RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME III
Comptes-rendus d'enquête sur le terrain

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS
(PARTIE 3)

· 165 magistrats :
-
Président : M. Jean-Pierre Mattei depuis 1996. Au tribunal depuis 12 ans. Un vice-président, 34 présidents de chambre (8 à 12 ans d'ancienneté).
-64 000 entreprises commerciales inscrites au registre du commerce dont 42 600 sociétés commerciales et 21 400 commerçants personnes physiques.

· Budget de fonctionnement (prévision)

 

Dotation de l'Etat(a)

Fonds de concours(b)

Total

1994

3 183 260

620 000

3 803 260

1995

3 153 800

520 000

3 673 800

1996

3 133 905

475 000(c)

3 608 905

1997

3 170 973

500 000(c)

3 670 973

1998

3 054 582

282 900(d)

3 337 482

(a) - Versement du ministère de la justice au titre du fonctionnement courant ;

- Charges d'informatique et travaux immobiliers supportées par la cour d'appel.

(b) Non compris les versements de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris à l'association amicale des magistrats.

(c) Seul donateur : Chambre de commerce et d'industrie de Paris.

(d) Dont : Chambre de commerce et d'industrie : 250 000 F ; Commission européenne (action Robert Schuman) : 32 900 F (5 061 euros).

Source : tribunal de commerce de Paris.

· Activité contentieuse :

 

1995

1996

A. Contentieux général

- affaires terminées

40 056

39 345(a)

B. Contentieux du redressement judiciaire

- décisions relatives à l'ouverture de la procédure

- dont ouvertures de liquidation judiciaire

- dont liquidations judiciaires immédiates

- plans de redressement

* continuation

* cession

- ordonnance du juge-commissaire

8 690

6 062

5 028

204

112

23 675

9 115(b)

7 076

5 947

615

183

22 838

C. Référés

11 083

11 486

(a) Pour mémoire : France entière, toutes juridictions : 156 520 affaires terminées.

(b) Pour mémoire : France entière, toutes juridictions : 79 512 décisions

Source : ministère de la justice, statistiques des affaires commerciales 1995 et 1996.

sommaire des auditions relatives aux déplacements effectués par la commission

_ Audition de M. Jean-Louis CHEVALIER, ancien juge au tribunal de commerce de Paris (17 juin 1998 au tribunal de commerce de Paris)

_ Audition de MM. Philippe BOURGERIE et Pierre ALLAROUSSE, juges au tribunal de commerce de Paris (17 juin 1998 au tribunal de commerce de Paris)

_ Audition de M. Joël SAULAIS, juge au tribunal de commerce de Paris (17 juin 1998 au tribunal de commerce de Paris)

_ Audition de M. Alain BLOCH, juge du tribunal de commerce de Paris (17 juin 1998 au tribunal de commerce de Paris)

Audition de M. Jean-Louis CHEVALIER,

ancien juge au tribunal de commerce de Paris

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 juin 1998 au tribunal de commerce de Paris)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Chevalier est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Chevalier prête serment.

M. le Rapporteur : Je tiens, tout d'abord, à dire que cette commission d'enquête parlementaire est une véritable commission d'enquête, qui utilise les pouvoirs, rien que les pouvoirs, mais tous les pouvoirs, que la Constitution et la loi lui confèrent.

Elle le fait dans des conditions qui ont été contestées, mais elle le fait dans le respect des uns et des autres. Nous avons connu des incidents à Mont-de-Marsan, où nous avons dû avoir recours à la force publique. Nous sommes arrivés à cette extrémité sur décision du président de la commission d'enquête, car nous étions confrontés à un certain nombre de juges récalcitrants. Malheureusement, - cela a concerné exclusivement les juges, ce n'était le cas ni des mandataires de justice ni du greffier - nous avons dû passer par la contrainte, ce que nous n'apprécions guère.

Cette commission d'enquête ne pouvait pas se contenter des déclarations des professionnels concernés. C'est pourquoi nous avons décidé, à partir d'un certain nombre de déclarations que nous avons jugées non conformes à la réalité des choses, de venir auditionner des juges au tribunal de commerce de Paris. C'est notre droit et notre souveraineté de le dire et de le faire. Je le rappelle pour qu'il n'y ait pas de malentendu et que nous puissions travailler cet après-midi, dans le calme, la courtoisie et le respect des prérogatives de tous.

Nous avons décidé d'aller à Toulon, Saint-Brieuc, Lyon, Strasbourg, Auxerre et nous terminons par Paris, car Paris nous a demandé beaucoup plus de travail. Vous êtes le plus grand tribunal de commerce de France.

M. Chevalier, je vous remercie d'avoir déféré à la convocation du président de la commission d'enquête parlementaire. Nous nous interrogeons sur un certain nombre de décisions qui ont été prises dans le tribunal de commerce. Pas seulement nous, car la représentation nationale reçoit chaque jour un abondant courrier, des plaintes, et il est de notre devoir d'essayer de faire la lumière, autant que nous le pouvons. Nous ne sommes pas des juges d'instruction, nous ne poursuivons pas des infractions pénales. Nous avons le devoir de comprendre comment fonctionne cette mécanique judiciaire qui, à nos yeux, n'est pas tout à fait claire. Nous avons le devoir de poser toutes les questions qui viennent à l'esprit de la commission d'enquête.

Nous n'accepterons pas que cet exercice d'investigation soit contrarié, même par des mouvements d'humeur, car s'il n'est pas agréable que des questions soient posées, l'institution consulaire, qui est douée d'une grande éternité - quatre siècles - n'a jamais vu, il est vrai, que des questions soient âprement posées sur son fonctionnement.

De leur côté, les députés que nous sommes, sont habitués au contrôle des citoyens. Ils le font en toute lumière, et il n'y a aucune raison qu'une institution aussi importante que la juridiction commerciale, ne fasse pas elle-même l'objet d'un contrôle. Si dans les débats publics, depuis un certain nombre de mois et même d'années, des critiques très violentes n'étaient pas portées contre l'institution, nous n'en serions pas là.

Voilà ce que je voulais dire à l'attention de tous ceux qui nous écoutent, y compris du président Mattei, dont j'ai pris note avec précision de l'ensemble des déclarations publiques qu'il a faites au sujet de la commission d'enquête ainsi que du Rapporteur que je suis. Cela ne nous empêchera pas de travailler.

Monsieur le président Chevalier, je vous remercie d'être présent et de répondre à chacune des questions que nous avons à vous poser.

Il est vrai que vous avez été délégué général au tribunal de commerce. Pendant combien de temps ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Pendant une année.

M. le Rapporteur : Cela était, en quelque sorte, l'aboutissement d'une carrière bien remplie au tribunal de commerce, puisque vous avez occupé auparavant la quasi totalité des fonctions importantes de la juridiction.

Pouvez-vous décrire brièvement, pour la commission, les fonctions que vous avez successivement occupées et les fonctions juridictionnelles qui vous ont paru les plus intéressantes au sein du tribunal ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : J'ai débuté comme juge.

M. le Rapporteur : En quelle année ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : En 1984. En 1994, je devenu normalement président d'une chambre de contentieux qui avait à connaître des oppositions aux ordonnances de juges-commissaires. En 1995, j'ai présidé la 11e chambre, une chambre de procédures collectives. En 1996, j'ai été délégué général au tribunal. En 1997, j'ai terminé mon année en roue libre, le 12 janvier 1998, parce que les fonctions des juges prennent fin lors de l'audience solennelle de l'année suivante.

M. le Rapporteur : Qu'entendez-vous par l'expression «en roue libre» ? Est-ce à dire que vous n'aviez plus de fonctions ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non, j'ai continué à expédier les dossiers dont j'avais la charge. J'étais juge-commissaire d'un certain nombre de dossiers et j'ai conservé le commissariat de ces dossiers.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous expliquer à la commission en quoi consistent en pratique les fonctions de juge-commissaire ? Sur le papier, nous les connaissons. En quoi consistent-elles par rapport à la formation de jugement qui, dans les procédures collectives, est collégiale ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Le juge-commissaire est chargé de surveiller le bon fonctionnement de la procédure de redressement judiciaire, dans l'hypothèse où la liquidation n'a pas été prononcée d'office. Il surveille l'action de l'administrateur judiciaire, du représentant des créanciers et se fait tenir informé de la vie de la société en redressement judiciaire. Pour ce faire, il s'appuie sur les rapports que doit lui fournir l'administrateur. S'il a besoin d'investigations supplémentaires, il peut demander une expertise. Il dispose d'un certain de moyens qui lui permettent d'étudier les problèmes qui se posent à la société pour aboutir à une solution, à savoir l'acceptation de tel ou tel plan ou la liquidation judiciaire.

M. le Rapporteur : Vous qui avez été un juge-commissaire dans des affaires importantes - nous l'avons noté au cours des enquêtes et des investigations que nous avons menées au greffe, au travers d'un certain nombre de dossiers -, considérez-vous que le juge-commissaire joue un rôle d'influence important, notamment dans les moments décisifs de la procédure, sur la décision qui sera prise par le tribunal, c'est-à-dire soit la continuation par voie de redressement, soit la cession, soit la liquidation ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Au moment où le tribunal doit prendre sa décision, il est amené à donner son avis à la formation de jugement sur la solution qu'il préconise. Il est évident que cela peut avoir une influence sur la décision qui sera prise par le tribunal.

M. le Rapporteur : En tout cas, le juge-commissaire participe pleinement aux débats en chambre du conseil sur le sort et le destin de l'entreprise. Il joue un rôle intellectuel important, même s'il ne participe pas au délibéré.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Oui, mais je tiens à préciser qu'il ne participe pas au délibéré.

M. le Rapporteur : Je voulais que vous me le précisiez pour que les choses soient claires, non seulement pour le procès-verbal, mais aussi pour la commission. C'est un point qui, en effet, va nous intéresser.

Monsieur le président, nous avons déjà longuement parlé. Nous avons évoqué un certain nombre d'affaires. Il en est une sur laquelle nous avons décidé de travailler. Elle est, pour nous, importante parce qu'elle a, pour la première fois, placé le tribunal de commerce de Paris en position d'être violemment critiqué par un certain nombre de protagonistes du monde judiciaire. Nous avons décidé de nous saisir de ce dossier, parce que nous en avons fait un exemple de ce que peut faire un grand tribunal, avec des juges de haut niveau. À l'évidence, les juges de Paris, et M. Mattei ne me contredirait pas, sont de haut niveau, il nous l'a dit et répété lorsqu'il a été entendu publiquement par la commission d'enquête, à l'Assemblée nationale.

Ce dossier, d'ailleurs est toujours en cours. S'agissant de la poursuite de la présentation de la justice qui concerne le Royal-Monceau et le groupe de sociétés pilotées par M. Osmane Aïdi, a fait l'objet d'un débat public tout à fait singulier. De mémoire de juriste, il est rare que des décisions de justice prises par des magistrats professionnels soient critiquées de la sorte publiquement. D'ailleurs, lorsqu'elle le sont, elles donnent lieu généralement à des poursuites.

Dans cette affaire, nous avons d'abord regardé la presse, et nous avons vu qu'il y avait un débat sur le point de savoir si la décision était justifiée ou pas. Il y a eu un débat à l'intérieur de l'enceinte judiciaire, qui s'est prolongé jusque devant la cour d'appel, et un débat devant l'opinion publique.

Nous avons fait des choix. Je conviens qu'ils sont arbitraires. Nous avons choisi tel dossier plutôt que tel autre. Nous sommes prêts à entendre toutes sortes de plaidoyers ou de nuances. Une chose est sûre, dans Royal-Monceau, les explorations que nous avons faites, et nous vous remercions de votre coopération, car vous étiez juge-commissaire dans cette affaire, nous ont conduits à nous poser un certain nombre de questions.

La commission vous en a posé il y a deux jours, à l'Assemblée nationale. Vous n'avez pas su répondre à toutes.

Je reprendrai un certain nombre de points, afin de clarifier les termes du débat, avant que vous ne répondiez.

Le dirigeant de l'entreprise avait laissé plusieurs milliards de francs de passif. L'essentiel des créances étaient des créances bancaires. Il semble y avoir eu, dans cette affaire, plusieurs débats. Avant même de se demander si cette affaire devait être cédée, reprise par quelqu'un d'autre ou simplement poursuivie sur les épaules de M. Aïdi, s'est posée la question du périmètre des sociétés qui devaient entrer dans le redressement judiciaire.

J'ai cru comprendre que le juge-commissaire que vous avez été a joué un rôle important dans la définition du périmètre, car j'ai vu, au travers de l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, au greffe, que le jugement d'ouverture a été pris collégialement. Je crois que vous étiez président de la formation ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : C'est exact. Au mois d'avril 1995.

M. le Rapporteur : Cette formation collégiale vous a désigné, vous vous êtes, en quelque sorte, désigné juge-commissaire pour suivre la procédure. Vous nous avez fort obligeamment rappelé que ce n'était pas une anomalie que le président de la formation collégiale se désigne lui-même, avec ses assesseurs, comme juge-commissaire.

La question qui nous est posée est de savoir si, à ce stade de la procédure, un certain nombre de sociétés florissantes qui aspiraient des honoraires sur l'ensemble des sociétés en difficulté et presque en faillite, devaient être incluses dans le périmètre de redressement. J'ai cru comprendre que le parquet en avait fait un des motifs de l'appel contre la décision finale qui sera rendue pendant l'été.

Puisque votre mémoire était défaillante il y a deux jours, expliquez-nous aujourd'hui pour quelle raison la société Interhotels, qui facturait des honoraires considérables, ne figurait pas dans le périmètre du redressement judiciaire, alors que tout laissait penser, comme le parquet semble l'indiquer dans une note qui a été remise à monsieur le procureur général et que la commission d'enquête a obtenu, qu'elle était, directement ou indirectement, pilotée par le groupe de M. Aïdi ? Cette note qui a été prise par l'ensemble du parquet - M. Bestard à l'époque - et communiquée au parquet général ne nous explique pas pour quelle raison, dans cette affaire, le tribunal de commerce de Paris n'a-t-il pas souhaité inclure dans le périmètre du redressement cette société florissante ? C'est un point très important des explications que nous vous demandons.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Premièrement, la société Interhotels n'a pas les mêmes actionnaires que les sociétés du groupe Aïdi. Deuxièmement, la société Interhotels a été, durant toute la procédure, in bonis. Troisièmement, j'ai demandé à Me Meille, l'administrateur judiciaire, de voir ce que représentait la société Interhotels et si elle n'était pas la «pompe à finances» d'Aïdi. Nous avons fait réaliser une étude par M. Germon, un expert qui a été mandaté pour examiner la qualité des contrats conclus entre Interhotels et les hôtels du groupe Aïdi. M. Germon a estimé que les contrats étaient tout à fait normaux, que les taux - 3 % sur le chiffre d'affaires et 5 % à partir d'une certaine marge - étaient tout à fait normaux.

Par ailleurs, M. Martinez - sous réserve de son nom exact -, spécialiste des problèmes d'hôtellerie au Crédit foncier, a eu les contrats en main. Il les a examinés pour savoir s'ils étaient sérieux ou s'il s'agissait de contrats bidons. Il a émis un avis favorable, disant que tous les contrats étaient tout à fait normaux.

Dans ces conditions - peut-être ai-je tort, je ne dis pas que j'avais raison - ces sociétés se trouvaient in bonis, n'ayant pas les mêmes associés et ayant avec le groupe Aïdi des contrats que des professionnels considéraient comme normaux - je ne suis pas capable, pas plus que l'administrateur, de déterminer si les contrats en matière d'hôtellerie étaient valables -, on n'a pas estimé nécessaire d'inscrire dans la procédure la société Interhotels.

M. le Rapporteur : La question a-t-elle été envisagée ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Elle a été étudiée.

M. le Rapporteur : Elle a été étudiée au travers d'une expertise, celle de M. Germon.

M. Jean-Louis CHEVALIER : De l'expertise de M. Germon...

M. le Rapporteur : Que j'ai lue.

M. Jean-Louis CHEVALIER : ...et d'un avis de...

M. le Rapporteur : ...Me Meille.

M. Jean-Louis CHEVALIER : ...non, de M. Martinez, je crois, du Crédit foncier. Le Crédit foncier a examiné ces contrats et a estimé qu'il n'y avait rien à y redire.

On ne voyait pas, je ne voyais pas, puisque j'étais en charge du dossier, la nécessité d'inclure dans la procédure une société in bonis qui avait des contrats normaux avec les entreprises d'Aïdi.

M. le Rapporteur : Je me permets de poser cette question, car s'il est exact que Me Meille a posé un certain nombre de questions, puisque c'était son rôle en tant que mandataire du tribunal, et qu'administrateur judiciaire, sur la société Interhotels et les flux financiers entrants et sortants entre Interhotels et les sociétés incluses dans le périmètre du redressement judiciaire, en revanche, on n'a jamais pu obtenir dans le dossier de réponse claire. Il y a une appréciation d'ordre général sur le niveau des prélèvements d'Interhotels sur le groupe des sociétés en faillite, mais il ne semble pas qu'on ait obtenu une réponse précise sur la teneur des flux financiers sortants, allant vers une entreprise florissante et prélevés sur des sociétés en faillite.

Par ailleurs, j'ai relevé, à travers les éléments d'investigation de Me Meille, que le dirigeant de la société Interhotels était un certain M. Sili, qui était lui-même un des dirigeants des sociétés du groupe Aïdi. Le tribunal ne s'est-il pas interrogé sur une gestion de fait par M. Aïdi de cette société, je le répète, florissante et exclue du périmètre du redressement judiciaire ? Je pose cette question, parce que les créanciers, dont deux milliards et demi de francs sont suspendus à la décision du tribunal, n'étaient peut-être pas en position de poser toutes ces questions. Je le fais un peu à leur place.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Les créanciers auraient pu intervenir s'ils l'avaient vraiment jugé nécessaire. Comme vous m'avez demandé de revoir mon dossier...

