RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME III
Comptes-rendus d'enquête sur le terrain

    TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE STRASBOURG

sommaire des auditions relatives aux déplacements effectués par la commission

_ Audition de Mme BURGER, MM. BANGRATZ, DIETENBECK, magistrats professionnels des chambres commerciales du tribunal de grande instance de Strasbourg, M. LEBROU, magistrat professionnel au tribunal de grande instance de Mulhouse, M. GUEUDET, Mme RIVET, magistrats professionnels de la chambre commerciale à la cour d'appel de Colmar, de M. Pierre VITTAZ, premier président de la cour d'appel de Colmar et de M. Olivier DROPET, procureur général près la cour d'appel de Colmar (4 juin 1998 à Strasbourg)

_ Audition de MM.  François AMOUDRUZ, GIORDANENGO, Pierre GOETZ, Aimé MOUREY, Bernard ROTH, juges consulaires à Strasbourg et de M. LAZARE, juge consulaire à Mulhouse (4 juin 1998 à Strasbourg)

_ Audition de Mmes VOGEL et MALHER, greffières du tribunal de grande instance de Strasbourg (4 juin 1998 à Strasbourg)

_ Audition de MM. Paul PATRY et Claude WEIL, administrateurs judiciaires et de MM. Gérard CLAUS et Philippe FROEHLICH, mandataires judiciaires au tribunal de commerce de Strasbourg et de Mulhouse (4 juin 1998 à Strasbourg)

_ Audition de M. Bernard GUeudet, Président de chambre à la cour d'appel de Colmar, et de M. Alain Jomier, procureur de la République adjoint près le tribunal de grande instance de Strasbourg (4 juin 1998 à Strasbourg)

_ Audition de M. GOYET, professeur de droit commercial (4 juin 1998 à Strasbourg)

Audition de Mme BURGER, MM. BANGRATZ, DIETENBECK, magistrats professionnels des chambres commerciales du tribunal de grande instance de Strasbourg, M. LEBROU, magistrat professionnel au tribunal de grande instance de Mulhouse, M. GUEUDET, Mme RIVET, magistrats professionnels de la chambre commerciale à la cour d'appel de Colmar, de M. Pierre VITTAZ, premier président de la cour d'appel de Colmar et de M. Olivier DROPET, procureur général près la cour d'appel de Colmar

(extrait du procès-verbal de la séance du 4 juin 1998 à Strasbourg)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président.

Mme Burger, MM. Bangratz, Dietenbeck, Lebrou, Gueudet, Mme Rivet, MM. Vittaz et Dropet sont introduits.

M. le Président rappelle aux témoins que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Président, Mme Burger, MM. Bangratz, Dietenbeck, Lebrou, Gueudet, Mme Rivet, M. Vittaz et M. Dropet prêtent serment.

M. le Président : Mesdames et messieurs, nous avons gardé pour la fin de nos auditions les juridictions de la région de Strasbourg, notre hypothèse de travail étant que l'échevinage présente de réels avantages par rapport au système actuel.

Nous avons constaté une situation de trop grande proximité des juges par rapport aux justiciables, une justice de proximité au mauvais sens du terme. Dans certains cas, c'est presque une justice de connivence. Nous avons surtout constaté une absence complète de contrôle sur les mandataires de justice, avec un grand nombre de dérapages, beaucoup plus inquiétants que nous le pensions de prime abord.

Enfin, nous avons trouvé des greffes privés, gérés davantage dans un esprit de rentabilité que de service public.

Ici en Alsace-Moselle, la situation est différente. Nous aimerions savoir ce que vous en pensez.

Mme RIVET : Les contentieux dont nous traitons sont différents. La première chambre, dite commerciale, dont M. Bangratz est vice-président, s'occupe des règlements judiciaires.

M. BANGRATZ : Avec les procédures collectives et la prévention.

Mme RIVET : Quant à nous, nous nous occupons du contentieux général, Mme Burger du contentieux général au fond et moi du contentieux général en matière de référés.

M. le Président : Tous ces contentieux sont-ils traités en échevinage ?

Mme RIVET : Pas les référés qui sont du ressort du juge unique.

M. le Président : Commençons par les procédures collectives.

M. BANGRATZ : Dix-huit juges consulaires sont affectés à la première chambre commerciale. Ils participent comme assesseurs à toutes les formations de cette chambre. Les juges consulaires interviennent également dans la prévention, mais pas dans le règlement amiable.

M. le Président : Lequel d'entre vous est chargé de la prévention ?

M. BANGRATZ : Moi, puisque la prévention est une prérogative du président, étant précisé que je désigne les juges consulaires comme délégués avec un dossier précis. Ils me font ensuite un compte rendu.

En ce qui concerne les procédures collectives proprement dites, nous siégeons tous les lundis, avec, à chaque fois, une formation différente. C'est le greffe qui, à partir d'un tableau et en tenant compte de l'ordre de passage, détermine les assesseurs qui vont siéger. Les juges consulaires ne connaissent pas les dossiers ni les rôles avant de venir à l'audience. Il n'existe donc pas pour eux de possibilité de choix en fonction du type d'affaires. Les magistrats consulaires découvrent l'audience en arrivant le lundi matin.

Au cours de l'audience, les juges consulaires sont désignés selon le partage un, deux, un deux - il n'y a pas de choix délibéré, on les prend dans l'ordre comme juges-commissaires des procédures collectives qui vont être ouvertes par le tribunal.

M. le Président : Sont-ils tous juges-commissaires ?

M. BANGRATZ : Ils sont tous juges-commissaires et ont tous en charge un certain nombre de dossiers qui leur sont confiés au cours de l'audience. Ils vont les suivre et assumer intégralement la plénitude de leurs attributions de juges-commissaires, sous le contrôle de président. En cas de difficulté, ils me contactent, mais ils assument pleinement leurs obligations.

Sur le plan pratique, nous nous retirons pour délibérer dans les affaires délicates, sachant que pour 90 % des dossiers, nous pouvons délibérer sur le siège sans difficulté majeure. Nous prenons en fin d'audience les affaires nouvelles sur lesquelles nous délibérons sur le siège. Nous examinons les affaires anciennes, qui sont en cours, avec maintien de la période d'observation, pour lesquelles les juges-commissaires ont établi leurs rapports sur la suite qu'il convient de donner à la procédure. J'en donne connaissance à la formation et nous délibérons, là encore, sur le siège. Dans l'hypothèse de plans de cession ou de décisions qui posent plus de problèmes, nous avons l'habitude de nous retirer et de rendre la décision après un délibéré un peu plus conséquent, en fin d'audience.

M. le Président : Tout cela est «clean».

M. BANGRATZ : C'est parfaitement «clean». Nous nous y sommes toujours tenus. Il n'y a pas de possibilité d'interférence. On ne peut pas choisir telle audience, parce qu'on sait que tel juge va siéger.

M. le Président : Les juges consulaires pourraient-ils venir à l'avance consulter les dossiers pour préparer les audiences ?

M. BANGRATZ : Cela ne s'est jamais fait.

M. le Président : Mais le pourraient-ils ?

M. BANGRATZ : Ils pourraient très bien aller voir avant l'audience les dossiers fixés au rôle. C'est parfaitement concevable, mais dans la pratique, ils ne le font pas.

M. le Président : Le parquet est-il présent aux audiences ?

M. BANGRATZ : Le parquet est présent à toutes les audiences. Un procureur adjoint, en charge de tout le contentieux économique et financier, vient à l'audience et reste présent à son banc durant toute l'audience.

M. le Président : Quel âge avez-vous ? Quel a été votre parcours professionnel ?

M. BANGRATZ : Je ne suis pas un jeune premier.

M. le Président : Vous n'êtes pas un vieillard non plus.

M. BANGRATZ : J'ai été reçu au concours de l'ENM à vingt-deux ans. J'ai été substitut du procureur de la République et juge d'instance. Nous avons tous, les uns et les autres, une formation en matière commerciale, parce que nous avons été juges-commissaires. C'est une particularité qui mérite d'être soulignée. J'ai pratiqué la loi de 1967 et la loi de 1985 sur le terrain, comme juge d'instance.

M. le Président : À l'Ecole, une formation vous préparait-elle à cela ?

M. BANGRATZ : Une telle formation n'existait pas à l'ENM. 

M. le Président : Seriez-vous capable d'organiser une formation pour des magistrats qui auraient par la suite à remplir ces fonctions ?

M. BANGRATZ : Bien entendu. Cela est parfaitement normal.

M. le Président : Vous n'avez pas suivi de formation initiale à l'Ecole, dans ce domaine. Vous vous êtes formé sur le tas, dans un secteur où vous avez eu la chance d'être juge-commissaire.

M. BANGRATZ : Tous les juges d'instance ont été juges-commissaires en Alsace-Moselle. Il convient de souligner que ce type de formation est tari, puisqu'il n'y a plus de juges d'instance juges-commissaires. Aujourd'hui, ce sont les juges consulaires qui assument les fonctions de juges-commissaires.

M. le Président : A Saverne, que faisiez-vous ?

M. BANGRATZ : Il n'y a qu'un procureur et un substitut qui font tout. Je siégeais à la chambre commerciale qui, à l'époque, était uniquement composée de magistrats professionnels, puisque des échevins n'y avaient pas encore été désignés. Saverne n'avait pas de chambre commerciale en tant que telle. A Besançon, j'ai siégé à la chambre civile et commerciale, à la chambre correctionnelle, ce qui m'a permis de voir certains errements que vous avez constatés vous-même sur le terrain.

M. le Président : D'autant que cette région fut, un temps, dépourvue de mandataires.

M. BANGRATZ : A Belfort, un mandataire a été emprisonné. Quelques juges consulaires ont été également incarcérés parce qu'ils rendaient des jugements alors qu'il n'y avait pas d'audience. Ils avaient l'avantage de partager la couche et les affaires de leurs débiteurs...

A Besançon, j'ai vu le fonctionnement des juridictions consulaires au niveau de la cour d'appel. Depuis, on a eu la bonne idée de fermer certaines de ces juridictions, comme celle de Salins-les-Bains, dont il fallait systématiquement réformer et infirmer tous les jugements, car ils étaient toujours marqués du sceau de la proximité.

À mon arrivée à Strasbourg, j'ai pris la direction de la 7e chambre correctionnelle qui ne fait que du contentieux pénal éco-financier. À la chambre commerciale, je retrouve mes «clients», anciens prévenus, ce qui est dans l'ordre normal des choses.

M. le Président : Vous avez donc surtout suivi une formation sur le tas.

M. Pierre VITTAZ : Nous essayons d'organiser des formations locales au niveau des juridictions et au niveau de la cour d'appel, naturellement ouvertes aux magistrats non professionnels et même principalement tournées vers eux. A Mulhouse et à Strasbourg, des rencontres sont organisées chaque mois, à l'initiative des juges consulaires, avec des magistrats professionnels et des avocats sur des thèmes précis. Mais les juges consulaires se plaignent d'avoir des difficultés avec le centre de formation de Tours, pour des raisons financières. Ils souhaiteraient qu'une partie de leur formation soit prise en charge par l'Ècole nationale de la magistrature.

M. BANGRATZ : Chez nous, la dernière réunion a eu lieu vendredi. Tous les administrateurs et tous les liquidateurs étaient présents. Nous avons travaillé pendant quatre heures sur des thèmes d'actualité dans la pratique quotidienne de notre juridiction. C'est pour nous une pratique constante.

M. le Président : Avez-vous un budget pour cela ?

M. Pierre VITTAZ : Non. Les intervenants sont des magistrats professionnels ou des magistrats consulaires dont nous prenons en charge les frais de déplacement et auxquels nous délivrons des ordres de mission.

M. Olivier DROPET : J'ajouterai un point qui ne concerne peut-être pas la juridiction de Strasbourg. Dans d'autres, comme celle de Colmar, la fonction de juge-commissaire n'est pas attribuée aux juges consulaires nouvellement élus.

M. BANGRATZ : C'est également le cas ici.

M. Olivier DROPET : Il existe un tutorat. Un tuteur parraine les nouveaux juges-consulaires et les forme à la délicate fonction de juge-commissaire.

M. le Président : Avez-vous suivi des sessions de formation à l'École ?

M. BANGRATZ : Je n'ai suivi que des sessions locales. J'en ai demandé une, mais jusqu'à présent, je n'en ai pas suivi au niveau national.

Mme RIVET : Moi non plus.

Mme BURGER : Moi non plus.

M. Pierre VITTAZ : Chez nous, se pose le problème spécifique de la formation des greffiers de la chambre commerciale. À l'école des greffes, ils ne sont pas préparés à cette fonction.

M. le Président : À votre avis, le système de l'échevinage fonctionne-t-il bien ?

M. BANGRATZ : Il devrait être le meilleur, puisqu'il associe les professionnels du secteur économique et les juristes.

M. le Président : Vous arrive-t-il d'être mis en minorité ?

M. BANGRATZ : Cela m'est déjà arrivé, mais sur des questions d'approche économique pure. Il n'est pas exact de dire que les juges consulaires ne sont pas juristes, car à Strasbourg, nous avons plusieurs docteurs en droit. C'est surtout en matière d'analyse économique que des désaccords peuvent apparaître.

M. le Président : Sur quoi le délibéré porte-t-il ?

M. BANGRATZ : L'ouverture d'une procédure collective est relativement simple : il faut savoir s'il s'agit ou non d'une cessation de paiement. La chambre commet un expert pour vérifier l'état de cessation de paiements. L'issue de la procédure est le redressement ou la liquidation. En revanche, les délibérés sont plus approfondis dans l'hypothèse d'un plan de cession, où il faut vérifier les différentes options possibles. Il faut estimer quels sont, sur le plan social et sur le plan économique, les avantages et les inconvénients d'une nouvelle solution.

M. le Président : Venons-en aux rapports avec les mandataires. Sont-ils comparables à ceux de la « Vieille France » ?

M. BANGRATZ : Cela fonctionne exactement de la même manière. Nous avons trois administrateurs et quatre ou cinq liquidateurs.

M. le Président : Ne désignez-vous que ceux-là ?

M. BANGRATZ : Dans la mesure où il n'existe pas de monopole au niveau local, nous pourrions faire appel à d'autres mandataires, mais nous prenons systématiquement ceux de la place. Le choix est effectué en fonction du degré de difficulté du dossier. Il n'y a pas d'a priori contre tel ou tel, mais certains sont plus compétents pour des procédures importantes, ont un peu plus la confiance du tribunal que d'autres, en raison de leurs aptitudes que nous avons pu vérifier sur le terrain.

M. le Président : Vous semblent-ils tous honnêtes ?

M. BANGRATZ : Nous n'avons jamais eu le moindre doute sur la probité des mandataires que nous avons désignés. Si nous en avions eu un, nous aurions pris la décision qui s'imposait.

M. le Président : Quel contrôle exercez-vous sur eux ?

M. BANGRATZ : Notre contrôle s'exerce par le biais des rapports qu'ils nous rendent. Ils sont réalisés dans les délais et ne sont pas uniquement de la littérature. À l'audience, les deux juges consulaires qui siègent comme assesseurs ou moi-même les interpellons sur tel ou tel point, si nous voulons des explications supplémentaires ou si nous ne sommes pas d'accord.

M. le Président : Le fonctionnement était-il différent dans la juridiction que vous avez connue à Besançon ?

M. BANGRATZ : De ce point de vue, le fonctionnement n'est pas différent. Sur le plan théorique, la méthode est exactement la même. Je ne sais pas comment les juges agissent en première instance, puisqu'à la cour d'appel, nous ne travaillions pas directement avec eux, mais la procédure doit être identique.

M. le Président : Une des remarques formulées fréquemment est que les rapports sont vides et ne permettent pas d'exercer un véritable contrôle.

M. BANGRATZ : Je ne pense pas que l'on puisse dire cela.

M. le Président : Ici, cela fonctionne-t-il mieux qu'ailleurs. Vous est-il possible d'établir des comparaisons ?

M. BANGRATZ : Je n'ai pas de point de comparaison.

M. le Président : Une juridiction à échevinage contrôle-t-elle mieux les mandataires et les protège-t-elle des tentations ?

M. Olivier DROPET : Lorsque j'étais magistrat chargé de la section économique et financière ici et à la cour d'appel, je me souviens de juges consulaires dont les ordonnances étaient préparées par les mandataires. Je ne sais pas ce qu'il en est aujourd'hui, mais j'ai connu cela.

M. BANGRATZ : Cela n'est plus le cas. Les ordonnances sont dactylographiées par le greffe. Elles ne sont pas préparées à l'avance par les mandataires.

M. le Président : Cela est-il dû au président ?

M. BANGRATZ : Je n'ai jamais connu autre chose depuis mon arrivée ici.

M. Pierre VITTAZ : En Alsace, le parquet joue un rôle particulièrement actif dans les affaires commerciales. Il siège à toutes les audiences commerciales, ce qui permet aussi un certain contrôle.

M. Olivier DROPET : Ailleurs aussi. J'ai connu bon nombre de juridictions. Nous nous attachions à ce que les parquets soient tenus au courant de la liste des affaires qui allaient être appelées, afin qu'ils aient le temps de préparer les conclusions. C'est plus simple ici, dans la mesure où il y a une seule juridiction par parquet. Dans la France de l'intérieur, l'éparpillement des tribunaux de commerce est la cause de l'absence du parquet dans certaines affaires.

M. Piere VITTAZ : M. Lebrou préside une formation spécialisée en matière de procédures collectives à Mulhouse. Il est l'homologue de M. Bangratz.

M. le Président : Nous avons demandé à votre homologue de Strasbourg comment fonctionne sa juridiction échevinée, quels en sont les avantages et les inconvénients.

J'ai rappelé que cela ne fonctionnait pas de cette façon ailleurs et que nous avons constaté beaucoup de laisser-aller à certains endroits.

M. LEBROU : En Alsace-Moselle le contrôle existe, du moins théoriquement. Le juge professionnel doit l'exercer. De plus, la présence du parquet est constante.

M. le Président : Comment les assesseurs sont-ils désignés ?

M. LEBROU : Je ne les choisis pas. Je n'ai pas voix au chapitre. A Mulhouse, ville de 100 000 habitants, soit environ la moitié de la population de Strasbourg, nous avons vingt-deux juges consulaires. Nous essayons d'avoir une représentation allant du petit commerce à l'industrie en passant par les services.

Les juges consulaires sont, pour l'essentiel, des retraités, ce qui présente deux avantages : ils sont disponibles et ne sont plus directement impliqués dans la vie des affaires.

M. le Président : Se trouve-t-il des banquiers parmi eux ?

M. LEBROU : Oui, ils sont deux, retraités.

M. le Président : Etaient-ils employés ou cadres dirigeants ?

M. LEBROU : L'un était directeur du crédit au CIAL, qu'il a quitté depuis au moins une dizaine d'années. L'autre était aussi un cadre supérieur, sous-directeur.

M. le Président : Chez vous aussi, monsieur Bangratz ?

M. BANGRATZ : Nous avons quatre banquiers : le patron du contentieux de la Banque populaire, qui est le président de la compagnie, l'ancien directeur général du CIAL, M. Amoudruz.

M. le Président : Est-il à la retraite ?

M. BANGRATZ : Il est à la retraite depuis environ six ans.

Nous avons également M. Mursch, ancien directeur et toujours administrateur de la Société générale. M. Giordanengo, conseiller financier free-lance, ne fait plus partie de la juridiction et en est désormais membre honoraire. M. Wolff, un des directeurs du Crédit d'Est qui a été racheté par une banque américaine, est toujours en activité.

M. le Président : Donc, il y a beaucoup de banquiers, nécessairement assez proches des créanciers.

M. BANGRATZ : Vous l'avez dit.

M. le Président : Existe-t-il un risque de mauvaise utilisation des informations figurant dans les dossiers ?

M. BANGRATZ : Intellectuellement, on peut tout envisager. Dans la pratique, nous ne les avons jamais pris sur le fait. Il est évident que si nous avons un dossier où la Banque populaire est intéressée, M. Goetz s'en défait systématiquement. C'est la règle, il n'y a pas d'ambiguïté possible. Théoriquement, on peut parfaitement concevoir un «délit d'initié», mais je n'ai jamais appris qu'un juge consulaire ait profité d'une information privilégiée obtenue dans l'exercice de ses fonctions pour la mettre en oeuvre dans le cadre de sa profession.

M. le Président : A Mulhouse, comment la répartition des juges est-elle opérée ? Les choisissez-vous ou se désignent-ils eux-mêmes ?

M. LEBROU : J'établis le tableau de service, aussi bien pour les procédures collectives que pour le contentieux. Je fais en sorte qu'ils se rencontrent tous, mais que les mêmes ne soient pas toujours ensemble et qu'ils alternent contentieux général et procédures collectives.

M. le Président : Vous faites les deux ?

M. LEBROU : Non, je fais uniquement les procédures collectives.

M. le Président : Le mode de désignation est donc un peu différent de celui de Strasbourg. Comment cela fonctionne-t-il ? Est-ce vous qui rédigez les jugements et les leur faites-vous rédiger ?

M. BANGRATZ : Ils ne rédigent que leurs ordonnances comme juges-commisaires et je rédige les décisions de fond du tribunal. Ils ne rédigent pas les jugements.

M. LEBROU : Même chose à Mulhouse.

M. le Président : Vous arrive-t-il d'être mis en minorité ?

M. LEBROU : Non, jamais. Je ne connais pas de minorité en matière de justice, même avec des collègues professionnels.

M. le Président : Vous n'êtes jamais obligé de compter les voix ?

M. LEBROU : Les faits parlent d'eux-mêmes. Nous sommes tous très compétents en matière de droit.

M. le Président : Il n'existe pas de conflit entre les juges élus et les juges professionnels ?

M. LEBROU : Non. Il est vrai que je domine un peu la formation.

M. le Président : Quelle formation avez-vous ? D'où venez-vous ? Qui êtes-vous ?

M. LEBROU : Je suis diplômé d'études supérieures en droit public. J'ai suivi la formation de l'Ecole nationale de la magistrature.

M. le Président : À l'Ecole nationale de la magistrature avez-vous suivi une formation particulière pour occuper les fonctions que vous exercez actuellement ?

M. LEBROU : Non, aucune. À l'époque, en 1975, il y avait une formation générale de comptabilité. C'était un module accessoire. J'y suis allé deux fois et je n'y suis plus retourné. Je me suis privé de cette formation. Je suis donc arrivé à la chambre commerciale sans aucune formation en comptabilité.

M. le Président : Qu'avez-vous fait, entre-temps, comme magistrat ?

M. LEBROU : J'ai été juge d'instance à Strasbourg. J'ai présidé la chambre correctionnelle. J'ai été conseiller à la cour d'appel de Metz. J'ai connu l'échevinage dans les conseils de prud'hommes, ancien régime.

