RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME III
Comptes-rendus d'enquête sur le terrain

TRIBUNAL DE COMMERCE DE SAINT-BRIEUC

sommaire des auditions relatives aux déplacements effectués par la commission

_ Audition de MM. Gérard Le Bourhis, Président du tribunal de commerce de Saint-Brieuc, Pierre Danchaud, Vice-président, et Loïc Tepho, greffier (14 avril 1998 à Saint-Brieuc)

_ Audition de M. Gérard LE BOURHIS, Président, Mme Rolande TRISTANI, président de chambre, MM. Charles JEHAN, Guy LE STRAT, Jean-Jacques LeMORDAN, juges consulaires et de M. Saudeau, président honoraire au tribunal de commerce de Saint-Brieuc(14 avril 1998 à Saint-Brieuc)

_ Audition de M. Michel Robert, administrateur judiciaire, de M. Daniel David, Mme Françoise Chataignière et de M. Paul-Marie Tremelot, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises (14 avril 1998 à Saint-Brieuc)

_ Audition de M. PETIJEAN, procureur près le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc (14 avril 1998 à Saint-Brieuc)

_ Audition de M. Yves BOIVIN, ancien procureur près le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc (6 mai 1998 à Paris)

Audition de MM. Gérard LE BOURHIS, Président du tribunal de commerce de Saint-Brieuc, Pierre DANCHAUD, Vice-président et Loïc TEPHO, greffier

(Extrait du procès-verbal de la séance du 14 avril 1998 à Saint-Brieuc)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

MM. Le Bourhis, Danchaud et Tepho sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, MM. Le Bourhis, Danchaud et Tepho prêtent serment.

M. le Rapporteur : Il y a un débat public national sur les tribunaux de commerce et sur les mandataires-liquidateurs dont le rôle dans les procédures collectives est controversé, débat qui ne concerne pas seulement les Côtes-d'Armor. La question de savoir si on doit aujourd'hui remettre en cause la façon dont on prend les décisions pour sauver les entreprises dans notre pays est une question grave. Le Parlement a souhaité s'emparer de cette question en créant une commission d'enquête dans la mesure où le débat paraissait bloqué entre, d'un côté, la Chancellerie qui a annoncé des éléments de réforme et, de l'autre, la Conférence générale des tribunaux de commerce qui, en dehors de donner des éléments d'autosatisfaction, a lancé, au mois d'octobre 1997, un mot d'ordre de démission si l'échevinage des tribunaux de commerce était décidé. Il était donc normal que le Parlement, qui vote la loi et qui réfléchit sur l'état du droit, se déplace sur le terrain.

Nous sommes allés à Auxerre le 17 mars dernier. Ce que nous y avons vu, c'est un tribunal qui fonctionne normalement. Nous y avons vu des juges d'excellente foi qui sont parfois dépassés par un certain nombre de problèmes judiciaires qu'ils ont à résoudre. Ils nous ont, d'ailleurs, indiqué eux-mêmes qu'ils étaient favorables à l'échevinage qui pourrait permettre un enrichissement de leur processus décisionnel sans que ce soit pour autant une privation de leurs pouvoirs.

Notre commission est ici pour analyser les éléments positifs et négatifs. Nous avons souhaité ouvrir ces réunions à la presse car il est important qu'on sache que le Parlement dispose de prérogatives et entend les utiliser sur le terrain dans le respect de la séparation des pouvoirs.

M. Gérard LE BOURHIS : Je m'empresse de dire que c'est en toute sérénité que nous vous accueillons aujourd'hui, ne serait-ce que parce que nous avons été bousculé et assez bafoué, comme vous l'entendrez dire assez souvent pendant cette journée. Il y a deux ans maintenant que j'ai été nommé président. Au moment des voeux prononcés à l'issue de l'audience solennelle, je me souviens qu'un certain avocat (que je pratiquais par le passé parce que j'étais juge depuis dix ans), en venant me serrer la main, m'a souhaité beaucoup de courage. Je pensais que cela s'appliquait à la fonction. Mais je me suis aperçu, en effet, quinze jours après, qu'il me fallait beaucoup de courage car je recevais un très gros dossier relatif à différentes affaires. J'ai pris le temps de le lire, ce qui m'a pris plus d'un week-end. Des extraits en sont repris dans un livre depuis.

Je n'étais plus juge-commissaire comme auparavant. J'avais été élu président par mes pairs depuis quinze jours, et j'étais donc neuf dans cette fonction.

Je me suis empressé de consulter le parquet pour savoir ce qu'il en était de ces dénonciations, afin de prendre, le cas échéant, des sanctions.

Le parquet m'a avisé qu'il n'y avait pas matière à poursuites, qu'il n'y avait rien, et que je pouvais continuer.

Je pouvais à titre de sanction de ne plus nommer les mandataires de justice concernés.

Dans l'attente de la réponse du parquet, je n'ai plus désigné les mandataires et ai confié les affaires à un mandataire de Rennes.

Des réunions ont été organisées ici par l'ex-inspecteur Gaudino. Il y a eu des tracts, des coups de fil anonymes, des demandes de démission, des demandes visant à confier les dossiers à d'autres administrateurs... Tout cela pèse depuis un certain temps sur le climat local

Certains juges commençaient, étant donné leur intégrité, à s'interroger sur la poursuite de leur mandat.

Je dois ajouter que le parquet est quasiment présent en permanence ici et, s'il ne l'est pas, c'est parce qu'il est retenu au tribunal de grande instance. Quand le procureur ne peut pas être là, c'est le procureur délégué qui le remplace. On prévient toujours le parquet et, pour des affaires un peu difficiles, j'ai même dû reporter la date de la chambre du conseil afin qu'il puisse être présent. En tout état de cause, les affaires venant en chambre de conseil et tout ce qui est enrôlé sont évoqués avec lui.

M. le Rapporteur : Je comprends que l'atmosphère soit lourde dans ce tribunal.

M. Gérard LE BOURHIS : Je ne vous cacherai pas qu'elle est assez sereine parce que nous faisons des assemblées régulières et que je tiens mes juges au courant de tout à chaque fois qu'il y a une comparution, et il y a quand même eu des comparutions assez régulières. Nous recevons des lettres de protestation d'une association de défense des justiciables. L'atmosphère reste assez sereine, même si des éléments de tension demeurent.

M. DANCHAUD : Je vous précise que 57 redressements judiciaires ont été ouverts en 1997. Les jugements prononçant la liquidation judiciaire immédiate sont au nombre de 79 et, sur les 57 dossiers qui avaient été ouverts en vertu du titre II de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, 47 ont été convertis en liquidation judiciaire.

Les statistiques de l'année 1996 étaient à peu près semblables.

En pourcentage, 2 % des affaires relèvent du titre premier, 98 % du titre II. 56 % des affaires ont fait l'objet de liquidations immédiates et 78 % des affaires mises en règlement judiciaire sont transformées en liquidations judiciaires. Pourquoi ? Il faut considérer le climat qui règne dans un petit tribunal comme celui-ci et le climat qui règne, dans cette salle où vous êtes, le jour des dépôts de bilan. Nous avons en face de nous une majorité de très petites entreprises, voire des entreprises avec seulement un, deux ou trois salariés. Leur liquidation est toujours dramatique.

Deux sortes de chefs d'entreprise se présentent devant nous : il y a ceux qui sont complètement abattus et ceux qui relèvent encore un peu la tête. Ceux qui sont complètement abattus ont déjà arrêté leur entreprise ; ils ne veulent plus continuer. C'est ce qui explique le pourcentage de mises en liquidation directes.

Pourquoi y a-t-il tant de règlements judiciaires qui sont convertis en liquidations judiciaires ? J'ai des exemples précis. Ainsi s'agissant d'un patron de dix salariés, le tribunal avait décidé une mise en redressement qui a échoué au bout de deux mois. Dans ce cas, le tribunal s'est trompé.

M. Gérard LE BOURHIS : En revanche, le tribunal a réussi à mettre en place un plan de redressement alors que le dirigeant avait lui-même demandé la liquidation.

M. TEPHO : C'était en 1996.

M. Gérard LE BOURHIS : Et le plan tient toujours. Voyez la satisfaction que nous pouvons avoir. Mais les affaires que nous traitons sont très souvent non viables.

M. DANCHAUD : Le travail humain est vraiment très visible dans ces chambres du conseil. On a beaucoup de mal à faire comprendre aux justiciables que le tribunal n'est pas là pour les condamner, mais pour essayer de les faire redémarrer. C'est d'ailleurs le problème général de la prévention.

M. le Rapporteur : C'est un point très important.

M. DANCHAUD : J'avais assisté à une conférence à la chambre de commerce et d'industrie sur les projets de modification de la loi de 1985. À l'époque j'espérais que cette modification de la loi de 1985 serait plus proche des très petites entreprises qui sont nos clients. Nous avons le souci de les maintenir parce que le tissu économique est fragile et que l'objectif d'un juge du commerce doit être de les préserver.

M. le Rapporteur : Vous êtes issu de quelle profession, Monsieur ?

M. DANCHAUD : J'avais un père et un grand-père libraires. J'ai moi-même été libraire et je me suis mis ensuite à vendre du papier. J'étais grossiste en papeterie à Saint-Brieuc.

M. le Rapporteur : Combien y a-t-il de tribunaux de commerce dans le département ?

M. DANCHAUD : Il y a un tribunal de commerce à Saint-Brieuc et deux tribunaux de grande instance à compétence commerciale. Et il y a un petit tribunal de commerce à Paimpol.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, quelle est votre profession ?

M. Gérard LE BOURHIS : J'ai été directeur du Groupe des Banques Populaires pendant vingt-cinq ans, et j'ai ensuite repris une entreprise d'agro-alimentaire que je dirige depuis dix ans, qui fait de la transformation de poisson.

M. le Rapporteur : Vous étiez entrepreneur ou cadre salarié ?

M. Gérard LE BOURHIS : Quand je suis rentré au tribunal, j'étais cadre salarié ; j'étais encore à la banque à cette époque et je suis chef d'entreprise depuis.

M. le Rapporteur : Vous vous êtes mis à votre compte, comme on dit ?

M. Gérard LE BOURHIS : J'étais patron.

M. le Rapporteur : La première question qui me préoccupe, concerne la composition sociologique du tribunal, les conditions de recrutement et l'ancienneté des magistrats.

M. Gérard LE BOURHIS : Il y a quatre critères de recrutement. J'ai repris ceux de mes prédécesseurs et je les ai accentués un peu plus.

Il y a d'abord la prise en compte du secteur d'activité. On cherche à avoir un panel représentatif des professions. Puis, on examine la réussite du chef d'entreprise dans ses affaires et le niveau de sa formation juridique qui n'est cependant pas le critère essentiel.

Le tribunal tient compte des critères géographiques le but étant d'avoir dans la circonscription du tribunal, une couverture réelle du territoire.

Nous recherchons également un équilibre entre les actifs et les retraités sortis récemment des affaires qui sont plus disponibles et sont donc très utiles au tribunal, notamment pour les référés.

Nous avons le souci de la mixité. Nous avons aujourd'hui deux femmes à Saint-Brieuc (on devrait en avoir trois), dont une présidente de chambre qui est pharmacienne.

Enfin, tout le monde n'étant pas juriste, nous nous préoccupons de la formation, tout au moins à Saint-Brieuc, par le biais du centre de Tours.

M. le Rapporteur : Sur les dix-neuf juges du tribunal, combien ont participé à des sessions, depuis que Tours existe ?

M. DANCHAUD : Tours existe depuis maintenant une quinzaine d'années à peu près. Je suis rentré dans ce tribunal en 1974 pour mon premier mandat.

M. le Rapporteur : Vous aussi ?

M. Gérard LE BOURHIS : Je suis entré en 1986.

M. DANCHAUD : Je reconnais très volontiers que la formation était très imparfaite à l'époque, en 1974. On se formait même un peu sur le tas.

J'ai fait un premier mandat qui a duré neuf ans. Après cela, pour des raisons familiales, j'ai cessé mes activités de juge en 1982 ou 1983. Puis j'ai vendu mon entreprise en 1986, et ai été à nouveau élu. J'ai alors constaté qu'il y avait eu une grande évolution dans le domaine la formation, dont le moteur est le centre de Tours.

L'esprit du centre de Tours est fondé sur l'idée que les bénéficiaires de la formation doivent à leur tour faire bénéficier leurs collègues de ce qu'ils y ont appris. J'ai moi-même donné ensuite des cours au niveau régional en refaisant complètement le cours de Tours. À partir de ce travail, mon ami M. Saudeau - le juge honoraire qui s'occupe de la prévention - et moi-même avons fait un peu de formation.

Finalement, tous les gens qui sont ici ont au moins suivi un enseignement régional, pas forcément à Tours.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce que cet enseignement régional ?

M. DANCHAUD : La Conférence générale des tribunaux de commerce organise des sessions de formation dans chaque région. Et en février dernier, Saint-Brieuc a été chargé d'en organiser une. L'instructeur venait d'Angers.

M. le Rapporteur : Mais qui sont les professeurs dans les conférences régionales ?

M. DANCHAUD : Des anciens juges, des professeurs de droit qui viennent nous donner des cours. Il y a eu ici une formation à l'annexe de la faculté de droit de Rennes.

M. le Rapporteur : Une session en conférence régionale dure combien de temps ?

M. DANCHAUD : Elle dure en général une journée...

M. Gérard LE BOURHIS : ... une journée par an ou deux fois par an. Il y a également des formations par thème : une formation pour les nouveaux juges, pour les juges-commissaires...

M. DANCHAUD : Le but de la formation de Saint-Brieuc était la rédaction des jugements.

Il me semble que des gens qui commencent à 8 heures 30 le matin, qui ont fait 150 kilomètres en voiture pour venir travailler un samedi sont motivés. Ils viennent là parce que cela les intéresse vraiment.

M. le Rapporteur : Sur le contentieux général par exemple, qui dirige la chambre compétente ? Est-ce vous, Monsieur le président ?

M. Gérard LE BOURHIS : Il y a quatre présidents de chambres.

M. le Rapporteur : Comment répartissez-vous le contentieux entre les quatre chambres ?

M. Gérard LE BOURHIS : Il n'y a pas de répartition préalable ; les affaires sont réparties suivant l'enrôlement. Mais il y a un code de bonne conduite : si un juge est concerné par une affaire qui se présente et dans laquelle le débiteur appartient à sa profession...

M. le Rapporteur : Un assureur dans une affaire d'assurance, par exemple ?

M. Gérard LE BOURHIS : ... ou tout au moins s'il connaît personnellement une des parties, il en fait part au greffier pour se déporter.

M. le Rapporteur : Combien y a-t-il eu, à votre connaissance, de cas de déportation dans les cinq dernières années ?

M. Gérard LE BOURHIS : Ce n'est pas très fréquent. Il s'agit plutôt d'un report parce que la déportation veut dire que le dossier est traité par un autre tribunal.

M. le Rapporteur : Combien y en a-t-il eu à votre connaissance ?

M. TEPHO : Deux ou trois l'année dernière.

M. le Rapporteur : C'est assez fréquent.

M. Gérard LE BOURHIS : Moi qui suis un ancien banquier - et cela m'est arrivé dès cette époque -, je ne m'occupais pas des dossiers concernant la banque. L'avocat me sollicitait d'ailleurs si jamais je n'avais pas fait attention.

M. DANCHAUD : Vous n'êtes pas sans connaître l'affaire Piéto qui est arrivé dans ce tribunal. C'était une affaire grave et le président de l'époque a eu de graves problèmes sur ce point précis.

M. le Rapporteur : Il a été mis en examen pour... ?

M. DANCHAUD : Il a été incarcéré.

M. le Rapporteur : Pour quelle raison ?

M. DANCHAUD : Très exactement pour cela.

M. le Rapporteur : Pour prise illégale d'intérêt ?

M. DANCHAUD : Absolument.

M. le Rapporteur : Il était intéressé dans la solution de l'affaire ?

M. Gérard LE BOURHIS : Vous connaissez quand même l'issue de cette procédure ?

M. le Rapporteur : C'est un non-lieu ?

M. DANCHAUD : En fait, on s'est aperçu que le motif n'existait pas.

M. le Rapporteur : C'est un complot de la justice. Comment est-il possible qu'une erreur judiciaire de cet ordre se soit produite ? Parce que faire incarcérer un président de tribunal de commerce... !

M. Gérard LE BOURHIS : Parce que les faits qui lui étaient reprochés au départ pouvaient conduire à le faire incarcérer. C'est ce que j'en déduis. À cette époque, tout le tribunal n'a, volontairement, pas voulu savoir ce qui se passait. C'était d'abord un des nôtres. Lorsque le non-lieu a été prononcé j'ai fait reconnaître à tout le monde, en pleine audience du tribunal, qu'il y avait eu un non-lieu et que le tribunal se trouvait un peu réhabilité grâce à ce non-lieu. Ce jugement venait à un moment où d'autres affaires étaient en cause.

M. DANCHAUD : Comme il est bien connu que les chats échaudés craignent l'eau froide, vous comprenez bien qu'après une telle affaire, il règne dans un tribunal une extrême méfiance.

M. Gérard LE BOURHIS : Ce fut mon cas.

M. le Rapporteur : Il y a eu heureusement ce non-lieu.

M. DANCHAUD : En effet, heureusement qu'il y a eu ce non-lieu. On peut, par ailleurs, retirer de toute chose une leçon positive. Celle-ci a été utile.

M. le Rapporteur : Quand votre président a-t-il été blanchi ?

M. DANCHAUD : Cela fait deux ou trois ans.

M. Gérard LE BOURHIS : Cela fait deux ans.

M. le Rapporteur : Je n'ai pas de réponse suffisamment précise et satisfaisante sur l'origine du recrutement. Je poserai la question aux juges consulaires.

M. Gérard LE BOURHIS : Je vous ai quand même expliqué les quatre critères.

M. le Rapporteur : Mais c'est l'application qui est intéressante. Tous les tribunaux ont ce genre de directives. La Conférence générale essaie d'équilibrer le recrutement, ce qui est normal.

M. DANCHAUD : C'est un de ses rôles.

M. le Rapporteur : Ce qui compte pour nous, c'est la façon dont on trouve les candidats. Les choisissez-vous ?

M. Gérard LE BOURHIS : C'est une sorte de cooptation.

M. le Rapporteur : C'est une fausse élection en quelque sorte ?

M. Gérard LE BOURHIS : Ne dites pas cela.

M. le Rapporteur : C'est plutôt un choix ratifié.

M. DANCHAUD : On peut plutôt dire cela.

M. Gérard LE BOURHIS : C'est un choix ratifié. Ceci étant, tout le monde peut poser sa candidature.

Un de mes collègues de Quimper ne trouve plus de juge. Il nous le disait à la réunion des présidents à la cour d'appel, il y en a généralement deux fois par an. C'est également un problème.

Il y a également des candidats qu'il vaut mieux écarter. J'ai en mémoire le cas d'une personne qui cherche à se faire élire, dès qu'il y a une place de libre. Mais nous savons qu'il parle beaucoup, qu'il fréquente les cafés, qu'il a pignon sur rue et que ce serait très néfaste pour la justice d'avoir quelqu'un comme lui en notre sein.

Lorsque des vacances se produisent, je l'annonce à tout le monde afin de susciter des candidats susceptibles de faire de bons juges de par leur intégrité, de par leur métier. Un tri est fait, suivi d'entretiens avec les postulants.

M. DANCHAUD : Ne raisonne-t-on pas comme cela quand on cherche à trouver un élu du peuple ?

M. le Rapporteur : Cela a d'autres effets pervers mais cela ne marche pas ainsi. Ce n'est pas comparable. Et, rassurez-vous, les verdicts du corps électoral sont beaucoup plus cruels.

La magistrature consulaire repose sur le bénévolat. Quelles sont finalement les vraies contreparties de ce dévouement ? Parce que c'est un dévouement prenant. Combien de temps par semaine consacrez-vous, au tribunal, en plus de votre travail ?

M. Gérard LE BOURHIS : Je consacre plus d'une journée à mes fonctions sans parler des week-ends durant lesquels je travaille mes dossiers.

Comment répondre à votre question ? En ce qui me concerne, on m'a sollicité pour être juge. J'ai accepté parce que j'aime la vie publique (cela pourrait être la politique, cela pourrait être autre chose) et que ces fonctions me paraissaient compléter les études de droit que j'avais faites. Je l'ai fait parce que cela me plaisait, mais qu'en retirer autrement ? Je ne suis pas sûr que je puisse en tirer quelque chose, surtout pas depuis deux ans, où les coups de fil anonymes se sont multipliés au point de me faire songer à changer mon numéro de téléphone. Ceci étant, j'observe toujours le même enthousiasme des juges au cours de l'assemblée des juges qui se tient autour de cette table et où l'on commente tous les jugements.

M. le Rapporteur : Vous savez qu'on considère, au CNPF par exemple, qu'il est tout à fait choquant que l'État se désintéresse d'une charge régalienne qui consiste à rendre la justice, à arbitrer les litiges commerciaux et à administrer en outre, parfois, des potions amères à l'occasion des procédures collectives. La question posée est celle de savoir s'il ne faut pas payer les juges ou en tout cas les indemniser. C'est aussi un problème débattu par la commission d'enquête.

M. DANCHAUD : Oui, on pourrait les indemniser. Mais, je revendique personnellement la gratuité de mon travail parce que le service gratuit vous donne une indépendance royale.

M. le Rapporteur : Ou une dépendance totale ?

M. DANCHAUD : Si on est veule et corruptible, oui. D'ailleurs l'expérience montre que la rémunération que l'on tire de sa fonction ne met pas à l'abri de la corruption.

M. le Rapporteur : Savez-vous ce que dit M. Verny qui représente le CNPF et que nous avons auditionné devant la commission ? Il se présentait comme l'usager du service public de la justice consulaire, et il expliquait qu'il acceptait que les juges soient bénévoles, à la condition que ceux-ci acceptent de faire connaître leurs intérêts personnels, les participations détenues dans les sociétés, qu'elles soient d'ailleurs en France ou aux Antilles, leur patrimoine, comment il avait été acquis ainsi que les éléments du patrimoine de leurs épouses, le cas échéant. C'est une proposition faite aujourd'hui par le CNPF qui craint que l'exercice de la justice consulaire ne se double d'un certain nombre de contreparties souvent différées dans le temps. Un soupçon généralisé existe donc aujourd'hui, y compris sur des gens honnêtes.

M. DANCHAUD : Vous devriez poser la question à ma femme, ce serait intéressant. Elle vous dirait que c'est le contraire : déplacements pour les audiences, frais de téléphone.

M. Gérard LE BOURHIS : Je voudrais vous répondre en vous posant une question : ces soupçons touchent-ils principalement les juges ou les mandataires de justice ?

M. le Rapporteur : Les deux. Nous aborderons ce sujet difficile.

J'ai quelques chiffres à livrer à votre réflexion. La Chancellerie a engagé des poursuites disciplinaires contre 63 de vos collègues en six ans. 63 sur 3 600. C'est considérable !

M. Gérard LE BOURHIS : Oui, mais je me permets de rappeler que le dossier Piéto est compris dans ces 63 ; or il a abouti à un non-lieu et ne devrait pas être comptabilisé.

M. le Rapporteur : Je voudrais quand même vous dire, pour que ce soit dans le procès-verbal, que l'ancien procureur qui a suivi l'affaire a indiqué que le non-lieu en faveur de M. Piéto était lié à une erreur de procédure. Il n'a pas pour fondement la reconnaissance de l'innocence de M. Piéto sur le fond, même si celui-ci a droit à l'innocence en raison des erreurs commises par la justice pénale. Il n'empêche que c'est un point qui conduit à nuancer les appréciations que vous portez.

M. DANCHAUD : M. Piéto regrette d'ailleurs de n'avoir pas eu de vrai procès dans la mesure où il n'a pas pu se défendre. On est resté sur le terrain de la procédure.

M. Gérard LE BOURHIS : Pour pouvoir en parler, il faudrait connaître chaque affaire au fond. Mais s'agissant du nombre, 63 sur 3 600, est-ce un chiffre qui vous paraît important ?

M. le Rapporteur : Je vais vous donner un élément de comparaison : il y a 6 000 magistrats professionnels et il y a eu 7 procédures disciplinaires, soit moins d'une dizaine. Le chiffre est ici 63 pour la moitié de juges. Ces proportions commencent donc à poser un certain nombre de problèmes. Je ne fais pas ici allusion aux procédures répressives, je ne fais allusion qu'aux procédures disciplinaires engagées au nom de la Chancellerie.

Vous savez que ces poursuites cessent, dès lors que le magistrat concerné démissionne, ce qui provoque d'ailleurs un dégonflement des statistiques.