M. le Rapporteur : Vous l'avez révisé, monsieur le président.

M. Jean-Louis CHEVALIER : ...je l'ai révisé hier après-midi, et j'ai constaté que j'avais nommé un certain nombre de contrôleurs. Il aurait fallu qu'à ce moment-là... et puis, d'autre part..

M. le Rapporteur : Il aurait fallu qu'à ce moment-là ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Il aurait fallu qu'à ce moment-là, ils interviennent et demandent des explications, s'ils estimaient qu'ils risquaient d'être lésés par la situation d'Interhotels.

Par ailleurs, la position des créanciers, c'est-à-dire des banques, - puisque c'étaient à 90 % des banques - a bien changé au cours de la procédure. Au début les banques laissaient entendre qu'elles ne voulaient pas de plan de continuation, et au moment de la réunion de la chambre du conseil, elle déclaraient qu'elles en voulaient. Il y a d'ailleurs eu un échange un peu dur entre Me Meille et un avocat des banques, le jour de la réunion de la chambre du conseil, précisément parce que la position que la banque avait laissé entrevoir à l'administrateur judiciaire était totalement différente de celle qu'elle avait prise avec l'administrateur. Les banques, dont vous estimez qu'elles risquent d'être lésées par le fait que l'on n'ait pas inclus Interhotels dans la procédure, étaient contrôleurs et n'avaient qu'à poser des questions. Or il semble, malgré tout, qu'elles n'aient pas soulevé la question.

Que j'aie commis une erreur en tant que juge-commissaire en n'intégrant pas la société Interhotels dans la procédure, peut-être, personne n'est infaillible et je n'ai pas la prétention, dans toute ma carrière au tribunal de commerce, de n'avoir jamais commis d'erreur. Je vous en ai d'ailleurs cité une que j'avais commise le jour même où vous m'avez entendu.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, je vous remercie de cette modestie qui vous honore. Je note qu'une expertise a été commandée. C'est l'expertise de M....

M. Jean-Louis CHEVALIER : ...Germon.

M. le Rapporteur : ...Gérard Armand, expert financier près la cour d'appel de Paris. On lui a demandé, au mois de juin, de regarder ce qu'était cette société Interhotels. Je m'aperçois, et il me l'a confirmé au téléphone, qu'avant même que la décision ait été prise sur le destin de l'entreprise, au mois d'août 1997, le tribunal lui demande de différer ses investigations, qu'il n'intéresse pas le tribunal de connaître le résultat de sa mission. M. Armand en a d'ailleurs ressenti une curieuse impression. Je ne la qualifierai pas, parce que c'est à lui de le faire. Nous ne l'avons pas entendu, donc je ne me le permettrai pas. Comme si le tribunal ne voulait absolument pas faire preuve de curiosité sur Interhotels.

Et figurez-vous, monsieur le juge-commissaire, que j'ai retrouvé dans le dossier une attestation d'une ligne et demi de M. Aïdi sur Interhotels, qui n'est d'ailleurs pas signée sur l'honneur, sur une feuille à l'en-tête de Royal-Monceau Hôtel. Elle est ainsi rédigée: «Interhotels est détenu par une holding étrangère dans laquelle le groupe n'a aucun intérêt. Osmane Aïdi.»

On accorde foi à cette ligne et demi, alors que M. Aïdi a laissé plus de deux milliards de francs de passif, donc qu'il n'a pas tout dit à ses créanciers - nous pouvons au moins considérer ce fait comme acquis. On se contente des apparences, dans une affaire où, finalement, on aurait pu trouver de l'argent pour les créanciers...

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non, monsieur le député, je m'excuse...

M. le Rapporteur : Je vous pose la question.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je vous dirai franchement qu'elle a dû être classée dans le dossier, mais que je ne l'ai pas retrouvée.

M. le Rapporteur : Moi, j'ai une copie !

M. Jean-Louis CHEVALIER : Vous avez beaucoup de choses.

Il est certain que les éléments d'appréciation ne tiennent pas à cette déclaration. Nous nous sommes fondés, premièrement, sur une expertise de M. Germon.

M. le Rapporteur : Vous l'avez déjà dit, monsieur le président. J'ai compris que vous ne vous étiez pas fondé là-dessus. Il n'empêche que le silence de M. Aïdi en une ligne et demi, l'impossibilité d'un expert d'achever sa mission et l'absence de questions posées par le tribunal sont un peu curieux. Je ne peux pas en dire plus.

Par ailleurs, vous nous avez déclaré, il y a deux jours, sous serment:

« Par ailleurs, au cours de l'audience de la chambre du conseil où le tribunal doit prendre sa décision, Aïdi a fait valoir qu'il avait gagné de l'argent avec sa société en Hollande ou en Belgique - je ne me souviens plus. Je lui ai alors dit que si tel était le cas, il n'avait qu'à en ramener.

M. le Rapporteur : Quelle société ? Elle ne figurait pas dans le périmètre ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non.

M. le Rapporteur : Il y avait donc des sociétés in bonis qui ne figuraient pas dans le périmètre de redressement.

M. Jean-Louis CHEVALIER : C'étaient des sociétés étrangères. Elles n'avaient rien à voir.

M. le Rapporteur : Mais elles étaient contrôlées, dans le capital, par les sociétés qui figuraient dans le redressement.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non ! Par Aïdi ! Je ne me souviens plus du nom de cette société de Belgique ; ou de Hollande. Et lorsqu'il a dit qu'il avait gagné de l'argent ici et là, j'ai demandé des explications, mais personne n'a été capable de me les donner.

Toujours est-il que cela faisait trois raisons pour que je donne un avis défavorable au plan de continuation. »

Par la suite, vous avez pris une position contraire à celle du tribunal. C'est un point que nous aborderons dans quelques instants.

Donc, il y a des sociétés in bonis que contrôle M. Aïdi, qui ne figurent pas dans le périmètre. Je ne parle pas d'Interhotels puisque, là, au moins, on s'est posé la question. Et, à part vous, on ne demande pas à M. Aïdi des comptes sur cette question.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non, il n'y a pas que moi.

M. le Rapporteur : Qui d'autre ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je ne me souviens plus qui, au cours de la chambre du conseil, a demandé telle ou telle chose.

M. le Rapporteur : Ne trouvez-vous pas curieux qu'on laisse passer les choses ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Cette société, hollandaise, je crois, je ne vois pas comment on pouvait l'inclure dans la procédure ou faire quoi que ce soit dans la procédure concernant cette société. Nous l'avons appris au cours de la chambre du conseil. Je l'ai appris ce jour-là et je n'étais vraisemblablement pas le seul.

M. le Rapporteur : Je vous remercie de votre réponse.

Le dossier Royal-Monceau est un exemple. Il y a d'autres dossiers sur lesquels nous avons travaillé et sur lesquels nous poserons des questions, mais celui-ci nous paraît très curieux dans la manière dont il a été géré.

Il se trouve que, par hasard, la commission d'enquête est tombée sur une société qui a appartenu au groupe de M. Aïdi. Elle ne figure pas dans le périmètre de redressement. Là, nous sommes sûrs qu'elle a appartenu à M. Aïdi, puisqu'il en a été le P.D.G. pendant des années et que le dernier P.D.G. en date, c'est-à-dire jusqu'à un mois avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, n'était autre que M. Bachayani, qui était lui-même le président d'un grand nombre de sociétés figurant dans le périmètre. Il se trouve que cette société est tombée en liquidation postérieurement à la procédure. Elle a fait l'objet d'une procédure de liquidation à la demande d'un des créanciers, la société Moët et Chandon, qui avait une créance de 380 000 francs, qui n'avait pas été réglée. Moët et Chandon a assigné en liquidation à la fin de l'année 1997. C'était un hasard. L'affaire vient à la procédure, le mandataire-liquidateur est désigné. Il fait une enquête dont le rapport, qui est sous les yeux de la commission d'enquête, a été communiqué le 19 août 1997, soit dix neuf jours après la décision de continuation pour M. Aïdi. Cette société s'intitule Société anonyme Hoche. J'ai interrogé le commissaire aux comptes, qui est le même que celui de toutes les autres sociétés du groupe Aïdi, M. Dominique Gagnard. Je l'ai eu au téléphone, ainsi que le mandataire-liquidateur.

Ce mandataire-liquidateur a interrogé un certain nombre de personnes et s'est aperçu que le gérant était un salarié de l'hôtel Royal-Monceau, qui a d'ailleurs écrit une lettre de démission à son actionnaire: «Vous m'avez demandé d'être temporairement le gérant des sociétés holdings Pont-Royal que vous veniez d'acheter. Vous m'avez dit que cela ne durerait que le temps de faire les papiers. J'ai accepté pour rendre service, sans salaire ni rémunération. Maintenant, je ne veux plus rien savoir». Voici la lettre de ce monsieur, qui s'appelle Sayed Bouganem. Le hasard fait mal les choses, monsieur le président, car nous sommes, là, sur un point assez sensible du dossier et je voudrais que vous nous répondiez précisément. Excusez-moi d'être un peu long dans l'exposé des motifs.

Dans cette affaire, quelques mois avant l'ouverture de la procédure, la société Hoche a fait à la société FIDI, dont le siège social est aux îles Vierges britanniques, une avance de 148 259 777 francs, c'est-à-dire presque la moitié du chiffre d'affaires du groupe Royal-Monceau.

À ce moment-là, Bernard Meille est mandataire ad hoc. Les discussions se bloquent entre les créanciers et M. Aïdi, à la tête de toutes ses sociétés, ainsi que ses hommes qui dirigent l'ensemble des sociétés du groupe. Dans le même temps, la société anonyme Hoche prête quelque 150 millions de francs à une société dans les îles Vierges britanniques, à Tortola, les îles Tortues. Il n'est d'ailleurs pas difficile de les retrouver. En consultant le livre intitulé:«Paradis fiscaux et opérations internationales», publié aux éditions Francis Lefebvre, nous avons constaté qu'il existe dans les Petites Antilles une île Tortola, au large des États-Unis. C'est un paradis fiscal bien estampillé, ce n'est pas un symbole de transparence financière.

Figurez-vous que, dans l'exercice 1996, et tout cela est confirmé par le mandataire-liquidateur et le commissaire aux comptes, la somme de 135 millions de francs a été provisionnée pour pertes. C'est-à-dire que l'on a fait un prêt qui, quelques mois après, a été passé en pure perte, comme s'il ne devait jamais être recouvré. C'est une société qui a appartenu à M. Aïdi, qui ne figure pas dans le périmètre de redressement.

Ces capitaux, qui s'en vont dans les îles Vierges, sont justifiés d'une façon assez curieuse. Lorsque j'interroge le commissaire aux comptes, il me répond que cela était justifié pour transformer un immeuble, l'un des actifs du groupe Royal-Monceau. 150 millions de francs pour transformer un immeuble en hôtel, c'est beaucoup. De surcroît, est-il nécessaire, quand on veut faire une avance pour payer la transformation d'un immeuble, d'envoyer cet argent dans les îles Vierges ? La réponse est: «Oui, en effet.»

Par ailleurs, lorsque nous interrogeons le mandataire-liquidateur, il nous dit qu'il a été radicalement impossible d'obtenir la comptabilité de cette société, que cette entreprise est en cours de liquidation et qu'il est impossible au mantataire-liquidateur et au juge-commissaire d'obtenir la comptabilité.

Je voulais simplement appeler sur ce point l'attention du juge-commissaire que vous avez été. Quelle est votre réaction ? Avez-vous eu connaissance de l'existence de cette société qui, d'ailleurs, a fait l'objet d'une analyse par Me Meille dans son rapport ? Mais elle tient en quelques lignes. On ne s'est jamais posé la question de savoir si 150 millions de francs avaient disparu. C'est presque l'équivalent de la créance de Paribas dans cette affaire qui est parti en fumée.

M. Jean-Louis CHEVALIER : À l'origine de l'ouverture de la procédure, il y avait une saisine d'office du tribunal qui comportait un certain nombre de sociétés qui avaient fait l'objet d'un mandat ad hoc chez Me Meille. Nous sommes partis, au prononcé du jugement de redressement judiciaire, sur les sociétés qui avaient fait l'objet d'un mandat ad hoc, donc, celles qui figurent et qui, par la suite, on fait l'objet d'un plan de continuation, ou plutôt certaines, puisque d'autres ont été liquidées en cours de route.

Je n'ai jamais eu connaissance, ou alors, je n'ai pas suffisamment prêté attention à un rapport, puisque vous dites que Me Meille en parle, relatif à cette société-là en particulier.

Quoi qu'il en soit, Me Meille, qui a étudié le dossier et qui le connaissait forcément mieux que le tribunal, au départ et même en cours d'administration, n'a pas soulevé particulièrement ce point, ni attiré l'attention du tribunal et, en l'occurrence, du juge-commissaire.

Admettons que cela soit passé à travers.

M. le Rapporteur : Ce ne sont pas 150 000 francs, ce sont 150 millions de francs !

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je suis bien d'accord.

M. le Rapporteur : Cela signifie que l'on n'a pas demandé la comptabilité de la société anonyme Hoche, dirigée par les hommes d'Aïdi, avant de commencer à ouvrir le redressement. Il y a 150 millions de francs qui disparaissent. Cela s'appelle un détournement d'actifs.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Avant l'ouverture de la procédure, le tribunal n'était rien. Il avait donné une mission à un mandataire, qui a été chargé de prospecter et de voir dans quelle mesure la continuation du groupe Aïdi pouvait être envisagée, mais lorsque l'affaire est venue sur saisine d'office du tribunal, le tribunal n'a été saisi que d'un certain nombre de sociétés qui figurent dans le jugement. À ma connaissance et d'après mon souvenir, il n'a pas été fait été allusion à cette société.

Le tribunal est obligé de s'en rapporter à ce que disent les mandataires de justice, au sens large du terme, en l'occurrence, l'administrateur ou le mandataire ad hoc. Admettons que..., non, je n'admets pas, je dis que je n'ai pas vu cette question-là.

M. le Rapporteur : Il est important que vous nous disiez que vous ne l'avez pas vue.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non, je ne l'ai pas vue.

M. le Rapporteur : Entre ce que l'on ne veut pas voir sur Interhotels, parce que c'est trop compliqué, et ce que l'on ne voit pas, parce que c'est la faute aux administrateurs, je me demande si la justice est bien administrée. Il est normal que l'on se pose ces questions. Nous allons transmettre ce dossier au parquet. C'est un point important. Nous délibérerons au sein de la commission pour savoir ce qu'il convient de faire de cette découverte. Rien que la décision d'ouverture en redressement judiciaire comporte trois anomalies de cet ordre, alors que le parquet vous dit, dans ses analyses qui sont extrêmement bien étayées et reprises non pas par un magistrat du parquet mais par l'ensemble du parquet, qu'Interhotels est dirigée par Aïdi. Et on dit: non, mais non ! Tout cela est très problématique.

Il y a aussi la question de la reprise, de la poursuite et de la continuation. Vous nous avez expliqué que vous n'étiez pas d'accord avec ce plan de continuation. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Excusez-moi, monsieur le député, je ne vous ai pas dit que je n'étais pas d'accord avec la décision qui a été prise, je vous ai dit qu'au cours de la chambre du conseil, j'avais proposé l'adoption du plan de cession par le tribunal. J'ai ajouté: «Il faut croire que j'avais tort, puisque la cour d'appel a entériné le jugement prononcé sur un plan de continuation».

M. le Rapporteur : C'est une autre histoire. Nous en parlerons tout à l'heure avec M. Mattei, qui en fait un argument décisif dans cette affaire.

Vous nous avez expliqué que vous considériez que, dans cette affaire, il était inconcevable que l'on continue à faire confiance à Aïdi.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Le juge-commissaire a été entendu...

M. le Rapporteur : Vous avez été entendu et vous l'avez dit ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : J'ai été entendu et j'ai pu m'exprimer.

M. le Rapporteur : On vous a écouté mais on ne vous a pas entendu.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Ce n'est pas la première fois qu'un juge-commissaire entendu par le tribunal n'est pas suivi par la formation de jugement.

M. le Rapporteur : Je suis ravi de constater qu'il y a un débat dans le tribunal. C'est plutôt sain.

M. Jean-Louis CHEVALIER : J'ai émis une opinion, mais mon point de vue ne prévalait pas. Comme je vous l'ai dit, j'ai constaté que je devais avoir tort, puisque la cour d'appel a confirmé.

M. le Rapporteur : Il y a un point que soulève le parquet dans la décision prise par le tribunal, à savoir l'absence de motivation de la décision. Qu'en pensez-vous ?

Considérez-vous normal, dans une affaire où il y a deux milliards de francs de passif et mille salariés, que l'on trouve des attendus de ce genre, représentant un demi-paragraphe, après quarante-trois pages de rappel des éléments. On ne trouve pas de motivations de la décision. C'est exactement ce dont s'est plaint le parquet devant la cour d'appel.

Est-ce normal, est-ce courant, dans une affaire de cet ordre ? La justice ne consiste pas seulement à rendre des décisions, mais aussi à les rendre acceptables par tous, donc, à les expliquer. Je cite un grand magistrat qui exerce en face de votre tribunal, monsieur le président. Qu'en pensez-vous ?

Je lis : «Sur ce, le tribunal donnera acte aux sociétés Kempinski de leurs engagements de garantie d'intervention en prestation de services et apports de fonds propres, dont la prise en considération constitue la condition déterminante de sa décision et, en conséquence, arrête le plan de continuation».

Dans cette affaire, premièrement, le périmètre est suspect, et je pèse mes mots. Deuxièmement, on n'exige pas d'Aïdi des apports en fonds propres. Il ne met pas un franc de plus dans cette affaire, alors qu'il a déjà laissé deux milliards de francs de passif. Troisièmement, quand on lui demande: «Sur qui vous appuyez-vous pour faire fonctionner votre entreprise et fournir des garanties aux créanciers et aux salariés qui vivent de cette entreprise ?», il répond: «Je m'appuie sur un groupe, le groupe Kempinski», dont le tribunal n'avait strictement rien pour apprécier le sérieux de ses garanties.