M. le Président : Selon vous, le système de l'échevinage fonctionne-t-il correctement ?

M. LEBROU : C'est un système assez satisfaisant. Mais par principe, je suis pour les juges professionnels, issus de l'Ecole nationale de la magistrature, partout.

Je considère que l'échevinage est un bon moyen terme. Il est très utile et formateur pour ce qui concerne les procédures collectives. Tout ce que je sais du monde des affaires et de la comptabilité, c'est là que je l'ai appris. En revanche, pour le contentieux général, je pense qu'il est inutile. Il n'y a plus d'usages dans le droit commercial, c'est un droit comme un autre. Les juges professionnels ne sont pas médecins et ils jugent de la responsabilité médicale. Je ne crois donc pas qu'il soit nécessaire d'avoir des gens du commerce ou de l'industrie pour juger des affaires commerciales.

M. le Président : Vous êtes partisan des juges professionnels.

M. LEBROU : J'admets qu'en matière de faillites les juges consulaires représentent un apport. Mais il faut être attentif. On ne peut contester ni la bonne foi ni l'honnêteté des juges élus. Dans l'ensemble, ils sont sérieux, ils ont prêté serment, mais ils sont impliqués dans la vie des affaires.

M. le Président : La proximité est trop grande.

Vous est-il arrivé de demander à un magistrat de se déporter ?

M. LEBROU : Ils le font spontanément et je leur en parle régulièrement. Dès qu'ils sentent une amitié ou une inimitié vis-à-vis d'un justiciable, ils se déportent.

M. le Président : Quels contrôles exercez-vous sur les mandataires ? Combien en avez-vous ?

M. LEBROU : A Mulhouse, nous en avons trois, qui sont, je pense, d'excellente qualité, au moins pour deux d'entre eux. Bien entendu, ils pourraient décider de partir cette nuit avec la caisse, bien qu'ils soient constamment sous le regard du procureur, du président de la chambre commerciale et du juge-commissaire. Nous contrôlons un peu les honoraires, puisque c'est nous qui signons. Il y a aussi le contrôle des justiciables, qui peuvent signaler tout ce qui leur paraîtrait anormal.

M. le Président : La justice de commerce est donc capable de fonctionner avec des présidents issus de l'Ecole nationale de la magistrature.

M. Pierre VITTAZ : Nous n'avons aucune difficulté à pourvoir les postes de président à la tête des chambres commerciale. Ce sont des fonctions qui sont plutôt recherchées et considérées comme intéressantes et enrichissantes.

M. le Président : Profitez-vous de la formation locale prodiguée par la cour ?

M. LEBROU : Bien entendu. Je participe à la formation des juges consulaires, auxquels je demande de former les magistrats professionnels en matière de comptabilité et de gestion d'entreprise. Nous faisons appel à des intervenants extérieurs : avocats, mandataires et représentants des administrations, telles que la Direction de la concurrence, la Direction du travail.

M. le Président : La formation en commun des juges professionnels et des juges élus apparaît comme une nécessité. Elle semble couramment mise en place en Alsace-Moselle. C'est aussi une originalité dont vous n'avez probablement pas conscience.

M. Pierre VITTAZ : Les relations avec les juges consulaires sont beaucoup plus étroites qu'en « vieille France ». Dans des fonctions antérieures, j'avais très peu de relations avec les juges consulaires. Les juges consulaires font partie de la maison, même s'ils se sentent parfois un peu marginalisés. Leur situation est un peu ambiguë. Ils veulent être considérés comme des magistrats à part entière, mais quand on leur demande de s'investir dans cette tâche, ils ont toujours un rélexe de recul, parce qu'ils n'ont pas tous la disponibilité suffisante.

M. Olivier DROPET : Ils se sont bien investis dans leur mission et dans la juridiction dont ils dépendent. Par exemple, ils sont très attentifs au fonctionnement du greffe. Des demandes ont été formulées par les uns ou par les autres, parce qu'ils considéraient, à un moment donné, que le greffe se délitait.

M. le Président : Certains se font-ils intégrer dans la magistrature ?

M. Pierre VITTAZ : Ils n'ont pas vraiment le profil, car ils sont souvent âgés. Nous n'avons pas reçu de demande. Nous avons pourtant diffusé des circulaires pour le recrutement de conseillers en service extraordinaire. Nous n'avons pas eu de candidat.

Les candidatures sont beaucoup plus fréquentes en matière prud'homale qu'en matière commerciale.

M. le Président : Parmi ceux que vous connaissez, certains avaient-ils le profil requis ?

M. Pierre VITTAZ : Oui, mais, malheureusement, les meilleurs d'entre eux, ceux qui auraient eu la culture juridique nécessaire, étaient trop âgés. Les juges consulaires s'investissent beaucoup en matière de prévention, domaine dans lequel un travail important est réalisé à Mulhouse, ainsi qu'en matière de conciliation. Nous essayons d'utiliser au mieux leurs particularités.

M. le Président : Qui s'occupe à Strasbourg du contrôle des honoraires des mandataires ?

M. BANGRATZ : Le juge-commissaire émet un avis sur la base de la note qui lui est remise après examen du dossier. C'est toujours le président qui signe l'ordonnance de taxation. Il arrive que des juges consulaires ne soient pas d'accord et fassent des demandes d'éclaircissements. Nous avons rendu deux ou trois décisions qui posaient problème, car le tarif n'est pas d'une clarté biblique. Un contrôle sérieux est exercé. Nous ne signons pas les yeux fermés.

M. LEBROU : Le contrôle des honoraires est une matière assez ingrate. Eu égard au montant du traitement, le juge peut avoir un réflexe d'étonnement. Il faut prendre en compte diverses considérations. De très nombreux dossiers sont impécunieux. Les mandataires ont des cabinets d'une dizaine de personnes qui doivent fonctionner. Il faut donc faire preuve de souplesse pour permettre des relations de confiance avec les mandataires et ainsi éviter qu'ils ne soient tentés de commettre des imprudences.

Au-dessus de 450 000 francs, le président a le dernier mot. Il peut attribuer 450 000 ou 800 000 francs, en fonction du passif contesté. Il faut doser. C'est assez difficile. Il faut entendre les mandataires, ne pas trop les brusquer en leur disant qu'ils gagnent trop d'argent. Il n'est pas facile d'avoir à appliquer ce décret, qui doit être absolument réformé.

M. BANGRATZ : Les mandataires ont fait valoir les pratiques de la «vieille France», par exemple, la convention de modération de Paris. Elle ne correspond pas du tout aux usages professionnels locaux. A Paris, certaines prestations donnent lieu à une rémunération, qui, chez nous, ne font pas l'objet d'une demande de rémunération. En revanche, on renonce à Paris à une rémunération sur d'autres points, alors que chez nous, on respecte le décret et on met en compte une tarification. Cela n'est pas fait pour faciliter les choses.

M. le président: La parole est à Mme Burger.

Mme BURGER : Je suis de la promotion 1982. J'ai été juge d'instance pendant deux ans, à Haguenau, dans le ressort, et six ans à Strasbourg. A Haguenau, je n'ai pas exercé de fonctions de juge-commissaire. Je l'ai fait à Strasbourg, un peu comme M. Bangratz a dû le faire ailleurs. À l'époque, nous étions juges-commissaires pour les faillites, sous le régime de la loi de 1967. Sous celui de la loi de 1985, j'ai moins pratiqué, puisqu'il y a eu une période de transition. Cela explique probablement que les ordonnances soient motivées, car au départ, les juges d'instance étaient les juges-commissaires. À l'initiative de M. Schierrer, alors président, et d'autres personnes, un transfert de tâches a été opéré et les juges consulaires ont exercÈ les fonctions de juges-commissaires.

M. le Président : Ce sont des particularités locales.

Mme BURGER : Depuis septembre, j'ai pris la succession de Mme Rivet. Je suis, avec M. Dietenbeck, l'un des deux magistrats qui président la deuxième chambre commerciale, qui s'occupe du contentieux commercial de Strasbourg. Nous avons chacun une audience de mise en état le lundi, et une audience de plaidoirie collégiale, avec deux juges rapporteurs, lui le jeudi et moi, le vendredi. Nous siégeons donc avec deux juges consulaires.

M. le Président : Comment sont-ils désignés ?

Mme BURGER : Ils procèdent à une répartition entre eux pour savoir qui va à la première audience et qui va à la deuxième. Actuellement, il y a un manque de magistrats pour les chambres commerciales. Nous avons un tableau sur lequel nous n'intervenons pas. Après l'audience, nous nous retirons dans mon bureau pour délibérer.

M. le Président : En quoi consiste la plus grosse part du contentieux ?

Mme BURGER : C'est un contentieux général qui va du recouvrement de créances à la responsabilité devant tiers en passant par le cautionnement, la concurrence déloyale. C'est un domaine très vaste.

Mme RIVET C'est à la fois un contentieux civil et un contentieux commercial.

M. le Président : Le droit des contrats.

Mme RIVET : Tout à fait.

Mme BURGER : Cela va jusqu'au droit de la construction.

M. le Président : Dans ce domaine, quel est l'apport des juges consulaires ?

Mme BURGER : Les juges consulaires nous apportent beaucoup de connaissances sur la vie économique et professionnelle, quelle que soit la taille des sociétés concernées. En venant de la première chambre civile, on a d'autres réflexes.

M. le Président : Est-ce une procédure entièrement écrite ?

Mme RIVET : Oui, entièrement écrite.

Mme BURGER : La représentation d'avocats est obligatoire.

M. le Président : Comme pour la procédure civile ?

Mme RIVET : Tout à fait. Elle est entièrement écrite.

M. le Président : Toutes les pièces sont-elles communiquées à l'avance ?

Mme RIVET : Tout à fait.

Mme RIVET : Respect du contradictoire, procédure écrite et aucun élément nouveau à l'audience.

Mme BURGER : La seule différence par rapport au contentieux civil est l'absence de postulation. N'importe quel avocat peut venir plaider.

Mme RIVET : Ce sont les règles du code de procédure civile qui sont appliquées.

M. le Président : Les juges consulaires viennent-ils consulter les dossiers avant l'audience ?

Mme BURGER : Une juge consulaire le fait.

M. le Président : Prend-elle des notes ?

Mme BURGER : Non, elle vient regarder les dossiers le jeudi avant l'audience du vendredi.

Mme RIVET : Elle est d'ailleurs la seule femme et la seule à le faire.

M. le Président : N'y a't-il qu'une femme parmi les juges consulaires ?

Mme BURGER : En effet.

M. le Président : Quelle est sa profession ?

Mme BURGER : Elle est gérante d'un magasin.

M. le Président : Vous êtes en train de me dire qu'elle est plus consciencieuse que les autres ?

Mme RIVET : Je le sous-entends.

M. le Président : Y a-t-il des femmes à la juridiction de Mulhouse ?

M. LEBROU : Elles sont trois sur vingt-deux juges consulaires.

M. le Président : À l'exception de cette personne, les juges consulaires ne connaissent pas les dossiers à l'avance. Ils les découvrent lors des plaidoiries et ils prennent le délibéré en lisant le dossier en commun.

Mme BURGER : Si le délibéré est relativement simple du point de juridique et du point de vue des faits, nous regardons les pièces ensemble et le délibéré a lieu immédiatement après l'audience. Si le dossier est très compliqué, je l'examine et nous prenons rendez-vous pour un autre jour. Les parties reviennent trois à quatre semaines après, suivant le planning de chacun, et nous délibÈrons à chaque fois.

M. le Président : Quel est le nombre d'affaires par audience ?

Mme BURGER : De trois à cinq, sachant que nous avons des juges rapporteurs. Après les audiences de mise à l'état, nous avons un deuxième audience.

M. le Président : Qui fait office de juge rapporteur ?

Mme BURGER : Le président.

M. le Président : Juridiquement, serait-il possible que ce soit quelqu'un d'autre ?

Mme BURGER : Oui.

M. le Président : Cela s'est-il produit ?

Mme BURGER : Jamais, car les juges consulaires se refusent à rédiger. En cela, je reprendrai à mon compte ce qui a été dit par le Premier président. La responsabilité de l'écrit relève des magistrats professionnels. Le président seul rédige l'intégralité des décisions. Il y a une réticence des juges consulaires à la rédaction.

M. LEBROU : Il y a aussi une réticence des juges professionnels à signer une décision qui n'a pas été rédigée par le président. Des juges consulaires souhaiteraient le faire, mais n'osent pas.

M. le Président : Evoquons le référé.

Mme BURGER : Le référé est une procédure rapide. S'agissant d'un contentieux général, la situation est comparable à celle du référé civil. C'est le même type de contentieux que celui qui vient d'être décrit.

M. le Président : Les parties peuvent-elles renoncer ?

Mme BURGER : Bien entendu, mais ce n'est pas le cas ici, puisqu'il y a deux magistrats pour les référés, un magistrat pour les référés civils et un magistrat pour les référés commerciaux. Tout cela fonctionne bien.

Mme RIVET : Je reviens sur ce qui vient d'être dit sur l'intérêt présenté par la présence de juges consulaires pour la prise de décision dans un contentieux commercial d'ordre général. À l'heure actuelle, les litiges portés devant les tribunaux sont des litiges de droit qui donnent lieu à des décisions de droit de la part des professionnels. Le reste n'est qu'un plus.

M. le Président : Pour vous, les juges professionnels, issus de l'Ecole nationale de la magistrature, jouent un rôle central.

Mme RIVET : Ils rédigent et prennent les décisions. Ce sont des professionnels du droit qui prennent des décisions en droit. À l'heure actuelle, le contentieux commercial est un contentieux juridique.

M. le Président : Cela nous renvoie à la prévention. La juridiction des juges élus peut-elle prendre entièrement en charge la prévention ?

M. BANGRATZ : J'ai peut-être une pratique un peu différente de celle de mon collègue mulhousien. En ce qui me concerne, je garde la haute main sur la prévention. Je délègue un juge consulaire X avec un dossier X. Je n'abandonne pas les dossiers de prévention aux juges consulaires. Je délègue cette prérogative du président au cas par cas et je veux qu'on me rende compte par écrit de ce qui s'est passé.

En revanche, dans le cadre du réglement amiable, il m'arrive de désigner un juge consulaire en qualité de conciliateur.

M. le Président : Cela fonctionne-t-il bien ?

M. BANGRATZ : Un ancien juge consulaire, aujourd'hui honoraire, est remarquable et réalise un excellent travail. C'est d'ailleurs un ancien directeur financier d'une importante entreprise nationale. Il obtient de très bons résultats.

M. LEBROU : J'ai délégué mon pouvoir de convocation à six juges consulaires volontaires.

M. le Président : A Strasbourg, s'agit-il aussi de juges élus ?

M. BANGRATZ : Ce sont aussi des juges élus. Deux juges consulaires en activité font de la prévention. Le conciliateur dans le cadre du réglement amiable est un juge consulaire honoraire.

M. LEBROU : Ces magistrats convoquent à leur initiative, mais je veux voir tous les dossiers. Nous recevons du tribunal d'instance, où se trouve le registre du commerce, le livre des inscriptions de privilèges, qui nous sert à détecter des difficultés dans les entreprises. Je veux savoir ce qui se passe, mais ce sont eux qui décident de convoquer et du sort à donner au dossier. Ils me parlent des dossiers importants.

M. le Président : Qui désigne les mandataires ?

M. LEBROU : Le président.

M. le Président : Qui les taxe ?

M. LEBROU : Cela devrait être moi, mais j'ai mis en place un système qui n'est pas juridique et je ne sais pas si je peux en faire l'aveu devant la commission d'enquête. Je renvoie le requérant à débattre des honoraires avec la personne que je désigne. En cas de difficulté, c'est moi qui taxe.

M. BANGRATZ : Je fixe la taxe. Dans le règlement amiable, lorsque je reçois les gens, je leur demande s'ils sont d'accord sur le choix de telle ou telle personne comme conciliateur. Je leur demande s'ils sont d'accord pour payer des honoraires de X francs au conciliateur. Le montant est mentionné dans le procès-verbal qui est signé par les parties.

M. le Président : Le fait de vous trouver à la frontière pose-t-il des problèmes d'application du droit allemand ? Avez-vous des contacts avec des tribunaux de commerce allemands ? Avez-vous connaissance dans les contrats de clauses excluant la compétence des tribunaux de commerce ?

M. LEBROU : Il y a souvent des problèmes de compétence territoriale, puisqu'il y a souvent des marchés entre Allemands et Français.

Mme RIVET : En matière commerciale, il y a souvent des clauses attributives de compétence acceptées par les parties. Ce sont des clauses territoriales nominatives. On désigne Strasbourg ou une autre juridiction.

M. le Président : Ailleurs, il peut arriver que des contrats renvoient systématiquement à l'arbitrage.

Mme RIVET : Cela existe aussi.

M. BANGRATZ : Nous avons parfois des échos de la part de collègues allemands avec lesquels nous avons des relations régulières. L'un m'a dit récemment qu'il avait obtenu d'un tribunal de commerce de « Vieille-France » un jugement « Canada Dry » qu'il refusait de laisser exécuter, car ce jugement avait l'apparence d'un jugement mais n'en était pas un. Il était écrit en haut du document : «Jugement au nom du peuple français», il contenait une vague relation des faits et prévoyait une condamnation à payer 2 millions de francs.

M. le Président : Une partie du monde des affaires européen se méfie donc des juridictions consulaires de Vieille-France.

M. BANGRATZ : L'écho de mon collègue allemand est clair et sans appel.

M. le Président : Préconisez-vous le système anglais avec des juges très spécialisés ?

M. LEBROU : En France, les magistrats professionnels ne sont pas préparés à juger en matière commerciale. Les auditeurs qui ont la chance d'être en Alsace, à Mulhouse, à Strasbourg, à Saverne ou à Colmar ne passent pas à la chambre commerciale.

Mme RIVET : Tout à fait !

M. LEBROU : Cela m'arrange, car un auditeur représente une charge, mais il est tout de même dommage de ne pas profiter de l'occasion.

Mme RIVET : Je me suis élevée contre cela.

M. le Président : C'est la faute des maîtres de stage.

M. LEBROU : On préfère les emmener au Quai aux Fleurs, à Paris, pour s'ouvrir un peu sur la vie économique, alors que nous avons une chambre commerciale sur place.

M. le Président : Votre remarque sur les auditeurs de justice me paraît tout à fait éclairante.

Nous aimerions faire apparaître ce qu'apporte l'échevinage. Vous, juges professionnels, tenez à occuper votre créneau. Vous estimez même que, dans des matières comme le contentieux général, contrairement à ce que l'on aurait pu penser, les juges élus ne sont pas plus efficaces.

En revanche, pour ce qui est de la conciliation, les professionnels sont plus à l'aise.

Mme BURGER : Il arrive que les parties n'arrivent pas à se mettre d'accord et, par le biais des avocats, elles engagent des pourparlers transactionnels. Les juges professionnels, dans ces cas-là, n'interviennent pas.

M. LEBROU : Je n'y suis pas fontamentalement partisan, de par ma formation, mais on a tendance à prôner la conciliation. C'est la politique de notre Premier président et des juges consulaires qui y sont très favorables. On l'a mise en place à Mulhouse pour la mise en état. Le taux de réussite est tel - de l'ordre de 70 %, qu'il n'y aura bientôt plus de plaidoiries. Je pense que cela ne durera pas car cela dépend de la qualité des personnes.

Il n'est pas possible qu'un dossier dure trois ans, car de tels délais signifient la mort des deux industriels et commerçants. J'ai fini par me laisser convaincre, je pense qu'une partie du contentieux mérite de passer par ce système.

M. Pierre VITTAZ : Le problème est que cette juridiction n'a pas l'effectif qu'elle devrait avoir. Quand on parle du tribunal de Strasbourg, on ne pense jamais aux chambres commerciales. Nos collègues ont de bons résultats, mais parfois au prix de beaucoup de sacrifices et d'abnégation.

M. le Président : Le fonctionnement de ces juridictions pour nous atypiques présente des aspects très positifs et des inconvénients limités aux problèmes d'effectifs et de formation.

Audition de MM.  François AMOUDRUZ, GIORDANENGO, Pierre GOETZ,
Aimé MOUREY, Bernard ROTH, juges consulaires à Strasbourg
et de M. LAZARE, juge consulaire à Mulhouse.

(extrait du procès-verbal de la séance du 4 juin 1998 à Strasbourg)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président.

MM. Amoudruz, Giordanengo, Goetz, Lazare, Mourey et Roth et sont introduits.

M. le président rappelle aux témoins que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Président, MM. Amoudruz, Giordanengo, Goetz, Lazare, Mourey et Roth prêtent serment.

M. le Président : Messieurs, la création de cette commission d'enquête n'a pas été motivée par le fonctionnement de la justice commerciale dans votre région, mais par l'inquiétude générale suscitée par les tribunaux de commerce. L'importance du contentieux a eu des répercussions sur l'emploi et sur l'aménagement du territoire et l'institution des tribunaux de commerce n'a pas paru d'une solidité suffisante pour faire face au problème.

Par ailleurs, les mandataires et les liquidateurs ont attiré l'attention. Un certain nombre d'entre eux font l'objet de procédures pénales et civiles, dans une proportion anormale pour une profession qui bénéficie d'honoraires élevés et qui est très encadrée. Les sinistres ont été nombreux, les deux plus importants ayant été constatés dans la région parisienne, à Bobigny et à Nanterre. Celui de Nanterre est en cours d'examen. Celui de Bobigny a atteint un niveau de scandale difficilement imaginable, puisque le président du tribunal, un juge et un mandataire ont été condamnés pénalement pour des faits d'une extrême gravité.

Nous souhaitons apprécier si le système alsacien est meilleur, puisqu'à l'image de ce qui se fait dans pratiquement tous les pays civilisés d'Europe, on y pratique l'échevinage. L'objet de ce déplacement est de vérifier sur place si cela est exact et, si oui, ce qui peut être amélioré, puisque notre commission doit faire des propositions dont on peut espérer que quelques-unes seront prises en compte.

M. Pierre GOETZ : Monsieur le président, permettez-moi, tout d'abord, de vous dire que je me réjouis de vous rencontrer ici, à Strasbourg.

Je suis président de la 15e région consulaire qui chapeaute les tribunaux de Moselle - Sarreguemines, Thionville, Metz - et d'Alsace - Saverne, Mulhouse, Colmar et Strasbourg. Je suis président de la compagnie locale. Je suis également administrateur élu à la Conférence générale des tribunaux de commerce de France.