L'intérêt générale commande que la représentation nationale pose toutes ces questions, même si elles fâchent. C'est pourquoi je vous demande, Monsieur Danchaud ou Monsieur Le Bourhis, si vous verriez un inconvénient à la déclaration d'intérêts ou de patrimoine ?

M. Gérard LE BOURHIS : Non. Vous pourrez interroger les autres juges, mais je peux déjà vous répondre pour les 19 juges qui ne sont pas présents. Je ne suis pas sûr qu'on ne se trompe pas de débat. Je parle ici en tant que représentant du tribunal de Saint-Brieuc. J'ai même parfois un peu de mal à « tenir » certains juges avec tout ce qui s'est passé depuis deux ans. Mais trop, c'est trop, parfois !

M. DANCHAUD : Vous parliez du problème du recrutement tout à l'heure. Je voulais vous dire que le recrutement constitue l'un des problèmes de nos tribunaux, pour différentes raisons qui pourraient être analysées. Et si les campagnes d'injures et de diffamation comme celles que nous subissons depuis quelque temps devaient durer, il n'y aura même plus à se poser de questions sur l'existence des tribunaux de commerce car qui acceptera de se faire traîner dans la boue, de compromettre l'image de son entreprise et, en plus, de perdre son honneur ? Personne.

M. le Rapporteur : On pourrait profiter de cet incident pour que vous nous expliquiez ce que vous considérez comme des campagnes d'injures et de diffamation. De la part de qui et pour quelles raisons sont-elles nées ? Qu'en est-il aujourd'hui, quelle est leur portée ? Avez-vous réagi en saisissant les tribunaux ? Car on saisit les tribunaux quand on est injurié et diffamé.

M. Gérard LE BOURHIS : On a prêté serment et on ne peut malheureusement rien répondre. Quand il y a eu dans la presse de graves insinuations, je me suis adressé au parquet car cela m'avait touché à un moment donné.

M. le Rapporteur : Avez-vous fait passer des droits de réponse dans la presse ?

M. Gérard LE BOURHIS : Non. Mais que voulez-vous que nous fassions sur des dossiers précis ? Nous avons prêté serment. Je ne suis même pas sûr que M. Boivin, ancien procureur à Saint-Brieuc, puisse divulguer des informations comme celles que vous avez évoquées.

M. le Rapporteur : Un non-lieu est public. M. Boivin est avocat général aujourd'hui. Allez le voir.

M. Gérard LE BOURHIS : Ce n'était pas lui qui l'avait dit à l'époque, mais je l'avais déjà entendu dire. Nous ne pouvons rien faire ici aujourd'hui, pour notre malheur.

M. le Rapporteur : Vous avez la possibilité de faire valoir votre point de vue dans la presse. C'est d'ailleurs arrivé au tribunal d'Auxerre, où le président Brochot a fait passer une page de droit de réponse à la suite d'accusations de la part d'un débiteur dans une affaire assez curieuse ; je dois vous dire que le président Brochot a su se défendre, y compris devant la commission d'enquête. Profitez-en, Monsieur le président, vous pouvez ici vous défendre. Ce sera sur le procès-verbal. Allez-y, dites-nous tout.

M. Gérard LE BOURHIS : Je vous ai dit ce matin que j'étais très heureux de vous voir venir pour pouvoir aborder certaines choses, mais, en relation avec le parquet, on m'a conseillé à cette époque de ne rien faire sur ces dossiers, parce que nous avions prêté serment et que nous ne pouvions rien dire.

M. DANCHAUD : Même s'il y a 60 magistrats consulaires sur 3 600 qui ont mal agi - ce qui me scandalise énormément... Il reste quand même 3.540 juges qui font un travail dans l'honneur et qui apprécieraient de ne pas être traités de mafieux.

M. le Rapporteur : Je vous interromps, je voudrais que Monsieur le président continue à s'expliquer parce que j'aimerais qu'il me dise de quelles attaques injustes il parle.

M. Gérard LE BOURHIS : C'est clair, prenez le livre de M. Gaudino. Je vous ai dit ce matin que, quinze jours après ma nomination, j'ai reçu un énorme rapport qui évoque diverses affaires reprises dans le livre.

Ce livre est un instrument politique, je n'ai pas peur le dire. Il faut savoir que M. Gaudino est venu faire une conférence un soir, assisté de Marine Le Pen. Il vendait d'ailleurs son livre et le rapport complet qui était beaucoup plus cher. Ce livre est un moyen de faire de l'argent et c'est un instrument de règlement de compte.

Le point de départ du livre, ce sont les attaques portées par Maître Monnet, au travers de quelques affaires, tantôt contre Maître David, tantôt contre Maître Robert, ce qui ne fait qu'éclabousser le tribunal de Saint-Brieuc. J'étais tellement marqué personnellement que j'aurais pu signer une ordonnance, sans faire attention, qui m'aurait impliqué dans quelque chose, pas en tant que juge-commissaire mais en tant qu'élu président par mes pairs depuis quinze jours. J'ai rapidement demandé au parquet si les faits justifiaient que je prenne des sanctions en ne nommant plus ces mandataires. L'affaire a été également portée devant la cour d'appel, auprès du Premier président et du procureur général.

M. le Rapporteur : Vous êtes allé voir M. Boivin, votre procureur...

M. Gérard LE BOURHIS : ... et M. Baudou, à l'époque, qui était chargé des affaires commerciales et qui a été remplacé par Mme Brigitte André aujourd'hui. Ils m'ont donné l'assurance que je pouvais nommer à nouveau les mandataires mis en cause.

M. le Rapporteur : C'était en quelle année ?

M. Gérard LE BOURHIS : Je suis élu depuis 1996.

M. le Rapporteur : Quel mois de 1996 ?

M. Gérard LE BOURHIS : On a reçu le rapport en février 1996.

Vous devez avoir copie du courrier du Conseil national des justiciables à Monsieur le député Arnaud Montebourg. On l'a reçu ce matin. C'est une littérature sur l'enrichissement personnel des juges du tribunal de commerce et sur une affaire Piéto.

M. DANCHAUD : C'est un exemple type d'action du Conseil national des justiciables.

M. Gérard LE BOURHIS : Cela vous est adressé, Monsieur le député. Je dois ajouter que le président du Conseil national des justiciables, des « antimafieux », est une personnalité locale qui a eu des déboires avec l'ancien président du tribunal de commerce. L'inspecteur Gaudino a centré son ouvrage sur Saint-Brieuc. Deux pages de son livre sont consacrées à Nanterre alors que 25 % à 30 % du livre est consacré à Saint-Brieuc, Guingamp et Dinan. Les juges professionnels du tribunal d'instance de Dinan sont également visés. Il faut ajouter l'affaire Guérin ; 80 % des ordonnances rendues dans cette affaire ont fait l'objet d'appel. Hormis deux, tous les jugements ont été rendus par la cour d'appel. C'est pourquoi la Cour a continué à affirmer que ce livre était un tissu de mensonges.

M. le Rapporteur : Vous considérez donc que les critiques adressées à Maître David et à Maître Robert, mandataires-liquidateurs, sont injustifiées. Vous nous aviez dit ce matin que vous aviez décidé d'interrompre leur nomination pendant un temps ?

M. Gérard LE BOURHIS : Je suis juge du commerce. Je ne suis pas capable de dire si Maître David ou Maître Robert ont commis des infractions ou n'ont pas été honnêtes. Je suis allé le demander au parquet et en attendant justement d'avoir la réponse, j'ai arrêté de les nommer. J'ai fait venir Maître Berthelot de Rennes dans deux ou trois grosses affaires. J'ai d'abord cessé de nommer Maître David. Après coup, j'ai même également cessé de nommer les deux autres mandataires de justice qui sont briochins, qui ne sont pas mentionnés par M. Gaudino, mais, je venais d'apprendre, notamment par son président, que ces mandataires appartenaient plus ou moins à la mouvance du Conseil national des justiciables. Et j'ai décidé de ne plus les nommer avant d'en savoir plus.

M. le Rapporteur : Vous appelez « mouvance » le Front National ?

M. Gérard LE BOURHIS : Non, excusez-moi... le Front National, c'est facile...

M. DANCHAUD : Cela s'appelle la « Lutte contre les délits mafieux ». On peut quand même supposer que ce n'est pas un hasard que Marine Le Pen soit l'avocate de cette association. Quand le Stade Briochin a déposé le bilan à Saint-Brieuc en raison de mauvaises affaires et d'un passif de 10 millions de francs, le président n'a pu que constater la situation et prononcer la liquidation judiciaire. Mais l'organisation de « lutte contre les délits mafieux » a envoyé un communiqué de presse faisant état d'une « opposition au jugement de liquidation judiciaire de la société Stade briochin formé ce jour par l'Association de lutte contre les délits mafieux au greffe du tribunal de Saint-Brieuc, ainsi que de la demande d'ouverture d'une information judiciaire contre Monsieur le président du tribunal de commerce de Saint-Brieuc pour suspicion légitime... » Mon ami Gérard Le Bourhis est supporter du club de Guingamp. De là à dire qu'il voulait assassiner Saint-Brieuc pour favoriser Guingamp... il n'y avait qu'un pas qui a été vite franchi.

L'affaire est donc revenue ici. J'ai assuré la présidence de l'audience parce qu'il était bien évident que M. Le Bourhis ne pouvait pas le faire. J'ai rendu un jugement et à la suite de cela, ces innocents font appel. Relisez l'arrêt, c'est édifiant.

M. le Rapporteur : Je connais la décision par avance, la demande est irrecevable.

M. DANCHAUD : Non seulement elle est irrecevable, mais l'intervention est qualifiée de folklorique. Je ne fais pas d'acharnement contre l'Association de lutte contre les délits mafieux mais je remarque qu'une telle association fait à longueur de temps n'importe quoi et qu'elle traite les gens de mafieux. Ce n'est quand même pas rien pour un magistrat d'être traité de mafieux ! C'est quand même gênant, vous en conviendrez. Je dirais même que c'est gênant pour toute l'organisation judiciaire de laisser penser qu'il y a, dans son sein, des gens mafieux ! Penser qu'une République donne à des « mafieux » le pouvoir de rendre la justice ! C'est ce qui m'indigne. Pense-t-on à la détresse d'un petit patron à qui on laisse entendre que son sort va être réglé par des juges corrompus.

M. le Rapporteur : On peut clore ce chapitre. Mais vous êtes là pour exprimer vos pensées, y compris votre amertume.

M. Gérard LE BOURHIS : Il y a donc dans cette région une cellule qui est un outil politique et un outil de vengeance plus pertinent qu'ailleurs.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous interroger sur le contentieux général. Quels sont vos délais moyens de délibéré ?

M. TEPHO : 80 % des décisions sont rendues dans le délai d'un mois et les délibérés au-delà de quatre mois sont rarissimes.

M. Gérard LE BOURHIS : C'est rarissime.

M. le Rapporteur : Le délibéré a lieu à l'issue de l'audience ?

M. TEPHO : Oui, en général. Le président annonce un délibéré de un à deux mois. La date est fixée précisément en matière d'exception de compétence.

M. Gérard LE BOURHIS : Je confirme ce que dit le greffier.

M. DANCHAUD : S'agissant des référés dont je m'occupe plus particulièrement, le délai est de 8 à 15 jours.

M. le Rapporteur : Et sur le siège quand c'est très simple ?

M. DANCHAUD : Ou sur le siège la plupart du temps.

M. Gérard LE BOURHIS : Les avocats utilisent de plus en plus le référé. On est obligé de se fâcher de temps en temps.

M. le Rapporteur : C'est normal, c'est la règle du jeu.

Utilisez-vous la procédure à jour fixe ? Les plaideurs vous demandent-ils des autorisations d'assigner à bref délai ?

M. DANCHAUD : C'est rarissime. Un cargo estonien ne voulait pas payer sa charge au port du Légué ; il a été assigné comme cela, un samedi matin. Mais c'est rarissime.

M. le Rapporteur : Quel est le taux d'appel sur les décisions, hors injonctions de payer ?

M. Gérard LE BOURHIS : Monsieur le greffier, quel est le taux d'appel ?

M. le Rapporteur : J'aimerais avoir ces statistiques.

M. TEPHO : Je serai obligé de faire un pointage. Je dois vous dire que je ne les détiens pas.

M. Gérard LE BOURHIS : Je peux simplement vous répondre que Saint-Brieuc est assez bien placé dans la réformation des décisions qui font l'objet d'un appel, au sein de la onzième région. Les motifs de reformation sont plutôt de forme que de fond.

M. le Rapporteur : Les arrêts vous sont évidemment renvoyés ?

M. Gérard LE BOURHIS : Tout à fait, et nous organisons des réunions pour les commenter.

M. le Rapporteur : Considérez-vous que la cour d'appel vous a délivré une sorte de quitus concernant la motivation des décisions ? Les problèmes posés par les décisions de première instance des tribunaux de commerce portent généralement sur l'insuffisance des motivations, ce qui provoque d'ailleurs un taux d'appel, même injustifié, parce que la décision peut être bonne mais elle n'a pas été comprise des justiciables. Qu'en pensez-vous, Monsieur le président ?

M. Gérard LE BOURHIS : Ce que vous dites est tout à fait vrai et la cour d'appel, notamment son président, M. Bothorel, fait actuellement l'effort d'organiser des réunions destinées à nous rappeler toutes ces questions de procédure et de forme.

M. le Rapporteur : Comment faites-vous quand vous avez un problème de droit un peu complexe ?

M. DANCHAUD : Il faut se rappeler que le procureur siège toujours et remet les choses au point quand il y a une difficulté.

M. Gérard LE BOURHIS : Le procureur prend généralement l'initiative lorsqu'il la juge nécessaire. Cependant, il m'est arrivé d'avoir des codes près de moi mais de ne pas avoir le temps de les regarder et de mettre en délibéré sur le siège sans prendre le recul nécessaire, alors qu'il suffit de trois à huit jours pour pouvoir prendre une décision à tête reposée et ne pas se tromper.

M. le Rapporteur : Cherchez-vous de la jurisprudence ? Qui fait ce travail de documentation dans le tribunal ?

M. DANCHAUD : Le greffe, par nature, peut fournir ce genre d'indications. De plus, vous savez bien que l'avocat qui fait bien son travail, que ce soit celui du demandeur ou celui du défendeur, fournit une abondante jurisprudence.

M. le Rapporteur : Le problème est de faire le tri entre la bonne et la mauvaise.

M. Gérard LE BOURHIS : Il y a ensuite à interpréter les jurisprudences qui nous sont données. Je ne vous cache pas qu'il m'est arrivé d'avoir pris des décisions et de les rectifier deux jours après.

M. le Rapporteur : Ce sont des choses qui arrivent à un magistrat.

M. Gérard LE BOURHIS : Tout à fait.

M. DANCHAUD : Il serait extrêmement intéressant - et je pense que ce serait bien plus efficace que l'échevinage, bien que je n'y sois pas hostile - que des séances de formation soient faites par et avec les professionnels, ce qui permettrait des échanges fructueux entre juges professionnels et magistrats consulaires.

M. Gérard LE BOURHIS : J'ajouterai que plusieurs procureurs m'ont indiqué qu'ils nous considéraient comme de vrais professionnels du commerce et qu'ils avaient besoin de nous.

Vous avez parlé d'échevinage... je ne suis pas pour l'échevinage personnellement, mais c'est peut-être parce que j'ai tendance à dire que le tribunal de Saint-Brieuc fonctionne bien, dès lors que le parquet est omniprésent. La solution selon moi consisterait plutôt à renforcer la présence du parquet dans les tribunaux, pour que ses représentants non seulement viennent aux audiences mais puissent aussi en assurer le suivi, parce qu'on sent parfois que certains dossiers cachent quelque chose. On me dit que le SRPJ n'a pas le temps de suivre. C'est grave parce que souvent certains chefs d'entreprises reviennent devant le tribunal en ayant occasionné de nouveaux passifs et en ayant créé des emplois qu'il faut à nouveau supprimer alors qu'il vaudrait mieux éliminer définitivement ce type de dirigeant.

M. DANCHAUD : Il y a une belle fidélité dans la clientèle des tribunaux de commerce !

M. le Rapporteur : C'est ce qu'on a constaté ce matin.

M. DANCHAUD : On a des clients qui sont extrêmement fidèles, ce qui prouve qu'on ne les traite pas si mal en fin de compte ! Ils ne reviennent jamais avec la même casquette et on ne les reconnaît pas tout de suite du premier coup. Un fichier central des entreprises et de leurs dirigeants serait extrêmement utile.

M. Gérard LE BOURHIS : Quand on le peut, on essaie d'appliquer des sanctions telles que l'interdiction de gérer ou l'action en comblement de passif, mais ce n'est pas très fréquent.

M. le Rapporteur : Les jugez-vous d'office ?

M. Gérard LE BOURHIS : Il est difficile de le faire d'office.

M. DANCHAUD : C'est à travers le travail du juge-commissaire et les rapports des mandataires que les sanctions peuvent apparaître nécessaires. C'est d'ailleurs souvent difficile à suivre et on n'a pas forcément raison.

L'article premier de la loi de 1985 est plein d'enseignements et de contradictions puisqu'il nous demande à la fois de préserver l'entreprise, de préserver l'activité, de préserver les emplois, et de donner de l'argent aux créanciers. Ce n'est pas toujours facile et c'est assez contradictoire.

M. Gérard LE BOURHIS : Je ne sais pas si vous avez regardé le dossier du Flèche d'Armor. L'affaire est passée le 5 janvier, le jour de l'audience solennelle. On a fait une audience spéciale parce que nous savions que le précédent entrepreneur avait déjà créé un passif important. Il avait monté cette entreprise depuis seulement un an et demi. Le parquet avait requis la mise en liquidation à l'issue de l'audience. Mais nous ne l'avons pas fait parce qu'il y avait quelques dizaines d'emplois à la clé. Le représentant des salariés était assez véhément. Il nous manquait aussi des éléments comptables. Et je n'ai pas voulu mettre en liquidation. Cela a été fait depuis. Le parquet pourrait nous dire qu'il avait eu raison mais, sur le moment, nous avons d'abord voulu préserver les emplois et voir s'il y avait quelque chose à sauver.

M. le Rapporteur : Vous avez raison de signaler que vous avez à arbitrer entre des exigences contradictoires, mais la justice est la conscience prisonnière d'un étau ; elle peut parfois finir broyée parce que les juges ont à trancher beaucoup de problèmes qui sont souvent insolubles. C'est pour cela qu'on exige beaucoup des juges, y compris dans l'ordre des apparences, si vous voyez ce que je veux dire...

M. DANCHAUD : Si nous sauvons des emplois, nous sommes confrontés aux créanciers. Ils ont d'ailleurs raison, eux aussi, parce qu'on compromet leurs propres emplois. Et, si c'est le contraire, c'est le scandale. C'est ce que dénonce M. Gaudino ; il est en train d'expliquer que les tribunaux de commerce sont à l'origine de millions de chômeurs ! Ce sont des raisonnements simples ou plutôt simplistes !

M. le Rapporteur : Pour passer à un tout autre sujet, je voudrais parler du financement de votre tribunal. Comment fonctionnent ces locaux ? Qui en sont les propriétaires ? La chambre de commerce concourt-elle au financement ? Le greffe lui-même ou le conseil général, comme cela arrive souvent, participent-ils, d'une manière indirecte, au financement de votre secrétariat ?

M. Gérard LE BOURHIS : Nous étions auparavant au tribunal de grande instance et nous sommes aujourd'hui dans cet immeuble, qui appartenait à la chambre de commerce et qui abrite à la fois le tribunal de commerce et le conseil des prud'hommes.

M. le Rapporteur : A qui payez-vous le loyer ?

M. TEPHO : Le bâtiment appartient à l'État, au ministère de la justice. C'est le greffier en chef du conseil des prud'hommes qui gère les intérêts communs, l'entretien général, et une cellule de gestion départementale budgétaire délègue les crédits nécessaires. J'assure le secrétariat du tribunal de commerce comme celui du président.

M. Gérard LE BOURHIS : Nous n'avons pas de secrétaire.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous maintenant nous dire, Maître, comment fonctionne le secrétariat du président ? Payez-vous un salaire, deux salaires ?

M. TEPHO : Non, je mets du personnel à la disposition du président en fonction de sa demande et de ses besoins.

M. le Rapporteur : C'est donc vous qui payez, ce ne sont pas les contribuables ?

M. TEPHO : Oui, que ce soit le secrétariat administratif ou budgétaire, et bien d'autres choses comme le téléphone, le travail administratif lié à la prévention.

M. le Rapporteur : Qui paie le chauffage ?

M. TEPHO : Je paie une quote-part du chauffage. Il y a deux factures EDF dans le bâtiment, une pour le conseil des prud'hommes pour les deuxième et troisième niveaux, et une pour le tribunal de commerce, pour le premier étage et le rez-de-chaussée. Il n'y a pas de comptage distinct entre le greffe et le tribunal. Je paie une quote-part des consommations en accord avec le président et la cellule budgétaire du TGI.

Concernant le loyer du greffe, je ne paie pas de redevance de loyer pour les bâtiments qui sont ici. Par contre, je paie une location extérieure pour la conservation des archives anciennes.

M. le Rapporteur : Etes-vous seul propriétaire de la charge ?

M. TEPHO : Je suis seul propriétaire de la charge.

M. le Rapporteur : Vous payez un loyer ?

M. TEPHO : Je paie le loyer des archives.

M. le Rapporteur : Mais pas des locaux du tribunal ?

M. TEPHO : Les locaux sont mis à ma disposition comme ils le sont dans la plupart des tribunaux de commerce.

M. le Rapporteur : Combien avez-vous de salariés ?

M. TEPHO : Huit salariés.

M. le Rapporteur : Y compris la secrétaire du président ?

M. TEPHO : Oui. Je remplis les tâches que le président me confie.

M. le Rapporteur : La Chancellerie donne les locaux, les charges sont payées par le ministère de la justice en liaison avec le conseil des prud'hommes et par le greffier...

M. TEPHO : Le budget annuel alloué par la Chancellerie pour le tribunal de commerce pour sa documentation, les frais de téléphone qui sont à part, et essentiellement l'affranchissement du courrier du président, se monte à un peu plus de 29 000 francs pour 1998.

M. le Rapporteur : Vous savez qu'un fonds de concours a été organisé par la Chancellerie à la suite de la découverte, dans certains tribunaux, d'une contribution, d'ailleurs fort curieuse, de certains auxiliaires de justice au fonctionnement du tribunal, créant ainsi un lien de dépendance. Il n'y a rien de tout cela chez vous ?

M. Gérard LE BOURHIS : Absolument pas.

M. le Rapporteur : Ce sont les tribunaux de la Côte-d'Azur qui sont essentiellement concernés. Une insertion a été faite à ce sujet dans le rapport public de la Cour des comptes. Il y a même des avocats qui versent des contributions, étant ainsi assurés de la confiance et de l'oreille du tribunal...

M. Gérard LE BOURHIS : J'ai entendu dire aussi qu'il y avait des appartements de fonction.

M. le Rapporteur : Votre conseil général participe-t-il d'une manière ou d'une autre, directement ou indirectement, au financement du tribunal?

M. Gérard LE BOURHIS : Non. M. Danchaud peut vous parler de l'association que nous avons, à laquelle participe la chambre de commerce.

M. DANCHAUD : Nous avons eu une association. Il faut savoir qu'une secrétaire financée par la chambre de commerce avait été affectée au président, à une époque. Un jour, en 1994, la Chancellerie nous a expliqué que cela ne se faisait pas, et nous avons donc licencié la personne qui occupait ce poste. C'est M. Tepho, greffier, qui met du personnel à disposition. On ne peut que déplorer l'absence de secrétariat propre au président du tribunal.

M. Gérard LE BOURHIS : Cela se passe très bien à Saint-Brieuc.

M. DANCHAUD : Les relations avec le greffe fonctionnent bien. Je vous disais tout à l'heure que l'association recevait à l'époque le salaire de la secrétaire. J'ai d'ailleurs écrit à la Chancellerie pour lui demander comment faire pour la licencier puisque je n'avais pas d'argent pour payer le licenciement. Je n'ai pas eu de réponse, bien sûr. L'association existe toujours aujourd'hui, et reçoit de « mirifiques » subventions de la chambre de commerce (60 000 francs chaque année) que nous consacrons à des activités de formation, d'assemblée générale...

M. le Rapporteur :... un peu de Champagne, des petits fours...

M. DANCHAUD : Oui, de ces liens qui sont nécessaires à la convivialité.

M. Gérard LE BOURHIS : Le soir de la rentrée solennelle par exemple, nous invitons le président du TGI et les représentants du parquet.

M. DANCHAUD : Voilà à quoi servent ces fonds. Le détail de l'utilisation de cette somme est d'ailleurs à votre disposition.