Vous le dites, d'ailleurs, vous-même, dans votre déclaration faite il y a deux jours: « J'y étais opposé parce qu'on ne connaissait rien sur... Kempinski - ou un nom de ce genre -, parce qu'on ne savait pas ce qu'il était. En fait, ayant l'habitude de rechercher du renseignement en tant qu'ancien officier de gendarmerie, je me suis documenté. Or la situation de Kempinski n'était pas suffisamment brillante pour venir en aide à Aïdi. Par ailleurs, j'ai demandé des explications sur cette fameuse société de Bahreïn, dirigée par M. Chami qui venait de racheter des créances ... ». Pas la totalité, puisqu'il en avait racheté pour 70 millions de francs, ce qui est peu sur 2,5 milliards de francs.

Je poursuis: « ce Chami ou Chamir en question était avocat, je crois. Il y avait donc une incompatibilité entre le fait que cet avocat soit dirigeant de cette société de Bahreïn et, en même temps, administrateur dans les sociétés d'Aïdi. Je voulais des explications, savoir ce qu'était cette société.

M. le Rapporteur : Avez-vous obtenu ces explications, sur Kempinski et sur ACDT ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non.

Par ailleurs, au cours de l'audience de la chambre du conseil où le tribunal doit prendre sa décision, Aïdi a fait valoir...»

Que peut-on penser de cette justice, monsieur le président ? Vous êtes juge-commissaire, vous demandez des explications, vous ne les obtenez pas. Un groupe fantôme arrive à la barre du tribunal. Aïdi ne met pas un franc, alors qu'il laisse deux milliards de francs de passif ! Quand on demande avec qui les accords sont passés entre Kempinski et Aïdi, on nous répond: avec Interhotels. Interhotels n'est pas dans le périmètre de redressement, de sorte que toutes les décisions que l'on pouvait prendre vis-à-vis de Kempinski pour garantir l'exécution du plan de continuation et d'apurement n'existent pas. Il n'y a pas de garantie, parce qu'on passe avec Interhotels. Interhotels n'est pas dans le périmètre du redressement, mais il est dans le périmètre de la continuation !

Comment voulez-vous qu'on accorde le moindre crédit à de telles décisions. Comment s'étonner ensuite que les bruits les plus fous courent sur votre tribunal, monsieur le président ? Je vous pose une question sincère.

M. Jean-Louis CHEVALIER : ...

M. le Rapporteur : C'est accablant.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Monsieur le député, il est hors de question de vous faire des commentaires sur un jugement qui a été rendu par ce tribunal.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas seulement un commentaire sur un jugement. D'abord, vous pouvez faire tout commentaire sur un jugement, pour la raison simple que nous en faisons et que tous les citoyens ont le droit de commenter toute décision de justice. C'est une chose de porter atteinte à l'autorité de la justice, c'en est une autre de critiquer des décisions qui sont pour le moins critiquables.

Dites-nous votre sentiment de juge et de citoyen. Est-ce que cela est normal ? Que s'est-il passé dans cette affaire ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je ne sais pas ce qui s'est passé. Toujours est-il que j'ai pris une position. Ma position n'a pas été retenue, je ne vais pas en faire une maladie. Je ne suis pas là pour revendiquer le fait que j'aie raison. D'autant plus que, je le maintiens, je croyais avoir raison. Il faut croire que j'avais tort, puisque les professionnels ont confirmé ce qui avait été dit en première instance.

Je ne vois pas dans quelle mesure je pourrais me permettre, en tant que juge lambda, de faire des commentaires sur des décisions qui ont été prises non seulement par des collègues, mais par des magistrats professionnels, à la cour d'appel ? Certains de mes jugements sont allés en appel, j'ai été infirmé. J'aurais dû faire des commentaires dans la presse sur la façon dont...

M. le Rapporteur : Monsieur le président, je vous interromps. Je n'en suis pas encore venu à la décision de la cour d'appel, j'en suis à la décision de votre tribunal. Pour la raison simple que la cour d'appel, derrière laquelle tout le monde s'abrite dans ce tribunal.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non.

M. le Rapporteur : Si, tout le monde, M. Mattei et vous, mais je ne vous le reproche pas, il faut bien chercher à se protéger un peu quand la critique est trop vive.

Je vais vous lire l'attendu de l'arrêt de la cour d'appel qui explique la raison pour laquelle elle n'a pas eu d'autre solution que de confirmer: «Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la seule alternative à l'arrêt des plans de continuation est la solution liquidative et que c'est en fonction de cette constatation qu'il convient de rechercher si la solution retenue par le premier juge permet de satisfaire au mieux les objectifs fixés par la loi...» Cela signifie que cinq mois après, il n'y avait pas d'autre solution, car les offres concurrentes avaient disparu après la décision du tribunal, que de choisir entre la solution que vous aviez retenue avec les juges du tribunal de commerce de Paris, c'est-à-dire Aïdi, et la liquidation. Un juge de bon sens, et il en est aussi en face, ne pouvait en effet - ils l'expliquent presque en s'excusant - prendre une autre décision que la solution de liquidation pure et simple.

Dire que la cour d'appel a confirmé n'est pas une réponse intellectuellement et moralement satisfaisante. Telle est ma position. Quelle est la vôtre ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Puis-je me permettre un commentaire sur l'attendu de la cour d'appel ? Il m'est arrivé dans des affaires où il n'y avait pas d'autre solution, où je me trouvais entre deux positions, que la cour d'appel prononce la liquidation judiciaire avec poursuite d'activité de deux mois, éventuellement renouvelables. Cela aurait permis au mandataire-liquidateure de solliciter les repreneurs, qui seraient certainement venus dans le cadre de la liquidation, car il y en avait parmi eux de sérieux comme Hermes, Chanel et le groupe Hyatt. Cela aurait permis de préserver l'emploi, la continuité de l'entreprise et d'aboutir à la cession par le liquidateur des sociétés du groupe Aïdi.

M. Jacky DARNE : Je n'ai pas une aussi grande connaissance du dossier que le Rapporteur, mais je reviendrai sur deux points: le périmètre et la reprise.

En ce qui concerne le périmètre, il est frappant que la notion de groupe n'ait pas été plus présente dans votre esprit, au départ. Vous avez dit qu'il y avait eu saisine d'office du tribunal, mais dans une affaire de cette importance, ne vous semble-t-il pas qu'une des priorités soit de délimiter le champ ? Dans de nombreuses situations semblables, les propriétaires divisent leur patrimoine, le localisent dans des structures juridiques situées dans différents pays ou régions, ou si c'est dans le même pays, sous différentes formes juridiques. Il était donc assez facile de faire échapper aux risques financiers des sociétés solvables, parce qu'elles ont des éléments qui n'ont pas supporté de dettes, en en faisant supporter les conséquences par l'ensemble des créanciers.

Ne convenait-il pas de s'interroger sur la notion de groupe et sur l'étendue des sociétés liées, y compris Interhotels ? Vous avez expliqué que les propriétaires n'étant pas les mêmes, il ne vous apparaissait pas possible de l'inclure dans le champ, mais la simple lecture des conditions d'exploitation montrait qu'Interhotels était entièrement impliquée dans la société par les contrats de gestion. La mise à disposition d'équipes techniques, de personnels, ce qui était appelé le «savoir-faire», la redevance calculée sur le chiffre d'affaires, tout cela montrait une interdépendance très grande entre Interhotels et le reste du groupe, puisque cela concernait l'ensemble des sociétés du groupe.

La simple connaissance des éléments de gestion n'incitait-elle pas à penser que les éléments apparents ne traduisaient peut-être pas la réalité des relations existant entre ces sociétés, eu égard à la nature et à l'importance des contrats ? D'autant qu'outre la société citée par le Rapporteur, d'autres, comme la société d'exploitation de la Roque et la société de restauration Marbeuf, ont fait l'objet de traitements particuliers.

Au delà du particulier, le traitement des opérations de liquidation des groupes de sociétés, ne pêche-t-il pas de façon considérable et ne pénalise-t-il pas les créanciers et les salariés ?

C'est ma première question qui est méthodologique au-delà du cas particulier : le juge-commissaire a-t-il la capacité matérielle de s'interroger sur cela, alors qu'il s'agit d'une affaire d'une taille considérable ? Ce n'est pas l'artisan ou le commerçant de base qui dépose son bilan, nous sommes à des niveaux de passif qui mobilisent nécessairement l'attention de tous.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je crois que le juge-commissaire a les moyens de mener à bien sa mission, mais, dans le cas présent, la notion de groupe n'existe pas, à proprement parler, dans le droit français. En outre, le tribunal n'était pas saisi.

M. Jacky DARNE : Il s'est saisi.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Il s'est saisi. Il a été saisi par le fait qu'à partir du moment où il y avait un mandataire ad hoc, tout s'enchaînait.

Le tribunal s'est saisi et, par la suite, ainsi que je l'expliquais à M. le Rapporteur, en ce qui concerne Interhotels, je reconnais que Monsieur le député pense qu'on aurait dû l'inclure dans la procédure.

M. Jacky DARNE : Avez-vous examiné la nature des conventions et si leurs niveaux de tarification et de relations financières étaient satisfaisants ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : C'est précisément ce que j'expliquais. L'expert Germon, qui a été nommé officiellement, a conclu que les contrats étaient normaux. Par ailleurs, on a demandé au CCF, qui avait un spécialiste en matière d'hôtellerie, ce qu'il pensait des contrats, et il a répondu que les contrats étaient normaux et du type de ceux qui se pratiquaient couramment. À partir du moment où le contrat n'avait rien d'anormal, je n'ai pas jugé nécessaire d'inclure Interhotels dans la procédure. En outre, les actionnaires d'Interhotels n'étaient pas les mêmes que ceux du groupe Aïdi, à part le dirigeant qui, comme l'a relevé Monsieur le Rapporteur, était dirigeant d'autres sociétés du groupe Aïdi.

M. le Rapporteur : Je dois tout de même vous dire que personne, pas même Me Meille, malgré ses efforts, n'a réussi à connaître l'actionnariat précis d'Interhotels. Nous ne savons toujours pas qui est dans l'actionnariat d'Interhotels. Ce sont les bonnes paroles de M. Aïdi, en une ligne et demi, qui semblent avoir emporté la conviction du tribunal. Voilà où nous en sommes.

M. Jacky DARNE : Ces affaires immobilières sont apparues dans un contexte particulier, dans une situation économique où les banquiers se sont souvent engagés dans des financements qui les entraînaient parfois plus loin qu'ils ne l'auraient voulu et qui risquaient de générer des pertes importantes dans leurs bilans, après qu'ils se soient engagés pour des crédits considérables.

Estimez-vous que la solution retenue - et celle des banquiers, qui, en réalité, étaient engagés -, l'a été aussi pour éviter que l'on n'interroge les banquiers sur leur propre responsabilité sur les conditions dans lesquelles ils s'étaient engagés ? Autrement dit, vous, juge-commissaire, vous êtes-vous interrogé sur la responsabilité particulière que pouvaient avoir ou ne pas avoir les banquiers qui participaient au financement de ce groupe ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : J'ai entendu dire, à l'époque, que M. Aïdi avait dit aux banques: «Si l'affaire m'échappe, j'attaquerai les banques en soutien abusif», ce qui est classique quand un débiteur se trouve en difficulté. Il est vraisemblable que les banques se sont dit qu'il pouvait y avoir matière à être condamnées et qu'il était préférable, pour elles, de soutenir le plan de continuation.

M. Jacky DARNE : Donc, vous confirmez mon hypothèse ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Oui.

M. Jacky DARNE : Cela n'a-t-il pas eu pour conséquence que la proposition faite n'a pas conduit à examiner sur le même niveau et de façon également pertinente les autres offres faites auprès du tribunal, par des banquiers qui n'étaient pas préalablement engagés ? Cette situation n'a-t-elle pas conduit indirectement à ce que la solution de reprise choisie fût différente de ce qu'elle aurait été sans la volonté des banquiers d'éviter que l'on recherche leur responsabilité ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Monsieur le député, les arguments retenus par le tribunal ont été discutés dans une pièce où il y avait trois juges, et je ne faisais pas partie de ces trois juges. Je ne peux donc pas vous dire ce qu'il en est.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, j'évoquerai une autre affaire importante, celle de la liquidation du Palace.

Nous avons reçu Mme Régine Choukroun, qui a souhaité être entendue par nous. Nous avons travaillé sur le dossier et nous avons aussi des questions à vous poser, puisque vous étiez juge-commissaire dans cette affaire.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Absolument.

M. le Rapporteur : Si j'ai bien compris, le Palace a subi une fermeture judiciaire de trois mois, pour des raisons qui, d'ailleurs, n'ont pas été entérinées par le tribunal ultérieurement, mais peu importe. Cette fermeture de trois mois a entraîné un dépôt de bilan. Ce dépôt de bilan a amené votre saisine.

M. Jean-Louis CHEVALIER : À mon avis, et là je connais parfaitement le dossier, ce n'est pas la fermeture qui a entraîné le dépôt de bilan. Auparavant, des prêts avaient été faits par Hucknall, l'Anglais «courant d'air», puisqu'on ne l'a jamais vu malgré sa qualité de repreneur. Il avait injecté de l'argent avant la fermeture administrative.

M. le Rapporteur : Parce qu'il voulait l'acheter ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Parce qu'il voulait l'acheter.

M. le Rapporteur : C'est donc une affaire qui l'intéressait ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Qui intéressait Hucknall.

M. le Rapporteur : Qui intéressait un Anglais. Avant le dépôt de bilan et le mandat ad hoc, je crois savoir qu'il y a eu des discussions. La période d'observation s'est présentée plutôt bien. J'ai lu dans le dossier que les administrateurs judiciaires étaient favorables à la continuation, les représentants des salariés également - ils étaient tout de même soixante-dix. Le représentant des créanciers était également favorable au plan d'apurement de passif proposé par le fameux Hucknall, qui est un des chanteurs du groupe Simply Red. Puisque cet homme semble avoir du crédit dans certains milieux, il est important d'en faire état.

Il se trouve qu'alors qu'une proposition avait été faite par Hucknall de reprendre, de sauver la totalité des emplois, d'assurer 100 % du passif, c'est-à-dire de désintéresser totalement les créanciers - je l'ai compris à la lecture des analyses de Me Facques, l'administrateur judiciaire -, d'offrir des garanties, de surcroît, personnelles - il y avait des éléments dans le détail desquels vous pourrez entrer -, malgré cela, le tribunal a pris une décision de liquidation qui, là encore - j'ai le jugement sous les yeux, je l'ai relu ce matin - reste incompréhensible.

Mme Choukroun, que j'appellerai un peu familièrement, même si je ne la connais pas, Régine, est venue nous trouver. Elle nous a demandé d'enquêter. Nous n'avons pas pu lui refuser, car les questions qu'elle posait étaient tout à fait semblables à des questions qui ont été posées par des centaines de justiciables en France, dans des tribunaux de commerce qui n'ont pas la même taille que le vôtre. Si cela semblait être une affaire comme une autre, pour elle, c'est l'affaire de sa vie qu'elle a perdue.

Je vais vous lire ses déclarations et je vous demande de m'arrêter quand vous jugez qu'elle se trompe :

« Il était clair, ce qui explique ma tranquillité par la suite, que nous n'aurions aucun problème à trouver un accord puisque nous avions des acheteurs prêts à suivre le plan qui serait indiqué, que nous ne connaissions pas.

La suite des événements a été, chaque fois, choquante - je cherche le mot car je ne veux pas employer un trop fort - étonnante et incompréhensible. Les personnes qui voulaient acheter étaient renvoyées avec des prétextes qui ne tenaient pas debout. Le chiffre d'affaires était de 45 millions de francs ; cette affaire avait toutes les raisons de bénéficier d'un plan de continuation, puisqu'un acheteur se présentait avec 50 millions de francs, reprenait toutes les dettes et gardait tout le personnel, soit soixante-dix personnes, à une époque où le problème de l'emploi est évoqué trente fois par jour à la télévision. Je ne dis pas que c'était la raison déterminante, mais la gestion était très bonne et il n'y avait aucune raison de liquider cette affaire de cette manière « malpropre ». (...)

Voilà comment Régine qualifie la décision du tribunal.

Mme Régine CHOUKROUN : À ma grande surprise, j'ai appris que l'offre de M. Mick Hucknall, le repreneur, était rejetée sous prétexte qu'il n'avait pas les moyens de suivre et que, dans les six mois, on le verrait à nouveau devant le tribunal. Or c'est un chanteur qui gagne autant d'argent que Michael Jackson. Il possède en Amérique une cinquantaine de bars et d'hôtels, une compagnie qui les gère. Il n'est pas venu dans cette affaire par hasard pour faire « joujou ». Il gagne beaucoup d'argent, il avait donc les moyens de prendre cette affaire et de la suivre tout à fait normalement. Il est entouré d'un groupe d'avocats et de personnes qui sont très sérieux et précis. (...)

Le juge-commissaire, M. Chevalier a dit qu'il avait demandé autour de lui qui étaient Mick Hucknall et son groupe Simply Red (...). On lui aurait répondu qu'ils n'étaient pas connus. J'ai été très choquée ; je me demandais auprès de qui il s'était renseigné, c'était tellement énorme !

M. le Rapporteur : Vous voulez dire, Madame, que le juge-commissaire ne voulait pas accepter cette solution.

Mme Régine CHOUKROUN : Non, il ne voulait rien entendre, c'est clair. »

Je vais continuer, mais voulez-vous bien réagir à ce stade, monsieur le président ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : À la suite de la solution qui a été adoptée, puisqu'on en arrive à la fin, à la sortie de l'audience où le plan de continuation du «Régine's» a été adopté, l'avocat de Régine a demandé à me voir. Il m'a dit: «Mme Régine voudrait vous voir». Je suis allé trouver Mme Régine à la sortie de la salle d'audience. Elle m'a dit: «Je vous remercie beaucoup, Monsieur le président».

M. le Rapporteur : Donc, elle était ravie ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je vous rapporte le fait.

M. le Rapporteur : Elle ne vous l'a pas dit sous serment. Là, elle nous l'a dit sous serment. Je voudrais que vous réagissiez aussi sous serment.