En 1989, nous avons créé à Strasbourg, avec des magistrats belges, allemands, luxembourgeois, l'Union européenne de magistrats qui statuent en matière commerciale. Nous avons souhaité que la porte reste ouverte aux magistrats professionnels, puisque, comme vous l'avez souligné, il existe plusieurs systèmes juridiques en Europe. Depuis la constitution de notre association européenne, d'autres pays sont venus nous rejoindre, en particulier la Suisse, qui a constitué une association nationale sous notre impulsion, et l'Autriche.

Nous échangeons nos expériences dans le cadre de nos manifestations.

M. le Président : En tant que magistrats élus, comment voyez-vous le fonctionnement de la chambre commerciale de Strasbourg ? Comment êtes-vous désignés ? Comment avez-vous eu l'idée d'exercer cette fonction ? Quelle formation vous êtes-vous donnée ?

M. François AMOUDRUZ : J'ai reçu une formation de juriste qui m'a conduit, assez naturellement, à prendre la direction du contentieux du CIAL, la filiale du CIC qui a son siège à Strasbourg, puis à en devenir le directeur du crédit, puis le directeur central, coiffant à la fois la direction des engagements et la direction juridique.

Il est clair que par formation et par goût, j'avais vocation à entrer dans la magistrature consulaire. J'ai été élu en 1974, après que ma candidature eut été proposée par le comité des banques d'Alsace. De 1974 à 1982, j'ai exercé mes fonctions de juge consulaire sous l'autorité d'un magistrat professionnel, puisque nous sommes sous le régime de l'échevinage.

M. le Président : À l'époque, vous étiez en fonction. Cela ne posait-il pas de problème ?

M. François AMOUDRUZ : Cela ne m'a posé aucun problème. D'autant moins que, compte tenu de mon tempérament, dès que j'entendais un nom qui pouvait m'être connu de par l'exercice de mon métier, je refusais de siéger. Il est arrivé que le président me dise que j'étais capable de faire le tri, de taire mes fonctions professionnelles, d'agir en conscience et en toute liberté de jugement, mais j'ai toujours refusé. Je lui répondais, par exemple : il s'agit d'une entreprise dont je sais qu'elle est cliente de mon établissement, avec laquelle nous avons pu avoir maille à partir et il est clair que je ne siégerai pas.

M. le Président : C'est plus facile à faire dans les grandes villes que dans les petites.

M. François AMOUDRUZ : Peut-être.

M. Pierre GOETZ : À mon sens, c'est une question de déontologie personnelle. Que l'on soit dans une grande ou une petite ville, c'est le comportement du juge consulaire qui est déterminant. C'est à lui de savoir s'il doit ou non siéger dans une affaire dont il peut avoir eu à connaître. Je pense à un petit tribunal, présidé par M. Pénier, dont l'existence économique ne se justifie plus et qui compte 8 à 10 juges. J'ai toujours beaucoup d'estime pour le président Pénier. Quand il s'est trouvé dans une telle situation, il s'est toujours déporté. C'est une question de personne.

M. le Président : La proximité est parfois une gêne.

M. Pierre GOETZ : Le problème est lié au nombre trop élevé de tribunaux de commerce en France. Il faudrait revoir la carte. C'est aussi une question d'équilibre au sein d'un tribunal. Il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas une part trop importante de juges issus d'une même branche professionnelle.

M. François AMOUDRUZ : De 1974 à 1982, il n'y avait pas plusieurs chambres commerciales, il n'y en avait qu'une.

M. le Président : Comme à Mulhouse.

M. François AMOUDRUZ : Nous siégions tous azimuts, qu'il s'agisse du contentieux commercial ou des procédures collectives.

M. le Président : Cela n'est pas propre à Strasbourg.

M. François AMOUDRUZ : Non. En revanche, la fonction de juge-commissaire n'existait pas pour les magistrats consulaires en exercice. Elle était l'apanage de juges d'instance professionnels avant de nous être dévolue. Nous avions pris un peu retard sur le reste de l'Hexagone. Nous n'avons commencé à pouvoir être juges-commissaires qu'après cette époque. Sous l'empire de la loi de 1967, nous n'étions pas juges-commissaires.

M. le Président : Maintenant, vous l'êtes.

M. François AMOUDRUZ : J'ai repris mes fonctions en 1989, après une période de repos.

M. le Président : Où siégez-vous aujourd'hui ?

M. François AMOUDRUZ : À la première chambre, pour les procédures collectives. Il m'arrive souvent d'être juge-commissaire, comme mes collègues.

Compte tenu d'une certaine expérience de la profession, je considère que l'échevinage est une bonne chose, dans la mesure où un juge consulaire n'a pas nécessairement à être juriste.

M. le Président : Pourtant, vous l'êtes.

M. François AMOUDRUZ : Il se trouve que je le suis. J'étais à la fois issu de la banque et juriste.

M. le Président : L'originalité de votre apport réside dans votre expérience de banquier. Cela est-il très utile pour le délibéré ?

M. François AMOUDRUZ : Cela ne sert pas uniquement dans le délibéré, mais aussi pour l'examen des dossiers qui posent des problèmes de technique bancaire très délicats. Vis-à-vis des magistrats professionnels, je me sens très à l'aise. Nous discutons non seulement des faits, mais du droit.

M. le Président : Vous arrive-t-il de mettre le président en minorité ?

M. François AMOUDRUZ : C'est assez rare, mais cela peut arriver.

M. Pierre GOETZ : J'ai été nommé juge consulaire en 1985. Depuis lors, j'ai vu passer six présidents de chambre, de sorte que je puis dire que les permanents sont les juges consulaires et que les juges de passage sont les juges professionnels.

Chaque président de chambre a son tempérament, mais globalement, les délibérés se sont toujours déroulés avec beaucoup de courtoisie. Notre apport a parfois été important dans le prononcé d'une décision. Nous pouvons apporter une lisibilité que le magistrat professionnel n'a pas toujours. Par exemple, dans une affaire de concurrence déloyale entre grands magasins, les magistrats professionnels avaient proposé une astreinte d'un montant tellement ridicule que nous leur avons suggéré d'ajouter un ou deux zéro pour que la décision ait quelque effet. Dans une affaire de droit local où la décision allait quasiment de soi, j'ai fait part de mon désaccord. Le président professionnel m'a demandé de lui rédiger une note sur un autre fondement juridique. Je l'ai fait et il a accepté de rouvrir les débats. Je pense que nous avons notre rôle à jouer pour fournir des informations. Si les juges s'affirment et si le président est ouvert à la discussion, ce qui est généralement le cas, les résultats sont bons.

M. le Président : Votre exemple sur l'astreinte est très significatif.

M. François AMOUDRUZ : En tant que juges-commissaires, nous sommes amenés à rendre des ordonnances sur toutes les difficultés qui peuvent se présenter dans la vie d'un dossier, qu'il s'agisse de revendications de la part de créanciers ou de la désignation de contrôleurs, que nous refusons d'ailleurs souvent.

M. le Président : Rédigez-vous vos ordonnances ?

M. François AMOUDRUZ : Tout à fait.

M. le Président : Dans une juridiction, nous avons découvert des brouillons de jugements dans le dossier du mandataire !

Une greffière travaille-t-elle avec vous, comme juges-commissaires ?

M. François AMOUDRUZ : L'ensemble des juges de la première chambre ont une greffière et un agent qui fait fonction de greffier. C'est très léger, d'autant que la rotation est assez fréquente.

M. le Président : Les jugements donnent-ils lieu à appel ?

M. François AMOUDRUZ : Il y a des appels.

M. le Président : Le fait que la cour ne comporte pas de juges consulaires a-t-il un effet sur sa jurisprudence ?

M. François AMOUDRUZ : Je trouve qu'il n'est pas mauvais qu'il n'y ait pas de juges consulaires à la cour. En revanche, pour l'édification et la formation des juges consulaires, la possibilité d'assister à des audiences de la cour est très instructive.

M. le Président : Le faites-vous ?

M. François AMOUDRUZ : Je devrais le faire.

M. le Président : Est-ce possible ?

M. François AMOUDRUZ : Oui.

M. le Président : Cela se fait-il ?

M. Pierre GOETZ : Au niveau de la région, le premier président Vitaz a souhaité que certains d'entre nous y assistent, mais nous avons, les uns et les autres, une activité professionnelle. Actuellement, des magistrats de Colmar assistent à certaines audiences de la cour d'appel. Derrière votre interrogation se profile la question de la formation. Dans ce domaine, il existe un autre problème tout aussi important, à savoir celui de la formation des magistrats professionnels eux-mêmes.

M. le Président : M. Vitaz a insisté sur ce point.

M. Pierre GOETZ : Il est souhaitable que l'effort de formation porte sur plusieurs niveaux. J'ai apporté le calendrier des activités de mon collègue de Colmar qui organise chaque mois une réunion de formation avec un professionnel, avec le président Gueudet ou avec des experts.

À Strasbourg, M. Amoudruz est chargé de la formation. C'est un peu plus difficile à mettre en _uvre. Nous avons touché davantage les magistrats nouvellement élus que les anciens. Il n'en demeure pas moins qu'il existe, à Tours, une deuxième formation à laquelle M. Amoudrouz et certains d'entre nous ont participé. Une troisième formation nous est dispensée au travers de notre union européenne. Nous avons ainsi organisé une initiation au droit communautaire, il y a trois ans. Au mois d'octobre, nous avons tenu une réunion à Vienne, en Autriche, sur le thème des procédures collectives.

M. le Président : La formation de Tours a été imposée par quelques pionniers contre l'institution consulaire, car la demande de formation n'est pas si grande. Vous, vous l'avez initiée tout naturellement.

M. Pierre GOETZ : La présence de magistrats professionnels n'y est sans doute pas étrangère, car elle provoque une émulation.

M. le Président : Les magistrats professionnels nous ont dit qu'ils ne concevaient pas leur formation hors de votre contact.

Que pensez-vous de la présence de juges élus à la cour ?

M. Pierre GOETZ : Je pense que c'est une bonne chose.

M. François AMOUDRUZ : Lorsque la possibilité existe, même si nous ne l'exploitons pas, nous pouvons assister aux délibérés.

M. Pierre GOETZ : Si on nous accorde une place entière en tant que magistrats, se pose la question de savoir si un juge consulaire élu peut le faire à titre bénévole. Une autre formule pourrait consister à recruter de temps à autre un magistrat au tour extérieur.

M. le Président : Il y a un problème d'âge.

M. ROTH : Dans mon cas, cela n'a pas été une question d'âge, mais une question de durée des études. On demandait une durée de quatre ans et j'ai eu le malheur d'avoir fait des études pendant trois ans, plus deux ans. Trois plus deux, séparées par six mois, faisaient cinq, mais pas les quatre ans requis. J'ai postulé il y a six mois. J'ai reçu une fin de non recevoir, alors que mon dossier était monté jusqu'à la chancellerie.

M. le Président : Il est intéressant de faire apparaître que le système est ainsi fait qu'il empêche de répondre à la candidature de quelqu'un de motivé.

M. ROTH : En l'occurrence, on a appliqué les textes qui datent d'il y a vingt ans. Les études pour obtenir la licence durent maintenant quatre ans, alors qu'à l'époque, elles ne duraient que trois ans.

M. le Président : Il aurait fallu prévoir le niveau de la licence au lieu de quatre ans.

M. ROTH : Peut-être la justice y a-t-elle perdu quelque chose.

M. le Président : Certainement. La justice professionnelle a intérêt à s'ouvrir le plus largement possible. Les avantages sont sans commune mesure avec les rares inconvénients.

M. ROTH : Je suis PDG. retraité depuis six mois. Je dirigeais une société familiale qui a arrêté son activité après cent cinq ans d'existence et qui a appartenu à quatre générations de père en fils. Elle avait une certaine notoriété sur la place. Je suis juge consulaire depuis 1985.

Lors d'une séance de formation de l'AFFIC, à Paris, j'avais demandé, pour la deuxième année consécutive, pourquoi les juges consulaires ne pouvaient pas être admis en cour d'appel. Tout le monde y semblait favorable, y compris M. Truche. Je profite de votre présence pour remarquer qu'il serait bon qu'il y ait des chefs d'entreprise dans les chambres sociales des cours d'appel. Cela tempérerait peut-être certaines de leurs décisions.

M. le Président : Ce n'est pas le même propos, mais je suis partisan de l'échevinage généralisé, parce que je trouve que les juges professionnels n'ont pas assez de contact avec la réalité. Tout ce qui permet d'ouvrir la justice me paraît bon. Se pose ensuite le problème du mode de recrutement.

M. ROTH : Je suis totalement partisan de l'échevinage. Je confirme que tous les délibérés, avec les différents présidents qui se sont succédé en première chambre, à Strasbourg, ont toujours été non seulement courtois, mais fructueux.

Bien souvent, nous sommes arrivés, à deux juges consulaires, à faire changer d'avis le président. On ne nous a jamais rien imposé. Au contraire, en tant que praticiens du commerce, nous sommes parvenus à imposer notre point de vue, parce qu'il était fondé sur la réalité quotidienne.

Dans le cadre de la première chambre, qui s'occupe des procédures collectives, lorsque nous avons quelque soupçon sur un chef d'entreprise, nous pouvons plus facilement savoir ce qu'il a fait ou n'a pas fait, alors qu'un magistrat professionnel ne regardera que les textes.

M. le Président : Consultez-vous les dossiers avant l'audience ?

M. ROTH : Je vais parfois les voir avant. Quand je suis nommé juge-commissaire, je connais mon dossier à fond.

M. le Président : Pendant le déroulement de l'audience, le président vous laisse-t-il poser des questions ?

M. ROTH : Tout à fait, mais cela n'a pas toujours été le cas.

M. le Président : Il est vrai qu'il s'est produit un changement général dans le fonctionnement des institutions judiciaires qui n'est pas propre à cette formation.

M. ROTH : Le débat est tout à fait libre, il n'y a absolument aucun frein ni aucun secret.

M. le Président : Quand j'étais président, j'étais plus directif que cela. (Sourires.)

M. ROTH : Pour ce qui est de la conscience professionnelle, je vous citerai un cas précis. J'avais été nommé juge-commissaire dans une affaire où, au bout de quelques semaines, j'ai trouvé dans le dossier le nom d'un directeur de banque avec lequel j'avais eu moi-même des difficultés. J'ai demandé immédiatement au président de me relever de mes fonctions de juge-commissaire. Il ne l'a pas accepté de gaieté de c_ur, mais il l'a fait. J'ai préféré être déchargé de mes fonctions de juge-commissaire. Un jugement du président du tribunal m'a déchargé de ces fonctions.

Je siège également à la chambre de prévention.

M. le Président : Nous y reviendrons.

M. MOUREY : Je suis tout à fait d'accord avec ce que mes collègues ont indiqué. Je suis juge consulaire depuis 1985. Nous sommes un groupe de juges consulaires qui quitterons l'institution à la fin de 1999.

M. le Président : Existe-t-il une relève ?

M. Pierre GOETZ : Il faut l'espérer.

M. MOUREY : Auparavant, j'étais délégué général à la fédération des entrepreneurs du bâtiment alsaciens et je participais aux activités de la confédération patronale d'Alsace, qui n'est d'ailleurs compétente que dans le Haut-Rhin, dont l'une des activités essentielles était la présélection des candidats aux élections consulaires.

M. le Président : Que pensez-vous de la présélection ?

M. MOUREY : Elle est très bien faite. Il suffit de nous regarder. (Sourires.) Je ne suis sans doute pas le meilleur. Il n'y a pratiquement qu'une seule liste.

M. le Président : Cela vous paraît-il sain ? Pourquoi recourir au système électif s'il n'y a qu'une liste ?

M. MOUREY : D'une part, parce qu'il y a peu de candidats. D'autre part, il n'est pas souhaitable que tous les candidats potentiels soient admis dans le sérail.

M. le Président : Quels sont les critères de présélection ?

M. MOUREY : Le sérieux, la formation, la direction d'entreprise.

M. le Président : D'autres critères «  à l'alsacienne  », de région, de ville, de métier, sont-ils pris en compte ?

M. MOUREY : Absolument pas. Tous les organismes membres de cette confédération regroupant toutes les organisations syndicales proposent des candidats.

M. le Président : Vous avez été proposé par le comité des banques ?

M. MOUREY : Non, j'ai été proposé par les organisations professionnelles du BTP du Bas-Rhin.

Il ne m'est arrivé qu'une fois, mandaté par la confédération, d'intervenir auprès d'un juge consulaire à la retraite pour lui signifier que la candidature de son fils, qui avait commis des frasques, n'était pas souhaitable. L'ancien juge consulaire a parfaitement compris.

M. le Président : Des procédures disciplinaires ont-elles été engagées à l'encontre de juges de votre région ?

M. Pierre GOETZ : Non, aucune.

M. MOUREY : Absolument pas.

M. Pierre GOETZ : Le seul cas concernait un administrateur judiciaire de Colmar, mais il a été blanchi. L'institution consulaire n'était pas en cause. C'était un administrateur au-dessus de tout soupçon.

M. François AMOUDRUZ : Jadis, des mandataires ont été condamnés.

M. le Président : Le problème des mandataires est différent de celui des juges. Lorsque des procédures sont engagées contre des juges consulaires, généralement, ils démissionnent, afin d'éteindre l'action disciplinaire.

M. Pierre GOETZ : Au niveau de la région toute entière, je n'ai connaissance d'aucun cas.

M. MOUREY : La cooptation s'effectue dans des conditions tout à fait honnêtes. Pendant mes activités, nous avons connu une fois une liste parallèle qui pour objectif l'élimination d'un candidat officiel.

M. le Président : Pourquoi recourir à l'élection si l'élection ne sert à rien ?

M. MOUREY : Il y a le rituel et l'obligation légale.

M. Pierre GOETZ : En Allemagne, la désignation est effectuée par la chambre de commerce sur la base d'une liste proposée par les organisations professionnelles. En Belgique, les juges consulaires sont nommés par arrêté royal. Il n'y a pas de système parfait, il y a un équilibre à trouver.

M. le Président : Les assesseurs des juges des enfants sont désignés aussi par un arrêté ministériel.

M. Pierre GOETZ : Cela pourrait se concevoir pour notre juridiction.

M. François AMOUDRUZ : Cela a d'ailleurs existé en Alsace et en Moselle, avant et pendant la première guerre mondiale, sous la loi d'Empire, qui a instauré l'échevinage dans les trois départements de l'Est, en 1877. Les juges étaient alors nommés. En 1918, l'élection des juges a été instaurée.

M. MOUREY : En ce qui concerne les relations avec les présidents de chambre, comme M. Goetz, j'en ai connu six, de tempéraments différents.

M. le Président : Vous en avez usé beaucoup !

M. MOUREY : Ils s'usent, parfois même ils fuient. Depuis 1985, nous avons connu toutes les époques. Nous avons commencé avec un président de chambre, M. Schierrer, qui maniait l'autoritarisme et le paternalisme. Puis nous avons assisté à une évolution rapide liée, à mon sens, au rajeunissement. Nous n'avons plus du tout les mêmes rapports avec le président Bangratz qu'avec le président Schierrer. Il y a un véritable esprit de collaboration.

M. le Président : Les nouveaux présidents vous paraissent-ils plus compétents ?

M. MOUREY : Ils sont plus efficaces. Ils sont plus rapides dans les prises de décisions et ils nous écoutent beaucoup plus.

M. le Président : C'est plutôt positif.

M. MOUREY : Tout à fait.

M. le Président : La profession s'améliore.

Comme juges-commissaires, avez-vous la marge de manoeuvre prévue par la loi ?

M. MOUREY : Tout à fait.

M. ROTH : En chambre de prévention également, nous avons une totale liberté.

M. le Président : Le bilan est plutôt positif. Il nous est revenu que les tribunaux de commerce de la «  Vieille France  » apparaissaient assez suspects aux milieux d'affaires. En revanche, ici, les juges professionnels nous ont dit qu'il existait, comme partout, des clauses d'exclusion, mais qu'il n'y avait aucune suspicion sur la juridiction.

M. GIORDANENGO : Je suis un peu atypique. J'étais dans un groupe industriel. Ma volonté de participer à la chambre commerciale est apparue dans le cadre d'expériences d'opérations de croissance externe ou de rachat de sociétés en difficulté.

M. le Président : Vous avez été « client » du tribunal de commerce ?

M. GIORDANENGO : J'ai été « client » de la chambre commerciale, puis j'ai exercé des fonctions de juge-commissaire dans le cadre des procédures collectives. Il importe que le juge-commissaire soit formé. Il doit savoir lire un bilan aussi bien qu'un expert-comptable. Il doit être capable d'analyser les éléments dont il dispose pour soutenir sa procédure et ne pas se laisser tirer par l'administrateur. En 1986 et 1987, j'ai eu à connaître de très gros dossiers, comme celui de la machine-outil.

Je dirai, comme mes collègues, que les présidents n'ont jamais eu d'influence sur les délibérés auxquels j'ai participé. Lorsque nous n'étions pas d'accord, le président était mis en minorité. Nous n'avons jamais subi de pressions. Je n'ai jamais vu rendre un jugement contraire à la décision collégiale.

M. le Président : Dans votre système, les représentants du monde commerçant sont majoritaires.

M. GIORDANENGO : C'est exact.

Nous rédigeons nous-mêmes nos ordonnances. Nous mettons l'accent sur la dialogue avec les responsables de l'entreprise, l'administrateur et le représentant des créanciers. La principale difficulté réside dans l'appréciation des dossiers d'une certaine importance, lorsqu'il y a un avis à donner sur les choix concernant les plans de cession ou de continuation. Cela demande un important travail et je ne suis pas persuadé que tous les juges-commissaires aient une capacité d'appréciation économique suffisante.

M. le Président : C'est un des points où la justice est en contact avec ce qu'il y a de plus difficile. Il importe que cela soit confié à de gens formés, bien encadrés et sûrs.

M. GIORDANENGO : C'est le cas pour les décisions de licenciement pour cause urgente ou de cession d'éléments d'actifs qui peuvent permettre à l'entreprise de recapitaliser ou de proposer un plan.

J'émettrai une réserve en ce qui concerne l'élection des magistrats consulaires. Pour ma part, j'ai souhaité, l'année dernière, être élu, mais on a estimé que mes nouvelles fonctions - j'ai quitté mes fonctions industrielles pour reprendre une société de consultant - étaient incompatibles avec les fonctions de magistrat consulaire. Comme, par malchance, j'étais intervenu comme consultant dans une très importante société industrielle qui a pu présenter un plan d'apurement du passif. Certains de mes collègues ont fait en sorte que je ne puisse pas être élu.

