RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME III
Comptes-rendus d'enquête sur le terrain

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS
(PARTIE 4)

· 165 magistrats :
-
Président : M. Jean-Pierre Mattei depuis 1996. Au tribunal depuis 12 ans. Un vice-président, 34 présidents de chambre (8 à 12 ans d'ancienneté).
-64 000 entreprises commerciales inscrites au registre du commerce dont 42 600 sociétés commerciales et 21 400 commerçants personnes physiques.

· Budget de fonctionnement (prévision)

 

Dotation de l'Etat(a)

Fonds de concours(b)

Total

1994

3 183 260

620 000

3 803 260

1995

3 153 800

520 000

3 673 800

1996

3 133 905

475 000(c)

3 608 905

1997

3 170 973

500 000(c)

3 670 973

1998

3 054 582

282 900(d)

3 337 482

(a) - Versement du ministère de la justice au titre du fonctionnement courant ;

- Charges d'informatique et travaux immobiliers supportées par la cour d'appel.

(b) Non compris les versements de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris à l'association amicale des magistrats.

(c) Seul donateur : Chambre de commerce et d'industrie de Paris.

(d) Dont : Chambre de commerce et d'industrie : 250 000 F ; Commission européenne (action Robert Schuman) : 32 900 F (5 061 euros).

Source : tribunal de commerce de Paris.

· Activité contentieuse :

 

1995

1996

A. Contentieux général

- affaires terminées

40 056

39 345(a)

B. Contentieux du redressement judiciaire

- décisions relatives à l'ouverture de la procédure

- dont ouvertures de liquidation judiciaire

- dont liquidations judiciaires immédiates

- plans de redressement

* continuation

* cession

- ordonnance du juge-commissaire

8 690

6 062

5 028

204

112

23 675

9 115(b)

7 076

5 947

615

183

22 838

C. Référés

11 083

11 486

(a) Pour mémoire : France entière, toutes juridictions : 156 520 affaires terminées.

(b) Pour mémoire : France entière, toutes juridictions : 79 512 décisions

Source : ministère de la justice, statistiques des affaires commerciales 1995 et 1996.

sommaire des auditions relatives aux déplacements effectués par la commission

_ Audition de M. Jean-Pierre MATTEI, Président du tribunal de commerce de Paris (17 juin 1998 au tribunal de commerce de Paris)

_ Audition de M. Jean-Louis CHEVALIER, ancien juge au tribunal de commerce de Paris (23 juin 1998)

_ Audition de M. Z, ancien juge au tribunal de commerce de Paris (23 juin 1998)

_ Audition de M. NICOLAU, contrôleur de gestion (23 juin 1998)

Audition de M. Jean-Pierre MATTEI,
président du tribunal de commerce de Paris

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 juin 1998 au tribunal de commerce de Paris)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Mattei est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Mattei prête serment.

M. le Rapporteur : Alors, tout va bien, au tribunal de commerce de Paris ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Qu'en pensez-vous, monsieur le Rapporteur ?

M. le Rapporteur : Nous verrons cela quand vous vous serez défendu. Vous avez assisté à l'ensemble des auditions. Il est important que vous donniez votre sentiment.

M. Jean-Pierre MATTEI : J'ai entendu les questions que vous avez posées. Elles m'ont choqué, à plusieurs reprises. Vous avez manifesté la volonté systématique de mettre les juges en cause, soit dans leurs délibérés, soit dans leurs rapports. Vous avez tenté, à plusieurs reprises, d'essayer de dire ou de faire dire à des juges qu'ils avaient subi des pressions du président de la juridiction.

Or je vous rappelle que les rapporteurs des commissions d'enquête exercent leur mission sur pièces et sur place. Tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis. C'est ce qui s'est passé à l'instant. En revanche, vous êtes habilité à vous faire communiquer tout document de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale - ce qui n'est pas le cas -, les affaires étrangères - ce qui n'est pas le cas, la sécurité intérieure ou extérieure de l'État - ce qui n'est pas le cas -, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs, ce qui est le cas.

En conséquence, monsieur le Rapporteur, messieurs les députés, je constate que la manière dont vous conduisez votre commission n'est pas conforme à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Donc, tout va bien au tribunal de commerce de Paris, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Monsieur Mattei, vous l'aviez déjà dit dans la presse.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je le redis, devant les caméras, puisque vous avez eu l'obligeance de les inviter, et je vous en remercie.

M. le Rapporteur : C'est normal. Nous travaillons à c_ur ouvert.

M. Jean-Pierre MATTEI : Eh bien, nous allons parler comme tel.

M. le Rapporteur : Votre interprétation est la vôtre.

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, elle n'est pas seulement la mienne. Elle est également celle de magistrats professionnels, au plus haut niveau de la France.

M. le Rapporteur : Monsieur le président Mattei, votre interprétation est la vôtre.

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, je réponds que non, ce n'est pas que la mienne.

M. le Rapporteur : De notre côté, nous menons les travaux comme nous entendons les mener. D'ailleurs, si vous avez un certain nombre de récriminations, vous les faites parvenir sans difficulté au Président Colcombet, qui vous répond assidûment. Je crois qu'il vous a répondu, il y a peu.

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, M. Colcombet ne répond pas à tous mes courriers.

M. le Rapporteur : Ils sont nombreux, M. Mattei !

M. Jean-Pierre MATTEI : Oui, monsieur le député. L'ennui, c'est que la manière dont vous dirigez votre commission suscite de nombreuses questions.

En outre, je vous rappelle, monsieur le Rapporteur, que le Président de l'Assemblée nationale et votre Bureau sont saisis pour irrégularités commises par votre commission. Le ministre, garde des Sceaux, vice-président du Conseil de la magistrature, est saisi de la même manière. Je crois qu'il va falloir qu'on en parle également.

M. le Rapporteur : Puisque tout va bien au tribunal de commerce de Paris, je voudrais vous lire une déposition qui a été faite sous serment devant notre commission.

Il s'agit d'une audition qui a eu lieu le 2 juin 1998, sous la présidence de M. Colcombet. C'est celle de M. François de Séroux, un justiciable, qui ne porte aucune robe.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je ne connais pas M. de Séroux.

M. le Rapporteur : M. de Séroux était le propriétaire d'une grande entreprise qui a fait l'objet d'une procédure de redressement et qui a été mise en liquidation par votre tribunal en 1993.

« En juin 1993, le liquidateur, précédemment représentant des créanciers de cette filiale, m'a approché en me disant que je risquais beaucoup de choses, notamment d'être poursuivi au titre d'une série d'actes de gestion dont il me tenait responsable. »
- Nous sommes à la phase terminale de la procédure - « Je suis resté relativement froid parce que je savais que je n'avais pas commis d'erreur et que c'était une filiale dans un groupe beaucoup plus important. Or je n'avais aucun problème avec aucune des autres filiales. Je n'y ai donc pas porté une grande attention.

« En octobre 1993, j'ai été, une seconde fois approché, mais cette fois-ci par l'intermédiaire du cabinet juridico-comptable parisien qui avait préparé le plan de continuation l'année précédente. Ce cabinet avait un correspondant avocat et un correspondant purement comptable, lesquels avaient été associés un an auparavant à la préparation du plan de continuation. D'ailleurs, pendant toute la période de redressement judiciaire, ils étaient les conseils de la société.

(...)

« Un an après, ils m'ont donc approché en me disant qu'ils pouvaient éventuellement m'éviter beaucoup d'ennuis si j'acceptais de les rencontrer. Prudent, je leur ai demandé : "Rencontrer qui et pourquoi ?" J'ai même ajouté : « Avec cette liquidation judiciaire qui commence, je suppose que vous suivez certainement les procédures normales ! » Bref, je les ai rencontrés et je leur ai posé la question de savoir ce qu'ils proposaient. J'ai eu alors droit à une leçon remarquable sur les pratiques au tribunal de commerce de Paris. Je les ai écoutés avec beaucoup d'intérêt et ai refusé d'y participer.

« J'ai appris l'existence de deux méthodes : l'une classique qui n'aboutirait jamais et c'est vrai puisque nous sommes en 1998 et que celle-ci n'a toujours pas abouti !

(...)

« La seconde pratique, moins officielle, est celle des enveloppes. On m'a proposé d'y participer pour m'éviter d'être mis, à titre personnel, en redressement judiciaire. La grande menace était d'étendre la faillite de cette société à moi-même qui étais en fait le dirigeant, mon holding en étant le propriétaire. Le holding étant liquidé, la faillite ne pouvait pas être étendue à ce dernier. En revanche, je n'étais pas liquidé à titre personnel et je n'en avais d'ailleurs aucune raison, d'autant plus que des banquiers privés, comme vous l'avez très bien souligné tout à l'heure, m'avaient appuyé au niveau de mes 50 millions de francs d'apport. Avec ces derniers, j'avais négocié des plans hors tribunal puisque je n'étais pas en redressement judiciaire.

Après avoir refusé de participer à leur méthode, ils m'ont menacé de faire une deuxième approche via la banque X. » -Je ne cite pas le nom de la banque- « Je le précise parce que cette dernière a prêté environ 112 millions de francs à mon holding de tête - elle ne prêtait pas au niveau des filiales - et qu'à l'époque, la liquidation de mon holding de tête était en cours. La procédure s'est d'ailleurs très bien passée puisque nous en sommes sortis.

« Les deux propositions visaient à entrer dans le jeu des enveloppes : la première à hauteur de 50 millions de francs et la deuxième destinée à me sortir globalement de l'affaire correspondait, compte tenu de mon refus précédent, à 100 millions de francs, plus 50 millions de francs, soit 150 millions de francs, ce que j'ai également refusé.

« M. le Rapporteur : En quoi consistait concrètement la proposition visant à entrer dans le jeu des enveloppes et combien deviez-vous verser ?

« M. François de SÉROUX : 10 % du montant qui pouvait être effacé.

La méthode très simple consistait à me faire rencontrer un juge. Je l'ai du reste rencontré le 1er avril 1994 avec cet avocat (...) et avec le cabinet comptable qui avait ébauché le plan de continuation de cette société.

Lorsque j'ai refusé une troisième fois auprès du juge...

« M. le Rapporteur : Le juge vous a-t-il dit la même chose ?

« M. François de SÉROUX : Tout à fait ! Il a même été encore plus explicite.

« M. le Rapporteur : C'est-à-dire ?

« M. François de SÉROUX : Vous avez noté que sur les 50 millions de francs de capital, la moitié était empruntée. Son idée était donc de faire venir toutes les banques au tribunal, donc pour 24 millions de francs, et d'effacer cette dette moyennant 2,4 millions de francs dont 800 000 francs payables comptant, 800 000 francs le jour de la convocation au tribunal et 800 000 francs à la sortie.

« M. le Rapporteur : C'est la méthode habituelle ? C'est ce qui vous a été expliqué ?

« M. François de SÉROUX : Absolument ! C'est ce qui m'a été expliqué !

« M. le Rapporteur : C'est le prix de l'effacement des dettes, n'est-ce pas ?

« M. François de SÉROUX : Le prix de l'effacement des dettes personnelles, lequel ne jouait pas sur les dettes de mon holding.

Je me suis précipité à ma banque avec qui j'entretenais d'excellentes relations pour leur parler de la chose. Mes banquiers m'ont félicité de ne pas avoir joué à ce jeu-là et m'ont dit que de toute façon, cela n'affecterait en rien leur sortie du dossier. Ils ont eu raison puisque j'en suis sorti aujourd'hui.

J'ai consulté un certain nombre de conseils personnels, lesquels ont jugé mon attitude courageuse sans cependant me faire part d'autres sentiments. C'était, en effet, courageux, car si j'avais accepté ces propositions, j'en serais sorti il y a longtemps !

Suite à mes refus, la conséquence a été très rapide en ce sens que le liquidateur de la société de Normandie a étendu le passif de la liquidation du passif, comme il m'en avait menacé. J'ai été personnellement mis en redressement judiciaire toujours chez le même juge parisien, toujours avec le même représentant des créanciers, normand.

« M. le Rapporteur : Le juge qui vous avait reçu ?

« M. François de SÉROUX : Non, mon juge-commissaire. (...).

« M. le Rapporteur : Mais encore ?

M. François de SÉROUX : Il s'est présenté comme étant un juge responsable d'une des Chambres.

« M. le Rapporteur : Un juge du tribunal de commerce de Paris ?

« M. François de SÉROUX : Il m'a parlé du tribunal de Paris. (...)

« M. le Rapporteur : Où l'avez-vous rencontré ?

M. François de SÉROUX : Deux fois au cabinet comptable et une fois au restaurant à Paris.

Lors de ce dernier entretien, il m'avait expliqué ce qu'il pouvait faire pour moi, c'est-à-dire convoquer toutes mes banques et régler tout le problème le même jour. Nous étions le 1er avril 1994 et avec un peu de chance, je devais passer avant la fin de l'année. En contrepartie, je devais lui verser 800 000 francs dans le courant du mois d'avril 1994, puis 800 000 francs le jour de la convocation au tribunal et 800 000 francs à la sortie. Je lui ai répondu que, quelle que soit la somme en jeu, 1 franc, 800 000 francs ou 8 millions de francs, il n'aurait jamais un sou, ce qui ne lui a d'ailleurs pas beaucoup plu ! Je m'empresse de vous préciser que je l'ai invité à déjeuner ; comme il avait choisi le restaurant ! Je préférais que ce soit moi qui paye...

« M. le Rapporteur : Le passif vous a alors été étendu. Ensuite ?

« M. François de SÉROUX : Le passif m'a donc été étendu et j'ai été mis en redressement judiciaire en novembre 1994. (...)

« M. le Rapporteur : Vous souvenez-vous du nom du juge ?

« M. François de SÉROUX : Il s'agissait de M. Z. »

Je ne peux pas le citer, car il pourrait m'accuser de diffamation, mais il existe. Ce n'est pas vous, M. Mattei.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je le sais bien, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Permettez-moi de terminer !

«M. le Rapporteur : Où deviez-vous verser cet argent ?

M. François de SÉROUX : A Genève !

«M. le Rapporteur : Sur un compte ?

«M. François de SÉROUX : En effet.

«M. le Rapporteur : Le numéro du compte vous a-t-il été donné ?

«M. François de SÉROUX : Oui, mais je ne l'ai pas vérifié.

«M. le Rapporteur : Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous le communiquer ?

«M. François de SÉROUX : La banque était l'UBP, 1 rue du Rhône, et le compte n° 48 68 213

«M. le Rapporteur : Que signifie le sigle UBP ?

«M. François de SÉROUX : Je n'en ai aucune idée. Probablement l'Union des banques privées !

«M. le Rapporteur : Avez-vous noté vous-même dans votre calepin ce numéro de compte ?

«M. François de SÉROUX : J'ai noté moi-même ce numéro qui m'a été dicté par téléphone.»

Alors ? Nous avons de très nombreux éléments...

M. Jean-Pierre MATTEI : Permettez-moi de vous interrompre, car votre observation m'oblige à répondre.

M. le Rapporteur : Laissez-moi terminer ma question.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je répondrai.

M. le Rapporteur : Vous répondrez.

M. Jean-Pierre MATTEI : C'est indispensable, le débat doit être contradictoire.

M. le Rapporteur : La commission d'enquête aujourd'hui pose des questions à des magistrats à qui l'État, depuis quatre siècles, a dévolu des fonctions de service public et d'administration de la justice.

Nous sommes ici dans un service public. Les portes de ce tribunal doivent être ouvertes. Elles ne l'ont jamais été. C'est la première fois, en effet, et le président Colcombet s'est exprimé à ce sujet, que nous posons des questions qui sont, il est vrai, peu agréables et embarrassantes. Nous l'avons fait dans tous les tribunaux de commerce. Il n'est pas un juge, sauf à Mont-de-Marsan, pour des raisons que j'ignore, qui ait refusé de répondre aux questions que nous lui posions.

Les questions que nous posons appartiennent au débat public. Les objections de nature juridique valent ce qu'elles valent. La commission en débattra. L'opposition parlementaire saura relayer vos objections, monsieur le président Mattei.

M. Jean-Pierre MATTEI : Cela ne me regarde pas, monsieur le député, c'est votre problème.

M. le Rapporteur : En tout état de cause, le Rapporteur que je suis, les députés qui m'accompagnent, le Président de la commission disposent des pouvoirs pour vous interroger et vous demandent de répondre à chacune des questions qui vous sont posées, que cela plaise ou que cela déplaise. J'en suis navré.

Je vous remercie de bien vouloir répondre aux allégations qui concernent votre tribunal, puisque, tout à l'heure, vous nous avez dit qu'au tribunal de commerce de Paris, tout allait bien.

Qu'est-ce que cette histoire de jeu des enveloppes ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le Rapporteur, vous faites un amalgame sur un dossier qui peut concerner, apparemment, si j'ai bien compris, un juge « ripou ».

Je vous rappelle que les statistiques de M. Lemaire, sous-directeur à la Chancellerie, indiquent qu'il y a exactement le même pourcentage de juges consulaires et de juges professionnels pouvant faire l'objet de sanctions, chaque année.

Les chiffres que vous avez livrés à la presse sont inexacts. Sur les soixante-sept magistrats consulaires ayant fait l'objet d'un examen de dossier, la moitié n'étaient pas concernés par ces affaires et les dossiers ont été classés. Sur les trente autres, sur une période de quatre ans, l'enquête a été ouverte pour des motifs divers, concernant soit leur vie privée soit leur judicature, seuls quatre ont été sanctionnés. Les autres avaient démissionné.

Je vous rappelle, monsieur le Rapporteur, que la commission, que je représente, a demandé que ces sanctions puissent être prononcées. Il n'y a pas de meilleurs juges ou de moins bons juges chez les juges consulaires que chez les juges professionnels. Voilà ma première observation.

Je regrette que vous preniez une affaire de 1993, dont je n'ai pas connaissance, dont le nom n'est pas connu. Qui nous prouve ici que ce n'est pas un amalgame douteux ? Je n'ai aucun élément. Vous jetez en pâture à la presse et au public le nom d'un homme que nous ne connaissons pas.

Même si cette affaire est vraie, monsieur le Rapporteur - elle est peut-être vraie -, elle est navrante, profondément choquante et elle me touche comme vous. Nous ne pouvons que nous élever contre cela de la même manière. Mais elle ne justifie pas qu'on jette l'opprobre sur l'ensemble de la justice en général et sur la justice consulaire en particulier.

Je souhaiterais, en tant que juge, que vous soyez aussi respectueux que je le suis de ce que vous êtes comme député.

M. le Rapporteur : Que dites-vous de tout cela ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Je n'ai rien à ajouter, puisque vous ne dites pas qui est concerné et que nous ne savons pas si c'est vrai ou faux.