Je poursuis:

« M. Le Rapporteur : Il n'était pas question que le Palace soit repris dans ces conditions; cela vous a paru clair et limpide ?

Mme Régine CHOUKROUN : J'étais très en colère, quand les décisions ont été prises, je souhaitais intervenir en suspicion légitime.

M. le Rapporteur : Suspicion légitime contre qui ? Contre le juge-commissaire ?

Mme Régine CHOUKROUN : Sur le jugement. On m'a conseillé de rester tranquille, de ne pas faire de bruit.

M. le Rapporteur : Pourquoi ?

Mme Régine CHOUKROUN : Parce que mon Régine's était en jeu.

M. le Rapporteur : Expliquez-nous cela, Madame.

Mme Régine CHOUKROUN : Comment mon Régine's pouvait-il être en jeu ? A un moment donné, nous voulions faire du capital-risque. Le Régine's est une affaire très personnalisée - sur moi bien sûr puisqu'elle existe depuis vingt-cinq ans - très stable, qui gagne de l'argent mais surtout qui a toujours été soutenue par mes activités, puisque j'étais toujours la personne qui apportait l'argent nécessaire. C'était ma maison-mère, c'était très important...

M. le Rapporteur : C'était votre base.

Mme Régine CHOUKROUN : C'est mon talon d'Achille. D'une façon peu franche mais très précise, on m'a fait comprendre que si je faisais du remue-ménage le Régine's serait aussi liquidé.

M. le Rapporteur : Le Régine's qui est une société autonome dans le groupe, a été mise hors du périmètre de redressement judiciaire. Il y a eu un plan de continuation indépendant. Qui a décidé de cette solution, de séparer les problèmes ?

Mme Régine CHOUKROUN : Je ne sais pas, juridiquement je ne suis pas très forte ; je me suis donc pliée à ce qui m'était dit. M. Borello me rapportait fidèlement ce qui se passait au tribunal. Tout le monde sait que je suis quelqu'un de très énergique ; j'ai trouvé la décision concernant le Palace tellement énorme que ma première réaction a été de dire à Maître Veil, notre avocat pour le Palace, qu'il fallait faire un recours en suspicion légitime.

M. le Rapporteur : Vous pensiez que les juges étaient soupçonnables dans cette affaire ?

Mme Régine CHOUKROUN : Je pensais surtout que la décision était soupçonnable. (...)

Dans mon esprit, le tribunal de commerce que je ne connaissais pas, - je n'y avais jamais mis les pieds -, représentait la justice totale. Je n'avais aucune crainte quant à ce qui pouvait advenir du Palace, étant donné que tout le plan décrit était d'une correction totale : l'accord des créanciers, des salariés, des banques, des chirographaires, le maintien du personnel, une gestion approuvée par tous les audits réalisés. Donc, je souhaitais qu'on m'explique pourquoi et à qui profitait le crime. »

Mme Choukroun a des expressions qui lui sont personnelles, ce qui est son droit. Nous avançons un peu dans le détail. Elle raconte les rencontres avec M. Mattei, avec vous-même.

Je trouve qu'il serait intéressant que vous réagissiez à ce stade, car il est vrai que nous n'avons toujours pas compris la décision. Peut-être pouvez-vous nous fournir des éléments de compréhension ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Lorsque l'ensemble des sociétés de Régine a été mis en redressement judiciaire, il a été présenté un premier plan de continuation. Il y avait deux plans de continuation.

M. le Rapporteur : Nous avons vu cela.

M. Jean-Louis CHEVALIER : D'un côté, il y avait le Palace, et, de l'autre côté, le Régine's et un ensemble d'autres sociétés. Mais ils étaient tellement imbriqués l'un dans l'autre que l'on acceptait ou l'on n'acceptait rien.

Par ailleurs, le plan prévoyait - ce que ne dit pas Mme Choukroun -, pour des sociétés qui ne dépendaient pas du Palace, de rembourser, de désintéresser les créanciers, de sorte que certains créanciers étaient avantagés par rapport à d'autres, ce qui est contraire à la loi.

M. le Rapporteur : Si vous acceptiez un plan de continuation pour le Régine's, vous pouviez l'accepter pour l'autre. Cela faisait une affaire de moins à liquider. C'est une question un peu provocante, monsieur le juge.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je n'ai pas les chiffres en tête. Elle ne vous dit pas qu'elle était caution à hauteur de 8 millions de francs du Palace.

M. le Rapporteur : Tout cela est dans le dossier.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Oui, dans le dossier.

M. le Rapporteur : Elle dit même: J'étais créancier de cette affaire. Je n'en étais pas dirigeante, mais j'avais mis de l'argent dans cette affaire, et j'étais caution. J'étais également intéressée au sauvetage de cette affaire, car j'étais également créancier. Le tribunal a ordonné la liquidation, a fait mourir mon fonds de commerce.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Quoi !

M. le Rapporteur : Je résume, ce ne sont pas ses mots, ce sont les miens.

Le tribunal a fait mourir mon fonds de commerce, et aujourd'hui le Palace est mis en vente - celle-ci doit d'ailleurs intervenir la semaine prochaine - à 4 millions de francs. Alors qu'il y avait 35 ou 40 millions de passif, quelqu'un pour reprendre l'affaire, une affaire prestigieuse, avec des salariés, on a préféré, ici, au tribunal de commerce, mettre tout le monde dehors et ne pas être en mesure, en réalisant l'actif, de désintéresser les créanciers. Alors qu'il y avait quelqu'un qui proposait de l'argent, que vous ne connaissiez pas, parce que vous ne connaissez pas Simply Red, chacun ses goûts. Des décisions prises sur de tels critères sont-elles conformes à l'idéal judiciaire ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Le fait que je ne connaisse pas Hucknall n'a pas été le critère déterminant.

M. le Rapporteur : J'en conviens, monsieur le président. Quel a été le critère principal qui vous a fait liquider le Palace, alors que quelqu'un était prêt à reprendre tout ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : D'abord, beaucoup trop d'article 40 étaient générés depuis la période d'ouverture. Ensuite, la continuation n'étaient pas forcément viable, parce que, et elle ne le dit pas, des procédures était en cours en raison des nuisances subies par des locataires voisins. Enfin, la personne qui avait créé le Palace pour en faire un théâtre d'essai a fait intervenir le ministère de la culture pour qu'il ne reste pas une boîte de nuit. L'ordonnance de vente aux enchères du Palace que j'ai signée, a d'ailleurs été l'objet d'une opposition de la part de cette personne, Mme Wagner, faisant état de l'impossibilité d'exploiter le Palace en tant que discothèque ou boîte de nuit.

M. le Rapporteur : Le ministère de la culture, c'est une autre affaire, ce qui m'intéresse, ce sont les critères économiques. Vous avez dit, et c'est un critère économique, que le risque était qu'Hucknall ne présente pas un plan de continuation viable, mais puisque vous avez vous-même liquidé, ne valait-il pas mieux tenter ? Vous le faites bien pour Aïdi avec 2 milliards de francs de passif, vous ne pouviez pas le faire pour Hucknall ? Expliquez-nous cela.

M. Jean-Louis CHEVALIER : ...

M. le Rapporteur : J'ai autre chose à vous demander. Je m'aperçois qu'en effet, vous avez signé la mise à prix des murs du Palace.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Pour 22 millions de francs.

M. le Rapporteur : Une offre avait été faite par M. Hucknall, à travers son avocat, Me Daniel Bouland. Il proposait 43 millions de francs. Pourquoi n'avez-vous pas mis à prix à 43 millions ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Ce n'est pas moi qui ai fait la proposition. S'il y avait eu une proposition à 43 millions, j'aurais fixé la mise à prix à 40 millions.

M. le Rapporteur : Vous faites une mise à prix à 22 millions, qui est d'ailleurs tombée à 4 aujourd'hui ; il y avait une offre à 43 millions et M. Hucknall est obligé de faire opposition à votre ordonnance. C'est ce qu'il écrit par l'intermédiaire de son avocat, dans une lettre en date du 21 mars 1997, que j'ai trouvée dans le dossier, ce matin. Il veut s'opposer à la mise en vente aux enchères publiques, car il veut le Palace, il est prêt à y mettre le prix, il avait fait une offre de 43 millions et on met en vente à 22 millions. Est-ce inexact ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je n'ai pas eu connaissance de l'offre à 43 millions.

Le principe en vigueur au tribunal de commerce est que les ventes ne se font pas de gré à gré mais par le moyen des ventes aux enchères.

M. le Rapporteur : Je le note.

Tout cela est tout de même très obscur, monsieur le président. On n'arrive pas tellement à comprendre.

Mme Choukroun a son opinion, puisque vous n'en avez pas tellement et que cela vous laisse silencieux. A un moment, elle a lâché - cela figure dans le procès-verbal de son audition : «D'ailleurs, j'ai reçu deux coups de téléphone me disant que cette affaire resterait à des amis du tribunal ou au tribunal et qu'elle serait donnée à quelqu'un pour zéro franc».

M. Jean-Louis CHEVALIER : Les ventes se font à la barre, il n'y a pas de ventes de gré à gré.

M. le Rapporteur : Voilà ce qui se passe quand vous prenez des décisions, voilà comment les gens les interprètent. Comprenez que nous soyons obligés de poser des questions. Je dois vous dire que les réponses que vous nous faites ne sont pas du tout satisfaisantes. Si Mme Choukroun était présente, je doute qu'elle serait convaincue de vos réponses.

Je poursuis la lecture du procès-verbal :

« M. le Rapporteur : Je reviens en arrière. Vous avez dit tout à l'heure que vous aviez reçu deux coups de téléphone vous disant que cette affaire resterait entre les mains du tribunal ou des amis du tribunal. Voulez-vous nous donner des détails ?

Mme Régine CHOUKROUN : Je ne peux vous donner d'autres détails que ceux dont je viens de parler ; c'est la vérité, je le jure. Ces informations viennent de personnes proches du tribunal qui m'aiment beaucoup et m'ont dit que malheureusement c'était ainsi, c'était courant...

M. le Rapporteur : Voulez-vous nous dire ce qu'elles vous ont dit précisément ?

Mme Régine CHOUKROUN : Elles m'ont dit précisément que le bien resterait à quelqu'un du tribunal et qu'il serait donné à un ami proche de la personne qui le reprendrait, et c'est tout.

J'ai donc effectué une démarche très précise...

M. le Rapporteur : Qui vous a téléphoné ?

Mme Régine CHOUKROUN : Un de mes avocats, spécialiste de la fiscalité, qui n'est pas Maître Jean Veil et ne travaille pas sur ce dossier, m'a appelé un jour pour me dire : « comment cela se passe-t-il avec votre Palace ? ».

M. le Rapporteur : Etait-ce avant la décision de liquidation ?

Mme Régine CHOUKROUN : Oui. J'ai répondu que cela se passait bien, que nous avions un repreneur. Il m'a dit alors : « Régine, faites attention, j'ai appris, tout à fait incidemment, que M. X [je ne cite pas le nom du juge, qui est cité dans le procès-verbal, pour ne pas le mettre en cause] gardait cette affaire pour lui ». Vous plaisantez lui ai-je répondu, cela me paraissait tellement énorme. Il a redit : « faites attention, je ne crois pas que cela se passe bien ».

M. le Rapporteur : Avant la liquidation ?

Mme Régine CHOUKROUN : Oui. J'ai appelé M. Borello pour lui faire part de cette conversation. Il n'y a pas accordé d'attention considérant que tout se présentait bien.

Vraiment, je dormais tranquille. Le jour où j'ai appris que la liquidation avait été confirmée, M. Borello m'a appelée aux Bahamas, pour me dire que c'était définitif. J'ai été vraiment très malade et je le suis toujours ; je suis très perturbée par ce qui est arrivé, de même que M. Borello qui a eu aussi beaucoup de problèmes. Ce n'est pas possible ; je suis décidée à ne pas me laisser faire.

M. le Rapporteur : Il s'agit du premier coup de téléphone, et le deuxième ?

Mme Régine CHOUKROUN : (...) Je me suis donc mise en rapport avec lui. Il m'a dit : « Régine, pour votre Palace cela me touche beaucoup ; le tribunal a des idées très précises sur ce point ». Je lui ai demandé de s'expliquer. Il m'a répondu qu'il me rappellerait, ce qu'il a fait quelques jours après. Il m'a dit : « au tribunal on sait que M. X veut garder ce bien pour lui et le donner à un de ses amis.

M. le Rapporteur : Comment s'appelle cet ami ? »

Mme Choukroun nous donne le nom de cet ami. Je lui pose des questions sur cet ami, qui est très lié à ce juge dont je ne citerai pas le nom pour ne pas le diffamer. Nous tirerons les conséquences de tout cela. Cela devra être, en tout cas, vérifié.

Quand nous l'avons auditionnée, Mme Choukroun pleurait devant la commission. Nous avons le devoir de nous saisir de ce genre de problèmes.

Monsieur le président, nous avons rencontré ce genre de cas dans tous les tribunaux de commerce. Soit vous motivez mal vos décisions, et le fait qu'on vous interroge sans que vous donniez la moindre explication est curieux, soit il se passe quelque chose qui ressemble à ce que disent les amis bien attentionnés de Régine, qui est quelqu'un d'influent, qui a les moyens de se défendre, qui peut payer des avocats. Mais imaginez la situation de ceux qui ne les ont pas.

Qu'en pensez-vous, monsieur le président ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je ne peux pas avoir exactement tous les éléments précis en mémoire.

M. le Rapporteur : Vous étiez juge-commissaire et c'était il y a quelques mois.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non, cela fait plus d'un an.

M. le Rapporteur : D'accord.

M. Jean-Louis CHEVALIER : On n'a pas en tête tous les éléments du dossiers. Vous m'avez dit que vous me poseriez des questions sur Interhotels, je suis allé hier étudier le dossier au greffe pour pouvoir vous répondre, parce que je n'avais pas le souvenir d'Interhotels. Je n'ai rien à cacher, je n'ai pas de boîte de nuit à acheter ou un copain qui veuille acheter une boîte de nuit.

M. le Rapporteur : M. Borello, qui a été entendu sous serment, nous a dit, en décrivant l'actif immobilier du Palace : « C'est rue du Faubourg Montmartre, la superficie est de 3 500 mètres carrés, dont 500 mètres carrés de bureaux, le reste étant consacré à l'exploitation des discothèques. Cet actif a une certaine valeur quel que soit l'usage auquel on le destine, puisque dans ce quartier, les parties souterraines font cruellement défaut et nous avions été approchés plusieurs fois...

M. le Rapporteur : Par qui ?

M. Jean-Marc BORELLO : Par des sociétés d'économie mixte.

M. le Rapporteur : De la Ville de Paris ?

M. Jean-Marc BORELLO : Entre autres ; elles souhaitaient créer des parkings.

M. le Rapporteur : Vous souvenez-vous exactement du nom des sociétés qui vous ont approché ?

M. Jean-Marc BORELLO : Non, mais la volonté était de créer des parkings.

M. le Rapporteur : A quel moment avez-vous été approché par ces sociétés d'économie mixte de la Ville de Paris ?

M. Jean-Marc BORELLO : En cours d'exploitation.

M. le Rapporteur : Avant l'ouverture de la procédure ?

M. Jean-Marc BORELLO : Avant l'ouverture de la procédure ; cela dit, la création de ces parkings n'aurait pas posé de problèmes à l'exploitation du Palace. Les deux activités pouvaient cohabiter, il s'agissait de créer des parkings sous l'immeuble. »

Cela explique qu'il était nécessaire que l'activité du Palace s'arrête.

Tout cela est tout à fait inquiétant. Nous n'avons pas les réponses. Nous interrogerons tout à l'heure le président du tribunal.

M. Borello ajoute: «Le 24 mars personne ne s'est présenté pour acquérir le Palace au prix de 22 millions de francs, pouvant être baissé jusqu'à 16,5 millions de francs. Il semblerait qu'une vente aux enchères, à la bougie, soit prévue au prix de 4 millions de francs.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas cher le mètre carré.

M. Jean-Marc BORELLO : Non, pas cher le mètre carré, c'est quasiment inexplicable. »

Que répondez-vous ? Avez-vous signé la mise à prix ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : J'ai signé la mise à prix à 22 millions de francs.

Je trouve un peu gros qu'elle se permette de critiquer le magistrat, qu'elle mette en avant que je l'ai fait par intérêt quelconque.

M. le Rapporteur : Elle ne vous met pas en cause personnellement, monsieur Chevalier. Vous n'êtes pas visé, vous êtes le décisionnaire. Vous n'êtes pas visé par le contenu des coups de téléphone adressés à Régine.

M. Jean-Louis CHEVALIER : C'est pareil.

M. le Rapporteur : Je vous mets à l'aise, vous n'êtes pas visé. Répondez-moi, vous avez pris des décisions.

M. Jean-Louis CHEVALIER : J'ai pris les décisions que je croyais devoir prendre. Qu'on me traite d'incompétent si on veut, j'ai pris les décisions que je croyais devoir prendre au vu du dossier.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que ces décisions soient contestables ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Toute décision est contestable.

M. le Rapporteur : Contestables sur le fond aujourd'hui, un an après.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Il faudrait que je reprenne le dossier, monsieur le député.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, vous allez réviser votre Palace et nous nous reverrons la semaine prochaine.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Si vous le voulez, monsieur le député.

Audition de MM. Philippe BOURGERIE et Pierre ALLAROUSSE,

juges au tribunal de commerce de Paris

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 juin 1998 au tribunal de commerce de Paris)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

MM. Bourgerie et Allarousse sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, MM. Bourgerie et Allarousse prêtent serment.

M. le Rapporteur : Vous avez tout à l'heure entendu les questions que la commission a adressées à M. le président Chevalier sur les conditions dans lesquelles un certain nombre de décisions successives ont été prises dans l'affaire Royal-Monceau.

Vous avez entendu notre désir d'être pleinement informés, de comprendre la rationalité de la décision prise dans cette affaire. Les deux dossiers que nous avons choisis, celui du Palace et celui de la société Royal-Monceau, pouvant d'ailleurs être mis en parallèle pour éclairer à la fois la difficulté de prendre des décisions et les anomalies dans des affaires de première envergure.