M. Gérard LE BOURHIS : Une comptabilité est faite par un comptable extérieur.

M. DANCHAUD : La gestion de ces fonds ne pose pas de problèmes très compliqués vu leur montant.

M. le Rapporteur : Pour revenir à la chambre de commerce, quels sont vos rapports avec elle, notamment pour le recrutement ? Beaucoup d'entre vous, magistrats au tribunal, sont-ils issus de la chambre de commerce ?

M. Gérard LE BOURHIS : Non.

M. le Rapporteur : Aucun ?

M. DANCHAUD : Je réponds prudemment. Il y en a peut-être eu... Si cela a été le cas, c'est par hasard.

M. Gérard LE BOURHIS : Je ne sais pas. Le recrutement ne se fait pas avec la chambre de commerce. Il se fait plus entre nous, par cooptation.

M. le Rapporteur : Je voudrais donc terminer ce chapitre pour aborder la question des procédures collectives à travers un certain nombre de dossiers que nous avons eu l'occasion d'étudier ce matin. Je voudrais d'abord que vous nous expliquiez comment vous concevez les relations avec l'administrateur judiciaire qui est presque toujours le même d'après les dossiers récents ou anciens que j'ai pu voir, car il n'y en a certainement qu'un dans le ressort.

M. DANCHAUD : Non, il y en a plusieurs.

M. le Rapporteur : Pour quelle raison est-ce toujours le même ?

M. DANCHAUD : Vous avez remarqué qu'il y a eu trois procédures relevant du titre premier en une année dans les statistiques que je vous ai données ce matin. Quand il y a trois affaires dans une année, est-il bien commode de travailler avec trois administrateurs différents ? On pourrait le faire, pourquoi pas.

M. le Rapporteur : Mais cela fait des années que vous travaillez avec le même. Pour quelles raisons ? Vous avez certainement d'excellentes raisons mais la commission s'interroge sur les raisons pour lesquelles il y a un déséquilibre tout à fait étonnant dans la distribution des mandats de justice en faveur de certains administrateurs judiciaires au détriment d'autres qui ne travaillent pas. Nous aimerions savoir pourquoi Maître Robert est constamment désigné depuis plusieurs années. Quelle est la position du juge-commissaire que vous êtes ?

M. DANCHAUD : Je me permets de vous faire remarquer que ce n'est pas le juge-commissaire qui désigne. Il est désigné en même temps que le mandataire.

M. le Rapporteur : Mais vous travaillez avec lui.

M. DANCHAUD : C'est parce qu'il s'agit de quelqu'un qui fait bien son travail. Faut-il systématiquement changer d'administrateur, alors que le travail de Maître Robert, puisque c'est de lui qu'il s'agit et que c'est à lui qu'on est habitué, semble satisfaisant, lui-même rendant les services qu'on peut attendre d'un administrateur ? Je ne sais pas. Si votre médecin travaille bien, vous n'allez pas en changer à chaque nouvelle maladie sous prétexte qu'il faut essayer tous les médecins de la place. Même chose pour un avocat. Je pense que cela relève du même ordre d'idée.

M. le Rapporteur : Je le comprends et c'est d'ailleurs la position qui nous est invariablement exprimée par vos collègues.

M. Gérard LE BOURHIS : Comme je vous l'ai dit tout à l'heure pour la cooptation des juges, je me suis également trouvé confronté ici à des difficultés concernant la nomination d'un administrateur. Mais j'avais peu de choix parce qu'il n'y en a pas beaucoup. D'après les renseignements que j'ai pu obtenir sur deux administrateurs, j'ai préféré nommer Maître Robert car nous savions comment il travaillait.

M. le Rapporteur : Maître Robert a donc la confiance du tribunal et c'est, de surcroît, quelqu'un de compétent.

M. Gérard LE BOURHIS : Qui plus est, Monsieur le député, je vous ai dit tout à l'heure que j'avais soumis les dossiers à la fois au parquet et au parquet général, qui m'avaient donné tous apaisements dans ce domaine.

M. le Rapporteur : Comment fonctionne concrètement la collaboration entre l'administrateur judiciaire qui est toujours le même depuis dix ans et le tribunal ? Qui décide en quelque sorte ? Est-ce finalement une discussion ? Expliquez-nous comment cela fonctionne concrètement.

M. DANCHAUD : Vous savez que le juge-commissaire travaille sur requête. Le représentant des créanciers ou l'administrateur soumet une requête au juge-commissaire pour qu'il tranche tel ou tel problème. Un certain nombre de requêtes ne posent pas de problèmes et peuvent être prises très rapidement. Si l'ordonnance soulève des difficultés, le juge-commissaire convoque les parties et demande au débiteur de se présenter pour en discuter. Il y a débat.

M. le Rapporteur : Dans la discussion avec le tribunal dans sa formation collégiale, comment les choses fonctionnent-elles concrètement au moment décisif de la procédure collective, notamment dans l'analyse des offres ?

M. Gérard LE BOURHIS : Pour la nomination ?

M. le Rapporteur : Non, je parle de l'analyse des offres de reprise lorsqu'il est question de poursuivre l'activité. C'est un élément important. Plutôt que de convertir en liquidation judiciaire, vous décidez d'accepter une offre, comment faites-vous pour apprécier la qualité d'une offre ? C'est un exercice extrêmement difficile qui vous est confié, messieurs. Et le rôle des administrateurs judiciaires à ce moment-là est essentiel.

Je voudrais que vous nous expliquiez comment cela fonctionne de ce point de vue, quelle est votre pratique à Saint-Brieuc.

M. DANCHAUD : Cela se passe très exactement dans cette salle. Le jour où les offres sont présentées, l'administrateur, s'il en existe un, va plaider pour telle ou telle offre ; le représentant du créancier va plaider lui aussi pour telle ou telle offre et le parquet va donner son avis ainsi que le juge-commissaire bien sûr, et le tribunal tranchera et prendra une décision en fonction de tous ces points de vue.

M. le Rapporteur : C'est la théorie, c'est même la loi d'ailleurs. J'ai besoin de connaître la pratique. J'ai besoin que vous me disiez d'abord si vous avez des conversations avec le parquet, si vous avez des conversations entre vous, ou si les choses se décident exclusivement là : avant, on n'en parle pas, après on n'en parle plus.

M. DANCHAUD : Il y a une conversation avec le parquet, c'est exact.

Ainsi, dans le dossier Guérin, j'avais reçu une offre d'une entreprise située quelque part en Vendée et en consultant le parquet, j'ai su que le dirigeant était déjà interdit de chèque et avait un casier judiciaire chargé. La candidature était largement suspecte.

M. Gérard LE BOURHIS : Je ne connais pas une affaire, tout au moins dans le cadre du titre premier de la loi, dans laquelle le parquet se soit présenté en découvrant les repreneurs ; cela n'existe pas. Les repreneurs sont bien souvent là aussi. On les fait entrer un par un pour qu'ils s'expliquent, ce qui permet de compléter les éléments fournis par l'administrateur. On leur redemande quelle est leur vocation, leur position sur les emplois... tout ce qui peut être derrière. À ce moment-là, le tribunal suspend bien souvent la séance, délibère et reprend l'audience.

M. le Rapporteur : Je vous pose ces questions parce que nous avons regardé ce matin un certain nombre de dossiers, dont celui de la société du Mont Carmel. J'ai relevé qu'un jugement, d'ailleurs très bien motivé, avait été rendu le 1er août 1994.

M. DANCHAUD : On entend parler de la société du Mont Carmel depuis 1974. C'est une longue affaire.

M. le Rapporteur : Le dossier que j'ai examiné était de 1994. Le dépôt de bilan date du 1er février 1994. Le juge-commissaire était M. Saudeau. J'ai lu les conditions dans lesquelles le tribunal a pris un certain nombre de décisions graves, c'est-à-dire a décidé des licenciements et a donné à gérer à un repreneur l'essentiel de ce qui restait de l'entreprise, et j'ai été fort étonné de découvrir que le jugement avait, en vérité, été tapé ou conçu par Maître Robert la veille du délibéré et je voudrais que vous me donniez votre sentiment puisqu'un fax est arrivé au tribunal en provenance de l'étude de Maître Robert qui reflète exactement le contenu du jugement, laissant ainsi comprendre à l'observateur que c'est finalement Maître Robert qui a fait le jugement.

C'est intéressant à noter. La confiance est si forte que cela donne l'impression à la commission d'enquête que ce sont finalement les administrateurs judiciaires qui font la décision du tribunal.

Je vous soumets ce point parce que j'ai regardé ce fax de bout en bout et j'ai vu que le jugement et ce fax étaient les deux mêmes documents. Qu'en pensez-vous ?

M. DANCHAUD : Si le point de vue de Maître Robert, qui est exprimé là, était un point de vue raisonnable et susceptible d'être pris en compte, je ne vois pas pourquoi on s'acharnerait à dire autre chose pour le plaisir de produire un papier comme celui-là. Et je peux vous dire que cela ne démontre rien quant à ce qu'on pourrait penser et que vous pensez. Votre question est justifiée mais c'est le contraire à mes yeux.

M. Le Bourhis n'était pas président ; cela se passait du temps de M. Piéto.

M. le Rapporteur : Monsieur le Vice-président, cela donne l'impression que le tribunal est dans la main de Maître Robert.

M. Gérard LE BOURHIS : Avez-vous noté s'il y avait en face un autre repreneur ? C'est important.

M. le Rapporteur : Je ne m'attendais pas à ce qu'on me pose des questions. J'aurais préféré que vous me répondiez vous-même. Que vouliez-vous en tirer comme conséquence ?

M. Gérard LE BOURHIS : La conséquence, s'il n'y a pas d'autre repreneur, s'il n'y a que celui-là, est que Maître Robert n'a donc que celui-là à présenter au tribunal...

M. DANCHAUD : Il faut parler de choses concrètes. Qu'est-ce que le Mont Carmel ? C'est une entreprise fabriquant des vêtements de travail dont le premier dépôt de bilan a eu lieu en 1974 ou 1975. C'est l'époque où je suis entré dans ce tribunal et c'est l'une des rares saisines d'office qu'on ait jamais faite parce qu'EDF n'était plus payée, le personnel n'était plus payé... plus personne n'était payé. Le tribunal s'est donc saisi de l'affaire et l'a mise en liquidation une première fois. Il y a eu ensuite une succession de rebondissements qui font que ni le tribunal de Saint-Brieuc, ni personne d'ailleurs n'aurait pu venir au secours du Mont Carmel parce qu'il vendait des vêtements de travail et que la fabrication d'un jean coûte aujourd'hui 3,50 francs au Maroc et 30 francs en France.

M. le Rapporteur : La question n'est pas celle-là, elle est de savoir comment vous prenez les décisions.

M. DANCHAUD : Mais si, la question est là, car que s'est-il passé ce jour-là ? Il y avait zéro repreneur pour cette société. Maître Robert a dû faire une proposition de rédaction de jugement comme fait tout juriste pour préparer un travail, et le tribunal l'a reprise assez paresseusement, mais il n'y avait rien d'autre à proposer.

L'affaire du Mont Carmel est une affaire bien triste parce que c'est une affaire qui est morte d'une économie qui n'a pas pu subsister.

M. le Rapporteur : Vous souvenez-vous des honoraires de Maître Robert dans cette affaire ?

M. DANCHAUD : Non, et pour cause, je n'étais pas dans cette affaire.

M. le Rapporteur : Je vois que, le 28 mars 1995, Maître Robert a obtenu la somme de 230 000 francs à raison de ce simple dossier, somme bien modique à côté des autres sommes qu'on peut voir attribuer aux administrateurs judiciaires.

M. DANCHAUD : Ce n'est pas moi qui fixe les tarifs, qui sont d'ailleurs scandaleusement élevés, c'est un décret.

M. le Rapporteur : Vous vérifiez le tarif ?

M. DANCHAUD : Oui, bien sûr.

M. Gérard LE BOURHIS : On vérifie mais qu'est-ce qu'on peut faire ?

M. le Rapporteur : Au-delà de 400 000 francs, vous savez qu'il est possible de contester ?

M. Gérard LE BOURHIS : Oui, tout à fait.

M. le Rapporteur : On est ici en dessous de cette somme mais je voulais savoir si le tribunal en avait conscience parce qu'il y a beaucoup d'ordonnances de taxation qui sont signées.

M. Gérard LE BOURHIS : Je parle sous serment et je ne peux donc dire que la vérité : j'ai sur mon bureau les honoraires de Maître Robert dans un autre dossier. Ils sont enregistrés et on pourrait donc vérifier la date. Ils sont sur mon bureau depuis déjà quelques jours, bien avant que vous n'arriviez. Sur cette affaire, j'ai besoin de le voir parce que j'ai besoin d'en discuter avec lui, mais ce n'est pas systématique. On vérifie systématiquement le forfait, les tranches, l'application du barème.

M. le Rapporteur : Je n'ai pas noté de contestations lorsque les honoraires sont supérieurs à 400 000 francs.

M. DANCHAUD : Vous poserez utilement la question à Maître David et à Maître Robert, mais je peux dire que Maître David, en particulier, dans de nombreux dossiers, n'a jamais présenté de note d'honoraires comportant l'intégralité de ce que le barème lui permettait de revendiquer, en raison du caractère faramineux qu'ils auraient atteint.

M. le Rapporteur : Dans l'affaire Labbé, qui est une affaire plus ancienne, Maître David a demandé 772 000 francs pour une liquidation et il y a eu une contestation...

M. DANCHAUD : Et ce chiffre ne représentait peut-être même pas le montant total.

M. le Rapporteur : Il a obtenu 772 000 francs, ce qui paraît assez considérable pour des affaires de ce genre.

M. DANCHAUD : Il faut tout de même rappeler que ces honoraires, qui sont très élevés, ne sont pas des bénéfices, ce sont des chiffres d'affaires. Ce sont des gens qui ont des bureaux, des personnels, des charges...

M. le Rapporteur : Ils vont se défendre eux-mêmes. Ils ont en effet la confiance du tribunal !

M. DANCHAUD : Non, je veux vous montrer qu'il faut garder une certaine objectivité et ne pas être systématiquement en guerre. J'ai autour de moi des gens qui hurlent sur ce que touchent les parlementaires alors que cela ne me gêne pas personnellement...

M. Gérard LE BOURHIS : Sans porter d'appréciation sur le montant des honoraires, il est vrai que les tranches actuelles sont importantes. Mais nous ne faisons malheureusement qu'appliquer les textes.

M. le Rapporteur : Puisque vous avez le législateur en face de vous, c'est le moment d'exprimer votre opinion mais Monsieur le Vice-président disait que c'était seulement un chiffre d'affaires, grevé de charges.

M. DANCHAUD : Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Je vous ai dit que c'était trop mais qu'il ne s'agissait que d'un chiffre d'affaires.

M. le Rapporteur : Heureusement, le législateur ne confond pas encore le chiffre d'affaires et le bénéfice.

M. DANCHAUD : Oui, mais l'opinion publique le fait.

M. Gérard LE BOURHIS : Je pense aux contestations de créances. Il est vrai que c'est un gros travail pour un juge-commissaire que d'examiner beaucoup de petites créances. En revanche, lorsqu'il n'y a qu'une seule et importante créance, la rémunération au pourcentage ne se justifie pas.

M. DANCHAUD : Je peux vous dire que j'ai refusé une vérification de passif qui m'était demandée par un représentant des créanciers, sans autre raison que de créer des honoraires.

M. Gérard LE BOURHIS : S'agissant des représentants des créanciers, avez-vous trouvé des différences dans leur nomination ?

M. le Rapporteur : Oui, récemment. J'ai noté que Maître David n'avait pas été nommé dans le dernier rebondissement de l'affaire de cette société malheureuse du Mont Carmel. Pour quelle raison, Monsieur le président ?

M. Gérard LE BOURHIS : À l'époque, c'était Maître Berthelot qui avait été nommé. Cela relève de la période pendant laquelle je ne voulais plus donner de dossiers à aucun des administrateurs habituels. Il faut quand même savoir que le tribunal peut choisir entre Maître David, Maître Tremelot et Maître Chataignière, en tant que représentants des créanciers. Certes Maître David a peut-être davantage d'affaires, mais sachez quand même que Maître Tremelot et Maître Chataignière forment un couple et, à eux deux, il est possible qu'ils aient un plus grand nombre de dossiers. J'essaie d'assurer une répartition des dossiers entre les trois. Mais à cette époque je ne voulais plus faire appel à aucun d'entre eux pour les raisons que j'ai évoquées.

M. le Rapporteur : Je ne sais pas si c'est un accident ou pas mais je n'ai pas trouvé trace du rapport de l'administrateur judiciaire, Maître Robert, dans l'affaire MG Concept, qui est une affaire de redressement judiciaire relevant du titre premier ayant 27 salariés ; j'ai trouvé une lettre de deux pages sur la base de laquelle il semble avoir convaincu le tribunal qu'il n'y avait plus rien à faire et qu'il fallait tout liquider. J'aimerais avoir les explications du juge-commissaire que vous étiez dans cette affaire.

Une offre est intervenue le 30 mai 1997. L'administrateur judiciaire, l'avant-veille, avait proposé la liquidation, ce qui semble avoir suffi pour l'ordonner. J'ai trouvé cela curieux. Avec Monsieur le greffier, nous avons cherché le rapport de l'administrateur judiciaire que nous n'avons pas trouvé.

Par ailleurs, nous n'avons pas les éléments de rémunération de Maître Robert ou de Maître Chataignière, représentant des créanciers. Pourquoi ?

M. DANCHAUD : Je ne sais pas répondre aujourd'hui à la question. Il n'a pas produit de rapport à l'époque. Les 27 salariés que vous mentionnez étaient tous des agents commerciaux sous contrat.

M. le Rapporteur : Ce sont des gens qui travaillaient, quand même !

M. DANCHAUD : Bien sûr, et qui étaient intéressés à faire du chiffre d'affaires avec la société, mais ce n'étaient pas des salariés au sens où on l'entend habituellement. Ils ne dépendaient pas entièrement de cela.

M. Gérard LE BOURHIS : Vous avez noté, Monsieur le député, que le parquet est toujours présent et n'a jamais émis quelque remarque que ce soit.

M. le Rapporteur : Je l'ai noté. Nous interrogerons d'ailleurs l'ancien parquet parce que le nouveau n'est pas au fait de l'ensemble des dossiers.

On est ensuite remonté un peu dans le temps et l'on a examiné des dossiers dans lesquels on retrouve finalement toujours les mêmes protagonistes : il y a l'affaire Labbé, l'affaire Conan, et il y a la confection d'articles textiles avec le Mont Carmel ; ce sont toujours Maître Robert et Maître David qui sont nommés. Ils sont en quelque sorte vos collaborateurs, monsieur le juge-commissaire. Vous les voyez très souvent et c'est avec eux que vous suivez ces dossiers. Vous connaissez ceux-là depuis 1988 puisque l'ouverture de l'affaire Labbé date de cette époque.

Vous disiez tout à l'heure que vous voyiez toujours les mêmes clients en quelque sorte. Il est vrai que notre attention a été attirée d'abord sur une chose assez originale. J'ai cru comprendre que vous aviez fait vous-même une offre dans cette affaire Labbé, il y a dix ans. Quel était votre statut à l'époque ? Vous étiez membre du tribunal ?

M. Gérard LE BOURHIS : J'étais membre du tribunal mais je m'étais mis en vacance du tribunal deux mois avant. J'étais encore dans la banque à l'époque. J'ai quitté la banque pour cela. J'avais donc fait une proposition de reprise de cette affaire. Je ne participais pas à la procédure. Le parquet m'avait donné l'autorisation de le faire. Ceci étant, mon offre n'a pas été retenue. De ce fait, je n'ai pas eu à démissionner, ce que j'avais l'intention de faire. Je n'étais que juge à l'époque et je n'ai même pas mis les pieds au tribunal durant cette période, mais ce n'était pas interdit.

M. le Rapporteur : Vous comprenez bien que si votre offre avait été retenue, le Conseil national des justiciables, s'il avait existé, aurait eu des choses à vous reprocher... Je vais vous dire mon sentiment : il est grave que les justiciables ne puissent pas croire en l'impartialité de leur institution judiciaire, fut-elle consulaire.

M. Gérard LE BOURHIS : Mais pas dans le cas présent...

M. le Rapporteur : Dans le cas présent, vous n'avez pas eu l'affaire et la question ne se pose donc pas, mais c'est un point intéressant que de réfléchir sur ce type de possibilité : est-il possible, même s'il se déclare démissionnaire, qu'un juge puisse faire une offre ? Si vous l'aviez obtenue - c'était votre objectif à l'époque -, je pense que cela aurait posé des problèmes vis-à-vis de votre concurrent, M. Gauthier, expert-comptable, qui a lui-même obtenu l'affaire.

Cette série d'affaires a provoqué un certain nombre de polémiques. Nous avons observé dans l'affaire Conan cette fois-ci, c'est-à-dire celle des pantoufles qu'il y avait deux offres concurrentes et c'est un certain M. Robin qui a obtenu la reprise de la société Conan contre l'avis du personnel salarié qui avait massivement voté pour la proposition Goubin. Je crois que M. Goubin proposait huit licenciements, ce qui n'était pas le cas de M. Robin qui n'en proposait pas, mais il semble qu'il n'avait pas su rassurer les salariés qui avaient préféré faire confiance à M. Goubin.

Que diriez-vous rétrospectivement de ce choix du tribunal, sachant que vous aviez plutôt fait confiance à celui qui mettait 300 000 francs de plus pour désintéresser les créanciers et qui s'était engagé à ne pas licencier ?

M. DANCHAUD : Ce n'est pas moi qui ai fait le choix, c'est le tribunal. Pourquoi Robin plutôt qu'un autre ? Si on réécrit l'histoire dix ans après pour savoir qui à tort et qui a raison...

M. le Rapporteur : C'était en 1993, cela n'a pas dix ans.

M. DANCHAUD : C'est une affaire analogue à celle du Mont Carmel. Faire de la chaussonnerie dans les années 1980-1990 contre les Chinois n'est pas simple, à tel point que l'affaire n'est pas encore aujourd'hui dans un état extrêmement brillant... Il faut faire des choix. Qu'est-ce que cette option a rapporté au tribunal plutôt qu'une autre ? À l'évidence rien. Mais il a semblé au tribunal, à une époque, que c'était la bonne formule pour l'entreprise, c'est tout. Que voulez-vous répondre ? Qu'est-ce qui vous embarrasse ?

M. le Rapporteur : Rien ne m'embarrasse. La question est celle de savoir si vous avez aujourd'hui un regard critique et rétrospectif sur les décisions qui ont été prises, puisque vous êtes le plus ancien au tribunal.

M. DANCHAUD : Bien sûr, je ne prétends pas que tout ce qui a été fait est forcément bon. Mais je pense qu'il n'y a pas de bonne solution pour ce type d'entreprises soumises à de telles pressions économiques. Le cas du Mont Carmel, est de même nature. Il y en a une qui fabrique des jeans, l'autre des pantoufles. Ce sont des métiers que plus personne ne peut exercer en Europe occidentale aujourd'hui parce qu'on ne peut pas se battre contre les Chinois ni contre les Philippins pour de telles fabrications. Ce n'est pas possible. Alors, l'une comme l'autre solution... Cinq ans après, je ne sais pas laquelle aurait été bonne. C'est tout ce que je peux répondre.

M. le Rapporteur : Qu'est devenue cette affaire ?

M. DANCHAUD : À la connaissance, l'affaire n'est pas dans une situation très brillante.

M. Gérard LE BOURHIS : Le dirigeant est venu me voir il n'y a pas très longtemps.

M. DANCHAUD : Je ne pense pas qu'il puisse en être autrement...

M. Gérard LE BOURHIS : Je lui ai demandé d'établir une situation comptable.

M. DANCHAUD : Je dirais même qu'il y a une certaine inconscience de la part des gens qui rachètent ou qui se lancent dans de telles entreprises parce que tout le monde sait bien que cela ne peut pas marcher.

M. le Rapporteur : Apparemment, il y avait quand même des candidats dans cette affaire.

M. DANCHAUD : C'est tout à fait différent pour Labbé. Labbé n'a rien à voir avec la situation dont on parlait tout à l'heure.

M. le Rapporteur : Justement, cette société de carrosserie industrielle et de véhicules blindés avait écrit au tribunal de commerce une lettre datant du 4 mai 1993 - et nous sommes tombés dessus par hasard - disant : « Monsieur le président, je ne pourrai pas être à l'audience du 5 mai 1993 concernant l'affaire Conan. Je souhaite vous indiquer que, dans l'hypothèse où le plan de reprise de M. Robin serait accepté, la Société Labbé souscrira à hauteur de 500 000 francs de l'apport de fonds propres. D'autre part, nous mettrons à la disposition de l'entreprise notre expertise technique. »

Il semble que le tribunal, sans les avoir auditionnés parce qu'ils n'ont pas pu être à l'audience, a accepté l'association d'intérêts avec une société, ayant d'ailleurs une activité fort éloignée de la société reprise, qui s'est retrouvée finalement associée dans cette aventure avec le Crédit Agricole et le repreneur. Je voudrais savoir ce que cela pouvait inspirer au juge-commissaire que vous étiez à l'époque et qui suivait ce dossier.