Y a-t-il une enquête sur ce dossier ?

M. le Rapporteur : Il va y en avoir une. Nous allons la demander.

M. Jean-Pierre MATTEI : Très bien. Par conséquent, que justice se fasse et vous avez raison.

M. le Rapporteur : Nous allons la demander.

M. Jean-Pierre MATTEI : Mais cela ne veut pas dire que le tribunal de commerce de Paris se conduise mal.

Comme vous l'avez rappelé, la création de ce tribunal remonte à 435 ans. Mesdames et messieurs, regardez tous ces hommes ! Certains ont joué un rôle étonnant dans l'histoire et la culture de la France. Ne jetez pas la pierre aussi facilement, monsieur le Rapporteur !

Ces hommes et ces femmes ont été, pour la plupart d'entre eux, des gens remarquables. Certains ont eu des défauts, comme vous tous.

Voilà ce que j'en pense.

M. le Rapporteur : Je dois vous dire, monsieur le président, que nous ne voulons pas communiquer le nom de ce magistrat parce qu'il n'est pas là.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je le regrette.

M. le Rapporteur : S'il était là, s'il avait répondu à notre convocation...

M. Jean-Pierre MATTEI : Il n'en manque qu'un.

M. le Rapporteur : Deux !

M. Jean-Pierre MATTEI : Deux, vous êtes sûr, monsieur le Rapporteur ? Vous avez dit un ancien juge. Il est vrai que M. Piot nous a quittés. Chacun en tirera toutes les conclusions.

Soyons clairs, monsieur le député, si, malheureusement, à Paris, comme malheureusement dans tout tribunal de France et de Navarre, de droit commun ou consulaire, un juge a manqué à son serment, a manqué à la probité, mon dieu, qu'il soit sanctionné ! Je le pense sincèrement.

Une personne du public : Pas moi.

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous avez tort.

Le débat est libre, madame. Nous avons eu la chance d'avoir la visite du Cid-Unati dans des conditions ubuesques: prise d'assaut du tribunal, insulte sur les juges, dans des circonstances qui ne vous surprendront pas. Il en a été de même à Lyon, où vous avez rencontré M. Nougein. Il en a été de même à Toulouse, dont vous avez vu le président, M. Fournié.

Comme par hasard, on tente de discréditer les responsables de la Conférence générale des tribunaux de commerce. Celle-ci représente 3 356 juges. Si vous voulez me faire dire que les 3 356 juges de France sont tous irréprochables, monsieur le député, je ne le pourrai pas. Il en va de même dans tous les corps, tous les jours,

Vous êtes avocat de profession. Or il y a des radiations permanentes d'avocats, que je vois ici régulièrement. Est-ce que tous les avocats de France sont mafieux ? vous savez bien que non.

Monsieur l'expert-comptable, commissaire aux comptes, dans votre profession, il en est de même. Cela ne signifie pas que vous soyez dans ces conditions.

M. Jacky DARNE : Puisque vous m'interpellez, monsieur le président, je vous dirai que je ne suis pas un inquisiteur, ni un procureur lorsque je rends visite aux tribunaux de commerce ou tout au long de cette commission d'enquête, lorsque nous avons entendu des dizaines de personnes, magistrats, professeurs de droit et autres professionnels.

Cette commission d'enquête a été motivée par des interrogations sur le fonctionnement des tribunaux de commerce qui ne viennent pas uniquement de nous. La Conférence que vous présidez, dans un rapport rendu au mois de novembre par M. Nougein s'interroge sur un certain nombre de pratiques, de fonctionnements, de moyens. Elle propose, elle-même, un certain nombre de réformes.

Tout le monde convient de l'intérêt de se pencher sur la carte judiciaire, sur la compétence et l'impartialité de tribunaux composés de juges non professionnels, qui émanent d'un milieu professionnel et qui sont, dans la plupart des cas, proposés par les organismes patronaux, avec un mode de fonctionnement qui est ce qu'il est, que je ne juge ni bien, ni mal.

Ce qui est intéressant c'est de savoir comment cela fonctionne, comment cela s'est produit, et je crois que nos investigations l'ont montré.

Il est normal de s'interroger sur le fonctionnement des greffes, sur la nature des dossiers. Il est normal de s'interroger sur le fonctionnement et la gestion des procédures collectives, sur le fait que certaines prennent parfois beaucoup de temps, sur le fait qu'il y ait parfois un manque de transparence. Il est normal de s'interroger sur la façon dont se déroule un plan de cession ou un plan de continuation. Il est normal de s'interroger sur les relations entre des juges qui évoluent dans un milieu professionnel, avec des partenaires qui appartiennent au même milieu.

Sans qu'il y ait, a priori, de suspicion, un ensemble de données objectives conduisent à s'interroger.

Lorsque le CNPF nous dit : « interrogez-vous sur le fonctionnement des tribunaux de commerce », ce ne sont pas de dangereux révolutionnaires. Lorsque des entreprises nous écrivent - depuis que mon appartenance à la commission est connue, je reçois des courriers, beaucoup moins que le Président et le Rapporteur, car je n'en suis qu'un membre ordinaire - , nous ne pouvons pas valider ce que l'on nous dit, car cela n'est pas notre travail, mais cela montre bien que, dans l'opinion et dans les entreprises, il y a une insatisfaction.

Celle-ci n'est pas générale. Dans le même temps, chacun se plaît à reconnaître le dévouement d'un grand nombre de juges qui font leur travail de façon bénévole. Le pourcentage d'appels et de décisions cassées n'est pas extraordinaire. Très souvent, les entreprises sont satisfaites des décisions prises. Les éléments positifs existent, il ne s'agit aucunement de dire que la corruption, le laisser-aller et la mauvaise justice sont généralisés, car cela n'est pas le cas. Il convient, au contraire, de rendre hommage à tous ceux qui participent à ce travail.

Les conditions même posent question : quand on parle bénévolat et générosité des juges, ce qui est une vérité, il est légitime de se demander s'il est bien que la justice soit, aujourd'hui, rendue par des juges bénévoles. Bénévole, est-ce qu'on est bénévole dans la vie ?

M. le Rapporteur : Avouez que là, le bénévolat est résolu d'une curieuse façon !

M. Jean-Pierre MATTEI : Dans ces conditions, monsieur le Rapporteur, je ne vais pas continuer !

M. Jacky DARNE : Ne trouve-t-on pas des contreparties ? Le bénévolat pose question dans son principe.

Des questions se posent qui, pour moi, ne sont en rien partisanes ni polémiques. Avec la Conférence, qui doit partager le même point de vue, proposons un certain nombre de réformes qui garantiront l'indépendance de la juridiction et qui permettront surtout d'aider les 50 000 entreprises qui déposent aujourd'hui leur bilan, dont un grand nombre sont liquidées. Eu égard au nombre de créations d'entreprises, il est catastrophique, pour notre pays, de voir un tel nombre de liquidations, quand on sait que l'on pourrait en éviter un certain nombre en améliorant les procédures amiables, lesquelles font, elles-mêmes, l'objet de nos investigations et sont malheureusement en nombre très restreint. A Lyon, j'ai recueilli les chiffres auprès du président Nougein qui en est, lui-même, très partisan.

Quel est le nombre de droits d'alerte exercés par les commissaires aux comptes ? Il est très insuffisant.

M. Jean-Pierre MATTEI : Très insuffisant !

M. Jacky DARNE : Par conséquent, vous voyez bien, comme moi, qu'un certain nombre de choses ne vont pas.

Si vous partagez le constat que cette justice qui a quatre siècles a rendu des services, mais que les questions posées aujourd'hui sont légitimes, eh bien, il faut accepter que l'on regarde plutôt ce qui ne va pas, parce que c'est symptomatique, parce c'est ce qui alerte, surtout quand ce sont de grandes affaires.

Dans chacun des tribunaux où nous sommes allés - moins ici, parce que j'ai eu moins de temps -, j'ai regardé de tout petits dossiers. J'ai voulu savoir comment cela se passait pour un artisan, pour un commerçant. J'ai regardé la tenue des dossiers et les procédures mises en _uvre. J'ai regardé quelle était la durée des procédures. Je vous assure qu'il y a questionnement.

Puisque vous m'avez interpellé sur ce que je pensais. mon souci est non seulement de voir ce qui est positif, mais aussi de transformer. Et pour savoir comment transformer, vous conviendrez que, comme en matière de redressement d'entreprise, il faut commencer par établir un diagnostic. Le diagnostic, nous l'avons établi en entendant un certain nombre de personnes à l'Assemblée nationale, mais nous avons décidé d'aller aussi sur place pour consulter les dossiers et poser des questions. Cette procédure est mise en _uvre par le Président et par le Rapporteur. Elle n'est peut-être pas fréquente, mais elle me paraît représenter un progrès démocratique et plutôt positif pour les tribunaux de commerce.

Après tout, ensemble, transformons.

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, je vous remercie, car je partage la quasi-totalité de vos propos, ce qui va maintenant nous mettre très à l'aise.

Ou nous sommes dans la polémique, et ce n'est malheureusement pas le terrain, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Je ne fais pas de polémique, je pose des questions.

M. Jean-Pierre MATTEI : Tout dépend de la manière dont vous les posez. Quand on commence par dire qu'il y a un voleur dans le tribunal, cela commence bien. En revanche, M. Jacky Darne pose le vrai problème. Nous nous devons de l'examiner ensemble. Vous connaissez mon opinion à ce sujet, monsieur le député, puisque nous avons déjà eu l'occasion de nous en entretenir à l'Assemblée Nationale.

Vous vous souviendrez qu'en conclusion de mon audition, je vous ai proposé, dans un esprit constructif, monsieur le Rapporteur, de venir dans nos tribunaux. Je ne vous fais donc pas le reproche d'être venu. Je vous y accueille volontiers et vous avez vu dans quel esprit je vous ai accueilli: simplement, loyalement, sereinement.

J'ai rappelé à votre commission, - M. Darne le sait très bien et vous aussi, monsieur le Rapporteur -, qu'à l'occasion des Assises nationales du centième anniversaire de la Conférence générale, nous ne sommes pas restés assis dans nos fauteuils. Nous avons, pour la première fois, procédé à une mise à plat, à un état des lieux. C'est la seule juridiction en France qui ait réuni de tels états généraux. Elle s'est autocritiquée, elle a proposé des réformes. Elles sont bonnes ou mauvaises, c'est à vous de nous le dire, messieurs, puisque c'est vous qui prendrez les décisions.

Nous avons fait un travail constructif dans l'intérêt de la juridiction commerciale au XXIe siècle, parce que nous sommes issus du secteur privé, comme vous, monsieur le député, et que nous sommes au service public de la justice.

Ce travail, nous n'en avons jamais entendu parler, ni pour le critiquer ni en tant qu'élément de réforme, réforme que vous souhaitez et que nous souhaitons, qui aurait pu être pris en considération. Je regrette que cela n'ait pas été fait plus sérieusement.

Par ailleurs, et je l'ai fait remarquer lors de la rentrée solennelle du tribunal en 1998, M. Monguilan, président de la chambre commerciale de la Cour de cassation, a rédigé, en 1973, à la demande de M. Taittinger, garde des Sceaux de l'époque, un rapport remarquable, que je vous ai transmis, messieurs les députés. Bien qu'il remonte à vingt-cinq ans, il est quasiment d'actualité. Il y a vingt-cinq ans, déjà, des projets de réforme étaient remarquablement bien analysés.

En 1985, le président Badinter a eu le courage d'engager une réforme de la carte judiciaire. Il a dû lutter pour cela. Malheureusement, il a échoué.

Tout cela, nous en avons discuté, tout cela, nous l'avons approuvé.

Au cours de la période économique que nous venons de vivre, près de 600 000 procédures collectives sont intervenues en dix ans. Des dizaines et des centaines de milliers d'ordonnances de juges-commissaires, dont vous avez parlé tout à l'heure à mes juges, ont été rendues.

Comment voulez-vous, sauf à avoir un drame social, que ce ne soit pas une fracture économique et sociale épouvantable ? Chaque procédure collective, et vous l'avez vérifié il y a quelques instants, monsieur le député, même dans une petite affaire, concerne cinq à dix citoyens, le débiteur lui-même, ses quelques salariés et ses créanciers qui ne reverront jamais rien. Pourquoi ? Parce que, malheureusement, et vous le voyez dans votre profession, dans les procédures collectives le chef d'entreprise arrive toujours trop tard. Quelle que soit la loi sur les procédures collectives, elle sera toujours mauvaise.

En revanche, et je vous remercie de votre observation, le juge consulaire n'est pas resté les mains dans les poches, sur le principe du mandat ad hoc, qui remonte bien avant la loi de 1984, sur les lois de 1984 et de 1994. Il y a 168 tribunaux de commerce, des plus petits aux plus grands - je ne préjuge pas de la qualité des plus petits et des plus grands. Paris a accueilli 6 500 chefs d'entreprise, l'an dernier, les chiffres sont disponibles au greffe -, nous avons rendu en prévention pratiquement plus de décisions qui ont sauvé des entreprises - 20 000 emplois à Paris, en 1997 - que de plans de continuation. Nous ne sommes pas restés tranquillement à attendre la liquidation judiciaire du chef d'entreprise, nous l'avons prévenu. Avons-nous fait assez ? Nous n'avons pas assez de moyens, qu'il s'agisse du parquet ou du juge du siège, pour aller en amont.

Néanmoins nous sommes tous, sans exception, attachés à cet esprit de réforme. Vous n'entendrez pas un juge consulaire de France vous dire qu'il est opposé au principe d'une réforme. La justice doit évoluer et s'adapter. Je partage entièrement cette analyse. Rien ne nous oppose sur ce point. Ce qui nous oppose, et vous n'y pouvez peut-être rien, c'est l'amalgame permanent où, par principe, le tribunal de commerce devient le bouc-émissaire de la crise économique, où le juge consulaire est montré du doigt, parce que, par principe, il est un amateur, parce que, par principe, il ne sait rien, parce que, par principe, ce n'est pas un professionnel.

Quelle erreur ! Pourquoi douter du bon sens des hommes et des femmes de ce pays, monsieur le député ? Vous trouvez des gens très bien qui viennent au service de la justice, comme vous trouvez des citoyens très bien qui viennent au service des collectivités municipales. Cela procède du même système, du même bénévolat, monsieur le député.

Il n'y a pas de honte à être bénévole en 1998, c'est même la chose la plus belle au monde. Comment peut-on remettre en cause ce processus ? Comment peut-on dire, aujourd'hui, que le bénévolat est un crime ? Monsieur le député, le fait que je sois payé comme un conseiller à la cour d'appel, c'est-à-dire médiocrement, ferait-il de moi un homme honnête ? Si je suis malhonnête, je le serai.

C'est merveilleux ! La France a la chance d'avoir un système extraordinaire de bénévolat. Ces gens sont à la disposition du public.

Certains, vous l'avez rappelé, ont mal travaillé. Vous avez dénoncé un cas. Il est sûrement réel, je vous fais confiance.

Monsieur le député, je vous en prie, pas d'amalgame, mais travaillons à la réforme ensemble !

M. le Rapporteur : Nous vous avons écouté...

M. Jean-Pierre MATTEI : Je l'espère.

M. le Rapporteur : ...avec plaisir. Nous vous avions déjà entendu, vous nous avez déjà dit cela il y a quelques mois.

Tout ce qu'a dit Jacky Darne...

M. Jean-Pierre MATTEI : Je partage son analyse.

M. le Rapporteur : ...fait partie de nos éléments de réflexion collective. C'est un travail collectif que nous faisons.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je le sais.

M. le Rapporteur : Ne croyez pas que ce soit une affaire personnelle. Nous employons une procédure qui, malheureusement, fâche.

M. Jean-Pierre MATTEI : Dès lors que nous sommes sur les propos de M. Darne...

M. le Rapporteur : Laissez-moi terminer.

Notre problème, ce n'est pas de juger les hommes, de savoir si celui-ci est honnête et si celui-là ne l'est pas ; notre problème, c'est de réfléchir sur un système.

Le président, tous mes collègues parlementaires qui nous ont accompagnés dans les déplacements sur le terrain et moi avons constaté dans tous les tribunaux de commerce l'effondrement des systèmes de contrôle. De sorte qu'aujourd'hui, les tribunaux de commerce ne fonctionnent que sur la bonne foi de quelques hommes qui les font vivre. Nous avons le sentiment que le système s'en est remis aux hommes. Or les hommes sont ce qu'est la nature humaine. Il en est de toutes sortes.

M. Jean-Pierre MATTEI : Bien entendu, comme partout.

M. le Rapporteur : Les impressions que nous avons recueillies partout où nous sommes allés ne sont pas peu préoccupantes. C'est une phrase du Président Colcombet lui-même, qui n'entendait pas, au début de nos travaux, nous faire aller sur le terrain de cette manière.

Nous avons, aujourd'hui, à régler un problème général qui est celui d'un système. Lorsqu'un mandataire-liquidateur, un avocat, un juge expliquent à un malheureux justiciable ce qu'est le système des enveloppes, cela signifie qu'un système officieux a remplacé le système officiel.

Monsieur le président, même si cela vous déplaît, - et j'en suis désolé, croyez-le bien -, la commission d'enquête est là pour poser des questions, y compris désagréables. Lorsqu'on explique à un justiciable qu'il existe un autre système que celui inscrit dans la loi, cela veut dire, non seulement que les contrôles n'ont pas fonctionné, mais encore que le droit n'existe plus dans une zone de la République.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je ne peux pas vous laisser dire cela, monsieur le député ! Il n'est pas possible de dire une chose pareille et de faire un tel amalgame ! Je ne vous le permets pas, au nom des juges de France ! Votre propos est inqualifiable.

Vous rendez-vous compte de ce que vous venez de dire à l'instant ? Vous êtes en train de faire un amalgame en disant que les tribunaux de commerce sont devenus des zones de non-droit. Comment voulez-vous que je conserve ma sérénité ?

M. le Rapporteur : Vous savez vous maîtriser, monsieur le président.

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, au nom et pour le compte de tous les juges de France, vous devriez tenir des propos plus responsables.

Je vous rappelle que nous sommes placés sous l'autorité de nos chefs de cour, premier président et procureur général. Il y a une hiérarchie judiciaire. Vous le savez, puisque vous êtes avocat. Par conséquent, vous ne pouvez pas le nier. Nous sommes sous le contrôle de ces chefs de cour, qui sont les seuls auxquels nous ayons des comptes à rendre, comme dans les tribunaux de grande instance.

S'il y a des dysfonctionnements - c'est votre rôle de les chercher, et je ne vous le reproche pas...