M. le Président : Vous n'avez donc pas été réélu ?

M. GORDANANGO : Non, je n'ai pas pu.

M. Pierre GOETZ : Je tiens à vous apporter un éclairage sur ce point. Nous sommes une région consulaire. Dans ce cadre, le problème de la compatibilité a été évoqué. Cela va bien au-delà d'une question de personne. On rejoint la position de la conférence générale des tribunaux de commerce sur la compatibilité de l'activité professionnelle d'un juge avec une fonction du type de juge conciliateur, ad hoc. La Conférence générale s'est prononcée sur le sujet.

Si un magistrat ou un collègue veut néanmoins se présenter, il a la possibilité de le faire. C'est une précaution dictée par le souci d'éviter tout problème délicat, peut-être au-delà du raisonnable. Une position de principe a été prise qui s'est malheureusement appliquée en l'occurrence. C'est de l'ordre de l'anecdote.

M. le Président : Il est évident qu'il y a un problème.

M. GIORDANENGO : Je considère qu'un magistrat consulaire a certaines obligations, dont celle d'aider les entreprises. Pour aider une entreprise en difficulté et pour préserver les droits de l'ensemble des créanciers, on ne peut pas faire certaines publicités. Parfois, pour une entreprise d'une certaine importance, qui emploie deux à trois cents salariés et accuse un passif de 50 ou 60 millions de francs, quand la répartition du passif entre les différents créanciers est inégale, il est évident que le dépôt de bilan doit se faire d'une façon spontanée et discrète pour préserver l'intérêt de tous et surtout de l'entreprise.

Contrairement à ce que disent mes collègues, j'ai été victime de certaines banques représentées dans les fonctions consulaires, qui ont estimé qu'on ne pouvait pas laisser travailler des gens comme moi, capables d'initier des dépôts de bilan surprises. Il est tout à fait inexact de dire que l'on est libre de se présenter. C'est une cabale des banques.

M. Pierre GOETZ : Je ne peux pas accepter cela.

M. le Président : C'est une des questions qu'il est utile de se poser. Nous allons y réfléchir.

M. Pierre GOETZ : Il importe de souligner que ce problème n'a rien à avoir avec l'échevinage. C'est un problème d'ordre général.

M. le Président : Sauf qu'en comparaison d'autres juridictions, vous prenez plus de précautions et vous en êtes un peu victimes.

M. Pierre GOETZ : Tout à fait.

M. le Président : J'ajouterai que le problème des banques n'est pas indifférent. Elles ont vocation à être proches des créanciers. Elles disposent souvent d'un réseau et d'un grand nombre d'informations, de sorte que les représentants des banques doivent être particulièrement bien choisis. L'affaire qui s'est produite avec le Crédit agricole à Aurillac est révélatrice d'un abus qui, hélas ! n'est pas un cas isolé.

M. Pierre GOETZ : Nous sommes à Strasbourg 32 juges consulaires, dont seulement un banquier en exercice, à savoir moi-même. Il y a 2 banquiers retraités, dont M. Amoudruz, qui a expliqué dans quelles conditions il exerce ses fonctions.

Je suis très sensible à cette question, non seulement parce que je suis banquier, mais aussi parce que cela pose la question de savoir si quelqu'un issu du monde économique peut participer à un service public. Il ne faut pas se focaliser sur des cas exceptionnels. L'exemple du Crédit agricole est certainement un cas isolé. Je ne pense pas que les gens soient assez inconscients pour aller se mettre dans des situation aussi stupides.

Qu'il s'agisse d'un banquier, d'un assureur ou de n'importe quel fournisseur, le problème n'est pas l'exercice de l'activité. M. Amoudruz est ici depuis seize ans, j'y suis aussi depuis 1985. Je n'ai jamais essayé de tirer parti de ma fonction, mais c'est à chacun d'agir en conscience. C'est pourquoi j'ai insisté sur la déontologie personnelle de chacun, quelle que soit son activité professionnelle.

L'échevinage offre une garantie. La juridiction fonctionne avec la présence d'un magistrat professionnel qui supervise le travail et peut s'assurer que tout se passe correctement. M. Mourey a indiqué que des gens n'avaient pas été renouvelés pour diverses raisons. Je pourrais en citer d'autres que M. Giordanengo. Nous en avons connu qui sont partis au bout de deux ans, durée de leur mandat, parce qu'ils étaient constamment absents et ne s'investissaient pas.

M. le Président : Les institutions n'ont pas été inventées par des gens stupides. Si on a prévu des formations à trois juges, professionnels ou non professionnels, c'est précisément pour limiter les risques. On ne peut pas avoir une justice proche sans courir le risque de connivences, mais il importe d'être attentif à la distance, au contrôle, à la crédibilité.

M. Pierre GOETZ : Les institutions ne sont pas au service des hommes, ce sont les hommes qui font la qualité des institutions. La présence du magistrat professionnel est une sécurité, mais il doit également entrer dans cette démarche intellectuelle d'indépendance. Pourquoi ne parler que du juge consulaire ? Lui aussi pourrait avoir à se déporter. Après tout, son voisin peut être concerné par une affaire dont il a à connaître.

M. le Président : Le problème est différent. On nous a parlé ici d'un système de présélection, qui oriente les choix.

M. GIORDANENGO : En ce qui me concerne, ma seule remarque concerne le système de cooptation.

M. le Président : Je trouve que l'échevinage est très profitable aux magistrats professionnels. Il sont à la fois plus sûrs d'eux et moins sûrs d'eux. Ils prennent conscience de leurs limites.

M. Pierre GOETZ : Il est intéressant d'observer les résultats concrets de l'échevinage chez nos voisins. Dans les tribunaux allemands, lorsque les magistrats consulaires s'investissent comme le font ceux qui sont autour de cette table, l'échevinage fonctionne correctement, mais si les juges échevins ne viennent que pour le prestige et pour l'honneur de la fonction, au bout de quelques années, ils finissent pas être évincés. Si le magistrat échevin ne vient pas discuter avec le magistrat professionnel, celui-ci finit pas siéger comme juge unique, avec l'approbation des avocats. En Belgique, la collaboration et la concertation sont plus grandes. Cela montre que le système écheviné que nous connaissons peut être amélioré en s'inspirant de dispositions en vigueur dans les tribunaux belges.

M. François AMOUDRUZ : Nous sommes favorables à une plus grande prise de responsabilités que nous n'en avons aujourd'hui.

M. le Président : J'estime que l'institution professionnelle doit être en contact avec l'extérieur. Les juges des enfants sont très critiqués, parce qu'ils fonctionnent trop à juge unique et qu'ils ne font pas fonctionner un système prévoyant la concertation avec des représentants du corps social, dans lequel ils peuvent être mis en minorité.

M. François AMOUDRUZ : À cela s'ajoute un manque de moyens.

M. le Président : Plus intellectuels que matériels.

Venons-en maintenant à la prévention.

M. François AMOUDRUZ : À Strasbourg, nous n'avons mis en place une chambre de prévention que depuis le début janvier de cette année, alors que M. Lazare à Mulhouse a une expérience plus ancienne. Notre président, M. Bangratz, a proposé à plusieurs d'entre nous qui le souhaitaient de faire partie de cette chambre.

M. ROTH : En fait, nous sommes 4.

M. Pierre GOETZ : Il s'est concerté avec moi pour désigner les magistrats consulaires en exercice qui accepteraient de faire partie d'une chambre de prévention. Je lui ai indiqué 3 noms de magistrats en exercice. Je les ai choisis parce qu'ils n'ont plus d'activité professionnelle. En vertu de son imperium personnel, M. Bangratz a choisi M. Giodanengo en qualité de juge-conciliateur.

M. le Président : Vous êtes 4.

M. Pierre GOETZ : J'ai refusé d'en faire partie, car banquier en exercice, je considère que je ne peux pas m'occuper de la prévention. En revanche, j'ai participé à tous les travaux préparatoires.

M. François AMOUDRUZ : Lorsque le président a connaissance, par des informations diverses et variées, de la situation difficile d'une entreprise ou d'un particulier commerçant, il décide, après avoir lui-même constitué un fond de dossier, de déléguer sa présidence à tel magistrat consulaire.

M. le Président : C'est vraiment une délégation de la fonction du président. Cela est conforme aux textes.

M. Pierre GOETZ : Tout à fait.

M. François AMOUDRUZ : Nous sommes amenés à constater que nous ne sommes pas intervenus assez en amont. Parmi les renseignements recueillis, nous trouvons des extraits du registre des protêts, du registre des nantissements, une créance de l'URSSAF. Quand vous convoquez le dirigeant par lettre recommandée avec accusé de réception, s'il veut bien venir...

M. ROTH : Ce qui n'est pas toujours le cas.

M. François AMOUDRUZ : ... nous constatons qu'il est trop tard. Par conséquent, la prévention n'a servi strictement à rien. Depuis le 1er janvier où l'expérience a débuté de façon structurée, je n'ai pas, pour ma part, trouvé de dossier me permettant de chercher à redresser une entreprise, ce qui est l'objectif fixé par l'article 34.

M. ROTH : Bien souvent, à mesure que nous notons au procès-verbal les éléments qui nous sont fournis lors de notre échange de vue avec les personnes convoquées, celles-ci prennent conscience du fait qu'elles sont en cessation de paiements.

M. le Président : Vous empêchez que cela ne traîne davantage.

M. Pierre GOETZ : Il convient de se mettre d'accord sur ce que l'on entend par prévention. Si l'on entend par là le dépistage des entreprises qui sont en cessation de paiements, nous sommes très bons à Strasbourg. Si l'on entend par prévention, le dépistage en amont, nous sommes moins bons parce que la procédure est engagée trop tard sur la base de signalements communiqués par l'URSSAF à monsieur le procureur de la République. Or, il faut savoir qu'en Alsace, l'URSSAF est la première institution de France en terme de qualité du recouvrement. Cela signifie que les entreprises paient l'URSSAF jusqu'au dernier moment et commencent par ne pas payer autre chose : TVA, fournisseurs, par exemple.

Ce thème n'est pas traité de manière satisfaisante. M. Brangratz est entré en fonction depuis très peu de temps.

Pour l'instant, je constate malheureusement que nous faisons surtout de la médecine curative mais pas suffisamment de médecine préventive. C'est un sujet de réflexion. Je vais reprendre la réflexion avec mes collègues et avec le président Bangratz s'il est ouvert à cette démarche.

M. le Président : Il faut prévoir d'autres clignotants.

M. Pierre GOETZ : Précisément, je pense aux clignotants mis en place par le président Schierrer avec lequel nous avons travaillé. Il recevait les informations des greffes. Un des inconvénients actuels est que les sources d'informations sont dispersés. M. Lazare a dû réaliser un travail considérable à Mulhouse.

Les greffes, aujourd'hui répartis entre les différents tribunaux d'instance et le tribunal de grande instance, devraient être réunis sous le même toit. Dès lors, un système de dépistage pourrait fonctionner. À condition aussi que l'on nous donne des moyens. Nous avons beaucoup de chance à Strasbourg, car le greffe fonctionne bien, grâce à des personnels de qualité. En est-il de même dans les sept tribunaux échevinés ? M. Roth participe aux travaux concernant l'informatisation des tribunaux de grande instance. Quand j'écris au greffe et aux administrateurs pour leur demander l'état de nos dossiers, on me répond que l'on ne peut pas nous fournir d'informations parce que l'informatique n'est pas au point. Le manque de moyens est évident.

M. GIORDANENGO : Nous ne faisons pas de la prévention que depuis cette année. 25 dossiers ont été traités l'année dernière. J'ai dû en traiter seize. Contrairement à ce que l'on peut imaginer, douze se sont bien terminés. Depuis le 1er janvier, un questionnaire précis a été préparé, qui n'est pas encore appliqué dans son intégralité.

M. le Président : L'institution est en train de se mettre en place. On peut fonder sur elle beaucoup d'espoirs, à condition de poursuivre et de lui donner de nouveaux moyens.

M. LAZARE : La personnalité des magistrats professionnels n'est pas neutre pour le bon fonctionnement de l'échevinage. Il faut que le magistrat professionnel soit ouvert. Tous les magistrats professionnels ne le sont pas également, loin s'en faut. La bonne coopération implique non seulement le vouloir faire de la part des magistrats consulaires, mais aussi une ouverture de l'imperium du magistrat professionnel. Faute de quoi, on aboutit au découragement des juges consulaires.

À Mulhouse, nous avons d'excellents liens avec les magistrats professionnels qui sont actuellement en fonction.

Pour les juges consulaires, un autre élément capital est la formation. Sur le plan national, il existe l'école de Tours, à laquelle tout le monde ne va pas. À l'époque où j'étais président régional, nous avions institué, avec le président Goetz l'usage qui consiste à participer aux frais de déplacement du candidat à Tours de façon à ce que l'élément financier ne soit en aucun cas un frein.

À Mulhouse, nous avons institué un cycle de formation, constitué de neuf réunions annuelles de l'ensemble du corps, suivant un programme élaboré et publié en fin d'année pour l'année suivante avec les intervenants, de façon à ce que tout le monde puisse y participer.

M. le Président : Votre message est qu'il faut faire un effort des deux côtés et que la formation est bonne pour tout le monde.

M. LAZARE : Dans la mesure où, en France « intérieure », le juge du commerce est un juge consulaire, il y a peu de formation économique à l'ENM. 

M. le Président : Tout le monde le déplore, les magistrats professionnels les premiers.

M. LAZARE : Ils ont raison de le déplorer, parce que lorsqu'ils arrivent dans une chambre commerciale, en cour d'appel, ils n'ont pas nécessairement la formation nécessaire.

Une coopération dynamique entre les deux corps paraît donc indispensable.

M. le Président : Cela se pratique-t-il chez vous ?

M. LAZARE : On peut dire que cela fonctionne. C'est une question de relations humaines. En ce qui concerne aussi bien le contentieux que les procédures collectives, la coopération est excellente.

La prévention, toujours prévue mais jamais appliquée, est revenue à l'ordre du jour en 1994. Pour que cela fonctionne utilement, il faut que les informations soient communiquées très en amont. Nous avons décidé d'utiliser les informations disponibles dans les greffes des tribunaux: Kbis, inscriptions et bilan. Nous sommes systématiquement informés de la perte de la moitié du capital social, des inscriptions et du Kbis.

Nous avons établi des relations avec les différentes administrations, en particulier le Trésor, car le recouvrement de l'URSSAF est extrêmement efficace.

Nous constituons des dossiers qui sont d'ailleurs enregistrés au tribunal.

M. le Président : Qui décide d'ouvrir le dossier, le juge ou le président ?

M. LAZARE  Le dossier est constitué par des informations non encore exploitées par quiconque.

M. le Président : Donc, par les greffiers.

M. LAZARE : Le problème du greffe est un problème majeur. Nous sommes parvenus à le circonvenir, là encore, en établissant des relations personnelles avec les greffiers. Le registre du commerce est installé en un lieu différent.

L'un des greffiers de la chambre commerciale reçoit ces renseignements de différentes sources d'information et le dossier m'est remis. Je l'étudie.

M. le Président : Par délégation du président ?

M. LAZARE : Oui, j'ai une délégation du président. Le président fait étudier le dossier par un juge consulaire délégué. Lorsqu'il y a des inscriptions autres que l'URSSAF, ce qui n'est pas rare, nous prenons contact verbalement avec le Trésor avec lequel nous avons établi des relations. Il existe une coopération entre tous les services concernés par les difficultés éventuelles de l'entreprise. On sait, par exemple, que le Trésor a pris telle inscription, qu'il a consenti un moratoire. Ce type de renseignements nous permet d'interpréter.

À partir des renseignements matériels que nous recevons et de ceux collectés à la faveur des contacts que nous avons pu avoir avec les commissaires aux comptes, les experts comptables et autres, j'ai une opinion sur le dossier. Je vois alors le président. Nous regardons les dossiers ensemble. Dans la plupart des cas, il est d'accord. On s'assure également qu'aucune procédure n'a été ouverte et qu'une enquête n'a pas été diligentée par le parquet.

M. le Président : Vous réalisez tout le travail de préparation. La différence par rapport à Strasbourg, c'est qu'il y a un plus grand nombre de clignotants.

M. Pierre GOETZ : Si on réussissait à mettre le greffe sous le même toit, ce serait un progrès. Pour ce faire, il faut faire évoluer des dispositions du droit local.

M. le Président : Théoriquement, cela ne paraît pas très compliqué.

Vous estimez que les juges consulaires devraient être davantage impliqués dans le travail de prévention.

M. Pierre GOETZ : Dans le travail de prévention et dans le fonctionnement du tribunal.

M. le Président : Je pense que vous êtes plus à même que les juges professionnels de savoir ce qu'il faut faire pour la prévention.

S'agissant des greffes, ici ils sont fonctionnaires. Le registre du commerce se trouve au tribunal d'instance. Il faudrait les regrouper.

M. LAZARE : Cette centralisation de l'information a été le résultat de contacts personnels.

M. le Président : Ce sont des réformes réalisables rapidement.

La compétence commerciale appartenant désormais au TGI, tous ses attributs devraient aller au TGI.

M. Pierre GOETZ : Tout à fait.

M. LAZARE : Les hiérarchies sont verticales. Elles sont parallèles et ne se rencontrent jamais. D'une part, le président du TGI n'a qu'une autorité relative sur le président du TI, lesquels n'ont qu'une autorité relative sur le greffier en chef.

M. le Président : Je suis très agréablement impressionné par la qualité de vos remarques. Vous avez longuement réfléchi sur de nombreux sujets. Vous avez votre liberté d'opinion et vous l'exprimez avec la prudence requise aux magistrats. Vous avez insisté sur la formation, le recrutement. C'est un sujet sur lequel vous avez des idées originales à apporter. Enfin, vous considérez que l'on ne vous fait pas assez confiance.

M. Pierre GOETZ : Il y a des points qui relèvent de l'anecdotique, mais globalement, depuis douze ans que je pratique ce système, j'ai vu passer plusieurs magistrats professionnels qui m'ont apporté beaucoup de satisfactions, parce que j'ai eu affaire à des gens de qualité qui ont accepté le compromis. Je n'ai jamais eu le sentiment de tensions entre juges professionnels et juges consulaires.

M. le Président : Les juges professionnels ont dit que dans les procédures collectives, votre présence était irremplaçable, et qu'elle l'était moins dans le contentieux général, alors que je pensait que c'était l'inverse.

M. Pierre GOETZ : Je ne suis pas d'accord. J'en veux pour preuve l'exemple de l'astreinte que j'ai cité.

M. François AMOUDRUZ : Le magistrat professionnel de la deuxième chambre, qui s'occupe du contentieux général, a davantage besoin du juge consulaire praticien du bois ou de la banque.

M. Pierre GOETZ : Je regrette que des collègues de la deuxième chambre, qui s'occupe du contentieux général, n'aient pas participé à notre réunion, car vous auriez entendu évoquer un autre aspect que l'on n'a pas abordé.

Ils vous auraient parlé avec enthousiasme de périodes qu'ils ont vécues, où on leur a confié une mission de conciliation. Ils ont ainsi déchargé les magistrats professionnels. Là aussi, le juge consulaire a un rôle positif à jouer.

M. LAZARE : En ce qui concerne le contentieux général, à Mulhouse, le délibéré a lieu dans de bonnes conditions.

Nous avons cherché à traiter la conciliation en fonction du décret de 1996, mais cela n'a pas fonctionné, parce que l'on fait appel aux parties et aux avocats et que ce n'est pas dans leur culture. Sous l'impulsion du premier président, il a été décidé, à partir du 1er janvier 1998, que les juges consulaires se verraient confier des mises en état. Le président de chambre effectue un tri grossier parmi les dossiers, car à ce niveau-là, il n'y a que les échanges de conclusions et l'on a qu'une opinion très succincte de ce dont il s'agit. Il confie des audiences de mise en état à un certain nombre d'entre nous. Nous effectuons alors un nouveau tri pour décider ce qui, à notre avis, est susceptible de conciliation.

J'apprécierais un poids plus grand pour les magistrats que nous sommes, non pas que l'on supprime l'échevinage, mais que, dans les chambres de procédure collective, le président puisse être un magistrat consulaire.

M. le Président : La question est légitimement posée. Elle mérite réflexion. Le principal problème est celui de la disponibilité. Les magistrats professionnels sont de passage, mais ils travaillent à temps complet.

M. Pierre GOETZ : Un magistrat écheviné comme M. Amoudruz qui est retraité, se rend disponible. M. Lazare est également disponible.

M. LAZARE : Il serait également judicieux qu'il y ait un magistrat consulaire dans les chambres commerciales de cour d'appel.

Audition de Mmes MALHER et VOGEL, greffières

du tribunal de grande instance de Strasbourg

(extrait du procès-verbal de la séance du 4 juin 1998 à Strasbourg)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président.

Mmes Vogel et Malher sont introduites.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Président, Mmes Malher et Vogel prêtent serment.

M. le Président : Décrivez-nous à grands traits en quoi consiste votre activité ?

Mme VOGEL : J'établis le tableau de roulement, je fixe les affaires prévues à l'audience. Le président me laisse entière liberté pour ce faire. Enfin, j'assiste le président à l'audience.

M. le Président : En Alsace, le registre du commerce n'est pas conservé par le greffe.

Mme VOGEL : C'est un service du tribunal d'instance.

M. le Président : Dans ce bâtiment ?

Mme VOGEL : Oui, dans ce bâtiment, ce qui facilite les choses.

M. le Président : Vous occupez-vous de la prévention ?

Mme VOGEL : Non, cela est du ressort de Mme Mahler.

M. le Président : Les juges consulaires m'ont dit que vous n'étiez pas assez nombreuses, mais que vous étiez très compétentes et disponibles.

Depuis combien de temps exercez-vous cette activité ?

Mme VOGEL : Je l'exerce depuis deux ans au service des audiences. Auparavant, j'ai été au service des juges-commissaires pendant cinq ans. Je connais assez bien le service commercial. greffier depuis vingt ans, je me suis rendu compte que j'étais intéressée par les affaires commerciales et lorsque j'ai eu la possibilité de prendre un poste dans cette chambre, je l'ai saisie.

M. le Président : Avez-vous suivi une formation initiale en cette matière ?

Mme VOGEL : Pas du tout.

M. le Président : Avez-vous été formée à l'école des greffes ?

Mme VOGEL : Effectivement, en 1977. Il n'y avait pas de formation concernant les tribunaux de commerce. Je me suis formée sur le tas en prenant le service des juges-commissaires de 1988 à 1993. Il est certain que c'est un service difficile quand on ne connaît pas la matière.