M. DANCHAUD : Cela m'inspire confiance parce que Labbé a été l'une des bonnes affaires reprises. C'est une affaire qui a capoté, qui a été relancée, qui est repartie et qui fonctionne bien. Lorsqu'un financier apporte son concours à une affaire très malade, du type Conan, cela me paraît être une garantie, de mon modeste point de vue. On préfère avoir comme associé quelqu'un qui a de l'argent que quelqu'un qui est fragile.

M. le Rapporteur : Je fais ici une petite incidente et je reviens un peu en arrière sur la rémunération de Maître David. Il a demandé que lui soient versés 4 500 francs hors taxe par créance, plus 10 francs par créancier - ce qui ne permet d'ailleurs pas de mesurer le montant total des émoluments -, c'est-à-dire qu'il a appliqué un barème. Vous disiez que vous aviez le souci de mesurer, de compter et de vérifier la taxe ; or en l'occurrence, le juge-commisaire que vous étiez a signé fort gentiment un barème plus une facture finale pour Maître David. Qu'est-ce que cela vous inspire et qu'en pensez-vous ? Cette demande d'honoraires sera d'ailleurs postérieurement contestée par le repreneur au motif que l'application de ce barème, l'aurait obligé à déposer immédiatement le bilan et aurait mis sa société en situation de cessation des paiements.

M. DANCHAUD : Maître David n'intervient plus à ce moment-là en tant que liquidateur mais en tant que commissaire à l'exécution du plan.

M. le Rapporteur : Oui c'est encore mieux. Cela ne change d'ailleurs pas grand-chose.

M. Gérard LE BOURHIS : Ce ne sont plus les mêmes honoraires, Monsieur le député.

M. le Rapporteur : Je comprends mais j'estime que le contrôle du tribunal est faible. Que répondez-vous ? C'est un point important pour vous. L'ordonnance est d'ailleurs rédigée par Maître David. Je vois « fait en notre cabinet » et vous signez. Il n'y a pas apparemment d'élément de contradiction et de discussion.

M. DANCHAUD : Le barème était-il faux ?

M. le Rapporteur : Je ne sais pas. Je vous pose la question, monsieur le juge-commissaire.

M. DANCHAUD : Apparemment, autant que je puisse vous répondre, le barème est exact. Donc pourquoi refuser d'accepter une ordonnance si le tarif proposé est bon ? Je ne vois pas pourquoi.

M. le Rapporteur : Ne serait-ce que pour assurer le contrôle du tribunal sur le montant des émoluments dus à un auxiliaire de justice à qui vous accordez un mandat.

M. Gérard LE BOURHIS : Cela ne vous donne pas la preuve que le contrôle n'a pas été fait.

M. le Rapporteur : Cela m'en donne le sentiment. Je ne cherche pas les preuves, je cherche à orienter le travail du législateur. Je ne suis pas un juge d'instruction, je ne fais pas votre procès et vous n'êtes pas accusé ; je suis simplement amené à me poser des questions parce que ce n'est pas la première fois que je vois cela et que je me demande si ce sont les tribunaux de commerce qui contrôlent les auxiliaires de justice ou si ce sont les auxiliaires de justice qui contrôlent leurs juges.

M. Gérard LE BOURHIS : Vous en tirez cette conclusion mais rien ne vous permet de le dire. Il se trouve que ces émoluments sont sur mon bureau en ce moment pour que je les vérifie à nouveau parce que je suis en litige. Je ne l'ai pas fait exprès. Je peux vous le montrer ; c'est enregistré au greffe quand cela arrive, et, que je sache, cela a été fait bien avant que vous ne veniez.

M. DANCHAUD : Je ne peux pas laisser dire que quelqu'un contrôle le juge ici.

M. le Rapporteur : J'espère bien.

M. DANCHAUD : Vous l'avez dit.

M. le Rapporteur : C'est à vous de ne pas me le laisser dire.

Avouez quand même qu'il est tout à fait surprenant de trouver des ordonnances qui ne permettent pas de savoir quelle est la somme finale - vous n'avez même pas demandé à Maître David à combien ses honoraires s'élèveraient -, d'autant que c'est de l'argent prélevé sur une entreprise en difficulté.

M. DANCHAUD : On me demande de vérifier l'application du barème. Mais, on ne peut savoir a priori quel sera le nombre de créanciers puisqu'il s'agit d'un mandat de commissaire à l'exécution du plan. Ce n'est qu'à la fin, et cela explique la réaction de l'entreprise, qu'on obtient le résultat de la multiplication. On connaît le multiplicateur mais on ne sait pas encore quel sera le multiplicande. On notera que le taux de base retenu est de 10, ce qui est raisonnable dans la mesure où le décret prévoit une fourchette de 7 à 15, l'entreprise employant 46 personnes.

M. Gérard LE BOURHIS : Notre rôle est-il de contester ou d'apprécier si c'est excessif ou non ?

Il y a un cas où nous avons contesté ; le TGI a confirmé la taxe, se bornant à appliquer la loi. Il faut revoir la réglementation et mettre en place un forfait. Nous ne pouvons contester la taxe lorsqu'elle résulte de l'application des textes.

M. DANCHAUD : On pourrait soumettre cette activité et ces documents, qui sont d'aspect purement comptable, à un service de comptabilité publique ? Pourquoi pas ?

M. le Rapporteur : Ce ne sont pas les idées qui nous manquent sur ce sujet.

J'ai encore une question concernant l'affaire Mont Carmel : je me suis finalement aperçu que le repreneur de Conan et de Labbé avait repris le Mont Carmel.

M. DANCHAUD : Absolument, et Robin réapparaît dans une des solutions. Et pourquoi pas ?

M. le Rapporteur : Y avait-il des offres concurrentes ?

M. DANCHAUD : Je n'en ai pas à l'esprit, je ne m'en souviens pas ; je ne sais pas répondre.

M. le Rapporteur : Mes questions peuvent vous paraître un peu provocatrices mais elles sont faites pour vous permettre d'avancer.

M. DANCHAUD : Je ne crois pas qu'il y ait eu beaucoup d'offres. Pourquoi ? Parce que vous avez évoqué tout à l'heure, dans Labbé, le nom de M. Gauthier, expert-comptable. Je ne le connais pas, c'est un financier qui manipule du capital-risque. C'est pour cela qu'il intervient dans des entreprises qui sont des entreprises à risque. Je pense qu'il aurait aussi bien fait de s'abstenir dans les deux cas.

M. le Rapporteur : Vous croyez qu'il aurait bien fait de s'abstenir ?

M. DANCHAUD : Je ne pense pas qu'il ait tiré de gros profits de ces opérations.

M. le Rapporteur : Saviez-vous que ce M. Gauthier était associé à Maître David dans ses affaires personnelles ?

M. DANCHAUD : C'est M. Gaudino qui le dit. Je prends avec des pincettes tout ce qui figure dans le rapport de M. Gaudino.

M. le Rapporteur : Je vais vous dire, monsieur le juge-commissaire, que, comme tous ceux qui doutent, je n'ai aucune raison de penser que ce que vous nous dites est faux mais je n'ai aucune raison non plus de penser que ce que M. Gaudino écrit sous sa plume et sous sa responsabilité est faux : les procès en diffamation coûtent cher quand on les perd. En l'espèce, j'ai moi-même un certain nombre de pièces qui démontrent que la famille de M. Gauthier et la famille de Maître David, votre mandataire-liquidateur, monsieur le juge-commissaire, sont associés dans des affaires à titre personnel.

M. DANCHAUD : Je m'excuse de vous dire que ces adjectifs possessifs sont un peu déplacés.

M. le Rapporteur : Je vous taquine volontairement.

M. DANCHAUD : Je ne suis propriétaire de rien.

M. le Rapporteur : C'est celui qui a la confiance du tribunal.

Le saviez-vous ?

M. Gérard LE BOURHIS : Maître David n'est pas le seul mandataire auquel le tribunal a recours. Le couple Trémolet-Chataignière a plus de dossiers que Maître David.

M. le Rapporteur : Les pièces et les éléments dont je dispose - et je les montrerai à Maître David pour qu'il s'en explique car il est normal que ce soit contradictoire - me permettent d'affirmer, sous réserve de ses explications, que M. Gauthier est l'un des repreneurs de Labbé, Labbé étant lui-même repreneur de Conan avec Robin, et qu'il est repreneur de Mont Carmel, c'est-à-dire trois sociétés qui ont fait l'objet de plans de reprise autorisés par la signature du tribunal. Et ce M. Gauthier est associé au mandataire-liquidateur, qui apparaît dans les trois affaires, dans plusieurs sociétés par l'intermédiaire de leurs épouses respectives.

M. Gérard LE BOURHIS : Mais ils n'étaient pas associés dans la société de reprise ? Vous m'apprenez quelque chose...

M. le Rapporteur : Non, mais ils étaient associés dans leurs affaires personnelles. Le tribunal n'a-t-il pas des raisons de penser qu'il n'a pas été pleinement informé ?

M. Gérard LE BOURHIS : C'est à ce moment, quand j'ai découvert ces accusations, que j'ai demandé l'avis du parquet.

M. le Rapporteur : Vous le savez depuis quand ? Vous avez dit quinze jours après votre nomination.

M. Gérard LE BOURHIS : Tout à fait. Lorsque je l'ai consulté, le parquet m'a affirmé qu'il n'y avait pas lieu de prendre des sanctions. Que voulez-vous que je fasse d'autre ? J'essaie, avec mon tribunal, de rendre la justice commerciale la plus droite et la plus rigoureuse possible. Et je me souviens ne plus avoir nommé ni l'un ni l'autre pendant ces périodes.

M. le Rapporteur : Monsieur Danchaud, quand même, que pensez-vous de ce spectacle ?

M. DANCHAUD : Il n'y a pas de spectacle. Il y a des faits. Le jour où on nous expliquera que Maître David a encouru des sanctions et ne doit pas être nommé pour telle et telle raison, il ne sera plus nommé. Ce n'est d'ailleurs pas moi, qui le nomme ; c'est la chambre du conseil. Jusqu'à preuve du contraire, il n'existe rien... Parce que tout ce qui figure dans le livre de M. Gaudino n'est que la reprise du rapport, et cela fait deux ou trois ans que ce rapport a été distribué abondamment.

M. le Rapporteur : Maître David a-t-il attaqué en diffamation ?

M. Gérard LE BOURHIS : Je crois que Maître David a gagné un procès à Saint-Malo.

M. DANCHAUD : C'est quand même embêtant. Cela pose question. Mais le parquet a siégé, dans ce tribunal, pendant toute cette période avec Maître David. Alors comment voulez-vous que les modestes juges consulaires que nous sommes puissent penser qu'il y ait collusion entre Maître David et le parquet ?

M. le Rapporteur : Monsieur le juge-commissaire, votre réaction est intéressante. Je note d'abord que vous avez vraiment confiance en Maître David.

M. DANCHAUD : Mais je n'ai pas à me méfier.

M. le Rapporteur : Deuxième chose : il y a là des éléments tout à fait troublants et qui pourraient mériter des interrogations de votre part du même ordre que celles que votre président a manifesté en refusant de nommer plus longtemps Maître David.

M. DANCHAUD : Je vais vous dire que quand cela est arrivé, nous étions tous horriblement surpris de ce qu'on nous annonçait, et le président a posé les questions qu'il fallait poser quant à la conduite à tenir avec Maître David. Et le président a décidé très prudemment pendant la période provisoire de ne plus nommer Maître David ni personne d'autre, mais d'attendre.

M. Gérard LE BOURHIS : Tout à l'heure, Monsieur le député, je vous disais que j'avais eu des raisons de penser que je ne devais pas nommer certains autres mandataires, parce que le parquet me l'avait déconseillé pour des raisons que j'ai cru comprendre depuis. Je me suis, en effet, aperçu que certains avaient fait des stages dans des études qui ont fait beaucoup parlé d'elles en France depuis...

J'ai fait confiance au parquet en l'occurrence, de même que lorsqu'il m'a indiqué que je pouvais recommencer à nommer ces mandataires.

M. DANCHAUD : Si vous pensez qu'un juge du commerce doit se demander si le parquet est complice de quoi que ce soit, alors là, où allons-nous !

M. le Rapporteur : Je vous remercie de ces explications qui ont été un peu longues et embarrassantes.

M. DANCHAUD : Non, au contraire.

Audition de M. Gérard LE BOURHIS, Président, Mme Rolande TRISTANI, président de chambre, MM. Charles JEHAN, Guy LE STRAT, Jean-Jacques LEMORDAN, juges consulaires et de M. SAUDEAU, président honoraire au tribunal de commerce de Saint-Brieuc

(extrait du procès-verbal de la séance du 14 avril 1998 à Saint-Brieuc)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

Mme Tristani, MM. Jehan, Le Strat, Lemordan, et Saudeau sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, Mme Tristani, MM. Jehan, Le Strat, Lemordan et Saudeau prêtent serment.

M. le Rapporteur : Nous avons le désir de mesurer sur le terrain dans quelles conditions le tribunal de commerce fonctionne, aussi bien en matière de procédures collectives qu'en matière de contentieux général.

Les tribunaux de commerce sont peuplés de gens qui ont l'expérience de l'économie au quotidien et ce qui est une richesse dont on ne peut pas se priver. Nous constatons cependant parfois un certain nombre de dysfonctionnements, d'anomalies, mais c'est le cas dans toutes les institutions qui sont humaines, trop humaines peut-être...

Les questions sur lesquelles je souhaiterais que vous vous exprimiez librement portent d'abord sur le recrutement : quelle profession exercez-vous, comment avez-vous été choisis pour être juges, pourquoi, et quelles sont vos motivations ?

Mme Rolande TRISTANI : Je suis pharmacien. J'avais rencontré quelques juges à l'époque qui m'avaient demandé si la fonction m'intéressait. Comme j'appartiens à la commission des baux commerciaux placée sous l'égide de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, j'avais, en fait, quelques notions juridiques. J'ai fait aussi un peu de droit pharmaceutique. Cela m'a donc semblé intéressant de participer à la vie de la cité et d'apporter mon point de vue, moi qui suis au contact, humainement, de gens qui ont des problèmes de maladie mais qui ont aussi des problèmes psychologiques dus, notamment, aux difficultés qu'ils rencontrent dans leur entreprise.

M. Guy LE STRAT : Je suis entré au tribunal de commerce alors que je travaillais dans le bâtiment. J'avais été contacté par l'ancien président, en raison des relations que j'avais dans mon secteur d'activité au plan départemental. Certains de mes amis étaient au tribunal et m'ont demandé si je voulais y entrer.

M. le Rapporteur : Depuis combien d'années ?

M. Guy LE STRAT : Je suis rentré en 1988.

M. le Rapporteur : Cela fait donc dix ans que vous exercez. Quel bilan tireriez-vous de ces dix années ?

M. Guy LE STRAT : Cela m'a apporté beaucoup sur le plan personnel. Cela m'a permis un développement, une reconnaissance, et cela m'a donné l'occasion d'avoir des relations intérieures et extérieures.

M. Jean-Jacques LEMORDAN : Je dirais un peu la même chose que mes collègues. Je suis assureur de profession. À l'époque, le président m'avait contacté pour cette raison : il n'y avait pas de représentant de ce secteur dans le tribunal. Mon métier me met tous les jours au contact du droit. J'ai commencé en étant juge de base et, depuis un an, je suis juge-commissaire. J'ai remplacé M. Saudeau qui a quitté le tribunal, ayant atteint la limite de la durée légale du mandat.

Que m'a apporté cette fonction ? Tout d'abord un dérivatif à ma profession. C'est enrichissant d'être en contact avec toutes les professions commerciales. Au tribunal de Saint-Brieuc, même s'il y a eu quelques problèmes, il y a toujours une bonne entente, une bonne équipe ; j'aime traiter les procédures collectives. J'ai l'impression de rendre un service à la société en faisant partie du tribunal de commerce de Saint-Brieuc.

M. Charles JEHAN : Je suis chef d'entreprise à Saint-Brieuc depuis 1954. J'avais des responsabilités patronales. J'ai été sollicité pour cette fonction et j'ai pensé qu'il était bon d'avoir des engagements extérieurs à son métier. J'ai commencé à être juge en 1972 durant une période de dix ans. Puis j'ai été atteint par la limite des mandats et j'ai repris il y a cinq ans la fonction de juge. Je suis au tribunal de Saint-Brieuc en tant que juge enquêteur. J'ai donc une fonction de juge unique dont le rôle est d'enquêter auprès des débiteurs qui ont des difficultés avérées et d'examiner leur situation avec eux, d'élaborer un rapport. Le tribunal décide alors, sur la base de ce rapport, de l'engagement d'une procédure collective ou non.

L'enquête est un travail assez intéressant. Elle permet de faire un peu de pédagogie auprès des commerçants qui sont en difficulté, de leur montrer les différentes solutions qu'ils peuvent utiliser.

Une bonne participation des experts-comptables est souhaitable dans ces cas parce que l'on a affaire, dans l'enquête, à des gens qui sont en période difficile. Ce sont souvent des petits commerçants parce que les grosses affaires ne sont pas soumises à enquête, elles font l'objet de procédures collectives directement. Lorsqu'une bonne collaboration de l'expert-comptable est acquise, on peut rendre un réel service aux entreprises en difficulté, en les conduisant soit à engager une procédure, soit à se ressaisir et à prendre des mesures de redressement. Je suis quelquefois juge assesseur en chambre du conseil où j'ai aussi à connaître des procédures collectives. Comme j'ai eu une formation d'école supérieure de commerce, j'avais de bonnes connaissances juridiques ; j'aime assez le droit.

M. Gérard LE BOURHIS : Comme je vous l'avais dit ce matin, tous les juges font l'expérience de la chambre du conseil afin de n'être pas ignorants en matière de procédure collective.

M. le Rapporteur : Quand vous avez à traiter d'un problème de droit un peu technique et un peu épineux, comment faites-vous, Madame la présidente, par exemple ?

Mme Rolande TRISTANI : J'en réfère souvent au président et je lui demande de me donner des précisions sur l'application des textes. Je ne fais personnellement que du contentieux, je ne fais pas du tout de procédure collective, si ce n'est en assistant périodiquement aux audiences, mais ce n'est pas ma fonction principale. Quand on a vraiment des problèmes, on en réfère au président.

M. le Rapporteur : Vous travaillez donc vous-même. Vous prenez combien de temps en moyenne pour rendre vos décisions ?

Mme Rolande TRISTANI : Sur un dossier simple, il faut au minimum un mois, mais cela peut être trois ou quatre mois et même davantage s'il s'agit d'un dossier compliqué. Nous avons des activités professionnelles et je ne peux me consacrer à ces tâches dans la journée. Je le fais le week-end.

M. le Rapporteur : Vous consacrez combien de temps par semaine à l'activité juridictionnelle ?

Mme Rolande TRISTANI : Je consacre au moins deux week-ends sur quatre à mon activité juridictionnelle.

M. le Rapporteur : C'est beaucoup.

Mme Rolande TRISTANI : Oui, c'est beaucoup.

M. le Rapporteur : Vous avez une famille ?

Mme Rolande TRISTANI : Oui, j'ai une famille (un mari, un fils), et j'ai un travail. C'est beaucoup, mais c'est intéressant. Je crois que l'on ne remplirait pas ces fonctions si l'on n'était pas motivé par l'intérêt intellectuel qu'elles présentent, et surtout par les personnes qui sont derrière ces dossiers.

M. le Rapporteur : Les avocats vous aident-ils dans leur plaidoirie ou vous embrouillent-ils ?

Mme Rolande TRISTANI : Cela dépend. Quand on débute dans la fonction de juge, l'on pense que celui qui fait la première plaidoirie a obligatoirement raison, mais l'on doit faire la part des choses lorsqu'on étudie le dossier.

Le talent de l'avocat, Maître, c'est de bien défendre son client. Ce n'est pas toujours simple, en effet, mais on a des pièces pour juger et pour faire la part des choses. Il est vrai que cela nous demande du travail. On laisse décanter les dossiers difficiles puis on les reprend et on en discute avec les membres de notre chambre. Il y a des gens qui ont de toute façon plus d'expérience que nous.

M. le Rapporteur : Vous êtes-vous déportée pour des dossiers dans lesquels vous considériez être en conflit d'intérêt lorsque, même si ce ne sont pas vos affaires qui étaient en cause, il s'agissait du secteur que vous connaissez et auquel chacun d'entre vous appartenez : pharmacie, assurance, travaux publics ?

Mme Rolande TRISTANI : De toute façon, lorsqu'il s'agit de gens que nous connaissons, nous ne prenons pas leur dossier, parce qu'on ne peut pas être juge et partie.

M. le Rapporteur : Saint-Brieuc est une petite ville et cela doit arriver souvent, n'est-ce pas ?

Mme Rolande TRISTANI : Il y a quand même des secteurs que l'on ne connaît pas.

M. Gérard LE BOURHIS : Il y a quatre chambres, cela permet de répartir, voire de changer un juge dans une même chambre.

Mme Rolande TRISTANI : On se désiste si l'on a des relations amicales avec l'une des parties.

M. Charles JEHAN : C'est assez simple pour les procédures collectives. Nous avons connaissance du rôle avant l'audience et, s'il y a une affaire dont je connais un tant soit peu l'une des parties, ou la partie, il suffit de le dire au président et on sait qu'il ne nous nommera pas.

M. le Rapporteur : Cela fait partie des habitudes ?

Mme Rolande TRISTANI : Je viens au tribunal le lundi matin avant l'audience, je lis le rôle et, si des affaires me touchent de près, je les repousse.

M. le Rapporteur : Monsieur Saudeau, comment fonctionne la cellule chargée de la prévention ? Je vous le demande parce que c'est un des éléments récents de l'activité des tribunaux de commerce. Et comment la faites-vous fonctionner, vous qui avez pratiqué les tribunaux de commerce pendant tant d'années ?

M. SAUDEAU : J'ai une longue expérience des tribunaux de commerce. J'y suis rentré en 1978. Je suis passé par les différents grades, postes, etc. et, atteint par la limite, je me suis donc intéressé à la prévention. C'était après la grande crise des années 1985 et les juridictions consulaires en avaient assez d'être prises pour des entreprises de pompes funèbres. Beaucoup de gens pensaient qu'on sortait du tribunal de commerce soit en redressement, soit en liquidation. Et non seulement les juges de Saint-Brieuc mais les juges consulaires de France se sont dit qu'il fallait essayer de faire autre chose. D'où cette idée de la prévention.

Comment s'y prend-on ? Très modestement bien sûr, nous avons essayé d'avoir un premier réseau de renseignements avec la Banque de France, l'URSSAF, les services fiscaux.

M. le Rapporteur : Ils écrivent eux-mêmes ?

M. Gérard LE BOURHIS : Non, nous avons des accords avec l'URSSAF, la Banque de France, les services fiscaux.

M. le Rapporteur : Vous avez des incidents de paiement ?

M. SAUDEAU : Il y a des incidents de paiement. Le greffe rassemble bien entendu tous ces éléments. Grâce à l'informatique, l'on connaît très bien le nombre d'inscriptions au Trésor tous les mois, nous les vérifions pour d'éventuels recoupements avec des organismes comme la Banque de France par exemple, et nous décidons des quelques entreprises qui seront invitées à se présenter en prévention. Ce n'est pas une convocation c'est une invitation. L'on fait très attention aux termes pour ne choquer personne.

À notre grande surprise, les gens sont venus très facilement à part, bien sûr, quelques irréductibles. La plupart viennent avec un expert-comptable, et nous essayons de faire avec eux le point sur les incidents de paiement. L'interrogatoire est très simple : il porte sur les difficultés rencontrées, les mesures prises pour y remédier et enfin les mesures générales à envisager pour éviter la catastrophe.

C'est important parce que les gens s'aperçoivent que le tribunal n'est pas essentiellement répressif. Ensuite, cela permet un contact. Et je me suis aperçu que beaucoup de chefs d'entreprise - de très petites entreprises la plupart du temps-, soit n'étaient pas vraiment au courant de la gravité de leur situation, soit étaient heureux d'avoir quelqu'un à qui en parler.

J'essaie de rendre cet entretien le plus cordial possible. Je les reçois ici en civil, sans greffier. Il n'y a aucun formalisme. Le problème est de les mettre en confiance pour leur faire prendre conscience de leurs difficultés et des risques qu'ils courent.