M. le Rapporteur : Ah ! Voilà une bonne nouvelle !

M. Jean-Pierre MATTEI : Laissez-moi terminer, monsieur le député !

S'il y a des dysfonctionnements, il serait intéressant que vous vous interrogiez sur l'ensemble du système judiciaire français.

M. le Rapporteur : Cela viendra !

M. Jean-Pierre MATTEI : J'acte que l'ensemble des magistrats professionnels seront, un jour, concernés par votre commission d'enquête.

M. le Rapporteur : Nous avons d'ailleurs commencé à réformer.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je ne sais pas ce que vous avez réformé vous-même, monsieur le député.

Cela dit, les juges, aujourd'hui, dans les formes du droit, sont profondément respectueux du droit et leur objectif est d'appliquer la loi. Avec les auxiliaires de justice, vous comme avocat, et vous, monsieur, comme commissaire aux comptes ou expert-comptable, nous avons un devoir commun.

M. le Rapporteur : M. Codognès est avocat également.

M. Jean-Pierre MATTEI : Pardonnez-moi, monsieur le député.

Nous avons ce devoir commun et nous avons tous les jours des travaux à faire en commun. Il n'y a pas un juge tout seul, c'est un ensemble de professionnels - vous parliez d'environnement -, y compris les mandataires, qui travaillent ensemble. Lorsqu'on jette l'opprobre sur les mandataires de justice, «tous voyous, tous mafieux, par des systèmes d'enveloppes», je ne suis pas certain, monsieur le député, que c'est ainsi qu'il faille voir les choses.

M. le Rapporteur : Je vous soumets un témoignage.

M. Jean-Pierre MATTEI : Un cas.

M. le Rapporteur : Vous lirez le rapport.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je vous crois.

M. le Rapporteur : Ce rapport montrera que dans l'ensemble des tribunaux de commerce où nous sommes allés - nous ne prétendons pas que les sept tribunaux de commerce où nous sommes allés soient les plus représentatifs, mais ils constituent l'essentiel des meilleurs tribunaux de commerce - dans ces tribunaux, nous avons chaque fois constaté les mêmes défauts, les mêmes anomalies, les mêmes dysfonctionnements. C'est donc notre devoir de vous le dire.

C'est vous qui considérez que nous procédons à un amalgame. Lorsque vous lirez ce que nous avons découvert en interrogeant les gens, dans le respect de la lettre de l'ordonnance régissant le fonctionnement des commissions d'enquête et en contrôlant les documents de service, vous vous apercevrez de l'étendue des dégâts que vous-même ne voulez pas mesurer, et nous le regrettons.

Nous sommes maintenant sortis des généralités. Nous allons entrer dans le vif d'un certain nombre de sujets. Le meilleur moyen de mesurer le fonctionnement d'un tribunal, c'est de poser des questions sur des cas.

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, monsieur le député, sur des cas précis, je n'aurai rien à vous dire. Ce sont des documents de service et je n'ai pas, compte tenu du principe de la séparation de l'autorité judiciaire, à vous répondre à ces questions.

M. le Rapporteur : C'est fâcheux.

M. Jean-Pierre MATTEI : C'est du pénal, monsieur le député.

M. le Rapporteur : Quel pénal ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Celui dont vous avez menacé les juges de Mont-de-Marsan.

M. le Rapporteur : Nous verrons bien ce que nous ferons. Pour l'instant, je vous pose des questions.

Monsieur le président, considérez-vous aujourd'hui que votre tribunal effectue un contrôle sérieux sur les honoraires des mandataires de justice ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Je n'ai pas à répondre à cette question, pour une raison bien simple. J'ai écrit à M. Colcombet à ce sujet, puisqu'il m'a interpellé sur un administrateur judiciaire parisien. Je vous rappelle d'ailleurs que les administrateurs judiciaires ont une compétence nationale. Vous le savez, le chef de juridiction n'a aucune responsabilité sur le rôle que doit assumer, en toute indépendance...

M. le Rapporteur : C'est ce que vous écrivez.

M. Jean-Pierre MATTEI : S'il vous plaît, monsieur le Rapporteur !`

Je rappelle dans cette lettre que le chef de juridiction n'a aucune instruction à donner à une quelconque formation de jugement, individuelle ou collective. Selon la loi de 1985, révisée en 1994, un juge-commissaire est une juridiction indépendante à lui tout seul. Donc, je n'ai pas d'avis à vous donner.

M. le Rapporteur : En raison de cette interdiction ?

M. Jean-Pierre MATTEI : En raison d'une loi d'ordre public qui s'impose à vous comme à moi.

M. le Rapporteur : Donc, le chef de juridiction n'a aucune instruction à donner à une quelconque formation de jugement, qu'elle soit collégiale ou individuelle ?

M. Jean-Pierre MATTEI : C'est la loi.

M. Jacky DARNE : Je comprends votre réponse sur des cas individuels, mais à l'inverse, un président de tribunal a une discussion générale avec les juges et peut leur donner des conseils, ne serait-ce que dans le cadre de la formation, qui est un des aspects importants.

Par exemple, la tarification des honoraires des mandataires peut donner lieu à une réflexion collective et à la définition de directives. Des présidents de tribunaux nous ont dit que des orientations étaient données collectivement aux juges pour ce qui est du choix de ne pas recourir ou de recourir à tel expert extérieur pour procéder à des investigations. La question des honoraires concerne non seulement la tarification, mais aussi le point de savoir qui fait le travail. Est-ce le mandataire ? Est-ce l'administrateur ? Divers experts peuvent-ils intervenir pour renforcer l'analyse ? Lorsqu'il y a expert, dans quels cas le juge-commissaire valide-t-il les honoraires ou ne les valide-t-il pas ? Cela mérite une jurisprudence interne.

Il ne semble pas que le président déroge à sa volonté de ne pas intervenir dans une procédure en tentant de définir une pratique commune pour les différents juges-commissaires. Sinon, en fonction de celui sur lequel on tombe, on risque d'avoir tel ou tel type de facturation.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je vous rappelle que les honoraires en général résultent de l'article 15 du décret que vous connaissez bien. Nous nous sommes déjà exprimés à ce sujet devant la commission d'enquête parlementaire. Nous vous avons dit que nous n'appréciions pas ce décret qui ne prend pas en compte les multiples procédures impécunieuses, dont vous avez parlé tout à l'heure. Il a finalement créé un système de proportionnalité des honoraires des différents mandataires, selon les créances. La Conférence générale a remis en cause ce principe dans son projet de réforme.

Lorsque vous me posez cette question, monsieur le député, vous savez que nous lui avons déjà apporté une réponse.

M. le Rapporteur : Nous vous interrogeons sur la pratique dans votre tribunal. Les grands discours ne nous intéressent pas.

M. Jean-Pierre MATTEI : Moi non plus, mais il n'y a pas de pratique, il y a l'application de la loi.

M. le Rapporteur : Quand vous êtes au-delà du seuil, quelle est la pratique de votre tribunal ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Ce point-là relève de ma compétence et je ne vous parlerai que de cela.

À partir du seuil de 450 000 francs, vous savez très bien que la loi prévoit que le chef de la juridiction peut apprécier les honoraires. Concernant une affaire connue et très importante, qui s'appelait La Cinq - je vous en ai déjà parlé à l'Assemblée nationale -, nous n'avions pas d'éléments d'appréciation nous permettant de fixer les honoraires. Je vous rappelle que la pratique conduisait à les fixer à 66 millions de francs. Cela intéresse la presse ici présente. Cette somme me paraissait personnellement exorbitante. J'imagine que vous aussi.

Dans ces conditions, quelle pratique, quelle jurisprudence convenait-il d'appliquer ? Il nous a semblé qu'un audit, un peu ce que vous faites à votre façon, mais un audit technique d'expert-comptable, était la seule façon de déterminer le temps passé, la nature du travail réalisé, pour pouvoir fixer un quantum. Un rapport a été déposé. Il a été mis à la disposition du débiteur. J'ai demandé que le débiteur rejette ou approuve ce rapport. À partir de là, je pouvais avoir un avis. Lorsqu'enfin, en vertu de la loi, j'ai été informé du rapport du juge-commissaire, quand j'ai été parfaitement informé du rapport d'audit effectué par KPMG et quand j'ai connu l'avis du débiteur directement concerné par les sommes, j'ai enfin pu prendre une décision.

M. le Rapporteur : Vous voyez que vous parlez d'affaires particulières !

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, je vous parle de ma responsabilité.

M. le Rapporteur : Justement. Nous avons entendu un certain nombre de mandataires, et je voudrais vous lire ce témoignage.

- Ils considèrent détenir un pouvoir économique, qu'ils ont d'ailleurs réellement, sur les mandataires de justice, dans la mesure où, d'un bout à l'autre de la « chaîne », ils distribuent les dossiers, à la « tête du client », et ils signent les ordonnances de rémunération. Ils peuvent tout à fait distribuer les dossiers comme ils veulent. A une certaine époque, ils se permettaient également de demander aux mandataires de justice de ramener leurs honoraires à des montants qu'ils estimaient, eux, adéquats, contrairement au décret sur le tarif.

M. le Rapporteur : Cela n'est peut-être pas toujours injustifié.

- C'est injustifié...

M. le Rapporteur : Sur le plan juridique, mais peut-être pas toujours sur le plan économique.

- ...car c'est toujours en contrepartie.

M. le Rapporteur : En contrepartie de quoi ?

- D'abord, c'est toujours en contrepartie de quelque chose.

M. le Rapporteur : De quoi, par exemple ?

- En contrepartie de quelque chose qu'ils demandaient. S'il y avait une résistance, ils agissaient ainsi. Je peux en parler, puisque cela m'est arrivé.

M. le Rapporteur : Quelle contrepartie ?

- Vendre ou ne pas vendre des actifs de telle ou telle façon, au enchères ou pas.

M. le Rapporteur : Expliquez-nous cela ! Est-ce à dire que l'on choisit le gré à gré plutôt que les enchères publiques ?

- Par exemple.

M. le Rapporteur : Pour quelles raisons ?

- Parce que je suppose que l'on a intérêt à orienter une vente vers tel type de procédure.

M. le Rapporteur : Un jour, avez-vous refusé ?

- Absolument.

M. le Rapporteur : Donc, il y a eu des mesures de rétorsion contre vous.

M- Oui.

M. le Rapporteur : Votre chiffre d'affaires s'en est-il ressenti ?

- Oui.

M. le Rapporteur : Qu'aviez-vous refusé de faire ? (...)

- En tant que mandataire de justice et représentant des créanciers, je dois donner un avis sur les conditions d'adoption d'un plan. Dans le cadre d'un plan de cession, j'avais estimé que celle-ci ne devait pas être réalisée dans le cadre d'un redressement judiciaire, mais dans le cadre liquidatif. De plus, nous avions affaire à des voyous. Le juge-commissaire, à l'époque, vice-président du tribunal, m'a fait savoir que dans la mesure où j'avais donné un avis négatif, qui avait d'ailleurs été suivi par le parquet, je ne recevrai plus de dossiers. »

C'est un mandataire-liquidateur féminin, Mme...

M. Jean-Pierre MATTEI : Mme Didier ?

M. le Rapporteur : Pas du tout.

M. Jean-Pierre MATTEI : Cela aurait pu être le cas.

M. le Rapporteur : Pas du tout. Nous n'avons pas interrogé Mme Didier.

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous devriez.

M. le Rapporteur : Mme le mandataire-liquidateur conclut: «Je vous parle de dérives, ce n'est pas le cas général...

M. Jean-Pierre MATTEI : Ah !

M. le Rapporteur : ...mais c'est arrivé avec des personnes bien particulières. Tout le monde connaît ces faits, mais on n'en parle pas, car on craint des mesures de rétorsion.»

M. Jean-Pierre MATTEI : Décidément, monsieur le Rapporteur, on revient toujours... Il est regrettable que nous n'ayons jamais eu ensemble un débat constructif, sur des phénomènes généraux.

M. le Rapporteur : Ce sont des témoignages que nous avons recueillis, monsieur le président, ce n'est pas constructif ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, ce n'est pas constructif. Pourquoi ? Je ne sais pas qui est ce mandataire.

M. le Rapporteur : C'est un mandataire qui a de l'importance dans le tribunal.

M. Jean-Pierre MATTEI : Ah bon... La répartition du rôle des mandataires est parfaitement connue du ministère public et, par conséquent, des mandataires. La compagnie des mandataires-liquidateurs couvre l'ensemble du ressort de la cour d'appel de Paris. Elle travaille d'une manière ancestrale dans cette juridiction, avec une répartition des missions et des tâches d'un parfait équilibre. Nous en avons parlé ensemble à la commission. Vous aviez posé la question, si j'ai bonne mémoire.

On s'est posé une vraie question. Est-il logique de prévoir une répartition équitable, toutes proportions gardées, actif, passif, personnel, ou n'y a-t-il pas lieu, de temps en temps, de considérer que certains sont mieux structurés, mieux équipés ? C'est une bonne question. Vous l'avez bien posée.

A Paris, pour l'instant, sauf exception, nous tenons à un rapport d'équilibre. Je pense qu'il est préférable, puisque les mandataires l'ont eux-mêmes demandé, que nous maintenions cet équilibre.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas la réponse à la question posée par le témoignage de ce mandataire.

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous m'avez dit qu'il y avait encore une prévarication.

M. le Rapporteur : Non, je n'ai pas dit cela ! Il faut écouter. Il ne faut pas être trop paranoïaque.

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, retrouvons des termes plus convenables.

M. le Rapporteur : Je cite de nouveau:

«M. le Rapporteur : En contrepartie de quoi ?

« - En contrepartie d'un service, de quelque chose qu'ils demandaient».

Ce sont des faits.

M. Jean-Pierre MATTEI : Cela veut dire quoi, «des choses qu'ils demandaient» ?

M. le Rapporteur : «M. le Rapporteur : Quelle contrepartie ?

« - De vendre ou de ne pas vendre des actifs de telle ou telle façon, aux enchères ou pas.»

M. Jean-Pierre MATTEI : Cela veut dire quoi ?

M. le Rapporteur : Cela veut dire que, dans certains cas, si vous vous pliez au désir du juge-commissaire ou du vice-président juge-commissaire, on vous donne des dossiers, parce que vous êtes docile, pour orienter la procédure de telle ou telle manière, et notamment permettre parfois des ventes de gré à gré. Nous en avons vu un exemple tout à l'heure, je crois.

M. Jean-Pierre MATTEI : Cela est prévu et autorisé par la loi. Vous ne l'avez pas rappelé. C'est malheureux, car ce magistrat m'avait l'air très impressionné tout à l'heure, et je le comprends. Imaginez-vous à la place qui est la sienne, c'était impressionnant.

La loi prévoit, et vous le savez tous les trois, que la vente de gré à gré est un système parfaitement normal. Vous ne l'avez pas rappelé publiquement tout à l'heure.

J'ai personnellement - la réponse vous fera plaisir -, en début de campagne électorale, quand j'étais candidat à la présidence du tribunal de commerce - mes documents de campagne sont publics et officiels - envisagé cinq modifications dans le traitement de la procédure collective au tribunal de commerce de Paris. M'autorisez-vous à en parler ?

Premièrement, le juges sont libres de choisir le gré à gré ou la vente publique. S'il y a nécessité de vendre de gré à gré, je suggérais, dans toute la mesure du possible - M. Saulais vous a répondu que cela ne l'était pas - de recourir à l'appel d'offres, avec ouverture des plis au greffe en présence d'un huissier audiencier.

M. le Rapporteur : C'était dans votre questionnaire.

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous savez que j'ai répondu à cette question. Mes collègues, dans l'ensemble, progressivement, quand c'est nécessaire, pratiquent cette politique.

M. le Rapporteur : Là, nous avons eu une tout autre vision des choses.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je vous explique ce qui se passe depuis 1996. Cela remonte à quand ?

M. le Rapporteur : C'est récent. Nous parlons de quelque chose d'actuel.

M. Jean-Pierre MATTEI : Le vice-président du tribunal !

M. le Rapporteur : Oui.

M. Jean-Pierre MATTEI : C'est très intéressant pour lui.

M. le Rapporteur : Non, un vice-président du tribunal !

M. Jean-Pierre MATTEI : Il n'y en a qu'un, monsieur le député.

M. le Rapporteur : Le juge-commissaire était à l'époque vice-président du tribunal.

M. Jean-Pierre MATTEI : À l'époque. Là encore, je ne sais pas de qui il s'agit.

La deuxième formule de vente prévue par la loi est la vente aux enchères publiques.

Deuxième thème de la campagne: «Il est souhaitable, dans toute la mesure du possible, pour les biens immobiliers, de les vendre à la barre du tribunal de grande instance, conformément à la règle en matière de saisie immobilière». Cela se pratique, me semble-t-il, assez régulièrement dans cette maison. Je pense que la pratique est bonne.

Enfin, «S'il s'agit de biens mobiliers et qu'ils aient une certaine valeur et consistance, nous nous sommes rapprochés de la chambre des notaires - vous devriez les voir - et nous avons demandé que les notaires prennent en charge les ventes publiques». C'est ce qui se passe également dans ce tribunal.

Je ne suis pas certain que tout est parfait à 100 %, monsieur le député. Je pense simplement que ces méthodes sont bonnes. En revanche, des critiques ont été faites, y compris par le parquet. On nous a dit: vos ventes publiques ont un inconvénient, elles ne sont peut-être pas toujours les plus chères par rapport à ce qu'on aurait pu faire de gré à gré. Vrai débat.

Du point de vue économique, cela n'est pas toujours aussi évident. C'est un problème de conscience. Il y a deux solutions.

M. le Rapporteur : Les mesures de rétorsion ne relèvent-elles pas d'un problème de conscience ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, je ne sais pas qui dit cela et à propos de quel juge.

M. le Rapporteur : Je vous interromps pour vous citer les déclarations de M. Chevalier, que nous avons entendu il y a deux jours.

« M. le Rapporteur : Des mandataires se sont plaints, par exemple, qu'un jour après avoir fait appel d'une décision du tribunal, ils ont commencé à voir leurs relations avec ledit tribunal se dégrader. Comme si le tribunal n'acceptait pas qu'on fasse appel de ses décisions.

M. Jean-Louis CHEVALIER : On m'a rapporté la même chose, mais cela s'est passé alors que je n'étais plus en fonctions. »

M. Chevalier nous dit des choses. Il est moins lénifiant que vous.

M. Jean-Pierre MATTEI : Lénifiant veut dire quoi, monsieur le député, pour que chacun comprenne ?

M. le Rapporteur : C'est un mot du langage courant. On apaise. Mais là, malheureusement, nous avons des déclarations un peu préoccupantes pour le fonctionnement normal du tribunal de commerce de Paris.