Je voudrais que vous exprimiez à la commission votre sentiment personnel. Estimez-vous que les critiques adressées sont injustifiées ? Pensez-vous que les questions que nous posons sont de mauvaises questions ?

M. ALLAROUSSE : Vous êtes libre de poser toutes les questions que vous voulez. En fonction de la question, je m'efforcerai à chaque fois de vous répondre.

Quelle question précise voulez-vous me poser ?

M. le Rapporteur : Considérez-vous que les conditions dans lesquelles la décision a été prise par le tribunal étaient normales ? Je crois que vous étiez membre du tribunal.

M. ALLAROUSSE : Je faisais partie de la formation du tribunal.

M. le Rapporteur : Le président en était M. Piot.

M. ALLAROUSSE : Oui, monsieur le député.

M. le Rapporteur : M. Bourgerie était...

M. ALLAROUSSE : ...le juge de droite, j'étais le juge de gauche.

M. le Rapporteur : Vous étiez également juge-commissaire suppléant ?

M. ALLAROUSSE : Oui.

M. le Rapporteur : Avez-vous suivi toute la procédure au côté du président Chevalier.

M. ALLAROUSSE : La réponse est non.

M. le Rapporteur : Vous ne connaissiez pas bien ce dossier ?

M. ALLAROUSSE : À partir du moment où il y a un juge-commissaire titulaire, c'est lui qui suit l'affaire. Comme son nom l'indique, le suppléant n'intervient qu'en cas d'empêchement du titulaire. Je n'avais aucune connaissance générale ou détaillée de l'affaire lorsque nous avons eu à entendre les différentes propositions à l'audience de la chambre du conseil.

M. le Rapporteur : Considérez-vous que c'est une décision qui ne devrait pas supporter la moindre critique ?

M. ALLAROUSSE : Je pense que cette décision ne doit pas supporter la moindre critique, pas plus que les autres.

M. le Rapporteur : Pas plus que les autres ?

M. ALLAROUSSE : Pas plus qu'aucune autre.

En ce qui me concerne, je n'ai pas de commentaires particuliers à faire sur cette décision. Je pense que cela a été une bonne décision. J'y ai été associé. J'ai délibéré. J'ai entendu les propositions, j'ai participé à la rédaction du jugement. Si c'était à refaire, je le referais.

M. Jacky DARNE : Estimez-vous que les différentes propositions ont été examinées au même niveau ?

M. ALLAROUSSE : Oui, monsieur ! Tout a été examiné, aussi bien les plans de continuation que les plans de cession et les plans de liquidation, car de mémoire, il me semble que nous avions les trois possibilités pour chacun des trois hôtels. Pour ce qui est du Royal-Monceau, il y a eu la présentation du plan de continuation, il y a eu des offres de reprise, et à défaut de l'un ou de l'autre, il restait la solution de la liquidation.

M. le Rapporteur : La position du parquet vous paraît-elle extravagante ?

M. ALLAROUSSE : Le parquet s'est exprimé. D'ailleurs, son intervention figure dans le jugement.

M. le Rapporteur : C'est exact.

M. ALLAROUSSE : J'y ai tenu. Le délibéré y a tenu. Nous avons clairement dit et écrit quelle était la position du parquet sur cette affaire.

M. le Rapporteur : Cela ne vous a pas fait changer d'avis ?

M. ALLAROUSSE : Non.

M. le Rapporteur : Cela ne vous a pas alerté ?

M. ALLAROUSSE : Nous avons été alertés. Cela étant, nous avons délibéré dans le silence de notre cabinet.

M. le Rapporteur : Nous avons même vu des tribunaux de commerce où il n'y avait pas de décision prise pendant des années. Là, nous sommes tout de même heureux qu'une décision ait été prise, le délai n'est pas en cause.

M. ALLAROUSSE : D'autant moins que je me permettrai de vous rappeler que les audiences ont eu lieu les 3 et 4 juillet, lors d'une chambre de vacation. Nous avons travaillé pendant trois semaines d'affilée pour rendre le jugement le 1er août.

M. le Rapporteur : C'est exact.

Que pensez-vous de la motivation ? Tout à l'heure, j'ai critiqué le fait qu'elle soit un peu courte.

M. ALLAROUSSE : Ce qui compte, monsieur le député, ce n'est pas la longueur de la motivation, ce sont les arguments qui sont exposés.

M. Jacky DARNE : Vous dites que vous avez examiné toutes les offres. Comment entendez-vous ce qu'écrit le procureur sur les offres de reprise ? « Pour écarter les offres de reprise, le tribunal, qui n'a pas procédé à leur analyse malgré l'intérêt évident que présentaient certaines d'entre elles, a fixé sans explication le montant des encours dûs sur des crédits consentis par les banques et les organismes de crédit à chaque société et en a déduit, en application de l'article 93.3, que les offres de reprise étaient insuffisantes, eu égard à ce montant ».

Sur un autre point, il dit : « La cession des différentes entités hôtelières méritait cependant d'être étudiée attentivement. À l'évidence, certaines offres étaient sérieuses et émanaient de candidats dont la compétence dans le domaine hôtelier ne pouvait être mise en doute. L'une d'entre elles, soutenue par la compagnie RM, présentait des garanties financières et industrielles indiscutables, avec notamment un apport de capitaux propres de 200 millions de francs, ce qui constitue, s'agissant de la pérennité de l'activité et du maintien des emplois, un facteur important qui ne peut être négligé. »

M. ALLAROUSSE : Cela n'engage que le point de vue du parquet.

M. Jacky DARNE : J'entends bien. Le parquet estime que les analyses n'ont pas été faites.

M. ALLAROUSSE : C'est son droit.

M. Jacky DARNE : Quel est votre point de vue ?

M. ALLAROUSSE : Nous en avons délibéré à trois.

M. le Rapporteur : De ce point de vue, vos certitudes sont solidement ancrées.

M. ALLAROUSSE : Le délibéré est secret.

M. le Rapporteur : La préoccupation de la commission d'enquête n'est pas de violer le secret du délibéré, elle est d'essayer de comprendre des décisions incompréhensibles, qui ne sont pas motivées, qui sont contestées par le parquet, alors que lorsque nous l'avons entendu, M. Mattei nous a dit : « Nous avons des rapports fructueux avec le parquet, tout va bien ».

Vous nous dites, d'une façon un peu sèche : le parquet fait ce qu'il a à faire, nous faisons ce que nous avons à faire et, en quelque sorte, ses arguments ne nous intéressent pas.

M. ALLAROUSSE : Je n'ai pas tout à fait dit cela.

M. le Rapporteur : Ah bon ! Des éléments sont donc recevables dans la position du parquet ?

M. ALLAROUSSE : Je n'ai pas dit que les arguments du parquet n'étaient pas recevables. J'ai dit qu'ils n'engageaient que le point de vue du parquet et que le tribunal en a délibéré.

M. le Rapporteur : Personnellement, qu'en pensez-vous ?

M. ALLAROUSSE : Je n'ai pas à vous dire ce que j'en pense.

M. le Rapporteur : Pour quelle raison ?

M. ALLAROUSSE : Je suis lié par mon serment.

M. le Rapporteur : Quel est-il ?

M. ALLAROUSSE : De garder secret le délibéré.

M. le Rapporteur : Mais quel est votre sentiment dans cette affaire ?

M. ALLAROUSSE : Je n'ai pas de sentiment.

M. le Rapporteur : Tout à l'heure, vous nous avez entendu décrire les problèmes liés au périmètre du redressement. Vous n'étiez pas juge dans cette affaire. Vous n'aviez donc pas de délibéré. Qu'en pensez-vous ?

M. ALLAROUSSE : Je l'ai appris pour la première fois. Je ne connais pas le problème du périmètre.

M. le Rapporteur : Le périmètre du fameux article 93.3 vous rappelle-t-il quelque chose ?

M. ALLAROUSSE : Nous en avons parlé à l'audience. L'article 93.3 a été traité dans le jugement.

M. le Rapporteur : Si on veut.

M. ALLAROUSSE : Comme vous voulez, mais nous avons parlé de l'article 93.3 et nous l'avons examiné.

M. le Rapporteur : Pour la clarté des débats, l'article 93.3 permet aux créanciers disposant de sûretés sur des biens financés à l'occasion de prêts - cette disposition de la loi du 10 juin 1994 favorise notamment les banques - en cas de cession des actifs pour la reprise d'une entreprise, d'obliger le cessionnaire à reprendre les sûretés.

D'où la question essentielle du périmètre de l'article 93.3. Quand il y a deux milliards de passif, y met-on un ou deux milliards de francs ou 250 millions de francs ? Si on choisit de mettre un milliard, on rend tout à fait improbable la possibilité d'offres de reprise. Si on choisit 200 millions, on rend plausible la possibilité d'offres de reprise.

La question du périmètre est essentielle dans ce dossier, comme dans de très nombreux autres. La décision relative au périmètre de l'article 93.3. n'est pas motivée, monsieur le président. Comment avez-vous défini le niveau des créances qui pouvaient être transmises au cessionnaire au titre de l'article 93.3 ?

M. ALLAROUSSE : Je considère que c'est motivé.

M. le Rapporteur : Tout va bien, finalement.

M. ALLAROUSSE : Je vous ai dit pour commencer que si c'était à refaire, le jugement serait le même.

M. le Rapporteur : Je vous pose encore cette question, parce que, bien que l'article 93.3 ait été si important dans cette affaire, il n'y a pas de jurisprudence. La Cour de cassation ne s'est pas encore prononcée sur la portée de cet article. Il était donc essentiel qu'il y ait eu un débat juridique sur la portée de cette article. D'après ceux que nous avons interrogés, ce débat juridique ne semble pas avoir eu lieu. Est-ce exact ?

M. ALLAROUSSE : Nous en avons délibéré.

M. le Rapporteur : Non, je parle du débat.

M. ALLAROUSSE : De quel débat ?

M. le Rapporteur : Du débat entre les parties.

M. ALLAROUSSE : À l'audience ?

M. le Rapporteur : Oui.

M. ALLAROUSSE : L'article 93.3 a été tout à fait abordé et discuté abondamment.

M. le Rapporteur : Et le choix des créances frappées par l'article 93.3 ?

M. ALLAROUSSE : Je ne m'en souviens plus. C'était en juillet 1997, il a bientôt un an. Je n'ai pas réexaminé le dossier comme vous venez vous-même de l'étudier. Quelques détails peuvent m'échapper, mais je me souviens très bien des grandes lignes. Je peux vous dire que l'article 93.3 a fait l'objet d'un débat animé à l'audience. C'est pourquoi vous en retrouvez la trace dans le jugement.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous livrer une réflexion, puisque vous semblez un homme de certitudes. Pour ma part, je n'ai pas de certitudes.

M. ALLAROUSSE : Moi non plus, mais j'en ai quand même quelques-unes, et notamment sur ce sujet.

M. le Rapporteur : Dans cette affaire, une des sociétés offrait 454 millions de francs.

M. ALLAROUSSE : Pour quel hôtel ?

M. le Rapporteur : Cela figure dans votre jugement. C'était pour la holding de tête, Royal-Monceau. Et je lis, dans votre jugement : « Les sûretés éligibles au bénéfice de l'article 93.3, correspondant à des encours restant dûs en capital sur des crédits consentis pour l'acquisition des murs de l'hôtel, assorties des privilèges de prêteurs de deniers, sont de l'ordre de 460 millions de francs. » « De l'ordre de ».

M. ALLAROUSSE : Le calcul au franc près est difficile.

M. le Rapporteur : On n'est pas très loin, on est à 5 millions près.

Je poursuis : « de sorte que la seule offre maintenue ne permet pas de couvrir ce montant ».

Même si vous ne voulez pas nous répondre, je résume. Cela signifie qu'une offre se présente à 454 millions de francs et qu'on définit le montant, d'une façon un peu arbitraire, qui n'est pas discutée. Toute décision devrait être motivée sur le montant, et on fixe un montant « de l'ordre de » 460 millions, c'est-à-dire à peine supérieure de quelques millions à l'offre, rendant ainsi impossible l'offre qui permettait une autre solution que la solution Aïdi.

M. ALLAROUSSE : Je crois me souvenir que ce chiffre de 460 millions nous a été communiqué par M. Germon, l'expert. Je parle de mémoire.

M. le Rapporteur : L'expert n'a pas à donner un chiffre...

M. ALLAROUSSE : Non, mais il a fait le calcul.

M. le Rapporteur : ...sur la base de l'interprétation d'un article de la loi. Il décrit les créances. Le tribunal délibère après discussion sur chacune des créances pour déterminer quelles sont celles qui entrent et sur celles qui n'entrent pas dans le cadre de l'article 93.3. Là, on ne l'a pas vu. On nous donne un ordre de montant. Comprenez que celui qui avait présenté une offre inférieure de 5 millions de francs pouvait se poser des questions.

M. ALLAROUSSE : Pourquoi pas.

M. le Rapporteur : Je sens que mes questions n'ont aucun succès auprès du président Allarousse.

Comment cette chambre a-t-elle été composée ?

M. ALLAROUSSE : Je vous ai dit que c'était une chambre de vacation.

M. le Rapporteur : Comment les chambres de vacation sont-elles composées ?

M. ALLAROUSSE : J'ai été désigné comme juge de gauche.

M. le Rapporteur : Par qui ?

M. ALLAROUSSE : Par le président du tribunal.

M. le Rapporteur : M. Mattei ?

M. ALLAROUSSE : Oui.

M. le Rapporteur : C'est lui qui a composé la chambre ?

M. ALLAROUSSE : Je ne dis pas qu'il a composé la chambre. Il m'a informé que je serais le juge de gauche.

M. le Rapporteur : Comment la composition s'est-elle faite avec le président Piot ? Pourquoi était-ce le président Piot et pas le président Mattei qui semblait vouloir siéger dans cette affaire ?

M. ALLAROUSSE : Je ne le sais pas.

M. le Rapporteur : Vous ne le savez pas ?

M. ALLAROUSSE : Non.

M. le Rapporteur : Vous n'avez rien entendu ?

M. ALLAROUSSE : Non, monsieur le député.

M. le Rapporteur : Je vais vous lire les déclarations de M. Chevalier. Cela vous intéressera peut-être...

M. ALLAROUSSE : Sûrement.

M. le Rapporteur : ...puisque vous n'avez rien vu. C'était une déclaration du parquet, pas seulement d'un magistrat du parquet, mais de plusieurs.

M. Jean-Louis CHEVALIER : M. Piot m'avait demandé de ne pas aller à l'audience (...)

M. le Rapporteur : Pourquoi avez-vous refusé ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Parce que je pensais que j'avais des choses à dire.

M. le Rapporteur : On voulait donc vous faire taire, d'une certaine façon.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je n'ai pas dit cela.

M. le Rapporteur : Mais vous l'avez pensé très fort.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Mais je l'ai pensé très fort.

M. le Rapporteur : Et on n'a pas réussi à vous faire taire.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non.

M. le Rapporteur : En revanche, on a réussi à vous faire taire devant moi, car vous ne dites absolument rien !

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non ! Si je vous dis que je ne me souviens pas de tel ou tel point du dossier, c'est que c'est vrai. Si j'avais le dossier devant moi, que vous me posiez des questions précises sur tel ou tel point et que je puisse vous répondre, je le ferais. Je n'ai absolument rien à cacher !

M. le Rapporteur : Donc le président Piot vous demande de ne pas venir siéger, de vous faire remplacer par votre suppléant, M. Allarousse. Et on le retrouve dans le tribunal.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Cela n'avait pas d'importance.

M. le Rapporteur : Finalement, cette chambre « spéciale » des vacations était bien constituée sur mesure pour Aïdi. »

Donc, vous étiez déjà sélectionné pour être le juge-commissaire à la place de M. Chevalier. Que vous inspirent les déclarations du président Chevalier ?

M. ALLAROUSSE : Très franchement, je suis surpris de ces déclarations, car il m'a été demandé d'être le juge de gauche dans la formation du tribunal. On a ajouté : « M. Chevalier étant le juge-commissaire, il montera à l'audience et il sera entendu ». Par conséquent, il n'y a pas d'objection ni de principe ni de pratique à ce que le juge-commissaire suppléant, qui de toute façon n'avait pas suivi l'affaire, puisse faire partie de la formation de jugement.

M. le Rapporteur : Je reviens sur la question que je vous ai posée et à laquelle vous ne répondez pas. Lorsqu'un délégué général au tribunal de commerce...

M. ALLAROUSSE : Qui était le délégué général ?

M. le Rapporteur : M. Chevalier ?

M. ALLAROUSSE : Non, il n'était pas délégué général.

M. le Rapporteur : Le président Chevalier, personnage important de la juridiction de Paris, déclare:

« Je reçois un jour un coup de téléphone et Piot » le président de la formation de jugement, « me dit qu'il serait préférable que je ne siège pas à la chambre du conseil par ce qu'on connaissait mes sentiments vis-à-vis d'Aïdi ».

Cela veut dire que M. Piot - il est dommage qu'il ne soit pas présent, il est en Chine - avait déjà jugé l'affaire dans un sens tout à fait clair, avant même les débats et avant même les délibérés. De plus, on ne voulait pas qu'il y ait un juge-commissaire qui puisse dire le contraire de ce que le tribunal allait dire, parce qu'on avait déjà tout jugé !

Qu'en pensez-vous, monsieur le président ?

M. ALLAROUSSE : Je n'ai jamais entendu cela. Je n'ai pas été témoin de ces conversations. Ce que dit M. Chevalier représente son point de vue. Je vous dis simplement que j'ai été désigné - a l'époque, j'étais président de la première chambre - comme juge de gauche de la formation de jugement pour le Royal-Monceau.