Il faut démystifier un dépôt de bilan, montrer qu'ils peuvent bénéficier d'un redressement judiciaire et que la loi vient à leur secours dans ces cas-là. Il faut ensuite clarifier leur situation, souvent avec leur expert-comptable. Le comptable se contente malheureusement bien souvent de faire une situation annuelle et de leur remettre le bilan au moment de la signature, sans discussion et sans concertation entre eux.

M. le Rapporteur : Combien avez-vous mené d'entretiens de prévention l'année dernière ?

M. SAUDEAU : On tient une séance de prévention deux fois par mois.

M. Gérard LE BOURHIS : Sachez que, depuis que cette prévention est effective, il y a eu au tribunal de commerce durant l'année dernière, plus de règlements amiables que pendant les dix dernières années.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous communiquer l'évolution statistique précise ? C'est important.

M. SAUDEAU : La difficulté de la prévention, c'est d'informer sans conseiller car on ne peut pas être à la fois juge et partie.

M. Gérard LE BOURHIS : C'est la raison pour laquelle ce n'est pas un membre actif du tribunal mais un membre honoraire qui est chargé de la prévention.

M. SAUDEAU : Lorsque le chef d'entreprise évoque telle ou telle solution, l'on ne prend pas partie mais on laisse entendre que l'on est d'accord ou pas d'accord. En étant honoraire, je suis sûr de ne pas revoir les personnes concernées si jamais elles font l'objet d'une procédure. C'est l'intérêt d'être honoraire. On bénéficie d'une complète liberté...

M. Jean-Jacques LEMORDAN : Mais le règlement amiable ne peut s'appliquer à une entreprise en cessation des paiements. C'est la difficulté.

M. SAUDEAU : Il y a environ deux mois, il m'est arrivé de dire carrément au justiciable qui était là : « Je ne veux plus vous revoir. Déposez votre bilan. »

Il y a également un problème dont les chefs des petites entreprises n'appréhendent pas toute la gravité, c'est celui des pré-comptes. Quand il y a des dettes importantes à l'égard de l'URSSAF, ces retards de cotisation comprennent souvent le pré-compte, c'est-à-dire la cotisation ouvrière qui a été retenue. Dans ce cas j'interviens fermement pour les orienter vers le dépôt de bilan, en leur disant qu'ils doivent prendre leurs responsabilités, sous peine de se retrouver au pénal. J'ai en général la bonne surprise de voir que c'est efficace.

M. Gérard LE BOURHIS : On essaie d'avoir une action précoce.

M. SAUDEAU : Nous rendons également service à l'URSSAF dans la mesure où nous percevons une situation que, souvent, l'URSSAF ne connaît pas.

M. le Rapporteur : Quel bilan tirez-vous des mandats ad hoc ? Combien en avez-vous fait l'année dernière ? Cela se développe-t-il dans tous les tribunaux de commerce ?

M. Gérard LE BOURHIS : Oui, cela se développe. Je vous disais que cela fait partie du règlement amiable. Lorsque le chef d'entreprise est reçu dans le cadre de la prévention il n'est jamais en cessation de paiement. La difficulté pour nous est que la prévention doit être confidentielle. La chambre au complet n'est pas concernée ; c'est du ressort du président. Nous nommons donc un mandataire ad hoc pendant un mois pour faire le point, jugeons s'il y a une situation de cessation des paiements, et ce mandat ad hoc est poursuivi le cas échéant en règlement amiable durant le mois suivant.

Le bilan est assez satisfaisant. L'affaire Gaélic, par exemple, a débouché sur un plan et d'autres petites affaires plus modestes fonctionnent. On vous communiquera ces statistiques.

M. le Rapporteur : Je vais vous remercier infiniment d'avoir pris sur votre temps précieux, Madame et Messieurs. Si vous voulez faire valoir des idées que vous n'avez pas pu exprimer nous en prendrons connaissance avec intérêt.

Audition de M. Michel ROBERT, administrateur judiciaire,
de M. Daniel DAVID, Mme Françoise CHATAIGNIÈRE ET de M. Paul-Marie TREMELOT, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises

(extrait du procès-verbal de la séance du 14 avril 1998 à Saint-Brieuc)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

Mme Chataignière et MM. David, Robert, et Tremelot sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, Mme Chataignière et MM. David, Robert, et Tremelot prêtent serment.

M. le Rapporteur : Lors de l'examen des dossiers, nous nous sommes aperçus que le tribunal faisait toujours appel aux mêmes mandataires, sauf récemment. Quand je dis « toujours les mêmes », il s'agit de vous, cher maître Robert, désigné en tant qu'administrateur judiciaire. Le tribunal nous a donné ses raisons qui sont élogieuses et flatteuses. La question que nous avons posée ici est la même que celle que nous avons posée partout. Et nous en avons parlé avec les magistrats chargés d'inspecter les études d'administrateurs judiciaires et de mandataires-liquidateurs. Mme Devigne, chargée du suivi de ces dossiers à la Chancellerie, nous a ainsi expliqué qu'il y avait un grand déséquilibre dans la distribution des mandats de justice, que des professionnels travaillaient toujours et que d'autres ne travaillaient jamais ou très peu.

Je voulais savoir - c'est une question naïve - pour quelle raison vous aviez tant de succès au tribunal de Saint-Brieuc et pourquoi, depuis de nombreuses années, vous êtes toujours désigné administrateur judiciaire. Cela vous paraît-il normal et cela ne mérite-t-il pas d'être rééquilibré ?

M. Michel ROBERT : Monsieur le Rapporteur, ma réponse va être claire : ce sont des décisions de justice et je n'ai pas, bien évidemment, à émettre une quelconque opinion sur une décision de justice.

M. le Rapporteur : Avez-vous une réaction, monsieur ?

M. Daniel DAVID : Je vais vous répondre mais je demanderai que la presse ne soit pas présente pour des raisons tout à fait justifiées : des affaires dont vous avez dû entendre parler sont soumises actuellement au secret de l'instruction.

M. le Rapporteur : Je vais vous répondre très clairement que la Constitution nous fait obligation de ne pas violer la séparation des pouvoirs et il est hors de question pour nous d'entrer dans des affaires qui font l'objet aujourd'hui de plaintes pénales, qui sont en cours d'instruction. D'ailleurs, nous ne sommes pas entrés dans ces détails.

M. Daniel DAVID : Vous savez pertinemment qu'un débat est actuellement en cours au plan local. Vous voulez avoir des explications, c'est normal puisque vous faites votre travail. Il faut donc que l'on puisse vous répondre mais j'aimerais vous répondre hors la présence de la presse.

M. le Rapporteur : Je voudrais simplement connaître la portée de votre objection juridique. Je ne connais d'ailleurs pas votre statut au regard des procédures pénales en cours.

M. Daniel DAVID : Je ne suis pas mis en examen, je suis témoin cité dans deux affaires.

M. le Rapporteur : Vous n'êtes donc pas soumis au secret de l'instruction.

M. Daniel DAVID : Mais je ne souhaite pas en parler. Vous savez qu'un débat s'est instauré avec le rapport Gaudino. J'ai de quoi répondre sur tout ce qui est indiqué dans ce livre mais j'aimerais le faire en dehors de la présence de la presse. J'ai des choses à dire qui m'ont déjà valu, lorsque je les ai dénoncées une fois, une citation directe en correctionnelle devant le tribunal de grande instance de Saint-Malo. J'ai été relaxé. J'aimerais pouvoir répondre hors la présence de la presse, sinon je ferai à nouveau l'objet de poursuites pour dénonciation calomnieuse. C'est indépendant du problème de savoir, sur le plan juridique, si je peux le faire ou ne pas le faire, c'est un problème de respect des gens. J'ai à me défendre dans ce qui m'est actuellement reproché. Je souhaite le faire aujourd'hui, parce que vous allez me poser la question, comme vous l'avez posée à Maître Robert, de savoir pourquoi je suis nommé plus qu'un autre. Je n'en sais rien mais, pour vous répondre, je dois aborder des sujets qui ne peuvent pas ressortir dans la presse.

M. le Rapporteur : Je vous précise que le compte-rendu de votre audition sera public pour la raison simple que nous sommes dans une démocratie et que chacun peut s'exprimer. Nous ne sommes ici ni dans une affaire d'État, ni dans des affaires qui ressemblent de près ou de loin à ce qui a pu se passer en Corse, ou dans des matières un peu particulières comme c'est le cas, par exemple en ce moment, du Rwanda. La commission d'enquête relative à l'activité et au fonctionnement des tribunaux de commerce a donc choisi de travailler sous le contrôle de l'opinion publique. Je ne peux pas revenir sur cette décision. Si les journalistes souhaitent sortir, ils peuvent le faire et le décider, mais je ne peux pas le leur demander pour la simple raison que la décision a été prise d'ouvrir l'intégralité des débats et que toutes les déclarations que vous ferez, même hors de leur présence, seront rendues publiques. Nous travaillons en toute transparence et c'est une des garanties démocratiques de ce pays. Ceci dit, si vous voulez vous abstenir de diffamer, c'est toujours possible. Vous n'êtes pas obligé de répondre à tous les éléments qui sont aujourd'hui en débat. Mais nous aimerions en savoir davantage et il est vrai que ce serait l'occasion pour vous de vous défendre.

M. Daniel DAVID : Si vous êtes là aujourd'hui, je peux vous expliquer pourquoi des problèmes se posent à Saint-Brieuc. J'ai la réponse et je vais vous la communiquer mais elle ne peut pas être reprise actuellement par voie de presse. Cela ne me gêne pas qu'il en soit fait état dans votre rapport. Mais, l'ouvrage de Gaudino est sorti il y a une quinzaine de jours. J'ai encore environ deux mois et demi pour engager une procédure en diffamation. Je pense que des choses assez graves se sont produites, qui ne se sont pas passées dans l'enceinte du tribunal mais dans une enceinte voisine, et j'aimerais pouvoir en parler et vous expliquer ce qui se passe.

Cet ouvrage est, à mon sens, un tissu diffamatoire. Je suis visé, ma belle-famille est visée. J'ai déménagé. Des certificats de baptême de mes enfants circulent dans les dossiers. Je m'appelle David mais je ne suis pas juif. Cela pourrait être le cas. Je ne plaisante pas. Nous avons été inquiétés depuis de nombreuses années par des menaces, directes ou indirectes, et j'aimerais pouvoir vous en parler et vous expliquer tout ce que vous avez pu lire dans l'ouvrage de Gaudino qui fait suite à un premier rapport qu'il a déposé. Je ne peux pas le dire devant des journalistes sachant que je vais vraisemblablement engager une procédure dans les deux mois et demi à venir. Cela me gênerait car j'ai horreur d'être cité dans la presse ; c'est la première raison. Deuxième raison, je ne veux pas que mes adversaires puissent utiliser ce que je pourrais dire.

Je vous le demande comme un service. Vous êtes député, moi je ne suis pas-grand-chose à Saint-Brieuc, sinon mandataire judiciaire.

J'ai horreur de la publicité faite autour de moi. J'ai vraiment des choses intéressantes à dire et je pense que j'ai la réponse sur l'origine des difficultés qui ont été évoquées au tribunal de Saint-Brieuc.

M. le Rapporteur : Je vous remercie de noter que vous ne voyez pas d'inconvénient à ce que vos déclarations figurent dans le rapport final. Nous pourrions convenir que certains de vos propos ne seront pas repris par les journalistes.

M. Daniel DAVID : On peut faire une partie off.

M. Michel ROBERT : Comme mon confrère, j'ai un certain nombre d'éléments à donner à la commission qui l'éclaireront certainement sur un certain nombre de dérapages. Maître David disait qu'il avait fait l'objet de menaces. J'en ai moi-même fait l'objet. C'était plus que des menaces car vous savez que j'ai été agressé à mon domicile personnel, que j'ai été envoyé dans le fossé par une voiture, et que j'ai beaucoup de chance si je suis encore vivant aujourd'hui. Ma famille a fait aussi l'objet de tracts, sans oublier les fameux articles de l'Evénement du Jeudi contre lequel j'ai gagné en diffamation, devant le tribunal correctionnel de Saint-Brieuc, devant la cour d'appel de Rennes et devant la Cour de cassation à Paris.

M. le Rapporteur : Je n'ai pas connaissance de cet article de l'Evénement du Jeudi même si j'ai vu qu'on y faisait souvent allusion. Maître David, voulez-vous maintenant nous expliquer ce que vous aviez à nous dire ?

M. Daniel DAVID : On a tous été prévenus par voie téléphonique de cette réunion d'aujourd'hui. J'ai personnellement été prévenu jeudi soir par le parquet de Saint-Brieuc. Je me doute que vous avez en tête à la fois le rapport Gaudino qui a été rédigé début 1996 et son ouvrage qui est paru il y a une quinzaine de jours. Il faut savoir que nous travaillons, dans le département des Côtes-d'Armor, avec cinq tribunaux, trois tribunaux de grande instance et deux tribunaux de commerce. Il y a des dossiers qui sont sensibles parce qu'ils sont très importants sur le plan de l'emploi. Il y a des affaires qui concernent 50, 100, 150 ou 250 personnes. Ce sont des dossiers très importants. Cela intéresse tout le monde et nous sommes nous-mêmes très intéressés par ces dossiers, non pas pour le revenu qu'ils peuvent procurer, mais par la solution qui devrait être mise en oeuvre. La politique des tribunaux et l'état d'esprit sont à peu près les mêmes dans toutes les affaires qui sont ouvertes. On les connaît parce qu'on travaille avec toutes ces juridictions. Il y a des dossiers qui sont sensibles et il y a des intérêts divergents. Je suis moi-même souvent partagé entre les créanciers à qui on doit malheureusement de l'argent et qui sont rarement payés, et les débiteurs qui n'ont pas payé et qui souhaitent continuer leur activité et arriver à des solutions qui ne les lèsent pas.

En 1988 - j'ai pris cette date parce que cela remonte à dix ans maintenant -, il y a eu une affaire très sensible à Saint-Brieuc qui concernait la société anonyme Labbé de Lamballe. C'est un dossier intéressant, et je vais essayer de vous donner ma façon de penser et les raisons qui me poussent à considérer que cette affaire, qui est passée devant le tribunal de commerce de Saint-Brieuc, s'est bien sortie de sa situation de liquidation judiciaire.

Le redressement judiciaire de la société Labbé est prononcé le 6 juillet 1988. Quelques jours plus tard, je ne sais pas pour quel motif, il y a une occupation d'usine soutenue par la CFDT. L'entreprise employait 223 personnes. C'était un très gros dossier pour la ville de Saint-Brieuc. L'usine était située à Lamballe. Elle a donc été occupée huit ou dix jours après le jugement de redressement judiciaire.

L'administrateur s'est retrouvé dans de sérieuses difficultés. Il ne pouvait plus produire et avait d'importants problèmes pour assurer la paye du personnel et permettre la continuation de l'activité.

Moins de trois semaines plus tard, le 29 juillet 1988, est présentée une requête de l'administrateur judiciaire, qui était à l'époque Maître Laurent de Saint-Malo. Cette requête en liquidation judiciaire était cosignée par MM. Pierre et Benoît Labbé, dirigeants d'une entreprise mondialement connue. Pourquoi ? Parce qu'elle a deux activités : elle fabrique des carrosseries sèches et des véhicules blindés. Le véhicule de M. Mitterrand était, par exemple, à l'époque, en fabrication à Lamballe. Les deux frères Labbé avaient été médaillés par une banque régionale quatre ou cinq mois plus tôt parce qu'ils avaient trouvé des marchés exceptionnels en Union Soviétique et ils avaient fait parler d'eux.

Ils déposent le bilan. Ils demandent la liquidation judiciaire à l'appui de la demande de l'administrateur judiciaire. Il était quand même assez surprenant que des chefs d'une entreprise pareille, très connue, qui tenaient beaucoup à leur notoriété, déposent une requête en liquidation judiciaire. La liquidation judiciaire est prononcée, ce qui était assez logique compte tenu du fait que Pierre et Benoît Labbé, dirigeants d'entreprise, soutenaient eux-mêmes la liquidation judiciaire.

En sortant de l'audience le jour de la liquidation judiciaire, j'interroge Benoît Labbé et lui demande pourquoi ils ont déposé une telle demande. Il me répond qu'ils ont une proposition d'acquisition. L'après-midi même ou le lendemain, je reçois à mon bureau une proposition d'acquisition, non pas signée de Pierre Labbé et de Benoît Labbé parce que c'est illégal, mais d'un industriel de la région malouine qui va être interchangé avec un autre industriel de la région des Côtes-d'Armor. Les frères Labbé pensaient benoîtement qu'on allait vendre une entreprise en liquidation judiciaire à un dirigeant qui venait de déposer le bilan en demandant le licenciement de 223 personnes puisque la liquidation judiciaire suppose et impose presque que le licenciement intervienne quasi immédiatement. La raison technique en est que les ASSÉDIC, qui paient les indemnités de licenciement, interviennent en vertu des dispositions de l'article L. 143-11-1 du code du travail qui précisent que les ASSEDIC n'interviennent que si le liquidateur licencie dans les quinze jours suivant la liquidation judiciaire.

La société Labbé était une entreprise de plus de 50 salariés, disposait donc d'un comité d'entreprise, et devait obligatoirement le réunir pour l'informer... Les délais sont extrêmement courts, il fallait donc entamer tout de suite la procédure de licenciement.

Je pèse mes mots : je pense que Pierre et Benoît Labbé espéraient faire acheter leur entreprise après licenciement de la totalité du personnel et redémarrer une nouvelle affaire sur les cendres de l'entreprise pour laquelle ils venaient de demander la liquidation judiciaire et dont on pouvait espérer qu'elle allait vraisemblablement bien tourner puisqu'elle avait des carnets de commande, une clientèle, etc.. Elle avait du passif, certes, mais elle avait quand même une activité.

J'ai appelé l'administrateur judiciaire, je lui ai demandé les contacts qu'il avait eus, j'ai pris le bottin des professionnels de la carrosserie et j'ai contacté personnellement Touillet Père et Fils dans la région lyonnaise, concurrent direct de Labbé. Ils m'ont répondu que cela ne les intéressait pas. C'était évidemment le principal concurrent en matière de fabrication de carrosserie (que l'affaire soit fermée par suite de liquidation judiciaire ne pouvait que les arranger). J'ai contacté d'autres constructeurs : Valcar de la région, une entreprise de Nantes, Blond Baudoin qui fait de la carrosserie ; j'ai contacté des transporteurs de fonds, la Société SIBS de la région parisienne. J'ai eu en moins de quinze jours - parce qu'il fallait que j'aie ces offres en moins de quinze jours - sept voire huit contacts sérieux pour déposer des propositions de redressement.

Pendant cette période de quinze jours, j'étais présent du matin au soir dans les locaux de la société Labbé, après avoir obtenu la libération de l'usine parce que je souhaitais trouver un repreneur. Il fallait qu'on puisse faire visiter une entité industrielle en état de fonctionner et de redémarrer. J'ai obtenu cette libération avec l'accord de la CFDT et on a commencé à négocier en partenariat avec le syndicat.

J'ai eu six à sept contacts très fermes et très sérieux. J'ai reçu en définitive quatre propositions d'acquisition dont une a été présentée par un dénommé Daniel Gauthier, dont vous avez vu le nom puisque c'est lui qui est le plus cité dans les dossiers qui me concernent. Il est expert-comptable à Rennes et commissaire aux comptes en second de deux banques régionales, la Banque de Bretagne et la Société de développement régional. Il s'est présenté et je l'ai vu pour la première fois de ma vie dans les locaux de la société Labbé. Je me suis engagé à lui communiquer toute la comptabilité susceptible de l'intéresser en dehors de certaines commandes en cours, ce que j'ai fait ultérieurement parce qu'il fallait quand même que le repreneur potentiel sache à quoi s'en tenir.

Je l'ai donc rencontré pour la première fois de ma vie ce jour-là.

Quinze jours après, juste à l'expiration du délai de licenciement, il fallait que je vende une entreprise sans licencier les salariés qui allaient être repris parce qu'il aurait été pour le moins scandaleux de vendre une entreprise après avoir licencié l'intégralité du personnel et en faisant bénéficier l'acheteur des aides à la création d'emplois qui existaient à l'époque (je crois que c'était 45 000 ou 47 000 francs par salarié) pour réembaucher des gens qui avaient été licenciés.

Les quatre propositions étaient les suivantes : la proposition d'un des frères Labbé pour un prix d'acquisition de 6 165 000 francs ; une deuxième offre d'un carrossier de 1 500 000 francs pour les mêmes actifs ; une troisième proposition également régionale de 7 500 000 francs ; et l'offre de Daniel Gauthier pour le compte de Noël Amstrat, qui était un investisseur d'origine syrienne naturalisé français, à hauteur de 13 208 000 francs.

Le nombre de salariés dont la reprise était proposée par Mohed Altrad se montait à 96 personnes. Dans les autres offres, 94 salariés étaient repris dans le cadre de l'offre à 7,5 millions de francs, 85 salariés pour l'offre à 1,25 million de francs et 70 salariés pour l'offre à 6 165 000 francs présentée pour le compte des frères Labbé.

J'avais le choix soit de partir en vacances en me disant que je serai, de toutes façons, payé de la même manière, - ce qui est vrai -, ou de régler le dossier malgré une décision de liquidation judiciaire qui me conduisait, conformément à la loi, à prendre des décisions de licenciement. J'ai pris le risque - et je recommencerai demain exactement de la même manière - d'accepter une proposition faite par un dénommé Daniel Gauthier qui, en plus de la qualité de son mandant (puisqu'il agissait pour le compte d'un dénommé Altrad) représentait également un transporteur et des clients potentiels de la Société Labbé, lesquels avaient effectué l'offre la plus élevée en nombre de salariés et en prix. Le personnel repris n'a pas été licencié, on a fait l'économie de 93 licenciements (l'économie pour les ASSÉDIC, pour vous, pour moi, pour tous ceux qui payent des impôts ici). Le prix a été totalement payé. J'ai soldé l'intégralité du passif relevant de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985, l'intégralité des créances salariales ; nous avons payé la totalité des revendications de propriété qui avaient été présentées.

Il faut le savoir car ce n'est pas indiqué dans le compte rendu qui est fait de cette affaire.

Il faut également savoir que quelques jours avant le dépôt de bilan, des salariés, qui avaient travaillé sur place à la fabrication de machines, n'avaient pas été payés. Je pense à une entreprise normande qui avait l'équivalent de deux mois de chiffre d'affaires, 350 000 francs de travaux faits chez Labbé, que j'ai pu payer dans le cadre d'actions en revendication de propriété. Pourquoi ? Parce qu'on revendait à un prix correct et qu'on retirait le prix de cession.

Voilà dix ans que cette affaire a été vendue et dix ans qu'elle tourne. Le capital social au départ était de 3 millions de francs, il est passé à 15 millions de francs, d'après le dernier extrait Kbis que j'ai demandé, il y a quelques mois. Elle emploie actuellement près de 170 salariés.

J'ai dit tout à l'heure que Labbé SA faisait du blindé léger et de la carrosserie messagerie. Cette seconde activité perd de l'argent. La carrosserie messagerie a quasiment toujours perdu de l'argent. J'ai rencontré à plusieurs reprises Daniel Gauthier pour lui demander ce qu'il comptait faire pour éviter de scinder en deux l'affaire. C'est un capitaliste puisqu'il a investi pour le compte de tiers mais il s'est retrouvé finalement principal détenteur du capital social.

Je ne suis pas associé avec lui dans la société Labbé, nouvelle ou ancienne ; je ne suis pas intéressé directement ou indirectement à cette vente en dehors de mon métier de liquidateur judiciaire.

Il n'a jamais scindé l'affaire en deux ; il a conservé la branche déficitaire, qui était la branche de la carrosserie sèche ; elle ne perd plus d'argent aujourd'hui. Il a peut-être renoncé, pour lui et ses associés de l'époque, à des dividendes qu'il aurait pu percevoir.

Cette affaire, je le rappelle, emploie 170 personnes. Le résultat de ce dossier, c'est d'abord que des gens compétents se sont intéressés à cette affaire, que des gens intelligents ont pris des risques énormes. C'est une affaire qui tourne.

Quelques années plus tard, en 1991, l'affaire Guérin éclate. C'est le deuxième gros dépôt de bilan de la décennie des années 1990, que Maître Robert connaît mieux que moi parce qu'il était administrateur judiciaire de cette affaire qui a abouti à un plan de cession homologué par le tribunal de commerce de Saint-Brieuc au profit de la Société vitréenne d'abattage (SVA), qui est une entreprise performante, une des meilleures en Europe actuellement. La société Guérin serait fermée si on avait accepté de se tenir au plan de continuation présenté par Michel Guérin, dirigeant de l'époque, évincé par le tribunal parce qu'il avait eu des pratiques frauduleuses dans le cadre de la gestion de son entreprise. Michel Guérin a été incarcéré quatre mois et demi à la maison d'arrêt de Saint-Brieuc, il y a trois ou quatre ans, pour des problèmes de tampon... Bref, on passera là-dessus.