Que répondez-vous ? Par les documents de votre campagne électorale !

M. Jean-Pierre MATTEI : Pardonnez-moi, monsieur le député, vous avez eu les vôtres également.

Quoi qu'il en soit, le tribunal de commerce de Paris n'a pas à prendre en considération ce type de propos qui ne me paraît pas correspondre à la nature et au fonctionnement du tribunal. Il ne suffit pas de dire que le tribunal ne fonctionne pas. Il faut des faits précis, monsieur le député, et pas simplement des paroles.

M. le Rapporteur : Nous apprécierons.

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous apprécierez.

M. le Rapporteur : Dans cette affaire Royal-Monceau...

M. Jean-Pierre MATTEI : Ah !

M. le Rapporteur : ...puisqu'il faut tout de même qu'on en parle, monsieur le président...

M. Jean-Pierre MATTEI : Mais bien sûr, monsieur le député !

M. le Rapporteur : ...pourquoi vouliez-vous absolument siéger ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Qui vous a dit que je voulais siéger dans cette affaire ?

M. le Rapporteur : Le parquet.

M. Jean-Pierre MATTEI : Mme Houlette ?

M. le Rapporteur : Non, le parquet, plusieurs magistrats du parquet, il n'y a pas que Mme Houlette.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je ne suis pas au courant. Il est curieux de savoir que le parquet sait ce que je veux faire ou ne pas faire.

M. le Rapporteur : C'est son rôle de savoir ce que vous faites.

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, monsieur le député, absolument pas. Le parquet n'a pas à s'immiscer dans le rôle du juge du siège. Vous devriez respecter la séparation, également, à cet égard.

M. le Rapporteur : Je croyais que vous faisiez votre miel des conseils du parquet ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, nous faisons notre miel, avec beaucoup de plaisir, des conseils du parquet, mais nous sommes indépendants. Nous sommes des juges du siège et, du point de vue du droit, nous n'avons pas à être tenus systématiquement par les observations du parquet. Ces observations peuvent être pertinentes, et tant mieux. Il est l'avocat de la loi, l'avocat de la République. Il n'est pas autre chose. Il ne prend pas la main du juge.

M. le Rapporteur : Là, pour le coup, les déclarations que nous avons, qui sont toutes concordantes, de la part de la section économique et financière du parquet, nous expliquent que jusqu'au dernier jour, vous souhaitiez absolument siéger dans cette affaire et que c'est parce qu'il y a eu une conversation téléphonique entre le procureur-adjoint, M. Marin, et vous-même, que la décision n'a pas été prise.

M. Jean-Pierre MATTEI : Ce sont des observations que j'ignore, et je vous rappelle que vous êtes en train d'empiéter sur le respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire.

M. le Rapporteur : C'est dommage, parce que je pense que tout le monde aurait voulu être informé de ce qui s'est vraiment passé dans l'affaire Royal-Monceau.

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, laissez-moi vous rappeler un point élémentaire et que vous semblez vouloir volontairement ignorer: l'autorité de la chose jugée s'impose à vous comme à moi.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas la chose jugée, puisque vous n'avez pas siégé. Expliquez-moi pourquoi vous vouliez siéger ? Cela doit être intéressant, vu les anomalies dans ce dossier.

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, monsieur le député, il n'y a pas d'anomalies !

M. le Rapporteur : Pourquoi n'y a-t-il pas d'anomalies ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Le tribunal a siégé. Je n'ai plus à porter un jugement de valeur sur une décision du tribunal, ni vous non plus. Elle a l'autorité de la chose jugée. Elle s'impose à vous comme à moi.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas tout à fait la question.

M. Jean-Pierre MATTEI : Quelle est la question, monsieur le député ?

M. le Rapporteur : Pourquoi avez-vous voulu siéger ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Encore une fois, je vous rappelle que vous êtes en train d'empiéter sur le rôle du juge du siège.

M. Jacky DARNE : Dans quels cas choisissez-vous de siéger, monsieur le président ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, je vous remercie de cette question qui me paraît plus conforme à la réalité.

À mon avis, d'une façon générale, le président de la juridiction doit éviter d'être présent dans la plupart des contentieux, sauf exception. Vous ne m'avez jamais vu juge-commissaire dans une affaire depuis que je suis président de cette juridiction. C'est un engagement que j'avais pris pendant ma campagne électorale.

Je ne prends que les dossiers de référé de problèmes sérieux, pour lesquels le barreau demande que le président lui-même les prenne en référé-cabinet. Voilà les cas où je siège comme juge de la procédure individuelle. Je ne me souviens pas, sauf dans une affaire récemment, d'avoir pris un contentieux général au tribunal. Celui que j'ai pris l'a été à titre exemplaire. C'était une tentative de médiation. Vous le savez, nous travaillons actuellement avec la cour d'appel sur des procédures de modalités alternatives de rËglement des conflits. À titre d'expérience, j'ai pris un dossier de ce type fort intéressant.

Vous ne me verrez pas présent, et c'est une façon de répondre à monsieur le député, dans les procédures de ce tribunal.

M. Jacky DARNE : Dans les procédures collectives, comment les juges-commissaires sont-ils choisis dans votre tribunal ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Les juges-commissaires sont choisis dans le cadre d'un roulement annuel. Il existe à Paris quatre chambres de procédures collectives et une chambre de sanction. Les juges-commissaires sont choisis selon leurs desiderata intellectuels, la loi imposant qu'ils aient au moins deux ans d'ancienneté, La deuxième sélection, ce sont les juges-commissaires qui, de promotion en promotion, feront du commissariat. Il est sain et bon qu'il n'y ait pas de spécialistes du commissariat qui accumuleraient, six cents, sept cents dossiers. Je connais et j'approuve vos observations pertinentes sur ce point. Nous essayons d'instaurer un roulement général, de telle sorte que, sauf ceux qui ne le veulent pas, et il y en a, la plupart des juges de ce tribunal fassent du commissariat.

M. Jacky DARNE : Y a-t-il un système d'appréciation qualitative pour les juges-commissaires ? Vous dites que vous ne voulez pas intervenir dans des procédures particulières, mais on peut penser que les juges, comme les administrateurs, par leur expérience professionnelle, leur formation, leur ancienneté, ont une aptitude différente pour se saisir de telle ou telle affaire. D'une certaine façon, il y a un jugement qualitatif à porter sur la conduite de tel ou tel juge. Quel est ici le mécanisme ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Quelle est la procédure à Paris, aujourd'hui ? Avant 1996, vous pouviez vous présenter au greffe du tribunal de commerce de Paris et choisir le jour où l'affaire viendrait devant telle chambre. On aurait donc pu penser qu'à la rigueur, on pouvait choisir son juge, un peu comme on choisit son juge de référé. Vous le savez en tant qu'avocats.

Cette procédure ne nous convient pas. De ma propre autorité, j'ai décidé qu'il y aurait un rôle de distribution que je ne connaîtrais pas moi-même, de telle sorte que, systématiquement, lorsque vous déposez votre bilan à Paris, vous ne savez pas à l'avance si c'est la 11e, la 13e, la 14e ou la xe chambre du tribunal qui vous recevra. Moi-même, président de la juridiction, je ne le sais pas. Je le dis sous serment et cela a déjà été vérifié par l'Inspection des services judiciaires.

Si je décide d'ouvrir la clé, je dois faire une note écrite - je me suis moi-même imposé cette obligation - et motiver ma décision pour que l'affaire aille dans telle chambre, parce que, sous réserve d'une affaire particulièrement délicate, il y a lieu qu'elle aille dans la chambre dont il me semble que le président, lui-même ou ses magistrats, sont plus qualifiés. Je suis intervenu une fois ou deux, je ne sais plus pour quelles affaires. Cela a été vérifié par l'Inspection des services judiciaires, il y a quelques jours. Vous les avez vus tout à l'heure, ils vous le confirmeront.

Telle est la méthode parisienne. Je ne sais pas si elle est la meilleure.

Il est certain que le fait d'avoir adopté cette solution, le juge-commissaire n'étant pas le juge rapporteur du dossier, ce qui peut toujours créer une subjectivité pour une tentative de redressement qui n'a pas de chances ou au contraire pour penser qu'une liquidation s'impose, est également positif.

Le fait d'avoir demandé à mes collègues, pendant cette campagne, que trois magistrats constituent une formation de délibéré indépendante du juge-commissaire, que le juge-commissaire, conformément à la loi, soit entendu en chambre du conseil en ces observations, au même titre que le parquet par ses réquisitions, me paraît une source d'étanchéité supplémentaire pour garantir une impartialité et une indépendance.

Enfin, l'an dernier, à l'occasion d'une réunion d'information générale - acceptée, soutenue et appuyée par M. Marin, que vous avez rencontré -, sur les droits et obligations, et rappelée en tant que de besoin, il a été indiqué aux juges qu'ils avaient l'obligation morale, voire légale, de se déporter, y compris pour un juge-commissaire, si leurs fonctions professionnelles pouvaient les rapprocher du dossier, y compris lorsqu'ils étaient banquiers, car je connais vos observations à ce sujet. Il est clair que cela est parfaitement connu des juges-commissaires parisiens. Si l'un d'entre eux devait manquer à cette observation, le cas pourrait parfaitement être soumis à la chambre de discipline nationale.

M. le Rapporteur : Merci, monsieur le président. Après avoir écouté vos déclarations, il apparaît que vous considérez que le fond des affaires ne relève pas de vos propres décisions ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, monsieur le député.

M. le Rapporteur : Ce que vous écrivez à M. Colcombet, à savoir que le chef d'une juridiction n'a aucune instruction à donner à une quelconque formation de jugement, qu'elle soit collégiale ou individuelle, vous concerne depuis que vous êtes président dans ce tribunal.

M. Jean-Pierre MATTEI : Avez-vous des dossiers qui permettent de penser le contraire ?

M. le Rapporteur : Répondez déjà à ma question.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je l'ai écrit.

M. le Rapporteur : Donc, vous considérez que vous n'avez aucune instruction à donner...

M. Jean-Pierre MATTEI : Je n'ai pas d'instruction à donner, au sens d'intervenir dans un dossier.

Vous avez posé la question à M. Saulais, tout à l'heure. Il vous a répondu que je n'étais pas intervenu dans son ordonnance.

M. le Rapporteur : Dans l'affaire Travelstore...

M. Jean-Pierre MATTEI : Oui

M. le Rapporteur : ...vous n'êtes pas intervenu ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, monsieur le député.

M. le Rapporteur : Vous n'intervenez jamais ?

M. Jean-Pierre MATTEI : En d'autres termes, monsieur le député, vous revenez sur le principe du respect de la séparation de l'autorité judiciaire. À chaque fois, vous y revenez.

M. le Rapporteur : Oui, puisque c'est le sujet. Je suis désolé pour vous.

Vous me posiez la question de savoir si j'avais des dossiers qui me permettaient de penser le contraire.

M. Jean-Pierre MATTEI : Allons-y.

M. le Rapporteur : Dans l'affaire du Royal-Monceau, précisément...

M. Jean-Pierre MATTEI : Décidément !

M. le Rapporteur : C'est une affaire que nous avons explorée. Nous avons travaillé. Ne traitez pas par je ne sais quel mépris ce travail, il vous concerne.

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, il ne me concerne pas.

M. le Rapporteur : Dans cette affaire, nous avons entendu M. Chevalier, qui était juge-commissaire et qui, tout à l'heure, a répondu fort gentiment à nos questions.

Voilà ce que M. Chevalier nous dit: «Nous avons reçu le chef du pool bancaire avec le président » - le président, c'est vous - « Il avait dit qu'il ne fallait pour rien au monde un plan de continuation.» Cela a changé, entre-temps, on ne sait pas trop pourquoi. «La première année où j'ai fonctionné avec le président, j'étais quasiment tout le temps dans son bureau, ce qui fait que je savais quand il y avait des affaires de ce genre.»

Alors ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Quelle question ?

M. le Rapporteur : La question des affaires de ce genre.

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, pas du tout. Monsieur le député, vous êtes en train de confondre, mais là encore vous intervenez sur quelque chose de plus grave, c'est-à-dire le système du règlement amiable qui, je vous le rappelle, relève de la seule juridiction du président. Or, comme vous le savez, puisque vous l'avez rappelé tout à l'heure, dans l'affaire Royal-Monceau, ceci procédait du règlement amiable. Et par délégation générale, M. Chevalier y participait. C'était exactement sa fonction, car il était délégué général chargé de la prévention des difficultés des entreprises.

M. le Rapporteur : Donc, c'était dans le cadre du mandat ad hoc ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Je m'arrête là, vous êtes en train de parler de quelque chose qui n'est pas conforme et qui est interdit par la loi. Je dois me taire à partir de maintenant.

M. le Rapporteur : C'est dommage, car j'ai un autre exemple.

M. Jean-Pierre MATTEI : Article 38 de la loi de 1994.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, nous sommes entre gens de bonne compagnie.

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, nous sommes en public.

M. le Rapporteur : Nous voudrions savoir un certain nombre de choses. Là, vous nous expliquez que c'était peut-être avant la procédure de redressement judiciaire. Admettons-le. M. Chevalier a pu avoir la mémoire défaillante.

M. Jean-Pierre MATTEI : C'est possible.

M. le Rapporteur : M. Chevalier a néanmoins continué ses déclarations. Il s'est posé la question de savoir quel serait le périmètre de l'article 93.3. Etes-vous intervenu sur ce sujet ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, monsieur le député.

M. le Rapporteur : En êtes-vous certain ? Vous êtes sous serment.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je vous le répète sous serment.

M. le Rapporteur : Voilà les déclarations de M. Chevalier:

M. Jean-Pierre MATTEI : Donc, il va bien falloir les mettre en opposition ?

M. le Rapporteur : Je le crains.

M. Jean-Pierre MATTEI : Eh bien, tant pis.

M. le Rapporteur : «J'avais fait une réunion avec les mandataires ainsi que Mme Houlette, pour examiner ce que l'on pouvait inclure dans le périmètre du 93.3, parce que cela change beaucoup les choses. Et si j'ai bonne mémoire, nous étions convenu de délimiter ce qui ressortait du 93.3 à 200 ou 250 millions. Nous avions arrêté cela, suite à cette réunion, d'un commun accord avec nous tous. (...)

M. le Rapporteur : 250 millions sur 2,5 milliards de passif.

M. CHEVALIER : Ce sont les avocats de M. Aïdi qui prétendaient qu'environ 1 milliard relevait du 93.3. Mais en tout état de cause, le 93.3 ne concernait pas l'ensemble du passif.

M. le Rapporteur : Vous avez donc considéré, tous ensemble, juge-commissaire, mandataires et parquet, que le périmètre de l'application de l'article 93-3 se limitait à 250 millions. (...) »

M. Jean-Pierre MATTEI : Dont acte.

«M. CHEVALIER : À la suite de cela, je suis tout de même allé en rendre compte au président Mattei. En effet, la qualification de 93-3, c'est le tribunal qui la détermine. Or il n'y a aucune jurisprudence dans ce domaine. (...) Et lorsque j'ai indiqué à Mattei ce que nous proposions, il a refusé, indiquant qu'il fallait tout comprendre, soit 1 milliard au titre du 93-3. »

M. Jean-Pierre MATTEI : C'est effrayant !

M. le Rapporteur : Voulez-vous répondre, sous serment, sur cette contradiction ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Je continue, je persiste et je signe. Nous avons entendu M. Chevalier tout à l'heure et cela me paraît intéressant, car j'ai eu le sentiment que ce magistrat était, pour le moins, désemparé dans les multiples questions que vous lui avez posées.

Je persiste et je signe.

M. le Rapporteur : Il y en a donc un des deux qui ment à la commission.

M. Jean-Pierre MATTEI : Cela n'a d'ailleurs aucune importance, car, d'une part, l'affaire est jugée et, d'autre part, M. Meille vous a expliqué quel était l'intérêt de l'article 93.3 dans cette affaire. Il vous a parfaitement expliqué qu'il s'imposait à vous, à moi, à M. Chevalier, au tribunal.

M. le Rapporteur : Dans cet affaire, le 93.3 est un élément décisif...

M. Jean-Pierre MATTEI : Bien sûr !

M. le Rapporteur : ...qui permet de bloquer toute reprise par quelqu'un d'autre que Aïdi. Vous êtes, sur cette question, en conciliabule avec M. Chevalier, le juge-commissaire, malgré vos déclarations expliquant que vous n'aviez donné aucune instruction.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je ne suis pas en conciliabule. Je vous rappelle simplement une chose : c'est la première fois que se pose une affaire de 93.3 de cette nature. Vous le savez bien.

M. le Rapporteur : Je l'ai dit tout à l'heure.

M. Jean-Pierre MATTEI : C'est pourquoi je vous le rappelle.

C'est également la première fois, Monsieur le député, que nous nous heurtons à une impossibilité, en raison de la loi que vous avez votée ès qualité. Donc, j'ai beaucoup souri tout à l'heure.

M. le Rapporteur : Etes-vous intervenu ou non ? C'est cela, la question.

M. Jean-Pierre MATTEI : La réponse est non, pour la énième fois !

M. le Rapporteur : M. Chevalier a menti à la commission d'enquête ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous apprécierez la réponse. Je vous réponds la chose suivante de la manière la plus formelle : le président du tribunal n'a pas délibéré dans cette affaire, au cas où vous ne le sauriez pas. Mes collègues vous l'ont dit expressément tout à l'heure. Mes collègues vous ont rappelé que trois juges avaient délibéré. Ce sont ces trois juges, en leur âme et conscience, et dans le secret de leur délibéré, qui ont pris cette décision.

M. le Rapporteur : La preuve que non.

M. Jean-Pierre MATTEI : Comment, non ?

M. le Rapporteur : C'est vous qui avez décidé, d'après M. Chevalier.

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, vous êtes en train de vouloir me faire dire le contraire de ce que je dis. Si vous faites les questions et les réponses, je n'ai plus à vous répondre.

M. le Rapporteur : Je poursuis.

« M. le Rapporteur : Il a donc donné raison à Aïdi.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Oui.

M. le Rapporteur : Pour quelle raison, à votre avis ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je n'en sais rien.

M. le Rapporteur : Le président décide donc que ce sera 1 milliard. Et vous vous êtes alors exécuté, parce que telle est la tradition au tribunal de commerce -  le président a toujours raison ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Pas du tout, c'est d'ailleurs peut-être une des raisons pour lesquelles il ne m'a pas gardé : parce que je ne suis pas béni-oui-oui. »

Voyez que c'est un homme modéré.

