autre. D'ailleurs, M. Aïdi a le même type de relations avec la mairie de Paris que M. Mattei lui-même. C'est un des éléments qui avait conduit M. Marin à exiger du président Mattei qu'il ne siégeât pas. Tout cela figure dans le procès-verbal de la commission.

Confirmez-vous cette volonté tout à fait étonnante de la part du président Mattei de vouloir absolument prendre une décision qui semble d'ailleurs lui avoir finalement donné tout à fait satisfaction ? Il s'en est fait l'avocat dans la presse, en l'occurrence dans Le Figaro, voilà quelques semaines ?

Mme HOULETTE : Il est certain que ce dossier n'a pas suivi le cours que suivent habituellement les autres dossiers de procédure collective. Le tribunal de commerce de Paris est organisé en plusieurs Chambres, compte tenu de son importance. En particulier, un certain nombre de Chambres sont spécialement affectées aux procédures collectives.

Le dossier qui concerne le groupe du Royal-Monceau a fait l'objet tout au long de sa « vie » devant le tribunal d'un certain nombre d'audiences qui ont jalonné la procédure collective. Toutes ces audiences se sont déroulées devant la 14ème Chambre qui a lieu habituellement le jeudi et qui est plus spécialement affectée aux procédures collectives.

À l'audience finale - la plus importante puisque c'est au cours de celle-ci qu'est décidé l'avenir des sociétés - aucun des magistrats siégeant habituellement à la 14ème Chambre n'y participait.

S'étant émus d'apprendre que le président du tribunal voulait, semble-t-il, lui-même présider l'audience, quelques magistrats de procédures collectives ont fait une démarche auprès de moi pour me demander d'intervenir.

J'en ai donc informé M. Marin qui, ou après avoir pris contact avec M. Mattei ou après que ce dernier ait pris contact avec lui - je ne le sais pas exactement - a eu, en tout cas, une conversation téléphonique avec le président du tribunal de commerce. Au cours de cette conversation, M. Marin lui a indiqué qu'il ne lui paraissait pas opportun qu'il préside lui-même cette audience parce qu'il avait, à notre connaissance, reçu à plusieurs reprises le débiteur, tout seul dans son bureau. Certes, cela ne lui est pas interdit, mais dès lors qu'un magistrat a reçu seul une partie, hors la présence des autres parties, cela peut jeter un doute objectif sur son impartialité.

M. le Rapporteur : Je reprends l'article du Figaro dans lequel M. Mattei s'est expliqué et il s'en expliquera devant la commission.

Une question est ainsi libellée : « Dans le dossier du Royal-Monceau, vous avez été ouvertement accusé d'avoir favorisé un plan de continuation plutôt qu'un plan de cession parce que vous connaissiez le dirigeant de ce groupe ». M. Mattei répond : « Absolument scandaleux et diffamatoire ! »

Il semble que ce ne soit ni aussi diffamatoire ni aussi absolument scandaleux que cela, puisque l'ensemble des membres du parquet auquel vous appartenez ont en effet confirmé les liens particuliers entretenus par M. Mattei et M. Aïdi.

Mme HOULETTE : Je ne sais pas s'il entretenait des liens particuliers ! Mais il exact qu'au cours d'une conversation, il y a très longtemps, le président Mattei m'avait bien indiqué qu'il lui était arrivé de rencontrer M. Aïdi dans différentes manifestations publiques auxquelles il était convié en tant que président du tribunal. Apparemment, il n'a pas caché non plus à certains de ses collègues qu'il avait été amené à recevoir le débiteur lui-même ou ses avocats dans son bureau. A-t-il ou n'a-t-il pas favorisé le plan de continuation ? Rien ne me permet personnellement de l'affirmer puisque je n'ai assisté qu'à l'audience et à la Chambre du conseil.

M. le Rapporteur : Quel était le rôle du juge-commissaire Chevalier dans cette affaire ?

Mme HOULETTE : M. Chevalier a été juge-commissaire depuis l'origine de la procédure. Il est vrai cependant que lorsqu'il l'est devenu, il bénéficiait encore à l'époque d'une délégation générale au tribunal de commerce du président Mattei qui la lui a retirée, semble-t-il, l'année suivante.

Il était donc dans une situation quelque peu difficile, car depuis l'ouverture de la procédure en 1996 et jusqu'à la fin de cette même année, M. Chevalier jouissait d'une position un peu particulière au tribunal, ayant reçu une délégation générale du président.