M. le Rapporteur : Tout cela est tout de même un peu embarrassant, ne trouvez-vous pas ?

M. ALLAROUSSE : Pas pour moi.

M. le Rapporteur : Donc, tout va bien au tribunal de commerce de Paris.

M. ALLAROUSSE : Je n'ai pas dit cela non plus.

M. le Rapporteur : Ah ! qu'est-ce qui ne va pas bien ?

M. ALLAROUSSE : Je ne sais pas ce qui ne va pas bien.

M. le Rapporteur : Ah bon ! Vous ne savez rien, finalement.

M. ALLAROUSSE : Je dis simplement que d'après ce que je sais sur le Royal-Monceau, car nous sommes sur le Royal-Monceau et pas sur une autre affaire, je ne vois pas bien ce qui peut faire l'objet de critiques dans ce jugement.

M. le Rapporteur : Je n'ai pas d'autre question.

M. BOURGERIE : Je ne répéterai pas ce que vient de dire M. Allarousse.

J'ai le regret de vous dire que vous n'avez pas à vous immiscer dans la justification du jugement. Des voies de recours sont prévues par la loi, qui est l'expression de la volonté du parlement. Par conséquent, nous n'avons pas à justifier de nos décisions. Nous avons juré de respecter le secret du délibéré.

Quand j'ai été désigné, j'ai étudié le dossier qui m'avait été transmis et dont l'épaisseur était au moins égale à la hauteur de cette table. Nous y avons passé très diligemment trois semaines, dans la chaleur de l'été. Nous avons discuté longuement. Nous avons aussi parlé assez longuement de l'article 93.3, sur des documents qui avaient été fournis par l'administrateur judiciaire et par le représentant des créanciers, ainsi que par l'expert judiciaire, M. Germon, dont la compétence est bien connue. Cela a naturellement été examiné, comme on peut le voir assez bien dans le jugement.

Ce jugement a ensuite été déféré à la cour d'appel, avec des motifs d'appel du parquet qui sont les siens et qui sont parfaitement responsables. Il y a eu ensuite un arrêt de la Cour, qui a été confirmé et que j'attendais d'ailleurs avec impatience.

Je constate maintenant que le plan est en cours d'exécution depuis un an et que, Dieu merci, cela marche. J'espère que cela marchera pendant longtemps, à la fois pour l'exploitation de cet hôtel parisien bien connu, qui accueille beaucoup de touristes, et pour les mille salariés de ce groupe, ainsi que pour le paiement des créanciers, qui ont accepté, dans leurs offres, de participer à ce plan.

Voilà ce que j'ai à vous dire. J'espère que cela vous satisfait. Je suis à votre disposition.

M. le Rapporteur : Je crois que nous avons fait le tour du sujet.

Audition de M. Joël SAULAIS,
Juge au tribunal de commerce de Paris

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 juin 1998 au tribunal de commerce de Paris)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Saulais est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Saulais prête serment.

M. M. Jean CODOGNÈS : Monsieur le juge, décrivez-nous vos fonctions au tribunal de commerce de Paris, dites-nous qui vous êtes et indiquez-nous quelles sont vos activités professionnelles ?

M. Joël SAULAIS : Je suis retraité. J'ai exercé pendant quarante ans la profession d'administrateur de biens. Je suis de la promotion 1990, c'est-à-dire que je suis dans le cours de ma neuvième année de judicature, ici. J'ai passé six années dans des chambres contentieuses et deux années et demie dans des chambres de procédures collectives. Je suis un « juge lambda » et n'ai pas d'autres activités que celles que je viens de vous décrire.

M. M. Jean CODOGNÈS : Ce matin, nous avons examiné le dossier Travelstore, dans lequel vous étiez juge-commissaire.

M. Joël SAULAIS : Certes.

M. M. Jean CODOGNÈS : Je dirai d'entrée que la lecture de ce dossier nous a un peu laissés sur notre faim, car il nous a semblé que tous les éléments de procédure n'y étaient pas inclus. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais que vous nous précisiez grosso modo le cheminement de cette affaire.

M. Joël SAULAIS : Il y a eu, dans cette affaire, deux liquidations et je n'ai connu que la première. J'ai donc été désigné dans le cadre d'une liquidation judiciaire. Je crois me souvenir, car cela remonte à plusieurs années, que des pourparlers avaient eu lieu et que pendant quelque temps on a tout fait pour essayer de maintenir les salariés. Si j'ai bonne mémoire, les conditions, notamment locatives, ne permettaient pas de présenter dans des conditions convenables un plan de continuation. Dans ces conditions, la liquidation a été prononcée. Mon rôle s'est arrêté là, car il n'y avait pas de biens ou quoi que ce soit d'autres à liquider. C'est probablement la raison pour laquelle vous n'avez pas trouvé grand chose dans ce dossier.

M. M. Jean CODOGNÈS : Vous souvenez-vous du montant du passif ?

M. Joël SAULAIS : Je ne m'en souviens pas.

M. M. Jean CODOGNÈS : Il était de l'ordre de 17 millions de francs.

M. Joël SAULAIS : Je me souviens très bien de cette affaire qui était une espèce de marché du loisir et du tourisme, où un certain nombre d'agences de voyages s'étaient installées. Si j'ai bien compris, les gens venaient acheter là une semaine de vacances. Des représentants d'agences ont assisté aux audiences.

M. M. Jean CODOGNÈS : Nous vous interrogeons sur ce dossier, parce que nous n'avons pas très bien compris comment il s'était terminé.

M. Joël SAULAIS : Je crois vous l'avoir dit. J'ai le souvenir qu'il s'est terminé par une liquidation judiciaire. J'ai su par la suite, par la presse, puisque je n'avais plus à m'en préoccuper, que l'affaire avait, semble-t-il, été relancée puis mise à nouveau en liquidation judiciaire. C'est peut-être cela que vous voulez me faire dire ?

M. M. Jean CODOGNÈS : Non.

M. Joël SAULAIS : Je voudrais que l'on distingue les deux.

M. M. Jean CODOGNÈS : Nous parlons du premier dossier, dans lequel vous êtes intervenu.

M. Joël SAULAIS : Je crois avoir été très clair. Je vous ai dit qu'il y avait eu une liquidation, qu'il n'y avait rien à liquider et mon rôle s'est arrêté là.

M. M. Jean CODOGNÈS : C'est-à-dire qu'aucune cession d'actifs n'est intervenue ?

M. Joël SAULAIS : À ma connaissance, non. Il y avait un droit au bail qui a été résilié. Ces gens-là avaient monté une affaire d'agences de voyages. Ils ne possédaient aucun actif.

M. Jacky DARNE : N'y avait-il pas une marque ?

M. Joël SAULAIS : Si, il y avait une marque.

M. Jacky DARNE : Celle-ci mérite une interrogation. En réalité, il y avait plusieurs sociétés dénommées Travelstore. Il y eu Travelstore Madeleine puis est apparue une holding. On a commencé par liquider une société en décembre 1995 et il a fallu attendre longtemps pour liquider la deuxième. L'une avait un capital de 10 millions de francs et l'autre, de 7 millions de francs. Ce n'était donc pas tout à fait des artisans.

M. Joël SAULAIS : Je n'ai pas dit qu'il s'agissait d'artisans, j'ai dit que c'était un rassemblement d'un certain nombre d'agences de voyage.

M. Jacky DARNE : L'affaire n'est pas très ancienne, elle date de 1996, vous devez vous en souvenir. Comment l'avez-vous prise ? En tant qu'administrateur de biens, vous devez avoir une grande habitude de telles affaires. Dites-nous ce dont vous vous souvenez.

M. Joël SAULAIS : Je viens de dire exactement tout ce que je connais. J'ai dit ce qu'était cette société, à savoir un rassemblement d'agences de voyages. J'ai dit que l'ensemble a été liquidé. Je ne sais rien d'autre.

M. Jacky DARNE : Il y a eu, un moment, une proposition de rachat par Mondial Tours, qui incluait la reprise de salariés dans des conditions qui apparaissaient intéressantes. Vous souvenez-vous de cela ?

M. Joël SAULAIS : Je n'ai pas connu de cette proposition. Si vous pouvez me démontrer le contraire, faites-le. Je vous ai dit le plus clairement possible quel est mon souvenir de cette affaire. Nous avons constaté très vite qu'aucun plan de continuation n'était viable. Vous avez raison d'insister sur les points que je connais mieux que d'autres, notamment le montant du loyer qui était, je crois, de plus d'un million de francs. Je crois me souvenir aussi - je parle au débotté, car je ne savais pas que vous m'interrogeriez que cette affaire - que le propriétaire était la compagnie d'assurances GAN.

M. Jacky DARNE : En effet, le GAN était le propriétaire.

M. Joël SAULAIS : On m'a dit que le loyer était beaucoup trop élevé pour que l'affaire soit viable. L'administrateur a dû négocier pour obtenir une réduction du prix du loyer. Il n'a pas pu l'obtenir. Il a donc conclu que la liquidation s'imposait. Je ne change rien de ce que j'ai dit au début.

M. M. Jean CODOGNÈS : Ce qui nous surprend c'est que, le 2 juillet 1997, une seconde société Travelstore dépose son bilan avec un second passif de 18 millions de francs.

M. Joël SAULAIS : C'est ce que je vous ai dit. Je vous ai dit aussi que je n'ai pas connu cette deuxième affaire. Je ne suis pas le juge-commissaire de cette deuxième liquidation.

M. M. Jean CODOGNÈS : Tout à fait. Nous l'avons noté. Mais cette seconde société Travelstore est installée à la même adresse que la première, exploite la même enseigne et semble avoir repris une partie du personnel. Comment cela a-t-il pu se faire sans que vous rendiez une ordonnance de cession d'éléments d'actifs, au mois le droit au bail ?

M. Joël SAULAIS : Je crois que le bail a été résilié et que ces gens-là se sont réinstallés après avoir obtenu un nouveau bail. J'affirme, sous réserve de ma mémoire, que je n'ai jamais cédé et que vous ne pouvez pas trouver dans le dossier une ordonnance cédant le droit au bail.

M. M. Jean CODOGNÈS : Nous n'en avons pas trouvé.

M. Joël SAULAIS : Je vous affirme qu'elle n'existe pas. Vous ne la trouverez pas. Je n'ai jamais signé quoi que ce soit.

M. Jacky DARNE : Vous avez signé une ordonnance pour céder le nom.

M. Joël SAULAIS : Je crois que oui. Je crois même me rappeler que c'était pour la somme de 200 000 francs.

M. Jacky DARNE : Non, il y a une première proposition à 50 000 francs.

M. Joël SAULAIS : Qui a dû être refusée.

M. Jacky DARNE : ...par une personne. Et il y a une deuxième proposition de 100 000 francs.

M. Joël SAULAIS : J'ai dit 200 000, c'est 100 000 francs.

M. Jacky DARNE : Le paradoxe dans cette affaire est que celui qui a fait la proposition à 50 000 et celui qui a fait la proposition à 100 000 étaient, bizarrement, dans la même société qui, par hasard, a repris ensuite l'affaire. La proposition de 50 000 et celle de 100 000 francs ont été faites par deux personnes qui, apparemment, étaient en relation d'affaires. À ce stade, vous ne vous êtes aperçu de rien de particulier ?

M. Joël SAULAIS : Absolument pas. Je vous ai dit tout à l'heure quelle avait été ma surprise de voir, quelques mois plus tard, dans la presse, ressortir un Travelstore qui déposait à nouveau son bilan. J'étais totalement dessaisi du dossier, mais j'affirme clairement devant vous que j'ignore tout de ce qui s'est passé après que la liquidation du premier Travelstore eut été prononcée.

M. M. Jean CODOGNÈS : M. Chevalier nous a indiqué tout à l'heure que vous procédiez systématiquement...

M. Joël SAULAIS : Qui ? Moi ?

M. M. Jean CODOGNÈS : Le tribunal.

Il nous a indiqué que vous procédiez systématiquement par cession aux enchères publiques.

M. Joël SAULAIS : Les biens immobiliers notamment sont tous cédés aux enchères publiques. Si vous voulez me faire dire que l'enseigne discréditée d'une affaire qui avait 17 millions de francs de passif, qui avait été décriée dans la presse valait quelque chose et méritait les enchères, je crois pouvoir me souvenir que je n'étais pas de cet avis. En tout cas, à ma connaissance, l'ordonnance qui a été rendue au sujet de cette cession n'a pas été critiquée.

M. M. Jean CODOGNÈS : J'ai l'ordonnance du 17 février 1997 par laquelle vous ordonnez la vente aux enchères publiques du nom Travelstore, avec une mise à prix minimale de 50 000 francs. Vous ne vous souvenez plus de cette décision ?

M. Joël SAULAIS : Si, je m'en souviens très bien. Il me semble me rappeler que compte tenu de l'absence évidente de candidats pour reprendre un nom décrié comme celui-là, j'ai jugé qu'il était bon d'accepter la proposition de 100 000 francs, plutôt que de voir ce titre n'obtenir aucune indemnisation.

M. M. Jean CODOGNÈS : C'est exact...

M. Joël SAULAIS : Oui !

M. M. Jean CODOGNÈS : ...puisque, quelques jours après, le 24 février, vous avez signé une seconde ordonnance.

M. Joël SAULAIS : De quelle année ?

M. M. Jean CODOGNÈS : 1997. Cela n'est pas très ancien.

M. Joël SAULAIS : Je ne sais pas ce qui s'est dit depuis le début de l'après-midi, mais nous voyons tout de même passer un certain nombre d'ordonnances en une année.

M. M. Jean CODOGNÈS : C'est exact.

M. Joël SAULAIS : Cette affaire qui vous paraît particulière...

M. M. Jean CODOGNÈS : Elle nous a choqués à cause d'un second passif de 18 millions de francs, sept ou huit mois après.

M. Joël SAULAIS : Évidemment. J'ai été choqué d'apprendre que, quelques mois après, sous le même nom, on retrouvait les mêmes conditions de dépôt de bilan.

À mon avis, il est plus important de se préoccuper de ce qui s'est passé entre la première liquidation et l'issue du deuxième dossier.

M. M. Jean CODOGNÈS : Vous nous permettrez, pour l'instant, de juger ce qui est important.

M. Jacky DARNE : Vous ne pouvez pas nous répondre sur la deuxième partie. Ce qui m'étonne dans ce dossier, c'est qu'il y a une proposition de Mondial Tours, qui se désiste à l'audience.

M. M. Jean CODOGNÈS : Lors de l'audience du 31 janvier.

M. Jacky DARNE : Je vous accorde que vous ayez pu l'oublier.

Mondial Tours avait fait une proposition et s'est retiré à l'audience.

M. Joël SAULAIS : Une proposition de quoi ?

M. Jacky DARNE : De reprise.

M. Joël SAULAIS : Du tout ?

M. Jacky DARNE : Oui.

M. M. Jean CODOGNÈS : Il proposait 1,9 million de francs...

M. Jacky DARNE : ...la reprise de vingt salariés...

M. M. Jean CODOGNÈS : ...et 300 000 francs au titre des loyers.

M. Joël SAULAIS : En quoi suis-je concerné ?

M. Jacky DARNE : C'est la liquidation de la première.

M. Joël SAULAIS : En quoi suis-je concerné ? Ai-je fait un rapport à ce sujet disant qu'il ne fallait pas prendre Mondial Tours ? À ma connaissance, non. Je ne suis pas compétent pour répondre sur ce point. Suis-je responsable d'un fait quelconque, dans cette affaire ?

M. Jacky DARNE : Permettez-moi de poser ma question. Vous me direz si vous la considérez malvenue et si vous pouvez y répondre ou pas.

À l'audience, un M. Bonnet, substitut, déclare qu'il peut être repreneur. Apparemment, il retire son offre. Peu de semaines après, deux propositions sont faites. Il s'agit d'une proposition de 50 000 francs et d'une autre 100 000 francs, faites par des personnes célèbres, puisqu'il s'agit, pour l'une des deux, de M. Douillet, judoka connu, qui dira ensuite qu'il s'est fait rouler. Et bizarrement, dans la nouvelle société, on retrouve dans le conseil les trois dont je viens de parler: M. Bonnet, qui avait fait une offre, M. Douillet et un troisième. On est bien obligé de se demander si un juge-commissaire perçoit ou ne perçoit pas la situation, s'il fait confiance à un tiers et comment il maîtrise les procédures pour accepter ou ne pas accepter de telles offres.

De plus, il apparaît, d'après un courrier d'avocat, que ce M.  Bonnet était interdit d'exercer le commerce. On le retrouve néanmoins membre du directoire de la société nouvelle.

Tout cela constitue un ensemble de faits étonnants. Dans de telles situations, quelles mesures de précaution mettez-vous en _uvre ? En qui faites-vous confiance ? Comment gérez-vous ce type de dossiers ?

M. Joël SAULAIS : Bien qu'arrivé depuis peu dans cette salle, j'ai entendu ce qu'a répondu mon collègue précédent. Sur des éléments comme ceux que vous décrivez, je suis dépourvu de tout moyen d'investigation. Comment voulez-vous que j'aie su qu'il pouvait y avoir collusion entre ces gens-là ? Qui devait le savoir ? L'administrateur aurait-il dû m'alerter ? Le savait-il ? Je ne le pense pas non plus.

Vous pensez qu'un groupe de gens se sont mis d'accord pour racheter l'enseigne et pour repartir d'un autre pied ?

M. M. Jean CODOGNÈS : Nous ne le pensons pas, nous en sommes persuadés.

M. Joël SAULAIS : Nous en sommes tous persuadés.

M. Jacky DARNE : C'est très probable. Les cas particuliers ne nous servent qu'à déceler les problèmes qui existent dans les procédures collectives.

Nous voyons une entreprise qui a un passif important, des offres qui disparaissent alors qu'elles semblaient un peu plus satisfaisantes en termes d'emploi et de reprise, et des personnes qui ne reprennent que le nom. Une société se crée, réexploite le fonds. On retrouve ceux qui ont racheté le nom et ceux qui exploitent dans la même société. On voit ensuite cette société laisser un nouveau trou de 18 millions de francs. Quand cette nouvelle société dépose son bilan, on ne retrouve plus d'actifs, on ne retrouve même pas le nom. On dit qu'il était propriété privée des personnes associées dans la même société, par des conventions dont on n'a pas trace dans les dossiers, même de la deuxième liquidation, entre des personnes physiques propriétaires du nom et la société exploitante. Dans cette deuxième liquidation, il apparaît en outre que l'on crée à l'étranger une société «offshore», qui aurait gardé le nom. Comment peut-on laisser se créer de tels trous dans une procédure collective sans s'interroger ? Si cela se produit souvent, il faudrait peut-être trouver des moyens d'amélioration, car c'est toute la société qui en pâtit.