M. Jean-Pierre MATTEI : Mon Dieu, monsieur le député, est-ce que vous savez que je n'ai pas à garder M. Chevalier ? Je vous rappelle que la loi prévoit quatorze ans de judicature et qu'il a exercé sa judicature jusqu'au bout. Le saviez-vous, monsieur le député ?

M. le Rapporteur : Répondez !

M. Jean-Pierre MATTEI : Je vous réponds. Donc, je n'ai pas à le garder ou à ne pas le garder. La loi prévoit qu'il avait son mandat à terminer. Il l'a terminé conformément à la loi.

Encore une fois, sous réserve du principe et du respect de la séparation de l'autorité judiciaire...

M. le Rapporteur : Elle vous arrange bien !

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, monsieur le député, elle s'impose à vous !

M. le Rapporteur : Je vous poserai une autre question. Dans l'affaire du Palace, je sais ce que vous allez me répondre, mais cela ne fait rien...

M. Jean-Pierre MATTEI : Quelle ambiance !

M. le Rapporteur : ...vous n'êtes pas davantage intervenu ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, je viens de vous rappeler maintenant que vous aviez dépassé, définitivement, la bonne volonté qui était la mienne de dialoguer avec vous et je remarque que vous êtes sans cesse en train de violer systématiquement le règlement de l'Assemblée nationale.

M. le Rapporteur : J'aimerais bien que vous répondiez.

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, je ne vous répondrai pas.

À partir de maintenant, je considère que vous cherchez systématiquement l'incident...

M. le Rapporteur : Pas du tout, je voudrais que vous me répondiez !

M. Jean-Pierre MATTEI : Je n'ai pas à vous répondre.

M. le Rapporteur : Vous avez vu les contradictions qui existent entre les déclarations d'un juge et les vôtres, les déclarations d'un mandataire-liquidateur et les vôtres !

M. Jean-Pierre MATTEI : Parce qu'en plus, ce mandataire-liquidateur parle de moi ?

M. le Rapporteur : Non, les déclarations de ce mandataire et les vôtres.

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, je vous rappelle que la loi qui s'impose à vous, l'extrait de l'ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ne vous permet pas de m'interroger sur ce point. Vous travaillez sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et vous ne la respectez pas.

C'est clair. Donc, on s'arrête.

M. le Rapporteur : Voulez-vous bien répondre à la question sur le Palace ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, monsieur.

M. le Rapporteur : Vous êtes intervenu ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, monsieur, je ne répondrai pas.

M. le Rapporteur : Vous n'êtes pas intervenu, puisque c'est votre position et votre philosophie de ne jamais intervenir.

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, vous êtes en train de manquer à ce respect.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, nous connaissons cette ordonnance mieux que vous.

M. Jean-Pierre MATTEI : Pourquoi ne l'appliquez-vous pas ?

M. le Rapporteur : Parce que nous avons un peu de jurisprudence. Il y a eu des exemples dans le Crédit lyonnais.

M. Jean-Pierre MATTEI : Quel est le rapport ?

M. le Rapporteur : Il y a eu une commission d'enquête sur le Crédit lyonnais.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je ne vois pas le rapport avec le principe de la séparation de l'autorité judiciaire.

M. le Rapporteur : Tout cela est réglé depuis longtemps. Vous n'allez pas nous expliquer, ni aux fonctionnaires de la commission qui travaillent depuis des années dans les commissions d'enquêtes comment interpréter les textes qui régissent notre fonctionnement.

Je vous demande de répondre à la question. Si vous le refusez, nous en tirerons les conséquences.

M. Jean-Pierre MATTEI : Eh bien, tirez-en les conséquences !

M. le Rapporteur : Vous refusez ?

M. Jean-Pierre MATTEI : À partir de maintenant...

M. le Rapporteur : Refusez-vous de déposer ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Non, monsieur ! Dès lors que vous aborderez un problème qui concerne le respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire, je ne vous répondrai pas. Sur tous les cas généraux, j'ai répondu. Sur tous les cas d'espèce, je ne répondrai pas.

M. le Rapporteur : Dans l'affaire du Palace, vous n'étiez pas juge ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous abordez un problème qui...

M. le Rapporteur : Vous n'étiez pas juge ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Je n'ai pas à intervenir dans l'affaire du Palace et je ne répondrai pas.

M. le Rapporteur : Comme vous n'étiez pas juge, je ne vois pas en quoi nous violons le principe de la séparation.

M. Jean-Pierre MATTEI : Si, je vous rappelle que je n'ai pas à répondre à des questions concernant l'autorité judiciaire.

M. le Rapporteur : Puisque vous êtes sous serment, nous prenons note de vos déclarations.

M. Jean-Pierre MATTEI : Absolument.

M. le Rapporteur : Pour la dernière fois, est-ce que vous refusez de déposer sous serment ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Je refuse de répondre, non pas sous serment...

M. le Rapporteur : Vous êtes sous serment. Est-ce que vous refusez de déposer ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Je refuse de répondre à ce type de questions.

M. le Rapporteur : Nous le notons.

Et nous en avons fini, monsieur le président.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je le regrette, monsieur le député.

Audition de M. Jean-Louis CHEVALIER

ancien juge au tribunal de commerce de Paris

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 23 juin 1998)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Chevalier est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Chevalier prête serment.

M. le Rapporteur : Monsieur Chevalier, avez-vous des observations à formuler sur les conditions dans lesquelles vous avez été entendu par la commission d'enquête en sa chambre du conseil du tribunal de commerce de Paris, le 17 juin dernier ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je me permettrai de reprocher à la commission de m'avoir interrogé sur un dossier dont le jugement a été rendu il y a 20 mois. En effet, non seulement je n'ai pas la mémoire des chiffres, mais je ne me souvenais que des grandes lignes de l'affaire.

Par ailleurs, Mme Choukroun était venue me voir à l'issue de l'audience adoptant le plan concernant la deuxième partie de l'affaire, pour me remercier.

En outre, je n'ai pas apprécié ce qui a été rapporté par la presse et notamment le fait que je ne connaissais pas ce dossier ; en effet, 20 mois après, je ne connaissais plus les éléments de cette affaire. A la suite de l'audition du 17 juin dernier, j'ai téléphoné à l'administrateur qui, lui-même, a été obligé de reprendre son dossier, car il ne s'en souvenait plus.

En consultant les éléments de cette affaire, la mémoire m'est revenue et je puis vous affirmer que ce qui est écrit dans Libération de ce matin est faux. Je n'ai rendu aucun jugement - j'étais alors juge commissaire. Le tribunal a pris une décision qui a été confirmée par la troisième chambre de la cour d'appel qui fait, en quelque sorte, jurisprudence en matière commerciale.

Personnellement, je me suis toujours rapproché des magistrats. Le seul interlocuteur réel était le parquet, je n'hésitais donc pas à aller voir M. Marin pour lui poser des questions. Je m'insurge donc contre ce qui a été écrit dans Libération et je suis allé voir mon avocat cet après-midi pour savoir quelles suites nous pouvions donner à ces fausses informations.

Je n'ai jamais reçu d'ordre de qui que ce soit et personne n'ait venu me voir pour me demander d'intervenir. La seule fois où une personne est venue me trouver, c'était pour l'affaire Royal Monceaux ; M. Borotra était venu me trouver au tribunal, en présence d'un avocat, pour me faire part de son souci à propos d'un hôtel de sa ville qui risquait d'être mis en liquidation.

M. le Rapporteur : Ce qu'écrit Libération ne concerne pas la commission d'enquête. Si mes souvenirs sont bons, tout avait été dit en audition publique et vous avez rappelé ce fait - que vous étiez non pas membre du tribunal, mais juge commissaire - devant la commission d'enquête. Tout cela n'avait jamais fait l'ombre d'un doute dans l'esprit des membres de la commission. Simplement, nous essayons de comprendre comment cette décision, pour le moins curieuse, avait pu être prise par d'autres que vous. Or lorsque je vous ai interrogé à ce sujet, nous n'avons pas obtenu de réponse. Avez-vous réfléchi depuis ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Tout à fait. Les choses ne se sont pas passées tout à fait comme le dit Mme Choukroun, car elle affirme que M. Hucknall était prêt à mettre 43 millions de francs dans cette affaire. Or ce n'est pas vrai. D'ailleurs, il ne s'est pas rendu à la vente du Palace qui avait été mis aux enchères à 22 millions de francs.

En adoptant le plan tel qu'il avait été présenté la première fois, on acceptait que des abandons de créances d'autres sociétés du groupe ne figurent pas dans ce que Hucknall allait récupérer.

M. le Rapporteur : Il y avait 32 millions de francs de la banque dans l'un des deux plans de continuation.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Oui, dans celui qui concernait M. Hucknall. Mais de l'autre côté, il y avait des abandons de créances de sociétés qui se trouvaient dans la procédure. Or une société en redressement qui fait un abandon de créances laisse des créanciers ; ce n'était donc pas admissible.

En définitive, si l'on pousse l'analyse, M. Hucknall mettait non pas 43 millions de francs, mais 10. Lorsqu'on est arrivé à la date du jugement il y avait un article 40 de l'ordre de 1,5 million de francs. Et il affirmait qu'il allait pouvoir s'en sortir en faisant des comptes prévisionnels. Cependant, il ne tenait pas compte du fait qu'il avait déjà réinjecté à deux reprises de l'argent - avant de se présenter devant la chambre du conseil - pour un montant total de 5 millions de francs. Il convenait donc de tenir compte, dans l'article 40, que pour faire fonctionner le Palace, c'était non pas 1,5 million de francs qui avaient été dépensés, mais 6,5.

M. le Rapporteur : Vous voulez dire que le passif article 40 avait augmenté dans des proportions importantes au cours de la procédure.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Tout à fait, puisqu'il était initialement de 85 000 francs, puis - au mois de mai ou juin - de 1,5 million de francs malgré l'apport de M. Hucknall de 5 millions de francs.

M. Le Rapporteur : Vous disiez donc, et c'est la raison pour laquelle je vous ai interrogé l'autre jour, que M. Hucknall n'était pas prêt à mettre 43 millions de francs dans cette affaire. J'ai là une requête de maître Josse et de maître Pavec qui rappelle les offres des repreneurs et notamment celle de M. Hucknall. Je vous en fais lecture : "M. Hucknall, élisant domicile au cabinet de maître Boulland, avocat à la Cour, 20 rue de Lisbonne, pour le compte de trois sociétés de droit français, moyennant le prix global de 43 millions 640 francs, payable par voie de cession de créances et au comptant par chèque de banque. Reprise de 66 contrats de travail sous réserve de l'accord exprès des salariés". Et il y avait une autre offre de 22 millions de francs, celle de la Ludia Investissements.

Comment une décision de cette nature a-t-elle pu être prise avec de telles offres ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Une règle précise a été fixée par le président Mattei - et avec l'accord de tout le monde - concernant les cessions de gré à gré. Soupçonnant fortement qu'il puisse y avoir des "magouilles" lors des cessions de gré à gré, ordre a été donné, au cours de l'année 1996, de ne plus accepter ce type de cessions, celles-ci devant se faire par ventes aux enchères - j'avais choisi la chambre des notaires, celle-ci offrant certaines garanties.

M. le Rapporteur : Je comprends bien, mais dans cette affaire il y avait deux propositions, l'une à 43 millions de francs, l'autre à 22. Comment expliquez-vous cela ? M. Hucknall a même fait opposition à ladite ordonnance - c'est-à-dire à la vôtre - au motif que les offres présentées étaient plus favorables qu'une vente aux enchères publiques ! Pourquoi n'avez-vous pas fixé la mise à prix à 43 millions de francs, puisque c'était le montant que proposait M. Hucknall ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Il n'est pas venu à la vente, alors que la mise à prix était de 22 millions de francs.

M. le Rapporteur : Certes, mais dans la requête de maître Josse, M. Hucknall proposait 43 millions de francs. La décision n'était donc pas très claire.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Si, c'est tout à fait clair. Mon raisonnement est un peu militaire, mais l'ordre avait été donné de refuser toutes les cessions de gré à gré - ce n'était pas particulier à cette affaire.

M. le Rapporteur : Quoi qu'il en soit, nous avons suffisamment enquêté sur cette affaire. La commission d'enquête considère qu'elle n'a pas suffisamment de moyens pour en savoir davantage. Nous sommes au bout de nos possibilités d'investigation - de toute façon nous ne sommes pas juges d'instruction - mais nous avons mis en évidence un certain nombre de points qui méritent discussion.

Vous nous donnez une information très intéressante en nous expliquant qu'un ordre avait été donné par le président Mattei en ce qui concerne les ventes de gré à gré.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Il avait pris cette décision afin d'éviter les "magouilles". De nombreuses personnes se plaignaient de ne pas être bien informées des ventes qui avaient eu lieu de gré à gré. J'avais déjà refusé une telle vente sachant que le mandataire avait mis de côté certains biens pour des personnes précises.

M. le Rapporteur : Cela arrivait-il couramment ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non, mais cela arrivait. C'est la raison pour laquelle, avant que M. Mattei ne prenne cette décision, j'avais adopté la méthode de l'ouverture d'enveloppe en présence d'huissier. Les repreneurs qui s'étaient manifestés venaient avec leur caution bancaire sous enveloppe ; celles-ci étaient ouvertes par l'huissier et nous rendions une ordonnance en fonction du mieux disant.

M. le Rapporteur : Je vous remercie de toutes ces précisions.

Je vous informe également que j'ai interrogé le président Mattei sur la base de vos déclarations concernant l'affaire Royal Monceaux. Il n'a pas voulu reprendre à son compte vos déclarations lorsque vous aviez dit que, dans cette affaire, vous aviez reçu un certain nombre d'instructions.

M. Jean-Louis CHEVALIER : La seule que j'ai reçue concernait l'article 93-3.

M. le Rapporteur : Tout à fait. Vous le confirmez donc ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Bien entendu et il y a des "témoins", puisque, MM. Meille et Pierrel, le parquet et moi-même en avons discuté pour définir le périmètre de l'article 93-3.

M. le Rapporteur : Etiez-vous compétent, en tant que juge commissaire, pour vous prononcer sur ce point-là ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non, c'est une décision du tribunal. Notre réunion est tout à fait informelle.

M. le Rapporteur : Vous étiez le président de la juridiction qui a ouvert la procédure collective du Royal Monceaux, vous vous êtes désigné juge commissaire et vous nous avez expliqué que le président Piot n'avait pas souhaité que vous "montiez" car il connaissait vos opinions sur le plan de continuation proposé par Aïdi.

Je voudrais revenir sur ce point. Lorsque M. Mattei vous dit "Non, tu mets tout", s'agissant du périmètre de l'article 93-3 - c'est-à-dire la totalité ou du moins une grande partie du passif - "on considérera un milliard de 93-3". Vous le dit-il comme une instruction du président au n° 2 du tribunal ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non, c'est au cours d'une conversation, il n'y a jamais eu de réunion. Je venais lui rendre compte de la discussion que j'avais eue avec Meille, Pierrel et le parquet pour savoir quel périmètre on pouvait donner à l'article 93-3 - nous étions arrivés à 250 millions de francs -, et il m'a répondu, avec son ton tranchant : "Non, tu mets tout". C'est le président, il prend ses responsabilités.

A la suite de cela, j'ai appelé M. Meille pour l'avertir de la décision de Mattei afin qu'il puisse informer les repreneurs éventuels - qui sont les premiers concernés.

M. le Rapporteur : Vous souvenez-vous de la date exacte ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : En 1996, au début de la période d'observation.

M. le Rapporteur : Quand avez-vous été évincé du tribunal ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je n'ai pas été évincé.

M. le Rapporteur : A quelle date avez-vous quitté le tribunal ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Le 11 ou le 12 janvier 1998.

M. le Rapporteur : Lorsque, dans cette affaire, vous manifestez votre désaccord à l'égard des décisions tranchées de M. Mattei...

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non, je n'ai pas pris de décision opposée. La décision devait être prise par le tribunal.

M. le Rapporteur : Cela se passe souvent ainsi dans ce tribunal : c'est le président - qui ne siège pas - qui décide.

M. Jean-Louis CHEVALIER : En effet, en 1996, il n'a pas siégé du tout.

M. le Rapporteur : Oui, je sais bien. Ma question est d'ailleurs liée à ce fait. Puisqu'il ne siège pas dans cette affaire, comment se fait-il qu'il prenne les décisions et que vous exécutiez ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : En ce qui concerne l'article 93-3, sachez qu'il n'y avait aucune jurisprudence en la matière sinon il est évident que nous n'aurions pas eu de réunion avec les administrateurs et le parquet. Et la décision devait bien être prise non pas par le juge commissaire, mais par le tribunal. Or le tribunal agit sous les ordres du président.

M. le Rapporteur : Vous considérez donc que c'est normal et habituel.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Tout à fait.

M. le Rapporteur : M. Mattei prend donc les décisions parce que c'est lui le président du tribunal ; il s'agit d'une structure hiérarchisée.

M. Jean-Louis CHEVALIER : M. Mattei agit comme MM. Bon, Granjean et Rouger, les anciens présidents. Il est normal que le président fixe la ligne de conduite du tribunal.

M. le Rapporteur : Vous nous avez répondu, la dernière fois que l'on s'est vu, et que je vous ai demandé si vous vous étiez exécuté car il s'agissait de la tradition au tribunal de Paris et que le président a toujours raison: "Non, c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles je ne suis pas resté ou plutôt pour lesquelles il ne m'a pas gardé car je ne suis pas un béni oui-oui".

Donnez-nous les détails afin que nous comprenions comment fonctionne ce système. Avez-vous été acculé à la démission par ce que vous n'étiez pas d'accord ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je vous ai dit, hors procès-verbal, que nos problèmes étaient personnels et n'avaient rien à voir avec les affaires du tribunal. Bien entendu, il y a eu des conséquences sur mes fonctions et, au cours de l'année 1997, je n'ai fait qu'expédier mes dossiers.

M. le Rapporteur : Vous avez tout de même déclaré que le fait que le président ait pris une décision à la place de tout le tribunal était "l'une des raisons pour lesquelles je ne suis pas resté, ou plutôt pour lesquelles il ne m'a pas gardé". Il vous a donc dit qu'il ne voulait plus de vous.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Non, pas du tout. Simplement aux termes d'une ordonnance, je devais, en 1997, expédier les affaires courantes.

M. le Rapporteur : On vous a donc retiré une délégation.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je ne pouvais plus prendre de nouvelles affaires et je n'ai conservé que mes commissariats.

M. le Rapporteur : C'était donc la conséquence de ce désaccord.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Notre désaccord principal, je le répète, ne vient pas de là, il s'agit d'un désaccord personnel.