M. le Président : Existe-t-il une formation d'adaptation ?

Mme VOGEL : Non. À mon arrivée en 1988, le tribunal d'instance s'occupait du service des juges-commissaires. Cela a duré jusqu'au déménagement de la juridiction, en 1990. Le juge d'instance était toujours désigné en qualité de juge-commissaire suppléant, mais en fait, c'était lui qui assurait la fonction. J'ai donc eu la chance de travailler pendant deux ans et demi avec un juge d'instance, ce qui a été très formateur.

M. le Président : Quelles sont vos relations avec les juges-commissaires ?

Mme VOGEL : Je les vois essentiellement aux audiences.

M. le Président : Qui est chargé du greffe pour les juges-commissaires ?

Mme MAHLER : Moi.

M. le Président : Vous occupez-vous des taxes ?

Mme VOGEL : Le juge-commissaire donne son avis et les président signe la taxe. C'est plutôt du domaine du président que du greffier de la première chambre.

M. le Président : Quel est le délai de rendu des jugements ?

Mme VOGEL : Ils sont tous prononcés sur le siège. L'audience a lieu le lundi et tout est fait au plus tard le jeudi matin.

M. le Président : En a-t-il toujours été ainsi ?

Mme VOGEL : Il en a toujours été ainsi. C'est toujours le cas, sauf pour les dossiers de sanction mis en délibéré. Tous les autres jugements sont prononcés sur le siège et exécutés très rapidement, ce qui suppose une charge de travail très lourde en début de semaine.

M. le Président : Les tapez-vous vous-même ?

Mme VOGEL : Non, j'ai une secrétaire.

M. le Président : Son travail a donc lieu le lundi après-midi ?

Mme VOGEL : Elle commence le lundi après-midi, car le président rédige souvent entre midi et quatorze heures. Elle continue le mardi et le mercredi toute la journée.

M. le Président : Les significations sont-elles immédiates ?

Mme VOGEL : J'attends que l'ensemble du travail soit achevé pour tout envoyer en même temps, je fais parvenir individuellement les significations de jugement dans les cases des huissiers de justice. En principe, le jeudi midi, mon audience est terminée. Cela est nécessaire car le vendredi, je dois préparer l'audience du lundi suivant.

M. le Président : Et ce sont des affaires qui ont besoin d'être traitées rapidement.

Mme VOGEL : Effectivement, une période d'observation est maintenue à huitaine au maximum.

M. le Président : Mme Mahler, de quoi vous occupez-vous ?

Mme MAHLER : Je m'occupe du service des juges-commissaires et de la prévention, avec le président.

M. le Président : Comment le dossier de prévention est-il constitué ?

Mme MAHLER : Des signalements nous parviennent, généralement par des courriers adressés par des experts-comptables et des commissaires aux comptes. Je les soumets au président qui les examine. Il demande souvent des états de l'URSSAF et des ASSEDIC.

M. le Président : Comment vous demande-t-il de le faire ? Par téléphone ?

Mme MAHLER : Non, par écrit, sur la cote des dossiers.

Lorsque j'ai réuni toutes les pièces, je lui soumets à nouveau les dossiers. Il décide alors soit d'un classement sans suite, soit la constitution d'un dossier de prévention.

M. le Président : Qu'advient-il ensuite ?

Mme MAHLER : Soit il le confie par ordonnance à un juge-commissaire, soit il le traite lui-même.

M. le Président : Après la désignation des juges-commissaires, les dossiers viennent-ils entre leurs mains ?

Mme MAHLER : Non, ils restent au greffe, dans un endroit particulier auquel personne n'a accès, sauf le président et moi. Quand ils veulent consulter un dossier, ils me le demandent.

M. le Président : Peuvent-ils effectuer des copies ?

Mme MAHLER : Non.

M. le Président : Le pourraient-ils ?

Mme MAHLER : Oui. Je convoque les gens. Le jour de l'audience, le juge-commissaire vient chercher le dossier.

M. le Président : Allez-vous à l'audience avec lui ?

Mme MAHLER : Non.

M. le Président : Un juge-commissaire n'a-t-il pas besoin d'un greffier ?

Mme MAHLER : La présence d'un greffier n'est pas obligatoire.

M. le Président : Est-ce dans les textes ?

Mme MAHLER : Oui.

M. le Président : Rédige-t-il ensuite son ordonnance ?

Mme MAHLER : Soit il renvoie, soit il crée un procès-verbal de carence, si personne n'est venu, soit il décide de reconvoquer, soit il rédige un rapport qui est soumis au président.

M. le Président : Le système fonctionne-t-il bien ?

Mme MAHLER : Oui. Je suis arrivée il y a quatre mois, depuis que je suis là, il fonctionne bien.

M. le Président : Où étiez-vous auparavant ?

Mme MAHLER : J'étais à l'instruction.

M. le Président : Avez-vous suivi une formation particulière en cette matière ?

Mme MAHLER : Non.

M. le Président : Travailliez-vous auprès d'un juge d'instruction qui faisait du financier ?

Mme MAHLER : Oui.

M. le Président : Vous avez donc vu des banqueroutes, par exemple.

Mme MAHLER : Oui, et je retrouve d'ailleurs une bonne partie des dossiers financiers en liquidation.

M. le Président : Vous avez toutes deux suivi une formation sur le tas dans la même matière. Estimez-vous qu'une formation est indispensable ?

Mme VOGEL : Oui, il faut s'intéresser à la matière commerciale.

M. le Président : Les juges-commissaires sont assez nombreux...

Mme MAHLER : Dix-huit.

M. le Président : ...les connaissez-vous tous ?

Mme MAHLER : Il m'a fallu quelque temps, mais aujourd'hui, oui.

M. le Président : Comment le juge-commissaire rédige-t-il ses ordonnances ?

Mme MAHLER : Les mandataires-liquidateurs déposent leurs requêtes. Nous rédigeons un projet d'ordonnance à partir des éléments fournis par le liquidateur, que nous soumettons au juge-commissaire.

M. le Président : Est-ce le liquidateur qui rédige ?

Mme MAHLER : Non.

M. le Président : C'est le cas dans certains endroits.

Mme VOGEL : A Strasbourg, cela n'a jamais été le cas.

Mme MAHLER : Nous rédigeons l'ordonnance d'après les éléments qu'il fournit. Si nous n'en avons pas suffisamment ou si le juge-commissaire estime qu'il n'en a pas assez, il en demande d'autres. Ensuite, nous préparons un projet d'ordonnance que nous soumettons au juge-commissaire.

M. le Président : Considérez-vous que le système est bien rodé ?

Mme VOGEL : Oui. Je vais peut-être vous paraître chauvine, mais je trouve que le système en vigueur en Alsace-Moselle est très bon, car il se rapproche du modèle européen et il présente l'avantage d'être présidé par un magistrat professionnel, ce qui est un gage d'impartialité.

M. le Président : Estimez-vous que les juges-consulaires ne sont pas impartiaux ?

Mme VOGEL : Je l'ignore, car je n'ai jamais travaillé dans d'autres tribunaux de commerce, mais ce qu'on peut lire dans la presse incite à s'interroger.

M. le Président : Estimez-vous que les juges-commissaires ont assez d'autorité à l'égard des mandataires ?

Mme VOGEL : Je le pense.

Mme MALHER: Moi aussi. Ils obtiennent généralement ce qu'ils demandent. Il est fréquent qu'ils téléphonent du greffe pour demander des précisions.

M. le Président : Obtiennent-ils une réponse tout de suite ?

Mme MAHLER : Dans la plupart des cas oui, sinon dans les deux à trois jours qui suivent.

M. le Président : Nous voulons savoir si ce système est fiable. Dans la «Vieille France», les greffes ne sont pas des greffes publics.

L'éloignement du greffe d'instance ne pose-t-il pas de problèmes ?

Mme VOGEL : Non, puisque lorsque le tribunal d'instance a déménagé, le registre du commerce est resté ici, et nous avions déjà réalisé une espèce de chaîne commerciale.

M. le Président : On nous a dit que dans d'autres tribunaux, cela ne fonctionnait pas très bien à cause de l'éloignement.

L'informatisation est-elle réalisée ?

Mme VOGEL : Nous travaillons actuellement avec la chancellerie sur un projet d'informatisation. Certains tribunaux risquent de rencontrer des difficultés techniques, car sera utilisé le registre du commerce comme base de données. Pour nous, cela ne posera aucun problème, puisque c'est le bureau à côté.

M. le Président : Y aurait-il un inconvénient à ce que le registre du commerce soit tenu au tribunal de grande instance ?

Mme VOGEL : Je l'ignore.

M. le Président : Quel est l'effectif du service ?

Mme VOGEL : A Strasbourg, dix-sept personnes.

M. le Président : C'est très gros service. Est-il entièrement autonome au sein du tribunal d'instance ?

Mme VOGEL : Par la force des choses, puisqu'il est dans le TGI.

M. le Président : Cela montre qu'il peut être autonomisé.

Mme VOGEL : De toute façon, ce service et le nôtre sont totalement autonomes. Sauf avec le parquet, nous n'avons aucun contact avec les autres services.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de MM. Paul PATRY et Claude WEIL, administrateurs judiciaires
et de MM. Gérard CLAUS et Philippe FROEHLICH,
mandataires judiciaires au tribunal de commerce de Strasbourg et de Mulhouse

(extrait du procès-verbal de la séance du 4 juin 1998 à Strasbourg)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président.

MM. Claus, Froehlich, Patry et Weil, sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Président, MM. Claus, Froehlich, Patry et Weil prêtent serment.

M. le Président : Nous ne sommes pas venus à Strasbourg spécialement pour rencontrer les administrateurs et les liquidateurs, mais pour savoir si la juridiction échevinée offrait plus de garanties que le tribunal de commerce.

La création de cette commission d'enquête est due en partie au fait que le contentieux des entreprises en difficulté a pris un volume très important et que l'opinion publique a l'impression qu'il n'est pas traité correctement par une juridiction consulaire dont l'ancienneté même n'est pas une garantie de modernité. L'argument qui consiste à dire qu'elle a été créée par Michel de L'Hospital ne satisfait pas les salariés qui ont été licenciés.

En outre, les professions gravitant autour du tribunal de commerce ont malheureusement appelé l'attention par quelques sinistres, le comble ayant été atteint dans la région parisienne.

Quel est votre point de vue à ce sujet ? Combien de dossiers avez-vous en charge ? Quelles sont vos suggestions ?

Me Gérard CLAUS : Je suis mandataire judiciaire à Strasbourg. Je me suis installé en 1986. Je traite en moyenne environ trois cents dossiers par an. J'emploie douze salariés. Nous travaillons dans le ressort de la cour d'appel de Colmar. Nous sommes nommés par le tribunal de grande instance de Strasbourg et par le tribunal de grande instance de Saverne. En raison d'une autre particularité locale, ces deux juridictions nous désignent à la fois en matière commerciale et en matière de faillite civile, laquelle concerne quelques professions libérales et, très majoritairement, des personnes surendettées.

M. le Président : Ces dossiers sont-ils compris dans le chiffre que vous indiquez ?

Me Gérard CLAUS : Oui. Ils représentent environ 45 % des affaires.

M. le Président : Vous employez donc douze personnes.

Me Gérard CLAUS : Le nombre du personnel a augmenté en fonction de l'évolution des dossiers. Deux personnes s'occupent de la comptabilité, deux autres de la vérification de créances. La réforme de 1994 qui a prévu un délai de vérification des créances a nécessité l'accélération du rythme du travail. Deux personnes s'occupent des salariés, domaine très lourd à traiter. J'ai un collaborateur et des secrétaires.

M. le Président : Avez-vous des remarques à formuler sur le placement des fonds ?

Me Gérard CLAUS : La particularité qui existe ici, mais aussi peut-être ailleurs, est que depuis l'entrée en vigueur de la loi de 1985, l'intégralité des fonds perçus est déposée auprès de la Caisse des dépôts et consignations.

M. le Président : S'agit-il d'une décision collective ?

Me Gérard CLAUS : Cela a été encouragé par les instances nationales et très fortement soutenu par un correspondant de la compagnie régionale, Bertrand Weiss, commissaire aux comptes.

M. le Président : Aucun d'entre vous n'a rencontré de difficulté à cet égard ? De quels moyens dispose-t-on pour contrôler le dépôt des fonds à la Caisse des dépôts ?

Me Philippe FROEHLICH : On peut interroger Bertrand Weiss qui est soit l'expert-comptable, soit le commissaire aux comptes de nos études. Il est un des deux commissaires aux comptes habituellement chargé des inspections par Mme Devigne, à la Chancellerie.

Me Paul PATRY : Il y a quelques années, les gens avaient tendance à nous dire: «Vous avez l'argent des faillites sur vos comptes et on se demande ce qu'il devient». Lors de la réforme de 1985, nous nous sommes dit que nous allions pouvoir enfin dire aux gens que leur argent serait déposé à la Caisse des dépôts où il profiterait à la collectivité, ce qui éviterait tout soupçon. Cela a été pour nous un soulagement de ne plus entendre ces critiques.

M. le Président : Vous me dites que cette pratique locale offre des garanties. Comment peut-on en être sûr ? Vous me renvoyez à votre commissaire aux comptes qui offre toutes les garanties.

Me Gérard CLAUS : J'ajoute qu'il existe au sein des études des comptables qui ne peuvent pas avoir le réflexe de déposer les fonds dans un établissement financier. Si nous demandions à l'une de nos deux secrétaires comptables de déposer 5,5 millions de francs dans une banque extérieure, nous nous heurterions au contrôle interne.

M. le Président : Vous dites qu'il n'y a aucun problème.

Me Gérard CLAUS : Le risque de détournement de fonds par des employés existe toujours, mais nous avons mis en place toute une série de contrôles.

M. le Président : Les juges-commissaires exercent-ils sur vous un contrôle étroit ?

Me Gérard CLAUS : Nous leur communiquons les comptes trimestriellement. Ceux qui nous contrôlent le plus sont notre expert-comptable et notre commissaire aux comptes. À cela s'ajoute le contrôle interne et le fait que nous communiquions aux greffes nos comptes trimestriels.

M. le Président : Exercent-ils un contrôle dossier par dossier ?

Me Gérard CLAUS : Il y a de nombreux intervenants dans un dossier.

M. le Président : Je suis bien placé pour savoir que ces garanties n'ont pas suffi.

Me Gérard CLAUS : Imaginons qu'il n'y ait pas de contrôle au cours du dossier ; à la fin vous adressez au magistrat et au débiteur une reddition de comptes avec les pièces justificatives. Il y a donc un contrôle à terme. Il est difficile d'imaginer que des fonds qui devaient entrer dans une procédure aillent ailleurs.

M. le Président : On a vu un liquidateur se faire faire des travaux chez lui. Cela se fait-il ici ?

Me Gérard CLAUS : Non, cela ne se fait pas.

M. le Président : Si quelqu'un le faisait, cela provoquerait un scandale sur la place ?

Me Gérard CLAUS : C'est évident.

Me Paul PATRY : Cela se saurait très vite, car nous sommes presque tous installés dans des locaux contigus.

M. le Président : La situation est telle que l'opinion publique n'a pas confiance dans les modes de contrôle innombrables qui ont été mis en place.

Me Gérard CLAUS : Modifier le texte de 1985 qui comporte une lacune en ce qui concerne l'obligation de consigner les fonds à la TG, serait déjà un progrès.

M. le Président : Dans l'affaire Sauvan-Goulletquer, un contrôle réalisé un mois avant la découverte de la catastrophe, soi-disant, par les meilleurs spécialistes de la profession, n'avait rien décelé d'anormal.

Me Gérard CLAUS : Si le professionnel d'une étude contrôlée le lundi matin perd la tête en fin de semaine, le contrôle n'aura servi à rien.

M. le Président : Il existe donc une spécificité de la région en matière de contrôle ?

Me Paul PATRY : Tout à fait.

M. le Président : Uniquement à Strasbourg ou dans toute la région ?

Me Claude WEIL : Pratiquement toute l'Alsace-Moselle.

M. le Président : Avec le même commissaire aux comptes ?

Me Claude WEIL : Oui.

Me Philippe FROEHLICH : Vous avez sans doute entendu parler de l'IRPPC, le principal syndicat représentatif de la profession, qui est divisé en compagnies. Je suis à la tête de la 10e compagnie régionale regroupant tous les professionnels dits de droit local, où l'on trouve l'échevinage que vous êtes venu étudier aujourd'hui.

Cette compagnie est très soudée, parce que tous les confrères, sauf un, font partie de l'IRPPC. Nous nous connaissons depuis longtemps. Nous avons le même expert-comptable ou commissaire aux comptes, qui connaît parfaitement nos professions depuis vingt ans et qui nous a conduits à des pratiques à la fois homogènes et sécurisantes.

M. le Président : Vous êtes conscients des dangers et vous avez pris des précautions.

Me Philippe FROEHLICH : C'est clair.

Me Paul PATRY : Je suis administrateur judiciaire à Strasbourg, avec un cabinet secondaire à Metz.

M. le Président : Aucun d'entre vous ne possède un cabinet dans les DOM-TOM ?

Me Philippe FROEHLICH : Non. Aller à Paris est devenu pour nous un cauchemar, entre les grèves et les retards, alors, aller dans les DOM-TOM...

Me Paul PATRY : Je me suis installé en 1979 sous l'ancienne profession de syndic. Mon étude compte sept personnes, plus moi-même, à savoir deux collaboratrices de niveau bac plus cinq, un collaborateur comptable et quatre secrétaires. A Metz, j'exerce en SCM avec Me Reiss, confrère strasbourgeois, une collaboratrice et une secrétaire.

M. le Président : Votre établissement principal est celui de Strasbourg ?

Me Paul PATRY : Oui, celui de Metz est plus que secondaire.

En 1996, j'ai reçu 124 dossiers, sans compter les commissariats à l'exécution du plan qui ne sont que la suite de procédures, conclus pour 60 % en liquidations judiciaires, 15 % en cessions et 24 % en plans de continuation. En 1997, j'ai reçu 102 dossiers, terminés pour 60 % en liquidations judiciaires, 23 % en plans de continuation et 8 % en plans de cession. 10 % restent en cours, les affaires de fin d'année.

S'agissant de la sécurité des fonds, les grandes lignes ont été tracées. Sur le plan local, nous militons depuis des années, aux côtés de la Caisse des dépôts, pour que l'intégralité des fonds y soient déposée.

Par ailleurs, un certain de nombre de pratiques sont tout à fait souhaitables, notamment la présence d'un certain nombre de professionnels à proximité et la réception de clients à bureau ouvert et non pas à bureau fermé. Nous sommes un peu devenus, depuis au moins quinze ans, des obsessionnels de la sécurité et du qu'en-dira-t-on, ce qui nous protège des errements qui ont pu se produire ici ou là.

Quant à avoir une sécurité absolue, je vous indique clairement que, ici comme ailleurs, malheureusement, cela n'apparaît pas possible. Dès lors que vous confiez signature à un professionnel sur un compte bancaire, même s'il est à la Caisse des dépôts et consignations, il peut y avoir détournement. Pour éloigner encore davantage les possibilités de détournements, il faudrait mettre en place des systèmes de paiement plus lourds avec double signature. Je ne vois pas d'autre solution.

M. le Président : Quelles sont vos relations avec les juges-commissaires ?

Me Paul PATRY : À mon sens, qu'il s'agisse des magistrats professionnels, du parquet ou des juges-commissaires, nous devons avoir pour principe d'entretenir des relations cordiales et en aucun cas de « copinage ». Le copinage ne peut que conduire à des dérapages.

M. le Président : Rédigez-vous les ordonnances des juges ?

Me Paul PATRY : Des ordonnances, d'une simplicité biblique, comme les ordonnances de licenciement, peuvent donner lieu à préparation par le professionnel, ce qui n'empêche, en aucun cas, le magistrat de vérifier ce qu'il en est et de rendre ou non l'ordonnance en question. Il peut arriver que nous préparions une ordonnance pour le greffe. Cela ne me pose aucun problème et je n'ai pas l'impression de rendre la décision à la place du magistrat.

M. le Président : Il faut être vigilant dans ce domaine.

Me Paul PATRY : Les magistrats et les greffiers sont des gens responsables. Si, pour plus de simplicité, ils demandent de rédiger une ordonnance simple, cela ne me pose pas de problème.

M. le Président : On vous le demande ou vous le faites de vous-mêmes ?

Me Paul PATRY : Ce n'est pas une habitude, mais pour certaines procédures simples, notamment de licenciement, il nous est arrivé de rédiger une ordonnance. Pour ma part, je n'y vois aucunement la volonté d'empiéter sur l'imperium du magistrat.

M. le Président : Quand on donne un document à signer à quelqu'un, il risque de ne pas assumer entièrement ce qui y est écrit. C'est un domaine dans lequel il convient d'être prudent.

Me Paul PATRY : Une des forces des tribunaux échevinés est leur rattachement au TGI. Ici, le parquet est constamment présent. Le procureur de la République participe à chaque audience.

M. le Président : Quel contrôle exerce-t-il ?

Me Paul PATRY : Nous lui adressons systématiquement copie de tous nos rapports pour chaque audience. Il dispose d'un dossier intégral. Il donne un avis extrêmement motivé.

M. le Président : Le procureur est-il très tatillon sur le déroulement des procédures ?

Me Paul PATRY : Nous avons des relations très suivies avec le parquet. Nous en sommes parfaitement satisfaits. Plus le parquet est présent et plus cela nous rassure.

M. le Président : La parole est à Me Claude Weil.

Me Claude WEIL : Je me suis installé en 1976. Je n'ai qu'une étude à Strasbourg. Je traite des dossiers du TGI de Strasbourg et de Saverne en principal. Accessoirement, il m'arrive de prendre des dossiers sur Colmar ou sur Mulhouse, pour la simple raison qu'il n'y a qu'un administrateur, eu égard à la baisse du nombre de dossiers. Dans certains cas, les tribunaux de Colmar et de Mulhouse estiment bon qu'il y en ait un deuxième.

J'ai six personnes dans mon étude, dont deux collaborateurs de niveau bac plus six. Le nombre des dossiers est à peu près identique dans toutes les études strasbourgeoises d'administrateurs, dans la mesure où nos présidents, à Strasbourg et à Saverne, opèrent une répartition à peu près égale des dossiers.

M. le Président : Vous avez tous la confiance du tribunal qui répartit les dossiers équitablement.

Me Claude WEIL : Tout à fait.

M. le Président : Dans certains endroits, le tribunal désigne toujours les mêmes et jamais certains. Ici, cela fonctionne très bien.

Me Claude WEIL : En ce qui concerne le dépôt des fonds à la Caisse des dépôts et consignations, pour nous, c'est un réflexe. Nous n'imaginerions même pas aller ailleurs.

