N° 3369
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 novembre 2001.
PROPOSITION DE LOI
relative au renforcement de la lutte
contre l'impunité des auteurs de certaines infractions.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par M. Jean-Antoine LÉONETTI, Philippe DOUSTE-BLAZY, Jean-Louis DEBRÉ
et Jean-François MATTEI,
Députés.

Justice.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
La montée de la délinquance, qui figure aujourd'hui au premier rang des préoccupations légitimes des citoyens, représente concrètement un double défi, tant pour le milieu judiciaire que pour les élus locaux.
Le premier est en effet confronté à la lenteur de la justice pénale mais aussi à son inadaptation aux réalités et aux nouveaux visages de la délinquance. Ainsi, pour de nombreuses infractions, considérées comme de petite et moyenne gravité, l'absence de réponse pénale ou une réponse tardive et souvent inadaptée alimente un sentiment d'impunité chez les auteurs des faits, entretient un sentiment d'abandon chez les victimes et nourrit un sentiment d'insécurité chez tous les citoyens, qui gagne des actes élémentaires de la vie quotidienne.
Quant aux élus locaux, et en premier lieu les maires, ils sont aujourd'hui sans cesse interpellés par les citoyens face à la montée de l'insécurité, alors même que leur information et leur droit de regard sur la politique menée et les actions entreprises sont, de facto, très limités.
C'est afin de répondre à ce double constat que la présente proposition de loi propose, d'une part, d'améliorer la prévention et les réponses apportées à la délinquance de proximité, en favorisant le recours aux modes alternatifs de règlement en matière pénale et, d'autre part, de conforter le rôle d'information et de coordination des élus locaux en matière de sécurité, sans que ceux-ci ne se substituent à aucun des acteurs qui y concourent.
Centré sur les primo-délinquants et les récidivistes uniques et sur les petites et moyennes infractions pénales, limitativement énumérées par la loi, le premier volet s'inscrit dans le prolongement des dispositions existantes relatives aux alternatives aux poursuites, inscrites dans le code de procédure pénale.
Le représentant du parquet tient de l'article 40 du code de procédure pénale le droit d'apprécier la suite à donner aux plaintes et dénonciations dont il est saisi. Il peut notamment choisir de classer l'affaire, en avisant de sa décision le plaignant ainsi que la victime, lorsqu'elle est identifiée. Certes, le classement sans suite peut résulter de motifs juridiques lorsqu'il y a impossibilité légale de poursuivre ou de motifs d'opportunité fondés. Mais les statistiques attestent un développement considérable des classements sans suite. Or, de l'aveu des magistrats eux-mêmes, des préoccupations gestionnaires viennent souvent s'ajouter aux motifs traditionnels de classement et, compte tenu de l'engorgement des juridictions de jugement, les poursuites ne sont souvent engagées que pour les affaires jugées prioritaires. Ce sont dès lors les petites et moyennes infractions qui font les frais d'un choix plus subi que décidé et restent dès lors sans réponse judiciaire.
En dehors de la mobilisation de moyens supplémentaires indispensables pour rendre au grand service public de la justice la place et le crédit qu'il mérite, il convient de s'attacher à trouver des solutions pour rendre une justice plus rapide et plus proche des préoccupations de nos concitoyens. La sanction des infractions doit être systématique, rapide et proportionnelle à la faute commise, à la fois pour éteindre le sentiment d'impunité mais aussi pour être dotée, en particulier à l'égard des plus jeunes, d'une valeur éducative et permettre la réinsertion.
Pour améliorer le traitement de la petite et moyenne délinquance, il est proposé de favoriser le recours aux mesures alternatives de traitement pénal prévues à l'article 41-1 du code de procédure pénale.
Ces procédures sont d'autant plus adaptées à cet objectif que, au-delà de leurs caractéristiques intrinsèques - rapidité, souplesse offerte par la diversité des solutions personnalisée et individualisées, contexte de proximité -, elles constituent des alternatives non seulement au procès « classique » mais aussi et même surtout au classement sans suite pour les actes concernés.
Le dispositif proposé repose sur la création de conseils de la réparation pénale, qui s'inscrivent dans le cadre des maisons ou antennes de justice et du droit, généralisées et rendues obligatoires dans les communes et, le cas échéant certains, EPIC comptant plus de 50000 habitants, les représentants des maires ou des présidents des EPIC concernés en étant membres de droit (art. 1er).