Michel Guérin, qui s'est trouvé à l'époque dans une situation délicate sur le plan personnel parce qu'il était écarté de la direction de son entreprise, a décidé de prendre un avocat, Maître Philippe Monnet. Celui-ci a engagé au moins 200 procédures civiles et pénales contre les décisions du juge-commissaire Danchaud, contre les décisions du tribunal de commerce de Saint-Brieuc, contre les décisions de la cour d'appel de Rennes. Il y avait tierce opposition, opposition, appel, pourvoi en cassation.

M. le Rapporteur : Quelles sont les raisons de ce harcèlement judiciaire ?

M. Daniel DAVID : Il faut décrire le contexte. Michel Guérin est un ancien boucher-charcutier de Trémorel. Charcutier, il a créé cette affaire d'abattoir il y a vingt-cinq ans. Il s'est agrandi.

M. le Rapporteur : Il ne l'a pas supporté.

M. Daniel DAVID : Non, c'était la méga-entreprise à la frontière du département de l'Ille-et-Vilaine et il était le pacha local, qui avait réussi dans la vie, qui était passé du statut de petit boucher à celui d'exploitant d'un abattoir qui employait plus de 350 personnes à une certaine époque ; il s'est retrouvé en situation de redressement judiciaire et a très vite été écarté de la gestion de son affaire. Sa réaction est d'abord d'aller chercher des repreneurs pour rentrer dans le capital social et présenter un plan de liquidation. Ensuite, on s'est retrouvé, l'administrateur judiciaire et moi-même, avec des contacts...

M. le Rapporteur : En dehors des détails qu'on peut imaginer, quels sont les reproches qui sont faits à Maître Robert et à vous-même ?

M. Michel ROBERT : C'est le coeur du dossier. Que nous a reproché Guérin ? Il nous a dit qu'il y avait une vaste manipulation faite par les pouvoirs publics. Il mettait, en effet, en cause (et on le retrouve dans le rapport Gaudino) M. Méhaignerie. Il disait qu'il y avait une vaste manoeuvre politique, que tout le monde avait des aides, sauf lui. Je suis très à l'aise pour en parler parce que c'est un des gros dossiers pour lesquels je n'ai jamais bénéficié d'intervention du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), qui était pourtant susceptible de le faire. Il lui arrive de faire des interventions officielles, y compris par l'intermédiaire du parquet.

M. le Rapporteur : Quel reproche concret vous faisait-on ?

M. Michel ROBERT : On me reprochait d'abord d'être complice parce que j'étais banquier et que j'avais parmi mes clients SVA. Je travaillais effectivement dans une filiale du Crédit Agricole qui s'appelait UNICRÉDIT. Il est vrai que j'étais salarié du Crédit Agricole. SVA était effectivement client du Crédit Agricole. Je suis quand même très à l'aise parce que j'avais au-dessus de moi un sous-directeur et un directeur général et que les concours bancaires étaient gérés par le PDG à Paris. Par ailleurs, SVA est une entreprise qui n'était pas demandeur de concours mais qui était apporteur de trésorerie. Je n'étais donc pas responsable de la gestion de ces dossiers.

Le deuxième grief invoqué est le suivant : nous avions fait un plan de cession alors qu'un plan de redressement par continuation était possible. Il y a deux décisions de justice. La première est celle du tribunal de commerce de Saint-Brieuc. Cette décision, selon ses détracteurs n'aurait pas de valeur car il y aurait eu collusion entre le tribunal et moi-même. Mais la décision de la cour d'appel de Rennes est très claire :

« Considérant par ailleurs qu'abstraction faite des questions relatives à l'apurement du passif, le plan de continuation de la société Guérin ne pouvait davantage être accepté du seul fait de l'absence de toute garantie financière quant au sérieux de ses modalités d'exécution, qu'admettant à cet égard la nécessité d'une restructuration de son capital social et d'un apport de fonds frais pour assurer le redémarrage de l'entreprise, l'entreprise Guérin n'a cependant pu justifier de la réalité des concours financiers qu'elle annonçait dans son plan, aucun engagement ferme et précis n'ayant été produit à l'audience du tribunal et que force est de constater que la situation n'a pas évolué de façon significative. »

M. le Rapporteur : Vous me communiquerez cet arrêt. Mis à part ce grief, j'ai cru comprendre qu'on vous reprochait d'avoir tout décidé avec le tribunal à l'avance et l'attestation d'un ancien président du tribunal de commerce appuyant cette thèse a même été versée au débat dans l'Événement du Jeudi. Cette histoire est-elle vraie ou n'est-elle pas vraie ?

M. Michel ROBERT : Elle est fausse.

M. Daniel DAVID : Je n'y étais pas.

M. Michel ROBERT : C'est le fameux repas au restaurant « Chez Crouzil ». Je ne suis pas un amoureux des repas, je ne bois que de l'eau.

M. le Rapporteur : Vous étiez à ce repas ou pas ?

M. Michel ROBERT : J'étais à ce repas.

M. le Rapporteur : Le président du tribunal de commerce de l'époque, M. Noël, a-t-il exagéré ?

M. Michel ROBERT : C'est M. Noël qui a été à l'origine du repas.

M. Daniel DAVID : Intéressant. Il n'a pas été réélu président, et il a décidé d'aller s'installer comme administrateur judiciaire en demandant un stage à Maître Robert. C'est authentique !

M. Michel ROBERT : Ce Monsieur Noël est venu me voir pour me demander un stage en 1991. J'étais moi-même installé depuis le 1er avril 1990. Je n'y étais pas opposé pour la raison très simple que je cherchais effectivement un stagiaire car je ne fais pas de malthusianisme.

M. le Rapporteur : Ce monsieur était juge consulaire ?

M. DANCHAUD : Il a été président de ce tribunal de commerce.

M. le Rapporteur : Il l'avait été au moment où il est venu vous voir. Et le contenu de l'attestation ?

M. Michel ROBERT : Je lui ai conseillé de prendre contact avec le parquet général. Il a dû rencontrer M. Abrial puis est revenu me voir en disant être intéressé par un stage. On a parlé alors de rémunération ; il m'a indiqué vouloir une rémunération de 800 000 francs par an. Je lui ai répondu que ne les gagnant pas, je ne pouvais pas les lui donner. Le problème était là.

Il a demandé des expertises au président du tribunal en tant qu'expert en diagnostic d'entreprise, ce qu'il devait être auprès de la cour d'appel. J'ai eu un dossier avec lui en tant qu'expert en diagnostic d'entreprise. Comme l'exige le texte, j'ai réduit mes honoraires du montant des siens, alors même qu'il se plaignait que les administrateurs judiciaires lui mangeaient la laine sur le dos. Il a donc souhaité que nous nous rencontrions et m'a invité à ce fameux repas « Chez Crouzil ». Il y avait invité des gens - je ne le savais pas - afin d'exercer une pression pour que je le prenne en stage.

Il n'était plus président.

M. le Rapporteur : Je crois qu'il a été libéré en 1986-1987.

M. Michel ROBERT : Je vais vous dire pourquoi il y a deux incohérences.

M. le Rapporteur : Cette fameuse attestation existe-t-elle ?

M. Gérard LE BOURHIS : Elle existe, oui.

M. Daniel DAVID : Il a fait des attestations contre tout le monde.

M. le Rapporteur : Mais il en a fait une.

M. Michel ROBERT : Elle a été rejetée par le tribunal, par la cour d'appel et par la Cour de cassation.

M. le Rapporteur : Cela me suffit. Je voulais une réponse précise. Qu'il vous ait demandé un stage, c'est presque un détail étant donné la position et la décision du tribunal par rapport à cette attestation.

M. Gérard LE BOURHIS : C'est pour vous expliquer l'environnement du dossier.

M. le Rapporteur : Oui, c'est tortueux et assez compliqué.

M. Michel ROBERT : Il y a deux incohérences. Premièrement, l'auteur de l'attestation précise qu'à l'époque du repas, la société Guérin n'était pas encore en redressement. Gaudino reprend cet élément d'ailleurs. Il est en pleine contradiction ! Or, cela fait dix ans que le bruit courait que Guérin allait déposer son bilan prochainement. Tous les représentants de la presse ici présents pourront le dire. Deuxièmement, si le repas avait été vraiment organisé pour évoquer le dossier Guérin, c'est Maître Laurent qui aurait dû être nommé représentant des créanciers et non Maître David. Vous trouvez plausible qu'un président de tribunal dans un restaurant, en présence de je ne sais combien de personnes, parle d'un dépôt de bilan potentiel et dise « il faut que vous preniez tel cessionnaire » !

M. le Rapporteur : Je passe sur ce grief que je ne qualifie pas, ce n'est pas mon rôle, c'est aux tribunaux de le faire.

M. Michel ROBERT : Il faut que vous le sachiez.

M. le Rapporteur : Je veux essayer de comprendre ce qui se passe ici.

L'autre point qui m'intéresse, c'est le grief portant sur votre rémunération dans ce dossier Guérin ; elle a été ramenée du double au simple après contestation par l'intéressé. Vous aviez demandé 1,2 million de francs et l'on a ramené cette somme à 610 000 francs.

M. Michel ROBERT : Oui, c'est cela. J'ai donc fait ma requête de taxe auprès du juge-commissaire.

M. le Rapporteur : Vous aviez demandé combien pour cette affaire Guérin ?

M. Michel ROBERT : La demande se fondait sur une décision de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Rennes qui considérait qu'il s'agissait d'un plan de cession totale. Je présente la taxe au juge-commissaire qui la signe ; le président du tribunal la signe... Guérin fait appel, il fait opposition, et il saisit le juge taxateur. Vu l'importance du dossier, c'est le président du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, membre du Conseil supérieur de la magistrature, qui prend l'affaire en main et qui confirme mes honoraires. Guérin fait appel de la décision du président du tribunal de grande instance statuant en tant que juge taxateur, et la cour d'appel de Rennes infirme cette décision en disant que la cession est partielle. Cela veut dire qu'un conseiller de la cour d'appel de Rennes a rendu une ordonnance en contradiction avec la décision prise par la chambre correctionnelle.

Il me fallait une solution. Je fais donc un pourvoi en cassation. La Cour de cassation confirme qu'il s'agit d'une cession partielle. Il faut savoir que si je fais la requête de taxe, en cession partielle, elle sera supérieure à celle de la cession totale, parce que j'avais pris le minimum. Ce n'est pas écrit. En cession partielle, il faudrait que je taxe normalement tous les actifs qui n'ont pas été pris en compte dans le cadre de la cession totale, comme le dit la Cour de cassation, et ces actifs étaient considérables.

M. le Rapporteur : Cette somme de 1,2 million de francs correspondait à combien d'années de travail ?

M. Michel ROBERT : Ce n'est pas fini parce que j'ai 200 dossiers.

M. le Rapporteur : Mais sur ce dossier-là ?

M. Michel ROBERT : Je parle des 200 dossiers Guérin que je n'ai pas fini de traiter.

M. le Rapporteur : Comment cela, 200 dossiers ?

M. Michel ROBERT : 200 dossiers contentieux.

M. Daniel DAVID : Tout est contesté, on plaide tout !

M. le Rapporteur : Vous savez que ce sont des honoraires qui s'apparentent à ceux qui ont été demandés par les avocats dans l'affaire de l'Amoco-Cadiz !

M. Daniel DAVID : Non, dans le cadre de l'Amoco-Cadiz, c'est cinq fois plus.

M. le Rapporteur : Mais c'est de cet ordre, et pour vingt ans de procédure ! C'est donc tout à fait considérable.

M. Michel ROBERT : Ce n'est pas moi qui ai fait le texte. Le texte a été voté par les députés.

M. le Rapporteur : Non, c'est un règlement. Il n'a pas été voté par les députés et il va d'ailleurs être examiné par les députés, comptez sur moi !

M. Michel ROBERT : Moi j'applique le texte, que voulez-vous que je fasse d'autre ?

M. le Rapporteur : Tout ce qu'on vous reproche concerne le niveau extravagant de cette rémunération ?

M. Michel ROBERT : Oui. J'ai des décisions de justice que j'ai appliquées scrupuleusement.

M. le Rapporteur : En dehors du problème du tarif qui est fixé par un texte à valeur réglementaire, ne trouvez-vous pas, quand une entreprise est en difficulté, qu'un mandataire de justice comme vous, qui fait un travail important, c'est vrai - vous êtes un chef d'entreprise, de secours, en quelque sorte et nous reconnaissons donc l'importance de votre rôle dans un moment critique pour une entreprise -, prélève 1,2 million de francs sur l'entreprise mourante ou en difficulté, pose un problème économique d'ordre général ? Je m'adresse à l'économiste plus qu'au juriste que vous êtes.

M. Michel ROBERT : Bien sûr ; il m'est arrivé, dans de nombreux plans de continuation concernant de petites gens, de ne pas prendre les honoraires auxquels j'avais droit. Dans le dossier Guérin, je pense honnêtement que je ne les ai pas volés parce que vous ne pouvez pas imaginer ce qu'a été ce dossier. Encore une fois, je me suis fait agresser chez moi, j'ai été envoyé dans le fossé, j'ai reçu des lettres et des coups de téléphone de menace. Cela a été pris au sérieux puisque j'ai quand même été sous protection à la demande du parquet. Mes enfants ont eu droit à la distribution de l'article de l'Evénement du Jeudi à la sortie de l'école. Mon enfant qui était en cours préparatoire m'a dit : « papa, tu vas bientôt aller en prison ».

M. le Rapporteur : C'est le salaire de la peur alors.

M. Michel ROBERT : Non, ne me faites pas dire cela, ce n'est pas cela.

M. Daniel DAVID : Il ne faut pas raisonner comme cela.

M. le Rapporteur : Il ne faut pas tout mélanger, mon cher Maître.

M. Daniel DAVID : Monsieur le Rapporteur, le dossier Guérin est un dossier très important, pour le tribunal et pour nous également. La plupart des dossiers dans lesquels nous sommes désignés concerne de petites affaires, principalement des affaires artisanales, dans lesquelles je peux dire sans mentir qu'aucune rémunération n'est versée, et ce dans un dossier sur deux actuellement, soit parce qu'il n'y a pas d'actif, soit parce que les plans de continuation ne peuvent être présentés au tribunal si on prend les honoraires, parce que les honoraires peuvent correspondre à une année de résultat du chef d'entreprise. Je peux vous en montrer une dizaine si vous venez dans mon étude.

M. le Rapporteur : Combien faites-vous de chiffre d'affaires annuel ?

M. Michel ROBERT : J'ai réalisé 750 000 francs de bénéfice cette année.

M. le Rapporteur : Et votre chiffre d'affaires ?

M. Michel ROBERT : Mon chiffre d'affaires doit être de l'ordre de 3 millions de francs.

M. le Rapporteur : Vous avez gagné 750 000 francs cette année ?

M. Michel ROBERT : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Et vous, mon cher Maître ?

M. Daniel DAVID : Je ne vous répondrai pas. C'est un sujet qui n'intéresse que les personnes qui sont directement concernées. Vous pouvez obtenir mes revenus auprès des services fiscaux de Saint-Brieuc.

M. Michel ROBERT : Et j'ai payé 100 000 francs de frais de justice dans le procès contre l'Événement du Jeudi. Je n'ai rien à cacher.

M. le Rapporteur : Revenons au dossier Guérin.

M. Daniel DAVID : En 1993, donc deux ans après le redressement judiciaire, j'apprends qu'un projet de plainte cosigné par 33 ou 34 personnes est déposée contre David et Robert. Ce projet de plainte a donné lieu à une procédure pénale en subornation de témoin contre Philippe Monnet, avocat.

Malheureusement - je dis bien malheureusement, car ce n'est sans doute pas le dossier dans lequel il fallait le faire -, la plainte que nous avions déposée en réponse à ce document qui est, à mon sens, diffamatoire et est signé par sept personnes dont six étaient mises en examen à l'époque où la plainte a été déposée (ces 33 noms n'existent donc que par la fantaisie de l'avocat), a abouti à l'incarcération pendant quinze jours de Philippe Monnet.

Cela a provoqué, en 1993, le déchaînement de l'avocat Philippe Monnet qui a engagé à mon encontre - et je crois également à l'encontre de Maître Robert - plusieurs procédures civiles et pénales, dans les affaires Cadieu et Zalewski. Je dois faire au total l'objet de six à dix procédures sur le plan civil qui viennent toutes de son cabinet, portant son nom ou le nom de son associé, parce qu'il n'a pas le droit de s'intéresser à Maître David depuis quelques années maintenant.

Parallèlement j'ai été confronté à une affaire Langlais, dans laquelle a eu lieu une tentative d'escroquerie avec menaces de mort à l'encontre d'acheteurs potentiels tout à fait honnêtes et avec des tentatives de rachat d'actifs par le débiteur. Il a fallu que j'aille rencontrer le procureur de Saint-Brieuc pour lui expliquer qu'il y avait des gens qui m'avaient fait une proposition et qui avaient fait l'objet de menaces physiques de mort. Les personnes ont été entendues. Le résultat immédiat de cette audition par le procureur de la République de Saint-Brieuc, a été la mise sous contrôle judiciaire de Philippe Monnet, par le juge Pascal Pédron, sur décision du 18 mai 1995. Ce n'est pas le juge d'instruction qui avait incarcéré Monnet. J'en parle parce que l'autre n'a peut-être pas eu raison de l'incarcérer. Le juge Pédron a une très bonne réputation. La mise sous contrôle judiciaire s'accompagnait de l'obligation de s'abstenir de recevoir ou de rencontrer plusieurs personnes, dont Daniel David et de l'interdiction de se livrer à des activités professionnelles ou sociales suivantes : « À compter du 18 juillet 1995 à zéro heure, activité d'avocat dans les matières relatives au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises visées par la loi du 25 janvier 1985 ».

Le 30 août 1995, à peine deux mois plus tard, est constituée l'Association de lutte contre les délits de type mafieux présidée par Jean-Yves Cadieu. C'est un client des tribunaux de commerce bien connu, à Rennes, à Saint-Malo. Vous connaissez l'adage : faillite sur faillite ne vaut.

Jean-Yves Cadieu a fait l'objet, directement ou indirectement, de sept procédures collectives. Il est actuellement en liquidation de biens chez Maîtres David, Laurent et Berthelot à Rennes. La procédure qui me concerne ne concerne qu'un passif d'environ 4 millions de francs qui remonte à 1983. Cela ne l'a pas empêché de continuer à agir.

Cadieu prend la présidence de cette association et écrit en avril 1996, à la SCP Monnet/Dardy :

« À la suite de nos entretiens, je vous confirme le strict cadre des relations que nous entendons établir avec votre étude et que nos deux parties voudront bien respecter. L'association établira en votre étude la domiciliation et le dépôt des travaux qu'elle entend mener sans que le titre d'auteur ne puisse vous être dévolu. L'association sur sa demande bénéficiera de vos services administratifs pour collecter tous les commentaires, mettre dans la forme de l'art judiciaire tout rapport qu'elle émettrait, distribuer tous documents au rapport qu'elle entend faire connaître. »

Le rapport Gaudino est déposé à la même époque. Je suis cité quasiment dans tous les dossiers qui sont visés dans ce rapport. Je suis en possession d'un document que je vais vous communiquer et que j'ai déposé à l'époque auprès du procureur de Saint-Brieuc, des magistrats du tribunal de commerce et du parquet, qui répond à tout ce qui est écrit dans ce rapport.

Monnet, qui n'a pas le droit de plaider en matière de faillite sous le régime de la loi de 1967, verra le contrôle judiciaire qui lui est appliqué étendu suite à une intervention au tribunal de Quimper dans lequel il plaide pour une affaire relevant de la loi de 1985. Rien ne l'arrête. J'ai deux plaintes qui sont déposées par Cadieu et Zalewski. Cadieu, le président de l'association, assisté de Maître Marine Le Pen et d'Antoine Gaudino, va intervenir dans la presse d'extrême-droite, à plusieurs reprises : National Hebdo reprend l'intégralité du rapport Gaudino ; dans un article, Minute informe du repas dont vous faisiez état tout à l'heure et auquel je n'étais pas. Ils interviennent dans des dossiers parmi lesquels celui d'un hôtelier de Mérignac qui occupe son hôtel depuis cinq ans alors que celui-ci devait être vendu et qu'on ne peut pas expulser. Que se passe-t-il ? L'hôtelier entame une grève de la faim, assisté par Cadieu et par Maître Marine Le Pen.

M. le Rapporteur : Avez-vous le document que vous avez transmis au parquet faisant état de l'ensemble de vos arguments en défense ?

M. Daniel DAVID : Je vais vous le donner. C'est à travers l'association créée par Cadieu que j'ai été l'objet de dénonciations calomnieuses parce que j'ai déjà été « victime » d'une poursuite, victime entre guillemets car je gagne bien ma vie, mais je prends des coups, c'est normal ; ce n'est pas le salaire de la peur, mais j'ai dû déménager, j'habite à 90 kilomètres d'ici.

M. le Rapporteur : Je voudrais qu'on fasse la part des choses. La commission d'enquête ne souhaite pas interférer dans des affaires qui font l'objet d'une information judiciaire. Ce qui nous intéresse c'est de savoir si vous considérez que les reproches qui vous sont adressés dans le rapport Gaudino sont justifiés ou non sur le fond ?

M. Daniel DAVID : Antoine Gaudino était présent lorsque Philippe Monnet a fait l'objet de sa première perquisition en 1994. Ils ont fait une conférence de presse.

M. le Rapporteur : Je voudrais que vous nous répondiez sur le fond.

M. Daniel DAVID : Sur le fond, le rapport Gaudino a été rédigé très vraisemblablement à Saint-Brieuc tout près d'ici, très vraisemblablement chez l'avocat Philippe Monnet.

Je vous ai parlé tout à l'heure de l'affaire Labbé. Il y en a d'autres. Elles sont toutes citées dans ces notes qui ont déjà été communiquées il y a deux ans et demi, juste après l'édition du rapport, au parquet général de Saint-Brieuc, et qui ont également été envoyées à toutes les personnes qui me les ont demandées, qui souhaitaient peut-être avoir des renseignements sur les affaires visées dans le rapport de Gaudino.

Je peux vous répondre sur tous les dossiers qui sont évoqués dans ce rapport et vous donner les décisions de justice. Je vais vous donner un exemple qui me vient facilement à l'esprit parce qu'il est repris dans l'ouvrage d'Antoine Gaudino. On cite une affaire Zalewski dans laquelle il est écrit que j'ai donné à bail un immeuble commercial situé à Saint-Brieuc, rue Saint-Bruno, à un dénommé Belhaj en situation de liquidation judiciaire. C'est le premier qui est visé. C'est le seul dossier, du livre, où il m'est reproché une action qui pourrait avoir une connotation pénale. Le reste, ce sont des suppositions ou des affirmations gratuites. Je passe sur mon beau-père qui est accusé de ne pouvoir exercer la fonction de dirigeant, ce qui est absolument faux. Mon beau-père n'est pas interdit de gérer. Je pense qu'il engagera une procédure en diffamation qui est actuellement à l'étude.

J'ai été désigné liquidateur de l'affaire Zalewski par jugement du tribunal de Saint-Brieuc, du 16 janvier 1991. Lorsque j'ai été saisi de cette affaire, il y avait un immeuble commercial situé rue Saint-Bruno à Saint-Brieuc. J'ai demandé les documents relatifs à cet immeuble et on m'a donné deux baux précaires signés entre les consorts Belhaj et Zalewski. Le livre indique que j'aurais donné à bail à M. Belhaj, après ma nomination, donc forcément après le 16 janvier 1991, l'immeuble commercial du numéro 20 de la rue Saint-Bruno. Voici le deuxième bail précaire. Il y en a un qui a été signé en 1989, acte sous seing privé, signé le 1er juin 1990, soit sept ou huit mois avant ma désignation, entre Mme Chantal Zalewski et M. Belhaj Bachir qui fait suite à un premier bail précaire signé en 1989. Il est stipulé dans ce bail, de mémoire, que celui-ci expirera le 30 juin 1991.