M. le Rapporteur : Faisons abstraction de ce désaccord. Vous nous avez indiqué, la semaine dernière, que le fait que le président prenne des décisions était l'une des raisons pour lesquelles vous n'étiez pas resté ou plutôt pour lesquelles le tribunal ne vous avait pas gardé. Cela veut bien dire que vous considérez que le fait d'être en désaccord avec le président du tribunal, pour une raison ou pour une autre, peut justifier un retrait de délégation.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Ce retrait de délégation - puisque vous l'appelez ainsi bien que ce ne soit pas tout à fait cela - est davantage la conséquence de notre problème personnel que d'un problème lié au tribunal.

M. le Rapporteur : C'est tout de même une conséquence concrète sur l'organisation du tribunal.

Je voudrais tout de même vous lire les déclarations de M. Mattei devant la commission d'enquête sur cette affaire afin que vous réagissiez. M. Mattei m'a affirmé sous serment :

"M. le Rapporteur : Ce que vous écrivez à M. Colcombet, à savoir que le chef d'une juridiction n'a aucune instruction à donner à une quelconque formation du jugement qu'elle soit collégiale ou individuelle, vous concerne depuis que vous êtes président dans ce tribunal.

Réponse de M. Mattei : Avez-vous des dossiers qui permettent de penser le contraire ?

M. le Rapporteur : Répondez déjà à ma question.

M. Mattei : Je l'ai écrit.

M. le Rapporteur : Donc, vous considérez que vous n'avez aucune instruction à donner.

M. Mattei : Je n'ai pas d'instruction à donner au sens "d'intervenir" dans un dossier."

Nous avions posé la question à un juge commissaire dans une autre affaire et M. Mattei explique :

"Non, je ne suis pas intervenu dans cette affaire." Je demande donc à M. Mattei : "Vous n'intervenez donc jamais ?" Réponse de M. Mattei : "En d'autres termes, monsieur le député, vous revenez sur le principe du respect de la séparation de l'autorité judiciaire, à chaque fois vous y revenez." "Voilà ce que M. Chevalier nous dit : On avait reçu le chef du pool bancaire avec le président, il avait dit qu'il ne fallait pour rien au monde un plan de continuation. Cela a changé entre temps, on ne sait trop pourquoi. La première année où j'ai fonctionné avec le président, chaque fois qu'il y avait des affaires de ce genre, j'étais pratiquement toujours dans son bureau pour étudier la question."

M. Mattei : "Quelle question ?"

M. Le Rapporteur : "La question des affaires de ce genre."

M. Mattei : "Non pas du tout, monsieur le député, vous êtes en train de confondre. Mais là vous intervenez sur quelque chose de plus grave, c'est-à-dire le système du règlement amiable qui, je vous le rappelle, relève de la seule juridiction du président. Or comme vous le savez, puisque vous l'avez rappelé tout à l'heure, dans l'affaire Royal Monceaux, ceci procédait du règlement amiable et, par délégation générale, M. Chevalier y participait. C'est exactement sa fonction car il était délégué général chargé de la prévention des difficultés des entreprises."

Confirmez-vous ce point ? Avez-vous, en tant que délégué général, reçu le chef du pool bancaire dans le bureau du président, dans le cadre du mandat ad hoc ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Bien sûr, puisque c'est moi qui vous l'ai dit. Cette réunion a même eu lieu, me semble-t-il, avant l'ouverture de la procédure.

M. le Rapporteur : Cela confirme donc les déclarations de M. Mattei.

Je poursuis la lecture du procès-verbal de M. Mattei :

"M. le Rapporteur : C'est dommage, j'ai un autre exemple. Nous voudrions savoir un certain nombre de choses, là vous nous expliquez que c'était peut-être avant la procédure de redressement judiciaire, admettons-le, M. Chevalier a pu avoir la mémoire défaillante."

Pourquoi étiez-vous sur cette affaire ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Le chef du pool bancaire, à savoir le président du Crédit foncier, a demandé audience au président. Et c'est là, au cours de la conversation, qu'il nous a dit que pour rien au monde il ne voudrait un plan de continuation.

M. le Rapporteur : Vous étiez là à quel titre ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Parce que j'étais souvent présent quand il recevait ce type de personnalité.

M. le Rapporteur : Je reprends : "...admettons-le M. Chevalier a pu avoir la mémoire défaillante.

M. Mattei : C'est possible.

M. le Rapporteur : M. Chevalier a néanmoins continué ses déclarations. Il s'est posé la question de savoir quel serait le périmètre de l'article 93-3. Etes-vous intervenu à ce sujet ?

M. Mattei : Non, monsieur le député.

M. le Rapporteur : En êtes-vous certain, vous êtes sous serment ?

M. Mattei : Je le répète sous serment.

M. le Rapporteur : Voilà les déclarations de M. Chevalier.

M. Mattei : Donc il va bien falloir les mettre en opposition ?

M. le Rapporteur : Je le crains » Et je lis votre déclaration, en terminant par : « En effet, la qualification de 93-3, c'est le tribunal qui la détermine. Or il n'y a aucune jurisprudence dans ce domaine. (...) Et lorsque j'ai indiqué à Mattei ce que nous proposions, il a refusé, indiquant qu'il fallait tout comprendre, soit 1 milliard au titre du 93-3. »

M. Jean-Pierre MATTEI : C'est effrayant !

M. le Rapporteur : Voulez-vous répondre, sous serment, sur cette contradiction ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Je continue, je persiste et je signe. Nous avons entendu M. Chevalier tout à l'heure et cela me paraît intéressant, car j'ai eu le sentiment que ce magistrat était, pour le moins, désemparé dans les multiples questions que vous lui avez posées.

Je persiste et je signe.

M. le Rapporteur : Il y en a donc un des deux qui ment à la commission.

M. Jean-Pierre MATTEI : Cela n'a d'ailleurs aucune importance, car, d'une part, l'affaire est jugée et, d'autre part, M. Meille vous a expliqué quel était l'intérêt de l'article 93.3 dans cette affaire. Il vous a parfaitement expliqué qu'il s'imposait à vous, à moi, à M. Chevalier, au tribunal.

M. le Rapporteur : Dans cet affaire, le 93.3 est un élément décisif...

M. Jean-Pierre MATTEI : Bien sûr !

M. le Rapporteur : ...qui permet de bloquer toute reprise par quelqu'un d'autre que Aïdi. Vous êtes, sur cette question, en conciliabule avec M. Chevalier, le juge-commissaire, malgré vos déclarations expliquant que vous n'aviez donné aucune instruction.

M. Jean-Pierre MATTEI : Je ne suis pas en conciliabule. Je vous rappelle simplement une chose : c'est la première fois que se pose une affaire de 93.3 de cette nature. Vous le savez bien.

M. le Rapporteur : Je l'ai dit tout à l'heure.

M. Jean-Pierre MATTEI : C'est pourquoi je vous le rappelle.

C'est également la première fois, Monsieur le député, que nous nous heurtons à une impossibilité, en raison de la loi que vous avez votée ès qualité. Donc, j'ai beaucoup souri tout à l'heure.

M. le Rapporteur : Etes-vous intervenu ou non ? C'est cela, la question.

M. Jean-Pierre MATTEI : La réponse est non, pour la énième fois !

M. le Rapporteur : M. Chevalier a menti à la commission d'enquête ?

M. Jean-Pierre MATTEI : Vous apprécierez la réponse. Je vous réponds la chose suivante de la manière la plus formelle : le président du tribunal n'a pas délibéré dans cette affaire, au cas où vous ne le sauriez pas. Mes collègues vous l'ont dit expressément tout à l'heure. Mes collègues vous ont rappelé que trois juges avaient délibéré. Ce sont ces trois juges, en leur âme et conscience, et dans le secret de leur délibéré, qui ont pris cette décision.

M. le Rapporteur : La preuve que non.

M. Jean-Pierre MATTEI : Comment, non ?

M. le Rapporteur : C'est vous qui avez décidé, d'après M. Chevalier.

M. Jean-Pierre MATTEI : Monsieur le député, vous êtes en train de vouloir me faire dire le contraire de ce que je dis. Si vous faites les questions et les réponses, je n'ai plus à vous répondre » Et il termine « Mon dieu, monsieur le député, est-ce que vous savez que je n'avais pas à garder M. Chevalier ? Je vous rappelle que la loi prévoit 14 ans de judicature et qu'il a exercé sa judicature jusqu'au bout. Le saviez-vous, monsieur le député ?"

Monsieur Chevalier, je voudrais revenir sur la question du faux témoignage. Un de vous deux a menti à la commission : lequel ? Avant que vous me donniez votre réponse, j'observe que M. Mattei établit un lien entre votre départ et cette affaire.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Je ne crois pas qu'il y ait un lien.

M. le Rapporteur : Vous nous avez dit le contraire tout à l'heure !

M. Jean-Louis CHEVALIER : Pas du tout. Ou je me suis mal exprimé. Je vous ai dit que notre mésentente n'avait rien avoir avec les affaires du tribunal mais qu'elle était liée à un problème personnel.

M. le Rapporteur : C'est tout de même entré en ligne de compte ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : Mais pour une infime partie.

M. le Rapporteur : Alors, qui a menti à la commission d'enquête ?

M. Jean-Louis CHEVALIER : J'ai prêté serment et je maintiens mes déclarations - je n'ai pas pour habitude de raconter des mensonges. Allez poser la question à maître Meille. Il vous dira que je l'ai contacté - peut-être dans les 48 heures qui ont suivi cette réunion - pour l'informer de la décision du président.

M. le Rapporteur : La commission n'a pas à instruire les affaires de faux témoignages. On ne demandera donc rien à maître Meille. C'est le parquet qui s'en occupera et qui interrogera les uns et les autres.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Justement il y avait le parquet à cette réunion.

M. le Rapporteur : Oui, mais il n'était pas présent dans le bureau de M. Mattei le jour où il vous a dit "tu mets tout". C'est donc votre parole contre la sienne.

M. Jean-Louis CHEVALIER : Tout à fait, c'est ma parole contre la sienne - ce qui ne me gêne absolument pas.

M. le Rapporteur : Je vous remercie.

Audition de M. Z
ancien juge au tribunal de commerce de Paris

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 23 juin 1998)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Z est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Z prête serment.

M. le Rapporteur : Monsieur le président bonjour. Vous avez bien été président, n'est-ce pas ?

M. Z : J'ai effectivement été président de chambre au tribunal de commerce de Paris.

M. le Rapporteur : Vous ne l'êtes plus ?

M. Z : J'ai quitté le tribunal en 1996 au moment même de l'élection du président Mattei ; mon audience de sortie a été son audience de rentrée. À Paris, la judicature est de 12 ans et comprend deux années de présidence de chambre. La judicature légale est de 14 ans, mais à Paris, en général, on termine après les deux années de présidence, sauf si le président vous donne une délégation particulière ou un poste particulier. Cela n'a pas été le cas avec le président Mattei, je n'avais donc aucune raison de rester.

M. le Rapporteur : Quelle est votre profession ?

M. Z : Je suis, à l'origine, concessionnaire automobile ; j'ai représenté la marque ... pendant une vingtaine d'années. Je suis entré au tribunal en 1985 et j'ai cédé mes affaires au moment du décès de mon père en 1986.

M. le Rapporteur : Je vous ai convoqué, car vous êtes gravement mis en cause par un justiciable et que je ne pouvais pas publier son procès-verbal sans avoir votre sentiment sur cette affaire. En effet, vous savez que les procès-verbaux des auditions peuvent être rendus publics. Nous avons pris la décision de publier cette audition et nous ne pouvions pas ne pas vous donner la parole pour que vous réagissiez sur cette mise en cause qui nous paraît grave.

Il s'agit d'un justiciable qui a demandé à être entendu par notre commission d'enquête. Il a d'ailleurs quitté la France ; il a été condamné par la chambre des sanctions du tribunal de commerce, que vous présidiez, je crois ?

M. Z : J'ai en effet présidé cette chambre en...

M. le Rapporteur : Ce justiciable a donc été condamné et est aujourd'hui en cassation. Il a donc décidé de quitter le France et se trouve actuellement aux États-Unis, où il travaille.

Il s'agit de M. François de Séroux, qui était le président de la société Manwa. Cela vous rappelle quelque chose ?

M. Z : Non, cela ne me dit rien. A-t-il été le seul a être condamné, dans cette procédure ? Car souvent il y a plusieurs personnes et cela pourrait m'aider à me souvenir du dossier.

M. le Rapporteur : J'ai l'impression qu'il était à la tête de toutes les sociétés. Il dirigeait, en tout cas, la holding de tête qui semblait importante. La liquidation ne paraît pas être achevée.

M. Z : Pouvez-vous me dire quelles sont les autres sociétés, s'il s'agit d'un groupe de sociétés ?

M. le Rapporteur : Manwa France et une société de Créteil, Salagastronomie.

M. Z : Aucune des deux ne me dit quoi que ce soit pour l'instant. Elles ne font pas partie des dossiers que l'on peut considérer comme importants ou sensibles dont on garde plus facilement la mémoire.

M. le Rapporteur : Il avait une filiale normande, et voilà ce qu'il explique à la page 6 de sa déposition :

« Dans le cadre de cette filiale normande, j'avais à l'époque un avocat, deux administrateurs judiciaires, un représentant des créanciers, commissaire au plan, domicilié à Évreux ainsi qu'un cabinet comptable et un cabinet "juridico-comptable" parisien qui m'ont aidé, du moins qui ont proposé le plan de continuation. Celui-ci a été ébauché au cours de l'été 1992 et octroyé en décembre 1992.

Six mois plus tard, au printemps 1993, lorsque le plan a échoué, j'ai été obligé d'accepter les faits et donc la liquidation. Les actifs ont été cédés à des repreneurs qui se sont présentés très rapidement et auxquels je me suis opposé devant le juge-commissaire, sans être malheureusement entendu. Le prix de vente des murs de l'usine n'est pas payé à ce jour.

L'affaire a été vendue une première fois en mai 1993 à des candidats qui n'ont jamais payé et qui ont ensuite déposé leur bilan ; une seconde fois en octobre 1995 à d'autres repreneurs qui, de la même façon, n'ont jamais payé et ont déposé leur bilan. L'affaire a donc été vendue une troisième fois à des candidats qui m'ont actuellement toujours pas payé, mais qui n'ont pas encore déposé leur bilan ! (Sourires.) Mon liquidateur a également été désigné liquidateur des acquéreurs.

Question : pourquoi le même représentant des créanciers a-t-il été désigné plusieurs fois ? C'est le même juge-commissaire et le même tribunal de Paris, alors que cette affaire n'avait plus rien à voir avec Paris !

M. le Rapporteur : Quelle est votre réponse ?

M. de Séroux : Je n'en ai pas encore puisque je suis actuellement en cassation.

J'aborde un point beaucoup plus important et je suppose que c'est particulièrement à ce sujet que vous souhaitez m'entendre.

En juin 1993, le liquidateur, précédemment représentant des créanciers de cette filiale, m'a approché en me disant que je risquais beaucoup de choses, notamment d'être poursuivi au titre d'une série d'actes de gestion dont il me tenait responsable. Je suis resté relativement froid parce que je savais que je n'avais pas commis d'erreur et que c'était une filiale dans un groupe beaucoup plus important. Or je n'avais aucun problème avec aucune des autres filiales. Je n'y ai donc pas porté une grande attention.

En octobre 1993, j'ai été, une seconde fois approché, mais cette fois-ci par l'intermédiaire du cabinet juridico-comptable parisien qui avait préparé le plan de continuation l'année précédente. Ce cabinet avait un correspondant avocat et un correspondant purement comptable, lesquels avaient été associés un an auparavant à la préparation du plan de continuation. D'ailleurs, pendant toute la période de redressement judiciaire, ils étaient les conseils de la société.

M. le Rapporteur : Vous étiez donc leur client ?

M. de Séroux : En fait, les administrateurs judiciaires étaient leurs clients. Je n'étais que l'administré.

M. le Rapporteur : C'était des intervenants extérieurs pour le compte de l'administrateur judiciaire ?

M. de Séroux : Exact !

Un an après, ils m'ont donc approché en me disant qu'ils pouvaient éventuellement m'éviter beaucoup d'ennuis si j'acceptais de les rencontrer. Prudent, je leur ai demandé : "Rencontrer qui et pourquoi ?" J'ai même ajouté : "Avec cette liquidation judiciaire qui commence, je suppose que vous suivez certainement les procédures normales !" Bref, je les ai rencontrés et je leur ai posé la question de savoir ce qu'ils proposaient. J'ai eu alors droit à une leçon remarquable sur les pratiques au tribunal de commerce. Je les ai écoutés avec beaucoup d'intérêt et ai refusé d'y participer.

J'ai appris l'existence de deux méthodes : l'une classique qui n'aboutirait jamais et c'est vrai puisque nous sommes en 1998 et que celle-ci n'a toujours pas abouti !

M. le Rapporteur : D'autant plus que vous avez été poursuivi personnellement.

M. de Séroux : Je l'ai été effectivement à titre personnel et je poursuivrai jusqu'au bout !

La seconde pratique, moins officielle, est celle des enveloppes. On m'a proposé d'y participer pour m'éviter d'être mis, à titre personnel, en redressement judiciaire. La grande menace était d'étendre la faillite de cette société à moi-même qui étais en fait le dirigeant, mon holding en étant le propriétaire. Le holding étant liquidé, la faillite ne pouvait pas être étendue à ce dernier. En revanche, je n'étais pas liquidé à titre personnel et je n'en avais d'ailleurs aucune raison, d'autant plus que des banquiers privés, comme vous l'avez très bien souligné tout à l'heure, m'avaient appuyé au niveau de mes 50 millions de francs d'apport. Avec ces derniers, j'avais négocié des plans hors tribunal puisque je n'étais pas en redressement judiciaire.

Après avoir refusé de participer à leur méthode, ils m'ont menacé de faire une deuxième approche via la BNP. Je le précise parce que cette dernière a prêté environ 112 millions de francs à mon holding de tête - elle ne prêtait pas au niveau des filiales - et qu'à l'époque, la liquidation de mon holding de tête était en cours. La procédure s'est d'ailleurs très bien passée puisque nous en sommes sortis.

Les deux propositions visaient à entrer dans le jeu des enveloppes : la première à hauteur de 50 millions de francs et la deuxième destinée à me sortir globalement de l'affaire correspondait, compte tenu de mon refus précédent, à 100 millions de francs, plus 50 millions de francs, soit 150 millions de francs, ce que j'ai également refusé.

M. le Rapporteur : En quoi consistait concrètement la proposition visant à entrer dans le jeu des enveloppes et combien deviez-vous verser ?