Le conseil de la réparation pénale, présidé par le délégué du procureur et composé du représentant du maire ou du président de l'EPIC, comprend également des représentants de l'Etat et en particulier de la protection judiciaire de la jeunesse, auxquels peut être associée toute personne susceptible de concourir à l'exécution rapide et au suivi socio-éducatif des mesures proposées (art. 2).
C'est une convention, prévue par l'article 2, passée entre les parties, qui précise la composition du conseil de la réparation ainsi que les engagements de l'Etat et des collectivités territoriales pour financer et assurer la mise en _uvre des mesures alternatives qu'il sera appelé à proposer comme les moyens mis à disposition du procureur de la République ou de son délégué.
Dans le cadre fixé par l'article 3, lequel limite la procédure aux primo-délinquants ou aux récidivistes uniques, cette convention précise également les infractions concernées (dans le cadre de la liste établie par la loi) et le délai (trente jours maximum) au terme duquel le délégué du procureur, après avis du conseil de la réparation, propose une mesure si le procureur de la République ne s'est pas prononcé sur la suite à donner à l'affaire.
L'autorité judiciaire conserve ainsi, par l'intermédiaire du délégué du procureur, la maîtrise du dispositif conformément à son statut qui lui confère indépendance et impartialité.
Le deuxième volet de la présente proposition de loi tend mieux associer les élus locaux, à travers les maires ou présidents des EPIC, à la définition des mesures de prévention et de sécurité comme au suivi de l'évolution de la délinquance sur le territoire de leur ressort et des réponses qui lui sont apportées.
A l'heure actuelle, il existe deux dispositifs, les conseils communaux de prévention de la délinquance et les contrats locaux de sécurité, facultatifs, qui pourront être coordonnés au sein des conseils locaux de prévention de la délinquance et de lutte contre l'insécurité, rendus obligatoires dans les communes ou les EPIC comptant plus de 50 000 habitants (art. 4).
Présidés par le maire ou le président de l'EPIC, ils regroupent des représentants de l'ensemble des collectivités territoriales intéressées et des services de l'Etat, dont le préfet et le recteur d'académie, auxquels peuvent être associés d'autres personnes morales (telles que des associations, des bailleurs sociaux et des entreprises de transport).
Leur rôle, triple, relève, d'une part, de la définition, du suivi et de l'évaluation d'actions de prévention et de traitement et de la délinquance, qui peuvent prendre la voie contractuelle, d'autre part, de la proposition et de l'évaluation des mesures alternatives de traitement pénal pour le traitement des infractions de petite et moyenne importance, facilitées par la remise d'un rapport annuel sur l'activité des maisons de justice et du droit (art. 1er) et, enfin, du suivi statistique de l'évolution de la délinquance dans leur ressort, à travers la création en leur sein d'un observatoire de la délinquance, tenu informé des faits dénoncés et plaintes déposés auprès des services de police et de gendarmerie ainsi que des crimes et délits constatés et des suites qui leurs sont données.
Il s'agit ainsi à la fois de créer un véritable observatoire local de l'insécurité et un pôle de concertation qui réunit l'ensemble des acteurs de terrain. L'enjeu est d'améliorer une information et une coordination aujourd'hui manifestement défaillantes, qui brouillent les responsabilités et obèrent l'efficacité des actions conduites, en conférant au maire ou au président de la structure intercommunale un rôle de coordination. C'est la condition pour que l'articulation de tous les acteurs de la sécurité, dans sa dimension répressive comme préventive, dépassent les freins et clivages actuels, sans que les élus locaux ne se substituent à aucun des acteurs concernés.
Ainsi, cette proposition de loi permettra de faire reculer le sentiment d'impunité par des décisions de justice rapides et systématiques correspondant à l'attente de nos concitoyens concernant des infractions qui restent aujourd'hui trop souvent sans réponse. Les élus des collectivités territoriales, et en particulier les maires, sont associés à la mise en place de cette justice de proximité et bénéficient d'informations nécessaires à la coordination des moyens de lutte contre l'insécurité.
Pour toutes ces raisons, il vous est demandé, Mesdames et Messieurs les députés, d'adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