Mon travail est de m'occuper des actifs des entreprises dont j'ai la charge. Que fais-je ? J'écris en recommandé avec accusé de réception à M. Belhaj, effectivement en situation de liquidation judiciaire à mon étude (je ne connais pas de texte qui m'interdit de signer un bail commercial) :

« Conformément au contrat que vous avez passé avec Mme Zalewski, le bail précaire qui vous a été accordé sur l'immeuble sis rue Saint-Bruno se terminera le 30 juin prochain. Je vous le rappelle afin d'éviter toutes difficultés ultérieures et je vous remercie par la présente de libérer au plus tard pour cette date, les murs commerciaux loués par Mme Zalewski. »

Voici la lettre reçue en réponse : « Mon client pense que la situation créée (deux baux, règlement des loyers entre les mains de Maître Brochen puis entre les vôtres) crée un droit à la propriété commerciale avec toutes ses conséquences de droit. En cas de difficulté, M. Belhaj serait donc conduit à saisir le tribunal de grande instance pour faire reconnaître ses droits. »

Que fais-je ? J'assigne immédiatement M. Belhaj devant le tribunal d'instance en expulsion. Le tribunal d'instance se déclare incompétent par décision du 7 octobre 1991. Nous sommes toujours en 1991, la première année de ma nomination. L'affaire est portée devant le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc qui me déboute partiellement, puis devant la cour d'appel de Rennes et, le 31 janvier 1996, la cour d'appel décide de l'expulsion de M. Belhaj sur requête de Maître David. Nous sommes alors dans une situation qui est exactement à 180 degrés de ce qui est affirmé dans l'ouvrage de Gaudino.

Cela donnera peut-être lieu à d'autres procédures en diffamation. J'ai les pièces pour répondre à tout ce qui est écrit dans le rapport. Cette affaire est probante parce qu'on affirme une chose dont j'ai la preuve contraire.

M. le Rapporteur : Tout à l'heure, nous avons parlé avec messieurs les magistrats d'une question très importante, et il faut que vous soyez précis là-dessus. Il est allégué que vous seriez personnellement, directement ou indirectement, associé à M. Gauthier qui a repris l'affaire Labbé, l'affaire de carrosserie. Est-ce exact ou est-ce inexact ?

M. Daniel DAVID : Il est inexact que je sois associé dans une affaire Labbé, directement ou indirectement. En revanche, il est exact qu'en décembre 1993, trois ans après la vente des actifs de Labbé, j'ai, avec une quinzaine d'autres personnes, sollicité Daniel Gauthier qui a une couverture financière suffisante pour qu'il participe à une société dans les Antilles françaises, dans l'Ile de Saint-Martin. Il s'agissait de financer un établissement hôtelier. Parmi les associés, il y a des médecins, il y a des parisiens, il y a une entreprise... quelques personnes sur lesquelles je ne possède que peu d'éléments ; cela a été fait dans le cadre de la loi Pons sur les investissements dans les Antilles françaises. Premièrement, il n'y a rien d'illégal là-dedans et, deuxièmement, j'avais vendu trois ans auparavant les actifs de la société Labbé. J'ai eu des liens avec M. Gauthier à l'occasion de cette affaire parce que nous nous sommes vus, pendant plusieurs mois, au moins une ou deux fois par semaine en raison des énormes problèmes posés par la cession d'une entreprise de cette taille, et je n'ai pas à me reprocher cette association faite trois ans plus tard. Je peux être associé demain pour monter une autre affaire là-bas.

En quoi cette opération est-elle illégale et quel reproche peut-on me faire ? J'aurais fait cela trois ans avant, j'aurais vendu la société Labbé à quelqu'un que je connaissais, d'accord, mais ce n'est pas le cas.

M. le Rapporteur : J'ai une question à vous poser : étiez-vous désigné par le tribunal dans l'affaire Conan également ?

M. Daniel DAVID : Oui.

M. le Rapporteur : Et dans l'affaire le Mont Carmel pour la première partie ?

M. Daniel DAVID : Pour la première partie, oui.

M. le Rapporteur : J'ai un raisonnement simple, mon cher Maître : vous êtes associé avec Maître Gauthier dans des affaires qui n'ont rien à voir avec la reprise...

M. Daniel DAVID : ... une affaire qui n'a rien à voir et qui est complètement indépendante, une affaire de défiscalisation.

M. le Rapporteur : Je veux travailler sur pièces, je ne veux pas vous mettre en cause inutilement et sans justification. On m'envoie des documents. Je vois que vous avez immatriculé une société Pétrus aux Antilles.

M. Daniel DAVID : Oui, Pétrus SARL. Il y a trois cogérants.

M. le Rapporteur : Oui, il y a trois cogérants qui gèrent une société qui est aux Antilles, intitulée Orient Stone. J'ai sous les yeux le Kbis. Cette cogérance fait apparaître que la société Pétrus est gérée elle-même par Mme Véronique David, votre épouse.

M. Daniel DAVID : Oui.

M. le Rapporteur : L'autre société, qui est par ailleurs cogérante, c'est-à-dire SIGO, est dirigée par Mme Gauthier, c'est-à-dire l'épouse de Daniel Gauthier. Et on me fait parvenir un autre document sur une société SNC, TOP CAMPU RENNES BEAUREGARD où les deux mêmes sociétés, c'est-à-dire Pétrus et SIGO sont présentes. Il y a quatre associés. Il y a CHÉRUPA HOLDING, SIGO, M. Michel-Emile-Louis BIGOT, Pétrus, et TOP CAMPUS.

M. Daniel DAVID : Il y en a d'autres.

M. le Rapporteur : J'ai les statuts. Il y en a quatre dont les deux mêmes. Vous êtes donc associés dans deux affaires avec M. Gauthier. La question que je me pose - et nous l'avons posée aux magistrats qui vous désignent -, c'est que vous avez été désigné comme représentant des créanciers à un moment où vous étiez en affaire avec M. Gauthier, non pas tant dans l'affaire Labbé (c'était antérieur) mais postérieurement dans l'affaire de la reprise de Conan, et dans la reprise de Mont Carmel. Ces deux sociétés font apparaître Labbé comme associé au repreneur M. Robin, c'est-à-dire que Labbé, qui a été repris par M. Gauthier, votre associé - le problème est là -, a repris avec Robin la société Conan dans laquelle vous êtes mandataire-liquidateur, et le même Labbé est associé dans la reprise du Mont Carmel avec M. Robin alors que vous êtes mandataire-liquidateur dans cette affaire.

M. Daniel DAVID : Je ne suis pas mandataire-liquidateur de Mont Carmel, je suis représentant des créanciers. Je n'ai pas vendu dans le dossier du Mont Carmel et je n'ai absolument rien vendu non plus dans le dossier Conan.

M. le Rapporteur : Vous comprenez que cela donne des arguments à ceux qui vous attaquent.

M. Daniel DAVID : Vous êtes avocat, vous savez lire les documents. Il ne s'agit pas d'être la vox populi qui lit un article de presse ou un ouvrage d'Antoine Gaudino.

M. le Rapporteur : Il faut que vous me répondiez.

M. Daniel DAVID : Je vous réponds très clairement : l'affaire Conan a été ouverte le 14 avril 1993 dans le cadre d'un redressement judiciaire sur dépôt volontaire de son dirigeant qui devait s'appeler M. Maillot. La société Conan à l'époque bénéficiait d'un concordat qu'elle avait obtenu sous l'empire de la loi de 1967, concordat qui avait peut-être été homologué. La société Conan, qui ne peut pas payer ses échéances concordataires, décide de déposer son bilan. Dans les jours qui suivent, un acheteur dénommé Goubin (je crois que c'est le fils), se présente pour faire l'acquisition des actifs de la société Conan. L'actif se monte à l'époque, entre les stocks, l'immeuble, le matériel d'exploitation, à une valeur d'environ 4 à 5 millions de francs ou 6 millions de francs peut-être. Il est difficile d'estimer les stocks d'une affaire de chaussons, affaire très difficile à gérer. Cet acheteur se présente et offre d'acquérir, pour une somme relativement symbolique, les actifs de la société Conan. Cela a vraisemblablement aussi entraîné des licenciements, tous les salariés n'étant pas repris. Il s'agissait d'un projet de plan de cession, c'est-à-dire qu'on n'achetait pas cher - mais la loi l'autorise peut-être - des actifs d'une société en ne reprenant pas tout le personnel, et on ne payait pas le passif.

Je prends l'initiative de contacter Daniel Gauthier, qui est expert-comptable et qui a une clientèle étoffée, pour lui indiquer qu'il y a à Saint-Brieuc une affaire qui emploie 45 personnes qui connaît de sérieuses difficultés de gestion et d'exploitation et fait l'objet d'une offre. Je pensais qu'une autre solution pourrait être plus honorable pour cette affaire.

Ce n'est pas à lui que j'ai demandé de faire l'offre. Je suis très clair là-dessus, mais je l'ai contacté pour savoir s'il avait une clientèle intéressée.

M. le Rapporteur : Il a mis 500 000 francs dans l'affaire.

M. Daniel DAVID : Non, ce n'est pas exactement cela, ce n'est même pas cela du tout. Un dénommé Robin arrive. Ce n'est pas Gauthier, c'est Robin qui met 500 000 francs.

M. le Rapporteur : Non, ils mettent 500 000 francs chacun.

M. Daniel DAVID : Laissez-moi au moins m'expliquer sur le dossier ! Nous avons un dénommé Goubin qui fait une proposition d'acquisition sans reprendre le passif. Et il y a, à côté, une solution, non pas d'acquisition des actifs qui est déposée, mais une proposition faite par M. Olivier Robin - avec une banque et Labbé - de rachat des participations dans le capital social de la société Conan pour déposer un projet de plan de continuation. Cette solution a été acceptée, - ce qui est assez logique parce que c'est celle qui paraissait la meilleure et fondée sur le plan économique -, par un jugement du 6 mai 1993 dans lequel sont reprises toutes les propositions qui sont faites, celle de Goubin et celle d'Olivier Robin avec l'assistance de la filiale d'une banque, et de la SAV de Lamballe. Ces gens n'achètent pas les actifs, ils proposent de reprendre la participation au capital social pour déposer un projet de plan de continuation. Nous sommes dans le respect des dispositions de la loi pour envisager le maintien de l'emploi et le paiement du passif.

Quelques mois plus tard, sans qu'aucune cession d'actif n'intervienne au profit de ces personnes, le tribunal de Saint-Brieuc par un jugement du 22 décembre 1993 homologue un projet de plan de continuation comportant le paiement du passif de la société Conan, non pas seulement du nouveau passif, mais également celui de la phase concordataire. Il y a deux passifs : le passif concordataire et le passif post-concordataire. Les personnes qui ont repris la participation du capital offrent de payer la totalité du passif Conan dans le cadre de l'exploitation de cette entreprise. Le tribunal pouvait difficilement refuser le maintien de l'emploi et le paiement du passif. Le concordat a été totalement soldé depuis et le plan qui a été homologué par le tribunal s'est continué et a été respecté. Que veut-on aujourd'hui ? Est-ce parce que David connaît Gauthier, qu'il ne faut surtout pas vendre et mettre 45 personnes dehors ?

M. le Rapporteur : La question posée par la commission n'est pas celle-là. Nous nous sommes expliqués avec les magistrats sur l'opportunité des décisions qui ont été prises. Cela concerne la justice, les magistrats. La question qui est posée est celle de savoir s'il y a un conflit d'intérêts.

M. Daniel DAVID : Non, sincèrement non.

M. le Rapporteur : L'appréciation subjective que vous en faites semble avoir été critiquée de part et d'autre et c'est peut-être une des explications à la situation un peu procédurière, de harcèlement dites-vous, dans laquelle vous vous trouvez.

M. DANCHAUD : Ce qui serait encore plus grave, ce serait de laisser imaginer que le tribunal ait couvert une action qui pourrait être considérée comme répréhensible.

M. le Rapporteur : Moi, ce que je vois, Monsieur le Vice-président, c'est qu'il y a les affaires personnelles, et il y a le mandat de justice.

M. DANCHAUD : Des affaires personnelles qui sont parfaitement inconnues du tribunal.

M. le Rapporteur : Nous nous en sommes expliqués tout à l'heure. C'est acquis.

M. DANCHAUD : On ne lit pas les extraits Kbis de toutes les sociétés en France.

M. le Rapporteur : C'est cette question qui vous est posée et c'est un point qui constitue, en France, un des graves problèmes dans le fonctionnement des tribunaux de commerce. Il y a aujourd'hui 36 affaires (selon les chiffres de la Chancellerie) concernant vos confrères, Madame, Messieurs, sur des conflits d'intérêts de ce genre, des malversations au titre de l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985, article qui organise la répression des conflits d'intérêts. Je suis un peu surpris que cela ne vous aide pas à comprendre la situation dans laquelle le tribunal se trouve aujourd'hui.

M. Daniel DAVID : Les affaires que vous citez sont des affaires qui emploient de nombreuses personnes dans la région. Je veux bien entendre tout ce que vous voulez mais je n'ai pas commis d'irrégularité, je n'ai pas commis d'acte frauduleux, je n'ai jamais été mis en examen, et je ne pense pas que je le serai. Une chose est certaine, c'est que ces dossiers, quoi que vous en pensiez, quoi que vous puissiez lire dans les ouvrages de Gaudino ou de quiconque - tant que c'est du Gaudino, du Cadieu ou du Monnet, cela ne me gêne pas beaucoup -, ont abouti à des solutions qui répondent à des dispositions légales, c'est-à-dire le respect des créanciers et le maintien de l'emploi. Vous pouvez penser ce que vous voulez de moi mais je me bats dans toutes les affaires dont je suis saisi pour arriver à des solutions de bon sens et de sauvegarde de l'emploi. Je me moque de savoir combien je vais gagner dans telle ou telle affaire, ce n'est pas la question. Ce n'est pas mon association fin 1993 dans une affaire avec Daniel Gauthier qui changera demain ma façon de faire. Je recommencerai demain de la même manière, quoi que vous en pensiez, parce que je suis intervenu dans ces affaires avec des solutions de bon sens sur le plan social et économique.

Quand vous lisez le début de l'ouvrage de Gaudino, où il dit qu'un avocat a défendu sa liberté en se battant contre l'omerta, c'est assez affligeant. Je sais d'où cela vient et je sais quels sont les liens directs. On ne parle pas de mes confrères d'ici ou d'ailleurs parce que cela n'a pas d'intérêt. Il se « fout » de Monnet. Moi je lui ai fait des choses qui ne lui plaisent sans doute pas. Il n'a pas le droit de plaider devant un tribunal de commerce, ce n'est pas moi qui le lui ai interdit, c'est un juge d'instruction ici, puis un deuxième en appel. Je ne suis lié ni de près ni de loin aux décisions judiciaires rendues.

Vous n'allez pas me dire aujourd'hui : « David, arrêtez d'exercer votre métier parce que vous êtes associé avec un dénommé Gauthier dans une affaire d'exploitation hôtelière dans les Antilles françaises ». Vous pouvez relever les sièges sociaux qui sont là-bas ; il y en a de partout, de Saint-Brieuc, de Rennes, de Paris et d'ailleurs. Ce n'est pas illégal, c'est une loi française qui a organisé cela.

C'était peut-être maladroit de m'associer avec Gauthier, je le reconnais aujourd'hui. J'ai peut-être eu tort de l'avoir fait à l'époque, mais c'est moi qui avais demandé l'aide de Daniel Gauthier ; il ne m'a jamais soudoyé pour que je lui vende quoi que ce soit. Dans le dossier Conan, on a vendu un immeuble... Moi je n'ai jamais vendu d'immeuble. L'immeuble a été vendu par la société Conan à la Société de développement régional de Bretagne pour reconsolider la structure financière de l'entreprise. Ils ne l'ont pas vendu à Daniel Gauthier, à Dupont ou Durand. C'est la SDR qui l'a racheté pour reconsolider une entreprise très fragile parce qu'elle est sur un terrain concurrentiel extrêmement délicat. En France on fabrique des chaussons trois fois plus cher qu'au Portugal, en Corée ou ailleurs. C'est même incroyable que l'entreprise existe à Saint-Brieuc parce que les prix des produits venant de l'étranger ne lui permettent pas de travailler.

Vous pouvez me dire ce que vous voulez. Il est vrai que je n'ai pas dormi pendant des années, il est vrai que tout ce qui c'est passé n'était pas drôle mais, si c'était à refaire, je recommencerai demain, que je connaisse ou non Daniel Gauthier, parce que je pense que je n'ai pas à regretter ce qu'il a fait, notamment dans l'affaire Labbé de Lamballe, ni à avoir honte de ce qui s'est passé.

Je peux vous montrer d'autres affaires qui ont été reprises dans le cadre de liquidation judiciaire et qui concernent d'autres personnes que Daniel Gauthier ; l'un des dossier concerne une reprise par un expert-comptable avec lequel je n'ai jamais eu aucun lien. Je pourrais vous citer également le cas d'une entreprise de rotatives. Il n'y a pas que Labbé, Conan, etc.. Il y a des dossiers dans lesquels il y a eu des solutions. Je rappelle que dans l'affaire Conan, les passifs ont été payés, l'emploi a été maintenu. C'est cela qui compte. Les gifles de Gaudino et d'autres, cela fait trois ans que cela dure ! J'en ai assez. Mon beau-père n'est pas très content de lire qu'il est interdit de gérer. Quel intérêt a-t-on de parler de mon beau-père ? Il s'agit d'un débiteur qui a payé, dont la maison, la voiture, le bateau, ont été vendus, qui n'a même plus osé mettre les pieds à Saint-Malo pendant quinze ans. Alors qu'il a aujourd'hui une entreprise qui marche, on dit qu'il n'a pas le droit de gérer ! C'est faux, il a le droit de le faire. Pourquoi aller écrire des torchons pareils ? Cet individu a les pires ennuis et risque effectivement sa place d'avocat. Il a donc intérêt à se dédouaner de ses fautes en chargeant un mandataire, assisté d'un administrateur judiciaire, mais les affaires dénoncées sont des affaires qui fonctionnent aujourd'hui. C'est intéressant de savoir comment on travaille. Venez chez nous quand vous voulez, on vous ouvrira nos études.

M. le Rapporteur : Vous avez combien de personnels ?

M. Daniel DAVID : Sept à huit personnes.

M. le Rapporteur : Vous avez un associé ?

M. Daniel DAVID : Non, je n'ai pas d'associé.

M. le Rapporteur : Vous êtes seul avec des collaborateurs.

M. Daniel DAVID : Oui.

M. le Rapporteur : Je vous remercie déjà de votre franchise. Je vous remercie aussi de reconnaître que c'était maladroit de mélanger un peu les choses.

M. Daniel DAVID : Non, je suis devenu l'ami de quelqu'un, je n'ai pas mélangé.

M. le Rapporteur : On peut être ami mais on peut ne pas s'associer.

M. Daniel DAVID : Quand j'ai eu à traiter cette affaire Labbé, on se voyait toutes les semaines. Il est normal que se soient tissés des liens d'amitié. Je ne connais pas grand-chose, ni au système boursier, ni aux investissements. C'est pourquoi je lui ai demandé moi-même d'intervenir. Ce n'est pas lui qui est venu me solliciter ; Tout a été vérifié. On a enquêté chez moi à Saint-Malo, à Saint-Brieuc. Le capital de la société Labbé a été démonté pour vérifier si j'avais des participations ; cela aurait pu être effectivement gênant.

M. Michel ROBERT : J'évoquerai autre dossier qui est très clair, le dossier Allain. Un document est arrivé dans ma boîte aux lettres, c'est une lettre de M. Allain à Maître Monnet. La lettre vaut quand même d'être lue :

« Permettez-moi de vous rappeler que lorsque je suis venu vous présenter mon dossier, vous étiez au comble de la jubilation, puisque Maître Robert était partie prenante, dans les conditions que nous connaissons, d'un recours devant les prud'hommes que j'étais venu chercher. Vous avez jugé indispensable d'y adjoindre une plainte au pénal pour le coincer, nous faisant miroiter un chiffre d'indemnisation d'autant plus conséquent qu'on se trouve déjà dans des difficultés. La plainte avec les éléments qui la constituaient était en béton. »

Nous savons vous et moi aujourd'hui ce qu'il en est, à la différence que je ne m'avoue personnellement pas encore battu ni impuissant parce qu'il y a eu un non-lieu. Et M. Gaudino écrit : « et Maître Robert qui n'est même pas mis en examen ». Je laisse cette lettre à votre appréciation, Monsieur le Rapporteur.

M. Daniel DAVID : Je vous communique également une lettre des Cadieu, dans laquelle il est dit : « Nous occuperons le tribunal avec nos familles, voilà pour le hors d'oeuvre, le reste restera du domaine de l'imprévu. » Cela situe quand même les personnages !

M. le Rapporteur : Cela va mal.

M. Daniel DAVID : Cela va mieux aujourd'hui. Cela fait trois ans qu'on tient et qu'on ne cède pas.

Je vous communique les rapports qui intéressent le Front National en raison de la présence de Mme Marine Le Pen, l'Association de lutte contre les délits de type mafieux et Maître Monnet. Je précise que Marine Le Pen est avocate dans toutes les affaires qui posent un problème. Elle plaide contre moi dans une plainte Cadieu. Vous avez l'ordonnance d'instruction qui a été rendue à mon avantage dans le dossier Cadieu, qui peut être lue et communiquée.

Je demeure à votre disposition pour vous recevoir à mon étude, dans le cadre d'un contrôle avec ouverture de dossiers.

Audition de M. PETIJEAN,

Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc

(extrait du procès-verbal de la séance du 14 avril 1998 à Saint-Brieuc)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Petijean est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Petijean prête serment.

M. PETITJEAN : J'ai été installé à ce poste le 30 mars 1998. J'ai été président du tribunal de Cherbourg, et auparavant procureur adjoint à Metz où je dirigeais la section économique et financière du parquet. Je peux donc avoir une vision générale du fonctionnement des tribunaux de commerce mais pas spécialement de ce qui se passe ici, sauf par le biais des dossiers et des notes qui m'ont été passées et que j'ai pu examiner pendant ce week-end sur un certain nombre d'affaires dont il est fait état dans le livre de M. Gaudino.

M. le Rapporteur : Ce qui nous intéresse, c'est votre sentiment sur la façon dont les relations entre le tribunal de commerce et le parquet doivent s'organiser, et sur la politique que vous voulez mettre en oeuvre.

Nous sommes allés à Auxerre, sur le terrain, pour mesurer et sonder la réalité, à travers des exemples ; nous avons travaillé une dizaine de dossiers ce matin concernant des procédures collectives. Notre analyse est qu'à l'évidence, les auxiliaires de justice jouent un grand rôle parce que les magistrats consulaires, s'ils ont le bon sens économique, s'ils ont des réactions qui sont saines, peut-être meilleures que des magistrats professionnels faisant ce travail, n'ont pas la formation juridique nécessaire pour respecter un certain nombre de précautions élémentaires. Ils s'abritent souvent derrière le parquet : « le parquet est là, il est avec nous, il nous aide ». On a le sentiment que ce tribunal est assez fragile.

M. PETITJEAN : Vous parlez là du tribunal de Saint-Brieuc ou d'une manière générale des tribunaux de commerce ?

M. le Rapporteur : De ce tribunal de commerce-ci. Il me donne cette impression comme les autres.

M. PETITJEAN : Je ne peux ni confirmer ni infirmer ce point. Je peux vous dire des choses sur un plan plus général mais je ne peux évidemment rien vous dire sur le tribunal de Saint-Brieuc parce que je ne le connais pas.

Ce que vous dites est assez vrai. Ce constat du caractère, non pas fragile, mais non professionnel de ce type de magistrature, confrontée aujourd'hui à des dossiers de plus en plus complexes, est partagé par les magistrats professionnels. J'ai pu le constater lorsque j'ai été procureur dans une petite ville, qui se trouve en Normandie, dans l'Eure, à 50 kilomètres au sud de Rouen. Il y avait deux tribunaux de commerce (ce qui déjà pose un vrai problème) dans un ressort de 129 000 habitants, Bernay et Pont-Audemer. Mais ce n'est pas le record ; il y a pire en Seine-Maritime où il y a, je crois, sept tribunaux de commerce. Je ne sais pas si c'est dans le ressort de Rouen ou dans le département. On dénonce déjà l'émiettement de la justice professionnelle...

Je suis un partisan de la départementalisation. Il est vrai que cette justice non professionnelle peut poser des problèmes. Mais je trouve qu'ils sont assez bien résolus en Alsace-Moselle.

M. le Rapporteur : Nous partageons cette opinion.

M. PETITJEAN : C'est l'ancien procureur adjoint de Metz qui vous le dit. J'ai été procureur adjoint à Metz de 1992 à 1995 et, à ce titre, je suivais toutes les audiences de procédure collective, mais non celles relevant du contentieux commercial classique. Le tribunal est présidé par un magistrat professionnel assisté de deux assesseurs juges consulaires. Et ce qui est remarquable, c'est que, lorsque vous posez la question à ces magistrats consulaires d'Alsace-Moselle, ils vous disent qu'ils ne veulent pas changer pour le système consulaire. Ils préfèrent leur système dans lequel le président est un magistrat professionnel et où ils sont eux-mêmes les assesseurs d'un magistrat professionnel.