M. de Séroux : 10 % du montant qui pouvait être effacé.

La méthode très simple consistait à me faire rencontrer un juge. Je l'ai du reste rencontré le 1er avril 1994 avec cet avocat qui est devenu celui de mon liquidateur, ce qui pose également question, et avec le cabinet comptable qui avait ébauché le plan de continuation de cette société.

Lorsque j'ai refusé une troisième fois auprès du juge...

M. le Rapporteur : Le juge vous a-t-il dit la même chose ?

M. de Séroux : Tout à fait ! Il a même été encore plus explicite.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire ?

M. de Séroux : Vous avez noté que sur les 50 millions de francs de capital, la moitié était empruntée. Son idée était donc de faire venir toutes les banques au tribunal, donc pour 24 millions de francs, et d'effacer cette dette moyennant 2,4 millions de francs dont 800 000 francs payables comptant, 800 000 francs le jour de la convocation au tribunal et 800 000 francs à la sortie.

M. le Rapporteur : C'est la méthode habituelle ? C'est ce qui vous a été expliqué ?

M. de Séroux : Absolument ! C'est ce qui m'a été expliqué !

M. le Rapporteur : C'est le prix de l'effacement des dettes, n'est-ce pas ?

M. de Séroux : Le prix de l'effacement des dettes personnelles, lequel ne jouait pas sur les dettes de mon holding.

Je me suis précipité à la BNP avec qui j'entretenais d'excellentes relations pour leur parler de la chose. Mes banquiers m'ont félicité de ne pas avoir joué à ce jeu-là et m'ont dit que de toute façon, cela n'affecterait en rien leur sortie du dossier. Ils ont eu raison puisque j'en suis sorti aujourd'hui.

J'ai consulté un certain nombre de conseils personnels, lesquels ont jugé mon attitude courageuse sans cependant me faire part d'autres sentiments. C'était, en effet, courageux, car si j'avais accepté ces propositions, j'en serais sorti il y a longtemps !

Suite à mes refus, la conséquence a été très rapide en ce sens que le liquidateur de la société de Normandie a étendu le passif de la liquidation de Coudray Frais à mon passif, comme il m'en avait menacé. J'ai été personnellement mis en redressement judiciaire toujours chez le même juge parisien, toujours avec le même représentant des créanciers, normand.

M. le Rapporteur : Vous souvenez-vous du nom du juge ?

M. de Séroux : Il s'agissait de M. Z. »

M. Z : Tout d'abord, je n'ai aucun souvenir d'avoir rencontré M. de Séroux - et je n'ai pas besoin de m'en souvenir pour savoir que je n'ai jamais demandé 800 000 francs ou 2,4 millions de francs. Ensuite, son raisonnement me semble tout à fait illogique et juridiquement impossible.

Le président d'une chambre de sanction n'a pas le pouvoir d'étendre une procédure ou de convoquer des banquiers dans une procédure d'extension. Tout cela ne tient pas debout.

M. le Rapporteur : C'est tout de même le président qui peut sanctionner ; or la sanction est intervenue.

M. Z : Tout à fait. Mais il convient avant tout de s'assurer que j'ai bien eu à traiter ce dossier. Or, si le nom de Séroux peut me rappeler d'autres noms plus habituels, je ne connais pas ce monsieur.

Vous devez savoir comment se passe la procédure des sanctions au tribunal de commerce de Paris. Elle est relativement simple, c'est pourquoi les argumentations de M. de Séroux me semblent totalement ridicules. Le représentant des créanciers établit un rapport qui est communiqué au parquet qui donne un avis sur la possibilité de sanction. Ce rapport est ensuite communiqué avec avis du procureur au juge-commissaire qui donne un avis de sanction. Normalement - c'était la règle - l'avis du juge-commissaire qui était l'avis décidant, devait être motivé s'il était divergeant de celui du parquet.

Une fois que cet avis avait été signé par le parquet et le juge-commissaire, il retournait chez le représentant des créanciers qui établissait une note avec une requête et une ordonnance qui était envoyée à la présidence du tribunal. Le haut de la requête comprenait l'avis du juge-commissaire qui désignait sa requête et elle était transmise à la signature du président - ou plutôt à celle d'un magistrat délégué qui peut être l'un des trois présidents de chambre ou le délégué général aux procédures collectives.

La personne était ensuite citée devant une chambre où elle pouvait être assistée d'un avocat et la décision était prise par trois magistrats. Donc même si un président voulait influencer une décision, il n'avait de pouvoir que par sa propre voix.

Nous avons traité, en 1994 et 1995, un très grand nombre de dossiers, cette chambre des sanctions ayant été créée en 1992. Même si nous passions le temps nécessaire à délibérer, c'était un temps minimum, sauf pour les dossiers importants.

Les accusations, ou du moins les mises en cause, que donne cette personne contre le président ou un magistrat de la chambre des sanctions ne sont pas possibles. L'extension de la procédure, sauf au titre de l'article 182 et 191, ne peut être demandée que par le mandataire ou par la saisine d'office du tribunal.

M. le Rapporteur : Dans cette affaire, c'est apparemment le mandataire qui amène M. de Séroux dans le jeu des enveloppes.

M. Z : Ce qui veut dire que le mandataire est obligatoirement complice. Par ailleurs, sans parler de complicité du juge-commissaire et du parquet, leurs avis doivent être également concordants. On ne peut pas menacer une personne d'une sanction si le parquet donne un avis différent.

M. le Rapporteur : Le parquet est absent des procédures, nous le savons bien !

M. Z : Je ne suis pas d'accord avec vous. Je puis vous affirmer que durant les deux années de présidence de chambre de sanctions, le parquet a été très présent. Nous avons siégé, pendant un temps à deux sections, et le parquet était toujours présent dans l'une des deux sections, il était là à chaque affaire importante. Et quand vous parlez de 50 ou de 100 millions de francs, il ne s'agit pas d'un dossier totalement neutre. Je classais les dossiers selon leur importance. J'avais demandé au parquet, que l'on ne statue plus sur les dossiers de moins de 50 000 francs, afin de gagner du temps. Mais comme lui-même n'intervenait pas dans les affaires d'insuffisance d'actifs de moins de 1 million de francs, il craignait d'exonérer un certain nombre de personnes qui auraient peut-être mérité d'être sanctionnées. Il y avait donc ces gros dossiers pour lesquels j'avais créé une section spéciale...

M. le Rapporteur : Nous sommes dans un tribunal populaire, et vous aviez créé une section spéciale...

M. Z : Non, non, ce n'était pas vraiment une section spéciale...

M. le Rapporteur : C'est ce qu'a dit M. Mattei.

M. Z : Je ne sais pas, je n'étais pas présent lors de votre visite au tribunal de commerce de Paris.

M. le Rapporteur : Pourquoi n'y étiez-vous pas d'ailleurs ?

M. Z : Pour une raison très simple : je suis parti tôt ce matin-là jouer au golf, avant que le courrier me soit délivré. Je suis revenu vers 23 heures, il était beaucoup trop tard pour excuser mon absence.

M. le Rapporteur : Comment expliquez-vous que ce monsieur vous mette directement en cause ?

M. Z : Je n'en sais absolument rien. Aucun élément ne me permet de me souvenir de ce monsieur que je n'ai jamais vu. Cependant, il est vrai que si je présidais la chambre qui l'a condamné, il a peut-être des raisons particulières de m'en vouloir, ce ne serait pas la première fois. Mais je ne me souviens même pas d'avoir siégé dans cette affaire.

Quel était le cabinet comptable ou l'avocat qui le représentait ?

M. le Rapporteur : Je ne peux pas vous communiquer les noms. Mais comment expliquez-vous, en dehors du fait qu'il ait pu être victime de votre décision, qu'il vous implique dans cette affaire. Car il nous donne des précisions : il nous donne un numéro du compte en Suisse qui serait le vôtre.

M. Z : Et bien c'est une excellente chose, car si vous me le communiquez, je pourrai faire des retraits !

J'ai lu dans un journal qu'il y avait 800 000 francs à verser sur un compte en Suisse à l'UBP. Aucun compte n'étant vraiment secret, vous pouvez parfaitement savoir qui détient ce compte.

M. le Rapporteur : Il faudrait pour cela une commission rogatoire, ce qui nous prendrait deux ans. Il faut deux minutes pour ouvrir un compte en Suisse et deux ans pour en connaître l'existence.

M. Z : Imaginons que j'en sois le propriétaire et que je vous donne l'autorisation d'y accéder. Cela vous suffirait-il ? Vous saurez ainsi si ce compte m'appartient ou non.

M. le Rapporteur : Cela ne relève pas du travail de la commission d'enquête.

M. Z : Si je possède un compte en Suisse - je serais d'ailleurs le premier heureux de le savoir - et que mon autorisation vous permet d'y accéder, je vous la remplis immédiatement.

M. le Rapporteur : Et bien je vous en prie, vous allez nous faire une lettre à la destination de l'Union des banques privées, « 1, rue du Rhône à Genève », nous autorisant l'accès à ce compte.

M. Z : Tout à fait, je vous la fais maintenant. Cette affaire ne me concerne pas, je n'ai donc aucune inquiétude.

M. le Rapporteur : Et bien nous attendons votre autorisation. Le numéro de compte est le suivant : 48 69 213. Ce sera une grande première : la commission enquêtant dans les banques suisses !

En réalité la commission d'enquête n'a pas cette fonction. Il appartient à la justice pénale de s'occuper, éventuellement, de cela.

M. Z : La mise en cause d'une personne est tout de même relativement grave.

M. le Rapporteur : C'est la raison pour laquelle votre nom n'a pas été cité.

M. Z : Si j'étais dans la même position que vous, avec des éléments probants, je n'hésiterai pas à poursuivre, le cas échéant. Mon intérêt est donc d'arriver à vous démontrer, le plus rapidement possible, ma bonne foi et de vous fournir tous les éléments. Et cela me pose d'autant moins de problème que je n'ai aucune inquiétude à avoir par rapport à cette affaire.

Je voudrais toutefois revenir sur les allégations de M. de Séroux. Je n'ai pas noté ce qu'il disait d'une façon précise. Il disait, me semble-t-il, que j'étais en mesure de pouvoir réunir les banquiers afin de négocier avec eux. Pouvez-vous réellement croire qu'un président de chambre, dans le cadre des opérations judiciaires qui sont en cours, peut réunir des banquiers pour négocier avec eux ?

M. le Rapporteur : Lui, semble l'avoir cru et je suis prêt à toutes les éventualités en ce qui concerne le tribunal de commerce de Paris !

M. Z : Je ne dispose pas de toutes vos informations, mais j'y ai vécu pendant un certain nombre d'années. J'y ai parfois rencontré des personnes qui ne disposaient pas de toutes les compétences voulues, mais je n'ai jamais eu, personnellement, de preuves de malhonnêteté directe.

M. le Rapporteur : Exercez-vous, aujourd'hui, des activités en relation avec le tribunal ?

M. Z : Je n'exerce aucune activité en relation avec le tribunal. Mes activités actuelles sont des opérations de conciliation dans lesquelles j'interviens auprès de chefs d'entreprise qui rencontrent des difficultés. Il m'arrive donc de négocier avec des banques l'endettement de sociétés, avant toute procédure. Je n'ai plus aucune activité judiciaire ou para-judiciaire avec le tribunal de commerce.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce que vous appelez para-judiciaire ?

M. Z : Parmi les activités que j'exerce, je fais de l'arbitrage. L'arbitre, qui a un peu le rôle d'un juge, intervient dans le cadre d'une convention d'arbitrage. Or, aucune conciliation ni aucun arbitrage ne m'a été confié par le tribunal de commerce de Paris. Je n'ai donc aucun rapport avec le tribunal.

M. le Rapporteur : Vous vous interdisez d'avoir des rapports avec le tribunal de commerce de Paris ?

M. Z : Non, je ne m'interdis pas de recevoir une mission du tribunal de commerce de Paris, mais outre le fait que je ne veux pas les solliciter, M. Mattei - dont je ne partage pas les opinions - s'est entouré de personnes qui avaient voté pour lui, qui avaient soutenu sa campagne.

M. le Rapporteur : Qui aviez-vous soutenu ?

M. Z : J'avais soutenu M. Sempré. Donc aujourd'hui, je vis tout à fait en dehors du tribunal de commerce, même s'il m'arrive d'y mettre les pieds.

M. Le Rapporteur : Ah bon !

M. Z : Je suis allé au tribunal de commerce pour des décorations, mais je ne vais pas aux dîners des anciens magistrats. En revanche, je participe à la compétition de golf - mais je n'appelle pas cela participer aux activités du tribunal.

M. le Rapporteur : Un mandataire-liquidateur que nous avons interrogé déclare que vous êtes intervenu, en qualité de conseil, il y a peu de temps, pour le compte d'une société qui était en liquidation judiciaire. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? Car cela met en défaut ce que vous venez de dire.

M. Z : Certainement pas. Je vous ai dit que je n'avais aucune mission du tribunal de commerce de Paris. Si vous le souhaitez, je peux vous détailler le type d'activités que j'exerce.

Mon activité de conciliateur est en quelque sorte une activité de conseils - mais pas de conseils juridiques.

M. le Rapporteur : Vous avez une société, vous exercez en nom propre ?

M. Z : J'exerce effectivement en nom propre. Le conseil que j'offre est en général d'ordre économique. Je l'exerce auprès de personnes qui rencontrent des difficultés et qui me demandent un avis sur la façon dont ils pourraient leurs problèmes.

M. le Rapporteur : Et vous vous faites payer comme un avocat, en quelque sorte.

M. Z : Pas comme un avocat, car je ne suis pas avocat, mais, effectivement, je me fais payer des honoraires.

M. le Rapporteur : Ce mandataire nous indique donc que vous êtes intervenu pour le compte d'une société Hoche. Cela vous dit quelque chose ?

M. Z : Je crois savoir de quoi il s'agit. Quel était le problème ? Il s'agissait d'une société civile immobilière dont les actifs avaient été cédés et pour laquelle une condamnation était intervenue. Les dirigeants de cette affaire - qui étaient des étrangers - avaient été informés de la condamnation et avaient souhaité avoir des renseignements sur le montant du passif.

Si mes souvenirs sont bons, c'est une banque qui avait obtenu cette condamnation par défaut, à l'époque où il n'y avait pas de représentants réels de la société en France. Un gérant avait été désigné. Les actionnaires de la société - d'origine libanaise ou saoudienne - voulaient donc obtenir un renseignement. Je suis intervenu auprès d'un mandataire-liquidateur pour savoir quelle était la meilleure solution pour les personnes intéressées : payer le passif ou obtenir un rendez-vous avec l'avocat de la banque pour tenter de négocier.

Le mandataire devait être Maître Belhassen. Je vous précise que, dans cette opération, je n'ai pas reçu d'honoraires, car il s'agissait non pas d'un travail mais d'une demande de renseignements. L'affaire n'est d'ailleurs pas allée plus loin, je n'ai jamais rappelé Maître Belhassen après avoir eu les renseignements - que j'ai transmis tardivement.

Cela étant, vous pourriez trouver d'autres dossiers dans lesquels je suis intervenu, car il m'est parfois arrivé de poser des questions. De toute façon, je ne vois pas aujourd'hui ce qui m'empêcherait d'être le conseil d'une personne qui aurait un problème. Mais ce n'est pas le cas ; je n'ai pas de dossier, à Paris, qui fait l'objet d'une procédure collective.

M. le Rapporteur : Il s'agit d'un dossier intéressant pour la commission, car il a l'avantage de montrer comment les anciens présidents de chambre ou de tribunal gagnent leur vie. Le bénévolat est temporaire, puisqu'il devient sonnant et trébuchant une fois sorti de fonction - dans votre cas, en l'occurrence. On nous explique que juge au tribunal de commerce est une fonction magnifique et désintéressée, et je me souviens de M. Jean-François Verny, qui, en tant que vice-président de la commission juridique du CNPF, qui disait que les contreparties étaient souvent différées. Voilà donc un bel exemple, puisque votre fonction de juge vous a permis de devenir une sorte de conseil auprès de sociétés en difficulté. Vous obtenez toutes ces informations grâce à votre titre d'ancien président de chambre.

M. Z : Non, je n'utilise pas le titre d'ancien président de chambre.

M. le Rapporteur : Vous les aviez désignés, tous ces mandataires.

M. Z : S'il est vrai que j'ai désigné Maître Belhassen, j'ai dû le faire dans les années 1987/1988/1989, et je ne pense pas que la reconnaissance d'un mandataire pour avoir été désigné puisse aller aussi loin. Je ne pense pas que, neuf ans après, il se sente redevable de quoi que ce soit.

M. le Rapporteur : Je ne parle pas de vous en particulier, mais du système en général.

M. Z : Savez-vous comment les mandataires sont désignés au tribunal de commerce de Paris ? Lorsqu'une société procède à la déclaration de son état de cessation de paiement, son dossier passe par le greffe et le secrétariat de la présidence qui désigne un mandataire à la procédure : représentant des créanciers ou mandataire-liquidateur.

Le dossier est ensuite transmis au président de chambre qui le fait passer à ses magistrats qui, en de chambre de conseil, prennent la décision de désigner un mandataire. Il est de règle que le mandataire qui a été prédésigné soit confirmé. Les cas où cela ne se fait pas doivent être obligatoirement motivés et faire l'objet d'une information quasi immédiate auprès de la présidence du tribunal.

M. le Rapporteur : Nous connaissons tout cela et ce n'est pas le point sur lequel je voulais vous interroger. Je voudrais poursuivre sur ce dossier. Par qui avez-vous été désigné, dans cette affaire ?

M. Z : Je n'ai pas été désigné. Un avocat m'a contacté pour me dire que la société d'une personne que j'avais rencontrée - un Saoudien ou un Libanais -, mais que je ne connais pas plus que ça, était en procédure judiciaire avec une créance qui posait un problème. Il voulait donc que je me renseigne au sujet de cette créance.

M. le Rapporteur : Mais il n'a pas besoin de passer par ce détour compliqué pour avoir ces informations !

M. Z : Non, c'est vrai, mais certains avocats sont compétents en procédures collectives et d'autres pas. Je ne lui ai pas posé de questions particulières.

M. le Rapporteur : Il s'agit tout de même d'un procédé très curieux, car il est facile de savoir ce qu'il y a dans un dossier de liquidation judiciaire.

M. Z : Certes, mais si j'avais besoin, par exemple, d'un renseignement concernant l'Assemblée Nationale, j'aurais tendance à téléphoner à une personne qui y travaille et que je connais.

M. le Rapporteur : Mais ce n'est pas du tout la même chose ! Aucun fonctionnaire ou ancien fonctionnaire de l'Assemblée Nationale ne perçoit d'honoraires pour donner des renseignements sur le fonctionnement de cette maison !