M. le Président : Etes-vous démarchés par les banques ?

Me PATRY  :Cela a existé.

Me Claude WEIL : Il y a longtemps que nous ne le sommes plus. Les fameuses banques parisiennes ne nous ont pas proposé de placements de fonds. En ce qui me concerne, je n'ai jamais été démarché, parce que depuis vingt ans, tous le monde sait que les fonds sont déposés à la Caisse des dépôts et consignations.

M. le Président : Vous n'êtes plus démarchés ou vous n'avez jamais été démarchés ?

MMe Claude WEIL : Nous ne le sommes plus depuis vingt ans.

En ce qui concerne nos rapports avec les juges-commissaires et avec les greffes, un point me paraît essentiel pour comprendre le fonctionnement de l'échevinage d'un tribunal de commerce. Les greffes qui rédigent les ordonnances sont, certes, placés sous la tutelle des juges-commissaires, mais j'ai le sentiment que leur «patron» reste le magistrat professionnel, parce qu'il est là au quotidien. De même, le magistrat professionnel et le parquet sont des collègues, alors que par atavisme, il existe depuis toujours une méfiance entre le commerçant et le parquet.

M. le Président : Faites-vous l'objet de plaintes de particuliers ?

Me Claude WEIL : Pas pour ce qui me concerne.

Mme PATRY ; Nous avons dû recevoir quelques lettres de gens mécontents.

M. le Président : Il n'y a pas de procédures en cours ?

Me Philippe FROEHLICH : À ma connaissance, il n'y a pas de procédure pénale, de plainte avec constitution de partie civile.

M. le Président : Je pose la question, parce qu'ailleurs, certains, parmi les plus grands, subissent des condamnations. Cela n'existe pas chez vous. Le rattachez-vous à des traditions de moralité de la région ou à l'échevinage ?

Me Claude WEIL : Il est certain que nous ne sommes pas à Aix-en-Provence.

M. le Président : Ni à Bobigny !

Me Claude WEIL : Il y a certainement une tradition alsacienne, mais l'échevinage donne aux magistrats consulaires une coloration de magistrats tout court. Ce n'est pas le tribunal de commerce au sens de café du commerce. On va au tribunal, on ne rencontre par le juge-commissaire dans son entreprise ou au restaurant. Le juge-commissaire ne convoque jamais les gens chez lui, mais au tribunal.

M. le Président : Ailleurs, convoquent-ils chez eux ?

Me Claude WEIL : D'après ce que j'ai cru comprendre, cela se produit fréquemment. Ici, cela ne se fait jamais.

M. le Président : Les juges-commissaires ont-ils un bureau ici ?

Me Claude WEIL : Ils ont un bureau qu'ils utilisent régulièrement.

M. le Président : En est-il de même dans les autres tribunaux ?

Me Gérard CLAUS : A Saverne aussi.

M. le Président : Combien gagnez-vous ?

Me Gérard CLAUS : En 1997, j'ai déclaré 1,6 million de francs de revenus, pour 600 000 francs d'impôts.

Me Paul PATRY : En 1997, mes revenus ont été de 2 061 000 francs. J'ai payé 962 000 francs d'impôts au titre de 1996.

Me Claude WEIL : J'ai gagné 2 800 000 francs en 1996. J'ai payé la moitié en impôts. En 1997, j'ai déclaré plus de 4 millions de francs, pour 2 millions de francs d'impôts.

M. le Président : Vous êtes en pleine expansion !

Me Claude WEIL : Non, au contraire. Pour répondre au v_u du parquet, nous avons accéléré la clôture des dossiers.

M. le Président : Il y a donc moins d'affaires qui traînent.

MMe Claude WEIL : Il y a moins d'affaires qui traînent. Les honoraires sont perçus à la clôture. Les tribunaux l'ont souhaité, car ils partaient du principe que nous devons être motivés à clôturer.

M. le Président : Le parquet insiste sur ce point.

Me Claude WEIL : Ainsi que les juges-commissaires, notamment ceux des tribunaux d'instance, pour qu'ils puissent se débarrasser des anciens dossiers.

M. le Président : Vous avez fait allusion à une baisse du contentieux. Est-elle importante ?

Me Claude WEIL : En 1998, on constate une baisse moins en terme arithmétique qu'en qualité de dossiers.

M. le Président : C'est-à-dire ?

Me Claude WEIL : Je veux parler des dossiers impécunieux qui se terminent en liquidation. Nous avons connu, de 1985 à 1990, les dossiers de la grosse industrie. Le nombre de dossiers n'est pas représentatif du volume. Depuis le début de l'année 1998, la conjoncture économique est réellement meilleure.

M. le Président : Vous êtes victimes de la bonne conjoncture.

Me Claude WEIL : Non, au contraire, car cela nous permet de clôturer des dossiers, ce qui est une très bonne chose.

M. le Président : Cela est-il sensible dans toutes les études ?

Me Philippe FROEHLICH : Oui.

M. le Président : Avez-vous plus de faillites individuelles ?

Me Gérard CLAUS : Le pourcentage de dossiers de personnes civiles était de 43 % en 1996 et 41 % en 1998.

M. le Président : Avez-vous des dossiers d'agriculteurs ?

Me Claude WEIL : Non, en Alsace, ils sont très riches. Ils ne sont pas encore touchés par la conjoncture.

M. le Président : Des associations ?

Me Gérard CLAUS : Assez peu. La majeure partie sont les dossiers de surendettement.

MMe Claude WEIL : En vertu du fameux article 169, lorsque vous déposez le bilan en faillite civile, à la clôture de l'affaire, les dettes sont éteintes. Par conséquent, le citoyen moyen se dit: «A quoi bon payer mes dettes, il suffit que j'aille à la chambre civile». Pendant très longtemps, la chambre civile a résisté à l'afflux de personnes surendettées. Elle a été infirmée par la cour d'appel, en sorte qu'aujourd'hui le seul barrage à la faillite civile sont les rôles. Quand vous déposez le bilan à la faillite civile, vous passez six mois plus tard.

M. le Président : Cela recouvre-t-il des surendettements de négligence ou de pauvreté ?

Me Paul PATRY : Il y a énormément de petits crédits revolving, Par exemple, les cartes Cofinoga.

M. le Président : Dans votre clientèle, vous avez deux mondes bien différents.

Me Paul PATRY : Cela ne concerne que les liquidateurs, et non les administrateurs.

Me Gérard CLAUS : Nous avons connu une première période avec beaucoup de dossiers de surendettement provoqué par un grand nombre de cartes de crédit. Ils sont maintenant moins nombreux, car ces établissements ont réduit leur facilité de distribution du crédit. Nous avons aujourd'hui des personnes pauvres, Rmistes, chômeurs en fin de droit, etc...

M. le Président : Dans ces cas-là, quel est votre mode de rémunération ?

Me Gérard CLAUS : Nous sommes payés quand il y a des fonds. Le tarif est le même que pour les procédures commerciales, mais le taux d'impécuniosité est très supérieur dans les faillites civiles.

M. le Président : Ce secteur n'est donc pas rémunérateur ?

Me Gérard CLAUS : Globalement, non. Psychologiquement, c'est même un secteur difficile.

Me Philippe FROEHLICH : J'avais été un ardent demandeur, en 1994, d'une disposition incluant les fonds des commissariats au plan à la Caisse des dépôts et consignations. .

M. le Président : Considérez-vous que la Chancellerie ne vous écoute pas suffisamment ?

Me Philippe FROEHLICH : Elle nous a écoutés, mais a sans doute été sensible à d'autres arguments que je ne connais pas.

M. le Président : Estimez-vous que la Chancellerie n'a pas joué a temps le rôle de pompier qu'elle aurait dû jouer ?

Me Philippe FROEHLICH : Elle l'a joué insuffisamment, mais j'ai le sentiment qu'on progresse. De 1985 à 1994 et de 1994 à aujourd'hui, la concertation a chaque fois été plus forte.

M. le Président : Quel sont vos correspondants ?

Me Philippe FROEHLICH : Mme Chaubon et Mme Devigne, le magistrat chargé de l'inspection, sont nos correspondants habituels. Nous avons un contact facile et nous nous sentons très écoutés. Sur la réforme du statut qui est en cours, nous avons le sentiment que la Chancellerie a pris en compte nombre de nos préoccupations. Au problème de la Caisse des dépôts et consignations, s'ajoute celui très important des contrôles internes.

M. le Président : Estimez-vous que le système prévalant dans votre région présente plus de crédibilité ?

Me Philippe FROEHLICH : Je pense que l'échevinage est un très bon système pour les raisons qui ont été évoquées tout à l'heure. J'ai la chance d'exercer à Mulhouse. Vous avez entendu ce matin le président Lebrou qui a souhaité, à son arrivée, faire de sa juridiction échevinée une sorte de juridiction pilote.

M. le Président : Considérez-vous qu'il y soit parvenu ?

Me Philippe FROEHLICH : Je trouve qu'il y est assez bien parvenu. Il voulait que le président y ait sa place, mais il ne voulait pas non plus que les juges consulaires aient le sentiment d'être des potiches, comme disent des collègues de «Vieille France». Il a essayé de leur donner une réelle autonomie, tout en gardant un contrôle sur la chambre. Il y a toujours des dérapages dans un sens ou dans l'autre. Des juges disent parfois que le président ne les écoute pas, le président dit parfois que les juges vont trop loin, mais j'ai le sentiment qu'il est parvenu à un équilibre assez significatif de ce qui peut être fait avec un échevinage.

Parmi les raisons pour lesquelles cette solution me paraît bonne, figure une de celles évoquées par Claude Weil, à savoir qu'aller au tribunal est très différent d'aller au tribunal de commerce. Je l'ai vécu, puisque j'ai fait office de magistrat. J'ai gardé pour le tribunal un respect qui n'est pas forcément celui que l'on a pour une institution purement consulaire, surtout petite. Il n'y a pas la même aura.

Une autre raison est ce que j'appelle le mécanisme vertueux du relationnel entre le parquet et le tribunal. Il repose sur les relations de connaissance, parfois d'amitié, mais aussi sur la présence permanente. Le fait que le procureur assiste toujours aux audiences est une très grande sécurité pour nous. De plus, cela nous fournit l'occasion, lors des interruptions d'audience ou en fin d'audience, de parler des dossiers avec le procureur.

M. le Président : La présence du procureur n'est pas propre à l'échevinage.

Me FROHLICH : Plus que la présence, il y a l'aspect relationnel qui permet de communiquer davantage sur les dossiers. C'est une des raisons pour laquelle l'échevinage est une bonne solution.

La dernière raison est que l'on marie la connaissance d'un métier, d'usages, de pratiques à l'origine des institutions consulaires et le savoir-faire d'un magistrat professionnel.

Malgré les critiques que lui adressent les institutions consulaires de «Vieille France», j'ai le sentiment que le système est bon.

M. le Président : Estimez-vous qu'un tribunal écheviné a plus de contrôle sur les mandataires de justice ?

Me. FROEHLICH : Incontestablement.

M. le Président : Quels sont vos revenus ?

Me Philippe FROEHLICH : Comme mon confère Weil, j'ai déclaré 2 millions de francs de revenus, ces dernières années, et 4,7 millions de francs, cette année, mais j'ai clôturé quatre cents dossiers.

M. le Président : Vous avez aussi un parquet qui souhaite la clôture des dossiers.

Me Philippe FROEHLICH : Un parquet général.

M. le Président : Autrement dit, les magistrats professionnels ont réagi très vite, ici.

Me Claude WEIL : Oui, et ils ont voulu que nous réagissions aussi vite.

Me Philippe FROEHLICH : En ce qui me concerne, dans un an, je n'aurai plus de dossiers en retard.

M. le Président : Avez-vous une autre remarque à formuler sur le dépôt des fonds ?

Me Philippe FROEHLICH : Nous pensons évidemment que c'est une bonne chose de les déposer à la Caisse des dépôts, puisque nous l'avons fait spontanément.

M. le Président : La Caisse des dépôts reçoit des fonds, mais elle ne peut pas savoir si vous en détenez d'autres. Cela ne repose que sur vous et sur votre commissaire aux comptes. Il est le seul à pouvoir s'en apercevoir.

Me Philippe FROEHLICH : À condition qu'il effectue son travail avec beaucoup de précision.

Me Claude WEIL : J'ai fait partie pendant six ans de la commission de discipline. Durant cette période, j'ai eu à connaître certains des dossiers que vous connaissez. En étant le rapporteur, je me disais, connaissant bien mes confrères, que ce n'est pas ainsi que nous travaillons en Alsace-Moselle. Tous ceux qui passaient en commission de discipline avaient des pratiques qui ne pouvaient pas être imaginables chez nous.

De plus, vous observerez que nous avons tous des âges identiques, nous avons connu les mêmes patrons de stages, nous sommes allés les uns chez les autres, nous avons une certaine communauté d'intérêts. Nous avons le même expert-comptable, nos employées comptables se connaissent parfaitement bien, se téléphonent. Si brutalement, l'un d'entre nous commençait à changer de cap, cela se saurait très vite.

M. le Président : Chez vous, il y a un contrôle de la profession par elle-même.

Me Claude WEIL : Entre nous.

Me Paul PATRY : Il y a une situation historique très particulière. Entre les trois liquidateurs et moi-même, chacun a les clés du cabinet de l'autre.

M. le Président : Si vous étiez tous des coquins, le système serait entièrement verrouillé.

Me Paul PATRY : Lorsque l'on est isolé, les tentations sont plus grandes.

M. le Président : Les grands sinistres que j'ai signalés n'étaient pas le fait de gens isolés, mais de gens très en vue et même cités en exemple à tous égards.

Me Philippe FROEHLICH : Mais pas à l'intérieur de la profession ! Nous n'apprécions pas trop le travail de certains confrères qui ont défrayé la chronique, même si, ils avaient une aura liée à l'argent, au volume et à l'importance des dossiers qu'ils traitaient. Il ne faut pas confondre cette aura un peu malsaine avec le regard que portait sur eux la profession.

M. le Président : La profession doit s'autodiscipliner si elle veut exister.

Me Philippe FROEHLICH : En avait-elle les moyens, monsieur le président ?

M. le Président : Collectivement, oui.

Me Philippe FROEHLICH : Le conseil national n'a été rétabli qu'en 1989. N'oubliez pas que l'ordre a été supprimé en 1985, dans une période où on voulait supprimer tous les ordres. Supprimer l'ordre a été une erreur.

L'ordre a été rétabli en 1989. Il n'y en a pas eu pendant des années, puis il a existé avec peu de moyens, comme toute structure qui se met en place. Tout cela va peut-être changer.

J'ai le sentiment que les mécanismes de contrôle existant sont dans l'ensemble suffisants, le problème est qu'ils n'ont pas toujours bien fonctionné tout au long de la chaîne. Au cours d'une réunion avec les représentants du parquet que j'ai organisée il y a trois semaines, j'ai évoqué cette chaîne du contrôle. Il y a d'abord le contrôle interne du professionnel, qu'il met en place avec l'aide de son commissaire aux comptes. Il y a ensuite le contrôle de la juridiction qui vous désigne. Je pense que vous avez compris qu'ici, le contrôle est tout de même plus fort, compte tenu de la présence du parquet et du fait que le président de la juridiction soit un magistrat professionnel.

M. le Président : Les juges-commissaires ont pris conscience de la nécessité de contrôles, même si, en pratique, ces derniers doivent être légers.

Me Philippe FROEHLICH : Et pas systématiques.

Il y a également un contrôle du parquet, qui est peut-être plus fort ici qu'ailleurs à cause de l'échevinage, les contrôles par la profession, les inspections possibles, le rapport du commissaire aux comptes. Je crois que cette chaîne du contrôle est suffisante, à condition qu'elle fonctionne bien de A à Z. En réalisant une inspection d'étude au mois de novembre, j'ai remarqué que le travail du commissaire aux comptes était à mille lieues de celui qu'effectue notre commissaire aux comptes depuis dix ans.

M. le Président : La profession a perdu beaucoup de la confiance qu'on lui faisait avec les récents scandales.

Me Claude WEIL : En deux ans, nous avons perdu la crédibilité que nous avions mis dix ans à acquérir.

M. le Président : Personnellement, je suis plus scandalisé par l'affaire de Bobigny que par celle de Nanterre. Dans celle de Bobigny, tout a dysfonctionné.

Me Claude WEIL : C'est devenu mafieux.

M. le Président : C'est l'institution même qui est suspecte. Les greffiers, les avocats, tout le monde étaient au courant.

Me Claude WEIL : Chez nous, ce n'est techniquement pas possible.

M. le Président : Ne vaut-il pas mieux un seul contrôle très efficace plutôt qu'une chaîne de contrôles où chacun renvoie la responsabilité sur l'autre ?

Me Philippe FROEHLICH : Je ne partage pas ce point de vue, car chaque contrôle a sa spécificité. Je sais que la Chancellerie ne croit pas à l'efficacité des contrôles internes d'étude. La Chancellerie n'aime pas que je dise que les contrôles ont un effet pédagogique, en particulier Mme Devigne, qui réalise des inspections, ce qui est différent d'un contrôle. Une inspection est déclenchée quand il y a déjà un signe. Lorsque deux confrères débarquent chez un troisième, même si le contrôle ne révèle rien d'anormal, ils en reviennent toujours avec de nouvelles idées.

M. le Président : Cela a un effet pédagogique pour les contrôleurs.

Me Philippe FROEHLICH : Pour le contrôlé aussi. Je suis persuadé qu'il ne faut pas supprimer ce contrôle, car même s'il ne peut pas tout voir, il fait progresser les études.

M. le Président : Cela est-il effectué au titre de l'ordre ?

MMe Philippe FROEHLICH : Chaque année, le conseil national tire au sort les noms des confrères contrôlés une année sur quatre, puis il désigne deux contrôleurs qui iront contrôler l'étude et déposer un rapport avant le 15 octobre à la Chancellerie.

M. le Président : À Nanterre, il y a eu un contrôle de ce type.

Me Philippe FROEHLICH : Un contrôle d'étude, mais pas un contrôle financier. Le cahier des charges de ce contrôle ne prévoit pas d'examiner comment sont représentés les fonds, c'est la mission du commissaire aux comptes.

M. le Président : La représentation des fonds ne peut être examinée que par le commissaire aux comptes ?

Me Philippe FROEHLICH : Nous pouvons le découvrir aussi si, dans un dossier, nous trouvons un extrait de compte bancaire mentionnant un dépôt de 10 millions de francs, comme cela m'est arrivé lors d'une inspection.

M. le Président : L'argent était-il resté sur le compte de l'entreprise ?

Me Philippe FROEHLICH : Oui, depuis dix ans.

M. le Président : Etait-ce un oubli ?

Me Philippe FROEHLICH : Je suis sûr que c'était un oubli.

M. le Président : Avait-il produit des intérêts ?

Me Philippe FROEHLICH : Non.

Chaque contrôle a sa spécificité et son intérêt. Je ne pense pas qu'il faille envisager un contrôle unique, sans compter que l'on n'évitera jamais que le lendemain du contrôle, quelqu'un, comme Sauvan et Goulletquer, parte avec la caisse.

M. le Président : Ces mandataires avaient des succursales partout. Ils s'étaient donné tous les moyens d'échapper aux contrôles.

Me Philippe FROEHLICH : Ils avaient le droit d'avoir des fonds ailleurs qu'à la Caisse des dépôts et consignations. J'en suis le premier désolé.

Me Claude WEIL : Donner à des mandataires parisiens des études secondaires dans les DOM-TOM est une absurdité. De l'étude à l'entreprise, il ne doit pas y avoir plus d'une heure à une heure et demi de transport. Par ailleurs, il importe de connaître le contexte local, les banques, les partenaires économiques, etc. Le hasard a voulu que je sois un jour administrateur d'une société dont le siège est à Strasbourg et l'entreprise à Dieppe : c'est totalement impossible à gérer car à Dieppe, je ne connais personne.

M. le Président : Dans la région, existe-t-il des mandataires ayant des cabinets dans les DOM-TOM ?

Me Claude WEIL : Absolument pas.

M. le Président : Cela est réservé aux parisiens et aux méridionaux. Dans la pratique, les procureurs ne connaissent pas l'existence de ces cabinets secondaires. Personne ne le sait. Le savez-vous ?

Me Philippe FROEHLICH : Je ne suis pas certain qu'on le sache. Il n'y a pas d'obligation de déclaration des cabinets secondaires.

Me Claude WEIL : C'est prévu dans le projet de réforme du statut.

Me Philippe FROEHLICH : Je le répète, il n'y a pas eu d'ordre pendant des années, tout cela n'a pas été centralisé. On a laissé une profession qui gérait des fonds considérables sans organisation interne. C'est toute la force de l'IFPPC que d'avoir essayé, devant le vide de 1985, de créer un syndicat, une commission de discipline. Vous n'avez pas accès aujourd'hui à certains renseignements car ils n'ont pas été centralisés.

Me Paul PATRY : Si l'on veut réformer la profession, il faut s'attaquer au problème de fond de la carte. On trouve des situations aberrantes. Dans certaines régions, il y a trop d'administrateurs, dans d'autres, il n'y en a aucun ainsi, dans les DOM-TOM, il n'y a personne. Pourquoi ne pas définir une carte de France et des DOM-TOM avec un nombre d'habitants auquel correspond un nombre d'administrateurs et ainsi provoquer la création d'études un peu partout, de façon à ce que l'ensemble fonctionne correctement.

M. le Président : Dans certaines régions, certains mandataires ne sont jamais désignés et d'autres sont surchargés.

Me Paul PATRY : Il y a également des régions où les tribunaux nomment les administrateurs et d'autres où ils n'en nomment pas, pensant que cela coûte moins cher.

M. le Président : Que pensez-vous de la tarification ?

Me Philippe FROEHLICH : Le tarif aujourd'hui n'est véritablement critiquable que sur les 5 % résultant de l'article 15 du décret pour les représentants des créanciers liquidateurs. En revanche, j'ai du mal à comprendre la polémique sur le droit fixe.

Si la rémunération actuelle ne me paraît pas choquante, elle me paraît de moins en moins adaptée à nos missions, car tout a changé. 500 francs de rémunération pour vérifier une créance salariale, c'est absolument scandaleux, quand n'importe quel cabinet de recrutement ou d'aide au reclassement demande 7 000 francs par salarié, subventionnés par l'État sur les fonds de la direction du travail. Les charges s'accroissent d'année en année et le tarif ne suit pas.

Il y a des points auxquels je serais tout à fait prêt à renoncer à condition que sur d'autres la rémunération existe. Mais l'excès, si excès il y a, ne me paraît provenir que de ces 5 %.