En 1997, il a été « hors tableau de roulement », c'est-à-dire qu'il n'a été affecté réellement à aucune Chambre ou alors à la 11ème Chambre, mais il n'avait plus le dossier. Il a donc continué à être juge-commissaire du Royal-Monceau, mais il n'était plus réellement en activité complète au tribunal. Il semble alors, sans parler peut-être de litige, qu'un voile avait opacifié ses relations avec M. Mattei, ce que personne n'ignorait.

M. le Rapporteur : Avant de vous libérer, madame le procureur, je souhaite vous poser une dernière question.

Il est venu aux oreilles de la commission et de son Rapporteur que dans cette affaire, des pots de vin avaient été exigés de la part d'un certain nombre de protagonistes. Avez-vous eu vent d'une manière ou d'une autre, directe ou indirecte, de l'existence de ces pots de vin ?

Mme HOULETTE : Ce dossier a fait l'objet de nombreuses rumeurs de corruption. Certaines sont dues au fait, d'une part, que M. Aïdi a beaucoup oeuvré et s'est largement dépensé pour la réussite de son plan de continuation, comme je vous l'ai dit tout à l'heure ; d'autre part, cette procédure n'a pas suivi réellement un cours normal, comme je vous l'ai également indiqué.

Cela étant dit, ces rumeurs reposent sur des confidences, non pas secrètes, mais disons non officielles, faites au représentant du parquet que j'étais.

M. le Rapporteur : Des confidences non officielles et secrètes vous ont donc été faites ?

Mme HOULETTE : Voilà ! Dès lors, la position du représentant du parquet est tout à fait délicate puisqu'il est très difficile d'être délateur dans un dossier !

En tout cas, il est certain que des rumeurs ont circulé. Il est vrai qu'un magistrat du tribunal notamment m'a fait part de ses soupçons. C'est d'ailleurs, du moins pour une part, la raison pour laquelle, m'a-t-il laissé entendre, il allait quitter le tribunal.

M. le Rapporteur : Ce magistrat a-t-il démissionné ?

Mme HOULETTE : À ma connaissance, il est parti.

M. le Rapporteur : Immédiatement après la décision du Royal-Monceau ?

Mme HOULETTE : Pas immédiatement après ! Les magistrats ont l'habitude de partir, en général, à la fin de l'année, après avoir présenté leur demande.

Cela étant, le rôle du parquet est de vérifier un certain nombre d'informations à partir du moment où il dispose d'un début du commencement d'une preuve, sans lequel il ne peut rien faire.

M. le Rapporteur : Mais dans cette affaire, une enquête préliminaire a été ordonnée.

Mme HOULETTE : Une enquête préliminaire a été, en effet, ordonnée par le 9ème section, d'une part, en raison de l'opacité qui semblait régner sur toutes les sociétés de ce groupe Royal-Monceau, du rôle un peu particulier joué par cette société Interhôtel hors du périmètre de redressement judiciaire et, d'autre part, en raison des charges qui m'ont semblé un peu indues et qui ont été supportées par une seule des sociétés du groupe, en l'occurrence l'hôtelière Miramar. Il ne lui revenait pas d'avoir à les supporter, me semble-t-il.

M. le Rapporteur : Quelles étaient ces confidences d'un magistrat consulaire ?

Mme HOULETTE : Elles étaient réellement faites du bout des lèvres et extrêmement craintives puisque ce magistrat m'a bien affirmé que jamais...

M. le Rapporteur : Il ne les confirmerait.

Mme HOULETTE : ... que jamais, il ne les confirmerait, que jamais je ne pourrais en faire état et que « cette conversation n'avait pas eu lieu ». Mais il semblait réellement soupçonner que des commissions avaient été versées dans le cadre de ce dossier.

M. le Rapporteur : Pour le tribunal ?

Mme HOULETTE : C'est réellement ce qu'il semblait entendre, sans toutefois me donner le moindre élément me permettant d'aller au-delà. Il me disait même que jamais, je ne pourrais faire état de cette conversation et de toute façon, cela était hors de question ! Il était un peu inquiet et il considérait que la situation était mauvaise et un peu explosive.

M. le Rapporteur : Nous vous remercions de votre franchise, de votre liberté de parole et de votre courage.



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