M. Z : Nous ne nous comprenons pas. Premièrement, je vous ai indiqué que j'ai été contacté pour trouver un renseignement, que je n'ai jamais été mandaté et que je ne me suis pas fait rémunérer pour avoir donné un coup de téléphone.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas téléphoné, vous vous êtes déplacé.

M. Z : Je ne crois pas m'être déplacé.

M. le Rapporteur : Si, vous vous êtes déplacé.

M. Z : Certainement pas à cette occasion. Mais si vous me le dites, c'est possible, je n'en ai pas souvenir.

M. le Rapporteur : Et l'affaire semblait très importante pour vos clients, si je peux les appeler ainsi.

M. Z : Vous savez, quand vous êtes étranger, que vous possédez des sociétés à l'étranger, une telle affaire est importante par les conséquences qu'elle peut avoir moralement.

M. le Rapporteur : Pour quelles raisons ?

M. Z : Ils étaient dirigeants de sociétés et je crois me souvenir que les associés de la SCI étaient les sociétés elles-mêmes.

M. le Rapporteur : Il s'agissait d'une SNC.

M. Z : C'était une société transparente, ce qui voulait dire que, dans le cadre de la liquidation judiciaire, les sociétés qui sont associées de l'entreprise vont se retrouver dans les liens de la procédure. Donc lorsque vous avez, en plus, une créance de 250 000 francs, vous avez intérêt à savoir ce qui va se passer. Et si jamais ils pouvaient payer la facture, ils avaient tout intérêt à le faire.

Voilà pourquoi cela leur a semblé important ; voilà pourquoi on me l'a demandé. Cela n'a été ni important ni particulier pour moi, je devais juste chercher à savoir le montant de la créance et si elle était négociable. J'ai eu une réponse, je l'ai transmise - avec beaucoup de retard - et cette affaire en est restée là. Si vous avez interrogé Maître Belhassen, elle a dû vous dire qu'en dehors de lui avoir posé la question, je ne lui ai jamais rien demandé d'autre.

Pour en revenir à la remarque que vous faisiez, il n'est pas choquant, lorsqu'on a besoin d'un renseignement, de téléphoner en priorité, aux personnes que l'on connaît et dont on sait qu'elles pourront nous renseigner.

M. le Rapporteur : Vous me dites que, pour cette affaire, c'est un avocat qui vous a contacté. Quel est son nom ?

M. Z : Cette affaire avait tellement peu d'importance pour moi que je suis gêné pour vous répondre immédiatement.

M. le Rapporteur : Mais elle en a pour nous. S'il s'agit d'un avocat qui a l'habitude de faire appel à vos services pour obtenir des informations qu'il aurait pu très bien obtenir lui-même d'ailleurs, vous devriez vous en souvenir. Je ne comprends pas pourquoi un avocat, qui peut obtenir les renseignements de n'importe quel mandataire-liquidateur, passe par un ancien juge pour obtenir le contenu d'un dossier de liquidation judiciaire en cours !

M. Z : Pouvez-vous dire pourquoi un avocat a parfois besoin d'un ancien juge ou d'un ancien chef d'entreprise pour préparer des restructurations d'entreprise pour lesquelles il est aussi normalement compétent ?

M. le Rapporteur : Téléphoner au mandataire-liquidateur pour obtenir des renseignements fait partie du métier d'avocat !

M. Z : Je vous ai dit que je faisais de la négociation. Si l'on me pose une question à propos d'une créance ou d'une dette - savoir qui la détient, qui est le correspondant et si elle est négociable -, je réponds. Or cette question m'a été posée dans cette affaire.

M. le Rapporteur : Mais les actionnaires de la société ne le savent pas ?

M. Z : À première vue non, puisqu'ils m'ont posé la question !

M. le Rapporteur : Vous sembliez savoir qu'il y avait un gérant de paille dans cette affaire.

M. Z : Oui, tout à fait. Lorsqu'on m'a téléphoné, il m'a été expliqué que sur cette société il y avait une créance...

M. le Rapporteur : Une créance Moët et Chandon !

M. Z : ... Moët et Chandon, tout à fait, et que c'était une avocate qui représentait cette créance - avocate particulièrement hargneuse, d'ailleurs. Elle était persuadée de détenir une garantie sur l'immeuble vendu par la SNC, alors qu'en réalité elle n'en avait pas.

M. le Rapporteur : Je vois que vous connaissez bien le dossier !

M. Z : J'ai quand même de la mémoire !

M. le Rapporteur : Vous avez vu la comptabilité de cette affaire.

M. Z : Absolument pas, je n'ai rien vu. Je ne détiens aucun élément.

M. le Rapporteur : Alors comment savez-vous tout cela ?

M. Z : Parce qu'on me l'a dit, tout simplement.

M. le Rapporteur : Qui vous l'a dit ?

M. Z : Au moins deux personnes : d'une part, la personne qui m'a demandé le renseignement, et, d'autre part, Maître Belhassen.

Les renseignements que j'ai sont les suivants : une SNC, deux sociétés associées étrangères de travaux publics libanaises ou saoudiennes...

M. le Rapporteur : Vous avez rencontrés vos clients ?

M. Z : Non, jamais.

M. le Rapporteur : Maître Belhassen nous a dit que l'aviez invitée à déjeuner au Ritz. Peut-on savoir qui paie dans ces cas-là ?

M. Z : J'ai en effet invité Maître Belhassen à déjeuner au Ritz, où il y a un excellent menu pas très cher et que je vous conseille. Il m'est arrivé d'inviter d'autres personnes et je déjeune à chaque fois dans des conditions qui ne sont pas désagréables.

M. le Rapporteur : Qui paie ? Qui paie vos « approches » avec des mandataires-liquidateurs ?

M. Z : Moi, mais ce ne sont pas des approches, même si ces déjeuners peuvent être considérés ainsi. Par ailleurs, tous mes déjeuners ne sont pas obligatoirement remboursés. Il peut arriver que, dans le cadre d'un travail, je sois amené à passer des frais professionnels en déjeuner - que je récupère en honoraires - mais en l'occurrence, ce n'était pas le cas.

M. le Rapporteur : Voici ce que madame Maître Belhassen déclare : « Il intervenait en tant que sachant... » C'est une curieuse formule.

M. Z : Oui, c'est en effet une curieuse formule.

M. le Rapporteur : « ... quelqu'un lui avait demandé de quelle manière on pouvait sortir des liens d'une procédure collective, en sa qualité d'ancien juge du tribunal. » Vous avez donc fait état de votre qualité d'ancien juge du tribunal pour lui demander s'il était possible qu'elle ferme les yeux sur les 385 000 francs de créance.

M. Z : Je sais comment clôturer une procédure de liquidation judiciaire. Je ne vois pas comment on peut la clôturer tant que l'actif n'est pas solutionné. La question que je lui ai posée était de savoir si l'on pouvait clôturer cette procédure dans la mesure où il y aurait une négociation avec Moët et Chandon, de manière à éviter que les sociétés ne soient impliquées directement dans la procédure de liquidation.

M. le Rapporteur : Et elle explique : « À partir du moment où le passif serait payé, en ma qualité de représentant des créanciers, il m'a expliqué que je n'aurais plus aucun intérêt pour agir de quelque manière que ce soit. »

M. Z : Je n'ai pas besoin d'expliquer cela à Maître Belhassen. Cependant, il est vrai qu'à partir du moment où l'intégralité du passif est payé, la mission de Maître Belhassen se terminait par une clôture pour extinction du passif.

M. le Rapporteur : Finalement, on se demande à quoi sert votre intervention ! Ils n'avaient pas besoin de vous, ces saoudiens. Il suffisait qu'ils paient et que les avocats s'arrangent sur la créance Moët et Chandon ! À quoi servez-vous si ce n'est à venir demander au représentant des créanciers de cesser de s'intéresser à cette affaire ?

M. Z : Il ne peut pas cesser de s'intéresser à l'affaire. Le but de l'opération était de savoir où en était la procédure. De voir s'il existait une possibilité de négociation avec l'avocate du créancier et de savoir ce qu'il en était.

M. le Rapporteur : Mais Maître Belhassen n'est pas l'avocate du créancier.

M. Z : Mais non, bien sûr ! D'abord, je n'avais pas les coordonnées de cette avocate. Je savais qu'il y avait une créance, mais je n'en connaissais pas la nature. J'ai donc appelé Maître Belhassen qui m'a expliqué qu'il y avait une seule créance, celle de Moët et Chandon, représentée par une avocate qui semblait avoir mauvais caractère. Et je lui ai demandé où en était la procédure. Car on me demandait, d'une part, de savoir où en était cette procédure, et, d'autre part, d'évaluer s'il y avait une négociation possible sur le montant de la créance.

Cela étant, il est vrai qu'à partir du moment où il n'y a pas d'autres solutions que de payer, on n'a pas besoin de moi pour cela. Mais mon intervention avait pour objet de savoir s'il y avait un intérêt à payer immédiatement, car si la procédure d'extension avait eu lieu, les dégâts étaient déjà causés.

J'ai donc posé toutes ces questions à Maître Belhassen qui m'a répondu que, puisque la garantie avait été cédée, il ne lui semblait pas qu'une négociation soit possible et que la solution consistait à payer. Je lui ai donc répondu que s'ils payaient, elle pourrait clôturer pour insuffisance d'actifs.

Je n'ai rien fait d'autre. Je n'ai même pas pris contact avec l'avocate de Moët et Chandon, à partir du moment où il m'avait été répondu qu'aucune négociation n'était possible. Par ailleurs, il s'agissait non pas d'une mission, mais d'un service.

M. le Rapporteur : Vous rendez souvent des services en invitant un mandataire-liquidateur au Ritz ?

M. Z : Il m'arrive, en effet, de rendre des services.

M. le Rapporteur : Je vous remercie.

Audition de M. NICOLAU,

contrôleur de gestion

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 23 juin 1998)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Nicolau est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Nicolau prête serment.

M. le Rapporteur :Les raisons pour lesquelles je vous ai prié de vous présenter devant la commission d'enquête sont les suivantes : Mme Régine Choukroun, actionnaire de la société qui exploitait le Palace a exposé devant la commission d'enquête les conditions pour le moins curieuses dans lesquelles le tribunal de commerce avait décidé de liquider son affaire, alors qu'un repreneur se présentait. Ce dernier avait fait l'objet d'une appréciation favorable de la part de Maître Facques, administrateur judiciaire, du représentant des créanciers, ainsi que de Maître Guignier. Il s'agissait de M. Hucknall, un chanteur anglais fortuné, qui se proposait d'assurer le fonctionnement du Palace. Or le tribunal en a décidé autrement. Nous avons interrogé un certain nombre de protagonistes de cette affaire et aucune des réponses qui ont été données n'a pas satisfait le Rapporteur. Ce dossier est peuplé d'anomalies.

Je souhaiterais avoir votre sentiment sur l'appréciation portée par Maître Facques quant aux possibilités de redressement de cette affaire.

M. NICOLAU : Maître Facques a donné, par écrit, un avis favorable à l'arrêté du plan de continuation décidé par le tribunal de commerce. Les représentants des créanciers ne s'y sont pas opposés. Apparemment, tous les protagonistes - y compris les créanciers - étaient favorables à ce plan de continuation. Lors de la première chambre du conseil, au mois de juillet, le tribunal était visiblement agacé par cette affaire, le plan de continuation comportant, selon eux, des anomalies. Le parquet était particulièrement insatisfait.

M. le Rapporteur : Je ne vous demande pas de refaire la décision du tribunal, cela outrepasserait votre rôle de contrôleur de gestion et de témoin devant la commission. Je souhaitais simplement que vous me confirmiez ces éléments et je vous en remercie.

Le témoignage de Mme Choukroun fait apparaître un certain nombre de corruptions dans ce dossier. Deux témoins ont fait part à Mme Choukroun - avant la décision de liquidation - du fait que le tribunal souhaitait conserver le Palace pour l'un des membres du tribunal - ou un ami.

Régine Choukroun s'est exprimée dans la presse ces derniers jours pour reprendre ces éléments d'information.

M. NICOLAU : Je dois reconnaître qu'au mois de septembre 1996, avant le prononcé de la liquidation judiciaire, Régine m'a appelé pour me dire qu'elle avait appris qu'une liquidation judiciaire allait être prononcée. Je lui ai répondu qu'elle ne devait pas s'inquiéter et que j'étais surpris qu'une personne ait pu lui dire cela - d'ailleurs, une ancienne employée du Palace avait eu la même information. Le tribunal avait renvoyé l'affaire du mois de juillet au mois de septembre, je n'étais pas inquiet.

M. le Rapporteur : Parmi les deux témoins lui ayant fait part, par avance, de la décision du tribunal de commerce, Mme Choukroun nous a donné un nom : M. Paradis, votre ancien patron. Je l'ai convoqué deux fois. Nous avons parlé et il a confirmé qu'il savait que le Palace devait revenir, dans l'actif immobilier qui resterait après la destruction du fonds de commerce, entre les mains d'un membre du tribunal. Cependant, cette déclaration a été faite hors procès-verbal et M. Paradis ne veut pas répéter ses propos sous serment, devant la commission. La seconde fois que nous nous sommes rencontrés, il m'a déclaré : « Adressez-vous à mon ancien collaborateur, c'est lui qui sait ». C'est la raison pour laquelle nous vous avons convoqué.

M. NICOLAU : Je suis surpris. Si je comprends que l'on puisse se poser des questions sur les jugements rendus, je suis très étonné que M. Paradis, avec qui j'entretiens de bons rapports, ait pu parler du Palace en ces termes, car il ne connaissait absolument pas le dossier !

La première fois qu'il m'a posé des questions à ce sujet, c'était bien après la liquidation judiciaire. Ces questions concernaient un cousin de Régine, en Espagne, qui voulait monter une boîte de nuit. Je ne comprends pas. Ce ne sont que des divagations !

M. le Rapporteur : Il n'a jamais prétendu qu'il connaissait le dossier ; il a simplement confirmé ce que Régine est venue nous dire : qu'il lui avait téléphoné pour l'informer que le Palace irait à un membre du tribunal.

M. NICOLAU : Je suis toujours très étonné par les personnes qui veulent se montrer en venant devant une commission parler de choses qu'elles ne connaissent pas !

M. le Rapporteur : Il n'a jamais voulu venir devant la commission. Nous l'avons convoqué !

Je reprends : M. Paradis a téléphoné à Régine quelques jours après la liquidation pour lui dire que son affaire était destinée à un membre du tribunal.

M. NICOLAU : Élucubrations !

M. le Rapporteur : Comment pouvez-vous en être sûr ?

M. NICOLAU : Parce qu'il ne connaissait pas le dossier, il ne pouvait pas savoir quoi que ce soit ! Je le connais personnellement, je sais ce qu'il fait de ses journées et je ne vois pas comment il aurait pu savoir ou dire quoi que ce soit.

M. le Rapporteur : Au cours de notre conversation, M. Paradis a affirmé que vous connaissiez le nom du membre du tribunal.

M. NICOLAU : Passez-moi l'expression, mais je crois rêver ! Je m'attendais à tout sauf à cela ! Je ne crois vraiment pas que cette affaire ait été réservée à un membre quelconque du tribunal.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous alors ?

M. NICOLAU : Je ne pense rien ! Je ne vois pas pourquoi cette affaire devait être destinée à un membre du tribunal ; elle ne valait rien en dehors d'une discothèque. D'ailleurs, j'ai lu qu'elle allait être mise aux enchères pour 4 millions de francs. Alors la réserver à un membre du tribunal, je ne vois vraiment pas à qui.

M. le Rapporteur : Connaissez-vous tous les membres du tribunal ?

M. NICOLAU : Non.

M. le Rapporteur : Connaissez-vous leur motivation ?

M. NICOLAU : Non.

M. le Rapporteur : Alors comment pouvez-vous être sûr que cette affaire n'était pas destinée à un membre du tribunal ?

M. NICOLAU : Je dis simplement que je ne vois pas à qui.

M. le Rapporteur : Vous ne savez pas de quel membre du tribunal il s'agit, mais comment pouvez-vous savoir que les affirmations de M. Paradis sont des élucubrations ?

M. NICOLAU : Parce qu'il ne m'a jamais parlé de cette affaire depuis la liquidation du Palace au mois de décembre. Parce qu'il n'a jamais été dit - à part ces derniers temps dans la presse - que cette affaire était destinée à un membre du tribunal ; je n'en avais jamais entendu parler auparavant. Il y a eu de nombreuses suppositions, mais jamais celle-là.

Compte tenu de ma position, je serai bien ennuyé si je devais témoigner devant le tribunal ; en effet, cela signifierait ma mort professionnelle.

M. le Rapporteur : Vous ne jouez pas votre survie professionnelle en accablant ce pauvre M. Paradis ?

M. NICOLAU : Je suis surtout déçu de savoir qu'il est venu vous parler et que la semaine dernière il est venu me voir pour me demander de tout lui raconter - soi-disant pour m'éviter de venir devant la commission. Je lui ai répondu que je n'avais rien à lui dire que, et que, s'il le fallait, je viendrais devant la commission dire que je ne sais rien au sujet de cette affaire.

M. le Rapporteur : Donc vous ne savez rien !

M. NICOLAU : Tout dépend de ce que vous voulez savoir. Si c'est pour me demander de confirmer qu'un membre du tribunal est impliqué, je ne peux rien vous dire car je n'en ai aucune idée.

M. le Rapporteur : Bien, ce point est réglé. Mais M. Paradis m'a également dit - hors procès-verbal - qu'il s'agissait d'un système qu'il connaissait bien et qu'il était extrêmement dangereux de le remettre en cause.

M. Paradis a une certaine expérience en la matière. Alors vous dites qu'il n'entend rien, qu'il ne sait rien, mais il semble tout de même connaître le fonctionnement du tribunal de commerce de Paris

Vous pouvez nous dire ce qui vous paraît anormal dans cette affaire du Palace.

M. NICOLAU : Je n'ai pas à porter de jugement sur ce qui a pu se passer sur ce dossier. Les mandataires ont bien fait leur travail et les dirigeants ne s'en sont pas plaints. La décision du tribunal ne leur a pas plu, ils ont fait appel et la décision a été confirmée.

M. le Rapporteur : Une autre personne a appelé Régine avant la liquidation pour lui annoncer ce que M. Paradis lui a expliqué après. Or cette personne, selon Régine - ce sera à la justice pénale d'en décider - ne paraît pas mériter les mêmes qualificatifs que ceux que vous employez à l'égard de votre ancien patron.

M. NICOLAU : Je suis ennuyé de les avoir employés, mais je suis très déçu.

M. le Rapporteur : Je vous remercie d'avoir accepté mon invitation.



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