Je n'ai pas vu que les rémunérations des administrateurs soient excessives, eu égard à la tâche accomplie, en particulier par rapport à l'Angleterre. Quant aux liquidateurs, le barème est tellement dégressif qu'après avoir 5 ou 6 millions de francs d'actifs, le taux n'est plus que de 0,10 ou 0,15 %. Les excès viennent des « fameux » 5 % qui, là aussi, ont été appliqués différemment suivant les tribunaux. Dans une juridiction échevinée, un président magistrat n'«avale» par n'importe quoi.

M. le Président : Ses arbitrages ne vous sont pas nécessairement défavorables ?

Me Philippe FROEHLICH : Il ne s'agit pas d'arbitrages, mais à la troisième note d'honoraires anormale, le président convoquera ses juges-commissaires. En ce qui nous concerne, à Mulhouse, nous avons prévu une sorte de modus vivendi qui définit les points sur lesquels nous n'appliquons pas les 5 %: les doubles emplois, les gens qui déclarent deux fois, une fois par avocat, une fois eux-mêmes, les encours d'escomptes qui se sont réduits spontanément, parce qu'après la liquidation, le banquier a recouvré ses créances mobilisées. Ce sont des usages, personne ne nous oblige à les mettre en place.

M. le Président : Autrement dit, vous estimez que le fonctionnement de la juridiction de Mulhouse est excellent. Le président et un juge-commissaire que nous avons rencontrés ce matin étaient très satisfaits de ce qu'ils font.

Me Philippe FROEHLICH : J'ai l'impression qu'ils sont assez proches du point d'équilibre d'un échevinage. Les juges consulaires en «Vieille France» disent que nos juges sont des potiches. Cela n'est pas vrai. Chez nous, les juges ont leur autonomie, un certain pouvoir. Ils ont parfois l'occasion de taper du poing sur la table. Je trouve qu'on est près du point d'équilibre, mais c'est une appréciation personnelle.

M. le Président : Contrairement au reste des membres de la profession, vous n'êtes pas sur la défensive.

Me Claude WEIL : Les honoraires sont liés au parisianisme. Quand un administrateur parisien est désigné pour une société dont le siège est à Paris et l'entreprise en province, il est certain qu'il ne s'y rend pas. Il va faire appel à des contrôleurs de gestion.

M. le Président : Quelle est ici la pratique ?

Me Philippe FROEHLICH : Chez nous, il n'y a pas d'intervenants extérieurs.

Me Claude WEIL : Il faut savoir ce que vous entendez pas intervenants extérieurs. Nous faisons appel à des avocats, parce qu'en Alsace-Moselle, il y a un monopole de représentation par avocat, mais à Mulhouse, si nous avons besoin d'une expertise immobilière, nous faisons rendre une ordonnance en fondement de l'article 20. Après avoir épuisé le recouvrement normal, on confiera à un cabinet le solde du recouvrement, toujours sur ordonnance du juge-commissaire.

M. le Président : Est-ce une ordonnance où vous écrivez déjà le nom ?

Me Paul PATRY : Si je dois demander une expertise immobilière, ce qui est rare de la part d'un administrateur, objectivement, je proposerai un expert, d'autant que nous avons connu de très mauvaises expériences avec certains.

M. le Président : Vous n'avez pas un réseau qui vous sert tout le temps ?

MMe Claude WEIL : Non.

Me Paul PATRY : Il est clair qu'ici, nous réalisons les tâches qui incombent aux administrateurs, notamment la surveillance de l'entreprise. Il n'est pas question de déléguer sur place un contrôleur de gestion, il n'est pas question non plus, conformément à notre charte avec les experts-comptables, d'arriver avec nos compagnies d'assurance, experts comptables et autres, dans l'entreprise. La société conserve ses assurances, son expert-comptable. Nous ne lui imposons aucune charge supplémentaire d'experts de toutes sortes.

M. le Président : Vous avez réfléchi aux principaux problèmes et vous avez trouvé des débuts de solutions.

Me Paul PATRY : Les gens ne supportent plus les intervenants extérieurs.

Me Claude WEIL : C'est insupportable.

M. le Président : La charte conclue avec les experts-comptables est-elle propre à l'Alsace ?

Me Paul PATRY : Elle a été signée au plan national. Ce qui est propre à l'Alsace, c'est qu'elle est effective.

Me Philippe FROEHLICH : Il doit y en avoir une à Paris aussi.

Me Paul PATRY : De même, nous ne changeons pas d'avocats, à de très rares exceptions près.

M. le Président : En résumé, outre que vous avez beaucoup de morale, la présence d'un système écheviné offre davantage de garanties.

Avez-vous des relations avec les institutions consulaires allemandes ou suisses ?

Me Claude WEIL : Non.

M. le Président : Avez-vous déjà travaillé avec d'autres tribunaux de commerce ?

Me Paul PATRY : J'ai eu un dossier avec le tribunal de commerce de Briey. Je partais d'un a priori très défavorable mais j'ai été très agréablement surpris par la qualité des magistrats.

M. le Président : Les petites juridictions sont souvent moins critiquables qu'on ne le croit. Si l'on prend celles de Bobigny et Nanterre et qu'on y ajoute celle de Toulon et de quelques autres dans le Midi, on réunit déjà un bon tiers du contentieux français.

MMe Philippe FROEHLICH : Vous paraissiez choqués que certaines ordonnances soient rédigées par les mandataires. Nous ne rédigeons que des ordonnances «bateaux», comme le disait Me Claude Weil, mais il arrive assez souvent que le juge-commissaire nous demande de rédiger des ordonnances beaucoup plus techniques, parce qu'il n'a pas la connaissance. Cela dit, il le fait après nous avoir appelés pour nous indiquer quelle est sa décision et le sens de sa motivation. Il nous demande de l'habiller de façon juridique. Je n'ai jamais trouvé cela choquant. Je n'ai jamais trouvé qu'il laissait l'autonomie de la décision aux mandataires de justice. Il lui demande uniquement de bien vouloir l'aider à la rédiger.

M. le Président : Devant le produit fini, nul ne sait ce qui s'est dit verbalement.

Me Paul PATRY : Cela pourrait déraper.

M. le Président : Cela dérape.

Me Philippe FROEHLICH : En tout cas, pas à Strasbourg.

M. le Président : Parce que c'est une région où on s'interdit le dérapage.

Me Claude WEIL : Une autre particularité de l'échevinage, c'est qu'il permet un réel partage des tâches. Le juriste, c'est le président qui rédige les ordonnances. Le magistrat consulaire est la voix économique. Il n'est pas dans son rôle de faire des ordonnances un peu difficile. A Strasbourg, quand il y a une ordonnance difficile, elle est rédigée par le président.

Quand vous n'avez pas l'habitude de rédiger un jugement, ce n'est pas facile. Nos magistrats consulaires n'ont pas pris l'habitude de faire ce genre d'effort, parce que le magistrat, c'est l'autre.

M. le Président : Cela s'apprend.

Me Claude WEIL : Oui, mais aussi bien à Mulhouse qu'à Strasbourg, leur caractéristique n'est pas d'être des juristes.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Bernard GUEUDET, président de chambre à la cour d'appel de Colmar et de M. Alain JOMIER, procureur de la République adjoint près le tribunal de grande instance de Strasbourg

(extrait du procès-verbal de la séance du 4 juin 1998 à Strasbourg)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président.

MM. Gueudet et Jomier sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le président, MM. Gueudet et Jomier prêtent serment.

M. le Président : Monsieur le procureur, monsieur le président, les raisons de la création de notre commission d'enquête sont faciles à deviner.

Les tribunaux de commerce ont appelé désagréablement l'attention sur eux, d'abord parce que cette juridiction très ancienne doit gérer actuellement les difficultés des entreprises, avec des incidences sur l'emploi, et l'on a parfois l'impression que leurs décisions ne correspondent pas exactement à ce qu'on pourrait en attendre. Ensuite, parmi les gens qui gravitent autour des tribunaux de commerce, certains administrateurs et liquidateurs ont eu des comportements peu convenables. Enfin, à elle seule, la région parisienne s'est largement dinstinguée avec l'affaire de Nanterre et celle de Bobigny, qui s'est terminée par la condamnation du président du tribunal, d'un juge-commissaire et d'un mandataire, certains même à des peines de prison, pour des faits totalement inadmissibles.

Nous sommes venus à Strasbourg, car la juridiction de cette région obéit à un mode de fonctionnement original et où peu de scandales ont éclaté.

M. Bernard GUEUDET : Monsieur le président, je présume qu'après toutes les auditions auxquelles vous avez procédé aujourd'hui, vous savez presque tout des avantages et des inconvénients de l'échevinage.

Le système de l'échevinage est bon, parce que la justice commerciale n'est plus la justice des marchands. Le droit commercial a évolué, il est devenu complexe, difficile. On n'a plus affaire à des commerçants, mais à des industriels, à des banquiers. Il s'agit de plus en plus d'un droit communautaire supranational.

Il est normal que pour régler de telles affaires, on ne fasse pas appel uniquement à des commerçants, comme cela se pratique dans les tribunaux de « Vieille France ». Nous appliquons ici le système de l'échevinage, avec un juge professionnel et deux juges consulaires. La présence du juge professionnel est essentielle pour apporter aux justiciables ce qu'ils peuvent attendre de la justice. Bien que l'on soit dans le droit des affaires, les justiciables attendent qu'un certain nombre de règles juridiques soient respectées. Ils attendent notamment du tribunal qu'il soit indépendant et impartial. Ils veulent avoir le sentiment d'être entendus et de pouvoir combattre à armes égales.

M. le Président : À l'inverse, les juges consulaires apportent-ils quelque chose aux juges professionnels ? Certains de vos collègues disaient ce matin que de nombreux contentieux pourraient être traités uniquement par des juges professionnels.

M. Bernard GUEUDET : Les juges consulaires apportent la culture de l'entreprise. Cela est important, car dans le système judiciaire français, les juges ne sont pas formés en matière commerciale. En Alsace-Moselle, les juges se forment au contact des juges consulaires. Le juge professionnel apporte la culture juridique et judiciaire et, au contact des juges consulaires, il acquiert la culture des affaires. Le magistrat professionnel est un garde-fou et il peut intégrer un certain nombre d'usages venant des juges consulaires.

Cependant, il convient de distinguer le contentieux général et le contentieux des faillites.

M. le Président : Certains magistrats professionnels ont dit que le contentieux général était tellement juridique qu'il n'avait plus besoin d'être traité par des juges non professionnels, alors que les juges consulaires nous ont dit que c'est un secteur dans lequel ils restaient indispensables.

M. Bernard GUEUDET : Ils ne sont pas indispensables pour traiter de la rupture de contrats internationaux ou pour résoudre des problèmes de procédure.

Or jusqu'à preuve du contraire, les juges consulaires ne sont pas aptes à faire de la procédure. Il faudrait les former.

M. le Président : Ne font-ils pas respecter le contradictoire ? Que font-ils et que ne font-ils pas ?

M. Bernard GUEUDET : Ils ne connaissent pas les règles de procédure. Lorsqu'ils fonctionnent en juge unique comme juge-commissaire, la cour d'appel doit annuler de nombreuses ordonnances, parce que les principes élémentaires de procédure civile n'ont pas été respectés.

M. le Président : Lesquelles ?

M. Bernard GUEUDET : D'abord, le principe du contradictoire.

M. le Président : Cela peut s'apprendre. C'est une règle de morale qui correspond à une règle de procédure.

M. Bernard GUEUDET : On nous demande parfois d'annuler une ordonnance pour partialité du tribunal. Il y a aussi le problème du juge-commissaire qui siège dans la juridiction collégiale, de sorte que le tribunal n'est pas composé de manière impartiale. Il est des cas où le juge-commissaire qui donne son avis sur la poursuite de la procédure collective et siège ensuite lorsque la juridiction statue sur l'adoption d'un plan.

M. le Président : Dans les cas que vous citez, qui doivent renvoyer à des affaires précises, s'agissait-il de violations formelles ou d'autre chose ?

M. Bernard GUEUDET : Plutôt de violations formelles.

M. le Président : Ils ne connaissent pas les règles de bonne conduite de la procédure.

M. Bernard GUEUDET : C'est une question de déontologie. Les juges consulaires n'ont pas la déontologie du magistrat.

M. le Président : Il faut la leur apprendre.

M. Bernard GUEUDET : Deux à trois fois par an, je réunis les juges consulaires de Colmar pour les former à la procédure. Je leur remets des documents imprimés pour leur apprendre à rédiger des ordonnances.

M. le Président : Vous insistez sur la formation. Quelles autres améliorations proposez-vous ?

M. Bernard GUEUDET : Les juges consulaires d'ici se sentent en position d'infériorité par rapport à leurs collègues de l'intérieur. Ils se sentent isolés au sein d'un tribunal. Ils ne sont pas intégrés à la juridiction.

M. le Président : Serait-il souhaitable de les intégrer à la juridiction ?

M. Bernard GUEUDET : Je pense que oui.

M. le Président : C'est d'ailleurs leur souhait.

M. Bernard GUEUDET : C'est indispensable. Il faudrait que les juges consulaires aient beaucoup plus de disponibilité, ce qui pose le problème de leur rémunération.

M. le Président : On l'a bien résolu pour les conseillers prud'homaux.

M. Bernard GUEUDET : Pour qu'ils soient plus disponibles, il faudrait leur donner quelque chose en échange.

M. le Président : Des décorations ?

M. Bernard GUEUDET : Peut-être, mais pas seulement, sinon nous n'aurons que des retraités. Les gens actifs ne viendront pas au tribunal une fois par semaine ou par quinzaine. Il faudrait créer un corps de juges consulaires formés par un stage obligatoire préalable dans une juridiction, prévoir une formation continue obligatoire et une rémunération. On pourrait alors leur donner un peu plus de pouvoir et de fonctions.

M. le Président : Que pensez-vous de l'échevinage à la cour d'appel ?

M. Bernard GUEUDET : Je n'y suis pas favorable dans l'immédiat.

M. le Président : Plus tard ?

M. Bernard GUEUDET : Peut-être, à condition qu'il y ait cinq magistrats, trois professionnels et deux échevins. J'ai réalisé une expérience. Depuis trois ans, j'ai demandé aux juges consulaires de venir assister aux audiences de la cour d'appel. Ils apprennent beaucoup et ils en sont satisfaits. Encore faut-il qu'ils soient disponibles. Seuls viennent les retraités, ce qui est inefficace en terme de rentabilité.

M. le Président : Il est certain que si l'on voulait intégrer de bons juges consulaires dans la magistrature, il faudrait qu'ils commencent tôt, car on n'a pas intérêt à intégrer des gens à la retraite.

M. Bernard GUEUDET : Il existe un problème de formation et de choix des personnes.

M. le Président : A Colmar, qui sont-ils ?

M. Bernard GUEUDET : Il n'y a qu'une personne en activité, une femme, mais elle voudrait partir. La plupart des autres sont retraités.

M. le Président : Y a-t-il des salariés, des cadres supérieurs ?

M. Bernard GUEUDET : Nous n'avons pas, comme à Strasbourg, le problème des banquiers.

Si vous envisagez d'étendre le système de l'échevinage à l'ensemble de la France, il faudra aussi veiller à la procédure. La cour de cassation estime que la procédure devant le juge-commissaire est soumise à la représentation obligatoire, ce qui est catastrophique. En matière de faillite, obliger un créancier qui a tout perdu à prendre un avocat pour déclarer une créance de mille ou trois mille francs est exagéré. De plus, en obligeant les parties à prendre un avocat devant le juge-commissaire, on obligera les mandataires de justice à prendre un avocat, ce qui renchérira le prix des procédures collectives, qui sont déjà bien assez chères.

M. le Président : Est-ce la jurisprudence ?

M. Bernard GUEUDET : C'est un arrêt de la Cour de cassation.

M. le Président : Cela rend finalement la procédure plus lourde que devant le tribunal d'instance.

M. Bernard GUEUDET : La procédure devant le juge-commissaire devrait être celle actuellement employée devant le juge d'instance, puisqu'avant la réforme de 1985, le juge d'instance était juge-commissaire.

M. le Président : Depuis combien de temps êtes-vous à la cour d'appel ?

M. Bernard GUEUDET : J'y suis arrivé en 1983. J'ai travaillé à la chambre correctionnelle, la chambre sociale, la chambre civile.

M. le Président : Quelle formation initiale en matière commerciale avez-vous suivi ?

M. Bernard GUEUDET : Aucune. Dans la région, nous avons la chance d'avoir des magistrats formés en matière commerciale comme présidents de chambres. Lorsqu'ils viennent à la cour, ils ne peuvent pas siéger en matière commerciale, puisqu'ils ne peuvent pas traiter des affaires dont ils ont eu à connaître en première instance.

M. le Président : Ils peuvent aller quelque temps ailleurs et revenir. Est-ce ce que vous avez fait ?

M. Bernard GUEUDET : Non, je n'ai pas fait de procédures commerciales en première instance. J'ai tout fait, sauf du commercial.

M. le Président : La formation des juges professionnels vous semble-t-elle suffisante ?

M. Bernard GUEUDET : Non. Les magistrats professionnels peuvent s'insérer dans les filières de formation de l'ENM. J'ai suivi des stages de formation en matière de comptabilité et de procédures collectives. Ils sont un peu trop théoriques, mais assez bons. En revanche, il existe une faille dans la formation initiale et au niveau des greffes des chambres commerciales.

M. le Président : Monsieur Jomier, vous êtes procureur-adjoint, chargé des affaires commerciales.

M. Alain JOMIER : J'occupe cette fonction depuis septembre 1992.

La disponibilité des juges consulaires n'est pas très grande. A Strasbourg, il existe deux chambres commerciales. Nous avons beaucoup de mal à pourvoir les postes de juges consulaires à la première chambre commerciale, qui s'occupe des procédures collectives, car ce sont des postes prenants, connus pour nécessiter une certaine disponibilité. Il y a très peu de candidats.

J'interviens uniquement au niveau de la chambre commerciale statuant en matière de procédures collectives. Depuis l'instauration d'une pratique, il y a environ vingt ans par mes prédécesseurs, le parquet est à l'origine d'environ 20 % des saisines de la chambre commerciale, puisque nous sommes destinataires d'un certain nombre d'incidents témoignant de l'état de cessation de paiements des entreprises, principalement en provenance de l'URSSAF, mais aussi d'autres administrations, comme la Direction du travail, ou de salariés dont les salaires sont impayés depuis plusieurs mois.

M. le Président : Les salariés savent-ils qu'ils ont la possibilité de s'adresser au parquet ?

M JOMIER : C'est une pratique locale. Il ne se passe pas de mois sans que je ne reçoive un ou deux courriers, voire une délégation de salariés venus dire qu'ils n'ont plus perçu de salaire depuis deux mois, par exemple.

Le Trésor s'adresse très peu à nous. Pourtant, notamment en ce qui concerne les retards de paiement de TVA, le Trésor pourrait être à l'origine d'une information quasi systématique des chambres commerciales ou du président de la chambre commerciale en matière de prévention. La trésorerie générale se retranche derrière le secret professionnel et ne veut pas informer officiellement le parquet ou le président de la chambre commerciale de manière spontanée. Questionnée par le président de la chambre commerciale dans le cadre de la législation sur la prévention et le traitement des difficultés, elle fournira bien entendu des renseignements, mais elle n'entreprendra pas de démarche spontanée.

M. le Président : À quelle autre niveau de la procédure intervenez-vous ?

M. Alain JOMIER : Au cours de la procédure, notre rôle est assez effacé, car le système fonctionne de manière assez satisfaisante. Pendant la période d'observation, nous informons d'un certain nombre d'éléments la chambre commerciale comme, par exemple, le passé judiciaire d'un candidat à un plan de cession.

M. le Président : Le produisez-vous au dossier ?

M. Alain JOMIER : Au cours de l'audience, en présence de toutes les parties, le ministère public fait état de cet élément qui fait l'objet d'une discussion.

M. le Président : Etes-vous présent à toutes les auditions ?

M. Alain JOMIER : Oui. Il y en a une par semaine pour la chambre commerciale. Il y a quelques années, un problème s'était posé à propos de l'origine des capitaux d'un candidat repreneur. En accord avec la chambre commerciale, je m'étais renseigné auprès de la Banque de France. En l'espèce, il y avait peu de renseignements et conformément à mon avis, la chambre commerciale avait préféré ne pas retenir ce candidat.

M. le Président : Y a-t-il eu appel ?

M. Alain JOMIER : Non. On pensait à une opération de blanchiment.

M. le Président : Avez-vous interrogé Tracfin ?

M. Alain JOMIER : Ce service venait d'entrer en fonction et comme les fonds étaient d'origine suisse, il ne pouvait pas détenir d'informations.

Le travail des mandataires est intéressant pour le parquet, puisqu'au cours de la période d'observation, dans le cadre des opérations de liquidation, ils peuvent être amenés à découvrir des faits délictueux classiques ou des cas de banqueroutes qu'ils signalent au parquet le plus vite possible.

M. le Président : Avez-vous un regard sur le nombre de dossiers attribués à chaque mandataire ?

M. Alain JOMIER : Non. Simplement, des mandataires sont plus diligents que d'autres. Dans un certain nombre de cas, je fais savoir au président de la chambre commerciale que je préférerais un mandataire diligent, pour telle et telle raison.

M. le Président : Quelle est votre opinion générale sur les mandataires ?

M. Alain JOMIER : Dans l'ensemble, il sont d'un bon niveau. Il y en a quelques-uns en qui j'ai entière confiance, d'autres sont perfectibles. J'espère que nous ne serons jamais confrontés aux problèmes qui se posent ailleurs.

M. le Président : Ils nous ont indiqué que tous les fonds étaient déposés à la Caisse des dépôts et consignations.

M. Alain JOMIER : Cette organisation a été mise en _uvre il y a quelques années pour toute la cour d'appel.

M. le Président : Ont-ils des cabinets secondaires outre-mer ?

M. Alain JOMIER : À ma connaissance, non, mais cela n'est jamais officiel.

M. Bernard GUEUDET : Je considère qu'ils ne sont pas assez nombreux. Ils doivent traiter les affaires trop rapidement, au détriment des justiciables.

M. Alain JOMIER : Nous sommes dans une période où les procédures ont été très nombreuses. A une époque, nous en traitions chaque année 10 % de plus que l'année précédente. Des opérations de liquidation se font à des prix trop bas, car le souci des liquidateurs est parfois de mener rapidement à terme.

M. le Président : Des mandataires ont fait état de la demande du parquet de ne pas faire traîner les dossiers.

M. Alain JOMIER : Nous essayons de faire en sorte que cela aille assez vite.

M. le Président : L'un d'entre eux, après avoir fait état d'un revenu très important pour une année, a expliqué que cela était dû au fait qu'on l'obligeait à clôturer un grand nombre de dossiers.