M. Joël SAULAIS : Je ne peux pas être d'un avis contraire au vôtre sur ce point, mais je vous ferai remarquer que l'ensemble des éléments qui motivent votre question concernent le deuxième dossier et pas le premier, c'est-à-dire ce qui s'est passé entre la première liquidation et la seconde.

Pourquoi a-t-on refusé les propositions qui ont été faites ? Je ne m'en souviens plus, mais c'est un problème de délibéré, Ce n'est pas le juge-commissaire qui a décidé de choisir untel ou de refuser untel. Ils ont été refusés. Quel que soit le plan, soit de continuation, soit de cession, j'ai le souvenir que rien n'était viable à ce prix de loyer.

L'élément principal de cette affaire, c'est que les nouveaux - on ne peut pas les appeler repreneurs, puisqu'ils sont partis de rien - ont obtenu du propriétaire des conditions 50 % meilleures que celles des précédents occupants, ce qui leur a permis de démarrer. Cela n'est pas mon fait, je n'y peux rien.

S'agissant de la collusion dont vous parlez, je ne sais pas ce que vous voulez me faire dire.

M. M. Jean CODOGNÈS : Nous ne voulons rien vous faire dire.

M. le Rapporteur : Nous voulons comprendre.

M. M. Jean CODOGNÈS : Je vais vous expliquer notre raisonnement. Le 31 janvier, vous avez une proposition supérieure à 2,5 millions de francs pour le rachat de ce que vous estimez ne rien valoir.

M. Joël SAULAIS : Me permettez-vous de vous interrompre ?

M. M. Jean CODOGNÈS : Un dénommé Bonnet intervient à l'audience et fait capoter la procédure.

M. Joël SAULAIS : Qu'entendez-vous par :«Fait capoter» ?

M. M. Jean CODOGNÈS : Quelques mois plus tard, le tribunal estime que l'offre qui avait été faite par une société dont le capital était d'environ 50 millions de francs...

M. Joël SAULAIS : Permettez-moi de vous interrompre . Ce point est capital. Existe-t-il un rapport de l'administrateur sur les propositions faites ? A quoi l'administrateur conclut-il ?

M. M. Jean CODOGNÈS : Là n'est pas notre interrogation.

M. Joël SAULAIS : C'est capital !

M. M. Jean CODOGNÈS : Quelques jours plus tard, vous ordonnez la vente aux enchères avec une mise à prix minimale de 50 000 francs.

M. Joël SAULAIS : On ne parle pas de la même chose.

M. M. Jean CODOGNÈS : Si !

M. Joël SAULAIS : Pas du tout ! Vous venez de parler de l'ensemble et je parle de l'enseigne.

M. M. Jean CODOGNÈS : Je parle de l'ensemble.

Les propositions ont été repoussées, le repreneur estimant qu'il n'était plus dans les conditions requises pour verser les sommes. Vous indiquiez, le 31 janvier, à l'audience, qu'il retirait son offre.

Le dénommé Bonnet intervient déjà. Son nom est porté dans le jugement. Nous avons l'ordonnance du 17 février, signée par vous...

M. Joël SAULAIS : Oui.

M. M. Jean CODOGNÈS : ...qui ordonne la vente pour 50 000 francs, aux enchères.

M. Joël SAULAIS : Parfaitement.

M. M. Jean CODOGNÈS : Quelques jours après, vous rétractez cette ordonnance et vous vendez à M. Douillet, pour la somme de 100 000 francs, celui-ci vous ayant proposé par écrit la cession à ce prix. Pourquoi n'avez-vous pas ordonné la vente aux enchères avec la mise à prix minimale de 100 000 francs ? Quel est le vrai motif qui vous a poussé à rétracter l'ordonnance ?

M. Joël SAULAIS : N'y a-t-il pas dans le dossier une lettre de l'administrateur m'indiquant qu'il avait reçu la proposition - je n'ai moi-même reçu aucune proposition, il est clair que je n'ai aucun contact direct avec ces gens-là -, et me disant que la marque n'avait pas de chance d'être vendue aux enchères, car il n'y avait pas d'enchères, et qu'il avait une offre à 100 000 francs qui lui paraissait raisonnable ? C'est probablement ainsi que j'ai pris la décision.

Je me souviens fort bien que, discréditée comme elle l'était, avec tous les articles de presse disant que l'affaire battait de l'aile, se trouvait dans un état désastreux, etc., je considérais que l'affaire Travelstore était une véritable dépouille. Qui pouvait avoir envie de prendre le nom de Travelstore, alors que des centaines de gens réclamaient les acomptes qu'ils avaient versé sur des voyages ?

M. M. Jean CODOGNÈS : Ce qui nous a surpris, c'est que la nouvelle société se trouve, semble-t-il, avec un bail identique, à la même adresse...

M. Joël SAULAIS : Mais pas au même prix !

M. M. Jean CODOGNÈS : ..avec une partie du personnel, sans avoir, au fond, rien payé.

M. Joël SAULAIS : Je vous ai expliqué tout à l'heure ce qu'il en était.

M. M. Jean CODOGNÈS : Je vais tout de même vous lire les déclarations du chef de la section financière de votre parquet :

« Donc, premier dépôt de bilan, puis redressement, puis liquidation judiciaire. Dans le cadre de la liquidation judiciaire, on concède la marque Travelstore. Dans un premier temps, le juge-commissaire rend une ordonnance ordonnant la cession de la marque aux enchères publiques. Quelques jours après, il rétracte cette ordonnance et rend une nouvelle ordonnance cédant la marque à M. David Douillet, dans des conditions quelque peu surprenantes.

«Il résulte de l'enquête préliminaire diligentée sur l'ensemble des faits de banqueroute, que c'est sur instruction du président du tribunal de commerce que cette ordonnance a été rétractée.

«M. le Rapporteur : Instructions personnelles ?

«Le chef de la section financière du parquet : Aux dires du mandataire-liquidateur de la première société: Me Josse. »

Avez-vous subi les pressions d'un autre magistrat de ce tribunal pour rétracter une ordonnance que vous aviez prise sept jours plus tôt ?

M. Joël SAULAIS : Je serai très clair sur ce point. Je ne reçois aucune pression de quiconque. Je suis ici depuis neuf ans, j'ai rendu toutes mes décisions en parfaite connaissance de cause et personne n'est responsable des décisions que j'ai prises.

Je ne sais pas qui dit cela, qui l'a vu, en tout cas, je n'ai subi aucune pression. Il n'y a pas de hiérarchie ici, je n'ai pas à faire carrière, je ne crains personne. Je n'ai reçu aucune pression. Et je réponds clairement que c'est en considérant que la vente aux enchères n'avait aucune chance d'aboutir que j'ai signé cette ordonnance de 100 000 francs. Que l'on me démontre que c'est une décision abusive et que cette dépouille vaut plus que 100 000 francs. La preuve, c'est que personne ne s'est plaint à l'époque. Mon ordonnance n'a pas fait l'objet d'appel ni de quoi que ce soit. Que cherche-t-on à dire ?

M. le Rapporteur : Monsieur le juge, je voudrais résumer la situation. Nous cherchons à comprendre des choses curieuses. Nous avons été alertés sur cette affaire par le parquet.

M. Joël SAULAIS : C'est la première fois que je suis saisi de cela.

M. le Rapporteur : Vous auriez dû le savoir. Une enquête préliminaire pour banqueroute ce n'est pas, comme disait M. Darne, une affaire de commerçant-artisan.

Vous êtes saisi, à un point important du passage des événements judiciaire, de la cession du seul actif, apparemment, ayant encore une valeur dans cette entreprise, la valorisation de cet actif servant à désintéresser les créanciers, nombreux dans cette affaire comme dans d'autres.

M. Joël SAULAIS : Nous sommes parfaitement d'accord.

M. le Rapporteur : On s'interroge sur la rétractation d'une ordonnance, fait inhabituel. Quand on prend une décision un jour, on n'a pas de raison d'en changer plusieurs jours après, sauf si on est certain de s'être trompé. La première décision tendait à vendre aux enchères publiques la marque Travelstore pour une mise à prix de 50 000 francs. Voilà qu'arrive un offrant généreux, M. Douillet, qui propose 100 000 francs. Pourquoi ne lui avez-vous pas dit, par l'intermédiaire de Me Josse, d'aller se présenter à la barre et de faire monter les enchères ? Vous rétractez la vente aux enchères publiques et vous lui donnez pour 100 000 francs. J'en conclus qu'il fallait absolument que ce soit M. Douillet qui l'ait, ce qui n'était pas certain en cas d'enchères publiques, car votre première ordonnance permettait à M. Douillet d'obtenir sa marque.

M. Joël SAULAIS : Je suis désolé, monsieur le député, mais je ne suis pas d'accord avec vos conclusions. Pourquoi aurait-il fallu que ce soit M. Douillet ?

M. le Rapporteur : Parce que vous lui avez donné.

M. Joël SAULAIS : M. Douillet a fait une proposition qui m'est apparue raisonnable. C'est pourquoi j'ai signé. Quelqu'un d'autre aurait fait la même, je l'aurais fait dans les mêmes conditions. Je n'ignorais pas sa personnalité, que toute la France connaissait, mais j'ignorais qu'il eût envie de se lancer dans une agence de voyage.

M. le Rapporteur : C'est une autre affaire. La question que la commission vous pose est de savoir pourquoi vous n'avez pas dit à Me Josse: puisque nous avons déclenché les enchères publiques, qu'il aille se présenter à la barre ?

M. Joël SAULAIS : Très certainement parce que Me Josse m'a dit ou a même dû écrire qu'il avait reçu une proposition raisonnable, conforme à l'expertise qu'il avait fait réaliser et que ne pas aller aux enchères publiques faciliterait les opérations.

M. le Rapporteur : Me Josse a déclaré, dans le cadre d'une enquête préliminaire, c'est-à-dire certainement sur procès-verbaux de la police - la commission d'enquête ne peut pas enquêter lorsqu'un juge d'instruction est saisi, mais en cas d'enquête préliminaire, l'affaire n'existe pas, elle est en enquête dite officieuse -, que cette rétractation est intervenue sur instruction personnelle du président du tribunal de commerce.

M. Joël SAULAIS : Cela n'engage qu'elle. Je déclare que j'ai signé une ordonnance en parfaitement connaissance de cause, sans la pression de qui que ce soit, et encore moins du président du tribunal de commerce, comme je l'ai toujours fait depuis que je suis ici.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas entendu les premiers débats, mais ce n'est pas la première fois que nous rencontrons une telle situation.

Nous n'avons pas examiné beaucoup de dossiers, car nous n'avons pas les moyens de l'Inspection des finances et l'Inspection générale des services judiciaires rassemblés à cet étage pour analyser dans le détail, sur plusieurs semaines, le travail de ce tribunal. Nous nous sommes d'ailleurs rencontrés ce matin et leur travail important complétera celui de la commission d'enquête. Mais au travers de quelques sondages réalisés dans des affaires sensibles - M. Darne signalait tout à l'heure les affaires non sensibles, le tout venant, l'habituel, la routine - sur lesquelles l'attention des magistrats doit certainement être appelée plus particulièrement que dans d'autres, nous trouvons des choses tout à fait curieuses.

Tout à l'heure, nous avons eu un exemple assez semblable, dans une affaire où le président d'une formation collégiale a demandé au juge-commissaire, qui n'était autre que le fameux président Chevalier, de ne pas se présenter à l'audience, parce qu'il avait des idées contraires à ce que le tribunal avait déjà jugé avant l'audience. Cela constitue donc un deuxième fait.

M. Joël SAULAIS : Si l'administrateur Josse affirme que Saulais a signé l'ordonnance sur les instructions du président du tribunal de commerce de Paris, qu'elle le prouve. Saulais répond: j'ai signé l'ordonnance en parfaite indépendance.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas à elle de le prouver, puisqu'elle était interrogée par la police. C'est la police et le parquet qui auront des preuves à apporter dans cette affaire. Nous vous interrogeons parce que vous êtes le juge-commissaire et vous n'avez pas fourni d'explications convaincantes.

M. Joël SAULAIS : Si elles ne sont pas convaincantes, j'en suis désolé.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous améliorer leur caractère convaincant ?

M. Joël SAULAIS : Je crains que non. Je ne pense pas que je puisse vous convaincre sur ce point. Vous avez l'air d'avoir une idée préconçue.

M. le Rapporteur : Non, «post-conçue», monsieur le juge.

M. Joël SAULAIS : En tout cas, j'ai dit ce qu'il en est. J'ai dit pourquoi j'ai signé cette ordonnance. Je n'ai rien à regretter sur ce point. Je voudrais que quelqu'un puisse me démontrer qu'il y a eu abus et que cette enseigne a été sous-évaluée et sous-traitée.

M. le Rapporteur : Il n'y a pas d'abus, il y a une originalité et une curiosité. Les enchères publiques sont destinées à faire monter les prix, alors que les ventes de gré à gré sont faites pour choisir à qui on vend.

M. Joël SAULAIS : Ce n'est pas à vous que j'apprendrai que les ventes aux enchères publiques sont lourdes et que pour une affaire de 50 000 francs, c'était peut-être inutile.

M. M. Jean CODOGNÈS : Sept jours plus tôt, vous l'aviez ordonné !

M. le Rapporteur : Vous l'aviez décidé vous-même !

M. Joël SAULAIS : Parce qu'on me l'a proposé. On ne peut pas se tromper ? On ne peut pas changer d'avis ? Cela n'est-il pas possible pour faciliter une opération ? Si les 50 000 francs sont absorbés par les frais de la vente aux enchères publiques, est-ce intéressant pour les créanciers ?

Cela nous arrive notamment en matière immobilière. Compte tenu des éventuels soupçons sur les ventes immobilières, nous avons décidé de tout vendre par l'intermédiaire de la chambre des notaires ou aux enchères. Croyez-vous qu'il soit intéressant, pour des biens minimes, une pièce ou un lot dans un immeuble, d'utiliser la procédure des enchères ?

M. le Rapporteur : Comme le disait Jean Codognès à l'instant, il y a un passif de 17 millions de francs et on a réussi à obtenir 100 000 francs.

M. Joël SAULAIS : Vous ne pourrez pas me démontrer qu'en vendant l'enseigne, j'aurais pu obtenir 17 millions de francs.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas l'objet de cette démonstration. Nous sommes là pour essayer de comprendre pourquoi vous vous rétractez et changez d'avis ?

M. Joël SAULAIS : Je vous l'ai dit.

M. M. Jean CODOGNÈS : Il y a peut-être un élément que vous ignorez.

M. Joël SAULAIS : Peut-être.

M. M. Jean CODOGNÈS : C'est que le dénommé Bonnet, le premier acquéreur à 50 000 francs, et le troisième acquéreur sont en réalité associés dans la nouvelle société...

M. Joël SAULAIS : Comment voulez-vous que je le sache ?

M. M. Jean CODOGNÈS : ...qu'ils ont laissé un passif de 18 millions de francs.

M. Joël SAULAIS : Je l'ai su par la suite.

M. M. Jean CODOGNÈS : ...et qu'ils repris l'actif pour 100 000 francs.

M. Joël SAULAIS : Que me reprochez-vous sur ce point ? Si vous me reprochez quelque chose, que cela soit clair. Pouvais-je savoir que ces gens-là allaient former une société et se réinstaller, obtenir du GAN un loyer de 500 000 francs, alors qu'il était avant de 1 000 000 de francs ? Cela ne vous intéresse pas ? Moi, c'est ce qui me préoccupe le plus.

On ne peut pas obtenir un plan de continuation, parce que le propriétaire est irréductible sur le prix du loyer, alors qu'il sait que l'affaire n'est pas viable. Et on apprend, quelques mois après que des gens redémarrent après avoir obtenu un prix de loyer moitié moindre. Ne trouvez-vous pas cela troublant ?

M. Jacky DARNE : L'ensemble est troublant.

M. Joël SAULAIS : Le juge-commissaire peut-il jouer un rôle dans cette affaire ? Démontrez-le moi.

M. le Rapporteur : En tout cas, plus que nous. Vous êtes en charge de ces affaires.

M. Joël SAULAIS : Pas du tout ! Comment puis-je maîtriser la définition du prix du loyer par le propriétaire ?

M. le Rapporteur : On trouve des choses un peu curieuses, et vous vous mettez en colère quand on pose des questions.

M. Joël SAULAIS : Non, je ne suis pas du tout en colère.

M. Jacky DARNE : Estimez-vous qu'il aurait été préférable que le dossier de la deuxième liquidation soit confié au même juge-commissaire, pour permettre une continuité ?

M. Joël SAULAIS : Ça, c'est une bonne question ! Je crois que oui. J'ai été très étonné de ne pas être saisi de la deuxième.

M. le Rapporteur : Ah ! Pour quelle raison n'avez-vous pas été nommé ?

M. Joël SAULAIS : Je l'ignore.

M. le Rapporteur : Nous le demanderons au président du tribunal. Est-ce lui qui désigne ?

M. Joël SAULAIS : Je ne le crois pas.

M. le Rapporteur : Qui est-ce ?

M. Joël SAULAIS : Cela s'est étalé sur deux années et la deuxième, je n'étais plus dans une chambre de procédures collectives. Donc, par définition, je n'étais pas juge-commissaire. Il me paraît pertinent de répondre que l'on n'est juge-commissaire que lorsqu'on appartient à une formation de procédures collectives.

Audition de M. Alain BLOCH,
juge au tribunal de commerce de Paris

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 juin 1998 au tribunal de commerce de Paris)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Bloch est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Bloch prête serment.

M. le Rapporteur : M. Bloch, nous n'avons pas beaucoup de questions à vous poser. Vous étiez juge commis dans l'affaire de la société Hoche contre la société Moët et Chandon. J'ai ici un rapport de Me Belhassen. Voulez-vous vérifier que vous l'avez bien eu sous les yeux.