On a évoqué les avantages des deux systèmes. En réalité, il y a trois systèmes qui coexistent en France : celui des tribunaux de commerce classiques comprenant des formations composées de trois juges consulaires, celui dans lequel c'est le TGI en formation commerciale qui statue, et le système d'Alsace-Moselle qui est à mon avis de très loin le meilleur système. Là, j'ai eu le sentiment de bien travailler, en collaboration avec un président, un magistrat professionnel, ayant la même formation que moi. C'était très intéressant. Le problème que vous dénonciez - celui de la mainmise des mandataires judiciaires, représentants des créanciers et administrateurs judiciaires sur le tribunal - y est mieux maîtrisé, dans la mesure où les magistrats professionnels se laissent quand même moins facilement faire.

Mais il y a un autre problème ; ces professions sont à cent pour cent tributaires de leurs tribunaux de commerce et si un président de tribunal de commerce, ayant une forte personnalité, décide du jour au lendemain de ne plus recourir aux services d'un administrateur judiciaire, il ne travaille plus ; ce sont des pratiques que l'on a pu voir, pas spécialement dans les ressorts où j'ai exercé, mais parfois dans des ressorts limitrophes, notamment à Pont-Audemer. Il y a des relations très difficiles, non pas ambiguës, mais très particulières : le tribunal a forcément besoin de ces mandataires, notamment des administrateurs (c'est moins vrai pour les représentants des créanciers, cela pose d'autres problèmes). Les magistrats consulaires ont besoin de bons administrateurs car la plupart des tribunaux de commerce ont envie de sauver les affaires, y compris les magistrats non professionnels. Je connais des exemples de présidents de tribunaux de commerce consulaires avec lesquels j'ai travaillé, qui ont tout fait (j'y ai participé) pour sauver les affaires et sauver les emplois. Car il n'y a plus que cela qui compte : sauver des emplois. Bien souvent, les présidents de tribunaux de commerce nous suivaient complètement là-dessus. Parfois de manière maladroite, parfois avec une formation qui est très limitée. Mais comment un ancien épicier ou un ancien libraire peut-il du jour au lendemain s'impliquer dans le redressement judiciaire d'une entreprise de 500 personnes qui fabrique des turbocompresseurs pour Peugeot, pour évoquer un exemple précis ?

M. le Rapporteur : Votre point de vue est intéressant et correspond à l'analyse faite par la commission.

M. PETITJEAN : Cela ne changera rien. Je suis désespéré des réformes de la justice. Cela fait vingt ans que je suis magistrat, cela fait vingt ans que je vois des commissions d'enquête... On s'investit, on rencontre des gens... On a le sentiment qu'il faudrait faire tellement de réformes de la justice !

Audition de M. Yves BOIVIN,
ancien procureur près le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc.

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 mai 1998)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Boivin est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Boivin prête serment.

M. le Rapporteur : A chaque fois que nous posons des questions, soit aux mandataires de justice, soit aux juges consulaires, ceux-ci s'abritent invariablement derrière un parquet qui n'a pas les moyens - cela ressemble presque à une revendication de la part des juges consulaires - d'être codécideurs.

Nous avons à éclaircir ce point, car le parquet nous semble utilisé comme un alibi.

M. BOIVIN : Dans un tribunal moyen, le rôle du parquet au niveau commercial est réduit. C'est une question de moyens et de temps. Reprenons l'historique puisque je suis resté d'avril 1984 à mars 1998 à la tête du parquet de Saint-Brieuc.

J'ai été amené à faire accepter une première fois la démission du président du tribunal de commerce qui était en place lorsque je suis arrivé, qui était dominé par Maître Texier, le syndic. À la suite de sa démission, a été élu pour la fin de ce mandat M. Jean-François Noël qui a clos son mandat, qui a mis en place la réforme de la loi de 1985, et qui n'a pas souhaité, à l'issue de cette fin de mandat, se représenter, invoquant des raisons personnelles, et notamment la gestion de son bureau de consultant.

Personnellement, j'ai regretté le départ de M. Noël qui avait montré beaucoup de scrupules dans l'application de la loi. A été alors élu M. Piéto qui, à la suite de sa mise en examen, a démissionné ; ce nom réapparaît dans un certain nombre de procédures.

M. Piéto a été remplacé par M. Basquin, ancien président du tribunal de commerce, dont je dirais qu'il a été un président de transition, après la mise en examen, l'incarcération et la démission de M. Piéto.

À la suite de ce mandat long, a été élu M. Le Bourhis qui, à mon avis, a permis au tribunal de commerce de Saint-Brieuc de retrouver une certaine sérénité. J'ajoute que le parquet de Saint-Brieuc avait été amené à obtenir le départ d'un autre juge consulaire et qu'il a conduit à la démission un juge consulaire du tribunal de commerce de Paimpol pour n'avoir pas obéi aux règles déontologiques.

M. le Rapporteur : À l'époque où vous êtes arrivé en poste à Saint-Brieuc, vous évoquiez la domination exercée sur le tribunal par Maître Texier, le syndic. Avez-vous pris des mesures à l'égard du syndic ?

M. BOIVIN : Il y avait une rivalité entre Maître Tremelot, un autre syndic, et Maître Texier qui avait la confiance du tribunal. Les choses ont changé avec l'arrivée de M. Noël, qui a d'ailleurs correspondu avec le retrait de Maître Texier. Les problèmes se sont réglés. Nombre de rapports du parquet de Saint-Brieuc sur Maître Texier ont été envoyés à la chancellerie, dont certains encore très récemment. À ma connaissance, il est toujours inscrit sur la liste des administrateurs, et il doit encore être en charge de deux ou trois procédures, très anciennes, qui remontent à 1967.

M. le Rapporteur : Nous demanderons communication aux services de la chancellerie des rapports du parquet et du parquet général.

M. BOIVIN : C'est à la chancellerie qu'il incombe d'intervenir sur le plan disciplinaire.

M. le Rapporteur : C'est exact. Nous examinerons ce point-là précisément.

M. BOIVIN : Le tribunal a donc fonctionné très correctement dans cette période sous la présidence de M. Noël. Je n'ai pas le souvenir de difficultés importantes, étant précisé que le service commercial n'était pas l'attribution personnelle du procureur de la République, mais de son premier substitut. On ne découvre pas tout immédiatement. Il a fallu qu'un certain nombre de choses soient portées à notre connaissance : le procureur de la République n'a pas les moyens de deviner par lui-même. Et on ne fait pas une enquête à partir de ragots, de « qu'en-dira-t-on ».

Personne n'écrivait pour se plaindre, de façon tangible et précise, du tribunal de commerce et de son président. La véritable plainte que nous avons eue concernait un litige qui opposait deux éleveurs de Bretagne. À la suite de cette plainte, le SRPJ a mis plus d'un an pour diligenter son enquête et ne l'a accélérée que parce que l'avocat d'un des protagonistes a déposé une plainte et qu'il y a eu constitution de partie civile.

Là aussi, soyons clairs : quand on a une vingtaine d'officiers et de policiers dans un SRPJ comme celui de Rennes pour traiter toutes les affaires financières sur cinq départements, il ne faut pas prendre de retard.

M. le Rapporteur : Je ne vous le fais pas dire.

M. BOIVIN : D'autant qu'il semble bien que l'on ne soit pas en voie d'augmenter, mais plutôt de réduire les effectifs de la section économique et financière. Les magistrats ne peuvent pas faire le travail seuls ; il leur faut des enquêteurs spécialisés. Or, dans un ressort comme Rennes, seuls les enquêteurs de la brigade économique et financière sont aptes à faire les enquêtes économiques et financières.

Cette procédure a abouti à la mise en examen d'un certain nombre de gens, dont le président du tribunal de commerce, puisque, à ce moment-là, l'enquête a été dirigée sous commission rogatoire du juge d'instruction qui n'a pas pris la précaution de se méfier de la confusion de l'article 105 et des articles 679 et 680 du code de procédure. D'où une série de recours qui ont fini par aboutir à ce que la procédure soit cassée par la cour d'appel, au motif que la requête du procureur de la république, fondée sur l'article 679 et 680 du code de procédure pénale, relevait de la procédure de la chambre criminelle.

Par la suite, je sais que M. Piéto a fait l'objet d'un non-lieu. À la suite de cela, il est revenu au tribunal de commerce de Saint-Brieuc pour se faire voir, ce qui explique mon absence devant le tribunal en séance solennelle.

M. le Rapporteur : Ça va mal à Saint-Brieuc !

M. BOIVIN : Personnellement, je n'ai pas voulu me trouver en présence de quelqu'un qui, selon moi, avait manqué aux devoirs de sa charge. D'autres ont estimé que ce n'était peut-être pas aussi grave que je le pensais. Je pense que si la procédure n'avait pas été faussée au départ, on n'aurait pas abouti au même résultat. Ce sont les aléas de la procédure.

M. le Rapporteur : Je voudrais revenir sur certains points que nous avons examinés avec M. Le Bourhis et ses vice-président et juges.

Nous avons sorti une dizaine de dossiers de faillites, dont l'affaire Labbé.

M. BOIVIN : C'est bien de cette affaire dont je voulais parler : la SA Labbé.

M. le Rapporteur : En 1988, cette affaire a été jugée et elle a eu ensuite des rebondissements ?

M. BOIVIN : Il s'agit bien d'un redressement judiciaire du 6 juillet 1988.

M. le Rapporteur : Dans cette affaire, nous sommes tombés sur une offre, faite par le président Le Bourhis aux fins de reprendre l'entreprise en difficulté. À l'époque, j'ai interrogé immédiatement le président Le Bourhis qui était devant moi :

M. Le Rapporteur : « Quel était votre statut à l'époque ? Vous étiez membre du tribunal ?

M. Gérard LE BOURHIS : « J'étais membre du tribunal mais je m'étais mis en vacance du tribunal deux mois avant... J'avais donc fait une proposition de reprise dans cette affaire. Je ne participais pas à la procédure. Le parquet m'avait donné l'autorisation de le faire »

Monsieur l'avocat général, c'est l'une des raisons pour lesquelles vous êtes ici : je veux que les choses soient clarifiées. Cela ne lui paraissait pas interdit. Quelle est votre réaction ?

M. BOIVIN : Monsieur le rapporteur, je n'ai personnellement pas donné une telle autorisation. Il est bien évident que l'on ne peut pas être juge et candidat à l'achat. D'ailleurs, les magistrats du siège ne peuvent pas se porter acquéreurs devant le tribunal. Par conséquent, je n'ai jamais donné une telle autorisation. Nous en avons reparlé ultérieurement. Je lui ai dit que c'était une énorme erreur. Il en a convenu. Il se le reproche encore aujourd'hui. Cela ne se fait pas. La réponse est claire.

M. le Rapporteur : Maintenant, nous sommes quand même confrontés à un problème : soit M. Le Bourhis ne nous a pas dit la vérité ; c'est embarrassant. Soit quelqu'un dans votre parquet a pu donner l'autorisation, comme il l'indique, pour faire une offre.

M. BOIVIN : (M. Boivin lève les bras au ciel).

M. le Rapporteur : Cela vous paraît-il possible, sans que vous en ayez été informé ? Parmi vos substituts ?

M. BOIVIN : Cela me paraît extravagant.

Pour l'affaire Labbé, il y a eu quatre propositions. Il y a eu à l'époque des difficultés pour la reprise, car Labbé était une entreprise agréée Défense nationale à cause des blindages ; des choses se sont certainement passées en dehors du parquet. Défense nationale : le parquet n'est pas compétent.

M. le Rapporteur : C'est ce que disent d'ailleurs vos collègues que nous interrogeons. Ils peinent à avoir des informations.

M. BOIVIN : En effet, nous sommes obligés d'aller à la pêche à l'information. Dans la majeure partie des cas, quand vous avez un repreneur qui constitue une société, avec des noms et l'endroit où cela se passe, nous n'avons pas toujours le temps de nous informer sur lui car nous n'avons pas les moyens d'investigation.

M. le Rapporteur : M. Le Bourhis, lorsque nous l'avons interrogé sur sa prise de fonction, nous a dit être allé, à son arrivée comme président du tribunal, voir immédiatement le procureur de la République pour lui demander si les mandataires de justice étaient des gens qui pouvaient être dignes de la confiance d'un tribunal, s'agissant de Maître Robert et de Maître Daniel.

Quand j'ai demandé à M. Le Bourhis s'il savait que Maître David était associé à un expert comptable, nommé M. Gauthier, qui était présent, soit lui-même en nom personnel, soit à travers des parts de sociétés qui ont fait des offres, dans trois affaires qui ont concerné le tribunal, la réponse du tribunal a été de nous dire : « Nous ne savions pas ».

Je voulais connaître votre réaction sur ce tableau assez fâcheux de la juridiction de Saint-Brieuc.

M. BOIVIN : Voulez-vous reformuler la question parce qu'il y a quelque chose que je ne comprends pas.

M. le Rapporteur : Quel est l'élément que vous ne comprenez pas ?

M. BOIVIN : Comment pouvez-vous dire et sur quelle base que Maître David et M. Gauthier étaient associés ?

M. le Rapporteur : Des pièces dont nous disposons, qui ont été transmises.

M. BOIVIN : Quelles sont ces pièces ? Et dans quelle société ?

M. le Rapporteur : Tous ces éléments figurent dans les procès-verbaux. Nous pouvons vous les communiquer. D'ailleurs, Maître David l'a reconnu. Cela n'est même pas discuté.

M. BOIVIN : Est-ce que ce sont des sociétés françaises ?

M. le Rapporteur : Oui, dans les Antilles françaises.

M. BOIVIN : Tout le monde savait que Maître David avait fait des investissements « loi Pons ».

M. le Rapporteur : Je n'ai rien contre les investissements au titre de la loi Pons. Maître David fait ce qu'il veut de son argent. Cela n'intéresse pas la commission en tant que telle. Simplement, je note que, lorsque nous interrogeons Maître David, celui-ci dit, s'adressant au rapporteur : « Vous n'allez pas me dire aujourd'hui : "David, arrêtez d'exercer votre métier parce que vous êtes associé avec un dénommé Gauthier dans une affaire d'exploitation hôtelière dans les Antilles françaises". Vous pouvez relever les sièges sociaux qui sont là-bas ; il y en a partout, de Saint-Brieuc, de Rennes, de Paris, d'ailleurs. Ce n'est pas illégal, c'est une loi française qui a organisé cela. C'était peut-être maladroit de m'associer avec Gauthier, je le reconnais aujourd'hui. J'ai peut-être eu tort de l'avoir fait à l'époque, mais c'est moi qui avais demandé l'aide de Daniel Gauthier. Il ne m'a jamais soudoyé pour que je lui vende quoi que ce soit ».

Nous sommes là dans une situation qui est moralement condamnable, qui est juridiquement contestable. Je n'en suis pas à la qualifier pénalement parce que ce n'est pas mon rôle ; je ne suis pas là pour cela.

M. BOIVIN : Effectivement, après la parution des premiers éléments du rapport Gaudino, je crois me souvenir que mon adjoint avait posé la question à Maître David et que celui-ci, effectivement, lui avait dit et expliqué ce qu'il en était. Mais tout le monde, si je puis dire, savait qu'il y avait des investissements aux Caraïbes je crois.

M. le Rapporteur : Aux Caraïbes, oui, c'est cela. Justement, j'interroge M. Le Bourhis, président du tribunal. Je lui dis : « M. Gauthier est associé au mandataire liquidateur qui apparaît dans trois affaires. Le tribunal n'a-t-il pas » -c'était ma question- « des raisons de penser qu'il n'a pas été pleinement informé ? »

Réponse de M. Le Bourhis : « C'est à ce moment-là, quand j'ai découvert ces accusations, que j'ai demandé l'avis du parquet... Le parquet m'a affirmé qu'il n'y avait pas lieu de prendre des sanctions. Que voulez-vous que je fasse d'autre ? J'essaie avec mon tribunal de rendre la justice commerciale la plus droite et la plus rigoureuse possible et je me souviens n'avoir plus nommé ni l'un ni l'autre pendant ces périodes ».

Voilà les déclarations de M. Le Bourhis. À chaque fois qu'on pose une question sur une anomalie, on se réfugie derrière vous, monsieur l'avocat général. C'est pour cela qu'on vous a fait venir. Nous voudrions quand même savoir comment cela fonctionne concrètement.

M. BOIVIN : Si mes souvenirs sont exacts, au moment où il fait l'opération Labbé, M. Gauthier et Maître David n'étaient pas associés.

M. le Rapporteur : C'est vrai. Ils le deviendront après. Mais il y a par la suite deux autres affaires : Conan et Mont Carmel.

M. BOIVIN : De Conan, je ne peux rien vous dire, ce n'était pas une affaire énorme. Ce n'est pas moi qui suivais le dossier Mont Carmel directement. D'après le souvenir que j'en ai, je l'ai traité au plan pénal ; j'ai fait condamner les dirigeants sociaux qui avaient détourné de l'argent. Mais je ne me souviens plus de la reprise.

M. le Rapporteur : Elle n'a pas été faite en nom personnel, mais à travers Labbé. Et qui est mandataire liquidateur dans l'affaire ? Maître David.

Je vous avoue qu'il a fallu beaucoup de temps pour mettre à jour tout cela ; cela ne saute pas aux yeux. Mais à chaque fois que nous posons la question à M. Le Bourhis, il nous répond : « Je suis allé voir le parquet qui m'a donné l'absolution ».

M. BOIVIN : Ce qui a souvent été dit, c'est que Maître David était un bon professionnel, qui faisait correctement son travail.

M. le Rapporteur : Cela ne me semble pas faire le moindre doute.

M. BOIVIN : Le parquet le lui a sûrement dit, soit par ma propre voix, soit par la voix de mes collaborateurs. Mais que le parquet ait donné une assurance dans les termes évoqués par M. Le Bourhis...

M. le Rapporteur : Lorsque M. Le Bourhis a pris ses fonctions, il a déclaré : « Je n'étais plus juge commissaire comme auparavant. J'avais été élu président par mes pairs depuis 15 jours... Je me suis empressé de consulter le parquet pour savoir ce qu'il en était de ces dénonciations afin de prendre, le cas échéant, des sanctions. Le parquet m'a avisé qu'il n'y avait pas matière à poursuite, qu'il n'y avait rien, que je pourrais continuer. Je pouvais à titre de sanction ne plus nommer les mandataires de justice concernés ».

Je termine, monsieur l'avocat général : « Dans l'attente de la réponse du parquet, je n'ai plus désigné les mandataires et ai confié les affaires à un mandataire de Rennes. ».

M. BOIVIN : C'est exact. Ils ont nommé à ce moment-là M. Berthelot, de Rennes. Ils ont diversifié les auxiliaires auxquels ils avaient recours. Ils sentaient bien à ce moment-là qu'il y avait des problèmes et ils ont pensé, à juste titre, qu'il fallait diversifier les interlocuteurs.

On peut se demander à cet égard si le petit nombre de mandataires judiciaires et d'administrateurs n'est pas la cause de certains maux.

M. le Rapporteur : Monsieur l'avocat général, vous comprenez qu'à chaque fois que nous posons des questions aux juges de Saint-Brieuc, ils nous répondent toujours : « le parquet nous couvre ». Cela devient la réponse habituelle ; c'est la troisième fois.

M. BOIVIN : Je crois que le parquet n'a pas couvert.

M. le Rapporteur : Vous aviez déjà fait beaucoup de travail, à ce moment-là, lorsque M. Le Bourhis est arrivé.

M. BOIVIN : Je n'étais pas un homme à couvrir. Ce n'est pas ma réputation.

M. le Rapporteur : Je vous pose la question d'une façon volontairement provoquante parce que c'est la position de M. Le Bourhis, aujourd'hui. Et il faudra éclaircir cela avec lui.

M. BOIVIN : C'est facile de mettre le procureur de la République en avant. Il a le dos large.

M. le Rapporteur : Il a le dos large ?

M. BOIVIN : Je trouve qu'on lui donne une grande importance soudain dans le fonctionnement des juridictions consulaires. C'est trop facile. Je ne dis pas que l'activité des magistrats du parquet soit exempte de tout reproche, mais je dis clairement que nous n'avons pas les moyens de faire toutes les investigations.

M. le Rapporteur : C'est clair.

M. BOIVIN : Ce qui est vrai à Saint-Brieuc est vrai à Saint-Malo, à Dinan, etc., contrairement aux grandes juridictions comme Rennes ou Nantes, où il y a des substituts spécialisés en matière financière, à condition que leur poste soit pourvu et à condition que les juges d'instruction financiers soient en activité. À Rennes aujourd'hui, sur six juges d'instruction, deux postes sont vacants, ce qui fait que les juges d'instruction financiers ne peuvent plus s'occuper des états financiers.

M. le Rapporteur : Nous constatons les mêmes problèmes partout, dans toutes les juridictions, grandes ou petites. Le parquet de Paris nous indique les mêmes problèmes : 2 magistrats pour 7.000 procédures collectives par an et 45.000 enrôlements par an.

M. BOIVIN : Combien de magistrats du parquet, même dans les parquets où il y a une entité financière, peuvent d'abord suivre les affaires pénales ? Le parquet ne peut pas remplir le rôle de contrôleur de la comptabilité que la dernière circulaire du garde des sceaux entend lui faire jouer. Ne veut-on pas faire du parquet un bouc émissaire ? Lorsqu'il n'a pas de greffier, le procureur n'a ni la capacité (il n'est pas expert comptable) ni le temps (il devrait sortir toutes les pièces comptables pour pouvoir contrôler une comptabilité, avec les justificatifs) de faire ce travail.

Il est quand même curieux que les mandataires et administrateurs judiciaires ne soient pas soumis à des règles de contrôle assez semblables à celles que connaissent les officiers ministériels, comme les huissiers, avec un expert en comptabilité qui tienne leurs comptes.

M. le Rapporteur : Le problème des moyens budgétaires fait partie de nos préoccupations. D'habitude les magistrats ne dialoguent qu'avec le pouvoir exécutif.

M. BOIVIN : Ils sont en position de faiblesse.

M. le Rapporteur : C'est la hiérarchie. Je vous remercie de la franchise de vos propos devant la représentation nationale qui a pour mission de contrôler le Gouvernement.

M. BOIVIN : Je ne vais pas vous dire ce qui n'est pas. Ce que je vous dis là, vous allez l'entendre dans tous les tribunaux de France et de Navarre, à quelques exceptions près de quelques tribunaux qui ont peut-être les moyens financiers.

M. le Rapporteur : Il n'y a pas d'exceptions à la pénurie actuellement. Nous avons à reconstruire un appareil judiciaire sinistré, abandonné pendant des années. Et nous devons dégager des marges budgétaires pour lutter contre la délinquance financière qui fait le lit d'une idéologie extrémiste.

Je ne vous demande pas d'approuver ces propos, car vous êtes tenu à une obligation de réserve que moi je n'ai pas, étant parlementaire. Mon travail est d'exprimer des opinions. Mais je vous dis que nous avons à traiter ces problèmes, car la loi doit s'appliquer avec la même rigueur pour tous. Il ne faut pas que les dérives observées deviennent la norme.

M. BOIVIN : Je dirai que les choses ont déjà bien évolué. Je me souviens du discours que j'ai tenu aux juges de Saint-Brieuc lorsque les derniers ont été élus. Ils sont venus me saluer dans mon bureau au palais de justice. Je leur ai rappelé les devoirs du magistrat, qu'ils soient magistrats consulaires ou magistrats professionnels. J'ai insisté sur l'obligation de ne jamais intervenir dans un procès où l'on avait quelque intérêt.

C'était quelques jours avant la prestation de serment. Je savais ce dont je parlais et à qui : il y avait eu des exemples. Mais cela pose aussi le problème du recrutement des magistrats consulaires. En effet, quand on élit des magistrats consulaires, banquiers, représentants de grandes entreprises, il peut y avoir conflit d'intérêt.

M. le Rapporteur : C'est ce que nous mesurons, parfois avec effroi.

M. BOIVIN : Je crois que ce que vous avez pu voir n'est pas ce qu'il y a de pire. J'ajoute que la petitesse de certains tribunaux de commerce pose réellement problème, comme celui de Paimpol par exemple.

M. le Rapporteur : Combien d'habitants compte le ressort de Paimpol ?

M. BOIVIN : 3.500 à 4.000 habitants pour 3 cantons. Cette situation ne peut qu'aggraver nécessairement la situation, car si le juge est trop proche du justiciable..!

M. le Rapporteur : Je vous remercie d'évoquer ces points tout à fait intéressants, qui confirment ce que nous pensions en sortant de Saint-Brieuc. Nous sommes venus, alertés et alarmés par des polémiques.

Nous sommes aussi allés à Auxerre parce qu'il y avait eu un débat public sur la crédibilité du tribunal. Nous ne nous contenterons pas d'aller dans des endroits où cela va mal. Nous irons aussi là où cela va bien, au moins en apparence.

Mais ce que nous avons vu pour l'instant ne nous incite pas à la clémence, mais plutôt à la sévérité.



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