M. Alain JOMIER : Certains dossiers traînent, ne sont pas clôturés sans explication rationnelle. D'autres ne sont pas clôturés en raison de contentieux en cours. Des liquidateurs m'ont dit qu'ils se félicitaient des rappels du parquet, car ils leur permettaient de s'apercevoir que des dossiers pouvaient être clôturés. Lorsque tout a été liquidé, tous les actifs vendus, les créances privilégiées vérifiées, la poursuite des dossiers n'a plus aucune justification.

M. le Président : Le volume d'affaires de faillites civiles est-il important ?

M. Alain JOMIER : Considérable, en augmentation exponentielle d'une année sur l'autre.

M. le Président : Ils sont peu payés pour ces dossiers.

M. Bernard GUEUDET : Quand les actifs sont faibles, ils passent en frais privilégiés.

M. Alain JOMIER : Il y a énormément de procédures où les actifs sont proches de zéro.

M. le Président : C'est ce qu'ils nous ont dit, d'ailleurs sans s'en plaindre. Pour eux, la situation est très différente du reste du territoire.

Lancez-vous des procédures de contrôle pénal à partir de procédures commerciales ?

M. Alain JOMIER : Les rapports des liquidateurs ou des mandataires pendant la période d'observation servent de support au déclenchement d'enquêtes préliminaires ou même à l'ouverture d'informations.

Compte tenu de l'encombrement du tribunal correctionnel, en accord avec les mandataires, de nombreuses sanctions commerciales sont prononcées contre les débiteurs commerçants : défaut de déclaration de cessation des paiements, absencede comptabilité, etc.

M. le Président : Combien en est-il prononcé ?

M. Alain JOMIER : 80 en 1997.

M. le Président : Davantage qu'à Paris.

M. Alain JOMIER : Je pourrai vous communiquer les chiffres si vous le souhaitez.

M. le Président : La pratique est-elle comparable dans le reste de la cour ?

M. Bernard GUEUDET : Strasbourg est un peu plus sévère.

M. Alain JOMIER : Cela présente l'avantage de ne pas lancer concurremment une enquête pénale qui encombre le rôle du tribunal correctionnel.

M. le Président : Une procédure pénale a-t-elle déjà été engagée à l'encontre d'un juge consulaire ?

M. Alain JOMIER : Il y a dû y en avoir une ou deux, incidemment, pour des faits privés.

M. le Président : Et à l'encontre des mandataires ?

M. Alain JOMIER : À ma connaissance, non. Nous recevons souvent des lettres de réclamation, des demandes d'explication. Elles sont d'ailleurs communiquées systématiquement au président de la chambre commerciale, souvent saisie en même temps par le créancier ou le débiteur. Mais je n'ai pas connaissance de fautes pénales caractérisées.

M. le Président : Monsieur le président, avez-vous d'autres remarques à formuler sur le fonctionnement de cette juridiction, qui semble parfait ?

M. Bernard GUEUDET : Il n'est pas parfait, mais en comparaison du fonctionnement des autres tribunaux de commerce, la situation n'est pas si mauvaise ici. En général, on conserve en Alsace ce qui est bien et on rejette le reste. Je ne suis pas alsacien, mais je le constate.

M. le Président : Le fait que le registre du commerce soit au tribunal d'instance alors qu'il relève de la compétence du tribunal de grande instance est-il gênant ?

M. Bernard GUEUDET : Oui, c'est gênant pour faire de la prévention. Je suis partisan d'un regroupement.

M. Alain JOMIER : A Strasbourg, tout est centralisé dans le même bâtiment. Je ne suis pas sûr que cela soit un handicap majeur.

M. le Président : Il serait sans doute souhaitable de le rattacher à la juridiction chargée du contentieux.

M. Alain JOMIER : L'informatisation prévue devrait résoudre le problème.

M. Bernard GUEUDET : Il existe le problème général de la diffusion des informations concernant les personnes mises en redressement judiciaire. Avec les serveurs informatiques, tout le monde est informé dès le prononcé de la décision. Le premier président peut arrêter l'exécution provisoire du jugement, mais il ne peut pas arrêter la publication en matière de redressement judiciaire. Lorsque tout le monde sait que la société est en redressement judiciaire, il est très difficile de la redresser.

M. Alain JOMIER : À Strasbourg, le greffe attend que le délai d'appel soit écoulé avant de diffuser l'information.

M. le Président : Monsieur le président, monsieur le procureur-adjoint, je vous remercie.

Audition de M. GOYET, professeur de droit commercial

(extrait du procès-verbal de la séance du 4 juin 1998 à Strasbourg)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président.

Monsieur Goyet est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Président, M. Goyet prête serment.

M. le Président : M. Goyet, vous êtes professeur de droit commercial à Strasbourg. Vous portez sur la juridiction commerciale le regard de la faculté de droit.

M. GOYET : Un de mes éminents collègues, le Pr Yves Guyon, disait, au lendemain de l'adoption de la loi de 1985: «Le pilier manquant de la réforme du redressement et de la liquidation judiciaire est la non réforme des tribunaux de commerce». C'est sur ce thème très général qui intéresse votre commission que je ferai une brève intervention.

Le redressement et la liquidation judiciaires sont devenus le principal contentieux des tribunaux de commerce. Les tribunaux de commerce se justifient par la théorie du juge naturel. Il s'agit de faire juger des commerçants par des commerçants, c'est-à-dire pour des intérêts commerciaux. Or il est facile d'observer que depuis 1985, les tribunaux de commerce ne jugent pas essentiellement d'intérêts commerciaux et qu'il ne sont pas essentiellement des juges dans ce domaine.

En effet, l'article 1er de la loi de 1985 assigne aux procédures collectives l'objectif prioritaire de sauvetage de l'entreprise, notamment dans l'intérêt du maintien des emplois qui y sont attachés, et n'envisage qu'en second lieu l'aspect procédure collective. Or l'intérêt du sauvetage de l'entreprise n'est pas exclusivement commercial. Il concerne l'économie toute entière. Les emplois attachés à l'entreprise sont des intérêts étrangers à toute idée de justice naturelle ou de justice des pairs attachée à la juridiction commerciale.

Cette remarque n'est pas sans conséquence, dès lors que l'on observe que le redressement ou la liquidation judiciaire deviennent parfois des procédures utilisées pour réaliser des plans sociaux « sauvages » et des «charrettes» de licenciements dans les conditions les plus rapides, ordonnées et contrôlées par des tribunaux de commerce.

Par ailleurs, et la remarque est faite moins souvent, le juge des procédures collectives n'est pas principalement un juge. En effet, le principe de l'office d'un juge est de trancher des litiges. Le nouveau code de procédure civile connaît également, à titre accessoire, l'office gracieux du juge, qui contrôle et homologue. Or le juge de la faillite n'est ni un juge qui tranche des litiges ni un juge qui contrôle; c'est un juge qui exerce une administration judiciaire de l'entreprise, dès lors que celle-ci devient défaillante. C'est un juge qui est, dans l'ordre économique, ce qu'est, dans l'ordre des affaires privées, le juge des tutelles.

Cet office qui n'est ni contentieux ni gracieux a toujours été confié à des juges, parce que la procédure collective entraîne un grand nombre de contentieux, à commencer par la vérification des créances. Mais la procédure en elle-même et ses principales phases relèvent de décisions qui n'ont rien à voir avec l'office d'un juge. Ce sont des actions qui consistent à constater l'état de cessation des paiements, à prendre des décisions de pure opportunité économique: choisir entre la liquidation et le redressement, entre la cession et le moratoire.

Toutes ces décisions, qui ne tranchent aucun litige, qui n'appliquent aucune règle, sinon l'opportunité économique, ne produisent aucune des conséquences d'un jugement, puisque le jugement dessaisit le juge, alors qu'au contraire, le jugement qui constate la cessation des paiements est bien nommé un jugement d'ouverture, à la suite duquel toute une série de jugements va apparaître. Et ces jugements eux-mêmes peuvent être modifiés à tout moment, ce qui n'a rien à voir, ni dans le principe ni dans les conséquences, avec l'office traditionnellement contentieux du juge.

Une conséquence de cet office original du juge est l'organisation particulière des voies de recours. Il était tout à fait normal que pour l'office du juge consulaire, qui est tout à fait original, on s'affranchisse de la considération du droit commun des voies de recours, qui sont ordonnées à la vérification du bien jugé. Or il ne s'agit pas de juger, il s'agit d'administrer ou de choisir en opportunité. Pourquoi redemander à la cour d'appel de se prononcer en opportunité sur une cession plutôt qu'un moratoire, alors que les choses ont déjà été mises en mouvement par le tribunal de commerce ?

Le législateur a choisi, pour des raisons parfaitement légitimes de bâtir un régime des voies de recours original que, pour ma part, je ne qualifierai pas de dérogatoire, mais qui se caractérise par son aspect particulièrement restrictif et qui n'a pas manqué de susciter, comme tout régime de voies de recours restrictif, un développement des voies de recours en nullité - appel en nullité, pourvoi en nullité, tierce opposition en nullité.

Cela est très important du point de vue du sujet qui vous occupe, puisqu'un des grands arguments présentés pour montrer que le système des tribunaux de commerce ne produit pas d'effets excessifs est que les décisions du tribunal de commerce sont examinées en appel par les juges professionnels et reviennent dans le giron de la justice étatique. Or ici, nous avons affaire à des décisions, qui obéissent à un régime de voies de recours particulièrement restrictif, ce qui accroît l'hégémonie du tribunal de commerce dans des matières étrangères aux fins pour lesquelles il a été institué.

Pour conclure sur les procédures collectives, il me semble que réfléchir à l'avenir des tribunaux de commerce est aussi, d'une certaine façon, réfléchir à l'avenir des procédures collectives, puisque les deux sont très liées.

Il est question de réformer le droit de la faillite. Le législateur modifie la loi à peu près tous les dix ans, en invoquant les mêmes maux, et la législation entièrement nouvelle reproduit immanquablement les mêmes conséquences.

On peut envisager la proposition de réforme suivante : une procédure de moratoire d'un côté et de l'autre une procédure uniquement liquidative. Pourquoi faire autre chose, puisqu'aujourd'hui les procédures collectives débouchent à 95 % sur des liquidations et que le patrimoine de l'entreprise défaillante est entièrement absorbé par la propriété utilisée à titre de garantie - cession du poste client de type Dailly, crédit-bail immobilier et mobilier -, si bien que l'on sauve une entreprise qui n'a aucune existence patrimoniale. Pourquoi déployer un luxe de moyens pour sauver 5 % des entreprises ? En dernier lieu, viendrait la cession. Avec les moyens actuels de l'informatique, pourquoi ne pas créer une cession centralisée sur Internet ou sur minitel de l'ensemble des entreprises défaillantes à vendre ? Au moins, les conditions de la compétition seraient sans doute meilleures qu'avec une bourse organisée dans le silence de son cabinet par chaque mandataire ou administrateur.

M. le Président : Est-ce la réforme que vous proposez ?

M. GOYET : C'est celle que l'on peut encore imaginer après avoir expérimenté tous les systèmes qu'a connus la législation française depuis Napoléon.

M. le Président : À défaut d'une réforme complète, que peut-on envisager ? Nous sommes venus dans cette région, parce qu'on y trouve un fonctionnement original, qui présente la caractéristique de correspondre à grand traits à ce qui existe dans les autres pays européens.

M. GOYET : Le projet de loi sur l'exclusion comprend un chapitre consacré au surendettement des ménages, le législateur s'est posé la question de savoir s'il convenait de réformer une deuxième fois le dispositif Neiertz ou s'il convenait de généraliser la faillite civile existant en Alsace et la réponse a été de ne pas appliquer dans la France entière la faillite civile.

Or nous sommes actuellement dans un état du droit totalement déséquilibré entre le droit commercial et le droit privé, puisque le droit commercial, censé être le droit des forts, le droit de la concurrence, le droit de l'élimination sans état d'âme des mauvais payeurs, est devenu un droit protecteur. On l'observe en matière de faillites. La faillite civile est refusée aux débiteurs particuliers.

Toutes les professions organisées réclament l'application de la loi de 1985 comme un bénéfice, ce qui est une inversion complète des priorités. Seuls les débiteurs inorganisées ne se rendent pas compte qu'ils sont moins bien traités comme civils que comme commerçants.

M. le Président : Vous êtes en train de me dire que le droit d'Alsace-Moselle présente des avantages dans d'autres secteurs.

M. GOYET : Notamment la faillite civile.

M. le Président : Quel est votre point de vue concernant l'échevinage ?

M. GOYET : Je n'ai pas d'expérience personnelle en tant que professeur. Il m'arrive de côtoyer les milieux judiciaires, mais je n'en ai pas une expérience directe. Je pense que la formule a fait ses preuves dans de très nombreux domaines. En Alsace-Moselle, elle fonctionne à la satisfaction de tout le monde.

M. le Président : Que pensez-vous de l'organisation des professions de mandataires et de liquidateurs ?

M. GOYET : Quelles sont les deux conditions pour exercer l'une des deux professions de la deuxième loi de 1985, liquidateur ou administrateur ? D'une part, une condition de diplôme qui est très facilement atteinte: la maîtrise en droit et tout ce qui peut en tenir lieu, et, d'autre part, avoir effectué un stage d'une durée de trois ans chez un professionnel administrateur ou liquidateur. Or je me suis laissé dire que pour préserver une sorte de numerus clausus de fait, ces professions recrutaient des collaborateurs en précisant par contrat qu'ils étaient recrutés comme collaborateurs et non pas comme stagiaires, c'est-à-dire qu'il ne leur serait pas délivré d'attestation de stage. Ces collaborateurs sont très bien payés sur la base d'un contrat prévoyant qu'ils ne revendiqueront pas le stage pour s'installer.

M. le Président : Avez-vous eu de tels contrats entre les mains ?

M. GOYET : Non. Je ne pense d'ailleurs pas qu'il s'agisse de contrats écrits, ce sont des arrangements.

M. le Président : Comment la faillite fonctionne-t-elle dans des pays voisins ?

M. GOYET : Mes réflexions de commercialiste me conduisent à considérer que les législations de la faillite à travers le monde ont évidemment pour objectif d'assurer le meilleur paiement possible des créanciers, et, le cas échéant, elles affichent, comme la législation française, l'objectif de sauvegarder l'entreprise, autant que faire se peut.

L'évolution du droit de la faillite, qui est un droit impératif, vise à faire peser une discipline collective sur l'ensemble des créanciers. Depuis que ce droit existe, les créanciers ont cherché, par toutes sortes de moyens, à échapper à la discipline collective. La tendance lourde, depuis les dernières années, est de voir le créancier se déguiser en propriétaire afin d'échapper à un dispositif qui ne peut utilement frapper que le créancier.

Cela se vérifie à peu près partout. Cela s'est développé en France avec la sûreté en toute propriété. Cela a commencé avec le crédit-bail, en 1966, cela a continué avec la loi de 1981 prévoyant la réserve de propriété, cela a continué avec la loi Dailly de 1981, réformée en 1984. Le projet de loi fiducie, actuellement serpent de mer, était destiné à donner une expression à l'idée de prévoir une utilisation de la propriété à des fins de garantie. La réforme très importante, moins de dix ans après, de la loi de 1985, opérée en 1994, s'est surtout signalée par les faveurs qu'elle accordait aux revendiquants.

À quoi sert de maintenir une législation ordonnée, avec des dispositions extrêmement lourdes et luxueuses, à la survie de l'entreprise, lorsque l'ensemble de son matériel est en crédit-bail, tous ses bâtiments en crédit-bail immobilier, l'ensemble de son poste clients vendu à la banque pour garantir le crédit d'exploitation et que l'on nous annonce pour demain la fiducie qui permettra de prendre des garanties en toute propriété sur quelques éléments d'actifs ? Souvenons-nous que la pratique du leasing a été importée des États-Unis, que la réserve de propriété est très développée en Allemagne, puisqu'elle porte non seulement sur les biens, les effets, mais aussi sur les créances. Une tendance mondiale lourde consiste à dire que l'on n'est plus prêteur, mais que l'on est propriétaire.

Il est très intéressant d'observer que la loi de modernisation des activités financières du 2 juillet 1996 a, dans ses dispositions propres ou dans celles qu'elle a réformées, mis au point une série de dispositions convergentes pour permettre aux titulaires d'un instrument financier - valeurs mobilières ou titres de créances négociables - d'affirmer en toutes circonstances leur propriété contre la faillite. La conséquence est que les investisseurs dans la sphère financière sont les plus puissants, par rapport aux intermédiaires, sociétés de Bourse ou autres.

La propriété des instruments financiers affirmée par toute une série de dispositions convergentes qui visent à mettre l'investisseur à l'abri du droit commun de la faillite, sur le thème de sa propriété sur un instrument dématérialisé et intemporel, pose évidemment la question de la propriété de la monnaie scripturale et des dépôts en banque. Chaque fois que se produit un sinistre bancaire, et le sujet est d'actualité, l'analyse classique de la créance de restitution du client doit s'effacer derrière des procédés qui tendent à offrir au client une sorte de propriété de son dépôt et lui offrir un tour de faveur avant les créanciers proprement bancaires.

On assiste ainsi à un mouvement provoqué à la fois par l'évolution classique du crédit-bail américain, de la réserve de propriété allemande, de la fiducie luxembourgeoise et suisse, et par l'intégration financière européenne, qui va dans le sens d'une affirmation croissante du droit de la propriété contre lequel le droit de la faillite, ne peut rien.

M. le Président : Il ne reste plus à l'entrepreneur à titre individuel qu'à se protéger par un régime matrimonial ou un statut juridique protecteur.

Cette vision pessimiste vous incite à dire qu'une réforme du droit de la faillite devrait tendre à une simplification extrême. Cela n'aboutirait-il pas à la suppression des mandataires ?

M. GOYET : Dans cette perspective, l'administrateur est un répartiteur qui rend à chacun ce qui lui appartient, ce qui se produit depuis la loi de 1994. On dispense de revendications les crédit-bailleurs, les réservataires de la propriété, à condition qu'ils aient accompli les formalités de publicité facultatives équivalentes à celles du crédit-bail.

Dans un système où, on autorise sans aucune limite la propriété à titre de garantie, l'administrateur n'a plus à administrer.

M. le Président : Vous considérez que la mise en place d'une procédure aussi lourde n'est plus nécessaire ?

M. GOYET : Cela tourne à l'incantation.

M. le Président : Une incantation coûteuse.

M. GOYET : Plus le droit de la faillite a obéi à sa propre logique, qui est de soumettre tout le monde à la discipline collective, plus le besoin d'y échapper se fait pressant. L'idée de durcir indéfiniment le mécanisme est contre-productive, puisqu'on n'a pas les moyens juridiques d'endiguer la propriété et puisque, d'ailleurs, le législateur a encouragé la propriété à titre de garantie par tous les moyens. La réforme de 1994, disait l'éminent professeur Derrida, est une montagne qui a accouché d'une souris.. bancaire, le plus souvent dénommée... crédit-bail.

M. le Président : À défaut de réforme dans ce secteur, la procédure a-t-elle une justification ?

M. GOYET : L'objectif premier de « sauvetage » de l'entreprise est devenu, compte tenu de la réalité économique et juridique, une sorte d'incantation. En revanche, un progrès moins signalé de la loi de 1985, mais, à mes yeux, indiscutable, est d'avoir placé au c_ur du dispositif la fonction concurrentielle du droit de la faillite, c'est-à-dire, d'organiser la cession de l'entreprise par des procédures réglementées.

C'est le sens de la remarque que je faisais tout à l'heure, à savoir que l'on pourrait prévoir un moratoire simplement contractuel, non imposée par le tribunal, une procédure exclusivement liquidative et une bourse des entreprises à vendre.

M. le Président : Pour les affaires importantes, la publicité existe déjà. Lorsqu'une usine importante est vendue, tout le secteur le sait.

M. GOYET : Avec les outils d'information actuels, une centralisation, même virtuelle, serait utile.

M. le Président : Dans le cas d'une entreprise dans une branche particulière, tous les concurrents, les organismes professionnels et les ministères concernés le savent. Donc, la publicité existe.

M. GOYET : On peut réfléchir sur le point de savoir si c'est aux mandataires de recevoir les offres, de préparer la vente aux enchères.

M. le Président : Qui d'autre pourrait le faire, selon vous ?

M. GOYET : Une bourse.

M. le Président : Comment faire en sorte que la cession coûte moins cher à l'entreprise ? Vous dites que 95 % des procédures collectives aboutissent à des liquidations et que les actifs disponibles ne sont pas distribués aux créanciers.

M. GOYET : Les deux paramètres sont le prix d'acquisition et les promesses de maintien de l'activité et des emplois. Or il n'y a pratiquement aucun moyen de faire tenir à un, deux ou trois ans une promesse de maintien de l'activité, parce que l'opportunité industrielle est toujours la plus forte. On adjuge à des prix très bas contre des promesses qui ne seront pas tenues. D'où l'idée d'une bourse.

Le pouvoir discrétionnaire des tribunaux de commerce va très loin lorsqu'il s'agit d'ordonner la cession, puisqu'ils peuvent choisir le repreneur et les conditions de reprise. Ils n'ont pas à rendre compte des raisons pour lesquelles ils choisissent l'un contre l'autre. Or tout le système voit son caractère discrétionnaire augmenter par le fait qu'il n'y a pas d'adjudication à cahier des charges uniques. Il n'y a pas d'égalisation des conditions, puisque chacun fait son offre. Il n'y a pas de moins-disant ou de mieux-disant, puisque chacun est libre de présenter l'ensemble des paramètres.

M. le Président : Vous préconisez que soit organisée une publicité beaucoup plus large.

M. GOYET : Afin que l'on aboutisse à une concurrence dans des conditions de cahier des charges égales ou proches du mieux-disant. Le système actuel est discrétionnaire.

M. le Président : Il n'en reste pas moins que les critères d'attribution ne sont pas que le prix. Il y a également le maintien des emplois.

M. GOYET : Toutes les expériences judiciaires montrent qu'il est extrêmement difficile d'obtenir l'exécution des promesses de maintien des emplois et même de l'activité.

M. le Président : La publicité ne le garantirait pas davantage.

M. GOYET : Ce qui pose problème est la discrétion du choix du repreneur, dans des conditions où la concurrence n'est pas égale. Il n'y a pas de cahier des charges pour l'adjudication, ce qui augmente le pouvoir discrétionnaire du choix du candidat.

M. le Président : Je vous remercie.



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