M. Alain BLOCH : Sans aucun doute.

M. le Rapporteur : C'est un rapport d'enquête classique, qui n'a rien d'original. Il concerne une société qui a appartenu au groupe Royal-Monceau. D'après les informations recueillies par le mandataire, il fait apparaître la disparition de la somme de 150 millions de francs dans la procédure de liquidation d'une société qui n'a plus eu d'autre activité que de faire migrer cet argent dans les îles Tortues, les îles Vierges. Tout cela est acquis à travers le nom de la société, sa domiciliation: British Virgin Island BVI, confirmée par le commissaire aux compte. Cette société a fait migrer cet argent quelques mois seulement avant l'ouverture du redressement judiciaire du groupe Royal-Monceau.

Quelle est l'attitude d'un juge au tribunal de commerce à la lecture d'un rapport de ce genre ?

M. Alain BLOCH : Vous le savez, la procédure de désignation des juges commis prévoit corollairement la désignation d'un mandataire, chargé d'enquêter et de s'assurer de la réalité des opérations. Nous ne sommes là que pour contrôler ce qu'il fait. Nous avons connaissance de son rapport qui est simultanément transmis à la formation de jugement et, le cas échéant, au juge-commissaire.

En l'espèce, comme sur la plupart des dossiers mis à l'enquête, qui sont très nombreux, je n'ai pas eu de réaction particulière.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que le juge-commissaire ait pu en avoir une ?

M. Alain BLOCH : Je l'ignore. Je rappelle que le juge-commissaire est une juridiction à part entière. Nous nous interdisons à tout moment d'intervenir pendant les procédures, car cela serait éventuellement condamnable. Je me suis toujours interdit, depuis mes quatre années de présence au tribunal et mes deux années de présence en chambre des procédures collectives, de parler d'un dossier à un juge-commissaire.

M. le Rapporteur : Cent cinquante millions de francs qui disparaissent dans un paradis fiscal, alors que la société appartenait juste avant à un groupe qui a fait l'objet d'un plan de redressement contesté, alors que le mandataire-liquidateur signale qu'il ne peut pas obtenir la comptabilité, alors que l'on découvre que le gérant est un gérant de paille. On découvre également que cette société a été opportunément transformée de société anonyme en société en nom collectif, ce qui présente pour les créanciers l'avantage d'obtenir la responsabilité des associés et des actionnaires sur leur patrimoine personnel, et l'inconvénient qu'il n'y ait pas besoin de commissaire aux comptes. Jusqu'à la fin de son mandat, le commissaire aux comptes a signalé ses éléments. On s'est ensuite débarrassé de lui.

Les contrôles normaux fonctionnaient-ils ? Dans un dossier signalé et important, où il y a eu deux milliards de francs de passif, le juge commis était-il en mesure de réagir ? Ma question est simple.

M. Alain BLOCH : Les rapports d'enquête sont également transmis au parquet, qui a tous pouvoirs et probablement plus de moyens que nous de diligenter d'éventuelles poursuites pénales dans ce genre de dossier. Cela ne relève pas de notre pouvoir.

M. le Rapporteur : Cela a été transmis au parquet. Je voulais tout de même savoir ce qu'inspire à un juge une situation de ce genre.

M. Alain BLOCH : Elle m'inspire des considérations probablement proches de celles que vous venez de développer.

Je précise qu'en l'occurrence, le juge commis n'a aucune espèce de pouvoir dans la procédure. Il n'est là que pour contrôler que le mandataire a convenablement fait son travail. C'est le cas, puisqu'il a abouti à des conclusions très claires.

M. le Rapporteur : Je vais vous dire pourquoi votre réaction aurait pu être tout à fait décisive. `

Ce rapport a été rendu pour l'audience du 19 août 1997. Dans l'autre affaire, le tribunal avait rendu une décision le 1er août 1997, frappée d'appel par le parquet. Si la cour d'appel avait eu connaissance de cela, je pense que sa décision eût été tout autre. 150 millions de francs qui manquent dans un redressement judiciaire, c'est tout à fait inquiétant. Nous observons que les organes de la procédure mis en place par le législateur ne fonctionnent pas.

M. Alain BLOCH : Le juge commis n'est pas un organe de la procédure. Il n'en fait pas partie au sens de la loi.

M. le Rapporteur : En tout cas, il y joue un rôle. Sinon, autant le supprimer.

M. Alain BLOCH : C'est le travail du législateur, c'est-à-dire le vôtre, et pas le mien.

La mission du juge commis est précise. Elle est de surveiller que le mandataire a fait son travail. En l'espèce, il l'a fait. Il n'est certainement pas d'intervenir dans la procédure, de quelque façon que ce soit. Par contre, je le répète, le parquet a tous les pouvoirs en la matière.

M. Jacky DARNE : M. Bloch, vous avez nombreuses activités : enseignement, responsabilité d'entreprises.

M. Alain BLOCH : Je n'ai plus de responsabilité d'entreprise. Je suis professeur au Conservatoire national des arts et métiers. C'est ma seule activité.

M. Jacky DARNE : Pouvez-vous nous décrire votre activité ? Que faites-vous au tribunal de commerce de Paris ? Dans quelles conditions ? Combien de temps y passez-vous ?

M. Alain BLOCH : J'y consacre, comme la plupart de mes collègues, un peu moins d'une journée par semaine en moyenne, c'est-à-dire, trois jours par mois, plus le temps que j'y consacre durant mes week-ends, puisque nous passons quelques heures sur notre temps de loisirs à étudier nos dossiers.

J'appartiens depuis deux ans à une chambre de procédure collective. Le rythme des procédures collectives est assez régulier. Le matin, nous siégeons en chambre du conseil, où nous rendons un certain nombre de décisions. L'après-midi, nous participons à d'autres chambres du conseil qui concernent des plans ou des aspects de la procédure.

M. Jacky DARNE : Vous n'êtes jamais désigné en qualité de juge-commissaire ?

M. Alain BLOCH : Si, bien sûr.

M. Jacky DARNE : En qualité de juge-commissaire, combien suivez-vous actuellement de dossiers ?

M. Alain BLOCH : Il convient de distinguer, pour la clarté du débat, les dossiers de liquidation, dans lequel le travail est réduit à sa plus simple expression, des dossiers significatifs. Je suis actuellement juge-commissaire de trois ou quatre gros dossiers qui prennent du temps. Ils sont d'ailleurs extrêmement variés. L'un concerne le collège Sainte-Barbe, un autre est plus sensible, puisqu'il s'agit du dossier Pallas-Bred-Gestion immobilière.

M. Jacky DARNE : Quel est le nombre total des dossiers de liquidation que vous suivez actuellement ?

M. Alain BLOCH : Je dois avoir une cinquantaine de commissariats.

M. Jacky DARNE : Comment assurez-vous le suivi de ces dossiers par rapport aux mandataires-liquidateurs ou aux administrateurs ? Si j'ai bien compris, vous passez une demi-journée à siéger en jugement. Il vous reste une demi-journée au tribunal pour les affaires importantes.

M. Alain BLOCH : Pour les affaires importantes, comme Pallas Bred Gestion immobilière, j'ai eu de nombreuses réunions avec l'administrateur à son bureau, pour fixer le déroulement de la procédure. C'est ce que j'appelle des dossiers importants sur lesquels on passe du temps. Heureusement, nous n'en avons pas trop ; sur des dossiers un peu moins importants, comme celui du collège Sainte-Barbe, les choses se règlent souvent par téléphone.

Je vous rappelle que conformément à la loi, tous les mandataires nous soumettent leurs projets de requête, que nous signons ou que nous ne signons pas. Ils sont motivés. Si nous avons une difficulté, nous téléphonons au mandataire. Cela arrive. Nous le faisons assez régulièrement.

M. Jacky DARNE : Y a-t-il trace de conversations téléphoniques dans les dossiers ? Votre dossier est-il de nature différente de celui qui nous est confié par le greffe ?

M. Alain BLOCH : Non, c'est exactement le même, à nos notes personnelles près. Le greffe détient en double tous les éléments de la procédure, fort heureusement, car nous emmenons du travail chez nous et nous ne sommes pas à l'abri de la perte d'un document. Nous n'avons que des copies et le greffe détient l'intégralité des dossiers.

M. Jacky DARNE : Les dossiers que j'ai demandés et examinés ce matin au greffe me sont apparus particulièrement réduits, sans aucune note de travail et sans beaucoup d'éléments. Il est très rare d'y trouver des éléments comptables, des rapports de commissaires aux comptes, même le plan de travail que devrait fournir l'administrateur. Ils contiennent essentiellement des requêtes et des ordonnances, ainsi que des extraits K bis. Est-ce que ce sont ces éléments de dossier qui vous permettent de vous faire une opinion ?

M. Alain BLOCH : Il faut distinguer les liquidations des redressements. Dans les liquidations, nous n'avons pas toujours d'éléments comptables, hélas  ! puisqu'ils font parfois défaut à l'entreprise elle-même. Nous sommes obligés parfois de poursuivre des dirigeants pour défaut de comptabilité. Dans de petits dossiers de liquidation, il arrive malheureusement souvent que nous n'ayons aucun élément comptable. Il arrive aussi que les dirigeants aient disparu. Il faut mesurer qu'un très grand nombre de petits dossiers de liquidation sont quasiment dépourvus d'informations, tant pour le mandataire que pour le juge, au plus grand détriment de la collectivité.

Quant aux dossiers de redressement, il est clair que dès lors qu'il y a une opération à caractère économique, c'est-à-dire, un plan de redressement, nous avons une abondante information. Les dossiers que vous avez vus ne doivent pas être caractéristiques.

Si vous regardez les petits dossiers de liquidation, je ne suis pas surpris que vous n'y trouviez pas beaucoup d'éléments, car, hélas ! vous le savez, une fois que nous avons pris la décision de liquidation, la seule opération est de liquider le patrimoine de l'entreprise.

M. Jacky DARNE : Ce matin, j'ai consulté aussi de gros dossiers - pas particulièrement les vôtres -, comme celui de l'affaire Smadja. Je vous assure que dans ces dossiers tenus par le greffe les documents de travail sont en nombre très limité. On peut légitimement se demander comment le juge peut maîtriser une procédure aussi compliquée avec aussi peu d'éléments.

M. Alain BLOCH : Pour ma part, dans tous les dossiers que j'ai eu à suivre en chambre du conseil, j'ai toujours eu des éléments d'informations, soit des parties - je rappelle que c'est l'intérêt des parties de nous fournir des informations -, soit des mandataires, notamment les bilans, qui nous permettaient de décider.

Il se peut que dans certains cas, tous ces documents ne soient pas archivés. Le dossier du collège Sainte-Barbe, qui viendra la semaine prochaine, est très épais. Je ne suis pas sûr qu'il soit toujours en totalité archivé.

M. Jacky DARNE : Vous disiez que vous travaillez chez vous le week-end. Cela suppose que vous emmeniez le dossier.

M. Alain BLOCH : C'est évident.

M. Jacky DARNE : En tant qu'enseignant, la méthodologie : les procédures, qui sont souvent orales, le travail effectué tantôt à domicile tantôt au tribunal, vous paraît-elle satisfaisante ? Quel regard portez-vous sur la façon de gérer les procédures collectives ? Vous paraît-elle satisfaisante ?

M. Alain BLOCH : Au total, je crois très sincèrement, sans vouloir défendre une chapelle que je n'ai pas à défendre, car je rappelle que nous n'avons aucun intérêt particulier à exercer cette charge, que la procédure est satisfaisante. La professionnalisation éventuelle d'une partie du tribunal de commerce n'apporterait pas grand chose de plus.

Je rappelle que dans toutes les décisions importantes, le parquet est représenté. Par conséquent, l'échevinage dont on parle tant existe déjà, d'une certaine façon.

M. le Rapporteur : Sauf pour M. Allarousse  !

Avez-vous entendu sa déposition, tout à l'heure ?

M. Alain BLOCH : Non, je n'étais pas là lors de son audition.

M. le Rapporteur : Vous n'auriez pas dit cela si vous l'aviez entendu.

M. Alain BLOCH : Je constate que nous ne prenons pas de décisions sans la présence d'un magistrat professionnel, et en particulier d'un magistrat du parquet. Les tribunaux professionnels, d'instance et de grande instance, tels que je les vois fonctionner, ne travaillent pas dans des conditions beaucoup plus satisfaisantes. Je connais beaucoup de magistrats qui emportent du travail chez eux, faute parfois d'avoir des bureaux fournis par l'administration, notamment à Paris. D'ailleurs, les intéressés s'en sont largement plaints, en expliquant qu'ils n'avaient pas les moyens nécessaires pour effectuer leur travail.

Je pense que nous ne travaillons pas dans des conditions très différentes de celles de magistrats professionnels. Compte tenu du fait que le tribunal est composé pour une part de gens en activité, qui apportent leur expérience de l'exercice de responsabilités dans le monde des affaires, et pour une autre part, de gens à la retraite qui ont plus de temps que nous, au total, l'équilibre se fait assez bien.

Depuis quatre ans que je siège dans ce tribunal, mes présidents de chambre ont toujours su tenir compte du fait que j'étais en activité pour ne pas me surcharger de travail. Ils savent répartir la charge entre les gens encore en activité et ceux qui ne le sont plus. Au total, entre la sagesse de ceux qui ne sont plus en activité et la pratique de ceux qui sont encore en activité, on aboutit à un bon équilibre, notamment dans des matières où la professionnalisation poserait quelques difficultés.

Je crois qu'il faut avoir été chef d'entreprise, savoir ce qu'est une échéance, savoir ce qu'est se battre pour sauver son entreprise, pour apprécier une situation, pour, comme je l'ai fait ce matin, donner quelque délai à un chef d'entreprise face à l'URSSAF. Je ne suis pas certain qu'un magistrat professionnel aurait la même sensibilité que moi.

M. Jacky DARNE : Cela dit, le nombre et le volume des dossiers entraînent aussi des traitements discutables. J'ai examiné un tout petit dossier dans lequel vous n'êtes pas concerné, mais nous discutons d'une façon générale de la façon de traiter les dossiers.

Un salarié se plaint de ne pas avoir été payé par son employeur, qui a ensuite disparu. Il écrit au parquet qui lui répond que l'entreprise est très probablement en liquidation au tribunal de Paris. Ce salarié écrit au tribunal de Paris, qui lui répond: les renseignements au greffe n'ayant pas permis de déceler d'indices suffisants, nous ne pouvons accéder à votre demande et nous vous renvoyons au conseil des prud'hommes. En réalité, quelques semaines après, une procédure est ouverte et la liquidation prononcée, sans qu'il y ait eu de lien de cause à effet avec la demande du salarié. Le salarié a pris la peine de joindre la réponse du magistrat. Alors qu'il existe des procédures amiables, alors qu'il y a possibilité de saisir d'office le tribunal, trouvez-vous normal qu'un tel courrier ne donne pas lieu à des investigations du tribunal ?

Contrairement aux grandes affaires que nous évoquions tout à l'heure c'est une petite affaire, c'est de la justice au quotidien. Quand je vous ai interrogé sur le nombre de dossiers que vous suivez, vous m'avez répondu qu'il y avait trois ou quatre affaires méritant votre attention et quantité de petites affaires. N'a-t-on pas l'impression que ces petites affaires de liquidation notamment, sont vues de très loin et relativement négligées. Vu de l'extérieur, la réponse faite à ce salarié est contraire à celle qu'il aurait fallu lui faire.

Cela ne démontre-t-il pas une faiblesse de l'institution ? Elle est peut-être partagée avec d'autres juridictions composées de magistrats professionnels et le rapporteur souhaitera peut-être ultérieurement se pencher sur d'autres sujets, mais si nous observons actuellement les tribunaux de commerce, ce n'est pas par hasard, c'est parce que beaucoup de personnes s'interrogent sur les procédures collectives qui ont des conséquences importantes sur l'économie de notre pays.

M. Alain BLOCH : Vous avez probablement raison, monsieur le député. En réalité, la loi ne donne pas beaucoup de pouvoirs d'investigation aux juges consulaires. L'esprit de la loi est de donner ces pouvoirs d'investigation au parquet. La question qui se pose est celle des moyens véritablement dérisoires qu'a le parquet dans les juridictions consulaires.

Je prendrai un exemple concret. Nous sommes fréquemment saisis de sociétés qui déposent leur bilan, et je rappelle que le substitut est à nos côtés, avec un chiffre d'affaires dérisoire et une trentaine de salariés embauchés, comme par hasard, quatre ou cinq mois avant le dépôt de bilan. Ces sociétés ont parfois moins d'un an d'existence. La man_uvre est claire: il s'agit de sociétés qui font travailler du personnel au noir et qui, quelques mois avant le dépôt de bilan, les engagent. C'est la collectivité qui, par l'intermédiaire du Fonds national de garantie des salaires, paie des sommes non négligeables. Dans ces circonstances, il est visible à l'_il nu qu'il faudrait exercer des poursuites et investiguer pour savoir qui sont les commanditaires de ces sociétés, car nous avons généralement affaire à des gérants de paille, qui parfois ne parlent même pas français. Pourquoi le parquet n'engage-t-il pas de poursuites ? Quand vous le lui demandez, il répond qu'il n'en a pas les moyens.

Cela coûte fort cher à la collectivité, car à Paris, nous avons, hélas ! un grand nombre de dossiers de ce genre. Les institutions sociales et en particulier le Fonds national de garantie des salaires paient très cher l'absence de réaction de la collectivité. Mais, en l'occurrence, nous n'avons pas d'autre pouvoir, lorsque l'affaire revient devant nous, que de sanctionner un dirigeant qui, la plupart du temps. est un dirigeant de paille. Nous usons de nos pouvoirs de sanction, puisque nous en avons, mais nous n'avons pas de pouvoir d'investigation. Ceux-ci relèvent du parquet. En cette matière, nous sommes tous un peu révoltés pas des situations dans lesquelles le parquet n'a pas les moyens de faire respecter les décisions.



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