L'article L. 7-12-1-1 du code de l'organisation judiciaire est ainsi rédigé :
« Il est institué, dans les communes ou, le cas échéant, dans les communautés de communes, communautés d'agglomérations ou communautés urbaines comptant plus de 50000 habitants, des maisons ou antennes de justice et du droit, placées sous l'autorité des chefs du tribunal de grande instance dans le ressort duquel elles sont situées. Les maires et les présidents des établissements publics de coopération intercommunale concernés en sont membres de droit.
« Les maisons et les antennes de justice et du droit assurent une présence judiciaire de proximité et concourent à la prévention de la délinquance, à l'aide aux victimes et à l'accès au droit.
« Les mesures alternatives de traitement pénal et les actions tendant à la résolution amiable des litiges peuvent y prendre place.
« Les maisons et les antennes de justice et du droit remettent chaque année au conseil local de prévention de la délinquance et de lutte contre l'insécurité visé à l'article L. 2212-1-1 du code général des collectivités territoriales un rapport sur leur activité.  »

Article 2

Après l'article L. 7-12-1-1 du code de l'organisation judiciaire, il est inséré un article L. 7-12-1-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 7-12-1-1-1. - Il est institué, au sein des maisons et antennes de justice et du droit, un conseil de la réparation pénale, chargé de mettre en place, pour les personnes qui reconnaissent avoir commis, pour la première ou la seconde fois, une infraction visée au dernier alinéa de l'article 41-1 du code de procédure pénale, les mesures alternatives de traitement pénal prévues par ce même article.
« Le conseil de la réparation pénale est présidé par le délégué du procureur de la République. Il est également composé d'un représentant du maire de la commune ou, le cas échéant, d'un représentant du président de la communauté de communes, de la communauté d'agglomérations ou de la communauté urbaine dans laquelle est implantée la maison de justice et du droit, ainsi que de représentants de l'Etat dont un représentant du service de la protection judiciaire de la jeunesse. D'autres personnes pouvant concourir à l'exécution rapide et au suivi socio-éducatif des mesures proposées peuvent être associées audit conseil.
« Les mesures alternatives de traitement pénal sont décidées par le délégué du procureur de la République, après avis du conseil.
« Les modalités de fonctionnement du conseil de la réparation pénale font l'objet d'une convention entre les parties, qui peut être intégrée dans la convention constitutive de la maison ou antenne de justice et du droit. Cette convention peut préciser, dans la limite de trente jours, le délai au terme duquel les infractions portées à la connaissance du procureur de la République font l'objet, en l'absence de décision de sa part, d'une proposition de mesure alternative de traitement pénal par le conseil, ainsi que la liste des infractions concernées. Elle fixe également la composition précise du conseil, les engagements de l'Etat et des collectivités territoriales concernées pour la prise en charge du coût des programmes de réparation et de médiation, ainsi que les moyens mis à la disposition du délégué du procureur de la République pour garantir son impartialité et son indépendance.  »

Article 3

L'article 41-1 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la personne mise en cause reconnaît s'être rendue coupable pour la première ou la seconde fois d'un vol simple, d'une extorsion, d'un recel, d'une dégradation de bien public ou privé dans la limite d'un préjudice de 500 euros, d'un usage de stupéfiants ou d'une atteinte aux personnes telles que les injures, menaces ou violences ayant entamé une incapacité totale de travail inférieure à huit jours, les mesures énumérées ci-dessus sont mises en place par le conseil de la réparation pénale, en l'absence de décision de la part du procureur de la République sur la suite donnée à l'affaire dans un délai maximum de trente jours à compter de la réception de la plainte ou de la dénonciation. »

Article 4

Après l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2212-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2212-1-1. - I. - Il est institué, dans les communes ou, le cas échéant, dans les communautés de communes, communautés d'agglomérations ou communautés urbaines comptant plus de 50000 habitants, un conseil local de prévention de la délinquance et de lutte contre l'insécurité.
« Présidé par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale concerné, le conseil associe des représentants des différentes collectivités territoriales intéressées et de l'Etat, dont son représentant dans le département et le recteur d'académie. D'autres personnes, morales et privées, notamment les associations, les bailleurs sociaux et les entreprises de transport, peuvent également être représentées. Le conseil se réunit au moins une fois par mois.
« Le conseil définit des actions à mener, sur le territoire de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunal concerné, pour prévenir la délinquance et lutter contre l'insécurité. Il arrête et évalue des mesures alternatives de traitement pénal qui peuvent être proposées aux auteurs, mineurs en particulier, de certaines infractions de petite ou moyenne importance. Il élabore des programmes d'action à court, moyen et long terme, qui peuvent prendre la forme d'un contrat associant l'ensemble des parties concernées. Il assure le suivi de ces contrats.
« II. - Un observatoire de la délinquance, présidé par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale concerné, ou leur représentant, est institué au sein de chaque conseil local de prévention de la délinquance et de lutte contre l'insécurité.
« L'observatoire assure un suivi statistique régulier des crimes et délits commis sur le territoire communal ou intercommunal. A cette fin, il est informé des faits dénoncés et des plaintes déposées auprès des services de police et de gendarmerie, ainsi que des crimes et délits constatés par ceux-ci, et des suites, répressives, judiciaires ou éducatives, données à ces affaires. Il analyse les causes et l'évolution de la délinquance sur le territoire communal ou intercommunal. Il examine les mesures alternatives de traitement pénal proposées par le conseil de la réparation pénale et apprécie les résultats obtenus par celui-ci. Il remet chaque année au conseil local de prévention de la délinquance et de lutte contre l'insécurité un rapport qui fait état de ses analyses et conclusions. »

Article 5

Les charges éventuelles qui découleraient, pour les collectivités locales, de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement et de la dotation générale de décentralisation.
Les charges qui incomberaient à l'Etat sont compensées, à due concurrence, par une augmentation des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

N° 3369- Proposition de loi de M.Léonetti relative au renforcement de la lutte contre l'impunité des auteurs de certaines infractions.(commission des lois)


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